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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 3 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit ce jour à 9 h 10 pour étudier, en vue d'en faire rapport, la fonction gouvernementale autochtone.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous entendons aujourd'hui des témoins de la Commission crie-naskapie. J'aimerais préciser, avant de donner la parole aux témoins, que le rapport de cette commission n'est pas le premier remis au gouvernement du Canada pour souligner le manque de sérieux ou d'engagement du gouvernement en ce qui a trait à la Convention de la Baie James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois.

M. Richard C. Saunders, président intérimaire, Commission crie-naskapie: C'est exact.

Le président: Je crois que ce rapport présente également un tableau complet de la situation des Naskapis depuis les débuts jusqu'à maintenant.

M. Saunders: C'est exact.

Le président: À votre connaissance, avez-vous déjà par le passé présenté un rapport rédigé conjointement ou partiellement avec la Société Makivik, étant donné qu'elle est également partie à la Convention de la Baie James et du Nord Québécois?

M. Saunders: Non. Nous avons agi en conformité de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.

Le président: Est-ce que cette loi traite expressément de la question de l'autonomie gouvernementale instaurée après la Convention de la Baie James et du Nord québécois?

M. Saunders: Elle traite essentiellement de l'autonomie gouvernementale et du régime des terres des catégories 1A et 1A-N.

Le président: Merci. Vous pouvez commencer.

M. Saunders: Je vous remercie de nous donner la possibilité d'examiner les questions importantes qui découlent du règlement des revendications territoriales. Malgré tout le respect que j'ai pour la Chambre des communes, je dois dire que, de manière générale, les sénateurs sont mieux informés au sujet de certaines de ces questions. Par conséquent, je vais présenter une introduction plus brève que devant le comité de la Chambre des communes.

La Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée le 11 novembre 1975. La Convention du Nord-Est québécois qui réglait certaines questions concernant les Naskapis qui étaient restées en suspens, a été signée le 31 janvier 1978. Dans ces deux conventions, le gouvernement s'engageait à adopter une loi concernant l'autonomie gouvernementale afin de mettre en oeuvre certaines dispositions des deux conventions.

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec est entrée en vigueur en 1984 et les premiers commissaires, le commissaire Kanatewat et moi-même, furent nommés en février 1986. Depuis cette époque, nous avons présenté six rapports, un tous les deux ans.

Le rapport sur lequel nous nous penchons aujourd'hui est le sixième. La loi prévoit que les rapports doivent être remis au ministre qui dispose de dix jours pour les déposer à la Chambre des communes et au Sénat. Il n'existe aucune disposition concernant le suivi.

Dans nos collectivités, les gens se plaignent que nos recommandations demeurent lettre morte. On nous demande d'adopter une attitude plus affirmative afin de faire mieux connaître nos revendications aux décideurs et aux personnes qui ont une voix influente dans la prise des décisions et l'élaboration de la politique officielle au sein du gouvernement fédéral. Les gens de nos collectivités veulent des résultats et pas seulement des palabres. Ils en ont assez des recommandations qui ne font que s'empiler sur les rayons des bibliothèques.

Nous sommes heureux d'être ici et d'avoir été entendus par le comité de la Chambre des communes. Nous espérons que notre témoignage devant vous se traduira par des résultats concrets. Après avoir entendu notre témoignage, vous serez en mesure de formuler votre opinion et de la transmettre si possible à la ministre et aux autres représentants du gouvernement qui prennent des décisions.

De manière générale, notre rapport évoque les réussites aussi bien que les points de préoccupation et, on peut le dire franchement, les échecs relativement à la mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale dans les collectivités cries et naskapies du Nord québécois, telle que prévue par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et surtout, dans les conventions signées.

Nous allons également évoquer les problèmes génériques ou systémiques que nous avons notés. Nous savons que vous avez déjà entendu les témoignages de certains autochtones et que vous savez par conséquent qu'un des principaux sujets de préoccupation au Canada, c'est que les traités donnent l'impression d'être rompus dès l'instant même où ils ont été signés. Vous pouvez en parler aux Pieds-Noirs au sujet du Traité 7 ou aux Cris au sujet des traités 6 ou 8. Vous pouvez en parler aux Ojibwas Dakotas au sujet des traités 1 et 2. Ils vous diront tous la même chose.

Quant aux Cris et aux Naskapis du nord du Québec, ils ont tous la même préoccupation: ils ont signé des ententes qui n'ont pas été pleinement appliquées. Certaines dispositions ont tout simplement été annulées. C'est une préoccupation grave.

Nous avons cherché à comprendre ce qui se passe. Est-ce que les ministres et les hauts fonctionnaires sont de mauvaises personnes? Certainement pas. Alors, quel est le problème? Mes deux collègues et moi-même connaissons le problème depuis longtemps et avons noté quatre causes sous-jacentes -- le mandat public, la prise de conscience collective, la mémoire de l'organisation et l'impuissance ministérielle.

Cette dernière raison est importante, malgré les plaisanteries qu'a faites à ce sujet la ministre Stewart.

Au sujet du mandat public, les élus du gouvernement canadien savent qu'ils ont pour mission de prendre des décisions, y compris des décisions qui ne sont pas particulièrement populaires. C'est la vérité. On estime généralement qu'un gouvernement élu de manière démocratique a le droit de prendre des décisions sur des questions de politique et des choix de dépenses. Il est libre de réduire la taille des forces armées ou de diminuer les primes d'assurance-emploi.

Les représentants du gouvernement estiment qu'ils sont en droit de prendre bon nombre de décisions en vertu de ce processus politique légitime. Les personnes qui n'aiment pas leurs choix peuvent faire entendre leur point de vue. Elles peuvent leur écrire. Elles peuvent si elles le souhaitent, leur faire parvenir des pétitions. Elles peuvent voter pour quelqu'un d'autre aux élections suivantes.

L'écrasante majorité des décisions prises par le gouvernement, relève, comme il se doit, de ce processus. Nous vivons en démocratie et nous élisons des gouvernements pour nous gouverner. Pourtant, des traités et conventions comme la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois ne créent pas uniquement des possibilités d'action. La Cour suprême a précisé clairement dans l'arrêt Badger que ces conventions créent des obligations réelles.

Une fois que le contrat est signé, il est trop tard pour examiner certains choix de politique afin de décider si l'on va ou non l'appliquer. Les structures et les ministères du gouvernement ont pour mission de faire des choix politiques et d'établir la priorité des dépenses en fonction de divers éléments tels que l'économie canadienne, le contexte politique, et cetera.

Les ministères, y compris le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sont conçus pour fonctionner de cette manière. Bien sûr, certains aspects de la politique des Affaires indiennes amènent à faire certains choix politiques, à déterminer la priorité des dépenses, et cetera, mais nous estimons que cette façon de procéder ne peut s'appliquer lorsqu'il s'agit de s'acquitter d'une obligation légale.

Le deuxième sujet de préoccupation est la prise de conscience collective. Lorsque les hauts fonctionnaires ont comparu devant notre commission, nous leur avons demandé quel effet avait sur leur travail la décision de la Cour suprême d'inclure dans l'article 35 les droits ancestraux et issus des traités. Les tribunaux ont rendu de nombreux jugements ayant une incidence sur la réaction du gouvernement aux traités et conventions. Lorsque nous leur avons demandé quelle était l'incidence de ce jugement sur la Convention de la Baie James, leur réponse a été: «Question suivante».

La prise de conscience collective constitue un problème. Nous avons remarqué que la Cour suprême a beau se prononcer sur la façon d'interpréter un traité, les fonctionnaires continuent d'interpréter le document de la même manière et d'appliquer leurs priorités politiques. De deux choses l'une, soit ils ne sont pas au courant de l'actualité, soit ils décident de pas en tenir compte. En conséquence, nous sommes tenus de faire constamment appel aux tribunaux, de dépenser des sommes énormes et de déployer des trésors de bonne volonté pour faire appliquer chaque disposition de chaque traité et convention.

Dans l'arrêt Badger, la Cour suprême a fait part de son agacement et a accepté de définir une nouvelle fois les règles d'interprétation. On pourrait espérer que le ministère de la Justice souhaiterait prendre le temps de conseiller les fonctionnaires des Affaires indiennes au sujet de leur responsabilité fiduciaire et des règles d'interprétation plutôt que de les laisser traîner de litige en litige.

Le troisième problème que nous allons évoquer brièvement se rapporte à la mémoire de l'organisation. Il a un certain lien avec la prise de conscience collective. Les ministres vont et viennent. Les députés aussi. Bon nombre de hauts fonctionnaires sont choisis en raison de leurs compétences. Ils sont perçus comme de bons gestionnaires qui connaissent bien la gestion financière ou les politiques relatives au personnel. Nous pensons qu'ils devraient plutôt être choisis en fonction de leur connaissance profonde des questions qu'ils ont à traiter. Ce n'est malheureusement pas le cas. Nous pensons que les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien devraient connaître les traités, les droits ancestraux et, de manière générale, les affaires indiennes avant d'être choisis comme hauts fonctionnaires.

Le dernier élément du problème est ce que nous appelons l'impuissance ministérielle. La ministre en poste actuellement mérite d'être félicitée sur plusieurs points. Dans le document intitulé «Rassembler nos forces», elle reconnaît que le gouvernement a commis des erreurs graves par le passé dans ses relations avec les peuples autochtones et qu'il est temps d'éliminer ces erreurs et d'instaurer un nouveau partenariat.

Nous estimons que c'est une excellente intention. Toutefois, nous ne pensons pas que les fonctionnaires de son ministère comprennent ce que cela signifie et ne l'acceptent pas nécessairement au niveau pratique.

Par exemple, la Convention de la Baie James propose un régime qui permet de régler les revendications territoriales. Elle définit les terres qui relèvent de la catégorie IA, de la catégorie IA-N et de la catégorie II. Les terres qui sont généralement désignées sous le titre de «terres de réserve» dans les autres régions du Canada, sont appelées dans la convention terres de catégorie IA et IA-N. On pourrait penser que le transfert des terres aurait déjà dû être fait, puisque la convention a été signée il y a plus de 24 ans. Il n'en est rien. La ministre est animée de bonnes intentions, mais ses fonctionnaires ne suivent pas.

Nous pourrions vous donner de nombreux exemples de bonnes intentions qui sont demeurées des voeux pieux.

En 1986, le gouvernement a négocié une disposition de financement, un protocole d'accord qui a par la suite été signé par le ministre. Je me souviens avoir vu l'enregistrement vidéo de la cérémonie. Billy Diamond qui était alors grand chef, disait: «Je sais que vos fonctionnaires n'aiment pas cet accord; êtes-vous sûr que vous le signez en connaissance de cause?»

Le ministre a répondu: «Donnez-moi le document que je le signe.»

Moins de deux ans plus tard, nous avons rencontré un sous-ministre adjoint du nom de Richard Van Loon, un monsieur très bien qui est devenu par la suite président de l'Université Carleton. Il a affirmé à notre commission que le gouvernement n'était pas tenu par l'accord et que le ministre n'avait pas le pouvoir de le signer. Il faudrait vraiment mettre un terme à ce genre de non-sens.

Je suis en poste depuis longtemps et j'ai eu l'occasion de soulever ces problèmes devant de nombreux représentants officiels. Deux ministres précédents m'ont avoué qu'ils n'avaient pas vraiment leur mot à dire dans l'administration de leur ministère. Cela n'a rien d'exceptionnel, c'est la réalité.

Lorsque le gouvernement finit par prendre une décision et élabore une politique -- généralement après de longues discussions et négociations avec les dirigeants inuit et des Premières nations -- il serait important que quelqu'un applique la décision qui a été prise, plutôt que d'attendre que le ministre quitte son poste ou accepte un autre portefeuille. Voilà le problème de l'impuissance ministérielle.

Nous proposons un certain nombre de suggestions susceptibles d'aboutir à des solutions, plutôt que de rester axés sur les problèmes. Il faudrait instaurer un secrétariat chargé de la mise en oeuvre. Dans le cas de la Convention de la Baie James, il existe un tel secrétariat, mais il se situe tout au bas de l'échelle. Il n'a absolument aucun contrôle sur l'argent ni les programmes. C'est un fonctionnaire subalterne qui dirige ce secrétariat. Il ne dispose d'aucun budget, a très peu de personnel et aucun pouvoir sur le programme ni les lignes directrices. C'est un secrétariat qui ne fonctionne pas. Doit-on s'en étonner?

Ce secrétariat fait partie du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui relève lui-même du système d'établissement des politiques et des priorités de dépenses du gouvernement. Ce n'est pas la place de ce secrétariat dont la tâche consiste à appliquer les obligations légales du gouvernement.

Il faudrait mettre sur pied, parallèlement à la structure du ministère, un petit secrétariat dont l'effectif proviendrait des années-personnes des Affaires indiennes. Il aurait pour tâche d'appliquer les conventions et les traités après leur négociation et leur signature. Il serait complètement séparé des fonctions d'élaboration des lignes directrices, d'établissement des priorités de dépenses et de prise de décisions. Ce serait un organisme de mise en oeuvre.

Il faudrait qu'une loi prévoie la question de la mise en oeuvre, en particulier les aspects financiers. La première convention contient plus de 250 000 mots. Depuis, beaucoup d'autres sont venus s'y ajouter. Ce n'est pas un document simple. C'est un document compliqué, détaillé qui répond à la plupart des questions concernant la mise en oeuvre. Il précise le rôle de chacun.

Le problème, c'est que la bureaucratie n'a pas l'habitude d'appliquer de telles conventions, même si elles font partie intégrante de la Constitution. Les fonctionnaires sont habitués à appliquer la loi ou les directives du gouvernement. Ils sont habitués à appliquer la Loi sur la gestion des finances publiques. Il leur arrive même de tenir tête à leurs supérieurs lorsqu'ils estiment qu'on leur demande de faire quelque chose qui s'écarte de la Loi sur la gestion des finances publiques; et ils ont raison d'agir ainsi.

On pourrait envisager d'adopter une loi sur l'application des traités. Par ailleurs, les négociateurs du gouvernement s'imposeraient peut-être une plus grande discipline s'ils avaient conscience au départ que leurs efforts de négociation imposent des obligations réelles au gouvernement. Ils devraient savoir qu'il n'est pas acceptable de signer simplement un document, d'insister pour que les peuples autochtones respectent leurs engagements tandis qu'eux négligent impunément les leurs. Le gouvernement serait peut-être un peu moins exigeant sur le plan de la cession des droits s'il prenait conscience qu'il doit payer une compensation en échange de ces droits. Le gouvernement serait peut-être prêt à reconnaître un certain pouvoir inhérent et à le laisser à ses véritables détenteurs, c'est-à-dire les collectivités autochtones, s'il savait qu'il ne peut s'approprier ce pouvoir sans rien donner en échange.

Nous envisageons également la possibilité de créer un tribunal temporaire. L'examen des arrêts Badger, Sioui et Sparrow ainsi que d'une vingtaine d'autres importantes affaires concernant les droits ancestraux et issus des traités révèle que la première décision du tribunal est généralement défavorable aux autochtones. Elle est donc renvoyée en appel et d'un tribunal à l'autre, l'affaire est menée jusqu'à la Cour suprême.

On s'aperçoit que très souvent, même les cours d'appel errent. Cela n'est pas rare dans la jurisprudence canadienne. De manière générale, les jugements unanimes des cours d'appel sont justes et confirmés par la Cour suprême. Dans le cas des affaires autochtones, cependant, la tendance ne semble pas être la même. Cela vient du fait qu'un droit nouveau est en cours d'élaboration.

Les dispositions constitutionnelles de l'article 35 sont tout à fait nouvelles. La plupart des juges des tribunaux inférieurs n'ont pas étudié le droit autochtone à la faculté. À l'époque, ce genre de cours n'existait pas. Peut-on s'en étonner? On comprend également que les décisions juridiques intégrées dans la Constitution en 1982 sont rares.

Bon nombre des décisions de la Cour suprême sont récentes. Nombreux sont les juges des tribunaux inférieurs qui n'ont aucune formation en droit autochtone. Ils considèrent le droit autochtone comme faisant partie de la common law, du droit contractuel ou comme quelque chose de farfelu et de théorique. Ils n'ont pas beaucoup d'ouvrages de référence sur le sujet. C'est un problème pour eux.

Il en coûte beaucoup d'argent pour s'adresser aux tribunaux. Et les tribunaux mettent beaucoup de temps à se prononcer. On gaspille beaucoup de bonne volonté en contraignant les peuples autochtones à faire la lutte au gouvernement devant les tribunaux. Les autochtones se trouvent ainsi à faire la lutte à leur fiduciaire. C'est une chose étrange que d'avoir à se battre constamment contre son propre fiduciaire.

Nous proposons que le gouvernement se serve du pouvoir que lui confère l'article 101 de la Constitution pour créer un nouveau tribunal temporaire, un tribunal de compétence nationale qui serait chargé d'examiner les questions relatives aux droits ancestraux et issus des traités.

Nous proposons de créer ce tribunal au sein de la division de première instance de la Cour fédérale. Il serait suffisamment proche du sommet de la pyramide et suffisamment spécialisé pour être au courant de ce qui se passe à la Cour suprême. Il pourrait concentrer son attention sur ces questions. Si possible, des juges autochtones siégeraient à ce tribunal. Il réunirait un ensemble de précédents qui seraient confirmés ou non par la Cour suprême.

Au bout de 10, 15 ou peut-être même 20 ans, on pourrait le dissoudre, étant donné qu'il aurait réuni un nombre suffisant de précédents. Les tribunaux inférieurs connaîtront ces précédents qui seront cités dans les revues juridiques, dans les recueils de jurisprudence et seront enseignés dans les facultés de droit. Les gens seront au courant. Il ne sera plus nécessaire de réinventer la roue chaque fois qu'une personne se fera arrêter pour avoir enfreint un règlement de pêche ou de chasse. Il existera un ensemble de précédents que le système judiciaire ordinaire pourra appliquer.

Nous nous sommes penchés également sur de nombreuses questions individuelles et précises. Certaines de ces questions se rapportent aux services de police et à la compétence. Certaines se rapportent aux îles situées au large de la baie James et de la baie d'Hudson. Il y a de nombreuses questions locales au niveau communautaire.

Nous n'avons pas oublié certains éléments positifs. En effet, notre rapport n'a pas pour but de dénigrer le gouvernement fédéral. Il contient également des éléments positifs. Nous en avons notés plusieurs.

La commission a connu et continue d'avoir certains problèmes financiers. La commission Cowie est un organe d'enquête indépendant nommé en 1990 pour examiner nos activités. Il est stipulé dans la loi que nos activités seraient examinées au bout de cinq ans.

En 1991, la commission Cowie a révélé que nous étions terriblement sous-financés, au point de ne pas pouvoir effectuer correctement notre travail. Le problème persiste puisque nous n'avons pas eu d'augmentation depuis.

Le commissaire Cowie et ses collègues avaient également laissé entendre que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien réduisait à dessein notre financement de manière à limiter notre action. Étant donné que la loi nous confère un statut indépendant, le meilleur moyen pour le ministère de nous contenir, est de limiter notre financement. Telle était l'opinion de la commission Cowie.

Dans le rapport, nous évoquons la possibilité de nous autofinancer. Nous éprouvons certaines réticences à cet égard. En effet, nous ne pensons pas qu'une commission créée en vertu de la loi devrait avoir à solliciter des fonds par des activités de lobbyisme. Cela ne me paraît pas être une activité convenable. Par contre, quand on est tenu par la loi d'exercer une certaine responsabilité, il faut bien s'en acquitter. Quand on a des problèmes, il faut chercher une solution.

J'aimerais préciser aux fins du compte rendu que pendant l'exercice en cours, la ministre a reçu une demande de financement supplémentaire de 150 000 $ pour permettre à la Commission crie-naskapie d'assurer le suivi approprié du rapport. Le personnel de son bureau m'a fait savoir que le financement viendrait bientôt. Il convient donc de tempérer toute critique au sujet de l'absence de réponse au cours de l'exercice financier par la promesse de la ministre de nous faire parvenir les fonds demandés le 15 octobre. Toutefois, le problème de financement que nous avons pour les prochaines années n'a pas encore été résolu.

Lorsque j'étais plus jeune et que je croyais tout savoir, il y a 20 ans, j'avais rencontré une vieille femme qui faisait partie des anciens de la réserve des Gens-du-Sang. Elle me dit ceci: «Jeune homme, ce n'est pas pour rien que le Créateur t'a donné deux oreilles et seulement une bouche.»

M. Philip Awashish, commissaire, Commission crie-naskapie:

Le témoin s'exprime en langue autochtone.

Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner la possibilité de témoigner devant votre comité. Je vous souhaite à tous une bonne santé pour exercer vos responsabilités de législateurs de ce pays.

J'aimerais parler du contexte général de notre rapport. Il est important que vous compreniez tout d'abord la raison d'être de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec; et ensuite celle de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois.

Avant 1975, les Premières nations cries et naskapies étaient assujetties à la Loi sur les Indiens en vertu de laquelle était attribué ce que l'on appelait le statut d'Indien inscrit. À l'époque, on comptait 6 000 Cris. Les Inuit -- et je crois que le sénateur Watt s'en souvient -- ont joint leurs forces aux Cris pour réclamer le règlement de leurs revendications, ainsi que le respect de leurs droits, de leurs intérêts et de leurs préoccupations.

Pour la Première nation crie, la Loi sur les Indiens ne garantissait pas l'autonomie gouvernementale telle que pratiquée et exercée par les Cris avant l'avènement de la Loi sur les Indiens. Notre droit à l'autonomie gouvernementale est un droit inhérent qui, bien entendu, est antérieur au Canada et au Québec.

Nous estimons, pour avoir fait l'expérience de ses effets, que la Loi sur les Indien accordait trop de pouvoirs au ministre des Affaires indiennes. Il pouvait pratiquement renverser les décisions des conseils de bande. Les fonctionnaires d'Ottawa prenaient toutes les décisions concernant la fonction gouvernementale et dirigeaient toutes nos affaires dans les collectivités locales.

Les Cris ont décidé de mettre un terme à tout cela, comme les Inuit et les Naskapis l'ont fait à leur manière.

C'est pourquoi nous avons demandé au gouvernement du Canada d'adopter une nouvelle loi en remplacement de la Loi sur les Indiens. L'article 9 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et l'article 7 de la Convention du Nord-Est québécois demandent au gouvernement du Canada d'adopter une nouvelle loi.

Comme l'a mentionné M. Saunders, la Convention du Nord-Est québécois a été signée en 1978. La Convention de la Baie James et du Nord québécois date quant à elle, du mois de novembre 1975.

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, qui a fini par être adoptée par le Parlement du Canada, a reçu la sanction royale le 14 juin 1984. Cela représente neuf ans après la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Il a fallu longtemps pour négocier le libellé et les dispositions de la loi. Le gouvernement du Canada n'était pas pressé d'accorder une reconnaissance législative au droit à l'autonomie gouvernementale et à son exercice dans les collectivités cries et naskapies.

Cette loi autorise principalement l'instauration d'un gouvernement local cri-naskapi et l'administration des terres des catégories IA et IA-N. La Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois prévoient des régimes fonciers particuliers qui s'appliquent aux territoires relevant de ces conventions.

Le Nord québécois est pratiquement divisé en trois catégories. La catégorie I est réservée à l'usage et au bénéfice exclusifs des parties autochtones signataires de ces conventions. Les terres de la catégorie II sont réservées à l'usage exclusif des bénéficiaires autochtones pour l'application des droits de chasse, de pêche et de piégeage et autres droits stipulés. Les terres de la catégorie III regroupent les zones que l'on appelait autrefois les terres publiques mais qui sont également des terres sur lesquelles les parties autochtones disposent de droits exclusifs ainsi que d'autres droits et intérêts prévus dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois.

Quand je dis que nous exercions l'autonomie gouvernementale longtemps avant que le Canada ne soit créé, nous le faisions dans le respect de notre tradition historique, de notre souveraineté, de nos lois et de nos coutumes. Aujourd'hui, nous continuons d'exercer le droit à l'autonomie gouvernementale conformément à notre propre tradition et tel que reconnu et stipulé dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec prévoit la création de la Commission crie-naskapie. La commission est principalement chargée de la mise en oeuvre de la loi. Elle fait rapport au ministre en quatre langues -- en cri, en naskapi, en anglais et en français.

Ainsi que l'a mentionné notre président, ceci est notre sixième rapport. Tout au long de notre processus de consultation auprès de neuf collectivités cries et d'une collectivité naskapie, la commission a entendu les préoccupations de la population.

La question principale soulevée au cours de nos consultations qui ont donné naissance à notre rapport de 1998 est l'application ou la non-application de ces traités modernes que sont la Convention du Nord-Est québécois et la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Il est clairement nécessaire pour les bénéficiaires de ces conventions d'avoir un rôle significatif et direct dans l'application appropriée de la lettre et l'esprit de ces conventions. Actuellement, il existe un écart entre les négociations et les litiges. Les autochtones que nous avons entendus nous ont souvent rapporté que les réclamations qu'ils font aux gouvernements au sujet de leurs obligations restent sans réponse. Souvent, ils doivent adresser aux tribunaux et, comme l'a mentionné notre président, cette procédure est longue, difficile et coûteuse.

Pour le moment, il n'existe aucun mécanisme officiel de résolution des différends. C'est pourquoi, les gens s'adressent à nous car nous semblons être la seule tribune à se présenter dans leurs collectivités pour les écouter. Ils nous parlent des problèmes d'administration locale, mais ils nous parlent aussi des conventions qui semblent vouloir s'ajouter à la liste déjà longue des traités non respectés.

Comme vous le savez sans doute, le vérificateur général du Canada aborde, au chapitre 14 du rapport qu'il a déposé à la Chambre des communes, la question des Affaires indiennes et du Nord canadien et celle des revendications globales. Le rapport souligne les lacunes des plans de mise en oeuvre inadéquats ou non existants et la nécessité d'améliorer la surveillance, le compte rendu et l'évaluation.

Notre commission approuve les conclusions du vérificateur général. Le rapport du vérificateur général confirme nos propres observations relativement à la non-application de ces conventions.

Le gouvernement a produit un autre document intitulé «Rassembler nos forces: Le plan d'action du Canada pour les questions autochtones». Il s'agit d'un plan d'action proposé par le gouvernement du Canada afin de renouveler la relation avec les peuples autochtones du Canada. Ce document propose un partenariat nouveau.

Lorsque nous avons signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois, on nous parlait déjà d'un nouveau partenariat. «Rassembler nos forces» propose de renforcer les gouvernements autochtones. Il y est question d'élaborer une nouvelle relation financière afin d'encourager des collectivités, des populations et des économies fortes.

Notre rapport s'intéresse lui aussi à ces questions précises. Nous voulons renouveler les relations entre les peuples cri et naskapi et le gouvernement du Canada en renforçant nos gouvernements et en développant de nouveaux rapports financiers. Nous nous penchons également sur l'appui qu'il faut apporter aux collectivités, aux populations et aux économies pour qu'elles soient fortes.

Nous soulignons que les moyens normaux et principaux de mise en oeuvre sont les obligations exprimées et tacites que la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois imposent au gouvernement du Canada afin de prendre les mesures législatives et administratives appropriées.

Quelles sont les mesures législatives appropriées nécessaires? Nous nous penchons sur cette question et nous proposons des réponses dans notre rapport de 1998.

Cela fait 14 ans que la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec a reçu la sanction royale. Le rapport que nous présentons maintenant est notre sixième. Jusqu'à présent, le gouvernement du Canada est resté sourd aux recommandations formulées par notre commission dans les cinq rapports précédents. Nous avons réalisé notre enquête conformément aux dispositions de la loi. La Commission présidée par Ian Cowie a également recommandé que le gouvernement prenne des mesures pour modifier la Loi sur les Cris et les Naskapis.

Dans les six rapports que nous avons présentés, nous avons recommandé d'apporter des modifications appropriées à la Loi sur les Cris et les Naskapis. Les Premières nations naskapies et cries du Nord ne peuvent plus accepter le statu quo. Elles ne peuvent plus accepter que le gouvernement, dans une tentative de respecter ses obligations, ait créé la Commission crie-naskapie, qui est techniquement un organisme consultatif, mais qu'il refuse tout simplement depuis 14 ans d'accepter les recommandations de la commission.

Pourquoi le gouvernement du Canada a-t-il pris neuf ans pour négocier et mettre en oeuvre la Loi sur les Cris et les Naskapis après avoir signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois? Pourquoi le gouvernement du Canada n'a-t-il pas voulu ou réussi à prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que la Loi sur les Cris et les Naskapis évolue en fonction des besoins, des aspirations et des réalités des administrations locales cries et naskapies?

Les Premières nations cries et naskapies se rendent compte que la commission cherche à s'acquitter de l'obligation de faire rapport au Parlement qui lui incombe en vertu de la loi. Elles remarquent aussi qu'aucune suite n'est donnée à ces rapports. Bien entendu, les peuples cris et naskapis ne tarderont pas à se poser des questions sur le rôle et le mandat de la commission. Ils préféreraient avoir une commission ayant un pouvoir véritable. Ils préféreraient avoir une commission ayant peut-être un rôle d'ombudsman. Ils préféreraient avoir une commission ayant un rôle à jouer dans la mise en oeuvre appropriée de la lettre et de l'esprit de ces traités modernes que sont la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois.

En tant que commissaires, nous nous demandons pourquoi aucune suite n'est donnée à nos recommandations. Nous espérons que notre sixième rapport fera exception. Le gouvernement du Canada a dépensé environ 21 millions de dollars pour examiner les modifications de la Loi sur les Indiens. Or, aux dernières nouvelles, aucune modification n'a été apportée à la loi.

Nous demandons à votre comité de nous aider à faire en sorte que le gouvernement du Canada prenne des mesures appropriées et des mesures de suivi. Nous voulons que le gouvernement prenne dûment en considération les recommandations contenues dans notre rapport de 1998 et si possible également dans nos rapports antérieurs.

Le président: Merci, monsieur Awashish.

M. Robert Kanatewat, commissaire, Commission crie-naskapie:

Le témoin s'exprime en langue autochtone.

Merci, honorables sénateurs. Je vous souhaite une bonne journée et une bonne santé.

C'est un honneur pour nous de comparaître devant votre comité pour la première fois bien que, comme l'a mentionné mon collègue, nous avons déjà présenté six rapports. Notre dernier rapport n'a pas encore eu le temps de prendre la poussière, mais cela ne saurait tarder s'il reste inutilisé comme les autres.

Nous sommes vraiment décidés à faire tout notre possible pour assurer le suivi de nos recommandations et de nos conclusions dans les collectivités locales. C'est notre sixième rapport dans lequel nous reprenons plus ou moins une partie du contenu des rapports précédents. Nous avions déjà mentionné et nous répétons dans ce dernier rapport que bon nombre des recommandations que nous présentons ne font l'objet d'aucun suivi. C'est la raison pour laquelle nous avons l'intention d'effectuer nous-mêmes le suivi de certaines de nos recommandations au cours de l'année à venir.

Nous avons entendu le point de vue de la population, du Grand Conseil, et du ministre des Affaires indiennes.

On nous a dit que nous devrions avoir une plus grande visibilité dans les collectivités pour écouter les préoccupations de la population.

Mes collègues ont mentionné le financement insuffisant fourni par le ministère. Nous souhaiterions être plus visibles dans les collectivités, mais notre situation financière précaire limite nos déplacements et nous force même à réduire certaines de nos audiences dans les collectivités locales.

Nous n'avons pas les outils nécessaires pour assurer le suivi de nos recommandations et de nos conclusions dans les localités, afin de vérifier si elles étaient justifiées. Nous ne pouvons, à cause de notre financement insuffisant, effectuer des recherches ni obtenir les conseils d'un avocat.

Nous savons tous que le nouveau territoire du Nunavut est sur le point d'être proclamé dans le Nord. Les Cris sont concernés par beaucoup d'îles de la baie James et de la baie d'Hudson. En effet, ils utilisent ces îles à longueur d'année pour la chasse, la pêche, pour leurs rencontres, pour y loger et s'y abriter. Il y a un sentier de piégeage dans une de ces îles de la baie James.

Lorsque nous avons rencontré le comité de la Chambre des communes, les députés du Québec se sont montrés intéressés, parce qu'ils considèrent que ces îles font partie du Québec. Cela ne préoccupe pas les Cris. Ce qui nous intéresse, c'est le respect de nos droits ancestraux de chasse et de pêche.

Plus précisément, les membres du comité de la Chambre voulaient avoir l'appui des Cris sur la question des îles Belcher qui ne sont pas du tout du ressort des Cris. Les Cris ne veulent absolument pas devenir propriétaires des îles Belcher qui appartiennent évidemment et uniquement aux Inuit. Ce qui nous intéresse principalement, c'est le territoire de la baie James. Les Cris occupent et utilisent ces îles depuis des générations.

Notre rapport révèle que de nombreuses collectivités côtières cries réclament expressément que ces revendications soient résolues par des négociations avec le gouvernement du Canada. Ils souhaitent que leurs droits et intérêts soient réglés de manière satisfaisante et acceptable.

Nous indiquons également que les localités côtières se préoccupent des éventuelles conséquences découlant de la création du Nunavut en 1999, étant donné que l'on propose que les îles du large, les eaux côtières et les fonds marins en question soient considérés comme faisant partie intégrante du territoire du Nunavut. Or, les Cris souhaiteraient continuer à utiliser ces îles, comme ils l'ont fait par le passé, pour la chasse, la pêche, la cueillette et également pour s'y abriter.

Quant aux griefs que nous avons exposés précédemment, la ministre actuelle a déclaré que nous devrions occuper une place plus grande dans la collectivité en général et que nous devrions être plus visibles dans les collectivités. Pour cela, nous devrions disposer de fonds supplémentaires.

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec ne nous donne que deux mandats spécifiques, celui de présenter un rapport tous les deux ans et celui d'entendre le point de vue des individus ou du gouvernement.

Chaque fois que nous tenons des audiences dans les collectivités, on nous rappelle que la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois ne sont pas respectées. Nous souhaitons qu'un nombre plus grand de nos recommandations soient appliquées, afin que nous n'ayons pas à nous répéter dans nos rapports.

C'est agaçant pour nous que notre sixième rapport soit une répétition des rapports antérieurs. Nous espérons fermement que cette fois certaines de ces recommandations seront bientôt mises en application.

Beaucoup de Cris nous ont déjà demandé si nous pouvions faire quelque chose en vue d'appliquer certaines des recommandations contenues dans nos rapports. Nous examinons certains moyens de mettre en oeuvre une partie de nos recommandations. Avec l'aide de votre comité et de celui des Communes, nous espérons pouvoir accomplir plus que par le passé.

Si vous avez des questions, j'y répondrais avec plaisir.

Le président: Merci, monsieur Kanatewat.

Est-ce que vous souhaitez déposer un exemplaire de votre sixième rapport au comité?

M. Saunders: Oui, nous allons le faire.

Le président: Merci beaucoup pour votre exposé. Je partage bien entendu les préoccupations que vous avez soulevées. J'ai participé beaucoup moi-même aux négociations menées par le passé par les Inuit et les Cris. En tant que sénateur, je comprends parfaitement les préoccupations que vous avez soulevées et j'ai l'intention de faire tout mon possible pour que mes collègues les comprennent parfaitement eux aussi. C'est une question extrêmement importante. Les gens à qui on demande d'abandonner leurs droits et leurs titres s'attendent à recevoir une compensation équitable en échange.

Les autochtones ont peut-être un peu trop tendance à faire confiance à leurs voisins. Les autochtones qui ont conclu des ententes il y a plus de 24 ans sont extrêmement contrariés maintenant. Les personnes chargées de la mise en oeuvre de ces conventions ont eux-mêmes beaucoup participé à leur négociation. Ils sont pleinement conscients des engagements qui ont été pris de part et d'autre lorsque nous avons signé sur la ligne pointillée. Parmi ceux d'entre nous qui sont encore vivants, beaucoup se souviennent de tout le travail que nous avons accompli avant et après la signature de la convention en 1975.

Ces négociations furent si intenses que certains d'entre nous se relayaient pour dormir sous la table. Les autochtones disposaient d'un nombre limité de négociateurs alors qu'en face de nous, notre interlocuteur en avait en quantité illimitée. Ils pouvaient se relayer, alors que nous n'étions pas assez nombreux pour le faire. Philip Awashish et Robert Kanatewat étaient très engagés à cette époque.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie, messieurs, d'avoir bien voulu comparaître devant nous ce matin et de nous avoir exposé vos vues de manière aussi directe.

Nous avons écouté ce que vous avez dit ici ce matin. Afin que vous compreniez bien mes questions, je tiens à vous signaler que j'ai moi-même été ministre. La situation dont nous discutons aujourd'hui a été la même sous deux gouvernements depuis la signature de l'entente.

M. Saunders a parlé de la mémoire de l'organisation. Il a dit que les ministres vont et viennent et que ce sont les fonctionnaires qui mènent la barque. Tant que ces gens n'auront pas à rendre compte de la continuité du processus, il y aura un va-et-vient, rien ne sera jamais réglé et le MAINC continuera à se perpétuer.

Je suis nouveau au comité, mais je peux vous dire que s'il y a une continuité quelque part dans le système parlementaire, c'est bien au Sénat. J'espère que nous arriverons à être impartiaux et à trouver un moyen d'aborder ce problème parce qu'il doit être réglé. Il faudra respecter ces accords, ces ententes. Peu importe le nom qu'on lui donne, une entente est une chose sur laquelle on ne peut pas revenir. Comme vous l'avez signalé, dans ce cas-ci, les décisions ne peuvent pas être prises à partir d'opinions. Il faut qu'elles soient fondées sur l'entente qui a été signée.

Pourriez-vous nous suggérer une méthode pour que le processus soit plus uniforme?

Le gouvernement a présenté un projet de loi sur la vallée du Mackenzie. En fait, il a été présenté par un gouvernement libéral. Chaque groupe d'autochtones qui a comparu devant nous a dit que nous ne devrions pas l'adopter. Pourtant, les bureaucrates sont d'avis que les autochtones ont tort, qu'ils ne devraient pas s'y opposer.

Je peux très bien comprendre la frustration que ressent votre commission. Lorsque de puissants bureaucrates se trouvent dans une impasse, ils obligent les autochtones à entamer un procès coûteux et il faut s'en occuper.

M. Saunders: Sénateur, les recommandations du chapitre 2 de notre rapport traitent de cette question jusqu'à un certain point. Je pense que la mise en oeuvre des traités doit être soustraite à la bureaucratie, parce qu'il ne s'agit pas de choisir entre différentes options politiques, de faire des choix concernant les dépenses et ainsi de suite.

C'est un modèle de gestion discrétionnaire qui convient à la plupart des activités gouvernementales. C'est la raison pour laquelle nous élisons des gouvernements. Toutefois, ce modèle ne convient pas lorsqu'il s'agit de respecter ce que la Cour suprême appelle des obligations légales. Il devrait y avoir un organisme indépendant du ministère, qui aurait quand même des comptes à rendre au gouvernement, à qui serait conféré le pouvoir de mettre les ententes en oeuvre, et ce devrait être là sa seule fonction. Il ne devrait pas avoir à se préoccuper du budget du logement pour l'exercice financier ou de quoi que ce soit d'autre. Son travail consisterait uniquement à mettre en oeuvre les ententes et les traités qui ont été signés.

Cela nous ramène à ce que nous disions. Les bureaucrates devraient parfaitement connaître leurs obligations fiduciaires telles qu'elles ont été définies par les tribunaux de même que les règles d'interprétation. Certains des plus vieux traités sont moins clairs que la Convention de la Baie James. Il faut que les bureaucrates comprennent clairement les règles définies par la cour pour que nous ne nous retrouvions pas avec un nouveau litige.

Le commissaire Awashish a parlé de l'écart entre la négociation et le litige. D'un côté, on négocie soit l'entente soit sa mise en oeuvre et, de l'autre, après que l'entente a échoué, on a le litige. Il doit bien y avoir une solution mitoyenne, un autre moyen de régler les différends. Il faudrait avoir des mécanismes adéquats de règlement des différends.

La solution que nous proposons -- ce n'est peut-être pas la bonne, mais nous voulions lancer le débat -- consisterait à établir temporairement une cour supérieure de compétence nationale en vertu de l'article 101 afin que les questions concernant les autochtones et les droits issus des traités soient abordées au niveau d'une cour supérieure. Il finirait ainsi par exister des précédents.

La Cour suprême procède au coup par coup. La plupart des affaires ne se rendent pas jusqu'à elle et celles dont elle est saisie prennent 10 ans et coûtent des millions de dollars après être passées par des tribunaux inférieurs où des décisions sont prises pour être annulées après interjection d'un appel. C'est très coûteux pour les contribuables, pour les Premières nations et pour les Inuit. Ce qui est pire encore, c'est que c'est très coûteux aussi sur le plan de la bonne volonté.

Nous avons besoin d'une cour temporaire au niveau de la Cour fédérale du Canada. Nous n'aurons pas toujours besoin de toutes ces structures. Un tribunal qui exercerait ses fonctions pendant 10 ou 20 ans pourrait établir des précédents pour que nous sachions comment mettre en oeuvre ces traités et ententes uniformément à l'échelle du pays et établir une jurisprudence à laquelle pourraient se fier les tribunaux ordinaires plus tard, lorsque ce tribunal temporaire aurait été aboli.

D'ici là, les avocats auront suivi des cours sur les droits ancestraux et issus des traités. Les juges seront au courant des précédents établis. Nous n'avons pas besoin d'un tribunal permanent, du moins à mon avis, qui s'occuperait uniquement de questions autochtones et concernant les traités. Un secrétariat et une cour sont essentiels.

Le troisième élément que nous avons mentionné est la législation. Les bureaucrates sont habitués de se fier à la politique ministérielle, qui peut être modifiée, ou à des lois, qui changent moins souvent. Ils sont habitués, par exemple, d'appliquer la Loi sur la gestion des finances publiques. Ils la respectent. S'ils croient que leurs supérieurs ont tort, ils n'hésiteront pas à soulever la question et à leur rappeler les exigences de cette loi.

Je pense que nous avons besoin d'une «Loi sur l'exécution des droits autochtones» qui renfermerait des lignes directrices sur le fonctionnement de ce secrétariat. Certains pourraient penser qu'il faudrait la constitutionnaliser pour qu'elle ne puisse pas être simplement abrogée. Ils ont peut-être raison, mais, quoi qu'il en soit, il faut qu'il y ait quelque chose sur papier. Les fonctionnaires aiment bien que ce soit noir sur blanc. C'est aux élus à exercer leur pouvoir discrétionnaire, pas aux fonctionnaires. Ils ont besoin de lignes directrices aussi claires et détaillées que la Loi sur la gestion des finances publiques et les règlements en découlant rien que pour la mise en oeuvre.

Je me trompe peut-être, mais c'est le genre de discussion que nous devons avoir parce que le système actuel ne fonctionne pas. La ministre elle-même l'a dit dans son document «Rassembler nos forces»; nous ne voulons pas refaire les mêmes vieilles erreurs. Nous devons modifier certaines des structures et certains des procédés responsables de ces erreurs.

M. Awashish: Il y a actuellement une table ronde Cris-Canada. Elle est composée de dirigeants cris, surtout de chefs cris, et de ministres du Cabinet. Cette table ronde a été établie pour qu'il y ait création d'un nouveau partenariat entre le gouvernement du Canada et les Premières nations cries.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a trop longtemps que j'entends personnellement parler de nouvelles relations. J'en ai entendu parler en 1975 lorsque nous avons signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Il y a trois personnes ici présentes qui ont signé cette convention. Je suis certain qu'elles seraient d'accord avec moi pour dire que les mêmes propos ont été tenus en 1975.

Il faudra attendre de voir si c'est la mémoire de l'organisation ou l'impuissance ministérielle qui est la cause des problèmes. Seul le temps nous dira si cette nouvelle table ronde qui réunit le Canada et les Cris aura été un succès.

Le sénateur St. Germain: Je cherche des solutions. Il ne sert à rien de s'arrêter aux détails si on n'a pas de solution. Il faut d'abord régler les problèmes structurels.

Les bureaucrates s'en remettent à la ministre. L'un d'entre vous a dit qu'il y a un million de mots dans un de ces rapports. Aucun ministre, à moins d'avoir étudié le droit autochtone, n'arrivera jamais à comprendre le problème. Il est tellement complexe. Les Haidas de la côte ouest et les Cris du Nord-Est québécois et de la Baie Jamais ont besoin de choses complètement différentes.

Les solutions ne viendront pas d'un ministre. L'impuissance ministérielle régnera peu importe qui est au gouvernement. Ce qui pourrait arriver dans le monde de la politique ne changera rien à rien ici. Il faut trouver un moyen de venir à bout des puissants bureaucrates.

C'est un ministère dont le budget augmente chaque année. Les politiciens de tous les partis veulent qu'on sache qu'ils ont de bonnes relations avec nos peuples autochtones, à l'échelle internationale et régionale.

Je me demandais s'il serait possible de nommer pour 15 ans une personne compétente qui aurait le pouvoir de s'occuper de cette question. Avez-vous des commentaires à faire?

M. Saunders: Je pense que cette «personne» pourrait être un tribunal. Il y a des commissions partout. Elles arrivent à toutes sortes de conclusions qui peuvent être embarrassantes pour les bureaucrates et parfois même pour les politiciens. On peut mettre un terme aux travaux de ces commissions et ne pas prêter attention à leurs conclusions.

Une commission est souvent efficace dans la mesure où les médias décident que son travail est intéressant et en font grand cas, dans la mesure où le public peut s'identifier à la question et lui conférer un caractère politique ou dans la mesure où l'opposition soulève la question devant le Parlement. Si les médias, l'opposition et les sondages d'opinion publique indiquent qu'elle n'est pas importante, aucune mesure ne sera prise.

Par ailleurs, les bureaucrates font ce que les tribunaux leur disent. À dire vrai, ils sont beaucoup plus impressionnés par une décision du tribunal que par quoi que ce soit d'autre parce que s'ils n'y obéissent pas, ils peuvent aller en prison.

Dans l'affaire Musqueam, une des premières entendues il y a plusieurs années par la Cour suprême lorsqu'elle s'est penchée sur la responsabilité fiduciaire, la cour a conclu que le ministère des Affaires indiennes avait commis une fraude reconnue en équité. Le gouvernement du Canada a été obligé de verser 10 millions de dollars en dommages à la bande de Musqueam et les bureaucrates n'ont pas pu passer cette affaire sous silence parce qu'elle ne leur plaisait pas, que la question n'avait aucun sex-appeal politique ou que les médias ne s'en étaient pas occupés. Le gouvernement a payé; il n'avait pas le choix. Lorsqu'un juge rend une décision, on lui obéit. Même lorsqu'un appel est interjeté, si la décision est maintenue, on s'y conforme. On n'a pas le choix.

Nous en sommes rendus au point où il faudra, si c'est nécessaire, faire respecter les obligations contractées en vertu des traités et des règlements des revendications territoriales au moyen de décisions juridiques. La deuxième fonction de ce secrétariat serait de bien faire comprendre à tout le monde qu'on ne peut pas toucher aux accords sur les revendications territoriales. On ne peut pas ne pas tenir compte des dispositions claires et explicites des traités. Il faut les mettre en application.

Cette façon de voir va changer lorsque les tribunaux ordonneront aux bureaucrates ou aux administrateurs de s'acquitter de leurs obligations et d'exécuter leurs plans. Peut-être qu'à l'avenir, lorsqu'il y aura moins de négociations en cours, le gouvernement adoptera une vision plus conservatrice et s'apercevra qu'il doit s'acquitter de ses obligations de sorte qu'il aurait intérêt à ne pas faire trop de promesses. S'il ne peut pas faire trop de promesses, il faudra qu'il se rende compte qu'il ne peut pas non plus trop en demander en ce qui concerne l'extinction des droits.

Nous devrions peut-être reconnaître qu'il n'y a eu aucune extinction des droits dans certains secteurs. Par exemple, sur les terres des catégories IA et IA-N, les droits n'ont pas été éteints. Il ne faudra pas prétendre le contraire plus tard et dire que c'est la même chose que pour les terres de la catégorie II.

Si le gouvernement se retient parce qu'il sait qu'il doit s'acquitter de ses obligations, il ne pourra pas faire autant de promesses aux autochtones lorsqu'il s'assoira avec eux pour négocier et il ne pourra probablement pas non plus trop exiger d'eux.

Si le gouvernement du Canada tenait toutes les promesses qu'il a faites aux termes de tous les traités, nous aurions un lourd fardeau financier pendant un certain nombre d'années. Ce serait comme si la Seconde Guerre mondiale recommençait. Ça ne veut pas dire que nous devons nous dérober à nos obligations, mais bien que nous ferions mieux de commencer à essayer de trouver des moyens de mettre les accords en oeuvre de manière à ne pas nous retrouver avec un tas de promesses non tenues qui risquent de représenter un lourd fardeau financier.

Nous devons remplir toutes les obligations que nous avons contractées. La seule manière d'y parvenir est de changer le climat qui règne au gouvernement pour que les bureaucrates cessent de considérer les traités comme des options politiques intéressantes. Ce n'est pas le cas. Les traités consistent en une liste de responsabilités et d'obligations.

Les Premières nations et les Inuit n'ont pas à choisir entre différentes options politiques parce qu'ils ont signé des ententes. Les peuples assujettis au Traité no 6 ne peuvent pas décider de rouvrir l'entente en vertu de laquelle ils ont cédé les terres où la ville d'Edmonton a été construite pour la seule raison que l'occupation d'Edmonton serait une option politique intéressante. Ils n'ont pas d'autre option.

Les peuples assujettis au Traité no 6 ont obtenu certaines choses en échange de la cession des terres qu'Edmonton occupe maintenant. Ces choses ne sont pas des options; ce sont des obligations. Ce n'est pourtant pas ce que pensent les bureaucrates. Lorsqu'ils voient un traité, ils voient des options politiques et des choix en matière de dépenses. Ce sont des obligations, pas des options.

Le sénateur Pearson: Je tiens à complimenter le photographe et le concepteur du rapport. Il est très bien présenté et se lit très bien.

Vous avez parlé des tribunaux et des possibilités qu'offre l'article 101 de la Constitution. Cette question m'intéresse. Il est dit dans le rapport que votre commission a été le seul organisme à aller rencontrer un grand nombre de ces collectivités et à recueillir de l'information à l'occasion. C'est là une autre grave lacune qui m'a frappée. Ce n'était pas vraiment votre travail de sensibiliser la population.

Que pensez-vous de l'idée d'un protecteur des droits? Vous avez entendu les plaintes au sujet des trop nombreux intermédiaires entre les gens et le gouvernement. Je ne suis pas certaine qu'un autre tribunal serait la meilleure façon de régler ce problème. Des problèmes particuliers se posent pour les gens, au moment présent. Le fait d'attendre dix ans ne les aidera en rien dans leur vie personnelle. Je suis peut-être à côté de la question, mais avez-vous pensé au rôle qu'un protecteur des droits pourrait jouer?

M. Saunders: Comme mon collègue vient de le dire, la commission a deux rôles à jouer selon la loi. Premièrement, elle doit préparer un rapport tous les deux ans sur la mise en oeuvre de la loi, et c'est notre rapport. Deuxièmement, elle doit entendre le témoignage de tout particulier, représentant des Premières nations ou représentant officiel du gouvernement ou du ministère au sujet des questions qui relèvent de la loi.

Toute personne qui estime qu'un pouvoir n'est pas exercé comme il devrait l'être ou qu'un devoir imposé par la loi n'est pas rempli, peut se plaindre directement à la commission. Nous avons entendu un certain nombre d'observations en ce sens.

Nous ne pourrions pas examiner chaque plainte, procéder à une enquête dans chaque cas, faire savoir aux collectivités que nous sommes là pour ça et demander des avis juridiques lorsque nous le jugeons nécessaire, parce que nous n'avons pas les ressources qu'il faut.

La suggestion dont vous parliez a été faite à maintes reprises par les collectivité et les dirigeants.

Le sénateur St. Germain: Combien d'argent la commission reçoit-elle chaque année? Est-ce du domaine public?

M. Saunders: Oui. Jusqu'à maintenant, nous avons régulièrement reçu 480 000 $ par année. Les années où nous étions tenus de faire rapport au Parlement, 175 000 $ sont venus s'ajouter à cette somme. C'est ce qui se fait depuis que les auteurs du rapport Cowie ont dit en 1991 que nous n'avions pas assez d'argent pour bien faire notre travail.

Nous avons rencontré la ministre et nous lui avons présenté un budget simplifié de 1 037 000 $. Elle a dit qu'elle l'examinerait. Nous lui avons signalé qu'il nous faudrait cesser nos opérations pour le reste de l'année à moins de recevoir des fonds supplémentaires. Elle nous a demandé de quelle somme nous avions besoin et nous lui avons répondu 150 000 $. Je crois savoir que nous recevrons cette somme. Je tiens, pour le compte rendu, à faire remarquer à l'honneur de la ministre qu'elle a essayé de régler le problème pour l'exercice financier en cours.

Les représentants du ministère nous offrent 645 000 $ pour les années à venir, somme qui ne tient même pas compte de l'inflation depuis la rédaction du rapport Cowie. Nous avons essayé de faire comprendre à la ministre que nous avions besoin de plus d'argent. Nous croyons savoir de source non officielle que le ministère envisage sérieusement de nous donner un peu plus. Le problème, c'est que ce ne sera peut-être pas assez. La somme de 645 000 $ ne suffira pas, mais 1 037 000 $ suffiraient certainement.

La ministre nous a demandé combien il nous faudrait pour faire uniquement le minimum requis par la loi. Étant donné qu'il faut composer avec les restrictions financières, nous lui avons répondu que pour faire le strict minimum requis par la loi nous aurions besoin de 850 000 $. Elle nous a dit qu'elle allait examiner la question. Nous n'avons pas encore eu de réponse. Nous espérons qu'elle sera positive.

Franchement, nous ne pensons pas qu'une commission dûment constituée devrait être obligée de se présenter devant le Parlement et de faire du lobbying pour avoir de l'argent. C'est tout à fait inacceptable. Pourtant, si on ne peut pas faire le travail, il faut le dire.

J'ai assez parlé d'argent pour le moment.

Le sénateur Chalifoux: Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui. Je me rappelle que la signature du traité avait fait des envieux chez nous, en Alberta.

Vous avez parlé d'un système judiciaire que vous voudriez établir pour une période de dix ans. J'ai certaines réserves au sujet des mesures temporaires. Je n'ai pas oublié que l'impôt sur le revenu n'était censé durer que le temps de la Première Guerre mondiale; et pourtant nous en payons encore. Les programmes de ce genre ont tendance à s'éterniser.

Qu'est-ce que vous pensez de la modification de la Loi sur les Indiens? Je ne sais pas quand cette loi a été modifiée la dernière fois, mais on dirait toujours qu'il faut des années avant qu'elle le soit, même si la situation évolue.

Je ne suis pas d'accord avec mon collègue quand il dit que les Haïdas n'ont pas les mêmes problèmes que les Cris. Il y a des problèmes liés aux terres, aux ressources et aux traités dans tout le pays.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de la nécessité de modifier la Loi sur les Indiens afin de répondre aux besoins d'aujourd'hui.

M. Saunders: Premièrement, je devrais sans doute être plus clair au sujet de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Cette deuxième loi remplace à toutes fins utiles la Loi sur les Indiens en ce qui concerne les Cris et les Naskapis du nord du Québec. La Loi sur les Indiens ne s'applique pas vraiment à eux.

Pour ce qui est de la modification de cette dernière loi, le gouvernement a dépensé environ 20 millions de dollars pour des discussions sur les modifications possibles et les diverses façons de procéder. Mais il n'a encore rien fait, et il dit que c'est parce que les Premières nations ne réussissent pas à s'entendre sur un certain nombre de questions. C'est possible, mais je ne suis pas ici pour discuter de cela. Ce que je peux dire, cependant, c'est qu'il y a un consensus général dans la communauté au sujet de la nécessité de moderniser la Loi sur les Cris et les Naskapis. Permettez-moi de vous donner rapidement quelques exemples.

Premièrement, la loi exige le quorum pour qu'une bande puisse approuver un emprunt à long terme. Or, en général, les rencontres sur cette question n'attirent pas énormément de monde, et il arrive souvent que cette disposition sur le quorum soit impossible à respecter. Tout le monde s'entend pour dire que ce quorum doit être abaissé. Il y a un consensus là-dessus, et sur d'autres questions également.

Il faudrait donc modifier la loi rapidement parce qu'il y a un net consensus. Ce n'est pas la même chose que pour la Loi sur les Indiens, mais je ne suis pas qualifié pour parler en détail de cette loi.

Le sénateur Chalifoux: Est-ce que le ministère peut décider que la Loi sur les Indiens prime sur la vôtre pour l'application de sa politique? Est-ce qu'il le fait?

M. Saunders: Non. Le ministre a beaucoup moins de pouvoirs discrétionnaires en vertu de la Loi sur les Cris et les Naskapis qu'en vertu de la Loi sur les Indiens. Le commissaire Awashish a participé aux discussions à ce sujet-là.

M. Awashish: Il est vrai que les pouvoirs discrétionnaires du ministre sont plus limités sous le régime de la Loi sur les Cris et les Naskapis. Les Premières nations visées par cette loi sont autorisées à adopter des règlements portant par exemple sur les mécanismes électoraux dans leurs communautés. Le ministre peut désavouer ces règlements dans les 40 jours après les avoir reçus. Et le gouverneur en conseil peut prendre certains règlements de nature fiscale.

Dans les autres domaines, la Loi sur les Cris et les Naskapis autorise les communautés cries et naskapies à prendre leurs propres décisions; il n'y a pas de veto comme dans la Loi sur les Indiens. La Loi sur les Cris et les Naskapis reconnaît dans une large mesure le droit à l'autonomie gouvernementale des Cris et des Naskapis dans la conduite de leurs propres affaires.

Vous avez dit que l'autonomie gouvernementale s'appliquait aux ressources naturelles et à diverses autres questions. C'est la principale raison pour laquelle notre commission parle des difficultés d'application de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois. L'article 7 de la Convention du Nord-Est québécois et l'article 9 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois obligent le gouvernement fédéral à adopter des lois spéciales sur l'autonomie gouvernementale et l'administration des terres de catégories IA et IA-N. La Loi sur les Cris et les Naskapis est le produit de cette obligation.

Dans l'exercice, la conduite et la pratique de l'autonomie gouvernementale, les Premières nations des Cris et des Naskapis doivent s'occuper des questions touchant les ressources, les terres, le développement économique, la chasse, la pêche, les droits de trappage et les questions connexes, les questions sociales et la protection de l'environnement.

Notre commission doit examiner les problèmes qui se posent dans ces différents domaines. Après tout, les gouvernements locaux doivent s'occuper des terres et des ressources, de la chasse, de la pêche, des questions sociales et de la protection de l'environnement, de la santé, du développement économique, de la mise en valeur des ressources naturelles, et ainsi de suite. Le rapport porte sur bon nombre de ces questions.

Le sénateur Chalifoux: Est-ce que je me trompe ou si vous avez dit que le ministre avait un droit de veto pour l'application de votre loi? Est-ce que je vous ai bien entendu?

M. Awashish: Les bandes doivent soumettre leurs règlements électoraux au ministre, qui peut les rejeter. S'il ne répond pas dans les 40 jours, les règlements ne sont pas mis en vigueur.

M. Awashish: Permettez-moi de vous expliquer pourquoi il y a un pouvoir de désaveu des règlements électoraux dans la Loi sur les Cris et les Naskapis. J'ai participé personnellement aux négociations au sujet de cette loi. Si je me rappelle bien, les représentants du gouvernement du Canada, qui venaient surtout du ministère des Affaires indiennes, exigeaient ce pouvoir de désaveu pour s'assurer que les règles adoptées seraient démocratiques.

Le président: J'aimerais avoir un éclaircissement sur ce point précis, au sujet de la possibilité que le ministre désavoue des décisions prises au niveau communautaire.

Est-ce qu'on ne peut pas dire que, si le ministre rejette ces règlements, il désavoue du même coup toutes les décisions qui doivent être prises au niveau communautaire? Parce que les règlements sont un instrument du pouvoir local.

M. Saunders: Il est important de comprendre que la Loi sur les Indiens accorde au ministre des pouvoirs très étendus. Elle l'autorise à désavouer n'importe quel règlement, tandis que dans le cas de la Loi sur les Cris et les Naskapis, le ministre ne peut rejeter que les règlements portant sur les mécanismes électoraux.

Le président: Seulement là-dessus?

M. Saunders: Oui. Comme M. Awashish l'a expliqué, le ministère craignait à l'époque que des règles étrangères au modèle occidental de démocratie -- par exemple une sélection selon une coutume tribale quelconque -- soient appliquées. Il voulait s'assurer que ce serait fait par voie électorale. Les Cris et les Naskapis devaient sembler un peu suspects, sans raison valable.

Le sénateur St. Germain: C'est peut-être un peu injuste -- et je vais vous laisser le temps d'y penser et de préparer votre réponse pour plus tard --, mais est-ce que le Sénat peut faire quelque chose au sujet des lois dont vous parlez? Je pense que vous avez raison. Je ne suis pas certain que l'établissement de ce tribunal pour 10 ou 20 ans soit la bonne solution.

C'est une question extrêmement vaste, qui a des conséquences sur beaucoup de peuples autochtones. Nous pourrions peut-être proposer une loi au niveau du Sénat. Nous pourrions le faire parce que ce ne serait pas un projet de loi de nature monétaire; c'est simplement une question de respect de nos obligations. Que pensez-vous de cette possibilité?

Si personne ne fait rien, les choses ne changeront pas. Je suis ici depuis trop longtemps pour croire aux contes de fées. Il y a parfois des gens qui ont l'esprit partisan ici, malheureusement. Je n'accuse pas le gouvernement en place; il fait la même chose que nous, quand nous étions au pouvoir. C'est pareil. Je crois que, si nous voulons faire quelque chose qui compte vraiment, il faudra peut-être commencer dans un endroit comme celui-ci.

M. Saunders: Nous aimerions poursuivre la discussion avec le sénateur St. Germain sur ce point.

La possibilité que vous évoquez semble intéressante. Notre point de départ pour ce genre de discussions est énoncé au deuxième chapitre de notre rapport, mais vous évoquez la possibilité de faire quelque chose. C'est une proposition qui mérite d'être explorée. Je ne suis pas prêt à dire que vous devriez présenter un projet de loi, mais d'un autre côté, il faut faire quelque chose. C'est une possibilité. Nous aimerions en discuter plus en détail avec vous ou avec quelqu'un de votre personnel, par exemple, pour voir comment cela pourrait se faire.

Le sénateur St. Germain: C'est parfait. Vous allez me trouver très réceptif. Je ne suis pas un spécialiste de la question. J'ai essayé de garder l'esprit ouvert à ce sujet-là depuis que je suis arrivé ici; mais les mesures qui s'écartent un tant soit peu de la norme ne sont pas très bien acceptées. J'ai bien l'impression que la commission sera encore ici dans dix ans à nous chanter la même chanson.

Le président: J'ai plusieurs questions à vous poser. Je vais essayer de me limiter parce que je connais tellement bien ce dossier que j'ai l'impression de faire partie de la famille.

Le sénateur St. Germain: Alors, vous êtes en conflit d'intérêts.

Le président: Je vais faire de mon mieux pour ne pas soulever de questions qui me mettraient en situation de conflit d'intérêts, mais c'est difficile. Je ne peux rien changer au fait que je connais bien la question.

Vous avez évoqué un concept intéressant. Il y a quelques années, nous avons étudié les problèmes de mise en oeuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Nous en étions arrivés alors à une entente définitive qui n'a jamais été pleinement appliquée jusqu'ici. Il faut resserrer beaucoup de choses dans le mécanisme de mise en oeuvre.

J'ai également fini par comprendre que les outils qui vous sont fournis doivent être assortis de mesures d'application vous permettant d'accomplir vos tâches malgré les bureaucrates et les bureaucraties qui vous créent parfois des obstacles. Je me demande si ce n'est pas le noeud du problème, en réalité.

L'autre aspect du problème, c'est que les sous-ministres et tous leurs subalternes ont leur emploi à protéger; cela devient parfois leur principale préoccupation, plutôt que le respect des obligations contractées par le gouvernement.

C'est ce que m'a appris ma participation à la mise en oeuvre de cette entente depuis 20 ans.

Cela dit, j'en suis également arrivé à la conclusion, avec le temps, qu'à moins d'élaborer un instrument qui soit assorti d'une loi d'application et de mécanismes de mise en oeuvre efficaces -- autrement dit, un instrument clairement défini --, nous aurons toujours des problèmes et nous devrons continuer à vivre avec une entente dépassée.

J'aimerais vous parler à cet égard d'une question qui n'a pas été soulevée jusqu'ici. Les commissaires ont couvert l'autre côté de la médaille parce qu'ils ont l'impression, après six rapports, que la frustration a parfois tendance à embrouiller les choses.

Il s'est écoulé 23 ans depuis la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Cette entente est maintenant tout à fait dépassée, même par rapport à la politique gouvernementale. Nous l'avons signée parce qu'elle était censée lier le gouvernement et qu'elle ne devait pas être assujettie aux changements apportés périodiquement à la politique gouvernementale.

Même en supposant que nous ayons accepté au moment de la signature -- ce qui n'est pas le cas -- le principe voulant que la politique du jour dicte l'interprétation de l'entente, il reste que l'entente est encore très en retard sur la politique actuelle. Elle est très en retard sur les lois adoptées chaque année. La Convention de la Baie James et du Nord québécois est totalement dépassée à bien des points de vue. Le rapport fait état de certaines réussites; c'est vrai. Mais le non-respect des obligations contractées par le gouvernement l'emporte, et de très loin, sur ces réussites.

Depuis que j'ai pris la présidence du comité, j'ai soulevé à diverses reprises la question de la viabilité des ententes signées sans égard au gouvernement en place. Ces ententes seront-elles encore là demain? Non.

Quand les autochtones ne pourront plus compter sur leurs propres fonds et que le gouvernement du Canada et les provinces décideront de ne pas leur en accorder d'autres, ces ententes vont s'éteindre rapidement. Pour le moment, elles s'éteignent lentement.

Si j'ai accepté de présider ce comité, c'est notamment parce qu'il était entendu que nous ne fonctionnerions pas seulement comme un comité ordinaire, mais que nous mettrions aussi en lumière certaines questions qui sont importantes pour les autochtones, pour le gouvernement fédéral et aussi pour l'ensemble de la population canadienne. Nous avons besoin d'harmonie dans notre société, dans notre pays. Nous sommes en nombre croissant. Il doit bien y avoir une solution. Le système doit au moins reconnaître qu'il y a un problème. C'est la première chose. Quant à prendre des mesures pour le régler, c'est une autre histoire.

J'ai été très heureux d'entendre mon collègue le sénateur St. Germain demander si nous, les sénateurs, pouvions faire quelque chose. Oui, nous pouvons faire quelque chose. Nous pouvons proposer des mesures législatives, peut-être sous forme de projet de loi d'initiative parlementaire. Nous pouvons aussi susciter l'intérêt et la discussion. Nous pouvons lancer le débat. Il y a beaucoup de choses que les sénateurs peuvent faire en ce sens.

Nous allons devoir décider si nous voulons présenter certaines recommandations, par exemple au sujet de la création d'un tribunal et de l'adoption de mesures législatives qui permettraient de mettre en place des mécanismes d'application efficaces.

Notre comité va devoir décider si nous devons attendre d'avoir terminé nos travaux pour le faire. Nous en avons encore pour un an et demi à étudier les conflits relatifs à la fonction gouvernementale et les rapports entre les autochtones, d'une part, et les gouvernements du Canada et des provinces, d'autre part. Nous devons examiner la question des chevauchements de compétences. Comment allons-nous aborder cette question? Comment le partenariat fonctionnera-t-il dans les faits?

Comme l'a dit M. Awashish, nous avons entendu parler bien des fois de ce partenariat et de la nécessité de renouveler nos rapports. Quand allons-nous arrêter d'en parler et commencer à chercher activement une solution définitive?

Notre comité sénatorial pourrait avoir un rôle à jouer dans ce domaine. D'abord, nous croyons que, quand elles signent quelque chose, les deux parties doivent respecter leurs engagements. Avant 1975, on nous a demandé de renoncer à nos droits. C'était difficile à faire parce que nous ne savions pas si cela s'accompagnait d'un chèque en blanc. Il faut en parler.

Nous allons fort probablement inviter les auteurs du rapport à comparaître à nouveau devant nous, pour que nous puissions entendre certaines de vos recommandations. Je n'ai pas encore eu la chance d'en discuter avec mes collègues, mais nous devons créer un sous-comité qui sera chargé de rédiger quelque chose pour répondre à vos observations.

J'outrepasse peut-être mes pouvoirs, mais je trouvais important de soulever cette question parce que vos commentaires sont fondés sur l'entente moderne qui a été signée. Cette entente est invoquée partout au pays. Elle est même citée en exemple sur la scène internationale pour montrer comment un pays peut réussir à s'entendre avec ses peuples autochtones.

Mais est-ce qu'on a oublié de la mettre en oeuvre? Et qu'en est-il des engagements financiers? S'il n'y a pas de mesure législative portant affectation de crédits, cette entente sera inapplicable de toute façon. Nous l'avons vu.

D'autres sénateurs ont soulevé la question de la légitimité d'un tribunal. Je comprends pourquoi vous nous avez fait cette proposition. C'est parce qu'il ne vous reste plus d'autres solutions. À vos yeux, si le tribunal prend une décision, les représentants politiques seront forcés d'agir. C'est vrai. Sinon, les tribunaux, les commissions d'enquête et les autres institutions du genre ne serviront à rien.

Nous avons déjà vu cela bien des fois. Nous en avons assez. Il faut que les autochtones prennent les choses en main pour faire progresser la situation. Autrement, on dira partout que les gouvernements du Canada, année après année, manquent à leurs promesses. Il faut briser ce cercle vicieux. En tant qu'institution nationale, nous devons faire tout notre possible pour briser le cercle vicieux des promesses non tenues.

Au sujet du tribunal, vous proposez un système parallèle au système judiciaire qui existe déjà. Vous dites que les compétences sont là, que vous pourriez constituer un groupe d'élite qui s'occuperait uniquement des questions autochtones. Avez-vous réfléchi aux mécanismes de fonctionnement de ce tribunal et au mode de nomination de ses membres, de même qu'aux moyens à prendre pour que votre suggestion se concrétise bientôt? Si nous voulions mettre en place un tribunal de ce genre dans un court laps de temps, comment est-ce qu'il devrait fonctionner?

M. Saunders: Notre commission n'a pas vraiment examiné cet aspect-là en détail. Personnellement, toutefois, j'y ai réfléchi. J'en ai déjà parlé. Je ne vous expose pas la position officielle de la commission; ce sont seulement des idées.

Pour notre nomination, la loi exige que notre candidature soit proposée par l'Administration régionale crie et le conseil de bande des Naskapis. Les ministres reçoivent ces mises en candidature des dirigeants autochtones et les transmettent au BCP pour que celui-ci prenne un décret du conseil.

Il est certain que les juges appelés à siéger à un tribunal de ce genre devraient être nommés avec la participation des Premières nations. J'admets que c'est compliqué. Il y a environ 680 Premières nations, de même qu'une importante communauté inuit et une communauté métisse de bonne taille, toutes reconnues comme des peuples autochtones en vertu de la Constitution. Il est clair que, si le tribunal se penchait sur les droits ancestraux, tous ces gens-là devraient être consultés.

Il faudra évidemment des règles de base. Nous n'allons pas nommer des gens qui ne connaissent rien au droit. Mais il y a beaucoup d'avocats, autochtones ou non, qui connaissent bien les questions autochtones. Il y a même actuellement dans les tribunaux inférieurs des juges autochtones et non autochtones qui ont certaines compétences dans ce domaine.

Ce que je suggère, c'est de nommer des gens qui seraient déjà membres du barreau ou de la magistrature. Il faut espérer que certains d'entre eux seraient autochtones. Il faudrait si possible que leur candidature soit proposée par les communautés autochtones du pays, après quoi ils seraient nommés comme n'importe quel autre juge.

Il n'est pas rare que les nominations par décret du conseil se fassent avec la participation de tierces parties. Comme je l'ai dit, nous sommes mis en candidature par quelqu'un avant d'être nommés. Il est certain que le gouvernement consulte de plus en plus souvent les associations du barreau pour ses nominations à la magistrature. Je pense qu'il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce qu'il demande aux dirigeants autochtones de tout le pays de lui proposer des candidats suffisamment qualifiés. Ce serait un des mécanismes de nomination des juges de ce tribunal.

Le sénateur Chalifoux a mentionné tout à l'heure le problème de la création d'organes qui sont encore en place quelques centaines d'années après avoir perdu toute utilité. La loi devrait contenir une disposition de temporarisation selon laquelle le tribunal serait supprimé après une période donnée, à moins que le Parlement décide de le maintenir en place. De cette façon-là, le tribunal ne resterait pas là éternellement, une fois que les autres tribunaux seraient au courant de la situation et appliqueraient la jurisprudence établie.

Nous n'avons pas besoin d'un tribunal supplémentaire. Nous en avons déjà suffisamment pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en créer un autre, sauf pour une raison bien précise. Le tribunal devrait donc être dissous quand il aurait terminé son travail.

Le président: Ce serait prévu dans la loi. Vous dites dans votre rapport que le ministre ne peut rien faire. Pensez-vous que c'est le ministère de la Justice qui devrait faire une proposition en ce sens pour voir s'il serait possible de négocier quelque chose à ce sujet-là dans le contexte des problèmes de mise en oeuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois?

M. Saunders: Dans bien des cas, le ministre de la Justice fournit des avis au ministère des Affaires indiennes et à d'autres ministères lorsqu'il y a des conflits avec les peuples autochtones. Or, ces avis vont dans le sens des décisions gouvernementales qui ne respectent pas les accords et les traités.

Voilà le problème. C'est comme si vous et moi étions en désaccord et que nous embauchions tous les deux un avocat. Chacun de ces avocats devrait défendre la partie qui l'aurait embauché. Le ministère de la Justice ne devrait pas agir ainsi.

La Couronne, du chef du Canada, a une responsabilité fiduciaire envers les peuples autochtones. Les tribunaux ont décrit de long en large cette obligation de fiduciaire. Ils ont été très clairs à ce sujet-là.

Les fonctionnaires du ministère de la Justice nous rendraient service à tous, en tant que contribuables et en tant que Canadiens, en renseignant leurs collègues des Affaires indiennes au sujet de leurs obligations de fiduciaire et de leurs responsabilités à titre de signataires d'ententes ayant force obligatoire. Plutôt que de perdre un temps fou à nous traîner devant les tribunaux, à livrer des batailles qui durent des années pour finalement se retrouver perdants, ils devraient aider les gens des Affaires indiennes à commencer par assumer leurs responsabilités, pour éviter que nous nous retrouvions en cour.

Ces fonctionnaires comparaissent souvent devant nous et ne savent absolument rien des lois et des arrêts pertinents. Quelqu'un devrait leur montrer ces choses-là, et ce quelqu'un devrait être le ministère de la Justice, alors qu'il se comporte plutôt comme un avocat dans une situation d'opposition, plutôt que d'assumer le rôle de fiduciaire du gouvernement.

Le gouvernement est en situation de conflit d'intérêts. Il n'y a qu'un seul et même ministère chargé de négocier des ententes et d'assumer les responsabilités fiduciaires du gouvernement. Si ma femme et moi étions fâchés l'un contre l'autre, nous n'irions pas demander à ma belle-mère de résoudre le problème; nous ferions appel à une tierce partie impartiale.

M. Awashish: Nous discutons depuis quelques heures du rapport de la Commission crie-naskapie et du fait que le gouvernement n'a pas tenu compte jusqu'ici des recommandations qu'il contient.

Nous avons parlé longuement du fait que le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec n'appliquent pas intégralement la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Je voudrais vous laisser sur quelques réflexions au sujet de ces problèmes. Il y a 14 ans que la Loi sur les Cris et les Naskapis a été adoptée, et 22 ans que la Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée. Depuis tout ce temps, il est devenu évident pour la Commission crie-naskapie que l'élément essentiel qui permettra de redresser les torts dans la quête de justice des gouvernements cri et naskapi, et de mettre en oeuvre intégralement ces traités ou ces accords des temps modernes, c'est uniquement la volonté politique des pouvoirs en place. Par conséquent, je voudrais vous poser pour finir une seule et unique question: cette volonté politique existe-t-elle?

Le président: Donnez-moi quelques jours pour parler à mes collègues, et je reprendrai contact avec vous pour voir si nous pouvons commencer à élaborer une solution à court terme que nous pourrions examiner, et aussi une solution à court terme. Ce sont les deux éléments nécessaires.

Je vous remercie de votre excellente présentation de ce matin. Vos commentaires vont certainement nous aider dans notre examen de la fonction gouvernementale locale, régionale, provinciale et fédérale dont il est question dans le rapport de la Commission royale, et même du concept de troisième ordre de gouvernement dont il est question à l'article 35 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

La séance est levée.


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