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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 12 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 28 avril 1998

Le comité permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 37 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada.

Le sénateur Eugene Whelan (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Honorables sénateurs, notre invité ce soir est M. Alex F. McCalla. C'est un Canadien. Il vient de l'Alberta et connaît donc le Canada et bien des gens en Alberta.

Vous avez la parole, monsieur McCalla.

M. Alex McCalla, directeur, Développement rural à la Banque mondiale, Washington, D.C., et professeur d'économie agricole, Université de Californie-Davis: Honorables sénateurs, c'est un privilège incroyable pour moi de me retrouver ici, non seulement pour renouer amitié avec mon compagnon de classe, le sénateur Dan Hays, mais surtout pour pouvoir vous exposer quelques idées sur le développement rural et l'agriculture, deux grandes priorités de la Banque mondiale.

C'est une chance de pouvoir parler aux Canadiens de la grande nécessité, à notre avis, d'un engagement international renouvelé envers la recherche agricole et le développement agricole et rural, pour favoriser le développement économique.

Je dirai d'abord quelques mots sur ce qui me paraît être le défi. J'aimerais ensuite décrire brièvement ce que la Banque essaie de faire et les partenariats que nous tentons d'établir avec des organismes d'autres pays, d'où cette visite au Canada. Je terminerai cette courte déclaration en vous expliquant brièvement pourquoi, à mon avis, le Canada a intérêt à participer à nos efforts et à les appuyer, en collaboration avec d'autres partenaires.

Quand on réfléchit au soulagement de la pauvreté à l'échelle de la planète, qui constitue l'un des principaux buts de la Banque mondiale; quand on pense à l'amélioration de la sécurité alimentaire, à la réduction du nombre de personnes mal nourries, qui sont actuellement environ 850 000; quand on se demande comment donner un meilleur accès aux aliments à plus de 2,5 milliards de personnes en 2025; et quand on s'inquiète de la gestion des ressources naturelles, alors on doit se soucier de ce que fait la Banque mondiale dans le secteur rural de nombreux pays. Ces buts du soulagement de la pauvreté, de la sécurité alimentaire et de la gestion des ressources naturelles ne peuvent pas être atteints sans des politiques et des programmes qui contribuent au développement rural et à une amélioration du mode de subsistance rural. L'objectif central de tout cela est un accroissement de la productivité et de la rentabilité de l'agriculture, dont un pivot est la recherche et le développement technologique.

C'est le noeud de l'affaire, une évidence, me semble-t-il. Mais quand je suis arrivé à la Banque, il y a trois ans et demi, ce n'était pas bien compris. Je suis retourné à la case de départ, si l'on veut, et je me suis demandé pourquoi nous devrions nous soucier du développement rural.

Je confesse d'emblée que les investissements de la Banque mondiale dans le développement rural ont nettement décliné et sont passés d'un sommet d'environ 6 milliards de dollars par année à la fin des années 80 à un creux de moins de 2,4 milliards de dollars au milieu des années 90. Nous nous sommes interrogés sur les causes de ce recul. Je donnerai quelques explications à ce sujet au fil de mon exposé.

Pourquoi devrions-nous nous soucier du développement rural? Les statistiques révèlent que la pauvreté est encore et avant tout un problème rural: 70 p. 100 des pauvres de la planète qui vivent dans les pays en développement dont nous nous occupons sont des campagnards et la plupart d'entre eux dépendent de l'agriculture pour une partie ou pour l'ensemble de leur subsistance. Par conséquent, si l'on veut s'attaquer à la pauvreté, il faut trouver comment améliorer le bien-être des populations rurales.

La deuxième réalité est que la sécurité alimentaire exige un accès accru des pauvres aux aliments. La majorité des pauvres, comme je viens de l'expliquer, vivent à la campagne. Accroître la production alimentaire a donc des conséquences directes sur les populations rurales qui ont faim. La sécurité alimentaire exige un accroissement de la productivité alimentaire et de la production d'aliments, qui s'accompagnent généralement d'une production plus efficiente. Cela veut dire des prix plus bas pour les pauvres des villes. Les pauvres urbains dans les pays en développement consacrent de 70 à 80 p. 100 de leur revenu disponible aux aliments. Par conséquent, une baisse des prix des aliments signifie une hausse du revenu. Quand on voit le problème sous cet angle, non seulement du point de vue de l'amélioration de la sécurité alimentaire à la ferme, mais aussi de l'amélioration de la sécurité alimentaire dans les villes, des hausses de la productivité et de la rentabilité dans le secteur agricole sont cruciales.

Troisièmement, près de 80 p. 100 des terres arables de la planète sont cultivées par des millions de petits agriculteurs. L'agriculture dans le monde consomme plus de 70 p. 100 de l'eau douce disponible pour irriguer les terres. Dans certains pays, le pourcentage atteint 90 p. 100. C'est le cas en Inde, par exemple. Toute politique et tout programme qui vise à améliorer la gestion des ressources naturelles, doit donc passer par le secteur rural.

Tout cela me semblait bien évident lorsque je suis arrivé à la Banque, mais mes collègues ne le comprenaient pas aussi bien, et ce n'était pas bien accepté par nos partenaires dans les pays en développement. Nous nous sommes donc demandés pourquoi l'intérêt pour le développement agricole et le développement rural diminuait quand le problème restait presque aussi entier qu'il y a 15 ou 20 ans.

J'ai découvert rapidement que les gens considéraient l'agriculture comme un secteur de faible importance, comme un secteur non prioritaire dans le processus de développement. Ils considéraient l'agriculture comme un secteur en déclin dans le processus de développement et un secteur relativement petit dans les pays très riches. Ils ne voyaient donc pas l'utilité d'y investir massivement. Pourtant, l'histoire de tous les pays, y compris le Canada et les États-Unis, démontre que l'agriculture joue un rôle absolument essentiel aux premières étapes du développement. Quand on n'investit pas dans l'agriculture, dans la technologie, dans l'éducation, dans l'infrastructure et dans le développement des marchés, alors le pays se développe beaucoup plus lentement. La preuve a été faite, même dans les pays en développement. La preuve a été établie au Japon, en Corée, à Taïwan, en Malaisie et en Thaïlande, ainsi qu'en Amérique latine et au Chili. Il y avait pourtant cette impression que ce secteur était si peu important qu'on pouvait l'oublier.

Quand nous posions la question dans les pays en développement, les gens avaient tendance à voir l'agriculture comme une source de revenu et de recettes fiscales, alors ils imposaient des taxes élevées, par des taux de change surévalués, par de hauts niveaux de protectionnisme et par la réquisition directe des aliments, à des prix peu élevés.

Nous avons aussi constaté une insouciance assez importante en ce qui concerne les problèmes mondiaux de l'alimentation. On ne saisissait pas très bien qu'il y aura 2,5 milliards d'êtres humains en 2025. Même en supposant de faibles taux de croissance du revenu, les besoins alimentaires des pays en développement vont presque doubler. La plus grande partie de la hausse démographique surviendra dans les pays en développement et une hausse correspondante, dans les villes des pays en développement. La population urbaine triplera d'ici 30 ans dans les pays en développement. Les conséquences sont énormes non seulement pour les besoins alimentaires, mais aussi pour la distribution des aliments et le système de gestion des aliments. Comment nourrir cette population supplémentaire? Là encore, on prenait le problème à la légère en se disant que nous y sommes facilement parvenus au cours des 30 dernières années. Il y a eu la révolution verte. Nous avons irrigué beaucoup plus de terres. Nous avons doublé les rendements et la production et nous pensions qu'il serait facile de le faire à nouveau.

Mais la réalité est, à mon avis tout au moins, qu'il reste très peu de terres arables de haute qualité pouvant servir à la production. Si nous agrandissons les superficies cultivées, nous le ferons sur des terres fragiles et marginales, ce qui aura des conséquences écologiques comme le déboisement et la désertification. J'oserais aussi affirmer qu'il reste relativement peu de place pour une expansion de l'irrigation.

En réalité, au cours des 30 prochaines années, il faut doubler la production sur à peu près les mêmes superficies qu'actuellement et d'une façon qui ne dégrade pas l'environnement. Je soutiens que la plus grande partie de cette hausse de la production devra survenir dans les pays en développement parce que 90 p. 100 de la production alimentaire mondiale est consommée dans son pays d'origine. Les taux varient selon le produit. Il est de 80 p. 100 pour le blé, mais de 96 p. 100 pour le riz. Pour doubler la production, il faudra augmenter considérablement la production dans les pays en développement.

Mais même si c'était possible, il y aura probablement une hausse importante du commerce des aliments. Je prévois qu'il y aura également un doublement du commerce des aliments, mais que ce commerce représentera encore une partie relativement petite des besoins alimentaires mondiaux.

Le problème donc était que, d'une façon ou d'une autre, on n'avait pas l'impression que doubler les rendements exigerait des investissements continus, voire accrus, dans la recherche, au moment même où les investissements dans la recherche diminuaient, tant dans les pays développés que dans les programmes d'aide, dont malheureusement celui de l'ACDI. Les efforts consacrés au développement agricole et rural, en particulier dans la recherche, ont diminué.

Les troisième et quatrième impressions que nous avons constatées étaient que les silos du monde débordaient, qu'il existait d'énormes surplus d'aliments pouvant répondre facilement à tous ces besoins. Or, la hausse des prix en 1995-1996, lorsque les stocks sont descendus à seulement 14 p. 100 de la consommation annuelle et que les stocks publics ont été pour ainsi dire éliminés aux États-Unis et dans l'Union européenne, ont fait comprendre qu'il n'y avait pas de réserves importantes que l'on pourrait accroître. C'est alors qu'on a vraiment commencé à penser en fonction d'une croissance de la production alimentaire plutôt que d'une utilisation des stocks existants.

Compte tenu de ces facteurs, nous avons examiné ce que nous faisions chez nous. Nous avons découvert que nos programmes de développement rural intégré ne fonctionnaient pas très bien eux non plus. Nous avions un gros portefeuille, 6 milliards de dollars de nouveaux prêts par année à la fin des années 80, mais plus de la moitié des projets étaient jugés insatisfaisants lorsqu'ils s'achevaient.

Nous nous occupions aussi de certaines choses dont nous n'aurions probablement pas dû nous occuper et dont nous nous occupions plutôt mal. Nous faisions des choses que le secteur privé aurait faites beaucoup mieux que nous. Nous subventionnions fortement le crédit, sans nous rendre compte que dès que la subvention était supprimée, le crédit cessait parce que les agriculteurs avaient investi dans des activités non durables. En outre, nous avons accordé une attention relativement limitée aux politiques. Je ne parle pas de la politique agricole, mais plutôt des politiques macro-économiques. Des politiques macro-économiques qui imposent un lourd fardeau fiscal à l'agriculture, comme c'était le cas dans presque tous les pays -- avec des impôts de 30, 40, 50 p. 100 sur l'agriculture, par l'entremise d'une surévaluation du taux de change, de hauts niveaux de protectionnisme, de la réquisition directe des aliments -- faisaient en sorte que le meilleur projet au monde n'avait aucune chance de réussir si les agriculteurs n'étaient pas incités à faire ce qui était souhaité.

Ayant tiré les leçons qui s'imposaient, nous avons élaboré, avec le ferme soutien de notre nouveau président, M. James Wolfensohn, une stratégie visant à redonner un nouveau souffle à l'intérêt de la Banque pour l'agriculture et le développement rural et à réorienter nos activités en ce sens. Je suis heureux d'affirmer que nos activités dans le secteur rural et agricole se sont intensifiées quelque peu. Nos prêts en 1998 se sont chiffrés à environ 3,8 milliards de dollars, ce qui représente une légère hausse. Mais je me réjouis moins de ces chiffres que de l'attention accordée aux problèmes et aux efforts sérieux qui sont déployés dans quinze de nos pays prioritaires pour améliorer le cadre stratégique et réorienter l'attention vers l'agriculture et le développement rural.

Cette stratégie, monsieur le président, est énoncée dans ce document, dont je vais vous remettre un exemplaire. J'informe aussi les membres du comité que j'ai au moins quatre autres exemplaires, si vous en voulez un à la fin de notre discussion.

Nous avons présenté cette stratégie aux directeurs exécutifs de la Banque mondiale et obtenu ainsi l'engagement du président, de la haute direction et du conseil d'administration envers la revitalisation du développement rural et la réorientation de notre attention vers ce secteur. Nous reconnaissons que, même s'il faut envisager le développement rural comme une question cohérente et intégrée, il n'est pas intégré dans la capitale nationale, ni dans la capitale provinciale. Il n'est intégré qu'au niveau communautaire, et c'est la population locale qui rassemble tous les éléments -- l'éducation, les routes, la production. Or, nous administrions les programmes de développement rural comme si la population locale n'importait pas, parce que nous les planifiions et y affections les ressources humaines nécessaires dans les capitales et laissions ensuite le peu qui restait descendre goutte à goutte vers le niveau communautaire.

Nous avons changé d'attitude complètement. Nous avons déclaré que les politiques sont importantes, que le développement doit être décentralisé, participatif et communautaire, que la technologie est importante, que nous ne devrions pas nous occuper de ce que le secteur privé fait mieux que nous. Nous devrions nous efforcer de plus en plus d'investir dans l'infrastructure et de créer un environnement dans lequel le secteur privé peut fonctionner. Après tout, l'une des choses sur lesquelles on n'insiste parfois pas assez, à mon avis, est que les agriculteurs constituent le plus gros groupe d'entrepreneurs privés au monde. Pourtant, on a souvent tendance à les traiter comme s'ils n'étaient ni des entrepreneurs ni des agriculteurs.

Nous avons une nouvelle initiative. Le défi est complexe et difficile à relever et il exige des partenariats. Il exige des efforts dépassant largement ceux de la Banque mondiale. Notre visite au Canada vise notamment à ce que le Canada appuie une nouvelle approche et accorde une plus grande attention au développement rural.

J'aimerais dire quelques mots sur le rôle crucial de la recherche agricole dans cette entreprise. Il existe une organisation, présidée par M. Serageldin et appelée le Groupe consultatif sur la recherche agricole internationale (GCRAI). Fondée en 1971, cette organisation regroupe seize instituts de recherche internationale dans les pays en développement. Le plus près de nous est le CIMMYT au Mexique, qui fait de la recherche sur le maïs. Les deux plus anciens, l'Institut international de recherche sur le riz et le CIMMYT, ont été à l'origine de ce que l'on a appelé les cultures de la révolution verte, les riz et les blés semi-nains qui ont grandement contribué à une hausse notable de la production dans les années 60 et 70. Le GCRAI est un consortium de 22 pays développés donateurs. Vingt et un pays en développement appuient actuellement ces recherches, ainsi que des organisations internationales comme la Banque mondiale et les banques de développement régionales.

Ce groupe de centres internationaux apporte une contribution qui dépasse largement sa part de 4 p. 100 dans l'investissement mondial dans la recherche sur la sécurité alimentaire mondiale. Malheureusement, en raison du déclin de l'appui à la recherche et à l'agriculture en général, le GCRAI a subi de sérieuses contraintes financières dans les années 90. Je suis ici en partie pour tenter de persuader le Canada, l'un des membres fondateurs du GCRAI et pendant longtemps un pays qui a contribué à tous les centres, de renouveler sa contribution. Vous aviez l'habitude d'arriver au troisième rang, alors ne vous contentez plus de la septième place, derrière des pays comme la Suisse et le Danemark, qui ont accru considérablement leur appui à la recherche agricole dans les années 90.

Pour la Banque mondiale, le GCRAI constitue un investissement crucial, parce que, comme je l'ai déjà indiqué, la technologie importante pour les paysans pauvres des pays en développement est au coeur de la stratégie de soulagement de la pauvreté de la Banque mondiale. Je considère donc cet investissement dans le GCRAI crucial pour nous, et nous investissons environ 50 millions de dollars par année dans le GCRAI, ce qui constitue de loin la plus forte contribution de la Banque, parce qu'après tout, nous sommes une institution de prêt, pas un organisme de subvention.

Pourquoi donc tout cela devrait-il nous intéresser, nous les Canadiens? D'abord, parce que notre pays a la réputation -- dont il peut être fier -- de s'intéresser à l'amélioration du bien-être, au mieux-être, de ceux qui sont moins bien nantis que nous. Il y a aussi évidemment des raisons de politique étrangère qui font qu'il est important d'être considéré comme une force positive dans le développement global de notre planète. Nous avons une longue tradition à cet égard. Je dirais aussi que nous avons directement intérêt à agir ainsi. Le service agricole étranger des États-Unis a étudié les investissements dans l'agriculture et dans le développement agricole au cours des 50 dernières années et leurs conséquences sur le commerce international. Cette étude révèle que les parias en qui on a investi dans les années 50 et 60 sont désormais de très bons clients de l'agriculture américaine. Je peux citer l'exemple du Japon, puis celui de la Corée du Sud, de Taïwan, de la Malaisie, de l'Indonésie et de plusieurs autres pays. Il y a donc un avantage important à améliorer le sort des gens et à les amener à participer davantage aux marchés internationaux. Ils achètent plus de nos produits.

C'est un investissement assez rentable, je dirais. Des études ont été menées aux États-Unis et en Australie sur les retombées directes de la recherche agricole effectuée par ces centres de recherche internationaux.

L'étude américaine, achevée récemment par un collègue de l'Université Californie-Davis, révèle que les États-Unis ont obtenu un rendement de 19 p. 100 sur chaque dollar investi dans la recherche sur le riz dans les centres internationaux et un rendement de 190 p. 100 pour le blé.

Quand je suis allé en Californie au milieu des années 60, l'industrie californienne du blé était moribonde. Elle représentait moins de 300 000 acres et obtenait un rendement d'environ 50 boisseaux à l'acre. De nos jours, 1,25 million d'acres sont cultivées en blé et les rendements dépassent 100 boisseaux à l'acre. Tout le blé cultivé en Californie est du blé nain du CIMMYT qui donne un rendement élevé. Je suis convaincu qu'il y a, pour les agriculteurs canadiens, des retombées comparables pour la recherche sur le blé, la recherche sur les haricots et d'autres travaux de recherche effectués à l'échelle nationale et internationale.

Nous en tirons profit, en tant que pays et que citoyens du monde, en tant que partenaires commerciaux, et nous tirons profit directement de la recherche. Il me semble que si nous pouvons contribuer à la croissance du revenu qui permettra aux pauvres de la planète d'avoir accès à un approvisionnement alimentaire important, utile et suffisant, même s'ils continueront de produire eux-mêmes la plus grande partie de leurs aliments, il ne fait aucun doute que le commerce international augmentera considérablement.

Une étude menée par l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, l'un des centres du GCRAI à Washington, révèle qu'en 2020 -- ils l'appellent cela la vision 2020 -- le commerce des céréales aura doublé sur le marché mondial. J'espère que les agriculteurs canadiens contribueront à ce doublement. Étant moi-même originaire des Prairies, je pense que les perspectives sont plutôt prometteuses.

Le sénateur Hays: Si je vous comprends bien, entre la révolution verte et les travaux que vous et d'autres effectuez actuellement, le Canada a changé d'attitude et n'accorde plus autant d'importance aux questions rurales, à la recherche et aux politiques qui influent sur le développement rural. Je me demande pourquoi c'est arrivé. Vous avez déclaré que nous occupions le troisième rang parmi les pays qui appuient les travaux du groupe consultatif et que nous sommes maintenant descendus au septième rang et que c'est ce qui explique votre présence ici aujourd'hui. Vous voulez attirer notre attention sur l'importance de contribuer plus généreusement.

Quelle est notre contribution? Quelle est la tendance et que devrions-nous faire, à votre avis?

M. McCalla: Si je me souviens bien, elle est d'environ 12 millions de dollars américains par année, soit 17 millions de dollars canadiens. Elle a déjà été d'environ 20 millions de dollars. Pour le moment, et tout au long de l'histoire des contributions canadiennes, elle a été répartie sans conditions entre les divers centres. Contrairement à d'autres donateurs, le Canada n'a pas dit qu'il allait verser tel montant à l'IIRR, à condition que l'Institut fasse des recherches sur le riz pluvial, par exemple, Je suppose qu'à un moment donné, nous avons appuyé des recherches assez spéciales. Le Canada a appuyé un programme sur le triticale au CIMMYT, je pense, dans le cadre d'un programme spécial. En règle générale, nous avons été des donateurs génériques, ce qui veut dire que nous avons appuyé les priorités du système et les priorités des centres. Le caractère non restrictif de notre contribution est une distinction importante. Je n'ai pas les chiffres en main, mais je crois que la contribution a été plus ou moins proportionnelle à la taille de l'institution appuyée.

Pourquoi a-t-elle baissé? À mon avis, il y a plusieurs raisons.

La première est liée à l'austérité budgétaire générale et aux coûts budgétaires et, par conséquent, aux contraintes sur l'APD -- l'aide publique au développement -- qui a nettement diminué au Canada, je crois. J'ai également l'impression qu'à l'intérieur de cette baisse générale, celle de l'agriculture et des activités connexes a été encore plus grande, ce qui laisse croire que le milieu du développement au Canada a pensé que d'autres activités étaient plus prioritaires que l'agriculture et la société rurale.

Un handicap évoqué est le fait que la recherche rapporte à long terme. Il est beaucoup plus facile de convaincre les gens de s'engager à construire une route entre le point A et le point B, parce que les travaux seront terminés un an plus tard -- et qu'on pourra voir les résultats -- que de les convaincre d'investir dans un processus de recherche qui mettra de dix à quinze ans avant de porter fruit. Les avantages se feront sentir à long terme, tout comme de nombreuses autres retombées positives sur la productivité agricole.

Deuxièmement, je pense qu'on a jugé, dans de nombreux pays en développement et probablement aussi dans certains pays développés, que l'agriculture était un secteur peu important. C'est une attitude qui m'a frappé et elle existe dans les pays en développement, où elle s'explique difficilement, parce que l'agriculture représente parfois 60 ou 70 p. 100 de l'emploi, ainsi que dans les pays développés.

Troisièmement, il se pourrait qu'il y ait un certain essoufflement de l'aide, en ce sens qu'on apporte de l'aide depuis 28 ans maintenant et que ça suffit. Il me semble toutefois que cette attitude ne tient pas compte du fait que si ce genre de recherche ne se fait pas à l'échelle internationale, elle ne se fera pas ailleurs. Ainsi, le GCRAI détient probablement le tiers du matériel génétique des produits auxquels il s'intéresse, ce qui représente 600 000 gènes dans les banques génomiques, à la disposition du monde entier. Aucun pays n'aurait intérêt à avoir une banque aussi bien garnie. Le Canada profite de cette banque génomique. Il est difficile à expliquer pourquoi, malgré des preuves aussi convaincantes, enfin je l'espère, cette contribution est devenue moins prioritaire.

J'ai constaté également que la Banque a maintenant de nombreux nouveaux objectifs -- l'environnement, les questions sociales, la santé -- qui sont devenus très concurrentiels. Jusqu'à récemment, l'agriculture était considérée comme un élément de passif dans le bilan environnemental, au lieu de se trouver à l'actif, là où elle devrait être.

Le sénateur Hays: Quel est le rapport entre ce type de recherche et la recherche privée dans le même domaine? Y a-t-il des conséquences sur nos préoccupations relatives à la recherche financée par le secteur public, qu'il s'agisse de la recherche pour les pays en développement ou pour nous-mêmes? Nous avons constaté une baisse spectaculaire des fonds publics consacrés, par exemple, à la sélection végétale. Dans un pays développé comme le Canada, l'une des justifications pourrait bien être que cette recherche est financée par le secteur privé. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

M. McCalla: Vous avez tout à fait raison. Je suis plus optimiste à propos du défi que je viens de vous décrire, parce que nous sommes en train de vivre une révolution incroyable de la recherche biologique. La biologie moléculaire et la biotechnologie ont des possibilités énormes de créer des plantes résistantes au stress et à la maladie. Elles pourraient aussi adapter les plantes aux besoins d'un environnement en particulier.

Cette révolution de la biologie moléculaire s'est accompagnée d'une modification importante de la façon de traiter la recherche. Nous avons maintenant la capacité de breveter des plantes et nous avons des sélectionneurs de végétaux. La recherche scientifique brevetée reconnaît qu'un investissement peut être recouvré lorsqu'on peut breveter les produits et qu'il existe des mécanismes pour ce faire. La biologie moléculaire a accentué ce processus.

Bien que l'investissement public dans la recherche agricole ait diminué, il y a eu une hausse phénoménale de l'investissement privé dans la recherche agricole en biotechnologie. Cela ne suffit pas cependant. La plus grande partie de cette recherche porte sur des applications relatives à des cultures commerciales précieuses à l'échelle internationale, comme le blé, le maïs et d'autres céréales, toute la gamme des produits de base qui ont une grande valeur commerciale -- le coton et le soja, par exemple. Ce sont des produits pour lesquels la mise au point de variétés améliorées brevetées peut rapporter beaucoup.

Mais très peu de cette technologie s'applique à des cultures importantes pour le Tiers monde. Il n'y a aucune recherche biotechnologique sur le manioc, le mil perlé, le sorgho, le dolique ou les pois chiches. Le défi de la recherche consiste à transmettre les résultats de la biologie moléculaire et de la biotechnologie aux agriculteurs dans des régions du monde où ces avantages pourraient avoir des conséquences profondes.

La recherche du secteur privé dans les cultures importantes pour le Nord ne compense pas le déclin de l'investissement du secteur public dans les cultures importantes pour le Sud.

Le sénateur Stratton: Vous disiez qu'il faut doubler la production sur les superficies actuelles. Pour cela, vous comptez sûrement sur des produits que nous obtiendrons grâce à la recherche. Quant à y arriver en 22 ans, n'est-ce pas un peu exagéré? Vous êtes sûr de votre coup?

M. McCalla: Cette question a fait couler beaucoup d'encre. Lester Brown du Worldwatch Institute -- ce nom vous dit peut-être quelque chose -- a publié Full House: Reassessing the Earth$s Population Carrying Capacity et Who Will Feed China?: Wake-Up Call for a Small Planet. Dans ces deux ouvrages, l'auteur parle du problème de la disparition des terres cultivables, des rendements qui n'augmentent plus, du surpâturage et de la surpêche, ainsi que du manque d'eau, autant de facteurs qui l'amènent à conclure que nous ne nous en sortirons pas. La Chine l'inquiète tout particulièrement, puisqu'il prévoit qu'en 2025 ce pays importera près de deux fois plus de denrées que maintenant. C'est un point de vue très pessimiste.

Il y a un autre point de vue voulant qu'on s'en soit sorti jusqu'ici grâce à la technologie et que nous y parviendrons encore. Dennis Avery est un de ceux qui appartiennent à cette école de pensée. Il a publié Farming with Pesticides and Plastics, dans lequel il propose des recettes pour y parvenir. Avery soutient que nous pourrons continuer de pratiquer ad infinitum une monoculture reposant fortement sur l'utilisation de produits chimiques qui permettront de tirer de meilleurs rendements des terres peu productives. Je ne suis d'accord ni avec l'un ni avec l'autre. Je trouve M. Brown beaucoup trop pessimiste et que M. Avery fait preuve de désinvolture en estimant que nous pouvons continuer ce que nous avons fait jusqu'ici.

Si nous nous en sommes sortis au cours des 30 dernières années, c'est principalement parce qu'on a appliqué des techniques conventionnelles de sélection des plantes, qu'on s'est concentré sur certaines denrées et qu'on a amélioré la productivité de systèmes de monoculture. Nous nous sommes concentrés sur le blé, le riz et le maïs d'Inde. Il est beaucoup plus délicat de parvenir à doubler la capacité d'un système agricole fragile, tropical et subtropical, et d'augmenter également la productivité des exploitations aux États-Unis, au Canada, en Europe et en ex-Union soviétique.

Il ne sera pas possible de réaliser cet objectif sans investir beaucoup et longtemps dans la recherche et le développement technologique. Ce ne sera pas possible tant qu'on n'appliquera pas des politiques adaptées dans les pays en développement. Ce ne sera pas possible, non plus sans disposer d'un système commercial efficace grâce auquel les pays producteurs pourront profiter des marchés internationaux plutôt que d'avoir, sans cesse, à rechercher l'autosuffisance.

Si nous ne parvenons pas à mettre tout cela en place, alors je perdrai espoir, et si nous y parvenons, je ne ferai preuve que d'un optimisme réservé. Nous pouvons y arriver, mais le défi est énorme sur le plan de la recherche et du développement.

Le sénateur Stratton: Si nous devons doubler la production de grain d'ici 2020, il y a une chose qu'il ne faut pas perdre de vue, une chose que de nombreux exploitants et de nombreuses organisations agricoles nous ont rappelé dans leurs témoignages à propos de ce projet de loi: depuis 1972, le rendement pour les grains n'est que de 3 p. 100. Le prix des grains demeure faible, ce qui n'est pas très encourageant pour les agriculteurs.

Dans ma province, au Manitoba, on a pu lire la semaine dernière dans le Winnipeg Free Press, un article sur un nouveau mouvement appelé ABW, pour «Grow Anything But Wheat», qu'on pourrait traduire par «tout sauf le blé», parce que les prix sont déprimés. On nous a dit que c'est ainsi à cause des subventions accordées ailleurs, pas vraiment aux États-Unis, mais surtout dans la communauté européenne.

Pensez-vous que les agriculteurs parviendront à obtenir un meilleur rendement, que le prix des grains va augmenter à longue échéance? Les jeunes agriculteurs perdent patience et veulent obtenir de meilleurs rendements sur leurs investissements. Ils veulent retirer plus au boisseau et cela sans tarder. Ils ne veulent pas attendre. S'ils pouvaient seulement entrevoir une chance d'amélioration à long terme, ils seraient peut-être un peu plus optimistes et accepteraient de maintenir le cap plutôt que d'effectuer les changements radicaux pour lesquels ils ont opté. Qu'en pensez-vous?

M. McCalla: Je pourrais vous répondre par une pirouette, mais je ne le ferai pas.

Dans ma jeunesse, en Alberta, j'étais un des membres actifs de la Farmers Union of Alberta. J'ai été président de la Junior Farmers Union of Alberta et, dans les années 50, je participais régulièrement aux congrès de la Farmers Union. À l'époque, nous étions confrontés avec des prix très bas et nous craignions que notre secteur d'activité ne survivent dix ans de plus. Pourtant, ce secteur s'est transformé et il a survécu.

Quand j'étais en second cycle à l'Université du Minnesota, j'ai été visité des exploitations agricoles et j'ai entendu exactement les mêmes histoires de la bouche des exploitants, mais à propos d'autres denrées cette fois. Au lieu du blé et de l'orge, il s'agissait de soja et de maïs.

Quand j'étais doyen du Département d'agriculture, à Davis, j'ai participé à plusieurs réunions d'agriculteurs où j'ai entendu, encore une fois, exactement les mêmes histoires, mais à propos de tomate, de betterave à sucre et de nombreux autres produits.

Si je vous dis cela, c'est parce que le prix réel des céréales et des autres commodités ont diminué et continuent de diminuer. Cela est en partie le résultat des progrès technologiques et de l'amélioration des rendements, qui se sont produits plus rapidement que l'augmentation de la demande. Autrement dit, il y a eu des pressions à la baisse sur les prix. Cela ne revient pas à dire que les agriculteurs doivent perdre de l'argent à cause de la chute des prix réels. Les bons exploitants font de l'argent, même dans ce genre de situation.

Force est de reconnaître que tout cela a été possible parce que nous avons toujours su concocter de nouvelles méthodes plus efficaces, plus rentables, qui nous ont permis de produire plus. Cela étant, les prix sont tirés vers le bas ce qui est un plus pour les pays en développement. Reconnaissons en effet qu'une des grandes contributions de l'agriculture et de la science agricole au XXe siècle a été de favoriser l'accès aux produits alimentaires à des prix intéressants, tout en nous permettant de compter sur une industrie agricole viable.

Cela étant posé, vous vouliez connaître mon pronostic à ce sujet. Les économistes se trompent presque toujours dans leurs projections. Ils veulent se projeter beaucoup trop loin dans l'avenir et ils souffrent d'amnésie sélective. Ce n'est certainement pas le moyen d'obtenir les meilleures projections qui soient. J'ai personnellement l'impression, par ailleurs confirmée par les prévisions et les modèles réalisés, que le déclin des prix réels va ralentir et même se stabiliser à long terme. Ainsi, les prix nominaux devraient eux aussi se stabiliser, voire remonter.

Si le volume des échanges double, nous n'assisterons certainement pas à la même diminution des prix que celle des 30 ou 40 dernières années, et l'on peut même s'attendre à ce que les marchés se stabilisent. Si les extrants technologiques continuent de nous permettre d'améliorer les rendements agricoles, la rentabilité devrait suivre.

Si elle est rentable, l'agriculture canadienne devrait être bien placée pour bénéficier de cette situation sur les marchés internationaux, surtout sur le plan des échanges internationaux et dans les aspects dont je vous parle.

Le sénateur Spivak: Le sénateur Stratton a parlé des revenus des agriculteurs qui n'ont pas bougé, non pas depuis 1972, mais bien depuis 1971. Ils ont en fait augmenté de 3 p. 100. Vous estimez que cela est essentiellement le résultat des progrès technologiques. Pourtant, les bénéfices nets n'ont pas augmenté, contrairement aux bénéfices bruts sous l'effet des coûts des intrants qui, eux, ont décuplé. Or, la plupart de ces coûts d'intrant sont précisément liés à la technologie, c'est-à-dire pesticides et au reste, dont vous parliez.

Si je me fie aux écrits spécialisés, je ne suis pas aussi sûr que vous que la technologie nous permettra de juguler les coûts des produits alimentaires et d'en améliorer l'accès. J'aimerais avoir votre avis sur le prix des denrées et sur le rapport entre l'augmentation démographique, d'une part, et la production alimentaire, d'autre part. Par exemple, Lester Brown estime que la révolution verte est terminée et il est d'ailleurs très convaincant dans sa démonstration.

M. McCalla: Je conviens effectivement que les coûts de certains intrants ont augmenté. La solution, à cet égard, consiste à trouver des plantes et des animaux ainsi que des systèmes de production permettant d'utiliser ces intrants de façon plus efficace. Dans les années 80 et 90, après l'avènement des techniques de gestion intégrée des parasites et d'autres méthodes, l'utilisation de pesticide en Amérique du Nord a considérablement diminué. De plus, l'utilisation générale de produits chimiques dans nos contrées a aussi diminué.

Le sénateur Spivak: Mais les coûts ont augmenté.

M. McCalla: Certes, mais si vous utilisez généralement moins d'intrants, vos coûts bruts diminuent également.

La forme la plus efficace de lutte contre les parasites demeure l'utilisation de plantes résistantes. C'est ce sur quoi les génétistes travaillent depuis longtemps. L'une des grandes percées de la fin des années 30 en Alberta, a été le blé résistant à la mouche; il s'est avéré être une excellente trouvaille phytosanitaire. Comme la tige de ce type de blé est pleine, le parasite ne peut s'y loger.

La biotechnologie nous permettra de faire des découvertes grâce auxquelles il ne sera plus nécessaire d'utiliser autant de produits chimiques. Cependant, vous ne parviendrez jamais à obtenir des plantes à haut rendement sans devoir leur donner davantage d'éléments nutritifs. C'est la nature qui veut cela: pour obtenir des plantes plus grosses, il faut les nourrir plus que les autres. En revanche, nous trouverons peut-être des techniques de gestion agricole qui nous permettront, par exemple, d'utiliser moins d'azote.

Il faut reconnaître que les techniques du non-labourage et de labourage limité ont permis de limiter les effets de l'érosion éolienne et hydrique. Des données indiquent que, pour les régions du midwest et des prairies où l'on pratique la jachère sur chaume partiellement enfoui, l'érosion a été considérablement réduite.

Je soutiens qu'il existe bien des façons de parvenir, de façon progressive et moyennant une meilleure approche à la technologie et à la recherche, de limiter le recours à ces intrants coûteux. Il est toujours possible de moins agresser l'environnement. Je suis optimisme en ce qui concerne la technologie, mais je ne considère pas comme étant une panacée; il faut intervenir sur d'autres plans également. Regardez ce qui se passe aux États-Unis, où les rendements du maïs ont quadruplé en 40 ans. Il y a donc d'autres possibilités.

Le vice-président: Je dois vous préciser que le sénateur Spivak est née dans une ferme du Manitoba et qu'elle s'intéresse donc depuis très longtemps à l'agriculture.

Le sénateur Taylor: Vous parliez de la réduction des investissements dans le secteur agricole. Comment cela se compare-t-il entre le Sud et le Nord? Où investit-on? Les investissements dans l'Hémisphère sud ont-ils augmenté aux dépens de ceux dans le Nord. Investissez-vous dans les pays riches, pour les rendre plus riches encore, ou dans les pays en développement?

M. McCalla: En vertu de sa constitution, la Banque mondiale ne doit prêter qu'aux pays en développement. Les pays de l'OCDE ne sont donc pas sur notre liste et nous ne prêtons à aucun d'eux.

Nous sommes présents dans deux créneaux. D'abord, dans celui des prêts commerciaux. Nous empruntons sur le marché, lançons des obligations et prêtons en prélevant une marge très faible au passage. Nous pratiquons également l'aide à conditions libérales par le truchement de l'Association de développement international qui consent des prêts à très long délai d'amortissement et à très faible taux d'intérêt.

Dans notre portefeuille, comme nous avons diminué nos investissements dans les secteurs agricoles et ruraux, nous les avons augmentés dans l'éducation, la santé et l'environnement. Nous investissons tout de même encore beaucoup dans l'infrastructure, qu'il s'agisse de routes, de ports, de télécommunications ou de services d'eau et d'égout. Nous prêtons aux pays qui entreprennent ce genre de projets. Par ailleurs, nous n'avons pas décidé de porter notre attention sur des régions où les riches deviennent plus riches.

Le sénateur Taylor: Je pensais surtout à la situation de l'Afrique par rapport à celle de l'Asie. L'Asie fait figure de pilleurs de banque. A-t-on transporté les planches à billet là-bas? J'ai l'impression que la Banque mondiale ne fait pas autant pour l'Afrique. Est-ce que je me trompe?

M. McCalla: Je n'insinuerai jamais qu'un sénateur se trompe, mais disons que votre analyse de la situation est peut-être incomplète.

Nos portefeuilles les plus importants demeurent ceux de l'Asie de l'Est: la Chine est notre plus gros emprunteur et elle est suivie par l'Inde; l'Indonésie, aussi, est un important emprunteur. Cependant, quand on calcule le volume des prêts par nombre d'habitants, c'est l'Afrique qui se classe de loin au premier rang. Les données démographiques sont très différentes.

En outre, le type de prêts que nous effectuons et la proportion des prêts que nous effectuons à l'Asie ont sensiblement changé dans le temps. Il y a à peu près 10 ans de cela, les flux de capitaux internationaux se composaient ainsi: 50 milliards de dollars sous la forme de transferts entre gouvernements, 25 milliards de dollars en versements de la Banque mondiale et 50 milliards de dollars venant du secteur privé.

L'année dernière, les flux du secteur privé se sont élevés à 280 milliards de dollars et les transferts au titre de l'aide publique au développement ont été inférieurs à 50 milliards de dollars. En Asie, et je suppose que cela explique en partie l'origine de la crise actuelle dans cette région, les flux de capitaux du secteur privé ont augmenté très rapidement. La même chose s'est produite en Amérique latine. Ce n'est absolument pas le cas en Afrique. L'Afrique continue de dépendre de l'aide publique au développement et des prêts consentis par des organismes intergouvernementaux comme la Banque mondiale.

À l'expérience, à l'instar d'ailleurs de nombreux autres donneurs et prêteurs, nous avons constaté qu'il est très difficile de réussir en Afrique, surtout en agriculture.

Le sénateur Taylor: Comme une importante partie de la population de l'Asie et de l'Afrique vit en bordure des océans, a-t-on envisagé d'entreprendre des grands projets d'aquaculture?

M. McCalla: Dans le passé, nous avons beaucoup prêté au secteur dit des pêches de capture, surtout aux pêcheries océaniques, notamment au secteur privé dans des pays comme le Pérou et la Côte d'Ivoire, pour lui permettre de construire des flottilles de pêche. À toutes fins utiles, nous avons cessé cette forme de prêts pour deux raisons. D'abord, nous ne prêtons qu'aux gouvernements et ce genre d'activité est davantage celle du secteur privé que du secteur public. Deuxièmement, nous sommes très préoccupés par l'épuisement des ressources halieutiques.

D'un autre côté, nous avons sensiblement augmenté le volume de nos prêts à l'aquaculture, surtout en Asie. Nous avons d'ailleurs été critiqués pour cela, parce qu'on nous a reproché de prêter pour l'élevage des crevettes et des huîtres, qui seraient des denrées pour riches.

Dans le domaine de l'aquaculture, nous n'avons en fait prêté qu'à des petites exploitations, car c'est un moyen très efficace de leur permettre d'accroître leurs revenus. J'estime, en effet, qu'il est tout à fait approprié de prêter aux populations quand cela peut leur permettre d'augmenter leurs revenus. Je dirais donc que le volume des prêts que nous accordons dans le domaine des ressources aquatiques est toujours le même, la seule différence étant que nous nous intéressons maintenant davantage à l'aquaculture qu'à la grande pêche.

Le sénateur Taylor: Étant donné que dans notre monde industrialisé, les émissions de gaz carbonique posent problème, n'avez-vous pas pensé qu'il pourrait être intéressant de payer les agriculteurs des pays en développement pour qu'ils arrêtent de couper les arbres et qu'ils abandonnent leur technique de la terre brûlée qui, dans le meilleur des cas, ne donne que des terres agricoles peu productives? On pourrait envisager de verser un revenu à ces populations pour qu'elles épargnent cette grande source chlorophyllienne susceptible d'absorber les rejets de gaz carbonique de l'Hémisphère nord.

M. McCalla: La Banque mondiale milite activement en faveur du principe d'échange des certificats d'émission de gaz carbonique. Il se peut fort que nous intervenions encore plus dans l'avenir sur ce plan. Par exemple, nous encourageons le reboisement et nous incitons les entreprises et les villes, du Nord et du Sud, ayant des émissions excessives, à faire des échanges avec des régions et des pays dont les émissions sont inférieures aux seuils établis. Nous estimons qu'il vaut mieux laisser jouer le marché pour de telle chose, que d'avoir recours à d'autres mécanismes.

Le sénateur Spivak: Revenons-en sur la question du financement des fermes à crevettes. En Thaïlande, ces fermes ont provoqué la destruction de la mangrove et c'est donc une activité particulièrement néfaste pour l'environnement.

M. McCalla: Je suis d'accord. Quand elle est pratiquée sans discernement, et sans souci pour l'environnement, cette activité peut effectivement être néfaste.

D'un autre côté, je crois savoir qu'il est possible de gérer l'élevage des crevettes de manière qu'il soit inoffensif pour l'environnement. Dans les situations dont vous parlez, nous essayons d'assortir nos prêts de certaines exigences. Après tout, nous prêtons aux gouvernements qui, à leur tour, accordent des prêts ou des subventions aux entrepreneurs désireux d'implanter de telles fermes de crevettes. Nous essayons bien de rattacher certaines conditions à nos prêts mais nous sommes conscients que l'argent est fongible. C'est là un des problèmes les plus difficiles auxquels nous soyons confrontés.

Le sénateur Spivak: À quel genre de technique d'évaluation avez-vous recours pour vous assurer que votre argent est dépensé aux fins prévues? Nous avons eu vent d'histoires d'horreur incroyables à propos des fermes de crevettes. L'échange des certificats d'émission sans un contrôle global risque de donner lieu à des situations plutôt chaotiques et même préjudiciables pour l'environnement, étant donné la corruption qui règne dans certains pays, surtout en Asie du sud-est.

M. McCalla: Tous les projets pour lesquels nous accordons des prêts doivent, en général, répondre à trois critères. D'abord, ils doivent être réalisables sur le plan technique; autrement dit, ils doivent faire appel à la meilleure technologie disponible. Deuxièmement, ils doivent être financièrement viables, c'est-à-dire rapporter de l'argent pour rembourser les sommes empruntées. Enfin, ils doivent comporter des avantages économiques discernables.

Chaque projet doit être évalué sur le plan de ses répercussions environnementales avant de pouvoir être soumis à l'approbation du conseil de la Banque. Il faut donc conduire une évaluation environnementale préliminaire destinée à déterminer si le projet est susceptible d'avoir des retombées environnementales importantes, moyennes ou nulles. Les projets appartenant à la première catégorie doivent être soumis à une évaluation scientifique avant d'être approuvés et ils sont alors classés dans la catégorie A. Les résultats de cette évaluation déterminent les conditions de mise en oeuvre qui sont stipulées dans les clauses du prêt.

Troisièmement, je voulais préciser qu'en vertu de la constitution Bretton Woods qui nous régit, nous versons les prêts a posteriori, c'est-à-dire que nous ne dépensons notre argent que de la façon que nous jugeons appropriée. Nous avons en effet la possibilité de retenir les versements si nous estimons que les conditions des emprunts ne sont pas remplies.

Le sénateur Spivak: Je sais que la Banque mondiale a changé sa politique après l'arrivée de M. Wolfensohn. Dans le passé, elle a été beaucoup critiquée, mais je crois savoir que les choses ont changé depuis.

Étant donné qu'on a pratiqué la surpêche ou qu'on a pêché à pleine capacité dans la plupart des 17 grandes régions de pêche, n'est-il pas un peu trop tard pour cesser de financer les flottilles de pêche? L'industrialisation de la pêche, surtout au Canada, a provoqué le déclin et peut-être même l'effondrement des stocks de poissons. À quoi l'aquaculture pourra-t-elle bien nous servir quand il n'y aura plus de poissons dans nos mers et nos océans?

M. McCalla: Autrement dit, nous aurions fermé la porte de l'écurie après que le cheval s'est enfui.

Le sénateur Spivak: Tout à fait. Si vous maintenez vos subsides à ce secteur d'activité, pourra-t-on continuer de pêcher dans l'avenir? Malgré toutes ces révélations inquiétantes, il ne semble pas que la pêche soit en diminution dans le monde. Les gens continuent de pêcher de façon excessive.

M. McCalla: Je conviens que nous avons sans doute soutenu trop longtemps l'industrie de la pêche. Nous n'aurions peut-être jamais dû nous mêler de cela, mais c'est ainsi. Dans une certaine mesure, cependant, nous dépendons de l'utilisation que les pays emprunteurs veulent faire des sommes que nous leur versons. Certes, nous concluons des accords entre prêteurs et emprunteurs, mais nous devrions prêter en fonction de ce que ces gens-là veulent faire de l'argent qu'ils nous demandent. Les choses se sont améliorées depuis 10 ou 15 ans, puisque nous tenons maintenant compte des conséquences environnementales des projets que nous finançons indirectement, ce qui est tout à fait nouveau.

Je veux revenir sur ce que vous avez dit à propos de la corruption. Je suis d'accord, c'est un problème énorme. Jusqu'à très récemment, c'est le genre de problème que la plupart des organismes de développement, notamment la Banque mondiale, avaient tendance à négliger. M. Wolfensohn a été très courageux en déclarant que la Banque allait s'engager dans une campagne de lutte contre la corruption, campagne qui commence d'ailleurs à avoir des répercussions, mais il faudra attendre encore longtemps qu'elle porte pleinement fruit.

Le sénateur Hays: Quand vous avez témoigné devant le comité de la Chambre, vous avez parlé du profond désir de certains pays d'être autosuffisants sur le plan alimentaire, situation qui peut donner lieu à l'adoption de politique de développement ayant des effets pervers, par exemple, sur les prix mondiaux du blé.

Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène et nous dire comment nous pourrions nous y attaquer? On estime, en général, que ce genre de situation est néfaste, et la politique agricole commune en est d'ailleurs un excellent exemple. Peut-on faire quelque chose à ce propos ou ce phénomène va-t-il inévitablement se répandre dans des régions comme l'Europe, puis dans les pays en développement?

M. McCalla: Je soutenais que les politiques d'autosuffisance alimentaire ne permettent pas forcément de parvenir à la sécurité alimentaire. En effet, la production alimentaire dépend de la terre et du climat, si bien que certaines régions conviennent parfaitement pour produire certaines choses et pas d'autres. Je trouve qu'il est tout à fait illogique d'infléchir les politiques agricoles et de cultiver des produits limites à des coûts deux fois supérieurs à ce qu'ils sont ailleurs. La production de blé en Arabie saoudite en est un exemple flagrant. Ce pays a investi énormément dans des techniques d'irrigation par eau souterraine à l'aide de rampes-pivots et a poussé la production de blé jusqu'à atteindre 4 millions de tonnes métriques par an. Moyennant l'exportation de 2 millions de tonnes, le pays est autosuffisant. Mais voilà, il en coûte 1 200 $ américain la tonne métrique, soit six fois les prix mondiaux. Quant à moi, c'est le comble de la stupidité en matière de politique d'autosuffisance.

Il faut s'en tenir à ce qu'on fait de bien, à ce qui permet d'obtenir ce que les économistes appellent un avantage comparatif. Cela veut dire qu'il faut produire plus que nécessaire pour répondre à vos besoins dans certains domaines, de sorte à dégager un surplus commercial, et acheter ailleurs ce que vous produisez en moins grande quantité. Voilà pourquoi il est important de disposer d'un excellent système commercial. Selon moi, aucun pays au monde n'est vraiment autosuffisant sur le plan alimentaire. Le Canada ne l'est pas. Les États-Unis ne le sont pas et l'Europe ne l'est pas non plus.

Cependant, en situation d'incertitude politique, l'absence de garanties alimentaires peut être un facteur de poids. Ce que l'Europe et le Japon ont connu pendant et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a eu une incidence déterminante sur la façon dont ces pays raisonnent en matière de politique agricole et d'agriculture.

L'origine de la politique agricole commune européenne, dans les années 60, traduit bien le sentiment des Européens à l'époque: ne plus jamais dépendre de l'étranger pour l'approvisionnement alimentaire. On retrouve le même raisonnement derrière la politique du riz, au Japon. Ce pays a en effet appliqué une politique qui lui permet aujourd'hui d'être presque entièrement autosuffisant en riz. En revanche, il dépend des marchés internationaux pour 60 p. 100 du reste de ses besoins alimentaires. Il y a là quelque chose qui procède de la schizophrénie.

À cause des coûts financiers de la politique agricole commune et des prix élevés à la consommation, les Européens sont contraints d'entreprendre une réforme interne. Par ailleurs, en vertu de certains accords conclus dans le cadre de l'OMC, du GATT ou des négociations de l'Uruguay, l'agriculture tombe maintenant et pour la première fois dans le champ d'intervention du GATT. Tout cela a aussi conduit à une uniformisation des règles du jeu sur les marchés internationaux.

Je ne pense pas que la tendance en Europe soit un retour aux anciennes politiques. En fait, à l'heure où la communauté européenne envisage de s'étendre et d'englober les pays de l'ex-Europe de l'Est, elle se rendra compte qu'elle ne peut pas appliquer les mêmes politiques agricoles aux nouveaux venus.

J'espère, et ce n'est pas la première fois, que nous sommes sortis du tunnel. Les pays développés vont maintenant éviter d'introduire les importantes distorsions commerciales qu'entraîne leur quête d'autosuffisance alimentaire, pour essayer au contraire de participer à un marché international plus efficace.

Le sénateur Taylor: Vous venez de parler des pays d'Europe de l'Est. Que pensez-vous des Canadiens de l'Est et de leur système de gestion de l'offre du lait et des volailles?

M. McCalla: Ce matin, au comité de la Chambre, on m'a demandé mon avis au sujet de la Commission canadienne du blé et je n'ai pas voulu le donner. Cette fois aussi, je trouve qu'il est beaucoup plus avisé de ma part de ne pas vous répondre parce que je ne connais plus aussi bien qu'avant ce qui se passe au Canada.

Le vice-président: Le père du sénateur Hays et les anciens ministres de l'Agriculture sont les créateurs de la recherche agricole au Canada. Avant de s'établir, les Pères de la Confédération -- des gens tournés vers l'avenir -- , ont mis sur pied des fermes-pilotes. Je suis donc on ne peut plus d'accord avec vous quand vous soulignez les dividendes de la recherche. J'ai personnellement visité le CIMMYT, Cali, le centre du Costa Rica, et celui qui est en Éthiopie, car j'ai vu tous les centres que vous avez cités. Je me suis entretenu avec des chercheurs à Manille qui m'ont avoué ne pas en revenir qu'un élu soit à ce point favorable à la recherche. Pendant longtemps au Canada nous avons considéré que c'était l'un des secteurs d'activité les plus importants.

Au fait, avez-vous pu visiter le Conseil du Trésor ou le ministère des Finances pendant votre séjour?

M. McCalla: M. Serageldin a été reçu au ministère des Finances cet après-midi même.

Le vice-président: J'ai toujours eu l'impression que le ministre de l'Agriculture devait se battre avec le ministre des Finances et le président du Conseil du Trésor pour défendre la recherche. Remarquez, cela ne nous a pas empêchés de nous doter de la plus importante direction générale de la recherche à la fonction publique, parce qu'à l'époque notre premier ministre croyait dans tout ce que le ministre de l'Agriculture lui disait à propos de la recherche. Personnellement, je crois tout ce que mes chercheurs me disent dans ce domaine.

Vous disiez que la Banque mondiale n'a pas une bonne attitude vis-à-vis de l'agriculture.

M. McCalla: C'est vrai.

Le vice-président: C'est pour cela que je vous ai demandé si vous aviez pris connaissance des mes anciens discours, parce que j'ai toujours été ébranlé par l'attitude de la Banque mondiale vis-à-vis de l'agriculture. J'ai été témoin du phénomène de la pauvreté en participant à des réunions internationales. En qualité de président du Conseil Mondial de l'alimentation, j'ai visité l'Afrique et l'Asie et j'y ai vu les conditions terribles qui règnent là-bas. C'est alors que je me suis rendu compte de ce que nous pouvions faire.

Dans une de vos réponses, vous avez dit que la recherche sur le riz donne des rendements de 19 p. 100. Qu'en est-il pour le riz?

M. McCalla: Les rendements peuvent atteindre 190 p. 100.

Le vice-président: Vous avez fait état d'une formidable augmentation de la production en Californie. Je crois me souvenir que si la Californie était un pays, elle serait le quatrième producteur agricole mondial. C'est cela?

M. McCalla: Probablement.

Le vice-président: Au Canada, nous avons constaté que chaque dollar investi dans la recherche nous en rapportait 7. Nous avons été de chauds partisans du CIMMYT et du programme «triticale». La découverte du triticale en biotechnologie a représenté un formidable progrès.

J'ai passé un dimanche complet avec M. Downey dans son centre de recherche de Saskatoon, durant l'été 1973, quand il était en train de mettre au point le canola, avec ses collaborateurs. Eh bien, j'ai plus appris sur le canola en cette seule journée que tout ce que j'avais appris auparavant. L'Ouest canadien est maintenant le premier centre mondial de production de triticale. Nous avons fait l'inverse de ce que la Banque mondiale a fait avec vous. Nous avons invité un Américain à venir au Canada pour effectuer des recherches sur le triticale. À l'époque, cela nous a coûté 750 000 $.

Je tiens à vous féliciter, sénateur Hays, d'avoir invité ici votre ancien camarade d'université, mais il est malheureux que nous ne disposions pas de cinq heures à passer en sa compagnie, car ses connaissances sur la Banque mondiale et ses points de vue sont particulièrement stimulants.

Le sénateur Pearson a estimé que les prévisions démographiques mondiales sont fausses, que la population de la planète ne sera pas aussi élevée que ce qu'on croit en 2020. Elle se sert de données sur l'Afrique et de statistiques intéressantes concernant l'ex-Union soviétique, selon lesquelles il n'y aurait qu'une naissance pour trois décès. Dans 20 ans, l'Union soviétique aura beaucoup de difficulté à être une nation productive. Dans un pays africain, pris en exemple, le taux de naissance est à la baisse à cause du SIDA et d'autres maladies. Le sénateur Pearson a plus particulièrement cité le cas de l'Ouganda. Elle prévoit, par ailleurs qu'il ne sera pas aussi difficile d'alimenter la planète. Comment réagissez-vous à ces propos?

M. McCalla: En général, les gens s'appuient sur les projections démographiques des Nations Unies et produisent trois variantes: une basse, une intermédiaire et une haute. Toutes sont fondées sur des projections démographiques prenant en compte les taux de natalité, les taux de décès et l'espérance de vie. Vous savez, la démographie est une science très imprécise. Elle est sans doute aussi imprécise que l'économie, bien que nous ayons tendance à croire tout ce que nous racontent les démographes.

Eh bien, au cours des cinq dernières années, on a réduit les projections démographiques établies pour 2025 d'environ 8,3 ou 8,4 milliards d'habitants à un peu moins de 8 milliards, plus précisément 7,9 milliards d'habitants. Cette diminution est due à un recul plus rapide que prévu des taux de natalité, surtout sur le sous-continent asiatique. Il semble que ce déclin soit attribuable à une croissance des niveaux de revenu et d'instruction des femmes, deux des plus puissants facteurs de réduction du taux de natalité.

En Inde, par exemple, le taux de croissance démographique est à la baisse puisqu'il tend vers 1,5 p. 100, alors qu'il était de 2 p. 100 il y a 10 ans. Il y a encore des pays africains où le taux de naissance est toujours de 4 p. 100 par an ce qui amène la population à doubler en 17 ans. La moyenne africaine est encore nettement inférieure à 2 p. 100 et je ne prévois donc pas de diminution marquée du taux de croissance démographique en Afrique avant une autre génération.

Le sénateur Spivak: Et la Chine?

M. McCalla: La croissance démographique de la Chine est un peu plus que stationnaire. La population de la Chine continue d'augmenter. On prévoit que celles de l'Inde et de la Chine en 2025 seront les mêmes, soit environ 1,5 à 1,6 milliard d'habitants. Autrement dit, la Chine passera de 1,2 milliard à 1,6 milliard d'habitants et l'Inde de 900 000 millions à 1,6 milliard d'habitants. Cela vous donne une idée des taux de naissance auxquels on a affaire.

Quant aux chiffres cités par le sénateur à propos de la Russie, ils ne sont pas exacts. Le taux de croissance démographique en Russie est négatif, mais l'écart est très faible: peut-être neuf naissances pour dix décès, ou quelque chose de cet ordre.

Le vice-président: Le mari du sénateur Pearson a été ambassadeur à Moscou. Ils ont donc résidé là-bas et elle a écrit un livre sur la Russie. Je me suis personnellement rendu plusieurs fois en Russie et j'ai trouvé ces chiffres saisissants.

Soit dit en passant, c'est Agriculture Canada, à Lethbridge et Swift Current, qui a mis au point la méthode sans labour, et non Archer Daniels Midland.

M. McCalla: Je sais.

Le vice-président: Les scientifiques m'ont corrigé à ce propos.

Je me souviens qu'ils nous ont dit à quel point la recherche pédologique est importante et combien nous sommes ignorants à propos de nos sols et des microbes qu'ils contiennent. Il y a des millions de microbes dans une poignée de terre et nous ne les connaissons pas, à part deux peut-être. Avez-vous un mot à dire au sujet de la pédologie?

M. McCalla: Nous en connaissons beaucoup plus sur les sols du Canada et des États-Unis que ceux du Nigéria et de la Côte d'Ivoire. En fait, nous connaissons très peu les sols tropicaux. Nous ignorons notamment tout des conséquences de la déforestation et nous ne savons pas quelles répercussions peut avoir la transformation d'un couvert forestier multiple en une zone de cultures annuelles.

Même au Canada et aux États-Unis nous ne comprenons pas parfaitement les interactions complexes existant entre le biote des sols, les microbes, les plantes et la température de l'eau. Comme plusieurs de mes meilleurs amis sont pédologues, je sais, par exemple, que ces gens-là n'appréhendent pas l'étude des sols de façon globale; ils divisent leurs recherches en sous éléments: la chimie des sols, la physique des sols, la microbiologie des sols et la morphologie des sols. Ils n'ont pas vraiment raisonné sur le problème de la couverture végétale vivante au-dessus du sol. Ainsi, nous n'en savons pas autant sur les sols que nous le devrions.

Le vice-président: Il y a trois ans, j'ai passé sept semaines en Ukraine. Le haut fonctionnaire de la Banque mondiale que j'ai rencontré là-bas était agriculteur et ancien professeur à l'Institut Lénine d'économie socialiste. L'Ukraine a déjà été un grand pays producteur alimentaire. Personnellement, je ne prétends pas être très versé dans ce domaine, mais j'étais accompagné par le doyen de l'école de commerce de l'Université de Windsor. D'origine ukrainienne, il est au Canada depuis l'âge de neuf ans.

Personnellement, j'ai trouvé que certaines des conditions de prêt imposées par la Banque à ces gens-là étaient excessives. Il était tout à fait déraisonnable d'exiger d'eux qu'ils adoptent la vision démocratique de la Banque et qu'ils se plient à la façon dont celle-ci conçoit le marketing. Pourriez-vous nous parler un peu des projets entrepris par la Banque en Ukraine?

M. McCalla: L'Ukraine fait partie du groupe des pays sur lesquels le président de la Banque mondiale veut maintenant se concentrer. Tout le monde est d'accord: l'Ukraine présente un énorme potentiel agricole grâce à ses ressources naturelles et à son climat.

Nous avons effectivement investi dans ce pays. Nous avons d'abord effectué ce qu'on appelle des prêts avec ajustement structurel. Cependant, nous avons récemment cessé cette pratique, pas parce que nous voulions leur imposer quoi que ce soit. L'Ukraine continue de faire l'objet d'un programme d'ajustement structurel. Avant, les Ukrainiens suivaient une politique agricole régressive. Par exemple, ils achetaient du grain, puis changeaient de politique en cours d'année, ce qui rendait la vie impossible aux emprunteurs, parce qu'il leur était très difficile de jongler au niveau du marketing et de négocier les prix avec les chaînes de distribution.

Par ailleurs, l'Ukraine s'est avéré être un cas très difficile, parce que nous avions du mal à transiger avec le gouvernement sur les questions de développement agricole.

Le vice-président: M. McCalla, au nom du comité, je tiens à vous remercier de vous être déplacé pour nous rencontrer. J'ai trouvé très stimulants votre point de vue et ce que vous pensez des mesures à prendre dans le monde agricole.

La séance est levée.


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