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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 25 - Témoignages du 13 avril 1999 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le mardi 13 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à, 17 h 20, pour étudier en vue d'en faire rapport l'autonomie gouvernementale autochtone.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, la séance est maintenant ouverte. Nous accueillons M. Mark Dockstator qui va nous faire un exposé.

M. Mark Dockstator, professeur d'études autochtones, Université Trent: Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à témoigner devant le comité. J'ai comparu ce matin avec la délégation de l'Assemblée des chefs du Manitoba, mais je vous signale que je comparais maintenant à titre de professeur d'études autochtones. Je travaille aussi pour le compte de l'Assemblée des chefs du Manitoba, mais je ne témoigne pas maintenant à ce titre. Les dirigeants politiques de l'assemblée parlent en son nom.

Je souhaite aujourd'hui vous donner un aperçu des questions liées à l'autonomie gouvernementale, mais peut-être aussi du mécanisme d'interface de ce qui est en train de devenir la nouvelle relation structurelle entre les autochtones et l'ensemble de la société canadienne.

Je vous ai remis un mémoire de dix pages auquel vous pouvez vous reporter. Je me servirai cependant pour cet exposé de ce grand diagramme qui est semblable aux diagrammes qui figurent à la page 7 du mémoire.

La figure numéro 2 présente la perspective occidentale des changements fondamentaux proposés par la CRPA.

Ce diagramme s'inspire du modèle qui a servi de base à la CRPA pour la rédaction de son rapport final. La commission s'est efforcée de faire l'historique de la relation entre les peuples autochtones et les peuples occidentaux depuis 500 ans. Après avoir examiné plusieurs modèles, la commission a choisi celui-ci -- que j'ai mis au point dans le cadre de la rédaction de ma thèse de doctorat en droit -- qui repose sur les enseignements traditionnels. J'ai essentiellement pu mettre au point ce modèle grâce aux renseignements que j'ai obtenus de divers aînés.

Ce modèle vise à présenter les deux perspectives historiques. Elles nous permettent ensuite de comprendre pourquoi les gens qui utilisent les mêmes termes les interprètent de façon tout à fait différente ainsi que les conséquences de mécanismes d'interface.

Ce diagramme fait le point sur l'évolution de l'histoire de la société occidentale et de la société autochtone en Amérique du Nord au cours des 500 dernières années. La ligne du haut représente la société européenne occidentale. La ligne du bas représente les sociétés autochtones. Le premier diagramme vise à expliquer le concept de l'histoire dans la perspective de la société européenne occidentale non autochtone. L'interaction entre ces deux sociétés repose sur une conception très précise de l'histoire. C'est l'histoire qu'on m'a enseignée lorsque je suis allé à l'école. À l'université, j'ai dit que je n'étais pas d'accord avec cette conception de l'histoire et on m'a demandé de présenter la mienne. Je savais bien qu'il existait une autre conception de l'histoire que je ne connaissais cependant pas à ce moment.

Permettez-moi d'abord de vous présenter la conception occidentale de l'histoire. Lorsque les deux sociétés sont entrées en contact en Amérique du Nord, la société occidentale n'a pu que constater l'existence de la société autochtone, mais ne lui a pas reconnu le statut de civilisation. Autrement dit, la société autochtone n'avait pas les institutions politiques autonomes qui auraient fait en sorte que la société occidentale la reconnaisse comme société civilisée. En vertu du concept juridique de terra nullius, les Européens ont estimé avoir droit de prendre possession des terres qu'ils découvraient parce que les peuples autochtones n'avaient pas les institutions politiques propres aux nations. La ligne pointillée sur le modèle représente les milliers d'années d'histoire en Amérique du Nord dont l'existence n'a pas été officiellement reconnue tant au point de vue juridique qu'au point de vue sociétal.

À partir d'une certaine date, les Européens ont cependant reconnu l'existence juridique aux autochtones. Ainsi, la Proclamation royale accordait certains droits aux peuples autochtones. Les deux sociétés ont pendant un certain temps coexisté dans une égalité relative jusqu'à ce que les autochtones soient exclus de la société dominante qui devenait une société européenne au Canada.

Les autochtones sont devenus des personnes déplacées et ont commencé à être considérés comme des citoyens de deuxième classe. Autrement dit, les autochtones jouissaient de droits inférieurs à ceux des membres de la société dominante.

Le déplacement des autochtones devait être temporaire. On s'attendait à ce que les concepts traditionnels sur lesquels reposaient ces nations disparaissent. On s'attendait à ce qu'ils vivent en périphérie de la société. La création des réserves remonte à cette époque. La Loi sur les Indiens et les traités devaient faciliter ce déplacement temporaire des autochtones. Ces mécanismes devaient permettre de civiliser les autochtones. Grâce à eux, les autochtones apprendraient à gouverner, à assumer la propriété de leurs terres et à exercer de façon responsable leur droit d'électeur -- une personne, un vote. On s'attendait à ce que les autochtones s'intègrent à un moment donné dans la société dominante et à ce que les droits qu'on leur avait accordés disparaissent alors.

La Loi sur les Indiens ainsi que les traités conféraient certains droits aux peuples autochtones. Quand des droits sont concédés à des gens, on peut également les leur enlever. On croyait que les peuples autochtones disparaîtraient un jour comme entité distincte au sein de la société canadienne. Quand on s'est rendu compte que cela ne se produirait pas, on a commencé à parler du «problème indien». Autrement dit, les autochtones ne s'assimilaient pas et ils continuaient de vivre à la périphérie de la société. C'est à partir de ce moment qu'on a cherché à trouver une solution à ce qu'on considérait comme un problème.

En 1969, le gouvernement Trudeau a présenté un livre blanc qui proposait une solution facile à ce problème. Le livre blanc reposait sur la conviction qu'il suffisait, pour régler le problème, de se débarrasser des traités et de la Loi sur les Indiens. Le livre blanc reposait sur la thèse voulant que le système actuel s'effondre et que les autochtones soient désormais traités avec équité dès que les mécanismes qui le sous-tendaient seraient démantelés.

L'objectif du livre blanc, parrainé par Jean Chrétien, alors ministre des Affaires indiennes, était d'éliminer le système régissant les peuples autochtones. Le gouvernement fédéral devait cependant s'acquitter de certaines obligations juridiques envers les autochtones. À titre d'exemple, si un traité prévoyait la cession aux autochtones de 128 acres de terrain, mais que seulement 100 acres leur avaient été concédées, le gouvernement continuait de leur devoir 28 acres. Lorsque le gouvernement se serait acquitté de ses obligations juridiques et qu'on aurait démantelé le ministère des Affaires indiennes après la période de cinq ans prévue, on s'attendait à ce que le problème disparaisse.

Le livre blanc de 1969 a évidemment abouti à un échec en raison surtout du très mauvais accueil que lui ont réservé les Premières nations. Par suite d'autres événements de décisions rendues par la Cour suprême du Canada, il a été décidé qu'il convenait peut-être de négocier une nouvelle relation. L'idée de l'autonomie gouvernementale venait de naître.

Du point de vue historique, après les audiences constitutionnelles, on a commencé à penser que les autochtones avaient peut-être été traités un peu trop durement, qu'on leur avait peut-être enlevé trop de droits, qu'on les avait traités comme des citoyens de deuxième classe et qu'il conviendrait de rétablir certains de leurs droits.

L'autonomie gouvernementale consiste à remettre des autorités en place -- en l'occurrence la Loi sur les Indiens, les gouvernements des bandes -- à les renforcer en leur donnant plus de pouvoirs. Voilà ce que signifie l'autonomie gouvernementale et ce que comporte la théorie de la dévolution des droits.

Je viens de vous exposer la perspective historique qui m'a été enseignée à l'école, y compris à l'école de droit. Lorsque je faisais mes études de droit, on m'a appris qu'un traité était un contrat, c'est-à-dire une mesure temporaire qui pouvait être supprimée une fois qu'on en avait exécuté les dispositions. Les traités visaient à rassembler les autochtones dans des réserves, à leur donner des vaches, des charrues et une certaine forme d'autonomie aux termes de la Loi sur les Indiens, mais on pouvait ensuite se débarrasser du traité une fois que tout cela serait en place. J'ai fait valoir que ce n'était pas la façon dont je comprenais le sens d'un traité et qu'un traité, pour moi, c'était un document sacré confirmant une relation entre deux nations. Personne, pas même les professeurs qui m'enseignaient à l'époque, ne comprenait ce à quoi je faisais allusion.

J'ai alors décidé de poursuivre des études menant à un double diplôme. Je me suis mis à étudier le savoir traditionnel tout en poursuivant mes études universitaires afin de voir comment concilier ces deux types de connaissances. Voilà comment j'en suis arrivé au modèle que je vous présente.

Selon les autochtones, l'histoire autochtone en Amérique du Nord a pour point de départ l'époque que je vous montre sur ce diagramme. Les peuples autochtones avaient à cette époque des institutions et une civilisation différentes de celles des pays occidentaux mais tout aussi valables.

Selon la version autochtone des événements, lorsque les deux sociétés sont entrées en contact, leurs représentants ont conclu un accord. Une relation de nation à nation fondée sur l'égalité s'est alors établie entre les deux sociétés. La ligne que je vous montre sur le diagramme représente l'évolution de cette relation. Contrairement à la version occidentale de l'histoire, cette relation de nation à nation s'est poursuivie jusqu'à l'époque actuelle. Elle n'a jamais cessé d'exister.

La ligne pointillée indique que la relation de nation à nation n'a peut-être pas toujours été reconnue par la majorité de la société, mais qu'elle n'a jamais changé. Cette relation n'a jamais pris fin. Voici où s'arrêtent les traités sur la ligne pointillée du diagramme. Un traité n'était pas un contrat rédigé pour déplacer les autochtones et leur enlever leurs droits. Un traité réaffirmait la relation initiale de nation à nation, une relation fondée sur l'égalité. Il est évident que cette relation a cependant évolué.

Par conséquent, lorsque les Premières nations parlent d'autonomie gouvernementale, elles se reportent à cette relation, c'est-à-dire à cette ligne pointillée que je vous montre sur le diagramme.

Cette ligne pointillée est le point de départ de la relation qui s'est établie entre les peuples autochtones et la société canadienne. Au cours des discussions constitutionnelles, lorsque tout le monde parlait d'autonomie gouvernementale, personne n'interprétait de la même façon ces mots.

Voilà comment nous avons abouti à la théorie de la boîte pleine et de la boîte vide. Selon cette théorie, la société occidentale est d'avis que la boîte est déjà pleine en ce qui touche les droits conférés aux autochtones aux termes de l'article 35 de la Constitution. Cette théorie repose sur la thèse que les droits déjà définis par les tribunaux, des droits très peu étendus, remplissent la boîte et que rien d'autre ne peut y être ajouté.

Par ailleurs, les autochtones estiment que le point de départ est cette ligne pointillée et que la boîte est vide.

Les droits qu'on a déjà reconnus aux autochtones constituent le fond de la boîte et il nous appartient de remplir cette boîte avec les droits qui existent mais qui ne nous ont jamais été reconnus.

J'ai constaté jusqu'ici que ceux qui parlent d'autonomie gouvernementale n'interprètent pas de la même façon ce concept. Nous parlons donc tous de la même chose en français ou en anglais, sans cependant nous entendre sur le concept lui-même.

Je tiens donc à faire remarquer qu'il importe de tenir compte aujourd'hui lorsque nous discutons de l'autonomie gouvernementale du fait qu'on ne s'entend pas sur le sens à donner à ce concept. Il existe toujours aujourd'hui deux versions différentes de l'histoire et l'expression la plus récente en est l'arrêt Delgamuukw dans lequel le juge McEachern, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dit penser comme Hobbes qu'avant d'entrer en contact avec les peuples occidentaux, les peuples autochtones connaissaient une vie dure, brutale et brève, et que ces peuples ne pouvaient pas être considérés comme des peuples civilisés. Il a aussi ajouté qu'on ne pouvait pas considérer que ces peuples jouissaient de l'autonomie politique puisqu'ils ne constituaient pas des nations.

La Cour suprême du Canada cependant dit exactement le contraire. La position de la Cour suprême correspond à la ligne continue. Elle a statué que certaines conséquences découlaient du fait que les autochtones étaient autonomes et qu'ils appartenaient à une civilisation.

La teneur des discussions actuelles reflète les deux perspectives historiques que je vous ai exposées. Comme ces concepts ne sont pas clairs, ils sont source de confusion plutôt que de clarté.

Le président: La théorie de la boîte pleine et de la boîte vide a vu le jour après 1982. Dites-vous que l'article 35 est la théorie de la boîte vide?

M. Dockstator: Je parle de l'existence de deux concepts différents sur la signification des droits autochtones. Le concept de la société occidentale est que les droits autochtones existants signifient que la boîte est pleine; que c'est une façon de percevoir les droits existants, les sortir de la boîte, les définir puis coucher tout cela sur papier.

Le président: Vous ne dites pas cependant que l'article 35 représente une boîte vide?

M. Dockstator: Non.

Le président: Si vous étudiez la question du point de vue des autochtones, c'est une théorie de la boîte pleine. Cependant, le voisin pense peut-être qu'il s'agit là d'une concrétisation de la théorie de la boîte vide, selon votre point de vue et vos antécédents.

M. Dockstator: C'est exact. Il y a deux façons de voir les choses. Le diagramme essaie de faire ressortir que c'est dans la même langue, soit «les droits autochtones existants», mais qu'il existe cependant deux concepts différents.

Le président: Je voulais m'assurer qu'on comprenait bien. Je craignais qu'on ne s'entende pas sur la question, vous et moi. Cependant je vois qu'on est du même avis.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie de votre exposé.

Dans votre curriculum vitae, il est dit que vous avez été commissaire de la commission d'enquête crie-naskapie. Les commissaires actuels ont comparu devant notre comité pour discuter de la création d'un tribunal qui s'occuperait des questions autochtones et qui serait visé par une mesure de temporarisation. Ils jugeaient que c'était nécessaire parce que les gouvernements ne respectent pas les engagements qu'ils ont signés en ce qui a trait à leur mise en oeuvre.

Qu'en pensez-vous?

M. Dockstator: C'est une question épineuse, une question que la CRPA, la Commission royale sur les peuples autochtones, n'a pas voulu aborder. On a établi la structure et dit qu'il fallait apporter des modifications structurelles fondamentales. Il y a diverses façons d'y parvenir, mais on n'a pas parlé du mécanisme d'interface, uniquement parce que comme je l'ai signalé c'est une question délicate.

Pour ce qui est de l'autonomie gouvernementale -- et peut-être puis-je utiliser un autre diagramme pour mieux m'expliquer. Pendant les années 70, après l'affaire Calder, toute l'attention était tournée vers le territoire. À l'époque on jugeait qu'il n'y avait pas de distinction entre le territoire et l'autonomie gouvernementale. En d'autres termes, si vous régliez le problème du territoire, vous régliez le problème de l'autonomie gouvernementale parce que les deux étaient indissociables -- c'est-à-dire si vous reconnaissiez une autonomie gouvernementale.

Après la publication du Livre blanc en 1969 et jusqu'en 1973, on ne reconnaissait pas la notion de l'autonomie gouvernementale. C'est pourquoi on concentrait tous les efforts sur le territoire. S'il y avait autonomie, c'était lié au territoire comme dans le cas de la baie James, enfin c'est ce qui a donné naissance à la commission crie-naskapie.

Il y a déjà plus de 20 ans que nous élaborons des mécanismes touchant les rapports mais simplement en ce qui a trait au territoire; par exemple, la Commission sur les Indiens de l'Ontario, le Bureau du commissaire aux traités, la Commission du traité de la Colombie-Britannique et la Commission sur les revendications particulières des Indiens et ce qui se déroule actuellement. Le problème c'est que tous les efforts sont concentrés sur le territoire. Ce n'est que depuis les cinq dernières années qu'on se concentre sur l'autonomie gouvernementale. Cependant aucun mécanisme au sein du système ne prévoit cette autonomie.

L'autonomie gouvernementale, si on la compare aux questions territoriales, est beaucoup plus compliquée. Quand on parle de territoire, il faut peut-être s'intéresser à un ou deux groupes ou dans le cas du gouvernement à un ou deux ministères. L'autonomie gouvernementale touche tout l'éventail, tous les organismes d'exécution et à certains égards a un impact sur chaque ministère. C'est beaucoup plus compliqué. L'interface est plus complexe, mais il n'existe aucun mécanisme visant à faciliter les négociations sur l'autonomie gouvernementale sur lequel axer le débat.

Enfin, tout a visé, par le passé, le territoire. Au cours des deux dernières années, tout le monde a essayé d'intégrer les questions gouvernementales dans les responsabilités des organismes qui s'occupent des territoires plutôt que de constituer de nouveaux organismes qui ne s'occuperaient que de l'autonomie gouvernementale.

À mon avis, il importe de mettre sur pied un mécanisme qui permettra aux autochtones et à la société dominante canadienne de discuter de la question de l'autonomie gouvernementale.

Le sénateur St. Germain: J'ai une question à poser au sujet de la création d'un troisième palier de gouvernement qui est prévue dans l'accord Nishga sur la côte Ouest.

Les détracteurs de l'accord dénoncent la façon dont le gouvernement local gère la question. La création d'un troisième palier de gouvernement inquiète beaucoup les habitants de la Colombie-Britannique. Que pensez-vous de cette question?

M. Dockstator: La réaction du public et ma réaction reposent sur deux facteurs bien différents.

La réaction du public s'explique principalement par ce tableau. La réaction du public repose sur l'idée -- c'est encore une fois la perspective historique occidentale -- que les autochtones en contrepartie des droits qui leur ont été accordés par le biais de traités et de la Loi sur les Indiens, après qu'on les eût déplacés et confinés à des réserves, devaient accepter de s'assimiler à la société dominante. L'entente, c'était que les Indiens seraient protégés jusqu'à ce qu'ils s'assimilent. Les autochtones n'ont pas honoré leurs engagements. Ils ne se sont pas assimilés, ce qui a donné lieu au problème indien.

Il y a un ressac chaque fois qu'on veut accorder plus de pouvoirs aux autochtones. Les gens répliquent qu'au départ ces droits ne devaient pas leur être accordés.

J'ai assisté aux discussions qui ont porté ce matin sur la question de l'identité. On a répandu l'idée voulant que l'identité autochtone ait été fabriquée par la société occidentale. C'est comme si, lorsque les deux mondes sont entrés en contact, il s'agissait «d'Indiens imaginaires». On a cru dès cette époque que les autochtones disparaîtraient bientôt. On prévoyait aussi qu'il y aurait un choc des cultures et que l'une d'entre elles disparaîtrait. On s'attendait évidemment à ce que ce soit malheureusement la culture autochtone qui disparaisse. La culture supérieure devait prendre le dessus. Entre-temps, on déplacerait temporairement les autochtones jusqu'à ce qu'ils disparaissent. Cette idée existe toujours, mais les autochtones ne disparaissent pas. En fait, ils réclament même plus de pouvoirs. Il est bien évident que cette situation ne peut donner lieu qu'à un ressac.

Ce ressac est inévitable. Il renvoie aux stéréotypes initiaux. Vous les retrouvez dans tous les textes et ils sont repris par tous les médias.

Le sénateur Gill: Lorsque je vois deux lignes parallèles comme celles-ci, je me dis qu'il ne sert à pas grand-chose d'essayer de tenter un rapprochement. Voilà ce que je reproche à ce scénario. Nous évoluons côte à côte et je crois que nous ne réglerons jamais le problème de cette façon.

Les Européens et les Premières nations vivent ensemble dans ce pays depuis longtemps. Nous devons réinventer notre relation. Nous n'avons pas fait grand-chose en ce sens jusqu'ici. Je cherche parfois des solutions. Nous devons d'abord trouver un moyen de nous comprendre. Nous n'y sommes pas parvenus jusqu'ici.

Nos perspectives historiques sont différentes ainsi que nos points de référence au sujet du mode de vie, de la société et de l'organisation de celle-ci. À quel type d'instrument pourrions-nous recourir pour nous aider à travailler ensemble et à mieux nous connaître afin que nous puissions travailler ensemble à édifier ce pays? Nous vivons tous sur les mêmes terres et nous exploitons les mêmes ressources. Au lieu d'avoir une partie qui réclame le droit à ces ressources -- et je parle ici des peuples autochtones --, ou une partie qui cherche simplement à faire plaisir aux Premières nations, peut-être par sentiment de culpabilité, que pouvons-nous faire pour collaborer ensemble? Je ne sais pas quels sont les sentiments des gens, mais ils essaient de régler ces problèmes. Le problème continue cependant d'exister. La relation n'existe pas.

Que proposez-vous que nous fassions? Prendre la relève des Affaires indiennes ou d'autres ministères et contrôler les peuples autochtones? Quelle est votre recommandation?

M. Dockstator: Ma recommandation est, tout d'abord, d'avoir une vision commune des deux façons différentes de voir l'histoire. Par exemple, pour ce qui est des autochtones, leur façon de voir l'histoire est telle qu'il n'est pas nécessaire de restructurer la nature fondamentale de la relation; elle existe déjà. Si nous avons un rapport de nation à nation, qui est défini par les traités et réaffirmé dans d'autres ententes, alors c'est ce que nous voulons. Selon le point de vue occidental, oui, nous devons avoir une restructuration fondamentale, car nous ne vous avons pas donné tant que cela et nous devons donc vous donner un peu plus.

Si nous pouvions trouver un terrain d'entente où les gens diraient: «Très bien, trouvons un terrain d'entente et essayons d'avoir une vision commune de l'histoire», alors on pourrait peut-être avoir une institution qui puisse comprendre ces problèmes.

Lorsqu'on entre dans les détails, on ne peut pas satisfaire l'une ou l'autre partie si on ne s'entend pas de façon générale sur le concept ou l'approche. La société occidentale veut un rapport à sens unique, de haut en bas. Les peuples autochtones disent que cela doit aller dans les deux sens -- comme on peut le voir sur le diagramme. Il y a un véritable gouffre qui les sépare. À moins que l'on puisse éliminer ce gouffre au départ, peu importe ce que l'on fait, on ne fera que prolonger le problème. Les peuples autochtones disent toujours que c'est un début, tandis que la société occidentale dit que c'est un moyen, une mesure temporaire.

À moins de pouvoir en arriver d'abord à une entente sur le concept global, lorsqu'on entre dans les détails ce n'est pas très utile. Je suis d'accord avec l'idée selon laquelle il faut commencer quelque part, et il s'agit peut-être d'un mécanisme d'interface. À l'heure actuelle, tout le monde travaille sur les revendications territoriales tandis que personne ne travaille sur l'autonomie gouvernementale. Reste à voir si pour les questions d'autonomie gouvernementale, il sera possible d'aller au-delà de tous les mécanismes qui ont été mis en place pour les questions liées aux revendications territoriales. Voilà le défi qu'il faut relever. S'il faut 25 ans pour le faire, comme cela a été le cas pour les revendications territoriales, alors il sera trop tard. Les choses évoluent beaucoup trop rapidement.

Le sénateur Mahovlich: Le livre blanc de 1969 visait-il à vous assimiler à notre société? Avait-on l'intention de se débarrasser de tous les traités?

M. Dockstator: Effectivement.

Le sénateur Mahovlich: Les gens qui sont sur les réserves veulent-ils y rester ou partir? Le gouvernement veut-il qu'ils restent sur les réserves ou qu'ils partent?

M. Dockstator: Une des caractéristiques très uniques du livre blanc de 1969 était que pour la première fois le gouvernement fédéral a énoncé sa politique à l'égard des peuples indiens. Il n'utilisait pas le mot «autochtone» à l'époque.

Jusqu'à ce moment-là, on pouvait toujours lire entre les lignes en ce qui a trait à la politique. Ce fut la première fois que l'on a dit officiellement que l'intention était d'assimiler le peuple indien. Pour y arriver, on allait supprimer les droits qui les rendaient distincts. Tout comme on peut accorder des droits par des traités et la Loi sur les Indiens, ils peuvent être retirés. Ils ont dit: «Nous allons éliminer le ministère des Affaires indiennes, la Loi sur les Indiens et les traités. Il n'y aura donc plus de droits spéciaux pour les Indiens. Ils n'auront plus aucun droit tout simplement parce qu'ils sont Indiens. Les seuls droits qu'ils ont sont les droits que nous leur accordons.»

Le sénateur Mahovlich: C'est scandaleux.

M. Dockstator: C'était aux Premières nations à l'époque.

Le sénateur Mahovlich: Qu'arriverait-il si on adoptait l'attitude suivante: «Donnons-leur certains incitatifs pour partir»? Pourquoi ne vous a-t-on pas donné des incitatifs? On nous a dit ce matin que l'éducation était la clé. Le gouvernement vous encourage-t-il à faire des études et à aller vous installer dans les villes? Je sais que les autochtones quittent les réserves. On me dit que c'est un gros problème à Winnipeg. Est-ce qu'ils quittent la réserve pour aller étudier ou tout simplement pour aller travailler dans les villes?

Ce que le gouvernement doit faire, c'est de vous donner des incitatifs pour vous amener à quitter les réserves et à poursuivre vos études. L'a-t-il déjà fait?

M. Dockstator: Le gouvernement et les autres organismes ont toujours incité les autochtones à quitter les réserves. Les réserves devaient être temporaires. Elles devaient disparaître après quelques années et c'est pourquoi certains traités ont été signés. Personne ne devait savoir que toutes les terres n'avaient pas été accordées aux autochtones puisqu'ils devaient disparaître. Ils disparaissent. Le gouvernement canadien ainsi que d'autres gouvernements comme celui des États-Unis ont toujours cherché à faire disparaître les derniers vestiges de l'identité indienne. C'est toujours leur politique.

Le sénateur Mahovlich: C'est ce que nous devrons changer.

M. Dockstator: Les autochtones estiment cependant -- et je crois que d'autres témoins vous le diront également -- qu'ils n'ont pas à renoncer aux dernières terres qu'ils possèdent. Ils font toujours face à un dilemme. S'ils veulent quitter les réserves, on les encourage à le faire. Il est cependant difficile pour eux de le faire si cela signifie qu'ils doivent renoncer à leur identité qui est très liée à la terre. Il est facile pour ceux qui ne sont pas autochtones de dire que les autochtones devraient s'installer ailleurs que dans les réserves. Mais ces terres sont tout ce qui reste aux autochtones. Elles leur sont chères.

Le sénateur Mahovlich: Notre comité a rencontré ce matin des représentants des Métis. J'ai eu l'impression que les Métis vivaient dans des villes. Ils ont cependant l'autonomie gouvernementale et ils possèdent des terres. Le gouvernement métis ne sera pas créé sur des terres qui appartiennent aux Métis. Ce gouvernement existera où que les Métis se trouvent en Alberta.

M. Dockstator: Il sera très difficile aux Premières nations de renoncer aux terres qu'elles possèdent puisque c'est tout ce qui leur reste.

Le sénateur Mahovlich: Je crois que les autochtones continueront de se sentir aliénés tant qu'ils ne trouveront pas leur place dans la société dominante. Le monde rétrécit de jour en jour. L'essentiel est que les jeunes poursuivent leurs études.

M. Dockstator: Pour ce qui est des réserves, une option ne devrait pas exclure l'autre. Les autochtones veulent s'intégrer dans la société dominante et conserver ce qu'ils possèdent déjà. Il ne s'agit pas de choisir une option plutôt qu'une autre. Nous ne voulons pas renoncer à ce que nous avons. Nous voulons conserver notre identité, la renforcer et établir une relation avec la société dominante. Il ne s'agit pas d'opter pour la politique qui a été jusqu'ici de faire quitter les réserves aux autochtones pour qu'ils s'intègrent dans la société dominante.

Le sénateur Pearson: Vous avez soulevé des questions intéressantes. J'ai trouvé utile ce que vous nous avez dit au sujet des traités et des différentes perceptions historiques.

Comme beaucoup de gens qui ont vécu dans différentes parties du monde, j'ai du mal à comprendre ce qu'on entend par «nation». Le Canada n'est pas une nation, mais un État. Il est constitué de deux nations. Le défi est de savoir comment établir des liens entre les différentes nations qui composent le Canada. Les Québécois sont une nation.

Comment régler le problème que pose l'existence de différentes nations au sein de l'État du Canada?

M. Dockstator: Il s'agit d'une question difficile qui est très opportune. Je me reporte toujours aux différentes perspectives historiques et au concept de l'Indien imaginaire. J'utilise ce terme parce qu'il apparaît dans la littérature populaire. Lorsque les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, ils ont fabriqué aux Indiens une identité qui leur est restée. Cette identité repose sur cette conception dualiste des Indiens. Les Indiens seraient bons et mauvais à la fois, nobles et sauvages. Leur société devait être admirée et aussi détestée. Leur société était considérée comme étant forte et leur culture raffinée, mais on pensait tout de même qu'elle disparaîtrait. On a toujours eu une perception positive et négative de la société autochtone.

Le même principe s'est appliqué aux peuples autochtones en ce qui concerne le statut de nation. C'est-à-dire que lorsque les Européens sont débarqués, ils ont dit «Nous ne pouvons pas les reconnaître en tant que nations parce que nous affirmons essentiellement qu'ils n'en sont pas.» Par conséquent, terra nullis. «Nous prenons possession des terres, nous sommes propriétaires du territoire.»

Cependant, ils ont dû signer des traités, et comme seules les nations peuvent signer des traités, les autochtones devaient jouir d'une autonomie gouvernementale et constituer des nations pour céder le territoire. D'où, «Vous n'êtes pas une nation, vous êtes une nation». Essentiellement, vous formez une nation lorsque cela nous convient.

Ce concept de nation existe encore aujourd'hui à l'égard des peuples autochtones, même dans le rapport de la CRPA. L'une des caractéristiques les plus insidieuses relativement aux peuples autochtones, c'est la dualité qui s'applique encore à l'image. Même la CRPA dit en effet: vous êtes une nation mais pas une nation. Vous avez le statut de nation, mais pas dans le même sens que nous constituons une nation -- si nous voulons nous définir nous-mêmes en tant que nation.

Tout le rapport de la CRPA est marqué par cette dualité qui dit dans les faits: oui, vous êtes une nation, même si vous n'êtes pas reconnus par le Canada; cependant, vous n'avez pas les pouvoirs d'une nation pour vous gouverner. Vous avez un statut quelque peu inférieur. Vous êtes quelque part au centre. Dans la jurisprudence canadienne, c'est ce qu'on appelle sui generis. Aux États-Unis, les autochtones forment des nations intérieures dépendantes. Nous ne pouvons pas décider entre les deux éléments de la dualité, nous allons donc couper la poire en deux et décider en chemin. Cependant, le statut de nation est probablement la question la plus épineuse.

Le sénateur Pearson: Est-ce qu'il ne serait pas plus utile d'établir la distinction et de parler d'État plutôt que de nation? Vingt pour cent de la génération actuelle de la population canadienne vient d'ailleurs. En fait, nous venons tous d'ailleurs.

Plus tôt, je parlais au sénateur Mahovlich de ses origines. Mes origines sont diverses: les Huguenots français, qui ont été chassés de France; les Écossais, qui ont été chassés d'Écosse; et les Irlandais, qui ont fui l'Irlande à cause de la famine. Aucun d'entre nous n'a le monopole de l'oppression. La plupart d'entre nous ont fui l'oppression. Je jongle avec ces concepts. Je peux composer avec des questions pratiques beaucoup plus facilement que je ne peux le faire avec des questions conceptuelles.

Je comprends ce que vous dites au sujet des traités et du contexte historique, mais l'histoire est si complexe. L'histoire des gens qui sont venus s'établir au Canada est complexe, et j'ai tendance à croire qu'il est plus pratique de dire: «Voici où nous en sommes. Est-ce que nous avons besoin d'un organisme indépendant pour suivre et soutenir les négociations relatives aux traités avec les autochtones?» Il me semble que c'est une question pratique à laquelle on peut répondre.

J'ai habité au Mexique pendant de nombreuses années, et les problèmes des autochtones y sont nombreux.

C'est un dossier extrêmement complexe. Affirmer qu'il y a une société canadienne homogène est une autre généralisation, et je ne sais pas où elle s'inscrit.

M. Dockstator: Vos commentaires sont pertinents, et ce modèle-ci se veut un modèle théorique fondé sur le niveau le plus élevé de généralisation. Je m'en sers uniquement pour souligner la nature fondamentale de la relation par rapport aux détails. J'ai créé ce modèle parce que ce secteur d'étude est très complexe. Non seulement il faut envisager des contacts qui s'échelonnent sur 500 ans, mais aussi tenir compte de la diversité des cultures, des nations, des valeurs, et de la structure juridique complexe qui encadre le tout. Pour que les gens puissent comprendre la situation et les facteurs fondamentaux qui entrent en jeu, nous avons besoin d'un modèle simplifié. Lorsque vous parlez des questions contemporaines, il vous faut comprendre d'abord les différences.

Lorsque l'on discute de la conception de mécanismes d'interface entre les deux sociétés, l'une des critiques que l'on exprime, c'est qu'elles ne constituent qu'une extension de ce qui existe déjà. Tout ce qu'on fait, c'est d'essayer ce qui a déjà été tenté auparavant, c'est-à-dire d'assimiler. Pour opérer une restructuration, il faut connaître les motifs de cette restructuration, et ce modèle tente de jeter les bases.

Le sénateur Pearson: Je comprends cela, mais je reviens au Québec, où on parle non pas de deux sociétés mais, au moins, de trois.

M. Dockstator: L'idée selon laquelle on peut représenter la société autochtone par une ligne, alors qu'il y a plus de 500 nations, est, certes, trop généralisée mais, sans cela, les détails tendent à obscurcir les concepts.

Le sénateur Austin: Monsieur, j'aimerais discuter avec vous brièvement du concept américain de nations dépendantes. Est-ce un concept généralement accepté dans le système judiciaire américain? Cela a-t-il été accepté par les communautés autochtones en général aux États-Unis?

M. Dockstator: C'est un principe juridique assez bien établi et beaucoup de choses sont fondées là-dessus. Leurs formes de gouvernement, les formes tribales de gouvernement, sont fondées sur le concept juridique de nation dépendante, souveraine mais à l'intérieur d'un pays et dépendante. Là encore, il y a cette dualité. C'est une nation qui s'autogouverne, mais pas comme nous. Il y a une différence, et c'est la façon dont c'est défini dans la jurisprudence américaine.

Le sénateur Austin: Estimez-vous qu'en général les autochtones aux États-Unis comprennent ce principe et vivent pratiquement selon le principe de nation dépendante arrêté par la Cour suprême des États-Unis?

M. Dockstator: Comme dans tous les cas où il y a deux gouvernements, il y a toujours des difficultés dans les relations entre gouvernements et dans la façon dont cela fonctionne, mais ils ont de nombreuses années d'expérience et ont surmonté beaucoup de ces difficultés. On peut avoir une nation souveraine avec son propre tribunal et sa propre force de police ainsi qu'une compétence extraterritoriale et régler tous ces détails. Cela se fait aux États-Unis dans différents cas.

Le sénateur Austin: Cette question est très générale, mais estimez-vous que le processus que nous avons entrepris au Canada est, du point de vue pragmatique, dirigé dans le même sens, quels que soient les termes utilisés?

M. Dockstator: Si j'utilise ce modèle, c'est parce qu'il s'applique assez bien à toute situation, qu'on se trouve en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis ou au Canada. Lorsque les Européens ou la société occidentale sont entrés en contact avec la société autochtone, c'est le modèle qui a été suivi. Si vous considérez, de façon très générale, la façon dont a évolué cette relation, c'est à peu près ainsi que cela s'est passé. Même si cela peut avoir commencé différemment et s'il y a eu différentes façons de procéder, on se retrouve finalement dans le même genre de situation.

La différence au Canada, c'est l'accélération des choses au cours des 30 dernières années, à partir des années 70, puis après les discussions constitutionnelles des années 80. Cela a relancé les discussions. Maintenant, dans les années 90, on en est arrivé à parler d'autonomie gouvernementale. On passe de l'absence totale de négociations à des négociations à 90 p. 100 en l'espace de trois ou quatre ans alors que l'on n'a pas encore pu faire les vérifications élémentaires.

Le sénateur Austin: C'est probablement assez bien résumer la situation. La question est donc la suivante: comment peut-on, dans la pratique, rattraper les choses? Je suis arrivé en retard mais vous étiez en train de dire que dans le soi-disant modèle occidental, les collectivités autochtones n'avaient pas de droits, sinon ce qui leur était accordé. Conviendriez-vous que c'est également le cas dans le modèle américain?

M. Dockstator: Le modèle américain est quelque peu différent. Dans les tout premiers cas, le juge Marshall à la Cour suprême des États-Unis a déclaré que ce sont des nations souveraines. Que si l'on veut leur reprendre des pouvoirs, on peut le faire mais qu'elles ont des pouvoirs et que ceux-ci sont inhérents.

Le sénateur Austin: Aux États-Unis, on peut les reprendre par voie législative.

M. Dockstator: En effet. Le Congrès est suprême.

Le sénateur Austin: On peut toujours les reprendre physiquement. Cela signifie qu'il y avait un souverain dominant également aux États-Unis.

M. Dockstator: En effet.

Le sénateur Austin: Toutefois, pour ce qui est de la Nouvelle-Zélande, j'ai l'impression que les traités qui ont été signés au milieu des années 1800 acceptaient en fait une souveraineté. Le Traité de Waitangi semblait accepter la communauté autochtone comme une entité souveraine jouissant de droits souverains. N'est-ce pas?

M. Dockstator: Oui.

Le sénateur Austin: Savez-vous pourquoi? Était-ce simplement parce que c'était 100 ans plus tard et que la pratique britannique avait changé?

M. Dockstator: Essentiellement, tout dépend de cette ligne-ci, de quand les traités ont été signés. S'ils l'ont été lorsque les deux sociétés étaient relativement égales -- c'est-à-dire lorsque les autochtones restaient importants aux fins militaires ou économiques -- ils reconnaissaient les sociétés autochtones comme relativement égales et souveraines.

Lorsque les traités ont par contre été signés après ce déplacement -- c'est-à-dire, lorsque la société européenne s'est considérée comme plus puissante et les autochtones moins puissants -- ils ne reconnaissent pas aux autochtones ce pouvoir ni cette souveraineté.

Si c'est à la limite, la Proclamation royale fait allusion à des nations et tribus. C'était des nations -- nous le reconnaîtrons encore -- et ce sera dorénavant des tribus.

Le sénateur Austin: Si je considère votre modèle, à ce stade, la ligne devrait à nouveau être parallèle, elle devrait remonter. Elle descend, et c'est normal, mais elle devrait ensuite remonter.

Aujourd'hui, qu'il s'agisse de droits inhérents ou de droits acceptés, les autochtones ont retrouvé une place qui fait que les négociations sont maintenant fondées sur les lois et les droits. Cela correspond-il à votre modèle?

M. Dockstator: En effet. La Commission royale dit qu'il faut revenir à cette ligne pointillée. La seule différence est de savoir s'il s'agit du point final ou du point de départ. Du point de vue de la commission, c'est essentiellement le point final; mais les autochtones estiment que c'est le point de départ parce qu'il leur faut encore définir cette relation entre les deux sociétés. Ça les ramène au point de départ alors que la majorité considèrent que c'est en fait la fin.

Le président: Merci de votre exposé. Nous reprendrons contact avec vous. Il faudra que nos attachés de recherche pensent à vous lorsque nous rédigerons notre rapport. La façon dont vous avez exposé ce qui s'est produit au cours de l'histoire est extrêmement utile pour nombre d'entre nous.

Il y a environ un mois, le sénateur Austin avait fait une déclaration dans le sens de ce que vous venez de nous dire. Ce que vous nous avez exposé nous permet de savoir où nous en sommes et ce qu'il nous faut améliorer, si l'on doit améliorer quelque chose. Là encore, ce n'est pas à nous de décider. C'est aux autorités d'adopter ou non les recommandations que nous présenterons. Merci encore.

Mme Veronica Dewar, présidente, Pauktuutit: Honorables sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier le comité de l'occasion qui m'est donnée de présenter le point de vue des femmes inuites du Canada sur la question critique et très importante de la fonction gouvernementale.

Pauktuutit est la voix nationale des femmes inuites. Notre mandat est de mieux faire connaître les besoins des femmes inuites et d'encourager leur participation aux organes locaux, régionaux et nationaux travaillant au développement social, culturel et économique.

Pauktuutit s'est penchée sur un certain nombre de questions très variées qui touchent tous les Inuits dans les collectivités. Nous avons entrepris des projets de grande envergure sur des questions touchant à la santé et au bien-être des Inuits, telles que l'exploitation sexuelle des enfants, le rôle traditionnel des sages-femmes et les pratiques de mises au monde. Nous faisons ce que nous pouvons pour favoriser la mise en application du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones.

En tant que femmes inuites, nous assurons le lien entre le passé et le futur. Nous sommes le réceptacle de la culture, de la langue, des traditions, de l'enseignement et de l'éducation des enfants. Ce sont des éléments très importants pour gouverner une société, quelle qu'elle soit.

Je ne suis pas venue ici vous présenter un plan d'autonomie gouvernementale pour les collectivités inuites. En tant qu'organisme non gouvernemental, Pauktuutit souffre d'une pénurie de fonds et d'une surabondance de responsabilités. Je me contenterai de vous livrer certains des principes et réflexions que nous tirons de notre expérience collective. Je suis sûre que vous avez déjà entendu parler des Inuits et des terres natales des Inuits. Toutefois, permettez-moi de vous donner mon avis sur qui nous sommes.

Nous sommes environ 45 000 Inuits qui vivons dans quatre régions en autonomie gouvernementale -- le Nunavut, le Nunavik, l'Arctique de l'Ouest et le Labrador. Les Inuits sont un peuple distinct et unique. L'expression de notre autonomie gouvernementale tant individuellement que collectivement découle des caractéristiques mêmes de notre culture.

Qu'est-ce qui forme notre identité? Nous parlons une langue, l'inuktitut, la langue universelle des Inuits dans le monde entier. Nous vivons dans un environnement qui offre le plus de défis sur la terre et pourtant nous avons réussi à survivre pendant des millénaires. Nos traditions et nos valeurs sont transmises de génération en génération par l'histoire orale. Nous garderons ces traditions et valeurs dans nos coeurs et dans notre âme pour la prochaine génération.

Nous avons nos propres lois, conçues par un peuple pour un peuple et qui se fondent sur des besoins pratiques et réels, génération après génération. Ce que j'enseigne à mes enfants sera toujours là après sept générations.

En tant que femmes inuites, nous estimons qu'il est nécessaire de coexister pacifiquement avec d'autres. C'est ainsi que nous nous identifions en tant que peuple.

Nous nous sommes toujours gouvernés. À l'arrivée des nouveaux venus, ils n'ont pas trouvé un peuple en chaos. Ils ont trouvé un peuple qui avait toute une richesse de connaissances, de culture et d'humanité.

Qu'est-ce qui manque dans le rapport entre les gouvernements et les Inuits et d'autres peuples autochtones? Comment pouvons-nous travailler ensemble? Comment pouvons-nous arriver à coexister mutuellement et à vivre ensemble?

Il manque un code de traitement et d'égalité qui est nécessaire. Nous devons commencer à établir des ponts si nous voulons rétablir ce rapport. Cela va au coeur même de ce rapport. Il s'agit de faire preuve de respect, de tolérance, de partage, de générosité, de communication et d'honnêteté. Voilà les éléments qui sont nécessaires pour établir un nouveau rapport.

Je crois qu'il s'agit là d'obstacles très réels à la reconnaissance juridique et constitutionnelle de nos droits fondamentaux en tant que peuple. Tout d'abord, Pauktuutit appuie la recommandation de la Commission royale sur les peuples autochtones selon laquelle le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale des autochtones doit être reconnu et affirmé au paragraphe (1) de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 en tant que droit ancestral et protégé par traité.

Je suis fermement convaincue que c'est là le point de départ pour les gouvernements autochtones pour qu'ils fonctionnent comme l'un des trois paliers distincts de gouvernement au Canada. Les honorables sénateurs se demanderont peut-être pourquoi je dis cela. En tant que femmes inuites, nous ne voulons plus être traitées comme des objets de pouvoir; en tant que peuple, nous ne voulons plus être traités comme des objets.

Le Nunavut est un point de départ pour exercer notre droit inhérent et restructurer notre rapport avec le Canada. Le défi réel pour nous consiste à nous assurer que nous avons un gouvernement réel pour le peuple, un gouvernement qui est responsable et sensible aux besoins de tous les gens.

Lorsque nous parlons du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, nous considérons qu'il s'agit là d'un aspect de la question plus générale du droit à l'autodétermination. On le dit clairement dans le document de politique sur l'Arctique qui a été préparé par la Conférence circumpolaire inuite et appuyé par les peuples inuits qui vivent dans quatre pays: le Canada a lui aussi avalisé le droit à l'autodétermination à l'échelle internationale.

Les femmes inuites constatent qu'il est nécessaire de protéger davantage les droits des femmes et l'égalité de tous les peuples. Pauktuutit appuie la recommandation de la Commission royale sur les peuples autochtones, soit que la Charte des droits et des libertés s'applique aux gouvernements autochtones et réglemente les relations avec les gens qui relèvent de leur compétence. Les femmes autochtones ont le droit d'être traitées également par le gouvernement, plus particulièrement en vertu des articles 28 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le gouvernement fédéral a une politique selon laquelle la Charte doit s'appliquer dans les négociations en vue de l'autonomie gouvernementale comme il l'a déclaré dans sa politique de 1995 sur les droits inhérents.

Je suis fermement convaincue que tous les Canadiens autochtones, hommes et femmes, voudraient avoir le même genre de protection et d'égalité que garantit la Charte. Par exemple, qui peut contester l'article 7, qui dit que chacun a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit de ne pas en être privé conformément aux principes de justice fondamentale?

Nous croyons que nous ne pouvons pas voler ensemble si l'un d'entre nous a une aile brisée. Un élément essentiel à la réalisation de l'autonomie gouvernementale en est le financement. À mesure que l'on négocie l'autonomie gouvernementale, il est important de se pencher tout particulièrement sur les mécanismes de financement éventuels et la capacité de financer de tels mécanismes.

Je suis d'avis qu'il est temps de réexaminer les types de transferts que les gouvernements autochtones reçoivent des divers gouvernements. Comment pouvons-nous nous appuyer sur la capacité des gouvernements autochtones à générer des recettes et à examiner les politiques financières et administratives qui déterminent à l'heure actuelle la politique gouvernementale dans ce domaine?

Trop souvent, les gouvernements et ceux qui travaillent pour les gouvernements ne font pas ce qu'il faut faire. Il est temps de mettre en place des programmes consacrés uniquement aux Inuits pour répondre à nos besoins. Ce qui fonctionne pour une femme indienne qui vit au centre-ville de Vancouver ne va pas nécessairement fonctionner pour une Esquimaude qui vit à Pond Inlet.

En tant qu'Inuits, nous sommes prêts à relever le défi. Comme je l'ai dit précédemment, nous avons quatre régions en autonomie gouvernementale, soit un rapport inégalé chez d'autres peuples autochtones au pays.

Les Inuits ont réussi à négocier et à mettre en oeuvre trois ententes sur des revendications territoriales globales: la Convention définitive des Inuvialuit en 1984; la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1976; et la Convention définitive du Nunavut en 1993. Nous avons une réclamation territoriale non réglée à Nichols Ridge au Labrador, mais le processus et les règles de négociation sont fondamentalement viciés.

Par exemple, en tant que Canadiens, nous devons trouver une solution de rechange à l'extinction des droits autochtones. Nous avons souvent été obligés de renoncer à nos droits autochtones en échange d'autres droits et avantages. Cette politique ne doit pas s'appliquer aux négociations pour l'autonomie gouvernementale. Deuxièmement, l'autonomie gouvernementale doit aller de pair avec les revendications territoriales. Il faut mettre en place les mécanismes pour en discuter. Le processus de négociation doit être un processus global qui permet aux femmes comme aux hommes inuits de prendre ensemble des décisions à la table de négociation.

La Convention de la Baie James et du Nord québécois a été le premier règlement concernant les terres des Inuits et c'est la seule convention qui prévoit un programme officiel de soutien du revenu des chasseurs. Si on regarde l'histoire des revendications territoriales au Canada, les femmes inuites constatent qu'on a souvent manqué l'occasion d'établir de petites entreprises pour les femmes, dans le cadre de leurs responsabilités pour la garde des enfants et des relations communales, notamment la possibilité de fabriquer des vêtements traditionnels.

Les femmes doivent être des participantes à part égale et représenter les points de vue des femmes dans les collectivités. Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership en ce qui a trait à l'égalité des hommes et des femmes lors des négociations pour l'autonomie gouvernementale.

Au début des revendications territoriales au Canada, le rapport a été catalysé par la menace de la mise en valeur de nos terres. Ce devrait être déclenché par les gens qui sont prêts à négocier les revendications territoriales, non pas parce que des membres de l'industrie veulent avoir accès aux ressources.

Les problèmes créés par des revendications territoriales sont attribuables à leur mise en oeuvre. Ces questions sont souvent complexes et importantes. Je crois que d'autres témoins ont soulevé ces questions devant votre comité. Pauktuutit recommande que des ressources à long terme soient fournies de façon à ce que l'esprit et l'intention des traités modernes puissent être respectés. Si d'autres négociations ou si un processus d'examen ne peuvent aider à régler le problème, il faudra alors recourir à un mécanisme de règlement des différends comme un groupe spécial d'arbitrage.

Nous avons fait beaucoup de progrès depuis le début de la négociation. Bon nombre d'Inuits vivent aujourd'hui dans des villes. Le gouvernement fédéral et les groupes de revendications territoriales inuits doivent se pencher sur les besoins des Inuits vivant en région urbaine. Certaines ententes ont beaucoup mieux fonctionné que d'autres, cependant les ententes d'autonomie gouvernementale doivent comporter des mécanismes pour répondre aux besoins des Inuits qui vivent à l'extérieur de leur territoire d'attache.

Comprenez-moi bien. Je ne dis pas que je m'attends à ce que les Inuits qui vivent à l'extérieur du territoire inuit aient les mêmes droits et privilèges pour la chasse, le piégeage, la pêche, le vote, le logement ou les services communautaires. Cependant, ils devraient tout au moins avoir accès à des services de santé et d'enseignement adéquats. Ces modèles dans les régions urbaines sont peut-être très différents des modèles existant dans les territoires inuits. Ces institutions pourraient offrir des services d'enseignement, de soins et santé et de garde d'enfants. Nous avons déjà bon nombre de ces institutions en place dans le sud du Canada.

Nous avons déclaré que l'autonomie gouvernementale doit être axée surtout sur des mesures concrètes prise au niveau local et régional. Les Inuits des régions urbaines doivent avoir leurs propres institutions. Par le passé, les Inuits se sont toujours assurés que cela était le cas. Les accords sur des revendications territoriales ont donné accès à divers degrés à de nouvelles ressources humaines, financières et naturelles favorisant le développement économique. Grâce à ces accords, nous avons le contrôle de nos terres et de nos ressources, y compris le partage de revenus provenant de la mise en valeurs des ressources et nous avons un meilleur contrôle et une meilleure gestion de nos terres et territoires. Par ailleurs, nous recevons des transferts de fonds et nos jeunes ont accès à des programmes d'éducation et de formation.

Ce nouveau rapport encourage de nouveaux partenariats. Il n'est pas rare que des partenariats se créent entre les gouvernements inuits et d'autres gouvernements et des entreprises du secteur privé. C'est tout simplement une nouvelle façon de faire des affaires. Nous sommes prêts à redéfinir nos rapports avec le gouvernement canadien et les institutions inuites, mais il doit y avoir quelques éléments non négociables, entre autres le fait que le gouvernement fédéral a une responsabilité fiduciaire envers les Inuits.

Nous sommes prêts à coexister pacifiquement dans l'intérêt de tous. Ce qui est bon pour le Canada autochtone est bon pour le Canada. Les femmes inuites doivent participer à toutes les facettes de ce nouveau rapport. Nous sommes prêtes à nous asseoir avec les hommes lorsqu'ils négocient les ententes d'autonomie gouvernementale pour surveiller et mettre en oeuvre ces ententes et nous assurer que nous sommes satisfaites de la mise en oeuvre, mais les changements s'opèrent souvent lentement. Les fonctionnaires peuvent rarement suivre la cadence de leurs maîtres politiques. Si nous voulons réellement le changement, nous devons faire des compromis, faire appel à notre humanité et à notre volonté politique. Il est nécessaire d'apporter des innovations structurelles et législatives importantes. Je suis certaine que les femmes inuites peuvent apporter une contribution très positive aux questions d'autonomie gouvernementale. À notre avis, l'autonomie gouvernementale est déjà une réalité. Il s'agit tout simplement de voir comment elle prend forme.

Sénateurs, en tant que femme, je vous ai fait part de mes réflexions initiales au sujet de votre mandat qui est très large. J'attends avec impatience de connaître les résultats de ce processus et je me réjouis de travailler avec vous pour réaliser tout ce qui est nécessaire -- respect, tolérance, égalité, communication et honnêteté. Je pense que j'ai de bonnes raisons d'être optimiste.

Le président: Je vous remercie de cet excellent exposé. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Adams: Bienvenue, madame Dewar. Je vous félicite de votre élection à titre de présidente de Pauktuutit le mois dernier lors de la réunion annuelle qui a eu lieu à Rankin Inlet. Je n'ai pas beaucoup de questions. Vous avez un bon mémoire.

L'organisation Pauktuutit s'occupe de services de santé, particulièrement pour les jeunes. Il n'est pas nécessaire que ce soit toutes des femmes. Vous pouvez communiquer avec les familles dans la collectivité.

Il y a peu de temps, nous avons adopté un projet de loi sur lequel nous nous sommes penchés pendant deux ans au Sénat, concernant la cigarette et le tabac. Je ne le remarque pas tellement dans le sud, mais dans le Nord, bon nombre de jeunes ont commencé à fumer. Je pense que le gouvernement devra adopter une loi pour aider financièrement votre organisme et tout autre organisme comme le vôtre au Canada à lutter contre ce problème.

Le gouvernement du Nunavut vient tout juste d'être créé, de sorte qu'il n'a pas encore adopté de nombreuses lois. Dans le sud, nous avons à l'heure actuelle des lois sur le tabagisme très strictes. Dans les collectivités, ce n'est pas aussi sévère. Je remarque quelques personnes qui vont fumer à l'extérieur de leur maison, sur la galerie ou ailleurs. Les gens fument toujours dans les restaurants. Qu'en pensez-vous? Devrait-on régler ce problème dans les hameaux, dans les municipalités, en adoptant des règlements? Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Dewar: Merci. Je sais que cela est une très grande préoccupation pour Pauktuutit. Nous avons tenté de lancer certains projets, mais à cause du manque de financement, nos ressources sont limitées, nous avons peu de gens. Nous venons tout juste de tenir notre assemblée générale annuelle à Rankin Inlet, et nous avons parlé à certaines femmes qui ont participé à l'assemblée. C'est un problème très grave. Nous avons demandé du financement aux gouvernements. Nous ne savons pas encore si nous recevrons de l'argent.

Mon mari et moi-même voulions aller dans une petite collectivité, au restaurant où tout le monde fume. Nous avons une petite fille, mais nous ne l'amenons pas avec nous, car nous ne voulons pas qu'elle soit exposée à la fumée des autres. Nous avons fait beaucoup d'efforts mais nous n'avons pas beaucoup d'appui des associations régionales. Comme vous le savez, dans notre poursuite contre DRHC, nous demandons des fonds supplémentaires.

Nous essayons très fort de faire comprendre que la fumée de cigarette est très mauvaise pour les gens dans ces petites collectivités. Ils commencent lentement à faire passer le message, mais il faudrait le transmettre beaucoup plus vigoureusement dans nos collectivités.

Comme vous l'avez dit, les Inuits fument beaucoup et cela a de mauvais effets sur les enfants. Nous essayons de résoudre certains de ces problèmes. Nous n'abandonnerons pas. Nous poursuivrons nos efforts malgré le peu d'argent que nous obtenons. C'est le genre de message que Pauktuutit a su faire entendre à la population.

J'ignore si j'ai vraiment répondu à votre question, mais nous faisons de notre mieux pour informer les gens.

Le sénateur Adams: Oui, je crois que vous avez répondu à ma question.

Votre organisme est-il suffisamment souple pour laisser au nouveau gouvernement du Nunavut le temps d'établir ses politiques? Êtes-vous prêts à attendre un peu pour voir comment les choses vont se passer?

Mme Dewar: Oui. Quand j'étais à Iqaluit pour les célébrations entourant la création du Nunavut, j'ai abordé certains des nouveaux ministres et de leurs employés afin d'établir des relations avec eux. Je leur ai parlé de notre projet et des programmes que nous gérons ici à Ottawa avec Pauktuutit. Ils sont tout à fait disposés à travailler avec nous. Nos relations évoluent lentement. Je suis toutefois certaine que nous allons travailler en collaboration étroite.

Le sénateur Pearson: Je crois que Pauktuutit est tout à fait pour la participation des jeunes. La question qui m'intéresse -- et c'est sans rapport avec notre étude de la fonction gouvernementale -- est la suivante: quel genre d'avenir les jeunes filles inuites pensent-elles trouver dans la société inuite? Pouvez-vous les aider à réaliser certains de leurs rêves?

Mme Dewar: J'ai vécu toute ma vie dans une communauté du Nord. J'ai grandi dans l'Arctique et j'ai occupé des emplois un peu partout dans le Nord. L'année dernière, je suis allée dans une communauté qui n'avait aucun emploi à offrir aux jeunes qui étaient prêts à aller n'importe où pour trouver du travail. Une jeune fille à qui j'ai parlé m'a dit que, même si elle fréquentait l'école secondaire, elle n'avait aucun avenir parce qu'il n'y avait pas d'emploi sur place. Elle ne voulait pas quitter sa famille, mais elle n'avait pas le choix. Certaines communautés ont des difficultés du fait que les organismes gouvernementaux n'y ont pas de bureau.

Je crois qu'aujourd'hui, nos jeunes sont plus optimistes grâce à la création du nouveau gouvernement du Nunavut. Ils sont pleins d'énergie. J'incite les jeunes à rester à l'école et à terminer leurs études, à avoir des activités intéressantes, et je crois qu'ils ont un bel avenir. Je leur dis ce que je peux faire et ce qu'ils peuvent faire. C'est un message qu'il faut constamment répéter. Je crois que chaque organisme ou que les nouveaux gouvernements locaux doivent faire plus pour sensibiliser le public aux possibilités d'éducation et d'emploi. Ils doivent encourager nos jeunes, qui sont très vulnérables parce que leur attention est distraite par d'autres choses.

Le taux de grossesse est très élevé chez les adolescentes. Nous faisons de notre mieux pour éduquer les jeunes sur ce plan. Toutefois, en tant qu'organisation de femmes inuites, nous avons des obstacles à surmonter. Nous n'essayons pas de remplacer tous les programmes. Telle n'est pas notre intention. Nous voulons travailler de concert avec les autres organismes régionaux, les hameaux ou les nouveaux gouvernements locaux dans le domaine des services sociaux. Par le passé, les gouvernements du Nord ont fait très peu pour les jeunes. C'est mon opinion personnelle.

Nous devons vraiment encourager nos jeunes. Ils manquent de débouchés et ils s'en plaignent. Nous devons travailler plus fort pour résoudre ce problème.

Le sénateur Pearson: En entendant parler de certains problèmes de santé et autres, j'ai l'impression que vous avez absolument besoin d'auxiliaires médicaux et qu'il faudrait permettre aux jeunes d'acquérir une formation dans ce domaine. J'ignore si Pauktuutit dispense une formation pour aider les gens à s'entraider. C'est un des grands avantages de la participation politique. Plus vous jouez un rôle actif dans une communauté, plus vous vous faites connaître.

Je vous invite à poursuivre votre entreprise. Je sais que vous jouissez d'une bonne réputation.

Mme Dewar: L'appel que nous lançons à DRHC est le suivant: accordez-nous un financement plus important, car nous pouvons faire beaucoup. Nous avons des antécédents solides et nous possédons des compétences et des liens avec les communautés en tant qu'organisation de femmes. Cela se sait dans tout le Nord et même dans le monde. Si nous disposions d'un financement suffisant, nous pourrions nous prévaloir des nombreux atouts que nous possédons pour aider les gens des communautés, surtout les femmes, dans le domaine de la formation. C'est ce que nous nous efforçons de faire.

Le sénateur Andreychuck: Vous avez bien expliqué de quelles ressources vous avez besoin et quels programmes vous allez mettre sur pied. Nous étudions l'autonomie gouvernementale. Êtes-vous d'accord avec la commission royale et la voie qu'elle a tracée pour atteindre les objectifs visés?

Mme Dewar: Oui, et nous devons y consacrer davantage d'efforts dans les communautés du Nord. Il ne faut pas le faire seulement pour les Premières nations, mais tenir compte également de l'ensemble de la population du Nord, car cela se répercutera dans les communautés. C'est difficile à comprendre ici, car vous n'avez peut-être jamais été dans le Nord. Vous ne voyez pas la façon dont les gens interagissent ou comment les organismes s'intègrent les uns aux autres. Le sénateur Watt vous rappelle sans doute régulièrement que vous devez nous faire participer et nous permettre de vous apprendre ce que nous savons afin que nous puissions vous aider à appliquer certaines des recommandations du rapport de la commission royale.

Le président: Il nous serait utile que vous nous fournissiez la liste des programmes auxquels vous désirez avoir accès, les programmes dont vous bénéficiez actuellement et ceux pour lesquels vous estimez avoir été lésés. Dans une certaine mesure, cela se rapporte au concept de l'autonomie gouvernementale, car si j'ai bien compris, vous ne voulez pas être informées après coup; vous voulez contribuer à la conception de ce nouveau gouvernement. Je suis convaincu que c'est ce qu'il faut faire. Si la participation des femmes doit être importante, elle doit se faire par l'entremise de votre organisme.

Vous avez maintenant un nouveau gouvernement territorial dans un nouveau territoire du Nord. Au bout de nombreuses années, le gouvernement canadien s'est rendu compte qu'il était temps de déléguer ses pouvoirs au niveau territorial, même si le ministre fédéral a le dernier mot pour certains dossiers, comme c'est le cas pour certains traités. Nous savons qu'il y a un gouvernement «au-dessus» du gouvernement territorial. Dans bien des cas, le gouvernement territorial répondra aux demandes du gouvernement fédéral. Le gouvernement territorial se retrouvera parfois dans la situation délicate d'avoir à contester les normes imposées par le gouvernement national. Ce ne sera pas facile, d'autant plus que le gouvernement territorial doit compter sur le gouvernement fédéral pour répondre à ses besoins financiers pour pouvoir satisfaire aux besoins de sa population.

Craignez-vous que le nouveau gouvernement du Nunavut ait de la difficulté à traiter avec le gouvernement national? Est-ce la raison pour laquelle vous dites qu'il faudrait envisager très sérieusement la possibilité d'un troisième niveau de gouvernement?

Mme Dewar: Je sais que la population du nouveau territoire du Nunavut a de grandes attentes. Les Inuits pensaient que cela les concernait uniquement, mais ce n'est pas le cas.

Le président: Voilà pourquoi je soulève la question.

Mme Dewar: Voilà pourquoi il y a beaucoup d'incertitude à l'heure actuelle. J'ignore quelles sont les intentions de la nouvelle assemblée législative. Je peux difficilement répondre à votre question étant donné que nous n'avons pas encore eu l'occasion de discuter avec le nouveau gouvernement. On s'attend à ce que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais ce ne sera pas nécessairement le cas. Lorsque le premier ministre a visité le Nunavut, il a déclaré que nous avions de nombreux défis à relever et que chacun voudra sa part.

Nous avons de nombreuses questions à régler avant de songer à un troisième niveau de gouvernement même si c'est ce que souhaite la population. Je ne sais pas ce qui arrivera, mais il serait bon d'avoir un troisième niveau de gouvernement.

Le président: Un de mes collègues m'a demandé si vous appuyez le rapport de la commission royale. Vous avez dit que oui. L'une des recommandations de la commission royale était la création d'un troisième niveau de gouvernement; autrement dit, un gouvernement ayant la même structure que le gouvernement fédéral, mais seulement pour les autochtones.

Si nous allons dans cette voie, pensez-vous que nous pouvons coexister harmonieusement les uns avec les autres?

Mme Dewar: Oui.

Le président: Croyez-vous que, quoi qu'il arrive au Nunavut, au Labrador ou au Québec en ce qui concerne l'autorité gouvernementale, les autochtones auront quand même besoin d'entretenir des rapports au niveau national? Croyez-vous qu'autrement il faudra s'attendre à des problèmes?

Mme Dewar: Dans une certaine mesure, oui.

Le président: Je crois que la commission royale est allée jusqu'à parler d'un parlement autochtone.

Mme Dewar: Oui.

Le président: Croyez-vous que tel devrait être le but des peuples autochtones?

Mme Dewar: Je suis d'accord. Ce sont des questions dont j'ai souvent parlé avec mon frère, Tagak Curley. Mon frère m'a appris certaines choses au sujet de la politique. Je suis d'accord pour dire que les Inuits devront pouvoir accéder à l'autodétermination en toute égalité.

Le président: Le gouvernement canadien et le gouvernement du Nunavut ne sont pas toujours d'accord, mais ils devraient être prêts à discuter de leurs divergences de vues.

Mme Dewar: Les gens du Nord sont déterminés à obtenir ce dont nous avons discuté.

Si vous avez votre propre gouvernement et un nouveau territoire, vous ne voulez pas dépendre éternellement du gouvernement fédéral. Le nouveau gouvernement doit apprendre à bien fonctionner. Vous devez lui donner l'occasion de prendre ses propres décisions et de s'autogouverner. Il vous demande de pouvoir former un troisième niveau de gouvernement pour régler lui-même ses problèmes. C'est ce gouvernement qu'il faudrait consulter et qui pourra vous proposer des idées nouvelles.

Le président: Vous avez également fait valoir dans votre exposé que les Inuits, quel que soit l'endroit où ils vivent -- et même au niveau international -- sont un peuple qui partage la même langue. Votre culture est à peu près la même que vous veniez de l'Alaska ou du Groenland.

Pour ce qui est d'un gouvernement national, croyez-vous qu'il faudra, un jour ou l'autre, mettre en place une forme de gouvernement quelconque pour tous les Inuits qui vivent dans l'Arctique, que ce soit au Québec, dans les Territoires du Nord-Ouest ou au Labrador? Je ne parle pas du territoire, mais du gouvernement. Pensez-vous que ce sera la prochaine étape? Vous n'êtes pas obligée de répondre à cette question.

Mme Dewar: Je ne le peux pas.

Le président: Cela se produit déjà. Voilà pourquoi j'en parle.

Mme Dewar: C'était le cas il y a des années. Cela existait du temps de nos ancêtres et cela pourrait exister de nouveau, si les gens sont prêts à discuter et à travailler ensemble.

Le président: Croyez-vous personnellement que ce que nous avons failli perdre commence à nous revenir peu à peu?

Mme Dewar: Je le crois. Je constate que les gens ont beaucoup plus de rapports les uns avec les autres. Ils sont beaucoup plus ouverts aux idées d'autrui, à la possibilité de partager leurs ressources et les façons différentes de faire. Grâce à notre langue commune, nous avons des liens avec les autres Inuits de l'Arctique. Ces liens sont une réalité. Nous voulons partager et nous voulons résoudre ensemble nos problèmes. Il y a une grande solidarité entre nous.

Le président: Nous voulons tous vivre dans la bonne entente et travailler ensemble. Néanmoins, dans toutes les sociétés qui vivent sur cette planète, il existe une certaine discrimination. Il y a également de la discrimination entre nous. Nous nous faisons parfois du tort. Pensez-vous que nous devrons pouvoir nous protéger contre nous-mêmes? Avons-nous besoin d'une déclaration des droits?

Mme Dewar: Oui, je le pense.

La séance est levée.


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