Délibérations du sous-comité de la
Forêt
boréale
Fascicule 1 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 19 février 1998
Le sous-comité de la forêt boréale se réunit aujourd'hui à 9 h 40 pour organiser ses travaux.
[Traduction]
M. Blair Armitage, greffier du comité: Honorables sénateurs, à titre de greffier du sous-comité, j'ai pour tâche de présider à l'élection à la présidence.
Le sénateur Spivak: Je propose que le sénateur Taylor soit président.
M. Armitage: J'ai le nom du sénateur Taylor. Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
M. Armitage: Honorables sénateurs, la motion est adoptée. Sénateur Taylor, auriez-vous l'obligeance d'occuper le fauteuil et de présider à l'élection à la vice-présidence?
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
Le président: Honorables sénateurs, le président est prêt à accepter une motion pour l'élection à la vice-présidence.
Le sénateur Stratton: Je propose le sénateur Spivak.
Le président: Y a-t-il d'autres propositions?
Le sénateur Spivak est élue vice-présidente.
Le sénateur Spivak: Honorables sénateurs, je propose:
Que le président et la vice-présidente soient autorisés à prendre des décisions au nom du comité relativement au programme, à inviter les témoins et à établir l'horaire des audiences.
Le président: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le sénateur Stratton: Honorables sénateurs, je propose:
Que le sous-comité fasse imprimer 200 exemplaires de ses Délibérations et que le président soit autorisé à ajuster cette quantité en fonction des besoins.
Le président: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le sénateur Spivak: Honorables sénateurs, je propose:
Que, conformément à l'article 89 du Règlement, le président soit autorisé à tenir des réunions pour entendre des témoignages et à en permettre la publication en l'absence de quorum, pourvu qu'un représentant de chaque parti soit présent.
Le président: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le sénateur Spivak: Honorables sénateurs, je propose:
Que le président, au nom du sous-comité, dirige le personnel de recherche dans la préparation d'études, d'analyses, de résumés et de projets de rapport.
Le président: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le sénateur Spivak: Honorables sénateurs, je propose:
Que, conformément aux lignes directrices du Sénat régissant les dépenses des témoins, le comité puisse rembourser des dépenses raisonnables de voyage et d'hébergement à un maximum d'un témoin d'un même organisme, après qu'une demande de remboursement a été présentée.
Le président: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le sénateur Spivak: Honorables sénateurs, je propose:
Que, conformément à l'article 32 de la Loi sur la gestion des finances publiques, l'autorisation d'engager les fonds du comité soit conférée au président, ou en son absence, à la vice-présidente; et
Que, conformément à l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques et à la directive 3:05 de l'annexe II du Règlement du Sénat, l'autorisation d'approuver les comptes à payer au nom du sous-comité soit conférée au président, à la vice-présidente et au greffier du sous-comité.
Le président: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le président: Le prochain point inscrit à l'ordre du jour porte sur nos travaux futurs.
Le sénateur Spivak: M. Armitage a fait valoir que la recherche qui date de 1996 n'est peut-être plus à jour. Même s'il ne s'agit de rien de fantastique, il serait très difficile de traiter des mêmes questions. La recherche a été documentée minutieusement. Tout est là sous forme écrite. Elle a été transcrite, même si nous n'avions pas les bonnes bandes. J'aimerais que nous fassions une brève visite en Ontario, au Québec et peut-être dans une ville des Maritimes. Nous pourrions y consacrer deux jours ou une journée et demie, par exemple un lundi ou un mardi, pour que nous puissions revenir au Sénat le mardi après-midi. Nous retiendrions les services de notre personnel, y compris Dan Shaw, qui travaille déjà là-dessus.
Nous devrions conclure cette étude le plus rapidement possible même s'il ne s'agit que d'un rapport provisoire. Nous devrions préparer quelque chose d'ici juin. Je crois que nous avons l'information et qu'il suffit de la mettre à jour.
Le président: Il est possible que nous puissions accélérer le processus. Je ne suis pas convaincu qu'il faille nous rendre dans les Maritimes puisqu'il s'agit après tout d'une étude sur la forêt boréale.
Le sénateur Spivak: La forêt boréale s'étend jusque dans la région de l'Atlantique.
Le président: Dans les Maritimes, la situation est délicate étant donné que 80 p. 100 du bois appartient à des intérêts privés.
Le sénateur Robichaud: Au Nouveau-Brunswick, c'est l'activité la plus importante.
Le président: Le bois appartient à des intérêts privés.
Le sénateur Spivak: Peut-être, mais cela pose un problème.
M. Armitage: La propriété privée se range parmi les nombreux problèmes soulevés par le sous-comité précédent.
Le président: J'aimerais que nous choisissions une journée où le Sénat siège pour nous rendre à Québec, une autre journée pour l'Ontario et une autre journée pour les Maritimes.
Le sénateur Stratton: J'aimerais éviter les lundis.
Le sénateur Spivak: C'est bien.
Le président: Tentons d'organiser les visites en Ontario et au Québec.
Que voulons-nous voir? Désirons-nous nous rendre dans une ville pour écouter des exposés? Où devrions-nous aller en Ontario?
Le sénateur Spivak: Temagami. Le gouvernement Harris a autorisé l'exploitation du pin blanc. Cette espèce était protégée depuis longtemps. Il faut, dans un premier temps, se demander si l'exploitation se fait de façon durable et, dans un deuxième temps, qui en assure la supervision. Le gouvernement de l'Ontario a réduit de 60 p. 100 le personnel chargé de l'exécution de la loi. Il s'agit-là des deux questions clés.
Le président: Par le passé, nous avons fait parvenir nos avis à un certain nombre d'organismes, des bûcherons jusqu'aux propriétaires de concessions en passant par les propriétaires d'usines de pâte à papier.
Le sénateur Stratton: Je veux savoir ce que nous tentons d'accomplir.
Le sénateur Robichaud: Au Nouveau-Brunswick, il y la région de Miramichi.
Le président: Chatham ou Newcastle.
Le sénateur Spivak: Les stocks de saumon diminuent. Il serait intéressant de savoir si c'est en partie attribuable à l'industrie forestière.
Le président: À Québec, où conviendrait-il de tenir des audiences? À Rimouski?
Le sénateur Robichaud: L'exploitation forestière se pratique à la grandeur de la province, mais de Rimouski à Gaspé, l'activité dans ce secteur est fébrile.
Le sénateur Spivak: L'exploitation forestière suscite beaucoup de controverses chez les Autochtones. Pourrions-nous trouver un endroit où les Cris pourraient nous faire part de leur point de vue?
Le président: La province de Québec est vaste. Nous pourrions peut-être nous rendre à Rimouski, dans la région de Gaspé, et remonter vers le nord pour parler aux Cris.
M. Armitage: Le Service canadien des forêts peut nous faire des suggestions.
Le président: Nous devrons peut-être nous rendre dans deux villes au Québec étant donné la grande étendue de la province. Nous devrions peut-être faire de même en Ontario. Nous avons la région de Lakehead et celle de Temagami.
Le sénateur Spivak: Ne soyons pas trop entreprenants. Je dirais trois jours au maximum.
Le sénateur Stratton: Irons-nous à Thunder Bay?
Le sénateur Spivak: Pourquoi ne pas demander au greffier de se renseigner sur ces endroits?
Le président: De concert avec le Service canadien des forêts.
Le sénateur Spivak: Cathy Piccinin a été saisie de ces questions et elle a été affectée provisoirement au comité des transports ainsi qu'au comité mixte de la garde des enfants. Elle ne manque pas de travail mais pourrions-nous faire appel à ses services pour ces quelques mois? Cela éviterait de faire venir une autre personne et de la mettre au fait de la question.
M. Armitage: Je transmettrai cette demande.
Le sénateur Spivak: Avons-nous besoin d'une motion pour réaffecter Dan Shaw?
M. Armitage: J'ai omis cette motion parmi celles qui portaient sur l'organisation des travaux du comité. Nous disposons d'une motion courante pour demander que la Bibliothèque du Parlement affecte quelqu'un auprès du comité.
Le sénateur Spivak: Très bien, je propose:
Que le comité demande à la Bibliothèque du Parlement d'affecter des attachés de recherche auprès du sous-comité.
Le président: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
La séance est levée.
OTTAWA, le mercredi 27 mai 1998
Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 15 h 35, en vue de poursuivre son étude de la forêt boréale au Canada.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je déclare la séance ouverte.
Honorables sénateurs, nous avons aujourd'hui la chance d'accueillir, à notre deuxième réunion, M. Yvan Hardy, sous-ministre adjoint, Service canadien des forêts. Il est accompagné de M. Jacques Carette, directeur général, Direction des politiques, de la planification et des affaires internationales. Monsieur Hardy, vous avez la parole.
M. Yvan Hardy, sous-ministre adjoint, Service canadien des forêts, Ressources naturelles Canada: Monsieur le président, c'est pour moi un honneur de répondre à votre invitation. Ce que j'ai à dire ne prendra pas beaucoup de temps, ce qui nous laissera le temps de répondre à des questions. Mon exposé d'aujourd'hui porte sur le Service canadien des forêts et sur ce qui se passe au sein du gouvernement du Canada. Par contre, si vous avez des questions à d'autres sujets, j'essaierai d'y répondre.
Une documentation assez volumineuse a été préparée à votre intention concernant diverses questions, par exemple la Stratégie nationale sur les forêts, notre plan stratégique, ainsi que les critères et les indicateurs. Si vous avez besoin d'autre chose, nous vous le fournirons avec plaisir.
Comme point de départ, j'aimerais vous donner un bref aperçu des forêts canadiennes. Elles se caractérisent par leur superficie. En effet, elles couvrent 417 millions d'hectares. C'est énorme, quand on compare cette superficie à celle des autres pays. Dix pour cent des forêts du monde se trouvent au Canada. Elles sont non seulement immenses, mais elles font aussi un apport important à la vie des Canadiens et à la nature. La forêt est un lieu où abondent la faune et la flore, un lieu d'une grande biodiversité. On dénombre 180 espèces d'arbres différentes dans nos forêts.
Aujourd'hui, on les qualifie de puits de carbone. Je dis «aujourd'hui» parce que, il y a 10 ans, nul n'entendait parler de changements climatiques ou de l'importance de piéger du carbone. Toutefois, il est certes vrai que les forêts emprisonnent beaucoup de carbone qui pourrait être mis en valeur de bien des façons.
De plus en plus, les forêts canadiennes sont utilisées non seulement à des fins industrielles, mais à des fins récréatives et spirituelles. Nous avons une industrie touristique de plusieurs milliards de dollars dont l'existence dépend de la forêt, de la pêche, de la chasse, de l'écotourisme, et ainsi de suite.
C'est au Canada que la forêt appartient le plus à l'État. Plus de 90 p. 100 de la forêt canadienne est sous l'intendance des provinces et du gouvernement fédéral. Seulement 7 p. 100 est de propriété privée. Fait intéressant, près d'un demi-million de petits propriétaires de terres à bois se partagent une partie infime de la forêt canadienne, surtout dans l'Est du Canada. Le phénomène s'explique par notre histoire et l'évolution du pays.
La forêt fait vivre le Canada rural. Nous estimons en effet à près de 298 le nombre de collectivités rurales qui dépendent de la forêt. Sans elle, elles seraient vouées à une mort économique. De plus, près de 40 agglomérations urbaines dépendent lourdement de l'industrie forestière.
Le président: En ce qui concerne le nombre d'agglomérations qui vivent de la forêt, avez-vous fait une ventilation entre les collectivités autochtones et les autres?
M. Hardy: Nous avons effectivement des chiffres à cet égard et nous pourrons vous les fournir. On peut dire que la plupart des réserves indiennes, surtout dans l'Est du Canada, dépendent de la forêt.
Je ne souhaite pas entrer dans le détail, mais nous parlons d'une industrie gigantesque, comme vous vous en doutez peut-être. Elle contribue plus de 70 milliards de dollars à l'économie. Sa contribution à la balance commerciale est aussi remarquable, se situant à 31 milliards de dollars. Plus de 800 000 emplois sont attribuables à l'industrie forestière.
Le Service canadien des forêts a plusieurs grandes fonctions. Sa principale activité, en termes de ressources et de budget, est l'acquisition et la transmission du savoir. Soixante-quinze pour cent environ de son activité se concentre sur la recherche et le transfert des connaissances.
Le service modèle les agendas forestiers. Nous exerçons un leadership ici et à l'étranger afin de bâtir un consensus canadien. Je vous donnerai des exemples au fur et à mesure que nous avancerons.
Notre organisme regroupe quelque 900 employés et atteint des périodes de pointe l'été alors qu'il recrute des étudiants. Un certain nombre de personnes concluent avec nous des partenariats également. À nos employés réguliers se greffent entre 100 ou 150 boursiers de recherche post-doctorale qui effectuent leurs études post-universitaires dans nos laboratoires.
Notre budget annuel est d'environ 95 millions de dollars et s'est stabilisé à peu près à ce niveau au cours de la dernière année de la révision du programme.
Le SCF est la plus importante organisation de recherche forestière au Canada et la plus influente. La plupart des provinces ne font pas de recherche forestière. Elles s'occupent plutôt de la gestion de ce secteur. Les universités et les associations industrielles font peu de recherche forestière et s'intéressent principalement aux produits forestiers.
Je le répète, nous sommes l'organisme de recherche forestière le plus influent. Je ne le dis pas pour vous impressionner, c'est une réalité. À l'heure actuelle, nous avons des laboratoires dans cinq villes canadiennes: Fredericton, Québec, Sainte-Foy, Sault Ste. Marie, Moncton et Victoria. Ils desservent l'ensemble du pays et travaillent en réseau ainsi qu'avec des établissements locaux.
Le SCF fournit la méthodologie, l'approche et les outils qu'utilisent les provinces pour la protection contre les feux de forêt et leur maîtrise. Il en va de même pour la technologie utilisée pour la répression des insectes forestiers, les insectes défoliateurs.
En foresterie moderne où les gens participent à la prise de décision, qui se complique grandement en raison de l'usage multiple, les systèmes de soutien de la prise de décision proviennent du SCF. Nous nous intéressons aussi de très près à l'utilisation appropriée des bioherbicides, domaine qui relève de notre compétence.
Le SCF a mis sur pied le «Réseau canadien de forêts modèles». Nous disposons maintenant d'un programme dans le Nord québécois à l'intention des Premières nations. La forêt est gérée de manière à respecter leurs valeurs. Elles tentent de mettre en place une industrie forestière commerciale tout en conservant leur mode de vie traditionnel et plus particulièrement leurs territoires de piégeage. La bande dont je parle regroupe 30 familles qui vivent exclusivement de piégeage. Elles essayent de gérer les forêts afin de manière à protéger leur mode de vie tout en profitant des avantages qu'elles leur apportent. Elles le font en collaboration avec l'industrie et les autorités provinciales. Nous avons mis en place 11 autres programmes différents à travers le pays. Dans les Rocheuses intervient par exemple l'interaction avec la faune sauvage. Il s'agit pur nous d'un moyen de transférer les connaissances acquises.
Nous participons aussi à la collecte de données. Dix compétences provinciales font les choses à leur manière. Cependant, le SCF, avec la collaboration des provinces, tient des statistiques nationales. Le service est l'expert-conseil forestier du gouvernement. Qu'il s'agisse de questions relatives aux Premières nations, de création d'emplois ou du programme d'aide aux victimes de la tempête de verglas, d'autres organismes gouvernementaux canadiens nous demandent conseil.
Au cours des dernières années, nous avons étendu notre champ de recherche aux aspects socio-économiques. Par le passé, nous nous sommes davantage intéressés à la recherche biologique mais, étant donné l'importance que les forêts revêtent pour les Canadiens et leur rôle dans les prises de décisions, nous avons mis sur pied un nouveau groupe de travail qui étudie cet aspect de l'industrie.
Une approche holistique nationale menant vers un dialogue consensuel m'amène à la stratégie nationale sur les forêts. Une fois de plus, dix provinces ont leur législation et leurs règles propres, mais il n'y a pas de plan d'ensemble. Ainsi donc, le SCF, mandaté par le Conseil canadien des ministres des forêts, a procédé, pour la deuxième fois, à une vaste consultation populaire à l'échelle du pays pour déterminer les attentes des Canadiens en ce qui concerne leurs forêts. L'industrie vous dira qu'elle s'attend à pouvoir administrer ses usines. Les associations de chasse et pêche, quant à elles, veulent chasser et pêcher. Les agents de protection de la nature parleront de biodiversité. Toutes ces attentes ont été regroupées dans une stratégie nationale sur les forêts, la meilleure tentative qui soit pour rassembler les opinions divergentes dans un plan quinquennal de gestion forestière.
À la fin du mois d'avril, le Congrès forestier national a eu lieu ici à Ottawa. Nous sommes très fiers de l'accord, un document distinct. Les participants se sont entendus sur le principe d'une stratégie nationale sur les forêts et sont convenus que le Service canadien des forêts -- mandaté par le gouvernement fédéral ou quelqu'un d'autre -- préparera un plan d'action.
La dernière stratégie dont la signature remonte à 1992 est restée en vigueur jusqu'en 1997. Vingt-quatre représentants de divers secteurs avaient alors signé l'accord et nous nous attendons à ce 39 le fassent cette fois-ci. C'est très encourageant de constater que plus de gens veulent avoir leur mot à dire et apporter leur contribution à la gestion des forêts canadiennes.
En ce qui a trait à l'idée de modeler les agendas forestiers, permettez-moi de discuter des critères et des indicateurs qui ont été reconnus. Il s'agit une fois de plus d'une initiative du SCF qui remonte à 1991 ou 1992, après que les concepts de gestion et de développement durables sont ressortis de la commission Brundtland en 1989. Comme il fallait continuer de discuter, de définir et ainsi de suite, le SCF s'est avancé, avec le plein appui du Conseil canadien des ministres des forêts, pour aider à formuler la définition. Voici les cinq critères en question.
La gestion durable des forêts doit tenir compte de la conservation et de la diversité biologique, de l'état et de la productivité des écosystèmes, de la conservation de l'eau, des cycles écologiques planétaires, des avantages multiples et des responsabilités de la société. D'autres indicateurs servent à mesurer les progrès que nous accomplissons. Nous pourrons ainsi faire des suggestions qui permettront de rectifier le tir en cas de dérapage.
Le Canada a été le premier pays à adopter cette politique et nous avons pu produire l'an dernier le premier rapport technique. De nombreux aspects de notre proposition n'étant pas traditionnels dans l'industrie forestière nous n'avons donc jusqu'à maintenant aucune donnée s'y rapportant. Par exemple, quelle recherche devrions-nous faire pour rassembler les données qui nous permettraient de réagir aux diverses situations? Cela modèle aussi notre agenda de recherche également.
Nous avons aussi participé à ce qu'on appelle le «Processus de Montréal» qui a rassemblé 12 pays représentant environ 90 p. 100 des forêts boréales et tempérées du monde. Au Canada et aux États-Unis s'ajoutaient la Russie -- trois pays où la forêt boréale occupe une place importante -- de même que certains pays d'Amérique latine.
J'ai ressassé plutôt quelques souvenirs avec le sénateur Robichaud. La première fois que je l'ai rencontré j'accompagnais notre ministre à Rome, à la FAO. On y a alors annoncé que les 10 pays s'étaient entendus sur des critères et des indicateurs internationaux en matière de développement durable.
Nous avons orienté tous nos travaux de recherche vers le développement durable. La semaine prochaine je serai à Lisbonne pour participer à la Conférence des ministres européens afin de faire progresser cet agenda et de solidifier les liens avec le système de critères et d'indicateurs paneuropéens, l'accord d'Helsinki.
La foresterie internationale revêt une très grande importance et constitue une responsabilité fédérale. Je n'en ai pas trop parlé dans mon mémoire mais, d'après la Constitution, les forêts sont de compétence provinciale. C'est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral ne s'occupe pas de la gestion des forêts mais participe grandement à la foresterie internationale. À l'heure actuelle, nous participons avec la Commission du développement durable des Nations Unies à ce qu'on appelait auparavant le groupe international sur la foresterie qui a été remplacé par le nouveau forum intergouvernemental sur la foresterie. À la fin de ce processus, nous espérons disposer d'une convention internationale sur l'industrie forestière. Cela fait partie de l'agenda du gouvernement en matière d'affaires étrangères. L'agenda forestier porte sur de nombreuses questions dont le changement climatique et la biodiversité. Le danger c'est que les questions finissent par s'éparpiller.
C'est aussi une question de règles de jeu équitables pour notre industrie. La tendance mondiale à l'heure actuelle est à l'assainissement de notre planète et nous sommes tous favorables à cet objectif. Il y a toutefois les tendances contraires lorsque le marché de quelqu'un souffre par exemple de l'imposition d'obstacles tarifaires. Une convention internationale sur les forêts tiendrait compte de tous ces éléments.
Ce matin, le comité de gestion du ministère dont je relève a mis la dernière main au programme du ministre Goodale en matière de foresterie. Il souhaite faire progresser cinq questions, y compris les changements climatiques qui comportent de nombreux aspects.
Il a été question des puits de carbone pour la première fois à la conférence de Kyoto. Dans quelques années, il faudra que le Canada rende compte de ce qu'il fait avec ces puits. Il faudra proposer une méthodologie qui nous permette de le faire de manière précise et crédible.
Il y a aussi toute la question du changement climatique et de son effet sur nos forêts. Par exemple, le changement climatique ou le réchauffement de la planète est-il la cause des incendies de forêt? Certains indices permettent de le croire. Cela modifiera-t-il la façon dont nous gérons les feux de forêt? Le changement climatique modifiera-t-il la répartition des espèces d'arbres telle que nous la connaissons aujourd'hui? Pouvons-nous nous y adapter? Nous avons de nombreuses questions auxquelles il faudra trouver une réponse immédiate et à plus long terme.
Toutes les espèces d'arbres ont une certaine capacité de récupération. Je ne crois pas qu'elles disparaîtront et qu'elles seront remplacées par d'autres d'ici un an ou dix ans. Les arbres mettent entre 60 et 200 ans à atteindre leur maturité. Nous sommes en train d'essayer de mieux comprendre à quel point les forêts agissent comme des puits de carbone et comment mesurer cette capacité partout au pays. Nous sommes en train de faire de la simulation afin de savoir quel rôle négatif ou positif joue cette fonction dans l'écosystème, puis de proposer certains changements.
En ce qui concerne l'innovation sur le plan des ressources, nous souhaitons insister davantage sur la valeur ajoutée afin de faire une utilisation plus judicieuse de nos ressources forestières. Tant qu'à abattre un arbre, mieux vaut en tirer le maximum. Il faut réduire au minimum le gaspillage et créer des produits à valeur ajoutée.
Le commerce et l'investissement en matière de ressources font l'objet d'une compétition mondiale. Nous ne sommes pas seuls. De nouvelles technologies ont permis à de nouveaux venus de s'imposer. Des changements survenus sur la scène politique, comme l'éclatement de l'Union soviétique, ont accru le nombre de joueurs sur le marché, et ceux-ci ne jouent pas forcément selon les mêmes règles que nous et d'autres pays de l'Occident.
En ce qui concerne l'amélioration des perspectives d'emploi, à nouveau, nous ne ciblons pas forcément l'industrie forestière classique. Nous ciblons plutôt les Premières nations et les activités secondaires qui découlent de la forêt. Nous souhaitons préserver les forêts de manière à attirer les touristes et d'autres genres d'activités.
Pour ce qui est d'un consensus national, les experts du domaine ont leur petite idée de la voie à suivre. Les profanes et ceux qui profitent de la forêt en ont une autre. Le travailleur forestier sait exactement ce qu'il veut. Il veut abattre des arbres. Toutefois, l'artiste préférera peut-être qu'un arbre particulier ne soit pas abattu. Il faut donc arriver à concilier de nombreuses valeurs conflictuelles. Le ministre, le ministère et le Service canadien des forêts souhaitent dégager un consensus national quant à la façon dont il faut gérer toutes nos ressources nationales.
Voilà qui met fin à mon exposé. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Le président: Je vous remercie beaucoup. Vous nous avez certainement donné beaucoup de matière à réflexion.
Le sénateur Spivak: Vous avez dit que le service compte 900 employés. Combien d'entre eux travaillent sur le terrain et que font-ils?
M. Hardy: La plupart travaillent sur le terrain. Je travaille ici, à Ottawa, au ministère des Ressources naturelles. Le Service canadien des forêts fait exception, car il ne compte que 130 employés à Ottawa. Le reste travaille dans nos laboratoires, sauf en cette période-ci de l'année. En fait, j'essaie d'éviter de faire visiter nos laboratoires à ce moment-ci de l'année parce qu'ils sont vides. Nos employés sont sur le terrain, en train de travailler avec leurs partenaires, selon leur spécialité.
Le sénateur Spivak: Je vous pose la question parce que je souhaite savoir comment vous allez établir avec précision que nous gérons nos forêts de manière durable. Par exemple, dans la province d'où je viens, il n'y a presque pas d'agents chargés d'exécuter la loi. Le gouvernement fédéral n'a pas jugé bon de faire des évaluations environnementales des grandes exploitations forestières. Dans ma province, les possibilités de coupe ont presque triplé sans qu'on fasse d'évaluation.
Obtenez-vous les données objectives qui vous confirment que l'exploitation est durable?
M. Hardy: Nous ne sommes pas un organisme chargé d'exécuter la loi et nous ne sommes pas mandatés pour porter ce genre de jugements. Notre rôle est centré sur la méthodologie, c'est-à-dire que nous fournissons les outils pour le faire. C'est ce dont je parlais quand j'ai mentionné les critères et les indicateurs.
Le sénateur Spivak: C'est vrai, mais il est tout de même question du sort de nos forêts, de leur durabilité, de leur conservation, de leur diversité biologique, de l'état de l'écosystème et de la productivité. Comment vous y prenez-vous pour recueillir des renseignements qui vous permettent de traiter de ces questions?
M. Hardy: À titre d'exemple, l'épandage d'insecticides chimiques sur des millions d'hectares est-il durable? Selon nous, il ne l'est pas. Nous concevons notre rôle comme étant de nous éloigner de la recherche sur les insecticides chimiques et de nous orienter vers d'autres méthodes de lutte contre les insectes, de faire en sorte qu'elles soient mises à la disposition des utilisateurs. Nous avons bien réussi dans ce domaine.
Le sénateur Spivak: Monsieur Hardy, c'est une question importante. Cependant, en termes de durabilité, nous modifions l'habitat du poisson, par exemple. L'effondrement des pêches de saumon en Colombie-Britannique a certes un rapport, jusque dans une certaine mesure, avec l'exploitation des forêts vierges.
J'essaye de comprendre le rôle du gouvernement fédéral sur le plan de la durabilité, plutôt qu'en termes uniquement de collecte d'information. Nous avons des obligations en vertu de la Convention sur la diversité biologique et ainsi de suite. Comment pouvons-nous avoir de la crédibilité si nous nous contentons d'étudier les questions pendant que se déroulent toutes ces activités autour de nous? Je ne dis pas que nous ne sommes pas crédibles, mais que se passe-t-il? Comment vous procurez-vous les renseignements qui permettent de juger si la gestion est durable?
M. Hardy: Pour en revenir à votre exemple de la pêche du saumon sur la côte Ouest, notre rôle a consisté à montrer que certaines méthodes d'exploitation étaient nuisibles au saumon et à proposer d'autres solutions, par exemple le maintien d'une ceinture verte autour de la forêt.
Le sénateur Spivak: Savez-vous si cette solution a été mise en pratique?
M. Hardy: Cela a effectivement été fait. Elle figure maintenant comme exigence dans une loi provinciale. Si c'était là notre responsabilité, le Service canadien des forêts serait bien différent de ce que je vous ai décrit.
Le sénateur Spivak: Il faudra que je pose la question autrement. Le gouvernement fédéral a certes compétence en matière d'eaux navigables, d'habitat du poisson, d'oiseaux et de choses de cette nature, qui sont toutes intimement liées à la forêt. Comment collaborez-vous avec le ministère de l'Environnement pour faire en sorte que la machine soit en mise en branle quand il y a infraction?
M. Hardy: Nous le faisons à la demande d'Environnement Canada, qui est le ministère mandaté à cette fin.
Le sénateur Spivak: Vous avez les connaissances. J'exprime la préoccupation du Canadien ordinaire qui aimerait avoir l'assurance que nous joignons le geste à la parole. J'aimerais obtenir certaines assurances de vous.
M. Hardy: Mes paroles ne sont pas vides de sens. Je dis que nous essayons d'acquérir le savoir qui nous permettra de gérer le mieux possible et de manière durable les forêts qui relèvent de notre compétence.
Comme je l'ai dit plus tôt, nous sommes les experts forestiers du gouvernement fédéral et, chaque jour, nous travaillons de concert avec des ministères comme Environnement Canada et le ministère des Affaires indiennes ainsi que, dans une moindre mesure, Pêches et Océans. La Loi sur les eaux navigables a servi d'élément déclencheur, et nous sommes intervenus pour les aider.
Cependant, nous ne sommes pas mandatés pour aller sur le terrain, pour prendre des mesures et pour décider qu'une exploitation particulière n'est pas conforme aux lois provinciales.
Le président: Si vous n'en avez pas le mandat, qui l'a?
M. Hardy: Environnement Canada est mandaté pour faire cela.
Le sénateur Stratton: Ai-je raison de croire que vous conseillez les provinces en ce qui a trait à la durabilité et que ce sont elles qui gèrent leurs forêts et y font la surveillance?
M. Hardy: Non, nous ne prodiguons pas de conseils. Nous fournissons des outils, de la méthodologie et des approches.
Le sénateur Whelan: Vous dites que le Service canadien des forêts est un organisme à vocation scientifique. Quand j'étais secrétaire parlementaire du ministre des Pêches et des Forêts, je crois bien avoir visité toutes les scieries, toutes les usines de pâte à papier, toutes les frayères et écloseries et tous les ports de pêche du Canada.
Je conteste une de vos affirmations. Je connais une magnifique station de foresterie à Indian Head, en Saskatchewan, qui est exploitée en vertu de la Loi sur le rétablissement agricole des Prairies. On y fait de l'excellent travail en foresterie.
Les Pères de la Confédération voyaient loin. Avant que ne soient colonisées les Prairies vers la fin du XIXe siècle, ils ont importé diverses espèces d'arbres de Sibérie et de Mongolie. Jusque-là, il n'y avait pas du tout d'arbres dans les Prairies parce que le bison mangeait toutes les jeunes pousses, dont il raffolait.
J'ai toujours été convaincu qu'en foresterie et en agriculture, la recherche était notre plus important produit.
L'Alberta et la Saskatchewan ont maintenant des arbres qui résistent à nos hivers frigorifiants -- ils peuvent survivre à 60 degrés Fahrenheit sous zéro aussi bien qu'à 100 degrés Fahrenheit. Durant la journée la plus chaude enregistrée au Canada, le thermomètre a grimpé à 124 degrés, à Estevan.
Connaissez-vous cette station de recherche à Indian Head?
M. Hardy: Je ne crois pas qu'elle fasse encore des travaux de foresterie.
Puisqu'il est question d'histoire, le Service canadien des forêts ou l'organisme qui l'a précédé sous une appellation différente célébrera son centenaire, l'an prochain. Durant ces 100 années, il a relevé de 26 ministères différents, entre autres de l'Agriculture, des Pêches et des Forêts, de l'Environnement et des Ressources naturelles.
Le sénateur Whelan: J'ignorais que la station d'Indian Head était fermée. Elle a fourni des millions d'arbres qui ont servi de brise-vent dans les Prairies. On les donnait aux agriculteurs.
M. Hardy: Tout le monde sait que la plupart des arbres qui poussent dans les Prairies ont été plantés par l'homme.
Le sénateur Whelan: Nombre d'entre eux ont été semés naturellement par les oiseaux. Une fois le bison disparu, les semences ont germé là où elles sont tombées.
Quand j'étais secrétaire parlementaire du ministre des Pêches et des Forêts, le premier ministre d'alors, M. Trudeau, souhaitait regrouper dans un même ministère toutes les ressources renouvelables. Il m'avait demandé d'en apprendre le plus possible au sujet des forêts et des pêches parce que toutes les ressources renouvelables ont beaucoup en commun.
Pour en revenir à ce que disait le sénatreur Spivak, j'ai moi-même observé la coupe à blanc pratiquée en Colombie- Britannique et l'érosion qui en a résulté et qui a pollué les frayères de saumon. Les dommages ont été très importants.
Ce que l'on a fait aux forêts tropicales humides du Brésil est incroyable. Par endroit, il ne reste plus que du gravier. L'érosion a été terrible en raison des six mois de pluie, suivis des six mois de soleil torride.
Le pétrole et le gaz ne sont pas des ressources renouvelables, contrairement à l'agriculture, aux pêches et à la foresterie. Si nous gérons bien ces ressources, nous aurons toute l'énergie dont nous avons besoin et nous n'aurons pas à nous inquiéter de l'épuisement des réserves de charbon et d'autres richesses du sous-sol.
À mon avis, le ministre chargé à la fois des ressources renouvelables et des ressources non renouvelables est en conflit. Je me rappelle quand le premier ministre de l'Alberta, M. Lougheed, a dit que nous pouvions continuer de compter sur l'agriculture, mais que les jours des autres ressources étaient comptés. Il soutenait que l'agriculture est la plus importante industrie de l'Alberta.
Aux États-Unis, le secrétaire fédéral à l'agriculture est en charge de l'agriculture et des forêts.
Le fait qu'il n'y ait qu'un seul secrétaire représentant un pays de 269 millions d'habitants pour traiter avec 10 ministres provinciaux ne vous laisse-t-il pas perplexe?
Le président: Vous abordez-là une question d'ordre constitutionnel.
Le sénateur Whelan: Je parle d'administration. Dans de nombreux pays scandinaves, l'agriculture, la forêt, voire les pêches, relèvent d'un seul ministère.
M. Hardy: Je puis aussi vous donner de nombreux exemples de pays où la foresterie et l'agriculture sont réunis sous un même toit et tout autant de pays où ce n'est pas le cas.
Le sénateur Whelan: L'Allemagne a réuni l'agriculture et les forêts sous la responsabilité d'un même ministère. C'est pourtant un grand pays.
M. Hardy: Vous avez mentionné que le service des forêts des États-Unis relève du ministère de l'Agriculture, ce qui est juste. Il faut cependant préciser qu'il existe en réalité presque deux administrations distinctes au sein de ce ministère, étant donné la synergie avec le côté agricole.
J'ai débuté ma carrière dans le monde universitaire. Je ne fais partie du gouvernement que depuis quelques années. À ce moment-là, la responsabilité en matière de foresterie venait tout juste d'être déplacée, du ministère de l'Environnement à celui de l'Agriculture, situation qui a duré pendant deux ou trois ans. Les contacts avec le côté agricole de l'organisme étaient minimes. De ce que je sais du ministère actuel, le ministre n'éprouve pas de difficulté à s'occuper des forêts boréales mais, plus que cela, nous pouvons monter une équipe au sein de ce ministère pour travailler en collaboration avec des collègues. Une fois que l'on a franchi cet obstacle, tout fonctionne bien.
Le président: J'ai une question au sujet des plantations d'arbres. Je crois savoir que la Suède exporte actuellement à peu près les mêmes quantités de bois d'oeuvre qu'il y a un siècle presque, mais que les arbres qui donnent ce bois d'oeuvre sont maintenant cultivés sur des plantations, alors qu'auparavant, ils venaient de forêts naturelles.
M. Hardy: J'aimerais vous reprendre là-dessus, si vous le permettez. Il y a un siècle, les forêts de la Suède avaient disparu. Il n'en restait plus. Elles avaient toutes été brûlées. On les avait surutilisées surtout pour faire des charbons destinés à l'industrie de l'acier. Durant les années 20, ils ont décidé de reconstituer les forêts. Une forêt naturelle en Suède est d'une grande rareté.
Le président: Voilà où je voulais en venir. Avez-vous des données de recherche à ce sujet? Les plantations d'arbres ou les forêts plantées, le bois d'oeuvre produit par des méthodes agricoles plutôt qu'extrait de forêts naturelles, qui libèrent les forêts naturelles pour le tourisme, la pêche et les Autochtones, entre autres, ont-elles un avenir? Faites-vous de la recherche en vue d'aider les agriculteurs à faire pousser des arbres?
M. Hardy: Oui. Nous disposons de toute une mine de renseignements. Toutefois, vous m'interrogez au sujet d'une question qui revient essentiellement à une décision de principe, à savoir si l'on veut pratiquer au Canada une foresterie respectueuse de l'«écosystème naturel» ou intensive. C'est ce que nous faisons, essentiellement. En exploitation forestière intensive, on plante, on fertilise. Il faut ensuite résoudre toutes sortes de déséquilibres de l'écosystème exotiques ou créés par l'activité humaine.
Quand on mentionne la Suède, la Norvège et la Finlande et tous les aspects positifs des forêts où les arbres sont tous alignés, et tout le reste, on ne mentionne jamais la surpopulation d'orignaux qu'a provoquée cette situation. J'ai eu l'honneur, en janvier dernier, d'être invité par leur directeur général à faire partie d'un petit groupe d'experts chargés d'examiner leur programme. J'étais assis près de quelqu'un qui se vantait d'avoir tué son septième orignal de la saison. Il y a un déséquilibre complet de la faune dans cette forêt. Il n'y a pas de prédateurs. De plus, quand les insectes pullulent, vous pouvez imaginer l'effet de cette pullulation sur la plantation en rangée d'épinettes de Norvège. Cette sorte d'exploitation a du pour et du contre.
Le Canada n'a pas pris le même genre de décision. Par contre, s'il le fait, il faudra mettre de côté des terres pour faire une gestion très intensive. Les Français ne vous diront pas qu'ils sont en train de prendre des mesures plutôt rigoureuses pour se débarrasser de certaines végétations. La plupart des pays d'Europe de l'Ouest sont certainement aux prises avec un problème d'équilibre biologique. Ils manquent de biodiversité. Dans leurs musées, ils ont des spécimens intéressants d'espèces disparues, par exemple du loup. Ici, je conviens que certaines espèces sont en voie de disparition ou à risque. Il faudrait tout faire non seulement pour les préserver, mais également pour améliorer leur milieu. Toutefois, on ne peut faire cela dans un environnement artificiel. C'est là qu'il faut atteindre un juste équilibre.
Le sénateur Whelan: Quand j'étais à Red Deer, les automobilistes pouvaient frapper un orignal à 40 milles à l'extérieur de la ville, dans un secteur de forêt naturelle et de broussaille. Quand j'étais à High River, Jim Lockhard m'a dit qu'il avait vu une famille d'orignaux -- le mâle, la femelle et un petit -- dans son pâturage.
Quelle proportion de nos forêts appartient à l'État?
M. Hardy: Le pourcentage est de 92 p. 100 ou de 93 p. 100, si le Canada est inclus.
Le sénateur Stratton: Cela comprend-il les provinces?
M. Hardy: Ce sont surtout les provinces.
Le sénateur Stratton: Sauf les Territoires du Nord-Ouest.
M. Hardy: Ce pourcentage inclut les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, qui représentent le gros de la propriété du gouvernement canadien, soit 20 p. 100.
Le président: Qui est en train d'être rétrocédé.
M. Hardy: La cession est en cours au Yukon mais elles demeurent la propriété du gouvernement fédéral.
Le sénateur Whelan: J'imagine qu'en Union soviétique, elles appartiennent probablement à 100 p. 100 à l'État. Quelle est la situation dans les pays scandinaves?
M. Hardy: Elles appartiennent dans l'ensemble à des intérêts privés. Cela vaut pour l'ensemble de l'Europe occidentale. Même le gouvernement fédéral américain n'en détient que 20 p. 100.
Le sénateur Whelan: Ils possèdent toutes les ressources dans cette série d'États à l'Ouest, toutes les ressources minérales, ou au moins plus de 50 p. 100. J'ai vu les statistiques concernant l'Utah, l'Oregon et certains autres États.
Je me rappelle être retourné visiter la station agricole Lacombe. J'ai visité chaque station au Canada lorsque j'étais ministre de l'Agriculture, ce qui n'avait pas été fait en 100 ans. Il a sans doute fallu tout un travail pour défricher la terre à Lacombe, parce qu'il y avait de gros arbres. On m'a fait visiter les environs de la station et on m'a dit que le premier directeur de Lacombe aimait les arbres. Il y avait d'anciennes photos sépia de lui se déplaçant dans son buggy tiré par un cheval et en train de planter des arbres. On m'a dit que cette terre existait depuis un million d'années et qu'aucun arbre n'y a jamais poussé naturellement. Ils ont prouvé que des arbres peuvent y pousser.
Je me rappelle que le premier ministre de la Saskatchewan avait dit que si vous arrosez un arbre, il poussera. Vous pouvez planter un arbre n'importe quand. Les chercheurs à Indian Head m'ont dit qu'ils avaient des arbres qui pouvaient pousser en sol salin. En Alberta, beaucoup de sols dans différentes régions sont en train de devenir salins. Faites-vous de la recherche sur les arbres qui poussent en sol salin?
M. Hardy: Nous nous occupons très activement -- j'utilise le jargon ici -- de l'amélioration générale des arbres et de biotechnologie. Pendant longtemps, nous nous sommes surtout concentrés sur ce que j'appellerais les méthodes d'amélioration «traditionnelles», des mesures qui auraient fait partie de votre portefeuille de l'agriculture. Le cycle de reproduction des arbres est tellement long que la génétique traditionnelle est lente. Avec les plantes agricoles, il est possible parfois de forcer deux ou trois générations par année. Aujourd'hui nous mettons surtout l'accent sur l'utilisation de la nouvelle biotechnologie telle que la rhéogénie, l'orthogenèse somatique, les applications transgéniques et ainsi de suite.
Le sénateur Whelan: La plupart des terres de l'Est ontarien n'auraient jamais dû être défrichées à cause de la minceur du sol.
Le sénateur Spivak: J'aimerais savoir quel est le pourcentage des opérations forestières à l'heure actuelle qui se font dans les peuplements vieux, tant dans la forêt boréale que dans la forêt tropicale humide. Quel pourcentage représente l'exploitation des peuplements vieux?
M. Hardy: Il est de 60 à 70 p. 100.
Le sénateur Spivak: Nous n'avons pas de plantations ici parce qu'elles ont besoin de tellement de temps pour bien s'établir. Est-ce qu'on procède à la coupe des forêts de seconde pousse en Colombie-Britannique?
M. Hardy: Oui.
Le sénateur Spivak: Quel en est le pourcentage?
M. Hardy: C'est le 30 ou 40 p. 100 qui reste.
Le sénateur Whelan: Nous avons eu un chalet pendant 27 ans dans le Nord de l'Ontario près de la zone controversée, juste à la lisière de Temagami. Je suis sûr que vous savez où se divise le bassin hydrographique à cet endroit. On y trouve encore quelques grands pins blancs dont la base est d'environ quatre pieds de diamètre. Cependant, sur notre petite île d'environ deux acres, il ne reste que des souches. Les arbres ont été emportés par de grosses estacades flottantes.
Avez-vous des chiffres concernant le bassin hydrographique à cet endroit? Savez-vous la quantité d'eau qui va au Nord? L'eau est importante pour l'exploitation forestière.
M. Hardy: Nous faisons beaucoup de travaux sur la gestion des bassins hydrographiques. Notre travail ne consiste pas à recueillir des données sur des bassins hydrographiques particuliers.
Si nous revenons à la côte Ouest, à Victoria, nous avons travaillé très étroitement avec la Vancouver Water Authority à la gestion du bassin hydrographique entourant Vancouver.
Le sénateur Spivak: Il ne reste qu'un bassin hydrographique intact sur l'île de Vancouver.
M. Hardy: Je crois qu'il y en a plus qu'un.
Le président: Ce n'est pas dans la forêt boréale.
Le sénateur Stratton: Lorsque vous parlez de développement durable, quels sont les critères que vous utilisez? Comment déterminez-vous si nous avons la possibilité d'assurer le développement durable de nos forêts?
M. Hardy: Nous étions le principal organisme chargé d'assurer la liaison avec le CCMF ou Conseil canadien des ministres des Forêts, qui comprend les 10 ministres provinciaux des Forêts et les deux ministres territoriaux, en plus du ministre fédéral. Ils se sont réunis et ont posé cette question même il y a environ cinq ans. La discussion d'aujourd'hui est caractéristique des discussions qui ont lieu sur le développement durable parce que les gens ont des visions différentes du développement durable. Si vous changez de tribune, vous entendez une définition différente.
Nous avons mis au point un exercice appelé «critères et indicateurs». Pendant un an et demi, les responsables ont tâché de définir ce que l'on entend par des forêts gérées de façon durable qui peuvent fournir du bois et des services éternellement, dans un environnement sain, et ainsi de suite. Nous avons établi six critères. Les indicateurs indiquent comment évaluer les progrès en fonction des critères définis.
Je ne crois pas que l'information concernant les critères et les indicateurs faisait partie de la documentation qui vous a été remise. Si vous voulez plus de précisions, nous pouvons certainement vous les fournir. Ces critères tiennent compte de l'aspect biologique, de l'aspect commercial, de l'aspect socio-économique et de la participation des gens.
Un aspect qui n'est pas soulevé lorsque nous parlons du développement durable est celui de la divergence d'opinions parmi les groupes. On ne peut pas tout axer sur la conservation ni tout axer sur l'exploitation pas plus que sur la biodiversité.
Les aspects socio-économiques, la participation du public et le processus de prise de décision sont des aspects très importants qui ont été ajoutés au champ de notre recherche. Notre équipe à Edmonton travaille étroitement avec l'Université de l'Alberta. Elle appuie son travail sur les aspects socio-économiques, la participation du public et la prise de décisions.
Le président: En ce qui concerne la biodiversité, avez-vous fait des recherches avec les compagnies de produits chimiques et en particulier avec les compagnies pharmaceutiques, pour examiner les plantes, les bactéries et les champignons qui pourraient se développer dans des forêts vieilles de 50 ou 200 ans, susceptibles d'être utilisés dans les médicaments d'aujourd'hui?
M. Hardy: Nous n'avons pas de programmes axés sur cet aspect. Cependant, nous avons participé d'assez près à la recherche d'un médicament contre le sida. Nous avons examiné sa production, l'extraction de l'ingrédient actif, et la façon de propager la plante et ainsi de suite.
Indirectement, nous avons appuyé les Premières nations en ce qui concerne les plantes médicinales et leur utilisation traditionnelle des plantes.
Le sénateur Stratton: Vous dites que vous avez établi des critères pour évaluer la durabilité. Maintenant que cette définition est établie, êtes-vous en train d'évaluer si nos forêts seront durables selon ces critères?
M. Hardy: Dans certains cas, oui.
Le sénateur Stratton: Est-ce vous qui vous en chargez ou est-ce que cela relève des provinces? Est-ce le ministère de l'Environnement qui s'en charge?
M. Hardy: Tout le monde s'en occupe.
Le sénateur Stratton: C'est comme si personne n'en est responsable, mais tout le monde s'en occupe.
M. Hardy: Ce pourrait être une façon de l'interpréter mais lorsque je dis «tout le monde», je veux dire tous ceux qui ont des connaissances un peu plus poussées dans certains domaines. Je m'y connais mieux à propos des forêts. Le Service canadien de la faune en sait plus que nous à propos de la population mammifère. Grâce aux enquêtes qu'ils font régulièrement, nous avons ajouté ces données pour évaluer la durabilité.
Nous avons un réseau partout au pays qui évalue et suit l'état des forêts. Les provinces indiquent la quantité de bois récoltée et toute information qu'elles possèdent à propos de l'environnement.
Je n'ai pas cité cet exemple pour me protéger.
Le sénateur Stratton: Je comprends. Ce qui m'inquiète le plus, après avoir entendu votre témoignage aujourd'hui, c'est que, pendant que nous établissons ces critères, la compétence continue d'être partagée avec les provinces qui gèrent leurs propres forêts. Comment pouvons-nous évaluer la durabilité de manière à pouvoir dire aux Canadiens si le développement de nos forêts est durable ou non et si les générations à venir pourront en profiter? Je sais que c'est une question difficile mais elle doit au bout du compte être posée.
Que les provinces soient d'accord ou non, il faut avoir une certaine façon d'évaluer la situation. Devons-nous éviter d'intervenir à cause de l'état de l'union en ce qui concerne la compétence provinciale et le transfert des pouvoirs du gouvernement central aux provinces dans la gestion de leurs propres affaires? C'est ma question fondamentale.
M. Hardy: Je ne commenterai pas l'aspect politique de votre question. Je ne crois pas d'ailleurs que vous vous attendiez à ce que je le fasse.
Le sénateur Stratton: Non.
M. Hardy: Cependant, je ferai une observation. L'année dernière, on a présenté le rapport sur l'état des forêts du Canada. Nous avons établi un rapport public annuel dans lequel nous abordons un certain nombre de sujets. L'année dernière, nous avons mis l'accent sur l'évolution des lois et des règlements sur les forêts au Canada depuis la fondation de la première colonie. Nous avons constaté dans cette étude que les lois, les règlements et les pratiques ont évolué selon une courbe exponentielle. Nous avons constaté cinq périodes distinctes sur une période de 300 ans. L'aspect intéressant, c'est que la première période a duré 200 ans. Il n'existait aucun règlement. Les quatre dernières périodes remontent au siècle dernier. La deuxième a duré une cinquantaine d'années. La troisième période a duré une vingtaine d'années et la quatrième une dizaine d'années. Nous sommes pratiquement à la fin de la cinquième période et cela est lié à l'influence mondiale.
Chaque gouvernement, qu'il soit provincial, fédéral ou municipal, ne réagit peut-être pas au même rythme mais ils subissent tous les mêmes influences et les mêmes pressions. L'industrie forestière subit des pressions.
Comme vous le savez, des organismes comme Greenpeace sont en train d'exercer des pressions importantes sur l'industrie et les gouvernements provinciaux.
Comme nous vivons à l'heure du village global, avec des modes de communication instantanée, nous sommes au courant le jour même de ce qui se passe à Hambourg ou à Londres.
Le sénateur Stratton: On entend, d'un bout à l'autre du pays, toutes sortes d'opinions à propos de la coupe à blanc d'énormes superficies. Comment évaluez-vous les provinces à cet égard? Quelle est la meilleure? Quelle est la pire?
M. Hardy: Je dois avouer que cela est difficile à évaluer parce que chaque province a maintenant des règlements qui définissent la superficie maximale pouvant faire l'objet d'une coupe à blanc. On est de plus en plus raisonnable à cet égard, donc cela ne pose plus un problème aussi grave. Un exploitant peut être autorisé à couper à blanc 30 hectares, ce qui est relativement raisonnable, lesquels peuvent être régénérés, si cela est bien fait, grâce à l'abattage directionnel qui empêchera l'érosion et assurera la régénération naturelle. Cependant, si un exploitant coupe à blanc une section après l'autre, de 30 hectares chacune pendant 10 années de suite, avant que la première ait eu la possibilité de se régénérer, alors ce type de coupe à blanc pose problème. C'est la responsabilité de l'exploitant et cela dépend de l'efficacité des inspections faites par une province donnée.
Je peux vous garantir que dans chaque province il existe des exploitants auxquels on doit rappeler leurs responsabilités. Nous constatons également, toutefois, dans la même province, que les opérations forestières sont bien faites.
[Français]
Le sénateur Robichaud: Il est de la responsabilité des provinces de déterminer la quantité de la coupe annuelle, n'est-ce pas? Quel rôle jouez-vous dans ce cas? Considérez-vous l'ensemble de la forêt au Canada ou une province à la fois?
Dr Yvan Hardy, sous-ministre adjoint, Service canadien des forêts, Ressources naturelles du Canada: Cela se fait uniquement par province et on n'a aucun rôle à jouer.
Le sénateur Robichaud: Vous vous fiez sur le fait que les experts des provinces ne dépasseront pas ce qui peut être récolté annuellement dans les forêts. Vous n'en doutez aucunement?
M. Hardy: Je ne pense pas qu'on ait raison d'en douter. On devient des citoyens canadiens comme n'importe quel citoyen canadien. Mais on a aucun outil particulier qui nous permette de mesurer de façon plus ou moins précise ce que la province fait.
Le «State of Canada Forest Report», annuellement nous indique la quantité de la coupe des provinces, ce qu'on appelle le calcul biologique, l'intérêt du capital pour ainsi dire. En théorie, on coupe, l'intérêt sur le capital. Le fait est interprété drôlement à l'occasion. Il y a énormément de préoccupations au sujet des forêts anciennes dans le pays.
Il ne faut pas oublier la réponse que j'ai donnée tantôt. Présentement 70 p. 100 des opérations forestières se passent dans les vieilles forêts. Ceci veut dire en rétrospective que dans les 300 dernières années, on a réussi seulement à toucher qu'à 30 p. 100 du domaine forestier canadien. Si on en avait coupé, on n'aurait pas une situation où 70 p. 100 des forêts commerciales productives du Canada n'a jamais été touché.
À l'échelle macro, il y a une assurance, à l'échelle micro, chacun de nous autres devient citoyen du Canada et regarde une situation particulière. Mais au gouvernement fédéral, on n'a aucun outil pour mesurer le surplus de la coupe biologique qu'une province ferait.
Il faut également comprendre les situations exceptionnelles. La phrase célèbre du fameux astronaute américain qui passait au-dessus de la Colombie-Britannique où il mentionnait la scène terrible qu'il voyait quelque part au-dessus de la Colombie- Britannique. S'il s'était mêlé de ses affaires, il aurait vu que c'était une coupe de récupération à la suite d'une immense épidémie de bacillus theringesus qui avait détruit des millions et des millions d'hectares de forêt.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique avait décidé de récupérer le bois au lieu de le laisser pourrir sur place, ce qui a fait une immense coupe à blanc. Ils affrontaient des situations exceptionnelles. Pour ces deux années précises, il est fort possible que l'on ait coupé au-delà des limites.
On coupe au Canada un demi de un p. 100 de la surface forestière par année. À ce rythme, cela prendra 200 ans pour couper toute la forêt. On aménage la forêt moyenne dans l'est du pays, à l'est de l'Alberta, sur une période de 60 ans. À l'échelle macro, on peut avoir une bonne conscience. À l'échelle micro, comme je le disais au sénateur Stratton, c'est l'opérateur qui compte. On peut toujours compter que quelqu'un va essayer d'en prendre plus et souvent ce sont ceux qui brisent l'image.
Le sénateur Robichaud: On parle de la forêt amazonienne et on déplore en fait la coupe, la déforestation qui se produit dans ce coin. Est-ce qu'on peut tracer un parallèle ou une comparaison entre ce qui se passe là et ce qui s'est passé au Canada? En fait, est-ce qu'on a coupé à un moment donné plus qu'on aurait dû, ce qui aurait pu déstabiliser tout l'environnement, comme c'est le cas si on continue dans l'Amazonie.
M. Hardy: Il y a un parallèle et il a cessé d'exister vers 1850. C'est le parallèle lorsque le pays a été établi. Quand je parlais tantôt des cinq périodes de l'aménagement forestier, il y en a eu une où on disait que la forêt est une nuisance, nous empêche de cultiver les sols -- je ne parle pas des prairies -- d'avoir des villes. On a déboisé et à ce moment, il est sûr qu'on a déboisé au-delà de nos besoins. Il n'y avait pas de commerce pour ainsi dire, le bois était utilisé à des fins domestiques. Souvent on utilisait le feu comme méthode rapide.
Depuis qu'il y a un cadre de gestion des forêts, je pense qu'il n'y a aucun parallèle.
On oublie souvent de mettre dans l'équation que par rapport au Brésil, la cause première de déforestation, ce n'est pas l'industrie forestière ou la production de bois, c'est la volonté de donner aux populations locales un endroit à cultiver.
Cette pratique n'a aucune commune mesure avec le Canada. Les sols tropicaux, lorsqu'ils sont mis à découvert, se dégradent excessivement rapidement, ce qui n'est pas le cas dans un climat tempéré. Alors les comparaisons entre le Brésil et l'Amérique du nord peut-être attirent l'imagination mais de façon factuelle, il n'y a aucune commune mesure.
Le sénateur Robichaud: Vous êtes très rassurant dans vos propos, alors vous semblez satisfait au Service canadien des forêts, que dans la majorité des cas, on fait les plus grands efforts pour conserver et en fait regénérer les forêts boréales?
M. Hardy: J'adhère à votre énoncé et j'ajouterais là-dessus qu'on peut faire encore mieux et qu'on peut améliorer nos pratiques forestières au Canada. Je vous soumets une opinion plus qu'autre chose, une opinion de quelqu'un qui depuis à peu près 40 ans étudie et est impliqué en foresterie. Si je regarde les changements depuis ses 40 ans, quand pour la première fois j'allais en forêt, c'était encore la sciotte et la hache qui ont été remplacées par la scie à chaîne. La drave se faisait encore et personne ne se posait des questions si cela pouvait être dangereux pour les poissons. Elle faisait des dépôts d'écorce dans le fond des rivières. Non, il n'y a pas de problème avec cela.
Si vous regardez tout le progrès qui s'est fait et si on ajoute à cela des pressions mondiales, locales, le peuple canadien a plus de temps libre et a plus les moyens qu'il en avait il y a 40 ans. Les changements sont loin d'être terminés. C'est pour cela que j'ai beaucoup de satisfaction à travailler au Service canadien des forêts. On est à l'avant-garde. On essaie de voir en avant et d'avoir les méthodes, les instruments et les outils nécessaires pour aménager les forêts de demain.
Quand je vous parle du taux de succès, on a travaillé sur le bacillus thuringesus pour remplacer l'infiltration. On passait pour des fous parce qu'on avait à ce moment-là au moins cinq insecticides très efficace, mais les cinq ne sont plus homologués aujourd'hui.
Aujourd'hui on travaille sur les virus pour remplacer le BT et c'est tout un défi. Il y a 15 ans, on a travaillé, on a commencé à prendre des système de GIS, les systèmes de positionnement global et les systèmes de modernisation pour être capable d'avoir des systèmes de support de décision.
Allez voir une opération forestière importante aujourd'hui, il en ont tous. On n'avait pas de support il y a 10 ans lorsqu'on a commencé. D'où la nécessité de travailler de très près avec la communauté forestière. Quand je dis communauté forestière, le Service canadien des forêts s'est toujours fait un devoir de faire affaire avec la communauté forestière élargie, c'est-à-dire non pas seulement les utilisateurs de l'industrie, mais aussi les provinces comme gestionnaires, les gens qui ont des intérêts avec la faune, les Autochtones, les petits propriétaires, et cetera. Je suis très satisfait de ce qu'on fait, à l'intérieur de nos petites prédictions, on fait énormément.
Le sénateur Robichaud: En ce qui concerne les insectes qui peuvent affecter les forêts comme cela s'est produit il y a quelque temps au Nouveau-Brunswick, et je pense à la tordeuse des bourgeons, est-ce que vous faites des prélèvements en prévision de certaines épidémies qui pourraient affecter nos forêts?
M. Hardy: Je vous ai parlé de notre réseau «forest health» et on partage cette responsabilité avec les provinces. D'une part, les provinces vont faire les inventaires de routine des insectes. Lorsqu'il y a un point chaud, on devient beaucoup plus actif. D'autre part, on a inventé des méthodes de détection beaucoup plus efficaces que celle d'examiner chaque arbre. On a inventé deux méthodes, une qu'on appelle phérormone, les communications chimiques entre insectes, les attirants sexuels, en d'autres termes. Avec l'expérience d'observation et de compilation, on est capable de faire la corrélation entre le nombre de captures versus la population. On le fait de façon routinière. On le fait avec un autre piège qui s'appelle luminoque qui utilise la lumière pour attirer les insectes -- les papillons qui tournent autour des lumières le soir.
Entre deux épidémies, les insectes, règle générale, ont tendance de passer à autre chose. On est été capable de garder le focus pour continuer notre recherche pour comprendre ce qui fait passer la tordeuse de l'état endémique -- où il n'y en a pas -- à l'état épidémique. On commence à comprendre quels sont les facteurs. Le jour où on commence à comprendre ces facteurs, on peut commencer à intervenir. Ces parasites, des petits insectes, vivent à l'intérieur des insectes. Ils sont très peu abondants en période épidémique, c'est leur présence qui fait que la tordeuse a un meilleur climat.
Le sénateur Robichaud: Cette année cela pourrait être un problème à cause du printemps. La neige a fondu très vite.
M. Hardy: Le printemps chaud et sec qu'on a présentement est très favorable à la tordeuse. Au cours d'un printemps normal, on a des fluctuations, on a eu très peu de grosses gelées.
[Traduction]
Le sénateur Whelan: Mon attaché de recherche vient de téléphoner à Regina et il m'informe que le Shelterbelt Centre, qui se spécialise dans les arbres et se trouve à Indian Head, est toujours ouvert. Ce centre fait un travail formidable. Ce n'est pas un gros centre. Il relève du ministère de l'Agriculture et a énormément contribué à l'industrie forestière dans les provinces de l'Ouest.
Lorsque vous parliez de compétence, l'agriculture était un domaine à compétence partagée, 50-50.
M. Hardy: Vous aviez de la chance.
Le sénateur Stratton: C'est ce que je veux dire. Au niveau fédéral, nous avons choisi de nous retirer de certains domaines comme les forêts. C'est une grave erreur.
M. Hardy: Historiquement, sénateur, cela a toujours piqué ma curiosité.
L'unique raison pour laquelle on a accordé aux provinces la compétence dans le domaine des forêts en 1867, c'était pour leur assurer un revenu grâce aux droits de coupe. Ce n'était pas une question de sémantique ou de quoi que ce soit d'autre. La Couronne britannique avait donné au Haut et au Bas-Canada le pouvoir de prélever des recettes de la coupe du bois. Chaque exploitant devait verser un certain montant au gouvernement local, et c'était l'une de leurs seules sources de revenu. Lorsqu'ils se sont réunis et ont décidé de former un pays, ils ont décidé de leur laisser cette compétence.
Le président: Vous avez mentionné la technique du «brûlis» dans les pays en développement. Nous voulons que l'on fasse pousser plus d'arbres dans ces régions pour favoriser l'absorption du carbone. Avez-vous discuté du montant d'argent qu'il faudrait pour encourager ces pays en développement à cesser d'utiliser la technique du brûlis au nom de l'agriculture?
M. Hardy: Il faudrait beaucoup d'argent. À cet égard, le Brésil est le premier pays qui me vient à l'esprit.
Le président: C'est une technique aussi très utilisée en Afrique.
M. Hardy: La principale raison pour laquelle on coupe des arbres dans le monde, ce n'est pas l'industrie; c'est la faim.
Le président: Le bois sert de combustible.
M. Hardy: Et défricher la terre pour l'agriculture. C'est surtout la principale raison.
Je ne suis pas un spécialiste des pays en développement et des pays tropicaux, mais les quelques fois où j'y étais, j'ai vu des gens qui marchaient 10 à 15 kilomètres simplement pour aller chercher du bois de chauffage pour la semaine parce que les forêts avaient été rasées.
Le président: Les usines de panneaux à copeaux orientés ou OSB utilisent tous les petits morceaux de bois qui restent. Ce panneau de particule est considéré plus solide que le contreplaqué ordinaire. La popularité du panneau OSB ne risque-t-elle pas de faire disparaître des forêts tous les restes de bois? Nous avions l'habitude d'en laisser beaucoup. Est-ce que ces usines utilisent tout?
M. Hardy: Nous avions l'habitude d'utiliser le bon bois d'un gros arbre et de brûler le reste. Les usines de panneaux OSB utilisent des fibres qui autrement deviendraient des déchets pour faire du bois massif. C'est une bonne nouvelle.
Le président: On ne devrait pas les laisser dans la forêt.
M. Hardy: Lorsqu'ils sortent de la forêt, ils sortent sous forme de bois d'oeuvre.
Le président: Auparavant, ils avaient l'habitude de laisser les branches par terre après le déchiquetage. Compte tenu de la valeur du panneau OSB, ils ne le feront plus.
Le sénateur Whelan: Là où je passais la plupart de mes étés, ils avaient l'habitude de procéder à la coupe pendant l'hiver. Maintenant, ils vont dans les forêts avec de grosses autochenilles, équipées d'énormes cisailles. Ils écrasent toutes sortes d'arbres simplement pour atteindre cette espèce particulière de pin noir. Ensuite, ils s'en vont. J'étais sidéré par la brutalité de ce type de destruction.
M. Hardy: Vous avez vu le pire. Il y a environ cinq ans, ces gens sont devenus plus disciplinés. Ils ont redécouvert ce que nous appelons «l'abattage directionnel» où il n'y a qu'une route d'accès et les arbres sont abattus dans une direction, puis enlevés. Cela maintient la régénération. Il y a beaucoup plus de discipline qu'auparavant, et c'est une bonne chose.
Le président: Je tiens à vous remercier. Cette réunion a été très instructive. Nous pourrons peut-être vous inviter à comparaître devant nous à nouveau avant que notre étude soit terminée.
La séance est levée.