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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 27 - Témoignages du 28 avril 1999


OTTAWA, le mercredi 28 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit ce jour à 17 h 40 pour étudier, en vue d'en faire rapport, l'autonomie gouvernementale des autochtones.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous allons accueillir notre premier témoin, le professeur Nabigon, qui va nous parler de l'autonomie gouvernementale des autochtones.

Je vous en prie, commencez.

M. Herb Nabigon, professeur, Université Laurentienne: Meegwich. Je vais commencer par une introduction dans ma langue autochtone.

[M. Nabigon s'exprime en langue autochtone]

Dans votre langue, je m'appelle Herb Nabigon. Nabigon est un vieux mot ojibwa qui veut dire piège à collet. Il est vieux d'environ 30 000 ans au Canada. Notre peuple vient de la rive nord du Lac Supérieur où se trouvent nos terres traditionnelles. D'après les fouilles archéologiques, notre présence dans cette région remonte à au moins 20 000 ans.

Je me propose, aujourd'hui, de vous faire part de la façon dont nous voyons l'autonomie gouvernementale et dont nous prenons nos décisions en collectivité. Il est important de reconnaître la voix des peuples autochtones. Je suis heureux de me trouver face à cet aréopage, à ces honorables sénateurs qui ont tant d'années d'expérience au gouvernement. C'est un plaisir pour moi que d'être ici.

Pour nous, la nature est synonyme d'ordre. Tout y est ordonné et chaque chose y a sa place. Nous nous conduisons en fonction de cet ordre que nul ne peut altérer. Nous maintenons depuis toujours ce lien avec le monde naturel et veillons à la façon dont nous y sommes intégrés.

À la première page de mon mémoire, je présente la stratégie de mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale. D'abord, il faut pouvoir compter sur une volonté nationale pour définir la répartition des pouvoirs, pouvoirs qui seront négociés entre le gouvernement fédéral et les Premières nations. Un processus bilatéral sera amorcé en temps opportun afin de conclure ou de prévoir une entente.

Deuxièmement, les Premières nations doivent être invitées à participer au processus permanent de réforme constitutionnelle.

Troisièmement, il y a lieu de régler les revendications territoriales en suspens et de mettre en place des mécanismes qui garantiront l'exécution du règlement de ces revendications. On a pu se rendre compte, par le passé, qu'Ottawa souffre d'amnésie grave à cet égard.

Quatrièmement, il faut favoriser le développement économique pour réduire la pauvreté.

Cinquièmement, tous les Indiens inscrits devraient avoir accès à des services sociaux essentiels de qualité raisonnable.

Sixièmement, il est primordial que les Premières nations génèrent des recettes fiscales qui leur permettront d'améliorer les services aux populations et qui favoriseront leur autonomie. À long terme, ces montants réduiront leur dépendance vis-à-vis des fonds fédéraux.

Septièmement, il faut protéger et respecter les droits individuels des membres des Premières nations, tout comme leurs droits collectifs.

Huitièmement, l'égalité d'accès à l'emploi devrait être offerte à tous les Indiens inscrits.

Aux États-Unis, les Premières nations sont considérées comme autonomes. Le gouvernement et les Premières nations au Canada devraient peut-être s'inspirer de l'expérience américaine et adopter un point de vue semblable à celui qu'a exposé un avocat autochtone, Kicking Bird, dans sa déclaration de 1977.

Les traités sont très importants pour les autochtones. Quant à nous, ils ont été signés pour les raisons suivantes: établir des relations commerciales exclusives; obtenir l'aide ou la neutralité des nations indiennes dans les guerres entre les pays européens; permettre à des non-autochtones de venir s'établir chez nous et d''exploiter nos ressources, et mettre fin aux revendications territoriales des peuples autochtones.

La Proclamation royale de 1763 demeure la Grande Charte des relations entre les peuples autochtones et les Canadiens d'origine européenne. À l'époque, les autochtones possédaient des pouvoirs égaux sur les plans économique, social, politique et militaire, et les puissances européennes étaient obligées de reconnaître les nations indiennes. L'opinion des peuples autochtones selon laquelle l'élaboration des traités doit se faire sur un pied d'égalité est fondée sur des faits historiques et juridiques.

Aujourd'hui, nous nous devons d'être conscients d'une chose: nous ne sommes pas un simple regroupement de petites collectivités appliquant un mécanisme de traité avec les gouvernements. Tout cela repose sur la Proclamation royale et sur notre conception des nations.

Pour exercer leur autonomie gouvernementale, les Premières nations doivent d'abord disposer des pouvoirs, des ressources et de la légitimité voulus. Le terme «pouvoir» désigne l'autorisation légalement sanctionnée de prendre des mesures ou d'intervenir et il englobe la notion de compétence législative. Les autres ordres de gouvernement doivent accepter et respecter les mesures concrètes qui sont prises. Les ressources fournissent les moyens matériels ou financiers pour mettre en oeuvre les mesures envisagées. La légitimité est liée à la confiance de la population à l'égard du gouvernement et à l'appui qu'elle lui donne.

Les Premières nations doivent passer de la situation actuelle de dépendance à l'autonomie. Un peuple atteint l'autonomie lorsqu'il a la maîtrise des ressources nécessaires et qu'il est capable de produire des richesses lui permettant de répondre à ses besoins et d'apporter une contribution valable aux activités économiques régionales, nationales et mondiales.

Les revendications territoriales ont une importance capitale pour restaurer les gouvernements des Premières nations. Nous avons cependant besoin de nous appuyer sur notre rapport à la terre et sur notre spiritualité pour édifier un gouvernement fort. Nous avons un lien avec la terre et nos croyances spirituelles sont très importantes pour notre peuple. Nous avons d'ailleurs commencé à restaurer ses croyances dans nos communautés.

Nous envisageons tout en fonction de la subdivision de l'univers en quatre points cardinaux. Le premier, l'est, marque le point où le soleil se lève tous les matins. Il représente le renouveau ou la création de capacité.

La stratégie visant à habiliter les Premières nations et à leur permettre de créer des capacités, intervient dans un effort plus vaste axé sur le développement communautaire, dans le dessein notamment de mettre fin à la dépendance à l'égard de l'aide sociale. Il est bien connu que le taux de chômage se situe entre 50 et 90 p. 100 dans nos communautés. Aucune nation ni aucun peuple ne peut vivre une vie saine s'il dépend en permanence de la générosité du gouvernement. Cette dépendance n'est pas conforme à notre mode de vie et nous voulons changer cela.

Le sud représente la notion de compétence. Pour nous, il illustre le temps et les relations. Le soleil passe de l'est à l'ouest et, à 12 heures, il est plein sud. Depuis la nuit des temps, on se sert du soleil pour marquer les heures du jour. Aujourd'hui encore, nous nous en servons pour nous rappeler sa toute puissance, lui qui permet aux plantes de pousser. Sans soleil, pas de croissance. Il représente donc le temps et les relations.

Il faudra en effet du temps pour récupérer nos compétences auprès des autres ordres de gouvernement. La modification des relations entre le gouvernement fédéral et les Premières nations doit faire en sorte que les traités conclus avec la Couronne et les responsabilités fiduciaires du gouvernement soient maintenues et que les droits ancestraux, les droits de la personne, les droits issus des traités ainsi que les pouvoirs juridictionnels des autochtones soient reconnus. Il est cependant capital d'avoir du temps pour bâtir la confiance et le respect réciproques.

On peut envisager d'accroître les pouvoirs décisionnels et les pouvoirs juridictionnels en suspendant les accords de transfert prévus dans les MOF et le PTF, car ces ententes limitent la souveraineté des nations autochtones en matière de contrôle des réformes; deuxièmement, on pourrait mettre sur pied une commission nationale sur l'autonomie gouvernementale, qui serait autorisée à administrer les fonds destinés aux réformes avec souplesse et créativité. Cette commission nationale relèverait directement du premier ministre. C'est du moins ainsi que je vois la chose.

Pour nous, l'ouest représente le développement de la force et du pouvoir de guérison intérieurs. Le meilleur moyen de guérir, selon nous, est l'emploi. Il faut mettre sur pied une économie viable apte à produire des richesses et à en assurer la répartition équitable entre tous les membres par une exploitation accrue des terres et des ressources. À cette fin, il convient notamment de permettre aux petites, moyennes et grandes entreprises d'accéder à des capitaux. Il faudra s'attacher à faire circuler l'argent au sein de la population et il faudra consolider les réseaux internationaux créés par les peuples autochtones afin de favoriser les échanges commerciaux et la coopération économique.

Le nord est synonyme de partage. Il existe plusieurs types de partage, dont le partage spirituel. La mise en commun des ressources et des responsabilités du gouvernement des Premières nations doit comporter plusieurs éléments: d'abord, l'acquisition d'une assise territoriale suffisante pour favoriser le développement socioéconomique; deuxièmement, l'accès aux ressources de développement; troisièmement, l'accès à une aide fiscale appropriée; quatrièmement, le respect des principes de répartition des ressources liées aux droits ancestraux et aux droits issus des traités; cinquièmement, le droit des bandes des Premières nations à définir leurs pouvoirs et à déterminer qui sont leurs membres, qu'il s'agisse d'une seule bande ou de plusieurs bandes partageant la même langue et les mêmes traditions et qui se sont jointes officiellement; sixièmement, le financement, par Ottawa des gouvernements des Premières nations par le biais des paiements de péréquation, comme il le fait avec les provinces; septièmement, la création de partenariats à tous les niveaux avec les autres gouvernements; huitièmement, le respect de tous les éléments de la représentation autochtone et la prise en compte des sept prochaines générations dans le processus décisionnel.

Le vert, qui favorise la guérison, symbolise la terre, l'équilibre et l'écoute. La terre nourrit les peaux rouges, les visages pâles, les jaunes et les noirs, ainsi que toutes les créatures vivantes à la surface de la planète. Les chefs spirituels soulignent l'importance qu'il y a de se mettre à l'écoute des côtés sombres de la vie, ces côtés qu'on peut assimiler à cinq petits polissons sources de tous nos problèmes ici bas, notamment de nos maladies. Il s'agit de l'infériorité, de l'envie, du ressentiment, du manque de compassion et de la jalousie. Cela veut dire que l'autochtone marque un temps d'arrêt pour écouter. Quand on prête attention, on peut apporter les changements nécessaires pour transformer une attitude négative en une attitude positive. L'écoute est un élément essentiel de la reconquête de l'autonomie gouvernementale.

Enfin, les enseignements spirituels qui favorisent le développement de l'honnêteté et de la bonté sont liés aux cinq couleurs qui, outre le vert, sont le rouge, le jaune, le noir et le blanc représentant les peuples de la terre.

Nous sommes persuadés de pouvoir édifier un monde fondé sur la confiance et le respect réciproques. L'honnêteté et la bonté sont des éléments constitutifs de notre ensemble de croyances actuelles sur lesquelles se fonde notre projet d'autonomie gouvernemental. Les aînés jouent un rôle capital dans cette première étape en nous aidant à comprendre le fonctionnement de ce mode de gouvernement aux niveaux local et national.

Pour conclure, je dirais qu'au cours des dernières années, les aînés et les chefs ont commencé à encourager la guérison collective au moyen de cérémonies traditionnelles afin que, graduellement, les collectivités prennent leurs responsabilités sur les plans qu'elles estiment importants. Plus récemment, M. Phil Fontaine, chef national de l'Assemblée des Premières nations, a adopté une politique axée sur les orientations définies par les aînés. C'était le 10 mars 1999, à l'Université de Sudbury, lors de la Conférence nationale des aînés.

D'après nos traditions, la guérison au moyen de méthodes traditionnelles renforce les personnes, les familles et les collectivités de sorte qu'on peut réduire les problèmes sociaux et instaurer de nouvelles formes de développement social, économique et politique n'exigeant pas un contrôle de la part du gouvernement fédéral. Par sa définition même, l'autonomie gouvernementale est éminemment communautaire, en ce sens que chaque groupe décide de la latitude dont il a besoin. Il faudra du temps pour passer du statut de peuple colonisé au rang de nation et seule la consolidation et le maintien de nos fondements spirituels nous permettront d'atteindre ce degré d'autonomie que nous avait donné le Créateur.

Le sénateur Pearson: Merci beaucoup pour votre exposé. Il était fort élégamment bâti, clair et très utile. Cependant, j'ai besoin de quelques précisions à propos de deux ou trois choses. D'abord, la question du PTF et des MOF, car je ne vois pas exactement de quelles ententes de transfert il s'agit. Pourriez-vous m'expliquer ce dont il retourne et me préciser les problèmes que posent ces dispositions?

M. Nabigon: Les MOF et le PTF sont des politiques actuelles du Conseil du Trésor. MOF signifie Modes opérationnels de financement et PTF, Paiement de transfert fiscal.

Je réclame l'imposition d'un moratoire sur ces deux politiques parce qu'il y a beaucoup trop de contrôles en place et pas assez de souplesse à l'échelon des communautés pour permettre aux chefs de régler leurs problèmes de façon différente. C'est cela que je pense des MOF et du PTF.

Le sénateur Pearson: J'aimerais que vous me décriviez davantage la façon dont fonctionne ces mécanismes. Je suppose que les bandes concluent des ententes.

M. Nabigon: Effectivement. Ces ententes ne concernent que des secteurs particuliers. Elles sont contrôlées de façon rigide par Ottawa, et les chefs et les conseils n'ont pas une grande de marge de manoeuvre pour trouver des solutions plus créatives aux problèmes se posant à eux, sauf s'ils sont prêts à se soumettre à des chinoiseries administratives pour faire modifier les ententes. De toute façon, il est presque impossible de faire des modifications dans des délais raisonnables.

À l'expérience, nous sommes venus à conclure que ces ententes ont un caractère particulièrement colonialiste et qu'elles confèrent à d'autres la possibilité d'exercer un trop grand contrôle sur des décisions destinées à régler des problèmes locaux.

Le sénateur Pearson: Et en vertu du projet de loi C-49, ces ententes de transfert ne s'appliqueraient plus?

M. Nabigon: J'espère que non. Je n'ai pas avec moi d'exemplaires de ces ententes, mais j'aurais dû en prendre.

Le sénateur Pearson: Peut-être que quelqu'un d'autre pourra répondre à cette question.

M. Nabigon: Toutes ces ententes sont de véritables empêchements à l'échelon local, quand nous voulons régler des problèmes.

Voilà comment nous voyons la chose: en cas de problème dans une famille, ce sont généralement les parents qui décident, mais si une personne extérieure à la famille prend la décision, le problème de fond n'est pas vraiment réglé. C'est ce qui se passe dans le cas des MOF et du PTF.

Le sénateur Pearson: Je comprends. Il y a toujours la question de savoir comment l'argent passe du gouvernement fédéral aux nations.

M. Nabigon: À ce que je sache, une seule bande exerce un contrôle adéquat sur son financement, il s'agit de la bande indienne sechelte, en Colombie-Britannique. Toutes les autres sont régies par ces ententes en ce qui concerne le transfert des fonds aux Premières nations, c'est-à-dire les MOF et le PTF.

Le sénateur Wilson: Vous semblez penser qu'on parviendra plus sûrement à instaurer un gouvernement autonome par une démarche consistant à mobiliser la base plutôt que par une approche descendante. Comment compteriez-vous mettre cela en oeuvre?

M. Nabigon: Je ne fais pas que le penser, j'en suis convaincu.

Le sénateur Wilson: Bien, mais comment y parviendriez-vous?

M. Nabigon: Je vous en ai donné les grandes lignes. Comme on m'avait dit que vous ne vouliez pas plus de cinq ou six pages, je n'ai pas eu le temps de m'étendre sur la façon dont on pourrait s'y prendre.

On compte actuellement près de 600 Premières nations au Canada. Il s'agit de petites communautés de 300 à 500 personnes réparties un peu partout dans les provinces et les territoires. Comme il s'agit de petits groupes, ils sont organisés en conseils de tribu pour que l'administration soit plus efficace.

Là d'où je viens, le Conseil tribal représente sept Premières nations. C'est ainsi qu'on s'est organisé à l'échelon communautaire. On commence donc par les conseils tribaux, puis viennent les organisations des traités provinciaux et enfin l'Assemblée des Premières nations.

Comme ils veulent bénéficier d'économies d'échelle, ils s'organisent en conseils tribaux, dans les limites de leurs régions respectives visées par les traités.

Là d'où je viens, le premier traité a été signé en 1850; il s'agit du Traité Robinson, conclu avec les indiens Ojibwa du Lac Supérieur. Cette région compte 18 communautés relevant de deux conseils tribaux, qui se chargent de dispenser les services à leurs membres en vertu des MOF et du PTF. C'est ainsi que les gens sont actuellement organisés.

Pour nous, cette façon de faire est rétrograde. Tout à l'heure, j'ai fait le parallèle avec une famille désireuse de régler ses problèmes. Eh bien, le même raisonnement s'applique à l'échelon local, parce que là, les gens savent quels sont leurs problèmes et ils ont une bonne idée de la façon dont il faut s'y prendre pour les résoudre. Dans la plupart des cas, ils ont tout juste besoin d'un petit coup de pouce technique.

Ils comptent sur des gens comme moi pour rédiger des documents comme celui que je vous ai présenté cet après-midi, parce que rares sont ceux qui en sont capables. En moyenne, les membres des Premières nations ont un niveau équivalent à la 10e année. Cependant, ils estiment être mieux placés que les fonctionnaires d'Ottawa pour régler les problèmes locaux. Ils se rendent bien compte des répercussions de l'assurance-chômage et de l'aide sociale sur nos collectivités. Pourtant, dans le Nord, les Premières nations voient passer des camions chargés de toutes les richesses de nos terres, alors que nous ne sommes même pas consultés. On perçoit chez les nôtres un ressentiment croissant causé par le fait que nous devons partager nos ressources et notre assise territoriale pour résoudre nos problèmes. Dans mon document, je décris certaines stratégies pour résoudre ce genre de problèmes.

Il nous faut renverser la pyramide. Il faut que la base commence à fixer des orientations aux dirigeants. Voilà pourquoi je parlais d'écoute tout à l'heure. Nos dirigeants doivent écouter la base quand elle parle, et ils doivent prendre bonne note de ce qu'on leur dit.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que les orientations devraient venir de la base et que les dirigeants devaient prendre note de ce qu'on leur dit. Pourriez-vous nous dire comment, selon vous, le gouvernement fédéral devrait négocier avec les communautés autochtones?

À la façon dont je vois la démarche actuelle, les ministres ne s'adressent qu'aux dirigeants reconnus des communautés autochtones, qu'il s'agisse de communautés des Premières nations ou autres. Certains groupes se sont adressés à nous pour nous dire que leurs chefs ne les représentent pas vraiment et qu'ils ne leur ont pas donné le droit de négocier l'autonomie gouvernementale. Pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait continuer à négocier avec ces chefs autochtones reconnus ou plutôt qu'il faudrait mettre en place d'autres structures pour négocier l'autonomie gouvernementale?

M. Nabigon: J'ai des sentiments mitigés à ce sujet, étant donné notre histoire au sein du Canada. Avant la Confédération, nos chefs traditionnels parlaient au nom du peuple. Aujourd'hui, nous avons des chefs de bande qui ont été élus en vertu de la Loi sur les Indiens, ce qui en fait des produits de la colonisation. Je suppose que c'est pour cela que les gens vous font de telles déclarations.

Quant à moi, je continue à souscrire aux ententes officielles que nous avons conclues par l'intermédiaire de nos chefs. Nos gens ont mis un X en face d'un nom, sur un bulletin de vote et ont ainsi élu ces gens-là qui sont dès lors investis de l'autorité nécessaire pour parler au nom de notre peuple, sans égard à la législation en cause. Par exemple, je reconnais l'autorité de Phil Fontaine, président de l'Assemblée des Premières nations. Quand il parle au nom de toutes les Premières nations du Canada, il parle également en mon nom.

Tout le monde ne partage pas le même avis au sein de notre communauté; mais c'est ainsi dans touts les autres groupes d'ailleurs. Je suppose qu'un grand nombre d'autochtones diront que je suis un conservateur. Certes, je ne veux pas qu'on m'associe au Parti réformiste, mais j'admets être un conservateur.

Le sénateur Adams: Vous savez que vous vous adressez à un sénateur conservateur.

Le sénateur Andreychuk: Nous faisons tous deux la différence. Nous ne sommes pas des réformistes.

Je vous posais cette question, parce que le problème s'amplifie. La communauté autochtone hors réserve estime avoir des besoins pressants qu'elle qualifie d'urbains. Eh bien, faut-il traiter leurs problèmes à part ou doit-on le faire en consultation avec les chefs de bande?

M. Nabigon: Vous savez, je parle pour les communautés des Premières nations et pas pour les Indiens des villes. Je ne vois pas vraiment quelles sont leurs aspirations politiques, mais je n'entretiens aucun doute quant à la situation des Indiens inscrits vivant dans les réserves. Je connais leurs problèmes. Je sais également comment on peut les résoudre, mais je ne prétends pas parler pour l'ensemble des autochtones.

Le sénateur Andreychuk: Donc, vous parlez essentiellement pour les Premières nations.

M. Nabigon: Effectivement, je parle pour les communautés des Premières nations.

Le sénateur Adams: J'aimerais enchaîner sur la question du sénateur Andreychuk. Il y a des problèmes importants en Ontario. On a entendu dire que 45 p. 100 de la population autochtone vit dans les villes, en dehors des réserves.

Cela fait maintenant plus de dix ans que le projet de loi C-31 a été adopté au Parlement. Hier soir, une représentante d'une association de femmes nous a dit que la loi ne fonctionne pas comme elle le devrait, au point qu'il y a eu de graves problèmes dans les communautés.

Avez-vous entendu dire que des Indiens nés hors réserve, dans les villes, ont eu des problèmes en essayant de reintégrer une réserve? Que pensez-vous du projet de loi C-31?

M. Nabigon: J'ai appuyé ce projet de loi. Nombre de nos chefs affirment: «Si tu es membre de ma Première nation, je suis responsable envers toi, peu importe où tu habites, que tu sois dans une réserve ou que tu habites à la ville. On doit t'offrir des services, peu importe que tu sois visé par les dispositions du projet de loi C-31 ou que tu sois Indien inscrit.»

Certes, bien des problèmes complexes se posent en vertu du projet de loi C-31. L'assise territoriale de la plupart des communautés est insuffisante et il n'y a pas assez de ressources pour permettre à ces gens-là, qui rentrent chez eux, de trouver un emploi. Ils ont des difficultés à intégrer leur propre peuple à leur retour. On note une grande tension entre les chefs et les Indiens ou les autochtones visés par le projet de loi C-31. C'est triste à voir.

Je crois que c'est M. Crombie qui était ministre quand le projet de loi C-31 a été adopté. C'est lui qui a créé le problème. Le gouvernement aurait dû adopter des politiques plus sérieuses vis-à-vis des Indiens des villes et des autochtones visés par ce projet de loi. S'il existait une volonté nationale, on pourrait trouver une façon de bâtir l'infrastructure qui permettrait à ces gens-là de bénéficier pleinement de leurs droits. Trop souvent les gouvernements -- le gouvernement actuel comme ceux qui l'ont précédé -- estiment que le problème vient des autochtones.

Le sénateur Adams: L'adoption du projet de loi C-31 a occasionné plusieurs problèmes dans les réserves. En effet, à l'époque où le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a soumis ce projet de loi, je ne me rappelle pas combien d'Indiens hors réserve voulaient rentrer chez eux. Les réserves n'avaient pas assez de logements pour les accueillir. À l'époque, on avait imposé une limite. On avait dit: «Vous pouvez rentrer dans votre communauté et construire votre propre maison, moyennant quoi vous recevrez quelque chose comme 80 000 $.» Cependant, on ne pouvait pas leur garantir d'emploi ni un bon système d'enseignement. Pour des gens qui avaient habité pendant tant d'années à la ville, la vie dans une réserve était bien différente et il leur était difficile de s'y adapter. Vous n'êtes pas d'accord?

M. Nabigon: Effectivement. Je ne le nie pas. Selon moi, la pire des tâches incombe aux chefs et aux conseils, parce qu'ils sont pris entre leur peuple et le gouvernement avec lequel ils ont signé ces ententes. Ils ne peuvent prendre aucune décision. Peu importe ce qu'ils essaient de faire, ils sont toujours critiqués.

En fait, ils ne font qu'administrer la pauvreté. Comment avoir une communauté prospère quand 50 p. 100 des gens n'ont pas d'emploi? Et quand vous avez affaire à un influx d'Indiens visés par le projet de loi C-31, qu'en faites-vous? C'est un grave problème qui provoque bien des tensions. Nous sommes aux prises avec des problèmes de santé mentale et d'assuétude. Tous ces problèmes peuvent se multiplier, ce qui n'a rien de bon.

Je reconnais que le projet de loi C-31 est source de tensions. Dans l'espoir d'y trouver une vie meilleure, un grand nombre des nôtres vont dans les villes. Cependant, ils ne sont pas outillés pour y vivre. Ils n'ont pas les compétences voulues pour intégrer le marché du travail.

Si j'avais une baguette magique, je ferais disparaître Ottawa, sauf les sénateurs conservateurs.

Le sénateur Adams: Vous avez parlé des difficultés économiques liées à l'assise territoriale. Si tout le monde veut un gouvernement autonome, comment ferez-vous pour que l'assise territoriale soit suffisante et que vous disposiez d'installations d'enseignement adéquates? Je ne sais pas exactement quelle superficie cela peut signifier, mais si vous voulez un gouvernement autonome, vous aurez besoin de vous appuyer sur une économie.

Je veux continuer à chasser. Dans l'Arctique, il n'y a pas de saison de chasse. Certes, Ottawa réglemente la chasse de certains mammifères menacés d'extinction.

Comment envisagez-vous votre avenir pour ce qui est de l'assise territoriale des communautés situées dans des réserves?

M. Nabigon: Avant 1867, tout le Canada appartenait aux autochtones. Aujourd'hui, ils possèdent un pour cent seulement des terres. Nous ne possédons pas vraiment l'assise territoriale nécessaire pour bâtir une économie. Comme je le disais dans mon exposé, il va falloir régler les revendications territoriales. Nous devons disposer d'une certaine assise territoriale pour développer notre économie.

Vous savez, nous sommes des gens très intuitifs. Donnez-nous une occasion et nous l'exploiterons. Normalement, les parents veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs enfants. C'est pour cette raison que nous devons bâtir une société dont nous pourrons être fiers.

Pour l'instant, les Indiens n'ont pas les outils ni l'assise territoriale nécessaires; cependant, ils sont intelligents. Si le gouvernement pouvait leur ouvrir les portes et leur permettre de percer, ils y arriveraient.

Le sénateur Gill: N'oubliez pas que le projet de loi C-31 a été adopté à l'époque où le gouvernement en place était Conservateur. À ce moment-là, on s'est demandé si les Indiens étaient correctement représentés par leurs dirigeants. Aujourd'hui, en Ontario, c'est le Parti conservateur qui est au pouvoir et les Libéraux y forment l'opposition; au fédéral, l'opposition est constituée par le Bloc québécois et par le Parti réformiste. De plus, il y a toutes sortes d'organisations qui représentent l'opposition au sein des structures établies. Qui plus est, on compte de nombreuses associations d'ingénieurs, de médecins ou autres, qui représentent les gens de différentes façons, que ce soit sur un plan politique, professionnel ou autre. Eh bien, ce n'est pas le cas en ce qui concerne les peuples autochtones.

Parfois, on entend des femmes autochtones critiquer les Conseils de bande. Parfois, elles ont raison; il leur arrive aussi d'avoir tort, mais cela fait partie du jeu. Certains n'ont pas confiance dans les chefs qui disent parler en leur nom. Alors, que faites-vous pour corriger ou pour améliorer ce genre de situation?

M. Nabigon: L'Association des femmes autochtones du Canada et d'autres associations, dont l'AFN, sont des organismes de protestation et de lobby. C'est cela leur vocation. La plupart démarchent sénateurs et députés. C'est la nature de la démocratie et c'est un bon système. D'ailleurs, je crois que c'est un des meilleurs systèmes au monde. Si je formulais le même genre de propositions dans d'autres pays, je me retrouverais en prison pour subversion.

Pour en revenir à votre question, le gouvernement choisit qui il veut entendre. S'il décide d'entendre l'AFN, rien ne l'en empêchera. L'AFN a déjà joué un rôle déterminant pour faire reconnaître la décision Delgamuukw en Colombie-Britannique. Je sais, par exemple, que l'AFN entretient des liens étroits avec Jane Stewart, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Cette voix est donc entendue au gouvernement. Je n'aurais pas l'arrogance de venir déclarer aux sénateurs que vous êtes qui parle au nom des autochtones, parce que c'est vous qui allez décider de qui vous voulez écouter. C'est à vous de prendre cette décision. Personnellement, je ne suis que la voix humble du vent qui souffle dans les arbres. C'est tout.

Le sénateur Gill: Tout comme nous. Si je vous ai bien compris, vous estimez que la communauté doit être au sommet de la pyramide, au-dessus de la nation puis du groupe des nations.

M. Nabigon: C'est exact.

Le sénateur Gill: Et au lieu de se tourner vers Ottawa, vous estimez que vos chefs, qui représentent les Indiens et les Inuits au sommet de la pyramide, doivent pouvoir eux-mêmes agir pour régler leurs problèmes. Vous pensez qu'on y arrivera, un jour? Ne sommes-nous pas en train de nous bercer d'illusions?

M. Nabigon: Je ne le pense pas. Dans notre système de croyances, nous estimons que tous les acteurs jouent dans la même pièce. D'une certaine façon, je suis lié à ce comité parce que je vis et travaille au Canada où j'enseigne à l'université. J'ai un lien avec vous mais, en même temps, je me rends bien compte que ceux qui sont les plus touchés sont ceux qui vivent dans les communautés. Leur voix est importante. Voilà pourquoi nous voulons renverser la pyramide. Ainsi, quand nos chefs prendront la parole, ils le feront au nom du peuple.

Je peux certes parler avec autorité de cette question. Le chef de notre Première nation n'a jamais eu d'opposition. Il est comme un chef traditionnel: il a été réélu huit fois. Cela fait 16 ans sans opposition. Quant à moi, il parle au nom du peuple. Il n'y a pas eu de changement de leadership.

Cependant, les communautés où les chefs changent souvent ne bénéficient pas de la qualité de leadership qu'elles méritent. L'autorité de ces chefs est reconnue par Ottawa, en vertu de la Loi sur les Indiens. D'un côté la Loi sur les Indiens nous est favorable mais, d'un autre elle joue contre nous. Dans le cas qui m'intéresse, les leaders élus par le peuple en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens sont reconnus par le gouvernement fédéral et c'est donc eux que la ministre Stewart décide d'écouter.

Le président: Dans votre mémoire, vous dites qu'une volonté nationale, un mouvement de fond est nécessaire pour régler les problèmes autochtones, quelle que soit leur nature. Vous avez également parlé de la division des pouvoirs. En outre, vous avez dit qu'il fallait régler les revendications sectorielles une fois pour toutes afin de les oublier pour qu'il n'y ait plus d'obstacles à conclure des ententes de partenariat pour mettre sur pied les organes de gouvernement autonome.

Vous avez également dit qu'il fallait renverser la pyramide. Pour enchaîner sur les questions que vous a posées le sénateur Gill, pensez-vous, comme lui, qu'il faille établir un mécanisme que le système central ne propose pas actuellement -- sans forcément se départir complètement du ministère des Affaires indiennes, mais étant entendu qu'il faut chercher à instaurer un autre mécanisme qui finira par prendre le relais?

D'après l'idée du sénateur Gill, j'imagine qu'à l'échelon national les peuples autochtones élus par la base seraient envoyés à Ottawa. Est-ce que l'idée d'une assemblée autochtone vous semble acceptable? Il ne s'agirait pas forcément d'une seule assemblée autochtone, mais peut-être de trois assemblées en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982?

M. Nabigon: Je ne sais pas si cela fonctionnerait. Si je comprends bien votre question, je dirais que les choses n'ont pas bien fonctionné en Nouvelle-Zélande avec les Maoris.

La création d'une chambre spéciale consultative ne correspond pas au concept de gouvernement autonome. Celle-ci servirait simplement à conseiller le gouvernement en place sur les questions autochtones. D'après ce que je crois comprendre de nos anciens, les autochtones veulent que le pouvoir soit rendu au peuple. Grâce à ce pouvoir, nous pourrions miser sur le développement des collectivités et, pour ce faire, nous pourrions accéder à des capitaux. Personnellement, je dirais que c'est ce qui se dégage de la volonté nationale. Les gouvernements supérieurs ont la volonté nationale d'ouvrir les portes et de faire en sorte que les choses se produisent. L'instauration d'une nouvelle strate de politiciens élus par les nôtres, appelés à représenter les autochtones dans une assemblée autochtone, ne permettrait pas vraiment de régler le problème.

Le président: Et si cette assemblée avait plus qu'un simple rôle consultatif, le problème serait réglé. Cela vous conviendrait-il si ces gens-là pouvaient s'appuyer sur une loi habilitante?

M. Nabigon: Ce serait bien sûr différent s'ils pouvaient s'appuyer sur une loi habilitante. C'est d'ailleurs ce que nous envisageons en partie quand nous parlons de compétence et de compétence législative. C'est en partie la volonté nationale qui fait défaut au gouvernement actuel. Certes, il fait de bonnes choses. Je ne l'accuserai de ne pas s'acquitter de ses responsabilités. Son document récent intitulé: «Rassembler nos forces» est très bon. Il renferme une stratégie de développement des communautés et traite de certains des problèmes soulevés depuis la Commission royale sur les peuples autochtones.

Je sais que dans la vie rien n'est parfait. Toutefois, si nous progressons par étape, nous arriverons à avancer. Par exemple, le fait que j'enseigne à l'université constitue une étape pour les peuples autochtones. Il y a vingt ans, les universités ne nous auraient pas admis. Aujourd'hui, j'y enseigne. On a accompli des progrès, mais très peu.

C'est une excellente idée que vous venez de formuler. Une loi habilitante permettrait d'aller au-delà d'un simple rôle consultatif. Après tout, pourquoi voudrais-je conseiller Jean Chrétien? J'ai bien mieux à faire de ma vie.

Le président: Dans votre mémoire, vous parlez de division des pouvoirs. Vous savez que si vous entreprenez des négociations, vous devrez marchander, que c'est du donnant donnant.

M. Nabigon: Je sais.

Le président: Certains d'entre nous, des autochtones, ont pris part à ce genre de négociations synonymes de concessions mutuelles. En fait, certains d'entre nous sont déjà passés par les étapes que vous avez décrites. Par exemple, les Inuits et les Cris du Québec sont passés par des étapes tout à fait semblables à celles que vous exposez dans votre mémoire. Après 25 ou 30 ans, on se rend compte que bien des choses n'ont pas été mises en oeuvre.

La division des pouvoirs ne sera peut-être pas la meilleure chose à faire si nous voulons devenir une nation autochtone, si nous voulons administrer notre propre système. Je veux parler ici de quelque chose de différent des deux niveaux décrits aux articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Vous les connaissez.

M. Nabigon: Oui.

Le président: Si nous devons n'être qu'une tierce partie, vous êtes bien sûr conscient que nous serons sans pouvoir. Cependant, d'après la loi supérieure du pays, c'est-à-dire la Constitution, nous ne sommes actuellement pas dénués de pouvoir parce que les Premières nations y sont reconnues. S'il existe une volonté nationale, comme vous le disiez, il sera possible de progresser dans le sens que vous avez suggéré. Vous n'êtes pas d'accord?

M. Nabigon: Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire.

Le président: Cependant, vous n'êtes pas forcément d'accord avec la division des pouvoirs. J'ai un problème avec la partie de votre exposé qui traite de la division des pouvoirs. Je sais qu'à un moment donné, si vous aviez les outils nécessaires pour agir sous la forme d'une loi habilitante, vous pourriez, à partir de ce moment-là mais pas avant, formuler vos droits et négocier en cas d'impasse.

M. Nabigon: J'adopterais une approche gradualiste plutôt que la vôtre. À la façon dont fonctionne le système actuel, Ottawa, mais pas mon chef ni mon conseil, a le droit de déterminer si je peux être membre de ma propre Première nation. Ainsi, il faut que la division des pouvoirs inclue le droit d'adhésion à une bande. Je fais ici allusion au gouvernement de la base.

Le président: Vous auriez l'autorité fondamentale dont vous avez besoin.

M. Nabigon: Effectivement, nous aurions l'autorité fondamentale dont nous avons besoin et nous aurions aussi la confiance nécessaire.

Le président: Mais vous ne parlez pas vraiment de la question de la compétence sur les territoires.

M. Nabigon: Si, parce que nous devons contrôler d'une certaine façon la manière dont ce territoire va être développé. Pour l'instant, je parle d'une assise territoriale fantomatique. Nous devrions avoir un certain contrôle sur cette terre.

Le président: Nous sommes aussi aux prises avec le concept de «nation». Il arrive qu'une communauté et non un collectif de communautés se définisse comme nation. Comment résoudre ce problème?

M. Nabigon: Eh bien, j'appliquerais la définition du statut de nation des Nations Unies. Ce statut de nation implique une assise territoriale ainsi qu'un peuple ayant en commun une langue et des traditions. La nation ojibwa -- nation dont je suis issu -- est répartie tout autour du Lac Supérieur. Nous sommes la plus importante nation autochtone au Canada. Nous avons une langue commune, une assise territoriale commune, des traditions communes, des croyances spirituelles communes et des façons communes de faire les choses. Quant à moi, cela répond à la définition de nation.

Cela ne se limite pas à la réserve, mais concerne une région tout entière. D'après les fouilles archéologiques, nous sommes là depuis 20 000 ans.

Le sénateur St. Germain: J'ai grandi dans la campagne manitobaine, au sein d'une communauté métisse. Je vais peut-être par trop simplifier les choses, mais j'aimerais obtenir votre réaction sur un point. Si notre peuple autochtone devait occuper une place égale au sein de la société, j'estime que la plus grande ressource dont il pourrait jouir est l'éducation. Vous-même et d'autres que j'ai rencontrés, et qui sont très actifs au sein de la communauté autochtone, en êtes des exemples vivants.

Vous nous avez dit que vous vouliez qu'on rende le pouvoir aux peuples autochtones, ce qui est parfait, et qu'il fallait également leur donner des ressources pour que cela devienne réalité. Personnellement, j'estime que cet argent, outre qu'il devrait payer la subsistance de base, devrait être uniquement consacré à l'éducation.

Au comité, nous avons parlé de l'importance de l'éducation avec d'autres chefs autochtones, notamment avec ceux de Gillam, au Manitoba.

Par ailleurs, qui dit éducation dit mobilité. Ne serait-il pas possible de continuer à insister sur l'éducation tout en favorisant la mobilité pour que les Indiens instruits puissent aller à Montréal et y enseigner dans les universités ou faire d'autres choses, tout en continuant d'aider leurs nations et leurs communautés? Ils pourraient ensuite revenir au sein de leurs nations et y transmettre ce qu'ils auraient appris. Ainsi, les gens ne seraient pas confinés dans les réserves où il n'y a quasiment rien à faire.

Quand il est allé à la Baie James, l'archevêque Desmond Tutu a conseillé aux autochtones d'y installer une industrie, peu importe laquelle. Je ferais cependant remarquer au passage que, peu importe l'industrie qu'on implantera, il faut d'abord avoir un marché. Le gouvernement a bâti une infrastructure au Cap-Breton et a essayé d'y attirer certaines industries, mais tout le monde a fait faillite parce qu'il n'y avait pas de marché pour ce qu'on produisait. Il y a là-bas des rangées d'entrepôts et d'usines vides qu'il a fallu fermer parce qu'il n'y avait tout simplement pas de marché.

Qu'en pensez-vous? Est-ce que je mets complètement à côté ou est-ce que je simplifie trop la situation?

M. Nabigon: Je ne pense pas qu'on puisse parler de simplification abusive. Le fait que le gouvernement construise d'imposantes infrastructures pour favoriser l'activité économique malgré l'absence d'un marché susceptible d'absorber les coûts en jeu, correspond à une folie, dans le meilleur des cas. Personnellement, j'estime que ce raisonnement ne tient pas debout.

Environ 12 p. 100 de la population générale du Canada a un niveau postsecondaire. Chez les autochtones, cette proportion tombe à un pour cent seulement. Nous avons beaucoup de chemin à parcourir pour rattraper la population canadienne générale. À l'évidence, l'éducation est un moyen d'y parvenir. Mais d'abord, il faut savoir lire et écrire. Il est évident que si je ne savais ni lire ni écrire, je ne serais pas assis ici.

Quand on songe aux besoins d'une communauté, on doit prendre en compte l'isolement et l'absence de marchés. Ainsi, quel genre d'économie peut-on bâtir dans une région isolée, hors d'un système de consommation? Il faut trouver une façon d'écouler les produits sur d'autres marchés. Nos communautés ne manquent pas d'idées à ce sujet. Nous ne nous demandons pas forcément au gouvernement fédéral de déménager ses fonctionnaires dans le Nord. Après tout, pourquoi voudrais-je avoir des fonctionnaires d'Ottawa dans ma communauté? C'est insensé.

En revanche, il serait logique dans notre cas de miser sur le secteur secondaire, c'est-à-dire l'écotourisme et ce genre de chose. Il est bien des façons de développer ce pays et en même temps de renforcer nos collectivités, et pas uniquement les collectivités autochtones.

Si, plutôt que de recevoir des paiements de transfert, nos gens étaient appelés à payer des impôts, nous serions bien mieux lotis. C'est tout ce que je veux dire.

Le sénateur St. Germain: Êtes-vous d'accord que la grande majorité des autochtones devraient quitter leurs réserves pour aller travailler dans les grands centres industriels?

M. Nabigon: Un grand nombre de nos gens sont déjà des migrants. Ce n'est pas un problème.

Le président: Merci pour votre excellent exposé. Nous recommuniquerons avec vous.

Nous allons maintenant accueillir l'ambassadrice Simon avec qui j'ai grandi et suis allé à l'école.

Je vous en prie, allez-y madame Simon.

Mme Mary Simon, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ambassadrice des Affaires circumpolaires: Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier d'avoir relevé ce défi. J'attends votre rapport avec impatience et je me réjouis d'avance de la lumière que votre réflexion fera sans doute sur cette question complexe et fascinante. Je vous remercie aussi de m'avoir invitée à prendre la parole.

Aujourd'hui, j'aimerais aborder plusieurs sujets et contribuer ainsi, je l'espère, au travail important que fait votre comité en réalisant cette étude spéciale sur l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Je m'en tiendrai aux questions qui concernent les Inuits et aux choix qu'ils ont faits relativement à l'exercice des pouvoirs par les autochtones, question en constante évolution, ainsi qu'aux contributions des Inuits dans ce domaine.

Les Inuits sont à l'origine de démarches originales et importantes sur le plan historique, tel l'établissement du territoire du Nunavut et la conclusion de traités pour régler leurs revendications territoriales globales, qui comprennent tous certaines clauses sur l'exercice des pouvoirs.

Les Inuits contribuent activement aussi à des forums internationaux et ils exercent leur influence sur l'élaboration de nouvelles politiques.

Permettez-moi de commencer par ce qui est peut-être le sujet le plus controversé -- le choix que les Inuits ont fait, qui s'exprime dans le nouveau gouvernement du Nunavut, d'un régime politique de gouvernement populaire plutôt qu'ethnique. À mon sens, il faut voir le débat qui entoure ce choix comme une question subjective plutôt que qualitative, à savoir si un régime politique ou un ensemble d'institutions en particulier permet à un peuple donné d'atteindre ce qu'il perçoit comme ses objectifs propres en matière d'«autonomie gouvernementale».

L'autodétermination et l'autonomie gouvernementale sont en réalité des processus. En ce qui concerne le nouveau territoire du Nunavut, il est encore trop tôt pour déterminer si les Inuits trouveront que le régime de gouvernement populaire qu'ils ont choisi leur permettra d'atteindre leurs buts en matière d'autonomie.

À l'époque où les Inuits négociaient leurs revendications, pendant les années 1980, le gouvernement fédéral avait adopté la position à la table de négociation que la création d'un nouveau territoire n'avait pas de rapport avec l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Une fois la loi adoptée par le Parlement en 1993, toutefois, le gouvernement fédéral a semblé modifier sa démarche. Il lui arrive souvent, maintenant, de parler de la création du Nunavut comme d'un exercice d'autonomie gouvernementale pour les Inuits. Ce changement apparent de stratégie de communication ne reflète pas nécessairement un changement de position; il s'agirait plutôt de laisser entendre que l'«autodétermination» est réalisable au sein des «institutions administratives publiques».

On dit dans la politique fédérale de l'autonomie gouvernementale des autochtones que des groupes inuits habitant diverses régions du Canada ont exprimé le désir de combler leurs aspirations en matière d'autonomie gouvernementale en s'intégrant au sein de structures gouvernementales plus vastes et ce, même s'ils possèdent déjà ou s'ils doivent recevoir leur propre assise territoriale en vertu d'un accord sur des revendications territoriales globales. La création du territoire du Nunavut est un exemple, sur une grande échelle, d'un tel arrangement. La conclusion d'ententes sur l'autonomie gouvernementale dans le contexte d'un gouvernement populaire n'exclut pas qu'on envisage plus tard de conclure d'autres ententes, dans la mesure où toutes les parties concernées donnent leur accord.

Les Inuits aussi considèrent le nouveau gouvernement du Nunavut comme le leur, non pas de manière exclusive, mais bien plutôt de manière inclusive.

Permettez-moi de citer M. John Amagoalik, qu'on appelle souvent le «père du Nunavut».

Il fut un temps où nombreux étaient ceux de ma génération qui n'étaient pas fiers de leur identité inuite et n'étaient pas sûrs de vouloir devenir des citoyens canadiens. Aujourd'hui, nous assistons à un renouveau de la fierté inuite et nous sommes devenus de loyaux citoyens du Canada. Malgré le fait que les nôtres ont fait l'objet de discrimination raciale par le passé, nous recherchons la réconciliation et nous voulons que tout le monde se sente bienvenu dans notre patrie. Notre patience et notre volonté de partage restent des piliers de notre société.

En tant que groupe largement majoritaire dans le territoire du Nunavut, les Inuits ont opté pour un régime politique qui sera modelé et réétudié avec le temps afin de répondre aux besoins des gens de la région - ou peut-être ont-ils pris une chance que ce soit le cas. Il s'agit d'un régime fondé sur un choix démocratique plutôt que sur l'ethnicité et les droits qui en découlent -- seul le temps nous dira si c'était un choix éclairé.

Permettez-moi de parler maintenant des contributions qu'ont apporté les Inuits à d'autres formes d'exercice des pouvoirs, notamment à la formulation des politiques. Le Conseil de l'Arctique en est l'exemple le plus actuel. Inauguré en septembre 1996, le processus qui a mené à l'établissement du Conseil de l'Arctique est un bel exemple de persévérance et de dialogue constructif qui a permis d'établir des nouvelles relations entre les autochtones et leurs gouvernements. La catégorie de participants permanents a été créée pour permettre la participation active et la pleine consultation des représentants autochtones de l'Arctique au sein de cet organisme. Le Conseil de l'Arctique a adopté plusieurs mesures qui contribuent directement à l'autodétermination des autochtones et à la capacité de la population autochtone du Nord de prendre de sages décisions au sujet de son avenir, notamment l'administration de ses affaires.

La première de ces mesures porte sur les enfants et les jeunes de l'Arctique canadien. Elle vise, premièrement, à améliorer la santé et le bien-être des enfants et des jeunes de l'Arctique et, deuxièmement, à créer des conditions permettant de prendre des décisions éclairées en sensibilisant les jeunes et les enfants de l'Arctique au développement durable. À long terme, l'objectif est d'intéresser et de responsabiliser ces jeunes au moyen de stages, de groupes d'entraide et de possibilités d'apprentissage et de les préparer pour les décisions qui les attendent.

Pour le moment, le projet est axé sur la protection de l'environnement et le développement durable. Toutefois, l'expérience acquise grâce à la coopération internationale contribuera très certainement à la capacité de la jeunesse d'aujourd'hui de contribuer en connaissance de cause aux décisions importantes sur l'administration future de ses affaires.

C'est cette prochaine génération de jeunes Inuits, peut-être plus que toute autre génération qui l'a précédée, qui aura à composer avec les contraintes de l'évolution sociale et technologique. Les décisions que nous prenons aujourd'hui détermineront si ces jeunes pourront faire face à l'avenir dotés des connaissances et de la confiance nécessaires pour façonner leur milieu social, économique et politique, ou s'ils abdiquent cette responsabilité.

Il est inutile de songer à un meilleur avenir pour les jeunes et les enfants des contrées du Nord sans reconnaître la nécessité de créer de meilleures possibilités d'enseignement pour eux. Aussi ce programme est-il étroitement lié à la création d'une université de l'Arctique. Cette «université sans murs» sera composée d'un consortium d'institutions d'enseignement supérieur collaborant pour offrir des programmes d'enseignement dans leurs domaines d'excellence. Ces programmes seront offerts aux quatre coins de la région circumpolaire. L'université de l'Arctique est l'initiative de ceux qui en bénéficieront -- les habitants du Nord, et sa réalisation tient à leur volonté.

À la longue, on s'attend à ce que la coopération entre les établissements d'enseignement, à l'échelle régionale et internationale, favorise une meilleure compréhension des facteurs nécessaires pour se doter d'organes administratifs solides qui répondent aux besoins de la population du Nord et à l'évolution de ses capacités.

Une autre mesure très intéressante concerne la décision du ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, avec l'appui du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, de formuler une politique étrangère pour le nord du Canada. La formulation de cette politique est le fruit d'un remarquable processus de consultation avec la population du Nord, y compris la consultation si importante des gouvernements territoriaux, des autochtones et de leurs organisations représentatives. La politique met à contribution les relations étrangères du Canada afin de garantir la prospérité et le bien-être de la population du Nord. Elle témoigne des progrès réalisés par le Canada dans ses tentatives soutenues pour fixer de plein gré des objectifs clairs. Elle tient également compte du fait que la transformation des régions du nord du Canada l'obligera à obtenir la coopération de la communauté internationale afin de régler bon nombre des problèmes qui surgissent dans ses régions ou de mettre à profit les occasions qui se présentent.

La politique sera articulée autour des objectifs principaux concernant le bien-être et la prospérité des Canadiens du Nord, la protection et la remise en état de l'environnement du Nord et la création d'une région circumpolaire stable et prospère.

L'une des façons de concrétiser cet objectif, c'est en préconisant l'administration sage des régions circumpolaires et en favorisant leur développement démocratique. Par la même occasion, toutefois, la politique tient compte du rôle spécial dévolu aux peuples autochtones dans ce processus et prévoit la fixation d'objectifs afin d'assurer leur collaboration aux décisions internationales affectant l'Arctique et de faire reconnaître et d'élargir leurs droits.

Les Inuits du Canada ont un rôle central à jour dans ce processus. Nous avons déjà des exemples où, avec l'aide du gouvernement fédéral, ils collaborent avec les peuples autochtones de Russie au développement de leurs institutions -- premier pas vers la réforme, la saine administration et la démocratie. Grâce à l'initiative des Inuits, ces groupes autochtones sont mieux en mesure d'affecter leurs ressources humaines à la restructuration de leurs institutions.

La rédaction du document de politique achève. Le document fera l'objet d'un débat dans le Nord avant d'être finalisé. Les gouvernements territoriaux et régionaux et les municipalités ainsi que les organisations autochtones continueront d'être consultés sur la fixation des priorités du gouvernement découlant de la politique et sur la mise en oeuvre des décisions.

On pourrait se demander ce que ces processus ont à voir avec l'autonomie gouvernementale des autochtones. Pour ma part, je suis convaincue que nous avons tout à gagner à nous intéresser à la formulation de la politique canadienne et internationale. Le fait de limiter notre champ d'intérêt aux questions nationales nous prive d'une occasion par excellence d'influencer le milieu international et de nous assurer son concours pour promouvoir les aspirations des Inuits et protéger leurs droits.

La communauté internationale dont nous faisons partie se diversifie de plus en plus, ce qui présente à la fois des occasions et des dangers. La collaboration des Inuits à l'évolution de l'autonomie gouvernementale et à l'autodétermination peut apporter une dimension nouvelle à ces phénomènes.

J'ai limité mon exposé parce que je suis consciente que la période de question constitue la partie importante de cette séance. Je m'arrête donc ici pour l'instant.

Le sénateur St. Germain: D'abord, en anglais vous avez parlé de fora internationaux. De quoi s'agit-il?

Mme Simon: D'organismes internationaux comme l'ONU, pour le développement durable.

Le sénateur St. Germain: C'est latin, ça? Je ne l'ai jamais entendu avant.

Le sénateur Pearson: C'est le pluriel de forum.

Le sénateur St. Germain: Ah bon? Eh bien, vous voyez, j'ai appris quelque chose ce soir. Au moins, je suis assez honnête pour reconnaître que je ne le savais pas.

Le témoin précédent nous a dit qu'un pour cent seulement des autochtones ont fini le secondaire. Certains d'entre nous pensent que l'éducation est sans doute le meilleur outil pour aider les autochtones.

Pourrait-on faire quelque chose pour encourager les jeunes à parfaire leur instruction? Il doit y avoir un problème quelque part. Le niveau d'instruction des jeunes dépend souvent du milieu où ils sont élevés. J'aimerais que tout le monde comprenne ce que veut dire «fora» en anglais. Comment s'y prendre?

Mme Simon: Je reconnais qu'un grand nombre de jeunes autochtones ne terminent pas leur secondaire. Nous devrions faire plus pour promouvoir l'éducation à l'échelle communautaire. Il faut reconnaître cependant que le nombre de diplômés a beaucoup augmenté. Dans le Nord, on a constaté une augmentation du nombre d'élèves obtenant leur diplôme du secondaire. Cela tient au fait qu'on dispose maintenant d'un plus grand nombre de niveaux scolaires dans nos collectivités.

Quand le sénateur Watt et moi-même fréquentions l'école, il n'était pas possible de dépasser la 6e dans notre village et il nous a fallu aller ailleurs pour poursuivre nos études. Nous étions très jeunes.

Le fait de devoir quitter son village pour aller à l'école posait un grand nombre de problèmes, pas uniquement parce que nous devions aller en pension, mais parce que nous étions séparés de nos familles et que nous subissions alors un choc culturel. L'éducation est en train de s'améliorer parce qu'aujourd'hui les jeunes peuvent rester dans les mêmes écoles.

On a entrepris certains projets au Canada pour promouvoir l'éducation, notamment par le biais d'un programme national baptisé «L'école avant tout». Il est de plus en plus répandu dans le Nord où certains de nos chefs viennent prendre la parole devant nos enfants pour les inciter à rester à l'école. Ainsi, ils renforcent l'idée que pour être apte à affronter la vie quotidienne et le reste du monde, il faut acquérir une éducation officielle.

Les jeunes nous rappellent que, de nos jours, il leur faut un salaire pour vivre. Ainsi, même s'il est très important qu'ils préservent notre mode de vie traditionnel, ce dont nous avons d'ailleurs fait une priorité pour notre culture dans le Nord, cet aspect n'est pas le seul devoir qui leur incombe. Ils doivent s'instruire pour avoir un emploi plus tard. Malheureusement, il n'y a que très peu de débouchés dans le Nord. On tourne en rond, car les jeunes les plus instruits ne trouvent pas forcément d'emploi dans leurs collectivités, ce qui crée un autre problème.

Dans mon exposé, j'ai également parlé des mesures prises du Conseil de l'Arctique concernant les enfants et les jeunes, mesures dont le second volet touche à l'éducation et aux stages. On peut envoyer nos élèves et nos étudiants dans d'autres pays pour qu'ils découvrent les différentes activités se déroulant dans la région circumpolaire. En voici un exemple.

Dans le Nord, nous comprenons le développement durable d'une certaine façon. À nos yeux, il consiste à gérer nos ressources de façon raisonnable et donc à ne pas les surexploiter. Or, cela n'est pas très bien compris dans le sud.

Quand les responsables du nord et du sud se rencontrent pour parler de questions de développement, la discussion tourne autour de la notion de durabilité de l'environnement et pas de durabilité de nos collectivités. Nous voulons que les jeunes apprennent davantage à propos de ce qu'il faut entendre par développement, pas simplement sur le plan environnemental, mais aussi sur le plan des débouchés d'emploi, sans pour autant négliger la protection de l'environnement. C'est le genre de choses que nous faisons dans le Nord, afin de promouvoir une meilleure éducation chez les jeunes.

Le sénateur St. Germain: Vous avez, je crois, parlé de mobilité. On peut toujours avoir le meilleur système d'enseignement au monde, mais à quoi sert-il s'il n'y a pas d'emplois sur place? Pour trouver des emplois, les gens doivent être mobiles. Les jeunes vous disent qu'ils ont besoin de ressources financières pour avoir un niveau de vie raisonnable, mais peut-être qu'ils ne pourront avoir ces ressources que dans le sud.

Tout cela va à l'encontre de ce que vous déclarez -- le développement durable ne se ramène pas simplement à une question de protection de l'environnement, il s'agit aussi d'assurer la survie de la communauté. Ces deux principes s'opposent. Comment les réconciliez-vous?

Mme Simon: Tout se ramène à la question de gouvernement autonome que votre comité étudie. Je ne pense pas que les gens aient intérêt à quitter la région. À ce que je sache, personne ne veut vraiment quitter sa communauté. En fait, il est même parfois difficile d'inciter les gens à déménager de Keewatin à l'île de Baffin, deux collectivités du Nord. Alors vous imaginez ce que cela peut signifier de déménager du nord dans le sud. Personnellement, je ne crois pas que les gens soient vraiment prêts à quitter la région.

Notre défi consiste à trouver une façon d'offrir davantage de débouchés aux résidents du Nord. Le nouveau gouvernement du Nunavut nous donne une façon d'y parvenir, par l'administration gouvernementale. Je crois que les gens peuvent désormais exercer un plus grand contrôle sur l'enseignement. Ils ont plus de contrôle sur l'essor économique et social à l'échelon communautaire. De plus, le gouvernement autonome leur conférera l'autorité nécessaire sur le développement dans le Nord et leur permettra de négocier des projets avec les promoteurs pour amener la prospérité économique dans le Nord.

C'est un problème très complexe, mais au bout du compte il faut disposer des institutions gouvernementales pour que les communautés autochtones aient vraiment voie au chapitre.

Le sénateur Johnson: Que faites-vous en tant qu'ambassadrice aux Affaires circumpolaires?

Mme Simon: Bien des choses. Quand on m'a nommé ambassadrice, on m'a demandé de négocier la création du Conseil de l'Arctique. J'ai été nommée il y quatre ans et demi. La négociation de l'accord m'a pris deux ans. Le conseil est composé de huit nations de l'Arctique et de quatre organisations autochtones internationales. Après la création de ce conseil en 1996, j'en ai assumé la présidence pour le Canada pendant deux ans.

Quand la présidence a été assumée par les États-Unis, le ministre Axworthy m'a demandé d'élaborer la politique étrangère du Nord. Je passe le plus clair de mon temps à sillonner le Nord, à consulter les résidents du Nord, autochtones et non-autochtones. Nous sommes en train de rédiger cette politique.

De plus, je travaille sur 25 ou 30 autres dossiers.

Je conseille à l'occasion M. Axworthy et Mme Jane Stewart, dont je relève pour les questions nationales et internationales.

Le sénateur Johnson: Merci pour ces précisions. Cela m'amène à vous demander comment les peuples autochtones du Canada peuvent établir des liens avec les actuelles structures gouvernementales du Conseil de l'Arctique. Cet aspect est lié à notre étude sur l'autonomie gouvernementale autochtone. Nous sommes conscients que les peuples autochtones devront surmonter plusieurs défis pour mettre en place leur gouvernement. Que pensez-vous du Conseil de l'Arctique et des huit autres pays avec lequel vous travaillez sur les questions de gouvernement?

Mme Simon: Un bon exemple à citer à cet égard est celui du gouvernement du Canada. Chaque fois que nous participons à des réunions du Conseil de l'Arctique, et je suis généralement la chef de délégation, nous veillons à ce que les participants soient des représentants des peuples autochtones. Les trois territoires sont maintenant représentés. En outre, des chefs d'organisations autochtones comme les Dénés, les Premières nations du Yukon et les Métis sont invités à faire partie de la délégation canadienne.

Nous avons aussi une catégorie de participants permanents, qui vient juste derrière celle des États membres. Il est entendu que ces gens-là participent à toutes les délibérations. La seule différence entre les représentants des États membres et les participants permanents tient au fait que les décisions sont prises par les premiers, qui sont au nombre de huit. Toutefois, comme les participants permanents exercent un important lobby auprès des nations de l'Arctique, la plupart du temps, ils influencent les décisions.

Donc, vous voyez que ce mode de gouvernement donne lieu à un partenariat de plus en plus important entre les représentants autochtones et les gouvernements du Nord et les gouvernements des États nations.

Voilà comment peut fonctionner un gouvernement autonome. Nous sommes encore loin de la perfection, mais je pense que c'est la première fois que des organisations autochtones ont été officiellement acceptées au sein d'un gouvernement international comme le Conseil de l'Arctique.

Le sénateur Johnson: Que savez-vous de l'aspiration à l'autonomie gouvernementale de peuples autochtones appartenant à d'autres nations membres du Conseil de l'Arctique, comme le Groenland? Que se passe-t-il sur ce front dans d'autres pays où l'on trouve des populations autochtones?

Mme Simon: Cela varie d'une région à l'autre. Il existe la loi d'autonomie du Groenland depuis 1979, qui est très semblable à celle sur le Nunavut. Des accords ont été négociés avec le Danemark et des ministères ont été transférés petit à petit au nouveau gouvernement du Groenland. Il y a des parallèles avec ce qui se passe au Nunavut.

Ailleurs, comme en Norvège, en Suède et en Finlande, il existe ce qu'on appelle des «parlements saami», qui font partie des parlements nationaux. Ils ne sont pas investis des pleins pouvoirs d'un parlement et ont plutôt un rôle consultatif auprès des parlements nationaux.

Le sénateur Johnson: Ils ont donc un rôle consultatif?

Mme Simon: Oui. Leurs décisions sont soumises au parlement norvégien. Ils font des recommandations sur certains dossiers. L'un des problèmes avec le peuple saami tient au fait qu'il n'a pas d'assise territoriale, ce qui rend très problématique la création d'institutions gouvernementales.

En Russie, il n'existe pas vraiment de système. J'ai brièvement parlé d'un projet auquel participe la Conférence circumpolaire inuite, qui est financé par l'ACDI et dont l'objet est d'aider les autochtones à se doter d'institutions. Non seulement les autochtones de là-bas ne savent pas comment se gouverner, mais de plus ils ne sont pas en mesure de se doter des capacités voulues en matière d'organisation non gouvernementale. Eh bien, en vertu de ce projet qui est en place depuis deux ans, les peuples autochtones russes sont venus au Canada pour se renseigner sur ce qui se fait dans différentes régions du Nord. Je crois que ce genre d'expérience est très utile.

Le sénateur Johnson: Que vont-ils retenir de notre nouveau territoire et de ce qui s'y fait?

Mme Simon: Eh bien les réactions ont été extraordinaires de par le monde. On en a beaucoup parlé non seulement dans le nord circumpolaire, mais dans le monde entier. Dans l'ensemble, les peuples autochtones y voient un exemple de partenariat entre nos peuples et les États-nations. Ils voient cela sous un jour très positif.

Le sénateur Johnson: Vous avez fait un travail exceptionnel et vous en avez encore un tout aussi excitant qui vous attend.

Le sénateur Pearson: J'aimerais enchaîner sur la question des enfants et de l'éducation. Vous nous avez donné une excellente présentation que nous avons beaucoup appréciée. Elle nous a permis de clarifier les questions de gouvernement autochtone sur lesquelles nous nous penchons. Il s'agit d'un modèle de gouvernement public, non ethnique, axé sur la coopération. Comme vous le disiez, il faudra attendre pour savoir exactement ce qui va se passer, mais nous sommes optimistes.

Vous êtes pas mal avancés dans l'intégration des jeunes au processus décisionnel. Il existe d'ailleurs une organisation circumpolaire de jeunes, n'est-ce pas? Pouvez-vous nous dire comment vous intégrez les jeunes à la structure politique ou comment vous les préparez à la vie politique?

Mme Simon: Les organisations circumpolaires s'efforcent depuis 10 ou 17 ans d'intégrer les jeunes. Ils font d'ailleurs partie de la Conférence circumpolaire inuite. Tous les trois ans, les Inuits tiennent un rassemblement international auquel participent les Inuits de quatre pays: les États-Unis, le Groenland, le Canada et la Russie.

Nous avons une approche pratique qui consiste à les laisser participer aux délibérations. La participation au travail de la CCI est un exemple d'initiative intéressante. On commence à sentir monter davantage de leaders chez les jeunes, du moins plus qu'il y a 10 ou 15 ans. Les gens de notre groupe d'âge ont été les derniers à travailler ensemble, après quoi on a assisté à une certaine désaffection chez les jeunes. On sent maintenant une résurgence de l'intérêt des jeunes, tant pour les questions nationales que des questions internationales.

Si j'ai tellement insisté pour faire accepter des projets concernant les enfants et les jeunes au Conseil de l'Arctique, c'est pour que des jeunes de différents pays puissent participer à nos travaux de même qu'à une formation en cours d'emploi. La formation en cours d'emploi fonctionne très bien pour un grand nombre de jeunes et nous essayons de la promouvoir à l'échelon du conseil par le biais des programmes de stage.

Dans le nord canadien, différentes organisations de jeunes se réunissent presque tous les ans. Les responsables des différentes régions collaborent très bien ensemble, ce qui incite les jeunes à participer.

La participation des anciens est très importante pour les communautés inuites de même que pour favoriser la participation des jeunes. La combinaison des deux produits d'excellents résultats, ce dont nous nous réjouissons.

Le sénateur Pearson: Voilà de bonnes nouvelles. Nous sommes à la recherche de gens comme le sénateur Watt et vous-même qui étiez très jeunes quand vous êtes entrés en politique. Comme vous le disiez, d'une certaine façon, nous avons sauté une génération, mais nous pouvons collaborer pour corriger la situation, pour partager avec les jeunes. Ce faisant, on les intègre à un réseau et on maintient leur intérêt en éveil. C'est formidable. Nous pouvons maintenant compter sur une structure qui est là pour rester.

Les organisations qui oeuvrent à l'instauration de gouvernements autochtones autonomes doivent chercher à intéresser les jeunes et à les faire travailler aux côtés des anciens. C'est comme cela qu'on parvient à une bonne interaction entre les générations.

Le sénateur Gill: Ma question se rattache à celle du sénateur St. Germain. Dans ma région, on a créé des villes artificielles il y a quelques années, comme Labrador City, Wabush et Schefferville, James Bay et Radisson. Le sénateur St. Germain parlait de la mobilité de la main-d'oeuvre et ma question concerne justement ce sujet.

La plupart des travailleurs ces régions ne sont pas autochtones. Ce sont des gens du sud qui viennent suivre leur formation puis travailler dans le Nord. Pourtant, certaines de ces villes ont été bâties à proximité de populations autochtones. Nous commettons ce genre de folie depuis des années et j'imagine que c'est la même chose partout au Canada.

Plus le nord se développe et plus les autochtones sont marginalisés. Nous dépensons beaucoup d'argent pour former les non-autochtones dont certains rentrent chez eux une fois par semaine. On construit de grands gymnases et d'autres centres de distraction pour leur donner l'impression qu'ils habitent encore dans le sud. Entre-temps, les populations autochtones voisines sont prêtes à suivre une formation mais elles doivent attendre.

Pourrait-on établir un pont entre les débouchés d'emploi et le développement? Il y a l'écotourisme, l'ethnotourisme et l'exploitation minière. Il y a bien des activités possibles dans le Nord. Ne pourrait-on pas faire un lien entre ces nouvelles activités et les jeunes ainsi que les centres de formation? Pourquoi ne pas former les gens du Nord dans ces domaines d'activité, plutôt que d'en faire venir du sud?

Il nous faudrait certes planifier, mais nous avons déjà les ressources. Bien sûr, le gouvernement devrait mettre la main à la pâte. Nous devrions arrêter ce genre de folie et commencer à employer les gens sur place. Quelle est votre position à ce sujet?

Mme Simon: C'est un problème litigieux dans le Nord et dans d'autres communautés autochtones. Je reconnais que, depuis de nombreuses années et c'est encore le cas maintenant, on fait venir des gens du sud pour travailler au projet de développement dans le Nord.

Cependant, on sent un mouvement qui tend à faire changer tout cela. Le sénateur Watt pourrait vous parler de l'entente qui a été signée au Nunavut avec une société d'exploitation minière. C'est un exemple de la façon dont on peut négocier des ententes avec les promoteurs, non seulement pour permettre à des organisations comme Makivik d'obtenir une part des revenus, mais aussi pour former les gens de la région. Falconbridge a fait la même chose dans le cas de l'exploitation minière et les gens semblent très contents de la façon dont les choses se déroulent.

Il est donc possible à deux parties de mener ce genre de négociations et de conclure une entente. Les pouvoirs de négociations ne sont pas toujours équitables, tout dépend de la situation. Il faut donc procéder au cas par cas.

Pour en venir à l'université de l'Arctique, nous avons l'intention de l'articuler autour du concept virtuel. Nous ne bâtirons pas de grands édifices qui porteront le nom d'Université de l'Arctique. En revanche, elle sera reliée avec plusieurs universités de la région circumpolaire, de même que d'autres universités du sud canadien. Ce réseau permettra de former les gens dans leurs communautés, grâce à de nouvelles technologies comme l'Internet et l'informatique en général. Nous pourrons donc former les gens dans certaines professions en demande sur les sites qu'on aménage.

Ce genre de formation est une réponse possible et partielle aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, mais c'est sans aucun doute un grand projet.

Le sénateur St. Germain: A-t-on fait des concessions fiscales à Falconbridge pour que cette société engage des autochtones? Recrute-t-on parmi les jeunes dans le cadre de certains programmes d'initiation susceptibles de les inciter, plus tard, à devenir des «grosses légumes» d'un ministère? Avez-vous ce genre de programme?

Mme Simon: Je ne puis vous parler de la question des concessions fiscales, mais il est possible que le président connaisse la réponse. Tout le monde en retire quelque chose, les Inuits et les promoteurs.

Le président: Il y a effectivement certains avantages. Les sociétés bénéficient de concessions fiscales consenties par le gouvernement du Québec. Cependant, elles doivent s'engager à demeurer sur place pendant un certain nombre d'années et à recruter un certain pourcentage d'Inuits, selon les catégories ou les postes à remplir.

Le sénateur St. Germain: Le Québec est-il un leader dans ce domaine?

Le sénateur Gill: Il l'est maintenant, mais il ne l'était pas avant.

Le président: Effectivement pas.

Le sénateur Adams: Après les célébrations du Nunavut, j'ai entendu qu'on allait retirer en partie les militaires de ce territoire. L'Arctique intéresse beaucoup les militaires. Avant, ils avaient leur quartier général à Yellowknife, mais le Nunavut est maintenant séparé des Territoires du Nord-Ouest. Le réseau DEW et certaines bases n'existent plus. Maintenant, tout cela a été automatisé dans les territoires. Avez-vous entendu des réactions à propos des militaires? Avant, ils effectuaient beaucoup d'exercices dans la région du Nunavut. J'ai entendu dire que le général n'est pas très content, parce que s'il pouvait aller où il le voulait avant, maintenant il doit demander l'autorisation du gouvernement du Nunavut pour effectuer des manoeuvres militaires.

Mme Simon: Je suis désolée, mais je n'ai pas les renseignements voulus pour répondre à votre question. Pendant que nous élaborions la politique étrangère du Nord, nous avons rencontré plusieurs colonels. Aucun ne m'a déclaré qu'il y avait un problème. En fait, ils nous ont même déclaré qu'ils avaient hâte de commencer à collaborer avec le nouveau gouvernement du Nord, pour continuer à travailler sur les questions de sécurité.

Depuis la fin de la guerre froide, la donne a considérablement changé sur le plan de la sécurité. Il n'est plus vraiment question de sécurité militaire. La sécurité est davantage liée à la pollution environnementale et la sécurité de l'individu. La notion de «sécurité» dans la formulation de la politique étrangère du Nord n'est pas cantonnée à la simple sécurité militaire, même si celle-ci continue d'être prioritaire.

Il y a un grand nombre d'intervenants maintenant, alors qu'avant ce domaine relevait presque essentiellement du gouvernement fédéral. Les questions de souveraineté et de sécurité revenaient au gouvernement fédéral. Aujourd'hui, comme on reconnaît l'existence d'organisations et de gouvernements territoriaux, la notion de sécurité a été considérablement élargie. Ainsi, un énorme travail attend les gouvernements territoriaux comme celui du Nunavut. Mes interlocuteurs m'ont indiqué qu'ils avaient hâte de travailler sur ces problèmes. Donc, je n'ai pas constaté le genre de problème que vous venez de soulever.

Le sénateur Adams: Maintenant que le Nunavut existe effectivement, nous avons deux ou trois autres traités à régler comme dans le cas des Inuvialuit, des Makivik et des autochtones du Labrador. Que pensez-vous qu'il va advenir des revendications territoriales de ceux qui habitent dans le nord du Québec? Le Labrador fait partie de Terre-Neuve et l'accord avec les Inuvialuit est presque conclu. Que pensez-vous qu'il va advenir des deux ou trois dernières revendications?

Mme Simon: Il faudra régler les choses au cas par cas sans perdre de vue la politique du gouvernement fédéral en matière d'entente sur le règlement des revendications territoriales et sur la négociation des ententes d'autonomie gouvernementale.

Pour ce qui est du Makivik et du Labrador, cela relève des négociations provinciales, palier avec lequel le Nunavut n'a pas eu à négocier. L'intervention des provinces rend les négociations plus difficiles, surtout compte tenu des aspirations du Québec et du fait que cette province n'envisage pas que les peuples autochtones puissent échapper à ces aspirations. Des Inuits du Québec ont pourtant clairement annoncé qu'ils ne veulent pas se séparer. Ils veulent conserver leurs liens avec le gouvernement fédéral, et cela complique d'autant les négociations. Par ailleurs, le Labrador est un cas également différent, à cause de la mise en valeur des minerais.

Je ne connais pas autant la situation de cette entente que dans le cas des Makivik ou du nord du Québec. Toutefois, l'issue dépendra de l'attitude du gouvernement de Terre-Neuve. Dès que des provinces interviennent, les questions se compliquent, mais c'est un élément incontournable des négociations.

Pour ce qui est des Inuvialuit, le déblocage de la situation dépend en grande partie de la rapidité avec laquelle les Territoires du Nord-Ouest conviendront d'un nouvel accord constitutionnel avec le territoire, de même qu'avec les autres groupes autochtones. La question est plus complexe dans l'ouest parce qu'il y a beaucoup de peuples autochtones qui ont des besoins et des objectifs différents dans la négociation des ententes de gouvernement autonome. Même la nation Déné n'arrive pas à s'entendre sur une approche commune pour régler ses revendications territoriales ou les problèmes d'autonomie gouvernementale. Ainsi, la revendication territoriale des Inuvialuit dépendra de la vitesse à laquelle les Territoires du Nord-Ouest s'entendront sur leur nouvelle constitution.

Le sénateur Adams: Le fait que les Inuvialuit se joignent au Nunavut posera-t-il problème? Pourquoi le gouvernement s'y opposerait-il?

Mme Simon: Je ne suis pas très au courant de ce dossier pour l'instant.

Le président: Nous avons tous deux participé aux négociations et à la mise en oeuvre de ce qu'on a appelé l'Accord de la Baie James et du nord québécois ainsi que l'Entente de l'est du Québec.

Récemment, nous avons accueilli un porte-parole de la Commission crie-naskapie, mise sur pied pour représenter les autochtones et contrôler l'application de l'entente et voir si le gouvernement s'acquitte effectivement de ses obligations juridiques.

Cette commission a suggéré au comité d'envisager très sérieusement de faire trois recommandations. La première concerne l'incroyable difficulté d'application des obligations légales liant la nation autochtone -- la nation crie -- les Naskapis et la Couronne.

Elle a également affirmé avec force qu'il ne fallait plus formuler de politique parce que les ententes conclues entre les autochtones et le gouvernement sont juridiquement exécutoires. Cela veut dire que la ministre des Affaires indiennes doit conserver la responsabilité fiduciaire et qu'elle devra également assumer la responsabilité de certains programmes destinés aux autochtones visés dans l'Accord de la Baie James et du Nord québécois.

Il est possible qu'il y ait un manque de volonté ou de compréhension parce qu'il y a peut-être trois ou quatre façons d'interpréter l'esprit de l'entente et de la lettre d'intention qui l'accompagne.

Que pensez-vous de ces recommandations qui nous été faites? Vous avez pris part à la mise en oeuvre de l'entente, pour essayer de parvenir à un mécanisme d'application convenant aux Inuits et au gouvernement fédéral. Ce ne sont là que des recommandations qui ne donnent aucune prise. Je le rappelle, cela nous a été signalé par la Commission crie-Naskapie qui estime qu'il faut faire plus pour que le gouvernement soit tenu d'honorer ces ententes ayant force obligatoire.

J'aimerais obtenir votre réaction à ce sujet, madame Simon.

Mme Simon: D'abord, je n'ai pas vu les recommandations en question. Je ne peux donc pas les commenter pour ce qu'elles sont effectivement. Toutefois, je peux vous donner une idée de la façon dont je perçois la situation.

Il est très difficile pour un ministère fédéral d'avoir une responsabilité de mise en oeuvre dans un accord sur une revendication territoriale aussi complexe que celui de la Baie James et du Nord québécois ainsi que de l'entente du nord-est, à cause du rôle de fiduciaire du ministère. Personnellement, je dirais que si vous n'assumez pas la responsabilité qui vous incombe, c'est sans doute parce que, même si vous ne le faites pas exprès, vous ne voyez pas quelles obligations sont les vôtres. J'ai déjà vu cela dans le passé. Je me rappelle, quand nous négocions l'accord tripartite entre les Inuits et le gouvernement fédéral, les difficultés d'interprétation que nous avons eues. Il arrive souvent que les dispositions des revendications territoriales soient ambiguës ou vagues et qu'il soit donc possible de les interpréter, comme le disait tout à l'heure le sénateur Watt, de trois ou quatre façons différentes. Cela étant, quelle interprétation doit-on retenir?

Il nous faudrait pouvoir nous appuyer sur un juge davantage indépendant pour nous assurer que les accords sont correctement mis en oeuvre. Je reconnais que la plupart des ententes comportent des obligations juridiques qui ne sont pas forcément respectées et que quelqu'un devrait donc en contrôler l'application. Il ne devrait plus être nécessaire de renégocier des accords signés. Il y a toujours place à interprétation sur la façon de les mettre en oeuvre. Je sais que, très souvent, on remet en question l'interprétation juridique.

Le président: Le groupe qui a fait ces recommandations nous a par ailleurs laissé entendre que, comme il s'agit d'accords entraînant des obligations juridiques, il suffit que les groupes autochtones contestent le gouvernement en Cour suprême du Canada pour gagner. Les mêmes témoins nous ont suggéré la mise sur pied d'un tribunal autochtone par intérim, chargé d'assumer la responsabilité des nouvelles obligations juridiques et d'éduquer le ministère de la Justice, lequel pourrait à son tour se montrer plus accessible aux autres ministères et les éduquer en aval.

Troisièmement, le ministère des Affaires indiennes étant investi de responsabilités fiduciaires et étant chargé d'administrer la Loi sur les Indiens, les témoins nous ont déclaré qu'il ne devrait pas négocier avec les groupes autochtones parce qu'il se trouve dès lors à négocier avec lui-même.

Pourriez-vous réagir de façon générale à ce sujet? Je ne veux pas de réponse détaillée, je veux juste obtenir votre réaction.

Mme Simon: J'ai déjà parlé de la question de la fiducie.

Comme je n'ai pas vu ces recommandations sous leur forme écrite, il m'est difficile de les commenter. Je ne suis pas avocate et je ne sais pas vraiment comment on s'y prend pour mettre sur pied un tribunal autochtone. Je suis cependant d'accord avec le fait qu'il faudrait un juge indépendant pour voir si les dispositions des accords sont respectées. Je suis d'ailleurs certaine que le comité va se pencher sur cet aspect.

Le président: Merci, madame l'ambassadrice. Nous avons apprécié votre exposé très clair.

La séance est levée.


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