Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Transports et des communications
Fascicule 8 - Témoignages pour le jeudi 12 décembre 1996
OTTAWA, le jeudi 12 décembre 1996
Le comité permanent des transports et des communications, auquel on a renvoyé le projet de loi C-216, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion (politique canadienne de radiodiffusion), se réunit aujourd'hui à midi pour étudier ledit projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Gallaway. Nous avons beaucoup entendu parler de vous récemment.
Le sénateur MacDonald: Madame la présidente, j'invoque le Règlement. J'aimerais tout d'abord vous féliciter d'avoir convoqué ce comité pour étudier le projet de loi C-216, qu'on vous a renvoyé il y a seulement neuf jours. Cela représente un nouveau record. J'aimerais féliciter votre personnel, surtout M. Fraser, de nous avoir fourni des informations précieuses, y compris 13 questions très utiles et pénétrantes qui reflètent toutes les préoccupations qu'ont exprimées quelque huit sénateurs à la Chambre.
Si j'invoque le Règlement, c'est pour faire une demande. Pourrait-on m'assurer qu'on posera les questions de M. Fraser selon l'ordre dans lequel elles figurent? J'ai été président de ce comité pendant quatre ans, et j'ai remarqué que souvent on ne posait pas les questions qu'avait préparées l'attaché de recherche, peut-être parce qu'on manquait de temps ou que des sénateurs présumaient que leurs collègues les poseraient. On n'a donc pas respecté l'ordre logique des questions.
Pourrais-je proposer respectueusement, madame la présidente, qu'en tant que première intervenante vous posiez ces questions, ou que vous désigniez un autre sénateur pour les poser au témoin? Il va sans dire que cela n'empêche nullement d'autres sénateurs de poser des questions supplémentaires.
La présidente: Je pourrais poser la première question, sénateur MacDonald, mais les membres du comité auront peut-être d'autres questions à poser. Si parmi les questions que M. Fraser a préparées, il y en a qu'on n'a pas posées, je pourrais le faire si vous le voulez. Je pense que cela répondrait aux mêmes besoins.
Le sénateur MacDonald: Je veux que les questions soient posées dans un ordre établi. Moi, j'ai préparé des questions, mais elles sont beaucoup moins bonnes que celles de M. Fraser.
La présidente: Je suis d'accord avec vous pour dire que M. Fraser a fait un excellent travail.
Le sénateur MacDonald: Si vous ou un autre sénateur posiez ces questions en premier, nous aurions immédiatement une bonne compréhension de la tâche qui nous attend.
Le sénateur Spivak: Il y a 13 questions, et elles pourraient vraisemblablement prendre tout le temps dont nous disposons. Je suis d'accord avec le sénateur MacDonald pour dire que si nous avions la réponse à chacune de ces questions, nous serions mieux placés pour évaluer le projet de loi. J'estime aussi qu'il vaudrait mieux poser ces questions en premier, peu importe la façon de le faire, afin de nous permettre de comprendre mieux ces questions avant de passer à d'autres sujets qui pourraient intéresser les sénateurs. Cela peut sembler un peu manipulateur ou arbitraire, mais je crois aussi que c'est ce que nous devrions faire.
[Français]
Le sénateur Corbin: Madame la présidente, comme vous le savez, je ne suis pas un membre de ce comité, mais cette question me concerne. Voilà pourquoi je suis ici. Je suis d'accord avec la proposition faite par le sénateur MacDonald. Il y a une logique séquentielle dans la façon dont ces questions ont été formulées. Je crois que peu importe la façon dont nous procédons, je crois qu'elles doivent toutes être posées parce que l'une enchaîne sur le plan de l'argument à la suivante. J'appuie la proposition du sénateur. Il s'agit de s'entendre à savoir qui les posera. Cela pourrait être le sénateur MacDonald lui-même, à la suite de la première question que vous voudrez bien poser, comme vous nous l'aviez dit.
Maintenant, étant donné que nous sommes sur la question des questions à poser, nous employons un langage que j'ai toujours trouvé offensif. Nous parlons, d'une part, du Québec et, d'autre part, du Canada anglais. Ces propos me choquent et me blessent. Je crois que cela va contre l'esprit de ce que doit être le Canada et ce qu'il est en réalité. Il n'existe pas un Québec, d'une part, et un Canada anglais de l'autre. Il s'agit là d'une formulation qui nous est venue des séparatistes québécois. Je comprends bien que le chercheur, M. Fraser, était bien intentionné, mais il est tombé dans le panneau du langage séparatiste. J'espère que nous ne répéterons pas ce genre de désignation à l'avenir dans les travaux de ces comités ou ailleurs au Parlement canadien. Je vous remercie, madame la présidente.
Le sénateur Bacon: Sénateur Corbin, nous en prenons bonne note.
[Traduction]
La présidente: Sénateur MacDonald, je poserai la première question et vous pourrez poser les autres.
Le sénateur Whelan: J'ai aussi une expérience considérable des comités à l'autre endroit, et ces questions ne sont que des suggestions. On pourrait demander au témoin d'y répondre par écrit. Nous devrions être libres de poser les questions qui nous semblent les plus pertinentes.
La présidente: Je suis certaine, sénateur Whelan, que vous avez d'autres questions.
Le sénateur Whelan: Je ne dis pas que ces questions ne sont pas bonnes; je ne dis pas non plus qu'elles ne ressemblent pas aux miennes.
La présidente: Nous devons entendre M. Gallaway en premier. Après son exposé, je poserai la première question, sénateur MacDonald. Nous déciderons comment nous y prendre après.
Monsieur Gallaway, je vous demanderais de commencer votre exposé.
M. Roger Gallaway, député de Sarnia--Lambton: Le projet de loi C-216 est une mesure adoptée par la Chambre des communes sur un concept qui n'a rien de radical, de révolutionnaire ou d'étrange, soit que les consommateurs dans tout le pays, quelle que soit la langue officielle qu'ils parlent, devraient avoir le droit de choisir les chaînes spécialisées -- et je dis bien «chaînes spécialisées» -- que leur renvoient leurs écrans de télévision, en sachant ce que la chaîne prétend être, quel en sera le coût, et que leur consentement est nécessaire avant que des frais ne leur soient imposés.
La situation inverse, c'est-à-dire l'abonnement par défaut aux chaînes spécialisées, a mené à la révolte de janvier 1995, quand les compagnies de câble se sont mises, avec l'accord tacite du CRTC, à fournir des canaux spécialisés sans satisfaire à aucun des trois critères que je viens d'énumérer. À l'époque, le CRTC avait présumé que la seule façon de commercialiser ces chaînes était de les imposer sur les écrans des Canadiens, qui, après une période indéterminée, finiraient par en accepter la présence et les coûts connexes.
Voici comment j'expliquerais en trois points les protestations qui s'en sont suivies: premièrement, les Canadiens voient dans les chaînes spécialisées des divertissements discrétionnaires, lesquels, pour certains, constituent une distraction et pour d'autres un produit qui n'est ni désiré ni bienvenu, étant donné le coût supplémentaire qu'il représente pour l'abonné du câble. Deuxièmement, les consommateurs exigent un certain contrôle sur ce qu'ils reçoivent sur leurs écrans de télévision ainsi que sur leurs choix et sur les coûts qu'ils auront à assumer. Ces chaînes s'adressent à des marchés de créneaux; dit succinctement, ce ne sont pas tous les abonnés du câble qui s'intéressent aux dessins animés ou au jardinage, et, par conséquent, non seulement ils demandent, mais ils exigent aussi d'avoir le contrôle sur ces types de produits spécialisés. Troisièmement, la notion selon laquelle des divertissements supplémentaires seront fournis et des paiements exigés sans consentement préalable est absurde et contraire à l'esprit de marché. Le public a vu cette épée de Damoclès réglementaire suspendue au-dessus de sa tête et a exprimé clairement ses sentiments aux câblodistributeurs, au CRTC, aux médias et, avec beaucoup d'à-propos, à ceux qui pouvaient apporter une solution, c'est-à-dire à leurs députés.
[Français]
La raison d'être a été l'élaboration de ce projet de loi et de son adoption par la Chambre des communes après l'étude du comité permanent du Patrimoine canadien, un amendement présenté par le secrétaire parlementaire de la ministre du Patrimoine canadien au nom du CRTC, et l'acceptation finale de la mesure par la Chambre des communes, le 23 septembre 1996, dans sa version modifiée conformément aux recommandations du CRTC.
[Traduction]
Le projet de loi, madame la présidente, concerne les consommateurs, les divertissements et l'argent. Il concerne également le fait pour un individu d'avoir le choix de visionner ce que j'appellerais le Coup de pouce des ondes et de payer en conséquence. De toute évidence, il existe une grande diversité d'intérêts pour ces chaînes de divertissement et une revendication expresse par les consommateurs à l'égard d'une semblable diversité de choix en matière de coût et de prestation. Vu l'augmentation moyenne des coûts des chaînes discrétionnaires, en janvier 1995, soit plus de 3 $ par mois ou 40 $ par année, le projet de loi concerne également qui est en droit de décider comment les Canadiens dépenseront leur revenu discrétionnaire gagné à la sueur de leur front... eux ou nous, les législateurs fédéraux.
Pour illustrer cela, prenons le cas d'une certaine compagnie qui s'est servie de l'abonnement par défaut à l'égard de ses quelque 2,5 millions d'abonnés, en janvier 1995. Or, cette même compagnie vient tout juste d'annoncer une augmentation de son abonnement à compter du 1er mars 1997. Il est à noter que les tarifs pour le service de base sont réglementés par le CRTC. Par contre, pour les services discrétionnaires, le CRTC n'intervient pas. Les câblodistributeurs sont donc libres de fixer pour ces services les taux qu'ils veulent. Cela signifie, pour les consommateurs de la plus grosse compagnie de câble du Canada, une hausse de près de 2 $ par mois sur leur facture dès le mois de mars.
Les chaînes spécialisées nouvellement autorisées commenceront à diffuser en septembre de l'an prochain, et les nouveaux services entraîneront des frais additionnels. En tant que législateurs, nous devons veiller à ce que ces services ne soient pas fournis selon la formule de l'abonnement par défaut, ou alors les consommateurs verront leur facture augmenter encore une fois. Tout cela se solde par une majoration des coûts et une diminution du revenu discrétionnaire pour des millions de Canadiens, en particulier pour ceux qui essaient de joindre les deux bouts avec un revenu fixe. Tout coûte plus cher... le chauffage, le téléphone, et maintenant le câble. Il serait juste que nous donnions aux consommateurs la possibilité de choisir lorsqu'il s'agit de chaînes de télévision optionnelles.
Le projet de loi n'a rien à voir avec la culture, la langue ou les droits des minorités. Or, malheureusement, certains le prétendent. Comme on pouvait le lire dans The Gazette de Montréal, à la page éditoriale du 27 novembre 1996:
Les détracteurs ont réussi à faire dévier la mesure en un débat linguistique. Mais la langue, dans ce cas, constitue davantage une habile diversion qu'une réelle préoccupation. La véritable question est de savoir si les compagnies de câble devraient avoir le droit de facturer des consommateurs non avertis pour des ensembles de canaux dont ils ne veulent pas, et la réponse est non.
Il y en a qui insistent pour dire que le gouvernement a une responsabilité fondamentale à l'égard des minorités francophones et que ces minorités doivent voir leur propre réalité se refléter sur les écrans de télévision. Par ailleurs, il y a ceux qui voudraient amender le projet de loi pour exempter les chaînes francophones de l'abonnement par défaut. Fait intéressant, les éditorialistes de l'Ottawa Citizen et du Toronto Star ont décrit ces critiques du projet de loi comme les champions d'une «duperie commerciale institutionnalisée» et d'un «apartheid linguistique».
Les questions de culture, de langue et de droits des minorités sont sans contredit couvertes par notre politique de radiodiffusion, telle qu'elle est énoncée dans la Loi sur la radiodiffusion et administrée et appliquée par le CRTC. Cette reconnaissance se reflète dans le service de câblodistribution de base. Toutefois, à l'ère des chaînes spécialisées, une nouvelle réalité est apparue, soit que certains canaux n'ont à peu près rien à voir avec la langue et la culture et tout à voir avec le divertissement. C'est un aspect qui n'a pas d'orientation linguistique, et il est tout simplement inacceptable de faire passer avant les droits des consommateurs l'avenir et la viabilité des nouvelles chaînes spécialisées.
Certains sénateurs ont laissé entendre que les Canadiens s'attendent à ce que le CRTC donne des conseils éclairés en matière de radio-télédiffusion. Il faut noter que le président du CRTC à une certaine époque, M. Keith Spicer, avait demandé aux membres du comité permanent du patrimoine canadien d'adopter le projet de loi.
Le témoignage d'Allan Darling, secrétaire général du CRTC, devant le comité le 30 mai dernier est extrêmement intéressant. Il a parlé des aspects techniques du projet de loi, en particulier des questions soulevées par certains au sujet de RDI, le Réseau de l'information, et du fait que certains craignaient que le projet de loi n'ait une incidence néfaste sur ce canal, ainsi que sur les autres chaînes spécialisées ou payantes que le CRTC autorisera dans le futur. M. Darling a donné la réponse suivante:
[...] la principale question est de savoir si le projet de loi empêcherait le CRTC d'imposer la diffusion, à titre de service obligatoire, du Réseau de l'information, RDI la réponse se résume en un mot: non.
Il a par la suite ajouté:
Il est clair que vous voulez, par ce projet de loi, faire en sorte que les nouveaux services de télévision payante et de chaînes spécialisées que le CRTC autorisera dans le futur, et cela se fera dans les prochains mois pour la plupart, ne soient pas imposés aux consommateurs par la technique de l'abonnement par défaut [... ] nous comprenons vos intentions et nous sommes d'accord. Nous avons préparé une nouvelle formulation... Nous vous demandons de bien vouloir l'étudier, car, à notre avis, cette nouvelle formulation permettrait d'atteindre les objectifs que vous visez...
Par la suite, l'amendement proposé par le CRTC a été appuyé par M. Guy Arsenault, secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine canadien. Le comité l'a ensuite accepté; il a approuvé le projet de loi, qui a été adopté par la Chambre à l'étape du rapport et en troisième lecture.
Il est à mon avis incroyable de constater que les opposants à ce projet de loi craignent que certaines chaînes spécialisées ne puissent pas survivre sans le mécanisme de l'abonnement par défaut. En fait, j'ai appris que certains détenteurs de licences eux-mêmes partageaient cette crainte. Le président du CRTC a traité de la question dans son témoignage au comité de la Chambre chargé d'étudier le projet de loi C-216. Il a rappelé les consignes qu'avait données le CRTC au secteur. Il a déclaré ce qui suit:
Nous avons dit: «Ne vous avisez pas d'utiliser la méthode de l'abonnement par défaut ni d'imposer quoi que ce soit.»
Il a ensuite repris textuellement les termes de l'Avis public 1995-29 du CRTC qui établit les critères précis que le CRTC doit suivre pour évaluer les demandes relatives aux nouvelles chaînes spécialisées ou payantes. Il a déclaré:
[...] les demandeurs devraient évaluer avec réalisme le nombre des abonnés potentiels, en tenant compte du degré d'acceptation possible des services par les consommateurs et les distributeurs [...] les demandeurs ne doivent pas tenir pour acquis que les services proposés seront distribués dans le cadre des services optionnels à forte pénétration.
M. Spicer avait également indiqué que les requérants devaient proposer une stratégie de commercialisation qui démontrait clairement de la part du public un intérêt marqué pour les services proposés, autrement dit, que beaucoup de gens étaient prêts à payer.
Madame la présidente, je vais terminer par quelques remarques sur certains points importants du projet de loi C-216. Le projet de loi ne s'applique qu'aux services spécialisés ou payants facultatifs. Le CRTC continuera de faire preuve de la souplesse nécessaire pour garantir la survie de la radio-télédiffusion en français et en anglais, au Canada. C'est toujours au CRTC qu'incombera la responsabilité de décider si une chaîne est obligatoire ou non. Si elle est obligatoire, alors le projet de loi ne s'appliquera tout simplement pas.
Les petits câblodistributeurs, c'est-à-dire ceux qui comptent moins de 2 000 abonnés, principalement des régions rurales, ne sont pas soumis au projet de loi. En outre, celui-ci n'empêche pas les câblodistributeurs de remplacer une chaîne par une autre, pourvu que la substitution n'augmente pas le prix global.
Pour terminer, je prie instamment tous les membres du comité d'examiner soigneusement le texte du projet de loi C-216. Il n'est pas le résultat de pressions exercées par des lobbyistes. Le projet de loi présente des dispositions souples, soigneusement rédigées, qui donnent à tous les consommateurs canadiens la protection qu'ils exigent et qu'ils méritent.
J'ai commencé par dire qu'il n'était pas du tout farfelu de laisser aux Canadiens le droit de décider des chaînes spécialisées qu'ils désiraient recevoir. De cela découle le principe selon lequel il est important, par ce projet de loi, de leur donner en outre le droit de disposer de ce qui reste de leurs revenus. En cette ère de taux de chômage élevé et de revenus disponibles de plus en plus maigres, c'est bien le moins que l'on puisse faire pour les Canadiens.
La présidente: Le sénateur MacDonald m'a soumis un rappel au Règlement me demandant de lire toutes les questions préparées par M. Fraser. Je vais vous demander, sénateur MacDonald, de poser toutes ces questions, si les membres du comité acceptent ma décision. S'il y a des questions auxquelles M. Gallaway ne peut pas répondre, il pourrait peut-être nous fournir les réponses après la réunion. Si les membres du comité ne sont pas d'accord avec ma proposition, nous devrons passer au vote.
Le sénateur Forrestall: Je me demande, madame la présidente, si le témoin a les connaissances techniques nécessaires pour répondre à beaucoup de ces questions.
La présidente: C'est pour cette raison que j'ai précisé qu'il pourrait nous envoyer les réponses par la suite s'il n'est pas en mesure de nous les donner maintenant.
Sommes-nous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Whelan: M. Fraser est-il là?
La présidente: Oui, à ma droite.
Le sénateur Whelan: Puis-je demander une précision à M. Fraser concernant une de ces questions?
La présidente: Ce n'est pas conforme à la procédure, sénateur Whelan, mais vous pouvez certainement lui poser une question en privé.
Le sénateur Whelan: Madame la présidente, avez-vous discuté de ces questions avec M. Fraser?
La présidente: En grand détail.
Le sénateur Whelan: Êtes-vous convaincue qu'aucune de ces questions n'a été proposée à M. Fraser par des personnes autres que ses propres attachés de recherche?
La présidente: M. Fraser a une grande expérience de la recherche et il fait un excellent travail.
Le sénateur Whelan: Je constate que nombre de questions préparées à notre intention sont de très bonnes questions. J'en ai posé certaines à des séances du comité, madame la présidente, parce que je les trouve excellentes aussi.
La présidente: Pour ne pas perdre trop de temps, si vous êtes d'accord, je vais demander au sénateur MacDonald de poser les premières questions.
Le sénateur MacDonald: Je vais vous poser des questions sans aucun commentaire, monsieur Gallaway, ce sont vos réponses qui m'intéressent.
D'après certaines opinions juridiques, la «protection du consommateur» relèverait exclusivement des provinces. D'ailleurs, le Québec et certaines provinces du Canada anglais, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, ont adopté des lois dans ce domaine. D'autre part, je crois que l'Assemblée législative ontarienne étudie actuellement une mesure de ce genre. Ne craignez-vous pas une contestation devant les tribunaux qui prétendrait que ce projet de loi fédéral est ultra vires?
M. Gallaway: Pour répondre à votre question, nous savons tous les deux que n'importe qui peut se référer à la Cour suprême et demander une décision en ce qui concerne le caractère intra vires ou ultra vires d'une loi. Le seul argument présenté à la Chambre des communes par les députés du Bloc était que cette pratique a été déclarée illégale dans la province de Québec. Or, si vous examinez la loi québécoise, la radiodiffusion fait exception. Autrement dit, dans la loi québécoise, il y a une exemption en ce qui concerne la radiodiffusion.
On reconnaît généralement que la vente de biens relève du domaine de compétence provinciale. Nous savons cela. Mais d'un autre côté, il y a d'autres exemples qui indiquent clairement que ces industries, si je peux les qualifier d'industries, ces activités qui sont réglementées par le fédéral, échappent à ce domaine de compétence.
En réponse à votre question, évidemment, on peut toujours le contester. Toutefois, je vous ferai observer qu'en Colombie-Britannique personne n'a tenté d'invoquer la loi qui d'après certains, interdit cette pratique. Et cela en dépit des protestations considérables que nous avons vues dans cette province en janvier 1995, la dernière fois qu'on a recouru à cette méthode.
Vous avez cité le cas de l'Ontario. Je peux vous dire que le projet de loi ontarien dont vous parlez a été proposé par un certain M. Cam Jackson, qui était à l'époque membre de l'opposition du temps du gouvernement de Bob Rae. Ce projet de loi n'a pas eu de suite et vous verrez, si vous examinez le calendrier législatif de l'Ontario, que cette province n'a pas l'intention de le présenter à nouveau.
Le sénateur MacDonald: Au Québec, on n'a pas le même concept de la méthode d'abonnement par défaut qu'au Canada anglais. Au Québec, les chaînes spécialisées sont venues s'ajouter au service de base avec une augmentation de prix réglementée. Au Canada anglais, ces services spécialisés ont été regroupés en paliers de services, dont les tarifs ne sont pas réglementés. Traditionnellement, ce sont des marchés différents et les méthodes de commercialisation sont différentes également. Ne pensez-vous pas que le projet de loi C-216 ne tient pas compte des caractéristiques uniques du marché québécois où l'on n'a même pas la même définition de la mise commercialisation selon la méthode d'abonnement par défaut qui existe au Canada anglais? Si c'est votre sentiment également, ne pensez-vous pas qu'il serait dangereux d'imposer une loi uniforme à deux réalités commerciales très différentes?
M. Gallaway: Il y a plusieurs compagnies au Québec, certaines d'entre elles ont des paliers de services, d'autres n'en ont pas. Si vous voulez, je pourrais vous envoyer une réponse écrite à cette question.
Vous parlez de «réalités commerciales»: pour répondre à votre question, je dois vous demander si nous parlons d'un marché unique ou bien si nous parlons d'un produit unique? Si vous examinez les chaînes qui ont été approuvées récemment par le CRTC pour le marché québécois, vous verrez dans cette liste une chaîne de bandes dessinées en langue française, une chaîne de musique en langue française, une consacrée exclusivement au grand titre des nouvelles (toutes les demi-heures, ça recommence) et une chaîne réservée aux questions de santé. Est-il dangereux d'appliquer une loi unique à deux réalités commerciales bien différentes? À mon avis, le canal consacré aux bandes dessinées n'a rien à voir avec la réalité commerciale. La question qui concerne la chaîne de bandes dessinées, est de savoir si le client veut d'un certain produit, et qu'on parle français ou anglais, cela n'a pas vraiment d'importance. Je pense que beaucoup de Québécois ne veulent pas d'une chaîne de bandes dessinées, mais cela est dû uniquement à leur âge. À mon avis, ce n'est pas une observation très profonde.
Est-il dangereux d'appliquer une loi unique à deux réalités commerciales bien distinctes? À mon avis, cela dépend du produit. Souvenez-vous qu'en présence d'une réalité commerciale quelconque, ou encore si une chaîne donnée importe un certain contenu culturel, ce projet de loi ne lie absolument pas les mains du CRTC, et que rien n'empêche le Conseil de déclarer: «C'est un service obligatoire, vous devez l'offrir».
Le sénateur MacDonald: Au Québec, les câblodistributeurs ont consulté leurs abonnés au sujet de la possibilité d'ajouter de nouvelles chaînes en 1995. Pour cette raison, de nouvelles chaînes ont été ajoutées avec beaucoup de succès. Techniquement parlant, on pourrait qualifier ce succès de stratégie de commercialisation selon la méthode d'abonnement par défaut. Toutefois, c'est un moyen qui a réussi pour affirmer la présence des chaînes spécialisées francophones au Québec, et cela ne contrevenait pas aux lois provinciales. Est-il normal qu'une loi fédérale impose une définition plus sévère de la mise en marché du câble, menaçant ainsi le lancement de canaux de langue française dans tout le Canada?
M. Gallaway: Pour commencer, je suis heureux d'entendre qu'aucune loi provinciale n'a été enfreinte. D'une certaine façon, cela vient confirmer ce que je vous ai dit au début. Je vais vous donner un exemple. Je me suis entretenu avec plusieurs groupes de consommateurs qui contrediraient tout à fait l'hypothèse que vous avez posée au début, c'est-à-dire que les compagnies ont consulté leurs abonnés au sujet des nouvelles chaînes et que leur lancement a connu un grand succès. Pour vous donner une comparaison, j'ai assisté récemment à une séance du comité de l'autre endroit où l'Association des banquiers canadiens a déclaré que d'après un sondage, 98 p. 100 de leurs clients étaient satisfaits. J'aurais préféré un peu plus d'indépendance, j'aurais préféré que cette satisfaction se manifeste par l'entremise d'un tiers. N'oublions pas non plus qu'il s'agit ici de produits tout à fait nouveaux. Peut-on extrapoler et tirer des conclusions pour un groupe de nouveaux produits dans l'avenir? Je ne sais pas exactement en quoi consistaient les nouveaux produits au Québec en 1995, mais ces résultats ne valent pas forcément pour l'avenir.
Le sénateur MacDonald: Le CRTC hésite beaucoup à stipuler des conditions pour régir la commercialisation de nouveaux services spécialisés, mais il semble que cet organisme en ait le pouvoir. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux régler tout cela par réglementation et non par voie législative?
M. Gallaway: C'est toujours un argument possible, effectivement, nous pourrions régler ici beaucoup de problèmes par réglementation.
Toutefois, je ne crois pas que le public le souhaite. À mon avis, le public préfère les lois aux règlements. Vous et moi savons que les règlements sont mouvants, qu'ils changent avec les gouvernements. C'est également une question de principes quelque chose de plus fondamental que ce qui peut être établi par réglementation. Je fais allusion au fait que les Canadiens ont le droit d'exercer un certain contrôle sur les produits, et en l'occurrence, sur les chaînes spécialisées et la télévision payante.
Le sénateur MacDonald: La grande majorité des entreprises de câblodistribution canadiennes ont déclaré qu'elles n'avaient pas l'intention d'utiliser à l'avenir la stratégie de commercialisation selon la méthode d'abonnement par défaut. J'ajoute que l'association qui représente 600 câblodistributeurs a déclaré très clairement qu'elle n'avait aucune intention de recourir à cette stratégie. Le président de cette association a dit que ce serait folie de le faire. N'êtes-vous donc pas convaincu que la commercialisation selon la méthode d'abonnement par défaut une chose du passé, et si c'est le cas, pourquoi modifier la Loi sur la radiodiffusion pour interdire une pratique qui n'existe pas?
M. Gallaway: En janvier 1995, les câblodistributeurs ont déclaré qu'ils n'auraient plus recours à cette pratique, mais ils ont continué à le faire pendant plusieurs mois encore. À partir de quel moment cet engagement prend-il effet? Après tout, c'est une association, et à ce titre, elle peut changer de politique demain. Dans ces conditions, pourquoi prétendre que cette loi ne devrait pas être adoptée?
Permettez-moi de vous rappeler les propos de M. Spicer, que je vais paraphraser. Il faisait remarquer que les câblodistributeurs avaient déclaré renoncer à l'abonnement par défaut comme technique de commercialisation, mais il disait également qu'il fallait adopter la mesure législative, qu'il n'y avait rien de mal à adopter une loi pour éviter une technique de vente contre laquelle les Canadiens et les consommateurs n'avaient aucune garantie.
Le sénateur MacDonald: Malgré la méthode de l'abonnement par défaut qui a été appliquée par le passé, les tarifs de câblodistribution, au Canada, sont demeurés comparativement bas; ils sont plus bas, en tout cas, que les tarifs américains. En utilisant cette technique de commercialisation, on a pu garantir une présence canadienne forte sur les écrans de télévision tout en continuant d'exiger un tarif mensuel assez faible. Ne devrait-on pas féliciter les câblodistributeurs au lieu de les blâmer?
M. Gallaway: Je ne connais pas la différence entre les tarifs de câblodistribution appliqués au Canada et ceux appliqués aux États-Unis, mais je suis prêt à croire que le tarif canadien est plus faible. Parallèlement, je vous ferai remarquer que ce projet de loi vise non seulement les sociétés de câblodistribution, mais aussi les services de télévision offerts en direct par satellite et par les réseaux téléphoniques, dont les consommateurs pourront bientôt se prévaloir. Que, comparativement au marché américain, nos tarifs soient plus intéressants, tant mieux; mais reconnaissez néanmoins qu'il y a aussi d'autres systèmes en cours d'installation et vous verrez alors quels seront les prix réels.
Permettez-moi de vous donner un exemple. J'habite à 400 mètres de la frontière américaine, sénateur, et plus personne ne s'intéresse à la câblodistribution dans ma localité... les gens achètent de petites antennes paraboliques et se procurent des adresses postales aux États-Unis. Ils estiment faire une bien meilleure affaire qu'avec le câblodistributeur local, Maclean-Hunter.
Admettez que le marché est quelque peu limité. Nos tarifs sont peut-être en moyenne meilleurs que ceux des États-Unis, mais il ne s'agit pas d'un marché ouvert puisque nous n'avons pas d'autre choix. La mesure législative proposée s'applique à un marché ouvert, dans la mesure où elle s'appliquera maintenant et aussi à l'avenir. Nous savons que les nouvelles technologies, la transmission en direct par satellite et la distribution par téléphonie, sont déjà à nos portes. Quoique fasse le Cabinet ou le CRTC, en réalité, dans les localités, les gens ont déjà accès à ces services. Les gens ne s'abonnent pas à ces services parce qu'ils font une meilleure affaire que les Américains, mais plutôt parce que ce sont des techniques concurrentielles qui permettent de faire une meilleure affaire.
Le sénateur MacDonald: D'ici peu, le Canada sera inondé de signaux américains et étrangers avec l'arrivée de la télévision dite à la carte. Un choix accru entraîne en général une plus grande concurrence étrangère pour les chaînes canadiennes. N'êtes-vous pas d'accord que nous devons faire tout en notre pouvoir pour faciliter au maximum la pénétration des chaînes canadiennes dans les foyers canadiens, en particulier au Québec, étant donné sa culture distincte et fragile?
M. Gallaway: Voilà une question intéressante. Prenons le cas de la dernière série de chaînes qui a été approuvée, en 1995.
Parmi les réseaux qui se prétendent typiquement canadiens et qui ont été vendus aux Canadiens sans leur approbation, on trouve un réseau dont l'émission la plus populaire, celle à partir de laquelle le tarif de la publicité est établi, est le Mary Tyler Moore Show... le Mary Tyler Moore Show, au réseau canadien qui exige les tarifs les plus élevés pour la publicité et possède la plus forte cote d'écoute. Prétendre que ces chaînes représentent la culture canadienne... mais je répète qu'il s'agit de chaînes spécialisées.
L'un des demandeurs -- je ne sais pas si sa demande a été approuvée ou non -- offrait une chaîne sur les chevaux. Existe-t-il un cheval qui soit typiquement canadien? Une licence a été accordée à une chaîne de comédie... existe-t-il une chaîne de comédie qui soit typiquement canadienne? Comme vous le savez, les comédiens travaillent dans tout le marché nord-américain. Les comédiens canadiens qui réussissent -- et que l'on continue d'identifier comme Canadiens -- travaillent tous quelque part au sud du 49e parallèle.
S'il y a quelque chose de typiquement canadien, il faut reconnaître que ce projet de loi n'empêchera pas le CRTC de statuer qu'il s'agit d'un service obligatoire qui doit être offert.
Pour ce qui est de la culture distincte et fragile du Québec, permettez-moi de vous poser une question. En théorie, croyez-vous vraiment qu'une chaîne de dessins animés sera représentative d'une culture distincte et fragile? Croyez-vous vraiment qu'une chaîne d'information diffusant les nouvelles internationales représente de quelque façon que ce soit une culture distincte et fragile?
Cette mesure législative ne limite en rien les pouvoirs discrétionnaires du CRTC à l'égard des chaînes qui pourraient renforcer ou représenter la culture fragile et distincte du Québec.
Sénateur MacDonald: Les chaînes Newsworld et RDI connaissent toutes deux beaucoup de succès au Canada, en grande partie parce qu'elles ont obtenu d'être distribuées obligatoirement avec le service de base. Si le projet de loi C-216 avait été adopté avant 1987, au moment où Newsworld et RDI ont obtenu leur licence, celles-ci ne seraient peut-être pas parvenues à pénétrer suffisamment le marché pour survivre. Ne reconnaissez-vous pas qu'étant donné les lourdes contraintes imposées par le projet de loi C-216, une démarche plus souple devrait être adoptée?
M. Gallaway: Ce dont il est question, c'est de chaînes spécialisées. D'une certaine façon, il s'agit d'une chaîne spécialisée, mais rien n'empêche le CRTC de décider si une chaîne est spécialisée, non spécialisée ou obligatoire. C'est pourquoi M. Darling, lorsqu'il a comparu devant le comité de l'autre endroit, a fait remarquer que ce projet de loi ne constitue pas une menace pour la RDI. Même si la RDI demandait aujourd'hui sa licence, le projet de loi ne serait pas un obstacle. Vous préconisez des méthodes souples? Ce projet de loi vous en fournit une.
Le sénateur MacDonald: Le projet de loi C-216 exige que les entreprises de câblodistribution obtiennent le consentement préalable de chaque abonné avant de facturer pour un nouveau service. Cette disposition les obligera à communiquer avec l'ensemble de 8 millions de foyers canadiens équipés d'une télévision pour leur demander de leur indiquer précisément les chaînes qu'ils veulent recevoir et celles qu'ils ne veulent pas. Ne trouvez-vous pas qu'il s'agit-là d'un processus fastidieux... qui risque d'acculer à la faillite les chaînes canadiennes, si un grand nombre de Canadiens n'indiquent pas leur préférence?
M. Gallaway: Je ne sais pas très bien ce que l'on entend par le terme «préférence» dans ce cas-ci, mais je suppose que cela veut dire que les Canadiens veulent ou ne veulent pas obtenir un certain ensemble de services. Est-ce un processus fastidieux, qui risque d'acculer à la faillite les câblodistributeurs? Ce n'est pas le genre de consultation qu'ils tiennent chaque semaine. Sur le marché, il existe un délai d'environ deux ans et demi entre la présentation de nouveaux produits.
Huit millions de foyers -- c'est bien le chiffre que vous avez mentionné? -- c'est la règle du jeu. Il s'agit d'une entreprise du secteur des services.
D'une façon générale, les banques sont en mesure de communiquer avec leurs clients environ une fois par mois -- et elles s'en tirent très bien. Les câblodistributeurs ne sont pas trop à plaindre non plus. Quelle autre entreprise pourrait commercialiser un nouveau produit par autopublicité -- gratuitement, autrement dit? Communiquer avec 8 millions d'abonnés, ce n'est pas une tâche onéreuse. Je ne crois pas que ce soit inhabituel non plus. Nous leur demandons de communiquer avec leurs clients, avec les gens qu'ils sont censés desservir... autrement dit d'adopter quelque chose qui se fait déjà d'une façon générale sur le marché
Le sénateur MacDonald: Le projet de loi C-216 stipule qu'il pourra y avoir facturation automatique si une nouvelle chaîne se substitue à un autre service. Cela ne risque-t-il pas d'irriter bon nombre d'abonnés qui pourraient se voir priver d'un service qu'ils voulaient conserver... précisément comme il est arrivé à Rogers en 1995?
M. Gallaway: Je sais de quel incident vous parlez. C'est sans doute au CRTC qu'il faudrait poser la question, puisque vous mentionnez un exemple bien précis. D'après le CRTC, ce genre de problème se produit de temps à autre dans le système. C'est surtout une question de disponibilité d'une chaîne ou d'un câblodistributeur en particulier.
Vous voudrez peut-être demander des statistiques à l'appui au CRTC... mais je ne les ai pas ici. Le CRTC a toutefois signalé le fait que ce genre de choses se produisait assez régulièrement sur le marché, quelle que soit l'acception qu'on puisse donner au terme régulièrement. Non, je ne pense pas que cela pose un problème.
Le sénateur MacDonald: Cette année encore devant le comité des Communes sur le patrimoine canadien, vous avez déclaré que «la facturation par défaut des nouveaux services risque effectivement de compromettre le service qu'elle ait précisément censé faire vendre». Vous avez ajouté que les nouvelles chaînes mises en ondes en 1995 n'avaient pas été très bien accueillies par la population en raison de la «réaction négative du consommateur». En réalité, ces services ont connu un taux de pénétration de 60 p. 100 et ce taux continue à augmenter. Ne conviendriez-vous pas que jadis, la formule de facturation par défaut avait au moins l'avantage de favoriser la pénétration des chaînes canadiennes sur le marché canadien, permettant ainsi à la population de les regarder, ce qui lui aurait alors permis de constater progressivement qu'effectivement, ces chaînes étaient intéressantes?
M. Gallaway: Je ne me souviens pas avoir dit cela devant le comité permanent. Ce que j'ai déclaré -- et je parlais je crois davantage au conditionnel -- c'est que lorsqu'on donne quelque chose à quelqu'un de force, on risque une réaction négative. N'oubliez pas que lorsque vous parlez d'un taux de pénétration de 60 p. 100, vous parlez en fait d'un système qui constitue un genre de saturation par défaut imposé. Ce qui s'est produit en réalité, c'est que les gens ont fini par décliner.
Si vous remontez à ce qui existait avant la flambée de facturation par défaut qui a eu lieu en 1995, je ne me souviens pas au juste de l'année, mais cela s'est produit quelques années avant, le taux de pénétration était de loin supérieur. Ce qu'on peut constater, c'est que de nombreuses personnes ont fini par décliner parce qu'elles en avaient ras le bol. Soit qu'elles n'en voulaient pas, soit qu'elles ne pouvaient pas se le permettre, soit encore qu'elles ont trouvé toute la méthode parfaitement répugnante. Que le taux augmente ou non, l'hypothèse est intéressante certes, mais selon moi, il n'y a rien qui permette de conclure cela de façon péremptoire.
Le sénateur MacDonald: Dans le courant de l'année, Keith Spicer a déclaré devant le comité des Communes: «Cette loi enfonce probablement une porte ouverte parce qu'en réalité, le problème a été résolu par les consommateurs, et par conséquent par le marché lui-même.» Effectivement, la facturation par défaut est la résultante de la captivité dans laquelle les monopoles tiennent les consommateurs. Par contre, ces derniers auront très bientôt plusieurs choix par rapport au câble: le câble sans fil, la télévision par satellite, la télévision par Internet et ainsi de suite.
Étant donné l'avènement de cette nouvelle ère de concurrence, la facturation par défaut ne deviendra-t-elle pas très vite caduque et, si c'est le cas, pourquoi intervenir par voie législative? Pourquoi ne pas simplement laisser le marché réguler les services offerts par câble?
M. Gallaway: Pour commencer, c'est vous qui supposez que le marché assure la régulation des services diffusés par câble. Cette affirmation ouvre de toute évidence sur une discussion extrêmement philosophique. D'aucuns vous diront que notre industrie de la câblodiffusion est déjà très compétitive, mais elle est extrêmement réglementée. Vous savez comme moi que lorsque la télévision vous parviendra par satellite ou par une ligne téléphonique, cela demeurera une industrie réglementée.
Nous arrivons ici au coeur de la question philosophique, en l'occurrence une industrie réglementée est-elle vraiment compétitive, s'agit-il véritablement d'un marché libre? D'aucuns proposent qu'on supprime toute la réglementation... en d'autres termes, en ne laissant le CRTC réglementer que quelques aspects très techniques, comme le diamètre des câbles et ainsi de suite, mais en lui interdisant d'intervenir de la moindre manière au niveau du contenu. Si vous parlez d'un marché libre, et si la question du contenu vous inquiète, de quel genre de marché libre parlons-nous alors, c'est cela la question que je vous pose.
Non, je n'accepte pas l'idée que c'est le marché qui assure la régulation des services diffusés par câble. Parlons de ce qu'il en est à propos de la télévision étant donné que ce projet de loi s'applique aux futurs services de télévision, la télévision par satellite et par téléphone. Si nous voulons qu'il y ait un marché, je dois partir du principe que ce marché demeurera réglementé. Je rejette par conséquent l'idée qu'il y a déjà un marché et que plus tard, à moins de profonds bouleversements, il y aura également un marché. Je pense que les éléments dont nous disposons portent à penser que les marchés réglementés sont beaucoup plus faibles que les marchés libres.
Le sénateur MacDonald: Je n'ai rien à répliquer à ces réponses; je laisse ce soin à mes collègues. Je voudrais simplement dire à M. Gallaway que je ne connais personne au Canada anglais qui soit favorable à la facturation par défaut comme technique de commercialisation. Je tiens à vous faire valoir que je ne suis pas favorable à cette formule. Cela étant, certains sénateurs ont eu le sentiment que votre projet de loi, malgré toutes ses qualités, pouvait avoir des conséquences imprévues et c'est la raison pour laquelle, vous le savez je n'en doute pas, nous sommes ici.
La présidente: Sénateur MacDonald, vous avez oublié de poser votre question numéro un.
M. Gallaway: Puis-je la lire pour mémoire, madame la présidente?
La présidente: Pourquoi pas.
M. Gallaway: En 1995, il n'y avait qu'une seule compagnie de câblodistribution pour laquelle la facturation par défaut posait problème, c'était Rogers, non pas que cette compagnie ait ajouté de nouvelles chaînes facturables, mais bien parce qu'elle avait supprimé certaines chaînes existantes pour les abonnés qui ne souhaitaient pas souscrire aux nouvelles. D'autres compagnies de câblodistribution ont fort bien réussi à offrir de nouvelles chaînes spécialisées sans que cela leur pose vraiment problème. Est-ce que toutes les compagnies de câblodistribution doivent pâtir du fait qu'une seule d'entre elle, Rogers, a commis une erreur en matière de commercialisation? Ce projet de loi ne revient-il pas à jeter le bébé avec l'eau du bain?
En fait, vous avez ici encore formulé une hypothèse qui est totalement fausse. J'habite, quant à moi, dans la partie méridionale du Canada, dans le sud de l'Ontario. Je puis vous dire qu'en janvier 1995, j'étais abonné au câble. Je vis dans un grand centre urbain, un marché qui se situe dans cette partie extrêmement peuplée du sud de l'Ontario, et savez-vous quoi, je n'étais pas abonné à Rogers. J'ai beaucoup plus souffert que ce que vous nous avez décrit parce que j'étais abonné non pas à Rogers, mais à une autre compagnie de câblodistribution. Vous êtes partie du principe qu'il ne s'agissait que de Rogers, mais vous vous trompiez. Que puis-je vous dire d'autre?
Le sénateur Whelan: Je n'ai rien d'autre à dire, mais je voudrais féliciter M. Gallaway pour son exposé au nom des consommateurs canadiens.
Le sénateur Atkins: Avant de poser ma question, je dois vous dire que j'étais il y a deux semaines à Petrolia, dans la partie la plus méridionale de l'Ontario, et plusieurs personnes sont venues me demander ceci: «Pourquoi les sénateurs conservateurs sont-ils contre le projet de loi de M. Gallaway?» Je leur ai demandé qui leur avait dit cela, et ils m'ont dit: «M. Gallaway». Ce que vous devriez savoir, monsieur, c'est que nous ne bloquons pas ce projet de loi, et que notre caucus n'est pas contre ce projet de loi; bien au contraire, il souscrit au principe qui l'anime. La vérité, c'est que M. Gauthier, qui est hospitalisé, a ajourné le débat et que c'est un sénateur libéral qui bloquait ce projet de loi, pas nous.
La présidente: Je pense que vous êtes un peu injuste, sénateur Atkins.
Le sénateur Atkins: Pas du tout.
La présidente: Le sénateur Gauthier était très malade et il voulait prendre la parole à propos du projet de loi C-216. Je dois rendre justice à tout le monde.
Le sénateur Atkins: Je ne suis pas du tout injuste à son endroit. J'ai simplement dit ce qu'il en était. Depuis lors, les choses ont bougé. Je persiste toutefois à penser qu'il était injuste de votre part de nous accuser d'être ceux qui étaient contre le projet de loi et qui le retardaient.
M. Gallaway: Pour commencer, vous savez peut-être sénateur que Petrolia n'est pas dans ma circonscription.
Le sénateur Atkins: Peu importe... j'ai parlé du sud de l'Ontario.
M. Gallaway: Ce n'était qu'une remarque. En second lieu, nous ne sommes pas nés d'hier vous et moi, et nous savons tous deux qu'il y a souvent une différence fondamentale entre ce qu'on dit et l'impression que les gens en tirent. En fait, je me demande ce que vous faisiez à Petrolia.
Le sénateur Atkins: Je prenais la parole devant une association progressiste conservatrice.
La seule question que j'aurais à poser est celle-ci: est-ce que votre ministre est désormais en faveur de votre projet de loi?
M. Gallaway: En réponse à cela, je vous dirais qu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire, un projet de loi qui d'ailleurs a été adopté par la Chambre. Le ministre n'a pas pris part au vote en troisième lecture quoiqu'une fois encore j'ai l'impression -- et ce n'est qu'une impression que j'ai eue à la lecture des journaux -- qu'elle est favorable à mon projet de loi.
Le sénateur Atkins: Vous n'en avez pas discuté avec elle?
Le sénateur Corbin: Quand le projet de loi a-t-il été déposé à la Chambre?
M. Gallaway: Il a reçu la première lecture en février 1995. J'imagine, sénateur, que vous connaissez la procédure applicable aux projets de loi d'initiative parlementaire dans l'autre Chambre. Mon projet de loi a été tiré au sort en mars ou en avril de cette année, puis il a été étudié en comité. Je sais qu'à la toute fin de mai, au début de juin, le comité s'en est saisi pendant deux ou trois semaines. Puis évidemment, la Chambre a ajourné pour l'été. Le projet de loi a été adopté par la Chambre le 23 septembre.
[Français]
Le sénateur Corbin: Qu'entendez-vous par une chaîne spécialisée? Vous avez dit tantôt que RDI...
[Traduction]
... ou Newsworld, et dans une certaine mesure une chaîne spécialisée. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par «spécialisée»; cela est-il défini dans la loi ou dans la réglementation d'application?
M. Gallaway: «Spécialisé» selon moi, et encore une fois vous devriez poser la question aux chargés de la réglementation du CRTC, répond à la définition donnée dans les règlements conformément à la Loi sur la radiodiffusion. Une station ou une chaîne qui soit effectivement spécialisée n'est nullement déterminée par le CRTC. Admettez je vous prie qu'il ne s'agit pas ici d'une loi, et ce n'est pas irrévérencieux ce que je dis ici, qu'on a voulue rétroactive. Ce dont nous traitons ici, comme nous l'ont dit très clairement les témoins de ce matin, ce sont des chaînes qui seront offertes à l'avenir, en l'occurrence l'entreprise à laquelle le CRTC a accordé une licence en septembre, et il s'agit dans tous les cas de chaînes spécialisées et de certaines à péage.
Le sénateur Corbin: Je voudrais parfaitement comprendre votre interprétation de ce que sont ces chaînes spécialisées. À cet égard, je vous cite le premier paragraphe de votre déclaration:
[...] nonobstant la langue officielle parlée devraient avoir le droit de choisir les chaînes spécialisées (et j'insiste sur cette expression) [...]
Estimez-vous que les émissions en langue française dans les provinces autres que le Québec soient des chaînes spécialisées?
M. Gallaway: Non. Là où j'habite, nous avons trois chaînes françaises dont deux parties du menu de base. De toute évidence, je ne considère pas qu'il s'agisse de chaînes spécialisées. Elles font partie du menu de base et elles sont donc censées être obligatoires.
Le sénateur Corbin: Ah vraiment? Vous voulez donc dire qu'elles vous sont imposées?
M. Gallaway: En effet, elles font partie du menu de base. Elles sont imposées dans la mesure où, si vous décidez de vous abonner à la câblodistribution, ce sont les chaînes que vous allez recevoir, et vous le savez d'ailleurs au moment où vous vous abonnez.
Le sénateur Spivak: Ma question a trait à la question numéro 8. Je n'ai pas tout à fait bien compris votre réponse. Il est admis de longue date au Canada que la télévision et le spectacle ne sont pas simplement une industrie. À mon sens, nous ne devrions pas nous opposer à l'idée de dépenser de l'argent pour permettre à la culture canadienne de s'épanouir. Si je dis cela c'est parce que c'est ce que nous faisons pour tout le reste: nous voulons une industrie nucléaire florissante, nous dépensons donc 1,5 milliard de dollars pour vendre des réacteurs.
À votre avis, que devrions-nous faire pour accorder un handicap aux petites entreprises canadiennes, c'est-à-dire ces chaînes-là, afin de leur permettre de se lancer et de prospérer afin de pouvoir être concurrentiel dans un marché où les chances sont inégales? À votre avis, que devrions-nous faire pour assurer l'épanouissement de la culture et selon vous, cela est-il important?
M. Gallaway: Bien sûr que je pense que c'est important, mais vous posez là des questions tout à fait fondamentales à propos de la définition même de la culture canadienne. Je vous ai donné l'exemple d'une chaîne qui était censée valoriser la culture canadienne et dont l'émission la plus populaire mettait en vedette Mary Tyler Moore.
Le sénateur Spivak: Il y a toutes sortes d'autres chaînes spécialisées qui ne sont pas du tout dans ce cas.
M. Gallaway: Mais nous sommes à l'aube de ce qu'on a appelé l'univers des 500 chaînes.
Le sénateur Spivak: Oui, il y aura énormément de pacotille.
M. Gallaway: À un moment donné -- et je n'exprime que mon opinion -- la culture canadienne ne devra plus avoir besoin qu'on la protège. Ou nous avons une culture qui peut survivre par elle-même, ou tout est perdu de toute façon.
Le sénateur Spivak: Cela n'est pas vrai de l'autre côté de la frontière. Ce n'est pas vrai nulle part ailleurs. Les peuples subventionnent leur culture. Les Américains dépensent 500 millions de dollars par an pour appuyer l'exportation à l'étranger des produits Campbell. C'est un fait. J'ai du mal à comprendre votre idée -- et reprenez-moi si je me trompe -- qui est que nous ne devrions pas dépenser un sou, que tous nos artistes doivent être autosuffisants et que la culture canadienne et la langue québécoise peuvent disparaître si elles ne peuvent se tailler une place sur les marchés commerciaux. Est-ce là votre attitude?
M. Gallaway: Ce n'est pas ce que je dis. Examinons le projet de loi. Nous parlons de chaînes spécialisées, de divertissement, de Coup de pouce. Si vous dites qu'une chaîne, un réseau ou un produit en particulier, de l'avis du CRTC... soyons honnêtes, nous avons toujours dit que le CRTC avait l'autorité voulue pour déterminer ce qui fait partie du patrimoine canadien et ce qui n'en fait pas partie. Cela n'entrave absolument pas son pouvoir d'intervention à l'égard d'un produit en particulier.
Le sénateur Spivak: Vous avez tout à fait raison là dessus.
M. Gallaway: Ne seriez-vous pas un peu contrariée de voir apparaître sur votre écran de votre télévision, la chaîne hippique ou une chaîne de dessins animés? Peut-être êtes-vous une fanatique des bandes dessinées, mais moi, cela ne m'intéresse guère.
Le sénateur Spivak: Ce qui m'intéresse c'est de promouvoir l'industrie de l'animation canadienne, qui fabrique des produits très haut de gamme. Par conséquent, si une chaîne de dessins animés adopte des produits d'animation canadiens, je suis tout à fait prête à accepter cela.
M. Gallaway: Autrement dit, ce que vous me dites notamment c'est qu'il existe un très bon département d'animation au collège Sheridan.
Le sénateur Spivak: Je peux passer en vitesse sur cette chaîne, je ne suis pas forcée de la regarder.
M. Gallaway: Mais, cela vous coûte 50c. Vous supposez que tout le monde au Canada a suffisamment d'argent pour appuyer certaines facettes de l'industrie du divertissement et que c'est une bonne façon de procéder. Cela représente une dichotomie intéressante: certains allèguent que c'est une façon d'appuyer la culture canadienne; pourtant, je lisais dans le journal de ce matin que, selon les Amis de Radio Canada, face au nouveau contexte dans lequel la société doit évoluer, personne n'en fait assez. Quelle est la logique dans tout cela?
Vous me dites que cela est bon pour l'emploi, que c'est bon pour la culture et pour les techniciens en animation. Pour revenir à ce que j'affirmais au début: la culture va survivre d'elle-même; elle n'aura pas besoin d'aide.
Le sénateur Spivak: Je voudrais préciser mon argument. Je n'ai rien contre la méthode d'abonnement par défaut. Cela dit, c'est une façon de procéder qui ne m'apparaît pas très bonne étant donné que de nombreuses personnes s'en sont plaintes.
Ce que je veux dire, c'est ceci: au Canada, nous appuyons et subventionnons de nombreuses activités sans avoir vraiment le choix. Comme nous vivons en démocratie, nous convenons de faire cela. Chose certaine, on souhaite accorder une grande priorité au soutien à la culture canadienne. Il ne faut pas constamment adopter une perspective commerciale et se dire que si la culture canadienne disparaît parce que Disney nous dame le pion, tant pis. Ce n'est pas la façon de s'y prendre. En tant que Canadiens, nous devons soutenir notre culture par tous les moyens nécessaires. Autrement, nous aurons perdu quelque chose d'éminemment précieux.
Ma question est la suivante: prônez-vous cette opinion? Ou pensez-vous qu'il faut tout subordonner à la règle du marché?
M. Gallaway: Je dois vous signaler que Walt Disney apporte le plus gros soutien financier au département d'animation du Collège Sheridan.
Vous dites en réalité: pourquoi ne pas simplement insérer cela au nom du soutien à la culture canadienne? Ce n'est peut-être pas vraiment ce que vous avez dit, mais je généralise. Soyons tout à fait justes et francs envers les Canadiens en leur disant que nous allons commencer à fournir des services gratuits, mais que nous allons augmenter le taux d'imposition pour en défrayer le coût; nous croyons que dans c'est dans le meilleur intérêt de la culture de notre pays, indépendamment de la question de la langue. Mais ne le faisons pas subrepticement, en disant aux gens qu'il s'agit en quelque sorte de culture. De grâce, ne faites pas affront à l'intelligence du Canadien moyen, en lui disant en quoi consiste ou pas la culture. Je crois que les téléspectateurs reconnaissent la culture canadienne lorsqu'ils la voient. Je ne crois pas que ce soit toujours le cas des membres des organismes de réglementation.
Le sénateur MacDonald: Dans le Toronto Star d'aujourd'hui, que j'aurais dû apporter avec moi, il y a un article dans lequel on dit que vous avez eu une réunion avec notre collègue le sénateur Hervieux-Payette et que vous étiez surpris de voir à cette réunion trois hauts fonctionnaires du ministère du Patrimoine. Ils vous auraient demandé ce que vous seriez prêt à accepter; pourriez-vous nous dire ce qu'ils vous ont demandé?
M. Gallaway: Ils ont suggéré une modification au projet de loi pour exempter la province de Québec et certaines parties du Nouveau-Brunswick. En réalité, ce n'est pas le ministère qui a formulé cette demande, c'était d'autres personnes présentes.
Le sénateur MacDonald: Trois bureaucrates du ministère étaient tout de même présents?
M. Gallaway: Ils étaient présents, en effet.
Le sénateur MacDonald: Le sous-ministre adjoint, M. Rabinovitch, était là?
M. Gallaway: Oui, c'est exact.
Le sénateur MacDonald: Qu'avez-vous répondu à leur suggestion?
M. Gallaway: Je n'avais pas de réponse à donner. Ils m'ont remis un document que j'ai emporté avec moi en disant que j'y réfléchirais. Je trouve cela plutôt amusant.
Le sénateur MacDonald: Vous les avez qualifiés de «geignards», n'est-ce pas?
M. Gallaway: Oui, en effet.
Le sénateur Robichaud: Je ne m'y connais pas très bien dans le domaine des communications -- contrairement au sénateur Poulin -- mais il y a certaines choses qui m'intriguent. Je suis abonné à un forfait de Rogers. Ce forfait comprend plusieurs chaînes dont je pourrais me passer, mais je les tolère. J'aimerais que vous me donniez des exemples de ce que vous voulez dire dans le troisième paragraphe de votre mémoire, où vous déclarez qu'après une période de temps indéterminé, un consommateur accepterait la présence de chaînes spécialisées et les coûts qui les accompagnent. Avez-vous des exemples de tels programmes qu'on impose aux consommateurs sans leur consentement?
M. Gallaway: Oui.
Le sénateur Robichaud: J'aimerais que vous me donniez des exemples. Je pense en particulier, par exemple... et je n'irai pas par quatre chemins. Dans certaines régions où il y a des chaînes françaises à la télévision, sont-elles imposées? Et si oui, une majorité d'anglophones pourrait-elle les bloquer?
M. Gallaway: Non. Dans la première partie de votre question, vous dites vouloir des exemples. Vous pouvez vous référer aux coupures de presse de janvier ou février 1995, au moment où on a imposé ces chaînes. Un certain nombre de câblodistributeurs de différentes régions du pays les ont imposées.
Le sénateur Robichaud: Quelles étaient les chaînes?
M. Gallaway: Bravo, Showcase, The Women's Network. Si vous le voulez, je peux certainement faire transmettre au comité ou à vous-même, sénateur, la liste des chaînes qu'on a imposées.
Le sénateur Robichaud: Oui, j'aimerais avoir cette liste... le numéro, le nom des chaînes en question et à qui ont les a imposées.
M. Gallaway: Elles ont été imposées à tous les abonnés dont la maison était raccordée à certaines sociétés de câblodistribution?
Le sénateur Robichaud: Où? À quels endroits?
M. Gallaway: Très bien, je pourrai vous transmettre ces renseignements. Madame la présidente, dois-je les faire parvenir au greffier?
La présidente: Oui, s'il vous plaît.
M. Gallaway: Je crois que la deuxième partie de votre question porte sur la langue.
Le sénateur Robichaud: Oui.
M. Gallaway: Dans certains marchés, la majorité peut-elle refuser une chaîne? Non, ce n'est pas possible. Le CRTC peut insister en tout temps pour qu'une chaîne particulière soit offerte. Aux termes de la loi actuelle et compte tenu de la réalité du marché jusqu'à maintenant, le consommateur n'a pas le droit de refuser une chaîne particulière.
Toutefois, il y a deux ou trois petites compagnies de câblodistribution au Canada qui ont pris la peine de communiquer avec leurs abonnés -- je ne sais trop si c'était par courrier ou par téléphone, mais cela a dû être très coûteux -- pour leur donner le choix. Mais, chose certaine, la grande majorité des câblodistributeurs ne l'ont pas fait. Donc, la majorité des abonnés n'ont pas eu le choix. Ils n'ont pu que l'accepter tacitement, comme je l'ai dit.
Le sénateur Robichaud: Ils ont tacitement donné leur accord, cela revient à cela.
Le sénateur Poulin: Monsieur Gallaway, je crois pouvoir parler en notre nom à tous quand je dis que nous sommes fort impressionnés par les objectifs que vous poursuivez, que c'est dans l'intérêt public. Je crois que chacun à l'autre endroit et au Sénat partage votre préoccupation à cet égard.
Compte tenu de l'esprit et de la responsabilité du Sénat, qui est la Chambre de réflexion, nous nous penchons non seulement sur l'histoire du pays, mais sur l'historique d'une mesure législative particulière. À cet égard, les premiers articles de la Loi sur la radiodiffusion stipulent que la responsabilité et l'objectif sont de protéger... je crois qu'elle a été mise à jour en 1988, madame la présidente, si ma mémoire est fidèle.
Quand a eu lieu la dernière révision de la Loi sur la radiodiffusion?
M. Gallaway: En 1991.
Le sénateur Poulin: Les premiers articles visent donc à protéger et à promouvoir l'identité de notre vie culturelle canadienne. En 1991, le secteur de la câblodistribution était déjà florissant au Canada; nous avions déjà accès à des chaînes spécialisées. Compte tenu de l'examen approfondi de la Loi sur la radiodiffusion qui a été fait à ce moment-là, pourquoi n'a-t-on pas jugé dans l'intérêt public de moderniser ces articles en 1991, comme vous le recommandez aujourd'hui?
M. Gallaway: Vous savez également, sénateur, puisque vous avez travaillé pendant un certain nombre d'années pour un radiodiffuseur public, que si la politique était constante, nous ne modifierions jamais la législation canadienne. Si vous examinez l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, vous constaterez qu'on y insiste pour que le système reflète les besoins et les souhaits de consommateurs. Il est évident qu'à certains égards, le CRTC n'a pas tenu compte de cette disposition dans l'application ou l'interprétation de la loi. Autrement dit, si le CRTC avait suivi scrupuleusement ce qui me semble être la politique énoncée à l'article 3, nous n'aurions jamais eu de révolte des consommateurs. Mais les consommateurs se sont révoltés parce que c'est la technologie qui est en jeu dans la radiodiffusion et que la technologie évolue à un rythme que l'on n'avait absolument pas envisagé en 1991, et encore moins dans le cadre de l'étude menée en 1988.
Nous ne réclamons pas un changement majeur de politique au Canada; nous demandons simplement que le consommateur ait son mot à dire, aux côtés du CRTC et des compagnies de câblodistribution. Qu'y a-t-il de mal à assurer un minimum de protection aux gens qui achètent le produit?
Les études ont montré que la majorité des Canadiens ne font pas confiance au CRTC, ne croient pas qu'il fait du bon travail. Quand la grande majorité des Canadiens sont d'avis que le CRTC ne fait pas bien son travail, surtout en ce qui a trait à la câblodistribution, vous et moi, à titre de législateurs du pays, avons un problème. Or quand nous avons un problème, nous nous en sortons souvent en modifiant la loi. C'est ce que nous faisons ici. Nous modifions la loi pour refléter la réalité du marché et pour tenir compte de ce que les Canadiens voudraient comme législation.
Le sénateur Poulin: Si cette modification est adoptée, qu'est-ce que cela changera en pratique pour le consommateur? Pourriez-vous comparer pour nous la situation avant et après cette modification?
M. Gallaway: Bien entendu, mais nous ne savons pas encore combien coûteront les nouvelles chaînes.
Le sénateur Poulin: D'après les renseignements dont nous disposons maintenant.
M. Gallaway: J'ai essayé d'obtenir des renseignements relativement au marketing en m'adressant plus tôt cette semaine au CRTC, puisque j'avais prévu cette question. Mais le CRTC n'a pas trouvé l'information. Nous la demandons depuis des jours déjà.
J'ai parlé un peu plus tôt des augmentations de janvier 1995, qui étaient en moyenne de 40 $ par an. C'était la moyenne canadienne. Je ne sais vraiment pas ce que ce sera cette fois.
Le sénateur Poulin: Actuellement, si je m'abonne à un service de câblodistribution, qu'est-ce que j'obtiens et comment ces chaînes sont-elles fournies? Deuxièmement, comment votre modification changera-t-elle la situation?
M. Gallaway: Les compagnies de câblodistribution offrent actuellement divers choix. À Ottawa, c'est la compagnie Rogers qui offre le service. Vous pouvez opter pour le service de base ou le service de base étendu, et je crois qu'il y a encore deux autres options. Vous avez donc jusqu'à quatre choix.
Le sénateur Poulin: Quatre choix, c'est-à-dire quatre forfaits?
M. Gallaway: Oui.
Le sénateur Poulin: Pour chaque forfait, les chaînes sont choisies par le câblodistributeur?
M. Gallaway: Oui. Tout dépend de leur stratégie de commercialisation. Ce que mon projet de loi changera... Ce sera aux compagnies de câblodistribution de le déterminer. Ce projet de loi ne leur dicte pas leur stratégie de commercialisation. Il établit des paramètres de base sur les tarifs et sur ce qu'elles doivent faire avant la commercialisation.
Le sénateur Poulin: Mais qu'est-ce que cela veut dire exactement, en pratique, monsieur Gallaway?
M. Gallaway: Il faut poser la question aux câblodistributeurs. Je ne fais pas partie du CRTC et je ne fais pas de commercialisation. Je dis simplement qu'on a ici un minimum de protection pour le public. Comment les compagnies de câblodistribution vont présenter leur produit, c'est à elles d'en décider, comme le font tous les détaillants.
Le sénateur Poulin: Si vous ne pouvez pas me dire en pratique ce que cela signifie pour chaque consommateur, comment pouvez-vous prétendre que c'est dans l'intérêt du public?
M. Gallaway: Je peux dire que c'est toujours dans l'intérêt du public d'avoir le droit de déterminer s'il choisira un produit qu'on lui facturera.
Le sénateur Poulin: Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le principe.
M. Gallaway: Le public canadien approuve en principe; de très nombreux Canadiens sont d'accord avec moi.
Le sénateur Poulin: Nous sommes tous d'accord avec vous, en principe. J'essaie de voir ce qu'il en est en pratique. Autrement dit, nous avons actuellement le choix entre quatre services, ou quatre menus de chaînes. Si cette modification est adoptée, qu'est-ce que cela changera au menu offert?
M. Gallaway: C'est à la compagnie de câble d'en décider, dans le cadre de son marketing. Pour commencer, elle doit choisir autre chose que le service de base; pour le reste, c'est à elle de décider.
Le sénateur Poulin: Vous ne pouvez donc pas me répondre?
M. Gallaway: Non. Je ne suis pas dans la câblodistribution. Je suis désolé de vous décevoir, mais c'est aux câblodistributeurs de décider de leur stratégie. Le projet de loi ne leur impose aucune contrainte dans ce domaine.
Le sénateur Poulin: Le consommateur aura-t-il à choisir entre des menus pré-choisis, ou entre divers services, à prix variable? J'essaie de comprendre l'application du projet de loi.
M. Gallaway: Son application dépendra du marché, c'est-à-dire les câblodistributeurs. C'est en fait à eux qu'il faudrait poser ces questions.
Le sénateur Poulin: Est-ce à dire que vous voulez que les compagnies de câblodistribution décident elles-mêmes de ce que veulent les consommateurs, au lieu de laisser ce soin aux responsables parlementaires que nous sommes tous? Je ne comprends pas.
M. Gallaway: Je ne pense pas, sénateur, qu'il soit radical de laisser aux compagnies de câblodistribution le soin de décider de leur stratégie de marketing. Tout ce que je vous dis, c'est que ce projet de loi ne leur prescrit pas la façon de vendre leurs produits. Si elles veulent ajouter quelque chose à cela, c'est leur affaire. Je ne pense pas que nous soyons là pour leur dire comment présenter leurs produits. Par contre, nous pouvons leur dire de ne pas vendre un produit sans le consentement de la personne qui l'achète, un point c'est tout selon les paramètres définis dans ce projet de loi. Quelles que soient leurs techniques de marketing, peu m'importe.
Le sénateur Poulin: Je ne pense pas que ce soit une question de technique de marketing mais plutôt de faisabilité; c'est pourquoi j'aimerais savoir qu'elle est la faisabilité de l'application pratique de votre projet de loi.
M. Gallaway: Encore une fois, si Rodgers obtient quatre nouvelles licences, qu'elles soient utilisées pour le premier, le deuxième, le troisième ou le quatrième menu, je ne sais pas, je n'en ai aucune idée.
Dans son communiqué de presse du 30 novembre 1995, au sujet des nouvelles chaînes, le CRTC se disait prédisposé à envisager des propositions fondées uniquement sur la distribution discrétionnaire, que ce soit les services autonomes ou les services optionnels à faible pénétration.
Je peux vous lire tout le communiqué, mais je crois que cela répond à votre question.
Le sénateur Poulin: Pas tout à fait, monsieur Gallaway. Vous voudrez peut-être faire des recherches pour répondre à ma question qui est d'un grand intérêt pour tous les Canadiens. Nous savons que la Loi sur la radiodiffusion est la loi habilitante pour le CRTC et que par conséquent, le CRTC doit prendre des décisions en fonction de cette loi. Je voudrais que vous me disiez ce que cela signifie en pratique, pour le consommateur.
Madame la présidente, je veux être juste envers notre collègue de l'autre endroit.
M. Gallaway: Je ne suis pas certain de bien comprendre votre question. Vous voulez savoir dans quel menu de service cela se retrouvera? Ou voulez-vous connaître l'effet pratique pour les Canadiens?
Le sénateur Poulin: Je veux savoir quel choix auront les consommateurs par suite de ce changement à un article de la Loi sur la radiodiffusion.
M. Gallaway: Je pense que la réponse... il est difficile de quantifier puisque cela variera d'un marché à l'autre, vous le comprendrez, parce que certaines compagnies retiendront davantage de services que d'autres. D'une certaine façon, par conséquent, tout déprendra du marché. Mais par ailleurs, je peux signaler que cela aura un effet positif pour le consommateur moyen. Je le sais parce que le CRTC m'a encouragé à faire adopter ce projet de loi dont l'intention lui paraît acceptable.
La présidente: Monsieur Gallaway, pourriez-vous revenir au comité pour une réunion de synthèse, quand nous aurons reçu les autres groupes?
M. Gallaway: Volontiers.
La séance est levée.