Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 12 - Témoignages
OTTAWA, le 4 novembre 1998
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 17 h 57 pour étudier la question de la fonction gouvernementale autochtone en vue d'en faire rapport.
Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, nous avons le quorum.
D'abord, je souhaite la bienvenue à nos témoins, et je leur cède immédiatement la parole.
Mme Christine Hunt, première vice-présidente, Native Brotherhood of British Columbia: Madame le sénateur et messieurs les sénateurs, merci d'avoir prévu à votre calendrier une séance pour nous rencontrer. La Native Brotherhood of British Columbia représente des pêcheurs autochtones. Je vais demander à mes collègues de se présenter.
M. John Henderson, chef, Premières nations de Campbell River: Monsieur le président, en plus d'être le porte-parole des Premières nations de Campbell River, je représente ici la Kwakiutl Lackwiltach Treaty Organization et le conseil de district de Kwakiutl, qui regroupe 11 tribus.
M. Greg Wadhams, membre du conseil, Namgis First Nations: Monsieur le président, je représente également l'organisme Native Brotherhood of B.C., ainsi que l'Aboriginal Vessel Owners' Association. Nous représentons au total une quinzaine de bandes indiennes qui sont établies sur notre territoire.
M. Victor Kelly, porte-parole, Allied Tribes Tsimshian Nation: Monsieur le président, je suis le porte-parole de neuf chefs. Je siège également au conseil de bande. Je fais partie de la Commission des pêcheurs de Lax Kw'alaams, la localité d'où je viens. C'est l'une des plus importantes collectivités de la nation Tsimshian. Nous sommes extrêmement inquiets de la situation critique dans laquelle se trouvent les pêches.
M. Henderson: Honorables sénateurs, la journée a été longue. Nous avons passé notre temps à aller d'un bureau à l'autre pour tenter de régler un problème qui préoccupe grandement les habitants des Premières nations qui vivent sur le littoral. Comme vous le savez, il s'agit d'un problème qui touche non seulement les gens des Premières nations, mais aussi les autres.
La situation est dramatique. Nous espérons que d'ici à ce que nous repartions d'Ottawa demain, nous aurons des nouvelles encourageantes à transmettre à nos concitoyens. La situation n'est pas très rose chez nous. De nombreuses familles sont dans une situation désespérée et ont besoin d'une aide d'urgence sous une forme ou sous une autre. Quel type d'aide leur offrira-t-on, nous l'ignorons. Ces rencontres et l'information que nous en rapporterons nous aideront peut-être à trouver la voie à suivre et établir les mesures à adopter.
Le ministre des Pêches et des Océans a annoncé le versement d'une subvention non récurrente de 400 millions de dollars aux collectivités locales du littoral. Essentiellement, ce montant est censé nous aider à assurer la survie du saumon. Notre situation est passablement différente de celle qui régnait sur la côte Est. Il n'y avait pas de poisson sur la côte Est, tandis qu'il y avait abondance de saumon rouge dans les montaisons du détroit de Johnstone et du fleuve Fraser cette année.
Le président: Qu'avez-vous dit à propos des 400 millions?
M. Henderson: On nous avait promis, le 19 juin 1998, qu'on mettrait ce montant de côté pour l'industrie de la pêche. Jusqu'à ce jour, les pêcheurs n'ont encore rien reçu.
On a offert aux gens quelques options. Il a été question de restauration des habitats et de quelques projets de mise en valeur. Je vais vous donner l'exemple de ma bande. On nous a accordé pour la réalisation d'un projet 110 000 $, dont 45 p. 100 iront aux biologistes et aux gestionnaires. Avec cette somme, on ne donnera du travail qu'à quatre personnes. Nous avons rencontré le ministre à maintes reprises. Lors d'une de ces rencontres, il semblait trouver qu'il avait répondu à nos demandes de création d'emplois et de perspectives d'avenir pour nos gens. Or, il n'en est rien. Le problème est plus vaste que cela.
Dès le début, j'ai eu le sentiment que les 400 millions de dollars avaient déjà été affectés. Il ne reste en réalité plus rien pour les pêcheurs qui veulent continuer d'exercer leur métier, qui ne peuvent aspirer à rien d'autre.
C'est triste quand des gens de votre village viennent vous voir parce qu'ils ne peuvent plus rembourser leur hypothèque. Je suis le chef d'un peuple fier. Nos gens acceptent difficilement de se voir réduits à vivre des prestations d'aide sociale après avoir réussi à se tirer d'affaire pendant toute leur vie. Le dilemme dans lequel nous nous trouvons nous frappe durement.
Les politiques mises de l'avant par le ministère des Pêches et des Océans, de même que les programmes de délivrance de permis, en vertu desquels ont donne des droits aux uns aux dépens des autres, ne sont que des tactiques qui visent à nous diviser pour mieux nous asservir. Pourtant, nous faisons partie de la même nation. Ce n'est pas correct.
Malgré toutes les belles promesses auxquelles nous avons droit chaque fois que nous nous présentons à une rencontre, nous nous voyons forcés d'aller annoncer à notre peuple que les promesses ne veulent pas dire grand-chose. Ce n'est pas très gentil.
Je suis ici aujourd'hui pour trouver avec vous des moyens qui nous aideront à sauvegarder ce que mes compatriotes ont acquis au prix de toute leur vie de travail. Mes ancêtres étaient des pêcheurs. Nos enfants le seront probablement eux aussi, tout comme leurs propres enfants, si la pêche est encore une activité viable et si on leur donne la chance de pratiquer ce métier. La pêche fait partie de notre mode de vie. Notre culture nous enseigne que c'est à cette activité que nous devons nous employer. Nous pêchons depuis des temps immémoriaux. C'est pénible de se voir ainsi privés de ses moyens d'existence. Les conséquences en sont incommensurables; nos enfants et nos aînés en souffrent -- tous les aspects de notre vie communautaire s'en ressentent.
Les représentants du ministère des Pêches et des Océans ont agi d'une manière irrespectueuse envers nos aînés. Nous les avons invités à maintes reprises à Campbell River, dans notre village, pour les sensibiliser à notre situation. Nous ne voulons pas cesser de pêcher. Nous sommes des pêcheurs et nous voulons le demeurer.
Il y a de cela bien des années, Ken McBride a dit qu'on ne nous avait pas donné des étendues de territoire mais des mini-villages parce que nous vivons des ressources naturelles. La Cour Suprême, dans l'arrêt Delgamuukw, a établi qu'on est tenu de consulter les Premières nations avant de faire à des tiers des concessions. Le ministère n'en a pas moins cédé 25 p. 100 aux Américains sans même nous avoir consultés.
Dans les ménages des tribus voisines ou cousines de la nôtre, on assiste à des drames. Le nombre de tentatives de suicide y augmente de jour en jour. Les autochtones ont honte de dépendre de l'aide sociale.
Quand on porte atteinte à nos droits, nous devons nous défendre. C'est ce que nous tentons de faire aujourd'hui.
J'ai à peu près épuisé ce que j'avais à vous communiquer. Il va sans dire que je compte retourner chez nous avec des réponses. Je ne sais pas lesquelles. Tout ce qu'on nous a donné jusqu'à maintenant, ce sont des faux espoirs.
Je regarde ici un bout de papier qui vient de Développement des ressources humaines Canada. J'ai déjà siégé à l'un des comités de ce ministère. Les maigres montants d'argent qu'on veut bien nous donner pour créer des emplois et pour mettre sur pied des programmes de formation sont une insulte pour les Premières nations.
Pour vous représenter concrètement la situation, dites-vous que nous avons 781 000 $ à nous partager entre 6 000 personnes. C'est ça la réalité. Quinze tribus doivent se disputer ce montant d'argent. Une fois ce montant réparti, c'est à peine on en a pour deux semaines de salaire par village.
Nous avons saisi de notre problème tous les secteurs de l'appareil gouvernemental, notamment les ministères des Affaires indiennes, des Pêches et du Développement économique. Il faudra un jour tout coordonner cela, l'économie, les investissements en capital et les allocations pour la réalisation de projets. Je ne pense pas que nos gens souhaitent dépendre de l'aide sociale. Ils aimeraient travailler et se prendre en main.
À l'heure actuelle, la situation est critique, et je tiens à ce qu'on comprenne bien mon message. Les gens viennent frapper à la porte du bureau du conseil de bande parce qu'ils sont en train de perdre leurs maisons. On leur a enlevé leur dignité, même s'ils n'ont rien fait de mal. Leur vie est dictée de l'extérieur.
Ce qui à mon avis serait efficace, c'est un programme un tant soit peu humain qui aiderait nos gens à payer leurs dettes, des dettes qu'ils accumulent depuis l'entrée en vigueur du plan Mifflin en 1996. Ce plan prévoyait qu'en raison de la réduction de la taille de la flotte, nous pourrions pêcher dans le détroit de Johnstone. Eh bien, nous n'avons pas pêché cette année-là, et ce, pour connaître cette année la situation que vous savez, où nous n'avons même pas pu pêcher 15 heures, même si la montaison était la septième en importance de toute notre histoire.
Il devra s'écouler encore deux ans avant qu'on ait quelque espoir de pouvoir pêcher de nouveau, à cause de la façon dont on a évalué les montaisons de saumon pour les deux prochaines années. Nous ne devons pas nous contenter de chercher des solutions immédiates, nous devons prévoir quelque chose pour deux autres années. J'aimerais bien pouvoir sortir d'ici avec des programmes et avec la garantie que nous aurons quelque chose de concret dans deux ans.
J'ai réuni ici quelques chiffres. En moyenne, les pêcheurs auraient gagné 10 000 $ cette année, si bien qu'ils seraient devenus admissibles à un programme quelconque qui leur aurait permis de tenir le coup jusqu'à la prochaine campagne de pêche. Rien de tel ne se produira. Les gouvernements se querellent à propos des dollars de l'AE. Servez-vous-en de façon constructive. Donnez de l'argent aux pêcheurs pour leur permettre d'améliorer eux-mêmes leurs perspectives d'avenir.
Mme Hunt: Juste avant que M. Wadhams prenne la parole, je tiens à vous signaler que dans sa localité d'Alert Bay, il y a eu 30 tentatives de suicide ces dernières semaines. Au cours d'une même fin de semaine, six jeunes de 14 à 16 ans ont tenté de s'enlever la vie.
M. Wadhams: Honorables sénateurs, je vous remercie de bien vouloir écouter nos doléances, mais j'aimerais surtout qu'on trouve le moyen de redresser la situation sur la côte Ouest. J'ose encore espérer trouver ici à Ottawa des oreilles attentives pour qu'on vienne enfin en aide aux gens de la côte Ouest. Il nous a été très pénible de traiter avec les fonctionnaires à Ottawa, eux qui sont à l'origine des conditions misérables dans lesquelles nous vivons actuellement.
Il y a eu dans ma localité de nombreuses tentatives de suicide, dont certaines ont été fatales.
Notre localité est isolée et dépend entièrement de la ressource qui se trouve à proximité. Probablement qu'environ 98 p. 100 des pêcheurs commerciaux y sont des autochtones. C'est en outre une localité qui a acheté des bateaux du Conseil des pêches du Canada. Ce sont de vieux bateaux, des bateaux qui ont fait leur temps. Les pêcheurs sont maintenant contraints de les revendre, après avoir obtenu une aide financière du MPO pour leur permettre de les acheter au départ.
Nous sommes plongés dans une situation vraiment critique, et c'est déplorable. Je ne sais comment m'y prendre pour vous expliquer ce que nous vivons actuellement. J'ai entendu dire que vous, à Ottawa, ne comprenez rien aux pêches de la côte Ouest ni au drame dont sont victimes les gens de ces régions.
Ce n'est pas le coho qui est dans une situation critique, comme certains se plaisent à le prétendre, mais bien les collectivités autochtones du littoral. Il est tout aussi impérieux de leur venir en aide que de résoudre la crise des pêches. Il est tout aussi important, pour l'avenir des collectivités, de maintenir les gens au travail que de protéger les stocks de poisson dont la survie est menacée. Si notre avenir dépend de la vigueur du secteur des pêches, on se doit de soutenir nos collectivités locales. Le poisson passe directement aux portes de ces localités, et ce sont ces localités que le MPO se permet de gifler. Il faut protéger les petits pêcheurs, les pêcheurs indépendants, de l'emprise des gros armateurs qui veulent les avaler et les empêcher de se défendre.
Le plus gros problème, c'est le gouvernement. Nous avons demandé à maintes reprises au ministre et aux sous-ministres des Pêches de venir nous rencontrer. Personne n'a encore daigné venir nous voir. Nous leur avons écrit. Je sais qu'ils vous ont raconté toutes sortes de belles choses à propos de ce qui se passe là-bas et de ce qu'on y trouve de positif. Le ministre des Pêches n'écoute pas les gens du littoral qui gagnent leur vie à pêcher.
Songez au sort que connaissent actuellement nos jeunes et aux suicides qui ont été commis. Notre peuple pratique la pêche depuis des générations. J'ai commencé à pêcher à l'âge de cinq ans. Je suis capitaine de bateau, je possède mon propre navire. Mon père avait de nombreux bateaux de pêche; c'était un armateur. Je considère que les gens de ma région sont des pêcheurs professionnels, et on se débarrasse d'eux. Même si le ministre se plaît à dire qu'il s'agit de départs volontaires, ce n'est pas le cas. On nous oblige à abandonner le métier.
Nos gens connaissent pourtant tellement les ressources de leur environnement, les marées, les courants, et les moeurs migratoires des poissons. Ces connaissances et la science ne peuvent faire double emploi. Nos gens comptent entièrement sur la pêche au saumon pour pouvoir passer les mois d'hiver.
Il est important pour le Canada, qui discute actuellement de notre avenir avec les représentants des Premières nations de la Colombie-Britannique, de négocier de bonne foi, comme les juges l'ont signalé dans l'arrêt Delgamuukw, et de consulter comme il se doit les intéressés. Jusqu'à maintenant, on ne l'a pas fait. J'ignore où tout cela va nous mener, mais nous aimerions bien qu'on daigne au moins nous consulter. Le MPO ne nous écoute pas. Notre ministre fait la sourde oreille à nos revendications.
Compte tenu des ressources que nous avons tout près de nous, si nous voulons retrouver la fierté et la dignité que nous avions toujours eues au sein de l'industrie, nous devons commencer à travailler de concert. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Nous avons besoin de votre aide pour régler ce problème. Il s'agit non pas d'un problème mineur, mais d'un problème de taille. De grâce, écoutez-nous. Le plus gros problème que nous avons sur la côte Ouest, c'est que personne ne nous prête une oreille attentive à Ottawa.
M. Victor Kelly, porte-parole, Allied Tribes Tsimshian Nation: Honorables sénateurs, la situation sur la côte Ouest est très simple à décrire. Les collectivités de la Nation Tsimshian souffrent elles aussi. La plupart d'entre elles ont un taux de chômage de 95 p. 100, et ce taux est même plus élevé encore dans les plus grandes localités.
Comme on l'a dit ici tout à l'heure, la fermeture de la pêche heurte chacune de nos collectivités. Il y a des suicides, le taux de chômage dépasse les 95 p. 100, et on commence à voir des ruptures dans les familles. Les problèmes que nous connaissons dans l'industrie de la pêche amènent certains des nôtres à trouver refuge dans la drogue et l'alcool.
J'ai assisté à un certain nombre de rencontres au sujet des pêches en Colombie-Britannique, et personne ne nous donne de réponses claires. Tout ce dont on parle quand nous nous rencontrons, c'est de la crise du saumon coho. Il n'y a pas de telle crise. Le long de la route qui mène à Prince Rupert, on peut voir le saumon coho frayer dans les lits des ruisseaux, et pourtant on nous dit qu'il y a une crise du coho. Ce n'est pas vrai. Il y a du saumon coho dans tous les cours d'eaux qui coulent au nord de Prince Rupert.
Pour mieux comprendre ce qu'il en est, le ministre doit venir se rendre compte de la situation sur place. Je dis cela parce qu'on a écrit à maintes reprises au ministre Anderson pour l'inviter personnellement à venir rencontrer la nation Tsimshian. Nous avons également invité Jane Stewart, la ministre des Affaires indiennes. Nous n'avons encore reçu aucune réponse. Que devons-nous faire pour amener ces gens à se réveiller et à commencer à assumer leur responsabilité fiduciaire?
C'est attristant. J'ai assisté à une rencontre la semaine dernière concernant les 400 millions de dollars dont on a parlé tout à l'heure. Il y a trois enveloppes, et le MPO se met le nez dans chacune d'elles. Les Premières nations des alentours du fleuve Skeena doivent se disputer 364 000 $, et Mike Scott sait combien de collectivités compte cette région. C'est insultant de se voir accorder des montants aussi faibles pour redresser des situations aussi tragiques.
Comme tous mes collègues l'ont mentionné, nous ne voulons pas retourner chez nous les mains vides. Nous ne voulons plus nous contenter de simples promesses. On nous a promis tellement de rencontres qui n'ont jamais eu lieu et de montants d'argent que nous n'avons jamais reçus. Des représentants de ma localité, Lax Kw'alaams, ont essayé en vain de rencontrer les fonctionnaires des différents services gouvernementaux responsables pour leur parler du lien routier dont nous aurions besoin. Ce que cette route apportera à notre collectivité, c'est la sécurité, un lien avec les gens d'ailleurs, le tourisme, et cetera. Comme faudrait-il nous y prendre pour amener le gouvernement fédéral à comprendre que nous pourrions aller de l'avant si seulement on nous prêtait une oreille attentive, on nous écoutait et on répondait à nos demandes de rencontres?
Il est très frustrant de participer à toutes ces rencontres pour en sortir les mains vides. Aujourd'hui, nous avons participé à un certain nombre de rencontres. J'espère que d'ici à notre départ, demain, nous aurons droit à au moins un minimum de réponse.
Si je dis cela, c'est qu'il y a 20 milliards de dollars d'excédent dans la caisse de l'AE. Nos élus se demandent ce qu'ils vont en faire. C'est ce que j'ai entendu aux nouvelles. La situation est critique sur la côte Ouest. Qu'on en utilise une partie pour régler ce problème au lieu de donner cet argent à des pays étrangers. Cette situation a assez duré. Il est temps qu'on prenne soin de nos gens ordinaires.
M. Richard Morgan, Gitxsan Wet'suwet'en: Je représente neuf villages de la région du fleuve Skeena ainsi que les pêcheurs commerciaux.
Il y a une chose que j'aimerais ajouter à ce qui vient d'être dit. Beaucoup d'entre vous savent ce qui s'est produit en 1997, quand les gens de l'Alaska ont intercepté le saumon que nous comptions capturer: nos pêcheurs ont gagné en moyenne entre 8 000 $ et 10 000 $ bruts cette année-là, contre normalement entre 40 000 $ et 50 000 $.
En 1998, nos pêcheurs ont connu une mauvaise année. Les gens du ministère des Pêches se sont présentés avec leur calendrier, avec les dates où la pêche serait permise, et ils n'avaient rien de bien réjouissant à leur annoncer. Les pêcheurs se retrouvaient avec à peu près plus de temps de pêche. Le ministère a offert une subvention de 6 500 $ par pêcheur qui décidait de s'abstenir de pêcher durant l'été, durant la campagne de pêche. Comme nos pêcheurs étaient en assez mauvaise posture financièrement, environ 90 à 95 p. 100 d'entre eux, dont moi-même, ont accepté la subvention de 6 500 $. Or, parce que nous avons accepté les 6 500 $ et que nous n'avons pas pêché, aucun d'entre nous n'aura droit à l'AE cette année, contrairement à ce qui s'est toujours fait. Nous sommes pratiquement forcés de nous tourner vers l'aide sociale. J'ai vu quelques-uns des chèques de mes enfants. Comme ils sont jeunes et célibataires, ils ne touchent que 175 $ par mois. C'est bien peu pour vivre. Voilà dans quelle situation se retrouveront nos pêcheurs commerciaux cette année, du seul fait qu'ils ne seront pas admissibles à l'AE.
Pour avoir connu une si mauvaise année en 1997, nous n'avons pas pu pêcher cette année. Au dernier décompte, nous avions une vingtaine de filets maillants enchaînés aux quais, et nos gens n'ont pas accès à leurs bateaux. Le ministère des Pêches les a enchaînés aux quais. C'est lui qui s'occupe du mouillage dans la région de Prince Rupert.
Les pêcheurs n'ont pas pu pratiquer leur métier cet été parce que l'hiver dernier leurs filets ont été vendus à l'encan pour payer les frais de leur entreposage. On les a vendus à l'encan. Les pêcheurs se sont retrouvés sans filets. Certains d'eux en avaient cinq ou six, à raison de 2 000 $ à 3 000 $ chacun. On les a vendus à l'encan pour payer la location d'un emplacement d'amarrage. Beaucoup de ces pêcheurs ont été forcés d'accepter les 6 500 $. Ils n'avaient plus d'engins de pêche ni de filets pour travailler.
Ces gens se voient maintenant forcés de vivre de l'aide sociale. J'ai commencé à pêcher en 1943, à l'âge de 15 ans. J'en ai maintenant 70, et j'ai toujours mon propre bateau. J'aime encore aller à la pêche. Je n'ai jamais été obligé de compter sur l'aide sociale pour vivre. Je connais bien d'autres pêcheurs qui n'ont jamais été assistés sociaux. Il semble bien que nous soyons maintenant appelés à le devenir. J'ai horreur de cette idée.
Les gens de notre village, en particulier les autochtones, sont dans une très mauvaise posture. Un des orateurs qui m'a précédé a dit que le taux de chômage était d'environ 95 p. 100 chez lui. Il est de 90 à 95 p. 100 dans notre village. Il n'y a tout simplement pas de travail.
Jusqu'à l'an dernier, beaucoup de nos gens allaient travailler dans les conserveries, les femmes surtout. Les jeunes y travaillaient pendant que les hommes allaient en mer. Cette année, il n'y a rien eu de tout cela.
Nous cherchons à obtenir de l'aide, du soutien. Nous espérons repartir demain avec de bonnes nouvelles, pour pouvoir enfin redonner espoir à nos gens.
Mme Hunt: M. Haldane est membre de la Pacific Salmon Commission.
Le président: J'aimerais obtenir un éclaircissement du précédent orateur à propos des 6 500 $. S'agit-il d'un montant annuel?
M. Morgan: C'est le montant qu'on a offert à tout pêcheur qui acceptait de ne pas pêcher l'été dernier, afin de sauver le coho.
Le président: C'est un montant versé d'un seul coup, n'est-ce pas?
M. Morgan: Oui, d'un seul coup -- uniquement pour l'été dernier.
Peut-être quelqu'un d'autre en a-t-il déjà fait mention, mais ces 6 500 $ nous permettent à peine de payer les primes d'assurance pour nos bateaux. Nous avons beaucoup de dépenses, et ces 6 500 $ suffisent à peine à les couvrir.
M. Hubert Haldane, chef, Laxgal'Sap Nisga'a Fishermen's Commission: Comme l'a signalé Mme Hunt, je suis membre de la Pacific Salmon Commission. Je suis par ailleurs président du conseil d'administration de la Northern Native Fishing Corporation. Je représente en outre ma collectivité -- qui s'appelle dans notre langue Laxgal'Sap Nisga'a, ou, dans la vôtre, Greenville -- en ma qualité de membre du conseil.
Je vais vous donner une idée de ce qu'il retourne, selon nous, de cette supposée crise du coho. L'an dernier, on a abondamment parlé du coho qu'on ne voyait plus remonter certains courants le long du littoral. Le MPO est arrivé avec un plan interdisant à quiconque de pêcher cette année. Personne n'allait être autorisé à prendre le moindre petit coho qui pourrait se pointer. Le MPO a donc adopté un train de mesures visant à interdire la pêche dans toutes ces régions du Nord propices à la montaison du saumon. On a prétendu qu'il y avait une crise du coho dans le Sud. Il y en a eu une, mais pas cette année. Comme un de nos collègues vient tout juste de le mentionner, avec l'abondance de coho que nous observons cette année, nous n'avons pas le goût de rire.
Selon nous, le MPO devrait vraiment y regarder de plus près avant d'établir où il y a crise, où se situent les problèmes dans l'industrie de la pêche.
Pour ce qui est de la Northern Native Fishing Corporation, un grand nombre de nos pêcheurs n'ont pas fait la campagne de pêche cette année. Comme l'a signalé M. Morgan, de nombreux pêcheurs ont accepté l'argent plutôt que de pratiquer leur métier. On a offert 6 500 $ aux détenteurs de permis de pêche au filet maillant et à la ligne traînante. Quant aux capitaines et aux propriétaires de bateaux, on leur a versé 10 000 $ pour garder leur navire amarré durant la campagne de 1998.
La Northern Native Fishing Corporation est dans une situation critique; elle est au bord de la faillite.
Les pêcheurs n'ont pas les moyens de se procurer leur permis, car ils sont sans le sou cette année. Si nous n'obtenons pas d'aide, je crois que les choses vont aller de mal en pis pour nous.
Les gens que je représente à la Northern Native Fishing Corporation ont été mis sur la liste noire du seul fait que le ministère des Affaires indiennes a dit qu'il les avait déjà aidés financièrement, qu'il ne restait plus d'argent pour eux, et qu'ils n'en recevraient plus. C'est ce qui nous a empêchés de venir en aide à nos pêcheurs.
Le président: De quel niveau de gouvernement voulez-vous parler, du provincial ou du fédéral?
M. Haldane: Du gouvernement fédéral.
Nous ne demandons pas la charité. Nous voulons une aide structurée propre à prévenir une telle situation dans l'avenir. Les gouvernements nous aident par à-coups, ce qui n'est bon pour personne. C'est du vrai rafistolage.
Quelqu'un a signalé plus tôt que le MPO effectuait actuellement des travaux dans certains de ces cours d'eau. Tout cela a l'air formidable mais ne nous aide en aucune manière. Il nous faut de quoi vivre. Certains de ces travaux coûtent quelque 200 000 $ ou peut-être 150 000 $ selon le nombre de personnes qui y travaillent.
Ce que nous réclamons, c'est qu'il se crée des emplois durables et valorisants pour que nos gens puissent avoir la satisfaction et la joie d'accomplir quelque chose de constructif dans la vie. Ce n'est pas en intervenant au coup par coup qu'on y parviendra, en offrant des emplois par-ci, par-là. Ça ne mène à rien.
Une des choses que je tiens à demander dès maintenant, et dont quelqu'un d'autre a d'ailleurs déjà fait mention avant moi, c'est qu'on porte secours à nos gens. Nous avons besoin d'une aide urgente. Pour nous venir en aide, on devrait commencer par nous verser une partie des fonds d'AE qui sont actuellement disponibles.
M. Alfred Hunt, chef, Kwaitul First Nation: Je suis un des conseillers de notre village, Fort Rupert, et je suis également membre de l'Aboriginal Vessel Owners Association.
Honorables sénateurs, vous avez été mis au fait de la pénible situation dans laquelle se trouvent les gens que nous représentons ici. À ma connaissance, c'est la pire qu'ait jamais connue notre village de Fort Rupert. Nous n'avions jamais eu de problèmes financiers jusqu'à maintenant. Si seulement le ministère des Pêches nous avait donné la possibilité de pêcher deux jours de plus, nos collectivités s'en seraient sorties beaucoup moins mal. Comme propriétaire de bateau, je crois personnellement qu'une telle mesure m'aurait grandement aidé, seulement deux jours de plus. De ne nous avoir alloué ainsi que 15 heures pour la campagne de pêche 1998, c'est vraiment trop peu. Tout ce qu'on nous a permis, c'est de pêcher pendant 15 heures.
Un grand nombre de vieux pêcheurs comme moi savions qu'il y avait du poisson en abondance dans les détroits, mais il nous a fallu nous contenter de les regarder passer parce qu'on nous a interdits de les prendre. Le ministère des Pêches nous a arrêtés de pêcher. Je suis vraiment contrarié et blessé de voir ce qui va se produire. Peut-être que je me trompe, mais je crois qu'il y aura plus d'échappement que normalement et qu'on devra électrocuter du poisson dans le fleuve Fraser.
Laissez-moi vous décrire ce qui se passe dans notre collectivité. Aucun des pêcheurs qui ont fait la dernière campagne de pêche n'a réalisé un profit. Certains ont plutôt accepté les 6 500 $. Ce montant forfaitaire visait à compenser la perte de ceux qui acceptaient de ne pas pêcher. Les 10 000 $ qu'on offrait de verser aux propriétaires de gros bateaux de pêche ne couvrent rien. La prime d'assurance pour mon bateau représente à elle seule 8 600 $, il m'en coûte 10 000 $ pour préparer mes filets, et il faut compter 8 000 $ de plus pour le carburant que nécessite la campagne de pêche. Avec 15 heures de pêche, que reste-t-il? Même si la pêche est bonne cette journée-là, ce n'est vraiment pas suffisant.
C'est pourquoi nous devons tous, nous les acteurs de l'industrie de la pêche, les sociétés, les propriétaires de bateau, compter sur le ministère des Pêches. Où s'en va le ministère? Que fait-il? Quel est son plan?
Devrais-je exercer mon option de rachat parce que je n'ai plus confiance en ce ministère? Je suis propriétaire d'un bateau depuis 1969 et, tout d'un coup, mes 2 millions de dollars d'équipement ne valent pratiquement plus rien. Si j'obtiens 400 000 $ en exerçant l'option de rachat, ce n'est pas suffisant pour compenser toutes ces années où j'ai travaillé. Je me retrouverai avec une pension plutôt maigre, après toutes ces années que j'ai passées à travailler dur pour ma famille et pour les gens de mon village.
Déjà, 12 habitants de notre village ont reçu des avis d'éviction parce qu'ils ne sont pas capables d'effectuer leurs versements hypothécaires. C'est la bande qui garantit ces prêts auprès de la SCHL. Nous aimerions nous occuper de développement économique, mais nous ne sommes pas en mesure de le faire. Nous allons dorénavant être considérés comme de mauvais payeurs, parce que nous ne sommes plus en mesure d'effectuer les versements sur les prêts que nous avons contractés. C'est une triste situation que vivent les habitants de notre village. Une telle chose ne nous était jamais arrivée dans le passé. Voilà pourquoi je soutiens que si nous avions eu deux jours de pêche de plus, même un seul, nous nous en serions mieux tirés, moi-même, les membres de mon équipage et nos collectivités.
Certains de mes collègues ici présents vous ont parlé des problèmes que connaissent nos collectivités. Les mariages sont en train de se briser. C'est compréhensible, car les couples n'ont plus rien à donner à leurs enfants. Les enfants n'ont rien. Ils ne peuvent pas se tourner vers leur père pour lui dire ce qu'ils souhaitent. Leur père n'a rien à leur donner.
Nous estimons que pour assurer l'avenir de l'industrie, il faudrait qu'on ait un plan. Qu'arrivera-t-il après la subvention de 400 millions de dollars? Le ministère des Pêches a-t-il un plan pour nous, les pêcheurs commerciaux? Je suis un pêcheur commercial autochtone. Je ne sais pas combien d'entre nous seront abandonnés à eux-mêmes après la terminaison du plan Mifflin, mais je crois qu'il ne reste déjà plus qu'une trentaine de bateaux à senne appartenant à des autochtones. Avant, nous en avions environ 70. Après que ces 400 millions de dollars auront été dépensés, indépendamment de ce que nous allons obtenir si nous exerçons nos options de rachat, il ne restera plus qu'une poignée de bateaux dans nos collectivités.
Prenons seulement l'exemple de ma collectivité. On y trouve 12 pêcheurs au filet maillant, et ils vont tous devoir exercer leur option de rachat, parce qu'ils ne sont plus en mesure d'effectuer les versements sur leurs bateaux. En principe, cette option est pourtant volontaire.
J'ignore ce qui habite le ministère des Pêches et des Océans et où il s'en va. Il est difficile d'imaginer notre avenir dans l'industrie de la pêche si le ministère n'a aucun plan. Le ministre des Pêches a annoncé, dans un communiqué de presse, qu'il y aura plus de poisson pour les autochtones et plus de poisson pour les pêcheurs sportifs. Nous avons demandé au ministre ce qu'il voulait dire par là. Pourquoi opterions-nous pour rester dans cette industrie si c'est ce qu'il dit. Pourquoi resterais-je dans cette industrie, pourquoi y investirais-je davantage si le ministre songe à distribuer des allocations aux pêcheurs commerciaux?
Pour nos collectivités de pêcheurs autochtones, de telles politiques ont de graves conséquences. Nous vivons juste à proximité de la ville de Port Hardy, et les habitants de notre village cherchent à faire en sorte que la tenue de leur localité ne soit pas trop différente de celle de leur ville voisine. Ils dépensent de l'argent pour entretenir leur pelouse et rénover leur maison dans un effort pour être à la hauteur dans cette région.
Je n'aime pas demander l'aumône, mais nous sommes vraiment dans une situation difficile à l'heure actuelle. Comme l'a signalé John Henderson, nous sommes des travailleurs.
Mme Hunt: Pour conclure, je voudrais faire ressortir trois points. Ce que nous souhaitons obtenir en faisant ce voyage à Ottawa, c'est un financement d'urgence. Ces hommes vous ont décrit combien les choses vont mal, mais je vais vous donner l'exemple d'une femme de Prince Rupert. J'étais dans cette ville pour une réunion il y a quelques semaines, et on m'a parlé d'une femme qui a travaillé toute sa vie dans les conserveries. Elle n'avait pas de travail cet été et touchait des prestations d'aide sociale. Elle venait de recevoir son sac d'épicerie de la banque alimentaire et elle n'avait rien d'autre pour nourrir son bébé que du colorant à café et de l'eau. Voilà la situation.
Des histoires comme celle-là, il y en a à profusion. Nous avons vraiment besoin d'une aide financière d'urgence pour traverser cette période de transition dans nos villages.
Les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada ont signé un protocole d'entente concernant la gestion des pêches. Le Canada n'a pas respecté ses engagements à cet égard. Par exemple, l'un des articles de ce protocole d'entente stipule que le Canada travaillera en collaboration avec la Colombie-Britannique à l'établissement d'un conseil de préservation des pêches du Pacifique. Le ministre Anderson a nommé à sa discrétion les membres de ce conseil sans consulter la province. Si vous voulez mon avis, agir de la sorte, c'est agir de mauvaise foi.
Il s'impose que le premier ministre provincial, M. Clark, et le premier ministre du Canada, M. Chrétien, se rencontrent le plus tôt possible pour donner suite à leur engagement de nous verser les fonds de transition qui devaient nous être accordés en rapport avec la conclusion du traité canado-américain sur le saumon. Tout au plus avons-nous entendu parler des 400 millions de dollars, mais rien de tangible n'a encore été fait. Personne n'a encore profité de cette promesse.
Il nous faut obtenir de l'aide du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour nous permettre de faire face aux problèmes sociaux qui vont s'amplifiant dans nos réserves. Il y a le problème de la violence familiale et celui des suicides. Dans ma collectivité, le printemps dernier, trois jeunes hommes se sont enlevé la vie. Ils avaient grandi en pensant qu'ils deviendraient des pêcheurs comme leur père et leur grand-père dans notre collectivité. Nos fils nourrissent cette ambition dès leur jeune âge. C'est tout ce à quoi ils aspirent. Mon fils de 19 ans a toujours souhaité devenir un pêcheur plus tard; aucun autre métier ne l'intéressait. Maintenant, j'en suis réduit à lui dire qu'il doit retourner à l'école, qu'il n'a pas le choix.
Nous avons besoin de l'aide du ministère des Affaires indiennes pour résoudre les problèmes sociaux que nous connaissons aujourd'hui. Nous avons besoin d'une aide financière d'urgence pour aider nos collectivités, avant que la situation ne s'aggrave encore. Il y a eu trois suicides dans ma localité l'hiver dernier. Or, la dernière campagne de pêche a été pire que celle de l'an dernier. J'ai peur de répondre au téléphone à 22 heures ou à 7 heures du matin, car j'appréhende d'apprendre qui aura été la prochaine victime dans l'une ou l'autre de nos localités.
Ces problèmes ne sont pas particuliers à notre région. Ils sévissent sur les côtes ouest et nord de l'île de Vancouver, de même que dans les îles de la Reine-Charlotte, partout.
Je vous demande, honorables sénateurs, de nous donner votre appui relativement à ces trois requêtes, afin qu'à notre retour chez nous, nous puissions dire à nos gens qu'on aperçoit la lumière au bout du tunnel. Dans l'état actuel des choses, ils n'entrevoient aucune lueur d'espoir. Ils ne croient plus en rien.
Merci beaucoup de nous avoir consacré de votre temps. Y a-t-il des questions?
Le sénateur Chalifoux: D'abord, je tiens à vous remercier tous de votre comparution devant notre comité.
Je viens du nord de l'Alberta. Nous y avons abondamment entendu parler de ces questions parce qu'au fil des ans, nombre de nos gens sont allés s'établir sur la côte Ouest pour y pratiquer la pêche commerciale. Il semble que nous fassions un peu la navette entre nos deux régions.
J'ai une question à poser à M. Victor Kelly. Parlez-moi de la route devant relier votre collectivité au réseau routier principal. Je n'ai pas réussi à écrire suffisamment vite pour en prendre bien note.
M. Kelly: Cette route partirait du territoire de la bande des Lax Kw'alaams. Sur vos cartes, cette localité porte le nom de Port Simpson. Je veux parler d'une route qui la relierait à Prince Rupert.
Le sénateur Chalifoux: Donc, entre Port Simpson et Prince Rupert.
M. Kelly: Oui. Nous avions entrepris de la construire nous-mêmes avec l'argent provenant des opérations forestières, mais nous avons fait faillite. Le ministère des Affaires indiennes a saisi notre bois et a mis en faillite notre société d'exploitation forestière. Nous n'avons donc plus les ressources voulues pour achever les travaux. Nous sollicitons l'aide du gouvernement fédéral à cet égard. Nous avons obtenu des engagements du gouvernement provincial, mais rien encore du gouvernement fédéral.
Le sénateur Chalifoux: Pourquoi a-t-on saisi votre bois?
M. Kelly: Nous avons demandé au bureau du ministère à Vancouver quel était le problème et pourquoi aucun de ses représentants ne venait sur place.
Le sénateur Chalifoux: Je trouve cette situation épouvantable. Bien que j'en aie déjà entendu parler, le fait de me la voir décrite directement m'y sensibilise davantage.
Je suis vice-présidente du caucus des députés ministériels du Nord et de l'Ouest canadien. Tout ce qui touche la Colombie-Britannique relève de notre groupe. Je ne peux rien vous promettre, mais je vous garantis que votre message sera fidèlement transmis à notre groupe.
Mme Hunt: Voilà ce que nous souhaitons. Merci. Malheureusement, nous avons un autre rendez-vous immédiatement au sortir de cette séance, mais nous serons heureux de revenir une autre fois, si vous le jugez utile, et également si un plus grand nombre des vôtres devaient être présents.
Le président: Le sénateur Adams a quelques questions à vous poser, et je vous en réserve moi-même quelques-unes passablement difficiles. Vous nous avez fait part de certains sujets de préoccupation qui méritent un examen sérieux. J'ignore dans quelle mesure notre comité pourra vous aider. Nous avons écouté attentivement ce que vous aviez à nous dire, mais peut-être auriez-vous besoin de quelque chose de plus percutant que cela pour faire valoir votre cause et la promouvoir auprès de l'ensemble des parlementaires.
Le sénateur Adams: Merci d'être venus à Ottawa. Je vais vous rencontrer de nouveau demain matin quand vous comparaîtrez devant le Comité sénatorial des pêches.
Pour l'instant, j'aimerais savoir si les 400 millions de dollars dont vous avez parlé vont entièrement à votre collectivité ou plutôt à tous les pêcheurs de la Colombie-Britannique qui font partie du syndicat des pêcheurs de saumon. Pensez-y ce soir. Le sénateur Chalifoux et moi-même faisons partie du même caucus. Nous recevons parfois la visite du ministre Anderson au comité, et peut-être aurons-nous l'occasion de lui parler des inquiétudes de vos collectivités concernant les pêches.
Mme Hunt: Les 400 millions de dollars ne s'adressent pas uniquement à la collectivité des pêcheurs commerciaux ou à celle des pêcheurs autochtones. Une partie de l'argent est destiné au secteur de la pêche sportive. Une autre partie va aux entreprises qui ont souffert dans les petites localités. Les sommes sont disséminées fort parcimonieusement. On a déjà fini de les affecter. Le ministre Anderson a fait savoir qu'il ne donnerait pas d'aide financière de transition aux pêcheurs déplacés sur le littoral de la Colombie-Britannique.
M. Gerald Keddy, député de South Shore (Nouvelle-Écosse): Je tiens d'abord à remercier nos témoins. Vous avez dû passer une journée très longue et très pénible. Je vous ai rencontrés dès 8 heures ce matin, et vous êtes encore à l'ouvrage. Vous avez beaucoup d'endurance.
Vos remarques ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd. Nous avons parlé de la situation sur les côtes Est et Ouest. Mes propos de ce soir ne s'adressent pas tellement à vous, chers amis, mais plutôt à nos collègues du Sénat et aux députés qui sont ici présents. Je connais fort bien ce dont nos amis de la côte Ouest veulent parler.
Je suis député de la circonscription la plus importante au Canada en matière de pêche pour ce qui est de la valeur des prises au débarquement -- je veux parler de la côte sud de la Nouvelle-Écosse, où la pêche se pratique encore --, et je puis vous dire que nous avons vécu une situation semblable dans mon coin. Nous avons subi tout ce que vous décrivez. Il est irresponsable et manifestement injuste de n'avoir pas élaboré de plan dans le but de permettre à ces villages, à ces collectivités et à ces gens de survivre -- je veux parler des pêcheurs autochtones et non autochtones de la côte Ouest du Canada --, alors que le gouvernement a pris soin de venir en aide aux gens de la côte Est que l'interdiction de la pêche à la morue avait placés dans une situation proprement catastrophique. Dans ma circonscription, il y a 4 000 personnes qui profitent de la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique. À Terre-Neuve, il y en a 30 000 autres.
Bill Matthews, qui représente une circonscription terre-neuvienne, s'est adressé à vous ce matin. Cette circonscription compte 130 villages de pêcheurs, dont 40 sont isolés. Leur situation est fort similaire à la vôtre.
Le gouvernement doit faire quelque chose. Il est impérieux que nos collègues du Sénat et de l'autre côté de la Chambre s'occupent de cette question. Quant à nous, soyez assurés que nous allons le faire. Il demeure toutefois très important que vous exerciez des pressions sur les représentants du parti ministériel.
Une autre chose qu'il vous faudrait examiner, c'est la possibilité d'obtenir des fonds de DRHC. Nous en avons obtenu, quant à nous. Je suis arrivé en politique vers la fin de ces événements, mais cette question m'est très familière.
Dans notre cas, nous pouvions nous tourner vers d'autres espèces. Sur le littoral sud, nous ne dépendions pas uniquement d'une espèce de poisson. À Terre-Neuve, la situation s'est présentée, dans le cas de la pêche à la morue, exactement de la même façon que chez vous pour ce qui est de la pêche au saumon, sauf que la morue avait complètement disparu. Elle revient tranquillement.
On peut obtenir du financement pour l'exploitation d'autres espèces. Ce qu'on se dit sur la côte Est, c'est qu'il y a d'énormes marchés qui s'offrent à nous pour écouler toutes sortes d'autres espèces sous-utilisées. Nous vendons du poisson au Japon, en Chine et en Corée.
Nous venons tout juste d'ouvrir une usine d'extraction des oeufs d'oursin. Nous faisons la pêche au hareng sur une haute échelle principalement pour en recueillir les oeufs. On ne vend même pas les résidus du poisson. Peut-être pourriez-vous envisager de vous lancer dans l'exploitation d'autres espèces.
On fait preuve d'une désespérante incapacité de comprendre ce problème. Nous avons connu la même situation, sauf que les conditions étaient pires encore dans notre cas. Trop de pêcheurs exploitaient la même ressource. Vous verrez, dans une des pages du livre que vous êtes en train de lire, que le gouvernement a imposé des frais d'inspection pour les bateaux à vapeur. Il a refusé d'assumer le coût des assurances. Je me suis entretenu avec un de mes électeurs qui est propriétaire d'un cordier-chalutier de 65 pieds valant 1,2 million de dollars. Il l'a vendu pour 350 000 $. Il n'avait pas le choix. Actuellement, personne ne veut acheter de bateaux dans cette région. Vous pouvez aussi envisager d'autres régimes de quotas, comme celui des quotas individuels transférables, mais vous emprunteriez là une pente savonneuse.
Le MPO doit assumer ses responsabilités en ce qui concerne non seulement la préservation des stocks, mais aussi la survie des collectivités qui en dépendent.
Le président: Je suis bien placé pour comprendre ce problème, car je suis moi-même pêcheur commercial. Je pêche le saumon dans le Nord du Québec.
Avez-vous envisagé de réclamer des indemnités du genre de celles qui ont été offertes aux pêcheurs de la côte Est? Un tel programme vous permettrait-il de franchir les deux années qui s'écouleront d'ici à ce que, comme nous l'espérons, vous puissiez vous remettre à pêcher?
M. Henderson: Nous avons rencontré le ministre dans sa circonscription. Nous lui avons précisément demandé des renseignements à ce sujet. Tout ce qu'il a trouvé à nous dire, c'est que notre problème était entièrement différent de celui la côte Est. Il nous a dit que, dans notre cas, il y a encore du poisson et que les deux situations n'étaient nullement comparables. Voilà ce qu'il nous a répondu quand nous lui avons posé la question. On a dépensé des milliards et des milliards dans l'Est. Pourquoi n'obtenons-nous que 400 millions de dollars? Nous lui avons posé la question.
Le président: Seriez-vous encore désireux d'obtenir cette information?
M. Henderson: Bien sûr.
Le président: Notre comité fera l'impossible pour qu'on vous renseigne à cet égard.
En tant qu'autochtones, vous avez des droits. Si je comprends bien, le gouvernement ne vous écoute pas ou ne veut pas entendre ce que vous avez à lui dire. Si tel est le cas, il y a d'autres possibilités qui s'offrent à vous Si la voie politique ne donne pas de résultats, ne pourriez-vous pas faire pression sur le gouvernement par des moyens juridiques? Peut-être préférerez-vous ne pas aller au bout d'une telle procédure, mais du seul fait de l'avoir entamée, vous pourriez au moins amener le gouvernement à comprendre que vous êtes sérieux et que vous avez des problèmes. Si vous ne recourez pas à ce genre d'action vigoureuse, vous risquez que le gouvernement ne bouge pas.
Mme Hunt: La bande de Richard Morgan a entrepris d'intenter une poursuite contre le ministère des Pêches et des Océans à propos non seulement des événements qui sont survenus ces deux ou trois dernières années, mais de l'ensemble du traitement qu'on lui réserve depuis toujours en matière de pêche. Elle a entamé des procédures en ce sens il y a environ deux semaines; vous devriez donc en entendre parler d'ici peu.
Le président: A-t-on essayé d'obtenir que l'affaire soit traitée de manière expéditive?
Mme Hunt: Oui, on l'a fait.
M. Henderson: Une des choses qui me préoccupe à cet égard, c'est que les programmes qu'on met en oeuvre actuellement créent des divisions. Une des raisons qui l'expliquent, c'est que nous sommes des investisseurs autochtones qui pratiquent la pêche commerciale. Les nouvelles règles et les nouveaux règlements découlant de l'arrêt Sparrow ont eu des conséquences pour nos collectivités du littoral. Nombreux sont ceux qui ne le comprennent pas. Les pêcheurs aussi bien de la côte Est que de la côte Ouest devraient le comprendre.
Nous serions ravis de pouvoir pratiquer la pêche au même titre que quiconque. Cependant, nous ne savons pas trop quelles stratégies et quelles politiques il conviendrait d'adopter?
M. Mike Scott, député de Skeena (Colombie-Britannique): Plusieurs des personnes touchées sont de ma circonscription, et je tiens à faire savoir aux sénateurs que j'appuie fermement leur position. Je suis bouleversé de voir dans quelle situation ils se retrouvent sans qu'ils y soient pour quoi que ce soit. Je vous exhorte à faire l'impossible -- et à cet égard je suis prêt à vous aider de mon mieux -- pour obtenir qu'on s'emploie résolument à la recherche d'une solution aux problèmes dont on nous a fait part ici ce soir.
Le président: Serait-il possible qu'on nous tienne au courant du progrès des procédures judiciaires qu'on a entamées?
Mme Hunt: Oui. Je vais demander à M. Morgan de veiller à ce que son chef vous transmette la documentation pertinente.
M. Keddy: Si vous attendez après les avocats, vous avez le temps de crever de faim.
Le président: C'est l'une des raisons pour lesquelles j'opterais pour une procédure expéditive plutôt que normale.
M. Henderson: L'autre jour, j'ai tenté, avec l'aide d'un membre de mon personnel au bureau de la bande, d'établir à combien pourrait s'élever au total le montant des indemnités. Nous nous sommes demandé combien nos pêcheurs auraient fait en moyenne lors de la dernière campagne de pêche. Nous en sommes venus à la conclusion qu'il se serait agi d'environ 10 000 $ pour les membres d'équipage de ces bateaux.
Le président: À combien de personnes songez-vous?
M. Henderson: À 81 personnes -- seulement dans notre village.
Le président: Vous parlez de revenus de 10 000 $ par bateau?
M. Henderson: Ce chiffre concerne les membres d'équipage. Le revenu brut provenant de la pêche aurait été d'environ 120 000 $.
Le président: D'accord. Je vois.
M. Henderson: Le montant de revenu net que tout le monde avance se situerait aux alentours de 15 000 $. Le propriétaire d'un bateau aurait fait quelque 50 000 $. Le montant total net auquel je suis arrivé, seulement pour que notre village puisse se rendre jusqu'à la prochaine campagne de pêche à laquelle on lui permettra de participer, c'est-à-dire celle de la pêche au hareng, est de 1,4 million de dollars. Il inclurait le versement d'indemnités provenant des fonds la caisse de l'AE destinés à la formation de la main-d'oeuvre.
Le président: Avez-vous en main toute cette information?
M. Henderson: Oui, j'en ai le texte original.
Le président: Peut-être pourriez-vous nous en faire parvenir copie.
Merci de votre présence ici ce soir. Nous allons faire tout ce que nous pouvons pour vous venir en aide et pour nous assurer que vous allez être entendus.
Mme Hunt: Merci. Certains ont parlé de la préservation du coho. Il est important de faire remarquer que la seule espèce qui est menacée sur la côte Ouest cette année, c'est celle des pêcheurs commerciaux.
La séance est levée.