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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 30 - Témoignages du 8 octobre 1998


OTTAWA, le jeudi 8 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 9 heures pour étudier la situation actuelle du régime financier du Canada (Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous sommes ici aujourd'hui pour notre dernier jour d'audience à Ottawa avant d'entamer notre tournée dans tout le pays concernant le Rapport du Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien.

Nous avons ce matin deux groupes de témoins; le premier représente la Centrale des caisses de crédit du Canada et le deuxième la Banque de Montréal.

Sont présents aujourd'hui Bill Knight, président-directeur général de la Centrale des caisses de crédit, Bob Quart, président-directeur général de VanCity Savings, la plus grosse caisse de crédit canadienne, et Jonathan Guss, président-directeur général de l'Ontario Credit Union Central. Monsieur Knight, veuillez commencer.

M. William Knight, président-directeur général, Centrale des caisses de crédit du Canada: Je dois tout d'abord vous présenter les excuses du président de notre conseil d'administration, M. McVeigh. Il est arrivé avec la grippe hier soir et il a jugé qu'il valait mieux ne pas la transmettre à la ronde ce matin.

Je remercie le comité de me donner l'occasion de comparaître tandis que nous nous occupons de questions de politique publique très importantes figurant dans le rapport du groupe de travail MacKay.

Le système des caisses de crédit est varié et complexe. Il comprend plus de 850 coopératives financières indépendantes réparties dans plus de 1 800 localités de l'ensemble du Canada à l'exception du Québec. Dans plus de 300 collectivités du Canada rural, nous sommes la seule institution financière à offrir des services. Collectivement, le système des caisses de crédit représente un actif de plus de 48 milliards de dollars, soit environ 7 p. 100 du marché des services financiers canadiens. Notre principale force réside dans les prêts hypothécaires sur le logement et les prêts personnels.

Les caisses de crédit ont pour politique d'accorder une voix à chaque membre et donnent beaucoup d'importance à leur administration démocratique et à l'engagement envers les collectivités où elles sont présentes. Nous avons plus de 4,5 millions de membres dans le système des caisses de crédit. Si nous ajoutons à ce chiffre les 5,6 millions de membres qui appartiennent aux Caisses populaires Desjardins, notre homologue francophone du Canada, nous arrivons à près de 10 millions de Canadiens qui sont membres de coopératives des services financiers.

En répondant aux besoins de leurs membres, les caisses de crédit ont établi la tradition de l'innovation dans le secteur des services financiers. Nous avons été les premiers à offrir des comptes d'épargne à intérêt quotidien, des prêts hypothécaires avec remboursement hebdomadaire, des états financiers consolidés à nos membres et des services de planification financière. Le système des caisses de crédit a également été le premier à offrir des guichets automatiques accessibles au public.

En tant qu'organisation, le système des caisses de crédit comporte trois niveaux. Le niveau local, où chaque caisse de crédit dessert ses membres, est le premier et le plus important dans notre système. Le deuxième est celui des neuf centrales provinciales qui offrent aux caisses de crédit locales des services dans des domaines tels que la technologie, la formation et la gestion de l'actif et du passif. Le troisième niveau, celui de la Centrale des caisses de crédit du Canada, est celui de l'établissement financier national et de l'association commerciale.

La centrale canadienne constitue la caisse de compensation directe de l'Association canadienne des paiements pour le système des caisses de crédit; elle est également membre de l'Association Interac, associée de Mondex et fournisseuse de services de courtage complets avec, par exemple, Credential Securities. Nous sommes propriétaires d'une série de fonds que nous appelons Ethical Funds. Vous avez peut-être vu les annonces publicitaires que nous faisons à cet égard. Avec la majorité des centrales provinciales, la central canadienne relève du régime fédéral en vertu de la Loi sur les associations coopératives de crédit.

Monsieur le président, comme l'a indiqué le rapport MacKay et comme le savent tous les Canadiens, le secteur des services financiers a subi d'énormes changements, surtout au cours des 10 à 15 dernières années. Et cela va continuer pendant 10 ans encore. Les réformes du début des années 90 ont fait s'écrouler les quatre piliers de la réglementation financière et ont autorisé le mélange d'activités, ce qui a donné au secteur des services financiers un nouveau dynamisme. Cela a aussi permis davantage de regroupements et de concentrations.

La réponse de M. MacKay -- et il faut l'en féliciter -- veut que l'on insiste sur la concurrence en en faisant l'objectif numéro un de la politique publique. M. MacKay propose encore plusieurs moyens différents d'atteindre cet objectif politique: en encourageant les nouveaux participants à l'intérieur du pays; en ouvrant le marché intérieur aux banques étrangères; en autorisant les institutions à élargir l'éventail des services offerts; et en organisant les résultats de la politique publique par l'intervention réglementaire.

Nous sommes venus vous parler d'une nouvelle solution qui est concurrentielle, qui existe depuis 100 ans et qui a fait ses preuves en répondant aux besoins financiers des particuliers, des petites entreprises et de la collectivité au Canada.

Je vais maintenant faire référence au rapport MacKay et à certains des domaines importants pour nous.

Au chapitre 5 du Document d'information no 2 du rapport, que je recommande à votre attention, on reconnaît la solution des caisses de crédit. On donne une description claire du secteur coopératif financier du Canada. On reconnaît la position stratégique que nous occupons. Tandis que les briques et le mortier des institutions financières sont moins utilisés pour abriter les services des transactions traditionnelles et s'occupent davantage des fonctions s'appuyant sur les relations, la solution des caisses de crédit, s'appuyant sur la confiance personnelle, est prête à tirer profit de ces changements.

Le rapport MacKay a prévu deux instruments législatifs pour nous aider à progresser dans ce nouvel environnement et nous offrir ainsi une plus grande concurrence dans le secteur des services financiers.

Tout d'abord, le rapport adhère à la thèse que nous avons soumise l'année dernière au groupe de travail et dans laquelle nous proposions des changements souhaitables à la Loi sur les associations coopératives de crédit. À l'heure actuelle, si les centrales souhaitent offrir des services de gros aux autres entités financières ou des services de détail à leurs propres membres, elles doivent le faire par l'intermédiaire d'une succursale qui leur appartient, par exemple, Co-operative Trust, Agri-Finance, les sociétés de leasing et les sociétés de caisses de crédit qui offrent des services de crédit. Cela coûte très cher. De plus, la Loi sur les associations coopératives de crédit restreint la capacité des centrales à se regrouper entre elles ou avec des caisses de crédit pour se lancer dans des entreprises financières en participation afin d'offrir des services financiers efficaces et harmonisés. En résumé, ces changements législatifs augmentent la capacité des centrales de fournir un large éventail de services de soutien dans le cadre du système des caisses de crédit. Ces changements, il faut le préciser, ne seraient que des modifications d'habilitation. Il faudrait toujours obtenir l'approbation du BSIF dans chaque cas particulier.

La deuxième option législative indiquée dans le rapport MacKay consisterait à créer une ou plusieurs banques coopératives en vertu de la Loi sur les banques. Selon cette option, une caisse de crédit, ou un groupe de caisses de crédit, demanderait à être maintenu à titre de banque coopérative régie par une charte fédérale. De même, les centrales des caisses de crédit deviendraient des banques coopératives dont les seules activités consisteraient à fournir des services aux caisses de crédit locales qui sans cela pourraient ne pas avoir les moyens de faire les investissements voulus dans les systèmes. Pour l'instant, plusieurs caisses de crédit essaient de voir quelles seront les implications d'ordre commercial, législatif et réglementaire du passage au régime de la Loi sur les banques.

Avec votre permission, monsieur le président, je laisserai au greffier quelques documents comportant nos propositions relatives à la Loi sur les banques.

Nous sommes également heureux de la recommandation numéro 36 du rapport qui indique que: «Les entreprises à forme coopérative ou mutuelle seraient réputées se conformer par définition aux règles de large répartition du capital et n'auraient pas à obtenir de dispense spéciale, peu importe leur taille.» Dans cette recommandation, l'expression «de large répartition» donnera une plus grande souplesse à notre système en lui permettant d'avoir une politique nationale relevant de la compétence fédérale afin de pouvoir mener ses activités dans tout le pays.

Enfin, le système des caisses de crédit est satisfait de l'approche progressive prévue dans le rapport MacKay concernant l'acquisition de pouvoirs commerciaux élargis. Sous réserve des régimes voulus concernant la protection des renseignements personnels et les ventes liées, il semble logique de permettre aux institutions financières ayant moins de 5 milliards de dollars d'avoir des actionnaires de vendre des assurances au détail et de faire du crédit-bail automobile avant de permettre aux plus gros joueurs de pénétrer sur ce marché.

Certaines caisses de crédit bénéficient déjà de ces pouvoirs. Cela vaut notamment pour la Colombie-Britannique et le Québec avec nos cousines germaines que sont les Caisses populaires Desjardins. Les consommateurs comme les institutions financières concernées ont tiré profit de la libéralisation de la législation.

En résumé, je tiens à préciser au comité ce qui me semble être l'essence et l'importance du rapport MacKay à notre endroit. Au cours des 10 prochaines années, le secteur des services financiers sera hautement concurrentiel. Une excellente étude, le rapport Mackenzie, a été soumise au groupe de travail MacKay. On y indique cinq stratégies viables pour les joueurs canadiens et j'invite les sénateurs et le comité à les examiner.

Il y aura des joueurs sur le marché canadien qui s'efforceront d'offrir le meilleur service pour un produit uniquement. Nous voyons ces nouveaux participants dans le secteur des cartes aujourd'hui même dans cette ville.

Il y a d'autres joueurs qui disposent d'un vaste réseau de distribution, notamment le système des caisses de crédit, qui ont la possibilité, avec la nouvelle stratégie prévue dans le rapport MacKay concernant les nouveaux participants, de permettre l'accès à cette large distribution, au bassin de membres et aux services bancaires sur mesure que nous avons dans les petites localités, et d'en tirer profit pour donner des conseils à nos clients membres. Pour ce faire, notre stratégie axée sur ces marchés en évolution doit être d'offrir la totalité des services financiers; tout un ensemble de produits, et un éventail complet de produits allant des assurances aux petites et moyennes entreprises, en passant par les fonds communs de placement et les services. C'est ce que nous devons faire pour tirer profit de l'énorme réseau dont nous disposons.

Ce qui nous intéresse particulièrement dans le rapport MacKay, c'est que la stratégie concernant les nouveaux participants autorise une plus grande souplesse, laquelle permettra au système des caisses de crédit dans leur ensemble d'agir pour fournir ces types de services d'un bout à l'autre du pays.

Nous allons vous montrer aujourd'hui une carte des modèles de restructuration que nous envisageons pour fournir ces services complets dans tout le pays. Parallèlement au rapport MacKay, aux audiences du comité sénatorial des banques et à l'annonce des fusions éventuelles au printemps, nous avons la possibilité de nous refaire en grande partie une nouvelle identité en créant un organisme national de services et en tirant profit de la législation plus souple qui nous permet d'envisager le modèle des banques coopératives.

Nous serons heureux de répondre maintenant à vos questions.

Le président: J'aimerais avoir des précisions sur un point. Concernant la deuxième option, aux pages 7 et 8 de votre mémoire, vous donnez deux modèles pour le développement futur du mouvement des caisses de crédit. Il semble s'agir d'une part d'un regroupement des centrales de caisses de crédit pour fournir des services communs et donc rendre plus efficaces les services administratifs de façon très générale. Le deuxième est résumé en une phrase. Vous dites que plusieurs de vos caisses de crédit essaient de voir quelles sont les implications du passage au régime de la Loi sur les banques.

Pouvez-vous nous expliquer s'il s'agit de deux idées différentes ou d'une seule en fait? Si ce sont deux idées, sont-elles complémentaires ou sont-elles en concurrence l'une avec l'autre. Pourriez-vous également nous expliquer où en est chacune d'entre elles?

M. Knight: Nous avons une initiative nationale et des modèles complémentaires pour nous permettre de travailler ensemble. Grâce à l'organisme national de services, comme vous pouvez le voir sur l'organigramme que je vous ai donné, nous avons la possibilité de regrouper essentiellement ces services de gros en une entité nationale de services qui soutiendra nos caisses de crédit dont la taille et la structure varient dans l'ensemble du pays. Nous pourrons leur fournir des produits communs.

En raison de la stratégie concernant les nouveaux participants qui est prévue dans le rapport MacKay, nous disposons d'un modèle qui permettra à plusieurs de nos caisses de crédit du pays d'envisager de se regrouper en une banque coopérative nationale tout en maintenant ces relations avec l'organisme national de services. Il y a donc ainsi un nouveau participant sur le marché de la concurrence, et nous croyons qu'avec cela, à quoi il faut ajouter les changements que nous sommes en train d'apporter à l'organisme national de services, nous pourrons augmenter nos activités et fournir l'ensemble des services dans tout le pays. Nous aurons un certain nombre de services communs, notamment pour la gestion du capital et pour les rapports administratifs.

M. Bob Quart, président-directeur général, VanCity Savings Credit Union: Étant donné qu'il y a plus de 850 caisses de crédit dans notre pays, et que leur taille varie puisqu'elles peuvent avoir entre 300 000 $ et plus de 6 milliards de dollars d'actif, et que certaines sont des caisses de crédit s'adressant à la collectivité et d'autres à des employés, il n'est pas possible de prévoir un seul modèle d'organisation permettant de répondre à tous les besoins.

Avec le groupe de travail national, nous avons tenté de trouver des options pour les caisses de crédit -- et il y en a trois ici -- selon leur situation actuelle. Sur les 800 et quelques caisses de crédit qui existent, il y en a plusieurs qui, en raison de la nature de leurs activités, seront très heureuses de continuer à faire ce qu'elles font maintenant mais dans un environnement entièrement autonome. C'est ce que nous prévoyons parce qu'elles ont besoin de services qu'elles ne peuvent pas s'offrir. De façon générale, ce sont de toutes petites organisations qui n'ont pas les moyens d'avoir tous les services administratifs nécessaires pour pouvoir réussir.

Il y en a d'autres qui veulent conserver une autonomie locale importante également mais qui voient un certain avantage à être affiliées à d'autres caisses de crédit du pays. Grâce à notre organisme national de services, et en offrant certaines normes minimales, plusieurs caisses de crédit pourront souhaiter faire partie de ce groupe.

Il y a cependant un autre groupe, auquel il se trouve que les caisses de crédit appartiennent, qui estime que nous devons changer beaucoup et rapidement. Nous estimons devoir changer rapidement parce que nous sommes directement en concurrence avec les banques dans notre pays pour les volets vente de détail et petites entreprises. Notre industrie, comme vous le savez tous, subit une évolution incroyable. Nous croyons que ce changement est nécessaire maintenant.

De ce fait, notre groupe de caisses de crédit a envisagé une troisième option selon laquelle nous devons être autorisés par le gouvernement fédéral par voie législative à avoir des activités interprovinciales.

On a un peu parlé de la croissance de notre industrie. L'une des limites à la croissance, pour les caisses de crédit, vient de ce que, si les Canadiens sont très mobiles et se déplacent beaucoup dans le pays, lorsqu'un de leurs membres déménage de Vancouver à un autre endroit au Canada, ou son compte devient inactif ou nous réussissons, peut-être, à le transférer à une autre caisse de crédit, bien que ce ne soit pas toujours le cas. Les banques, qui sont en concurrence avec nous, se contentent de transférer le compte à la succursale bancaire de la ville où l'individu vient s'installer.

Nous avons le même problème avec nos employés. Au fur et à mesure que nos services se compliquent, il devient nécessaire de former constamment notre personnel afin de pouvoir fournir à nos membres des services estimés.

Il arrive fréquemment que nos employés doivent déménager dans d'autres villes parce que leur conjoint a été transféré et nous perdons ainsi les compétences dont nous nous étions dotés dans notre cadre local. C'est pourquoi le groupe de caisses de crédit dont je vous ai parlé souhaite vraiment étudier à fond les possibilités de devenir une organisation nationale offrant un ensemble de services financiers semblables d'un bout à l'autre du pays. Nous voulons nous doter d'une structure qui nous permette de ne pas perdre ce qui constitue pour nous un avantage face à la concurrence, à savoir, nos liens avec la collectivité et nos interventions au sein de la collectivité où nous sommes actuellement actifs.

Notre vision comporte donc deux facettes. La première consiste à pouvoir continuer à offrir les mêmes services dans tout le pays à ceux qui nous ont choisi comme principale institution financière. La deuxième, qui découle de la première, consiste en fait à augmenter les montants que nous consacrons au développement de la collectivité locale où nous avons vu le jour.

Le sénateur Tkachuk: Le mouvement des caisses de crédit en Saskatchewan représente une force très puissante. Dans notre province, nous avons eu la chance d'avoir une organisation de caisses de crédit solide, surtout pour son intérêt envers le secteur agricole, pour le pire et pour le meilleur.

Ce que beaucoup d'entre nous disent lorsque nous parlons de la concurrence, c'est qu'en fait, bien que le mouvement des caisses de crédit dispose d'établissements importants en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba et au Québec, dès que l'on quitte ces quatre provinces, ces services sont moins disponibles.

À votre avis, pourquoi n'avons-nous pas de mouvement efficace de caisses de crédit en Ontario et dans le Canada atlantique?

M. Jonathan Guss, président-directeur général, Credit Union Central of Ontario: Je vous remercie de cette question. Je crois qu'il faut voir l'Ontario comme constitué de deux marchés distincts. Il y a Toronto et il y a le reste de la province. Il pourra être utile de prendre un peu de recul pour regarder ces deux segments. Dans n'importe quelle ville en dehors de Toronto, les caisses de crédit existent; elles y sont assez visibles et disposent d'une part raisonnable du marché, dans certains cas un peu comme ce que vous voyez dans les villes de l'Ouest dont vous avez parlé.

Toronto représente un marché en soi, vous le savez tous fort bien. C'est là que résident les banques. C'est là qu'ont leur siège tous les fonds communs de placement, à l'exception d'un ou deux, toutes les sociétés de courtage, à l'exception d'une ou deux, toutes les compagnies d'assurance, à l'exception de quelques-unes et en gros, c'est un marché extraordinairement concurrentiel et parcellisé. C'est un marché où il est beaucoup plus difficile d'avoir un effet important.

Tous ceux qui arrivent sur ce marché ont des difficultés. Si vous parlez aux compagnies d'assurance qui ont créé des banques ou des sociétés de fiducie, vous pourrez voir qu'elles ont commencé à Toronto et ont changé d'avis. Elles ont sans doute compris qu'elles avaient fait une erreur en commençant là et que si elles avaient commencé n'importe où ailleurs, elles auraient sans doute mieux réussi.

Si vous distinguez ces deux marchés, vous constaterez que nous réussissons fort bien en Ontario en dehors de Toronto.

Il nous reste cependant des lacunes en ce qui concerne la présence géographique et les compétences. C'est un défi important et nous devons l'admettre. Il y a certaines choses que nous pourrions mieux faire ensemble pour combler ces lacunes. Nous croyons aussi qu'il devrait y avoir une organisation nationale plus forte pour combler ces lacunes, surtout dans le domaine des prêts aux petites entreprises.

Je ne veux pas que vous pensiez que je ne souhaite pas le changement. Nous avons absolument besoin du changement pour attaquer le marché ontarien, mais nous devons l'envisager en tenant compte de ces deux segments.

Le sénateur Tkachuk: Vous êtes de toute évidence favorable aux recommandations du rapport MacKay. Qu'est-ce qui vous empêche actuellement d'avoir une organisation nationale?

M. Knight: Nous avons une organisation nationale. Traditionnellement, nous avons des services particuliers de gros mais ils sont assez limités, pour ce qui est de notre propre système, puisque nous ne pouvons pas nous lancer dans d'autres opérations pour réduire les coûts des caisses de crédit. Deuxièmement, nous ne sommes pas en mesure d'avoir des pouvoirs suffisants pour la vente de détail, pour pouvoir agir presque comme une banque indépendante ou sans succursales face à la centrale. Troisièmement, nous avons trois niveaux. Les changements proposés nous offrent une très grande possibilité. Nous connaissons tous la nature du Canada, qu'il s'agisse du gouvernement, du secteur des entreprises ou autre. Nous avons la possibilité, avec cette initiative nationale, de proposer à nos membres un nouveau positionnement sur le marché pour les 10 prochaines années, en n'ayant non pas neuf, dix ou onze centrales, mais un seul organisme national de services pour soutenir ce système. C'est un changement important.

Le sénateur Tkachuk: Les banques qui ont comparu devant nous et devant le groupe de travail MacKay ont indiqué que les régimes différents d'imposition constituaient un avantage concurrentiel pour le mouvement des caisses de crédit par rapport aux banques. Je ne sais comment se fait l'imposition d'une grosse entité financière comme la Banque Royale du Canada, mais vous pourriez peut-être m'expliquer en quoi le traitement qu'on vous réserve est différent de celui des banques en matière d'imposition. Pensez-vous que cela soit vrai et que cela constitue pour vous un petit avantage?

M. Guss: Premièrement, nous recevons effectivement un traitement différent. Je pense que vous le savez. C'est-à-dire que nous sommes placés sous le régime de l'article 137 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Mais il faut aussi savoir que nous n'avons pas le même accès au marché financier ou marché des capitaux. Le régime fiscal qui s'applique à nous a été conçu en 1972, à la suite du travail de la commission Carter, de façon à permettre précisément de prendre en compte le fait que nous n'avons pas accès aux principaux marchés publics de capitaux. Notre capital vient entièrement de nos membres ou de nos bénéfices internes. Pour s'assurer que nous pouvons obtenir un capital suffisant pour répondre aux exigences de la réglementation, on impose bien notre capital, mais de façon différente, tout comme nous le constituons de façon différente. Lorsque notre capital arrive à un certain niveau -- que l'on appelle la réserve cumulative maximale -- nous sommes assujettis à la même imposition que les banques. Ce système a en gros été conçu pour nous permettre de nous constituer un capital plus rapidement.

Le sénateur Tkachuk: Le Wheat Pool et les United Grain Growers (UGG) sont devenus des sociétés ouvertes alors qu'ils étaient auparavant des coopératives. A-t-on envisagé une telle évolution au sein du mouvement des caisses de crédit puisqu'elle vous donnerait accès aux capitaux? Vous pourriez en fait vous tourner vers les marchés financiers. À moins que cela ne soit possible à toutes les différentes caisses de crédit indépendantes qui existent dans le pays?

M. Knight: Grâce à la Loi sur les associations coopératives de crédit, nous pourrions faire un appel public à l'épargne.

Le président: N'est-ce pas ce qu'a déjà fait la Surrey Credit Union?

M. Knight: Si, mais la plupart des caisses de crédit obtiennent essentiellement leur capital sous forme d'actions privilégiées ou de façon interne avec les bénéfices non répartis.

Les deux modèles des UGG et du Wheat Pool sont très différents pour ce qui est des mécanismes de contrôle de l'administration des deux entités. Pour le Saskatchewan Wheat Pool, ce sont les membres propriétaires qui contrôlent le service.

J'aimerais que Bob Quart réponde à cette question. L'un de nos véritables points forts sur le marché, si je puis l'appeler ainsi, est celui de nos services bancaires sur mesure. Nos propriétaires membres décident en fonction des services qu'ils veulent. Chaque fois qu'ils viennent nous rendre visite, nous devons faire nos preuves pour répondre à leurs attentes. Nous lancer sur le marché boursier aurait de graves implications pour nous.

M. Quart: Les principes démocratiques sur lequel repose le système des caisses de crédit restent importants pour nous quelle que soit celle des trois options que la caisse décide de choisir. Tant que cela est possible, nous aimerions que nos membres restent les propriétaires de l'établissement. Cela a vraiment une importance pour nous.

Lorsqu'un de nos membres se trouve dans une succursale pour obtenir un service auprès de l'un de nos fournisseurs, ce dernier parle au propriétaire. La relation n'est pas la même que lorsqu'on a un client qui parle à un propriétaire dont les besoins et les exigences ne sont pas les mêmes. Cela peut fonctionner dans un autre cadre, mais je ne crois pas que cela puisse bien aller pour le nôtre.

Pour vous donner un exemple, à l'heure actuelle, mes dirigeants ne s'inquiètent pas de la valeur de leurs options d'achat d'actions, mais je crois que c'est ce que font la plupart des dirigeants des grosses entreprises canadiennes actuellement. Ces derniers consacrent en effet beaucoup de temps à ce sujet.

Le sénateur Tkachuk: Ou à se demander pourquoi leurs actions ne valent plus rien maintenant.

M. Quart: Exactement.

Notre structure veut que nous soyons là pour servir nos propriétaires, qui se trouvent être nos clients. Nous voulons maintenant cette structure tout en nous dirigeant vers celle des trois nouvelles options possibles que nous aurons choisie. De cette façon, nous restons beaucoup plus près des gens que nous servons.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Quart, j'aimerais revenir sur votre réponse à la question concernant les raisons qui font que les caisses de crédit sont si bien implantées au Manitoba, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, mais moins dans les autres régions du Canada. Je viens du Canada atlantique. Au Nouveau-Brunswick, leur position est beaucoup plus solide que dans les autres provinces atlantiques.

Vous avez parlé de l'Ontario, qui est constitué en gros de deux marchés -- Toronto et le reste de la province. Puis-je conclure que les raisons que vous avez données pour expliquer que les caisses de crédit ne sont pas aussi bien implantées en dehors de Toronto sont les mêmes que pour le Canada atlantique?

M. Quart: L'une des raisons qui font que les caisses de crédit ont connu un tel succès en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, vient de ce que les gouvernements qui se sont succédé dans ces provinces ont adopté des législations habilitantes favorables. Cela leur a permis d'offrir à leurs membres les quatre piliers des services financiers dans une beaucoup plus grande mesure que dans les autres provinces. À certains égards, cela a freiné le développement et la croissance des caisses de crédit dans les autres provinces qui n'ont pas un cadre aussi généreux pour fonctionner.

Le sénateur Callbeck: Pourriez-vous me donner quelques exemples de mesures dissuasives dans le Canada atlantique.

M. Quart: En Colombie-Britannique, nous vendons des assurances à nos membres depuis longtemps. Certaines de nos caisses de crédit offrent également le crédit-bail automobile. Cela se fait dans notre région depuis relativement longtemps, tout en respectant les règles concernant les ventes liées et autres permettant de garantir la protection des renseignements personnels et la sécurité de nos membres.

Je peux vous donner précisément deux exemples où nous avons fort bien réussi. Certaines de nos caisses de crédit en Colombie-Britannique ont de très bons résultats dans le domaine des assurances. De ce fait, face à la concurrence, les consommateurs reçoivent des offres beaucoup plus intéressantes sous forme de divers types d'assurances générales qu'elles peuvent obtenir dans ces établissements.

Le sénateur Callbeck: En Saskatchewan, les caisses de crédit peuvent-elles proposer l'assurance et le crédit-bail automobile?

M. Knight: Non, mais les caisses de crédit ont d'autres possibilités de manoeuvre dans le cadre de la législation et ont constitué leur capital et commencé à créer des filiales qui s'occupent de ces activités. Le modèle est différent.

Les caisses de crédit de l'Île-du-Prince-Édouard connaissent un franc succès et leurs affaires augmentent. Je dois le dire pour défendre nos collègues de la région. En dehors de cela, le Québec, la Saskatchewan, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont historiquement pris des mesures législatives habilitantes. Historiquement, les autres ont suivi le modèle fédéral. Voilà pourquoi la stratégie concernant les nouveaux participants qui est définie par le groupe de travail MacKay nous paraît très prometteuse.

Le sénateur Callbeck: Si les recommandations du groupe de travail sont mises en oeuvre en ce qui concerne les caisses de crédit, pensez-vous que le mouvement coopératif devienne aussi important dans les provinces atlantiques que dans l'ouest du Canada?

M. Knight: Oui. Tant que nous comparons la population qui représente l'actif, je crois que ce devrait être le cas. Nous avons des caisses populaires et des caisses de crédit qui ont de très bons résultats un peu partout au Canada, elles vont donc connaître une croissance.

Le sénateur Callbeck: On dit aussi dans le rapport que, dans certaines régions, les caisses de crédit ont du mal à attirer de jeunes membres. Est-ce en raison des services? Dans bien des endroits, vous n'offrez pas autant de services que les autres institutions financières. Est-ce à cause de la constitution des caisses de crédit, de leur structure? À quoi cela est-il dû?

M. Knight: Il y a des différences entre ceux qui deviennent membres de nos institutions et ceux qui s'adressent à des banques. Bien franchement, cela tient parfois au fait qu'elles offrent tous les services. Nous proposons des opérations bancaires par Internet ou à partir du domicile, et tout le reste, mais nous ne sommes pas tous au même point pour ce qui est de les offrir. Nous cherchons des occasions de croissance pour nos établissements et nous essayons de le faire de façon à ce que ces services soient uniformes. Nous voulons aussi arriver à une uniformité pour ce qui est de pouvoir faire des dépôts et des opérations entre les différentes caisses de crédit du pays. Avec les changements prévus dans le rapport MacKay, nous pourrions rattraper notre retard dans ce domaine. Voilà la principale raison.

M. Quart, et M. Guss en Ontario, connaissent fort bien le secteur du détail, et ils souhaitent peut-être intervenir.

M. Quart: Je crois que ce qu'a dit M. Knight est exact. Notre expérience à VanCity -- et je ne veux pas uniquement vous parler d'elle -- veut que ces dernières années nous avons consacré pas mal de ressources à la technologie. Nous avons été les premiers à adopter la technologie des opérations bancaires interactives depuis le domicile. Nous utilisons la technologie pour créer une banque virtuelle, la Citizens Bank of Canada.

Nous constatons que dans votre groupe, plusieurs personnes utilisent nos services. Une grande partie de nos membres utilisent notre technologie. Mais encore une fois, le coût du maintien des services et des mises à jour nécessaires pour rester à la fine pointe dans ce genre d'environnement est une question très difficile. C'est l'une des raisons qui font que nous devons regrouper nos efforts au sein du système pour être sûrs de dépenser à bon escient les sommes que nous consacrons à la technologie et de pouvoir mettre en oeuvre cette technologie le plus rapidement possible.

M. Guss: J'aimerais également dire quelques mots de l'histoire des caisses de crédit. Chaque caisse de crédit a sa tradition ou ses propres racines. Elles ne varient pas tellement en fonction de la situation géographique. Dans l'Ouest, les caisses de crédit ont des liens avec la collectivité ou c'est dans la collectivité qu'elles ont leurs racines; dans l'Est, il s'agit plutôt de racines industrielles ou paroissiales. Tandis que les membres des différents secteurs industriels vieillissent, la population qui a recours aux caisses de crédit aussi. Nous devons donc faire des efforts supplémentaires pour attirer les jeunes. Là où nous avons des racines dans la collectivité, quelle que soit la province, nous avons en général le même éventail de services que les banques. Je dis cela pour répondre à quelques-unes de vos questions concernant la région atlantique.

Ce qui distingue notamment l'Est, c'est que les banques ont aussi traditionnellement leur siège dans l'Est et non pas seulement à Toronto. Je pense notamment à la Banque de la Nouvelle-Écosse.

Ma mère a 90 ans. Si je l'appelais aujourd'hui pour lui demander: «Où dois-je investir?» Elle me répondrait: «Achète des actions de la Banque de la Nouvelle-Écosse». C'est sa caisse de crédit. Elle habile au Nouveau-Brunswick.

À Toronto, 250 000 personnes travaillent dans les banques. Tout le monde a une mère, un père, un frère, une soeur ou un enfant qui travaille pour une banque. Dans l'Ouest, le lien affectif avec les banques est plus ténu et, comme nous avons pu le constater, il y a un élément affectif important qui joue pour les marchés financiers.

Le sénateur Callbeck: Vous avez parlé des liens avec la collectivité. Je sais qu'en Saskatchewan les résultats sont très bons. Ce secteur continue-t-il à connaître une croissance?

M. Guss: Il est aussi très solide en Colombie-Britannique et il commence à prendre de l'ampleur en Ontario. Je suis sûr qu'il connaît aussi un début de croissance dans la région atlantique. Cela confirme ce que disait M. Knight.

Le sénateur Kelleher: Lorsque notre comité a fait un voyage aux États-Unis au début de l'année, nous avons pensé y avoir appris pas mal de choses sur le système bancaire communautaire. Il constitue aux États-Unis un système de deuxième niveau que nous ne semblons pas avoir à l'heure actuelle au Canada. Quelle comparaison pourriez-vous établir entre la portée très générale de vos opérations et vos services actuels avec ceux des banques communautaires américaines?

Deuxièmement, en supposant que la comparaison vous donne comme moins importants à l'heure actuelle, si les recommandations du rapport MacKay étaient mises en oeuvre, cela vous permettrait-il de rattraper le secteur des banques communautaires américaines pour ce qui est des pouvoirs et de la portée?

M. Knight: Tout d'abord, il y a une caisse de crédit solide et active dans tous les États-Unis aussi. Pour ce qui est des marchés américains, je n'essayerai pas de voir comment ils fonctionnent par rapport aux nôtres, quelles sont les ressemblances et les différences. Il existe un système des caisses de crédit aux États-Unis avec lequel nous avons des relations et des discussions.

Par ailleurs, les banques communautaires et le deuxième niveau aux États-Unis ont acquis une plus grande souplesse pour ce qui est des nouveaux participants et de la capacité de desservir des marchés donnés. Mais je crois que ces banques communautaires varient aussi grandement pour ce qui est de leur intérêt stratégique, pratiquement d'une communauté à l'autre.

Si le rapport MacKay était appliqué, et si j'ai une bonne idée de l'importance des banques communautaires aux États-Unis, nous serions pratiquement en mesure d'être parmi les joueurs qui vont contribuer à remplir ce vide au Canada. C'est ce qui nous intéresse tant.

Le sénateur Kelleher: Lorsque M. Clark, PDG de Canada Trust, est comparu devant nous, il a exprimé certaines inquiétudes quant à l'absence de concurrence qui existerait au Canada dans le système bancaire si les fusions en question avaient lieu. Il a indiqué que, même si le rapport MacKay recommande des pouvoirs accrus pour les banques étrangères, même si le rapport MacKay recommande des pouvoirs accrus pour les caisses de crédit afin qu'elles deviennent des banques ou à peu près, il craignait qu'il ne faille un certain temps avant que cette nouvelle concurrence puisse s'instaurer.

En regardant à travers votre boule de cristal, et en supposant que les recommandations MacKay concernant les caisses de crédit soient en fait approuvées, combien de temps pensez-vous qu'il faudrait avant que vous puissiez vous livrer à ce genre d'activités de façon importante?

M. Knight: Je laisserai M. Quart répondre dans un instant, mais pour ce qui est de passer de trois niveaux à deux, si l'on considère ce que l'on pourrait faire en matière de services complets, il faudrait envisager stratégiquement une période de trois à cinq ans après des premiers changements assez importants. Franchement, il nous faudrait des mesures législatives rapidement, dès qu'on aura tiré les conclusions du débat sur la politique publique, et vu quelles actions on pourrait prendre. Plus tard au cours de l'automne, peut-être. Nos méthodes sont propres à notre système: nous sommes responsables envers notre premier niveau pour ce qui est d'accepter la chose, après quoi nous pourrions commencer à agir de façon importante et à tirer profit de cette possibilité très rapidement, c'est-à-dire au début de 1999.

M. Quart: Pour ce qui est des 12 organisations qui s'occupent de la troisième option, nous pensons pouvoir agir rapidement après l'an 2000. Nous ne souhaitons pas commencer à convertir nos systèmes à la fin de 1999. Nous voulons avoir dépassé l'an 2000. En supposant que la législation soit en place, nous pourrons rapidement constituer ce groupe de 12. Cela représenterait environ 140 succursales dans l'ensemble du pays, plus les capacités de la Citizens Bank of Canada concernant l'aspect opérations bancaires virtuelles: 800 000 clients et membres et un actif d'environ 12 milliards de dollars.

Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'autres participants, étrangers ou autres, qui puissent arriver avec des briques et du mortier dans tous les coins du pays dans ce laps de temps, ou même qui auraient le courage de construire tout cela.

Le sénateur Kelleher: Étant donné le système bancaire que nous avons actuellement, pensez-vous que cela constituerait une concurrence importante pour les banques de l'annexe I?

M. Quart: Ce ne serait qu'un début. Je dois encore une fois me reporter à la collectivité que je connais le mieux, la mienne. Dans cette collectivité, nous avons quelques caisses de crédit prospères qui existent côte à côte. Une personne sur huit dans la région du Grand Vancouver a recours à ma caisse de crédit comme établissement de services financiers principaux pour toutes les opérations bancaires de détail. Là où nous n'avons pas réussi aussi bien que nous l'espérions, c'est dans le secteur des petites et moyennes entreprises. Mais en nous regroupant, nous pourrons nous doter des compétences nécessaires pour le faire et nous occuper davantage de ces secteurs que nous n'avons pas pu le faire jusqu'ici.

Nous permettons à de nombreuses petites entreprises de type familial, de se lancer. Celles qui réussissent deviennent à un moment donné trop importantes pour que nous continuions à leur offrir des services tout seuls et nous finissons par les perdre au profit du système bancaire. Si nous avions la possibilité de prêter des sommes plus importantes et de fournir des services supplémentaires, dont ils ont besoin lorsque leurs entreprises progressent et prospèrent, prennent une ampleur nationale ou internationale, nous avons besoin des outils qui nous permettront de conserver ces membres. De nombreux PDG sont venus me trouver pour me dire qu'ils adoraient le service que nous leur offrions mais que nous n'avions pas toutes les possibilités dont ils avaient besoin aujourd'hui et qu'ils devaient aller ailleurs.

Si nous avions cette capacité à l'échelle nationale, nous pourrions apporter une concurrence dans un secteur où il existe un vide. Les petites entreprises canadiennes ne cessent de se plaindre de ce qu'elles ne sont pas servies comme il se doit. Donnons-leur une plus grande concurrence et davantage de choix.

Le sénateur Kelleher: Est-ce qu'une période de lancement protégée vous serait utile si les recommandations MacKay étaient approuvées?

M. Quart: Je ne répondrai jamais non à une telle question.

Le sénateur Kelleher: Je ne m'attendais pas non plus à ce que vous disiez non.

M. Quart: Il nous faudrait un certain temps pour organiser certaines choses. Il y aurait des dépenses importantes qu'il nous faudrait absorber pour pouvoir mettre toutes ces organisations au même niveau pour la technologie. Cela signifie des frais importants à court terme afin d'être à même d'agir effectivement comme une seule entité et être considérés comme tels par nos membres. Si un membre va dans une succursale à Halifax ou à Grand Forks (C.-B.), il aura le même service et le même relevé de compte, entre autres. Cela exigera d'importants investissements. Tout allégement fiscal pourrait nous être utile et nous permettre de passer ce cap.

M. Knight: J'aimerais ajouter quelques remarques en réponse à cette question.

Vous avez pour la plupart, comme moi, participé au grand débat de politique publique qui a eu lieu pour les réformes de 1990. Nous avons en gros permis au capital de circuler entre les barrières et les piliers. Nous cherchions à augmenter la concurrence. J'ai l'impression que le rapport MacKay permet aux nouveaux participants d'être les premiers à passer le poteau, si j'ose dire, pour s'occuper de certaines de ces lignes de produits, de bénéficier de certaines dispositions concernant l'impôt sur le capital et l'ensemble de nos impôts et taxes. En accordant cette souplesse aux nouveaux participants par rapport aux joueurs importants et prépondérants, nous aurons peut-être un moyen pour dépasser tous les débats qui ont eu lieu dans le secteur afin d'essayer de savoir qui allait s'occuper des assurances et qui ne pourrait pas le faire. Ces nouveaux arrivants ne pourront pas modifier le marché de façon très importante les trois premières années, mais vous aurez une expérience qu'il vous sera possible de mesurer sur le plan de la politique publique.

Comme vous le savez, ici à Ottawa, dès qu'un rapport est publié, on prend toutes sortes de positions, et le secteur des services financiers pousse encore les choses plus loin, pour ce qui est de savoir qui peut et qui ne peut pas faire telle et telle chose, une fois que toutes les études ont été effectuées et que le travail est terminé. Il se pourrait bien que la stratégie concernant les nouveaux participants offre ce mécanisme à la politique publique et permette à certains de pénétrer ces marchés.

Par exemple, en ce qui concerne l'assurance et cela a également un lien avec les dépôts, cela vous permet de voir ce que nous avons vécu en Colombie-Britannique. Les sociétés de courtage et les caisses de crédit peuvent coexister. Ce sont les consommateurs et le secteur qui en profitent. Qui plus est, les habitants de Colombie-Britannique disposent d'un éventail suffisamment grand et d'un marché suffisamment concurrentiel pour obtenir de très bons prix et services pour ces produits.

Le président: Je suis sûr, M. Knight, que vous ne serez pas surpris d'apprendre que Canada Trust et la Banque Nationale se sont aussi portés volontaires pour participer au projet pilote portant sur les pouvoirs élargis.

M. Knight: En effet, et je vous jure que je n'étais pas en train de lire la transcription.

Le sénateur Joyal: Monsieur Knight, j'ai regardé votre organigramme. Comme vous l'avez fort bien dit, le rapport MacKay recommande qu'il y ait un renforcement des services bancaires de second niveau au Canada. En regardant les figures de la page 2 de votre mémoire, cela m'a rappelé la force de vos cousines du Québec. Si nous dessinons la carte d'un second niveau, ne vaudrait-il pas mieux qu'il y ait une banque coopérative au Canada? Dans ce cas, vous feriez cause commune avec les caisses Desjardins.

Pour ce qui est des capacités de l'institution, que vous avez mentionnées, vous auriez accès aux mêmes services où que vous vous trouviez au Canada. Il nous faut tenir compte du fait que l'économie est moins régionale et davantage nationale, continentale et mondiale.

Cela ajouterait un élément important en ce qui concerne le capital et la souplesse du système. Vous seriez mieux placés au deuxième niveau, surtout maintenant que le président a indiqué que la Banque Nationale et Canada Trust et d'autres institutions de ce niveau souhaitent vous faire la concurrence.

Mais si l'on oublie tout cela, ce semble être une évolution logique si nous voulons vraiment remodeler le deuxième niveau au Canada.

M. Knight: Vous pourriez fort bien rencontrer les caisses Desjardins dans les semaines qui viennent tandis que vous sillonnerez le pays. Je ne veux pas parler à leur place, mais nous avons actuellement des discussions en vue de comparer nos plans d'activités, de voir où nous pensons que le secteur se dirige et de décider si nous pouvons travailler ensemble. Nous travaillons actuellement avec les caisses Desjardins dans plusieurs domaines. M. Quart pourrait vous en parler. Il y a un autre secteur en Saskatchewan. Nous travaillons avec Desjardins Life pour notre QCorp, qui est une société de prêts commerciaux. Nous regardons nos canaux de distribution respectifs pour échanger nos familles de fonds communs de placement intégralement ou en partie. Ce sont des discussions qui ont cours, notamment en ce qui concerne les activités.

Tandis que le marché évolue, les caisses Desjardins et nous-mêmes avons l'occasion de discuter de certaines opérations administratives. Pour ce qui est du branchement électronique dans ces bureaux administratifs, nous avons constaté que nous nous adressons tous deux séparément au même fournisseur qui est excellent. Nous avons pensé que la prochaine fois, nous pourrions nous regrouper pour aller le trouver ensemble. Tout cela est donc en cours.

Je crois que les caisses Desjardins sont intéressées. Nous attendons de voir quelle direction elles vont prendre pour ce qui est de leur planification, de la législation fédérale et du rapport MacKay à l'égard des opérations bancaires coopératives et peut-être des activités internationales. Cela vaut non seulement pour les caisses Desjardins mais également pour RaboBank. Nous rencontrons et discutons les caisses Desjardins pour voir dans quels secteurs nous pouvons travailler ensemble.

[Français]

M. Quart: Récemment, nous avons convenu une entente avec Visa Desjardins et VanCity Visa afin d'offrir leur carte à travers le pays. Cette entente nous intéresse à cause des volumes qui sont déjà en place chez Desjardins. Si l'on prend le volume des deux organisations il en ressort des avantages financiers et des avantages au niveau des produits que l'on peut offrir parce qu'ils ont énormément d'expérience. Si l'on reconnaît la culture différente dans chacune des régions du Canada, il y a plusieurs autres situations où l'on pourrait faire des choses ensemble pour le bénéfice de toutes les organisations.

Le sénateur Joyal: Dans le contexte de la fusion, même avec des banques plus performantes capables de concurrencer les superbanques, comment parviendrons-nous à de meilleurs résultats, alors qu'un système rendu plus flexible avec l'arrivée de banques étrangères, au cours des dernières années, n'a pas donné les résultats escomptés, principalement dans le système de distribution.

Comme Desjardins, vous disposez du réseau de succursales. Vous êtes présents là où le service doit être accessible. Avant d'accepter ou de recommander la fusion, il faudrait être convaincu de l'émergence rapide d'un second niveau d'activités bancaires fortes et concurrentielles.

Nous percevons la tradition du mouvement coopératif comme étant plutôt individualiste. Chaque banque est maître dans sa paroisse même s'il y a un partage de services, mais la tradition même de l'institution n'est pas l'ouverture rapide et globale.

L'un des facteurs clé est la rapidité avec laquelle vous devrez répondre aux conditions soumises pour l'acceptation de la fusion. Jusqu'à quel point disposez-vous de la capacité humaine et financière pour prendre le relais immédiatement?

M. Quart: Si le gouvernement fédéral nous donne les lois et les outils nécessaires, que ce soit Desjardins, RaboBank ou d'autres participants au niveau coopératif, il y aura énormément de raisons pour que ces organismes regardent ensemble l'avantage que l'on peut créer. Tout d'abord, il faut des changements au niveau fédéral tellement puissants qu'ils nous pousseront à faire quelque chose ensemble.

Nous sommes en pourparlers et ce ne sont que des suppositions. Une fois que nous connaîtrons la route à prendre et que nous saurons où elle nous mène, je suis sûr que nous trouverons des partenaires utiles que ce soit Desjardins ou d'autres. C'est inévitable à l'échelle nationale. Je suis bien encouragé, et je suis sûr que lorsque vous les rencontrerez à Montréal, vous recevrez les mêmes réponses.

[Traduction]

Le sénateur Meighen: En ce qui concerne le rapport MacKay proprement dit, certains demandent qu'on applique rapidement ses recommandations et d'autres prêchent la sagesse en demandant une attitude beaucoup plus modérée, chacun défendant sans doute son propre intérêt en l'occurrence. Qui sait? Puis il y a ceux qui pensent que la pire chose que l'on puisse faire serait de les mettre en oeuvre au coup par coup et qu'il faudrait les appliquer d'un bloc. Laquelle de ces deux optiques est la vôtre?

M. Guss: Pour commencer, Bill Knight vous a dit je crois que c'était un rapport positif. De façon générale, nous constatons qu'il a été soigneusement équilibré et calibré. Même s'il s'agit d'un document volumineux et je dirais même d'un ouvrage de maître, on a réussi à trouver un équilibre entre les intérêts en concurrence. Nous pencherions donc pour dire qu'il faudrait l'appliquer globalement en raison de tous les équilibres qui ont été trouvés.

Le sénateur Meighen: Que dire de la rapidité d'adoption?

M. Guss: Pour nous -- et je défends peut-être nos intérêts ici -- certains éléments sont indispensables. Je suis bien placé pour vous dire que nos centrales sont prêtes à fusionner; nous voulons décloisonner notre système.

Comme vous le savez, les centrales provinciales sont des hybrides. Nous sommes constitués en sociétés sous le régime provincial mais régis par la législation fédérale. À l'heure actuelle, il ne nous est pas facile de fusionner, et ces changements permettraient de le faire. Il est donc important, pour de simples raisons pratiques, d'adopter l'ensemble des propositions.

Le président: Si l'on admet qu'il est souhaitable de tout faire en bloc, sans oublier la complexité que représente une application globale et en espérant qu'on progresse, pouvez-vous nous donner une réponse, maintenant ou par lettre ultérieurement, à la question suivante: quelles sont les deux, trois ou cinq recommandations qui sont essentielles pour le mouvement des caisses de crédit et qui leur permettraient de faire les choses dont vous avez parlé? Autrement dit, quels sont les obstacles législatifs ou réglementaires qui doivent être supprimés ou changés pour vous permettre d'atteindre vos objectifs? Car si les progrès sur d'autres fronts sont plus lents, on pourrait du moins aller de l'avant avec les mesures que vous souhaitez.

M. Knight: Je dois dire, pour commencer, que dans les documents que nous vous avons remis figurent un certain nombre de questions de politique -- et M. Quart souhaitera peut-être vous en parler davantage.

Nous préciserons cela dans une lettre que nous enverrons au comité.

M. Quart: Les documents que nous avons distribués précisent les pouvoirs que nous souhaitons avoir. Ce sont des pouvoirs dont nous disposons déjà à l'heure actuelle au niveau provincial. En conséquence, il nous paraît très difficile de dire à nos membres que, même si nous nous lançons sur la scène nationale, nous ne pouvons plus faire telle ou telle chose. Nous ne pensons pas que cela soit acceptable.

Le président: Dans une province comme la Colombie-Britannique, où vous êtes autorisé à vendre des assurances, vous ne souhaitez pas renoncer à ce pouvoir tandis que vous vous orientez vers ce que vous appelez la troisième option, celle de l'institution nationale plus importante.

M. Quart: Nous voulons aller plus loin. Si nous disons que nous sommes une organisation uniforme d'un bout à l'autre du pays, ce que nous faisons à Vancouver, nous devrions pouvoir le faire à Halifax. Nous demandons ces pouvoirs. Il en va de même pour le crédit-bail et la vente des valeurs mobilières, notamment.

Il y a aussi les questions fiscales. Tandis que nous regroupons ces organisations en une seule, nous ne voulons bien sûr pas que cela entraîne des gains ou des plus-values en capital, car ce genre de choses annule tous les avantages d'un tel plan d'activités.

Le sénateur Meighen: Dans votre mémoire en réponse au groupe de travail MacKay, vous parlez d'organismes financiers de la Couronne. À moins que cela m'ait échappé, je n'ai rien vu dans le rapport MacKay qui traite du rôle des organismes financiers de la Couronne, de la Société du crédit agricole ou de la Banque fédérale de développement. Pensez-vous que ces organismes soient pour vous des concurrents?

Il est juste de dire que ce sont certainement des joueurs dans le secteur des services financiers au Canada. Si je ne m'abuse, la Banque fédérale de développement vient d'émettre sa propre carte Visa. Où les situez-vous? Pensez-vous que ces organismes puissent jouer un rôle qui dépasse ce qu'ils sont censés faire?

M. Knight: Comme vous, monsieur le sénateur, je n'ai rien vu à ce sujet dans le rapport.

Nous avons de très bonnes relations de travail avec la Banque fédérale de développement dans certaines régions du pays. Nous aimerions les conserver et même les augmenter.

Depuis un an à peu près, nous avons moins été en conflit avec la Société du crédit agricole; nous cherchons en fait des occasions de nous associer pour certains projets. Je crois qu'un partenariat existe en Ontario, et un travail préparatoire est en cours dans les Prairies.

Le sénateur Meighen: Est-ce parce que vous n'arrivez pas à faire mieux que vous vous joignez à elles?

M. Knight: C'est peut-être la réponse qu'elle a donnée, mais nous avons toujours eu de très bonnes relations de travail -- excellentes mêmes -- avec la Banque fédérale de développement, et dans des régions importantes du pays.

De temps à autres, la Société du crédit agricole nous a posé de véritables défis. Mais pour être bien franc avec vous, le nouveau président-directeur général et le conseil d'administration de cette société de la Couronne ont fait des efforts notoires pour collaborer et travailler avec nous.

Le président: Lorsque vous dites «travailler avec nous», voulez-vous dire travailler avec vous pour les nouvelles idées que vous essayez de préciser ou simplement travailler avec vous dans le cadre de la structure existante? Les membres du comité ont été très malmenés il y a quelques années lorsqu'ils ont proposé que ces diverses sociétés de la Couronne soient fusionnées en une seule -- ce qui nous semblait être une bonne décision sur le plan commercial.

Lorsque je regarde précisément la Société du crédit agricole et la Banque fédérale de développement et que je les compare avec votre organisation, il semble que ce regroupement soit tout à fait naturel puisqu'elles s'occupent uniquement de prêts commerciaux et que vous n'en offrez pas particulièrement. La grande majorité des prêts des caisses de crédit sont des prêts personnels ou des prêts hypothécaires personnels. Vous avez un énorme système de distribution, ce qu'elles n'ont pas, et elles ont le savoir-faire voulu dans le domaine des prêts aux entreprises et des prêts commerciaux, que vous n'avez pas. À première vue, il semble que le regroupement soit indiqué. Je le dis sans vous poser la question suivante qui est: pourquoi devraient-elles rester des sociétés de la Couronne?

Les relations que vous avez avec elles sont-elles amicales, comme elles le sont souvent entre personnes d'un même secteur, ou vont-elles plus loin étant donné les changements structurels dont vous parlez?

M. Knight: Elles vont plus loin, elles vont même jusqu'à nous permettre de nous aligner les uns sur les autres et de nous associer en partenariat pour augmenter nos réseaux de services complets concernant les prêts commerciaux.

Le président: Avec une aide raisonnable et un certain enthousiasme de leur part?

M. Knight: Avec un certain enthousiasme et en pensant sérieusement que leurs institutions et les nôtres sont compatibles et que l'on pourrait envisager des entreprises en participation, c'est exact.

Le sénateur Kroft: En tant que Manitobain, je suis parfaitement au courant de la présence et de la force des succursales des caisses de crédit. C'est précisément sur les succursales que j'aimerais vous poser une question.

La sagesse populaire veut, dans certaines régions, que l'avènement de la technologie et la possibilité qu'elle offre pour les services bancaires rendent, à de nombreux égards, les agences traditionnelles de type succursale des institutions financières désormais inutiles. Il faut peut-être aussi ajouter qu'il a été dit qu'elles n'étaient pas rentables.

Par ailleurs, d'autres, comme M. Clark de Canada Trust qui est comparu devant le comité hier, ont dit que les succursales étaient l'élément central de toute institution financière et que c'est là que se font les affaires, que plus il y en a, mieux cela vaut.

Pouvez-vous me dire, puisque votre institution repose sur les succursales et sur l'idée voulant que vous devez être présent sur place pour le client -- et je crois que c'est quelque chose sur quoi vous insistez alors que ce n'est pas le cas des banques -- comment vous envisagez l'avenir des succursales et leur rapport avec la technologie?

M. Quart: La nature des succursales a grandement changé et va continuer à évoluer. On effectue de moins en moins de transactions dans les succursales à l'heure actuelle puisque la technologie permet aux consommateurs de le faire plus facilement et de façon plus pratique au moment qui leur convient.

Par ailleurs, il est aussi vrai que les besoins financiers des Canadiens changent. Notre population vieillit et ses besoins concernent avant tout l'épargne, les investissements, les conseils fiscaux, les conseils pour la retraite et la planification successorale. Cela devient de plus en plus vrai avec le temps.

Il nous faut donc concevoir différemment -- et nous avons commencé à le faire -- le fonctionnement de ces succursales pour qu'elles restent des centres utiles, et pas nécessairement un endroit où l'on va retirer 20 $ ou payer une note de téléphone. Par centres utiles, j'entends un endroit où l'on peut obtenir une évaluation financière, des idées précieuses sur la façon de simplifier notre vie financière, tout au long des différents cycles financiers de la vie, de la naissance à la mort.

Les succursales qui existent actuellement dans le système des caisses de crédit vont assez généralement s'orienter vers ce genre d'environnement, certaines plus rapidement que d'autres. Il faudra alors avoir un personnel spécialisé dans divers domaines pour répondre à ce besoin comme il se doit. Cela a déjà commencé et va continuer.

En ce qui concerne la fermeture des succursales, je vais parler de la troisième option, c'est-à-dire de la Banque coopérative nationale. La Banque coopérative nationale serait la propriété des caisses de crédit d'autrefois qui sont maintenant des coopératives dans différentes localités du pays.

Les caisses de crédit créeront une option nationale. Les collectivités locales décideront de maintenir ou non les succursales.

M. Knight: J'aimerais fournir au comité des renseignements sur le Manitoba. Le système des caisses de crédit du Manitoba, dans les zones rurales, là où bien souvent les banques se sont retirées et où aucune institution financière n'existe, est venu dans ces localités pour fournir ces services, soit sous forme de services satellites ou directement à la collectivité.

Il faut pour que notre modèle fonctionne que la collectivité accepte aussi d'utiliser le service. Les services évoluent et nous avons pu, surtout dans les régions rurales, faire mieux que les autres joueurs pour ce qui est de combler un vide. Le Manitoba est un chef de file en la matière. Je serais heureux d'en discuter, de vous dire comment on procède et quels types de services cela représente.

Le sénateur Kroft: Vous dites donc, en partie du moins, que certains éléments intrinsèques au mouvement des coopératives vous donnent de la force et des possibilités en ce qui concerne les succursales qui ne sont peut-être pas offertes par ce que j'appellerais les opérations commerciales plus grossières. Est-ce bien cela?

M. Knight: Oui.

Nous restons cependant une entreprise très commerciale. Je dois bien préciser que si la collectivité n'accepte pas notre solution, nous ne nous installons pas dans cette localité. Il faut faire un compromis et les affaires commerciales peuvent ensuite avoir lieu. Mais dans les collectivités manitobaines où on aime beaucoup utiliser les succursales, nous avons très bien réussi.

M. Guss: Je veux insister sur ce qu'a dit M. Quart concernant la direction. Ce sont non seulement les usagers qui dirigent, cela a été dit plus tôt au cours de la journée, mais également la collectivité.

La direction assumée par la collectivité fait en sorte que si une société peut faire davantage d'argent ailleurs, elle va aller investir son capital ailleurs. Si les affaires sont lentes à Thunder Bay et vont bon train à Calgary, la plupart des sociétés vont déménager de Thunder Bay à Calgary.

Une caisse de crédit dira au contraire: «Nous avons notre assise dans la collectivité; la direction est assurée par la collectivité.» C'est ce qu'a dit M. Quart. Nous acceptons un rendement de capital de 6 p. 100 plutôt que d'aller investir là où nous pouvons obtenir 18 p. 100. C'est ce que nous avons vu au Manitoba.

Le sénateur Kroft: Si votre administration vous pousse à la solution de 6 p. 100, cela va-t-il vous permettre d'obtenir un rendement suffisant pour réinvestir dans votre entreprise afin d'être concurrentiel pour votre troisième option?

M. Guss: Oui. C'est plus difficile, mais c'est certainement possible.

Le sénateur Angus: Dans l'exemple du Manitoba, en ce qui concerne la mise en commun de fonctions avec la BDC, aviez-vous des alliances ou des ententes avec les principales banques à charte, les banques de l'annexe A, concernant les fonctions administratives ou la mise en commun de certains aspects du système des paiements -- l'accès au système des paiements ou autre?

M. Knight: Il faut dire pour commencer que nous sommes tout à fait actifs dans le système des paiements. Nous sommes membres de l'ACP et d'Interac. Nous avons un service de compensation de groupe avec la centrale canadienne. Pour ce qui est des services disons davantage publics des banques, je laisserai M. Guss répondre.

M. Guss: De Toronto, nous regardons les volumes des banques. Nous regardons la Banque Royale et la Banque de Montréal qui proposent de se regrouper pour devenir un organisme plus important. Nous disons: «Nous pouvons certainement profiter de ces volumes.» Nous avons conclu une alliance avec elles et elles font le travail administratif de traitement des chèques. Nous avons encore notre lien avec la Banque du Canada et nous nous occupons encore nous-mêmes des règlements financiers, mais ce sont elles qui traitent nos chèques.

Nous sommes prêts à le faire dans n'importe quel domaine pour obtenir les volumes nécessaires et réduire les coûts de nos caisses de crédit. C'est la situation qui l'exige.

Le sénateur Angus: Lorsque nous nous trouvions au Royaume-Uni, nous avons entendu pour la première fois des banques insister sur le contact avec le client, nous donner des détails sur l'ouverture de guichets dans les supermarchés. Il était clair qu'à ce moment-là les banques font tout le travail administratif et que le comptoir de détail offre un autre service, le contact direct avec le client.

Il m'est apparu pendant que vous parliez de vos opérations au Manitoba qu'il y avait peut-être là une partie de possibilité qui vous était offerte et que vous pouviez ensuite profiter d'autres possibilités pour d'autres choses. Je me demande s'il y a plus sur votre liste.

M. Quart: Pour ce qui est des ententes commerciales que nous pouvons conclure avec les banques, il y a aussi d'autres organisations avec lesquelles nous pouvons prendre des arrangements utiles. Par exemple, les compagnies de téléphone, car nous dépendons beaucoup des communications. On peut vous donner comme exemple les sociétés d'informatique et les postes.

Dans cette nouvelle époque, il y a de nombreuses façons de ne pas tout faire vous-même. Nous voulons bien sûr contrôler les relations entre nos membres et notre organisation. C'est l'élément essentiel.

Le sénateur Stewart: On a parlé plus tôt des problèmes d'approbation de nouveaux membres. Cela me pousse à vous poser la question des prêts aux étudiants. Je ne sais si les prêts aux étudiants constituent un bon moyen de recruter de nouveaux membres ou non, mais supposons que ce soit le cas. Ai-je raison de penser que les caisses de crédit ne s'en occupent pas? Si oui, quelle est votre expérience en matière de fidélité des clients?

M. Knight: Si vous voulez parler du Programme de prêts aux étudiants du Canada, nous y prenons part. Nous avons un contrat avec le gouvernement canadien. Nous fournissons ce service aux caisses de crédit qui décident de faire partie du programme. On y a notamment recours dans les Prairies. Ailleurs, bien franchement, c'est plus sporadique.

Je dois vous dire bien franchement que pour ce qui est de la prime de 5 p. 100 et de tous les changements qui ont eu lieu au cours des cinq à 10 dernières années, nous ne pensons pas que ce programme fonctionne très bien actuellement. Je crois qu'on est en train de procéder à un examen complet du programme et de son fonctionnement. Il est très difficile de le maintenir.

Je dois dire que les étudiants assument une charge terrible de nos jours. Lorsque vous essayez d'aider financièrement, ces prêts ne donnent pas de très bons résultats et ne réduisent pas les faillites.

Plusieurs caisses de crédit comme la Sherwood Credit Union en Saskatchewan et plusieurs autres en Alberta, ont leur propre programme à l'intention des étudiants, qui est indépendant du programme de prêt aux étudiants. Ces programmes réussissent assez bien à offrir le financement et les conditions voulus.

Depuis le dernier budget, nous offrons également, dans notre système, davantage de services de REEE qu'auparavant.

Le sénateur Stewart: Ai-je raison de conclure d'après ce que vous venez de dire que, pour ce qui concerne la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, vos membres font de bonnes affaires dans les régions du pays où les caisses de crédit sont bien implantées, avec la population en général par opposition aux étudiants?

M. Knight: Assez curieusement, on utilise de façon assez générale le programme dans les Prairies et dans certaines régions du Canada atlantique. En parlant d'alliances, elles existent dans nos propres organisations. Dans plusieurs régions du Canada atlantique, nous traitons avec le mouvement acadien et nous chargeons du travail administratif concernant le programme des prêts aux étudiants pour cette partie du pays. La Saskatoon Credit Union offre ce service dans l'Ouest. Pour le programme en question, c'est de cet aspect qu'on s'occupe, mais cela représente tout de même un défi.

Le sénateur Stewart: Je tenais à aborder le sujet. Il nous faudra peut-être y revenir plus tard.

Le président: Absolument. Je constate un certain manque de cohérence dans certaines des choses que vous nous avez dites. D'une part, vous vous posez tout à fait en entreprise commerciale. D'autre part, M. Quart signale avec une certaine fierté combien il serait difficile de fermer une succursale. Le manque de cohérence de quelqu'un qui dit: «Oui, nous sommes une entreprise, mais nous acceptons un rendement de 6 p. 100 alors que nous pourrions obtenir 18 p. 100 ailleurs», m'inquiète. Cet exemple ne me semble pas être un modèle classique d'entreprise commerciale. Et cela me ramène à ce que disait le sénateur Kroft. Étant donné que vous êtes en quelque sorte axé sur le commerce, qu'est-ce qui vous fait croire que vous pourrez réussir lorsque le marché deviendra de plus en plus concurrentiel et que les marges, par exemple, commenceront à compter vraiment?

M. Knight: Premièrement, en effet, notre structure d'optimisation fait que nous sommes uniques. Deuxièmement, nous sommes une entreprise commerciale. Oui, nous devons être trois fois plus agiles que certains de nos concurrents. Ils peuvent répartir des pertes que nous ne pourrions pas absorber. À cet égard, nous faisons très attention, mais nous avons un énorme réseau de distribution et une énorme base sur laquelle appuyer notre croissance. Si 28 p. 100 de nos clients nous utilisent comme institution principale, et si nous passons à 35 p. 100, cela aura des répercussions énormes sur nos coûts.

Deuxièmement, nous appliquons le principe voulant que si nous créons un organisme national de services, par exemple, ou une banque communautaire nationale, en regroupant notre capital, nous pouvons le réorienter vers les entreprises nouvelles de façon très efficace.

Nous sommes donc effectivement à la fois une entreprise commerciale et communautaire. Cela ne fait aucun doute.

Quant à nos tendances générales, des caisses de crédit de taille variable sont apparues pour être plus efficaces et pour fournir tout l'éventail des services dans les régions ou les collectivités. En une dizaine d'années, nous sommes passés de 1 200 ou 1 300 caisses de crédit à 844 à peu près. Si cette tendance se maintient, on pourrait envisager 300 à 400 caisses de crédit d'un certain type offrant l'ensemble des services dans tout le pays, avec en plus une banque communautaire nationale.

M. Quart: Il est important de reconnaître que nous sommes une entreprise commerciale et que nous envisageons les choses sous l'angle commercial. Mais en même temps, c'est ce qui est le mieux pour nos propriétaires, qui se trouvent être nos clients, qui nous guide. C'est ce qui nous différencie essentiellement de nos concurrents. Mais pour les affaires courantes, nous sommes directement en concurrence avec les banques, les sociétés de fiducie, les sociétés de fonds communs de placement, les sociétés spécialisées, et cetera, pour que nos membres choisissent nos services.

Nos membres ne font pas affaire avec nous parce que cela leur en coûte davantage. Ils ne veulent pas payer plus pour le service que nous leur offrons, mais ils s'attendent à un meilleur service et ils l'obtiennent. Une étude récente portant sur la qualité révèle que les Canadiens placent les caisses de crédit en troisième position sur 20 secteurs divers de services. Les banques canadiennes se situent en 17e position dans cette étude. Cela montre que nous investissons davantage dans les services à nos membres, au prorata.

De plus, la rentabilité n'est pas le seul moteur d'une caisse de crédit. La rentabilité vise la constitution du capital dont nous avons besoin pour grandir avec les bénéfices non répartis. Je suis fier de la croissance que nous avons connue. Ma propre organisation en est un exemple, mais il y en a beaucoup d'autres. Nous avions 600 employés il y a six ans et nous en avons maintenant 1 500. Notre actif est passé à 6,2 milliards de dollars. Il a pratiquement doublé au cours des six dernières années et nous sommes rentables. Nous ne sommes pas aussi rentables que les banques canadiennes le sont à l'heure actuelle, mais nous sommes rentables, et cela depuis longtemps.

C'est simplement la façon dont nous répartissons nos bénéfices qui est différente. Nous sommes fiers de la façon dont nous procédons et nous pensons que davantage de Canadiens en profiteraient si nous étions plus nombreux à le faire dans toutes les régions du pays.

Le président: Votre argument est intéressant. C'est presque exactement la même raison que l'on a donnée au comité pour expliquer le succès des banques communautaires dans diverses régions des États-Unis.

Messieurs, nous vous remercions d'être venus ce matin. Nous vous serions reconnaissants de nous envoyer cette note sur les mesures législatives nécessaires.

M. Knight: Certainement.

Le président: Notre dernier groupe de témoins de la matinée représente la Banque de Montréal.

M. Barrett a une déclaration préliminaire à faire. Je lui donne la parole. Après son exposé, nous passerons aux questions.

M. Matthew Barrett, président-directeur général, Banque de Montréal: Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis très heureux de cette occasion qui m'est offerte de m'adresser à vous ce matin.

Avec votre permission, je commencerai par commenter brièvement le rapport du groupe de travail MacKay. J'exposerai ensuite le point de vue de la Banque de Montréal sur l'avenir du secteur des services financiers au Canada, puis j'évoquerai les espoirs que nous nourrissons au sujet de la nouvelle banque que nous voulons instaurer.

Mes premières remarques ne doivent pas vous donner l'impression que j'éprouve des réticences à entrer dans le vif du sujet. Je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir. Étant donné que la plupart des questions plus pointues ont déjà été étudiées, que ce soit par des personnes ayant déjà comparu devant vous ou dans le cadre de vos propres recherches, j'ai pensé que vous présenter la situation dans une perspective plus globale pour commencer pourrait vous être utile dans vos délibérations. C'est bien sûr à vous qu'il reviendra d'en juger.

Pour m'aider à évoquer cette perspective, je suis accompagné ce matin par Al McNally, qui est président-directeur général de la Harris Bank et qui dirige de plus les opérations de la Banque de Montréal aux États-Unis, et par Tim O'Neill, notre économiste en chef.

Quand j'ai pris connaissance du rapport MacKay, j'ai d'abord apprécié sa profondeur et son exhaustivité. Il s'agit d'une étude en tous points remarquable. En décidant de mettre sur pied le groupe de travail et de lui confier le mandat que l'on sait, le ministre des Finances lui a conféré une importance certaine. Il a du même coup permis que le débat ne soit plus cantonné aux études égocentriques d'institutions rivales, mais qu'il porte plutôt sur les questions d'importance nationale.

On conçoit aisément que le rapport du groupe de travail MacKay sur un sujet aussi complexe soit un document volumineux; les 124 recommandations que l'on y trouve sont un gros morceau à assimiler. Pourtant, à mesure que je prenais connaissance du rapport, j'en suis arrivé à y voir un thème central, à savoir que le changement, motivé par la mondialisation, par les progrès technologiques et les transformations démographiques profondes, fait déjà partie intégrante de notre réalité.

Le mot «changement» est souvent galvaudé de nos jours, à un point tel que sa signification risque d'en être altérée. Je vais essayer de vous donner une idée de la nature proprement fantastique du changement que nous traversons actuellement.

La science fait reculer les frontières de l'inconnu à un rythme effarant. Les applications pratiques des découvertes scientifiques transforment la vie moderne. Dans le cadre de ce processus, on assiste à une évolution remarquable des objectifs visés: au lieu de se concentrer sur la capacité brute d'une application, sa vitesse, sa mémoire, et cetera, les ingénieurs concepteurs cherchent plutôt à rendre l'application plus accessible et conviviale. D'ailleurs, le jour n'est pas loin où des outils informatiques d'une puissance inimaginable il y a à peine une dizaine d'années seront mis à la disposition d'utilisateurs dont la seule compétence requise sera la capacité de parler.

Pour paraphraser Don Tapscott, l'auteur de Rise of the Digital Economy, nous vivons les premières étapes, assez turbulentes, d'une révolution technologique dont les répercussions sur notre vie économique et sociale pourraient bien dépasser en importance celles qu'ont eues les autres révolutions que nous avons connues par le passé -- par exemple l'imprimerie, le téléphone et l'ordinateur. Au coeur de cette révolution, le microprocesseur est maintenant présent dans tous les aspects de notre vie.

Permettez-moi de vous donner un exemple. La voiture d'une famille moyenne est devenue un véritable centre d'information mobile dont les capacités informatiques sont dix fois plus grandes que celles dont était dotée la fusée Apollo au moyen de laquelle l'homme s'est rendu sur la lune.

Le secteur bancaire a bien sûr lui aussi été touché par cette révolution. La transformation qu'a connue ce secteur a été rendue possible entre autres par un investissement considérable, de l'ordre de 2 milliards de dollars ici au Canada, pour mettre sur pied le réseau Interac, qui est le réseau des paiements électroniques du système bancaire. En dépit de cet énorme investissement, d'ici l'an 2000, les guichets automatiques auront à en découdre avec un sérieux aspirant en matière d'accès aux services bancaires, Internet. Selon M. Tapscott, dans moins de deux ans, 20 p. 100 des familles au Canada et aux États-Unis effectueront leurs opérations bancaires par Internet. Autrement dit, un système de prestation de services entièrement nouveau représentera un cinquième de toutes les opérations bancaires de détail.

Cette révolution de la technologie de l'information crée des possibilités extraordinaires pour les institutions financières canadiennes, mais leur pose en même temps des défis formidables. Les investissements qu'il faut faire dans la technologie à seule fin de demeurer au diapason du secteur sont très importants. Si l'on y ajoute le coût associé à l'administration d'un réseau de succursales à l'échelle nationale, notre tâche devient encore plus ardue.

En outre, comme si cela n'était pas déjà suffisant, les banques canadiennes font face à de nouveaux défis. Les concurrents étrangers sont maintenant capables, grâce à la technologie, d'enjamber les frontières. Au moment où je vous parle, ils sont en train de s'implanter dans nos grandes villes. Les grandes firmes monoproduits, comme le géant de la carte de crédit MBNA, tablent sur leur taille et sur leurs moyens technologiques pour dominer le marché.

La menace qui plane sur les banques canadiennes vient aussi d'autres sources moins évidentes que celles dont vous discutez habituellement. Je les appelle les «concurrents furtifs». Des intégrateurs d'Internet, dont Microsoft, ont acquis la capacité de s'immiscer entre l'institution financière et le consommateur. En offrant aux consommateurs des fonctions de recherche et de tri des services et produits financiers, ils risquent de reléguer les institutions financières au rôle de simples fournisseurs de produits banalisés. Pour ne pas perdre pied, le secteur des services financiers canadien doit prendre acte de leur présence et agir de façon décisive pour l'avenir.

Ainsi qu'on peut le lire dans le livre rouge du ministre des Finances, depuis plus de 25 ans, l'économie canadienne a constamment été à la traîne de l'économie américaine au chapitre de la croissance de la productivité, et cet écart se creuse un peu plus chaque année. Les grandes banques canadiennes n'y échappent pas. Notre productivité est constamment inférieure de près de 15 p. 100 en moyenne à celle des banques américaines les plus performantes, celles qui sont les plus susceptibles de venir au Canada.

Même si l'on ne tient pas compte de la révolution dans le domaine de la technologie de l'information, nous avons un grave problème de productivité. Et il faut bien voir que ce problème a encore empiré maintenant que, pour demeurer concurrentiels, nous devons investir dans une vaste gamme d'outils technologiques, dont les opérations bancaires sur Internet ou par téléphone, le commerce électronique et les technologies dites intelligentes.

Comme je le mentionnais, les recommandations du rapport MacKay en vue d'une réforme du secteur et de la réglementation représentent une vision cohérente et intégrée de l'avenir du secteur des services financiers canadien. Il convient à ce titre de féliciter le groupe de travail, mais j'applaudis à la parution du rapport pour une autre raison.

En effet, au cours des huit derniers mois, avant la sortie du rapport, le débat public a porté sur deux éléments coupés de leur contexte plutôt que sur la situation globale. Grâce aux travaux du groupe de travail, le débat a été réorienté et nous nous attachons maintenant à la situation globale -- c'est-à-dire aux éléments nécessaires à la promotion et au maintien de l'excellence des services financiers canadiens au cours du prochain siècle. Si les conseils du groupe de travail sont suivis, le débat se fera sous le signe de la collaboration et de la concertation.

La Banque de Montréal a élaboré sa propre vision de l'avenir du secteur des services financiers canadien. Notre vision est celle d'un marché hautement concurrentiel dont chaque segment est desservi par des institutions canadiennes et étrangères offrant aux consommateurs un choix plus large de produits, de niveaux de service et de prix. De même que le groupe de travail MacKay, nous envisageons ce marché desservi, non seulement par des grandes institutions financières comme la nôtre, mais aussi par des institutions canadiennes plus petites, d'envergure nationale ou régionale à un autre niveau. Notre vision comporte un élargissement des moyens d'accès aux services financiers offerts aux consommateurs, depuis les succursales de détail jusqu'aux systèmes électroniques et virtuels. Enfin, nous entrevoyons un avenir où les grandes institutions financières canadiennes pourront livrer une concurrence efficace, tout d'abord dans notre pays et ensuite à l'étranger, aux meilleures entreprises mondiales.

Étant donné que dans notre vision les institutions financières continueront à être contrôlées en grande partie par des intérêts canadiens et qu'elles resteront fortement présentes dans le pays, je crois que c'est celle qui servira le mieux les intérêts nationaux du Canada. Elle promet un plus grand nombre d'emplois au Canada, la prise de décisions plus nombreuses au Canada, un meilleur accès pour les Canadiens habitant dans les régions reculées du pays et un plus gros apport de bénéfices étrangers au Canada.

Où s'intègre notre banque, la Banque de Montréal, dans cette vision? Nous voulons bien évidemment être un participant actif et rentable pour maintenir et consolider notre place parmi les principales institutions financières du Canada. À cette fin, nous devons relever simultanément quatre défis.

Nos activités ne sont plus axées autant sur les opérations, elles s'orientent davantage vers les rapports et les conseils professionnels à l'intention de nos clients; nous devons améliorer les compétences de milliers et de milliers d'employés.

Alors que nos activités étaient autrefois entièrement centrées sur les succursales, nous offrons maintenant un vaste choix de moyens d'accès, y compris la succursale traditionnelle. Nous devons donc moderniser et transformer jusqu'à notre système actuel de prestation de services.

La technologie de l'information continue de transformer nos modes d'opération; nous devons donc effectuer les énormes investissements nécessaires pour moderniser notre technologie.

Enfin, nos activités, qui dans le passé étaient purement nationales, ont acquis une envergure mondiale; nous devons donc être en mesure de pénétrer les marchés étrangers avec succès et de rapatrier à notre siège canadien des bénéfices suffisants.

Si nous savons relever ces défis de concert, nous pourrons réaliser notre vision de la nouvelle banque dont nous souhaitons l'avènement. Cette nouvelle banque se dotera de la technologie la plus moderne pour régler les problèmes que connaît notre secteur depuis deux siècles. Elle offrira à la clientèle des services entièrement personnalisés. Elle démocratisera la prestation des services financiers et plus sophistiqués, comme la gestion de la richesse et les services bancaires à la carte qui, jusqu'à ce jour, ont été réservés aux puissants et aux nantis.

Pour la Banque de Montréal et la Banque Royale du Canada, la meilleure façon, la seule en fait selon moi, de concrétiser cette vision passe par la croissance. Pour nous, le moyen le plus efficace d'assurer la croissance est la fusion. De cette façon nous pourrons remplir notre rôle de banque à service complet offrant à la fois ses services par voie électronique et dans les succursales présentes dans tout le pays. Nous pourrons jouer notre rôle de banque canadienne, contrôlée par des intérêts canadiens, concurrentielle au niveau international; une banque qui crée des emplois bien rémunérés à l'intention des Canadiens, qui s'approvisionne auprès de fournisseurs canadiens et dont les décisions stratégiques sont prises au Canada dans l'intérêt du Canada. Nous pourrons ainsi assumer notre rôle de banque disposant des ressources nécessaires pour réinventer la gamme et la qualité des services aux consommateurs pour les porter à un niveau encore jamais vu.

S'il y a un point sur lequel le débat public a permis de dégager un consensus, c'est que le statu quo est exclu. Il faut absolument que, d'une façon ou d'une autre, les banques canadiennes deviennent plus compétitives et plus productives. Si nous ne sommes pas autorisés à fusionner, cela nous obligera à chercher d'autres moyens pour réaliser des économies, notamment à être plus sélectifs dans le choix de nos secteurs d'activités, de notre clientèle et de nos produits, et à nous concentrer davantage sur ces domaines. Dans ce cas, la Banque de Montréal deviendrait une institution beaucoup plus petite; ce ne serait plus une banque nationale à service complet.

Voilà pourquoi il est crucial que notre projet de fusion soit évalué avec soin, de manière équitable et dans le contexte adéquat. Il ne doit pas être jugé à la lumière d'un passé idéalisé ou d'un présent non viable.

En terminant, monsieur le président, je tiens à dire que, en période de grand changement et d'incertitude, une vision claire peut servir à la fois de balise et de boussole. J'ai présenté ce matin la vision qu'a la Banque de Montréal de l'avenir du secteur des services financiers canadien. Notre espoir, à la Banque de Montréal, est de jouer un rôle de chef de file dans la réalisation de cette vision. Je crois que le choix que nous avons fait dans cette optique est celui qui servira le mieux les intérêts de toutes les parties concernées du secteur bancaire, ainsi que les intérêts de notre pays.

En tant qu'institution financière, la Banque de Montréal est consciente du rôle qu'elle joue et des responsabilités qui lui incombent dans l'économie canadienne, et nous sommes disposés à nous en acquitter au mieux. Mais nous sommes aussi une entreprise du secteur privé, et nous avons la responsabilité de mener nos activités comme il se doit.

Je vous prierais, lorsque vous évaluerez notre projet de fusion, de garder à l'esprit certaines des considérations suivantes. Nous ne demandons pas la protection du gouvernement. Nous ne demandons pas au gouvernement de nous subventionner. Nous ne demandons pas au gouvernement de nous aider à accroître nos activités à l'étranger. Nous demandons simplement qu'on nous donne la latitude nécessaire pour gérer nos activités, pour livrer une concurrence efficace et pour nous organiser de la façon la plus efficiente possible.

Si notre stratégie respecte les dispositions réglementaires en matière de solidité et de viabilité et qu'elle favorise la concurrence sur le marché, ne devrait-elle pas être autorisée? Puis, une fois qu'elle est approuvée, n'appartient-il pas aux consommateurs de décider si cette stratégie est la bonne? S'ils y trouvent leur compte, ils l'appuieront. Sinon, ils la rejetteront et se tourneront vers nos concurrents.

Comme je l'ai déjà dit dans le passé, du point de vue des consommateurs, il importe peu que notre fusion soit ou non approuvée. En fait, les consommateurs y gagneront d'une part ou d'une autre, puisqu'ils obtiendront les produits et les services qu'ils désirent, même s'ils doivent se les procurer à l'étranger. La vraie question est la suivante: est-ce que le Canada y gagnera? C'est dans la réponse à cette question que s'inscrira votre décision.

Le sénateur Kolber: Bonjour, monsieur Barrett et messieurs. Merci d'être venus. Je vous félicite de vos déclarations préliminaires qui répondent en partie à certaines des questions que je vais vous poser.

Je m'en tiendrai, dans mes questions, aux coûts et aux avantages de la fusion et aux preuves qui semblent être contradictoires. Même si elles sont contradictoires, il vous sera peut-être possible de les expliquer d'une façon ou d'une autre.

Dans votre discours au Canadian Club de Toronto cette semaine, vous avez dit que la productivité des principales banques canadiennes, que l'on détermine en calculant le ratio des dépenses autres que les intérêts par rapport aux recettes, «est toujours moins bonne que celle des meilleures institutions financières américaines et internationales. Les banques canadiennes paient environ 65 cents par dollar gagné pour les dépenses autres que les intérêts. Pour les meilleures banques américaines, ce chiffre est de 53 à 55 cents dans certains cas.»

Selon le rapport du groupe de travail MacKay -- et cela se trouve sur le tableau de la page 115 du Document d'information no 1 -- en 1996, les banques canadiennes ont été deuxièmes parmi les sept pays comparés. Cela veut dire qu'un seul ratio est inférieur à celui des banques canadiennes. Le ratio pour les cinq grandes banques canadiennes était de 62,9 p. 100 et celui des banques américaines de 63,5 p. 100. La Banque de Montréal et la Banque Royale étaient les moins bien placées parmi les cinq plus grandes banques canadiennes. Mais la tendance concernant la productivité des banques canadiennes a connu une baisse ces dernières années, d'où mes questions.

Premièrement, pourquoi les résultats de la Banque de Montréal et de la Banque Royale semblent-ils si mauvais? Qu'est-ce qui vous a empêché d'atteindre les mêmes niveaux que la Banque de la Nouvelle-Écosse, qui se situe en première position pour le Canada? La Banque de Nouvelle-Écosse se serait placée en deuxième position aux États-Unis, juste après la Nations Bank. De plus, le ratio de la Banque de la Nouvelle-Écosse pour 1996 est supérieur à la moyenne canadienne de 1992.

Deuxièmement, comment se fait-il que la productivité des banques canadiennes n'est pas encore meilleure par rapport aux banques américaines? Le système bancaire américain est dominé par les banques indépendantes -- c'est-à-dire essentiellement des petites banques locales sans succursales -- alors que le système canadien est dominé par les grandes banques nationales. Avec une telle structure, la productivité des banques canadiennes aurait dû se situer bien au-dessus de celle des banques américaines et non pas seulement un petit peu.

Enfin, j'aimerais vous parler de la productivité des deux mégabanques néerlandaises. À l'heure actuelle, la moyenne pour UBS et SBC en Suisse et pour la Deutsche Bank en Allemagne est bien plus mauvaise que celle du Canada. UBS et SBC ont déjà annoncé des compressions de personnel pour réduire le double emploi de 20 p. 100 environ afin d'améliorer la productivité. Pouvez-vous nous dire quels résultats obtiendront la Banque de Montréal et la Banque Royale à l'avenir si la fusion est autorisée, étant donné les expériences faites dans le monde. Par ailleurs, est-il possible que l'éventail des produits que nous offrons au Canada, par rapport à ceux qui sont disponibles aux États-Unis, soit si différent qu'il explique ces écarts?

M. Barrett: C'est un très vaste sujet.

La productivité dépend en partie de l'appétit de chaque concurrent ou de chaque joueur face aux investissements. Nous avons dépensé nettement plus que nos concurrents canadiens pour investir dans les nouvelles technologies. Nous avons aussi dépensé nettement plus que certains de nos concurrents pour transformer notre personnel et pour constituer l'institut d'apprentissage afin que nos employés ne soient pas dépassés et que l'on ne soit pas obligé de les laisser se débrouiller dans notre monde cruel.

Voilà un des éléments où vous pourrez trouver des différences entre les joueurs nationaux. C'est une question de stratégie. Si vous croyez que vous devez faire un investissement minimum dans la technologie, alors vous pourrez montrer un gain de productivité à court terme par rapport aux autres. Mais vous compromettez votre avenir.

Lorsqu'on fait la comparaison avec les États-Unis, les choses se compliquent. Les États-Unis bénéficient de plusieurs avantages structurels. Ce n'est pas que les Américains soient plus intelligents que nous, mais ils ont des avantages. Premièrement, les banques fusionnés qui émergent comme les meilleures pour la productivité dans leur catégorie ont pu obtenir ces gains de productivité grâce aux fusions qui ont eu lieu à l'intérieur du marché. Deuxièmement, les États-Unis ont un taux de fiscalité inférieur de 12 p. 100 à celui que paient les banques canadiennes et cela se répercute sur les coûts lorsqu'on calcule leur productivité. Troisièmement, en ce qui concerne les recettes -- parce qu'il s'agit à la fois d'un ratio concernant les coûts et les recettes -- les frais de service aux États-Unis sont pratiquement le double des nôtres. En outre, les marges -- c'est-à-dire la différence entre ce que les banques canadiennes paient pour les dépôts et demandent pour les prêts -- sont beaucoup plus serrées ici qu'aux États-Unis.

Le fait que les Américains soient prêts à payer des frais de service plus élevés, à avoir des marges plus importantes et un fardeau fiscal inférieur constitue des avantages structuraux contre lesquels nous devons lutter. Il est inutile de dire que nous pouvons importer chez nous les avantages américains. Nous devons faire mieux pour surmonter le handicap que constituent ces avantages, et nous pensons pouvoir y parvenir. Par exemple, nous croyons que, grâce au cumul des économies de la Banque Royale et de nous-mêmes sur une période de trois à cinq ans, nous pourrions nous situer à environ 10 p. 100.

Le sénateur Kolber: Selon les chiffres du rapport, il semble que la productivité des cinq plus grandes banques canadiennes comparée à celle des cinq plus grandes banques américaines est meilleure à l'heure actuelle.

M. Barrett: Il faut pour cela prendre en compte les moyennes. Ce n'est pas ce que je fais, je m'inquiète plutôt de savoir qui est le meilleur dans sa catégorie. Nous ne nous comparons pas à la moyenne.

La meilleure des grandes banques est la Lloyd's Bank du Royaume-Uni qui a 50 p. 100. Plusieurs grandes banques viennent en tête avec 50 à 53 p. 100 aux États-Unis. Ce sont celles dont nous nous préoccupons. En prenant en considération les moyennes générales, on peut négliger le fait que, cachées dans cette moyenne, se trouvent des banques qui sont déjà arrivées à une très grande productivité et qui, de ce fait, peuvent fort bien voir un avantage concernant les prix par rapport à vous.

Le sénateur Kolber: En 1996, la Lloyd's Bank était à 59 p. 100.

M. Tim O'Neill, vice-président exécutif et économiste en chef, Banque de Montréal: Ce pourcentage a baissé.

Le sénateur Kolber: Je ne dispose que des données du groupe de travail. Mais continuez.

M. Al McNally, président-directeur général, Harris Bankcorp Inc., Chicago, Banque de Montréal: Les fusions qui ont eu lieu créent des occasions énormes de gains de productivité. Comme l'a dit M. Barrett, en situation de fusion, il faut un certain temps pour que ces avantages se répercutent sur tout le système. Il est évident que ces gains représentent l'un des véritables prix des fusions. La productivité des banques fusionnées diminue lorsqu'elles mettent en oeuvre les avantages des fusions.

Le sénateur Kolber: Des études américaines montrent que les gains ne sont pas encore apparus, mais que cela pourrait arriver.

M. Barrett: Ils sont apparus dans certains cas.

M. McNally: Il y a des banques qui ont 53, 54 et 55 p. 100. Je ne sais pas auxquelles vous faites allusion ici.

Le sénateur Kolber: Nous pensons aux cinq meilleures.

M. McNally: Les économies de coûts dues aux fusions prennent un certain temps à apparaître, mais elles apparaissent.

Le sénateur Kolber: S'agit-il d'économies de coûts ou simplement d'élimination du double emploi?

M. Barrett: C'est à peu près la même chose. Il y a le coup de pouce de la synergie par-dessus le marché. En regroupant les points forts et les principales compétences des deux organisations, on espère améliorer l'ensemble des recettes et tout cela vous donne un double coup de pouce.

M. McNally: Certaines de ces banques prennent les gains de productivité dus aux fusions pour les réinvestir dans l'informatique afin de créer des occasions de recettes pour continuer à progresser. Cela se fait simultanément.

Le sénateur Kolber: Êtes-vous d'accord avec les dispositions visant à protéger les consommateurs qui figurent dans le rapport du groupe de travail?

M. Barrett: Certainement. Je donne à cet aspect une grande importance. N'importe quel entrepreneur, lorsqu'on lui parle d'augmenter la réglementation et la surveillance, va automatiquement réagir en criant. J'essaie de réagir en tenant compte de l'affectivité et des affaires. J'ai presque perdu la voix à essayer pendant près de 36 ans de déboulonner les mythes qui existent sur le système bancaire canadien. S'il faut que ce soit un tiers ayant la bénédiction du gouvernement qui arrive à convaincre la population de la réalité, ce n'est pas de l'argent dépensé en vain. Je suis pour les évaluations de l'intérêt public, pour les évaluations communautaires, peu importe, car, en tant que secteur, nous avons tout à gagner de la participation d'un tiers.

Lorsque je dis quelque chose, la réaction est la suivante: «Évidemment, il est président de la banque.» Mais si quelqu'un à Ottawa le dit en appuyant sa déclaration sur des faits, et non sur des anecdotes ou des mythes, tout le monde sera gagnant. Je peux dire que c'est peu payer si on arrive à mettre un terme au sport national que constitue en permanence la critique des banques.

Le sénateur Kolber: Vous ne craignez pas l'intrusion d'un nouveau palier gouvernemental?

M. Barrett: Si, mais il s'agit d'analyser les coûts-avantages. Si cela permet de résoudre cet autre problème, cela en vaut vraiment la peine.

Le sénateur Angus: Monsieur Barrett, que vous ayez parlé de l'avenir m'a intéressé et fait plaisir, et que vous nous ayez fait part, sous forme sommaire, de votre vision du secteur des services financiers à l'avenir aussi.

Dans le rapport du groupe de travail MacKay, que nous essayons de comprendre et éventuellement de contester, on dit qu'il est exclu de penser maintenir le statu quo.

Vous avez vous-même dit qu'il y avait une certaine urgence. Vous avez parlé de tous ces changements. Je n'ai pas eu l'impression que le rapport nous proposait une carte de route. Vous avez indiqué dans vos remarques que le groupe de travail avait proposé une vision cohérente et intégrée pour l'avenir du secteur. Je n'arrive pas vraiment à discerner cette vision dans le document. Je suis heureux que vous ayez décidé de proposer votre propre vision pour l'avenir. Je dois cependant admettre avoir eu l'impression qu'il s'agissait davantage de la vision de l'avenir de votre nouvelle banque, ce qui me paraît logique. Je vais vous poser quelques questions à ce sujet.

Premièrement, pouvez-vous préciser l'avenir que vous entrevoyez pour notre secteur des services financiers? Voyez-vous une réglementation plus importante ou au contraire moins importante? Voyez-vous une domination étrangère, davantage, moins ou autant de joueurs étrangers? Voyez-vous des établissements offrant des services bancaires de détail plus importants ou plus nombreux? Voyez-vous davantage d'alliances du type de celle que vous avez constituée avec Safeway; davantage d'exemples comme ceux fournis par Loblaws, Walmart, et Marks and Spencer?

M. Barrett: Je dois tout d'abord dire que j'estime que le groupe de travail MacKay a intégré dans son document une vision à force de donner des thèmes. Les thèmes qui sont omniprésents dans le rapport sont qu'il devrait y avoir une libéralisation pour permettre aux nouveaux participants d'offrir une concurrence parce que le jeu de la rivalité produit inévitablement de meilleures conditions pour le client.

Soit dit en passant, je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il faut qu'il y ait libéralisation et que la concurrence soit autorisée. Franchement, autant être d'accord puisqu'on n'a pas le choix. Nous sommes signataires de l'ALENA, et si nous essayons de protéger le secteur des services financiers canadien, cela pourrait avoir des répercussions négatives sur de nombreux autres secteurs canadiens dont la prospérité dépend des exportations.

J'envisage l'arrivée de nouveaux participants. J'espère que les fournisseurs canadiens seront assez bons pour offrir des produits d'une telle valeur qu'il sera difficile à ces nouveaux arrivants de faire beaucoup mieux. Je suis entrepreneur. Ce que je redoute le plus, c'est que l'on reste là à s'autoféliciter pendant que quelqu'un vient nous prendre notre clientèle. Je crois donc inévitable qu'il y ait davantage de concurrence au Canada.

Je crois que le rapport du groupe de travail MacKay pose la question légitime qui est de se demander s'il faut encourager la constitution d'institutions financières de deuxième niveau dans notre pays. Nous en avons déjà un certain nombre avec les caisses populaires, les caisses de crédit, et autres. Tout ce qui peut favoriser ce genre d'établissements ou ces joueurs qui constituent le secteur bancaire communautaire à l'échelle locale est utile. Je serais tout à fait favorable à cela. Je rendrais moins contraignantes les règles qui permettent la création d'institutions nationales. Je permettrais à certains de ces joueurs moins importants d'accéder au système des paiements.

J'aimerais que le régime réglementaire soit souple et adaptable. Je ne pense pas qu'on aille très loin avec celui que nous avons, mais le mémoire de la Banque de Montréal au groupe de travail indiquait que l'un des problèmes que nous avons, c'est que nous considérons traditionnellement la réglementation à travers le prisme des quatre piliers alors que ceux-ci sont complètement en train de s'estomper. Si l'on pouvait subdiviser la législation et la réglementation selon les diverses fonctions telles que les dépôts, les prêts et les assurances, pour laisser ensuite le marché procéder aux combinaisons et aux permutations qui lui plaisent dans le cadre de la réglementation, les choses seraient plus faciles pour les autorités réglementaires. Plutôt que d'essayer de faire faire virer de bord tous les 10 ans cet énorme navire de guerre qu'est la réglementation des institutions, on pourrait adopter des textes législatifs plus limités régissant chaque élément, un peu comme une flottille de petits bateaux. Il est beaucoup plus facile de faire des manoeuvres dans chaque cas.

Il y a un argument qui va à l'encontre de cela, à savoir que ce ne sont pas les fonctions qui font défaut, mais les gens. Il y a une question de surveillance réglementaire qu'il faut résoudre. J'aimerais qu'on arrive à ne plus avoir à se livrer à ce débat socratique tous les 10 ans, chaque fois que l'on veut changer un élément précis de la législation. J'aimerais que la législation voie clair dans les institutions qui ne sont après tout que des entreprises commerciales et que la réglementation se fasse par fonction.

Le sénateur Angus: On nous a donné de nombreuses preuves -- certaines tangibles, d'autres moins évidentes -- au cours de nos voyages et dans notre étude comparative mettant en lumière la particularité du système bancaire canadien. C'est en effet l'un des plus concentrés du monde, sinon le plus concentré. Il est très complexe vu sous l'angle des données démographiques et géographiques de notre pays.

On nous met en garde de ne pas trop essayer de le rafistoler avant d'être sûr de ce qu'on fait. On nous a aussi dit que de gros changements ont lieu et que, si certains joueurs estiment qu'il y a urgence, d'autres préféreraient aller plus lentement. Qu'en pensez-vous?

M. Barrett: Il faut aller de l'avant. Je ne suis pas expert en matière de politique publique ni de processus politique, je laisse donc la parole à qui veut la prendre à ce sujet. En affaires, on est toujours déchiré entre le rythme du changement et la capacité de l'organisation d'absorber ce changement. Il est aussi vrai que si vous vous laissez atteindre par la paralysie de l'analyse, si vous attendez d'avoir tous les renseignements voulus, vous ne ferez rien. C'est lorsqu'elle trouve le juste milieu qu'une entreprise connaît le succès par rapport à une autre. Cela vaut peut-être également pour les pays.

Lorsqu'on dit dans le rapport du groupe de travail que si l'on tarde, on manque des occasions, on veut montrer qu'à de nombreux égards cette transformation et cette révolution dont je parle, cette grande rupture, a eu lieu au cours des 10 dernières années. Il aurait fallu que le groupe de travail MacKay soit constitué en 1994. À certains égards, nous avons déjà cinq ans de retard pour ce qui est de procéder aux changements en profondeur qui sont nécessaires au Canada. Je ne voudrais donc pas que l'on tarde davantage au point de nous trouver au pied du mur en ayant manqué des occasions lorsque nous serons prêts à procéder véritablement aux changements nécessaires. Nous les ferons tôt ou tard, d'une façon ou d'une autre. Pourquoi ne pas les faire à temps et de façon préventive pour le bien du pays plutôt que d'attendre que les preuves soient si nombreuses qu'il nous sera impossible d'agir? Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut faire quelque chose.

Je préférerais éviter de sécher sur pied ou d'attendre que le changement soit justifié sous prétexte que nous sommes dans une position de faiblesse actuellement. Mieux vaut agir pendant que nous sommes en position de force et qu'on peut encore le faire.

Le sénateur Angus: Dans votre propre vision de votre entreprise, vous dites estimer que la croissance est essentielle et que plus on est important, mieux cela vaut. Je sais que je simplifie un peu exagérément. Plus on est gros, mieux cela vaut pour ce que vous souhaitez réaliser en vous plaçant pour l'avenir dans le secteur des servies financiers canadien. Or M. Godsoe a eu la témérité de comparaître devant nous hier pour nous dire qu'il n'y avait pas le moindre élément de preuve pour appuyer cette thèse; que c'est en fait une perspective très dangereuse et que nous sommes déjà suffisamment gros peut-être même trop. Voilà le genre de choses qu'on nous dit carrément.

On entend aussi dire qu'en Belgique, par exemple, on a dit non aux grandes banques. Et quelques années plus tard, il se trouve que le pays n'est plus propriétaire des institutions fondamentales. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. On m'a dit que vous aviez lu les journaux ce matin. M. Godsoe a dit qu'il n'y était pas allé de main morte.

M. Barrett: Je trouve toujours difficile et malaisé d'être contraint à parler d'un concurrent. M. Godsoe a son opinion. Certains pensent que la terre est plate. D'autres croient qu'Elvis est toujours vivant. De nombreuses opinions ont cours et il faut les respecter. C'est en se fondant sur des preuves qu'il faut leur ajouter foi.

Depuis un certain nombre d'années, j'ai eu l'occasion de discuter souvent avec M. Godsoe et ni lui, ni son prédécesseur, n'a indiqué une seule fois être philosophiquement réfractaire aux fusions. Dans le mémoire qu'il a présenté au groupe de travail MacKay il y a un an, il a demandé expressément que les options politiques permettent les fusions. Je ne sais trop ce qui s'est produit depuis le 23 janvier pour que sa philosophie change à ce point. On peut faire toutes sortes de suppositions, mais il serait peu judicieux de ma part de me livrer à ce jeu.

Le sénateur Angus: Je lui ai posé une question directe à ce sujet hier. Je lui ai demandé: «Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis si vous avez changé d'avis?» Tout dépend de quel côté la tartine est beurrée. On peut prêcher pour telle paroisse aujourd'hui et demain ce pourrait être pour la paroisse voisine.

Si j'ai bien compris, il s'en est bien sorti en disant qu'il était un PDG professionnel qui faisait ce qui était mieux pour ses actionnaires à n'importe quel moment.

M. Barrett: Voilà qui en dit long. Il a tout à fait raison, je le lui accorde. Mais allons un peu plus loin. Admettons que je sois un PDG et que je vois des concurrents faire certaines choses sur le marché. Si je trouve que c'est idiot, je m'en féliciterai. Si je vois un concurrent qui fait quelque chose de mauvais pour ses clients, je vais l'encourager. Et je vais ensuite essayer de le poignarder dans le dos pour lui prendre ses clients.

Voilà plusieurs mois que je mets M. Godsoe au défi de répondre à cette question sans succès. Il n'y a que deux possibilités. Ou bien il pense que la banque fusionnée offrira mieux à ses clients ou au contraire pire. Dans ce dernier cas, il a une possibilité de concurrence incroyable et il serait tout à fait ridicule de sa part d'essayer d'empêcher la chose en tant que PDG, pour ses actionnaires et ses employés, notamment. Mais s'il pense qu'elle offrira mieux, ses arguments ne tiennent plus debout. Je n'arrive pas à obtenir une réponse à cette question. Je vous demanderais de ne pas insister car il est pour moi malaisé de discuter de ce sujet.

Le sénateur Angus: Que dire de la «grosseur»; de l'argument voulant que ce qui est plus gros est mieux et de l'exemple belge, entre autres? Sans trop simplifier, quel est votre avis sur les possibilités de nouvelles transactions comme celle que vous proposez? Il n'est peut-être pas nécessaire de changer. Je n'ai pas vu tous les détails. Ce n'est pas vraiment notre travail. Pour l'instant, on ne nous a pas demandé d'analyser la chose.

Voulez-vous dire de façon générale que si nous ne permettons pas les transactions de cet ordre, nous allons manquer le train et que le prix que nous allons payer ressemblera à l'exemple de la Belgique -- à savoir qu'il n'y aura plus de gros joueurs canadiens dans le secteur bancaire?

M. Barrett: C'est tout à fait mon avis et il n'est pas nouveau. Je le dis publiquement depuis 1994. Je pense très sincèrement que c'est une question qui concerne le Canada. C'est dans l'intérêt national canadien. C'est un pouvoir qui permet de relever le défi auquel sont confrontés la plupart de nos secteurs.

Je sais que le comité a voyagé à l'étranger pour étudier les systèmes bancaires et qu'il va donc comprendre cela. Je vous demanderais de ne pas oublier que nous pourrons tirer des avantages énormes à nous trouver côte à côte avec les nations les plus puissantes de la terre. La signature de l'ALENA a été une décision très intelligente qui a été très profitable au Canada. Soixante-dix pour cent de la population en convient maintenant.

Le sénateur Angus: C'était une bonne initiative du grand gouvernement Mulroney.

M. Barrett: Ne m'obligez pas à entrer dans ce débat. Le gouvernement libéral a aussi adhéré à l'ALENA, à l'AMI, à l'OMC et autres accords commerciaux du même genre. Notre pays a généralement tirer profit du multilatéralisme.

Par ailleurs, vous êtes à une heure d'un pays qui compte les organisations les plus puissantes du monde, dans tous les domaines. Ses dirigeants ont décidé il y a 10 ans que leur système bancaire allait dominer la planète. C'est pourquoi ils ont favorisé une politique publique qui a permis les regroupements.

D'aucuns pourront dire que la concurrence n'est pas une grosse affaire et qu'ils ne vont pas venir. À une heure au sud de notre pays, les Américains sont en train de constituer les institutions financières les plus importantes et les meilleures du monde. Elles visent trois marchés: l'Asie, l'Europe et les États-Unis. C'est faire preuve d'une naïveté très dangereuse que de penser qu'elles vont ignorer le nord. Walmart ne l'a pas fait. Home Depot ne l'a pas fait. Et certains critiques lancent le spectre de la surconcentration. À certains égards, le débat ne porte plus uniquement sur les banques. Le rapport du groupe de travail MacKay et le Bureau de la concurrence, qui doit toujours prendre une décision, ont décrété qu'il fallait étudier la question et que pour bien le faire, il ne fallait pas laisser les banques intervenir. Si c'était vrai, vous démoliriez Canada Trust qui a 100 p. 100 du marché fiduciaire.

Il serait ridicule de suggérer une telle chose. À bien y regarder, la seule chose qui compte, c'est l'importance des concentrations qui existent et les lignes de produits qui existent. Si vous prenez les dépôts, les prêts, les prêts hypothécaires, et cetera, la Banque de Montréal a aujourd'hui environ 9 ou 10 p. 100 du marché pour la plupart des lignes de produits. La Banque Royale en a un peu plus. À nous deux, nous en avons entre 20 et 25 p. 100. Je n'ai encore jamais rien lu qui concerne la théorie des concentrations et qui indique qu'une part de 20 à 25 p. 100 du marché est exagérée.

Pas jusqu'ici, que je sache. Je ne veux pas faire des suppositions à l'avance sur la décision du Bureau de la concurrence. Pourquoi ne pas l'attendre? Nous discutons des «entreprises trop grosses pour échouer» et «de solidité et de viabilité» alors qu'un organisme gouvernemental, le BSIF, qui est l'un des plus respectés du monde, ne va pas en tenir compte pour prendre une décision qui nous touchera tous. Nous avons un Bureau de la concurrence qui est encore une fois un organisme gouvernemental et qui tranchera sur les concentrations. Pourquoi donc avoir ces discussions avant que ne s'applique un processus que nous connaissons déjà et qui va donner les réponses dans un sens ou dans l'autre?

Le sénateur Angus: Notre rôle, comme l'a précisé notre président, n'est pas de ramener la discussion sur les fusions, mais au contraire sur la vision, sur laquelle vous avez commencé.

M. Barrett: Ma vision consisterait à laisser l'économie du marché jouer, dans la mesure où l'on place au-dessus de tout l'intérêt national et où rien dans le processus ne sera au détriment des clients. Je ne puis voir qu'un meilleur avenir pour les clients. Que vous y gagniez ou que vous y perdiez, la situation sera meilleure pour les clients.

Le sénateur Kenny: J'ai été intrigué par votre remarque voulant que lorsque vous voyez un concurrent faire quelque chose d'idiot, vous le félicitez.

M. Barrett: Je plaisantais.

Le président: C'est exactement ce que nous faisons dans notre métier.

Le sénateur Kenny: Étant donné que vous mettez sur le même plan M. Godsoe, la Flat Earth Society et une visite à Graceland, cela veut-il dire que vous pensez secrètement qu'il a raison?

M. Barrett: Je ne comprends pas votre question.

Le sénateur Kenny: Je vais recommencer en allant plus doucement. Vous nous avez dit que lorsque vous voyez un concurrent faire quelque chose que vous jugez idiot, vous le félicitez publiquement. Vous ne félicitez pas M. Godsoe. Vous l'attaquez.

M. Barrett: Pas du tout. Redressons la barre. C'est me faire dire ce que je n'ai pas dit. Je croyais qu'on plaisantait.

Écoutez, nous nous sommes présentés devant tous les comités et à toutes les audiences avec une vision positive de ce que nous voulons faire. Nous n'avons pas proposé de vision concernant ce que les autres ne devraient pas faire. J'aimerais que chacun vienne proposer sa vision. Peut-être a-t-il une stratégie différente de la nôtre aujourd'hui. C'est son droit. Dans ce cas, pourquoi aurait-il des inquiétudes? Si tout ce qui est petit est mieux et que nous avons tort, il ne devrait pas s'inquiéter.

On ne cesse de mettre de l'avant le principe de Boucles d'or, à savoir que nous serons trop gros pour le Canada mais trop petits pour aller n'importe où à l'étranger. J'ai du mal à concilier ces deux arguments. C'est son avis. Je ne suis pas venu ici pour attaquer la Banque de la Nouvelle-Écosse, mais vous m'obligez à me défendre, même si le critique en question n'a proposé ni stratégie ni vision. Je suis contraint de réagir à ce que je considère comme des informations trompeuses qu'on donne Dieu sait pourquoi.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit que nous devrions attendre la décision du BSIF et du Bureau de la concurrence. Ils sont si intelligents, brillants, compétents. Voulez-vous dire par là que les Canadiens n'ont pas leur mot à dire dans ce débat -- que nous ne devrions pas discuter des fusions?

M. Barrett: Ce n'est pas ce que je dis. Je dis que le gouvernement a entamé un processus d'examen. Soit dit en passant, ce processus n'est pas propre aux fusions. En vertu de la loi, le Bureau de la concurrence va évaluer toutes les combinaisons ou permutations d'entreprises afin de garantir aux Canadiens, aux autorités réglementaires et aux décideurs qu'il n'existe pas de concentration indue. C'est sa raison d'être et il n'a pas d'intérêt personnel. Il est un peu prématuré de se demander s'il y a concentration indue ou non avant d'avoir entendu la décision d'un organisme spécialisé, nommé par le gouvernement, qui ne fait rien d'autres que d'étudier ce genre de questions.

Je vous rappelle que s'il y a des problèmes de solidité, de viabilité et de concurrence, il y aura des audiences publiques portant précisément sur les fusions bancaires pour traiter des problèmes que cela pose pour l'intérêt public. J'ai dit que nous serons très heureux de présenter le document d'évaluation des répercussions sur l'intérêt public qui, je l'espère, répondra à toutes les inquiétudes que la population canadienne pourrait avoir.

Le sénateur Kroft: En tant que législateurs et parlementaires, nous essayons de faire participer aux débats non seulement tous les experts que nous pouvons trouver, mais aussi les gens que nous rencontrons dans nos démarches quotidiennes, qu'il s'agisse d'associés professionnels, de compagnons de golf ou autres. Il me semble que mon travail consiste à poser les questions que ces gens pourraient poser s'ils avaient l'occasion de comparaître devant nous.

D'après les exemples sporadiques que j'ai de l'opinion de la population, je dois vous dire que pour l'instant je constate qu'il y a très peu de gens -- notamment d'entrepreneurs comme presque tout le monde l'est aujourd'hui -- qui soient favorables à la fusion. Le rapport d'étape que je pourrais vous faire est que vous êtes encore bien loin de votre but à ce chapitre.

À cet égard, j'aimerais vous inviter à me dire ce que vous pensez d'une ou deux choses qui pourraient rassurer certaines de ces personnes et les aider à changer d'avis. Il va sans dire que ce qui dérange la plupart des Canadiens c'est l'idée que nous puissions, dans notre pays, n'avoir que deux banques. Vous pourrez rétorquer qu'il n'y en aura pas que deux, qu'il y en aura davantage. M. MacKay pourrait dire que l'ensemble du système est conçu pour permettre à des nouveaux concurrents de participer.

Mais le facteur temps nous indique qu'il faudra attendre beaucoup avant que Canada Trust ou le mouvement des caisses de crédit comme il l'a lui-même admis, puisse offrir une concurrence générale pour tous les services.

D'après l'expérience que j'ai, les Canadiens s'inquiètent à l'idée de n'avoir que deux banques, que ce soit parce qu'il y aura peu de choix ou parce qu'il sera possible que l'une d'entre elles fasse faillite. C'est le genre d'argument qu'on nous présente; il ne concerne donc ni la solidité ou la viabilité de la banque, mais plutôt la solidité et la viabilité du système.

Que pourriez-vous dire aux Canadiens pour les rassurer en ce qui concerne l'éventualité de l'existence de deux institutions de très grande taille s'opposant à tout le reste du secteur?

M. Barrett: Il s'agira en définitive de savoir si le public canadien trouvera des avantages et des avantages tangibles à ces fusions. Je crois que ce sera le cas et que nous pourrons l'en convaincre.

Dans le rapport du groupe de travail MacKay, à la partie concernant les concentrations, on indique que l'on se fait une idée fausse en pensant que les banques dominent le secteur des services financiers. Cela est dû à ce que les banques sont omniprésentes dans notre pays. Le rapport du groupe de travail MacKay montre qu'elles détiennent moins de 50 p. 100 de l'actif des services financiers du pays.

C'est à mon avis une question de granularité. Si vous allez dans les zones urbaines et dans les banlieues -- c'est-à-dire dans les grandes villes et les villes de taille moyenne -- vous trouverez 10 concurrents. Là où les choses sont plus inquiétantes, c'est dans les régions rurales où vous êtes la seule banque de la ville, à moins qu'il n'y en ait deux. Nous nous sommes déjà engagés publiquement à ne fermer aucune de nos succursales rurales. Nous avons mis des affiches dans toutes les localités concernées, comme John Cleghorn. Nous avons fait un pacte du sang, si vous voulez, en promettant de ne pas retirer nos services.

Le problème, pour les Canadiens, ne sera pas un problème de choix. Ils auront énormément de choix.

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question où vous demandez ce qui se passerait si l'une d'elles faisait faillite, il faut encore une fois voir les raisons qui font que les banques font faillite. À de nombreux égards, l'histoire montre qu'être «trop petit pour survivre» constitue un plus gros problème que d'être «trop gros pour échouer», si l'on peut se fier aux différentes faillites bancaires qui ont eu lieu depuis le XIXe siècle.

Pour vous donner un exemple, aucune grande banque n'a fait faillite au Canada depuis 1920, ce qui veut dire que le Canada a réussi à passer les années 30 sans qu'une grande banque fasse faillite. Nous avons dans notre pays un régime extraordinaire de surveillance et de réglementation. Les deux institutions concernées ont la meilleure cote. À elles deux, elles ont un capital de base de 25 milliards de dollars à leur actif avant que l'on puisse parler de perte imminente.

Il me semble que lorsqu'on regroupe des banques qui sont solides au départ, on réduit le risque de faillite.

L'autre chose qui est très importante, c'est la théorie des banques concernant le profil et la gestion des risques. L'autre raison qui fait que les banques font faillite, c'est lorsque leur président devient fou. Il concentre exagérément les risques ou se met à concentrer des risques de façon indue dans un secteur donné comme l'industrie, les produits dérivés, les produits, et cetera.

L'année dernière, la Banque de Montréal a été placée parmi les trois meilleures banques au monde par des organismes indépendants pour la gestion des risques. La Banque Royale se situe également à ce niveau. Nous avons donc deux banques dont la grande priorité est les particuliers et les petites et moyennes entreprises qui sont intrinsèquement diversifiés, et 75 p. 100 de nos activités se déroulent dans ce secteur. Le profil des risques pour les deux banques est donc excellent.

En théorie, la possibilité d'une faillite existe toujours, mais c'est une très faible probabilité. L'histoire tout comme le classement des deux banques le montrent.

C'est une excellente nouvelle que de voir se constituer une banque plus forte, plus importante et plus diversifiée qui a des pratiques et des politiques prudentes en matière de gestion des risques. De plus, une plus grande transparence et divulgation de la part des banques, comme l'exigent les autorités réglementaires, la SEC et l'OSC concernant l'importance des risques pris et les possibilités en cas de catastrophe constituent une garantie supplémentaire.

C'est théoriquement possible, mais la probabilité est si faible que je ne pense pas qu'elle doive vous donner à vous, monsieur -- ou à vos amis golfeurs -- des inquiétudes excessives.

Le sénateur Kroft: Compte tenu de votre argument, je dois vous demander ensuite s'il faut être plus gros pour pouvoir être un concurrent efficace sur la scène internationale. Pourriez-vous nous donner des exemples ou des types de situations où votre taille modeste vous placerait dans une position désavantageuse; je veux parler de votre propre institution et peut-être encore plus des sociétés canadiennes?

J'aimerais savoir quel effet cela a sur l'économie. Tout un ensemble d'entreprises canadiennes pourraient être défavorisées parce que leur banquier est un joueur trop faible sur la scène internationale.

M. Barrett: C'est en partie cela. En effet, la capacité de couvrir un risque est fonction du capital. Ainsi, si vous êtes prudent, vous ne pouvez pas miser votre bilan sur des clients individuellement. Plus la banque est importante en ce qui concerne le pourcentage de son capital, plus elle est capable d'absorber de risques.

Nous allons bouger dans les semaines et les mois à venir. J'ai parlé publiquement d'une nouvelle banque pour les entreprises internationales. Nous allons parler d'une banque d'import-export et de la façon dont elle pourra être utile aux exportateurs canadiens. Une banque plus importante peut faire davantage pour ses clients parce qu'elle peut garantir sans problème un soutien plus grand pour cette institution.

Le sénateur Kroft: Est-il de pratique courante de prendre des risques plus importants?

M. Barrett: De plus en plus. On accumule moins de risques, mais il faut alors les garantir, c'est-à-dire prendre un engagement et ensuite consortialiser cet engagement. Il y aura bien sûr une limite aux risques garantis car il faut prendre en compte ce qui se passe si le marché fait marche arrière et que vous restez pris avec la position que vous venez de garantir, même si vous savez que vous allez la consortialiser.

Le sénateur Kroft: Pour une importante transaction consortialisée au nom d'une multinationale, assumeriez-vous 100 p. 100 du risque au départ et proposeriez-vous ensuite la consortialisation, ou proposeriez-vous la consortialisation au départ?

M. Barrett: Les deux à la fois. Cela dépend parfois de la concurrence, de la banque qui est la position de tête. Le prêt n'est pas toujours rentable.

Le sénateur Kroft: C'est un calcul que vous faites par rapport à votre marge disponible.

Le président: Je veux être bien sûr d'avoir compris quelque chose que j'ai déduit de votre réponse à la question du sénateur Kroft concernant les risques. Vous avez parlé de la façon d'utiliser l'information pour gérer les risques en les faisant comprendre au public.

Vous le savez peut-être, le comité a étudié le système de réglementation néo-zélandais selon lequel la divulgation publique est plus importante et la réglementation moins grande. Nous sommes favorables à ce système, et nous pensons qu'il est sans doute plus intelligent. J'aurais pu déduire, ou peut-être j'aurais voulu déduire, d'après votre réponse au sénateur Kroft que vous ne seriez pas nécessairement contre un tel système.

M. Barrett: Pas du tout. Si vous me permettez de me vanter, la Banque de Montréal a été classée parmi les chefs de file mondiaux pour la façon dont elle est administrée. Pour être dans une telle position, il faut prendre de sérieux engagements en ce qui concerne la transparence et la divulgation. La bourse vous punira en fonction de ça.

Je suis tout à fait favorable à une plus grande granularité et divulgation à l'intention du public et des investisseurs. Je ne le crains pas du tout car cela aurait tendance à favoriser la banque qui a un profil des risques plus prudent. Nous sommes donc très encouragés à avoir une bonne granularité. La microgestion par des organismes de réglementation serait affreuse.

Le sénateur Oliver: Les forces du marché libre ont été bonnes pour l'économie et les consommateurs canadiens. Lorsque le CRTC ne réglemente pas certaines choses dans le domaine des télécommunications, c'est extraordinaire pour les consommateurs; les prix restent bas et le service est excellent.

Lorsque je lis le rapport du groupe de travail, ce qui ressort, c'est qu'il serait bon d'avoir un nouveau produit mais qu'il nous faut le réglementer. En lisant le rapport, on voit qu'il y a surabondance de réglementation qui sera probablement dommageable pour les consommateurs, qui ralentira le jeu de la concurrence et compliquera les choses.

J'ai demandé hier à Peter Godsoe s'il était d'accord avec M. Baillie et M. Flood qui estiment que les recommandations du groupe de travail entraîneraient une réglementation excessive, surtout dans trois domaines: les normes concernant la protection des renseignements personnels, les ventes liées avec coercition et les rapports concernant les responsabilités.

Pensez-vous que cela va effectivement créer une réglementation excessive, prendre plus de temps et coûter davantage à vos dirigeants?

M. Barrett: Cela pourrait avoir toutes ces conséquences. Je suis peut-être un peu plus virulent que mes collègues parce que nous avons l'expérience pratique des activités aux États-Unis depuis 1984. Il nous a fallu accepter une réglementation assez draconienne dans ce pays et je suis peut-être devenu blasé.

M. McNally: La législation concernant les CRA aux États-Unis a été une opération extraordinaire de politique publique. Elle a été mise en oeuvre dans les années 70 au moment où les villes américaines ont commencé à se détériorer complètement. Ce genre de politique publique a contraint les banques à prêter attention à un sujet dont elles auraient dû s'occuper depuis de nombreuses années, et cela a donné des résultats.

La législation et la réglementation sont donc en partie responsables, mais je dois vous dire que la concurrence est féroce. Indépendamment de respecter notamment la législation sur les CRA -- ce que nous faisons parce que nous pensons que c'est une saine gestion des affaires -- je ne passe pas beaucoup de temps à faire autre chose qu'à essayer de mieux servir mes clients que mes concurrents.

M. Barrett: J'essaie de faire mieux que de réagir comme je le ferais normalement. J'adorerais qu'il n'y ait absolument pas de réglementation.

Le sénateur Oliver: J'espère que vous n'avez pas peur de vous montrer critique parce que vous avez besoin du Bureau de la concurrence, du ministre et des autorités réglementaires pour ce que vous essayez de faire. J'espère que vous pouvez nous aider à avancer dans ce débat sur la politique publique. Y aura-t-il réglementation excessive?

M. Barrett: Je n'en suis pas encore sûr. Par exemple, les ventes liées ont déjà fait l'objet de mesures législatives qui ne visent que les banques, ce que je trouve amusant; ce doit être légal partout ailleurs.

Le sénateur Oliver: Les ventes liées, comme le veut la loi récemment adoptée, ne sont pas celles qui sont abordées par le groupe de travail MacKay. M. MacKay recommande d'aller beaucoup plus loin, comme vous le savez. Souhaiteriez-vous que l'on applique les recommandations MacKay à cet égard ou la loi qui vient d'être adoptée vous suffit-elle?

M. Barrett: Je dois admettre que je n'ai pas étudié dans le détail tout ce qui pourrait se passer. Je m'occupais des rapports sur les responsabilités envers le public de façon générale. Cela ne me fait pas peur parce que j'ai un programme différent ou une stratégie différente. Certains de mes collègues craignent une augmentation des coûts du fait de l'application de cette nouvelle recommandation. Je dirais quant à moi que si c'est le prix à payer pour faire admettre que le système des services financiers canadien est effectivement l'un des meilleurs du monde, je serais prêt à le payer. Mais cela ne m'inquiète pas outre mesure.

Le sénateur Oliver: Lorsque les représentants de Capital One ont comparu devant le comité de la chambre, ils ont dit que l'avenir des banques ne se construisait pas à coup de briques et de mortier. Ils ont dit qu'on allait trouver beaucoup plus de joueurs spécialisés dans certains créneaux. Qui voudrait venir dépenser de l'argent à payer des briques et du mortier alors qu'on souhaite vendre un ou deux produits essentiellement?

Pour les opérations bancaires de détail, vous avez dit que nous devions moderniser notre système de prestation; tandis que nos activités étaient autrefois entièrement centrées sur les succursales, nous devons maintenant offrir un vaste choix de moyens d'accès, y compris la succursale traditionnelle.

Quel avenir voyez-vous maintenant pour les opérations bancaires dans les succursales à la lumière de ce que Bank One et quelques autres concurrents américains envisagent de faire?

M. Barrett: C'est un dilemme et l'un des défis vient de ce qu'il y a un problème de génération. Nous avons lancé la première banque virtuelle au Canada et cela représentait une frappe préemptive car nous avions l'impression que des étrangers le feraient si nous ne le faisions pas nous-mêmes. Effectivement, un mois plus tard, Dutch ING a ouvert une banque virtuelle au Canada. Nous avons eu raison, mais cela a coûté cher d'avoir raison. Il s'est avéré en effet que lancer une banque virtuelle est coûteux.

Il y a un défi. Les Canadiens ne seront pas contents si vous essayez de les forcer à utiliser une forme de distribution ou l'autre. Il faut leur permettre un choix.

C'est un peu une question de génération. Notre génération -- surtout dans des collectivités comme Victoria où il y a de nombreuses personnes âgées -- ne veut pas entendre la cinquième de Beethoven sur un ordinateur personnel. Ces personnes aiment entretenir des relations avec leurs banquiers. Elles veulent un service de qualité et très personnel. Elles ne veulent pas l'anonymat que semblent à leur avis conférer les machines ou la technologie.

La technologie est nouvelle seulement si elle a été inventée après votre naissance. Pour vos enfants, ce genre de choses est aussi courant que la règle à calcul lorsque je suis arrivé à la banque. Il est hors de question que la nouvelle génération fasse la queue le jour de paie; il est hors de question qu'elle règle ses factures manuellement.

J'ai passé quelque temps récemment avec un chercheur du laboratoire de NCR. Dans le domaine technologique, on est en train de réaliser des progrès époustouflants. Les machines sont capables de reconnaître la parole, la voix, de lire l'iris. Il ne sera plus nécessaire de pouvoir naviguer sur Internet.

Le sénateur Oliver: Vous n'avez pas tout à fait compris ma question. Si Bank One peut vous faire la concurrence sans avoir besoin de l'infrastructure d'une succursale, comment allez-vous pouvoir soutenir cette concurrence? Quel effet cela aura-t-il sur la lourde infrastructure et les chaînes qui vous lient à cause de votre réseau de succursales? Allez-vous tout de même conserver vos succursales; qu'allez-vous faire de nouveau?

M. Barrett: C'est l'un des dilemmes auxquels nous sommes confrontés et c'est une idée qu'il m'est difficile de faire comprendre. Vous avez fait mouche. Lorsque des concurrents arrivent, ils ont tendance à adopter une stratégie d'écrémage. Ils visent les zones urbaines où la population est plus dense et ciblent les clients plus actifs et plus rentables financièrement. Leurs frais fixes restent ainsi peu élevés. Par exemple, Wells Fargo est en train de solliciter les petites entreprises canadiennes à partir d'un centre téléphonique situé à Denver.

Je m'inquiète de gens comme Dutch ING. C'est nous qui maintenons matériellement le réseau de distribution dans les localités B, C et D. C'est pourquoi, comme je l'ai dit dans le passé, il ne s'agit pas d'un concours entre les fusions et le statu quo. C'est quelque chose qu'il est beaucoup plus difficile de faire comprendre. Les gens pensent que nous avons le choix de maintenir la situation actuelle ou de permettre les fusions. Si les fusions ne sont pas acceptées, il y aura des restructurations. Je crains que, si nous ne pouvons pas obtenir l'efficacité et la productivité voulues pour rester au niveau de nos concurrents, ils vont prendre nos meilleurs clients et nous conserverons les moins rentables -- pour lesquels il est de plus en plus difficile d'arriver à un interfinancement -- et nous allons marginaliser nos succursales des zones rurales et des petites villes. Nous mourrons de 1 000 coupures. On arrache un prêt hypothécaire ici, une carte de crédit là, un prêt à une petite entreprise ailleurs. Avant qu'on ne s'en rende compte, l'ensemble du réseau commence à chanceler parce qu'il est centré sur les villes.

La réaction stratégique d'un entrepreneur vivant une telle situation est de savoir si l'on veut être tout pour tout le monde, ce que John Cleghorn et moi-même voulons être. Nous le voulons à cause de notre passé de banque nationale couvrant tout le pays d'un océan à l'autre. Nous préférons cette option à la stratégie des créneaux. Mais il est tout à fait possible d'adopter une stratégie de créneaux. Je ne suis pas tout à fait certain que la population comprend les implications stratégiques que pourrait avoir une stratégie de créneaux pour le Canada.

Le sénateur Oliver: Et qu'elle pourrait avoir pour vous et vos succursales.

M. Barrett: Oui.

Le sénateur Stewart: Ma question découle de celles qu'ont posées les autres sénateurs, notamment les sénateurs Kroft et Oliver.

J'ai l'impression que peu après l'annonce de la fusion proposée, on a beaucoup insisté -- dans ce que vous avez déclaré publiquement -- sur le rôle de porte-drapeau pour le reste du monde. Aujourd'hui, vous n'avez pas poussé cette idée très loin. Vous avez plutôt insisté sur les implications de la nouvelle technologie. Pour répondre au sénateur Oliver, vous venez de dire que vous êtes très mal à l'aise, même inquiet des répercussions de la nouvelle technologie car elle va permettre à d'autres joueurs de venir au Canada prendre vos créneaux rentables.

Est-ce que c'est la prudence qui vous dicte cela uniquement en pensant au long terme ou pouvez-vous nous donner des exemples récents qui montrent que la nouvelle technologie a déjà eu des répercussions sur vos activités? C'est peut-être à la fois la prévoyance et la réflexion après coup qui en sont à l'origine.

À un moment donné, vous avez parlé des dangers que pouvait poser pour le système bancaire canadien la nouvelle technologie à moins que le système ne change. Puis pour répondre au sénateur Kroft, vous avez parlé de gains tangibles. Ce n'est pas se poser en protecteur, mais en ambitieux.

Pouvez-vous nous en dire plus? Vous avez parlé de la nouvelle technologie. Avez-vous des exemples précis pour appuyer vos arguments?

M. McNally: Étant donné que je suis un Canadien fier de l'être qui travaille aux États-Unis, je peux peut-être aller chercher chez nos voisins du sud des implications -- à la fois au Canada et pour notre expansion aux États-Unis et à l'étranger.

Au cours de l'année écoulée, aux États-Unis, nous sommes passés du regroupement régional au regroupement national. Cela s'est fait très rapidement. Pendant que cela se faisait, de très grosses institutions ont été, et sont en train d'être, constituées. À titre d'exemple, la Bank of America, qui vient de fusionner avec la Nations Bank la semaine dernière, dispose maintenant de 40 millions de clients, alors que la Banque de Montréal et Harris Bankcorp ont ensemble 7 millions de clients. Elles bénéficient maintenant d'économies d'échelle en informatique et d'économies de compétences grâce à la variété des ressources qui sont amenées à leurs différents types d'activités.

Je peux vous garantir, d'après ce que je vois dans mes activités quotidiennes sur le marché, qu'un grand nombre de banques et d'autres entreprises viennent au Canada, y apportent l'informatique, l'écrémage et ne pensent pas succursales. Au moment où je vous parle, les joueurs sont là dans l'ensemble des services financiers. Ces joueurs sont de cinq à quinze fois plus importants que les nôtres.

Le sénateur Stewart: À ce sujet, j'ai été très surpris dernièrement de recevoir une carte AmEx pour les dépenses du Sénat. Est-ce un exemple de la concurrence qui existe?

M. Barrett: Nous faisons toujours pression auprès du gouvernement pour qu'il maintienne au minimum ses coûts; il est donc logique qu'il accepte la meilleure offre, et je ne veux pas qu'on interprète cela comme une critique du gouvernement. Mais pour vous donner un exemple, la Banque de Montréal a fait une soumission pour la carte de crédit du gouvernement du Canada. Je voulais emporter cette affaire pour le prestige et j'ai donc donné l'ordre à mes collègues de soumissionner au seuil de la rentabilité. J'ai perdu, comme toutes les banques canadiennes, au profit de Citibank. Il ne nous a pas été possible de soutenir sa concurrence.

Puis il y a eu l'affaire des voyages et nous avons tous perdu face à American Express en raison de sa taille. Ses coûts unitaires sont inférieurs et il lui a été possible d'offrir un meilleur prix.

Le sénateur Stewart: Permettez-moi de vous poser la question suivante et peut-être y avez-vous déjà répondu. American Express a-t-elle fait une proposition plus avantageuse parce qu'elle a des coûts inférieurs ou parce qu'elle a fait de cette offre un article de réclame?

M. Barrett: Non, ses coûts étaient inférieurs. Citibank a 50 millions de cartes de crédit. Je crois que nous en avons 6 millions.

Le sénateur Stewart: Les exemples précis nous sont très utiles. Vous nous avez donné des arguments généraux, qui sont assez convaincants, mais il n'y a rien de tel que des exemples précis.

M. Barrett: Je peux vous en donner un autre, si vous me le permettez. Lorsque Dutch ING est arrivé avec son offre de banque virtuelle, elle ne visait que les certificats de placement garanti. En l'espace de six mois, une marque dont on n'avait jamais entendu parler auparavant au Canada a amassé entre 800 millions et 1 milliard de dollars de certificats de placement garanti en offrant davantage parce qu'elle n'avait pas de coûts fixes. Elle a obtenu ce milliard de dollars en très peu de temps en ayant recours à la banque virtuelle sur un marché très limité d'un produit. Cela se verra davantage avec le temps.

Le sénateur Oliver: Les banques devraient faire concurrence aux banques. Dans votre déclaration, vous dites que vous souhaitez qu'il y ait un deuxième niveau de banques régionales plus petites. Vous n'aurez aucun problème à leur faire la concurrence en raison de votre taille et de votre savoir-faire. Il me semble que l'épreuve véritable consisterait à faire venir et à autoriser à venir davantage de bonnes banques étrangères.

En réponse à une question posée plus tôt par un autre sénateur, vous avez dit qu'il y a bien sûr la frontière américaine. Walmart et Home Depot arrivent et font facilement de la concurrence, mais le secteur des banques est réglementé. La Citibank a déjà essayé de venir au Canada mais elle n'est pas restée.

Si le Canada et les Canadiens devaient être mieux servis si un plus grand nombre de banques étrangères importantes et internationales venaient faire concurrence aux gens comme vous et comme la Banque Royale, que faudrait-il faire, en matière de politique publique, pour les inciter à venir?

M. Barrett: Cela pose quelques problèmes difficiles aux autorités réglementaires. Et je le dis avec tout le respect qui leur est dû.

En théorie, je crois qu'on peut libéraliser en permettant davantage de participation. Il y a ensuite les problèmes de traitement national. Le pays d'où vient l'autre banque vous accorde-t-il des droits semblables sur son territoire? Il y a les problèmes de la SADC et de la FDIC -- l'assurance-dépôts. Je crois que la plupart de ces problèmes peuvent être surmontés.

J'estime qu'on devrait appliquer la politique des cieux ouverts et permettre aux meilleurs joueurs du monde -- pas seulement les Américains, mais les meilleurs de n'importe où -- de venir au Canada forcer les institutions nationales à bien agir. Je crois que nous pouvons très bien nous débrouiller. Nous l'avons fait pendant de nombreuses années.

Si la plupart des banques ne sont pas venues au Canada pendant de nombreuses années, c'est parce qu'elles ne pouvaient pas offrir d'aussi bonnes conditions. Ça a peut-être été difficile à faire accepter aux Canadiens moyens. Mais la réalité veut que la seule raison pour laquelle nous n'avons pas eu de concurrents étrangers, c'est qu'ils ne pouvaient pas obtenir un avantage concurrentiel.

Ce que je veux dire, c'est que si vous nous autorisez à nous organiser, nous pensons pouvoir offrir mieux et c'est ce qui empêchera les banques étrangères de venir. Ce n'est pas mauvais pour les Canadiens. Si nous n'offrons pas mieux, nous pouvons être sûrs que tous les concurrents nord-américains vont se jeter sur notre clientèle.

Je suis pour la libéralisation. Il faudrait envisager des choses comme l'autorisation d'avoir des succursales sans créer de filiales.

Il faut donner satisfaction au surintendant et au ministre pour ce qui est de la solidité et de la viabilité. Il y a un an, le gouvernement a annoncé son intention de libéraliser le marché pour permettre aux banques étrangères de participer. Et elles viennent.

Les dépôts représentent une variable importante. Lorsqu'on parle de tout ce que l'on fait, ce qui inquiète le plus l'autorité réglementaire, c'est la protection du déposant.

Le sénateur Oliver: Si nous trouvions un moyen de permettre à davantage de grandes banques étrangères de participer, cela serait-il bon pour le système financier canadien?

M. Barrett: Je le crois sincèrement. Je pense que c'est vrai car agir autrement reviendrait à empêcher les Canadiens d'obtenir les meilleures conditions. Nous n'essayons pas de faire des téléviseurs qui fassent la concurrence à Sony.

C'est ce que je veux dire. C'est une question qui me passionne. Toute chose étant égale par ailleurs, en tant que pays, je préférerais être producteur qu'importateur. À l'heure de la mondialisation, nous devons donc nous demander quelles industries stratégiques -- c'est une expression sophistiquée pour les secteurs économiques -- seront en position concurrentielle suffisamment avantageuse pour pouvoir bien se débrouiller, premièrement en défendant leur marché national et ensuite à l'étranger?

Le sénateur Oliver: Les communications en sont un exemple.

M. Barrett: Je crains que faute d'une restructuration du secteur au Canada, nous n'aurons pas d'industrie canadienne concurrentielle. Je crains que nous ne finissions par être une succursale ou un faubourg des États-Unis. Je ne pense pas qu'il faille permettre à une telle chose d'arriver.

Les secteurs canadiens des banques et des assurances sont parmi les meilleurs depuis 200 ans. J'ai le sentiment qu'il y a actuellement rupture et menace. J'aimerais qu'ils continuent à être des joueurs mondiaux, et j'aimerais qu'il en aille de même pour les autres secteurs. Je pense que nous avons besoin d'une politique publique qui favorise ce genre de choses, et non d'une politique qui leur lie les mains derrière le dos.

Nous ne voulons pas nous lancer dans le multilatéralisme sans ignorer le revers de la médaille, c'est-à-dire l'ouverture de nos marchés à de sérieux concurrents. Je ne veux pas dire qu'il faille laisser le secteur privé agir à sa guise face à la politique canadienne ou publique, mais il nous faut avoir une politique qui soit neutre ou qui favorise la formation d'entreprises canadiennes qui soient capables de bien se débrouiller. C'est ce que j'ai appelé le «nationalisme positif». Le nationalisme négatif consiste à fermer les frontières et à ériger la muraille de Chine. J'ai descendu la muraille de Chine en rappel et ce n'est pas si impressionnant que cela. Nous avons franchi ce Rubicon.

Les problèmes auxquels devra faire face le Canada au XXIe siècle sont liés aux secteurs de l'exploitation forestière, des télécommunications, de l'énergie, de la fabrication, de la concession automobile, de la construction automobile et du détail. Si nous perdons nos secteurs économiques créateurs de richesses au profit d'étrangers, notre pays en sera amoindri. J'entends par là que le rapport MacKay permet au Canada d'essayer de continuer à avoir un secteur des services financiers concurrentiel sur la scène mondiale.

Le sénateur Kroft: En ce qui concerne les nouveaux participants, prévoyez-vous que des banques étrangères créent une structure de succursales au Canada?

M. Barrett: Pas en dehors des grandes agglomérations. J'ai l'impression qu'elles vont se concentrer dans les zones urbaines parce que les coûts marginaux d'une présence dans des collectivités moins importantes vont sans doute les décourager. Nous y sommes déjà présents; ils ne vont donc sans doute pas y aller.

Si je regardais les choses de leur point de vue, je constaterais que 90 p. 100 de la population est disséminée sur une bande de 100 milles le long de la frontière américaine. Il est possible de gagner sa vie en allant sur ce marché.

Je vais maintenant me ceindre du drapeau. Les banques étrangères n'auront pas la conscience sociale voulue. Il peut paraître étrange de penser qu'un président de banque ait un coeur, mais nous nous préoccupons de notre pays. Nous avons une conscience sociale et nous croyons qu'il faut essayer de fournir l'accès à tous les Canadiens.

La Banque de Montréal s'est lancée dans une entreprise en participation avec le gouvernement pour les postes afin d'offrir la possibilité de faire des opérations bancaires dans des endroits où cela ne s'est encore jamais fait. Nous avons ouvert 16 succursales dans des réserves autochtones. Est-ce pour faire beaucoup d'argent? Non. Nous l'avons fait parce que nous croyons devoir essayer de fournir l'accès aux Canadiens, dans la mesure où nous pouvons nous le permettre. Notre territoire est plus important que l'ensemble de l'Europe alors que la population n'est que de 30 millions d'habitants. C'est ce que nous essayons de préserver plutôt que de nous retrancher dans une stratégie de créneaux.

Mais je ne veux pas être alarmiste. Je pourrais aussi faire de l'argent avec une stratégie de créneaux. Je sais comment procéder, mais je préfère ne pas le faire. Je préfère avoir une stratégie de services complets dans l'ensemble du pays et laisser aux autres le soin d'adopter des stratégies de créneaux. C'est un choix stratégique.

À ceux qui me critiquent, je dirais bien sûr que ce n'est pas le seul choix, mais je ne suis pas sûr que les Canadiens aimeraient voir tout le monde appliquer des stratégies d'écrémage et se concentrer sur un faisceau étroit d'activités. Aux États-Unis, la législation sur les CRA a d'abord été adoptée pour combler une lacune. Une cinquantaine de millions de personnes dans tous les États-Unis n'ont pas droit aux services financiers.

Je suis dans le secteur bancaire depuis l'âge de 18 ans. Tout segment de la société à qui l'on interdit l'accès aux services financiers est une société vouée au cercle vicieux de la pauvreté. L'alphabétisation, la capacité de s'exprimer, le fait d'avoir un compte en banque, entre autres, sont des choses importantes.

Nous n'essayons pas de construire des usines chimiques toxiques ni de polluer des rivières avec notre proposition. Nous essayons de préserver ce que nous avons toujours eu depuis 200 ans, c'est-à-dire un bon système bancaire dans tout le pays. Le statu quo ne constitue pas la solution de rechange.

Le sénateur Kenny: Pour rétablir la vérité, la Banque Nationale n'a-t-elle pas aussi obtenu l'autre moitié de la transaction concernant les cartes de crédit du gouvernement?

M. Barrett: Je ne sais pas si c'est la moitié, mais c'en était une bonne partie, oui.

Le sénateur Kenny: C'en était une bonne partie.

M. Barrett: C'était bon pour le Québec.

Le sénateur Kenny: Je croyais vous avoir entendu dire que les Canadiens n'avaient absolument rien eu.

M. Barrett: Non, je disais simplement que j'ai été perdant comme les autres membres du groupe des cinq grandes banques; ça n'a pas été le cas de la Banque Nationale.

Le sénateur Kenny: Dans votre mémoire vous ne parlez que brièvement du rapport MacKay. Or vous semblez de toute évidence lui être favorable. Certaines parties ne vous plaisent-elles pas? Y a-t-il des domaines où vous n'êtes pas d'accord avec le rapport?

M. Barrett: Ce ne sont pas des domaines importants et cela revient à la question du sénateur Oliver. Ça m'a rendu un peu nerveux de lire tout ce que l'on dit sur les conditions réglementaires jusqu'à ce que je constate que cela pouvait avoir un avantage pour nous. La seule chose qui m'ait vraiment rendu nerveux et qui m'ait déconcerté -- et pour laquelle je serais toujours mal à l'aise lorsque le processus sera terminé -- est une déclaration qu'a faite M. MacKay par la suite au cours de ses comparutions. Il a dit que bon nombre de choses pouvaient être faites concurremment plutôt que successivement. J'ai déduit de cette déclaration que le processus ressemblera à ceci: le Comité sénatorial des banques et le ministère des Finances délibéreront eux-mêmes sur le rapport MacKay. Je ne sais quand le BSIF participera aux délibérations -- peut -- être en novembre ou en décembre -- mais le Bureau de la concurrence a indiqué qu'il allait commencer à en débattre en novembre. Après cela, il y aura des audiences publiques. En ce qui concerne le délai, cela semble vouloir dire que le plus tôt que l'on puisse attendre une décision, c'est au printemps. C'est-à-dire dans 15 mois.

Le sénateur Kenny: Avant d'avoir cette décision, souhaitez-vous avoir un document provisoire dont on pourrait discuter? Il est important de discuter du processus. Pourriez-vous dire au comité de quelle façon vous souhaitez que le processus se termine? Souhaitez-vous qu'il se termine par l'adoption d'un texte de loi, par une annonce du gouvernement ou un document provisoire à commenter, ce qui va inévitablement prendre davantage de temps?

M. Barrett: C'est le ministre qui décide du processus. Le ministre des Finances est tout puissant; je ne sais donc pas.

Le sénateur Kenny: Que lui conseillez-vous à cet égard?

M. Barrett: Je ne suis pas sûr que le ministre souhaite écouter mes conseils, mais je demanderais que le processus se fasse le plus rapidement possible. Ce n'est pas facile de laisser les institutions dans l'expectative. Vous ne pouvez maintenir dans l'incertitude une organisation de 35 000 personnes que pendant un certain temps. Les témoignages vont prendre fin prochainement et la question aura été débattue à mort. Si l'on revient au rapport MacKay et au reste, voilà des années que le processus est lancé. Je demanderais donc qu'une décision concernant notre fusion soit prise au printemps.

Sur le sujet plus général du rapport MacKay, je le répète, je ne suis pas expert en la matière. Mais j'essayais de comprendre le défi. Il sera peut-être possible de procéder à un tri. Cela se fait dans le domaine commercial. On dit souvent faisons ce qui est facile car ça n'exige pas de changement de la réglementation. Ce sont des choses qui relèvent du pouvoir discrétionnaire du ministre. Je pourrais ajouter à cela un ensemble de questions hautement prioritaires. Je vous demanderais bien sûr d'autoriser les fusions et la libre concurrence, d'accorder davantage de pouvoirs, et de donner l'accès au système des paiements aux joueurs locaux aussi bien qu'étrangers. Ce serait un énorme coup de pouce. Ce qui exige un changement de la réglementation et de la législation, comme le crédit-bail automobile et les assurances, pourrait être fait beaucoup plus tard.

Je ne sais comment le ministre veut s'y prendre, mais j'espère qu'une décision sur la question qui m'intéresse égoïstement, c'est-à-dire la fusion de la Banque Royale et de la Banque de Montréal, sera prise bientôt. C'est le ministre qui choisira le moment, mais le processus qu'il nous a demandé de respecter sera terminé en décembre.

Le sénateur Kenny: À la page cinq de vos remarques, vous parlez des quatre gros défis que votre organisation doit relever. Pour vous aider à atteindre ces objectifs, quels changements faudrait-il apporter à la politique publique ou plutôt quels changements souhaiteriez-vous qu'on lui apporte?

M. Barrett: Ce n'est pas tellement aux changements que je pense car les fusions bancaires sont possibles avec l'autorisation du ministre. Il n'y a pas d'interdiction précise.

Le sénateur Kenny: À la page cinq vous ne mentionnez pas les fusions.

M. Barrett: Non, mais les fusions constituent un mécanisme qui va faciliter les choses. En raison des économies, nous pourrons continuer à investir dans ces domaines de façon plus agressive. C'est ce que je veux dire.

Le sénateur Kenny: Essayons d'oublier les fusions pour cette question. Vous nous avez parlé de quatre éléments: les activités axées sur les opérations, un vaste choix de moyens d'accès, les outils technologiques et la pénétration des marchés étrangers. Indépendamment des fusions, quels changements aimeriez-vous voir à la politique publique afin de vous aider à atteindre ces objectifs?

M. Barrett: Il n'y en a pas beaucoup. Pendant des années, j'ai demandé que le Canada harmonise ses principes de comptabilité avec ceux des États-Unis. Il était absurde, sur le plan national, d'avoir des règles de comptabilité qui empêchaient toutes les entreprises canadiennes de prendre de l'expansion grâce à l'ALENA alors que les Américains étaient autorisés à regrouper les intérêts communs. Par une heureuse coïncidence, cette question semble susciter un peu d'attention à l'heure actuelle. La possibilité de regrouper des intérêts communs en passant au-dessus les frontières serait utile, comme un allégement de la règle des 10-50, qui nous permettrait d'être minoritaire dans certaines sociétés.

Nous sommes suffisamment grands pour nous débrouiller tout seuls -- c'est-à-dire en mettant de côté la question des fusions -- mais j'aimerais inclure les fusions, si vous me le permettez.

Le sénateur Kenny: Vous voulez vraiment parler des fusions.

M. Barrett: C'est ma seule occasion de vous parler, c'est pourquoi j'essaie de vous faire comprendre que c'est une bonne chose.

Le sénateur Kenny: Croyez-moi; les fusions viennent ensuite. Nous parlons en ce moment du rapport MacKay.

M. Barrett: Si vous reconnaissez que ce sont des défis légitimes, tout ce qui peut nous aider à les relever est une bonne chose. C'est le raisonnement logique que j'essaie de faire comprendre.

Le sénateur Kenny: Je vous suis.

Monsieur McNally, vous apportez une optique intéressante pour le comité. Pourriez-vous opposer à notre intention l'avenir que vous envisagez pour le secteur bancaire dans l'environnement américain et celui que vous envisagez pour le secteur bancaire dans l'environnement canadien?

M. McNally: Ce qui s'est produit aux États-Unis cette dernière année a changé de façon définitive le système bancaire américain. La lente évolution des banques communautaires locales au regroupement régional puis au regroupement national a créé d'énormes sociétés de services financiers.

Tandis que cela se passait, il y a aussi eu l'avènement des joueurs offrant un seul produit au cours de la dernière décennie, qui ont vu des occasions dans certains créneaux. Lorsqu'on a affaire à un marché 10 fois plus important que celui du Canada, ce qui constituerait une petite occasion au Canada devient une occasion plutôt intéressante aux États-Unis. Tandis que ce regroupement des banques s'est produit, on a vu l'arrivée de quelques sociétés très prospères offrant un seul produit qui avaient recours à l'informatique et qui offraient une meilleure affaire que les banques.

Dans l'intervalle, les banques se sont regroupées, elles ont commencé à acquérir la plupart de ces joueurs offrant un seul produit afin de pouvoir proposer la totalité des services financiers. Les cartes de crédit en sont un exemple. Elles ont acheté les sociétés offrant uniquement des cartes de crédit. Aux États-Unis actuellement, il y a pratiquement émergence d'un système bancaire bipolaire. Les très gros joueurs sont de plus en plus d'envergure nationale, et les nombreuses petites banques communautaires continuent à leur faire concurrence selon l'ancienne méthode, en s'appuyant sur les relations à l'échelle locale. L'informatique rend le jeu de plus en plus difficile pour ces petites banques communautaires. Entre les deux, les banques de taille moyenne constituent une espèce en voie de disparition. Rapidement, elles sont achetées ou se regroupent. Dans certains cas, on peut dire qu'elles le font de toute évidence pour devenir des acquisitions plus tentantes pour les grandes banques.

Pour en venir à la situation canadienne, il est tout à fait évident que ces sociétés de services financiers voient les choses à l'échelle nord-américaine et même mondiale. Certaines sociétés ont acquis leur taille maximum aux États-Unis. Et en ce moment précis, elles se dirigent vers le Canada en procédant à des regroupements que ne font pas toujours les Canadiens. Cela se produit partout, pour tous les services.

Ces sociétés se dirigent également vers le Royaume-Uni et l'Australie, et elles offrent une valeur incroyable, elles constituent un modèle d'entreprise, et souvent, elles mènent leurs opérations à partir de leur base américaine. Elles ont réglé le problème des coûts fixes et elles offrent sur l'autre marché un prix concurrentiel.

Lorsque je prends en considération la question de la concurrence au Canada, je ne pense pas à deux, trois ou quatre banques canadiennes. Dans notre pays, nous verrons énormément de concurrence venir du Sud et ce sera une concurrence loyale. En tant que Canadien, je tiens absolument à ce que les règles du jeu soient égales pour que les banques canadiennes, qui ont fort bien desservi notre pays, aient la possibilité de faire face à la concurrence dans leur propre pays, aux États-Unis et sur d'autres marchés.

Je ne m'inquiète pas du consommateur canadien car il sera bien servi parce que les banques américaines viendront en tant que sociétés de financement, et elles sont déjà là, ou elles traverseront la frontière comme Wells Fargo ou créeront une banque en vertu de l'annexe II afin d'être sur place. C'est ce qui va se produire et c'est possible, si j'ai bien compris, avec les politiques en vigueur.

Ce qui m'inquiète davantage, c'est de préserver la position du Canada, avant tout en tant que fournisseur de services financiers. Toronto est le troisième centre d'Amérique du Nord pour les services financiers et connaît une croissance rapide. Ce que je crains beaucoup, c'est que si les banques canadiennes ne peuvent pas réaliser les économies d'échelle voulues et avoir recours à l'informatique comme il se doit dans toutes ces entreprises, il y aura détérioration, et détérioration très rapide.

Je vais vous donner un exemple d'un État voisin du Canada. L'Illinois a payé un prix énorme en faisant obstacle au développement de ses banques. Voilà une ville qui est un grand centre pour les transports et les services aux États-Unis, je veux parler de Chicago. Elle dispose d'une bourse de marchandises et d'une bourse financière. Chicago aurait dû, aurait aimé, aurait pu donner à New York du fil à retordre et devenir la place financière des États-Unis. Mais la législation sur les banques indépendantes est restée en vigueur pendant de nombreuses années et ce n'est que vers le milieu des années 80 que la situation a commencé à changer.

Le président: Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par «banques indépendantes»?

M. McNally: La législation concernant les banques indépendantes contient des éléments importants: une banque ne peut avoir qu'une seule succursale et toute banque doit être à au moins deux milles d'une autre banque. Cela a donc fait que les banques illinoises ne se sont pas développées de la même façon que les banques des autres États. À l'heure actuelle, quel est le résultat? À Chicago, qui est la troisième agglomération urbaine des États-Unis et qui a un PIB qui représente plus du tiers de celui du Canada, le système bancaire est dominé par les Hollandais, les Canadiens et des gens de l'Ohio. Il ne reste pas une seule banque locale de Chicago.

Qui plus est, du point de vue du public, il y a 2,3 fois plus d'emplois dans les services financiers à New York qu'à Chicago. En faisant obstacle au développement qui était nécessaire à ses banques, l'Illinois a payé un prix très lourd. Je peux vous dire qu'on l'a très bien compris dans cet État, mais trop tard. Cela représente le sacrifice d'un nombre incroyable d'emplois bien payés et cela a eu des répercussions importantes sur l'économie.

Le sénateur Tkachuk: À la page 6 de votre mémoire, monsieur Barrett, au paragraphe qui commence par: «si nous ne sommes pas autorisés à fusionner», vous dites à la dernière phrase de ce paragraphe:

La Banque de Montréal deviendrait une institution beaucoup plus petite; ce ne serait plus une banque nationale à service complet.

Qu'entendez-vous par là?

M. Barrett: J'essayais de savoir ce que l'on voulait dire par: «il est exclu de penser maintenir le statu quo». Quelles solutions existent en dehors des fusions? Pourquoi ne peut-on pas appliquer des stratégies de créneaux? Je dis que c'est tout à fait vrai -- on peut faire tout cela -- et c'est ce que j'entends lorsque je dis qu'il faut se concentrer davantage et être plus sélectif.

Tout ce que je peux vous dire en tant que P.D.G. d'une société que je suis honoré de diriger, c'est que j'en suis arrivé à la conclusion qu'il est dangereux d'essayer d'être tout pour tout le monde lorsque notre assise est si limitée. Il faudrait réfléchir à nouveau pour me demander si c'était une bonne utilisation du capital des actionnaires, si c'était une bonne utilisation des fonds, si je pourrais rester concurrentiel.

Nous sommes présents partout au Canada et nous essayons de nous étendre aux États-Unis. L'année dernière, 57 p. 100 de notre revenu venait de l'extérieur du Canada. J'ai un peu de mal parce que M. McNally a un appétit d'éléphant lorsqu'il s'agit de capitaux. Il cherche toujours à obtenir davantage d'argent pour s'agrandir parce qu'il se sent menacé en Illinois. Nous avons ouvert des établissements en Chine pour aider les entreprises canadiennes dans ce pays. Nous avons acheté notre place au Mexique, et ce pays s'est joint à l'ALENA, de sorte que les entreprises canadiennes pourraient avoir avec une seule banque la possibilité de fonctionner dans trois pays.

Je regarde tout cela et je vois que l'on essaie d'obtenir toujours davantage d'argent. Je m'inquiète aussi de mon problème de productivité et je me dis que je dois couper le vêtement en fonction du tissu dont je dispose. Sans les économies que me permettrait une fusion avec la Banque Royale, je devrais avoir un faisceau d'activités plus étroit et je ne serais donc pas la banque que je suis aujourd'hui. Je n'ai pas étudié tous les détails d'une telle situation parce que j'espère que le plan de croissance plus positif que nous avons proposé sera celui qui sera adopté.

Je n'ai pas approfondi ce qui se passerait si notre plan n'était pas adopté, mais selon la stratégie générale, la réponse serait une plus grande concentration et sélectivité. En pratique, cela veut dire qu'il faudrait réduire vos activités et votre bilan. Cela veut dire que vous pourriez investir dans des entreprises qui offrent un rendement raisonnable aux actionnaires; il faudrait tailler dans le lard, réduire la capacité excédentaire et essayer de réduire les dépenses et vous lancer à plus grande échelle dans les secteurs plus rentables. Il faudrait commencer à penser à se retrancher et devenir une de ces nombreuses sociétés qui offrent un produit unique dont nous avons parlé; il faudrait commencer à exploiter la banque et accorder le capital et l'influence aux sociétés à produit unique qui offrent le meilleur rendement pour le capital investi.

Sans avoir regardé cela de très près, je dirais instinctivement que les résultats seraient encore très rentables. Je ne veux pas vous tromper à ce sujet -- dans ce cas de figure, nous ferions encore un excellent travail pour nos actionnaires -- mais cela voudrait sans doute dire que le caractère de la banque serait différent de ce qu'elle est depuis 187 ans.

Nous n'essayerions plus d'appliquer une stratégie voulant que l'on soit tout pour tout le monde dans chaque collectivité canadienne.

Le sénateur Tkachuk: C'est un tableau plutôt sombre. En irait-il de même pour les autres banques? Feraient-elles le même genre de choses?

M. Barrett: Lorsque M. MacKay dit que tarder c'est manquer des occasions et lorsqu'il dit qu'il est exclu de penser maintenir le statu quo, il vous dit, comme je l'ai fait moi-même, que d'une façon ou d'une autre l'industrie canadienne devra réagir à ces changements et à ces menaces et donc aux défis que cela pose pour la politique publique.

Je crois que le plan que nous avons proposé, aussi bien que celui que TD et CIBC ont proposé, allège considérablement les douleurs de la transition. Il est bon pour les clients. Nous sommes tout à fait prêts à investir les bénéfices que nous en tirerons en ne procédant pas à des licenciements massifs. Ce faisant, nous éviterions la rupture qui s'est produite dans d'autres secteurs et même, on peut le dire, au sein du gouvernement lui-même. Nous essayerions également de minimiser cette douleur-là.

Je ne dirais pas que c'est un tableau sombre que je vous dépeins, mais que c'est un tableau différent. Il faut réagir et des personnes différentes réagissent différemment.

Le sénateur Tkachuk: Les fusions éviteraient-elles une telle situation? Pourriez-vous offrir encore un service complet?

M. Barrett: Je le crois. Des études indépendantes indiquent que, avec le noyau de compétences et les points forts des deux institutions, nous avons la possibilité non seulement de défendre notre drapeau au Canada, ce qui représente notre premier travail, mais également de nous lancer dans la concurrence, surtout aux États-Unis. Nous nous occuperons de l'Europe et de l'Asie un peu plus tard. L'ALENA constitue un marché suffisamment important pour ma génération. Je laisserai la suivante s'occuper de l'Asie et de l'Europe.

Le sénateur Tkachuk: Je peux donc conclure que pour que les banques survivent sans fusion, elles doivent devenir des banques de créneaux plutôt que des banques de services complets.

M. Barrett: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Après la fusion, qu'adviendra-t-il de la Banque de la Nouvelle-Écosse, des caisses de crédit et des autres banques qui sont censées faire la concurrence aux banques de services complets? Il n'en resterait que deux.

M. Barrett: C'est une question intéressante. Il vaut mieux avoir un avantage concurrentiel soit en faisant des efforts à l'échelle locale et en ayant des relations intimes avec le client soit en se spécialisant dans certains produits, sans quoi effectivement vous allez avoir des problèmes. La seule chose qui m'inquiète plus que de diriger une banque de la taille de la mienne, c'est de diriger une banque plus petite.

M. McNally: Du point de vue public, vous pouvez compter sur un grand nombre de concurrents américains qui vont traverser la frontière; c'est ce que je crois.

Le sénateur Tkachuk: Ils peuvent déjà venir maintenant.

M. Barrett: C'est ce qu'ils font.

Le sénateur Tkachuk: Mais cependant pas encore dans le secteur des succursales de détail.

M. McNally: Pas encore, parce qu'ils sont en train de terminer leurs regroupements à l'échelle nationale. Mais ils vont venir et ce sera pour proposer de meilleures affaires aux clients, car c'est la seule façon de connaître la croissance. Leur forme et leur constitution changeront au fur et à mesure que la société évoluera. Mais il ne fait aucun doute que pour tout l'éventail des services, les concurrents américains viennent au nord, et ils constitueront une concurrence importante pour le Canada et les institutions financières canadiennes.

M. Barrett: Je ne veux pas éluder votre question car elle est perspicace. On peut conclure logiquement que les plus petites institutions du monde auront davantage de mal à faire face à la concurrence.

Nous avons lancé MBanx et «The time they are a-changing» (Les temps changent). Ces opérations ont coûté très cher. Si vous voulez lancer un produit national et faire reconnaître rapidement une marque pour un nouveau produit, il faut prévoir de 15 à 20 millions de dollars pour la publicité et la promotion uniquement. Pour lancer une banque virtuelle, il faut envisager de 100 à 200 millions de dollars pour mettre en place la technologie voulue. Les plus petits joueurs ne pourront pas se le permettre.

Les grandes banques ont par contre la possibilité d'utiliser leur taille pour transmettre leurs économies d'échelle. Vous avez entendu le témoignage de quelques caisses de crédit ce matin. J'ai le plaisir de vous annoncer que ce sont nos clients; nous faisons pour eux le travail administratif. C'est ce que signifie l'expression «services de banques correspondantes». Les joueurs qui n'ont pas l'échelle voulue achètent les services d'exploitation des plus gros joueurs qui peuvent réaliser des économies d'échelle. C'est je crois ce qui se passera en partie.

Mais ce sera difficile pour certains des plus petits joueurs.

M. O'Neill: La logique inévitable de ce qui a été dit est que si vous croyez que la taille est importante pour certaines lignes d'activités -- comme l'indique d'ailleurs le rapport MacKay et comme vous l'avez constaté dans vos propres études -- vous avez deux possibilités. Vous pouvez choisir sélectivement les lignes en question et prendre la taille voulue pour être concurrentiel, mais vous devrez avoir un éventail d'activités plus étroit. Vous vous spécialiserez soit dans certaines lignes de produits soit dans certaines régions géographiques. Si vous voulez rester une banque de services complets dans l'ensemble du pays et jouer le jeu de la concurrence à l'étranger également, vous avez besoin d'une échelle qui vous permet d'atteindre la taille nécessaire pour être concurrentiel dans ces lignes multiproduits.

Pour en revenir à votre question, si certaines banques peuvent le faire, elles peuvent rester des banques nationales offrant un service complet mais aussi être concurrentielles à l'échelle internationale. Si elles ne sont pas d'une taille suffisante pour y parvenir, elles seront contraintes à se spécialiser d'une façon ou d'une autre. Cette spécialisation dépendra évidemment de la stratégie envisagée. Ce n'est pas à nous qu'il revient de dire qu'il en sera ainsi, mais ces concurrents seront présents. Ils ne vont pas disparaître du jour au lendemain; ils vont simplement sélectionner davantage les secteurs de concurrence.

Parallèlement, on a laissé entendre que les concurrents étrangers arrivent déjà parce que la technologie leur permet de le faire. Penser que cela ne va pas continuer ou que ce n'est pas déjà un élément important est tout simplement erroné. Regardez la situation américaine où les lignes monoproduits ont déjà des répercussions sur les marchés clés. Il y a Wells Fargo, qui est maintenant la plus grande banque à faire des affaires en direct et à s'occuper des petites entreprises aux États-Unis. En l'espace d'environ quatre ans, elle est passé de la septième à la première place en s'attachant à cette stratégie. Elle est en train d'amener cette stratégie au Canada.

M. McNally: Sans coûts fixes marginaux.

M. O'Neill: Certainement sans les coûts d'une succursale. Les conformistes pensent que les opérations bancaires de détail ne pourront jamais se faire en dehors des succursales traditionnelles et indépendantes. Elles ont en fait déjà réalisé pour plus de 50 millions de dollars d'affaires. Elles y sont parvenues en trois ou quatre mois et elles prévoient de pousser plus loin cette expansion. La normalisation de telles lignes de produits, qui selon de nombreuses personnes ne pouvait pas se réaliser en dehors des relations avec une succursale, a déjà commencé puisque l'on voit déjà ce genre de prêts à distance ou de transactions à distance.

M. Barrett: J'ajouterais à cela une autre idée que vous allez peut-être trouver intéressante. Il y a un autre gros changement, qui est un sujet un peu bizarre, c'est celui du comportement d'achat des clients. Autrefois, lorsque je suis arrivé dans le secteur bancaire, on achetait en bloc. On avait une relation avec sa banque de la naissance à la mort. Vous faisiez tout avec la même banque jusqu'à ce qu'elle vous assène un méchant coup, ce qui se produisait apparemment à l'occasion, s'il faut en croire Stephen Leacock. Mais en général on achetait en bloc.

Il est avéré que le citoyen moyen a 3,5 institutions financières et que les Canadiens achètent beaucoup plus de façon décloisonnée. Ils recherchent la meilleure affaire. Si quelqu'un leur offre un meilleur prêt hypothécaire, ils vont le prendre. Notre défi consiste donc à revenir à une situation de relations où l'on offre des produits sur mesure plutôt que d'être des fournisseurs de produits.

Le sénateur Joyal: Monsieur Barrett, j'aimerais revenir au rapport MacKay, surtout à la recommandation 49 qui traite des fusions. J'ai une question d'ordre général à ce sujet. Quelle est la différence entre les intérêts des entreprises du secteur financier et l'intérêt public des Canadiens dans leur ensemble? Y a-t-il une différence ou les deux choses sont-elles équivalentes?

M. Barrett: Je pense que les opérations bancaires constituent une activité commerciale, mais c'est une activité commerciale d'un type particulier. Dans l'ordre prioritaire, les déposants passent avant les actionnaires. C'est inhabituel pour une entreprise, mais c'est ainsi.

Si on vous accorde le privilège de recueillir les dépôts, il faut accepter ce fait. C'est ce qui pour moi constitue une différence. Vous savez quels sont mes penchants, monsieur; je crois dans l'économie de marché.

Le sénateur Joyal: Moi aussi, soit dit en passant.

M. Barrett: Si l'on considère donc le monde sous cet angle, il me semble que le secteur privé devrait être autorisé à faire ce qu'il veut faire, à s'organiser et à se mobiliser comme il l'entend. Pour l'empêcher de faire quelque chose, il faudrait qu'il soit évident que l'activité proposée soit nuisible à l'intérêt public. Dans la plupart des pays du monde, et plus particulièrement dans les services financiers, il s'agit en général de considérations concernant la concurrence car il est possible de proposer des prix abusifs, et dans notre secteur, cela veut aussi dire qu'il faut penser à la solidité et à la viabilité.

Dans mon mémoire, j'ai dit que si nous étions assez heureux pour surmonter ces deux épreuves -- et je n'en aurais pas parlé si je n'avais pas pensé que nous y parviendrions pour finir -- je trouverais difficile, sur le plan philosophique ou idéologique, d'accepter un «non» parce que j'ai du mal à accepter qu'il y ait là quelque chose qui ne soit pas dans l'intérêt public. Nous ferions ce qui est bien pour le Canada, pour nos actionnaires et pour nos employés.

Étant donné que sur le plan de la concurrence et de la solidité il n'y a rien là de démesuré, pourquoi ne nous permettriez-vous pas de le faire? D'ailleurs, ce qui est dans notre intérêt serait également dans l'intérêt public.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir sur cette recommandation parce qu'elle ajoute un élément important à votre exposé. Vous dites que les lignes directrices que le ministre des Finances devrait publier pour le processus d'examen de l'intérêt public devraient exiger de ceux qui demandent l'autorisation de fusionner qu'ils présentent une évaluation détaillée des répercussions de l'opération sur l'intérêt public et vous énumérez ensuite tous les éléments de cette évaluation.

Pour activer le processus d'examen dans votre proposition, pensez-vous être en mesure de fournir au comité une évaluation des détails et des répercussions sur l'intérêt public de la part de la Banque Royale et de la Banque de Montréal?

M. Barrett: Nous les avons sous les yeux, monsieur. Mais je crois qu'il y a une petite mise en garde pour tout élément supplémentaire que le ministre pourrait vouloir ajouter.

Le sénateur Joyal: Oui, c'est exact.

M. Barrett: J'espère avoir une réponse d'Ottawa dans un sens ou dans l'autre; c'est-à-dire que j'aimerais qu'on me dise si c'est suffisant ou s'il faut ajouter quelque chose. Je ne veux pas proposer un document pour m'entendre dire que ce n'est pas ce que le ministre voulait. C'est le ministre qui décide et lorsqu'il aura précisé ce qu'il veut, je vous promets que je vous le fournirai, dans le mois qui suit probablement.

Oui, j'ai l'intention de rendre ce document public. Nous avons essayé de viser ce qui pourrait inquiéter la population ou ce qui pourrait l'attirer. Mais nous avons tiré à l'aveuglette. J'ai été vraiment soulagé que quelqu'un précise finalement ce que signifie l'intérêt public. Sinon, tout le monde pourrait avoir sa propre idée. Que ce soit ce document ou un document élargi, nous le rendrons public dans les quatre semaines.

Le sénateur Joyal: Si j'ai bien compris le mécanisme, vous avez dit qu'une autre étape pourrait être ajoutée au processus d'approbation ou de prise de décision finale. Si document il y a, je ne doute pas un instant qu'il fasse l'objet d'un débat public. Cela veut dire qu'après le rapport du Bureau de la concurrence et les recommandations du BSIF, il y aura encore au moins deux autres documents. Le vôtre et celui de la Banque Royale et bien sûr un autre sera présenté par TD et CIBC. Après quoi il y aura une autre série d'audiences publiques dans le cadre de ce comité, de celui de la Chambre des communes ou dans un autre cadre. Cela pourrait retarder la décision finale.

M. Barrett: Ce n'est pas nous qui provoquerons ce retard cependant. Mais je suis d'accord à 100 p. 100. Je ne pense pas qu'on puisse tenir des audiences publiques utiles sur la fusion tant que ce document n'aura pas été publié et débattu au cours d'audiences. Je voulais simplement dire que je ne voyais aucune raison à ce que nous ne puissions pas le produire immédiatement.

Certains de mes collaborateurs sont en train de vérifier auprès d'Ottawa en demandant quand nous devons le publier car nous y travaillons actuellement. Nous voulons savoir s'il faut attendre les conclusions du Bureau de la concurrence ou du groupe de travail MacKay?

Dans ce cas, c'est le ministre des Finances et ses collaborateurs qui décident. Les choses ne sont pas tout à fait claires pour moi, mais je suis d'accord avec vous pour dire qu'il est essentiel que ce document devienne public avant que les audiences publiques ne commencent. Je dis simplement que nous pourrons le faire dans l'intervalle de quatre semaines, si ce délai est acceptable. Je ne veux pas le faire pour m'entendre dire ensuite en février que ce n'est pas le document voulu. Cela prolongerait inutilement le processus.

Le sénateur Joyal: Étant donné les bouleversements que connaît le marché financier mondial, les Canadiens moyens ont tendance, comme tous les entrepreneurs, à prendre du recul et à se dire que ce n'est pas le moment de procéder à de gros changements. Nous pourrions être à la veille d'une crise financière mondiale. La sagesse populaire veut que lorsqu'on vit une période très difficile dont l'issue n'est pas connue, on ne sait pas quels joueurs vont être éliminés du marché ni exactement qui va être touché par les pertes. Ce n'est pas le moment d'envisager des changements en profondeur comme ceux que vous et vos collègues des autres banques préconisez.

Il y a six mois, la situation était plutôt calme. Le marché de l'Asie-Pacifique représentait une occasion incroyable. La Russie semblait être une occasion incroyable. Avec les problèmes que nous voyons émerger, les Canadiens n'ont généralement pas le sentiment que c'est le moment de bouger et de changer complètement les règles du jeu. Quelle est votre réaction face à ces craintes?

M. Barrett: Mon collègue va m'aider à répondre, car c'est son domaine. Il faut tout d'abord comprendre ce que signifie cette crise mondiale. Elle est très grave en Asie du Sud-Est et en Russie. Il y a eu «l'effet vodka» plutôt que «l'effet tequila» dans certaines régions d'Amérique du Sud, mais ne nous emportons pas.

Les données de base au Canada sont très bonnes. Les données de base aux États-Unis sont très bonnes. L'Amérique fait davantage de commerce avec Porto Rico qu'avec la Russie. La question est sujette à controverse, mais il me semble que cela pourrait réduire la croissance du PIB du Canada ou des États-Unis de 0,5 p. 100 à 0,75 p. 100.

Les perspectives ne sont pas aussi sombres pour nous que pour d'autres. Nous estimons que les données de base de l'économie canadienne sont très bonnes. Elle va sans doute faire 3 p. 100 du PIB l'année prochaine. Les États-Unis feront environ 2 p. 100. Franchement, un petit ralentissement de l'économie américaine ne serait pas mauvais parce qu'elle était près de la surchauffe. Il s'agit davantage d'une nervosité au niveau de la bourse des valeurs mobilières mondiale.

Le pire pourrait-il arriver? Peut-être, si l'idée fait son chemin jusqu'aux consommateurs. S'ils commencent à réduire la consommation intérieure, ils pourraient faire baisser le PIB. Ce n'est pas ce que nous prévoyons pour l'instant, mais je m'en remets à l'expert.

M. O'Neill: Sur le plan macroéconomique, M. Greenspan a dit ce matin qu'il n'y a pas encore de resserrement du crédit aux États-Unis. Une mesure préventive a déjà été prise au cas où cette possibilité se réaliserait. Les indications font que l'on s'attend plutôt à une réduction des taux d'intérêt.

La Banque du Canada suivra. Il existe déjà un mécanisme macroéconomique pour enrayer les répercussions sur l'économie nord-américaine.

En Europe, le directeur de la Bundesbank a déjà indiqué qu'il serait aussi prêt à relâcher les taux. À cet égard, l'économie pourrait être encore davantage protégée de ces bouleversements.

L'autre élément important est qu'il s'agit d'un problème cyclique. Lorsqu'on parle des recommandations du rapport MacKay et de notre proposition à cet égard, on parle de changements structurels à long terme. Il faut prendre garde à ne pas faire un rapprochement entre les deux qui pourrait susciter des craintes inutiles.

Il n'en reste pas moins que la crise économique mondiale a été catastrophique pour l'Asie de l'Est. Elle a été catastrophique pour la Russie. Elle pourrait constituer un problème plus important qu'on ne le pensait il y a quelques mois pour le Brésil. Mais il ne s'agit pas d'un écroulement mondial, certainement pas dans le secteur des services financiers. Ce n'est pas parce qu'il y a une tempête en mer qu'il n'est ni envisageable ni indiqué de penser aux améliorations ou aux réparations supplémentaires que vous pouvez faire à votre bateau. Vous ne luttez pas dans la tempête comme les économies de l'Asie de l'Est. Vous êtes à l'abri dans un port. Vous avez des économies nord-américaines et européennes relativement solides.

Je ne pense pas qu'il faille croire que les bouleversements mondiaux ont fait du rapport MacKay et de ses recommandations concernant la restructuration et l'urgence d'agir des événements négligeables. Je ne pense pas du tout que ce soit le cas. Notamment en ce qui concerne les fusions.

Les changements structurels dont nous parlons depuis deux heures -- c'est-à-dire les changements dus à la concurrence et à la technologie -- continueront à se produire à grande vitesse. Ils seront toujours aussi intenses dans un an que maintenant, ou peut-être même davantage. C'est pour cela qu'il faut nous occuper des changements structurels à long terme dont nous parlons, et non du problème cyclique actuel de ce qui ne sera pour finir qu'un bouleversement économique qui s'estompera.

M. Barrett: Permettez-moi de vous rassurer davantage en vous disant que ce n'est pas du riz qui cuit en cinq minutes. La restructuration, par fusion ou autrement, est une opération que l'on se propose de faire en trois à cinq ans. Par exemple, il nous faudra régler les problèmes technologiques de l'an 2000 et autres avant de commencer à harmoniser nos plates-formes technologiques.

Notre approche est prudente -- nous ne voulons pas de rupture pour nos clients, certainement pas dans le domaine technologique. Si nous commençons cela maintenant, il faudra attendre cinq ans avant de voir tous les avantages de l'opération. Le rythme du changement serait tout à fait prudent.

Si vous essayez de faire quelque chose qui entraînera des changements massifs du jour au lendemain, ce ne sera pas le cas en l'occurrence. Malheureusement, il faudra de trois à cinq ans.

Le sénateur Meighen: Comme vous l'avez dit, beaucoup de ces questions ont déjà été abordées. Je vais essayer d'aller un peu plus en profondeur pour une ou deux questions qui n'ont pas encore été tranchées, du moins pas que je sache.

Nous n'avons pas dit grand-chose de la structure et de la propriété. Dois-je comprendre qu'en général les recommandations du rapport MacKay concernant la propriété et plus particulièrement la règle des 10 p. 100 vous satisfont?

Je crois que le sénateur Tkachuk craint qu'un large réseau de succursales de détail continue à exister pour s'occuper des principales opérations bancaires. Ne pourrait-on pas dire, contrairement à ce qui apparaît dans le rapport MacKay, que si on se débarrassait de la règle des 10 p. 100, on permettrait aux joueurs qui resteraient après les fusions -- en supposant qu'elles se fassent -- d'être rachetés par des institutions étrangères afin de pouvoir conserver un réseau de succursales pour les opérations de détail qui ait une certaine taille et une certaine portée?

M. Barrett: Je pense que M. MacKay a contourné avec habileté une question assez délicate. Si vous lisez notre mémoire au groupe de travail MacKay, vous constaterez que j'ai dit quelque chose de très discutable. J'ai demandé qu'on supprime la règle des 10 p. 100. Lors d'une séance d'un comité -- et je ne me souviens plus de quel comité il s'agissait parce que j'ai comparu devant un grand nombre d'entre eux -- on m'a demandé si j'étais favorable à l'élimination de la règle des 10 p. 100. J'ai répondu à la question et cela a donné lieu à toutes sortes de malentendus dans les médias.

J'ai répondu à la question en tant qu'entrepreneur, en tant que PDG qui se doit de défendre les intérêts de ses actionnaires. Tout ce qui limite la vente ou la valeur de mon capital-actions est mauvais. En tant qu'entrepreneur, je déciderais donc de supprimer la règle des 10 p. 100.

J'avais une deuxième raison pour souhaiter sa disparition. J'en ai assez d'entendre les critiques dire qu'elle nous a fourni une sorte de protection extraordinaire dont personne ne veut parmi nous. Si certains pensent que la règle de 10 p. 100 constitue une protection, supprimez-la. C'est l'entrepreneur qui parle ici.

Si j'étais ministre des Finances et qu'on me demande si j'allais supprimer la règle des 10 p. 100, voici la question que je devrais me poser: Est-ce que je souhaite perdre mon autorité suprême sur mes banques? Les banques sont les moteurs de l'économie.

Le sénateur Meighen: C'est certainement ce qui suivrait.

M. Barrett: Absolument. J'ai été sollicité à trois reprises par des banques américaines pour une prise de contrôle. Ils n'ont aucune idée de la règle des 10 p. 100. Nous serions en jeu dans les 10 minutes.

M. McNally: Nous ne durerions pas très longtemps.

M. Barrett: Ce serait extraordinaire pour mes actionnaires.

Soit dit en passant, le Canada n'est pas le seul à être protectionniste à cet égard. Tout le monde n'a pas une règle des 10 p. 100, mais on essaie d'acheter une banque de compensation en Allemagne, en France et même aux États-Unis. On peut acheter Harris. Si j'essayais d'acheter Chase, je serais pris dans cette spirale pendant 50 ans avant d'obtenir l'approbation.

La plupart des pays s'inquiètent encore des décisions concernant la répartition du crédit. Le secteur financier a un rôle et une mission qui sont fondamentaux -- et notamment les banques au sein de ce secteur -- c'est celui de la mobilisation de pools d'épargne et d'investissements dans le pays, qu'il faut ensuite réorienter pour financer les risques du secteur économique. Si vous changez la politique pour permettre aux risques de se déplacer à l'extérieur du pays, alors le pays ne sera peut-être pas aussi bien servi qu'il ne l'est actuellement par des joueurs qui ressentent l'obligation de financer des activités qu'ils ne financeraient peut-être pas de l'étranger.

Je crois que la réponse de M. MacKay a été: «Je comprends le dilemme. Il faut chercher à alléger la règle des 10 p. 100 pour permettre certaines prises de contrôle d'institutions étrangères par des institutions ayant une large base», ce qui me semble bien, «sans autoriser la contrepartie.» Je crois qu'il a réussi à contourner le problème. Ce n'est pas une impasse qui est mauvaise. Franchement, s'il était possible d'éliminer la règle des 10 p. 100 à l'intérieur, je le ferais tout en la conservant pour la scène internationale, mais alors se posent les problèmes de traitement national dans le cadre de l'ALENA. Je crois qu'il a essayé de naviguer autour du mieux qu'il a pu.

Le sénateur Meighen: M. McNally aura peut-être quelque chose à ajouter. Je vous entends répéter sans cesse qu'à l'heure actuelle, il faut être prompt et pouvoir s'adapter à des situations qui évoluent rapidement. Les recommandations sont-elles suffisamment souples pour les sociétés de portefeuille? Il a préconisé une réglementation pour ces dernières. Est-ce que cela vous intéresse vraiment étant donné que la réglementation ressemblerait à celle qui existe pour les relations entre une compagnie mère et ses filiales et que l'on peut avoir une réglementation selon les fonctions?

M. Barrett: J'aimerais avoir le choix simplement parce que c'est un choix qui relève de l'organisation. Je peux créer des sociétés de portefeuille logiques plutôt que physiques. Au départ, ce que l'on craignait avec les sociétés de holding était les liens financiers commerciaux et le fait de savoir si oui ou non vous pouviez avoir ce genre de contamination avec une société de portefeuille. C'est pourquoi on a interdit la chose dès le départ.

M. McNally: Je crois que l'approche des sociétés de portefeuille -- que nous avons dans notre propre société aux États-Unis -- fonctionne bien. On a un peu tordu la réglementation pour permettre à divers organismes réglementaires de mieux travailler ensemble. Le système est moins rigide maintenant entre les filiales. Il y avait autrefois une plus grande rigidité et une moins grande capacité de servir les clients entre les différentes filiales. On semble avoir résolu ce problème au cours de la dernière décennie et je trouve que cela fonctionne très bien aujourd'hui.

Le sénateur Meighen: M. Clark, PDG de Canada Trust, est comparu devant nous hier. Il a répondu à la question soulevée par le sénateur Tkachuk, c'est-à-dire celle qui concerne le paysage après les fusions, en disant qu'il resterait très peu de grands arbres et quelques arbres un peu moins grands.

Il craint que la marge ne soit trop grande et il propose les cessions d'actions pour résoudre le problème. Étant donné que M. McNally est présent, la cession d'actions est une méthode que l'on applique depuis longtemps aux États-Unis, si je ne m'abuse, lorsqu'il y a des fusions.

M. Barrett: Dans l'optique du Bureau de la concurrence, je ne m'inquiète pas des macroregroupements mais, comme vous le savez sans doute, le Bureau de la concurrence va chercher jusque dans les toutes petites collectivités. Il ne serait pas inhabituel de sa part de dire qu'il faut remédier à ces éléments à cause de certaines surconcentrations locales ou autres.

Nous chercherions alors des remèdes. Cela pourrait signifier qu'il faudra renoncer à une partie de la distribution, mais pas nécessairement. Je ne sais pas encore vraiment, mais ce ne serait pas inhabituel. Pour la plupart des fusions ou des acquisitions importantes, les lois antitrust exigent souvent la cession d'actions relatives à certaines activités de l'entreprise.

Ce que je veux dire par là, c'est que je peux vous permettre de me rogner quelques ongles, mais la transaction ne se fera pas si vous voulez beaucoup plus. Si vous proposez toute une série de remèdes qui vont annuler les raisons de l'opération si on les applique, vous oubliez cela et vous faites un autre plan.

Le sénateur Meighen: Cela vous intéressera sans doute si je vous dis que même en ce qui concerne votre comparaison avec les ongles, M. Clark craignait que certains secteurs dont il faut se défaire ne restent pas toujours là où on les a vendus mais peuvent revenir là où ils étaient avant. C'est-à-dire que si on vous forçait de vous départir de vos clients, certains pourraient ne pas vouloir s'en aller.

M. Barrett: Les clients ont pour habitude de faire ce qu'ils veulent. Ils décident en fonction de leur intérêt. Ils n'aiment pas qu'on leur dise ce qu'il faut faire. Mais c'est une possibilité que nous étudierons. Je ne sais pas ce qui nous sera proposé, donc je ne sais pas si ce sera limite ou si ce sera infime. Mais lorsque M. Clark reviendra, dites-lui d'amener un gros carnet de chèques. Il ne sera pas surpris d'apprendre que j'ai reçu des appels de plusieurs de ses concurrents.

Le sénateur Meighen: Vous insistez davantage sur le secteur géographique que représente l'ALENA que sur le monde. Si la fusion entre votre banque et la Banque Royale devait se faire, de nombreuses personnes se demandent si cela vous permettrait d'atteindre le niveau des très gros joueurs. Avez cinq ou six mégabanques, qui seraient des institutions mondiales, est-ce qu'il y a des niveaux que vous visez? Pouvez-vous avoir une taille et une portée acceptables en Amérique du Nord avec la fusion, et est-ce que le niveau suivant exigerait de nouvelles fusions, si c'est la scène mondiale que vous visez?

M. Barrett: Vous avez raison, tout ne sera pas fini si on nous accorde les fusions. Il y a bien d'autres choses importantes à faire dans le monde. Cela ne va pas résoudre les problèmes du monde. Nous devons encore faire des progrès dans le domaine de la gestion du capital des personnes qui ont placé en moyenne 14 000 $ dans des fonds communs. Il nous faut faire davantage dans ce domaine.

Nous envisagerions d'acheter davantage de sociétés qui offrent un produit unique et nous tablerions sur elles pour jouer le jeu de la concurrence en Amérique du Nord. D'après les études que nous avons faites, cela nous donnerait une échelle suffisante pour passer à l'étape suivante. Voilà pourquoi quelque chose d'aussi curieux que le plafond concernant le marché est si important, car la capitalisation sur le marché des valeurs mobilières de la banque fusionnée nous permettrait d'avoir l'argent voulu pour acquérir des sociétés qu'il me serait autrement impossible d'acheter tout seul.

Il nous faudrait poursuivre notre expansion. Nous ne pourrions pas rester immobiliers; ce n'est guère possible. D'après les études que nous avons faites et celles que nos consultants ont faites avec nous, il semble que nous ayons de bonnes chances de réussir en l'occurrence.

Le sénateur Meighen: Vous admettrez cependant que la taille ne garantit pas le succès, qu'elle vous permet uniquement de démarrer.

M. Barrett: Je me souviens que le premier ministre a dit qu'il n'avait pas besoin de peser 350 livres pour être premier ministre. J'ai eu envie de l'appeler pour lui dire: «mais ça peut être utile si vous voulez être secondeur dans la Ligue nationale de football.» La taille est importante, selon l'usage que vous voulez en faire.

Le président: Monsieur Barrett, je vous remercie ainsi que vos collègues de votre patience. Je me rends compte que nous avons dépassé de beaucoup le temps qui nous était imparti, mais tous mes collègues souhaitaient vous poser des questions.

Le comité suspend ses travaux.


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