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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 12 mai 1998

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi constituant certains offices en vue de la mise en place d'un système unifié de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 06 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Gerry St. Germain (président suppléant) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président suppléant: Honorables sénateurs, nous avons quorum.

Je tiens à souhaiter la bienvenue aux représentants du Conseil tribal des Dogrib du Traité 11. Nous accueillons aujourd'hui M. John B. Zoe, négociateur en chef. Je vous cède la parole et je vous saurais gré de nous présenter les personnes qui vous accompagnent ce matin.

M. John B. Zoe, négociateur en chef, Conseil tribal des Dogrib du Traité 11: Honorables sénateurs, je suis accompagné ce matin de M. Ted Blondin, administrateur des revendications territoriales. M. Blondin est également notre expert-résident en gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Il me secondera dans mon exposé. Je suis également accompagné de M. Rick Salter, notre conseiller juridique, qui répondra aux questions d'ordre juridique concernant le projet de loi C-6.

J'aimerais préciser que, dans la langue dogrib, lorsque nous parlons de «la région de North Slave», pour le bénéfice de nos aînés, nous utiliserons l'expression «Monfwi gogwa ndeniitle».

Avec plus de 3 000 membres répartis dans quatre collectivités, les Dogrib constituent le groupe le plus important de l'Arctique de l'Ouest. Nous sommes majoritaires dans notre région.

Honorables sénateurs, je tiens à souligner que nous avons discuté très attentivement du projet de loi C-6. Nous avons été guidés par trois grands principes: premièrement, le projet de loi C-6 doit rester fidèle à son objectif et à ses origines. Ce projet de loi a fait l'objet de négociations approfondies avec les Premières nations Gwich'in et du Sahtu. Le projet de loi vise à légiférer les obligations qu'a assumées le Canada en 1992 en signant l'accord sur les revendications territoriales des Gwich'in et en 1993, l'accord sur les revendications territoriales du Sahtu, des Dénés et des Métis.

Vous avez souvent entendu dire que le gouvernement, de par la loi, est obligé d'adopter cette mesure législative pour mettre en oeuvre les conseils de l'aménagement du territoire et les conseils de gestion des terres et des eaux qui fonctionnent dans les régions où vivent les Premières nations Gwich'in et du Sahtu, ainsi que pour créer un nouveau conseil de révision environnementale.

Nous ne nous opposons pas aux buts déclarés du projet de loi. Nous appuyons en tous points la mise en oeuvre des accords sur les revendications territoriales des Premières nations Gwich'in et du Sahtu. En outre, nous savons que ces deux peuples veulent que le projet de loi ne s'applique qu'à leurs territoires. Ils ne demandent rien de plus.

Ce à quoi nous nous opposons, cependant, c'est à son application tout à fait inutile à nos terres, à nos eaux et à notre peuple sans notre consentement. Les structures concernant la gestion des terres et des eaux que les Premières nations Gwich'in et du Sahtu ont acceptées, devraient, par le biais du projet de loi, s'appliquer à nous également sans notre consentement et sans notre accord. Les accords signés par les Premières nations Gwich'in ou du Sahtu ne prévoient rien d'autre que l'établissement de leurs propres conseils de l'aménagement du territoire ou de leurs conseils de gestion des terres et des eaux.

L'application du projet de loi au-delà de ses objectifs initiaux et de la portée requise n'est ni voulue, ni légitime.

Notre deuxième principe porte sur l'objectif déclaré du projet de loi, qui est d'établir un système unifié de gestion des terres et des eaux dans la vallée du Mackenzie. Nous ne sommes pas contre l'intégration, au contraire. En fait, nous déployons tous les efforts possibles dans le cadre de nos propres négociations pour nous assurer que les conseils de l'aménagement du territoire et les conseils de gestion des terres et des eaux sont créés pour les terres des Dogrib dans la région de North Slave et intégrés aux autres régimes de la vallée du Mackenzie.

Cependant, honorables sénateurs, un système unifié ne signifie pas et ne peut pas signifier l'imposition d'un système identique. L'obligation qu'a acceptée le Canada lors des négociations avec les Premières nations Gwich'in et du Sahtu, de légiférer et d'adopter un système intégré ne peut et ne doit pas nous être imposée sans notre consentement. Pourtant, comme nous vous le montrerons, c'est précisément ce qui se produira si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle.

Le troisième principe concerne l'autonomie gouvernementale. Contrairement aux accords conclus avec les Premières nations Gwich'in et du Sahtu, les négociations sur le traité avec les Dogrib, qui en sont maintenant à une étape critique, portent à la fois sur nos titres fonciers et notre compétence sur nos terres, nos eaux et notre peuple. Ce que nous réclamons, ce sont des compétences législatives pour les Dogrib, pas des pouvoirs délégués, mais des pouvoirs inhérents nous permettant d'assurer la gestion de nos terres et de nos ressources. En outre, on nous a laissé entendre que nous pourrions les obtenir au cours de nos négociations -- ou du moins jusqu'à tout récemment. Nous reconnaissons et nous acceptons que les titres et les pouvoirs des Dogrib ne sont pas absolus et n'excluent pas les intérêts ou les pouvoirs territoriaux ou fédéraux. Cependant, l'engagement qu'a pris le gouvernement du Canada de négocier notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale sera totalement dénué de sens si le peuple dogrib n'est pas en mesure de prendre des décisions exécutoires pour ses terres et ses eaux.

Et pourtant, d'après le tout récent virage des négociateurs du gouvernement fédéral, comme l'indiquent leurs positions présentées à la table de négociation, nous sommes forcés de conclure que l'engagement du gouvernement de négocier notre autonomie gouvernementale est miné, voire retiré, d'après l'intention exprimée du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien de donner au projet de loi C-6 préséance sur toute autre mesure législative.

Je vais maintenant demander à M. Ted Blondin de vous donner un bref aperçu de l'importance que revêt l'autonomie gouvernementale dans les négociations de notre traité ainsi que des récents événements qui sont venus ébranler notre confiance dans les engagements du gouvernement.

M. Ted Blondin, administrateur des revendications territoriales, Conseil tribal des Dogrib du Traité 11: Je vais vous expliquer brièvement pourquoi nous sommes si préoccupés par le projet de loi C-6 et pourquoi nous proposons une nouvelle démarche pour apaiser ces inquiétudes.

Comme vous le savez, le cadre de négociation des revendications territoriales des Premières nations Gwich'in et du Sahtu se trouvait en grande partie dans l'accord de principe signé par les Dénés et les Métis en 1990, accord qu'a rejeté notre peuple. Les Premières nations Gwich'in et du Sahtu ont accepté cette formule, ce qui est leur droit. Cependant, beaucoup de choses ont changé depuis 1990 dans le désir déclaré du gouvernement du Canada de régler un problème majeur: la question de notre autonomie gouvernementale.

En août 1995, le gouvernement fédéral a fait part de sa volonté d'accepter que nos droits issus de traités et nos droits autochtones, protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, comprennent le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Il y a deux ans, les Dogrib, le gouvernement fédéral et l'administration des territoires ont signé un accord-cadre prévoyant que, dans un délai établi, nous entreprendrions des négociations pour appliquer le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et le droit à l'utilisation et à la gestion des ressources de nos terres. Depuis, nous avons essayé de négocier rapidement un accord de principe, et nous sommes près du but. Et comme nous négocions à la fois l'autonomie gouvernementale et les revendications territoriales, nous sommes dans une position fondamentalement différente de celle des Premières nations Gwich'in et du Sahtu. Plus important encore, nous négocions actuellement un accord de principe accordant aux Dogrib la compétence sur des questions relatives aux terres et à l'eau -- la compétence, et non des pouvoirs délégués, qu'une loi quelconque pourrait modifier ou annuler, mais une véritable compétence constitutionnelle.

Comme l'a déclaré notre négociateur en chef, nous reconnaissons que nos compétences devront s'harmoniser à celles des autres, notamment à celles de l'administration des territoires et du gouvernement fédéral. Cependant, l'obtention de cette compétence, expression du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, nous amène à adopter une position différente en ce qui a trait à la gestion des terres et des eaux dans notre région. Cela veut dire que le système public et délégué de gestion des terres qui est établi dans l'entente avec les Premières nations Gwich'in et du Sahtu, et que l'on retrouve dans le projet de loi C-6, ne s'appliquera pas de la même façon au territoire dogrib.

J'ajouterais que nos territoires subissent actuellement des pressions exceptionnelles de la part des promoteurs. Nous connaissons la plus importante ruée sur les demandes de concessions minières de l'histoire du Canada, demandes qui portent sur 75 p. 100 de notre territoire traditionnel, s'étendant même jusque dans l'une de nos collectivités, Snare Lake.

Au cours des dernières années, parce que nous négociions des questions détaillées et délicates concernant notre autonomie gouvernementale, nous avons établi avec le gouvernement un régime de protection provisoire qui fonctionne bien. Le gouvernement nous consulte sur l'attribution de permis relatifs à l'aménagement de nos terres dans le cadre du système législatif actuel.

Personne ne réclame de changements avant la signature d'un accord sur les revendications territoriales et notre autonomie gouvernementale. Personne n'exige que le projet de loi C-6 soit appliqué dans notre région, pas plus nous que les promoteurs ou quiconque d'autre à notre connaissance. Le statu quo fonctionne bien. Cela fonctionne bien parce que tout le monde sait qu'il s'agit d'un régime provisoire qui restera en place tant que nous n'aurons pas signé l'entente sur notre autonomie gouvernementale.

Tout le monde sait que nous cherchons à établir une compétence spéciale sur nos terres et nos eaux, et tout le monde attend patiemment la fin de nos négociations. C'est pourquoi le projet de loi C-6 nous inquiète tant. C'est dans notre région, la région de North Slave, que le projet de loi aurait l'impact le plus immédiat. Rien n'exige que le projet de loi C-6 s'applique à notre région, mais dans son libellé actuel, ce sera le cas.

Cette mesure législative viendra imposer un système délégué, contrôlé par le ministre et basé sur les ententes qu'ont signées les Premières nations Gwich'in et du Sahtu pour leur région. Nous n'avons pas parrainé ce projet de loi qui n'a jamais été censé s'appliquer à nous sans notre accord préalable et sans qu'on signe un traité.

M. Zoe: J'aimerais maintenant vous parler des faits nouveaux qui se sont produits et ont décuplé nos inquiétudes à propos du projet de loi C-6.

Lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes en novembre dernier, nous étions disposés à préciser très clairement que nous refusions absolument que le système établi aux parties 3 et 4 du projet de loi C-6 s'applique à nous. Avant notre comparution, M. Moore, sous-ministre adjoint, Programme des affaires du Nord, nous a fait parvenir une lettre dans le but d'atténuer nos inquiétudes. J'aimerais vous remettre cette lettre.

Comme vous le voyez, M. Moore, au nom du gouvernement, indique que le projet de loi C-6 ne devrait nullement entraver nos négociations sur l'autonomie gouvernementale concernant la délivrance de permis pour l'aménagement du territoire et que les mesures nécessaires seraient prises pour que les dispositions réglementaires du projet de loi C-6 portant sur les terres et les eaux ne s'appliquent pas aux Dogrib. En toute bonne foi, nous nous sommes fiés aux assurances données par le gouvernement, croyant que nos négociations porteraient sur l'établissement des compétences dogrib en matière de permis de gestion des terres et des eaux. Je dois dire toutefois, honorables sénateurs, que tout a changé il y a quelques semaines. Quelques jours à peine avant que vous ne commenciez l'examen de ce projet de loi, nous avons reçu de l'équipe de négociateurs fédéraux avec les Dogrib un nouveau message fondamentalement différent. Toutes les notions de base établies aux parties 3 et 4 du projet de loi C-6 nous étaient présentées comme la nouvelle position du gouvernement fédéral sur la gestion des terres et des eaux. Le projet de loi C-6, presque textuellement, est maintenant devenu le nouveau mandat de négociation du gouvernement fédéral avec les Dogrib.

Je regrette de ne pouvoir, en toute bonne foi, vous présenter la position du gouvernement fédéral à la table de négociation. Cela constituerait une rupture de confidentialité de notre part. Si les négociateurs fédéraux veulent vous expliquer leur mandat ou vous le présenter, libre à eux de le faire. M. Blondin reviendra sur ce point plus tard.

Ce que nous pouvons vous dire, toutefois, c'est que le système de pouvoirs délégués concernant la délivrance des permis d'aménagement du territoire et des eaux prévu dans le projet de loi C-6 constitue maintenant la nouvelle position du gouvernement fédéral qui s'applique à nous.

Pourtant, nous n'avons pas consenti à cette formule. Nous ne sommes pas en cause dans les ententes de revendications territoriales signées par les Premières nations Gwich'in ou du Sahtu. Nous n'avons pas donné notre appui à ce projet de loi, nous n'avons pas non plus participé à sa rédaction. Cette mesure législative nous a été imposée par un moyen détourné, extérieur à ce qui est censé être des négociations indépendantes sur notre autonomie gouvernementale.

Nous sommes très inquiets, au point que notre grand chef a écrit vendredi dernier à la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'honorable Jane Stewart, pour lui faire part de notre impression très nette que ce projet de loi va tout à fait à l'encontre de notre droit de négocier l'autonomie gouvernementale. Je vous remets un double de cette lettre et de celle que j'ai envoyée au négociateur fédéral en chef.

Comme vous le constaterez, on m'a donné le mandat d'adopter une nouvelle position à l'égard de cette préoccupation de longue date. Il s'agit d'une position honnête qui montre le danger réel et présent que pose le projet de loi à notre droit de négocier l'autonomie gouvernementale.

M. Blondin: Compte tenu des faits auxquels nous sommes confrontés dans nos négociations sur ce traité, il ne reste qu'une seule façon de régler le problème majeur posé par l'élargissement inutile et néfaste du régime de gestion de l'aménagement du territoire et des eaux accepté par les Premières nations Gwich'in et du Sahtu à d'autres Premières nations de notre région. Nous exigeons un amendement clair, net et simple qui permette au projet de loi C-6 d'atteindre son objectif initial, à savoir mettre en oeuvre les ententes signées avec les Premières nations Gwich'in et du Sahtu tout en respectant l'harmonie et le caractère sacré de notre droit de négocier notre autonomie gouvernementale dans ces régions.

Nous estimons que c'est faisable en ajoutant un seul article au projet de loi. L'amendement aurait pour effet que la partie 3, qui porte sur les règlements concernant l'aménagement du territoire et des eaux, et la partie 4, qui porte sur l'office de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie, ne s'appliquent qu'aux terres peuplées par les Premières nations Gwich'in et du Sahtu, à moins qu'un accord ne prévoie le contraire.

Nous proposons d'insérer le texte suivant au début de la partie 3 du projet de loi:

Les parties 3 et 4 s'appliquent aux terres occupées, et pourraient s'appliquer à d'autres régions de la vallée du Mackenzie, conformément aux termes des ententes sur la revendication territoriale globale applicables ou d'autres ententes signées entre sa Majesté la Reine du chef du Canada et les Premières nations autres que les Premières nations Gwich'in et du Sahtu.

Cet amendement ne porterait nullement atteinte aux objectifs établis des Premières nations Gwich'in ou du Sahtu dans ce projet de loi. La seule chose qui changerait, c'est qu'il n'y aurait pas de nouvelles politiques gouvernementales sous-entendues, on ne viendrait pas enfouir nos négociations dans le béton d'une loi. Les représentants du ministère qui ont comparu devant vous disent à qui veut les entendre que le projet de loi nous protège déjà de tout conflit entre nos propres ententes et le projet de loi. Mais nous vous avons aussi fait voir la réalité; la preuve se trouve dans le mandat réel des négociateurs fédéraux qui fait surface aujourd'hui à notre table de négociation.

En résumé, honorables sénateurs, nous ne voulons pas vous laisser face à une accusation et à une exigence. Il est clair que l'accusation est grave. Il est également clair que vous voudrez assumer vos responsabilités avec sérieux et examiner comment le projet de loi C-6 sert d'argument massue dans nos négociations. Toutes les lettres de réconfort, toutes les dispositions sur les lois contradictoires et toutes les clauses nonobstant du monde ne réussiront pas à changer cette simple réalité. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, il constituera un nouveau plafond transparent pour les négociateurs gouvernementaux. En fait, c'est déjà le cas.

Si le projet de loi est adopté et qu'il s'applique à nous, plus particulièrement les parties 3 et 4, il sera approuvé par le gouvernement et le Parlement. Il aura des conséquences directes sur nos négociations, en fait, il en a déjà. Notre capacité de négocier notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, de négocier et d'intégrer un système de gestion selon nos propres termes sera gravement, sinon fatalement, minée.

Enfin, tout ce que nous vous demandons, c'est de vous en tenir aux objectifs déclarés du projet de loi. Tout ce que nous demandons, c'est que vous honoriez l'obligation de la Couronne et du Parlement de ne pas encourager le gouvernement à recourir à des procédés déloyaux. Rien ne justifie l'imposition aux Dogrib d'un système public et délégué de gestion des terres. La seule obligation est de mettre en oeuvre ce système pour les Premières nations Gwich'in et du Sahtu. Qu'on s'en tienne à cela.

Nous vous avons proposé un amendement clair, net et précis qui permettra de le faire. Pour ce qui est de l'honneur du gouvernement dans le cadre de nos négociations, nous ne vous demandons pas simplement d'accepter ce que l'on vous dit sur les procédés déloyaux, demandez aux négociateurs fédéraux. Nous ne pouvons trahir le secret des discussions à la table de négociation en vous présentant le mandat et les positions du gouvernement fédéral. Mais cela ne vous empêche pas de demander au négociateur fédéral d'expliquer son mandat. Nous n'y trouverons pas à redire.

Seul le négociateur fédéral pourra vous parler de ce mandat. Les fonctionnaires du ministère qui ont comparu devant votre comité ne peuvent vous parler des négociations avec les Dogrib. Seuls le négociateur fédéral et son équipe peuvent le faire. Convoquez-les. Demandez-leur si le projet de loi C-6 est devenu le nouveau mandat. Demandez-leur s'il est une raison pour que ce projet de loi soit imposé aux Dogrib.

Honorables sénateurs, nous espérons collaborer avec vous et avec le gouvernement pour que les obligations prises à l'égard des Premières nations Gwich'in et du Sahtu soient respectées. Tout ce que nous vous demandons, c'est que notre droit de prendre nos propres décisions de négocier nos propres traités ne soit pas bafoué en cours de route. Tout ce que nous demandons, c'est que les Dogrib et notre terre d'accueil, la Monfwi gogwa ndeniitle, soient respectés.

Le président suppléant: Merci, messieurs. Ce que vous tentez de négocier, c'est une compétence et non un pouvoir délégué. A-t-on déjà négocié une telle chose?

M. Rick Salter, conseiller juridique, Conseil tribal Dogrib du Traité 11: J'ai comparu devant votre comité relativement à un projet de loi adopté par le Sénat sur les ententes d'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon. Ces ententes reposent sur l'attribution de compétences et non de pouvoirs délégués. Pour avoir participé pendant de nombreuses années à la négociation de ces ententes, et en tant que conseiller juridique, je peux dire avec assurance que rien de ce que réclament les Dogrib ne va au-delà de ce que le Parlement a déjà approuvé dans les ententes sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon.

Le président suppléant: Monsieur Zoe, est-ce que vous voulez que les trois lettres que vous avez présentées soient consignées au compte rendu?

M. Zoe: Oui.

Le président suppléant: Merci. Ce sera fait.

Le sénateur Taylor: Je vous remercie d'avoir parcouru toute cette distance pour venir aider notre comité. Je vous souhaite la bienvenue à Ottawa durant la saison des tulipes, qui précède la vôtre d'environ un mois.

J'ai été en contact avec votre peuple pour la première fois en 1946. Je travaillais dans le Nord et j'y suis retourné à de nombreuses reprises depuis. L'une des questions qui me gênent, c'est qu'il n'y a qu'une grande rivière qui passe par là. Je peux concevoir qu'on ait compétence sur des terres, sur un lac, mais je ne vois pas comment on pourrait avoir des compétences différentes sur le Mackenzie et le lit du Mackenzie. Il me semble qu'il devrait y avoir une sorte de dénominateur commun. C'est le cas pour la Voie maritime du Saint-Laurent, le bassin de la rivière Saskatchewan, et cetera. Tout le monde pousse les hauts cris au début, mais on se rend compte que tout fonctionne bien, en fin de compte.

Est-ce que vous proposez de conclure une entente distincte et que chacun ait des pouvoirs différents en ce qui concerne le Mackenzie?

M. Zoe: Vous avez raison de dire que le fleuve Mackenzie couvre les territoires de tout le monde, mais dans la région de North Slave, le Mackenzie ne nous touche pas sauf qu'il se jette dans la rivière aux Esclaves au nord. Fondamentalement, la région où nous nous trouvons déverse ses eaux dans le Mackenzie.

Le sénateur Taylor: J'aurais dû parler du «système d'écoulement des eaux du Mackenzie».

M. Zoe: Comme l'a dit M. Blondin dans son exposé, la majeure partie, soit environ 90 p. 100, du développement se fait dans la région où vivent les Dogrib. C'est pourquoi il est important d'avoir compétence sur ces choses-là.

Le sénateur Taylor: Cela m'amène à poser une autre question. Vous avez dit que les parties 3 et 4 ne devraient s'appliquer qu'aux Premières nations Gwich'in et du Sahtu. En ce qui concerne le bassin du Mackenzie, avez-vous déjà été invités à participer à ces autres discussions? Autrement dit, si vous suivez mon idée première que cela devrait être considéré comme un tout, cela s'applique évidemment à l'autre partie aussi. Le gouvernement ne devrait pas se lancer dans le morcellement de la rivière en petits bouts. Avez-vous déjà été invités à participer aux côtés des Premières nations Gwich'in et du Sahtu aux négociations sur cette partie du système d'écoulement des eaux?

M. Zoe: Non, jamais.

Le sénateur Taylor: Même si on vous accuse d'essayer de morceler la rivière, le gouvernement a peut-être fait la même chose en concluant des ententes sur la rivière plus en aval.

M. Salter: Nous n'accusons pas le gouvernement de l'avoir fait. Il n'est pas question pour nous de morceler la rivière. Les Dogrib ont indiqué clairement qu'ils sont en faveur de la partie 5 du projet de loi qui porte sur la protection environnementale de toute la vallée parce qu'il n'est pas possible de protéger l'environnement si on n'a pas de système intégré, comme vous l'avez signalé. C'est ce qui vous préoccupe.

Les parties 3 et 4 portent sur la délivrance de permis d'aménagement des terres et des eaux, ainsi que sur la création d'offices de gestion des terres et des eaux.

Le sénateur Taylor: L'utilisation de l'eau ne fait-elle pas partie de cela?

M. Salter: Nous parlons ici de la délivrance de permis d'aménagement des terres qui appartiendront aux Dogrib. D'après le libellé du projet de loi, c'est l'office de gestion des terres et des eaux qui délivrera les permis, et non pas le gouvernement de la Première nation Dogrib.

Le sénateur Taylor: Je dis tout cela à cause de ce qui s'est passé récemment en Espagne. La question minière m'intéresse également.

M. Salter: C'est là une question environnementale qui serait assujettie à la partie 5.

Le sénateur Taylor: Vous voulez le pouvoir de délivrer les permis aux sociétés minières et d'approuver les bassins de résidus. Pourtant, si elles ne les construisent pas comme il faut, l'effondrement du système polluerait toute la rivière en aval.

M. Salter: C'est vrai de tout le système d'écoulement des eaux, je suis d'accord.

Le sénateur Taylor: Je ne vois pas comment vous pouvez distinguer l'utilisation de l'eau et les permis de gestion de l'eau de tout le reste du système, et pourtant c'est ce que vous semblez vouloir faire.

M. Salter: Non. Le projet de loi est divisé en parties distinctes pour cette raison. S'agissant de la délivrance des permis d'aménagement du territoire, et du conseil de gestion des terres et des eaux, le projet de loi porte sur plusieurs aspects. À la partie 5, le conseil d'évaluation environnementale de toute la vallée du Mackenzie traite des questions dont vous parlez, et nous ne nous y opposons pas, parce que cela doit être intégré.

Le sénateur Taylor: J'y reviendrai plus tard.

Le sénateur Andreychuk: Je remercie les témoins d'être venus nous faire connaître leur position officielle.

Je crois que vos objections et votre objectif à long terme sont très clairs. Tout comme le sénateur Taylor, j'ai du mal à comprendre la solution que vous proposez pour régler le problème entre-temps. Si vous obtenez le genre d'entente que vous voulez sur les revendications territoriales, tous les droits que vous demandez aujourd'hui feront l'objet de négociations. Le problème est que ce projet de loi usurpe certains de vos pouvoirs et donne aux négociations un sens qui restreint certains de vos pouvoirs discrétionnaires, si j'ai bien compris. Alors, je croirais que la solution ne consiste pas à avoir une certaine partie de ces pouvoirs. Je ne crois pas que vous puissiez diviser les choses, pas plus que nous pourrions sectionner vos revendications territoriales, comme le fait le gouvernement. Est-ce qu'on ne tomberait pas dans le même fouillis si on tentait de vous exclure de certaines régions?

M. Blondin: Nous menons des négociations en ce moment même. Ces négociations sont censées être libres et porter sur des questions qui nous préoccupent. Toutefois, il n'est pas admissible qu'un projet de loi comme celui-ci établisse des conditions préalables à la négociation, et c'est ce qui est en train de se produire. La lettre de M. Moore indique que le projet de loi n'aura pas de répercussions sur nos négociations, ou sur notre capacité de négocier certains droits. En fait, ce qui se passe, c'est que ce projet de loi est une condition préalable à nos négociations, et nos négociations sont entravées sur des points essentiels concernant la gestion des terres et des eaux.

Le sénateur Andreychuk: Les Premières nations Gwich'in et du Sahtu ont signé des ententes, et vous, pas. Avez-vous poursuivi continuellement les négociations sur vos revendications depuis lors, ou ont-elles été interrompues?

M. Blondin: En 1990, j'étais négociateur en chef pour les revendications territoriales des Dénés et des Métis, qui ont échoué. À ce moment-là, les Premières nations Gwich'in et du Sahtu ont entrepris leurs négociations région par région. J'ai eu le privilège d'assister à titre d'observateur aux négociations de mise en oeuvre de l'accord signé par les Gwich'in sur cette question très précise. Même à cette époque, le gouvernement fédéral insistait là-dessus, et les Gwich'in étaient davantage préoccupés par des questions d'intérêt régional.

Cela mis à part, nous n'avons pas participé aux négociations. Comme c'était eux qui rédigeaient le projet de loi, nous avons proposé de fournir certains amendements.

Le sénateur Andreychuk: Je ne me suis peut-être pas exprimée clairement. Avez-vous poursuivi vos négociations territoriales depuis l'échec de l'accord des Dénés et des Métis, ou avez-vous recommencé à négocier l'an dernier?

M. Zoe: Nous avons décidé de présenter nos revendications territoriales pour la première fois en 1992. Nous négocions depuis. Depuis 1992, nous y travaillons de façon constante.

Le sénateur Andreychuk: Si je ne m'abuse, à l'époque où les Premières nations Gwich'in et du Sahtu ont signé leur entente, la gestion des eaux en faisait partie, vous saviez que cette entente aurait des effets sur la vôtre. Si tel est le cas, avez-vous fait part à ce moment-là au gouvernement de votre inquiétude?

M. Zoe: L'important n'est pas de savoir si oui ou non nous avons mentionné le problème. Les groupes qui présentaient des revendications territoriales nous avaient assurés que leur entente n'aurait pas d'effet sur les autres groupes autochtones.

Leur entente ne porte que sur certaines parties des règlements sur l'aménagement des terres et des eaux. Le projet de loi dépasse la portée des ententes signées par les Premières nations Gwich'in et du Sahtu. Et comme la loi est basée sur ces ententes, et qu'elle va au-delà de la portée de leurs ententes, cela touche nos négociations d'une manière que ne désiraient pas les Premières nations Gwich'in et du Sahtu.

Le sénateur Andreychuk: Diriez-vous que les ententes signées par les Premières nations Gwich'in et du Sahtu n'ont pas affecté vos droits sur les eaux, mais que le projet de loi C-6 le fera, lui?

M. Zoe: Oui.

Le sénateur Forest: J'aimerais revenir à la lettre de M. Moore où il dit qu'il prévoit négocier la portée, l'étendue et les rapports d'une compétence proposée en matière d'autonomie gouvernementale pour la délivrance de permis d'aménagement des terres avec le régime de réglementation du conseil de gestion des terres et des eaux.

Diriez-vous aujourd'hui que le gouvernement fédéral a présenté une position de négociation qui inclut les dispositions du projet de loi C-6? Vous ne voulez peut-être pas répondre à cela.

D'après mon expérience, dans des négociations, chaque partie présente la meilleure position qu'elle espère obtenir. Compte tenu du fait que ces positions sont négociables, et qu'on vous assure que le gouvernement négociera tout, cela ne vous place-t-il pas en position de force?

M. Zoe: Durant les négociations, les parties adoptent des positions différentes. Nous connaissons la solidité des positions présentées. Celle-ci, en particulier, a la solidité de l'ensemble. Ce n'est pas une position négociable, mais bien une position qui nous est imposée à partir de la conviction que le projet de loi sera adopté. C'est tout ce que nous pouvons obtenir. Nous n'obtiendrons rien de plus que ça. Nous sommes dans une impasse. Nous ne pouvons rien faire.

Le sénateur Forest: Si le projet de loi était adopté avant que l'entente sur les revendications territoriales ne soit signée, il faudrait modifier le projet de loi, autrement, il s'appliquerait.

M. Blondin: Lors de nos discussions antérieures avec les rédacteurs du projet de loi, on nous a dit que peu importe ce qui serait négocié dans l'entente sur les revendications territoriales des Dogrib, si notre entente obligeait à modifier le projet de loi, on pourrait le faire à ce moment-là. Le gouvernement fédéral tente d'élaborer le projet de loi de telle façon qu'il ne nécessite aucun amendement à l'avenir. Les représentants du gouvernement ont dit que ce qui avait été négocié par les Premières nations Gwich'in et du Sahtu se refléterait dans l'entente signée avec les Dogrib. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cela équivaut à établir une condition préalable à nos négociations.

M. Salter: Cela démolit la disposition du projet de loi selon laquelle les ententes sur les revendications territoriales auront préséance sur le projet de loi. C'est une question de droit, nous le savons. Toutefois, si le gouvernement se présente à la table de négociation et rejette tout ce qui, dans les revendications territoriales, diffère du contenu du projet de loi, ce n'est qu'une promesse vide. J'ai sur les lèvres un terme plus dur mais que je n'utiliserai pas.

Le sénateur Forest: En ce qui concerne les membres et la procédure de désignation aux conseils qu'on créera, certains se sont dits préoccupés par la limite imposée de sept membres. On a maintenant proposé un minimum plutôt qu'un maximum. Pourriez-vous nous expliquer vos préoccupations au sujet du nombre de ces conseillers?

M. Blondin: L'entente signée par les Premières nations Gwich'in et du Sahtu traite précisément de l'établissement d'offices régionaux de gestion des terres et de l'eau ainsi que d'offices régionaux d'aménagement du territoire. Cependant, rien dans l'entente ne prévoit la création d'un office général de l'aménagement du territoire et des eaux. C'est pourquoi nous disons que le projet de loi va au-delà de ce qui est établi dans l'entente signée par les Premières nations Gwich'in et du Sahtu.

Nous estimons devoir participer à cela parce que la majorité des activités minières se font dans notre région. Fort probablement, cet office étudiera de nombreuses questions qui portent sur notre région. C'est pourquoi, comme nous l'avons déjà dit, nous tentons d'élaborer un système intégré, un système où nous serons parties prenantes. Nous tentons d'établir ce système durant les négociations et on en est empêchés par ce que nous impose le projet de loi.

Le sénateur Forest: Dans leurs mémoires, les représentants des Premières nations de South Slave et de North Slave se sont dits préoccupés qu'il n'y ait qu'un certain nombre de sièges si bien que chaque groupe n'aura pas son propre représentant à la table. Vous plairait-il d'avoir l'assurance que chaque groupe sera représenté à la table?

M. Blondin: Lorsque le projet de loi a été rédigé, il était proposé qu'il y ait cinq régions et qu'il y ait un représentant pour chacune des régions.

Le problème, c'est que dans notre région, les Premières nations de Yellowknife sont en train de négocier une entente différente sur les revendications territoriales. Bien sûr, ces peuples veulent être représentés. Les Métis de North Slave et de South Slave veulent aussi une représentation quelconque. Par conséquent, le nombre de représentants à ces offices augmentera. Il ne peut qu'augmenter.

C'est là seulement une difficulté. Il y a beaucoup de sujets compliqués dans le projet de loi. Nous espérons régler nombre de ces difficultés lors de nos négociations. Il semble que le projet de loi, tel qu'il est libellé, s'immisce peu à peu dans nos négociations. Je ne suis pas certain que nous parvenions jamais à aplanir ces difficultés. On continuera probablement de s'y perdre.

Le sénateur Forest: Vous croyez que si votre amendement était accepté, cela protégerait votre autonomie dans votre région dans une certaine mesure?

M. Blondin: Nous l'espérons.

M. Salter: Vous seriez toujours aux prises avec le problème de la partie 5 concernant le nombre de personnes qui feront partie de l'Office d'examen des répercussions environnementales. C'est à propos de cet office qu'on a commencé à parler du nombre de représentants. Lorsqu'ils ont comparu devant le comité de la Chambre des communes, les Dogrib se sont opposés à cela parce que, selon nous, le projet de loi ne prévoyait pas que tous les groupes directement touchés seraient représentés au sein de l'OERE. Le projet de loi a été modifié. Je pense que le texte précise maintenant qu'il ne doit pas y en avoir moins de sept. Auparavant, il disait que l'Office ne pouvait être constitué de plus de 11 membres.

Il vous faudrait demander aux représentants du gouvernement fédéral de s'expliquer là-dessus. Nous avons souvent discuté avec eux du nombre de représentants. Je crois qu'ils veulent s'assurer que lorsqu'un nouveau groupe se joindra à l'Office -- c'est-à-dire, dans l'esprit du ministère, à mesure que seront signées de nouvelles ententes -- il ait un siège mais tant qu'il n'existe pas d'entente, le groupe ne peut pas être représenté. Mais je n'en suis pas certain. Vous devriez demander au ministère ce qu'il a l'intention de faire.

Le sénateur Chalifoux: Merci beaucoup d'être venus à Ottawa nous faire cet exposé très intéressant et très important. Il est bon de revoir de vieilles connaissances d'il y a bien longtemps.

Dans le dernier paragraphe de la lettre que vous adressiez à Mme Jane Stewart, à la page 1, vous dites:

Mais, en fait, la protection qu'on nous avait promise n'existe plus. Et ce, parce que vos fonctionnaires utilisent maintenant le projet de loi comme base du mandat de votre négociateur en chef.

Pouvez-vous nous donner plus de détails?

M. Blondin: Comme nous l'avons dit tout à l'heure, nous négocions actuellement la gestion des terres et des eaux. Lorsque le projet de loi a été présenté en deuxième lecture à la Chambre des communes, nous étions prêts à prendre des positions très fermes. Pour éviter cela, nous avons tenu des réunions avec M. Moore et c'est à ce moment-là que la lettre a été envoyée. Son but était de permettre la poursuite des négociations et d'empêcher que ce projet de loi soit considéré comme une condition préalable aux négociations. Pourtant, à notre dernière réunion avec les représentants du gouvernement fédéral, les termes qu'ils ont utilisés pour établir leur position provenaient directement du projet de loi C-6. Nous estimons alors que le dessein de leur lettre était trompeur, parce que le projet de loi nuit à nos négociations. Il en entrave la bonne marche.

Le sénateur Chalifoux: Je crois savoir que vos négociations sur les revendications territoriales durent depuis environ six ans. À votre avis, combien de temps faudra-t-il encore avant que tout soit terminé?

M. Blondin: Nous espérons présenter un accord de principe à notre assemblée annuelle au mois d'août. Cependant, c'est là un des enjeux majeurs. Les terres sont toujours une question importante pour nos aînés, donc, ce problème majeur doit être réglé. Je ne suis pas certain qu'on puisse y arriver avant le mois d'août à moins que l'on apporte des changements au mandat.

Le sénateur Chalifoux: D'après la carte du sénateur Forest, il semble que votre bassin hydrographique se jette dans le Mackenzie. Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus dans le projet de loi à propos de la rivière qui se jette dans le Mackenzie en provenance de votre territoire?

M. Zoe: Plusieurs rivières se jettent dans le lac même. Certaines sont petites, d'autres importantes.

La plupart des activités minières se font le long de ces cours d'eau. Nous sommes probablement les plus touchés par tout ce qui se passe dans cette région. De même, nous sommes probablement les mieux informés des répercussions qu'auront les exploitations minières sur les gens qui vivent en aval.

Vous avez demandé en quoi le projet de loi touche nos négociations territoriales. Lors des diverses étapes de la rédaction du projet de loi, nous avons essayé de rester informés de la façon dont cela se présentait. Dès le début, nous savions que les Premières nations Gwich'in et du Sahtu travaillaient à des ententes pour elles-mêmes. Nous savions qu'il y aurait un système quelconque de gestion intégrée. Les Premières nations Gwich'in et du Sahtu nous ont assurés que ce qu'elles faisaient ne nous affecterait pas. Nous avons accepté leur parole et nous nous y sommes fiés. Nous n'avons pas de problème avec les Premières nations elles-mêmes.

La question reste la même: y a-t-il une interprétation autre que celle des Premières nations Gwich'in et du Sahtu? Sur ce point, nous demandons toujours des assurances à notre équipe de négociation et à celle du ministère. Nous leur disons que ces Premières nations nous assurent que cela n'aura pas d'effet sur nous et nous leur en demandons confirmation. Il s'agit d'une loi d'intérêt majeur qui porte sur la mise en vigueur de leur accord. On nous a donné des assurances verbales à l'occasion, mais nous arrivons à un moment crucial: le projet de loi va être adopté. Nous avons demandé s'il était possible d'obtenir une assurance écrite qu'il n'aurait aucun effet sur nos négociations. C'est après avoir reçu cette lettre que nous avons modéré le ton de notre exposé au comité de la Chambre des communes. Or, le projet de loi en est à son étape finale.

Jusqu'à tout récemment, nous estimions que les discussions allaient bien. La lettre dit que nos discussions se tiendront de façon ouverte et libre. Tout à coup, ce projet de loi apparaît bel et bien à la table de négociation et il n'y a aucun moyen de s'en défaire.

Nous informons continuellement nos membres. Notre grand chef, Joe Rabesca, est tenu au courant de nos discussions.

Nous étions accablés. Nos recherches nous ont révélé que la position adoptée est tirée du projet de loi même, alors qu'on nous avait assurés que cette mesure législative ne nous affecterait aucunement. À part cela, nous ne savons pas vraiment pourquoi il est apparu sur la table ou qui au gouvernement fédéral l'a proposé. Ce sont là des questions auxquelles l'équipe fédérale a des réponses, parce que nous, nous n'en avons pas. Tout ce que nous avons, c'est notre confiance dans les Premières nations et dans les lettres que nous recevons. Nous savons que nous pouvons élaborer une entente pour une région qui est en grande partie affectée par ce projet de loi.

Nous voulions des assurances de pouvoir faire quelque chose d'un peu différent mais quand même intégré au régime général de la vallée du Mackenzie.

Le sénateur Chalifoux: Vous estimez que l'amendement que vous avez proposé ici apaiserait vos craintes et vous donnerait une certaine confiance dans le projet de loi?

M. Zoe: Oui.

Le sénateur Austin: Monsieur Zoe, j'ai trouvé très intéressant votre désir d'avoir un document écrit vous assurant que le projet de loi n'influera pas sur vos négociations. J'estime que vous méritez cette assurance. Je regarde le projet de loi, j'ai entendu votre exposé, j'ai lu les lettres, et à mon avis vous avez droit à ce que votre position de négociation sur l'autonomie gouvernementale ne soit pas compromise par le projet de loi. C'est ce que vous défendez. Vous voulez être libres de négocier votre position sans ce compromis. L'article 5 ne vous accorde pas tout à fait cela.

Sans vouloir discuter longuement de ce que vous demandez et de ce que le gouvernement a fait jusqu'à maintenant, je voudrais savoir si vous considéreriez acceptable une lettre du ministre précisant que les dispositions du projet de loi C-6 ne doivent nullement être considérées comme mettant en péril le droit que vous estimez profondément être le vôtre de négocier votre autonomie gouvernementale.

Je ne vous demande pas de répondre à cette question maintenant. Ce serait pour renforcer votre propre position dans vos discussions avec le gouvernement. Vous semblez convenir qu'il doit y avoir un système de gestion mixte des ressources. Vous n'acceptez pas qu'on vous impose un système qui entrave votre droit de négocier l'autonomie gouvernementale. En ce cas, on pourrait peut-être pressentir la ministre pour qu'elle vous donne sa lettre, ce qui permettrait au projet de loi d'aller de l'avant dans sa forme actuelle.

Le système proposé ici est un système pratique et nécessaire. Je suis ouvert à la position que vous avez présentée au comité à cet égard. Nous ne voulons pas perdre le projet de loi ou le voir reporté encore deux ou trois ans. Nous ne pouvons jamais établir de date limite pour la fin des négociations. Il n'est pas juste de vous demander cela.

Je me demandais monsieur le président si, par votre entremise, le comité pourrait présenter ces faits à la ministre et lui demander si elle accepterait de rédiger une lettre qui empêcherait ses négociateurs de gagner un avantage parce que, comme le savent les avocats, on pourrait alléguer plus tard que le projet de loi constitue une forme de consentement ou un précédent de quelque sorte. Seule la ministre peut donner l'engagement que le projet de loi n'aura pas cet effet.

Le président suppléant: Étant vous-même avocat, sénateur Austin, je vous renvoie la balle. En tant que vice-président, je suis disposé à présenter votre proposition aux autorités compétentes pour obtenir la lettre qui donnera les assurances requises aux parties intéressées. Je ne sais pas si cette lettre sera suffisante ou si le projet de loi est trop lourd et trop imposant, et que l'on devra faire plus.

Le sénateur Austin: Il faudrait que les témoins acceptent le concept et le contenu de la lettre. C'est une pratique parlementaire commune pour les ministres de donner des engagements écrits aux comités. On a alors la preuve que la position adoptée n'a pas été concédée par le gouvernement. Une lettre de ministre a une importance autre qu'une lettre de fonctionnaire, et je dois admettre que lorsque j'ai lu celle du fonctionnaire en question, je me suis rendu compte qu'elle ne portait pas sur le point que vous soulevez.

Le sénateur Andreychuk: Je crois qu'il s'agit d'une mesure raisonnable compte tenu du fait qu'on nous a soumis aujourd'hui une lettre du sous-ministre adjoint qui, essentiellement, visait le même objectif. Ensuite, si je comprends bien, les négociations se sont engagées en fonction du paragraphe 8(2) qui dit:

Le ministre fédéral est tenu, dans le cadre des négociations relatives à l'autonomie gouvernementale de toute Première nation, de procéder, en collaboration avec celle-ci, à l'examen des dispositions pertinentes de la présente loi.

Les négociateurs vont utiliser cette disposition de la loi pour faire leur travail. À mon avis, c'est certainement une atteinte à la confiance due à M. Moore. De même, c'est un affront au Sénat parce que le gouvernement négocie comme si le projet de loi avait été adopté. Non seulement les Dogrib doutent de l'intention du gouvernement, mais j'en fais autant maintenant. Je ne sais pas comment nous pouvons composer une lettre donnant l'assurance que le gouvernement ne négocie pas aujourd'hui comme si le projet de loi était adopté. Pourquoi donc, au Sénat, devrions-nous croire le gouvernement davantage que ne le font les Dogrib? Comment nous sortir de cette impasse?

Le président suppléant: Je ne vois pas cela comme une impasse, mais plutôt comme un motif de discussion.

Le sénateur Austin: C'est essentiel.

Le président suppléant: Les témoins ont-ils quelque chose à dire?

Le sénateur Austin: Je crois qu'ils ne devraient rien dire tant que nous ne sommes pas convaincus, nous-mêmes, d'avoir quelque chose à leur offrir. J'ai lu le projet de loi et, à mon avis, cette mesure législative exclut la position des Dogrib du règlement sur la gestion des terres et des eaux.

Je crois qu'ils ont le droit de maintenir leur position, mais la lettre du sous-ministre adjoint ne mentionne pas ce dont j'ai parlé, loin de là. La ministre doit écrire une lettre dans laquelle elle dira que ce projet de loi ne compromet en rien la question de l'autonomie gouvernementale, qu'elle reconnaît en tous points le droit des Dogrib de négocier leur autonomie gouvernementale à partir de leurs revendications et non à partir de la suprématie du Parlement du Canada qui leur impose quelque chose sans leur consentement.

Leur position est très souple en ce qui concerne la gestion des terres et des eaux, mais les Dogrib sont convaincus, sans compromis, qu'ils ont un droit inhérent de négocier leur autonomie gouvernementale. Il faut que la ministre donne une lettre où elle accepte clairement leur position et que le projet de loi ne sera pas interprété d'une façon contraire à cette revendication particulière. Les négociations entre le gouvernement du Canada et les Dogrib se poursuivront alors sans compromettre ce point critique.

Le sénateur Andreychuk: Sans faire référence à ce projet de loi?

Le sénateur Austin: Non, la lettre doit faire référence au projet de loi.

Le sénateur Andreychuk: Mais leurs négociations devraient se faire sans égard à ce projet de loi. Le projet de loi C-6 est simplement un projet de loi, ce n'est pas une loi.

Le sénateur Austin: Je propose que nous adoptions le projet de loi, à la condition que la ministre s'engage à ce que le ministère ne soutienne pas que ce projet de loi touche à la revendication des Dogrib d'avoir un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. D'après ce que je comprends, c'est là la principale préoccupation des témoins. Je crois que l'engagement de la ministre constituerait une solution à ce que je perçois comme une position bien fondée de la part des Dogrib. Il s'agit là d'une pratique parlementaire courante.

Si le comité acceptait à l'unanimité de recommander à la ministre de rédiger une lettre, on demanderait alors aux témoins de dire si cette lettre les convainc que leur position de négociation, en principe, n'est pas compromise.

Le président suppléant: J'aimerais préciser ceci: les Dogrib ont présenté leur point de vue, mais il y a d'autres groupes qui se considèrent touchés par le même projet de loi.

Le sénateur Andreychuk: Nous avons encore d'autres témoins à entendre.

Le sénateur Austin: C'est à la ministre de décider si elle est disposée à accorder les mêmes assurances à d'autres groupes.

Le sénateur Taylor: Pourquoi ne pas demander aux témoins si cela est satisfaisant?

Le président suppléant: Voulez-vous faire des commentaires maintenant ou préférez-vous d'abord entendre les autres sénateurs, monsieur Zoe?

M. Zoe: Nous allons attendre.

Le président suppléant: Vous attendez depuis longtemps.

Le sénateur Forest: Je suis d'accord avec le sénateur Austin. Ce groupe n'est pas le seul à avoir soulevé cette préoccupation, les peuples de North Slave et de South Slave l'ont fait aussi.

Bien sûr, comme l'a signalé le sénateur Austin, il s'agit d'une procédure commune. Nous l'avons utilisée l'an dernier pour un ou deux projets de loi.

Je proposerais que cette lettre ne contredise pas ce que M. Moore a déclaré. Elle irait au-delà de ce qu'il a dit. On prendrait un engagement supplémentaire. Certes, d'après notre expérience de l'an dernier, le ministre a effectivement honoré son engagement, ce qui a permis d'adopter le projet de loi. De plus, cela nous a offert la possibilité d'aborder les préoccupations de certains témoins. Trois groupes nous ont dit que cette question les préoccupait et nous en entendrons d'autres. Il faudra probablement demander aux fonctionnaires du ministère de revenir comparaître. C'est une suggestion qu'il vaut la peine d'examiner.

Le sénateur Taylor: Le sénateur Andreychuk a parlé du paragraphe 8(2) qui dit:

Le ministre fédéral est tenu, dans le cadre des négociations relatives à l'autonomie gouvernementale de toute Première nation, de procéder, en collaboration avec celle-ci, à l'examen des dispositions pertinentes de la présente loi.

J'aimerais revenir à la définition de «Première nation» qui dit:

... outre la Première nation des Gwich'in ou celles du Sahtu, tous les organismes représentant d'autres Dénés ou Métis des régions de North Slave, South Slave ou Deh Cho de la vallée du Mackenzie.

Il n'est pas question des «Dogrib». À votre avis, êtes-vous inclus dans cette définition de Première nation?

M. Salter: Oui.

Le sénateur Taylor: Je ne connais pas bien l'entente des Premières nations Gwich'in et du Sahtu. Est-ce qu'il y a dans l'accord une sorte de clause de nation favorisée selon laquelle si on conclut une entente avec des peuples qui vivent en aval ou en amont du Mackenzie, ou ailleurs, il faut reprendre la négociation et rouvrir l'accord? Autrement dit, comme vous le savez, on assiste souvent à une réaction en chaîne. Y a-t-il une raison pour cela?

M. Salter: La seule entente qui, à ma connaissance, renferme une telle clause, est celle de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon. Il n'y a pas de clause semblable dans l'accord des Premières nations Gwich'in et du Sahtu.

Le sénateur Adams: Est-ce que le sénateur Austin pourrait reformuler sa position?

Le sénateur Austin: Permettez-moi de résumer ma position. Je crois que les témoins ont bien expliqué leur point de vue. Ce qui manque, c'est, dans le projet de loi ou dans la lettre du 19 novembre, l'assurance que le projet de loi ne portera pas préjudice à leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

Je crois qu'ils ont bien fait ressortir que le projet de loi enfreint leur droit de négocier l'autonomie gouvernementale. Je ne les ai pas entendus exprimer de réserves sur la gestion des eaux, mais ils ne veulent pas que leur point de départ soit compromis.

J'ai proposé que l'on demande à la ministre de fournir une lettre où elle dirait essentiellement qu'il est reconnu que si les Dogrib acceptent que le projet de loi soit adopté -- ou n'importe quel autre groupe qui défend la même position -- cela ne compromettra pas leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et que si ce projet de loi est adopté, personne ne soutiendra que la nouvelle loi permet de déroger à ce droit.

Le sénateur Adams: C'était là ma première préoccupation. Les témoins du ministère ont tenté de nous assurer qu'il n'y avait pas de chevauchement.

En ce qui concerne la disposition qui préoccupe le sénateur Austin, il y a une semaine, nous avons entendu des témoins des groupes de North Slave, de South Slave et des Métis et nous avons discuté de cette question. Je voudrais que chacun comprenne ce que cela signifie et qu'il n'y ait pas de chevauchement.

Avant de terminer notre examen de ce projet de loi, les fonctionnaires du ministère, y compris peut-être la ministre, devraient revenir ici discuter de la préoccupation du sénateur Austin.

Le Sénat peut apporter des amendements, que la Chambre des communes peut accepter ou non. Peut-être que cette fois-ci il serait acceptable de modifier certaines dispositions.

Le sénateur Austin: J'aimerais que le projet de loi soit adopté, sénateur Adams, mais sans qu'il porte préjudice à la revendication des Dogrib ou de tout autre groupe qui adopte la même position.

Le sénateur Adams: Nous sommes tous d'accord là-dessus.

Le président suppléant: Peut-être devrions-nous adopter les dispositions telles qu'elles s'appliquent aux Premières nations Gwich'in et du Sahtu et laisser tous les autres groupes en dehors. Je ne dis pas que nous ne devrions pas demander de lettre, mais de nombreux groupes seraient laissés de côté. En fait, la majorité d'entre eux seraient exclus, la minorité étant les deux groupes qui ont réglé leurs revendications territoriales. Est-ce que cette suggestion complique les choses, sénateur Austin?

Le sénateur Austin: Il s'est produit quelque chose d'extraordinaire à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique il y a des années alors que le premier ministre W.A.C. Bennett présentait un projet de loi pour autoriser la construction de ce qui est devenu le barrage Bennett. Un député du nom de Gordon Gibson s'est opposé à ce projet de loi, à tort ou à raison. Il a proposé de modifier le projet de loi en enlevant dix pieds au bas du barrage.

Voilà le genre de problème auquel on peut faire face quand on n'a pas de système complet de gestion des eaux. L'eau est une ressource très importante pour les gens qui vivent dans la région. Il ne s'agit pas seulement d'une ressource environnementale, mais d'une ressource économique. Personne ne conteste la nécessité de gérer cette ressource au bénéfice des gens, mais ce qui nous préoccupe, c'est de voir le gouvernement du Canada imposer une solution. Même si c'est la bonne solution, elle est imposée.

Entre autres choses, les Dogrib soutiennent que cela porterait préjudice à leur revendication au droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Ils doivent s'opposer au projet de loi si tel est le cas. J'essaie de trouver une façon d'éliminer cet obstacle.

Le président suppléant: Les Dogrib négocient actuellement selon des compétences différentes par rapport à des pouvoirs délégués. Je ne sais pas si cela fait une différence.

Le sénateur Austin: Je dis la même chose. S'il s'agit de pouvoirs délégués, ils perdent leur droit de revendiquer un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. S'ils acceptent, cela ne doit pas compromettre leur revendication. La décision ne doit comporter aucun préjudice.

Le président suppléant: Les témoins voudraient peut-être faire des commentaires.

M. Salter: J'aimerais faire des commentaires sur plusieurs des points qu'a soulevés le sénateur Austin. J'ai beaucoup de respect pour le sénateur Austin pour avoir travaillé avec lui lorsqu'il était ministre. Beaucoup ne connaissent pas le travail qu'il a accompli en faveur des peuples autochtones à ce moment-là, mais le sénateur Austin mérite certainement d'en être remercié. Je suis sûr que les gens ne savent pas que nombre des effets et avantages des accords conclus entre les entreprises et les peuples autochtones découlent du travail du sénateur Austin dans ce domaine il y a des années quand personne ne savait ce qu'était un OERE. Merci, sénateur.

Le sénateur Taylor: N'en jetez plus, la cour est pleine.

M. Salter: Il est aussi originaire de Colombie-Britannique. Nous autres, de Vancouver, devons nous serrer les coudes.

Il ne fait aucun doute que le Conseil tribal des Dogrib du Traité 11 est d'accord avec vous sur la nécessité de créer un système intégré de gestion des ressources dans la vallée du Mackenzie. La partie 5 constitue l'élément clé pour assurer la protection de l'environnement. Les Dogrib ont indiqué clairement que même si l'office à créer est un conseil gouvernemental, ils en appuient l'idée. Ils ne croient pas que l'on puisse diviser l'environnement région par région.

Cependant, il y a une chose qui n'a pas été clarifiée, et je vais le faire maintenant. Lorsqu'on parle du droit inhérent des Dogrib à l'autonomie gouvernementale, il n'est pas question d'un droit aussi important que celui de contrôler le réseau hydrographique ou l'environnement. Dans le cadre de leurs revendications territoriales, les Dogrib auront leurs propres terres, comme tous les autres groupes. Ils essaient de négocier l'autonomie gouvernementale pour leurs propres terres afin que leur gouvernement décide ce qu'il voudra en faire. Le but de la politique du gouvernement du Canada sur l'autonomie gouvernementale est de donner aux peuples autochtones ce genre de contrôles. En tant que gouvernement, si on ne peut délivrer un permis de gestion des terres sur nos propres terres, encore moins dans la région, alors à quoi sert d'avoir notre propre gouvernement?

Pour sa part, le gouvernement du Canada soutient que les Dogrib ont, d'un côté, un système intégré de gestion des ressources auquel ils participent, mais que, de l'autre, ils ne peuvent pas exercer le pouvoir gouvernemental de délivrer des permis de gestion des terres sur leur propre territoire. Cela, à notre avis, va vraiment bien au-delà de la nécessité d'établir un système intégré de gestion des ressources.

C'est une simple question d'idéologie. Le gouvernement veut conserver le contrôle, il ne veut pas que cela fasse partie intégrante de l'autonomie gouvernementale, ce qui est étrange. C'est là une composante essentielle de la loi adoptée pour l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon. Les Premières nations du Yukon ont la compétence nécessaire pour délivrer des permis de gestion des terres sur leur propre territoire. Il existe un système intégré de gestion des ressources environnementales. Ce n'est pas ce qui a été demandé lorsque les Premières nations Gwich'in et du Sahtu ont conclu leur entente.

C'est ce qu'il faut demander au gouvernement fédéral. Nous n'avons pas d'objection à ce que vous demandiez au négociateur en chef du gouvernement fédéral d'expliquer sa position.

M. Zoe: En outre, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous examinons les propositions qui sont mises sur la table. Lorsqu'une position est présentée, nous savons qu'elle vient de quelque part. Habituellement, elle découle du mandat qu'ont reçu les négociateurs. En raison de la position présentée, nous savons dans ce cas que le mandat découle essentiellement d'un projet de loi qui n'est pas encore adopté. Lorsque les choses changent à la table de négociation, cela veut dire que les directives ont changé. Je ne sais pas comment ces directives sont données, ni quelle est leur portée.

Nous avons ici avec nous le haut fonctionnaire fédéral, M. David Wilson. Il participe également aux négociations. Je sais qu'il n'est pas le négociateur en chef, mais peut-être pourrait-il nous donner quelques renseignements sans trop dévoiler de choses. Il doit y avoir un système quelconque qui permet aux négociateurs de changer de position.

Le président suppléant: Honorables sénateurs, comme l'a fait remarquer M. Zoe, nous avons aujourd'hui parmi nous le haut fonctionnaire David Wilson. Si l'un de vous souhaite lui poser des questions, je demanderai la permission au comité de le faire comparaître. Nous essayons d'établir une position claire. Il nous faut tous les renseignements qu'on peut avoir. Si le négociateur en chef peut éclairer notre lanterne et appuyer l'exposé présenté ici aujourd'hui, je vous demande la permission de l'entendre.

Comme il n'y a pas d'objections, je demanderais à M. Wilson de s'avancer.

Le sénateur Taylor: Je vais essayer de poser une question la plus directe possible. Monsieur Wilson, est-il possible de donner à une bande ou à une Première nation un pouvoir exclusif de délivrer des permis de gestion des terres sans qu'une telle procédure entre en conflit avec la politique générale sur la gestion de l'environnement et des eaux? Autrement dit, ces deux choses-là peuvent-elles exister conjointement?

M. David Wilson, négociateur principal intérimaire, revendications du Conseil tribal Dogrib du Traité 11, Direction générale des revendications globales, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Avant de répondre à votre question, je devrais peut-être vous donner un très bref aperçu de mon travail et vous dire comment il s'imbrique dans les négociations.

Le sénateur Taylor: J'ai simplement supposé que vous étiez au courant de tout.

M. Wilson: Je suis le négociateur principal intérimaire pour le traité des Dogrib. J'ai fait partie de l'équipe d'enquête fédérale qui a étudié la revendication des Dénés et des Métis jusqu'en avril 1990 lorsque M. Blondin était négociateur fédéral en chef. J'ai travaillé à la revendication des Dénés et des Métis, à celle des Premières nations Gwich'in et du Sahtu, et je fais maintenant partie de l'équipe de négociation sur la revendication des Dogrib.

Je ne suis pas le négociateur fédéral en chef. Cette personne est engagée à contrat, mais je suis le haut fonctionnaire fédéral qui fait partie de l'équipe de négociation.

Il existe au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien une direction générale ou un secteur qui s'occupe des négociations, et c'est à ce secteur que j'appartiens. Il y a un autre secteur, où des collègues travaillent pour le Programme des affaires du Nord. Ils font aussi partie du groupe fédéral, ce sont les bureaucrates qui s'occupent de rédiger et de préparer les projets de loi. Nous formons deux groupes différents.

Je ne suis pas venu ici pour faire un discours. J'hésiterais beaucoup à franchir la ligne qui sépare le point de vue de l'équipe de négociation de celui de l'équipe de rédaction du projet de loi. Cela étant établi, je vais vous dire brièvement comment nous sommes arrivés où nous en sommes aujourd'hui en ce qui concerne le projet de loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie.

En avril 1990, le gouvernement fédéral, les Dénés et les Métis des Territoires du Nord-Ouest ont parafé une entente finale qui, si elle avait été acceptée, aurait créé un conseil de l'aménagement du territoire, un conseil de gestion des terres et des eaux ainsi qu'un conseil d'évaluation environnementale pour toute la vallée du Mackenzie, soit les cinq régions où vivent les Dénés et les Métis. Il y aurait eu un seul conseil de l'aménagement des terres et des eaux, un seul conseil de la gestion des terres et des eaux et un seul conseil d'évaluation environnementale.

En juillet 1990, les négociations ont été rompues et en novembre 1990, nous avons reçu le mandat de négocier les revendications régionales avec les groupes dénés et métis qui voulaient poursuivre la négociation.

Notre mandat prévoyait en partie -- et l'on ne peut pas trop parler des mandats parce qu'ils sont censés être secrets -- que l'accord de 1990 qui avait été parafé devait former la base du mandat de négociation des revendications régionales qui devait s'ensuivre. Il s'agissait à ce moment-là d'un mandat portant uniquement sur les revendications territoriales.

Nous devions régionaliser ce qui avait été une formule globale pour la vallée du Mackenzie en ce qui concerne les revendications territoriales. Le mandat prévoyait en partie que nous régionalisions ces conseils, mais lorsque le ministre le jugeait nécessaire, nous pouvions élargir la compétence du conseil pour inclure non seulement la région faisant l'objet d'une entente mais, peut-être, toute la vallée du Mackenzie.

Dans nos négociations avec les Premières nations Gwich'in et du Sahtu, les Dénés et les Métis, ces groupes ne voulaient pas imposer leurs vues à d'autres groupes qui pourraient négocier par la suite. C'est à l'insistance du gouvernement du Canada que nous avons un processus d'évaluation environnementale pour toute la vallée du Mackenzie parce que les préoccupations environnementales, comme vous l'avez entendu dire ce matin, n'ont pas de frontières régionales. Le gouvernement du Canada a insisté pour que l'on crée un processus d'évaluation environnementale s'appliquant à toute la vallée du Mackenzie.

Dans les ententes avec les Premières nations Gwich'in et du Sahtu, nous avons établi des conseils régionaux de gestion des terres et des eaux ainsi que des conseils régionaux d'aménagement du territoire. Toutefois, dans le domaine de la gestion des terres et des eaux, non seulement nous avons prévu l'établissement d'organismes régionaux, mais dans les ententes sur les revendications territoriales, nous avons aussi donné à la loi qui mettrait ces organismes en place la possibilité de s'appliquer au-delà des limites, en ce qui concerne la gestion des terres et des eaux, si bien qu'elle pouvait s'appliquer à un plus vaste territoire. Il pouvait s'agir de la région des Gwich'in et du Sahtu ensemble ou, comme on le voit dans le projet de loi, de toute la vallée du Mackenzie. C'était là une option qui était incluse -- pas une obligation, une option.

Cela nous a donc amenés à entreprendre les négociations avec les Dogrib. Nous avons commencé à négocier en janvier 1993 et, à cause du problème concernant le droit inhérent, nous avons interrompu les négociations à l'automne de 1995. Nous sommes retournés demander un autre mandat qui, pour la première fois dans les Territoires du Nord-Ouest, portait à la fois sur les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale et, depuis juin 1996, c'est sur cette base que nous négocions. On nous a donné un mandat portant sur les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale et nous avons essayé de jumeler les deux. Cependant, en ce qui concerne la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, même si nous avons recommandé la politique du droit inhérent et la reconnaissance, dans la mesure du possible, de la compétence des Dogrib sur des questions que l'on retrouve dans cette loi -- aménagement du territoire -- nous pourrons reconnaître la compétence des Dogrib en matière d'aménagement du territoire sur leurs terres. Mais, en plus de cela, nous étions liés par notre mandat consistant à rendre cette compétence compatible avec la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Nous avons essayé de faire avancer le dossier, mais nous avons quand même des limites.

En ce qui concerne la position que nous avons déposée à la table de négociation avec les Dogrib, il est vrai que nous avions hâte de leur présenter ce document parce que nous ne voulions pas qu'ils ratent la possibilité de vous faire connaître leurs préoccupations, c'est donc pour ça que nous avons présenté cette position qui va plus loin que celles que nous avions présentées aux Premières nations Gwich'in et du Sahtu, mais ça ne va pas aussi loin que ce que les Dogrib aimeraient.

Si vous me permettez de revenir à la question de l'eau, pour savoir pourquoi les responsables du Programme des affaires du Nord ont rédigé le projet de loi comme ils l'ont fait, en y prévoyant un office élargi de gestion des eaux et du territoire à ce moment-là, il faudra le leur demander.

Je comprends les motifs de cette décision du point de vue de la gestion de l'eau. Tout comme l'environnement, l'eau ne connaît pas de frontières. Je peux concevoir qu'on veuille établir un office de gestion de l'eau qui englobe les cinq régions. En ce qui concerne la politique sur le droit inhérent, elle s'appuie en partie sur le fait que le Canada préfère en ce qui concerne le Nord que, dans la mesure du possible, ce droit inhérent soit appliqué par le gouvernement. C'est ce que spécifie la politique du droit inhérent. C'est l'option que privilégie le Canada, le gouvernement actuel en ce qui concerne le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

Nous avons présenté une position aux Dogrib du point de vue de l'autonomie gouvernementale qui reconnaîtrait leur compétence sur l'utilisation, la gestion et le contrôle de leurs terres. Nous n'avons pas donné de détails. C'est avec eux qu'il faudra les établir.

En ce qui concerne les dispositions portant sur la gestion des terres et des eaux, la position que nous avons présentée concerne l'établissement d'un organisme de gestion des ressources de la vallée du Mackenzie qui est basé sur le projet de loi.

Le président suppléant: Vous êtes à la table de négociation en tant que haut fonctionnaire. Est-ce que le projet de loi dans sa forme actuelle, sans amendement ou sans la lettre qu'a proposée le sénateur Austin, compromet vos négociations?

M. Wilson: Est-ce qu'il porte préjudice aux droits et aux désirs inhérents des Dogrib? Oui. Il les limite. Je suis ici dans une position difficile. Nous sommes en train de négocier à partir d'un mandat qui nous a été donné. Ce mandat a pour base le projet de loi C-6, la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Nous avons reçu le mandat du Cabinet.

Le sénateur Forest: En ce qui concerne la gestion des terres et la délivrance des permis, il pourrait y avoir un problème. En Alberta, le gouvernement peut autoriser l'utilisation de terres, disons pour une entreprise de pâte à papier. Le gouvernement a le droit de le faire, mais il est certain que le cours d'eau sera pollué en aval.

M. Wilson: Oui. Du point de vue de la gestion des eaux, je crois que les Dogrib seraient d'accord qu'il est probablement nécessaire d'établir une gestion des eaux qui s'applique de façon universelle.

Le sénateur Forrestall: L'utilisation des terres serait assujettie à une condition de ce genre-là si elle avait des répercussions sur l'eau?

M. Salter: Toute utilisation des terres qui aurait des répercussions sur l'environnement devrait faire l'objet d'une évaluation du conseil d'évaluation environnementale qui s'applique à toute la vallée.

Le sénateur Austin: Je ne comprends pas ce commentaire ou celui que vous avez fait tout à l'heure, à savoir que les Dogrib veulent le droit de délivrer des permis pour l'utilisation des terres, pourtant, vous dites qu'il faut un système intégré de gestion.

M. Salter: La délivrance des permis est une activité différente de l'approbation d'un projet par le biais de l'évaluation environnementale. Tout projet proposé qui aurait un impact sur l'environnement devrait être approuvé après une évaluation environnementale. Cette évaluation serait effectuée par le conseil d'évaluation des ressources environnementales de la vallée du Mackenzie.

Le sénateur Austin: Quels pouvoirs voulez-vous conserver là-dedans?

M. Salter: Nous voulons conserver la possibilité d'interdire la compagnie X si elle veut s'établir sur des terres dogrib et que l'évaluation environnementale n'ait pas démontré que son projet n'aurait aucune incidence sur nos terres. Nous voulons conserver la capacité de délivrer des permis d'utilisation des terres au même titre que le gouvernement du Canada le fait actuellement. Le gouvernement du Canada dans le Nord non seulement oblige les entreprises à se soumettre à une évaluation environnementale en vertu de la LCEE mais c'est lui aussi qui, au bout du compte, délivrera le permis d'utilisation des terres et accordera le bail.

Les Dogrib, en tant que propriétaires des terres, auraient la capacité d'accorder le bail mais pas le permis d'utilisation des terres, assorti de toutes les règles et des règlements sur l'accès aux terres et la protection des terres. Ce sont là des questions différentes de celles du point de vue environnemental. C'est ce que je veux dire.

Le sénateur Taylor: Vous voulez être la première autorité.

M. Salter: Oui. Sur les terres dogrib.

Le sénateur Taylor: Il y aura peut-être une deuxième autorité.

M. Salter: S'il y a possibilité de répercussions environnementales, il y a toujours une deuxième autorité.

Le sénateur Taylor: Il y en aura peut-être même une troisième si on a un gouvernement circumpolaire.

M. Salter: Je ne suis pas au courant.

Le sénateur Austin: Nous avons discuté deux de vos objections.

M. Salter: Il y en a d'autres.

Le sénateur Austin: Fondamentalement, ma suggestion simpliste d'obtenir une lettre vous protégeant d'un préjudice ne constitue pas pour vous une assurance suffisante pour que vous acceptiez le projet de loi. Est-ce exact?

M. Salter: Nous prenons votre suggestion en considération. Nous en discuterons, comme vous l'avez proposé.

Le sénateur Austin: Ce sont les commentaires de M. Zoe qui m'ont amené à faire cette proposition, comme je l'ai déjà dit.

M. Salter: Nous croyons que l'amendement que nous avons proposé est suffisant. Cela nous exempte de l'application des parties 3 et 4 seulement.

Le président suppléant: Honorables sénateurs, je remercie les représentants des Dogrib de leur excellent exposé.

La séance se poursuit à huis clos.


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