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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la
Forêt boréale

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 16 novembre 1998

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 06 pour continuer son étude de l'état actuel de l'avenir de la foresterie au Canada en ce qui concerne la forêt boréale.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je désire souhaiter la bienvenue à M. Richard Thomas, qui vient du Pays de Galles. Nous écouterons avec un très grand intérêt ce que vous avez à nous dire au sujet de l'AEPP, le programme de protection environnementale de l'Alberta. Je vous en prie, vous pouvez commencer.

M. Richard Thomas, expert indépendant en écologie: Je dois d'abord dire que je ne travaille pour l'AEPP, mais je l'ai fait dans le passé, ce qui n'est peut-être pas étranger à la nature de mon rapport.

Les Canadiennes et Canadiens sont nombreux à croire que nous avons encore de vastes espaces à l'état naturel dans notre pays. Ce soir, je résumerai deux ans et demi de travaux qui montrent que ce n'est pas le cas, tout au moins en Alberta.

On retrouve ce mythe, si on peut l'appeler ainsi, partout. Par exemple, la American Automobile Association, dans son guide sur l'Ouest du Canada, décrit l'Alberta comme une province de l'Ouest qui reste une région inexplorée et intacte et indique que la mentalité de pionnier, qui subsiste encore dans une bonne partie du pays, est à coup sûr présente en Alberta.

Le dernier rapport que j'ai fait pour l'AEPP concernait les forêts boréales de l'Alberta. C'était la première fois au Canada que quelqu'un examinait la totalité de la forêt boréale d'une province et se penchait sur l'ensemble des répercussions écologiques des activités humaines.

Ce rapport a été évoqué par les médias. Vous avez peut-être lu certains articles. En Alberta, il a donné lieu à une forte publicité négative. Certains ont notamment dit que ce rapport était mal intentionné et qu'il était injurieux pour les Albertains, qui sont bien connus dans le monde entier pour la gestion avisée de leurs ressources naturelles. Je vous laisserai le soin de vous prononcer sur la validité de ces commentaires.

Mon bref exposé porte sur l'impact cumulatif de nos activités; nous n'y portons pas attention. Nous cloisonnons notre analyse des questions environnementales. Il faut voir la situation dans son ensemble, de façon holistique.

Cette diapositive est une carte des régions naturelles de l'Alberta. Les zones en vert indiquent la région naturelle de forêt boréale de l'Alberta. On voit les forêts mixtes sèches méridionales et septentrionales et les forêts mixtes centrales. La plupart des forêts boréales de l'Alberta sont des peuplements mixtes.

Ce qu'on considère comme la forêt boréale de l'Alberta est composé de trois régions naturelles. La zone des contreforts des Rocheuses est indiquée en gris -- et je vais vous en montrer quelques photos --, c'est Swan Hills; la région naturelle de forêt boréale dont je viens de parler est indiquée en vert, et le Bouclier canadien représente simplement une petite portion dans le nord-est de la province. J'ai étudié des contreforts et des régions de forêt boréale, ce qui représente les deux tiers de la province de l'Alberta.

Le président: Je ne comprends pas l'expression «forêt boréale naturelle». S'agit-il d'une forêt ancestrale ou d'une forêt encore intacte? Qu'est-ce que cela veut dire?

M. Thomas: Nous parlons ici des régions naturelles. Dans d'autres provinces, on les appelle des écorégions. C'est simplement un terme qu'on emploie en histoire naturelle. On l'associe à certains types de sol, de végétation, de géologie, et cetera. Je vous parlerai plus tard de ce que comprend une forêt naturelle, nous pourrons donc revenir sur cette question à ce moment-là. Fondamentalement, il s'agit des terres qui n'ont pas subi l'influence de l'activité humaine, s'il en reste encore.

L'Alberta est divisée en deux zones: la zone qui figure en blanc sur la carte et celle qui est verte en pointillé. La zone verte est principalement composée de terrains boisés appartenant à la Couronne et la zone blanche, de terrains privés, habités et cultivés. Un quart de la région naturelle de forêt boréale appartient maintenant à la zone blanche. Ce sont des zones où des gens se sont établis.

En Alberta, la déforestation se produit surtout là où la zone blanche et la zone verte sont contiguës. C'est là qu'on observe une fragmentation. Les agriculteurs continuent d'y défricher des terres. Dans le nord de l'Alberta, au printemps, on se croirait souvent en Amérique centrale. De grosses quantités de trembles sont écrasés par les bulldozers, puis on y met le feu pour obtenir des terres agricoles marginales ou des pâturages. Par le passé, ces activités ont été financées en grande partie par les deniers publics.

Voici à quoi cela ressemble vu de l'espace. Ceci est la zone de la rivière de la Paix, dans le nord de l'Alberta, la forêt mixte sèche du nord dont j'ai parlé. Il y a ici des terres cultivées avec leur découpage en champs, et surtout des terrains boisés indiqués en brun. Cette région mesure 250 kilomètres sur 225.

Deux études ont été faites pour déterminer le rythme de déforestation de ces zones. Environnement Canada en a fait une en 1991 dans la région de la rivière de la Paix. Le secteur orange représente les nouvelles terres agricoles créées entre 1961 et 1986.

Cette diapositive représente une étude que nous avons faite. Elle montre la forêt mixte sèche du sud, la partie méridionale de la forêt boréale, en 1949-50. Les terrains boisés existant en 1994-95 sont indiqués en noir.

Ces résultats ont inquiété beaucoup de gens et plutôt irrité le gouvernement. Environnement Canada a constaté un taux de déforestation -- ces chiffres ne voudront rien dire pour vous, mais je les expliquerai dans une minute -- de 0,81 p. 100 dans le peuplement mixte du nord. J'ai constaté un taux de 0,91 p. 100 dans le peuplement mixte du sud. Cela signifie que, chaque année, 192 kilomètres carrés de forêt sont défrichés dans cette zone, ce qu'on peut comparer au taux de 0,87 p. 100 observé en Amazonie de 1975 à 1988. La déforestation relative dans la partie méridionale de la forêt boréale de l'Alberta est plus forte qu'en Amazonie.

Comment utilisons-nous la forêt boréale en Alberta? Nous l'utilisons pour la production de bois d'oeuvre et de pâte à papier. Voici une carte des zones couvertes par les accords d'aménagement forestier, comme on les appelle en Alberta. Le jaune représente la zone blanche, les terrains privés habités et cultivés. La zone rose est celle qui est couverte par l'accord d'aménagement forestier d'Alberta Pacific et représente 9,3 p. 100 de la superficie de la province. Cette zone et celle de Daishowa, qui est en bleu, représentent à elles deux une superficie égale à celle de la Grande-Bretagne.

Vingt-trois pour cent des terres de la zone verte de l'Alberta sont maintenant attribuées aux grandes sociétés forestières. Une bonne partie de ces terres ne peuvent pas être exploitées commercialement. Les attributions de forêt en Alberta sont fortement excessives.

Que font les sociétés forestières? Elles abattent d'abord les vieilles forêts, conformément aux règles édictées par le gouvernement de l'Alberta. L'abattage commercial doit toucher en priorité les arbres les plus vieux. En Alberta, comme ailleurs au Canada, nous courrons le grave danger de perdre nos vieilles forêts.

Cette diapositive montre une vieille forêt de tremble du Nord de l'Alberta. C'est une forêt magnifique. Elle présente un très grand intérêt esthétique et spirituel, mais, ce qui est peut-être plus important, une étude réalisée en cinq ans par Brad Stelfox a montré que, sans l'ombre d'un doute, ces vieilles forêts principalement composées de trembles sont de loin les plus importantes pour la biodiversité. Elles offrent un habitat à n'importe quel groupe imaginable, y compris les mousses, les chauves-souris et les oiseaux. La plupart des espèces peuvent y vivre, y compris nombre des espèces les plus rares.

On dirait peut-être un slogan banal, mais c'est important et profond. Quand on abat une forêt en pratiquant la sylviculture et qu'on la remplace en replantant des arbres, on ne peut pas recréer une vieille forêt. Malheureusement, le gouvernement de l'Alberta et le Service forestier de l'Alberta semblent incapables de comprendre cette idée simple.

Que faisons-nous d'autre en Alberta? La surface de l'Alberta est percée un peu partout. La diapositive que je vous montre maintenant représente une carte établie en 1994; les champs de gaz naturel sont en jaune et les champs de pétrole en vert. La région naturelle de forêt boréale de l'Alberta couvre 306 champs de gaz naturel et 80 champs de pétrole. Elle est percée un peu partout.

Cette diapositive montre à quoi ressemble la région naturelle des contreforts des Rocheuses. Chaque petit point rouge désigne l'emplacement d'un puits de pétrole ou de gaz. Il n'est peut-être pas exploité, mais il a été foré. Il a fallu effectuer des recherches sismiques pour décider où forer et ouvrir une route pour atteindre ce point. Dans les contreforts, il y a plus de 27 000 puits de pétrole et de gaz et plus de 88 500 dans la région naturelle de forêt boréale.

Si on relie les choses comme les gazoducs, les oléoducs, les bandes défrichées et les routes d'accès au puits, on obtient un plan comme celui-ci. C'est ce qu'on appelle les caractéristiques linéaires. On peut en déterminer la densité en fonction du nombre de kilomètres sur lequel elles s'étendent par kilomètre carré. Dans la région naturelle de forêt boréale, les plus fortes densités se trouvent dans les zones roses et rouges. On peut voir clairement que cela se situe dans le nord et le nord-est de la province, où ces éléments découpent relativement peu la forêt.

La zone en blanc que vous voyez ici est le parc national Wood Buffalo. C'est très important.

On peut faire une autre analyse portant sur l'habitat principal de la faune qui existe encore en Alberta, l'habitat où les animaux de grande taille sont en sécurité, les endroits où il n'y a pas de bandes défrichées, qu'on peut emprunter un véhicule tout-terrain pour les chasser, et cetera. Ce qu'il reste de cet habitat dans la forêt boréale de l'Alberta est indiqué en rouge. N'oubliez pas que je n'ai pas étudié le Bouclier continental. La zone que vous voyez est celle des sables pétrolifères ou bitumineux autour de Fort McMurray. L'expansion de l'exploitation des sables pétrolifères entraînera la destruction d'une bonne partie de cet habitat essentiel.

J'ai éliminé tous les cantons de l'Alberta. La superficie d'un canton est de 6 miles sur 6, c'est-à-dire 93 kilomètres carrés. Il y en a plus de 4 000 dans la région naturelle de forêt boréale. J'ai éliminé tous ceux qui contenaient des puits de pétrole ou de gaz, les zones d'exploitation forestière sur les terres de la Couronne et les caractéristiques linéaires en question, par exemple les gazoducs, les oléoducs, les routes, et cetera. Il reste les carrés verts. Vous pouvez voir que la plupart d'entre eux se trouvent dans le parc national Wood Buffalo, mais, même là, les perturbations humaines sont nombreuses. Il y en a très peu en dehors du parc, tout en haut, dans le nord-est de l'Alberta, et j'ai constaté que, si on considère comme «zones naturelles» celles qui n'ont connu aucune de ces intrusions humaines, moins de 9 p. 100 de la forêt boréale répond à cette définition.

À quel rythme avons-nous perdu ces zones naturelles? Je vais vous montrer quatre diapositives qui sont des photographies aériennes des Swan Hills. La première représente un secteur de 9 kilomètres sur 9. Elle a été prise en 1949. Je ne vais pas en interpréter tous les détails, mais, croyez-moi, il n'y avait aucune route. En 1949, c'était un excellent habitat pour l'ours brun, dont la population était très dense.

Sur cette photo de 1964, à une échelle différente -- l'étoile blanche qui figure sur chaque photo vous permet de vous y retrouver --, on voit que le champ de pétrole de Judy Creek a été découvert. Chacun de ces carrés désigne un puits de pétrole. Les lignes blanches épaisses sont des routes. Les lignes minces sont des bandes défrichées. La zone qu'on voit est un carré de 13,6 kilomètres de côté. Voici la situation en 1982. Ce sont des coupes à blanc. Il y a l'exploitation du pétrole et du gaz et celle des forêts.

Le président: Y a-t-il là des zones agricoles? Que sont les bandes de terre sur la droite? On dirait des exploitations agricoles.

M. Thomas: Non, ce sont toutes des coupes à blanc.

En 1991, on peut voir l'expansion des coupes à blanc et la fragmentation de l'ensemble du paysage, son éclatement. L'exploitation humaine a pris le pas sur la nature. On ne peut même quasiment plus parler des ours bruns. En 42 ans, on est passé d'une région absolument à l'état de nature à ce qu'on peut appeler un paysage écologiquement dysfonctionnel.

Cet exemple des Swan Hills n'est pas du tout unique. Les ours bruns ont besoin d'un grand espace vital. Le gouvernement de l'Alberta a un programme intitulé: Special Places 2000, qui est censé mettre de côté des zones représentatives de la province en en faisant des zones protégées. J'ai calculé que, si on veut préserver une population de 1 000 ours bruns dans les contreforts des Rocheuses, ce que le gouvernement a dit qu'il voulait faire, il faut mettre de côté 22,78 p. 100 de cette région naturelle. Par rapport à nos normes, c'est une vaste étendue. L'objectif fixé par le gouvernement de l'Alberta est de 1,94 p. 100. On peut se rendre facilement compte que les ours bruns n'ont pas un avenir très prometteur dans les contreforts de l'Alberta, qui constituent actuellement leur principal refuge.

Cette diapositive montre une carte de ce qu'on appelle les zones protégées de la région naturelle de forêt boréale de l'Alberta. Ce qui compte ici est le parc national Wood Buffalo. Les cercles que vous voyez sont représentés à une échelle correcte. Les zones vertes indiquent les zones protégées fédérales, et celles qui sont en gris ou en violet, les zones protégées provinciales de plus de 10 kilomètres carrés, ce qui est la superficie minimale acceptée par les organismes internationaux. Les zones protégées provinciales de la forêt boréale occupent 0,35 p. 100 de la surface de celles-ci. C'est minuscule. Sans le parc national Wood Buffalo, nous aurions encore plus de problèmes pour ce qui est de la forêt boréale.

Le président: Cette zone n'est toutefois pas de juridiction provinciale, mais fédérale, n'est-ce pas?

M. Thomas: Non. C'est justement ce sur quoi porte cette diapositive. Les parties en vert sont les zones de juridiction fédérale et celles qui sont en violet représentent le réseau des parcs provinciaux de la forêt boréale. Wood Buffalo et Elk Island représentent 95 p. 100 de l'ensemble des zones protégées dans la forêt boréale de l'Alberta.

Donc, pour terminer, ce qui se passe est qu'en Alberta, ces terres ont été attribuées à toute une série d'industries au lieu d'être protégées. Les zones noires indiquent les terres qui sont attribués aux sociétés forestières, aux exploitants de sables bitumineux, à des propriétaires privés et même aux zones protégées. On voit qu'elles sont en majeure partie -- plus des trois-quarts des forêts boréales de l'Alberta -- attribuées à une industrie ou une autre ou appartiennent à des propriétaires privés. Il s'agit seulement de la surface du sol.

Cette carte montre les baux pour l'exploitation des ressources souterraines de pétrole et de gaz en Alberta. Il y en a beaucoup dans la forêt boréale. Ma carte n'indique pas les baux commerciaux de concession forestière ni les baux de prospection pour les minerais métallifères. Il y a beaucoup de choses qui n'y sont pas. La situation est pire que cela.

Quel est le véritable problème qui se pose en Alberta et ailleurs au Canada? Cette déclaration d'Adam Zimmerman, ancien président de Noranda Forest Inc., le résume.

En bref, on peut dire ce qu'on veut à propos de la valeur de la forêt, mais elle ne vaut rien si on ne peut pas la transformer en une source de profits.

Le problème, en particulier en Alberta, est qu'on ne se rend pas compte de la valeur que représentent les peuplements forestiers pour d'autres choses que la coupe du bois et la production de pâte à papier. On ne se rend compte ni de leur importance écologique ni de leurs valeurs esthétiques et spirituelles. En Alberta, les forêts doivent rapporter des bénéfices, sinon elles ne valent rien.

Il y a de nombreuses solutions possibles -- et je vous ai remis cela par écrit, je ne vais donc pas tout passer en revue --, mais il y a des solutions immédiates. La solution à long terme est de réajuster notre système de valeurs en ce qui concerne les forêts et la façon dont nous les traitons. Nous devons le faire pour tenir compte des réalités écologiques. Nous ne pouvons pas survivre sans ces forêts et ce qu'elles font pour nous, comme produire de l'oxygène, nettoyer l'eau et les sols et emmagasiner le carbone. C'est un conflit entre des systèmes de valeurs différents. Va-t-on choisir le tout dernier arbre ou la toute dernière chaise? C'est le conflit qui se déroule actuellement dans tout le Canada.

J'ai environ quatre ou cinq choses à demander au gouvernement fédéral. Premièrement, j'aimerais qu'il participe très activement à la gestion de nos forêts boréales. À l'heure actuelle, nous avons besoin de leadership et de vision. Nous avons besoin de lois rigoureuses réellement appliquées pour protéger la forêt boréale. Nous avons besoin de véritables lois concernant les espèces en péril comme l'ours brun, le caribou et toutes sortes d'autres créatures. Nous avons besoin également d'une loi sur les habitats menacés, pour régler le problème des vieilles forêts. Nous devons veiller à ce que leur exploitation ne se traduise pas par une perte nette.

Si nous choisissons la foresterie durable et la protection de la biodiversité, nous n'avons pas le choix. Nous devons protéger les vieilles forêts. Il nous faut une loi sur les espaces naturels comme celle qui est en vigueur aux États-Unis depuis 1964.

Nous devons convaincre les provinces que nous devons établir des normes fixant une densité routière maximale. Le principal problème que posent ces industries est qu'elles ménagent un accès à la forêt boréale encore intacte. Beaucoup d'autres activités suivent les industries dans cette forêt, et cela sonne le glas de la forêt naturelle telle que nous la connaissons.

Enfin, il faut que nous fassions de gros efforts de sensibilisation et de recherche au sujet des valeurs de ces forêts boréales non liées à l'exploitation du bois. Nous devons mener une campagne pour apprendre à la population que les forêts ont d'autres valeurs que simplement celle d'être des sources de bois et de pâte à papier.

Je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de prendre la parole devant vous ce soir.

M. Don Sullivan, coordonnateur pour l'Amérique du Nord, Taiga Rescue Network: Je travaille pour le Taiga Rescue Network. J'aimerais remercier le comité de m'avoir invité à prendre la parole. J'ai déjà eu l'occasion de vous rencontrer quand vous êtes venus à Winnipeg.

Le Taiga Rescue Network est une organisation qui regroupe environ 150 organisations des milieux scientifiques et universitaires. Elle concentre son attention sur les forêts boréales de l'Europe septentrionale, de la Russie, du Canada et, dans une large mesure, de l'Alaska. C'est dans ces régions qu'on trouve la plus grande partie de l'écosystème forestier boréal du monde.

Le Taiga Rescue Network a trois centres d'activité distincts: la Russie, l'Europe et l'Amérique du Nord. Le bureau central pour l'Amérique du Nord est situé à Winnipeg, au Manitoba, et je suis coordonnateur pour l'Amérique du Nord. Nous avons un comité directeur composé de personnes venant de l'ensemble du Canada et des États-Unis. Nous essayons également de concilier les intérêts autochtones et non autochtones.

De façon générale, nous nous intéressons aux questions touchant la forêt boréale depuis un certain temps. Dans une optique mondiale, le Canada reste, à bien des égards, un pays qui fournit principalement du bois et de l'eau.

La foresterie est le secteur le plus important de l'économie du Canada. La foresterie, l'hydroélectricité, le pétrole, le gaz, l'exploitation minière, l'agriculture et la pêche représentent la vaste majorité de l'activité économique du Canada. Notre économie reste encore fortement basée sur les ressources naturelles.

Cette situation a fortement contribué à inciter nombre d'entre nous à nous joindre au mouvement écologique, et c'est pour cela que nous sommes déçus de la lenteur avec laquelle on cherche à protéger notre environnement.

J'ai fourni au comité plusieurs documents qui donneront un bon aperçu de ce qui se passe dans les forêts au Canada. Je vous en recommande vivement la lecture. J'inclurai également le dernier rapport du World Resource Institute, de Washington, ainsi qu'un recueil d'articles provenant de toutes les provinces.

Je parlerai d'une question qui concerne plus directement le Manitoba. Un groupe d'anciens m'a demandé de faire cet exposé. Étant donné que notre organisation collabore assez étroitement avec les autochtones, j'ai dit que je le ferais en leur nom.

J'aimerais que vous ouvriez le document à la page qui contient les deux cartes en couleurs. La première est une carte du Manitoba. Plusieurs secteurs y sont encadrés en rouge. Ce sont les zones d'aménagement forestier qui existent au Manitoba, les zones contenant des arbres qu'on peut récolter et commercialiser. La zone verte représente la licence d'aménagement forestier que détenait, récemment encore, la société Pine Falls Paper et dont la société montréalaise Tembec a, depuis, fait l'acquisition.

Diverses routes figurent sur cette carte du Manitoba. Vous constaterez qu'il y a une petite ligne noire en pointillé à gauche du lac Winnipeg. Au nord, vous pouvez voir une ligne rouge en pointillé. Auparavant, il n'y avait aucune route dans cette partie du Manitoba. C'était une des dernières zones sauvages sans route de la province. J'irai même jusqu'à dire que c'était la dernière zone sauvage sans route aussi méridionale du Canada.

Cette zone est couverte par la forêt boréale. Elle fait partie du Bouclier canadien. On y trouve certaines des rivières qui conviennent le mieux au canotage au Canada, y compris le bassin de la rivière Boodvein, qui a été classée rivière du patrimoine. Il y a également les rivières Pigeon et Poplar, où de nombreux touristes européens viennent faire du canot chaque année au printemps et en été.

La société forestière a fait savoir qu'elle voulait étendre ses activités et construire une route de quelque 337 kilomètres utilisable toute l'année pour aller à Island Lake. La plupart des problèmes environnementaux sont principalement dus au renforcement de l'accès aux zones sauvages que constituent les vastes étendues de forêt intactes qui possèdent des écosystèmes relativement non perturbés -- c'est-à-dire auxquels on n'a pas accès en toute saison. Au Canada, les sociétés forestières ont tendance à couper les arbres trop rapidement. Elles ne prévoient pas une période de rotation suffisante de 90 à 100 ans, mais se contentent généralement de 40 ans. Nous commençons à manquer de forêts dans le sud du Manitoba, et les sociétés forestières continuent simplement à se déplacer vers le nord.

Une zone particulièrement importante est celle qui est à l'est du lac Winnipeg, où 14 communautés des Premières nations seraient directement touchées. Ces gens ont encore leur mode de vie traditionnel. Ils continuent à chasser et pêcher pour vivre et font la cueillette de nourriture et de plantes médicinales traditionnelles.

L'entreprise veut couper maintenant annuellement 750 000 mètres cubes de résineux au lieu de 360 000. Pour ce faire, elle doit construire 337 kilomètres de routes utilisables en toute saison. Tembec n'a jamais consulté aucune des communautés des Premières nations au sujet de son plan d'expansion dans les régions septentrionales du Manitoba à l'est du lac Winnipeg.

La carte que je vous montre maintenant a été faite par la société Pine Falls Paper. Nous l'avons vue pour la première fois il y a environ trois mois. Vous pouvez probablement vous douter du tollé qu'elle a déclenché parmi les Premières nations, étant donné le récent arrêt Delgamuukw, qui confirmait le droit des Premières nations aux ressources, bien qu'elles aient signé des traités de sécession.

La façon dont le gouvernement fédéral applique la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale est une des causes fondamentales de la déforestation. Pour aller de l'avant, la société aurait à obtenir un permis en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, parce que son plan prévoyait la construction de trois ponts importants au-dessus d'eaux navigables; on entend par «eaux navigables» tous les endroits où on peut naviguer en canoë. L'application de cette loi relève de la Garde côtière, mais elle est maintenant confiée au ministère des Pêches et Océans.

Je n'ai pas besoin de vous expliquer certains des problèmes que le MPO a connus dans d'autres domaines. Je me contenterai de dire que les mêmes problèmes se sont manifestés dans le domaine de l'eau douce. Le ministère a décidé qu'aux fins de l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, le principal projet est, en l'occurrence, le pont. L'élément clé est le permis fédéral, et le MPO a déterminé que le projet principal était la construction et le déclassement du pont.

Je n'ai encore jamais vu un pont qui existe tout seul. Les ponts n'existent pas dans le vide. Il y a toujours des routes à chacune de leurs extrémités. Un pont est, en fait, le prolongement d'une route, qui constitue le projet principal. Toutefois, ce n'est pas l'avis de la Garde côtière ou du ministère des Pêches et Océans.

Au cours d'un récent procès en Alberta, le juge Gibson de la Cour fédérale a statué que, s'il y a un pont, il faut évaluer la route et que, si on évalue la route, il faut évaluer les activités de récolte. Je peux imaginer l'inquiétude que cette décision a suscitée dans chaque province. Je suis sûr que des pressions ont été exercées auprès du gouvernement fédéral pour qu'il fasse quelque chose à ce sujet. Il a décidé de faire appel de cette décision.

Le gouvernement fédéral, de façon générale, n'a pas tenu compte des responsabilités que lui confère la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Nous sommes toutefois parvenus à ralentir le projet et nous avons pu obtenir que l'entreprise s'engage à appliquer un plan de dix ans plutôt qu'une série de plans de deux ans. Le problème qui se posera concernera la mesure dans laquelle le gouvernement fédéral fera vraiment respecter la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale pour ce projet.

Le coeur du problème est l'accès à des zones qui, à toutes fins pratiques, sont des zones encore à l'état naturel, et cela ouvre la porte à toutes sortes d'autres problèmes. Pour les communautés des Premières nations, ces problèmes touchent leur vie sociale aussi bien que l'environnement.

Vous avez devant vous les documents relatifs à cette question.

À la deuxième page de notre mémoire, vous verrez une petite carte des deux autres zones pour lesquelles des licences d'aménagement forestier ont été accordées au Manitoba. La superficie totale de ces trois zones est environ 14 millions d'hectares, dans lesquels trois sociétés ont le droit d'abattre tous les arbres. C'est une très grosse partie du Manitoba.

Il y a une autre source de préoccupation qui semble être passée inaperçue, celle des impacts transfrontaliers, qui n'ont jamais été évalués et à propos desquels on n'a collecté aucune donnée de référence. Le problème se pose également dans l'est du Manitoba, à cause de l'empiétement des activités d'aménagement forestier de l'Ontario, le Manitoba et le nord-ouest de l'Ontario partageant un bassin versant. Les deux gouvernements provinciaux refusent d'assumer la responsabilité de la réalisation d'évaluations de l'impact cumulatif transfrontalier ou même de faire des recherches à ce sujet. Comme la Loi sur l'évaluation environnementale donne toute discrétion au ministre fédéral pour faire examiner la question par un groupe d'évaluation, on aurait pu penser que quelque chose aurait été fait à cet égard.

Nous faisons actuellement un procès à ce sujet. Nous poursuivons également le gouvernement fédéral à propos des ponts. Ce qui nous inquiète est que, dans les trois zones faisant l'objet de licences d'aménagement forestier -- une en Saskatchewan et deux au Manitoba --, il y aura d'énormes impacts le long de la frontière entre le Manitoba et la Saskatchewan dans les derniers couloirs que peuvent encore emprunter les animaux dans ces provinces pour se déplacer du nord au sud. C'est une zone escarpée très importante et unique au Manitoba. De nombreux grands mammifères y vivent et c'est la seule voie de migration pour accéder au parc national du Mont-Riding et en sortir. C'est là que vivent les plus gros ours noirs d'Amérique du Nord ainsi que le cougar de l'Est, qui est une espèce menacée, même si le Manitoba a refusé de reconnaître sa présence dans la province.

Les causes profondes de cette situation sont notamment le fait que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale n'est pas appliquée correctement par le gouvernement fédéral et qu'on ne dispose d'aucune donnée de référence. Tout cela résulte des fortes compressions subies par les programmes de ce type dans les trois derniers budgets. Ces programmes auraient pu nous fournir des données de référence dans ces domaines. Ils auraient permis à plusieurs ministères fédéraux de disposer du personnel nécessaire, de définir les politiques à adopter et de faire des recherches.

La phobie dont la dette et le déficit font l'objet nous inquiète, mais on constate en outre que les données qu'on devrait fournir non seulement à nous mais au reste du Canada au sujet des répercussions de l'exploitation à grande échelle des ressources naturelles au Canada sont de plus en plus insuffisantes.

Cette situation est également due à la façon dont l'industrie forestière est subventionnée. Il n'y a pas de chances égales pour tous dans ce secteur. Les provinces établissent les droits de coupe, sans tenir le moins du monde compte du marché. En fait, au Manitoba, le droits de coupe sont probablement parmi les plus faibles au Canada. Par exemple, ils se situent entre 2,60 $ et 3,60 $ par mètre cube pour les résineux, alors qu'en Ontario, pour les mêmes produits, ils pourraient atteindre entre 15 et 16 $ par mètre cube. Pour les bois durs, au Manitoba, les droits de coupe sont de 50 cents par mètre cube pour les panneaux à copeaux orientés. En Ontario, aux dernières nouvelles, ce chiffre était de 6 $ par mètre cube.

Le système des droits de coupe n'est pas normalisé au niveau provincial. Les sociétés ont tendance à migrer vers les zones où les droits de coupe ou leurs frais d'intrants sont nettement plus bas qu'ailleurs. C'est quelque chose sur quoi on aurait pu insister, parce que le Manitoba, la Saskatchewan et certaines des provinces de l'Est n'ont pas été incluses dans le différend relatif au bois d'oeuvre. À mon avis, les Américains n'ont pas tout à fait tort quand ils disent que nous subventionnons notre industrie forestière.

Voilà certaines des raisons apparentes et des raisons profondes plus générales. Je suis prêt à répondre à vos questions, monsieur le président. Je vous ai remis de nombreux documents. Je m'en tiendrai à cela.

Le président: Nous allons maintenant entendre le dernier intervenant, M. Gray, puis nous poserons des questions.

M. Tim Gray, directeur exécutif, Wildlands League: Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous ce soir. Vous étiez peut-être en avance sur votre temps quand vous avez décidé d'organiser des audiences et des discussions au sujet du sort de la forêt boréale au Canada. Dans le monde entier, ce sujet a une importance grandissante, et les gouvernements en prennent de plus en plus conscience.

Les gouvernements parlent davantage du sort des forêts mondiales, mais on néglige depuis longtemps l'importance particulière de la forêt boréale. Il est temps que quelqu'un y prête attention.

La Wildlands League est un chapitre de la Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada. Nous sommes une organisation caritative qui a des chapitres dans l'ensemble du pays. Je travaille également comme représentant du Fonds mondial pour la nature dans le cadre de sa campagne pour les espaces en péril.

Aujourd'hui, je voudrais vous présenter trois séries de questions concernant la forêt boréale. Elles sont d'ordre écologique, économique et social. Cette liste n'est aucunement exhaustive, mais elle vous donnera une idée de certaines des questions sur lesquelles il faut se pencher. Nous pourrons ensuite consacrer un moment à la discussion de la nature des solutions à certains des problèmes auxquels le Canada est confronté pour gérer sa forêt boréale à l'orée du XXIe siècle.

Je commencerai par les questions écologiques. Au Canada, l'industrie forestière et les autorités provinciales, fédérales et territoriales se sont engagées officiellement à mettre en place un réseau de zones boisées protégées d'ici l'an 2000. Nombre des questions qui vous ont été expliquées aujourd'hui concernent le fait que nous n'avons pas fait grand-chose pour nous assurer que nous aurons un réseau représentatif des zones boisées naturelles pour l'avenir. Heureusement, un palier de gouvernement est fermement décidé à atteindre cet objectif. Le problème se situe au niveau des détails.

En Ontario, trois de nos 26 régions écologiques boréales sont actuellement représentées correctement par un réseau de zones protégées. Il nous reste encore manifestement beaucoup à faire d'ici le 31 décembre 1999.

De façon générale, dans toute la forêt boréale, les taux de récolte industrielle ont augmenté en même temps que la demande pour les produits de consommation tels que le papier et les produits ligneux. En Ontario, les taux de coupe ont quadruplé depuis les années 40, passant de 2 000 kilomètres carrés par décennie à 8 000 kilomètres carrés. L'automatisation de la récolte a également progressé rapidement. À l'heure actuelle, en Ontario, la coupe à blanc effectuée sur de vastes étendues représente 95 p. 100 de la récolte industrielle dans la forêt boréale.

Ce que nous constatons sur le terrain grâce aux vérifications indépendantes réalisées par le gouvernement provincial de l'Ontario et aux recherches scientifiques examinées par des pairs est qu'après avoir été exploitée, la forêt ne redevient plus comme elle était auparavant. Elle est différente pour ce qui est de sa capacité à fournir un habitat, de sa composition structurelle et des espèces qu'on y trouve par rapport à la forêt qui existait naturellement ou qui devrait pouvoir se régénérer dans des conditions naturelles.

Ce que cela veut dire est que les espèces caractéristiques de la forêt boréale, comme le carcajou ou le caribou des bois, sont de plus en plus menacées. En Ontario, le caribou des bois se retire vers le nord à la limite septentrionale des zones d'exploitation forestière. Cette espèce était beaucoup plus courante dans des zones aussi méridionales que le parc Algonquin et North Bay.

Les réseaux routiers fragmentent les habitats et permettent d'avoir accès à des régions autrefois isolées. Cet accès, comme on l'a dit auparavant, a des répercussions négatives sur les poissons et la faune. En Ontario, il ne reste plus que 40 zones de plus de 20 000 hectares dépourvues de routes, ce qui représente environ 2 p. 100 de la totalité des terres boisées publiques dans la forêt boréale de l'Ontario. Cette statistique paraît très étonnante à beaucoup de Canadiens. Nous avons l'impression, surtout à Toronto, qu'une fois qu'on est au nord de l'avenue Steeles, il y a des arbres partout. Le niveau des pressions industrielles que nous avons imposées à nos forêts pour satisfaire nos besoins économiques surprend beaucoup la plupart des gens.

Au plan économique, en Ontario, toutes les zones de forêt boréale situées à l'extérieur de notre réseau de parcs, qui en représente environ 6 p. 100, font actuellement l'objet de permis de coupe et sont attribuées à une ou plusieurs sociétés forestières. Des discussions sont en cours entre le gouvernement provincial et l'industrie forestière pour étendre les permis de récolte aux zones situées au nord du 51e degré.

À cause du taux de récolte qu'on a connu par le passé, la quantité de bois de haute qualité disponible en Ontario diminue rapidement.

Le diamètre moyen des billes équarries que reçoivent les scieries de l'Ontario -- ce dont on se sert pour faire les deux-par-quatre et les autres produits prédimensionnés -- est de 20 à 15 centimètres supérieur à ce qu'il était il y a seulement cinq ans. D'après le ministère des Ressources naturelles, la masse ligneuse totale disponible en Ontario -- c'est-à-dire, non pas seulement le bois tendre, mais la pâte à papier, le matériel utilisé par les fabriques de panneaux à copeaux orientés et les autres types de fibres utilisés pour les produits de bois usinés -- diminueront au cours des 60 prochaines années.

Au moment même où nous prenons conscience du caractère fini de cette ressource, nous savons également que, du fait du changement technologique et des fusions d'entreprises, l'industrie forestière, aussi bien dans les chantiers que dans les scieries, offre moins d'emplois et moins d'avantages pour la population. On s'attend à ce que cette tendance continue.

Récemment, en Ontario, il y a eu d'énormes quantités de fusions et d'acquisitions. Bowater, de Caroline du Sud, a acheté Avenor, de Montréal; Abitibi-Price et Stone-Consolidated, de Chicago, ont fusionné. Tembec a acheté Spruce Falls. On s'attend à ce que ces fusions continuent. Les analystes du secteur forestier de Bay Street signalent que, dans d'autres domaines d'activité sur la planète, la mondialisation progresse encore plus rapidement et qu'on peut s'attendre à ce que, dans des endroits comme l'Ontario, il n'y ait plus, d'ici cinq ans, que deux entreprises contrôlant tous les permis forestiers et la récolte.

En même temps que nous sommes confrontés aux problèmes concernant l'approvisionnement en bois et les retombées de l'exploitation forestière sur la société et les pouvoirs publics, les entreprises elles-mêmes sont confrontées à la concurrence mondiale et à des technologies nouvelles, ce qui a créé un contexte fortement concurrentiel pour un grand nombre de nos produits forestiers.

Autrefois, les papeteries de l'Ontario, par exemple, pouvaient tabler sur le fait que nous récoltions la fibre de vieilles épinettes noires avec laquelle on fait un superbe papier journal. Nous pouvions le vendre au New York Times parce qu'il ne pouvait pas trouver un meilleur papier meilleur marché où que ce soit. La situation a changé. Avec la technologie actuelle, on peut produire du papier de haute qualité avec à peu près n'importe quelle fibre. Je suis sûr que vous avez entendu des gens parler de l'expansion des plantations de pin en Nouvelle-Zélande ou dans le sud des États-Unis, ou de l'utilisation d'arbres qu'on considérait auparavant comme de mauvaises herbes, comme le peuplier et le bouleau, pour produire également des papiers de haute qualité.

Au plan social, nous savons qu'aux niveaux mondial et national, les consommateurs et les citoyens se préoccupent de plus en plus de la gestion des forêts, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Cette préoccupation croissante se manifeste sous la forme des pressions exercées sur le marché en faveur de produits dont on peut prouver qu'ils sont fabriqués sans porter préjudice à l'environnement et à la société et sans que le niveau et les méthodes d'extraction nuisent à la population et aux forêts elles-mêmes.

La réduction des zones boisées naturelles en Ontario et dans l'ensemble du Canada pourrait amener diverses localités et divers intérêts commerciaux qui exploitent les forêts à se disputer les ressources disponibles. Par exemple, en Ontario, on constate un conflit croissant entre les besoins du tourisme, surtout du tourisme en région isolée, et l'industrie forestière, parce que l'utilisation que la foresterie industrielle fait des terres n'est pas compatible avec de nombreuses formes de tourisme.

L'image environnementale internationale du Canada sera au moins partiellement déterminée par la façon dont nous conservons et gérons un actif important pour le monde entier. Le Canada consacre beaucoup d'efforts sur la scène internationale à dire à d'autres gens à quel point nous faisons bien les choses dans notre pays dans divers domaines. Nous aimons nous poser en chef de file en matière d'environnement. À Rio et à d'autres tribunes, nous avons été parmi les premiers à prendre des engagements. Nous devons également être parmi les premiers à agir.

Pour passer aux solutions, je mentionnerai certaines d'entre elles, qui, je pense, sont générales, et j'essaierai ensuite de faire des recommandations spécifiques à propos du rôle du gouvernement fédéral.

Avant tout, nous devrions respecter les engagements existants et trouver une façon de résoudre certains de nos autres problèmes. Premièrement, nous devrions mettre en place un réseau de zones protégées écologiquement représentatif, ce qui aura des répercussions positives de nature sociale, écologique, économique et commerciale, ces deux derniers aspects étant identiques.

Le secteur industriel, la population et le gouvernement font preuve de détermination, et nous disposons également de certains des mécanismes qui peuvent permettre d'atteindre nos objectifs.

Nous devrions exiger juridiquement un rendement soutenu à long terme de toutes les valeurs forestières, y compris en ce qui concerne le bois et l'écologie. Nous avons vu les résultats d'une mauvaise gestion des ressources dans d'autres secteurs -- l'exemple le plus terrifiant étant probablement celui des pêches. Nous avons également constaté certains des coûts sociaux et écologiques d'une mauvaise gestion. Nous devons faire en sorte d'éviter cela dans nos forêts.

Nous devrions stimuler l'investissement pour encourager les entreprises à fabriquer des produits ligneux à valeur ajoutée, à produire plus d'emplois en récoltant moins de bois et à améliorer les méthodes de sylviculture. Nous pourrons ainsi plus facilement rétablir la composition initiale des zones d'abattage ainsi qu'augmenter le volume et améliorer la qualité du bois à l'avenir.

Nous devons à nouveau permettre aux résidents locaux -- qu'ils appartiennent ou non aux Premières nations -- de contrôler les terres et les forêts qui entourent l'endroit où ils vivent. Nous devons mettre au point des mécanismes fournissant aux commissions forestières locales les connaissances techniques et les compétences en matière de planification leur permettant de prendre des décisions au sujet d'une partie de la récolte de bois dans leur arrière-cour.

Pour ce qui est du rôle du gouvernement fédéral, nombre des domaines dont nous parlons en ce qui concerne l'avenir de la forêt boréale relèvent des provinces. À moins de modifier radicalement la Constitution pour faire face à ce qui se passe dans la forêt boréale, je ne pense pas que nous puissions changer cette situation. Toutefois, certaines choses réalisables sont du ressort du gouvernement fédéral.

Au plan économique, la certification sera un mécanisme important pour l'interaction entre la population et les entreprises dans le domaine des forêts aménagées. Le commerce, en particulier le commerce international, relève du gouvernement fédéral. Celui-ci pourrait jouer un rôle clé en faisant en sorte que les systèmes de certification mis au point soient bien conçus et puissent être défendus sur la scène internationale pour permettre aux sociétés forestières du Canada capables de respecter les normes de pouvoir affirmer fièrement sur les marchés internationaux qu'elles font du bon travail.

La recherche écologique à long terme réalisée pour servir les intérêts de la population et des entreprises est un domaine dans lequel le gouvernement fédéral a joué un rôle important par le passé. Nous ne devons pas commettre l'erreur de penser que cette recherche sera financée à même les bénéfices des sociétés forestières. Si nous voulons savoir ce qu'il advient de nos forêts publiques, si nous voulons savoir quelles seront les répercussions à long terme de notre régime actuel de gestion, il faudra que nous en assumions les frais. Au cours des cinq à dix dernières années, nous avons commis d'énormes erreurs au Canada, aussi bien au niveau provincial qu'au niveau fédéral, en pensant que nous n'avions pas besoin de cette information. Nous en avons besoin, et nous devons engager les dépenses nécessaires.

Le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral pour résoudre les questions concernant les Premières nations, en particulier les revendications territoriales et les droits issus des traités, doit être lié aux problèmes concernant la gestion de la forêt boréale.

Enfin, le gouvernement fédéral doit repenser sa tendance actuelle à transférer aux provinces les responsabilités en matière d'environnement, de réglementation et de législation. Comme les deux intervenants qui m'ont précédé l'ont dit, nous avons constaté le rôle important que le gouvernement fédéral peut jouer dans le processus canadien d'évaluation environnementale ainsi que dans d'autres domaines, comme l'application de la Loi sur les pêches fédérales, pour placer tous les habitants et toutes les entreprises du Canada sur un pied d'égalité.

En résumé, j'aimerais signaler qu'à mon avis, deux réalités s'affrontent dans toute la forêt boréale. L'une est la réalité écologique qu'ont si bien décrite les deux intervenants précédents, et l'autre est la réalité économique de l'augmentation de la demande.

Notre pays doit trouver une façon d'éviter la collision entre ces deux trains -- une façon de planifier afin que, dans 50 ou 100 ans, nous ayons encore des forêts saines donnant de bons résultats économiques et écologiques et que nous puissions respecter les promesses que nous avons faites en disant au reste du monde que nous allons gérer une ressource dont nous possédons une énorme proportion.

Le sénateur Cohen: Je voudrais remercier tous les témoins. Je ne siège pas régulièrement au sein de ce comité; je remplace quelqu'un d'autre. Je ne suis pas une spécialiste de la forêt boréale ni de l'ensemble de l'écosystème, mais je tiens à vous remercier parce que vous avez aiguisé mon appétit et vous n'avez aidé à me rendre compte de l'importance vitale de la forêt boréale.

Le Canada est-il le seul pays qui possède encore maintenant un forêt boréale?

M. Sullivan: Je pourrais peut-être répondre à cette question en vous disant que l'organisation au nom de laquelle je suis ici représente tous les pays dans lesquels existent des forêts boréales.

Pour ce qui est des forêts inexploitées intactes, le Canada est celui qui en possède le plus après la Russie. Dans la plus grande partie de l'Europe septentrionale, où se trouve le reste de la forêt boréale, les arbres ont tous été abattus, et il ne reste plus de forêts que nous pourrions considérer comme intactes. On y trouve bien des forêts boréales, mais elles ont déjà été exploitées. On n'y trouve déjà plus que des arbres de deuxième, de troisième et, dans une large mesure, de quatrième pousse.

Le sénateur Cohen: La Russie respecte-t-elle sa forêt boréale?

M. Sullivan: Je suppose qu'elle a des problèmes identiques aux nôtres, étant donné les pressions financières qui s'exercent dans des conditions identiques, le problème étant probablement aggravé dans une certaine mesure à cause de l'absence de leadership. En fait, qui sait qui dirige actuellement la Russie et ce qu'il advient de ses lois? Je suppose qu'on n'y contrôle guère l'application des lois qui peuvent y exister pour régir l'exploitation forestière.

Le sénateur Cohen: Au Canada, nous avons une responsabilité internationale.

Je voudrais poser une question à M. Thomas au sujet de la sensibilisation et de l'éducation. Avez-vous obtenu des résultats concrets dans une province quelconque? Y a-t-il quelque part un dispositif qui vous permet d'espérer que certaines choses vont changer et que les gens prennent cela au sérieux?

M. Thomas: Je dis toujours qu'un pessimiste est un optimiste conscient de la réalité. Les gens sont de plus en plus conscients de la situation, mais cela ne se traduit pas par des changements. Les gens qui détiennent les leviers du pouvoir ne sont pas encore sensibilisés.

En Alberta, la province que je connais le mieux, je crains de ne voir actuellement absolument aucun motif d'optimisme. Nous devons restructurer en profondeur la façon dont nous traitons nos forêts, l'intérêt que nous leur portons et la valeur que nous leur attribuons.

Je dois cependant dire qu'on est de plus en plus conscient de ces problèmes en Alberta et dans les autres endroits où je suis allé au Canada, mais je n'ai pas l'impression que cela se traduise pour le moment par des mesures positives.

Le sénateur Cohen: À la fin des années 40 et au début des années 50, je me souviens que, quand j'allais à des réunions publiques et privées, il y avait un écologiste à l'entrée de la salle qui distribuait des tracts, que nous jetions en disant: «Oh, ça recommence.». Aujourd'hui, toutefois, les gens écoutent les écologistes dans de nombreux domaines. Nous devons en parler, exercer des pressions et nous concentrer sur des domaines plus restreints pour sensibiliser la population à la situation de la forêt boréale.

Les renseignements que j'ai devant moi sont révélateurs. Je m'intéresserai désormais beaucoup plus à cette question qu'avant mon arrivée dans cette salle.

M. Thomas: Si vous me permettez de répondre à votre question précédente, les chiffres que j'ai montrent que le Canada contient environ 25 à 30 p. 100 de toute la taïga du monde et 22 p. 100 des forêts boréales publiques fermées. Le Canada possède une partie importante de la forêt boréale du monde.

Le président: Un des domaines auxquels on n'a pas accordé assez d'attention est ce qui, relativement aux forêts du Canada, concerne les autochtones et le fait que, d'après les traités et les tribunaux, les droits accordés à nos autochtones vont apparemment beaucoup plus loin que la simple création d'une réserve à un endroit quelconque. Les droits de chasse et de pêche couvrent des zones très étendues. Contrairement à ce qui s'est passé pour le pétrole et le gaz, par exemple, quand les provinces ont remis les terres, elles ont fait une mise en garde en disant que si elles en avaient besoin un jour pour les autochtones, elles les récupéreraient, mais elles ne l'ont pas fait pour la foresterie. Quand nous parlons aux responsables gouvernementaux des forêts, la plupart d'entre eux ont un regard vague et disent que les autochtones ne relèvent pas des provinces mais du gouvernement fédéral, ce qui ne tient pas du tout compte du fait que le droit de chasser, de pêcher, de poser des pièges et de gagner sa vie dans la forêt ne veut rien dire si quelqu'un peut venir de La Haye, de Montréal, de Toronto, de Calgary ou de la Nouvelle-Orléans et tout couper. Il ne reste alors plus beaucoup de place pour la vie animale.

Vous avez fait des recommandations au sujet de la certification et d'autres choses, mais avez-vous réfléchi à ce qu'on peut faire au sujet des autochtones, compte tenu du conflit qui existe entre la responsabilité fédérale et les droits des provinces?

M. Gray: Il y a eu un débat assez poussé en Ontario au sujet de l'accès aux ressources dans les zones où vivent des autochtones. Nous avons tenu une audience publique, suite à laquelle ont été établies environ 109 conditions applicables aux demandes d'autorisation d'aménagement forestier dans les terres de la Couronne relevant de la province.

Une de ces conditions concernait les Premières nations et l'obligation faite au ministère des Ressources naturelles de négocier des retombées pour les populations locales, y compris l'accès aux ressources pour les Premières nations. À ma connaissance, celles-ci n'ont pas l'impression que cela ait eu lieu jusqu'à présent. Tout récemment, il y a eu un précédent en Ontario quand la cour divisionnaire et la cour d'appel ont statué que le gouvernement provincial avait violé d'autres conditions de cette décision.

Je ne peux pas dire si les Premières nations ont raison de dire que ces conditions n'ont pas été respectées, mais le gouvernement provincial a été reconnu coupable d'une violation de la loi relativement à d'autres éléments de cette même décision.

Le gouvernement fédéral a manifestement un rôle énorme à jouer à propos des questions concernant les Premières nations, comme le règlement des revendications territoriales. Toutefois, le contrôle des ressources relève dans une large mesure des provinces. Les tribunaux obligeront de plus en plus ces dernières à accorder aux autochtones les droits issus des traités et l'accès aux ressources. Le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle en contribuant à faciliter la négociation du règlement de certaines de ces revendications; sinon, ce sont les tribunaux qui devront les régler, probablement pas à l'avantage de tout le monde.

Le président: Un des intervenants a parlé de racheter des droits. Quelqu'un parmi vous a-t-il lu quoi que ce soit à ce sujet? Si les provinces partagent le contrôle de la foresterie avec les autochtones, elles perdront certains des avantages financiers qu'elles retirent de son contrôle total. Toutefois, à ma connaissance, certains ont proposé que le gouvernement fédéral compense les pertes financières que les provinces subiraient en leur accordant des points d'impôt ou en utilisant une autre méthode.

M. Gray: Je ne suis pas au courant de cela.

Le président: Vous n'avez rien vu de ce genre?

M. Gray: Non.

M. Sullivan: Je travaille depuis quelques années sur la rive ouest du lac Winnipeg et j'aimerais donc parler de certaines des questions concernant les Premières nations. J'ai également un document juridique tout à fait lisible relatif aux répercussions que l'arrêt Delgamuukw aura sur les relations entre les Premières nations et le gouvernement fédéral.

Les autochtones ne peuvent pas exercer les droits de chasse, de pêche et de piégeage que leur garantit la Constitution quand les sociétés forestières possèdent de vastes étendues de terres. Ils semblent seulement pouvoir recevoir un dédommagement financier. La plupart des trappeurs avec lesquels j'ai parlé qui continuent à poser des pièges ne veulent pas recevoir un dédommagement. Ils veulent pouvoir exercer leur droit de piégeage, et ils ne peuvent pas le faire.

Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en plus de ce qu'il considère comme son rôle traditionnel au sujet des terres fédérales, parce que le piégeage se pratique dans les zones d'utilisation traditionnelle des terres, qui se trouvent souvent à l'extérieur des réserves, seule chose que le gouvernement fédéral pense être de son ressort en matière environnementale pour ce qui a trait aux Premières nations.

Il est certain que la foresterie a des répercussions sur la possibilité de pratiquer la pêche commerciale et de récolter d'autres plantes comme le riz sauvage et les baies. La collecte de produits alimentaires et la production de remèdes traditionnels sont aussi directement touchées. Les Premières nations utilisent nombre des valeurs que présente la forêt au lieu de se limiter à l'extraction d'arbres, mais ces autres activités ne sont pas prises en compte quand on planifie l'aménagement forestier au niveau provincial. Telle est souvent la nature des problèmes.

Les Premières nations ne sont pas associées aux premières étapes de la planification de la gestion de l'utilisation des sols. Elles n'ont pas leur mot à dire à cet égard alors qu'elles devraient avoir une voix prépondérante pour déterminer l'utilisation des sols dans les territoires sur lesquels elles exercent encore leurs droits. Il y a un manque de détermination de la part aussi bien des gouvernements provinciaux, qui ont des responsabilités fiduciaires identiques envers les Premières nations, que du gouvernement fédéral, dont le rôle a été établi à plusieurs reprises par les tribunaux. On constate toutefois qu'il existe encore un peu partout des vestiges du colonialisme.

À un niveau, il faut permettre aux groupes des Premières nations d'exercer leur droit à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale. Quelle que soit la façon dont on la conçoit, l'autonomie gouvernementale doit reposer sur une base territoriale et doit inclure l'accès aux ressources qui s'y trouvent. C'est l'essence d'un État-nation. Il faut leur accorder le droit de gérer ces zones. Cela nous amène à la question de l'accès au contrôle communautaire. C'est une valeur importante que beaucoup de gens négligent.

Le président: Le système de gestion qui est apparemment en train de prendre forme ne paraît pas être si mauvais, compte tenu de la servilité avec laquelle nous nous plions à l'économie de marché. Ce système semble consister à laisser les entreprises dites commerciales gérer les forêts. L'Ontario s'engage sur cette voie en instituant des vérifications quinquennales indépendantes des forêts et du gouvernement.

On charge un vérificateur indépendant de déterminer si les exigences concernant la filtration des eaux, les droits des autochtones et l'environnement sont satisfaites avant d'autoriser l'abattage d'un arbre. Le Nouveau-Brunswick a donné un peu l'exemple à cet égard en ordonnant aux responsables de l'exploitation des forêts d'accorder 5 p. 100 des possibilités de coupes annuelles aux organisations autochtones.

En Ontario, autour de Timmins, le tourisme joue un rôle. Certains secteurs forestiers ont été mis à côté pour le tourisme, la motoneige, la randonnée, et cetera.

Que pensez-vous de cette méthode de gestion? Je poserai d'abord cette question à M. Thomas. Comment envisagez-vous la gestion de la forêt boréale pour tenir compte de ces réalités concurrentes?

M. Thomas: Tout le monde veut avoir sa part de la forêt boréale. Très peu de gens parlent au nom de la forêt et de la biodiversité et se penchent sur la nécessité de ne pas toucher à de vastes étendues de forêt boréale.

En ce qui concerne l'industrie forestière, le principal problème est une question d'échelle. On a construit des usines de pâte à papier comme celle d'Alberta Pacific, qui ont besoin d'énormes quantités de bois chaque mois, chaque jour. Leurs objectifs sont, dans l'ensemble, incompatibles avec d'autres, comme la protection de la biodiversité et la mise de côté de zones de vieilles forêts, parce que le gouvernement les force quasiment à couper d'abord les vieux arbres. Je trouve très inquiétant qu'on confie la garde du poulailler au renard.

Des recherches très intéressantes ont été réalisées récemment en Alberta, par exemple à propos de l'entente de gestion forestière conclue avec Daishowa. On a étudié si une gestion durable des forêts était possible dans ce contexte. On a conclu que oui, si cette société est la seule à utiliser les forêts. Comme je l'ai expliqué, des quantités considérables de zones boisées disparaissent au profit de l'exploitation du pétrole et du gaz et de l'agriculture. Cela n'inclut pas les activités de loisir, les droits des Premières nations, et cetera. Bien entendu, la liste est longue.

Je ne réponds pas vraiment directement à votre question. Toutefois, comme je l'ai déjà dit, nous devons repenser notre façon d'envisager l'aménagement forestier. Il est tout à fait vain de penser que nous savons comment gérer les écosystèmes forestiers. Comme beaucoup de gens des Premières nations l'ont dit, nous devons apprendre à nous gérer nous-mêmes.

Cela ne résout pas le problème à court terme parce que les principales ententes d'aménagement forestier de l'Alberta viendront à échéance dans dix ans. Je sais que, dans cette province, de nombreux groupes vont se réunir pour s'assurer que ces ententes soient restructurées afin que les forêts soient gérées de façon beaucoup plus durable.

Le président: C'est un élément essentiel. C'est, je crois, Harry Truman qui disait que la guerre est trop importante pour qu'on la confie aux généraux. Je me demande si les forêts ne sont pas trop importantes pour qu'on les confie aux ministères des Forêts. Le ministère responsable se considère comme une division d'exploitation dont le mandat est de gagner de l'argent pour le compte du gouvernement. Ayant été élu, et maintenant nommé, à un poste politique, je sais quelles pressions exercent les gens qui essaient de gagner de l'argent en foresterie.

Quel système recommanderiez-vous pour gérer les forêts et les préserver pour les générations à venir?

M. Gray: En Ontario, nous sommes actuellement confrontés à certains de ces problèmes. Le gouvernement de la province a réduit le nombre d'employés du ministère des Ressources naturelles de 45 p. 100 depuis 1995. Le ministère de l'Environnement et le ministère des Ressources naturelles sont ceux qui ont subi le plus fort pourcentage de compressions dans toute la bureaucratie. La tendance actuelle est manifestement à la suppression de cette capacité de gestion publique.

Le problème est de parvenir à protéger l'intérêt public et la viabilité à long terme de la forêt tout en transférant la responsabilité de la gestion au secteur privé. Je pense que c'est possible. Je conviens avec vous que les organismes provinciaux chargés des ressources ont été créés en ayant pour mandat de fournir du bois aux usines, de la roche aux mines, ou je ne sais quoi, et en se souciant non pas de la viabilité à long terme mais plutôt de la collecte de redevances à court terme.

L'Ontario a la possibilité de transformer les vestiges de ces bureaucraties provinciales en organismes de surveillance supervisant des systèmes de vérification qui couvrent véritablement tous les aspects du problème. Avec la privatisation de la gestion dans tout le pays, il faut se détacher d'une structure réglementaire et législative très permissive, conçue par les bureaucrates pour leur donner le plus de souplesse possible.

En Ontario, par exemple, le ministère des Ressources naturelles voulait fournir le bois aux usines tout en réglementant son volume de production et en préservant d'autres valeurs dans la forêt. Il a préparé des lois comprenant d'énormes échappatoires parce qu'il voulait avoir cette souplesse. On transfère actuellement ce même cadre législatif au secteur privé. Il ouvre toute grande la porte aux abus parce qu'il ne prévoit aucune condition de base, aucun objectif clair, ni aucune procédure de vérification de l'inspection.

À mon avis, peu de gens sont contre le fait de laisser ceux qui veulent récolter des arbres préparer et payer le plan quinquennal de gestion de la récolte du bois, mais il est tout à fait d'intérêt public de savoir si les règles sont respectées, et nous avons besoin de systèmes qui le garantissent. À ma connaissance, on n'a fait cela dans aucune province. En fait, en Ontario, c'est le contraire qui est vrai. Dans tout le pays, il faut que les gouvernements créent un système grâce auquel les choses se passeront ainsi.

Certains disent que l'industrie forestière s'occuperait mieux des forêts si elle en était propriétaire. Ils affirment que la privatisation des terres de la Couronne encouragerait l'investissement dans la sylviculture. Il faut examiner très soigneusement cette argumentation quant elle vient de l'industrie forestière. Imaginez un investissement que nous ferions, vous ou moi. Si nous disposions de 5 $ et si nous savions qu'en investissant d'une certaine façon, nous nous retrouverions avec 6 $ dans 80 ou 10 ans, nous préférerions porter notre argent à la Banque Royale, où ce montant pourrait doubler dans cinq ans.

Il n'est guère sensé d'investir dans les arbres pour gagner de l'argent dans un climat septentrional comme celui du Canada, mais c'est sensé du point de vue social. Nous voulons avoir des forêts et des arbres à couper à l'avenir, mais l'argument selon lequel une société qui posséderait le terrain y investirait davantage d'argent est dénué de sens.

Je citerai l'exemple de la société Bowater, un nouvel investisseur important en Ontario, qui possédait des milliers d'hectares en propriété franche en Nouvelle-Écosse et dans le Maine. Elle en a récemment vendu de vastes étendues. Elle a gardé ses usines, mais, d'un point de vue économique, il est plus sensé pour elle de se débarrasser des terrains et d'acheter du bois sur le marché libre.

Une gestion des sols axée sur le long terme ne peut pas rapporter beaucoup d'argent à l'industrie forestière. Quand on met en place une structure réglementaire, il faut comprendre que cela fait partie des frais généraux des entreprises. Pour avoir le droit d'exploiter une ressource appartenant à la collectivité, il faut payer l'électricité, le gaz, la main-d'oeuvre et la sylviculture en respectant les normes établies par la province ou l'organisme de réglementation compétent, quel qu'il soit.

L'idée de privatiser les terres publiques m'inquiète beaucoup, de même que, je pense, beaucoup de Canadiens. C'est pourtant ce que réclame de plus en plus énergiquement l'industrie forestière en Colombie-Britannique à cause de la situation particulière du marché à l'heure actuelle dans cette province.

M. Sullivan: Au Manitoba et, dans une certaine mesure, dans le reste du Canada, les gens avaient l'impression qu'il existait un mécanisme permettant à toutes les parties concernées de se faire entendre et un système transparent permettant de tenir compte des aspects environnementaux, sociaux et économiques de la situation dans le domaine de la foresterie, de présenter des recommandations au gouvernement au sujet de la marche à suivre et de déboucher sur des discussions concernant la planification de la gestion des terres et de l'aménagement forestier, tout en tenant compte des préoccupations des Premières nations.

Nous pensions que tel était le but de la procédure d'évaluation environnementale. Ces évaluations ne concernent pas seulement l'environnement. Elles portent sur les impacts sociaux, économiques et environnementaux, les retombées positives et négatives, ainsi que sur la gestion des terres et la planification forestière. Ce mécanisme ne marche pas. Il est trop discrétionnaire. Au Manitoba, la procédure d'examen n'est pas du tout indépendante. Aucune analyse n'est effectuée par un expert indépendant dans le cadre de la procédure d'évaluation. En fait, aucune des recommandations n'est exécutoire pour le ministre. Pour les tribunaux, il ne s'agit même pas d'une institution quasi-judiciaire. Ce mécanisme, dont les Manitobains disaient qu'il était précisément adapté aux questions dont nous parlons, ne marche pas du tout.

Le vrai problème est que ces choses entrent en jeu quand le document juridique, l'entente sur un permis de gestion forestière, a été signé par la Couronne et l'entreprise. Ces ententes sont généralement contraignantes pour les parties pendant 20 ans, c'est tout au moins ce qui est censé être le cas au Manitoba. Elles établissent le montant des droits de coupe et prévoient que la Couronne peut, si l'intérêt public le justifie, retirer certaines parties de la zone concédée à l'entreprise. Elles déterminent également combien celle-ci devra dépenser pour la sylviculture et qui devra payer la route d'accès. C'est seulement quand les points de droit ont été réglés et que l'entente est signée que le processus d'évaluation environnementale commence. Cela revient à mettre la charrue avant les boeufs. Aucune entente ne devrait être signée tant que l'évaluation n'a pas eu lieu, afin que personne ne soit lié par cette entente avant que le public ait eu accès en toute transparence aux décisions prises. Mais, bien sûr, il existe un mécanisme d'évaluation dans la plupart des provinces.

Le président: La certification est une autre méthode de contrôle -- tout au moins si nous parvenons à informer la population à ce sujet. La certification utilisée sur le marché paraît être une excellente idée pour les consommateurs bien renseignés. Nous exportons environ 23 p. 100 de notre bois et de notre pâte à papier aux États-Unis, qui n'ont manifesté aucun intérêt réel pour la certification. Ils acceptent n'importe quel bois étranger, sans se soucier du nombre d'arbres que nous avons abattus pour le leur fournir.

Peut-on faire la certification à la production? En d'autres termes, pouvons-nous mettre en place la procédure de certification ici avant l'exportation du bois ou nous fier à la façon dont les consommateurs conçoivent cette certification en espérant qu'elle forcera ultérieurement les sociétés forestières et les entreprises qui commercialisent le papier et la matière ligneuse à faire plus d'efforts pour protéger l'environnement?

M. Sullivan: Le Canada et les États-Unis examinent actuellement les systèmes de certification existants. Ces programmes deviennent de plus en plus crédibles. En toute franchise, je ne suis pas très partisan de la certification. C'est quelque chose que les entreprises peuvent utiliser à mauvais escient.

Je ne vois pas pourquoi nous devrions certifier l'industrie de la pâte et du papier. Il existe aujourd'hui d'autres sources de fibres. On n'a pas besoin de bois pour faire du papier. C'est bien connu. Nous continuons à subventionner le bois qui sert à faire du papier, mais nous n'encourageons pas de la même façon les producteurs d'autres fibres. Le système qui prévaut sur le marché et qui continue à privilégier l'exploitation du bois au détriment des autres sources de fibres qui nuisent moins à l'environnement tout en donnant, en fin de compte, des résultats identiques, est inéquitable.

Voilà ce que je pense de la certification; je suis sûr que d'autres gens feront également des commentaires à ce sujet. En ce qui concerne l'industrie de la pâte et du papier, je ne sais pas pourquoi nous envisageons même de certifier de grosses entreprises d'exploitation des ressources comme celles qui existent au Manitoba. Si nous voulons certifier quelque chose, faisons en sorte que cela puisse s'appliquer aux petits propriétaires indépendants. Il ne faudrait même pas certifier les sociétés de pâte et papier qui utilisent du bois.

M. Gray: Au Canada, il y a deux systèmes de certification qui se font concurrence. Il y a celui de l'Association canadienne de normalisation, qui a été élaboré par l'industrie forestière du Canada parce qu'elle craignait un boycott de la part des consommateurs, principalement en Europe. Elle voulait élaborer un système de certification pour faciliter l'accès aux marchés européens. L'autre système est celui du Forest Stewardship Council, qui a été élaboré principalement grâce aux efforts entrepris par des organisations non gouvernementales -- des groupes d'écologistes -- dans l'ensemble du pays.

Le système de la CSA est complet. Les normes correspondantes ont été établies. Le système du FSC est maintenant devenu plus international et est basé au Mexique. La balance penche maintenant en sa faveur. Western Forest Products, MacMillan Bloedel et J.D. Irving tendent à l'adopter, en partie parce que ces sociétés ont l'impression que la méthode de la CSA ne sert à rien et en partie parce que les milieux écologistes l'ont largement, presque universellement, boycottée. Si vous voulez élaborer un système pour offrir des produits respectueux de l'environnement sans obtenir l'adhésion d'un seul groupe écologique, vous aurez des problèmes sur le marché. En fin de compte, vous verrez que le système du FSC va l'emporter.

L'échec ou la réussite d'un système de certification dépend beaucoup de la mesure dans laquelle le public considère que la norme utilisée reflète véritablement la qualité de la gestion des forêts. Un fait intéressant est que, sur le marché, la certification n'est pas utilisée au niveau des consommateurs individuels. Il est important de le noter.

Au Canada, la certification ne joue pas un grand rôle. Ce sont nos marchés étrangers qui sont importants. Il s'agit de constituer de grands groupes d'achat, comme Home Depot, qui conviendront d'acheter seulement du bois certifié quand celui-ci sera disponible. Ces grandes chaînes vendent beaucoup d'autres choses en plus du bois. Elles veulent pouvoir utiliser, dans leur marketing, d'autres façons d'attirer les consommateurs dans leurs magasins pour qu'ils y achètent des outils électriques ou des meubles de jardin. Quand les consommateurs viennent y acheter quelques deux-par-quatre pour construire une terrasse, ils peuvent avoir bonne conscience parce qu'ils font quelque chose qui ne nuit pas à l'environnement. L'effet le plus important de la certification ne sera pas de convaincre tous les acheteurs de payer un deux-par-quatre dix cents de plus, mais de convaincre les grandes entreprises de vente au détail qu'il est dans leur intérêt d'adopter ce système comme une prestation supplémentaire à offrir à leurs clients et d'éviter ainsi de susciter des réactions négatives de leur part -- c'est-à-dire des boycotts, des pressions commerciales, l'annulation de contrats, et cetera.

Je suis plus optimiste pour ce qui est au moins de la possibilité d'utiliser la certification pour encourager les entreprises qui se comportent correctement et éliminer les pires. Toutefois, cela ne remplacera jamais une réglementation et une politique environnementales claire. C'est un instrument qui a un effet brutal. Les gens qui ne respectent pas la norme ne trouvent pas d'acheteurs. Dans certains marchés, ceux qui la respectent peuvent vendre n'importe quoi. Ce n'est pas quelque chose qui convient pour punir une entreprise ou intervenir d'une autre façon auprès d'elle si elle a construit illégalement une route dans son secteur d'aménagement forestier. C'est un instrument d'application beaucoup plus générale, plus brutale, mais il n'est pas sans valeur.

Le Canada a certaines possibilités de montrer la voie à cet égard. J'espère que nous parviendrons à obtenir des résultats au cours des prochaines années.

M. Thomas: Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit, en particulier par M. Sullivan. J'ai des réticences au sujet de la certification. Actuellement, la foresterie industrielle telle qu'elle est pratiquée dans l'ensemble du Canada n'est pas écologiquement viable. Une réglementation gouvernementale est nécessaire. Je ne pense pas que nous puissions nous en remettre aux fameuses lois du marché ou aux consommateurs.

Par exemple, en Alberta -- et j'en reviens toujours à cet exemple --, il faut que nous cherchions d'autres sources de fibres. C'est ainsi que le rendement du chanvre par hectare est quatre fois plus élevé. D'après l'auteur de Logging the Globe, dans la forêt boréale, nous retardons simplement le jour où les plantations d'eucalyptus de l'hémisphère Sud inonderont le marché de fibres ligneuses à bas prix. C'est exact. Ici, nous liquidons les vieilles forêts et nous subventionnons cette industrie. En fait, c'est ainsi qu'elle peut survivre.

Je crois que nous devons être honnêtes au sujet des plantations. En Alberta, les contribuables ont payé une bonne partie du déboisement pour créer des terres agricoles marginales. J'aimerais qu'on se remette à y faire pousser des arbres et qu'on ne touche pas à ce qui reste de la forêt naturelle. Il y aurait des problèmes pendant la période de transition, mais nous pourrions les surmonter. Une des possibilités les plus prometteuses est de modifier maintenant notre façon d'agir. Ce que nous faisons actuellement n'est pas durable, que ce soit du point de vue écologique ou économique.

Le président: Merci pour votre exposé.

Nous allons maintenant entendre M. Schlinder.

M. David Schlinder, Département des sciences biologiques, Université de l'Alberta: Monsieur le président, je suis ici depuis environ une demi-heure et je n'ai rien entendu avec quoi je ne sois pas totalement d'accord pour ce qui est de ce qui se passe dans les trois provinces.

J'ai vécu pendant 22 ans dans le nord-ouest de l'Ontario. Mon bureau central était au Manitoba. Je sais donc beaucoup de choses à propos de ce qui se passait là pendant les années 70 et 80. Depuis 1989, je vis en Alberta. Je faisais partie de la Commission qui n'avait pas approuvé la demande présentée par Alberta Pacific, mais l'usine a quand même été construite. Je connais très bien les problèmes qui se posent à cet égard.

J'ai six voisins qui exploitaient le bois. Ils avaient de petites scieries, qui ont fermé leurs portes parce que tout ce qu'ils possédaient a été donné à Weyerhauser. On leur a dit de traiter avec cette société. Je connais donc également la situation des petites entreprises.

Je pensais que, quand ce serait mon tour, vous auriez déjà entendu un grand nombre de déclarations classiques au sujet du taux de coupe dans la forêt boréale, et je n'ai pas l'intention de les répéter. Puisque je faisais partie de la Commission qui s'est prononcée sur Alberta Pacific, j'ai suivi régulièrement l'évolution du prix de la pâte à papier. Il me semble que, pour la viabilité, le critère de base devrait être, tout au moins, qu'une entreprise puisse réaliser un profit quand elle vend son produit, ce qui n'est pas arrivé très souvent au cours des neuf ou dix dernières années. Il me semble que nous pourrions nous permettre de conserver une bonne partie des arbres que nous coupons actuellement pour attendre que cela puisse au moins nous rapporter un peu d'argent.

Vivant et travaillant dans la forêt boréale depuis longtemps, je suis au courant de beaucoup de choses qui sont liées au taux de coupe dont vous avez entendu parler et qui compliquent la situation. J'ai eu la chance de vivre dans la forêt boréale pendant une période de 22 ans de réchauffement presque constant du climat. J'aimerais vous en parler et vous présenter certaines données. C'est assez caractéristique de ce qui s'est passé dans la forêt boréale.

Les années comprises entre 1970 et 1990 ont été inhabituellement chaudes et sèches dans les régions boréales de l'Ouest et du Centre. En moyenne, la température a connu une augmentation comprise entre 1,5 et 2 degrés centigrades pendant cette période. Le nombre d'incendies de forêt a presque doublé. Il y a également eu, pendant cette période, une augmentation constante des coupes.

Je connais plusieurs forestiers provinciaux et j'ai assisté à l'élaboration de plusieurs plans d'aménagement. Une des choses qui me préoccupent est que nous ne tenons guère compte du risque d'augmentation du nombre d'incendies de forêt à l'avenir, qu'ils soient dus à un accroissement de l'effet de serre ou même à de simples événements naturels.

Les deux usines de pâte à papier de Kenora et de Dryden, en Ontario, que je connais bien, ont actuellement des difficultés à cause de l'importance des incendies dans cette région. Celle de Kenora fait venir du bois en camion du nord du Manitoba pour alimenter sa production. Or, en 1966, quand j'ai négocié l'inclusion de certains bassins versants dans un petit projet portant sur un lac, ces deux entreprises ont simplement dit en riant: «Ce petit bout de terrain ne va jamais nous manquer.» Aujourd'hui, ils appellent chaque année celui qui m'a remplacé à la direction du projet pour lui demander: «N'avez-vous pas encore fini avec l'un ou l'autre de ces petits bassins? Nous avons réellement besoin du bois.»

Dans le passé, nous avons un peu manqué de prévoyance. Si nous nous reportons 30 ans en arrière, nous pouvons imaginer que nous ne saurons guère mieux prévoir ce qui va se passer d'ici 20 ou 30 ans.

Les gens ont examiné le réchauffement climatique. Dans une version des modèles mondiaux utilisés pour les projections du réchauffement climatique, la forêt boréale centrale est indiquée comme une zone clé. La plupart des estimations prévoient un fort réchauffement dans la forêt boréale. Beaucoup de gens pensent que c'est une bonne chose, que les arbres et les poissons vont grandir plus vite. Toutefois, ils oublient que cela veut dire aussi qu'il y aura plus d'évaporation, et une bonne partie de l'ouest du centre du Canada est déjà à la limite du manque d'humidité. Cette carte indique une diminution de 50 p. 100 de l'humidité quand la forêt boréale centrale est de 30 ou 40 p. 100 dans une grande partie du reste.

Nous n'avons pas adapté les écosystèmes à ce type de réchauffement climatique. D'après les meilleures estimations des paléoécologistes qui ont fouillé divers vestiges d'animaux et de plantes dans les boues des lacs, le climat le plus chaud qui a existé dans la plus grande partie de la forêt boréale au cours des 10 000 dernières années était d'environ un degré plus chaud que maintenant.

Bien entendu, les modèles prévoient des températures de trois et quatre degrés supérieures aux conditions météorologiques actuelles.

Nous savons que nombre des plus grands lacs du Canada, par exemple le lac Manitoba, se sont asséchés et qu'il n'y avait aucune tourbière dans la forêt boréale méridionale. Leur apparition a été retardée par les températures élevées qui régnaient il y a 6 000 ans, à un point tel que leur réapparition a eu lieu seulement il y a 3 000 ou 4 000 ans. Comme vous pouvez le constater, il y a eu beaucoup de changements importants dans la forêt boréale à cette époque.

Le projet que j'ai dirigé pendant 22 ans, de 1968 à 1989, concernait la Région des lacs expérimentaux, dans le nord-ouest de l'Ontario. Elle est située sur le Bouclier précambrien et dans la partie méridionale de la forêt boréale. Nos travaux portaient sur une trentaine de lacs dans ce secteur; dans certains, nous avons fait des expériences d'aménagement et, dans d'autres, nous avons collecté des renseignements généraux et des données de référence afin de pouvoir interpréter les expériences en sachant quelles sortes de changements naturels se produisaient également dans les lacs.

Je vais vous montrer des données provenant d'un secteur de référence dans une vieille forêt de pin gris et d'épinette noire. Il est composé de plusieurs lacs qui s'écoulent vers le sud en passant par le lac 240. Nous observons la quantité et la qualité de l'eau ainsi que le débit dans les bassins versants boisés et marécageux. Le substrat rocheux est juste en dessous de la surface, si bien qu'il est facile d'avoir des installations étanches. Les échantillons sont prélevés une fois par semaine pour les analyses chimiques, et on mesure constamment le débit depuis 1969; nous avons donc des données couvrant une longue période.

De 1970 à 1990, la température de l'air s'est constamment réchauffée. Il y a eu des fluctuations des températures moyennes annuelles de l'air et une diminution des précipitations. Tout le monde semble oublier que, quand la température augmente, l'évaporation en fait autant. La diminution des précipitations et l'augmentation de l'évaporation ont porté un double coup à cet ensemble de lacs. En outre, comme les précipitations sont moins abondantes, la couverture nuageuse est généralement plus faible.

Quand une zone reçoit en moyenne seulement environ 550 millimètres de précipitations par an, cela peut avoir des résultats très marqués. Le cas le plus notable est celui de trois cours d'eau que nous avons observés; ils drainaient des bassins versants terrestres. C'était le tronçon supérieur de ces cours d'eau. Au début des années 70, il y avait tous les jours de l'eau qui coulait dans leur lit, c'était des cours d'eau permanents. À la fin des années 80, leur lit était asséché en moyenne pendant 160 jours pendant la période où il n'y a pas de glace. Ces cours d'eau permanents sont devenus très éphémères. Bien entendu, ce sont eux qui, normalement, transportent dans les lacs les nutriments et les autres substances chimiques provenant des forêts.

Quand cet échauffement a commencé à se manifester, au début juillet 1974, le lendemain d'un orage électrique non accompagné de précipitations, un incendie s'est étendu jusqu'à la rive du lac dans le sous-bassin de l'Est, là où le cours d'eau le plus important débouche dans le lac. On a assisté à un parfait exemple de rétablissement du milieu boréal: un an plus tard, on pouvait voir repousser toutes sortes de petits pins gris, quelques épinettes noires, des trembles et d'autres arbres. Six ans plus tard, ils étaient plus hauts que notre tête. Toutefois, beaucoup ont vu leur feuillage brunir parce que la sécheresse a continué et s'est plutôt intensifiée pendant cette période.

En 1980, un deuxième incendie a frappé ce secteur. Inutile de dire que cela lui a porté un rude coup. Vingt ans plus tard, il y a encore aujourd'hui de grandes étendues de substrat rocheux qui n'ont pas encore été repeuplées.

Il est facile de comprendre pourquoi. Il n'y a pas beaucoup de sol là-bas. Les arbres poussent simplement dans la couche de matières organiques qui recouvre la roche. Si cette couche est brûlée ou, comme cela arrive souvent ces temps-ci, si on coupe les arbres et qu'on laisse cette couche sécher à la suite de la coupe à blanc et qu'elle se transforme ensuite en poussière, le milieu est alors bien peu propice à la croissance de nouvelles plantes.

Vers la fin de cette période, les cours d'eau qui drainaient ces zones étaient à sec jusqu'à 160 jours par an. Quand il n'y a pas d'eau qui coule, de nombreuses substances chimiques ne sont pas transportées. En ce qui concerne la productivité dans les lacs, le phosphore et l'azote sont les substances chimiques qui posent le plus de problèmes.

Les trois cours d'eau qui prennent leur source dans ce bassin versant terrestre s'écoulent dans le Lac 239. Dans ce secteur, tous les lacs sont pauvres en phosphore, comme le montrent les expériences que nous y avons réalisées; donc, quand il y a moins de phosphore, la production diminue. On pourrait donc dire que les problèmes climatiques font concurrence à la coupe à blanc pour leurs effets sur les forêts, mais qu'ils ont aussi des effets préjudiciables pour les lacs.

Il y a eu une augmentation pendant la période sans glace.

Dans ce secteur, la vitesse moyenne annuelle du vent a augmenté de près de 50 p. 100. Nous sommes tout à fait sûrs que cela est dû à la fois au nombre de gros incendies et à l'importance des coupes à blanc.

Dans le lac, la thermocline -- c'est-à-dire la zone intermédiaire entre la couche supérieure d'eau chaude et l'eau froide des profondeurs -- s'est enfoncée pendant cette période.

Dans ces lacs, une des substances chimiques clés est ce que nous appelons le carbone organique dissous, COD. Cette bouteille contient, à titre d'exemple, un échantillon d'eau de l'affluent de l'Est. Cette couleur jaune est ce qui reste de la matière organique des sols humides et des zones marécageuses une fois que tous les microbes terrestres ont contribué à sa dégradation. Ces eaux sont fortement colorées et, en particulier, cette couleur est un mécanisme très efficace pour le blocage des rayons ultraviolets et de la partie visible du spectre. En fait, c'est le principal facteur de contrôle de l'intensité et de la profondeur de pénétration de la lumière dans les lacs très peu productifs caractéristique de la région boréale. Ceci est préoccupant à plusieurs égards. Après une averse, une forte quantité de ce composé peut provenir d'un des cours d'eau et regarnir, en quelque sorte, le filtre solaire du lac.

J'ai mentionné que le débit avait diminué. Si vous comparez simplement sur une courbe le carbone organique dissous et le volume d'arrivée d'eau, vous voyez la corrélation. Si vous connaissez le débit, vous connaissez la quantité de COD arrivant dans un secteur donné. Étant donné que, pendant cette période, le COD arrivait dans le lac en moindre quantité, la pénétration de la lumière était plus forte, ce qui devrait avoir toutes sortes de conséquences.

J'ai mentionné l'abaissement de la thermocline. C'était une conséquence directe de sa déstabilisation du fait de l'augmentation de l'énergie solaire, si bien qu'elle se trouvait à une profondeur double de la normale pendant cette période. La couche supérieure chaude devenant plus profonde, la température de l'eau augmentait et la glace était présente pendant moins longtemps, ces trois facteurs se combinant pour augmenter fortement la température de ces nappes d'eau.

La visibilité est alors également meilleure dans l'eau; les prédateurs qui doivent localiser visuellement les petits poissons ou les autres organismes qui sont leurs proies ont donc la tâche plus facile. Par conséquent, cela donne à penser que l'équilibre écologique pourrait également être compromis.

Comme je l'ai mentionné, nous avons constaté une diminution de la productivité de nos lacs. La chlorophylle a diminué au même rythme que le phosphore, ce qui révèle le niveau de production d'algues dans le lac. Au cours de cette période de 20 ans, la productivité des lacs a diminué par suite du réchauffement du climat.

Ceci a de graves répercussions sur des choses comme la truite grise. Je suis sûr que vous avez déjà entendu parler des menaces que constituent la facilitation de l'accès due aux routes forestières, les profils séismiques, et cetera., sans parler du plus grand nombre de gens qui vivent dans la forêt boréale et des moyens dont disposent les personnes paresseuses pour se déplacer plus aisément. Je me rappelle même l'époque où, quand on se rendait dans la forêt boréale en hiver, les indications d'une présence humaine qu'on voyait étaient tout au plus les traces laissées par les raquettes ou les skis, mais il n'y avait pas d'empreintes de motoneige autour de tous les lacs situés à 20 milles de la route la plus proche. L'exploitation des forêts a eu de lourdes conséquences pour les poissons.

L'abaissement de la thermocline a également réduit leur habitat pendant cette période. Ces truites ont une tolérance thermique maximale d'environ 15 degrés centigrades; au milieu de l'été, dans les petits lacs, elles doivent descendre jusqu'à ce niveau. Elles passent l'été dans la thermocline.

Au cours de ces 22 années, le lac 239 est devenu un endroit où on ne trouvait plus surtout des truites grises, mais surtout des grands brochets. Ce n'est pas à cause de la pêche, puisqu'elle est interdite dans ces lacs, mais seulement à cause du changement de climat. Nous n'en avons pas la preuve absolue, mais nous ne pouvons voir aucune autre raison.

Le petit habitat de truites qu'il y avait dans le lac 240 semble avoir complètement disparu. Environ 75 p. 100 des lacs à truite de la forêt boréale sont des petits lacs de moins de cinq hectares; certains de ces facteurs peuvent donc avoir une grande importance.

Je voudrais revenir à l'abaissement de la thermocline. Il est dû à deux facteurs. Le premier est l'augmentation de la vélocité du vent suite à l'élimination des arbres dans les bassins résultant des incendies et de la coupe à blanc. Le deuxième est la disparition de l'apport de carbone organique dissous, ce qui est dû à la réduction du débit des cours d'eau et à l'assèchement des bassins versants. Normalement, quand les arbres ont été coupés, le ruissellement augmente un petit peu pendant deux ou trois ans, puis les sols deviennent beaucoup plus secs parce qu'il n'y a plus de couvert pour les protéger de la lumière du soleil.

Nous avons étudié non seulement les effets directs et indirects de l'exploitation forestière, mais également celui de l'exposition aux rayons ultraviolets. Comme la plupart des gens le savent, l'épuisement de l'ozone de la stratosphère entraîne une augmentation des rayons ultraviolets qui atteignent la terre. Le carbone organique dissous étant présent en moins grande quantité dans les lacs, comme nous l'avons constaté, la pénétration des rayons ultraviolets augmente de façon exponentielle. C'est ce qui se produit particulièrement quand il y a moins de 3 milligrammes de carbone organique dissous par litre, ce qui est le cas dans approximativement 30 p. 100 des lacs de la région boréale.

L'évolution de la présence de carbone organique dissous pendant une période longue est également liée à une autre perturbation courante dans cette région. Une bonne douzaine d'études montrent que l'acidification des lacs élimine le carbone organique dissous qui les protège en filtrant les rayons ultraviolets et la lumière visible. En général, de 90 à 95 p. 100 du COD disparaît par suite de la précipitation d'aluminium et de la réduction de la photodégradation. En bref, si les effets de l'exposition aux rayons ultraviolets sur les organismes aquatiques vous inquiètent, c'est des précipitations acides qu'il faut se soucier en premier. L'effet des rayons ultraviolets sur ces lacs est environ 100 fois plus grand que celui qui découle de l'épuisement de l'ozone de la stratosphère.

En ce qui concerne le climat, la diminution du COD a aussi un effet dix fois plus grand que l'épuisement de la couche de l'ozone. Ce milieu crée probablement plus de problèmes pour les organismes aquatiques que pour les biotes terrestres ou les êtres humains à cause des effets combinés des pluies acides, du changement climatique et des rayons ultraviolets. Bien entendu, ces trois facteurs agissent conjointement, le COD jouant le rôle d'intermédiaire, et il faut noter que ceci a de fortes répercussions dans l'est de la région boréale.

Ken Mills et moi-même avons fait certains travaux au début des années 90, nous les avons approfondis pour le compte du comité de la Royal Society. Nous avons constaté que, dans la région qui s'étend à l'est de la frontière de l'Ontario et au sud jusqu'au 52e parallèle, les précipitations acides ont probablement eu des répercussions, à des degrés divers, sur 100 000 lacs, qui ont également souffert de la pénétration accrue des rayons ultraviolets. En fait, nous sommes maintenant d'avis que certains des effets qu'on attribuait à l'acidification sont, en réalité, dus à l'augmentation de l'exposition à ces rayons. Outre les effets de la coupe à blanc sur la composition chimique de l'eau, les lacs de cette région subissent ceux qui sont dus à une combinaison d'autres facteurs.

La situation est encore plus compliquée que cela. Nous avons des preuves expérimentales que le réchauffement du climat s'accompagne d'un renforcement de la méthylation du mercure dans ces lacs. Le mercure-méthyle est très rapidement absorbé par les biotes. Malgré les efforts que nous avons faits pour réduire la présence de mercure autour des usines de pâte à papier, et cetera, il y a d'autres facteurs qui ont tendance à accélérer le cycle du mercure.

Non seulement la production de mercure-méthyle augmente, mais, la pénétration de la lumière étant plus forte, une plus grande quantité de ce mercure-méthyle est dégagée dans l'atmosphère. Avant de découvrir que le mercure-méthyle pouvait se transformer en mercure élémentaire, nous ne savions pas que cet important élément du mercure-méthyle présent dans les lacs gagne la stratosphère.

C'est également conforme à l'historique du paysage, car ce mercure provient initialement des bassins versants terrestres. Il tombe un peu partout, mais, pour une raison quelconque, il a tendance à s'écouler progressivement des zones sèches situées en amont vers les sols humides, en particulier les zones marécageuses, si bien que la quantité de mercure-méthyle provenant de ces zones qui se retrouve dans les lacs et les cours d'eau est d'environ 80 fois supérieure à celle qui se trouve en amont.

Avec tous ces mécanismes à l'oeuvre, la quantité de mercure ne diminue pas. Au contraire, à en juger par les sédiments des lacs, elle augmente bien que nous ayons contrôlé 70 à 75 p. 100 de ses sources.

Il y a encore un effet plus direct des rayons ultraviolets. Deux de mes étudiants ont étudié les effets de la coupe à blanc sur des cours d'eau de la Colombie-Britannique. En l'occurrence, le COD ne joue pas un grand rôle parce que ce sont des cours d'eau de faible profondeur, celle-ci variant entre quelques centimètres et quelques dizaines de centimètres. La lumière n'est guère atténuée dans l'eau, mais, du fait de la disparition du couvert forestier, les biotes des cours d'eau, protégés des rayons ultraviolets du soleil depuis des millénaires, sont soudains exposés. Au moyen d'une série très ingénieuse d'expériences, un des étudiants a pu isoler cela des effets de la température. Bien entendu, la température augmente dans les cours d'eau exposés par les coupes à blanc, mais quand l'étudiant a comparé les résultats obtenus tout en haut de la coupe, là où le cours d'eau sort d'une zone d'ombre, avec les résultats obtenus au pied de cette coupe et a fait des expériences sur les ultraviolets dans les deux cas, il a constaté que la plupart des effets subis par la quasi-totalité des insectes aquatiques mangés par les poissons étaient causés par les rayons ultraviolets.

Il y a quelques autres phénomènes particuliers. Après avoir réalisé une de ces expériences qui a donné des résultats impressionnants, nous en avons fait une autre sur le plateau intérieur au nord de Fort St. James, qui est un système boréal qui ressemble beaucoup aux parties septentrionales des autres provinces. Il est censé y avoir une bande tampon de 10 mètres le long des cours d'eau à cet endroit-là, mais c'est simplement une zone où il est interdit d'utiliser des machines. La taille des arbres est limitée, mais avec les grosses machines qu'on utilise, s'il y a un bel arbre de bonne taille qu'on peut atteindre sans empiéter sur la zone tampon riveraine, on peut l'arracher et, se faisant, on casse également tous les arbres de quatre pouces et de cinq pouces. Ceux qui ne sont pas cassés par les machines sont emportés par le cours d'eau, parce que la bande qui longe celui-ci est étroite. Dans le cours d'eau qui coule le long de la bande tampon, l'exposition aux rayons ultraviolets est seulement de 25 p. 100 plus faible que dans les cours d'eau dont les abords avaient été coupés à blanc. Certains de ces règlements sont très bien en théorie, mais, en fait, ils ne changent pas grand-chose.

Nous avons effectué une expérience sur les pluies acides pour tester l'évaluation du programme national américain d'évaluation des précipitations atmosphériques selon laquelle il n'y avait pas à s'inquiéter au sujet des lacs tant que leur pH n'était pas tombé en dessous de 5, ce qui voulait dire que les pluies acides ne posaient pas de problème, puisque 4 p. 100 seulement des lacs du nord-est des États-Unis avaient un pH inférieur à 5. Nous avons fait l'inventaire de tous les groupes que nous connaissions bien dans un petit lac de cette région de lacs expérimentaux et nous avons ensuite abaissé le pH à 5. La biodiversité de ces systèmes a alors diminué d'environ 30 p. 100, ce qui, d'ailleurs, ne reflète même pas la quantité d'espèces disparues.

Certains nouveaux organismes tolérants aux acides sont venus remplacer ceux qui avaient complètement disparu. La perte réelle d'organismes naturels se situe plutôt aux alentours de 50 p. 100. Il est assez difficile de l'évaluer avec exactitude parce que certaines espèces rares ont tendance à apparaître et disparaître sans raison particulière, mais ce chiffre est probablement très proche de la réalité. Nous avons estimé, Ken Mills et moi, que, dans les 100 000 lacs qu'il y a dans ces taxons, nous avons probablement perdu quelque chose comme une population d'un million d'organismes différents qui ont disparu de ces systèmes de la forêt boréale de l'Est.

Je vous ai envoyé un exemplaire de l'examen global de la forêt boréal que j'ai effectué au printemps pour BioScience. Le bilan de mes observations est que nous avons tendance à nous concentrer individuellement sur l'exploitation forestière, les pluies acides ou ces différents petits problèmes. Quand je vois tout ce qui se passe dans la forêt boréale, je trouve que c'est comme une grosse tranche de pain que mordillent toutes sortes de fourmis. Il y a des coupes à blanc partout, des pluies acides dans l'Est, le changement climatique dans l'Ouest et dans le Nord, une augmentation de l'accès dans toute la partie méridionale de la forêt boréale. Quand on regroupe tous ces éléments, la situation paraît vraiment noire.

Le sénateur Cohen: Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la réglementation et de la certification gouvernementale? Nous avons entendu certaines opinions différentes et j'aimerais entendre la vôtre.

M. Schlinder: Je serais certainement tout à fait opposé à une réglementation gouvernementale si elle est du même genre que ce qu'il y a eu récemment.

Un des problèmes que nous avons en Alberta est qu'au fur et à mesure que la province assume davantage de responsabilités, elle a vraiment du mal à entendre ce qu'on lui dit. Elle ne semble pas se soucier de l'évaluation. Elle réduit le nombre d'évaluateurs. La seule chose dont elle semble se soucier est la coupe des arbres. Ce n'est pas une solution satisfaisante.

S'il y avait un modèle susceptible de donner de bons résultats, c'en serait un qui n'a pas été utilisé pour le bois, mais aurait dû l'être. Il a été utilisé pour l'étude sur le bassin fluvial du Nord par un groupe composé de parties prenantes, de dirigeants autochtones, des maires de certaines villes -- y compris certaines qui ont eu une usine de pâte à papier -- et de représentants de l'industrie et des chercheurs. Ils ne s'entendaient pas toujours très bien entre eux, mais la procédure suivie a paru équitable aux observateurs, qui ont pu suivre les différentes étapes parcourues pour parvenir à des résultats. Il y avait également un groupe consultatif scientifique dont je faisais partie. Ses membres n'étaient pas tous d'accord avec les décisions finales, mais ils ont tous jugé qu'elles étaient équitables.

Jusqu'à ce jour, et du début jusqu'à la fin, j'ai constaté que les dirigeants autochtones et les maires des villes où il y a des usines de pâte à papier se respectaient de plus en plus. Dans un cas précis, le comité des bassins fluviaux du Nord a décerné quatre étoiles noires au maire de Grande Prairie. Cela ne lui a pas beaucoup plu, mais, aujourd'hui encore, il dit qu'à son avis, ce groupe a fait un bon travail qu'il faudrait poursuivre. Toutefois, le gouvernement, pour je ne sais quelle raison, ne le souhaite pas, et notre ministre de l'Environnement dit que cette étude est terminée une fois pour toute.

Le sénateur Cohen: A-t-elle été réalisée seulement par la province?

M. Schlinder: Elle était financée à 50 p. 100 par le gouvernement fédéral. La plupart des activités scientifiques ont été effectuées par des organismes fédéraux. Une autre chose qui me gêne est qu'il n'y a pas d'experts dans les provinces, tout au moins en Alberta. L'Ontario est probablement celle où la situation est la meilleure, mais là aussi, le nombre d'experts de ces questions diminue rapidement.

J'ai trois amis qui ont été mis à pied par le ministre de l'Environnement de l'Ontario. Ils s'en vont tous dans des universités. On supprime des projets en cours depuis 25 ans.

Le sénateur Cohen: C'est déprimant pour l'image d'ensemble.

M. Schlinder: Il se passe, à mon avis, deux choses amusantes. La province veut exercer la totalité du contrôle, et le gouvernement fédéral semble désireux de le lui confier. Or, quand les provinces l'obtiennent, elles ne font rien, à part se défaire des ressources.

Pendant 22 ans, j'ai travaillé à Pêches et Océans Canada et j'au vu ses activités se réduire. Dans beaucoup de projets auxquels je participe maintenant, il y a des scientifiques d'Environnement Canada et des scientifiques provinciaux, surtout spécialistes du milieu aquatique, en Alberta et en Ontario. Ces organismes ont tous de moins en moins d'experts en matière de recherche.

Le sénateur Cohen: Le gouvernement fédéral ne prête pas du tout une oreille favorable à cela. J'ai lu dans certains de nos documents que le gouvernement a promis d'améliorer la situation de la forêt boréale d'ici l'an 2000.

M. Schlinder: Je ne vois pas comment il pourra le faire. S'il le fait, ce sera en utilisant les mécanismes qui sont à la source de tous ces problèmes. Il a pris des engagements sans étudier sur quoi ils portaient et quand il faudrait les tenir. C'est comme si on a une boîte de biscuits et qu'on les mange tous d'un seul coup. Nous avons maintenant des aigreurs d'estomac.

Le sénateur Cohen: Le gouvernement prend toutes sortes d'engagements et fixe des échéances, quel que soit le parti au pouvoir, et nous attendons tous.

M. Schlinder: Pour revenir à la commission Alberta Pacific, nous avons reçu un mandat portant sur l'impact cumulatif, quelque chose que le gouvernement de l'Alberta ne refera probablement plus jamais. Il nous avait demandé d'évaluer le fardeau que cette usine ajouterait au réseau fluvial, et nous avons refusé d'approuver sa construction, parce que nous n'avions pas les données nécessaires pour nous prononcer.

Huit ans auparavant, les autorités provinciales avaient réalisé des bandes vidéos promotionnelles pour attirer des investisseurs étrangers. Pourquoi n'avaient-elles pas pensé à faire des évaluations de la rivière afin de pouvoir réaliser en même temps une évaluation appropriée de l'effet cumulatif? Certains des renseignements obtenus par notre commission ont montré que des propositions avaient été faites à ce sujet et qu'elles avaient été rejetées parce que leur prix, qui variait entre 10 000 et 60 000 $, était trop élevé.

Le sénateur Cohen: Notre rapport sera rédigé en février. Que devons-nous en faire? Que devons-nous faire à partir de là?

M. Schlinder: Il faut donner un grand coup de frein sans tarder et réexaminer ce vers quoi nous nous dirigeons. Là où je vis depuis 32 ans -- j'y ai emménagé en 1966 --, je pouvais autrefois faire une semaine de marche sans rencontrer aucun signe de présence humaine. Maintenant, on ne peut pas s'y promener pendant une demi-heure sans croiser une route, rencontrer un chasseur ou voir un véhicule tout-terrain, une motoneige ou quelque chose de ce genre.

Pendant les années 60, on utilisait encore des chevaux pour la moitié des activités d'exploitation forestière. Il y a ensuite eu une époque où il y avait beaucoup de gens qui utilisaient des tronçonneuses et des débusqueuses. Nous sommes passés à un autre stade, et il y a encore moins de gens, mais ils se servent de grosses machines.

Nous avons eu l'occasion d'étudier un bassin versant avant et après l'exploitation forestière. Il s'étendait sur 70 hectares. Un seul homme, avec un de ces gros appareils et deux camions, a tout coupé en environ cinq jours.

Nous employons peu de gens pour déboiser de vastes étendues. Je ne pense pas que cela résolve le problème de l'emploi dans la forêt boréale. Cela ne rapporte pas d'argent. Le secteur des pâtes et papier semble le plus souvent être en déficit, et Alberta Pacific n'a même pas pu effectuer le dernier remboursement de son prêt. Deux ans plus tôt, l'usine de Whitecourt était dans la même situation.

Quand nous perdons de l'argent sur nos produits alors que nous abattons les arbres à un rythme deux fois plus élevé que ce qui serait durable, il me semble que nous sommes si éloignés de ce qu'on appelle le développement durable que le message est très clair.

On dirait que les provinces font la loi dans les domaines dont je m'occupe, qui vont des espèces en péril à la pollution de l'eau et aux questions touchant la forêt boréale. Les gens du gouvernement fédéral leur obéissent au doigt et à l'oeil.

Le sénateur Cohen: Le moment est peut-être venu de réaliser une enquête de grande envergure.

Le président: Un des témoins a dit, ce soir, que la forêt boréale de la partie septentrionale était comme un bonsaï. Peut-on faire quelque chose avant que cette zone ne se transforme en toundra? Le réchauffement global transformera-t-il ces bonsaïs en arbres immenses? En s'asséchant, la partie sud va-t-elle ressembler de plus en plus au Nord, ou avons-nous assez de sol pour que les arbres puissent pousser dans le Nord?

M. Schlinder: Le problème est dû au manque de sol et, plus encore, au manque d'eau. Par exemple, dans toute la moitié est de l'Alberta, il y a environ 450 millimètres de précipitations par an. Or, la région de Medicine Hat est semi-aride alors que celle de Fort MacMurray est composée de terres humides. La seule différence est l'évaporation annuelle résultant de la température.

Je crains qu'on ne traverse trop vite cette phase critique pour la partie centrale de la province, qui convient bien à la forêt boréale, et qu'on ne passe de conditions trop humides dans le nord à des conditions trop sèches au sud de cette ligne. Au sud, l'accélération du cycle des incendies fait tout disparaître. C'est comme la transition des Prairies, où les arbres qui peuvent résister aux incendies deviennent de plus en plus prédominants et, quand ils n'y résistent pas, on se retrouve avec des pâturages.

Je ne crois pas que le réchauffement sera une aubaine pour la foresterie dans le Nord -- sauf s'il se maintient pendant des milliers d'années. En quelques dizaines ou centaines d'années, cela ne me paraît pas possible.

Le président: Il y a une chose qui a inquiété le comité pendant nos déplacements à travers le pays: quelle sorte de système administratif faut-il mettre en place pour superviser la forêt boréale quand, pour leur part, les provinces se comportent tout à fait comme le colonel Sanders? C'est-à-dire qu'elles vendent les ressources à toute vitesse. Maintenant que les sociétés forestières sont internationalisées ou mondialisées, elles sont tout à fait prêtes à couper tout ce qu'elles peuvent et à aller ensuite quelque part ailleurs dans le monde. Les groupes écologistes diront qu'ils peuvent s'en occuper, mais nous savons par expérience que deux écologistes peuvent seulement s'entendre sur ce que le troisième devrait donner à une oeuvre de bienfaisance. Ils finissent souvent par se disputer et se battre entre eux.

Quel est le système idéal que vous envisageriez? Nulle part ailleurs dans le monde, on n'a essayé de régler ce problème. Si vous pouviez donner l'exemple et étiez en mesure de prendre la décision finale -- si vous aviez les fonds nécessaires --, quel genre de système mettriez-vous en place pour préserver notre forêt boréale en vue de toutes les utilisations que nous voulons en faire? Comment établiriez-vous ce système?

M. Scheider: Premièrement, j'essaierais de la recanadianiser. C'est une perspective à long terme parce que nous en sommes défaits si précipitamment. Je ne peux pas imaginer que des gens qui ne sont pas directement concernés par la forêt boréale puissent s'en soucier beaucoup. Ce ne sont pas leurs enfants ou leurs petits-enfants qui doivent y vivre. En Finlande, la règle est que 80 p. 100 de l'exploitation forestière doit être faite par des entreprises finlandaises. Je crois que la Suède a un chiffre du même genre. Nous avons été un peu fous de ne pas suivre leur exemple -- même si ces pays n'ont pas non plus pris que de bonnes décisions.

Le président: Parlez-vous du système de valeur ajoutée?

M. Scheider: Oui. L'autre question a été avancée par M. Thomas, d'après lequel nous pourrions planter des arbres dans une bonne partie des terres agricoles marginales qui ont été déboisées. C'est une très bonne idée parce qu'on n'a pas à modifier le réseau routier. Les plantations de pin du sud des États-Unis font actuellement fortement concurrence à la pâte à papier vierge venant des régions boréales. Bien entendu, leurs frais généraux sont bien inférieurs parce qu'il n'y a pas besoin d'y construire des routes tout partout.

Je vis dans une région comme cela entre Edmonton et Edison, le long de la route de Yellowhead. Depuis neuf ans que je suis là, on a déboisé 25 p. 100 de la forêt restante, mais apparemment pas de façon systématique. Les gens veulent surtout déboiser les terrains pour en faire des pâturages. Ils ne semblent pas se rendre compte qu'on a déjà essayé de le faire juste à côté et que, comme ces pâturages ne rapportaient pas, ils ont été abandonnés. Les zones déboisées abandonnées où des trembles repoussent maintenant forment une sorte de mosaïque.

Il n'y avait aucune raison de transformer une grande partie de ces terres en pâturages ou en terrains agricoles. Là où je vis, à seulement 100 kilomètres à l'ouest d'Edmonton, on récolte en moyenne des céréales une année sur trois. Le reste du temps, les gens vendent leur récolte comme paille. Il peut y avoir seulement 70 jours sans gel, et il y a encore des gens qui essaient de déboiser ces terres. S'ils pratiquaient plutôt une sorte de rotation pour l'exploitation forestière, ils pourraient gagner autant que maintenant et épargner une bonne partie de la forêt boréale encore intacte.

Je ne pense pas que nous sachions comment reconstruire cette forêt boréale intacte. C'est ce qui m'inquiète. Il est difficile de préserver certaines espèces réellement rares d'animaux et de plantes qui y vivent. Une société forestière m'a fait visiter ses installations en Finlande. C'est celle que Don Getty a engagée pour étudier notre rapport, qui lui paraissait fortement entaché de parti pris. Il se trouve que j'ai le seul exemplaire du rapport contenant des références, parce que les autres membres du comité ont pensé que cela effraierait les lecteurs profanes. Je l'ai fourni avec plaisir aux gens de cette société, qui ont signalé avec plaisir à Don Getty qu'à leur avis, notre rapport était objectif, et ils sont vite partis avec leurs 400 000 $. Grâce à cela, j'ai pu voir comment les choses se passent en Finlande.

En Finlande, les plantations forestières, dont certaines en étaient à leur deuxième ou troisième rotation, étaient comme des champs de maïs. Il n'y poussait pas grand-chose d'autre que des arbres, et elles étaient ennuyeuses. À titre exceptionnel, ils m'ont emmené à 100 kilomètres au nord dans une petite ville où il y avait un petit parc boréal grand comme un mouchoir de poche. Il couvrait environ cinq hectares, et on pouvait le traverser sur des passerelles en planches sans écraser les mousses, les fleurs, la flore et les petits animaux. Les animaux de grande taille avaient disparu depuis longtemps. Cela ressemblait beaucoup aux randonnées qu'on pouvait faire autrefois pendant des journées entières dans le nord-ouest de l'Ontario. Il ne restait plus qu'une petite parcelle de ce qu'on vante souvent comme le pays modèle pour la foresterie dans le monde. Si les Suédois et les Finlandais ne peuvent pas le faire, je doute que nous puissions le faire. Ils ont déjà eu trois rotations pour s'entraîner. Dans la plupart des endroits, au Canada, nous n'en avons eu aucune, ou au maximum une ou peut-être deux dans l'extrême est des Maritimes. Notre prétendu aménagement forestier ne donne pas de très bons résultats pour ce qui est de produire une forêt boréale complète. Il permet peut-être de fabriquer un produit comme la pâte à papier ou les petites planches que Ikea qualifie de bois et utilise pour en faire des chaises, mais c'est à peu près tout.

Le président: Nous avons entendu à divers endroits que le pourcentage de forêts qui devraient rester intactes se situe entre 10 et 18 p. 100. Quel pourcentage pensez-vous que la loi devrait exiger qu'on préserve dans son état naturel?

M. Scheider: J'hésite à citer un chiffre. Je préférerais probablement qu'on se contente de moins si l'ensemble était mieux relié, plutôt que d'avoir une proportion de 13 p. 100 composée de toute une série de petits points ressemblant à la rougeole. Je pense qu'il vaudrait probablement mieux avoir 10 p. 100 de forêts reliées entre elles pour rendre service à certains grands animaux migrateurs comme l'ours brun et le caribou des bois dans la forêt boréale. Leur nombre diminue rapidement. Quiconque les a étudiés dans n'importe quel écosystème sait que cela est dû simplement au bruit et au fait qu'ils sont coupés de leurs habitats. Certains d'entre eux ont besoin de plusieurs milliers de kilomètres carrés par animal. J'opterais plutôt pour quelques vastes étendues au lieu de proposer un pourcentage magique.

Cela dit, je pense que le pourcentage que nous avons est beaucoup trop faible, comme le prouve la diminution du nombre des mammifères qu'il est essentiel de protéger, je pense que tout le monde en conviendra.

Le président: Je vous remercie de l'intérêt que vous avez manifesté, monsieur.

M. Sullivan a fait savoir qu'il aimerait préciser une chose qu'il a dite tout à l'heure. Je vais lui demander de le faire.

M. Sullivan: Monsieur le président, au début de mon intervention, je parlais du procès qui nous oppose au gouvernement fédéral. J'ai mentionné que le principal projet défini par le gouvernement fédéral en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale est le pont. D'après nous, il ne s'agissait pas seulement du pont, mais également de la route, ce qu'une autre décision judiciaire a confirmé.

Nous voulions même remonter plus haut et dire que l'autre partie du projet principal devrait être l'usine de pâte à papier, parce que tous les éléments sont reliés entre eux. Le projet se compose donc de l'usine, de l'exploitation forestière, de la route et du pont. À toutes fins utiles, quand la société veut se présenter sous son meilleur jour face au public ou au gouvernement sur le plan économique, quand elle fait une analyse coût-bénéfice, elle inclut toujours l'usine, la construction de la route et l'exploitation forestière parmi les facteurs positifs de création d'emplois. Or, quand il s'agit d'évaluer ces choses-là, elle dit d'un seul coup qu'il n'y a que le pont.

Je voulais simplement apporter cette précision.

Il y a d'autres intérêts fédéraux distincts qui entrent en jeu, même si on peut considérer que l'aménagement forestier relève exclusivement des provinces. Il y a la Loi sur les oiseaux migrateurs et la Convention sur la diversité biologique. Le gouvernement fédéral émet des permis d'exploitation pour toutes les billes exportées à l'extérieur de notre pays. Bien entendu, il y a le transport, qui est régi par une loi fédérale pour ce qui est du chemin de fer. Il y a donc divers intérêts fédéraux. On peut avoir l'impression que, du point de vue constitutionnel, c'est un domaine qui intéresse uniquement les provinces, mais le fédéralisme à cette zone grise pour ce qui est de la responsabilité constitutionnelle.

Le président: Je vous remercie de cette précision. Nous en prendrons note.

La séance est levée.


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