Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 26 novembre 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, saisi du projet de loi S-5, Loi restreignant la fabrication, la vente, l'importation et l'étiquetage des produits du tabac, se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Bonjour, sénateurs. Nous sommes réunis ce matin pour examiner le projet de loi S-5, Loi restreignant la fabrication, la vente, l'importation et l'étiquetage des produits du tabac. Nous recevons ce matin M. Eric LeGresley, conseiller juridique de l'Association pour les droits des non-fumeurs.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à une délégation d'employés parlementaires d'Afrique du Sud qui se joint à nous ce matin.
Monsieur LeGresley, vous avez la parole.
M. Eric LeGresley, conseiller juridique, Association pour les droits des non-fumeurs: Quelle chance que la délégation sud-africaine soit présente aujourd'hui. Il s'y passe actuellement des choses très intéressantes en ce qui concerne le tabac. Le Dr Zuma fait de grands progrès.
Je voudrais vous remercier d'avoir invité l'Association pour les droits des non-fumeurs à comparaître aujourd'hui. Nous sommes ravis d'avoir l'occasion de vous parler du projet de loi S-5. Comme vous le verrez en lisant notre mémoire, nous appuyons le projet de loi S-5 parce que les principes qui le sous-tendent nous tiennent à coeur et surtout parce qu'il va au coeur du problème dans l'industrie du tabac. Ce projet de loi aborde justement le problème de la modification du produit, et non pas simplement les aspects secondaires entourant l'utilisation du tabac. Ce projet de loi traite non seulement de l'emballage et des personnes à qui l'on vend ce produit, mais aussi de la cigarette elle-même, ce qui est très important.
Nous appuyons aussi le projet de loi S-5 en raison de l'approche générale que prévoit cette mesure législative, c'est-à-dire une approche qui repose principalement sur la réglementation.
Il faut adopter une approche souple vis-à-vis de l'industrie du tabac, étant donné la nature de cette dernière. Cette industrie a un chiffre d'affaires annuel de 8 milliards de dollars; il s'agit donc d'une industrie extrêmement rentable. Relativement peu d'industries peuvent se vanter d'être aussi rentables que l'industrie du tabac. Mais sa rentabilité dépend de la création d'une dépendance dans une nouvelle génération d'enfants chaque décennie. Pour réaliser cet objectif, l'industrie doit absolument faire preuve d'innovation et éluder les initiatives législatives ainsi que les mesures de santé publique que nous voulons tous faire introduire.
Si nous nous lions les mains en adoptant des mesures qui nécessitent des modifications par le Parlement chaque fois que l'industrie cherche à s'esquiver, nous n'allons jamais rattraper l'industrie. Ce projet de loi est très important à cet égard, étant donné qu'il prévoit surtout un pouvoir de modification par voie réglementaire.
En 1967, le sénateur Robert Kennedy a dit ceci en parlant de l'industrie du tabac:
L'industrie que nous cherchons à réglementer est puissante et pleine de ressources. Chaque nouvelle tentative de réglementation donnera naissance à de nouveaux moyens d'évitement... Aussi devons-nous nous montrer à la hauteur, car les enjeux ne sont rien de moins que la vie et la santé de millions de gens à travers le monde.
Il avait tout à fait raison il y a une trentaine d'années. Par contre, nous avons eu tort de faire ce que nous avons fait dans l'intérim.
Comme je l'ai déjà dit, il nous faut réglementer la cigarette dans son intégralité, car sinon l'industrie s'efforcera de contourner les véritables intentions de la loi. Permettez-moi de vous donner un exemple qui concerne la publicité.
Je vous montre une publicité qui vient de France. Ce n'est pas une publicité pour les cigarettes. La France a interdit de telles publicités. Mais l'industrie a trouvé le moyen de contourner cette interdiction. Ceci est une publicité pour les briquets, ce qui est tout à fait légal en France.
L'industrie se montre donc très habile pour ce qui est d'éluder chaque tentative de réglementation qui la vise. Que cette réglementation concerne la publicité, l'emballage du produit ou les personnes à qui l'on peut vendre les produits du tabac, l'industrie va toujours s'efforcer d'éviter toute mesure de contrôle qui la vise en raison des maximiseurs rationnels de profits. L'enjeu financier est considérable.
Si nous nous intéressions uniquement au tabac, comme on pourrait le croire en lisant l'article 4 du projet de loi, nous négligerions certaines des intentions du projet de loi. Ce dernier vise essentiellement à mettre en place un système qui va nous permettre de contrôler la quantité de nicotine et de goudron transmise aux fumeurs. Cependant, quand je lis le texte de loi, ce dernier me semble peu clair; on ne sait pas s'il vise uniquement la nicotine qu'on retrouve dans le tabac ou la nicotine qui est présente dans la cigarette.
On peut faire tremper le tabac dans un peu d'eau chaude, en extraire la nicotine et ajouter cette nicotine à n'importe quelle partie de la cigarette. On peut l'ajouter au papier, au filtre ou, comme ils l'ont fait aux États-Unis dans les années 80, à un petit tube en métal qui passait au centre. Si nous nous contentons de contrôler la quantité de nicotine présente dans le tabac, nous permettons à l'industrie d'extraire la nicotine du tabac et de l'ajouter au papier ou au filtre. On retrouve déjà sur le marché des produits comportant une substance semblable à un filtre qui dégage de la nicotine quand le fumeur tire une bouffée.
L'industrie peut se conformer à l'exigence du projet de loi selon laquelle la teneur en nicotine doit être faible en extrayant la nicotine du tabac et en la réintroduisant dans le papier. Bien entendu, lorsque la cigarette brûle, la nicotine se dégage du papier, de même qu'elle se dégage du tabac. Ainsi la quantité de nicotine transmise au fumeur serait la même. Si l'intention est de réglementer cet élément-là, il nous faut élargir les dispositions pour qu'elles traitent de la cigarette dans son intégralité.
Il en va de même pour les additifs. Les additifs peuvent être extraits du tabac et introduits dans le papier ou le filtre. La logique est la même. Il faut donc à mon avis élargir la portée du projet de loi pour inclure toute la cigarette, y compris le filtre.
Il faut également s'assurer de prévoir dans ce projet de loi un cadre axé sur la permission. Autrement dit, au lieu de dire à l'industrie du tabac ce qu'elle ne peut pas faire, il faut lui dire ce qu'elle peut faire. Il s'agit en effet de lui dire: «Vous n'avez pas le droit de vendre des cigarettes. Malgré cette restriction, on vous permettra de vendre des cigarettes si les conditions suivantes sont remplies.» Leur capacité d'innover pour éviter de respecter la véritable intention de la loi est considérablement réduite si nous leur disons ce qu'ils peuvent faire, plutôt que ce qu'ils ne peuvent pas faire.
De même, la définition d'«additifs» dans ce projet de loi doit être élargie. D'abord, il faut parler des substances qui sont ajoutées à la cigarette, et pas seulement au tabac. Il nous faut aborder non seulement les additifs qui sont nuisibles en soi, mais aussi ceux qui ne sont pas nuisibles mais qui rendent la cigarette plus agréable à fumer et augmentent ainsi la consommation, avec la conséquence que le produit dans son ensemble nuit davantage à la santé du fumeur.
Comme l'affirme souvent un de mes collègues en parlant du massacre de Jonestown, ce n'est pas le Kool-aid qui a tué les victimes, il a simplement contribué à rendre l'ingestion du cyanure plus agréable. Il nous faut donc tenir compte de tous les additifs qui augmentent le caractère nuisible du produit, et pas seulement de ceux qui le font directement.
Enfin, quelques autres amendements mineurs seraient également souhaitables. La définition d'«additif» fait allusion aux agents chimiques. Elle ne mentionne aucunement les substances qui sont ajoutées à la cigarette par des procédés autres que des procédés chimiques mais qui la rendent plus nuisible; par exemple, on peut ajouter un élément physique à la cigarette, tel qu'un morceau de métal. Cela implique nécessairement des réactions chimiques. Mais nous savons également que les sociétés productrices du tabac font des trous dans le papier de la cigarette pour que les machines à fumer indiquent à tort des teneurs en goudron et en nicotine qui ne correspondent pas à la réalité. Il s'agit d'un procédé physique dans ce cas-là. À mon avis, le terme «additif» devrait englober toute intervention, qu'elle soit chimique ou physique, qui a pour effet d'augmenter le caractère nuisible de la cigarette.
Il convient également de s'interroger sur l'utilisation du terme «avertissement» aux articles 5 et 6. Ce projet de loi confère au ministre de très larges pouvoirs en ce qui concerne la possibilité de modifier le message qui figure sur les paquets de cigarettes. L'article 11 emploie le terme «renseignements» en parlant de ce message, alors que les articles 5 et 6 font référence à un «avertissement». J'aimerais qu'on enlève le mot «avertissement» afin que le pouvoir du ministre d'inscrire certains messages ou certains renseignements sur l'emballage ne se limite pas à ce qu'on pourrait considérer comme un «avertissement». On pourrait juger souhaitable d'inscrire des renseignements autres que des avertissements concernant le danger de la cigarette pour la santé sur les paquets de cigarettes.
On retrouve également dans le projet de loi l'expression «goudrons cancérigènes». Je propose que cette expression soit remplacée par le terme «goudron». Il existe un grand nombre de substances que nous désignons collectivement par le terme «goudron» dans les cigarettes. Si l'on parle de «goudrons cancérigènes», l'industrie fera valoir des arguments relativement à la valeur cancérigène de chaque substance visée par cette définition du goudron. La liste d'ingrédients qu'on retrouve actuellement sur les paquets de cigarettes ne précise que le goudron. Il est vrai que l'expression «goudrons cancérigènes» a une valeur instructive, mais si nous devons prouver que chacune de ces substances cause le cancer, nous allons nous voir entraînés dans un débat qui n'est pas vraiment nécessaire à mon avis.
Enfin, le projet de loi, tel que je l'interprète, indique que le fait de consommer du tabac en le fumant nuit à la santé du fumeur. Mais à mon avis nous devrions l'élargir pour préciser que le fait de mâcher du tabac peut également être préjudiciable à la santé.
Merci, madame la présidente. Voilà qui termine mon exposé liminaire.
Le sénateur Bosa: Vous avez dit que l'industrie du tabac est une industrie extrêmement profitable. Êtes-vous en mesure de nous indiquer le rendement du capital investi de cette dernière?
M. LeGresley: Je sais que pour certaines entreprises, le rendement du capital investi dépasse 100 p. 100. Mais je pourrais vous faire parvenir des chiffres précis.
Le sénateur Bosa: Puisque vous en avez parlé, je pensais que vous auriez les chiffres. Dans votre exposé, vous avez dit à un moment donné qu'il ne faut pas dire à l'industrie ce qu'elle devrait faire, mais plutôt lui demander ce qu'elle peut faire. Autrement dit, que peut-elle faire pour minimiser les effets nuisibles du tabac sur les fumeurs?
M. LeGresley: Je me suis peut-être mal exprimé. Je voulais dire que nous, l'État, devrions dire à l'industrie ce qu'elle peut faire, et pas ce qu'elle ne peut pas faire.
Par exemple, à l'heure actuelle, l'industrie a le droit de commercialiser son produit, sauf par des moyens qui lui sont interdits par l'État. Si on lui enlevait le droit de commercialiser son produit, et on lui donnait en échange la permission de le commercialiser, comme on le fait actuellement pour les produits pharmaceutiques, et comme le font les provinces pour les permis de conduire, à ce moment-là, on donnerait à l'industrie la permission de faire certaines choses. Le cadre de travail de l'industrie serait alors axé sur la permission. Elle ne pourrait rien faire que le Parlement ne l'a pas expressément autorisée à faire. Ainsi il lui serait beaucoup plus difficile de tourner la loi. Voilà ce que j'essayais de vous expliquer.
Le sénateur Bosa: Vous avez mentionné le ministre à plusieurs reprises. Vous savez, bien entendu, que ce projet de loi émane d'un sénateur. En fait, le parrain du projet de loi est le sénateur Haidasz qui est parmi nous ce matin. Je me demandais si vous l'aviez promu au poste de ministre.
M. LeGresley: Non, je parlais du ministre de la Santé.
Le sénateur Bosa: De combien de membres se compose l'Association pour les droits des non-fumeurs? Il y a plusieurs groupes de pression qui protestent contre les problèmes associés au tabagisme.
M. LeGresley: L'Association pour les droits des non-fumeurs existe depuis 24 ans. J'ignore le nombre de membres. N'importe qui peut en devenir membre et l'Association compte des membres dans toutes les régions du pays. Nos efforts nous ont valu des félicitations dans le monde entier, ainsi que la Médaille d'or de l'Organisation mondiale de la santé. Notre association constitue depuis longtemps un porte-parole important et responsable sur les questions liées au tabagisme au Canada et dans le monde.
Le sénateur Bosa: Et comment l'Association assure-t-elle son financement? Par exemple, je présume que vous êtes contre le tabagisme, mais je suis sûr qu'on vous paie vos dépenses de voyage et le temps que vous avez consacré à la préparation d'un mémoire aussi détaillé que celui-ci. Donc, comment l'Association assure-t-elle son financement?
M. LeGresley: Les dons de nos membres assurent une partie de notre financement. De plus, divers paliers de gouvernement nous versent des subventions. Une partie de nos fonds nous est attribuée en vertu de la stratégie en matière de production et de demande du tabac, mise en oeuvre à la suite de la réduction des taxes en février 1994. Donc, notre financement provient de plusieurs sources.
Le sénateur Bosa: Depuis 1964, année historique où le Surgeon General a fait état des méfaits du tabac, y a-t-il eu des progrès à votre avis?
M. LeGresley: Oui, absolument.
Le sénateur Bosa: Des progrès autres que la plus grande sensibilisation de la population aux conséquences du tabagisme?
M. LeGresley: Il est certain que les taux d'utilisation du tabac dans bon nombre de pays industrialisés occidentaux ont baissé de façon très importante. Le Canada avait le taux d'utilisation le plus élevé de tous les pays développés au milieu des années 80. Grâce à la diffusion de renseignements plus complets, par le biais d'avertissements sur les emballages, aux campagnes générales de sensibilisation du public et notamment à l'augmentation des taxes vers la fin des années 80 et le début des années 90, nous sommes passés du premier au treizième rang. La baisse du taux de tabagisme est beaucoup plus rapide au Canada qu'elle ne l'est aux États-Unis, par exemple, où les cigarettes sont toujours très peu chères.
Le sénateur Bosa: Votre organisme connaît-il d'autres groupes de pression semblables en Europe ou dans d'autres régions du monde?
M. LeGresley: Hier j'étais en contact avec le ministre de la Santé au Zimbabwe. Nous nous intéressons en permanence à toute question liée au tabagisme, et ce partout dans le monde. L'industrie est active sur les marchés mondiaux. Il n'y a que quatre ou cinq grandes compagnies. Il s'agit d'ailleurs d'immenses sociétés commerciales. Les branches canadiennes de ces sociétés ne représentent qu'une infime partie de leur empire. Elles sont présentes dans le monde entier, de sorte que nous, aussi, devons être présents dans le monde entier. Donc, pour répondre à votre question, oui, j'ai eu à traiter de questions de tabagisme dans plusieurs pays différents.
Le sénateur Bosa: Y a-t-il une région du monde qui compte un plus grand nombre de fumeurs que d'autres?
M. LeGresley: Il est certain que les taux de tabagisme en Europe de l'Est sont très élevés. Le tabagisme est également très répandu parmi les hommes en Chine. À l'heure actuelle, l'industrie concentre ses efforts sur l'Extrême-Orient et les pays qui se développent rapidement.
Le sénateur Bosa: Et en Turquie?
M. LeGresley: Je ne sais pas. Rob Cunningham pourrait peut-être vous répondre.
Le sénateur Bosa: Si j'ai parlé de la Turquie, c'est parce qu'en Italie, quand quelqu'un veut vous dire que vous fumez beaucoup, il vous dit: «Vous fumez comme un Turc.» Alors la question se pose: «Qui fume plus qu'un Turc?» Et la réponse, c'est «Deux Turcs». Alors je me demandais si les Turcs étaient connus pour leur abus du tabac.
M. LeGresley: Je ne peux pas vous répondre concernant la Turquie en particulier.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool: Dans les notes que nous avons reçues de la bibliothèque, je vois M. LeGresley que vous avez beaucoup travaillé à la publicité du tabac. Ma question ne se réfère pas directement au projet de loi S-5.
J'aimerais connaître votre position sur le bannissement ou l'interdiction de la publicité des activités culturelles. On peut parler du tennis à Montréal, du fait que du Maurier ou Rothmans ne devrait pas faire de publicité à ces événements. Quelle est votre position quant à la publicité des activités culturelles, sportives, majeures comme bailleurs de fonds?
Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez le Festival de jazz de Montréal.
Le sénateur Losier-Cool: Vous avez le tennis international, le festival de Vancouver aussi.
[Traduction]
M. LeGresley: Si nous voulons régler le problème de la promotion du tabac, il faut le faire en s'attaquant à toutes les formes de promotion. Que ce soit un panneau publicitaire ordinaire de Player's qui encourage les enfants à fumer, ou un panneau de Player's dans le contexte d'une course qui encourage toujours les enfants à fumer, l'effet est le même. Nous compromettons beaucoup l'efficacité des restrictions que nous imposons à l'industrie du tabac en matière de publicité si nous lui permettons de commanditer des manifestations sportives et culturelles.
Cela ne veut pas dire cependant que je suis contre l'idée que l'industrie du tabac commandite des manifestations artistiques et culturelles. Je suis tout à fait d'accord pour qu'elle fasse de la philanthropie et des bonnes actions pour le bien de la société, à condition qu'elle ne se serve pas de ses marques de commerce dans ce contexte. Je serais en faveur de la création d'un centre de tennis à Montréal portant le nom Imperial Tobacco, mais non d'un centre de tennis à Montréal portant le nom du Maurier.
Le sénateur Bosa: Quelle est la différence?
M. LeGresley: Dans un cas, il s'agit d'une marque de tabac. Dans un cas, on se sert de l'image, de la sophistication et de l'attrait de la marque de cigarette du Maurier; dans l'autre cas, on fait allusion à une société qui existe depuis un certain temps et qui n'a pas été créée pour le seul but de promouvoir une marque de tabac. Les enfants achètent la marque du Maurier, et pas le nom Imperial Tobacco.
Le sénateur Losier-Cool: Vous ne trouvez pas que c'est aller un peu trop loin? Connaissez-vous des études faisant état de l'incidence des commandites sur le tabagisme chez les jeunes? Pensez-vous que s'ils voient ces affiches quand ils assistent à un match de tennis international, ils auront envie de fumer?
M. LeGresley: À mon avis, les personnes qui assistent à ces manifestations ne sont pas nécessairement les cibles de ces commandites. Si vous avez la possibilité de le faire, vous allez au Centre national des arts, et vous voyez la mention du Maurier au coin inférieur de votre programme, mais vous n'êtes pas la cible de cette publicité. Par contre, si vous faites le tour de la ville, vous allez voir que les panneaux pour ces différentes manifestations continuent d'être affichés longtemps après qu'elles ont eu lieu.
Dernièrement, je suis entré dans un magasin à Ottawa, et j'ai constaté qu'il y avait encore un écriteau électrique de Benson & Hedges qui faisait la promotion d'une manifestation qui avait eu lieu trois mois auparavant à Toronto. Elle était finie depuis longtemps, cette manifestation. Plus personne ne pourrait y aller. La commandite d'une manifestation de ce genre n'est qu'un prétexte pour installer des panneaux qui encouragent les adolescents à s'initier au tabagisme. Elles n'ont aucun autre objectif.
Je ne veux certainement pas que les festivals de jazz cessent d'avoir lieu. Il ne faut pas empêcher les sociétés productrices du tabac de contribuer au financement de ce genre de chose. Mais je suis tout à fait contre l'idée de contaminer les générations futures simplement pour maintenir le financement de ces manifestations par l'industrie du tabac. Nous savons que la cible de ces publicités n'est pas les personnes qui y assistent. C'est un simple prétexte. On voit des panneaux à Vancouver qui annoncent une manifestation qui a lieu à Halifax. Il faut donc attaquer l'utilisation des marques de tabac et des images associées aux différentes marques dans le contexte des commandites.
Le sénateur Losier-Cool: Nous savons fort bien qu'ils veulent favoriser le tabagisme.
M. LeGresley: Oui. Ils veulent vendre des cigarettes.
Le sénateur Haidasz: Avez-vous eu l'occasion de lire l'article du Washington Post sur le colloque de l'American Academy of Addiction Medicine tenu à Washington il y a deux semaines? Beaucoup d'experts étaient présents, y compris des représentants de la FDA. Je suis très déçu de voir que la FDA à Washington ne propose pas l'introduction de mesures législatives visant directement les éléments du tabac, c'est-à-dire la nicotine, par exemple, et les goudrons cancérigènes. On se serait attendu à des remarques moins superficielles de la part d'un haut fonctionnaire de la FDA.
Votre association est-elle d'accord pour dire qu'afin de réduire la création d'une dépendance à l'égard de la nicotine chez les jeunes, il faut insister sur la nécessité d'adopter des lois strictes visant à réduire la teneur en nicotine et en goudrons cancérigènes?
M. LeGresley: Nous sommes en faveur de l'idée que les autorités assument le contrôle du produit proprement dit. Dans ce sens-là, je suis d'accord avec vous, mais je suis avocat; je ne suis pas spécialiste des toxicomanies. Je ne peux donc pas vous dire si le fait de réduire la teneur en nicotine dans tous les produits qui en contiennent constitue la meilleure approche. Il se peut qu'il en résulte des effets indésirables. Il faudrait consulter des spécialistes de la toxicomanie à ce sujet.
Nous savons cependant que l'acte de fumer est un acte d'automédication en ce qui concerne la nicotine. Donc, même si une telle mesure pourrait dissuader un certain nombre de personnes qui seraient tentées de commencer à fumer, les conséquences pourraient être néfastes pour tous ceux qui ont une dépendance à l'égard de la nicotine, car ces derniers pourraient fumer davantage ou modifier leurs habitudes tabagiques pour être sûrs d'obtenir la quantité de nicotine qu'il leur faut. Tout cela n'entre pas dans mes compétences et par conséquent je ne peux pas vous donner une réponse détaillée à ce sujet.
Le sénateur Haidasz: Si je vous ai posé la question, c'est parce que d'après ce que j'ai entendu à Washington il y a deux semaines, les techniques actuellement utilisées pour traiter la dépendance à l'égard de la nicotine ne sont pas parfaites. Elles ont un taux de succès de moins de 40 p. 100. Par conséquent, ne pensez-vous pas que nous devrions nous concentrer sur les jeunes, les adolescents qui commencent à fumer, et interdire les produits du tabac qui ont une teneur en nicotine tellement élevée qu'ils risqueraient de créer chez les jeunes une accoutumance?
M. LeGresley: Je suis d'accord pour dire que les mesures législatives proposées par l'État doivent surtout cibler les adolescents. Je crois que les électeurs, qu'ils soient fumeurs ou non-fumeurs, appuieront une telle approche. Comme vous le savez, les fumeurs ne veulent pas que leurs enfants fument.
Mais je dois aussi me préoccuper des six millions d'autres Canadiens qui ont également besoin de nicotine sur une base quotidienne. Je ne voudrais pas qu'on adopte une solution qui règle uniquement les problèmes des enfants et entraîne par conséquent soit des stratégies de marketing négatives de la part de l'industrie, soit de l'inaction au Parlement relativement à la situation des autres fumeurs.
Le sénateur Haidasz: Votre organisme s'est-il adressé au ministre des Finances ou au ministre de la Santé pour lui demander de créer des mesures d'incitation fiscales, c'est-à-dire d'éventuels dégrèvements fiscaux pour les fumeurs qui veulent cesser de fumer, pour qu'ils puissent se payer les traitements les plus efficaces dans le cadre de ce qu'on appelle des programmes de désaccoutumance au tabac? Dans certaines localités, ces traitements peuvent revenir très chers. Votre organisme s'est-il adressé au ministre des Finances pour lui demander d'aider les personnes qui voudraient cesser de fumer mais qui n'ont pas les moyens de se payer des traitements ou d'aller dans des cliniques spécialisées qui coûtent très cher, surtout que ces dépenses ne sont pas déductibles?
M. LeGresley: Je ne suis pas au courant -- mais on pourra me corriger si je me trompe -- de demandes qui auraient été présentées au ministre par l'Association pour les droits des non-fumeurs concernant la possibilité d'offrir des dégrèvements fiscaux au titre des programmes de désaccoutumance au tabac. Nous avons cependant demandé l'introduction de taxes différentes pour les produits du tabac, en partie à cause de certaines des préoccupations que vous abordez dans ce projet de loi, ou de restrictions différentes en matière de commercialisation des produits en fonction de leurs effets néfastes sur la société. On peut peut-être envisager d'offrir plus de possibilités de commercialisation des produits qui sont moins néfastes. Cela permettrait peut-être de répondre à votre préoccupation. Mais en ce qui concerne les programmes de désaccoutumance au tabac, je ne suis pas au courant de demandes qui auraient été faites à cet égard.
Le sénateur Haidasz: Je vous signale, à titre d'information, que j'ai fait des recommandations à ce sujet à la fois à Don Mazankowski, lorsqu'il était responsable du budget à titre de ministre des Finances, et à l'actuel ministre des Finances. Mais le ministère ne semble pas être intéressé par de telles mesures.
Et une autre augmentation des taxes sur les cigarettes? Quelle est la position de votre association à ce sujet?
M. LeGresley: Notre position à cet égard est très claire. Nous étions contre la réduction des taxes en février 1994. Nous sommes toujours contre cette réduction des taxes. À notre avis, il y avait d'autres moyens de régler les problèmes. Nous aurions préféré qu'on maintienne les taxes à l'exportation qui visent ces produits, puisque nous savons fort bien que presque tous ces produits introduits en fraude étaient d'origine canadienne de toute façon. L'industrie les envoyait dans le nord de l'État de New York et les ramenait très rapidement.
Nous souhaitons au contraire que les taxes canadiennes augmentent pour atteindre le niveau mondial. À cet égard, les États-Unis constituent une anomalie. Si vous les comparez aux pays de l'OCDE, vous verrez que les États-Unis se trouvent au bas de la liste en ce qui concerne ses politiques de taxation du tabac.
Nos cigarettes sont très peu chères comparativement à celles qui se vendent en Europe occidentale; par conséquent, nous sommes en faveur d'une augmentation importante des taxes.
Le sénateur Forest: Je me demandais si vous saviez quelle a été l'augmentation du taux de tabagisme après la réduction des taxes?
M. LeGresley: Je ne peux pas vous donner ces chiffres maintenant, mais je m'engage à vous fournir une étude menée par l'Unité de recherche sur le tabac de l'Ontario qui donne justement ces chiffres. L'augmentation des taux a été considérable, notamment parmi les fumeurs qui sont les plus attentifs au prix.
Le sénateur Forest: J'arrive d'Asie et je peux donc confirmer ce que vous avez dit au sujet du taux de consommation du tabac dans cette région. Venant du Canada, j'avoue que je trouve cela déplorable.
Par contre, nous voulons éviter des problèmes de financement pour les manifestations artistiques et sportives. Est-il vraiment réaliste de penser que l'industrie du tabac va donner des fonds pour de telles manifestations si elle ne peut pas compter sur les revenus qui découlent de la publicité?
M. LeGresley: La réponse à votre question est à la fois oui et non. Dans le cas de certaines manifestations, elle voudra continuer à jouer un rôle de premier plan et acceptera alors de maintenir son financement, mais je suis tout à fait d'accord pour dire qu'elle va certainement se retirer d'un grand nombre de manifestations qu'elle finance actuellement. Elle soutient financièrement ces manifestations pour des raisons politiques. Si ces raisons politiques disparaissent, notamment si les commandites font l'objet de réductions importantes, elle va se retirer complètement de ce genre de manifestations.
Si l'on décidait de ne rien faire du côté des commandites et si l'industrie n'avait plus besoin de maintenir ce soutien politique, si moi j'organisais une de ces manifestations, je me poserais la question que voici: «Va-t-elle continuer de me donner de l'argent de toute façon, sachant qu'un projet de loi de ce genre ne sera déposé devant le Parlement qu'une fois de temps en temps?» Il n'y aura certainement pas de mouvement l'année prochaine s'il n'y en a pas du tout cette année. Donc, ce financement pourrait très bien être retiré que l'industrie du tabac continue ou non d'avoir la possibilité de financer ce genre de manifestations.
Le sénateur Forest: À long terme, on pourrait espérer que si l'industrie n'est plus autorisée à commanditer ces manifestations, le gouvernement canadien pourrait réaliser des économies tellement importantes en matière de soins de santé qu'il lui serait possible de leur accorder une aide financière plus importante.
M. LeGresley: Il arrive souvent que d'autres industries ne veuillent pas être associées à une certaine manifestation simplement parce que l'industrie du tabac y participe. Il y a quelque temps, Peter Gzowski a interviewé Keith Kelly de la Conférence canadienne des arts. Peter Gzowski lui disait qu'il était au courant de cinq entreprises qui avaient décidé de ne pas commanditer certaines manifestations étant donné que l'industrie du tabac y était associée. Vous voyez bien que de nombreux fabricants ne veulent rien avoir à faire avec l'industrie du tabac parce qu'ils estiment que c'est contraire à leurs propres intérêts.
D'abord, si l'industrie du tabac se retire, cela ne veut pas dire que d'autres ne la remplaceront pas. Dans le cas des grandes manifestations très connues et très populaires, il est fort probable que des banques, des sociétés pétrolières ou quelqu'un d'autre qui dispose de capitaux importants proposent d'assurer ce financement. Ce sont les manifestations d'importance secondaire, celles qui se déroulent dans les régions plus éloignées, et que l'industrie du tabac appuie pour des raisons politiques, qui risquent de se trouver sans financement. Elles dépendent de l'industrie du tabac pour obtenir leur financement, financement qui est accordé pour des raisons purement politiques. Quand ces raisons politiques disparaîtront, il est très probable que ces fonds continuent d'être accordés pour de telles manifestations.
Le sénateur Forest: Vous avez proposé un certain nombre d'améliorations. Les avez-vous présentées par écrit sous forme d'éventuels amendements au projet de loi?
M. LeGresley: Non.
La présidente: Je participe à la promotion de manifestations sportives qui sont commanditées par les sociétés productrices du tabac depuis 40 ans, et l'industrie n'a jamais cherché à encourager quiconque à fumer. Vous rendez-vous compte que l'industrie du tabac donne actuellement quelque 60 millions de dollars au titre de manifestations sportives et culturelles? Qui assurera ce financement à sa place? Pensez-vous que d'autres commanditaires l'assureront à sa place? Le gouvernement sera-t-il obligé d'assurer ce financement, et est-il vraiment en mesure de le faire?
M. LeGresley: À mon avis, le gouvernement n'aura pas à assurer ce financement. Il y a différentes façons de réaliser cet objectif. L'objectif, du point de vue des organisations artistiques et sportives, est d'avoir un financement suffisant et sûr. Leur objectif n'est pas de s'assurer que l'industrie du tabac leur assure ce financement. Comme je vous l'ai déjà dit, je ne suis pas contre l'idée que l'industrie du tabac offre des fonds à ces organisations, soit directement, si l'industrie est prête à le faire sans que ses marques de commerce y soient associées, soit par le biais de fonds créés grâce aux revenus générés par la vente de produits du tabac, mais sans que les images privilégiées par l'industrie soient utilisées dans le cadre de la distribution des fonds.
La présidente: Si l'industrie accepte d'assurer ce financement, c'est en partie parce que cela lui permet de faire réduire ses impôts. Si le gouvernement adoptait une loi interdisant les commandites par l'industrie du tabac, cela voudrait-il dire que cette dernière n'aurait plus le droit de faire de tels dons et qu'elle ne pourrait plus se faire rembourser une partie de ses impôts?
M. LeGresley: D'après ce que j'ai pu comprendre, le Parlement n'est pas actuellement saisi d'un projet de loi.
La présidente: D'après ce qu'on nous a dit, cela ne saurait tarder.
M. LeGresley: Rien n'empêcherait le gouvernement de rembourser une partie des impôts payés par une société productrice de tabac si elle faisait de tels dons. C'est simplement l'utilisation des marques de tabac et de cigarettes et des images qui serait interdite.
La présidente: À titre d'éclaircissement, monsieur LeGresley, avez-vous dit qu'il y a actuellement six millions de Canadiens qui fument?
M. LeGresley: Oui, approximativement.
La présidente: Je voudrais vous remercier de votre présence devant le comité et de votre exposé. Si vous avez des recommandations à soumettre à l'examen du comité, n'hésitez pas à nous les faire parvenir.
M. LeGresley: Absolument.
La présidente: Nos prochains témoins représentent la Société canadienne du cancer; il s'agit de M. Rob Cunningham, analyste de politiques, et de M. Maurice Gingues, chargé de projets.
Nous vous souhaitons la bienvenue ce matin et vous invitons maintenant à faire votre exposé. Vous avez la parole.
[Français]
M. Maurice Gingues, chargé de projets, Société canadienne du cancer: Je vous remercie madame la présidente de bien vouloir entendre notre témoignage. Je représente M. Cunningham que vous avez déjà présenté mais qui est aussi l'auteur du livre qui vient tout juste de sortir qui s'appelle Smoking Mirrors: The Canadian Tobacco War. Il est présentement en traduction. C'est le seul livre qui retrace toute l'histoire, toutes les activités du contrôle du tabagisme au Canada à partir de la Nouvelle-France jusqu'à aujourd'hui.
Avant de commencer, je voudrais dire quelques mots sur la Société canadienne du cancer. Nous représentons 350 000 bénévoles. L'année dernière, nos revenus se situaient à 78 millions de dollars, qui avec l'aide de l'Association du cancer du Canada nous permettent de financer la recherche sur le cancer au Canada à chaque année.
L'Institut national permet de financer près de 36 millions de dollars en recherche sur le cancer. La recherche est un dossier sur lequel nous aurons certainement l'occasion de revenir pour faire des représentations. Mais aujourd'hui, ce qui nous importe, c'est la question du tabagisme.
La raison pour laquelle la Société canadienne du cancer travaille si fort dans le domaine du contrôle du tabagisme, c'est qu'environ le tiers des décès causé par le tabac le sont par cancer. Des décès reliés au tabac causés par le cancer, environ 80 p. 100 sont dus au cancer du poumon. Le cancer du poumon ne pardonne pas. Vos chances de survie sont d'environ une sur 10. Ce n'est vraiment pas rose.
Pour les membres du comité du Sénat aujourd'hui, j'ai apporté, au cas où vous ne l'auriez pas déjà, une étude de Statistique Canada concernant les tendances de la mortalité associée au cancer relié au tabagisme de l950 à 1991.
Je vais déposer ce rapport au comité. Si l'on regarde la tendance chez les hommes, le cancer du poumon est en progression malgré le fait que les autres cancers reliés au tabagisme sont demeurés stables. Par contre, chez les femmes, c'est là que le bât blesse. Le cancer du poumon est en progression très nette. Aujourd'hui, nous avons plus de femmes qui décèdent du cancer relié au tabac que du cancer du sein.
Pour la Société canadienne du cancer, cela représente un problème particulier. Nous n'avons pas encore trouvé comment prévenir le cancer du sein. Or pour les cancers dus au tabagisme, la solution est assez simple. Il suffit d'éliminer l'usage du tabac. C'est le contexte dans lequel nous venons faire nos représentations ici ce matin.
Je vais maintenant céder la parole à M. Cunningham.
[Traduction]
M. Rob Cunningham, analyste de politiques, Société canadienne du cancer: Avant de vous faire mon exposé, je voudrais tout d'abord féliciter le sénateur Haidasz des efforts qu'il déploie depuis longtemps dans ce domaine, en commençant par le travail qu'il a réalisé en tant que secrétaire parlementaire du ministre de la Santé, de même que les audiences et le rapport historique du comité Isabelle, et les nombreuses initiatives qu'il a prises au fil des ans, à la fois sur le plan professionnel et au sein du Sénat, où il a parrainé plusieurs projets de loi et s'est prononcé sur la question à plusieurs reprises. Nous discutons aujourd'hui d'un autre projet de loi qui est le fruit de son travail.
Vous avez sous les yeux notre mémoire écrit. Je n'ai pas l'intention de répéter l'analyse qui s'y trouve. Le projet de loi S-5 concerne la promotion, l'emballage, l'étiquetage et la conception des produits du tabac. Au moment de commenter précédemment le plan du ministère de la Santé et du ministre de la Santé, la Société canadienne du cancer a recommandé l'adoption d'une loi qui contrôle tous les aspects de la promotion, de l'emballage, et de la conception des produits du tabac. Nous sommes donc en faveur d'une initiative législative dans ce domaine.
Notre principale recommandation est que le comité modifie le projet de loi en vue de prévoir, pour les produits du tabac, un cadre législatif semblable à celui qu'on trouve dans la Loi sur les produits dangereux ou la Loi sur les aliments et drogues ici au Canada, ou dans la Food, Drug and Cosmetics Act aux États-Unis. Il ne fait aucun doute que le tabac est un produit dangereux. Il est tout aussi clair que la nicotine est une drogue. D'ailleurs, la nicotine est déjà réglementée à titre de drogue en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, lorsqu'elle est l'un des éléments constituants d'une gomme ou d'un timbre à la nicotine, mais les produits du tabac plus nocifs sont exclus, et c'est justement cela qu'il faut changer. En fait, lorsque la nicotine est présente dans un pesticide, elle est strictement réglementée aux termes de la Loi sur les produits antiparasitaires, mais lorsqu'elle est présente dans un produit actuellement consommé par des enfants, elle n'est guère visée par la réglementation.
Voilà donc notre principale recommandation. Je sais que le Sénat a déjà fait passer en deuxième lecture un projet de loi parrainé par le sénateur Haidasz en vue de faire viser le tabac par la Loi sur les produits dangereux, et si nous pouvions obtenir le même genre de cadre dans le projet de loi S-5 que Santé Canada a proposé dans son plan, ce serait une excellente initiative sénatoriale qui permettrait de faire avancer ce dossier dans le contexte parlementaire et de combler le vide législatif qui existe depuis la décision rendue par la Cour suprême du Canada.
Plusieurs sénateurs ont soulevé la question des commandites. Les commandites constituent une forme de promotion du tabac. De nombreuses études indiquent que la publicité sur le tabac augmente la demande générale de ce produit, tout en rendant les cigarettes plus acceptables sur le plan social et plus attrayantes pour les enfants.
La recherche faite au Canada démontre que du point de vue des enfants, la promotion qui est faite dans le cadre d'une commandite est équivalente à la publicité de la cigarette. Quand on regarde un panneau publicitaire pour le programme de développement des coureurs automobiles de Player's, on voit un coureur automobile qui est le centre d'attention du fait d'avoir gagné sa course. Le message qui est transmis est donc: «Si vous fumez les cigarettes Player's, vous réussirez dans la vie.»
Dans l'exemple de la publicité pour Craven A avec la musique country, il est difficile de savoir si la femme qui est le centre d'attention a réellement 18 ou 19 ans.
Il y a aussi des défilés de mode qui sont parrainés par Matinée. Matinée est une marque qui cible les femmes. Les commandites sont conçues par les sociétés productrices du tabac pour améliorer l'image de leurs produits. Ces sociétés n'aiment pas que les gens associent l'emphysème ou la mort à leurs produits, et elles font l'impossible par conséquent pour créer des images positives. Les commandites sont également choisies pour correspondre à ces images.
Aux États-Unis, le Cartoon Network commandite des voitures, parce qu'il estime que c'est un excellent moyen d'atteindre les enfants. Depuis plusieurs décennies, les courses de voitures sont également commanditées par les sociétés productrices du tabac; mais elles continuent à nier que leur objectif est d'atteindre les enfants. Mais quelles que soient leurs prétendues intentions, que nous n'acceptons pas, de toute façon, comme nous sommes convaincus qu'elles ont besoin d'enfants pour assurer leur avenir, la publicité tout court et la publicité de commandite atteignent les enfants.
Si la publicité de commandite n'avait pas d'effet, pourquoi les sociétés productrices du tabac en feraient-elles? Elles veulent augmenter leur chiffre d'affaires. Si elle n'avait pas d'effet, pourquoi seraient-elles contre une interdiction de la publicité de commandite? Si elles sont contre, c'est parce que sans cette interdiction elles seraient en mesure d'augmenter leurs bénéfices de quelque 60 millions de dollars.
Nous savons que les sociétés tiennent beaucoup à leurs bénéfices. S'il n'y avait pas d'effet sur la demande primaire, les sociétés pourraient augmenter leurs bénéfices, si tout l'argent consacré aux commandites était déboursé, comme on nous l'affirme actuellement.
Certains pays ont interdit la publicité de commandite. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration, dans le cadre d'une étude approfondie de la question où tous les intervenants ont pu faire valoir leurs arguments, a examiné les faits et a tiré la conclusion que les commandites correspondaient à des types d'images qui avaient pour résultat de faire augmenter la consommation. Les États-Unis ont donc interdit la publicité de commandite, comme l'ont fait également la France, connue pour son amour des arts, et la Nouvelle-Zélande, connue, quant à elle, pour son amour des sports.
La Cour suprême du Canada dispose de toute l'autorité nécessaire pour orienter notre décision dans ce domaine. La Cour suprême du Canada a déclaré que la publicité sociétale est une forme de publicité qui augmente la consommation et qu'une interdiction est donc justifiée. La publicité de commandite représente le meilleur exemple que l'on puisse trouver de la publicité sociétale.
Ceux qui se demandent si certaines manifestations ne pourront se réaliser faute de commandite, nous répondons que la santé des enfants doit être la priorité des priorités de notre société. Il s'agit, d'abord et avant tout, d'une question de santé et telle doit être notre priorité.
Il convient de vous faire remarquer que le Championnat omnium de golf du Canada était parrainé par le passé par du Maurier; il est actuellement parrainé par Bell Canada. De même, le Tournoi de tennis international Virginia Slims est maintenant commandité par Corel, une entreprise implantée dans la région de la capitale. On avait prédit que le théâtre Neptune à Halifax ne pourrait continuer d'exister en l'absence de commandite, mais il reçoit moins de 1 p. 100 de ses revenus des commandites des sociétés productrices du tabac. Va-t-il fermer ses portes parce qu'il ne touche plus que 99 p. 100 de ses revenus précédents?
La Alliance for Sponsorship Freedom, qui coordonne activement l'opposition de groupes de commanditaires, est financée par l'industrie du tabac et dirigée par un cabinet de relationnistes qui travaillent pour l'industrie du tabac.
Mon dernier point concerne le fait que les dispositions relatives à l'emballage, à l'étiquetage et à la promotion des produits du tabac qu'on retrouve dans le projet de loi S-5 ne visent pas les produits du tabac sans fumée, tels que le tabac à chiquer et le tabac à priser. Il conviendrait par conséquent d'apporter des améliorations à ces dispositions.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions concernant mon témoignage ou les questions de tabagisme en général.
Le sénateur Haidasz: Je voudrais tout d'abord remercier les témoins d'avoir accepté de comparaître au nom de la Société canadienne du cancer. Nous apprécions beaucoup votre présence et vos témoignages. Je suis sûr qu'ils se révéleront d'une grande utilité pour le comité.
Avant de vous poser ma première question, je voudrais dire tout d'abord qu'en parrainant le projet de loi S-5, mon intention n'était pas de devancer les choix stratégiques du ministre de la Santé. En fait, j'ai présenté une version de mon projet de loi à Mme Marleau le 5 décembre dernier, et j'ai déposé devant le Parlement et la presse une stratégie pour la lutte contre la dépendance tabagique.
Ce projet de loi ne règle pas la totalité du problème du tabagisme au Canada. En tant que médecin, je suis surtout très préoccupé par l'augmentation des cas de maladie et du nombre de décès dus aux maladies associées au tabagisme; voilà la raison pour laquelle je m'intéresse surtout à la teneur en nicotine des cigarettes qu'on fume, de même qu'à la teneur en goudrons cancérigènes et en monoxyde de carbone.
Cela m'amène à ma première question. En plus de recommander que la nicotine soit visée par la Loi sur les produits dangereux, la Société canadienne du cancer, dans ses discussions avec le ministère de la Santé, a-t-elle proposé des amendements, approuvés ou vérifiés par des juristes, à cette même loi pour être sûre de réussir son coup? Autrement dit, le ministère semble faire preuve d'une grande prudence quand il s'agit de proposer un projet de loi étant donné qu'il a eu très peu de chance avec les mesures législatives visant la publicité. La Société canadienne du cancer aurait-elle fait des demandes précises au ministère de la Santé ou même au ministre lui-même? Avez-vous consulté des juristes pour savoir s'il serait possible d'apporter une modification à la Loi sur les produits dangereux en vue d'inclure la nicotine et les goudrons cancérigènes?
M. Cunningham: La réponse est oui. Trois possibilités se présentent, en théorie, pour ce qui est de combler le vide législatif qui existe actuellement. D'abord, la Loi sur les produits dangereux, deuxièmement, la Loi sur les aliments et drogues, et troisièmement, la voie que le gouvernement semble prêt à suivre, c'est-à-dire une mesure législative visant spécifiquement le tabac.
Plusieurs parlementaires nous ont posé les mêmes questions. En fait, nous avons rédigé un projet de loi d'une ligne, en vue d'éliminer l'exemption que prévoit actuellement la Loi sur les produits dangereux. Juridiquement parlant, il serait très simple de faire appliquer la Loi sur les produits dangereux au tabac. En fait, le Parlement a approuvé en 1988 l'inclusion du tabac dans la Loi sur les produits dangereux. Vous vous souvenez certainement du projet de loi C-204, sénateur. Le seul problème, c'est qu'il inclut une autre petite disposition qui dit qu'on ne peut pas l'appliquer, mais on peut toujours l'enlever et régler ce problème-là. La Loi sur les produits dangereux offre un cadre réglementaire complet en ce qui concerne l'importation, la promotion et la vente de produits réglementés désignés.
Le sénateur Haidasz: Dans ce même ordre d'idées, monsieur Cunningham, pourriez-vous éclairer les membres du comité sur ce qui a pu pousser M. Dingwall, il y a une semaine ou deux, à retirer son projet de loi prévoyant spécifiquement une stratégie de lutte antitabac.
M. Cunningham: Malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Les médias se sont évidemment livrés à des spéculations sur les facteurs qui ont pu conduire à cette annonce. Le ministre a indiqué qu'il s'agit d'un simple report et que ce projet de loi sera introduit et annoncé avant que la Chambre des communes ne s'ajourne, c'est-à-dire d'ici une semaine ou deux.
Le sénateur Haidasz: Est-ce que votre société sait si le contenu d'une cigarette qui brûle, c'est-à-dire la quantité de nicotine et de goudrons cancérigènes qu'on retrouve dans une cigarette qui brûle, serait visé par la proposition de M. Dingwall?
M. Cunningham: Nous n'en connaissons pas la teneur. Vous pouvez imaginer à quel point nous avons hâte d'en prendre connaissance, mais nous n'avons pas réussi à le faire jusqu'à présent.
Le sénateur Bosa: Monsieur Cunningham, même si cette question ne correspond peut-être pas à votre domaine d'expertise, je me demandais si vous auriez des commentaires à faire sur la question que voici: nous avons tout essayé pour empêcher les jeunes de fumer. Nous avons augmenté les taxes; nous avons essayé de limiter la publicité des produits du tabac; beaucoup d'information a été diffusée au sujet des méfaits du tabagisme; et nous avons organisé d'autres activités à cette même fin; malgré tout, les jeunes décident de commencer à fumer. Existe-t-il une étude psychologique sur les facteurs qui poussent les gens à commencer à fumer?
Je peux d'ailleurs citer mon exemple. À une époque, j'étais un gros fumeur. J'ai cessé de fumer le 3 janvier 1969 à 17 h 30. Je fumais 50 cigarettes par jour. J'ai fumé pour la première fois à l'âge de 10 ou 11 ans, mais c'est quand je suis devenu adolescent que j'ai commencé à fumer sérieusement. À l'époque, on allait au cinéma ou on voyait à l'écran une belle et jeune baronne, par exemple, qui tenait négligemment un fume-cigarette. C'était considéré très élégant et attrayant. En tant qu'adolescent, on ne pouvait évidemment pas embrasser la baronne, et on s'est donc contenté d'embrasser le tabagisme.
À cette époque, tous les modèles proposés aux jeunes garçons par le cinéma, que ce soit des pilotes ou des détectives ou quoi que ce soit, avaient l'habitude de sortir une cigarette et de commencer à fumer après avoir fait quelque chose d'héroïque. Par conséquent, les jeunes avaient envie de fumer, pour suivre l'exemple de leurs modèles. Mais ce n'est plus le cas à l'heure actuelle. Les comédiens ne fument pas, ou du moins on n'en parle pas. De plus, nous sommes inondés d'information sur les méfaits du tabagisme. Comment se fait-il alors que les jeunes commencent à fumer, malgré toute l'information qui circule à ce sujet?
M. Cunningham: Sénateur, vous avez soulevé une question qui nous préoccupe au plus haut point: les taux très élevés de tabagisme chez les adolescents, à la fois garçons et filles, chose qui ne cesse de nous frustrer. La bonne nouvelle, c'est que le nombre d'adolescents qui fument est inférieur maintenant, par rapport à celui enregistré à la fin des années 60 ou au début des années 70. Des taxes plus élevées, des restrictions en matière de commercialisation, les avertissements sur les emballages et les interventions d'ordre éducatif ont tous beaucoup contribué à faire baisser les taux de tabagisme, même si nous sommes frustrés de voir qu'ils restent élevés.
Vous avez dit que les adolescents, étant dans l'impossibilité d'embrasser un joli mannequin ou de se substituer au héros, ont décidé de fumer à la place. Les enfants font encore ce genre de choses. Les adolescents sont très insécures. Ils ont une faible estime de soi. À une période de leur vie où ils se cherchent, ils peuvent être très préoccupés par leur physique, l'acceptation des autres, la position qu'ils occupent au sein de leur groupe d'amis et leur sex-appeal. Les sociétés productrices du tabac réagissent à tout cela et diffusent des images qui attirent les adolescents.
Les images qu'on voyait dans les années 60 sont maintenant plus subtiles. Sas Jordan fait la promotion des cigarettes Belvedere. Des femmes très attirantes qui font partie d'un groupe rock font la promotion des cigarettes Craven A. Jacques Villeneuve, un grand héros, notamment au Québec, mais dans tout le Canada et même à l'extérieur du pays, est maintenant associé à la marque Rothman's.
Les sociétés savent très bien à quel point les images sont importantes, et c'est justement pour cela que nous devons absolument les éliminer.
[Français]
Le sénateur Lavoie-Roux: Je remercie l'Association canadienne du cancer. J'en profite pour les féliciter de tout le travail qu'ils font. Vous avez parti tout ce débat sur le tabac et nous constatons des résultats quand même positifs même s'il y a des progrès à accomplir. Vous en êtes quand même entièrement responsables.
Est-ce que vous avez tenté de mesurer les effets concrets. Ici au Parlement, il est défendu de fumer partout. Il y en a qui trichent; c'est une autre histoire. Il y a même des sénateurs qui trichent. Je remarque, à la porte, les gens fumer à l'extérieur. On est à la veille de pelleter les mégots de cigarettes. Ils ont mis des petits cendriers ou des petites boîtes où les gens peuvent déposer leurs mégots. Est-ce une incitation à fumer plutôt que nécessairement une dissuasion? L'atmosphère et l'environnement sont protégés mais avez-vous tenté de doser vos mesures? Il y a bien des gens aussi qui protestent contre le fait qu'il ne peuvent même pas fumer dans leur bureau alors qu'ils ne dérangent personne. La frustration les amène peut-être à fumer davantage? Avez-vous essayé d'évaluer cela?
M. Cunningham: Le loi qui interdit de fumer dans son milieu de travail a deux effets, soit protéger les non-fumeurs des effets nocifs du tabagisme passif.
Je connais une vingtaine d'études en Amérique du nord, en Australie, qui démontrent que dans une situation où l'on permet à la personne de fumer dans un milieu de travail et qu'ensuite on lui interdit, cela diminue la consommation par jour du nombre de cigarettes. Cela incite entre 15 à 22 p. 100 des fumeurs à cesser de fumer, parce que c'est trop difficile.
C'est enfin une raison d'arrêter de fumer et ils vont arrêter après cela. Cela varie étude après étude de façon générale.
On voit les documents des fabricants qui démontrent le contraire. Cette évolution est un sujet très important pour eux. Leur document démontre que cela diminue les ventes totales au pays.
M. Gingues: Au niveau de la santé en général, pour l'employeur cela signifie moins de coûts pour la santé parce que l'on sait que les gens qui ne fument pas ou fument moins sont moins sujets à d'autres maladies que ce soit le rhume ou l'absentéisme. Tout cela a été mesuré.
Le sénateur Lavoie-Roux: On a beaucoup parlé de l'influence de la publicité sur la consommation de la cigarette et comment il faut réduire la publicité. Tout le monde s'entend là-dessus.
J'ai l'impression que le résultat est d'isoler une incitation à fumer. Je pense que c'est correct, mais il y a beaucoup d'autres facteurs qui incitent les gens à fumer et ce sont des facteurs d'ordre social et psychologique. Pourquoi les femmes se sont-elles mises à fumer? Je comprends qu'à l'adolescence, les jeunes garçons et les jeunes filles fassent leurs expériences, mais laissons-les de côté. On les oublie. Avez-vous des études qui démontreraient que la pauvreté est un facteur influent dans la consommation du tabac pour n'isoler qu'un seul facteur car on pourrait en isoler d'autres.
M. Gingues: Je ne sais pas qui l'a fait exactement. Je pense que c'est une Régie de la santé à Montréal. Dans un quartier , le taux de tabagisme à Saint-Henri est assez élevé. Il est au-delà de 40 p. 100 alors qu'à Westmount, c'est tout près de 20 p. 100.
Il y a toujours eu cette relation que plus vous êtes éduqués, plus vos revenus sont élevés et moins vous fumez et le contraire est vrai aussi. Plus vos revenus sont bas, moins vous avez d'éducation et plus vous fumez, généralement.
Le sénateur Lavoie-Roux: Je soulève la question parce que je trouve un peu dommage que le gouvernement et que tout le monde se concentrent beaucoup sur la publicité ou sur l'influence de l'environnement immédiat comme étant des facteurs qui influent sur la consommation de cigarettes. J'en suis. Il y a à côté de cela des facteurs dont on ne parle jamais. Nous savons fort bien que pour les gens qui sont en détresse psychologique, c'est différent; il y a tout un éventail de mesures pour les gens en détresse psychologique.
Ils ont un besoin de fumer. Il faut dans ce sens bannir la cigarette. À ce moment-ci, on ne la bannit pas, on incite les gens à ne pas fumer. Pour certaines gens, c'est la seule béquille qu'ils ont pour continuer à fonctionner. Est-ce que la Société canadienne du cancer examine cette question qui pourrait aussi éventuellement influencer le type de législation ou de mesures que les gouvernements mettent en place? Je n'ai pas de problème à cesser de fumer; je n'ai jamais fumé. Je ne suis pas comme le sénateur Losier-Cool.
Je pense qu'on n'en parle pas beaucoup en tout cas.
M. Gingues: On n'en parle pas beaucoup en partie parce que les effets de campagne ciblant ces populations nous démontre que cela ne donne pas grand-chose, en général, statistiquement. Sur le plan humain, maintenant, il est certain qu'une personne qui est dans une situation de détresse, qui reçoit de l'aide à travers un programme anti-tabagique, sur le plan personnel, c'est bien.
Le problème que nous avons à l'heure actuelle, sénateur Lavoie-Roux, est le suivant: ne sommes-nous pas dotés d'un encadrement réglementaire qui puisse répondre à toutes ces questions? C'est ce que nous avons demandé au ministre de la Santé à l'heure actuelle:
Veuillez faire en sorte que le tabac ne soit plus un produit normalisé ou normal. Il faut mettre la responsabilité sur le dos du fabricant et non pas sur les victimes dans un premier temps.
S'il était possible de contrôler la publicité, l'augmentation de la taxe et les contrôles de l'accès au tabac, c'est-à-dire le contrôle des détaillants, avec nos programmes d'éducation dans les écoles et nos programmes de cessation, cela aiderait. Tout serait financé à même les profits de l'industrie du tabac, si c'était possible, parce que c'est quand même 750 millions de dollars par année. Nos revenus sont de 78 millions de dollars. La bataille est très inégale.
À ce moment-là, nous pouvons offrir des programmes pour aider ces gens et les cibler. Si nous ne le faisons pas, ce n'est pas possible. Naturellement, la réponse à votre question est que si nous avions une économie où il y a 100 p. 100 d'emplois et que les emplois étaient des emplois où les gens pourraient naturellement survivre, il est très évident que nous aurions un problème beaucoup moins aigu dans ces populations. Je sais que ce n'est pas demain que cela va se régler.
Le sénateur Lavoie-Roux:C'est le message que je voudrais que la Société du cancer donne. Je suis consciente que l'on fait toute la prévention classique ou traditionnelle et que si vous fumez, les conséquences seront a, b, c, d, e, f, et g, et cetera, mais il ne faut pas fumer. Il faudra aussi que les gouvernements deviennent plus conscients si l'on veut vraiment combattre la consommation du tabac, il faut agir sur plusieurs tableaux.
M. Guinges: Si je peux me permettre un commentaire, je crois que la plupart des gouvernements et le gouvernement fédéral sont de cet avis et ils veulent regarder l'ensemble des déterminants à la santé.
Le danger est que l'on jette le bébé avec l'eau du bain. On ira complètement de l'autre côté et à se concenter là-dessus, alors que l'on sait déjà qu'à faire cela, on n'aura pas de résultats dans son ensemble. Nous sommes d'accord avec vous à ce sujet. Ce n'est pas évident ni facile. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Le sénateur Lavoie-Roux: Je voulais m'assurer que vous y songiez en dehors de tout ce qui a été dit ce matin. On peut changer la couleur, en mettre ou non.
J'ai deux dernières questions. On note dans les statistiques une hausse de la consommation du tabac, particulièrement chez les femmes. Elle nous cause une préoccupation particulière. Avez-vous été capable d'identifier les raisons? Les femmes veulent être comme les hommes. Je ne crois pas que ce soit le cas.
Le projet de loi actuel vous satisfait-il? Vous faites beaucoup de recommandations. Cela me semble toucher danvantage un grand projet de loi. Le projet de loi sur la diminution de la nicotine vous satisfait-il?
M. Gingues: La raison pour laquelle les femmes fument plus est directement reliée aux efforts de marketing de l'industrie du tabac. C'est clair. Il est associé au mouvement d'égalité des femmes naurellement. Ils ont joué là-dessus, cela est certain. Pour les femmes, il est plus difficile de se défaire de la dépendance au tabac que chez les hommes. On ne comprend pas le phénomène. On ne sait pas si c'est un phénomème physiologique.
Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce que des études ont été faites à ce sujet?
M. Gingues: Oui.
Le sénateur Lavoie-Roux: Des études médicales ou physiologiques?
M. Gingues: Des études de toutes sortes se font. Le dernier chiffre que j'ai entendu sur les études de tabagisme, variait entre 20 000 et 30 000. Il y en a un peu partout. À la Société canadienne du cancer, à l'Institut national de recherche sur le cancer, on a maintenant un département qui s'occupe du comportement. On se pose de telles questions sur le tabac. On ne peut pas tout étudier en même temps. Si cela répond à votre question, M. Cunningham peut répondre à la deuxième.
M. Cunningham: C'est notre recommandation d'améliorer le projet de loi afin qu'il ait plus d'autorité pour contrôler le produit lui-même, la publicité et l'emballage.
Le sénateur Lavoie-Roux: Il y a place à l'amélioration au projet de loi S-5.
M. Cunningham: Oui. Les recommandantions pour l'améliorer sont dans notre soumission écrite.
Le sénateur Lavoie-Roux: J'en ai vues beaucoup. Vous présentez tellement de recommandations qu'elles s'appliquent probablement à un projet de loi plus global.
M. Cunningham: Elles s'appliquent au projet de loi S-5. Nous pouvons en modifier quelques-unes. On pourrait même vous écrire les amendements si vous le désirez.
Le sénateur Lavoie-Roux: Cela serait bien gentil.
[Traduction]
La présidente: Le sénateur Lavoie-Roux nous a fait remarquer que d'autres facteurs peuvent également inciter les gens à fumer. J'ai eu l'occasion au cours des deux ou trois dernières années de faire un peu de recherche sur l'abus d'alcool et de drogues. J'ai visité l'établissement et j'ai participé à un certain nombre de séances, et j'ai constaté que 98 p. 100 des gens fument et boivent du café sans arrêt. Je suppose que c'était leur béquille. Ils ont dû renoncer à l'alcool et à la drogue, et ils ont décidé de les remplacer par le café et les cigarettes. À un certain moment, la fumée était à ce point épaisse qu'on aurait pu la couper au couteau.
Le sénateur Lavoie-Roux: Madame la présidente, quelle est votre béquille?
La présidente: Je ne fume pas.
Le sénateur Lavoie-Roux: Vous ne buvez pas non plus?
La présidente: Non. J'ai des amis.
Le sénateur Forest: Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit ma collègue au sujet de la pauvreté, de la santé et de la consommation du tabac. Il faudrait peut-être traiter tous ces éléments dans le projet de loi de M. Dingwall. Mais pour en revenir au projet de loi S-5, et aux remarques du sénateur Bosa sur les images que véhicule la publicité, ces images sont peut-être plus subtiles et plus subliminales, mais elles sont très efficaces.
J'ai travaillé pas mal avec des jeunes qui fréquentent l'école secondaire et l'université. Ces jeunes font actuellement l'objet d'une pression du milieu beaucoup plus intense. Ils sont moins préoccupés par la belle femme qu'ils voient à l'écran que par le jeune qui habite à côté. Ils veulent être acceptés. Je sais que votre budget pour la publicité n'est pas énorme, mais avez-vous songé à refléter l'aspect pression des camarades dans la publicité que vous faites, en montrant des groupes de jeunes en bonne santé qui ne fument pas?
M. Cunningham: Il va sans dire que l'influence des camarades est un facteur important pour les adolescents lorsqu'ils décident de fumer. Il existe des programmes d'éducation qui visent à aider les adolescents à résister à cette influence; mais cela dit, les sociétés productrices du tabac savent fort bien que cette pression est importante. Elles y contribuent par leur stratégie de marketing. Comment se fait-il que les jeunes fassent l'objet de pression de la part de leurs camarades pour ce qui est de fumer, mais non pour ce qui est de manger des carottes tous les jours? Il y a une raison à cela. Un certain nombre de documents internes indiquent que ces sociétés s'efforcent de rendre la marque de cigarettes Player's, par exemple, particulièrement pertinente et acceptable à l'endroit des jeunes garçons adolescents. C'est ainsi qu'elles démontrent qu'elles sont conscientes de ce problème.
Le sénateur Forest: Les programmes offerts dans les écoles essaient de faire l'inverse, c'est-à-dire de réagir à la pression des camarades en présentant des images qui reflètent une vie saine.
M. Cunningham: Mais les gens peuvent y réagir de différentes façons. Certaines personnes, malgré la pression du milieu, décident de ne pas fumer. Elles peuvent décider de ne pas fumer en raison de leur crainte pour leur santé, de l'influence de leur famille, de l'incidence positive d'un programme d'éducation, ou tout simplement parce que cela coûte trop cher. Il y a donc un certain nombre de facteurs qui peuvent modifier ou influer sur la pression du milieu, y compris les interventions éducatives.
[Français]
M. Gingues: Si je peux ajouter un détail, la Société canadienne du cancer fait de la publicité de porte à porte gratuite offerte selon la réglementation du CRTC. Les messages passent à 11 heures du soir. Nos budgets pour développer la publicité à la télévision sont ridicules. Ce n'est rien. Les gens qui travaillent avec nous mangent leur chemise à chaque fois. C'est là qu'il y a une inégalité entre les moyens de l'industrie du tabac et les organisations comme les nôtres qui ne font pas juste s'attaquer au tabac d'ailleurs. Il y a d'autres programmes au niveau du cancer. Je voulais juste apporter cette précision.
[Traduction]
M. Cunningham: Madame la présidente, me permettriez-vous de soulever deux points très brièvement concernant ce que j'ai dit tout à l'heure?
J'ai parlé à un moment des revenus du théâtre Neptune. Cette information a été préparée en collaboration avec la Conférence canadienne des arts.
En ce qui concerne les préoccupations de certains au sujet du taux élevé de tabagisme chez les Canadiens à faible revenu, nous savons déjà que les petits salariés ont un faible niveau d'éducation, et que le manque d'éducation peut expliquer en grande partie leur taux plus élevé de tabagisme. Nous savons qu'à mesure que le niveau d'éducation des gens augmente, leur consommation du tabac diminue.
La présidente: Merci infiniment pour votre exposé ce matin. Nous l'avons beaucoup apprécié.
La séance est levée.