Délibérations du sous-comité de l'enseignement
postsecondaire
du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 13 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le mercredi 16 avril 1997
Le Sous-comité de l'enseignement postsecondaire du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 15 pour poursuivre son étude sur l'enseignement postsecondaire au Canada.
Le sénateur M. Lorne Bonnell (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous devrions commencer par souhaiter la bienvenue au professeur Stager.
Soyez le bienvenu, professeur. Je vous invite à nous présenter votre exposé préliminaire si vous en avez un.
M. David Stager, professeur, Université de Toronto: Merci, monsieur le président, de me donner ainsi l'occasion de témoigner devant votre comité. L'enseignement postsecondaire et son financement et ses htmects économiques sont des sujets qui m'intéressent depuis toujours et auxquels je consacre mes activités de recherche en priorité depuis littéralement des décennies. Je suis conscient des contraintes de temps, et j'essaierai donc d'être bref. Je suis impatient d'entendre vos questions et vos observations.
J'ai parcouru les transcriptions de vos délibérations, que votre greffière a eu l'amabilité de m'envoyer, et j'en ai conclu que je devrais aborder deux ou trois questions qui sont revenues à plusieurs reprises.
Ce sont trois questions qui devraient notamment nous guider dans l'orientation de l'action gouvernementale relative à l'enseignement supérieur. Je vous les présente sous forme abrégée, mais je serais heureux d'en discuter plus longuement plus tard, voire de vous fournir quelque chose par écrit.
Les trois questions sont les suivantes: qui sont les bénéficiaires? Qui détermine l'accessibilité pour les étudiants? Qu'en est-il de la répartition des revenus, ou qui subventionne qui?
Certaines des observations que je ferai iront à l'encontre, j'en suis sûr, de ce que vous entendrez de la part d'autres témoins, mais elles se fondent sur des documents de recherche à long terme assez solides que j'ai réunis au fil des ans.
Ce sont les diplômés eux-mêmes qui sont les principaux bénéficiaires. Les sommes qu'ils investissent dans l'enseignement supérieur leur procurent un rendement élevé. C'est d'ailleurs le meilleur investissement qu'on puisse faire dans notre économie. Pas plus tard que la décennie précédente, le rendement dont jouissaient les diplômés d'université variait entre 10 et 20 p. 100, selon le moment, la province, la discipline, et cetera. Quinze pour cent comme taux de rendement, c'est bon. C'est un taux de rendement qui peut être comparé à celui, par exemple, des fonds mutuels, sauf que, premièrement, il s'agit d'un rendement après impôt et, deuxièmement, le rendement est composé annuellement sur toute la durée de la vie active.
Malgré tout l'intérêt qu'on leur porte, il me semble que les fonds mutuels n'ont pas produit de taux de rendement qui s'approche de celui-là depuis très longtemps.
Certains soutiennent que c'est l'ensemble de la société qui est bénéficiaire. De plus en plus, c'est là une idée qui est contestée. En fait, la question est de savoir si ce sont les études qui favorisent la croissance économique ou si c'est la croissance économique qui favorise les études. C'est là une question qui mériterait de faire l'objet de travaux de recherche.
Les principaux avantages qui en découlent pour l'ensemble de la société tiennent à la R-D, au changement technologique et aux activités de recherche des universités et des établissements connexes.
Deuxièmement, en ce qui a trait à l'accessibilité, on s'imagine que les frais de scolarité influent sur l'accessibilité. Je soutiens que leur influence est minime. Les politiques axées sur le maintien des frais de scolarité à un niveau peu élevé pour favoriser l'accès n'ont pas donné les résultats escomptés pour des raisons que nous pourrons aborder si vous le voulez. La question qui se pose pour les étudiants n'est pas celle du prix, mais bien celle du financement; il ne s'agit pas de savoir s'il vaut la peine de faire des études supérieures, mais si on a les moyens de les faire. Des expériences ont déjà été tentées à cet égard. Ainsi, l'Australie a aboli les frais de scolarité pendant 15 ans, mais l'effet sur la composition de l'effectif étudiant a été minime... il a en fait été négligeable. Au Québec, comme vous le savez, les frais de scolarité ont été gelés pendant 20 ans, sans effet manifeste sur le taux de participation, c'est-à-dire sans qu'il y ait eu de différence attribuable à la mise en oeuvre de cette politique. En fait, la politique n'a malheureusement pas été bien étudiée. L'économiste québécois à qui j'ai demandé pourquoi il en était ainsi m'a expliqué que le gouvernement ne voulait pas entreprendre d'étude là-dessus parce qu'il savait quelle serait la réponse.
L'Ontario pratique depuis 30 ans -- même s'il y a eu des changements à cet égard ces dernières années -- une politique de frais de scolarité peu élevés comme moyen de favoriser l'accès. Or, si l'Ontario avait maintenu les frais de scolarité au niveau en dollars réels où ils étaient en 1967, année à laquelle remonte la mainmise du gouvernement à cet égard -- autrement dit, s'il avait permis tout simplement que les frais de scolarité augmentent pour tenir compte de l'inflation --, nous aurions eu, en moyenne, 100 millions de dollars par an sur 30 ans que nous aurions pu utiliser pour financer d'autres politiques d'aide aux étudiants qui, à mon avis, auraient peut-être été beaucoup plus efficaces.
Il a été montré à bien des reprises que l'accessibilité dépend d'autres facteurs. Elle dépend notamment de la disponibilité des places: autrement dit, les étudiants ont-ils un endroit où ils peuvent aller pour faire leurs études? C'est ce facteur qui a été le plus déterminant dans les taux de participation. Les parents des étudiants sont un autre facteur important, tout comme les méthodes de financement... non pas le coût, mais le financement.
La troisième question que j'ai soulevée est celle de la répartition des revenus ou celle qui consiste à savoir qui subventionne qui. Il semble que ce soit le sujet défendu. Il y a en effet très peu de recherches qui ont été faites là-dessus. Je vous encouragerais dans vos délibérations à envisager de recommander au gouvernement de financer davantage de travaux de recherche sur cette question pour que nous sachions au juste ce qu'il en est des transferts des groupes à faible revenu aux groupes à revenu élevé.
Chacune des rares études qui ont été faites sur le sujet montre qu'il y a un transfert net des groupes à faible revenu aux groupes à revenu élevé. Cette constatation vaut surtout pour l'élément subvention des frais de scolarité de la politique d'aide aux étudiants. Elle vaut aussi dans une certaine mesure pour la subvention des intérêts sur les prêts-étudiants. En fait, un des postes qui grèvent le plus le budget de subvention des intérêts sur les prêts-étudiants est lié aux prêts accordés pour des études de deuxième cycle -- en droit, en médecine, en art dentaire, et cetera -- lesquelles études sont coûteuses et longues. Par conséquent, la subvention des intérêts coûte cher et profite en général à des étudiants provenant de familles qui ont un revenu au-dessus de la moyenne.
Cela m'amène donc à la question des prêts et au document que j'ai rédigé et qui vous a sans doute été remis. Je n'entrerai pas dans le détail du document, mais il y a deux ou trois points que je voudrais signaler tout particulièrement à votre attention. Je commence par parler de certains des problèmes liés aux programmes existants d'aide aux étudiants. Ce sont des problèmes dont on reconnaît l'existence depuis 30 ans. La première étude que j'ai faite sur l'aide aux étudiants remonte à 1969, et l'évocation de cette première étude me donne un sentiment très fort de déjà vu.
Les bourses ne se sont pas révélées particulièrement efficaces pour ce qui est d'amener aux études des étudiants qui, sans cette aide, n'auraient pas fait d'études. L'examen des ressources pose certainement des problèmes tant pour les prêts que pour les bourses. Les programmes de prêt ordinaire que nous avons -- «ordinaire» en ce sens que la dette est fixe, le remboursement aussi -- font en sorte, bien sûr, qu'il est parfois difficile pour certains étudiants de rembourser leur prêt, et vous en avez entendu parler.
Le programme d'aide aux étudiants à remboursement en fonction du revenu est une formule que j'examine depuis plusieurs années et à laquelle j'accorde un soutien énergique. Je voudrais en parler comme d'un programme, non pas de prêt-étudiant, mais d'aide aux étudiants, parce qu'il comporte un volet prêt et aussi un volet bourse. En fait, dans le document que je vous ai présenté, j'en parle comme d'un programme de prêt-bourse avec remboursement dépendant du revenu, puisque l'élément subvention du programme consiste jusqu'à maintenant à exonérer du remboursement de leur prêt les diplômés qui au bout du compte sont incapables de rembourser le plein montant de leur prêt.
Le terme «exonération de remboursement de prêt» n'est pas sans causer certaines difficultés sur le plan politique, certains problèmes de conceptualisation. À vrai dire, je préfère reprendre un terme plus récent, qui est tiré d'un document produit récemment par un consortium et dont certains témoins vous ont déjà parlé; je préfère donc parler de bourse différée. Il s'agit ainsi d'un programme de prêt-étudiant à bourse différée. J'y reviendrai tout à l'heure.
Je veux sauter maintenant à la fin de mon document et bien faire comprendre les principaux avantages d'un programme de prêt-bourse avec remboursement dépendant du revenu, car j'estime qu'on a perdu de vue ces avantages dans les discussions plutôt polémiques que suscitent ces questions ces derniers temps.
Premièrement, en termes simples, l'idée du programme de remboursement dépendant du revenu est que les étudiants remboursent leur prêt en fonction, non pas du montant fixe de leur dette, mais de leur capacité de payer.
Deuxièmement, le risque est ainsi transféré de l'étudiant à l'ensemble des contribuables. C'est un élément important, car, comme nous le savons, les étudiants ne font que débuter dans leur profession. Beaucoup répugnent à souscrire des prêts. Ils sont incertains quant à leur avenir et quant à leurs perspectives de revenu futur. Si le risque est transféré à l'ensemble de la société, il devient bien plus facile pour les étudiants de se choisir un champ d'études postsecondaires menant à une carrière.
Troisièmement, et c'est là un point important à mon avis, l'examen des moyens se fait non pas à partir des moyens des parents de l'étudiant, mais de l'étudiant lui-même comme futur diplômé.
Comme je l'ai déjà dit, le choix d'une méthode acceptable pour évaluer les moyens nous cause depuis longtemps des difficultés. Il n'est bien sûr pas évident dans notre société contemporaine de déterminer la façon d'évaluer ces moyens, voire de déterminer quelle est la famille dont les moyens doivent être évalués. Il y a aussi le problème qui se pose quand on se met à évaluer, non plus les moyens des parents, mais ceux des étudiants en cours de route.
En évaluant plutôt les moyens de l'étudiant quand il aura eu son diplôme, nous avons une formule bien plus équitable, qui permet de faire le calcul à partir du revenu de l'étudiant lui-même. Nous pouvons obtenir une mesure plus juste du revenu en partant de la déclaration d'impôt de l'étudiant afin de déterminer, du moins dans cette mesure-là, la capacité de payer.
Je veux maintenant vous expliquer brièvement comment il se fait qu'un programme de prêt-bourse avec remboursement dépendant du revenu n'a pas encore été mis en place. On me demande souvent: «Si cette idée est aussi formidable que vous le dites, pourquoi n'a-t-elle pas encore été mise en pratique depuis le temps?»
La principale raison tient au caractère particulier du régime constitutionnel canadien. La plupart des observateurs considéraient que pareil programme exigerait la collaboration des provinces et du gouvernement fédéral. Je suis venu à Ottawa à bien des reprises au cours des quelques dernières décennies pour discuter avec des représentants du gouvernement fédéral et avec des groupes représentant les provinces soit collectivement, soit individuellement. Quand une partie était intéressée, l'autre ne l'était pas, et vice versa.
Il est important de le souligner, pareil programme n'exigerait pas la collaboration du gouvernement fédéral et des provinces; une province pourrait décider d'elle-même de l'appliquer sur son territoire. Le gouvernement fédéral pourrait certainement l'appliquer lui-même aussi, même si, en raison de la Constitution, il lui faudrait le soutien politique, sinon financier, des provinces. Nous pourrons revenir à cette question, et plus particulièrement au rôle du fisc à cet égard.
Certaines organisations s'opposent à un programme de ce genre -- et je dis bien «certaines», car elles ne sont pas toutes de cet avis --, parce qu'elles y voient le cheval de Troie qui permettra ensuite de relever les frais de scolarité. Le fait est que, depuis dix ans notamment, les frais de scolarité ont beaucoup augmenté. Pourtant, nous n'avons pas de programme que je considère comme satisfaisant pour financer le coût direct qui en résulte pour les étudiants.
Quand j'ai commencé à m'intéresser à la question des prêts avec remboursement en fonction du revenu, nous avons élaboré un modèle de simulation où nous disions: «Partons du principe que les frais de scolarité pourraient varier de zéro jusqu'au plein montant.» Ce programme permettrait donc, peu importe le niveau des frais de scolarité, de financer une partie du coût des études de l'étudiant. Certaines associations de professeurs s'y sont toutefois opposées dans les années 70, notamment parce qu'elles craignaient que le relèvement des frais de scolarité ne fasse baisser le nombre des inscriptions et que la baisse du nombre d'inscriptions ne se traduise par une baisse de la demande de professeurs, et cetera. À vrai dire, je n'ai pas vu d'argument bien raisonné qui ait été présenté par les associations de professeurs.
D'autres groupes s'inquiètent du niveau d'endettement des étudiants. Le principal attrait du remboursement selon le revenu tient au fait que le montant de la dette dépendrait de la capacité de payer de l'étudiant. Nous pourrions même parler de ce qui constituerait un niveau d'endettement acceptable.
Enfin, certaines personnes ne savent pas faire la distinction entre le prêt ordinaire et ce programme particulier d'aide aux étudiants sous forme de prêts. Certains disent: «Pourquoi l'étudiant qui souscrit un prêt ne serait-il pas obligé de le rembourser? J'ai moi-même obtenu un prêt et je dois le rembourser.» Quand on tient des propos comme ceux-là, c'est qu'on ne se rend pas compte à quel point l'État subventionne notre programme d'aide aux étudiants. Il s'agit de déterminer où et comment ce programme de subvention sera appliqué.
En ce qui concerne certains des éléments clés d'un éventuel programme de prêt-bourse avec remboursement dépendant du revenu, je vous ai présenté des observations sous forme de questions et réponses afin de mettre en lumière certains des éléments clés qu'il faudrait définir dans le cadre d'une politique visant à déterminer la structure d'un programme de ce genre. Je vous invite en tout cas à me faire part de vos questions ou de vos observations sur l'une ou l'autre des affirmations que je fais dans le document en question. Je voudrais toutefois aborder plus particulièrement deux ou trois de ces éléments, puisqu'il en est question dans les délibérations du comité. D'après les procès-verbaux que j'ai lus, vous en avez déjà entendu parler.
On dit souvent que les prêts avec remboursement dépendant du revenu font problème parce que les étudiants seraient endettés pendant une période de 25 à 30 ans. J'ai aussi entendu certaines personnes parler d'étudiants qui seraient «endettés à vie». Il est malheureux qu'on ait cette impression, car elle est tout simplement fausse. À deux reprises maintenant, j'ai participé à l'élaboration de programmes de simulation -- il y a plusieurs années de cela, quand nous avons commencé à examiner cette formule, et, tout récemment, quand nous avons élaboré un programme de simulation -- afin de déterminer comment le programme fonctionnerait dans la pratique.
Il me semble que la grande majorité des étudiants auraient remboursé leurs prêts. Bien entendu, tout dépend du montant du prêt, du taux d'intérêt et de toutes les autres choses. S'il s'agissait toutefois d'un programme qui n'exagérerait ni dans un sens ni dans l'autre, la grande majorité des étudiants auraient remboursé leurs prêts en l'espace de 15 ans; beaucoup l'auraient fait encore plus rapidement. Après 16 ou 17 ans environ, la proportion de ceux qui remboursent leurs prêts diminue rapidement. Ce sont ces personnes qui deviendraient alors admissibles au programme de bourse différée.
Franchement, il ne sert à rien de laisser le délai de remboursement dépasser 16 ou 18 ans. Je dis cela parce que le compteur d'intérêt ne cesse de tourner et que le coût du prêt que le gouvernement devrait ensuite assumer dans le cadre du programme de bourse différée ne cesserait aussi d'augmenter. Le délai de remboursement devrait donc être de 15 à 20 ans... et je penche plutôt pour 16 ou 17 ans, compte tenu de tous les autres éléments. Cela n'est guère différent de ce qui est de plus en plus le cas pour les prêts consentis en vertu du programme de prêt ordinaire, quand on tient compte du délai d'exemption d'intérêt et du fait que la plupart des étudiants prennent dix ans pour rembourser leur prêt ordinaire.
Le financement de la bourse différée est important. De toute évidence, il faudrait que les fonds nécessaires soient prévus dans le budget courant du gouvernement qui en assumerait la charge, de sorte qu'il faudrait inclure une estimation de l'obligation future. À la fin de mon document, je présente quelques chiffres qui se fondent sur le modèle de simulation dont je vous ai parlé. Je crois que les montants sont tout à fait modestes. Certains s'inquiètent de savoir s'il est possible de déterminer avec exactitude le montant de cette obligation future et si les estimations ne pourraient pas se révéler erronées.
Cette préoccupation appelle deux réponses. Tout d'abord, dans l'ensemble, les Canadiens qui détiennent un diplôme d'université sont plus en mesure de rembourser leurs prêts que n'importe quel autre groupe dans notre économie ou notre société. Nous avons le temps de vivre bien d'autres situations difficiles avant que ne vienne le jour où nos diplômés d'université ne pourront pas dans l'ensemble rembourser leurs prêts. Par ailleurs, si le modèle est bien fait, les estimations peuvent être revues chaque année afin d'y apporter les rajustements nécessaires.
J'attire votre attention sur certains de ces chiffres qui se trouvent dans le document que vous avez entre les mains, et je serais heureux de vous en parler plus longuement tout à l'heure.
En conclusion, je voudrais vous présenter deux ou trois observations sommaires qui risquent de contredire certains des documents que vous avez. Cela peut paraître anodin, mais il est important de signaler que l'Australie n'a pas de programme de prêt avec remboursement dépendant du revenu. On en parle souvent comme d'un pays qui possède un programme comme celui-là. Je suis en partie responsable de cette fausse impression, car j'ai rédigé en 1989, à l'intention du Conseil des universités de l'Ontario, un rapport intitulé Focus on Fees, où j'ai parlé de l'Australie. En 1993, j'ai eu l'occasion de me rendre en Australie pour y étudier le financement des universités et des étudiants, et plus particulièrement le programme australien en ce sens. L'Australie a une formule d'imposition très complexe et très impressionnante de ses diplômés. Je vous en dirai plus long là-dessus plus tard si vous le voulez. Il n'y a pas de programme de prêt-étudiant en Australie. La Nouvelle-Zélande en a un, par contre, que nous pourrions examiner avec profit. Le programme est beaucoup plus petit, mais il s'agit de frais de scolarité réels, de prêts réels et d'espèces sonnantes et trébuchantes. Il y a aussi les États-Unis qui ont récemment mis sur pied un régime qui coexiste avec les autres programmes de prêt. On n'en a toutefois qu'une expérience très limitée.
La deuxième affirmation sommaire -- et elle semble aller tout à fait à l'encontre de ce qu'on penserait instinctivement --, c'est que, à l'échelle mondiale, plus le recours aux prêts-étudiants est élevé, plus le taux de participation du bassin d'étudiants éventuels est élevé. Plus les frais de scolarité sont élevés, plus le taux de participation est élevé.
Dans des pays comme les États-Unis, le Japon et le Canada, où les frais de scolarité et le recours aux prêts-étudiants sont plus élevés que dans les pays européens, le taux de participation est plus élevé. Le cas du Royaume-Uni est révélateur. Le taux de participation y est faible, mais, jusqu'à récemment, les autorités locales aidaient financièrement les étudiants en leur accordant l'accès gratuit à l'université.
Quand on prend la peine de l'examiner, cette situation s'explique assez facilement. Les gouvernements prévoient, pas nécessairement un montant fixe, mais certains crédits budgétaires pour l'enseignement supérieur. Si la totalité de ces crédits sont affectés à l'abaissement des frais de scolarité à zéro, le nombre d'étudiants se trouve restreint. L'accessibilité est surtout restreinte par la politique d'admission et le nombre de places. C'est pour cette raison que l'Australie a opté pour le régime qu'elle a adopté, à savoir pour financer l'accroissement du nombre de places.
La troisième affirmation sommaire, qui est assez amusante, c'est que les banques et beaucoup de groupes d'étudiants s'opposent à la formule du remboursement en fonction du revenu. Il faut donc en conclure que ce serait une très bonne idée.
Sur ce, j'invite les membres du comité à me faire part de leurs observations ou de leurs questions.
Le président: Merci, monsieur Stager, pour cet excellent document. Pourriez-vous nous dire pourquoi, à votre avis, il y a tellement d'étudiants du niveau universitaire et collégial qui déclarent faillite de nos jours? Font-ils cela simplement pour éviter d'avoir à rembourser leurs dettes?
M. Stager: Vous dites qu'il y en a «tellement». Tout ça, c'est bien sûr relatif. Il faut examiner les pourcentages et la proportion. Il y a plus d'étudiants de nos jours; il y a plus d'étudiants qui empruntent aussi; le nombre de ceux qui ont une dette considérable est aussi plus important. Cependant, à mon avis, ces chiffres témoignent d'une déformation importante. J'entends dire depuis au moins 10 ans que le prêt-étudiant moyen est de 25 000 $ à 30 000 $. J'espère que, si vous ne l'avez pas déjà entendu, vous entendrez le professeur Ross Finney, cet économiste qui a fait récemment une étude sur les prêts-étudiants. Il nous a rendu un grand service en publiant un grand nombre de chiffres sur l'expérience réelle relative aux prêts-étudiants.
Environ la moitié des étudiants qui terminent un programme d'études de premier cycle de quatre ans ont un prêt. De l'autre côté, comme dirait l'optimiste, la moitié d'entre eux n'ont pas de prêts. Pour ceux qui en ont un, le prêt moyen va de 10 000 $ à 11 000 $. J'ai calculé en détail les revenus des diplômés d'université, et il n'est pas surprenant que la grande majorité d'entre eux n'aient pas de mal à rembourser leur prêt.
Ce qui me préoccupe toutefois, c'est que nous n'avons pas de bon mécanisme pour déterminer le niveau d'endettement maximal que tout étudiant devrait pouvoir assumer eu égard à sa capacité de rembourser, comme ce serait le cas pour n'importe quel type de frais. On examinerait son plan d'entreprise, si vous voulez, et on déterminerait si le niveau d'endettement est acceptable eu égard à la capacité de rembourser.
Je sais que nous aurons un jour un programme avec remboursement en fonction du revenu et que nous devrons alors faire en sorte que l'endettement total ne dépasse pas la capacité de payer de l'étudiant. Il ne fait absolument aucun doute que le diplômé en lettres et en sciences humaines aura une trajectoire de revenu différente de celle du diplômé en médecine et, bien entendu, que leurs études n'auront pas coûté la même chose. C'est là un critère dont nous devrions tenir compte au lieu de fixer le montant maximal au même niveau pour tout le monde.
Par ailleurs, je m'inquiète de l'absence de bons services de conseils financiers destinés à ceux qui en ont grand besoin.
Le président: Comment pouvons-nous faire pour encourager les jeunes qui ne vont pas à l'université parce qu'ils ont peur de la dette qu'ils devront assumer pour ce faire, étant donné que leur dette sera finalement très minime, compte tenu de leurs perspectives de revenu, qui se trouveront multipliées de beaucoup?
M. Stager: Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord pour dire que beaucoup d'étudiants ont peur d'aller à l'université. Le pourcentage du bassin d'étudiants éventuels n'a jamais été plus élevé au Canada. Je crois que les étudiants forment un des groupes les plus optimistes de notre société, et à juste titre, parce qu'ils sont conscients du rendement très élevé que leur procure un diplôme universitaire, en dépit des reportages exagérés au sujet de la difficulté de se trouver un emploi sur le marché actuel. Je suis loin d'être indifférent à cette situation. Je travaille avec des chiffres sur le chômage à l'échelle mondiale. Je travaille avec des étudiants dans mes classes. J'ai moi-même deux filles qui sont fraîchement sorties du système universitaire ontarien. Je suis donc bien placé pour comprendre leurs préoccupations et les difficultés auxquelles elles font face.
Cela dit, le rendement d'un diplôme universitaire, en chiffres non rajustés, est de l'ordre d'un million de dollars sur la vie de l'étudiant; c'est le chiffre auquel on arrive en comparant celui qui a un diplôme d'études secondaires et celui qui a un diplôme universitaire. Or, le coût des études universitaires est inférieur à 100 000 $, ce qui explique les chiffres dont je vous ai parlé, à savoir que le taux de rendement repère est d'environ 15 p. 100.
Il y a plusieurs années de cela, j'ai rédigé un document détaillé sur le type d'information qui devrait être fournie aux étudiants afin de les aider à prendre des décisions relativement aux études postsecondaires. J'insiste sur le fait que cette information devrait être, non pas statique, mais dynamique; l'information dynamique est celle qui tient compte de l'évolution des circonstances, notamment sur la durée du cycle d'entreprise.
Ainsi, les étudiants, comme tous les autres participants à l'économie, ont tendance à réagir aux chiffres économiques qu'ils voient au moment où ils prennent leurs décisions. Quand nous remarquons que les salaires sont à la hausse dans un domaine par rapport aux autres, nous y voyons un domaine où il serait bon de se lancer; par contre, quand les salaires sont à la baisse dans un domaine par rapport à d'autres, nous évitons ce domaine au lieu d'essayer de nous y tailler une carrière.
C'est une tendance qui se manifeste souvent, surtout dans les études sur les différentes professions. C'est le cas de la profession d'avocat, d'ingénieur et de comptable, où les gens suivent à merveille le cycle d'entreprise, rajustant le tir en fonction des différences de salaires observées. Les étudiants devraient être conscients des perspectives de revenus et de la multitude de possibilités qu'offre tel ou tel programme. Des études ont révélé que les étudiants, surtout ceux des groupes à faible revenu ou de familles non professionnelles, ont tendance à sous-estimer leur revenu futur, et cela se comprend du fait qu'ils n'ont pas d'information de première main quant à ce que telle ou telle profession peut leur offrir.
Nous ne fournissons pas vraiment de bonnes informations aux étudiants pour leur permettre de faire un choix de carrière comme nous le ferions pour d'autres groupes appelés à prendre des décisions semblables.
Le président: Vous avez parlé d'un document que vous avez rédigé il y a de cela un certain temps. Pourriez-vous nous en donner le titre et nous dire où nous pourrions en obtenir des exemplaires? Il semble que ce soit un document très intéressant.
M. Stager: Oui. En toute modestie, je voudrais vous remettre une liste des divers documents que j'ai rédigés au fil du temps sur divers htmects de l'enseignement supérieur, ainsi que sur ses htmects économiques et son financement. Je pourrais remettre la liste à la greffière à la fin de la séance. Je serais prêt à vous envoyer tous les documents qui pourraient vous intéresser.
Le président: Merci. Cela nous serait très utile.
Les étudiants décident-ils d'aller à l'université parce qu'ils s'intéressent vraiment à l'enseignement supérieur ou à une discipline en particulier, ou est-ce parce qu'ils considèrent qu'ils auraient ainsi de meilleures perspectives de revenus, ou choisissent-ils une discipline en fonction du coût du programme d'études?
M. Stager: Il y a un certain nombre de sondages qui ont été faits sur cette question et qui pourraient vous éclairer. Le principal facteur de motivation appartient à la catégorie économique: revenu plus élevé, gamme de possibilités plus large, travail plus intéressant. Tout cela revient à une espèce de syndrome lié au revenu d'emploi. Bien entendu, l'intérêt pour une discipline en particulier compte aussi, et compte de façon importante d'après les sondages. L'étudiant qui prend goût à une discipline à l'école secondaire voudra sans doute poursuivre ses études dans cette discipline.
Cependant, de nombreuses études montrent que la principale raison est la perspective d'avoir une meilleure vie professionnelle, et cela s'inscrit dans le comportement que nous avons constaté. Cela confirme ce taux de rendement. Il va de soi que les étudiants ne prennent pas leur calculatrice le jour où ils finissent leurs examens d'études secondaires pour décider dans quel domaine ils s'orienteront et combien ils gagneront. Cependant, ils agissent implicitement sur la base de cette information, ce qui n'est pas étonnant, puisqu'elle leur est communiquée constamment de bien des sources.
C'est en partie pour cette raison que nous avons des listes beaucoup plus longues de candidats dans certaines professions -- médecine, art dentaire, droit, ingénierie, commerce, et cetera -- que dans d'autres, où les revenus futurs sont moins intéressants.
Le sénateur Forest: J'ai trouvé très intéressant que vous ayez dit que les frais de scolarité ne sont pas une forme de dissuasion pour les étudiants. Après toutes nos audiences sur le sujet, nous sommes nous aussi arrivés à cette conclusion. Au lieu de réduire ou de maintenir les frais de scolarité à leur niveau actuel, nous aurions plutôt intérêt à permettre qu'ils augmentent dans une certaine proportion et que l'argent ainsi recueilli serve à aider les étudiants démunis.
Pourriez-vous nous en dire plus long au sujet de la distribution du revenu? En ce qui a trait au système de prêt, vous avez dit que les bourses ne favorisent pas une plus grande participation, et pourtant vous proposez un programme de prêt-bourse. Pourriez-vous nous expliquer cela, je vous prie?
M. Stager: Je ne voudrais pas qu'on pense que j'ai dit que les frais de scolarité n'influent pas sur les inscriptions. Dans le contexte canadien actuel, où le barème des frais est analogue d'un établissement à l'autre, une augmentation aurait un effet limité. Évidemment, si Harvard doublait ses frais de scolarité et que Princeton et Yale ne suivaient pas, cela aurait des répercussions. Mais tant que dure la situation qui a cours au Canada à l'heure actuelle, l'effet est minimal.
Les collèges prestigieux se demandaient ce qui se passerait s'ils augmentaient leurs frais de scolarité. Ils ont constaté que les étudiants se préoccupaient de savoir si une telle augmentation se traduirait parallèlement par une hausse de la qualité de l'enseignement. Ils voulaient en avoir pour leur argent. Ils étaient prêts à payer plus cher s'ils avaient l'assurance de recevoir une éducation de qualité supérieure.
Je suis heureux que vous m'interrogiez au sujet de la redistribution du revenu. Comme je l'ai dit, c'est un sujet négligé. À l'heure actuelle, les contribuables versent au Trésor une contribution qui sert à financer divers programmes d'aide aux étudiants. Nous avons examiné ce transfert de fonds, et, sur le plan net, ce transfert s'effectue des groupes à faible revenu à des étudiants associés à des groupes à revenu supérieur. Nous parlons d'un écart de 10 sur l'échelle du revenu.
À l'origine, ce transfert était considéré sur une base transversale, simplement comme une subvention des frais de scolarité. Ensuite, d'aucuns ont dit qu'il fallait prendre en compte cette aide aux étudiants. Même après avoir pris en compte les frais de scolarité subventionnés, l'aide aux étudiants et les allégements fiscaux, les groupes plus nantis demeuraient quand même les bénéficiaires nets. Cela n'est guère étonnant, car, d'une façon disproportionnée, ce sont de ces milieux que sont issus les étudiants, en raison, comme je l'ai dit tout à l'heure, de la forte influence du foyer, de la famille, des pairs et de l'école sur la décision de poursuivre ou non des études. Si nous voulions investir pour changer cela, nous devrions affecter davantage de fonds pour contrer ou compenser cette forte influence socio-culturelle.
Il faut aussi examiner la redistribution du revenu d'une autre façon. Nous pouvons déterminer qui obtient les subventions maintenant et qui touchera un revenu plus élevé dans l'avenir à cause de cela. En l'occurrence, le transfert devient encore plus régressif, et ce, à cause de l'augmentation du revenu dans les années ultérieures.
En fait, j'estime que nous aurons sur les bras un problème social d'envergure. Compte tenu du fait que les femmes sont plus nombreuses à faire des études supérieures, initiative que j'approuve -- le taux de participation des femmes et des hommes est pratiquement le même -- et compte tenu de leur entrée sur le marché du travail et de la tendance voulant que les deux conjoints travaillent, il s'ensuivra que le fossé entre les revenus ira en s'élargissant, et non pas en rétrécissant au fil des ans.
C'est un sujet qui n'a guère été fouillé, entre autres parce que les données sont difficiles à obtenir. À ma connaissance, la plus récente étude visant les étudiants de niveau postsecondaire au Canada remonte à 1983-1984. Un économiste de l'Université de Montréal a mené une étude à l'aide de ces données pour le Québec et a constaté les mêmes résultats que j'ai mentionnés. Il a tenu compte des cégeps et du système d'éducation différent de cette province.
C'est là une recherche prioritaire. Il y a quelques années, le Conseil des universités de l'Ontario m'a demandé d'établir les grandes lignes d'une telle recherche, ce que j'ai fait. Mais en raison des difficultés et du coût reliés à l'acquisition de données à ce moment-là, et aussi parce que leur programme a semblé changer, cette étude ne s'est jamais faite.
Cependant, j'invite instamment votre comité à se pencher sur le fait que toutes les études font état du caractère régressif du système, mais malheureusement nous n'avons pas effectué autant de travail dans ce domaine que nous en avons fait dans d'autres.
Le sénateur Forest: Je crois vous avoir entendu dire que les bourses n'aident pas énormément, et pourtant vous recommandez un programme de prêts et bourses.
M. Stager: C'est exact. Les bourses sont de plus en plus inefficaces et inefficientes. À la lecture de la documentation accumulée, si l'on remonte 40 ans en arrière, on mettait davantage l'accent sur des programmes d'aide visant à amener à l'université des étudiants qui, autrement, ne fréquenteraient pas un tel établissement. Nous avions même le sentiment qu'il existait un bassin d'étudiants dans lequel puiser. À l'époque, on parlait d'un «ghtmillage d'étudiants». On mettait l'accent sur les étudiants qui avaient besoin d'aide et qui, autrement, ne fréquenteraient pas l'université. Or, cela a changé, et le programme est maintenant devenu un simple transfert de revenu. Les étudiants à faible revenu reçoivent une bourse, et les autres non. Je crois qu'à notre insu nous avons modifié l'orientation, la raison d'être de notre programme. En ce sens, nous avons cessé d'essayer d'identifier les étudiants qui, autrement, ne pourraient accéder à l'université.
D'après un certain nombre d'études menées, pour la plupart, ailleurs qu'au Canada, il existe un ratio allant de un sur quatre à un sur dix. Autrement dit, nous dépensons quatre fois plus, ou dix fois plus, qu'il n'est nécessaire pour amener sur le campus cet étudiant supplémentaire qui, autrement, ne s'y retrouverait pas.
Personnellement, je préconise un programme de prêts et bourses. Tout d'abord, il est nécessaire d'offrir une aide financière à l'étudiant. Voilà pourquoi, à mon avis, un prêt fondé sur le revenu devrait être, sinon universel -- et s'il n'en tenait qu'à moi, il le serait -- à tout le moins aussi largement accessible que notre programme d'aide actuel aux étudiants. On pourrait ainsi assurer le volet financement. S'il arrivait que quelqu'un ne soit pas en mesure de rembourser, la note serait assumée par le Trésor. En ce sens, c'est une bourse différée.
Le sénateur Forest: Je conviens que les étudiants se préoccupent de leurs revenus futurs et que cela détermine, dans une grande mesure dans quel domaine ils s'inscriront. J'ai moi-même fait une carrière dans une université. J'ai aussi sept enfants qui sont passés par le système d'éducation, certains en sciences humaines et d'autres dans des domaines plus lucratifs. J'ai vu des étudiants munis de doctorats incapables de décrocher un emploi. Je considère les lettres et les sciences humaines comme très importantes. Je me demande ce que nous pouvons faire pour inciter les étudiants à choisir les lettres et les sciences humaines pour que nous ayons une population bien équilibrée, et pas uniquement des gens préoccupés de la valeur économique d'un diplôme.
M. Stager: Je suis d'accord, sénateur. Je ne dis pas, loin de là, que les étudiants optent pour le domaine le plus payant. Ce n'est pas la même chose de dire qu'ils ont de fortes convictions au sujet de leurs perspectives de revenus. C'est une motivation importante. Toutefois, cela est sans comparaison avec le fait de ne pas poursuivre ses études au-delà du niveau secondaire.
À cet égard, il importe de signaler un à-côté important, soit qu'il est ressorti du premier sondage mené auprès des diplômés universitaires que le groupe affichant le taux de satisfaction professionnelle le plus élevé se trouvait parmi les groupes à plus faible revenu. Je trouve cela plutôt réconfortant. Je pense que ces étudiants savaient à quoi s'attendre. Sur le plan professionnel, ils étaient en mesure d'être philosophes à ce sujet. Cela montre que les étudiants optent pour des domaines d'études qui les intéressent et que leur récompense consiste à explorer et à découvrir ce qu'ils espéraient découvrir et que c'est là le bon côté de leur carrière.
Je ne pense pas que le rendement économique ait influencé l'orientation des étudiants. Cela peut par contre avoir incité davantage leurs parents à les encourager à aller en médecine, par exemple.
Le sénateur Lavoie-Roux: Au dernier paragraphe de l'avant-dernière page de votre mémoire, vous dites qu'«ils ne tiennent pas compte de la théorie et des preuves empiriques qui montrent que l'augmentation des droits de scolarité n'a que peu d'effets sur les inscriptions». Y a-t-il des études qui confirment cela?
M. Stager: Vous êtes sans doute arrivée lorsque je parlais de la redistribution du revenu et du fait qu'il y avait peu d'études sur cette question. Cela dit, il existe de nombreuses études sur le rapport qui existe entre les frais de scolarité et les inscriptions. En fait, il y a même eu ce qu'on appelle une méta-analyse, qui consiste à réunir toutes ces études individuelles et à essayer de faire la synthèse de leurs résultats.
Il en est clairement ressorti que les frais de scolarité n'influencent guère les inscriptions. Cela n'est pas surprenant. C'est un résultat empirique, mais l'explication théorique, intuitive, lorsqu'on se donne la peine d'y penser, est assez évidente.
Premièrement, les frais de scolarité ne sont qu'une petite partie de l'ensemble des coûts des étudiants, qui doivent se loger, se nourrir et acheter des livres et des fournitures. Certains étudiants prennent en compte le revenu auquel ils renoncent: «Du fait que je ne fais pas partie de la population active, je renonce à un revenu d'emploi.» Les frais de scolarité sont donc une petite partie de leurs coûts totaux. Si l'on augmentait les frais de scolarité de 10 p. 100, cela ne représenterait qu'une hausse de 1 ou 2 p. 100 des coûts totaux.
Deuxièmement, comme je l'ai dit, la grande majorité des étudiants considèrent leur éducation comme un investissement. Je sais que certains n'aiment pas ce terme, mais ils sont là parce qu'ils s'attendent à des avantages futurs plutôt qu'actuels. Dans cette perspective, c'est le taux de rendement prévu qui les intéresse.
J'ai fait une simulation, que je vous fournirai volontiers, montrant ce qui arriverait si, à partir du niveau actuel, nous triplions les frais de scolarité. À l'époque où j'ai fait cette étude, en 1990, les frais de scolarité s'élevaient à 2 000 $ en Ontario. Il en est ressorti que nous pourrions porter les frais à 6 000 $ sans que cela ait un effet sensible sur le taux de rendement prévu, étant donné les multiples autres facteurs qui entrent en jeu.
L'un des résultats empiriques les plus concluants est que le taux de participation des étudiants universitaires à temps plein en Ontario a augmenté plus rapidement au cours de la période où les frais de scolarité ont augmenté le plus rapidement. C'était à la fin des années 60. Les frais de scolarité ont pratiquement atteint leur sommet en termes réels en quelques années.
Tout d'abord, les perspectives de revenus futurs connaissaient une forte hausse. C'était au cours de la période de croissance des années 60. L'écart de salaire se creusait entre les diplômés des universités et ceux des écoles secondaires. C'était aussi une période où le nombre de places dans les universités était en expansion. J'ai mentionné l'Ontario parce que nous examinions cette région du pays, mais ce phénomène était le même dans tout le Canada. L'augmentation du nombre de places dans les universités a certes été un élément important qui a incité les étudiants à poursuivre des études supérieures, mais leur emplacement et le fait qu'elles soient disséminées dans toutes les couches de la population a joué pour beaucoup. Le même phénomène s'est produit au Québec avec l'arrivée de l'Université du Québec.
Que l'on examine les résultats historiques et empiriques, ou que l'on fasse un raisonnement intuitif, on arrive aux mêmes conclusions.
Le sénateur Lavoie-Roux: Pouvez-vous nous donner les références de ces études?
M. Stager: Oui. Comme je l'ai dit, je suis tout à fait disposé à vous transmettre tous les documents que j'ai rédigés, et vous y trouverez des références à d'autres études. Je communiquerai volontiers avec la greffière à ce sujet.
Le sénateur Lavoie-Roux: Les étudiants, dans leur choix de carrière, semblent accorder une grande place à leur rémunération future. Quand cela a-t-il changé? Lorsque je suis allée à l'université, j'espérais décrocher par la suite un emploi, mais je ne me suis jamais dit que si j'allais en philosophie, je pourrais gagner tant, par rapport à la médecine ou à une autre discipline. Nous savions, évidemment, que la médecine était mieux rémunérée que la philosophie.
M. Stager: Je n'ai pas dit que les étudiants regardaient une liste de professions assorties de leur salaire en se disant: la médecine vaut tant, l'ingénierie vaut tant, le droit vaut tant, et voici ce que je choisis. Dieu merci, ce n'est pas ainsi que les choses se passent, sinon nous aurions des problèmes.
J'ai toujours dit que cela s'inscrivait dans le cheminement d'un diplômé d'école secondaire qui décide de poursuivre ou non ses études, bien que la décision ne soit pas prise à ce moment-là. Il a été prouvé que cette décision de poursuivre des études supérieures est formulée implicitement, mais assez clairement, en huitième, neuvième et dixième années. Les dés sont plus ou moins jetés à ce stade. Évidemment, un petit nombre d'étudiants changent d'idée quant au champ de leurs études, mais la décision fondamentale d'aller ou non à l'université survient à ce moment-là. J'ai d'ailleurs signalé tout à l'heure qu'il est important de fournir le plus d'informations possible aux étudiants pour les guider dans leur décision.
Vous avez dit que lorsque vous êtes allée à l'université, vous vouliez obtenir un emploi. C'est précisément cela. Lorsqu'on a demandé à des étudiants de niveau secondaire pourquoi ils envisageaient d'aller à l'université ou pourquoi ils venaient de se lancer dans des études universitaires, les réponses tournaient autour de l'emploi. Ils souhaitaient avoir un travail plus intéressant, une plus vaste fourchette d'emplois, un travail plus rémunérateur, un emploi à long terme, toutes choses que j'englobe sous le vocable de complexe ou syndrome du revenu d'emploi.
Vous avez sans doute vu des affiches ici et là avec le slogan: si vous pensez qu'étudier coûte cher, ne pas étudier coûte plus cher encore. Collectivement et individuellement, c'est un des facteurs de motivation. Les étudiants savent qu'il n'est pas payant de décrocher au niveau secondaire.
Le sénateur Lavoie-Roux: Dans le paragraphe suivant, vous traitez de l'inquiétude que cause l'endettement croissant des étudiants, qui, selon vous, a malheureusement été grandement exagéré et ensuite rapporté par les médias.
Ce n'est pas ce que nous avons entendu. Franchement, je m'inquiète pour les étudiants. Ils sortent de l'université avec une dette de 30 000 $ ou 40 000 $. Je n'aurais jamais commencé mes études si j'avais dû en sortir avec une dette de 38 000 $. Pourquoi dites-vous que cela a été exagéré? D'après ce que nous avons entendu, à moins que nos témoins n'aient exagéré, l'endettement des étudiants est un problème d'envergure.
M. Stager: Avec tout le respect que je vous dois, sénateur -- et je suis sincère --, nous avons déjà abordé cette question. Je suis prêt à répondre brièvement, mais je vous invite instamment à prendre connaissance de la transcription des délibérations dès qu'elle sera disponible, car j'ai répondu longuement tout à l'heure. Je suis tout à fait disposé à répondre de nouveau, mais vos collègues risquent de manquer de patience. J'ai aussi mentionné le professeur Ross Finney. A-t-il comparu?
Le sénateur Lavoie-Roux: Oui.
M. Stager: Il possède d'excellentes études récentes portant sur l'expérience du Programme canadien de prêts aux étudiants. Ces études renferment énormément de données utiles pour vous.
Cela est compréhensible. Quiconque a un point de vue particulier ou une position particulière qu'il souhaite faire valoir apportera les arguments les plus convaincants possible. Les faits ne sont pas rapportés aussi souvent dans la presse. L'endettement moyen ne se chiffre pas à 25 000 $. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la greffière m'a fourni les transcriptions de vos séances, et il m'a été utile de les parcourir.
J'ai remarqué que l'un des fonctionnaires du Programme canadien de prêts aux étudiants a dit qu'ils s'attendaient à ce que l'endettement moyen soit de 25 000 $ l'année prochaine. Le reste de ses propos et de ceux de ses collègues ne m'a pas surpris, mais j'ai pris note de cela et j'ai décidé de fouiller un peu la question. Pour être franc, je ne trouve pas cela crédible. Je ne crois pas cela et j'aimerais vérifier ce chiffre auprès du fonctionnaire en question.
La moitié des étudiants, en chiffres approximatifs, n'a pas de prêt du tout. Il faut faire la distinction entre l'endettement moyen de toute la population étudiante et l'endettement des étudiants qui terminent un programme d'études de trois ou quatre ans par rapport à ceux qui obtiennent un diplôme professionnel.
Encore une fois, les données du professeur Finney confirment -- et j'en suis heureux --, les études que j'ai faites il y a des années. Il n'est pas surprenant que les étudiants les plus endettés soient les diplômés des facultés de droit, d'art dentaire et de médecine, où les études sont les plus coûteuses et les plus longues. Ces étudiants auront par contre beaucoup plus de facilité à rembourser leur dette. Dans une simulation que j'ai faite où j'établissais une ventilation des diplômés par domaine d'études et par sexe, en moyenne les médecins étaient en mesure de rembourser un prêt important, peu importe comment on définit cela, en l'espace de cinq ans.
Si on prend le revenu d'emploi au Canada en 1993, le jeune médecin moyen avait, à l'âge de 34 ans, un revenu de 100 000 $. Avec un revenu moyen de 100 000 $, il n'est certainement pas difficile de rembourser une dette étudiante de 20 000 ou 30 000 $ assez rapidement.
En toute franchise, ma préoccupation est tout autre, et je m'attends à voir une expression d'horreur sur vos visages. Je crains, en effet, qu'il n'y ait pas suffisamment d'étudiants qui aient emprunté ou qu'ils n'aient pas emprunté suffisamment, compte tenu de leur programme d'études et de leur capacité de rembourser.
Le président: Merci, professeur Stager.
Nous allons maintenant entendre des représentants des associations suivantes: la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (Ontario), l'Ontario Undergraduate Student Alliance, l'Association parlementaire des étudiants des collèges communautaires de l'Ontario et l'Association des étudiants de l'Université Wilfrid Laurier.
Allez-y.
Mme Vicky Smallman, présidente, Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (Ontario): Honorables sénateurs, notre fédération représente 110 000 étudiants des niveaux collégial et universitaire de l'Ontario, dans plus de 20 établissements postsecondaires. Il est difficile pour nous de condenser tout ce que nous voulons dire en dix minutes. Déjà qu'il a été difficile de résumer nos observations dans un mémoire de 11 pages. Je pense pouvoir parler au nom de tous les témoins présents ici en disant qu'étant donné la crise que traverse l'enseignement postsecondaire en Ontario à l'heure actuelle, nous aurons du mal à vous expliquer dans un aussi bref laps de temps ce qui se passe et comment cela influe sur la qualité et l'accessibilité de l'éducation.
Nous avons résumé dans ce mémoire de dix pages un document de 50 pages que nous avions préparé à l'intention du gouvernement provincial.
Le président: Transformez ce mémoire de 10 pages en un exposé de 10 minutes, et ne perdez pas de temps pour nous expliquer de quoi il retourne.
Mme Smallman: Nous venons tout juste de vous expliquer à quel point cela nous semble difficile. J'espère que vous serez indulgents.
Le sénateur Forest: Soyez sûre que nous lirons votre mémoire.
Mme Smallman: Notre mémoire s'intitule «Crise en cours: ... la qualité et l'accessibilité du système d'enseignement supérieur en Ontario sont menacées». Nous sommes effectivement en présence d'une crise. C'est une crise qui prend de nombreuses formes, de nombreuses facettes. Il y a une crise au niveau du financement qui est le produit d'une décennie de compressions des gouvernements fédéral et provincial. Il y a une crise au niveau de la qualité de l'éducation, puisque des programmes et des cours sont annulés. Nos classes aussi sont fort nombreuses.
Les coupures dans le financement des collèges et des universités se traduisent sans contredit par une baisse de la qualité de l'enseignement. Il y a aussi une crise au niveau de l'accessibilité, et, à cet égard, je ne suis pas d'accord avec les propos de M. Stager. Il ne faut pas simplement s'attacher aux taux de participation, mais savoir qui est présent dans le système postsecondaire.
Contrairement aux affirmations de M. Stager, nous disons qu'il y a une crise causée par l'endettement des étudiants, et j'y reviendrai plus tard. À l'heure actuelle, les étudiants sont les victimes de cette crise de l'enseignement postsecondaire en Ontario, mais, à long terme, c'est notre province et notre pays qui souffriront de l'accessibilité restreinte au système, de la baisse de la qualité de l'enseignement et des montagnes de dettes qu'accumulent les étudiants. Cela se traduira par un recul économique, social et culturel pour notre pays.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de vous expliquer en long et en large à quel point les compressions financières ont été néfastes. La situation est encore pire maintenant à la suite des coupures sans précédent du gouvernement Harris dans les subventions de fonctionnement des universités et collèges, mais cela tient au fait que le gouvernement fédéral a refilé aux provinces la note de l'enseignement postsecondaire. Le Transfert en matière de santé et de programmes sociaux canadien fait en sorte qu'il est très facile pour les gouvernements, comme le gouvernement Harris, qui ne voient pas d'un très bon oeil l'enseignement postsecondaires, de couper de façon disproportionnée.
Malheureusement, les collèges et universités ont eux-mêmes réagi en faisant payer les compressions qu'ils ont subies aux étudiants, qui croulent sous les fortes augmentations de frais de scolarité qu'on leur impose depuis quelques années. Il y a un lien entre le niveau de financement gouvernemental et les frais de scolarité exigés par les établissements, et cela, il faut le reconnaître.
Dans certains de ses documents, M. Stager admet qu'il existe un lien entre les politiques de financement et le niveau des frais de scolarité. Il n'y a pas vraiment d'autre politique en Ontario en ce qui a trait aux frais de scolarité. Cela signifie que les collèges et universités ont dû augmenter leurs frais pour compenser ce déclin de leur financement.
En Ontario, les frais de scolarité ont augmenté de 200 p. 100 depuis 1982-1983, et de 140 p. 100 au cours des 10 dernières années. D'ailleurs, les plus fortes augmentations sont survenues ces dernières années. Et maintenant, ces hausses dépassent les 10 p. 100 par an. L'année dernière, l'augmentation a été de 20 p. 100, soit la plus forte hausse dans l'histoire de l'Ontario. Cette année, elle est de 10 à 20 p. 100, selon le programme d'études.
On parle aussi de déréglementation des frais. C'est une chose que souhaitent les universités, et maintenant les collèges. Ces derniers voudraient pouvoir établir le niveau des frais de scolarité selon les programmes d'études. Tout cela nuit indéniablement à l'accessibilité, car les étudiants commencent à faire des choix en matière d'éducation en se fondant sur des données financières. La question n'est pas simplement de savoir s'ils fréquenteront le collège ou l'université, et il est vrai que l'htmect financier joue un rôle important dans cette décision. La question est de savoir si l'on peut se permettre de choisir un programme d'études professionnelles et courir le risque de s'endetter. Ce ne sont pas tous les étudiants qui sont prêts à s'endetter. Je ne suis pas convaincue que les étudiants à faible revenu courront ce risque et accumuleront une dette importante en croyant pouvoir la rembourser. Compte tenu de l'actuelle crise de l'emploi pour les jeunes, je pense que ce serait une vision des choses trop optimiste.
On ne saurait sous-estimer le rapport qui existe entre le niveau des frais de scolarité et la capacité d'accéder à l'enseignement postsecondaire. C'est une question que nous étoffons dans notre mémoire.
L'endettement est un élément important. Même si les frais de scolarité ne sont pas l'unique coût de l'enseignement postsecondaire, ils représentent la plus grosse dépense liée à l'éducation. Psychologiquement, cela joue un grand rôle dans la décision de l'étudiant de poursuivre ou non ses études et de contracter un prêt plus ou moins gros.
Nous aimerions discuter plus avant de la question de l'endettement étudiant, mais je pense qu'il serait préférable d'attendre la période des questions. Notre association nationale vous a présenté un mémoire bien fait, et je vous invite instamment à le lire. Pour l'instant, nous sommes disposés à répondre à vos questions.
La déréglementation des frais de scolarité est un autre problème. La notion voulant que les universités et les collèges puissent fixer eux-mêmes le niveau des frais de scolarité en fonction du programme d'études et d'une éventuelle rentrée de fonds ne laisse pas de nous inquiéter. J'ignore si les autres associations vont également en parler.
Ce qui nous pose vraiment problème, c'est l'idée que l'étudiant soit assujetti à un traitement différent selon le genre d'études qu'il suit. Si l'Ontario prend la voie d'une déréglementation plus grande encore, ce sera un banc d'essai pour le reste du pays. Cette formule produira des inégalités au niveau de l'accès à certains programmes d'études. Nous finirons ainsi par avoir un système public certes, mais à deux vitesses. Nous ne saurions au juste dire si cette idée est avisée ou non, mais en tout état de cause elle bat en brèche une philosophie qui est chère à la plupart des gens au Canada, en l'occurrence que les études supérieures doivent être universellement accessibles et que les moyens financiers ne devraient pas être un obstacle pour quiconque souhaite poursuivre ses études, et qu'au contraire l'éducation est un investissement de la part de l'étudiant tout comme du contribuable en général.
Nous estimons que le financement des études supérieures incombe dans une certaine mesure au contribuable. Nous ne voulons pas vraiment qu'on continue à imposer de plus en plus cette charge aux étudiants. Ce n'est pas le genre de système que nous privilégions. Ce n'est certainement pas dans ce genre de culture que j'ai été élevée, et je n'en veux pas non plus pour mes propres enfants; je ne tiens pas à ce que ce soit l'individu à lui seul qui ait à supporter cette charge, partant du principe que les études supérieures n'ont aucun rôle à jouer dans la vigueur sociale et culturelle de notre nation.
J'exhorte les sénateurs à résister à ce genre de tendance et à insister pour qu'on réinvestisse, non pas seulement au niveau financier, mais également dans les priorités politiques du gouvernement fédéral, afin que la raison finisse par avoir à nouveau gain de cause et que les études supérieures soient à nouveau considérées comme un investissement dans tous les sens du terme, et non pas simplement comme un investissement économique.
Nous avions à l'intention des sénateurs plusieurs recommandations très précises concernant le rôle que le gouvernement fédéral pourrait jouer dans ce sens, et j'aimerais en rappeler quelques-unes.
Il y a d'abord le rétablissement du financement des études supérieures. Il ne serait pas inutile de modifier le système d'aide financière aux étudiants, et nous pourrions en parler ultérieurement. Nous aimerions également que le gouvernement fédéral, de concert avec les provinces, arrête une manière d'entente sur les études supérieures, une série de principes communs dont tout le monde pourra s'inspirer pour déterminer les politiques et les niveaux de financement en matière d'études supérieures.
Le président: Merci, madame Smallman. Nous allons maintenant entendre M. Raptis.
M. George Raptis, vice-président, Union des étudiants, Université Wilfrid Laurier, Ontario Undergraduate Student Alliance: Monsieur le président, si vous me le permettez je commencerai en français.
[Français]
Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Nous allons présenter notre mémoire en anglais, aujourd'hui, alors si vous voulez, vous pouvez nous poser des questions en anglais ou en français .Je vais essayer de répondre du mieux possible .
[Traduction]
Avant que nous ne commencions, Mme Lorna Marsden, présidente et vice-chancelière de l'Université Wilfrid Laurier et ancien sénateur, m'a demandé de vous transmettre ses salutations et de vous rappeler qu'elle souscrit entièrement à tout ce que vous faites pour ce qui est, dit-elle, non seulement l'avenir des études supérieures au Canada, mais également l'avenir du Canada lui-même.
M. Rick Martin, directeur exécutif, Ontario Undergraduate Student Alliance: En établissant les principes qui devaient sous-tendre cette étude, le sénateur Bonnell a souligné l'importance d'un financement suffisant accordé par l'État aux universités. L'idée demeure vivace que les universités privées calquées sur le modèle américain représentent une solution de remplacement valable. Quelques faits suffiraient à balayer ce mythe.
Moins de 4 p. 100 des étudiants américains sont inscrits dans des établissements qui réclament des frais de scolarité atteignant les 20 000 $. La majorité d'entre eux fréquentent des universités publiques. En moyenne, les écoles privées tirent 39 p. 100 seulement de leur budget des frais de scolarité. La plupart des concours financiers proviennent du produit des fonds de dotation et des subventions de recherche accordées par l'État. Il n'existe aucune université de premier plan qui dépende majoritairement des frais de scolarité.
En moyenne, un étudiant inscrit à Harvard, à Princeton ou à Yale paie actuellement un pourcentage plus faible du coût de ses études que les étudiants inscrits dans les universités ontariennes. Les établissements américains qui imposent des frais de scolarité élevés sont obligés d'en rétrocéder une bonne partie sous forme d'aide financière aux étudiants. En moyenne, un étudiant inscrit dans une université privée aux États-Unis reçoit chaque année plus de 5 000 $ en subventions, ce qui vient s'ajouter aux prêts accordés par le gouvernement fédéral et le gouvernement de l'État. À l'Université Colombia, la moyenne des bourses l'an dernier dépassait les 14 000 $.
L'alliance n'a jamais prétendu que les études universitaires devraient être gratuites. Nous pensons qu'on ne saurait guère parler d'accessibilité sans tenir compte de l'aide financière aux étudiants, mais comme à l'heure actuelle le niveau d'endettement de l'étudiant moyen approche les 40 000 $, il ne fait aucun doute que l'accès aux études est sérieusement compromis. Il importe donc dans ce sens de tenir compte non seulement du nombre d'inscrits, mais également de leur origine.
On parle abondamment depuis quelques années de l'importance qu'il y a de poursuivre ses études toute sa vie et d'encourager les gens au fil de leur carrière à se tenir à la fine pointe. Statistique Canada a prouvé que depuis 10 ans il y a moins de plus de 30 ans qui s'inscrivent dans nos universités, de sorte que, de toute évidence, nous perdons la bataille.
Il est également important de bien comprendre que même si depuis quelques années le niveau d'endettement de l'étudiant moyen a considérablement augmenté, toute augmentation des frais de scolarité a également un effet à retardement. Il faut en effet au moins quatre ans pour constater que le niveau d'endettement des étudiants qui terminent leurs études a augmenté parallèlement à l'accroissement antérieur des frais de scolarité.
Notre priorité numéro un est une réforme en profondeur du système d'aide financière aux étudiants telle que tout étudiant ayant les qualifications voulues puisse effectivement poursuivre ses études et que personne ne soit obligé de rembourser au-delà de ses moyens. Le modèle actuel du programme présente de nombreuses carences, mais le principal problème tient à ce qu'on ne fait aucune distinction entre le besoin à court terme et le besoin à long terme. Nous sommes intimement convaincus qu'il faudrait pouvoir subventionner davantage les étudiants qui en ont besoin en raison de leur niveau d'endettement ou de revenu. Les étudiants et le gouvernement ont tout intérêt à ce que les bourses et les subventions aillent à ceux qui en ont le plus besoin. Même si le système devient plus juste et plus efficace, les prêts aux étudiants ne sauraient changer quoi que ce soit au fait que plus les frais de scolarité sont élevés, plus il nous faudra accorder de ressources financières à l'aide aux étudiants.
Les sénateurs ont noté leurs préoccupations quant à un éventuel empiétement sur le champ de compétence des provinces, tout en concluant à juste titre qu'une présence fédérale s'impose dans le secteur des études supérieures. Un régime d'aide financière aux étudiants qui soit mieux conçu et mieux financé serait le véhicule parfait pour améliorer ainsi l'intervention fédérale. Personne ne pourrait dire qu'un tel régime serait un empiétement abusif, mais au moins le gouvernement saurait-il que l'argent qu'il destine aux études ne servira pas à d'autres fins, comme cela a été trop souvent le cas jusqu'à présent. Un tel système rendrait également les étudiants plus mobiles. Comme l'a écrit M. Stager, «les universités ont toujours affirmé qu'il appartenait au gouvernement de protéger l'accès aux hautes études. Si on les contraint de choisir, elles essaieront toujours de protéger la qualité, même s'il leur faut pour cela exclure beaucoup d'étudiants».
Dans la conjoncture actuelle, on ne saurait proposer de programme de dépenses sans courir le risque de se faire rappeler l'endettement de l'État. Permettez-moi de vous assurer qu'à l'heure actuelle les étudiants sont parfaitement conscients de l'endettement de l'État. Nous savons également qui va devoir payer la facture. Nous savons que nous n'avons aucune chance de pouvoir le faire si les études supérieures ne sont pas à la fois accessibles et d'excellent niveau. L'effritement du soutien financier que nous constatons depuis quelques années dans le domaine des études supérieures n'est par conséquent pas la manifestation d'une prudence fiscale, mais plutôt le symptôme d'une myopie prononcée.
Nous sommes confortés par les travaux du comité. Et nous espérons qu'ils marqueront le début d'un nouvel engagement à l'endroit des études supérieures. Ce besoin n'a jamais été plus crucial qu'aujourd'hui.
M. Raptis: Depuis des années, les universités encouragent le secteur privé et le monde des affaires à offrir un concours financier aux études postsecondaires, étant donné que les provinces, tout comme d'ailleurs le ministère du Développement des ressources humaines, ont réduit leur niveau de financement. L'importance que revêtent les autres sources de financement pour assurer le maintien, sinon l'amélioration, de la qualité de la recherche dans le domaine de l'éducation n'a jamais été aussi grande. Ce qu'il faut toutefois noter, c'est que le fardeau du financement des études supérieures par le gouvernement ne devrait pas être supporté par un seul ordre de gouvernement. En effet, tous les ordres de gouvernement au Canada doivent intervenir pour que le système d'éducation public permette d'assurer l'avenir du pays.
Il faut que les ministères fédéraux compétents sauvegardent les avantages illimités que les études supérieures offrent à la société canadienne. Ainsi, Industrie Canada devrait continuer à être incité à financer diverses initiatives de recherche conduites dans les établissements d'enseignement supérieur. Notre exemple serait le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, qui pourrait aider les universités à recruter à l'étranger, ou encore parrainer des programmes d'échange d'étudiants. Pour sa part, Santé Canada pourrait accroître ses investissements dans la recherche médicale et aider les étudiants à réussir dans ce domaine. Ce ne sont là que quelques exemples. Vous conviendrez certainement qu'il est fondamental que tous les secteurs gouvernementaux accroissent leur investissement dans les études postsecondaires si nous voulons conserver leur niveau de qualité aux hautes études et à la recherche et continuer à garantir l'accessibilité à ceux et celles qui ont les qualifications nécessaires. En outre, le partage de cette responsabilité permettra aux étudiants canadiens d'aider le Canada à asseoir mieux encore la réputation de son enseignement supérieur sur les marchés mondiaux.
Je voudrais maintenant dire quelques mots à propos du niveau d'endettement des étudiants dont a parlé M. Stager, qui a mentionné le chiffre de 25 000 $ en disant qu'il s'agissait d'un chiffre moyen. Malheureusement, je n'en ai pas la preuve formelle ici, mais je puis néanmoins vous donner un exemple, le mien. Cet exemple est loin d'être extrême. J'ai de nombreux camarades à l'Université Wilfrid Laurier qui sont bien plus endettés que moi. Je suis en quatrième année et pendant trois de ces quatre ans j'ai bénéficié d'une aide financière. Après trois ans, le total des prêts que j'ai obtenus est de 17 500 $. Lorsque nous traitons avec les banques, puisque nous commençons à le faire lorsque approche la fin de nos études, nous découvrons que nous allons devoir payer un taux d'intérêt qui est le taux de référence plus 2,5 p. 100 et que nos traites mensuelles sont plus souvent qu'autrement supérieures à ce que nous pouvons nous permettre de payer, et j'entends ici les barèmes de remboursement étalés sur 114 mois ou 9,5 ans. J'ignore s'il s'agit d'une moyenne, mais il n'en reste pas moins qu'un nombre important d'étudiants sont ainsi endettés à l'extrême. Lorsque j'aurai mon diplôme, je devrai payer entre 250 $ et 260 $ par mois pendant 10 ans environ, ce qui aura une influence considérable sur mon niveau de vie.
Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'étudiants qui savent cela lorsqu'ils entament leurs études supérieures. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine.
Le président: Je vous remercie beaucoup. Nous allons maintenant entendre les représentants de l'Association parlementaire des étudiants des collèges communautaires de l'Ontario. Allez-y, je vous prie.
M. Steve Virtue, vice-président de la région centrale, Association parlementaire des étudiants des collèges communautaires de l'Ontario: Je vous remercie, monsieur le président. Je suis président de l'Association des étudiants du collège Humber, à Etobicoke. Je suis accompagné aujourd'hui par Cynthia Hilliard, qui est une ancienne présidente du corps estudiantin.
Nous sommes ravis de pouvoir ici exprimer le point de vue d'un groupe dynamique, un groupe qui, je n'en doute pas, n'a pas jusqu'à présent été représenté à sa juste valeur, et je veux parler des étudiants des collèges communautaires de l'Ontario. Nous représentons 140 000 étudiants de toute la province qui représentent quelque chose de très différent du secteur universitaire, chose qui, j'en suis sûr, ne peut être contestée.
J'aimerais aborder deux problématiques impératives. D'abord, je voudrais mentionner les rapports récemment publiés selon lesquels ce que le Canada investit dans la technologie et la formation du personnel est bien inférieur à ce que font beaucoup d'autres pays et, en second lieu, le précepte selon lequel les compétences utilisables des membres de la population active doivent être améliorées. Votre comité, comme d'autres entités qui se sont penchées sur la question dans notre province depuis quelques années, vient encore conforter l'idée qu'il faut revoir tout le système d'enseignement postsecondaire.
La notion voulant qu'on doive poursuivre ses études sa vie durant et que le système d'enseignement doive être accessible à tous est d'une importance capitale pour les étudiants actuellement inscrits dans nos collèges. Tous les intervenants doivent souscrire à cette thèse. Un système parfaitement intégré permettrait aux collèges de conserver la souplesse nécessaire et de continuer à servir ceux qui ont le goût d'apprendre, mais qui ne sont pas actuellement inscrits dans les collèges.
Des initiatives comme des accords de continuité entre les écoles secondaires et les collèges donnent aux étudiants de meilleures chances de réussite. Les accords de continuité entre collèges et universités, par exemple, deviennent de plus en plus populaires en améliorant les relations d'intérêt général, de même que celles des étudiants proprement dits.
Tout ce qui empêche de transférer des crédits d'un établissement à l'autre et au sein même des établissements demeure un sujet de préoccupation pour les étudiants, même si on a désormais tendance à éliminer ces obstacles et à tenir compte surtout du taux de réussite de l'étudiant. La transférabilité contraint à discuter des normes et pose la question de la qualité des études. L'établissement de ces normes est un secteur de préoccupation pour les étudiants des collèges ontariens.
Notre association s'interroge sur la qualité des études. Qui définit cette qualité? Qu'est-ce qui définit cette qualité? Comment seront définis les étalons de la qualité alors même qu'il n'y a aucune norme pour les collèges?
Le Conseil du premier ministre de l'Ontario sur le renouveau économique signalait que les études à vie sont le lien fondamental entre nos stratégies économiques et nos stratégies de l'instruction publique à l'aube du XXIe siècle.
Il faut davantage mettre l'accent sur les études à mesure que l'économie cesse d'être industrielle pour s'axer plutôt sur les connaissances. Les études assistées par la technologie acquièrent de plus en plus d'importance, et cette formule devrait venir compléter le processus d'apprentissage classique sans pour autant le remplacer.
Il existe des éléments comme la dynamique de classe et l'enseignement individuel auxquels les étudiants s'attendent et dont ils doivent pouvoir disposer à l'école. Il ne fait aucun doute que les étudiants doivent payer une partie de ce que coûtent leurs études, mais, étant donné les augmentations draconiennes que Mme Smallman a d'ailleurs relevées à juste titre, les étudiants craignent une augmentation de leur niveau d'endettement et une diminution de la qualité des études qu'ils suivent. Les étudiants ont besoin d'un nouveau programme de prêt qui corresponde à leurs besoins dans l'immédiat, mais également après l'an 2000. Les régimes de remboursement proportionnel au revenu, comme l'a signalé M. Stager, représentent en principe la façon la plus pratique de continuer à garantir l'accès aux études postsecondaires grâce à un régime de prêt souple.
Notre association estime que le gouvernement et les institutions financières qui offrent des prêts aux étudiants sont dans l'obligation de faire enquête pour déterminer quel serait un niveau d'endettement acceptable. Ce niveau d'endettement acceptable selon les critères de la plupart des banques canadiennes représente environ 35 p. 100 du revenu annuel brut. Nous n'avons toutefois pas encore déterminé quel était le niveau d'endettement acceptable pour un étudiant. Aucune recherche majeure n'a été conduite dans ce domaine.
Les étudiants ontariens du niveau collégial ont le sentiment que les collèges devraient être financés par l'État afin précisément que les normes canadiennes soient respectées. Dans la conjoncture économique actuelle, les collèges se trouvent contraints de se mettre à la recherche d'autres sources de concours financiers, mais leurs efforts n'ont guère été couronnés de succès ces dernières années.
Notre association craint qu'étant donné la jeunesse relative du système collégial et la perception que s'en fait la société, les collèges ne soient incapables de devenir concurrentiels dans ce genre de marché. L'association sait que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial se trouvent dans une situation très difficile, mais nous savons également qu'il y a de plus en plus d'étudiants et d'étudiantes potentiels dans les 25 collèges communautaires de l'Ontario.
Ces collèges, qui privilégient les études appliquées, représentent un investissement que le gouvernement ne saurait ignorer. Les collèges devraient être reconnus comme un vecteur efficace propice à la relance économique en Ontario. Mais jusqu'à présent les contribuables n'ont guère investi dans les collèges.
Dans un avenir proche, un certain nombre de décisions vont directement toucher les étudiants inscrits dans les collèges de l'Ontario. L'association escompte que le gouvernement restera fidèle à la notion des études à vie, ce qui aura pour résultat un système d'éducation de bon niveau qui soit à la fois accessible et abordable.
À l'instar de nos homologues de l'Alberta, nous demandons instamment au Sénat de travailler de concert avec les étudiants, le corps professoral, les administrateurs et les gouvernements provinciaux afin que nous puissions privilégier un système d'études postsecondaires qui soit viable et vraiment digne de notre grand pays.
Nous souhaitons un franc dialogue. Je préfère avoir avec vous un échange de propos plutôt que vous livrer un discours. Nous aimerions répondre à vos questions si vous en avez, et s'il vous en vient à l'esprit après notre départ, n'hésitez pas à nous les faire parvenir à notre centrale.
Le président: Je voudrais remercier tous les groupes pour leurs exposés.
Monsieur Virtue, lorsque le comité siégeait en Colombie-Britannique, nous avons appris que beaucoup d'étudiants du niveau collégial avaient fait des études universitaires avant de s'inscrire au collège. Est-ce également le cas en Ontario?
M. Virtue: Tout à fait. Au Collège Humber, 25 p. 100 environ de nos étudiants de première année sont inscrits à un cycle d'études d'un an. Il s'agit de programmes pour post-diplômés qui permettent précisément aux étudiants de niveau universitaire de réintégrer le système collégial. C'est un marché en expansion rapide, et je suis sûr qu'il en va de même en Colombie-Britannique.
Le président: Y a-t-il beaucoup de gens qui entament des études universitaires après leurs études collégiales?
M. Virtue: Au niveau du collège communautaire, on trouve différentes dynamiques. Il y a les étudiants fraîchement émoulus du secondaire, il y a des étudiants qui viennent de l'université et il y a les gens qui réintègrent la population active et qui, après avoir travaillé plusieurs années, viennent se recycler. Les collèges sont la meilleure option pour se remettre à jour. M. Martin ne le sait pas, mais au niveau du collège communautaire il y a une certaine philosophie. La palette des cours y est beaucoup plus vaste que la plupart des gens ne semblent le croire. Je ne dis pas cela pour dénigrer les universités. Entre les collèges et les universités, la dynamique en est une de diversité. Je ne pense pas que qui que ce soit puisse dire que les collèges sont meilleurs que les universités ou vice versa. Les premiers comme les secondes ont leurs points forts et leurs points faibles, et cela il faut le reconnaître.
Le président: Monsieur Raptis, vous nous avez dit que le sénateur Marsden nous envoyait ses salutations, et je vous demanderais de bien vouloir lui transmettre les nôtres.
[Français]
Le sénateur Lavoie-Roux: Ce n'est pas souvent qu'on a l'occasion de poser des questions en français, surtout à des étudiants qui viennent de la province voisine du Québec. Je pense que tous les étudiants qui sont venus devant nous, de quelque province que ce soit, ont parlé avec passablement de vigueur du problème des frais de scolarité et du niveau d'endettement pour les étudiants des collèges ou des universités. J'étais d'ailleurs un peu surprise d'entendre le docteur Stager dire que ce n'est pas si grave que cela. Mais c'est un problème dont on a entendu parler à travers le Canada, que ce soit les Maritimes, l'Ouest ou le Centre. Si on vous disait de réformer les collèges et les universités, quelles seraient vos priorités?
[Traduction]
Si nous demandions aux étudiants de proposer une réforme pour les collèges et les universités, quelles seraient vos priorités? Je me demande également si vous avez votre mot à dire au niveau de l'administration des collèges et des universités.
M. Raptis: À l'Université Wilfrid Laurier, nous avons beaucoup de chance à cet égard. Les étudiants ont souvent l'occasion de rencontrer les administrateurs pour parler d'une foule de problèmes. Souvent l'université demande l'opinion des étudiants sur tel ou tel dossier. Les étudiants sont représentés à plusieurs sous-comités du Sénat ainsi qu'aux sous-comité du conseil d'administration. Les étudiants qui siègent sont très actifs.
À l'université, l'administration est en plein renouvellement. Beaucoup d'administrateurs sont en passe de prendre leur retraite, et souvent les étudiants demandent aux comités de sélection des nouveaux administrateurs ce qu'il en est du rôle des étudiants. Par exemple, il n'est pas rare que les étudiants participent d'une certaine façon au processus de budgétisation ou, d'une manière ou d'une autre, à l'élaboration des politiques. Dans notre université, nous avons effectivement beaucoup de chance de pouvoir intervenir de cette façon.
Pour ce qui est de nos problèmes, il y en a beaucoup auxquels nous voudrions remédier, mais leur ordre de priorité dépend en fait des étudiants.
En ce qui me concerne, je privilégie l'accessibilité ainsi que la recherche de nouvelles méthodes de financement des frais de scolarité pour les étudiants. Il est vrai qu'à l'heure actuelle les étudiants ont des choix à faire: vont-ils s'inscrire à une université qui offre le programme qu'ils souhaitent malgré la distance, ou encore, et c'est souvent le cas, ont-ils les moyens d'aller à l'université? Du point de vue de l'université, comment maintenir l'activité de recherche et la qualité des études malgré la précarité du financement et malgré le fait qu'au Canada les universités ne font pas appel au concours financier du secteur privé comme le font les universités américaines? Pour moi, il s'agit là d'une des principales priorités pour le financement futur de l'enseignement postsecondaire.
Le sénateur Lavoie-Roux: Si vous deviez réformer les études supérieures, au niveau collégial ou universitaire, quelle serait votre priorité? Nous connaissons tous le problème financier.
Mme Cynthia Hilliard, directrice exécutive, Association parlementaire des étudiants des collèges communautaires de l'Ontario: J'ai un diplôme collégial. J'ai deux diplômes en hôtellerie et restauration de l'École Sir Sandford Fleming de Peterborough. Pour pouvoir commencer à discuter dans ce sens, il faut commencer par avoir certaines réponses, et notamment aux problèmes que nous posons dans notre mémoire.
Des études supérieures accessibles et abordables sont sans nul doute des priorités. Il faut en discuter, mais également avoir des normes sur la façon de définir l'accessibilité. Dans le système collégial, parmi tous les gens qui font une demande d'inscription, 61 p. 100 acceptent le résultat des admissions. Quant à nous, nous nous demandons si ce niveau d'admission est acceptable. Est-ce cela que nous voulons? Si oui, fort bien, mais il n'empêche qu'il faut répondre à ces questions.
Lorsque nous parlons de frais de scolarité et de financement, le niveau actuel de financement du système collégial a entraîné notamment une diminution des services. Le service d'orientation pédagogique et les services de placement en sont les victimes, et ce sont précisément ces services-là que les étudiants jugent essentiels pour leur réussite future. Bien entendu, lorsque vous vous inscrivez dans un collège, votre principal objectif est de trouver du travail après l'obtention du diplôme.
Comme les services sont réduits, nous devons parler du financement. Et lorsque nous parlons du financement, nous finissons par discuter des frais de scolarité et de leur résultante, le niveau d'endettement des étudiants. C'est donc une discussion inévitable.
Dans notre mémoire, nous avons dit qu'il fallait définir un niveau d'endettement acceptable pour les étudiants. À quel moment devons-nous dire que les diplômés du système collégial ne sont plus capables de contribuer à l'économie comme nous le voudrions? Nous ne faisons pas ce genre de recherche. Pour parler franc, il se peut que, d'ici 10 ou 15 ans, nos étudiants ne soient plus en mesure de contribuer de façon active à l'économie. Nous sommes dans une véritable spirale parce que le niveau d'endettement de l'étudiant est devenu très élevé, complètement débridé, parce que personne n'a pris le temps nécessaire pour faire des recherches à ce sujet, pour planifier les choses afin de pouvoir dire: «Voilà où nous voulons aboutir, voilà où nous en sommes. Voilà ce que cela donnera si nous ne changeons pas la situation.» Le problème du financement fait partie de l'équation.
Si l'on envisage de remanier tout le système collégial, la question du financement se pose. En ignorant cette question du financement et en faisant comme si nous avions toute la richesse du monde, il faut qu'il y ait des services. Nous devons définir de façon précise quels sont les services que nous aimerions avoir. Les services que nous avons actuellement au sein du système collégial et qui sont victimes de ces réductions sont les services de placement et les services d'orientation professionnelle, alors même que ce sont ceux-là qui devraient être implantés.
Il faut également pour les programmes des normes valables dans l'ensemble du système, des normes qui faciliteraient les transferts au sein de l'établissement, au sein du système collégial et au sein du système postsecondaire en général. Voilà qui semble être le problème numéro un. Comme nous n'avons pas ces normes, comment pouvons-nous faciliter les transferts?
Il nous faut aussi un programme de prêt aux étudiants qui corresponde mieux aux besoins de ces derniers ou, pour être plus précis, aux besoins des diplômés. Nous parlons des besoins des étudiants, mais en fin de compte ce sont les diplômés qui ont à faire face après leurs études aux problèmes des prêts. Nous disons dans notre mémoire que selon nous les prêts aux étudiants ne suffisent pas, étant donné ce que coûtent réellement les études.
Mme Smallman a mentionné que nous risquons une déréglementation des frais de scolarité. Cela nous pose un énorme problème. Comment le programme des prêts aux étudiants pourra-t-il répondre à cela? Qui plus est, les frais accessoires augmentent en flèche. S'agissant des frais d'études, ce que l'on constate au niveau collégial est tout à fait incroyable, sans parler du fait que les différents frais d'études varient d'un collège à l'autre. Il n'y a aucune homogénéité. Le programme des prêts aux étudiants en tient-il compte? Ma réponse est non.
Il faut donc multiplier les recherches dans ce domaine. À l'heure actuelle, on n'en fait pas. En Ontario, le gouvernement a jeté l'éponge et ne fait aucune recherche. J'admire ce qu'a fait M. Stager pour ce qui est du système d'enseignement postsecondaire, mais ses recherches témoignent néanmoins d'une certaine myopie parce qu'elles ne portent pas sur le système collégial. D'une année à l'autre, on compte environ 1 million d'inscrits dans le système collégial. Il y a 25 collèges et 200 cités collégiales. C'est donc énorme.
Le sénateur Lavoie-Roux: Même après des études universitaires, mettons en génie ou en commerce par exemple, il est difficile de trouver du travail. Les médecins semblent encore échapper à la règle, mais je ne sais pas pour combien de temps. Pensez-vous que les collèges et les universités du Canada font suffisamment pour jeter des ponts avec le marché de l'emploi?
Mme Hilliard: M. Virtue pourrait vous en parler parce qu'il a davantage d'exemples au niveau local.
Le sénateur Lavoie-Roux: J'ignore en ce qui me concerne si, même avec davantage d'efforts faits dans ce sens, vous auriez plus de facilité à vous en sortir.
M. Virtue: Au plan provincial, il n'existe rien qui encourage les collèges à travailler entre eux ou avec les universités, ou encore avec le secteur privé, si ce n'est le fait que les niveaux de financement diminuent. De temps en temps, c'est un peu comme s'il y avait un genre de fiasco administratif à rebours qui fait que les universités et les collèges doivent eux-mêmes mettre la main à la pâte.
Le Humber Collège entretient des liens privilégiés avec de nombreuses universités de l'Ontario. C'est ainsi qu'il vise des normes très élevées, en s'efforçant d'établir des liens entre les collèges et le secteur privé. Je ne suis pas vraiment qualifié pour parler au nom des universités. Nous avons un institut qui enseigne les télécommunications sans fil, et notre technologie est l'une des meilleures du pays, mais elle n'est pas accessible à l'étudiant moyen. C'est là un grave problème dans notre secteur: les étudiants -- si vous pouvez les classer comme tels -- proviennent du secteur privé. C'est un système mis sur pied par les collèges, qui permet au secteur privé d'utiliser les installations et d'y faire figurer le nom du Humber Collège, mais il n'y a pas vraiment d'étudiants, parce que les frais de scolarité sont de l'ordre de 6 000 $ à 10 000 $. Le programme de rémunération à l'acte aura pour effet de tenir l'étudiant à l'écart du marché.
Mme Smallman: La crise de financement a amené tant les collèges que les universités à se tourner, pour les ressources, vers le secteur privé. Ce n'est pas nécessairement pour essayer d'améliorer la qualité de leurs programmes ou pour aider leurs étudiants à trouver des débouchés: c'est pour trouver des ressources financières pour l'établissement. Cette quête se fait au hasard, sans prendre en compte les questions de qualité et d'accessibilité, et sans concevoir l'éducation postsecondaire à long terme.
Ma réponse à votre question précédente, c'est qu'il nous faut une vision à long terme, et que nos priorités ne peuvent être établies simplement à court terme, en fonction d'une situation de crise.
Les établissements concluent, en quelque sorte, des pactes avec le diable, pactes qui profitent aux entreprises bien plus qu'aux étudiants, voire aux établissements eux-mêmes. Ce problème est dû dans une grande mesure à la pénurie de fonds publics, ce qui n'est certainement d'aucun secours.
Les restrictions financières ont également amené les universités et les collèges à pratiquer des coupes claires dans leurs services d'orientation professionnelle et de placement, ainsi que dans les ressources destinées à aider les étudiants à trouver des emplois en fin d'études. Certains de ces services sont proposés contre rémunération, ce qui ne fait que drainer davantage l'argent des étudiants. Là encore c'est une vision myope, entièrement déterminée par la crise, du rôle de l'éducation postsecondaire et des services afférents.
Le sénateur Forest: J'approuve l'argument de M. Martin selon lequel les étudiants savent qui payera la dette et que pour la payer il faut une bonne éducation. C'est là le message que nous devons faire passer.
J'approuve également la proposition de faire représenter les étudiants aux sous-comités. À l'Université de l'Alberta les étudiants et les diplômés siègent à chaque comité; je crois que les étudiants devraient exercer des pressions dans ce sens.
En ce qui concerne les prêts, M. Stager a peut-être les bons chiffres, mais c'est l'idée qu'on s'en fait qui importe. Si les étudiants ont l'impression d'être écrasés par leurs dettes, cela représente un fardeau pour eux, quelle que soit la somme réelle dont il s'agit.
La recommandation sur les prêts formulée par le professeur Stager était basée sur la capacité de payer de l'étudiant; est-ce bien la bonne voie? Il proposait également d'amalgamer les prêts des provinces avec ceux du gouvernement fédéral, afin que l'étudiant ne contracte qu'un seul prêt.
Mme Hilliard: On va les amalgamer cette année. Quant au programme des prêts, l'Ontario est le dernier de la liste, et nous en connaîtrons sous peu les détails. C'est là la réalité.
Mme Smallman: Il y a deux problèmes: le remboursement du prêt, et également son montant. La question à laquelle nous voudrions tous une réponse, c'est de savoir combien est suffisant. N'empruntons-nous pas déjà trop?
Je m'élève contre les chiffres du professeur Stager. Le prêt annuel moyen, en Ontario, dépasse 6 000 $: il est d'environ 6 400 $. Si vous l'étalez sur quatre ans, cela représente une dette de 25 000 $. C'est de là que nous tirons nos chiffres, à partir des moyennes actuelles. Il n'est même pas tenu compte, dans ces chiffres, de la somme supplémentaire que nous devons emprunter pour prendre en compte les augmentations des frais de scolarité au cours des prochaines années.
Ce n'est là que pour un diplôme d'une durée de quatre ans; si vous avez fait quelques années d'université ou si, comme moi -- malheur à vous -- vous décidez de préparer une thèse et restez donc étudiant pendant longtemps, vous accumulez, avec le temps, une dette considérable.
Le défaut que la fédération voit avec le PRR, c'est qu'il n'y a pas d'allégement des intérêts. Tout va bien si vous gagnez beaucoup d'argent, parce que vous pouvez alors rembourser rapidement votre dette, mais s'il faut le faire sur une longue période, 25 ans par exemple, le système désavantage les gens à faible revenu ou à revenu moyen.
Le sénateur Forrestall: À cause de l'intérêt.
Mme Smallman: C'est exact. Nous voudrions qu'il y ait un système pour aider les gens avant qu'ils n'entament leurs études, système qui remplacerait les bourses différées.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur la réforme du système des prêts, car c'est un problème vaste et complexe, pour lequel il n'existe pas de panacée.
M. Martin: Le principe essentiel lié aux prêts remboursables en fonction du revenu est valide, et très important. Il est évident que nous devrons prendre en compte le revenu à long terme des étudiants. L'une des grandes faiblesses du programme, c'est que les évaluations ne sont faites qu'à un seul moment: l'aide dont bénéficie l'étudiant dépend souvent de calculs sans grand fondement sur ce qu'ils peuvent payer au moment où ils font une demande de prêt. Si vous voulez que le système soit juste ou efficace, c'est à long terme qu'il faut considérer leurs circonstances. Nous ne voyons pas de moyen de faire cela sans prendre en compte leur revenu.
Il existe diverses manières d'ajuster le programme au revenu, et nous ne sommes pas en faveur de toutes. Mme Smallman mentionnait qu'une des versions de plans liés au revenu aurait pour effet que les étudiants à faible revenu verraient leurs paiements étalés sur une si longue période qu'ils paieraient, en fin de compte, beaucoup plus pour leur éducation. Ce n'est évidemment pas une méthode que nous préconisons.
Par ailleurs, il est possible d'aménager un plan lié au revenu qui n'aurait pas ce défaut. L'une des façons de procéder -- qui n'est pas nécessairement la seule -- a été appliquée en Australie, où les taux d'intérêt sur les paiements sont établis au-dessous du taux de l'inflation. Pour les étudiants à faible revenu, plus ils mettront de temps à rembourser leur prêt, moins il leur coûtera en termes réels. C'est l'un des exemples de modalités qui permettraient que les fonds aillent à ceux qui en ont vraiment besoin.
Le sénateur Forest: Mais il n'y aurait pas d'incitation à rembourser le prêt.
M. Martin: C'est là une objection de taille: on pourrait ainsi établir un programme de prêt qui aurait des effets pervers. On peut s'imaginer le cas d'un individu qui dirait, s'il y avait des limites au pourcentage de son revenu qu'il devrait consacrer au remboursement de sa dette: «Ma dette est si grande que je ne pourrai jamais la rembourser entièrement; alors qu'importe si elle augmente encore!» C'est un cas qui peut se présenter, mais il y a également moyen d'y parer.
Le sénateur DeWare: Partout dans le pays les étudiants nous ont parlé de financement, de programmes, de classes très nombreuses, d'annulations de programmes, de mobilité, de normes nationales et de prêts aux étudiants.
Je voudrais demander à Mme Smallman de nous parler plus longuement de l'accessibilité.
Mme Smallman: Le coût de l'éducation augmente. Il est vrai que le nombre des inscriptions n'a pas changé; il n'y a pas eu de diminution à cause d'une augmentation des frais de scolarité, mais il y a une diminution du nombre des demandes. Nous constatons que l'accès est limité pour ceux qui, d'après nous, ont le plus besoin d'éducation, parce que le coût leur paraît exorbitant et parce qu'ils ne veulent pas assumer une grosse dette. Il n'y a pas d'augmentation du nombre des étudiants autochtones; c'est clair en Ontario. Les étudiants francophones n'ont pas un taux de participation élevé, et cela surtout parce qu'il y a une réduction de leurs programmes à l'Université Laurentienne et dans les collèges francophones, tels que le Collège du Vieux-Montréal. L'accès à leurs programmes en a vraiment pâti.
Aucun programme de prêt aux étudiants ne résoudra les problèmes de ces gens, qui sont des problèmes en amont.
Le sénateur DeWare: Je suis d'accord avec vous quand vous parlez de «crise», car c'est là le terme qui revient à nos oreilles, et il convient d'agir.
J'ai reçu l'autre jour la visite d'un représentant d'une des banques qui consentent des prêts aux étudiants; cette banque s'inquiétait de l'agrément des collèges. Avec notre nouvelle Loi sur l'assurance-emploi, et avec les ententes que le gouvernement a conclues avec les provinces concernant la formation, cette banque craint que de petites sociétés ne prolifèrent dans tout le pays, demandant l'accès à ces programmes de formation sans avoir directement affaire avec les collèges communautaires. C'est là un grave sujet d'inquiétude qui me préoccupe également.
En ma qualité d'ancienne ministre des Collèges communautaires du Nouveau-Brunswick, je sais de quoi je parle. S'il n'existe pas de dispositifs d'agrément de certains établissements, et que les étudiants doivent contracter un emprunt, qui sera le perdant? L'étudiant s'est inscrit à un programme d'une durée d'un an et demi, et la société fait faillite. Nous savons que les collèges sont gouvernés par les provinces. Il y a là un problème sur lequel nous devons nous pencher, avec les collèges.
Tout ce que vous nous avez dit aujourd'hui a été enregistré; nous pourrons donc consulter ces témoignages et les passer en revue, pour nous assurer que nous sommes sur la bonne voie.
Je voudrais vous remercier tous, car depuis janvier nous avons entendu des témoignages sur le même sujet. Chacun d'entre eux éclaire une question importante. C'est une question brûlante que celle des prêts aux étudiants. Imaginez que vous finissiez vos études avec une dette de 40 000 $, et que vous vous apprêtiez à vous marier avec une diplômée qui, elle, a une dette de 35 000 $.
Mme Smallman: Dans un cas pareil on peut renoncer à s'acheter une maison.
Le sénateur DeWare: La banque ne vous consentirait aucun prêt.
Le président: Je vous remercie tous.
Notre témoin suivant est Mme Bonnie Patterson, du Conseil des universités de l'Ontario.
Madame Patterson, vous avez la parole.
Mme Bonnie Patterson, présidente, Conseil des universités de l'Ontario: Permettez-moi de vous présenter mon collègue, M. David Lyon, qui est chef du Bureau des politiques et analyses, du Conseil des universités de l'Ontario.
Nous représentons les universités publiques de la province de l'Ontario. Nous avons en place des programmes de recherche et de communication générale au nom de nos établissements, et nous sommes également une organisation de services et de défense des activités d'association et d'assistance.
Les universités doivent être en mesure d'assurer un milieu stimulant; les ressources doivent leur permettre de veiller à ce que la qualité et l'innovation restent les pierres angulaires de leurs activités. Votre comité, en oeuvrant dans ce sens, joue un rôle utile.
Je vais aborder aujourd'hui trois questions: je vais tout d'abord passer rapidement en revue certains événements récents qui sont d'importance et que nous ne devrions pas perdre de vue; en second lieu, je vais vous brosser un tableau d'ensemble des universités de l'Ontario, ce qui vous permettra d'évaluer la position de cette province par rapport aux autres régions du pays, et, en troisième lieu, je vais plaider en faveur d'un mode d'action que vous pourriez encourager.
Les universités de l'Ontario ont réagi très favorablement au récent budget du gouvernement fédéral qui assignait comme priorité les investissements dans les étudiants et dans la recherche et l'infrastructure universitaires. Ce genre d'investissement est tout à fait ce qu'il nous faut.
Le gouvernement fédéral a établi un juste équilibre entre la nécessité d'une aide publique à l'éducation, la nécessité de réinvestir dans la recherche et la mise en place d'incitatifs pour les étudiants à investir en eux-mêmes. Nos étudiants ne peuvent que se féliciter de voir le gouvernement élargir la valeur et la définition des crédits d'impôt pour études, d'un calendrier de remboursement plus généreux pour les prêts aux étudiants et d'une hausse des limites de cotisation aux régimes enregistrés d'épargne-études. C'est là prendre un bon départ, mais ce n'est qu'un départ. Nous sommes également heureux de constater que le gouvernement fédéral négociera avec les provinces les modalités d'un plan national de remboursement des prêts en fonction du revenu, programme qui pourra tenir compte des intérêts des provinces.
Les nouveaux crédits pour la création de la Fondation canadienne pour l'innovation, ainsi que pour l'élargissement du programme de travaux d'infrastructure du Canada, constituent en effet des mesures de nature à améliorer l'infrastructure de recherche de nos universités. Cet investissement si nécessaire aura des effets favorables sur toutes sortes d'htmects intellectuels, sociaux, culturels et économiques de l'enseignement et de la recherche universitaires.
Ce n'est pas simplement au Canada, mais dans le monde entier que l'on constate une nouvelle appréciation de l'importance de l'éducation, et nous nous en réjouissons. Nous avons pu le constater dans le récent budget des États-Unis ainsi que, comme nous le disions déjà, dans le budget fédéral, et nous espérons que le gouvernement de l'Ontario ne voudra pas voir notre éducation postsecondaire, nos étudiants et nos universités demeurer en reste dans ce mouvement général de réveil de la société.
Grâce à l'excellent rapport récent d'un comité consultatif, nommé par le gouvernement de l'Ontario, sur les futures orientations de l'éducation postsecondaire, nous pensons que l'Ontario a maintenant une voie toute tracée pour investir dans ce domaine.
Le rapport de ce comité consultatif, intitulé Excellence, Accessibilité, Responsabilité, contenait 18 recommandations importantes pour l'enseignement supérieur en Ontario. Je n'ai pas l'intention de les énoncer toutes; je relèverai simplement les principales.
Le Conseil des universités de l'Ontario approuve l'orientation générale du rapport. Nous encourageons également notre gouvernement à mettre en place un cadre d'orientation et à collaborer avec notre conseil pour concrétiser rapidement les orientations préconisées dans le rapport.
Cette concrétisation devrait porter avant tout sur les orientations stratégiques d'importance essentielle qui ont été définies dans le rapport. Cela permettra aux universités qui reçoivent des fonds publics de pleinement contribuer au développement social, culturel et économique de la province, à la recherche et à l'innovation, si importantes pour l'avenir de notre nation, et au transfert de technologies.
Quatre points essentiels se détachent: en premier lieu, aligner les subventions provinciales pour l'enseignement et la recherche sur la moyenne des neuf autres provinces et sur les subventions d'universités publiques américaines comparables.
En second lieu, les universités ontariennes devraient avoir les ressources nécessaires pour faire concurrence, en matière de recherche, à des universités publiques nord-américaines comparables.
En troisième lieu, le processus de déréglementation devrait se poursuivre, afin que les conseils d'administration des établissements rendent compte des décisions qu'ils prennent et soient libres de fixer les frais de scolarité à des niveaux jugés appropriés par eux pour chaque programme, comme il est dit dans le rapport.
Le quatrième pilier de cet édifice, c'est le renouvellement de l'aide aux étudiants grâce à des programmes visant non seulement à remédier au problème de la dette des étudiants, mais aussi à mettre en place un programme de remboursement de ces prêts qui tienne compte du revenu des étudiants postérieurement à la fin de leurs études et à accorder -- ce qui est très important -- des bourses aux étudiants qui, en cours d'études, auraient des besoins spéciaux.
Nous insistons sur la dernière recommandation, à savoir la réforme de l'aide aux étudiants. Le gouvernement, tant fédéral que provincial, doit continuer à voir dans cette aide une forme d'investissement. Le maintien d'un programme d'aide souple, accessible et vigoureux est un élément clé si le Canada doit continuer à promouvoir l'accès à nos établissements ainsi que la mobilité des étudiants entre ces établissements postsecondaires.
Cette mobilité des étudiants est essentielle pour élargir leurs horizons et assurer que sera maximisée leur contribution à la société, par le biais de leurs études dans des établissements et des programmes de leur choix.
Toujours dans la droite ligne de ces orientations, nous voudrions vous donner un aperçu de l'état des universités de l'Ontario, afin que les membres du comité comprennent combien les problèmes de notre province sont urgents, dans un contexte national.
Au cours de l'année écoulée, nous avons subi, en Ontario, une diminution de 15 p. 100 de nos subventions d'exploitation. Aux termes du document politique «La révolution du bon sens», cette réduction de 280 millions de dollars frappait les universités de plein fouet. Son effet immédiat fut de reléguer les universités de l'Ontario au dixième rang de l'échelle de financement des dix provinces; nos universités ont maintenant pour triste record d'être celles qui sont le plus faiblement financées, par étudiant, dans tout le pays.
Le ministre de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario a annoncé, pour 1997-1998, un gel des subventions d'exploitation au niveau de l'année précédente, décision qui ne peut être considérée comme une résolution, toutefois, mais comme une première et nécessaire étape. Si notre système universitaire, qui affiche également l'un des taux de participation les plus élevés du monde, ne doit pas se détériorer encore davantage, le financement ne peut rester à ce niveau et devra être augmenté.
Le climat lamentable qui règne dans les universités de l'Ontario est caractérisé par les déficits d'exploitation, 15 de nos universités sur 17 étant déficitaires. Nous avons perdu du personnel alors que les inscriptions ont augmenté, et la recherche a vu diminuer ses capacités. Il y a une détérioration physique de notre infrastructure, et tous ces facteurs se conjuguent pour saper la vigueur de nos universités, ce qui compromet les capacités de la nation.
En ce qui concerne nos déficits d'exploitation, nos universités ont dû, au cours des cinq dernières années, s'accommoder d'une réduction de 25 p. 100 de nos subventions d'exploitation. Elles s'efforcent de s'adapter à cette situation aussi rapidement que possible tout en assumant leurs responsabilités et en essayant de redresser leur situation financière.
Mais ne nous méprenons pas: nous hypothéquons notre avenir pour faire face aux exigences financières du moment. Permettez-moi d'attirer votre attention sur quelques domaines où le problème risque de devenir chronique.
Nous savons que l'innovation et la qualité de la recherche universitaire, de l'enseignement et des programmes que nous offrons, ainsi que des services que nous assurons, dépendent étroitement de la qualité du personnel, en particulier du personnel enseignant, de nos établissements. Au cours des dernières années la compression des budgets a rendu nécessaires des départs anticipés de personnel, afin de réaliser des économies. Depuis 1990 nos universités ont ainsi perdu plus de 1 000 personnes employées à plein temps, dans le secteur de l'enseignement et de la recherche, et plus de 1 100 personnes des effectifs non enseignants, employées à plein temps.
Tous ces départs ont eu lieu malgré le fait que depuis 1990 le nombre des inscriptions d'étudiants ait augmenté de plus de 8 000, chiffre qui ne comprend pas l'année 1996, où nous avons encore perdu des centaines de membres du personnel. Nous pourrions vous donner beaucoup d'exemples concrets.
L'impact à long terme de ce dégraissage des universités est encore plus inquiétant. Ceux qui partent sont ceux qui ont le plus d'expérience et sont le mieux en mesure de trouver un emploi ailleurs, que ce soit au Canada ou à l'étranger. Nos universités, elles, sont actuellement beaucoup moins en mesure d'attirer des talents pour remplacer les partants. La perte d'universitaires et de savants éminents, de même que la difficulté croissante de remplacer le personnel enseignant, peut porter un coup fatal à nos établissements, en matière de viabilité et de qualité de nos programmes.
La recherche et les activités intellectuelles constituent, c'est un fait bien connu, la cheville ouvrière de l'enseignement et de l'apprentissage et un apport essentiel au développement intellectuel, culturel, social et économique de notre province. L'érosion de ce capital de recherche et de compétitivité nous inquiète beaucoup, et nous craignons que cet apport ne périclite.
Notre organisation a récemment publié un rapport -- que nous avons déposé auprès de votre greffière -- intitulé L'impact des politiques provinciales sur la recherche universitaire: Étude comparative de certaines provinces canadiennes. Cette étude met en relief la détérioration de la recherche dans les universités ontariennes, à cause de l'absence d'une politique provinciale explicite et coordonnée, et d'un appui financier suffisant à la recherche. En outre, les compressions budgétaires, qui remontent à 1992-1993, ont contribué à accélérer cette détérioration.
Le rapport démontre que la Colombie-Britannique, l'Alberta et le Québec, par exemple, ont vu augmenter leur part des fonds de recherche du gouvernement fédéral et le nombre de doctorats qui ont été décernés, alors que la part de l'Ontario a rétréci. Ces provinces ont des politiques provinciales suivies pour la recherche, ce qui n'est pas le cas de l'Ontario. Les universités ontariennes, durement touchées dans les moyens dont elles disposent pour la recherche, ne sont plus en mesure d'attirer et de conserver les meilleurs éléments universitaires d'un marché où la concurrence internationale est vive.
Nous voudrions également faire remarquer au sous-comité que les éléments que nous perdons ne vont pas seulement aux États-Unis et en Europe, mais également dans d'autres provinces du Canada.
Quant à la détérioration physique de l'infrastructure universitaire, nous ne disposons que de très peu de moyens pour assurer l'entretien de l'infrastructure existante. La majorité de nos bâtiments ont été construits entre 1960 et 1970, de sorte qu'ils ont maintenant en moyenne une trentaine d'années, ce qui exige une modernisation et un entretien constants, bien que l'existence même de cette infrastructure ne soit pas encore une grande cause d'inquiétude.
En 1993 une évaluation des travaux à faire avançait le chiffre de 522 millions de dollars. D'après cette même étude, les coûts augmentent annuellement de 60 à 80 millions de dollars. Or, nous recevons chaque année, pour l'entretien différé, une somme d'environ 15 millions de dollars. L'écart est considérable, mais que pouvons-nous y faire?
Le troisième point dont je voudrais parler aujourd'hui, c'est une stratégie d'action. Les universités ontariennes ont été encouragées par la nature et la portée des recommandations du comité consultatif provincial, d'après lequel la structure de base du secteur postsecondaire de l'Ontario serait solide et ne nécessiterait pas de refonte en profondeur.
Le rapport constate toutefois que le secteur postsecondaire présente des signes manifestes de stress. Sans modification profonde de la façon dont le secteur évolue et est financé, sa qualité et son accessibilité, ce que remarquait le comité consultatif, seront compromises, de même que la capacité des établissements d'assurer le bon fonctionnement de la vaste gamme de programmes et la qualité de la recherche et de l'éducation qui seront nécessaires dans l'avenir.
Nous ne doutons pas de la justesse de ce jugement. C'est un cadre pour faire évoluer les choses. Le comité recommande, en premier lieu, que soient augmentés les fonds attribués au secteur postsecondaire à titre de subventions d'exploitation. Le comité a constaté que le financement par étudiant, dans les universités ontariennes, est le plus faible de toutes les 10 provinces et que c'est là un fait inadmissible. Le comité a recommandé au gouvernement de se donner pour objectif explicite d'augmenter ce financement pour l'amener, en quelques années, au niveau moyen national.
En second lieu, le comité a recommandé au gouvernement de mettre en place une politique globale de recherche pour la province de l'Ontario, politique qui soit complémentaire, bien entendu, de ce qui se fait au niveau fédéral.
Il convient également de financer plus généreusement l'infrastructure de recherche de nos universités. Le réinvestissement du gouvernement fédéral dans l'infrastructure, grâce à l'élargissement du programme canadien des travaux d'infrastructure, ainsi qu'à la nouvelle Fondation canadienne pour l'innovation, pourrait avoir des retombées très favorables pour les universités ontariennes.
Mais nous avons besoin de l'appui de notre gouvernement pour que les universités de notre province puissent pleinement participer à ces nouveaux programmes et en bénéficier. Cette pleine participation de l'Ontario est essentielle au succès des programmes de réinvestissement mis en place par le gouvernement fédéral. Il serait déplorable que l'inaction de la province entraîne une perte de 40 p. 100 de la capacité de recherche de notre pays.
En troisième lieu, le comité a recommandé que les universités aient beaucoup plus de latitude pour établir le niveau des frais de scolarité pour toute une série de programmes. Nous voudrions dissiper une opinion souvent admise d'après laquelle les frais de scolarité sont augmentés pour compenser les compressions budgétaires gouvernementales. C'est tout à fait faux: si nous voulions compenser les coupures infligées aux universités, nous devrions, en sus, augmenter les frais de scolarité d'un autre 27 p. 100, ce que nous ne considérons pas du tout désirable.
Nos universités ont dû s'adapter à un climat de rigueur, aux dépens de la qualité et de l'innovation, et à une époque où l'afflux vers nos établissements a encore augmenté.
En quatrième lieu, le comité a recommandé que le gouvernement réforme l'aide aux étudiants dans notre province, en préconisant, comme mesure qui serait utile aux étudiants, un plan de remboursement des prêts en fonction du revenu. Il a également recommandé que ce plan soit administré à la fois par le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, par le truchement du régime fiscal.
Je voudrais maintenant aborder le programme d'action du gouvernement fédéral et attirer votre attention, honorables sénateurs, sur la réforme du droit d'auteur mise en place par le gouvernement fédéral, à savoir le projet de loi C-32. Ce projet de loi ne devrait pas, à notre avis, être adopté tel quel: nous exhortons les membres du Sénat à amender le projet de loi pour en éliminer des restrictions indues en matière d'exceptions portant sur l'éducation, les bibliothèques et la radiodiffusion, ainsi que les restrictions visant l'importation de livres, y compris les manuels scolaires d'occasion. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, nous semble préserver beaucoup moins les droits des étudiants, chercheurs, bibliothécaires et éducateurs canadiens que ceux de leurs homologues des États-Unis, de l'Australie et du Royaume-Uni.
Le rôle du gouvernement fédéral a toujours été de partager les coûts de l'enseignement postsecondaire avec les provinces. Depuis l'élimination des transferts au titre du FPE et la création du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux en 1996-1997, la valeur de l'appui que le fédéral accorde à l'enseignement postsecondaire a diminué davantage.
Deuxièmement, le gouvernement fédéral peut aider l'Ontario à atteindre un financement correspondant à la moyenne nationale en réinvestissant dans l'enseignement postsecondaire grâce à des transferts plus généreux et plus ciblés à la province. Non seulement le gouvernement fédéral peut investir davantage par étudiant, mais il peut et doit accorder directement un financement accru aux institutions de recherche en Ontario et aux universités nationales par l'entremise des conseils subventionnaires fédéraux.
On reconnaît déjà que les économies et les sociétés qui réussiront le mieux dans l'avenir seront celles qui auront des industries solides axées sur les connaissances. L'Ontario est le moteur de la croissance et de la prospérité du pays, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur les plans social et culturel. Toutefois, la prospérité ne peut durer, dans toutes ses dimensions, que si nous conservons notre capacité de poursuivre la recherche fondamentale et appliquée dans les sciences et la technologie, ainsi que dans les sciences humaines et sociales.
Nous félicitons le gouvernement fédéral d'avoir créé la Fondation canadienne pour l'innovation, que nous considérons comme un début d'investissement dans l'avenir du pays. Nous exhortons le sous-comité du Sénat à s'assurer que le gouvernement poursuivre dans cette voie et multiplie des initiatives semblables dans ses décisions ultérieures.
Enfin, l'accès à nos universités doit demeurer abordable pour nos étudiants. Nous avons préconisé, et nous continuerons d'exercer des pressions dans ce sens, la réforme du régime d'aide aux étudiants en Ontario. Le gouvernement fédéral peut contribuer à accélérer cette réforme. Nous croyons que le gouvernement de l'Ontario veut sincèrement mettre sur pied un programme efficace de prêts remboursables en fonction du revenu, et qu'il veut le faire immédiatement, et nous demandons que le gouvernement fédéral s'y engage fermement pour 1997. Le ministre des Finances a annoncé sa volonté de collaborer avec les provinces, et nous sommes prêts à en faire autant.
C'est une bonne chose d'aider et d'encourager les étudiants à investir dans leur éducation et leur avenir. C'est aussi une bonne chose de les aider et de les encourager à respecter leurs obligations financières de façon responsable. Cependant, nos étudiants ont besoin d'aide, du genre d'aide que seuls les gouvernements fédéral et ontarien peuvent offrir ensemble, et c'est ce qu'il convient de faire.
Pour certains étudiants, les prêts ne suffiront pas, et nous espérons que les gouvernements fédéral et ontarien veilleront à ce que les universités demeurent accessibles à tous les étudiants, surtout les plus nécessiteux.
Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui et de répondre à vos questions. Nous vous remercions très sincèrement d'avoir pris cette initiative éminemment importante.
Le sénateur Lavoie-Roux: Merci pour votre exposé. À part le fait qu'il s'inscrit dans le contexte de l'Ontario, je dois dire qu'il n'est pas tellement différent de ceux que nous avons entendus de la part des dirigeants des autres universités.
Je suis un peu étonnée de vous entendre dire que les mesures annoncées dans le dernier budget pour les étudiants sont de bonnes nouvelles et représentent un bon point de départ. Ce sont peut-être de bonnes nouvelles, mais pas pour les étudiants d'aujourd'hui et de demain. Elle le sont peut-être pour les étudiants d'après-demain, car pour bénéficier des régimes enregistrés d'épargne-études, il faut y contribuer à long terme. La seule mesure qui pourrait être appliquée immédiatement consisterait à prévoir une période de remboursement plus longue. Le reste ne change pas tellement la situation des étudiants.
Je me demande un peu quel type de recommandations nous pouvons formuler. Les universités disent que les compressions du gouvernement sont excessives, ce qui menace la qualité de l'éducation et nuit à l'accessibilité de l'enseignement supérieur. Nous entendons ce genre d'observations depuis que nous étudions cette question. Nous avons écouté de nombreux témoins.
Oublions un instant les étudiants. Les universités elles-mêmes ont-elles fait tout ce qu'elles pouvaient pour réduire leurs coûts? Avez-vous collaboré autant que possible avec d'autres universités ou collèges? Nous aimerions tous avoir plus d'argent, et j'aurais aimé que le gouvernement vous en donne davantage. Si l'Ontario était la seule province dans cette situation, je dirais que ce n'est pas normal, mais la situation est la même dans tout le pays. Le gouvernement fédéral pourrait-il accroître ses transferts aux provinces pour leur faciliter la vie et pour financer l'enseignement postsecondaire? Je ne pense pas que le gouvernement dispose d'une grande marge de manoeuvre. Nous sommes tous préoccupés par cette situation, mais quelles recommandations réalistes pouvons-nous faire? Mes collègues ont peut-être des réponses à proposer, mais la question devient de plus en plus difficile à mesure que j'écoute les représentants des universités et des étudiants.
Êtes-vous en train de dire que vous avez apporté votre contribution et que vous n'en pouvez plus, et que c'est maintenant au tour du gouvernement d'agir? Le gouvernement nous dit constamment -- et je crois qu'il a raison dans une grande mesure -- qu'il est tenu de réduire le déficit et ses dépenses. Quelle est la solution?
Mme Patterson: Vous avez certainement souligné la complexité de la situation. À notre avis, un partenariat s'impose. Tous les établissements devront faire de leur mieux et adopter les meilleures pratiques, individuellement et collectivement, mais le gouvernement devra en faire autant.
Si nous nous sommes concentrés sur la réforme de l'aide aux étudiants, c'est parce que nous voulons préparer l'avenir tout en réglant les problèmes actuels. Quand nous parlons de la réforme de l'aide aux étudiants, nous pensons très clairement à trois choses: premièrement, la partie de la vie des étudiants et des adultes qui précède les études; deuxièmement, la période des études; et troisièmement, la période ultérieure aux études. Nous devons nous pencher sur chacune de ces périodes de la vie.
Bon nombre des mesures et réformes fiscales prévues dans le dernier budget fédéral portaient effectivement sur la période antérieure aux études; par conséquent, ce sont des mesures prévoyantes visant les futures générations d'étudiants. Dans ce sens, j'estime que ces décisions sont louables.
Il y a eu des mesures modestes et l'annonce d'une mesure importante pour notre province -- et, je crois, pour d'autres provinces aussi -- concernant les étudiants inscrits dans des programmes d'études. Premièrement, on leur offre des incitatifs fiscaux. S'ils ne les utilisent pas, ils peuvent les accumuler pour les utiliser à mesure que leurs revenus deviendront plus substantiels. On peut dire qu'il s'agit là d'un ajustement mineur et équitable.
L'invitation selon laquelle le gouvernement fédéral envisagera de conclure des ententes avec les provinces pour mettre sur pied divers régimes de prêts remboursables selon le revenu est importante pour nous. Elle donne de l'espoir aux étudiants qui pensent à investir en eux-mêmes et aux familles qui pensent à financer les études de leurs enfants. Tant qu'il n'y a pas d'espoir, les étudiants refusent même de s'inscrire à l'université. Pourtant, nous savons que la qualité des emplois et des revenus à long terme des diplômés de l'enseignement postsecondaire représente un incitatif à poursuivre des études supérieures.
En ce qui concerne la période ultérieure aux études, nous croyons qu'il sera important de réformer non seulement le programme de remboursement, mais aussi, par exemple, le Régime d'aide financière aux étudiantes et étudiants de l'Ontario, qui accorde des subventions répondant aux besoins particuliers des étudiants. Nous savons qu'il existe des différences entre les étudiants des collèges, des universités et des établissements de formation professionnelle privés en ce qui concerne le défaut de paiement des prêts. Dans un sens, nous croyons que les collèges et les universités font un bon travail pour encourager les étudiants à rembourser. Cependant, il y a lieu d'améliorer les choses.
Tout n'est pas parfait, mais nous devons examiner les trois composantes de la vie d'un étudiant et voir ce que nous pouvons faire de mieux à chaque étape.
Faisons-nous notre possible pour réduire les coûts? L'un des rôles de notre association consiste à envisager des possibilités de collaboration. Plus que jamais auparavant, nous avons participé davantage à des activités conjointes au cours des dernières années, non seulement du point de vue administratif, mais aussi du point de vue des programmes universitaires dans notre province. En particulier, nous nous sommes engagés à collaborer ou à travailler en partenariat avec le secteur privé, le secteur public et d'autres institutions du secteur postsecondaire dans le domaine de l'éducation. Nous continuons à déployer des efforts dans ce sens.
Par exemple, nous avons créé dans notre province un nouveau groupe de travail sur l'innovation et la collaboration. Dans trois domaines, nous étudions la possibilité de collaborer bien au-delà de nos activités actuelles. Il s'agit de domaines intéressants, relatifs à l'évaluation des besoins des étudiants afin d'octroyer l'aide de façon plus efficace et efficiente. Nous envisageons des innovations et nous développons l'accès à la bibliothèque virtuelle afin que les 60 millions de dollars investis dans des acquisitions de publications en série dans toutes nos universités puissent profiter à tous les étudiants de la province. Nous étudions aussi la possibilité de numériser le matériel de bibliothèque. Je vais vous donner un certain nombre d'exemples.
Nous avons créé un organisme appelé le College University Consortia Council. Depuis un an, nous avons reçu plus de 45 demandes provenant de collèges et d'universités de notre province relatives au lancement de projets conjoints de jonction entre les collèges et les universités. Les ressources dont nous disposons nous ont permis d'appuyer à peu près 14 ou 15 de ces initiatives. De toute évidence, nous tenons à nous assurer que tout le secteur postsecondaire dispose de la souplesse nécessaire.
Je pense que l'on peut aussi lancer ce genre d'initiatives entre les provinces. Il existe des programmes -- et je suis sûre que vous en avez entendu parler abondamment -- reliant des collèges et des universités, des universités entre elles et des collèges entre eux un peu partout au pays, sans égard aux provinces et aux domaines de compétence.
En tant que collèges et universités, le problème auquel nous faisons face dans notre province réside dans le fait que, parmi tous les bénéficiaires des transferts, nous sommes au 10e rang sur 10. Comparativement à nos partenaires, nous sommes les plus durement touchés. Nous sommes loin de la moyenne nationale.
Est-ce que je crois que le gouvernement a encore un rôle à jouer? Oui, je le crois. Si la moyenne nationale est un point de référence pour les bénéficiaires des transferts, pourquoi ne pas l'utiliser également pour les collèges et les universités?
Le sénateur Forest: Ma collègue a raison de dire que nous avons entendu les préoccupations des collèges et des universités dans toutes les régions du pays, mais je crois que la situation est pire en Ontario. Cela ne fait aucun doute. Je suis vraiment choquée d'entendre que l'Ontario est au bas de la liste, car autrefois ses universités étaient relativement bien financées.
Je suis heureuse que vous considériez les initiatives fédérales comme d'importantes mesures initiales, un bon point de départ, car même le ministre fédéral des Finances a admis qu'il s'agissait effectivement d'un premier pas modeste. Compte tenu des rapports relatifs à la réduction du déficit, j'espère que l'on investira davantage dans l'éducation.
Le président: Quelle est votre question?
Le sénateur Lavoie-Roux: Elle loue le gouvernement.
Le sénateur Forest: Non, je pense qu'il y a lieu de le faire.
Ma question concerne le projet de loi C-32. Ce matin, le chancelier qui m'a remplacée à la tête de l'université a dit qu'il était vraiment préoccupé par le fait que l'équilibre initial qui existait dans le projet de loi avait été gravement rompu. Il s'agit d'un projet de loi que nous examinerons très bientôt au Sénat. D'après lui, le projet de loi -- qui, selon les propos de quelqu'un, ne contentait personne, mais semblait être un compromis relativement décent -- penche maintenant en faveur des créateurs et au détriment des utilisateurs. Pouvez-vous répondre rapidement à cette question?
Mme Patterson: Nous croyons que l'équilibre est rompu. À l'instar de nos homologues provinciaux, nous avons appuyé fermement la version initiale.
Je vais vous donner un exemple simple. Imaginez l'incidence que l'élimination de la vente de livres usagés aurait sur l'endettement des étudiants. Les livres usagés représentent une importante source de revenus pour bien des étudiants. C'est un exemple simple, mais cela vous donne une idée du déséquilibre qui existe maintenant dans le projet de loi.
Le sénateur DeWare: Est-il possible que l'on interdise les photocopieuses dans une bibliothèque où il n'y a qu'un livre disponible pour une classe de 100 étudiants?
Le sénateur Forest: La photocopie est autorisée pour la recherche, n'est-ce pas?
Le sénateur Lavoie-Roux: Si l'on veut photocopier des livres, il faut payer des droits d'auteur.
Mme Patterson: Tout dépend de l'usage que l'on fait de ces photocopies. Telle est la question.
Le sénateur Forest: En effet, et tout dépend si la recherche est privée ou non.
Le sénateur DeWare: Je voudrais parler de l'harmonisation des deux régimes de prêt. Les étudiants ont convenu -- et je pense que nous sommes aussi d'accord -- que le système est si lourd aujourd'hui que parfois, au cours d'un programme de quatre ans, il faut signer 16 documents différents et payer 16 taux d'intérêt différents. Pour nous, il est déjà assez difficile de remplir sa déclaration d'impôt sans faire face à ce genre de chose.
Nous devons en quelque sorte faciliter la tâche aux étudiants canadiens qui veulent obtenir des prêts. Nous devons envisager sérieusement la possibilité pour le gouvernement d'aider davantage les étudiants. De plus, il faudrait accorder des incitatifs aux étudiants qui veulent s'inscrire à l'université. Actuellement c'est comme si nous érigions des obstacles. Les étudiants représentent notre avenir. L'éducation est notre avenir. Je sais que vous êtes d'accord parce que vous êtes dans le système. Apparemment, le Canada accuse un sérieux retard dans ce domaine, et nous devons remédier à la situation.
Les représentants de l'Association des universités et collèges du Canada ont comparu devant notre comité. Ils nous ont dit la même chose que vous nous dites aujourd'hui. Les chercheurs aussi sont très préoccupés par la situation de la recherche dans les universités. En raison de l'insuffisance du financement, les professeurs qui devraient faire de la recherche doivent partager des charges d'enseignement. De plus, les effectifs des classes augmentent. Cela a réduit au minimum le temps consacré à la recherche. Ils disent également qu'aujourd'hui ils ne peuvent pas offrir aux jeunes titulaires de doctorats des postes dans les universités parce qu'ils n'ont pas d'argent. Je n'aime pas le terme «fuite des cerveaux», mais nous perdons ces diplômés au profit des États-Unis et d'autres pays. Nous devons en quelque sorte freiner cette tendance et planifier l'avenir du Canada dans ce domaine.
Mme Patterson: Je suis d'accord sur ce que vous avez dit et je vais vous raconter quelques anecdotes.
Dans l'un de nos établissements, nous avons une chaire de recherche bien financée dans le domaine des télécommunications, qui est en plein essor. À trois reprises, nous avons essayé d'y attirer trois des plus grands spécialistes. Aucun d'entre eux n'a voulu venir dans la province. Nous n'avons pas réussi à combler le poste. Récemment, il y a eu un poste d'enseignant en biotechnologie, que 10 personnes ont refusé.
Où est l'espoir en l'avenir?
Le sénateur DeWare: Pourquoi refuse-t-on ces offres?
Mme Patterson: Nous croyons que ce n'est pas à cause de la rémunération de ces postes. Un jeune chercheur et universitaire pense à ses 10 prochaines années de recherche. Qu'y aura-t-il dans 10 ans pour l'encourager à investir dans la province de l'Ontario maintenant? Pour lui, il y a plus d'espoir ailleurs, et il s'en va. Nous perdons certains de nos meilleurs scientifiques au profit du Royaume-Uni, ce qui est nouveau, et d'établissements privés aux États-Unis. C'est l'espoir en l'avenir.
Le sénateur DeWare: Il est intéressant que le ministère de l'Immigration amène des ressortissants étrangers au Canada pour occuper des postes techniques. Nous devrions former des gens pour occuper ces postes.
Le président: Merci, madame Patterson, pour votre mémoire. Nous aimerions vous poser d'autres questions, mais le temps fait défaut.
Maintenant, nous recevons l'Union des associations des professeurs des universités de l'Ontario.
M. Michael Piva, président, Union des associations des professeurs des universités de l'Ontario: Merci, monsieur le président. Je suis accompagné de Donna Gray, agente professionnelle employée de notre union. Nous représentons 11 000 professeurs et bibliothécaires universitaires de la province de l'Ontario.
Nous vous remercions de nous avoir invités, sénateurs, à discuter de la situation de l'enseignement postsecondaire dans la province. Vos audiences ne pouvaient mieux tomber.
Nous essaierons de vous présenter notre conception des responsabilités fédérales en matière d'enseignement postsecondaire dans la province. Traditionnellement, ces responsabilités portent sur trois domaines: accorder des transferts à la province pour appuyer l'enseignement postsecondaire par l'entremise du financement des programmes établis; financer la recherche fondamentale et appliquée à travers les conseils subventionnaires fédéraux et d'autres programmes fédéraux; et fournir de l'aide financière aux étudiants par le biais du Programme canadien de prêts aux étudiants.
Il est incontestable que la crise financière que traversent actuellement les universités et les étudiants ontariens est due en partie aux réductions draconiennes du financement fédéral, à l'élimination du financement de l'enseignement postsecondaire dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, aux compressions massives du financement de la recherche universitaire, et à ce que nous appelons l'incurie du gouvernement fédéral face à la question de l'aide aux étudiants. Nous croyons que le renouvellement de chacun de ces programmes fédéraux essentiels constituerait une mesure fondamentale pour réparer les dommages déjà infligés à notre système par des décennies de financement insuffisant.
Pendant trop longtemps, en Ontario, nous avons reporté l'entretien de l'infrastructure vieillissante. Nous avons perdu des postes d'enseignant conduisant à la permanence et des postes de soutien. Nos taux d'encadrement ont augmenté considérablement. Nos installations de recherche sont maintenant inadéquates et souvent dépassées.
Si le Canada veut se positionner dans l'économie mondiale du prochain siècle, le gouvernement doit commencer à réinvestir dans ces établissements qui contribuent directement à la croissance économique à long terme, et nous croyons que nos universités sont primordiales à cet égard.
J'examinerai successivement trois domaines. Le premier est celui du financement des programmes établis. Il ne fait aucun doute que le gouvernement a effectué des compressions importantes dans ces programmes. Vous comprendrez que les professeurs ontariens aient accueilli avec consternation la suppression de toute référence à l'enseignement postsecondaire lorsqu'on a mis sur pied le nouveau transfert unique. À la suite des changements et des coupures imposés à ces programmes, les universités ontariennes vont perdre 237 millions de dollars en 1997-1998, soit 13 p. 100 de nos subventions principales pour cette année.
Le gouvernement de l'Ontario voulait également réduire son déficit; par conséquent, les subventions destinées à nos établissements ont été réduites de 16 p. 100 pour la seule année 1996-1997. Nous essayons d'absorber ces coupures en rationalisant, en réduisant les salaires et en reportant les coûts de l'entretien.
En fait, les universités ontariennes ont été traitées de façon différente, car, dans une année où le financement total et les subventions principales ont été réduits de 16 p. 100, les compressions des dépenses provinciales ne représentaient que 5 p. 100 et ce, dans une période où nos effectifs augmentent substantiellement.
Actuellement, l'Ontario est en dernière position au pays. Nous sommes 10e sur 10 provinces, et nous essayons de faire face à ces coupures dans une période où nous perdons du terrain par rapport à d'autres pays, surtout les États-Unis, où le financement des universités a augmenté substantiellement au cours des dernières années. En effet, en 1993-1994 et 1994-1995, les subventions de l'Ontario ont diminué de 2 p. 100 tandis que celles des États américains à leurs établissements publics ont augmenté de 8 p. 100.
Le rapport du Comité consultatif sur l'orientation future de l'enseignement postsecondaire, publié en décembre 1996, a contribué à décrier le sous-financement chronique de l'enseignement postsecondaire en Ontario.
Nous avons été incapables de maintenir la qualité de l'enseignement postsecondaire dans cette province précisément parce que nous avons subi des coupures très importantes. Le comité a dit:
[...] que la haute qualité du système postsecondaire ne peut être maintenue dans le contexte financier actuel... L'Ontario doit accepter le principe selon lequel le total des ressources mises à la disposition de nos collèges et universités doit correspondre au total des ressources mises à la disposition des collèges et universités des autres pays d'Amérique du Nord.
Nous croyons qu'il faut rétablir le volet enseignement postsecondaire de l'ancien régime de financement des programmes établis, et que cela doit constituer le premier pas vers la réalisation de cet objectif du financement moyen au Canada.
Le deuxième domaine de préoccupation est celui du financement de la recherche. À ce niveau, il y a deux problèmes. L'Ontario a perdu sa part des subventions émanant des conseils fédéraux. Notre part est passée de 42 p. 100 il y a 10 ans à 36 p. 100 seulement aujourd'hui. Depuis 1993, l'Ontario a perdu 41,3 millions de dollars en ce qui concerne le financement de la recherche. Il y a trois problèmes connexes.
Le premier concerne une réduction de 20 p. 100 du financement global des trois conseils fédéraux. Le deuxième réside dans le fait que les conseils subventionnaires fédéraux n'assurent que les coûts directs de la recherche. Troisièmement, les responsabilités fédérales et provinciales dans le domaine de la recherche sont imprécises et souvent mal coordonnées.
Le premier problème est évident. Le budget fédéral de 1995 prévoyait réduire de 20 p. 100 l'aide accordée par le biais des conseils subventionnaires fédéraux d'ici à la fin du siècle. En termes réels, la réduction a été plus accentuée à cause de l'inflation et de l'augmentation des coûts de l'infrastructure et de l'équipement.
Le deuxième problème concerne les coûts de l'infrastructure. Au cours des années 80, il était convenu que l'Ontario assumerait près de 40 p. 100 du coût total des subventions de recherche attribuées par le gouvernement fédéral par le biais des coûts indirects ou des coûts d'infrastructure. En 1986, on a décidé de créer une enveloppe des frais généraux relatifs à l'infrastructure de recherche dans le système de financement ontarien. À l'époque, il était entendu que ce ne serait qu'une façon marginale de régler le problème. L'enveloppe contenait alors 25 millions de dollars, mais cela ne représentait que 15 p. 100 des coûts réels de la recherche.
L'argument du gouvernement fédéral selon lequel il contribuait aux coûts indirects de la recherche par le biais des transferts au titre du financement des programmes établis ne tient plus. En fait, la décision fédérale de supprimer le transfert à l'enseignement postsecondaire a exacerbé le problème de l'insuffisance de l'infrastructure de recherche. Nous croyons qu'il faut remédier à la situation.
Le troisième problème qui nous préoccupe est celui des frais de scolarité et de l'accessibilité. En juillet 1996, lorsque le ministre de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario a nommé le comité consultatif, la province prévoyait une augmentation de 10,6 p. 100 des effectifs universitaires au cours de la prochaine décennie. Le problème est que, en termes réels, les frais de scolarité se sont accrus de 58 p. 100 depuis 10 ans. Nous croyons que cette augmentation commence à avoir un effet dissuasif sur les inscriptions à l'université.
L'Union des associations des professeurs des universités de l'Ontario part du principe selon lequel l'accès à l'enseignement postsecondaire est un droit du citoyen qui doit être protégé. En fait, on est en train de créer des obstacles à l'accessibilité au moment même où les demandes d'admission aux universités et l'accès à l'université augmentent considérablement, de même que les besoins de l'économie en ce qui concerne les diplômés. Nous pensons qu'il s'agit là d'une mauvaise politique publique.
D'après certaines études, les inscriptions diminuent, et ce, en dépit du besoin clairement reconnu. Il y a une diminution des inscriptions dans certaines universités ontariennes, surtout dans celles qui avaient une proportion relativement élevée d'étudiants venant de l'extérieur de leur zone de recrutement, où l'augmentation des coûts est un facteur important. Les demandes d'admission pour l'année 1997-1998 ont fléchi de 2,5 p. 100 en Ontario. En fait, certaines universités du Nord de la province font face à des réductions atteignant 20 p. 100. Nous croyons que cette situation est due à l'escalade des frais de scolarité, et nous croyons que c'est foncièrement de la mauvaise politique publique que d'ériger des obstacles à l'accessibilité lorsque la demande et les besoins augmentent.
Dans ce contexte, nous appuyons les recommandations de l'Association canadienne des professeurs d'université, qui a comparu devant vous en janvier, visant à réformer les programmes d'aide aux étudiants. Les changements apportés récemment constituent un premier pas dans cette direction, surtout les changements prolongeant de 18 à 30 mois la période au cours de laquelle le gouvernement fédéral paie les frais d'intérêt sur les prêts aux étudiants et l'extension des crédits de scolarité aux frais auxiliaires. Cependant, il ne s'agit là que de mesures préliminaires qui risquent déjà d'être dépassées par cette augmentation fulgurante des besoins.
Le gouvernement fédéral devrait investir dans le développement du capital humain du Canada en recommençant à subventionner pleinement nos universités et les conseils subventionnaires et en transformant de fond en comble l'aide aux étudiants. Si le gouvernement fédéral veut que sa politique permette de repositionner le Canada au centre de l'économie, du savoir à l'échelle mondiale, il faut que le réinvestissement dans les universités soit la pierre angulaire de cette stratégie. Nous encourageons le Sénat du Canada à jouer un rôle de premier plan dans l'élaboration d'une vision pour le Canada qui se fonde sur un système d'éducation postsecondaire accessible et compétitif à l'échelle internationale.
Le sénateur DeWare: Merci de votre exposé. Certains de vos propos sont, bien sûr, une répétition de ce que nous avons déjà entendu.
Regardons la situation sous un autre angle: combien de temps faudrait-il aux universités canadiennes pour revenir au niveau d'excellence vers lequel tendaient leurs efforts? Il semble maintenant que certains fonds seront débloqués d'ici un an ou deux. Combien de temps vous faudrait-il?
M. Piva: Il m'est difficile de répondre, car il s'agit de savoir évidemment combien d'argent sera débloqué. Nous pourrions y parvenir assez rapidement si nous nous efforçons, comme le recommandait l'Association canadienne des professeurs d'université de rétablir les niveaux de financement des programmes établis de 1993, pour ce qui est de l'éducation postsecondaire. Si l'Ontario voulait redébloquer des fonds rapidement pour qu'ils allègent à nouveau le niveau de 1995, cela pourrait se faire assez rapidement.
Mais je poserai la question différemment. En Ontario, l'excellence dans l'enseignement postsecondaire est actuellement menacée, et sommes-nous vraiment prêts à bouger avant de causer des torts graves au système? À mon point de vue, certains se sont déjà produit. Il faut donc se demander si nous pouvons bouger et à quelle vitesse?
Le sénateur DeWare: Combien de temps pouvez-vous demeurer au niveau actuel sans que cela vous cause du tort?
M. Piva: Si nous demeurons à ce niveau-ci, la situation continuera à se détériorer lentement, et c'est pourquoi il faut agir pour renverser la vapeur. Il m'est difficile de dire ce qui arrivera au-delà de ce qui se passe actuellement.
Par exemple, nous ne pouvons continuer à augmenter le nombre d'élèves par classe comme nous l'avons fait jusqu'à maintenant sans que cela ait un effet néfaste sur la qualité de l'enseignement.
Nous ne pouvons continuer encore longtemps avant de nous demander comment nous allons renouveler le corps professoral. Nous avons déjà perdu mille postes en Ontario à cause des compressions de 16 p. 100. Les postes vacants n'ont toujours pas été comblés, au fur et à mesure que nos professeurs prenaient des retraites anticipées et quittaient le corps enseignant. On ne peut laisser encore longtemps ces postes vacants sans nuire sérieusement aux programmes de cours. La compression des effectifs de nos institutions a déjà réduit certains de nos programmes d'enseignement à un strict minimum qui risque de compromettre leur viabilité.
Le sénateur DeWare: Vous avez parlé d'une augmentation du nombre d'étudiants par classe. C'est parce que vous avez moins de professeurs.
M. Piva: Les deux phénomènes sont conjugués.
Le sénateur DeWare: Pourtant, d'après les données démographiques, les baby-boomers du Canada ont déjà quitté le système d'éducation. Alors pourquoi cette augmentation? Il devrait y avoir une diminution du nombre d'étudiants, n'est-ce pas?
M. Piva: Non. Deux variables entrent en jeu: d'abord, les chiffres démographiques; puis, et plus important encore, le besoin que ressentent les Canadiens de poursuivre leurs études postsecondaires.
Regardez l'évolution du marché du travail et la création d'une économie fondée sur le savoir et il saute aux yeux qu'une proportion massive des nouveaux emplois créés dans l'économie ontarienne depuis 10 ans, exigent une instruction postsecondaire, et cette tendance s'accélérera. Or, si les Canadiens veulent avoir accès au type d'économie que nous souhaitons favoriser au pays, ils doivent avoir accès à cette instruction postsecondaire. Il y a donc un nombre croissant d'étudiants à ce niveau-là, ce qui explique qu'il ne s'agit pas uniquement d'une question démographique, mais aussi d'un taux accru de participation.
Au cours de la dernière décennie, nous avons pu faire face à cette participation accrue en augmentant de moitié la taille de nos classes, mais les augmentations très senties des dernières années représentent une accélération d'une tendance qui existe déjà depuis 15 ans environ. Le ratio entre les postes de professeur à temps plein et les étudiants à équivalent temps plein, est passé d'environ 13 à 1 dans les universités ontariennes au début des années 80, à 18 à 1, et ce ratio a été établi avant que l'on puisse ressentir les conséquences des compressions financières en 1996-1997. En effet, avant même que les dernières compressions ne soient annoncées, nous avions déjà augmenté de 50 p. 100 la taille de nos classes. C'est donc un phénomène qui n'est pas uniquement dû à des facteurs démographiques mais surtout à la nécessité absolue et aux besoins du marché du travail.
Le sénateur DeWare: C'est dû au rattrapage et au recyclage. De nos jours, le savoir est l'investissement de toute une vie.
Le sénateur Forest: Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut obtenir des ressources supplémentaires du gouvernement fédéral. De plus, des gens nous ont dit un peu partout au Canada que le gouvernement fédéral devrait faire sentir plus nettement sa présence sur la scène nationale dans le domaine de l'enseignement postsecondaire. Nous n'avons pas trop insisté sur cette question, étant donné que l'enseignement relève des provinces. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'opportunité, exprimée par plusieurs, d'établir des lignes directrices nationales, de même qu'une accréditation et une mobilité accrue à l'échelle du Canada. Tout cela exigerait que le gouvernement fédéral travaille de concert avec le Conseil des ministres provinciaux, mais qu'il assume également un rôle de chef de file. Qu'en dites-vous?
M. Piva: En tant que président de l'Union des associations des professeurs des universités de l'Ontario, je dois dire que nous n'avons pas adopté de politique à ce sujet; par conséquent, je ne puis me prononcer.
Aux termes de la Confédération, l'enseignement postsecondaire est une compétence provinciale. Nous ne nous sommes donc pas prononcés sur une éventuelle modification constitutionnelle de ce champ de compétence. Toutefois, cela dit, le rôle du gouvernement fédéral nous semble critique en ce qui concerne le transfert de fonds en vue de subventions d'exploitation, particulièrement dans le domaine de la recherche. À notre avis, il n'y a jamais eu de problème de compétence là-dessus, et il nous est toujours apparu clair que le gouvernement fédéral devait être le chef de file dans le subventionnement de la recherche.
À notre avis, nous croyons que le véritable problème vient de ce que le gouvernement fédéral s'est retiré des trois secteurs que nous avons toujours cru essentiels au maintien de notre système d'éducation. Tout d'abord, il a éliminé la composante postsecondaire du financement des programmes établis, puis il a réduit son aide au financement de la recherche en diminuant de 20 p. 100 les fonds qu'il allouait aux trois conseils subventionnaires fédéraux. Ce sont des décisions critiques.
Nous accueillons avec plaisir les nouvelles initiatives budgétaires telle la création de la Fondation canadienne pour l'innovation, qui sera dotée d'un capital de 800 millions de dollars, mais il s'agit simplement d'une étape en vue de corriger le problème. La véritable solution, ce serait que le gouvernement fédéral revienne à l'engagement dont il s'acquittait il y a à peine une décennie.
Le sénateur Forest: Je suis d'accord avec vous. Mais si le gouvernement fédéral doit véritablement réinvestir dans ce domaine, on pourrait souhaiter que les provinces fassent preuve de plus de coordination en matière de mobilité et de principes, comme par exemple dans le domaine de la santé.
M. Piva: Le Conseil consultatif sur l'avenir de l'enseignement postsecondaire a publié son rapport en dernier. Il a recommandé notamment aux provinces d'élaborer une politique de recherche. Il signalait également que les fonds de recherche versés aux universités provenaient de plusieurs sources, et pas uniquement du ministère de l'Éducation et de la formation. En fait, certains des fonds de recherche proviennent d'autres ministères.
Le gouvernement a ensuite embauché David Smith pour lui demander d'approfondir la question. Lorsque nous avons rencontré M. Smith, la première chose que nous lui avons demandée, c'était à quel point il était nécessaire de coordonner la politique fédérale et la politique provinciale en matière de recherche. Nous lui avons également signalé plusieurs initiatives fédérales, notamment, que la Fédération des humanités et des sciences sociales avait proposé au Comité des finances de la Chambre des communes, en février dernier, une recherche intersectorielle, dite carrefour. Si l'on souhaite vraiment que la stratégie en matière de recherche soit viable à l'échelle provinciale, il faut qu'elle soit coordonnée avec les initiatives de ce genre-là. Toute coordination serait accueillie avec plaisir. Elle nous semble nécessaire, particulièrement dans le secteur de la recherche, ce qui ne veut pas dire non plus, que cette coordination ne soit pas nécessaire ailleurs également.
Jusqu'à maintenant, nous avons fait des progrès considérables en matière de transfert des crédits d'un établissement à l'autre. Il faudrait en faire encore plus. Nous avons concentré nos efforts au niveau provincial, mais il faut assurer une coordination nationale par le truchement de l'Association des universités et des collèges du Canada et l'Association canadienne des professeurs d'université. Les initiatives de coordination seraient les bienvenues à bien des égards.
Le sénateur Forest: David Smith doit comparaître plus tard cet après-midi. Merci beaucoup.
Le président: Je remercie nos témoins de leur excellent exposé et de leurs observations. Nous tiendrons compte de vos opinions.
Mesdames et messieurs, nous accueillons maintenant l'Association des collèges d'art appliqué et de la technologie de l'Ontario.
Mme Lynda Davenport, présidente, Conseil des gouverneurs, Association des collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario: Monsieur le président, je n'ai préparé aucun mémoire, car je suis venu pour dialoguer.
Je travaille bénévolement comme administratrice d'un collège depuis cinq ans. Nous représentons plus de 400 gouverneurs de collèges, qui sont tous bénévoles. De plus, nous recrutons 10 000 bénévoles dans la collectivité pour siéger à nos comités consultatifs, et c'est cet apport de la collectivité qui nous distingue, nous les collèges, des autres institutions d'enseignement de la collectivité.
Nous existons depuis 30 ans et nous regroupons 25 collèges. Vous trouverez tout cela dans la brochure qui vous a été distribuée, mais brièvement, nous offrons nos programmes à 136 000 étudiants à temps plein des collèges communautaires ontariens et à 700 000 étudiants à temps partiel.
En ma qualité de gouverneur, j'aimerais vous parler de l'évolution du profil de nos étudiants. Je crois qu'il faut saisir l'occasion, dans le cadre d'une réflexion sur ce que nous appelions naguère l'enseignement postsecondaire, de revoir la façon dont nous voulons atteindre notre auditoire cible aujourd'hui et demain.
Les étudiants n'ont plus le même âge que naguère. À chaque remise des diplômes, je vois des cheveux plus grisonnants, et je ne parle pas uniquement des miens, mais aussi de ceux à qui on remet les diplômes. L'étudiant moyen a aujourd'hui 26 ans.
Plus de 60 p. 100 des étudiants inscrits dans nos collèges ne viennent pas directement des écoles secondaires: ils arrivent du marché du travail, ont élevé une famille ou étaient à l'université. Les étudiants qui sont venus vous en ont parlé aujourd'hui. On dit que de 10 à 25 p. 100 des étudiants qui fréquentent aujourd'hui nos collèges sont des diplômés universitaires.
Il faut comprendre l'importance de la notion de l'apprentissage continu, et nous croyons que les collèges, en tant que centres de formation de carrière et d'acquisition des compétences, sont le tremplin qui permettra aux Canadiens de se trouver un emploi.
Les collèges ont fait preuve d'une grande souplesse, d'innovation dans leur programmation et dans exécution des programmes, et il leur faudra aller encore plus loin. Il se dégage de nos collèges une atmosphère accueillante qui permet aux étudiants qui retournent sur les bancs d'école de se sentir à l'aise et de réussir.
En 1995, dans les six mois suivant la réception de leur diplôme, plus de 80 p. 100 de nos diplômés ont trouvé de l'emploi. Mais le monde de l'emploi évolue. Il ne s'agit pas nécessairement d'emplois à temps plein, mais c'est au moins du travail.
Il faut aussi relever un autre défi: il faut fournir un enseignement qui soit transférable. Il faut former des partenariats entre les collèges et les universités pour faire en sorte que l'étudiant, celui qui apprend, ait accès aux connaissances nécessaires pour se trouver une carrière qui leur permettra de devenir des citoyens responsables.
Nos collèges font maintenant une évaluation préalable du savoir des étudiants, afin de permettre à ceux-ci d'obtenir les crédits équivalents à leurs années de travail ou années passées à la maison de même que les crédits correspondant à leur niveau d'études. Nous espérons que toutes les maisons d'enseignement feront de même.
La notion d'aide aux étudiants prend un sens différent lorsqu'on voit qui sont nos étudiants et d'où ils nous viennent. L'avenir est au retour aux études. L'éducation permanente n'est plus un choix, mais une nécessité si l'on veut maintenir sa capacité d'être employé. Par conséquent, l'accès à des fonds et l'aide financière pour les étudiants, au fur et à mesure qu'ils retournent aux études pour une formation de rattrapage ou pour se perfectionner professionnellement, doivent donc désormais faire partie de la stratégie d'aide aux étudiants.
Nous espérons que le gouvernement fédéral utilisera judicieusement les installations collégiales d'enseignement et de formation lorsqu'il sera question de recycler ses propres employés ou de leur donner une formation de rattrapage. Vous verrez, à nous voir fonctionner, que nous sommes un véritable partenariat: je me suis occupée de l'introduction, mais mes collègues prendront la relève.
Mme Joan Homer, directrice exécutive, Association des collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario: Bonjour. Je suis à l'emploi des collèges ontariens depuis 18 ans. Je sais que vous avez parcouru le Canada, mais nous nous occuperons particulièrement des collèges ontariens, puisque nos propos auront trait aux 180 établissements et collèges de l'Ontario.
Je voudrais vous parler aujourd'hui des partenariats, puisque cela représente un des points forts des collèges. Vous avez demandé plus tôt à certains témoins quelles étaient les solutions auxquelles devrait avoir recours le Canada pour relever le défi qui se pose dans son enseignement postsecondaire et dans la formation de sa population.
L'une de ces solutions, à nos yeux, c'est de former des partenariats stratégiques. Nous y croyons fermement puisque nous avons formé des partenariats avec des institutions d'enseignement, des entreprises, des gouvernements et nos propres collectivités. Nos collèges sont communautaires et répartis partout en Ontario. Chacun de nos collèges peut vous prouver à quel point il a profité de partenariats formés avec l'entreprise. Ces partenariats sont précieux pour les entreprises car ils permettent de former dans la localité une main-d'oeuvre destinée à cette entreprise, ce qui permet de maintenir des emplois et d'assurer l'aptitude à l'emploi. Les partenariats sont également précieux pour les établissements d'enseignement, puisqu'ils permettent au corps professoral de s'initier aux dernières innovations et de passer quelque temps dans l'industrie. Enfin, les partenariats sont très précieux pour les étudiants, puisqu'ils savent que l'enseignement qui leur sera dispensé tiendra compte des dernières techniques et qu'on leur enseigne les compétences de pointe.
Enfin, la collectivité en profite elle aussi puisqu'elle peut fleurir grâce à ce partenariat. Voilà ce qui en fait la force.
Nous pouvons vous donner certains exemples dont ont déjà parlé les journaux. D'abord, Bell Canada participe avec nombre de nos collèges à un programme de communications créatives, de télé-enseignement et de technologie de l'éducation. Vous avez probablement appris que le Collège Sheridan a formé un partenariat avec la société Disney. Ce sont là des occasions en or pour nos étudiants d'être associés à des entreprises mondiales et à la fine pointe de la technologie. Autre exemple, celui du partenariat sectoriel formé avec l'industrie de sidérurgie.
Nous avons acquis une telle expertise, si je puis me vanter, que nous avons formé des partenariats avec 64 pays, en vue d'exporter notre enseignement et nos talents en matière de formation et en vue d'aider ces pays à bâtir leur propre réseau de collèges communautaires. La Hongrie en est un exemple parfait.
Mais que faire maintenant? Nous avons besoin de quelque temps pour transformer nos collèges et les aider à trouver de nouvelles sources de revenus, eux qui dépendent tellement des fonds provinciaux. Nous y parvenons notamment par le truchement de partenariat de collaboration. Nous demandons à notre gouvernement de nous donner le temps voulu pour procéder à cette transformation et de nous y aider. Nous demandons également au gouvernement fédéral de faire preuve de compréhension à notre égard.
Ne serait-ce que parce vous nous avez invités aujourd'hui, vous reconnaissez le rôle que jouent nos collèges d'enseignement postsecondaire et pour l'avenir d'une économie plus forte au Canada. Nous serions ravis de répondre à un plus grand nombre d'invitations de ce genre. Les collèges peuvent jouer un rôle de premier plan comme nous l'avons fait. Il nous semble très important de pouvoir démontrer le rôle que nous jouons. En nous invitant à ces audiences et à comparaître à des comités spéciaux et en nous invitant à participer aux voyages de Team Canada, vous nous donnez l'occasion de prouver comment nous pouvons adopter des modèles de partenariat. L'avenir du Canada dépend de cette collaboration et de cette coopération, et nous sommes ravis de pouvoir vous le confirmer aujourd'hui.
M. Brian Desbiens, président, Collège Sir Sanford Fleming; président, Conseil des présidents, Association des collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario; président, Réseau national des présidents: Bonjour. Je suis ici en tant qu'éducateur. Dans le peu de temps qui m'est alloué, je veux soulever une question fondamentale dans le contexte de l'enseignement postsecondaire, à savoir comment offrir de l'espoir dans leur avenir à la majorité des citoyens canadiens?
L'enseignement postsecondaire n'est qu'une façon de relever ce défi, et nous croyons que nos collèges et nos universités ontariens y ont contribué.
J'ai également eu l'occasion de siéger au Conseil consultatif national des sciences et de la technologie du premier ministre, et je vous en parlerai plus tard, puisque mon exposé découle notamment de cette collaboration.
Il est évident que nous voulons créer de la richesse au Canada. C'est la seule façon d'atteindre notre niveau de vie souhaité. Or, créer de la richesse dépend de notre compétitivité économique, et celle-ci dépend à son tour de deux éléments de base. Le premier, c'est l'acquisition de connaissances et le transfert de technologie de façon significative à l'industrie et aux entreprises, mais particulièrement aux ressources humaines du Canada.
Le second, c'est le développement de nos ressources humaines. J'aimerais m'y arrêter un moment, car je crois qu'il touche à un grand problème social que le comité sénatorial abordera, espérons-le. Ce problème, d'après moi, c'est la répartition du travail. Nombres qui travaillent actuellement à plein temps sont énormément stressés et surchargés de travail. Les statistiques démontrent que les Canadiens actuellement employés travaillent plus fort, pendant de plus longues heures et font face à des défis difficiles. Par ailleurs, le revers de la médaille nous montre qu'il y a tous les autres laissés-pour-compte incapables de se trouver un emploi valorisant.
J'ai eu une discussion très intéressante avec le sénateur Forest au sujet de son fils et du mien. Il s'agit de deux jeunes gens brillants et compétents qui sont néanmoins incapables de se tailler une place sur le marché du travail. Il semble y avoir incompatibilité entre les compétences qu'exige la nouvelle société de l'information et l'aide nécessaire pour fournir l'enseignement, la formation et des occasions d'emploi.
Il faut attaquer le problème de la répartition du travail sous plusieurs angles. D'abord, il nous faut faire changer notre mentalité et considérer désormais l'enseignement postsecondaire comme un investissement et non pas comme une réduction des coûts. Ayant travaillé pour le gouvernement fédéral, je sais que la préoccupation essentielle ces dernières années, c'était de pouvoir optimiser les investissements déjà faits. On a l'impression que l'investissement était justifié, mai ne nous rapportait pas.
Il faut au contraire regarder la situation sous l'angle inverse et se demander comment investir pour accroître la capacité de nos ressources humaines et de nos établissements d'enseignement, mais d'une façon stratégique qui mise sur les résultats, dans la mesure où nous en voulons vraiment.
Je crois par conséquent que le gouvernement fédéral a pour rôle de fixer des objectifs. L'une des consultations effectuées par le Conseil consultatif national portait sur l'établissement d'objectifs nationaux. Or, le gouvernement fédéral a refusé d'assumer ce rôle.
Prenons par exemple l'analphabétisme. Il est tout à fait honteux de constater que le Canada ait toujours des problèmes d'analphabétisme. Et pourtant, aucun objectif national n'a encore été fixé pour lutter contre l'analphabétisme. Le secteur de l'enseignement postsecondaire pâtit par suite des problèmes de rattrapage et du nombre de Canadiens qui reprennent leurs études. Il est absolument essentiel pour les ressources humaines du Canada d'établir des objectifs.
En second lieu, le Conference Board a fixé les compétences qui seront nécessaires pour le XXIe siècle.
Cependant, il va falloir les revaloriser. Nous avons besoin d'aide pour bien cerner les compétences nécessaires au travail. Il faut donc les revaloriser en tenant compte de l'évolution de notre société en cette ère d'information. Le Conference Board n'avait pas fixé parmi ses objectifs la culture informatique, et pourtant tous les programmes et tous les emplois, même chez nous, exigent que l'on sache un minimum de connaissances en informatique. Songez-y.
Je vous recommanderais une chose, c'est d'organiser un sommet national sur le travail, qui ressemblerait aux sommets sur l'économie et sur la Constitution qui ont déjà été organisés. Les solutions d'hier ne correspondent plus à cette nouvelle ère. Il faut rassembler sur une même tribune tous les intervenants, démographes, éducateurs et gouvernements. Ce n'est pas que vos audiences ne sont pas utiles, mais il nous faut une tribune et une structure qui nous permettent d'y réfléchir utilement. Il faut comprendre les facteurs démographiques si nous voulons viser des cibles stratégiques pour l'avenir.
Pour avoir siégé au Conseil consultatif national, je sais qu'il existe déjà beaucoup de recherche à laquelle pourrait avoir accès votre comité. J'ai moi-même présidé le Sous-comité du conseil consultatif sur les normes nationales. Nous avons discuté de la nécessité de tenir un forum national en vue de débattre de ces questions, et nous avions recommandé que le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada soit adapté et transformé pour pourvoir examiner les questions de R-D et l'établissement de normes nationales. Je répondrai volontiers à vos questions là-dessus, plus tard.
Le CCNST avait également recommandé la mise sur pied d'un programme de bourses, lequel a été institué brièvement. Si nous voulons jouer un rôle significatif en matière de science, de génie et de technologie, nous devons encourager les Canadiens à se lancer dans ces domaines. Nous devons encourager ceux qui ont perdu courage.
Je vous donne un exemple: 50 p. 100 des bourses ont été attribuées à des femmes parce qu'elles étaient sous-représentées en science et en technologie et en formation supérieure. Or, c'est dans ce secteur que se trouvent les emplois de demain. En retirant cet encouragement financier, nous avons retiré un incitatif. J'encourage le Sénat à rouvrir le dossier, car en coupant les vivres, nous avons découragé des groupes minoritaires qui profitaient du programme.
Plus de la moitié de nos étudiants universitaires diplômés en science et en génie sont des étudiants étrangers. Le CCNST avait recommandé que l'on se penche sur les politiques d'immigration. Le Canada souffre d'une pénurie de spécialistes et doit aller les chercher outre-mer. Il les forme ici même alors que nous devrions encourager plus de Canadiens à étudier jusqu'au niveau de la maîtrise et du doctorat, et les encourager à prendre part aux programmes collégiaux et aux programmes d'après diplôme menant à un emploi.
Il faut revoir notre notion sur l'investissement. On a d'ailleurs pu le constater lors de la dernière campagne électorale aux États-Unis, puisque le président Clinton a parlé des collèges et des universités à l'échelle nationale et d'investir dans l'avenir. Nous demandons au Sénat d'appuyer une notion de ce genre et de parler plutôt d'investissement au lieu de réduction des coûts.
M. Tom Evans, directeur, Bureau de formation de l'Ontario, Association des collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario: Mme Homer vous a parlé des partenariats auxquels participent nos collèges et Mme Davenport vous a tracé le profil de nos étudiants.
Le gouvernement fédéral a joué un rôle très stratégique dans le développement de l'enseignement pour les adultes et de la formation axée sur le marché du travail au Canada, et particulièrement en Ontario. Avant 1967, le gouvernement fédéral s'occupait surtout de financer les cours du soir dispensés dans les écoles secondaires pour adultes dont les emplois avaient été supprimés, même à cette époque. Depuis 1967, nos collèges ont formé un des partenariats sans doute les plus importants qui soient avec le gouvernement fédéral, dans le domaine de la formation axée sur le marché du travail.
Malheureusement, en 1988, le gouvernement fédéral, qui dépensait quelque 174 millions de dollars à l'achat direct de formation, a décidé de réduire son engagement. À compter du 1er avril 1998, le gouvernement fédéral n'achètera plus directement de la formation dans notre province. Ce virage impressionnant a nui grandement aux collèges et, dans une certaine mesure, à certains des conseils scolaires ontariens.
Nous comprenons les positions qu'ont adoptées les divers gouvernements au sujet de compétence en matière d'éducation en vertu de la Constitution, mais nous croyons que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer et doit investir dans la R-D et dans les ressources humaines, tout en obtempérant à certaines des recommandations du Conseil consultatif national sur la science et la technologie.
Bien que le gouvernement fédéral ait laissé entendre qu'il souhaitait remettre aux provinces et aux territoires la responsabilité en matière de formation d'emploi et d'entretien de l'infrastructure coûteuse qui l'étaye, nous croyons que le gouvernement fédéral devrait néanmoins continuer à subventionner ces deux secteurs.
Nous avons également l'impression qu'un grave problème de marché du travail est en train de se manifester partout au Canada. On en voit déjà les signes précurseurs en Ontario. Au cours des trois dernières semaines, les médias ont fait savoir qu'il existe au Canada plus de 80 000 emplois pour lesquels on ne semble pas trouver de Canadiens compétents... 50 000 en biotechnologie et 31 000 dans la programmation de logiciels. Or, le gouvernement fédéral a réagi en disant que des ressortissants étrangers compétents auraient reçu une offre d'emploi d'entreprises canadiennes, il serait disposé à modifier les règles en matière d'immigration pour permettre à ces gens d'arriver plus rapidement au Canada.
N'est-il pas décourageant de constater que le gouvernement réagit tout bêtement à un problème particulier en offrant une solution à court terme, alors que le problème aurait pu être évité s'il y avait eu une planification suffisante au départ dans la formation axée sur le marché du travail. La situation est encore plus décourageante si l'on regarde les statistiques du chômage... et je parle des chiffres réels tout autant que de ceux qui ont été communiqués.
Enfin, je recommande au gouvernement fédéral d'examiner son rôle en matière d'enseignement et de formation grâce à des consultations nationales faisant appel à ceux qui dispensent l'enseignement et la formation dans les provinces et les territoires et dans le secteur privé.
M. Desbiens: On m'a demandé de présenter, de la part du groupe de témoins, quelques recommandations concernant la mise en valeur du potentiel. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, la concurrence mondiale va amener des changements; c'est déjà le cas. Les collèges, eux aussi, doivent se préparer aux changements, c'est là une de nos priorités. Le vrai problème, toutefois, ce ne sont pas les collèges, c'est la nécessité de répondre aux besoins de ceux qui viennent vers nous. Nous avons vu augmenter considérablement le nombre des adultes qui s'adressent à nous et qui ont été arrachés à leur monde familier, soit qu'ils soient des laissés-pour-compte de l'économie en raison de mutations survenues dans divers secteurs, soit qu'ils soient sous-utilisés, incapables de se recaser dans l'économie et qu'ils aient donc besoin d'un recyclage important.
L'autre priorité que l'on ne saurait négliger, c'est le chômage des jeunes qui, à raison de 19 p. 100, ne constitue qu'une partie du problème, que nous devrions soumettre à une analyse beaucoup plus fine.
Au gouvernement fédéral nous voudrions proposer trois rôles à jouer, ainsi que certaines mesures spécifiques. Tout d'abord nous pensons qu'il incombe au gouvernement fédéral d'abattre les barrières qui entravent l'accès à l'éducation, tant dans le pays que dans notre province. Le principal problème est d'ordre financier: nous recommandons les prêts remboursables en fonction du revenu, mais nous voudrions mettre le Sénat en garde: la nature socio-économique des étudiants de nos collèges est telle qu'elle nécessite un programme unique tenant compte des antécédents des étudiants ainsi que de l'orientation qu'ils veulent prendre. Mal conçu, un programme de prêts lié au revenu risque de décourager la participation. Nous recommandons un programme financier qui aidera les étudiants à poursuivre leurs études, à réussir sans pour autant les accabler de dettes quand ils les auront terminées. J'en reviens là à ce que disait tout à l'heure Mme Hilliard. Il faut procéder à une analyse serrée de ce que les étudiants peuvent supporter comme dette. De toute évidence, ce ne sont pas les frais de scolarité qui sont le problème, c'est la conjugaison de toutes les circonstances d'une vie qui doivent être prises en considération.
Cette barrière une fois franchie, nous devons examiner la question de l'accès. Un grand nombre des programmes de recyclage financés par le gouvernement fédéral ont été soit diminués, soit même supprimés, ce qui a éliminé les chances d'accès. Nous voudrions vous demander d'envisager cette question parallèlement avec celle de la transférabilité.
Au Canada les cas de transférabilité sont rares. Malgré quelques nouvelles mesures, mentionnées tout à l'heure, de transférabilité entre collèges et entre collèges et universités, trop de barrières redoutables existent encore à la transférabilité dans notre pays; nous devons chercher à éliminer les obstacles qui empêchent les citoyens de passer d'un établissement d'enseignement à un autre.
Le second potentiel à développer, c'est celui des établissements. Comme le disait M. Evans, nous avons été durement touchés par la compression de notre budget. C'est comparable à la malnutrition chez les enfants. La subvention de transfert de base de 2 milliards pour la santé, le bien-être et l'enseignement postsecondaire, nous a durement frappés. En une seule année nous avons ainsi perdu 200 millions, sur une somme totale de 1,6 milliard de dollars. Nous n'avons pas de réserves, nous ne pouvons pas prélever des impôts, il a fallu trancher dans le vif. Nous avons dû licencier plus de 2 000 enseignants à plein temps, et probablement le double de postes à temps partiel. Nous demandons au Sénat de voir dans l'enseignement un investissement, et de ne pas tolérer que continue cette dégradation.
Outre la subvention de transfert, les collèges ont également subi des réductions considérables dans les achats directs faits par l'intermédiaire de vos Bureaux du développement des ressources humaines. C'est pour nous une perte déguisée, qui nous touche dans les programmes ciblés visant à aider ceux qui se trouvent dans les circonstances décrites par M. Evans. Nous vous demandons d'examiner cette question.
Il existe de nouveaux débouchés qui ne laissent pas d'être intéressants, et je vais en mentionner un. Dans une toute petite collectivité où notre collège collabore avec le ministère du Développement des ressources humaines Canada nous venons de conclure une entente de cogestion. Cette collectivité continue à avoir besoin de ressources pour s'attaquer à des problèmes de base, des problèmes locaux qui ne relèvent pas nécessairement de la situation dans le monde: c'est là un ciblage stratégique.
Nous avons besoin de développer notre potentiel non seulement pour ce qui est du nombre d'étudiants que nous pouvons admettre -- et ils sont plus nombreux que jamais en raison de la nature des emplois qui sont offerts -- mais nous devons également accroître notre équipement, nos installations et l'infrastructure. Quand le gouvernement songe à un projet d'infrastructure, ne vous limitez pas seulement aux autoroutes, pensez que la voie vers l'avenir, c'est l'éducation. Aidez-nous à trouver des moyens nouveaux, économiques et innovateurs pour le faire.
Pour la troisième question que je voudrais aborder concernant la mise en valeur du potentiel, il faut revenir sur la scène nationale. Nous comprenons, certes, les questions de compétence, et j'ai participé à ce débat au niveau fédéral, mais il nous faut une structure. Le CMEC semble être la meilleure structure dont nous puissions disposer; le gouvernement fédéral devrait y trouver sa place. Il faut qu'il se fasse entendre et mette au point une entente. Je vous encourage à vous affirmer en matière de planification des ressources humaines, c'est un besoin essentiel pour toutes les nations. Même si l'éducation relève des provinces cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement fédéral puisse renoncer à son droit et à ses responsabilités dans ce domaine.
Nous exhortons votre comité à nous appuyer et à vous faire une idée d'ensemble des besoins en ne vous contentant pas simplement de traiter de gouvernement à gouvernement, mais en consultant tous les participants, qu'il s'agisse des étudiants, des employeurs, des enseignants ou de nos chefs politiques. Établissons le forum national que nous avons mentionné, mettons en valeur notre potentiel à l'aide d'un programme de bourses qui épaule vraiment les étudiants au lieu de les décourager, et qui soit juste et équitable. Je parle d'un programme d'infrastructure qui nous aidera à mettre les étudiants sur les rails de l'avenir.
Nous voudrions également vous encourager à exploiter au mieux les compétences spécialisées de nos collèges, comme le disait Mme Homer. Malheureusement, après mon mandat au Conseil consultatif national des sciences et de la technologie, les gens qui ont été nommés ne provenaient pas des collèges. Je vous demande donc de songer, pour les nominations au conseil, organismes et autres, à faire appel au capital intellectuel de notre système national.
Nous vous demandons également d'appuyer le secteur privé non seulement dans les partenariats dont parlait tout à l'heure Mme Homer, mais en encourageant, par le biais du régime fiscal, les contributions philanthropiques. Le dernier budget a marqué un pas dans cette direction, mais il faut aller plus loin. Sans incitatifs réels, il n'y aura pas création d'emplois dans ces secteurs, malgré les questions qui font actuellement l'objet de négociations. Les incitatifs réels doivent être proposés en termes d'espèces sonnantes et trébuchantes. Des emplois seront créés, à mon avis, si vous diminuez les charges sociales qui constituent, actuellement, près de 20 p. 100 du coût d'un nouvel emploi. Avec ce moyen dont il dispose le gouvernement pourrait, dans le cadre d'un programme de stagiaire de deux ans, diminuer le coût des charges sociales et ouvrir des débouchés. Le gouvernement s'y essaye déjà en modèle réduit, mais il nous faut un plan plus ambitieux pour remettre les gens au travail.
Une meilleure planification du marché du travail s'impose, la théorie du laisser faire économique a fait long feu. Il en est question tous les jours dans les journaux. Ce qu'il nous faut, ce sont des investissements stratégiquement planifiés par notre gouvernement, en fonction des facteurs démographiques et des emplois susceptibles d'être créés, à l'avenir, dans notre pays.
Le président: Vos commentaires, d'un grand intérêt, vous ont donné matière à réflexion, et je vous en remercie.
Autrefois le Canada avait de nombreuses ressources qu'il vendait sous forme de matières premières plutôt que de produits finis. L'occasion nous est donnée maintenant de revigorer notre économie non avec des matières premières, mais avec l'éducation. Des pays étrangers seraient peut-être preneurs, en matière d'éducation; nous pourrions peut-être inviter leurs étudiants à venir faire leur apprentissage au Canada. L'éducation, au Canada, devrait nous ouvrir de nouvelles frontières.
J'ai visité Taïwan et j'ai pu constater que tous les membres du conseil des ministres avaient fait une thèse de doctorat dans l'une ou l'autre matière. L'éducation semble être l'assise même de l'économie de ce pays et il y a interaction entre le monde des affaires, les universités et les collèges. Depuis 30 ans, l'économie de Taïwan augmente de 10 p. 100 tous les ans; nous sommes tous fiers, nous, de 2 p. 100 de croissance. Nous devons trouver moyen, d'une façon ou de l'autre, de persuader le gouvernement, qu'il soit provincial, fédéral ou autre, que l'avenir de notre pays dépend de l'éducation. Si avec votre aide nous parvenons à inculquer cette notion à chaque Canadien, nous aurons fait un grand pas en avant.
Les provinces vont probablement nous accuser de nous mêler de ce qui les regarde, mais nous essayons de ne pas empiéter sur leur domaine de compétence, tout en nous efforçant de voir les choses sous l'angle du pays tout entier, en nous projetant dans l'avenir.
Le sénateur DeWare: Merci de cet excellent mémoire; nous lui accorderons certainement toute notre attention.
Dans nos discussions au cours de nos voyages, la question de la norme nationale est revenue à maintes reprises sur le tapis. Sans forum national, point de norme nationale, sur ce point vous avez tout à fait raison. À l'avenir -- si nous maintenons en action ce comité aussi longtemps que nous le jugeons nécessaire -- ce sera là l'une de nos principales recommandations. Pour cela nous devons nous assurer la participation des ministres de l'éducation, même si nous nous efforçons de ne pas empiéter sur la compétence des provinces. Quels que soient les programmes que nous recommandons, les ministres de l'éducation devront y participer, les provinces devront avoir leur mot à dire.
Il a été question de transférabilité et de normes nationales pour le Canada. À propos des collèges, je crains que le ministère du Développement des ressources humaines ne négocie avec les provinces un programme de formation: va-t-on y recommander au ministre provincial responsable de la formation d'utiliser les collèges? Ceux-ci relèvent-ils, en Ontario, d'un ministre en particulier?
M. Desbiens: Oui, nous relevons d'un ministre, à savoir le ministre de l'Éducation et de la Formation.
Depuis 10 années environ nous nous trouvons sous la coupe de ce qu'on appelle la «Reaganomie», où il était question de privatisation. On nous a assené la théorie de la dilution des pouvoirs d'État. En procédant ainsi, nous avons sapé les institutions du secteur public, nous avons mis des bâtons dans toutes sortes de rouages. Ce qu'il nous faut, ce sont des objectifs nationaux, une politique et une planification nationales, mais il nous faut également des ressources, au niveau local, pour trouver des solutions locales. Nous devons trouver un juste milieu.
Le sénateur DeWare: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Vous m'avez probablement entendu dire aux étudiants que l'Association des banquiers a comparu devant nous pour discuter de la façon de procéder avec les prêts aux étudiants et de résoudre le problème des dettes.
Les banques elles aussi, veulent avoir leur mot à dire et s'inquiètent que la formation soit aux mains des provinces, parce que les fonds leur ont été transférés. Les établissements de formation recevront-ils l'agrément de la province, ou du ministère de l'Éducation et, dans la négative, pourquoi pas? Pour obtenir un prêt les étudiants doivent avoir une recommandation de l'école spécifiant la durée du cours. Si l'établissement chargé d'assurer la formation disparaît au bout de 14 ou de 18 mois, qu'advient-il des étudiants? Les banquiers craignent que ne soient éphémères ce genre d'établissements de formation qui n'ont pas dû obtenir un agrément dans toutes les règles, et cette question me préoccupe également, comme elle devrait vous préoccuper, car elle doit avoir sur vous des répercussions considérables.
Comme vous, j'ai lu dans les journaux que le Canada avait 81 000 emplois vacants: je n'en croyais pas mes yeux. S'il y a tant d'offres d'emploi au Canada, pourquoi n'informons-nous pas les gens en conséquence? Il faut de l'argent, et il faut trouver les enseignants compétents pour le faire, mais c'est un problème qui peut être résolu. Pour occuper ces emplois il ne devrait pas être nécessaire de faire venir des gens de l'étranger.
Au Nouveau-Brunswick, à une certaine époque, il a été reconnu par les collèges que l'âge moyen du personnel d'entretien des avions était de 55 ans; nous avons vu là un vrai besoin, cette main-d'oeuvre vieillissante disparaîtrait dans 10 ans au maximum et laisserait un vide. La province avait pour responsabilité de combler ce vide.
Sans le secteur industriel nous ne nous en sortirons pas, et c'est pourquoi toutes les provinces vont devoir, de plus en plus, assumer un rôle dans un partenariat.
Votre mémoire est excellent, il vise juste, et je vous en félicite. Face à l'avenir vous avez une attitude constructive, ce que j'approuve. Le comité entend, par ses recommandations, faire tout ce qui est en pouvoir pour vous aider.
Le sénateur Forest: Moi aussi j'ai apprécié votre exposé. Nous nous sommes entretenus avec les représentants de collèges de tout le Canada, et nous avons été impressionnés parce qu'ils avaient à dire.
Moi aussi, je m'intéresse à la question des partenariats. Il y a encore un quart de siècle, les universités de notre province n'entretenaient pas de relations les unes avec les autres, et encore bien moins avec les collèges; quand ces derniers ont voulu se tailler leur place au soleil, les universités ont élevé des barrières autour d'elles. Les temps ont bien changé, et c'est réjouissant.
Il faut soigneusement tout peser en formulant les directives et les conditions de partenariats avec l'industrie, en particulier avec les universités où, dans certains cas, l'industrie a tendance, en matière de recherche, à vouloir tirer la couverture à soi. C'est là un motif d'inquiétude, je ne sais si le problème est le même pour vous. La recherche ne joue peut-être pas un si grand rôle dans les collèges et le problème, dans ce cas, ne se pose pas pour vous. Mais en matière de recherche celui qui signe le plus gros chèque est celui qui tient la barre. C'est un simple avertissement. Avez-vous connu ce problème?
Mme Homer: Il est important que les collèges aient des comités consultatifs pour chaque programme, auxquels siègent les représentants des sociétés qui embauchent les diplômés. Il y a 30 ans que nous travaillons avec le secteur industriel, mais je ne crois pas que nous connaissions, de sa part, la même mainmise que les universités. Nous sommes toutefois au courant de la situation de ces dernières, c'est une mise en garde sur la nécessité de sauvegarder la liberté du secteur de l'enseignement, mais le problème nous touche bien moins que nos collègues universitaires, parce que notre partenariat avec l'industrie remonte loin.
Le sénateur Forest: Avez-vous un code de déontologie ou des directives à cet égard?
Mme Homer: Nos comités consultatifs de programme travaillent en collaboration étroite, et sous l'oeil du public.
M. Desbiens: Je voudrais dissiper l'idée erronée d'après laquelle le secteur privé remplacerait ce que nous ne recevons plus en subventions d'exploitation. Nous avons conclu d'excellents partenariats avec lui, il nous aide à la mise en valeur de notre potentiel, en nous fournissant de l'équipement ou en donnant des débouchés à nos étudiants et à notre établissement, mais le secteur privé est loin de combler ce que nous ne recevons plus pour notre budget général. C'est ce qu'on a dit plus tôt, mais il est important d'insister là-dessus, à cause de la mise en garde que vous faites. Si l'industrie met la main à la pâte, ce sera pour prendre des décisions et nous, en tant qu'établissement public, devons veiller à ce que cela ne se produise pas. En outre, cela dépasse de beaucoup ses moyens. C'est pourquoi nous avons besoin du réinvestissement, en particulier si nous voulons avoir des centres de spécialisation exceptionnels ici, au Canada. Le partenariat peut nous le permettre, mais pas sans les investissements du gouvernement.
Le sénateur Forest: L'ensemble des paiements de transfert aux provinces a diminué, et nous connaissons la gravité du problème. Beaucoup ont proposé qu'il y ait une enveloppe séparée pour l'enseignement postsecondaire, mais une telle proposition va à l'encontre de l'idée de s'en remettre aux provinces, parce que ces dernières exigent plus de souplesse en matière de soins de santé et autres. Se pourrait-il que dans votre province, l'enseignement postsecondaire ne jouisse pas de la part de l'enveloppe qui lui est due?
M. Desbiens: Vous me posez là une question politiquement teintée.
Le sénateur Forest: Je n'aurais peut-être pas dû mentionner «votre province», mais le secteur de l'éducation a-t-il l'impression d'être lésé?
M. Desbiens: Absolument. Des décisions d'ordre politique ont été prises. Les dépenses en soins de santé se maintiendront, en Ontario, à 17 millions de dollars, alors que le budget de l'enseignement postsecondaire a été réduit de 15 p. 100. Le secteur de la santé subit des pressions phénoménales, et l'écart est grand entre ce qui est disponible et ce qui est nécessaire. Le budget est toutefois insuffisant, et n'est pas également réparti. Nous pensons que l'enseignement postsecondaire -- et en particulier les collèges -- ont subi, l'an dernier, de plein fouet le choc des compressions, plus encore que d'autres.
Nous avons l'impression d'une répartition qui n'est pas équitable; personnellement je suis en faveur du système de l'enveloppe, y compris pour la santé, parce que c'est là une question capitale.
Mme Davenport: L'autre problème de financement, c'est que les collèges -- c'est bien connu, sont considérés en Ontario comme les parents pauvres. Dans le secteur de l'éducation nous avons la réputation de tirer le meilleur parti possible de nos maigres ressources. Le recyclage professionnel nous paraît essentiel à l'emploi, à l'avenir, des résidents de l'Ontario, mais nous ne recevons pas la considération qui nous semble due pour avoir su tirer bon parti de ressources plutôt limitées. En tant qu'administrateur, et non employé rémunéré, je crois qu'il faudrait rendre hommage aux collèges pour ce qu'ils ont su accomplir.
Le sénateur Forest: Ils ont su s'adapter au changement un peu plus rapidement que les universités et ne sont pas paralysés par la permanence des postes.
Mme Davenport: En tant que gouverneur je constate le grignotement des fonds. Il y a les questions qui ne relèvent certainement pas du gouvernement fédéral, mais il faudra qu'il s'occupe des possibilités d'emploi et de la capacité de faire vivre une main-d'oeuvre employable, parce qu'il y a érosion insidieuse du système. C'est attristant, mais je crois que nous continuons à gérer les choses aussi sagement que possible.
Le sénateur Forest: Le fait que tant d'étudiants universitaires retournent au collège constitue le meilleur plaidoyer en votre faveur, en faveur de votre utilité et de votre valeur. Vous avez là un argument percutant.
Mme Davenport: L'autre problème, c'est le sort des étudiants postsecondaires. Sauront-ils poursuivre leurs études au collège où ils seront en concurrence avec des étudiants qui ont fait trois ou quatre ans d'études universitaires? Les collèges auront du mal à décider qui accepter.
Le président: Je voudrais remercier de leur excellent exposé les représentants de l'Association des collèges des arts appliqués et de technologie de l'Ontario.
Nous nous réservons le droit de prendre contact avec vous, le cas échéant, pour vous consulter sur vos recommandations.
La séance est levée.