Aller au contenu
BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la
Forêt boréale

Fascicule 8 - Témoignages


ROUYN-NORANDA, le 27 octobre 1998

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 19 heures pour poursuivre son étude concernant l'état actuel et l'avenir de la forêt boréale au Canada.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Cette séance du comité traite des questions touchant à la forêt boréale canadienne.

Qu'est-ce que la forêt boréale, au juste? Elle ressemble à une cape jetée sur les épaules de la Terre dans l'hémisphère Nord. Plus de 20 p. 100 de la forêt boréale est située au Canada.

[Traduction]

Le mandat du comité est très clair: examiner les progrès accomplis au Canada pour ce qui est de réaliser les objectifs nationaux que sont le développement durable des forêts, la protection de la biodiversité, les droits ancestraux, et les questions fédérales-provinciales. Cependant, le sous-comité ne s'intéresse pas uniquement aux arbres et à la forêt. En réalité, nous nous préoccupons surtout de la population, de ses moyens de subsistance, de ses loisirs, ses traditions, son patrimoine et son avenir.

Bref, notre étude englobe l'éventail complet des intérêts nationaux et internationaux du Canada:

[Français]

a conservation et la protection; la croissance et la création d'emplois;

[Traduction]

les droits des peuples autochtones; la compétitivité des entreprises sur les plans local et international, les questions de compétence intéressant les divers paliers de gouvernement;

[Français]

et enfin, le développement durable et la saine utilisation de nos ressources forestières.

[Traduction]

Si je peux me permettre de déformer quelque peu un vieil adage, évitons surtout que les arbres nous cachent non seulement la forêt mais tout le reste. Assurons-nous de bien approfondir la question afin de comprendre ce que signifie cette précieuse ressource pour notre pays et notre avenir.

Je voudrais maintenant vous présenter notre premier témoin, qui est président de l'Association touristique de l'Abitibi-Témiscamingue, M. Jocelyn Carrier. Monsieur Carrier, vous avez la parole.

[Français]

M. Jocelyn Carrier, président de l'Association touristique de l'Abitibi-Témiscamingue: Monsieur le président, je suis très heureux de pouvoir m'exprimer devant un aussi prestigieux comité qui détient un mandat aussi important pour l'avenir de notre région et aussi pour son développement et sa qualité de vie.

Je suis d'autant plus heureux que la mission même du Sénat est de donner une voie aux minorités, à ceux et celles qui ne pensent pas nécessairement comme la grande industrie, et j'oserais dire, comme le grand monde du monde des affaires.

Mais c'est aussi avec beaucoup d'intérêt que l'industrie touristique se présente devant vous ce soir. D'abord, nous détenons le mandat de Tourisme Québec, le mandat de faire la promotion et de développer l'industrie touristique en Abitibi-Témiscamingue.

D'entrée de jeu, nous reconnaissons les efforts heureux qu'a fait l'industrie forestière dans les dernières années. On ne veut pas tout mettre de côté et rejeter du revers de la main les efforts de sensibilisation; et dès le début, nous voulons le souligner.

Mais cela n'empêche pas que nous avons de grandes inquiétudes et celles-ci sont toujours là. Nous voulons mettre ces exploitants forestiers et les autres décideurs en garde contre la tentation de détruire notre héritage collectif.

Il est clair, monsieur le président, que plusieurs organismes plus compétents les uns que les autres viendront sûrement vous faire des recommandations sur la réglementation et les programmes d'une façon beaucoup plus technique que nous pouvons le faire. L'Association touristique régionale d'Abitibi-Témiscamingue veut surtout que collectivement nous prenions conscience de l'importance de la protection de notre forêt, et aussi vous sensibiliser.

Notre première préoccupation, à nous de l'industrie touristique, est sans aucun doute les relations privilégiées que nous devons entretenir et développer avec les peuples, qui, il ne faut pas l'oublier, étaient là bien avant nous; et ils ont des droits, dont celui primordial au respect.

C'est dans cet esprit que nous reconnaissons qu'en Abitibi-Témiscamingue, nous avons neuf réserves autochtones; jusqu'à présent, les relations avec les conseils de bande et avec ces réserves ont été excellentes.

Les gens de l'industrie touristique veulent partager avec eux le même territoire. Nous voulons jouir des mêmes infrastructures naturelles et admirer la même flore et la même faune. L'association touristique régionale s'est donné pour cela un plan de développement qui, par ses grandes orientations, veut sensibiliser tout le monde, très simplement, à l'importance de la forêt dans nos loisirs et dans notre quotidien.

Nous sommes chanceux en Abitibi, nous avons des hivers plus longs; l'été, nous avons des nuits plus courtes qu'ailleurs. Nous avons de nombreux lacs et rivières, des plans d'eau et une forêt riche en flore et en faune. Ce sont ces éléments qui nous ont servi de base pour établir notre plan de développement touristique, lequel est basé sur cinq axes. Vous allez ainsi rapidement comprendre pourquoi la forêt est extrêmement importante pour nous et qu'il faut la protéger.

Le premier axe que nous avons ciblé, ce sont les séjours en pourvoirie. Il faut d'abord se rappeler que la montée des valeurs environnementalistes, la protection de la faune, la force d'attraction du produit exclusivement chasse et pêche ont évolué. L'offre globale repose de plus en plus sur des activités connexes, comme la motoneige; la randonnée en traîneau à chiens; l'hébergement; la vie de famille en forêt, qui est de plus en plus un critère fort pour nous; l'observation de la faune et de la flore; la photographie et la randonnée pédestre.

Nous comprenons que toute réglementation ou programme qui vise à protéger la beauté et la chaleur intime que dégage la forêt recevra notre appui le plus total. J'insiste ici pour vous dire qu'on est loin des séjours en pourvoirie où on se lançait sur les lacs et c'était la plus grosse prise, c'était le plus grand nombre de poissons.

Aujourd'hui, de plus en plus, en pourvoirie, on voit des activités familiales et on voit aussi d'excellentes prises où les gens ont le souci de la conservation: ils remettent à l'eau les prises en prenant bien soin de s'assurer que cela est fait dans la plus grande élégance afin d'assurer la survie du gibier.

La motoneige est un produit en pleine évolution et en pleine mutation. De la simple balade en forêt de la fin de semaine, la demande est beaucoup plus axée sur des séjours en forêt, pour découvrir en famille les attraits de la nature et de la culture régionale. Il se développe également la culture: activités-famille-forêt. Il faut comprendre que le décor naturel pour la pratique du sport de la motoneige est, et sera, un environnement forestier.

Le produit aventure, grande nature, voyage en milieu naturel axé sur la pratique de nombreuses activités douces et à hauts risques. Je vous invite à visiter, si vous avez le temps, notre magnifique Parc d'Aiguebelle près d'ici, entre Rouyn-Noranda et Taschereau, qui est un centre de culture et d'interprétation de la nature où il se découvre de grandes richesses.

La clientèle du tourisme d'aventure recherche surtout la qualité de l'environnement naturel, les grands espaces et l'authenticité.

De plus, les produits et activités disponibles dans ces grandes forêts boréales sont le canot, le rafting, le ski de randonnée, 4X4, traîneau à chiens, vélo de montagne, motoneige, expéditions chez les autochtones, équitation, kayak de mer, observation de la nature, escalade et le reste.

Peut-on concevoir maintenant une indifférence au massacre de nos forêts et en même temps le développement du goût de l'aventure? Je passe rapidement le produit circuits et le produit événements, parce que vous avez reçu le texte et les définitions démontrent d'une façon très claire que ces deux produits ont besoin également de notre forêt et de l'intégralité de notre forêt.

La nouvelle industrie touristique est en pleine expansion en Abibiti-Témiscamingue. Nous voulons, à juste droit, devenir une destination intéressante et capable de charmer par nos grands espaces, d'abord les Abitibiens et les Témiscamiens mais aussi les visiteurs à la recherche de nouveaux défis. Votre comité devra tenir compte que cette richesse fait partie de notre patrimoine collectif et appartient à chacun d'entre nous.

J'ouvre ici une parenthèse pour vous rappeler que dernièrement, on vient d'attribuer un CAF, c'est-à-dire un permis d'exploitation forestière à une industrie au nord du 52e parallèle. Je déposerai une lettre de monseigneur Gérard Drainville, qui est évêque d'Amos, du diocèse d'Amos, qui répondait au président de l'Union québécoise pour la conservation de la nature.

Monseigneur Drainville constate différentes choses. D'abord, il nous dit:

Nous sommes devant une catastrophe appréhendée à l'égard de ces forêts. En effet, des questions importantes doivent être posées sur le taux de croissance des épinettes au nord du 50e parallèle.

Je viens de vous signaler qu'on vient d'attribuer un CAF au 52e parallèle, où le taux de renouvellement de la forêt, pour avoir du bois d'environ quatre à cinq pouces, sept pouces de diamètre, peut prendre environ 150 à 200 ans. Donc, la destruction de cette forêt nous inquiète beaucoup, son taux de renouvellement étant très précaire.

Monseigneur Drainville ajoute:

Qu'est-ce qui nous intéresse tant dans cette forêt? Ce qui nous intéresse, c'est en fait de tirer profit d'une production ancienne gratuite puisque nous n'y avons rien investi. Elle était là et nous nous en approprions.

Je conclus en disant que l'appât du gain rapide de nos exploitants forestiers et de nos gouvernements ont, dans le passé, laissé de grands espaces désertiques, sans se soucier de l'environnement et des valeurs de protection de notre héritage. Il faut se sensibiliser à l'occupation de notre forêt. Il faut s'habituer à partager notre vision avec les communautés autochtones et il faut agir dans une perspective d'éducation d'un territoire à découvrir, à faire connaître et à aimer.

Je vous souhaite un bon séjour en Abitibi-Témiscamingue, et vous invite à visiter nos attraits et notre forêt tandis qu'elle est encore là.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie, monsieur Carrier. Les membres du comité voudraient vous poser des questions.

[Français]

Le sénateur Spivak: Monsieur Carrier, hier et ce matin, nous avons reçu deux perspectives différentes concernant la forêt. Nous avons visité hier le lac Mistassini, et les autochtones qui habitent là-bas nous ont raconté que les compagnies, les grandes compagnies, ne se soucient pas du tout de leur territoire et nous ont dit comment celles-ci ont presque détruit leurs places de chasse, «trap lines».

Ce matin, la compagnie Norbord nous a indiqué qu'elle est en train de modifier ses pratiques forestières. Selon vous, y a-t-il suffisamment de changements pour respecter vos intérêts? Pensez-vous que nous ayons assez de territoires protégés pour satisfaire pleinement les besoins en tourisme de tous les citoyens et citoyennes du Québec?

M. Carrier: D'abord, je dois répondre en vous disant que les communautés autochtones de Mistassini ont entièrement raison d'être inquiètes et de dire qu'on a massacré les forêts là-bas comme ici.

Je soulignais au début qu'effectivement, les grandes compagnies sont de plus en plus sensibles au fait qu'elles doivent préserver un certain territoire. Aujourd'hui, je peux vous dire que le déboisement se fait peut-être d'une façon plus civilisée.

Deux choses cependant m'amènent à vous souligner certaines inquiétudes. D'abord, l'intérêt de ces grandes compagnies est de faire le plus d'argent possible, le plus rapidement possible et de laisser en héritage de grands déserts et des forêts de moins en moins reboisées. Même si, aujourd'hui, on reboise, il reste que la nature, la flore et la faune ont été en grande partie détruites. Pour ce qui est des animaux sauvages, ceux-ci ont été repoussés beaucoup plus loin, s'ils n'ont pas été détruits complètement, et cela prend énormément de temps avant qu'ils reviennent dans ces nouvelles forêts où il y a eu du reboisement.

En réponse à votre deuxième question, je suis d'avis que la protection est nettement insuffisante. Autour des plans d'eau, par exemple, je crois qu'on devrait augmenter cette zone de protection pour permettre d'avoir également un certain abri pour les animaux et avoir aussi cette possibilité pour l'industrie touristique, pour nos visiteurs, d'entrer dans une forêt qui ressemble à une forêt, et non dans un désert avec une bande ou une lisière de bois et de dire: «Voici notre forêt»; et d'ajouter: «Tout le reste était comme cela avant». Nous croyons important d'avoir une bande de protection pour les lacs et les rivières.

Pour ce qui est des lacs, j'ai très peu de connaissances techniques, mais je crois qu'on parle de 200 pieds environ, soit une soixantaine de mètres.

Le sénateur Spivak: Ce n'est pas beaucoup.

M. Carrier: Ce n'est vraiment pas beaucoup. Je suggère donc de garder des bandes beaucoup plus grandes allant jusqu'au kilomètre de chaque côté d'un ruisseau ou d'une rivière afin de permettre la construction des abris pour les animaux, pour qu'ils aient un lieu de reproduction plus naturel que le désert, et aussi permettre à la flore de s'épanouir et de se reproduire dans un milieu dit naturel.

En tourisme, il est important de présenter un monde naturel et authentique à nos visiteurs. On ne doit pas leur présenter une forêt déboisée et en reconstruction. On veut leur montrer quelque chose d'authentique.

On doit donc éviter la coupe de bois dans des réserves. Je parlais tout à l'heure de la réserve d'Aiguebelle, mais je peux également mentionner le parc La Vérendrye et différents autres espaces au nord du 50e parallèle ou du 52e parallèle. On devrait préserver complètement ces espaces et les redonner aux citoyens, parce qu'ils leur appartiennent, ainsi qu'aux communautés autochtones qui vivent encore dans ces bois et ces réserves, et qui vivent encore d'une tradition qu'on ne peut pas détruire du revers de la main par des coupes qui, sans être sauvages, ne sont pas contrôlées.

Les autochtones ont raison d'être inquiets. J'admets que l'industrie fait actuellement des efforts, mais il faut être très prudent. On a vécu le problème avec les parcs à résidus miniers en Abitibi, lorsque ces derniers sont venus détruire un environnement tout autour de nos villes. Il ne faudrait pas que la même chose se produise avec les forêts.

Oui, il faut préserver davantage le boisé autour des lacs et des rivières.

Le sénateur Spivak: Que pensez-vous des politiques du gouvernement du Québec et du gouvernement fédéral concernant les forêts en danger que nous devons protéger et préserver pour les pratiques et usages touristiques?

M. Carrier: Tant et aussi longtemps que les citoyens vont laisser dans les mains des politiciens la gérance des terres publiques et des forêts publiques, il y aura toujours le danger d'une influence de la grande industrie. C'est une influence, je n'oserais pas dire malsaine, mais disons très forte, un lobbyisme de ces grandes compagnies qui viennent, année après année, arracher du territoire que les gouvernements ont, de bonne foi, voulu protéger pour permettre aux communautés autochtones d'y vivre et de donner l'opportunité à nos quelque 90 pourvoiries en Abitibi de s'épanouir autour de ces plans d'eau et de cette forêt.

Je pense qu'il faudra qu'il y ait de plus en plus de groupes de citoyens et citoyennes -- de même que le présent comité sénatorial, qui a aussi un rôle à jouer -- qui devront allumer cette lumière auprès des politiciens en disant: «Oui, vous allez subir beaucoup de pressions de la part de la grande industrie; oui, la mondialisation nous amène à une exportation de nos produits forestiers aux États-Unis.»

Dès qu'il y a un ouragan aux États-Unis, c'est l'enfer pour l'exploitation de nos forêts. Le prix du bois monte; l'appât du gain fait en sorte qu'on n'a plus de contrôle et le lobbying est très fort auprès des gouvernements.

Il devra y avoir des groupes comme le vôtre, ainsi que des groupes environnementalistes, et des gestes comme celui de monseigneur Drainville, que j'ai cité tout à l'heure, qui devront agir comme des chiens de garde, en disant aux différents paliers de gouvernement: «Cette forêt-là ne vous appartient pas en exclusivité; elle appartient aux citoyens et aussi aux premiers habitants qui étaient ici, alors faites attention.»

Ces politiques ont toujours été soutenues: «Oui, coupez le bois, mais reboisez.» Mais lorsqu'on dit aux gens: «Coupez le bois», le mal est fait. La flore et la faune disparaissent et doivent se réfugier ailleurs et revenir après des années.

Faisant moi-même de la chasse, je sais très bien que d'année en année, nous sommes à statut précaire dans nos propres forêts, c'est-à-dire qu'on ne sait jamais quand on retrouvera dans un grand désert et qu'on devra chasser dans une route gravelée et presque pavée. C'est inquiétant.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich: Aujourd'hui, à Toronto, les tribunaux ont rendu une décision dans une affaire opposant un groupe écologique au gouvernement de l'Ontario concernant l'utilisation des terres dans la région de Temagami. Dans cette affaire qui concernait le droit d'une entreprise forestière d'abattre les énormes pins dont sont constituées les forêts de cette région, c'est le groupe écologique qui a eu gain de cause. Il s'agit donc d'une décision très positive dont nous entendrons certainement parler dans les journaux demain matin.

Nous entendons souvent dire que c'est une excellente année pour la chasse à l'orignal. Qu'en pensez-vous, monsieur Carrier? Y a-t-il effectivement une abondance d'orignaux cette année?

[Français]

M. Carrier: Certainement, mais je ne suis pas de ceux qui ont été chanceux. Il est certain que je peux vous donner comme exemple l'ancien endroit où j'allais à la chasse. Il y a quatre ans, il en est sorti 32 orignaux. C'était très facile de les chasser parce que les orignaux se trouvaient sur des grands chemins gravelés de l'industrie forestière, parce qu'ils n'avaient plus d'abris.

Lors de la première semaine de chasse, dans les environs du village de Preissac, il s'est tué cette année-là 32 orignaux qui n'avaient plus d'abris, plus de place où se cacher ou se réfugier. Ils étaient donc à découvert et les chasseurs sont arrivés en autos et en camionnettes et ont pu tuer leur gibier le long des routes.

Ce phénomène de massacre, et le mot n'est pas assez fort, se produit malheureusement. Cette année -- je n'ai pas les statistiques -- je sais que dans mon coin, où il y a eu un déboisement par de grandes compagnies forestières, et où le reboisement est commencé depuis quatre ou cinq ans dans certains cas, il n'y a plus d'orignaux.

On y va pour se reposer. Il n'y a plus rien. Nous sommes sept groupes de chasseurs et sur ces sept groupes, personne n'avait tué, du moins, la fin de semaine dernière, parce qu'il n'y a plus d'orignaux. La première année après la coupe, il s'y tuait beaucoup d'orignaux, parce qu'ils étaient à découvert; ils n'avaient pas d'abris pour se cacher, se camoufler ou jouer avec les gens.

Je suis très heureux de la décision d'un tribunal de Toronto qui donne raison aux écologistes, même si je trouve parfois qu'ils exagèrent. Je pense qu'il faut garder un certain équilibre entre les différents groupes extrémistes. Nous croyons que la position de l'industrie touristique est mitoyenne: nous reconnaissons que l'industrie forestière doit vivre et qu'elle le fait beaucoup mieux qu'auparavant, mais il y a encore beaucoup d'efforts à faire pour nous permettre d'exploiter cette richesse qu'est pour nous la forêt. Je n'ai pas tué d'orignal cette année.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich: Pour ce qui est du Sénat, nous prenons nos propres décisions. J'espère que vous avez confiance en nous et en l'intégrité de cette étude.

Le président: Merci, sénateur. Avant de donner la parole au sénateur Gill, je voudrais poser une petite question. Les routes construites par les entreprises d'exploitation forestière sont utilisées pour le tourisme et pour les activités familiales, comme la motoneige, les excursions d'aventure, le ski de fond et les randonnées en traîneau à chiens. S'il n'y avait pas d'exploitation forestière dans cette région, vous n'auriez pas toutes ces routes qui vous permettent de circuler. Comment conciliez-vous l'utilisation des pistes d'exploitation des entreprises forestières pour toutes ces activités différentes avec votre désir de réduire l'exploitation des forêts? Si les sociétés forestières n'y étaient pas présentes, il n'y aurait pas de chemins.

[Français]

M. Carrier: D'abord, en ce qui a trait aux groupes, j'assistais la fin de semaine dernière, à Rouyn-Noranda, à l'assemblée générale régionale des Clubs de motoneiges. Je peux vous dire que les motoneigistes utilisent, dans certains cas, les chemins des grandes entreprises forestières, mais qu'ils font fréquemment leur propre tracé, leur propre trajet, parce que ces grandes routes qui ont été faites par l'industrie forestière nous amènent uniquement à voir de grands déserts. Il y a très peu de forêt. C'est donc dire que circuler le long de ces routes, d'un point à l'autre, ne permet pas l'activité de la motoneige telle qu'on la voit aujourd'hui.

C'est pour cela que de plus en plus, les clubs de motoneiges privilégient leur propre tracé et leur propre déboisement de route, ce qui leur permet de faire de la motoneige d'une façon sécuritaire, mais aussi dans un décor environnemental qui convient à cette nouvelle façon de faire de la motoneige, qui n'est plus uniquement une balade en forêt, mais également une activité familiale.

D'ailleurs, ces routes sont assez souvent détruites une fois que l'entreprise est partie. On a éliminé les ponts, on a enlevé les tuyaux qui servaient de traverse pour l'eau, alors l'utilité est moindre pour la pratique des sports d'été avec les 4X4 et les VTT -- les véhicules tout terrain -- ou l'hiver avec la motoneige.

Les gens vont préférer utiliser leurs propres sentiers. Prenons les sentiers de ski de fond, par exemple, qui sont très populaires ici, en Abitibi-Témiscamingue. Je vais avancer un chiffre, quitte à me corriger si on me disait le contraire, mais je pense que plus de 95 p. 100 des sentiers de ski de fond qui ne sont pas des sentiers qui ont été auparavant des routes d'entreprises forestières. Ce sont vraiment des sentiers qui ont été bâtis, défrichés par les clubs de ski de fond.

On a un peu la même chose en motoneige. Il est vrai que nous entendons ce discours: «Si on ne vous avait pas fait de belles routes en forêt, comment pourriez-vous aller à votre camp de chasse?» Mais nous n'avions pas de grandes routes avant et nous allions à notre camp de chasse quand même. Nous y allions par la voie qu'utilisaient les autochtones, soit par l'eau. C'était la même chose.

Je crois que ce sont de faux arguments que de prétendre que cet accès facile à la grande forêt, par de grandes routes gravelées qui ont servi à sortir le bois, a un intérêt pour ceux et celles qui utilisent maintenant la forêt. On entend très peu d'autochtones qui utilisent cette forêt se réjouir de ces routes gravelées, de ces chemins. Pour eux, ces routes viennent aussi détruire un environnement très important.

Je puis vous affirmer que pour nous, il y a très peu d'intérêt, sauf pour la chasse à la perdrix, le dimanche après-midi, où on se promène en auto dans ces chemins. Ce n'est pas ce que nous appelons des activités en forêt.

Le sénateur Gill: Monsieur Carrier, je voudrais vous remercier et vous féliciter pour votre mémoire. Les préoccupations que vous avez indiquées sont sans doute partagées par beaucoup de gens qui font du tourisme.

J'aurais deux ou trois petites questions à vous poser. D'abord, parlons de l'économie. Avez-vous des chiffres ou des informations sur les retombées économiques relatives au tourisme, ici, en Abitibi?

Parce que c'est toujours un argument assez fort, en fait, parmi les différents utilisateurs des ressources naturelles. Ce sont aussi des arguments qui sont assez convaincants pour les politiciens ou les gens d'affaires. Avez-vous des chiffres approximatifs démontrant l'impact économique de la venue de touristes en Abitibi?

M. Carrier: Sénateur Gill, notre région est jeune au niveau touristique -- nous avons à peine 80 ans d'existence en Abitibi-Témiscamingue -- mais je puis vous dire que globalement, au Québec, l'industrie touristique représente 5 milliards de dollars de retombées économiques dans tout le Québec.

En Abitibi, on peut affirmer que nous avons tout près de 30 à 40 millions de dollars de retombées économiques sur une période d'une année. Je vais vous citer quelques chifrres, si vous me le permettez. Nous avons 90 pourvoiries, en Abitibi-Témiscamingue, et celles-ci, dans la plupart des cas, sont remplies à pleine capacité pour environ une demi-année, c'est-à-dire l'équivalent de six mois par année.

Nous avons également des attraits touristiques. Juste cette année, nous avons assisté à une augmentation de 13 p. 100 du tourisme en Abitibi-Témiscamingue. Nous sommes convaincus que la grande majorité de ces touristes viennent ici parce que nous avons de belles choses à leur montrer. Ils viennent voir la nature et nos grands espaces, et peuvent ainsi partager, avec nous et les communautés autochtones, nos lacs et nos rivières remplis de poissons.

L'industrie touristique est en pleine expansion chez nous, et nous croyons, dans les années à venir, que nous pourrons nous approprier une part de marché beaucoup plus grande. Nous avons lancé, cette année, une grande campagne de promotion dans le Grand Montréal métropolitain et nous avons conclu une entente avec les pourvoiries pour exporter, en collaboration avec le gouvernement canadien, Développement Économique Canada, notre promotion touristique pour les pourvoiries aux États-Unis dans quatre grands salons. Nous croyons que nous serons en mesure, d'ici 3 ans, de doubler le chiffre de retombées économiques pour notre région.

L'industrie touristique deviendra donc une industrie très importante dans l'avenir et non seulement une industrie complémentaire, comme elle l'est actuellement. Cette année, l'achalandage a augmenté de 13 p. 100 dans nos kiosques touristiques; les touristes sont de plus en plus nombreux à visiter nos attraits touristiques, comme la Cité de l'or à Val d'Or ou le Refuge Pageau à Amos. Les petits inconvénients que nous avons rencontrés au lac Témiscamingue, pour le Fort Témiscamingue, nous ont empêchés de développer plus à fond ce secteur, mais nous croyons, en Abitibi, en l'avenir du tourisme. Le touriste européen aussi, qui recherche cette grande aventure et cette grande nature que nous lui offrons, sera de plus en plus présent chez nous.

Globalement, où se situe l'industrie touristique? Il y a encore l'industrie minière, qui vient en premier lieu, il faut bien s'en rendre compte. Cependant, je crois que l'industrie touristique est bonne troisième et que très bientôt, elle devrait supplanter au moins l'industrie forestière qui est, selon moi, de plus en plus en déclin. Je suis désolé de ne pas avoir de chiffres plus précis, mais ce sont les chiffres dont je me souviens.

Le sénateur Gill: On n'a peut-être pas toujours les chiffres, ou on ne peut pas toujours les vérifier. Je sais que le ministère du Tourisme du Québec a des chiffres pour l'ensemble du Québec, mais pas toujours pour chaque région.

Ici, en Abitibi, avez-vous une organisation qui vous permet de discuter avec les autres utilisateurs des ces mêmes ressources naturelles? Disposez-vous d'un comité parapluie vous permettant de coordonner vos activités, ou au moins de discuter entre vous, pour pouvoir faire une utilisation maximale de ces richesses? Avez-vous une instance quelconque ici, en Abitibi, pour vous coordonner? Vous parliez tantôt des autochtones, de l'industrie forestière et des propriétaires de pourvoiries.

Je comprends que vous êtes responsable de l'ATA, mais est-ce que tout le monde peut se réunir au sein d'une organisation quelconque?

M. Carrier: À ma connaissance, non, il n'y a pas de comité nous permettant d'échanger avec la grande industrie. Le seul interlocuteur direct que nous ayons, c'est le gouvernement provincial, parce que nous relevons de Tourisme Québec, et c'est par l'intermédiaire de Tourisme Québec que nous avons accès au ministère des Ressources naturelles et à d'autres.

Cependant, même s'il n'existe pas de comité parapluie, je sais que les conseils de bande des communautés autochtones ont des relations avec le ministère des Ressources naturelles et avec la grande industrie, mais par groupes ciblés.

Je sais également que le cégep, l'Université du Québec et les différentes commissions scolaires, dont la commission scolaire Harricana, ont des comités de partenariat avec l'industrie forestière. D'une part, ces institutions, les communautés autochtones, l'université, le cégep et la commission scolaire sont des protecteurs, entre parenthèses, plus éveillés que le commun des mortels à la préservation de la forêt, mais ils ont eux aussi intérêt à développer l'industrie forestière.

Il n'existe donc pas, à ma connaissance, de comité ayant établi un tel partenariat entre l'industrie touristique, l'industrie forestière et l'industrie des pourvoiries ou des motoneigistes. C'est peut-être une chose qu'il faudrait mettre en place pour qu'il y ait un dialogue.

Le sénateur Gill: Faute de comité parapluie, avez-vous quand même à l'occasion des séminaires? Si j'insiste là-dessus, c'est parce que je crois énormément aux forces du milieu. Il est donc peut-être bon de parler à des sénateurs ou à des politiciens, et caetera, car dans un milieu où les gens peuvent se parler, on peut aussi régler beaucoup de choses.

C'est pour cela que je vous pose cette question, et j'insiste. Peut-être avez-vous, par le réseau de l'université, des séminaires qui vous permettent d'échanger des informations entre les différents utilisateurs?

M. Carrier: Il y a des échanges possibles, et qui existent actuellement, à mon avis, à trois paliers. D'abord, au Conseil régional de développement en Abitibi-Témiscamingue, un organisme gouvernemental qui a à coeur le développement général de notre région, il y a une table «Forêt». À cette table, on rencontre tant des environnementalistes que des producteurs forestiers, ainsi que ceux qui viennent des industries de première, deuxième et troisième transformation de la forêt.

Le CÉRDAT, le Conseil économique régional de développement de l'Abitibi-Témiscamingue, est un organisme qui a la préoccupation d'assurer un certain équilibre entre les différents utilisateurs de la forêt et là, nous avons une place, un siège pour pouvoir en discuter.

L'industrie forestière -- je vous disais auparavant qu'elle fait de grands efforts <#0107> organise, chaque année, un congrès de l'industrie forestière où différents groupes comme le nôtre sont appelés à intervenir et à la sensibiliser à nos inquiétudes; ça se limite à cela. Aucune forme de négociation ne peut être entreprise.

Heureusement, en Abitibi, nous avons des groupes environnementalistes qui sont très au fait de ces situations et qui interviennent de façon régulière auprès des différents paliers de gouvernement et de l'industrie.

Cependant, il n'existe pas de table où on discuter avec les principaux intéressés soit les autochtones, les touristes, les industries forestières et les gouvernements. Il n'existe pas de table régionale, sauf le CÉRDAT, le Conseil économique régional, qui est cette table de consensus, il n'y a pas nécessairement de négociations qui se poursuivent pour déterminer de quelle façon nous allons utiliser la forêt dans l'avenir.

Le sénateur Gill: Une dernière question, si vous me le permettez. Vous parliez tout à l'heure de chasse et de pêche sportives dans les lacs, les rivières et les forêts de l'Abitibi.

Je ne sais pas si, dans ce coin-ci, le nombre de touristes et de pêcheurs sportifs diminue, mais une autre catégorie de touristes s'ajoute: le touriste d'aventure qui, en fait, ne prélève pas nécessairement la ressource. Il veut prendre des photos et habiter dans des endroits très privilégiés dans la forêt, sur le bord des lacs, par exemple. Il n'y a donc pas de prélèvement de la ressource. Cela veut dire que ces touristes n'affectent en rien la ressource et que ce sont des gens qui, règle générale, apportent un peu d'argent.

M. Carrier: Beaucoup.

Le sénateur Gill: Avez-vous trouvé des formules de coexistence entre ces deux groupes de touristes? Vous avez, d'une part, les chasseurs et les pêcheurs sportifs et, d'autre part, vous avez les écologistes qui, eux, ne veulent rien savoir de la chasse et de la pêche.

Pensez-vous que ces gens vont pouvoir cohabiter ou s'il faudra faire quelque chose? Parce que j'imagine que vous n'avez pas entraîné d'arbitres pour séparer ces chicanes. L'un préconise la protection de l'environnement à tout prix, et l'autre veut chasser et pêcher. J'imagine que cela peut devenir un problème.

Comment voyez-vous cela? Si je vous pose la question, c'est que je n'ai pas la solution non plus.

M. Carrier: Je peux vous dire qu'actuellement, deux groupes nous sensibilisent collectivement à cette réalité. Il y a d'abord tous les groupes autochtones, les conseils de bande des neuf réserves qui ont actuellement des conseils de développement économique avec un volet touristique.

Heureusement, ce n'est pas que pour vendre de l'artisanat. C'est aussi pour vendre la nature, pour organiser des randonnées en forêt, avec des touristes européens surtout. Je pense à M. Kistabish, de la réserve Pikogan, qui est très connu en Europe et qui va y chercher des groupes pour leur faire faire des séjours de photographie, de randonnées pédestres, d'observation de la flore et de la faune. Ces touristes viennent utiliser la forêt, et non en consommer des parties.

Il y a donc ce premier groupe autochtone, qui est tout nouveau, qui nous sensibilise aussi en disant que nous pouvons aller en forêt non seulement pour pêcher et chasser, mais aussi pour voir cette beauté de la nature et cette richesse.

Il y a d'autres groupes aussi, de plus en plus nombreux, par exemple ce groupe de Lasarre, en Abitibi, où l'on organise actuellement le «raid des conquérants». C'est une compétition cycliste en forêt, avec des vélos de montagne. Cette activité est, selon moi, vouée à un grand avenir, parce les gens s'intéressent de plus en plus à cette utilisation de la forêt sans en prélever les ressources. Ils l'utilisent, ils exercent leurs activités, et c'est un peu comme les motoneigistes qui utilisent la forêt, mais ne prélèvent pas des biens.

De quelle façon tout cela va-t-il s'imbriquer avec l'industrie forestière? Il est beaucoup trop tôt pour vous dire qui viendra arbitrer, le jour où l'on devra faire des choix. Je ne voudrais surtout pas que ce soit seulement les différents paliers de gouvernement qui viennent arbitrer, parce qu'ils risquent peut-être d'avoir un penchant pour la grande industrie qui, elle, apporte des redevances directes dans les coffres de l'État.

Je pense qu'il devra y avoir une contrepartie des groupes environnementalistes et de ceux qui ont le désir de redonner cette ressource naturelle aux citoyens, qui pourront venir dire: «Trop, c'est trop, alors on arrête.»

Il n'y a pas de tribune régionale qui va nous permettre d'arbitrer. Je crois que nous en sommes à nous sensibiliser collectivement à cette nouvelle réalité, et cela grâce à ces groupes privés qui utilisent la forêt et à nos neuf communautés autochtones, qui sont comme des chiens de garde et nous disent: «Vous n'utiliserez pas la forêt n'importe comment.» Cela, pour nous, est important.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: Je dois tout d'abord m'excuser de ne pas parler français. Je me suis exprimé en français pour la dernière fois il y a 45 ans, à ma sortie de l'école secondaire.

Dans tout le Canada, que ce soit en Colombie-Britannique, en Ontario ou dans différentes régions de la province du Manitoba, dont je suis originaire, on désigne actuellement des réserves naturelles où l'exploitation forestière est interdite. Nous avons un nombre fini de terrains boisés. On pourrait presque dire que les zones que nous avons exploitées vont devenir des plantations en quelque sorte. Autrement dit, une fois que nous aurons récolté le bois, des arbres de semis seront plantés ou alors la nature suivra son cours. Entre 50 et 85 ans plus tard, ce cycle, qui semble tout à fait logique, se répétera.

Si j'ai bien compris, vous voulez protéger certaines zones et y interdire l'exploitation forestière. Est-ce que ce serait à vous et à des groupes comme le vôtre de négocier cette protection en permanence pour garantir l'intégrité de ces zones? On ne peut pas tout avoir. Par contre, il n'est pas non plus normal que l'industrie ou les sociétés forestières aient tous les avantages de leur côté si elles peuvent abattre les arbres comme bon leur semble. Ces négociations ne sont-elles pas déjà en cours, non seulement ici, mais ailleurs au Canada? N'êtes-vous pas d'accord pour dire que ce serait la suite logique des efforts déployés jusqu'à présent et la solution avisée si nous voulons vraiment conserver ces réserves naturelles?

[Français]

M. Carrier: Monsieur le sénateur, vous n'avez pas à vous excuser de ne pas parler français, je ne parle pas du tout anglais moi non plus; la dernière fois que j'ai parlé anglais, c'est à la sortie de l'école moi aussi.

Cette notion de zone protégée, de zone désignée, où l'on interdirait complètement la coupe de bois, et d'autres zones où l'on irait sous forme de jardin, comme vous le disiez plus tôt, on fait la coupe, on reboise et 60 ans après, on revient, on recoupe, on refertilise et on reboise...

Cette façon de faire est peut-être la plus pratique pour l'industrie forestière, mais ce n'est pas nécessairement la meilleure pour nous. Si jamais on devait en arriver là, je crois qu'il faudrait préserver un minimum dans les endroits où on veut faire la coupe, c'est-à-dire que selon moi, autour des lacs et des rivières et des plans d'eau, certaines zones devraient demeurer intouchables. Même si ces plans d'eau se trouvent dans des zones où on s'est entendu pour qu'il y ait de la coupe, nous devrons conserver des zones de protection beaucoup plus grandes que celles que nous avons présentement.

Faut-il en arriver à cette négociation de coupe de bois sous forme de jardin, où on coupe et on reboise? Je dis que oui, car on ne peut pas tout avoir, il est certain qu'on ne peut pas avoir éternellement une forêt vierge sur tout le territoire de l'Abitibi. Nous devons avoir de ces coupes de bois, et je crois que cela sera possible uniquement si cela se fait en collaboration avec l'ensemble des groupes qui ont un intérêt dans la forêt. Sans prétention, je crois que nous avons un intérêt majeur dans le développement de l'industrie touristique et que nous devrions être présents à la table.

Je maintiens encore que ce dialogue se fera dans les années à venir. Il est commencé. On a connu différentes façons de faire la coupe du bois. On a fait la coupe par bandes, par lisières. On coupait le bois sur un espace de 200 pieds, par exemple, et on laissait une bande boisée de 200 à 300 pieds. On s'est aperçu que ce n'était peut-être pas la bonne manière de le faire, parce que la bande qui restait boisée, parce qu'elle était vulnérable, se détruisait beaucoup plus facilement par les éléments naturels.

On s'est ensuite aperçu qu'une coupe à blanc, suivie d'un reboisement, était peut-être une façon plus moderne et plus économique d'exploiter la forêt. Nous en sommes là.

Je crois que nous devrons d'abord nous entendre non sur la façon de couper le bois, mais sur l'ensemble des espaces qu'il faut préserver, soit des parcs et des réserves complets, où l'on pourra dire: «Ici, c'est notre réserve, notre patrimoine, notre héritage, et aucune industrie ne devrait y avoir accès pour la coupe du bois, même d'une façon sélective.» Cela n'a aucune importance. Les humains devraient utiliser cette forêt uniquement pour des fins touristiques, de villégiature, des fins d'exploitation de la forêt, des photographies, des randonnées.

Pour le reste, oui, on devrait s'entendre pour qu'il y ait des endroits où la forêt pourrait être exploitée sous forme de jardin. J'emploie le mot «jardin» parce que c'est la façon dont cela peut se faire -- je l'ai appris dernièrement -- selon laquelle, tous les 60 ans, on fait une récolte, puis on replante, on reboise et ainsi de suite.

Encore là, nous ne devrons pas faire de compromis sur l'espace vital à préserver autour des plans d'eau essentiels. Il n'y a pas de compromis à faire là-dessus. Il doit y avoir une zone de protection pour permettre aux animaux, aux touristes, aux gens d'avoir accès à quelque chose de raisonnable. Pour moi, ce sont des choses non négociables.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: À votre connaissance, des négociations sont-elles actuellement en cours avec les représentants de la province du Québec ou la province a-t-elle déjà pris position sur la question? Les emplois du secteur de l'exploitation forestière sont assez bien rémunérés. Le nombre de personnes qui travaillent activement dans ce secteur est à la baisse, mais les salaires sont toujours intéressants. Il n'est guère difficile de comprendre pourquoi une administration, y compris l'administration provinciale, voudrait préserver ces emplois. Ce genre d'emplois est tout indiqué pour des zones éloignées comme celles où se pratique l'exploitation forestière.

À votre connaissance, la province envisage-t-elle d'ores et déjà de désigner certaines zones des réserves naturelles où l'exploitation forestière sera interdite? Où est-ce plutôt la guerre entre les parties, de telle sorte qu'on peut à présent négocier des droits de coupe?

[Français]

M. Carrier: Il y a quelque temps, j'aurais répondu que oui, il est possible d'avoir facilement ces zones désignées. J'ai toujours cru que le parc La Vérendrye était une réserve de bois intouchable. Aujourd'hui, on est en train de couper à peu près tout le bois qu'il y a là.

On vient d'accorder un CAF, comme je le disais plus tôt, au 52e parallèle, qui est un bois qui prend environ 150 à 200 ans à se régénérer, se reproduire, se refaire. Jamais, il y a 5 à 10 ans, on n'aurait cru qu'il était possible d'exploiter cette forêt très nordique au 52e parallèle.

Est-ce possible? Vous soulevez le meilleur point. C'est cette façon de voir les choses et de dire que dans l'industrie forestière, il y a des emplois très rémunérateurs et que c'est politiquement rentable.

Quand on arrive dans une ville en disant, à la veille d'une élection: «Nous autorisons telle compagnie à établir une scierie», je peux vous dire que personne dans le village ne sera contre cela. Même les plus fervents environnementalistes vont prendre leur trou, ils ne diront pas un mot, parce que ce sont des «jobs» et que c'est payant.

Mais le rôle des gouvernements n'est pas de créer uniquement des «jobs» spontanées, c'est de se poser la question suivante: «Dans 15, 20 ou 30 ans, qu'est-ce qui va rester des décisions que nous prenons maintenant?» Le danger qui nous guette, c'est justement que dans 15, 20 ou 30 ans, il n'y ait plus de bois, sauf dans certains jardins où le bois sera rendu à maturité, et ces emplois n'existeront plus.

C'est tout ce discours de la mondialisation de l'économie qui nous amène à croire que nous devons produire vite pour profiter le plus rapidement possible de cette économie. Cela, d'après moi, est dangereux.

Je souhaite ardemment que, très bientôt, nous soyons interpellés collectivement en Abitibi-Témiscamingue, avec les différents paliers de gouvernement, le Conseil de développement économique de l'Abitibi-Témiscamingue, les communautés autochtones et l'entreprise forestière, pour désigner ensemble ces zones intouchables de préservation de la forêt et ces zones de protection autour des cours d'eau.

Cependant, actuellement, on ne sent pas, surtout à la veille de la prochaine élection, cette volonté que cela se fasse rapidement.

[Traduction]

Le président: Avant de commencer le deuxième tour, je voudrais poser une autre petite question. Comme vous le savez, en plus de créer des emplois, le secteur forestier verse des droits de coupe au gouvernement. Il paie aussi le droit d'abattre les arbres et de les sortir de la forêt. Si vous voulez augmenter le tourisme et diminuer l'exploitation forestière, pensez-vous que les personnes qui utilisent la forêt -- c'est-à-dire les touristes et les personnes qui font du vélo de montagne ou de la motoneige -- devraient verser des droits d'utilisation? Autrement dit, le gouvernement et les contribuables devraient-ils toucher certaines sommes moyennant l'utilisation de la forêt par divers groupes à diverses fins, au lieu de recevoir les droits de coupe que leur versent les sociétés forestières?

[Français]

M. Carrier: De tels droits existent dans le parc La Vérendrye. On doit payer des droits additionnels quand on fait un séjour de pêche, de camping ou d'utilisation. Dans le parc La Vérendrye, ces droits existent. Sont-ils suffisants? Je fais confiance à nos gouvernements pour ajuster les prix très rapidement.

Ce que je veux vous dire, c'est que cela existe. Et, oui, je crois que les pourvoiries paient déjà des taxes et que ces gens paient la TPS et la TVQ. Je pense que nous ne sommes pas réfractaires à l'idée qu'il y ait des droits de séjour additionnels à payer pour l'industrie touristique. Nous voulons qu'il y ait des endroits où on pourra le faire. C'est tout ce que nous demandons actuellement.

Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais vous remettre cinq copies de la lettre de monseigneur Drainville, qui est une réponse à l'Union québécoise pour la conservation de la nature, dans laquelle vous retrouverez certains éléments qui viennent appuyer ce que j'ai pu vous exprimer ce soir au nom de l'industrie touristique.

Je tiens à vous remercier de votre attention. Nous avons beaucoup confiance en votre comité et au Sénat canadien. Je crois personnellement que vous êtes une institution qui existe dans le but de défendre les droits des minorités et pour entendre les groupes qui ne tiennent pas le même discours que la grande industrie. C'est important pour nous de pouvoir nous exprimer, et je vous en remercie.

[Traduction]

Le président: Nous n'avons pas tout à fait fini encore. Je crois que le sénateur Spivak voudrait vous poser une question.

[Français]

Le sénateur Spivak: J'aurais juste un commentaire à faire. Je crois que le problème, au Canada, c'est que les grandes compagnies veulent tout l'espace, et ce même au Manitoba, à cause de la globalisation et de la compétitivité. Vous vous rappelez qu'en Ontario, on va doubler le coupage annuel.

Je crois que nous devons multiplier les efforts pour conserver un petit espace, même si ce n'est que 10 p. 100 ou 5 p. 100. Même dans les parcs, on y coupe les arbres. Nous devons conserver un petit espace pour tous les citoyens et citoyennes qui sont, je pense, les propriétaires des terres de la Couronne au Canada, et non pas les compagnies. Avez-vous un commentaire à ce sujet?

M. Carrier: Oui. J'ai juste un commentaire tout à fait discordant avec ce que vous venez de dire. Quand vous dites de tous petits espaces, moi, je dis: de grands espaces. Parce que de plus en plus, nous sommes dans une civilisation de loisirs, où de moins en moins de gens vont travailler et de plus en plus de gens vont travailler moins longtemps.

Alors, cela suppose que ces gens vont profiter de journées, de semaines de vacances et de loisirs de plus en plus grands. Et ce n'est pas en les maintenant dans du béton et de l'asphalte qu'on va en faire une civilisation moderne et équilibrée.

Je pense que c'est en retournant à ce que nous avons connu avant, c'est-à-dire à cette civilisation des loisirs. On devra dans l'avenir développer un nouveau concept. Il ne faudra plus dire: faire travailler les gens; mais il faudra garder les gens occupés, pas nécessairement dans le travail, mais occupés dans des loisirs, occupés dans l'espace de temps où ils ne sont pas au travail encadrés par l'industrie.

Mon père travaillait six jours et demi par semaine. Moi, j'ai travaillé cinq jours. Mes enfants travailleront trois ou quatre jours pour être capables de subvenir à leurs besoins. Mais qu'est-ce qu'on fait de ces journées où on ne travaille pas, où on n'est pas encadrés par l'industrie? C'est vraiment du loisir.

On a qu'à penser ici au Québec quand on a ces semaines de relâche en février, quand tous les étudiants sont en vacances pendant une semaine, cela crée de sérieux problèmes. On a tellement de problèmes qu'on est obligés de décaler sur trois semaines ces semaines dites de relâche, alors que les écoles sont fermées.

C'est la même chose pour les adultes. Le jour où on aura la semaine de quatre jours ou la semaine de trois jours et demi ou de 25 heures, cela mettra de la pression sur l'industrie du loisir et de la récréation, dans cette notion où on devra garder notre peuple occupé, pas nécessairement au travail, mais occupé.

Ce sera une responsabilité collective que nous devrons avoir. Ce n'est pas certain que l'industrie forestière viendra nous aider à ce moment-là; d'où je crois qu'il faille garder de grands espaces.

[Traduction]

Le président: Si vous me permettez, monsieur Carrier, je voudrais prendre quelques minutes pour aborder une question qui n'a pas encore été soulevée. D'abord, je tiens à vous féliciter d'avoir parlé des neuf réserves autochtones qui existent dans votre région. De toute évidence, vous travaillez en étroite collaboration avec les peuples autochtones. Bon nombre d'autochtones vivent justement dans la forêt. Ils font de la chasse et du piégeage et utilisent la forêt de diverses façons. Par contre, nous avons constaté que ceux et celles qui n'ont pas beaucoup de rapports avec les autochtones en parlent rarement. Par contre, vous avez fait mention des neuf réserves.

En répondant à la question du sénateur Gill, vous avez dit qu'il ne semble pas y avoir d'organisations qui permettent à votre association touristique et les responsables de l'industrie forestière de collaborer. Existe-t-il une organisation offrant des possibilités de collaboration entre votre association touristique et les organismes autochtones? Collaborez-vous avec eux?

[Français]

M. Carrier: Je vais vous parler, sénateur, de deux endroits que je connais mieux, c'est-à-dire le secteur de la Ville d'Amos et la Réserve Pikogan.

Il y a des gens de la communauté autochtone qui siègent sur la Commission touristique de la MRC de l'Abitibi. Nous avons, en collaboration avec eux, cette année, développé un circuit touristique sur la réserve amérindienne, sur la réserve autochtone. C'est en collaboration avec le chef Harry McDougall et le conseil de bande, où eux-mêmes avaient engagé un agent touristique qui travaillait en collaboration avec nous.

Elle ne recevait pas ses directives de nous, mais elle avait les mêmes préoccupations et il y avait cette interrelation. C'est-à-dire que quelqu'un qui arrêtait au bureau touristique, à la Maison du tourisme à Amos, elle avait toute l'information pour la Réserve Pikogan. Et lorsqu'il y avait des groupes qui devaient aller visiter la réserve, le centre d'artisanat ou la chapelle amérindienne, ces groupeslà étaient acheminés par le tourisme d'Amos.

Nous collaborons également avec eux au niveau du conseil de bande et de la Commission touristique de la Ville d'Amos, qui gère le tourisme de la MRC. Et chaque année nous devons resituer et recentrer les intérêts de chacun face à l'industrie touristique, parce qu'on n'a pas nécessairement les mêmes besoins.

À Pikogan, à tout le moins, ils sont beaucoup axés sur le marché européen; je dis toujours qu'ils ont une ligne directe avec l'Europe. Mais ils ont des relations beaucoup plus directes que nous avec la France, par exemple, où ils font de la promotion dans les grands salons et où ils sont présents. Chaque fois qu'ils vont là, ils amènent notre matériel de la MRC. Donc, oui, il y a cette collaboration entre nous.

On a la même chose à Notre-Dame-du-Nord et la réserve située tout près -- dont j'ignore le nom -- où il y a aussi ces lieux de concertation entre la Société de développement du Témiscamingue et la Corporation de développement de la réserve.

M. Julien Rivard, représentant du Conseil régional de développement de l'Abitibi-Témiscamingue: C'est la réserve Témiscamingue.

M. Carrier: La concertation se fait à ces niveaux. Il y a aussi une réserve tout près de Lasarre. Maintenant, je n'ai pas de données à ce sujet, mais je peux vous dire qu'il y a des échanges. Dans certains cas, il s'agit de rencontres formelles entre les communautés de développement touristique dans les MRC et les communautés autochtones qui ont le développement touristique sur leur territoire.

Les bureaux doivent être ouverts de 9 heures à 17 heures. Ils n'ont pas comme nous l'habitude des ces encadrements. Il y a des ajustements à faire de part et d'autre, mais je pense que cela se fait chez nous d'une façon harmonieuse.

Nous n'avons pas vraiment ces problèmes en Abitibi. Il peut y avoir des frictions à l'occasion, des choses qui accrochent, mais cela est mineur. Cela se règle parce qu'on sait se parler.

[Traduction]

Le président: Je voudrais solliciter votre opinion sur une question un peu délicate que vous préféreriez peut-être ne pas aborder. Les peuples autochtones sont arrivés bien avant la création des provinces. En visitant les diverses régions du pays, nous constatons que le gouvernement fédéral a des responsabilités précises dans ce domaine, mais que ce sont les provinces qui contrôlent les forêts. Dans les traités que nous avons signés avec les peuples autochtones avant la création des provinces, cependant, nous avons déclaré que les autochtones avaient le droit de chasser et de pêcher dans ces forêts.

À votre avis, le gouvernement fédéral s'intéresse-t-il suffisamment à la situation des autochtones et leur a-t-il offert un soutien adéquat pour ce qui est de négocier l'utilisation de la forêt, voire même des partenariats avec les sociétés forestières? Même s'il n'y a pas de caméras de télévision, vous n'êtes pas obligé de répondre à la question.

[Français]

M. Carrier: Vous me connaissez mal, je réponds à tout, même si des fois je me mets les pieds dans les plats.

Les communautés autochtones, lorsqu'elles ont signé ces traités, étaient loin de croire qu'un jour, tout en leur permettant l'utilisation du territoire pour la chasse et la pêche, on détruirait la forêt.

C'est cette très dure réalité que les communautés autochtones rencontrent aujourd'hui. Ils jouissent de la forêt, oui. Ils peuvent aller à la chasse et à la pêche. Ils ont encore des territoires, mais il n'y a plus de bois ni de lieux pour préserver le gibier! Ils chassent et ils piègent dans les grands déserts, comme nous lorsque nous allons à la chasse et à la pêche.

Est-ce que le gouvernement fédéral a une responsabilité? C'est un peu contradictoire. Les gouvernements provincial et fédéral ont chacun leurs responsabilités. Je ne veux pas ici soulever de grandes chicanes entre le fédéral et le provincial, mais les communautés autochtones se sont fait prendre à ce grand jeu.

D'un côté, on reconnaissait noir sur blanc leur droit de chasse et de pêche et leur droit de jouir de grands territoires. On reconnaissait à des familles complètes l'accès à des lieux au niveau de différents parallèles, des endroits où ils pourraient pratiquer leur survie, trouver leur nourriture. D'un autre côté, on coupait le bois puis on polluait les lacs et les rivières.

Vous disiez qu'ils étaient là avant nous. Permettez-moi de vous raconter une anecdote qui s'est passée à la Ville d'Amos lors de son 75e anniversaire. Nous avions formé un comité de grands savants blancs où nous avions invité un autochtone, M. Alfred Kistabish.

Les Blancs d'Amos étaient fiers de dire que la famille Turcotte avait été la première à débarquer sur le bord de l'Harricana -- Fantastique! Quel courage! --, jusqu'au moment où Alfred, dans toute sa candeur, s'est levé pour dire: «Monsieur le président, c'est nous qui avons accueilli les Turcotte sur le bord de l'Harricana.» Eh! voilà.

[Traduction]

Le président: Je vous pose la question que voici au nom de mon amie, le sénateur Chalifoux, qui représente également la province de l'Alberta. Le sénateur Chalifoux voudrait savoir si les Métis participent aux activités de votre communauté ou région. Dans l'ouest du Canada, les Métis sont considérés comme des autochtones. Mais à mesure qu'on se dirige vers l'Est du pays, on constate qu'ils sont moins connus. Connaissez-vous des Métis ou des organismes métis dans la région?

[Français]

M. Carrier: Sous toutes réserves, je ne crois pas qu'il y ait d'organisation métis en Abitibi-Témiscamingue. Tout ce que je connais, ce sont les neuf réserves que nous avons.

[Traduction]

Le président: Merci infiniment, monsieur Carrier. Vous nous avez grandement aidés à élucider certaines questions et vos témoignages étaient des plus intéressants. Nous allons lire votre mémoire.

J'invite maintenant les membres du public à se présenter et à faire un exposé s'ils le souhaitent. Je vois un monsieur au fond de la salle qui désire prendre la parole. Ayez donc l'obligeance, pour les fins du compte rendu, de vous nommer et d'indiquer l'organisme que vous représentez.

[Français]

M. Yvan Croteau, représentant du Groupe de citoyens pour la protection de la forêt des lacs Vaudry, Gendron et Joannès: J'ai un commentaire et une question en même temps. La notion de protection de territoire a été soulevée dans le sens: est-ce qu'on devrait garder des secteurs où on protégerait intégralement la forêt, puis en garder d'autres où on ferait plus d'activités d'aménagement et où il y aurait plus de circulation?

La notion d'espace que cette question sous-tend n'est pas la même pour un autochtone que pour un citadin. Elle n'est pas la même pour un agriculteur, non plus probablement pour un forestier. Elle est également différente pour un écosystème en tant que tel.

On a beau établir des limites administratives afin de protéger un écosystème, on doit comprendre comment il fonctionne avant de dire: On tire la ligne entre tel lac, telle rivière, telle montagne ou tel autre endroit. Il faudra se fixer des objectifs de conservation. La connaissance de cet écosystème nous donnera une certaine réponse sur la manière de partager les ressources et le territoire pour qu'il y en ait tout le temps et un peu pour tout le monde. Je n'étais peut-être pas d'accord pour dire qu'on aurait pu mettre tous les campeurs dans un même coin et laisser l'industrie se promener dans 90 à 95 p. 100 du territoire, faire ce qu'elle veut, quand elle veut.

Un autre mythe souvent abordé est celui du reboisement. On pense qu'il remédie à la situation causée par les coupes forestières. Il ne faut pas oublier que l'évolution des écosystèmes s'est faite sur une très longue période. Lorsqu'on fait un reboisement, on recrée un écosystème déjà en place. On le remplace par des essences d'une composition bien particulière. Dans bien des cas les remèdes proposés par l'industrie ne répareront pas tout l'écosystème, car celui-ci ne comprend pas seulement des arbres, mais la faune également et d'autres éléments divers.

Cette question devra être prise en considération et étudiée par les industriels et les universitaires pour évaluer objectivement les impacts réels. Si on veut des cycles de 45 ou 60 ans, la coupe forestière et le reboisement ne sont pas la solution. La solution la plus simple engendrera les meilleurs résultats, à mon point de vue.

La dimenson touristique devra être considérée aussi, si on veut montrer une forêt diversifiée et plus attrayante en région.

[Traduction]

Le président: Merci. Je crois savoir que vous reviendrez demain pour faire un exposé officiel au nom de votre groupe sur une question connexe.

M. Croteau: Oui.

[Français]

Le sénateur Spivak: Que pensez-vous des politiques des gouvernements du Québec et du Canada en ce qui concerne la conservation de l'environnement? Que pensez-vous des règles du gouvernement du Québec vis à vis des compagnies forestières? Nous avons entendu ce matin qu'il existe maintenant de nouvelles règles et qu'on interdira tous les herbicides en l'an 2000.

Vous avez bien raison de dire que nous devons vraiment respecter les frontières d'un écosystème. Les compagnies forestières ont admis qu'elles ne savent pas vraiment conserver un écosystème. C'est une science assez nouvelle et il faut beaucoup plus de recherches.

M. Croteau: Je vais répondre d'abord à la question touchant les politiques provinciales et fédérales que je développerai davantage demain. En général, on a utilisé la voie de la facilité dans cette politique.

Au lieu d'essayer de comprendre globalement la problématique forestière, on y est allé par élimination ou encore par petits pas. Quand il y eu une pression sociale importante, on a essayé de régler le problème. Le résultat a été la stratégie de protection des forêts qu'on a actuellement au Québec.

Il ne faut pas oublier que cette stratégie a été établie entre l'industrie et le gouvernement. La population n'a pas eu à se prononcer sur les principes mêmes de cette stratégie. Elle a eu à se prononcer par la suite pour l'améliorer, mais elle n'a pas eu à définir les prémisses de base, entre autres, sur la possibilité forestière et la notion du transfert des droits à perpétuité. Elle n'a pas eu à se prononcer non plus sur la valeur des simulations pour déterminer la possibilité forestière. L'industrie a conservé les mêmes droits depuis le début de l'histoire du Canada à ce sujet. Elle a pleins pouvoirs sur la matière ligneuse en tant que telle. Cela s'est négocié entre le gouvernement et l'industrie.

Tout cela a donné un un modèle de gestion forestière. On n'en a pas d'autres. On n'a pas d'alternative à ce modèle. Nous disons, en environnement, qu'il y aurait de la place pour d'autres types de modèles qui soient plus compatibles avec les besoins régionaux, la diversité des besoins des autres industries et aussi mieux adaptés aux écosystèmes.

Dans la loi, on a voulu administrer les écosystèmes. Mais, on ne peut pas administrer un écosystème. Nous pouvons juste être à son écoute et réagir en fonction de ce qu'il va nous donner. La stratégie qu'on a utilisée est celle-ci: si l'industrie a besoin d'épinettes, on plante de l'épinette.

Mais on ne sait pas si dans 60 ans le marché de l'épinette va être bon. Mais on savait, par contre, que les écosystèmes produisaient régulièrement de l'épinette, de manière successive, lorsque l'on entrecoupait sa culture par d'autres types de productions.

Nous disons plutôt qu'au lieu de mettre de l'argent à forcer les écosystèmes à produire des essences bien particulières, rendez votre industrie plus souple à recevoir ce que les écosystèmes sont capables de produire. Àinsi, nous serons bien plus en mesure de réagir aux nouveaux marchés dans 60 ans, parce que nous ne savons pas du tout quel genre de marché il y aura.

Le sénateur Spivak: Connaissez-vous le livre Les devoirs de Herb Hammond?

M. Croteau: Oui.

Le sénateur Spivak: C'est un autre système?

M. Croteau: Oui, en effet.

Le sénateur Gill: Il est assez récent que les gens puissent discuter des grands développements sur l'utilisation des ressources. Auparavant, les compagnies, avec des permissions gouvernementales évidemment, faisaient un peu ce qu'elles voulaient.

On a souvent utilisé, et jusqu'à très récemment, des méthodes qu'on appelait «consultation» ou «concertation» qui servaient davantage à convaincre les gens d'un projet quelconque. Aujourd'hui, c'est peut-être moins comme cela.

Quand on parle de l'écosystème des autochtones et des non-autochtones, est-ce qu'il s'agit d'une philosophie propre à chaque groupe face à l'environnement?

Si la civilisation autochtone existe depuis des millénaires, il y a des choses qui devaient être bonnes en cours de route. Les non-autochtones utilisent aussi des méthodes européennes, mais ce sont des méthodes qui sont efficaces, par rapport à la gestion et ainsi de suite.

Est-ce qu'on peut dire qu'il y a eu de vraies consultations et de vrais dialogues? Peut-on aujourd'hui, en étant vraiment à l'écoute les uns des autres, dire qu'on reconnaît qu'il y a des gens ou des groupes compétents capables d'apporter des connaissances qui nous sont vraiment indispensables, et vice versa? En fait, nous étions probablement considérés, les autochtones et les non-autochtones comme des solitudes, des gens étant chacun dans leur coin et croyant se connaître. C'est complètement le contraire.

Ne pensez-vous pas que nous en soyons rendus au point d'avoir des méthodes convenables? Je ne vous demande pas de répondre tout de suite, cela pourra s'inscrire demain dans votre mémoire. Aucun de nous ne peut prétendre qu'il détient «la» méthode. Elle reste à découvrir. C'est une véritable communication probablement qui nous permettra d'avoir éventuellement des solutions pour l'utilisation des ressources d'une façon ordonnée.

Vous pouvez nous donner votre point de vue maintenant ou peut-être attendre à demain pour l'émettre.

M. Croteau: Je ne pense pas que nous soyons rendus là. Les armes employées par les groupes écologiques sont disproportionnées par rapport à celles du gouvernement et de l'industrie. Le gouvernement n'a jamais voulu aider de façon significative ces groupes à présenter des solutions pour la gestion forestière. L'aide est venue de droite et de gauche, beaucoup par le biais du bénévolat et des mini-projets d'expérimentation.

Là-dessus, je suis convaincu qu'on ne peut toujours pas se parler d'égal à égal. Ce ne sera pas le cas demain non plus, à moins qu'on nous donne des outils comparables à ceux qu'ils possèdent pour défendre leur thèse. J'élaborerai davantage demain.

[Traduction]

Le président: Merci infiniment, monsieur Croteau. Voilà qui termine la séance de ce soir. Nous reprendrons nos travaux demain matin à 9 heures. Notre premier témoin sera le professeur Yves Bergeron.

La séance est levée.


Haut de page