Délibérations du sous-comité de la
Forêt
boréale
Fascicule 14 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 18 novembre 1998
Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 17 h 05 pour poursuivre son étude de l'état actuel et de l'avenir de l'exploitation forestière au Canada dans la forêt boréale.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous avons le quorum.
Vous avez la parole, monsieur McNamee.
M. Kevin McNamee, directeur, Programme des espaces naturels, Fédération canadienne de la nature: Honorables sénateurs, afin de me situer, j'ai passé les 15 dernières années à faire publiquement campagne pour l'établissement et la bonne gestion d'un réseau de parcs nationaux de niveau mondial au Canada. Pendant cette période, une partie de mon travail a consisté à jouer le rôle d'expert-conseil auprès du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, à propos de son rapport sur les espaces protégés, que votre comité voudra peut-être relire. Certaines des questions abordées dans le rapport concernent la protection de la forêt boréale. Je vous ai remis un mémoire assorti d'un certain nombre de recommandations, situées à la dernière page, et je vais passer en revue ces dernières.
Le mémoire de la Fédération canadienne de la nature focalise sur les parcs nationaux et la forêt boréale. Tant la stratégie forestière nationale antérieure que l'actuelle indique que la gestion durable de la forêt appelle un certain nombre de mesures, donc la création de réserves protégées représentatives des régions forestières que l'on trouve à travers le Canada.
Le réseau des parcs nationaux canadiens recouvre 39 régions naturelles, dont 14 sont situées dans la forêt boréale. Je parlerai par conséquent aujourd'hui de la nécessité de désigner de nouvelles forêts nationales dans la zone boréale et de mieux gérer les parcs existants. Je pense que votre comité pourrait formuler quelques recommandations en ce sens.
Neuf parcs nationaux sont situés dans la région de la forêt boréale canadienne et on prévoit d'en créer six nouveaux d'ici l'an 2000. Étant donné cet engagement d'achever un réseau d'espaces protégés représentatifs des écosystèmes forestiers d'ici l'an 2000, un examen du système des parcs nationaux du Canada donnerait au Sénat quelques aperçus de ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour mieux protéger la forêt boréale.
Deux impératifs existent à cet égard: la création de six nouveaux parcs nationaux et une meilleure protection et gestion des parcs existants.
La politique du gouvernement fédéral est d'achever la représentation des 39 régions naturelles du Canada au sein du réseau des parcs nationaux.
Cet engagement a été officialisé par des gouvernements représentés des deux côtés du Sénat: les progressistes-conservateurs en 1990 et les libéraux en 1994.
De par la Loi sur les parcs nationaux, le Parlement a décrété que les parcs nationaux doivent être transmis intacts aux générations futures, et cette contrainte statutaire a guidé la gestion des parcs nationaux depuis 1930. En 1988, le Parlement a précisé le sens de «intact» dans une modification de la loi en donnant instruction au ministre de donner priorité dans la gestion des parcs à l'intégrité écologique. Cet engagement a de nouveau été confirmé dans le projet de loi C-29, dont le Sénat est actuellement saisi, créant la nouvelle agence Parcs Canada.
Le gouvernement fédéral a déposé au Parlement, en 1998, le troisième rapport sur l'état des parcs. Je vous recommande ce document car il donne des renseignements très utiles sur les défis auxquels nos parcs nationaux dans la région forestière boréale sont confrontés. La Stratégie nationale sur les forêts reconnaît l'opportunité de faire des parcs nationaux et espaces protégés des points de référence par comparaison avec lesquels nous puissions mesurer l'impact de l'activité humaine sur le paysage. Je vous incite donc à lire ce rapport sur l'état des parcs qui fait le point de la santé des parcs nationaux canadiens situés dans la forêt boréale.
J'aimerais aborder la question de la création de nouveaux parcs nationaux dans la forêt boréale. Lorsque le gouvernement fédéral achèvera le réseau de parcs nationaux, au moins 15 parcs seront disséminés dans la forêt boréale canadienne, dont la taille variera entre les 240 kilomètres carrés du Parc national Forillon et les 44 802 kilomètres carrés du Parc Wood Buffalo. Ces parcs nationaux peuvent et doivent remplir divers objectifs: premièrement, protéger des échantillons représentatifs de la forêt boréale canadienne; deuxièmement, préserver la santé des populations d'espèces sauvages et des écosystèmes forestiers naturels; troisièmement, promouvoir une gestion des terres adjacentes propre à soutenir les écosystèmes des parcs et de la forêt boréale; quatrièmement, permettre aux Canadiens de visiter et de connaître la forêt boréale; cinquièmement, offrir des programmes d'interprétation familiarisant les Canadiens avec la forêt boréale.
Monsieur le président, je tiens à souligner que nous ne pensons pas qu'il suffit de tracer quelques lignes sur une carte, d'établir un certain nombre de parcs nationaux et d'espaces protégés dans la forêt boréale pour considérer que le restant du paysage est protégé. De fait, mon collègue, M. David Neave, d'Habitat faunique Canada, prône depuis longtemps la protection de tout le paysage canadien et nous partageons cette vision. Cependant, nous considérons aussi que préserver contre le développement des échantillons représentatifs de la forêt boréale doit faire partie du programme de conservation de notre pays.
Sur les 14 régions naturelles boréales définies au Canada, six ne sont toujours pas représentées dans le réseau des parcs nationaux. Six régions naturelles définies dans le système des parcs nationaux n'ont toujours pas de parc en forêt boréale. Ces régions naturelles non représentées se trouvent dans le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, où le gouvernement fédéral est directement responsable de leur création, et dans les provinces du Manitoba, du Québec, de Terre-Neuve et du Labrador où le Canada doit négocier avec les provinces.
Au sujet de ces six régions naturelles non représentées où un nouveau parc national est nécessaire, je formule les observations suivantes. Premièrement, une région naturelle du Québec n'a toujours pas de site candidat, si bien que si nous voulons atteindre notre objectif d'ici l'an 2000, il faudrait à tout le moins identifier un site. Il n'y a qu'un seul parc national candidat dans la forêt boréale faisant l'objet de négociations actives, et c'est le projet de Parc national des Lowlands du Manitoba. Quatre autres parcs candidats ont été identifiés, mais sans que des études de viabilité ou des négociations ne soient en cours. Il s'agit de la région de Wolf Lake dans le sud du Yukon, du bras est du Grand Lac des Esclaves dans le centre des Territoires du Nord-Ouest, du Lac Guillaume-Delisle dans le nord du Québec, et des montagnes Mealy dans le sud du Labrador.
Il est possible que le gouvernement du Yukon fasse une annonce au sujet de Wolf Lake dans les semaines à venir, et d'ailleurs votre comité doit rencontrer la Première nation Teslin la semaine prochaine et elle vous parlera de cette proposition.
Le défi que rencontre Parcs Canada à l'égard de chacun des sites candidats consiste, premièrement, à obtenir le soutien des autres paliers de gouvernement, ainsi que des Premières nations et des collectivités locales; deuxièmement, créer le parc national avant que le site fasse l'objet d'un développement industriel; troisièmement, et c'est un aspect qui intéresse votre comité, la nécessité de tracer des limites représentant au mieux l'écosystème boréal; et quatrièmement, élément qui intéresse toujours votre comité, veiller à ce que d'autres ministères fédéraux ne consacrent pas le site candidat à un développement susceptible d'en détruire les valeurs naturelles avant qu'une décision soit prise.
Dans mon mémoire -- et je ne le lirai pas -- j'illustre le troisième point avec l'exemple du projet de parc national des Lowlands du Manitoba. La conception représente la manière dont on concevait les parcs il y a 30 ans, en ce sens que la plus grande partie du bois exploitable a déjà été coupée dans le parc national proposé, si bien qu'il ne reste plus que quelques paysages fragmentés mais néanmoins précieux.
J'ai essayé d'illustrer les difficultés de la conception d'un parc national représentant au mieux une région naturelle et préservant son intégrité écologique.
La semaine dernière, les gouvernements fédéral et manitobain ont annoncé quelques changements à ce parc de façon à mieux représenter la forêt boréale de cette région, mais il reste beaucoup de chemin à faire.
Les dangers que les décisions fédérales peuvent présenter pour les parcs nationaux candidats intéressent peut-être votre comité de plus près. Par exemple, le ministère du Développement des ressources humaines a contribué au financement d'une route de motoneiges passant en plein milieu du parc national de la montagne Mealy projeté dans le sud du Labrador. Ces crédits ont été alloués bien que le processus d'évaluation environnementale du gouvernement fédéral ait fait apparaître qu'un parc était projeté et que la route de motoneige perturberait un troupeau de caribous des bois en voie de déclin. La nation Innu a réussi à faire changer le parcours afin de contourner les zones sensibles et la zone d'étude du parc, mais cela montre à quel point les ministères fédéraux peuvent saper les objectifs de Parcs Canada.
Plus récemment, le ministère des Affaires indiennes et du Nord a annoncé qu'il envisageait d'accorder des permis de coupe dans une région du sud du Yukon qui englobe le site projeté du parc national de Wolf Lake. Ce n'est pas la première fois que le MAIN fait cela. Après un incident similaire en 1994, il avait promis de remédier à ces faiblesses, mais nous sommes toujours confrontés à la perspective qu'un ministère fédéral contrecarre les efforts d'un autre et même une directive du Cabinet exigeant l'achèvement du réseau des parcs nationaux d'ici l'an 2000.
J'aimerais parler des menaces pesant sur les parcs nationaux existants. Si l'on considère les parcs nationaux comme des points de référence, un peu comme le canari dans le puits de mine, ils peuvent nous apprendre des choses sur les modes d'exploitation du bois dans la forêt boréale. Je ne réclame pas l'arrêt des activités de coupe, mais je dis qu'il faut mieux les gérer. Neuf des 38 parcs nationaux du Canada sont situés dans la forêt boréale et ces parcs sont distinctifs. Trois sont des Sites du patrimoine mondial, l'un est une réserve de biosphère de l'UNESCO et l'un est dans une forêt modèle.
Cependant, le rapport sur l'état des parcs fait état des dangers suivants courus par les neuf parcs nationaux de la forêt boréale: six des neuf parcs nationaux de la forêt boréale signalent que les activités forestières en dehors de leur limite ont un impact écologique sensible sur les écosystèmes du parc, et les trois ne faisant pas état d'une telle menace sont ceux situés les plus au nord, là où l'activité humaine est moindre ou moins évidente.
Seuls deux des neuf parcs nationaux de la forêt boréale indiquent que leur cycle d'incendies est intact, tandis qu'un le chiffre à moins de 50 p. 100, un autre à moins de 30 p. 100 et quatre à moins de 20 p. 100. Étant donné que le feu est l'agent de changement dominant dans la forêt boréale, ces parcs nationaux souffrent manifestement de l'absence d'un élément majeur de leur intégrité écologique.
Ce sont là des problèmes liés à la gestion des terres en dehors des parcs nationaux. De fait, dans tout notre réseau des parcs nationaux, 19 parcs sur 36 indiquent que l'exploitation forestière en dehors de leurs limites représente une grave menace. À l'évidence, des changements s'imposent.
Pour résumer, je formulerai sept recommandations basées sur mon témoignage à ce comité et sur des parties de notre mémoire que je n'ai pas abordées ici.
Premièrement, nous recommandons que le gouvernement fédéral n'épargne aucun effort pour accélérer l'identification, la protection provisoire et la création de six nouveaux parcs nationaux dans la zone de forêt boréale.
Deuxièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral établisse une coordination entre ministères fédéraux afin de prévenir le développement inapproprié dans les espaces considérés pour des parcs nationaux.
Troisièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral n'épargne aucun effort pour concevoir de nouveaux parcs nationaux dans les forêts boréales qui soient représentatifs des types de forêt, protègent les habitats essentiels à la faune et maintiennent l'intégrité écologique à long terme.
Quatrièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral augmente le budget de Parcs Canada de façon à pouvoir mieux identifier, gérer et contrôler les risques liés à l'activité humaine qui menacent l'intégrité écologique des Parcs nationaux du Canada.
Cinquièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral travaille activement à réintroduire l'incendie comme outil de gestion dans les parcs nationaux boréaux et collabore étroitement avec les provinces, l'industrie et les collectivités locales afin de réduire l'impact que ces programmes et initiatives pourraient avoir sur les intérêts de ces dernières.
Sixièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral entame des discussions avec les provinces en vue de négocier un accord officiel par lequel les deux niveaux de gouvernement s'engagent à gérer les parcs nationaux et les terres avoisinantes sur la base de l'écosystème ou du paysage.
Septièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral renforce les programmes d'interprétation dans les parcs nationaux de la forêt boréale de façon à communiquer aux Canadiens l'importance et les avantages des forêts boréales, ainsi que les menaces qui pèsent sur elles et les mesures possibles en vue de les préserver.
En conclusion, monsieur le président, je tiens à signaler que Parcs Canada et le gouvernement fédéral travaillent à la réalisation d'un certain nombre de ces objectifs. Je ne prétends pas que rien ne se fait dans ces domaines. Beaucoup de progrès sont réalisés. Malheureusement, on n'entend parler que des choses qui ne vont pas et j'ai voulu mettre en lumière ces dernières dans mon mémoire. Cependant, je pense que nous pouvons construire sur les efforts déployés pour contrer ces menaces et sur les succès que nous avons rencontrés dans les parcs nationaux, de manière à contribuer de manière significative à la préservation de l'écosystème forestier boréal du Canada.
Je serais ravi de répondre à vos questions ou de fournir tout complément d'information.
M. David Neave, directeur exécutif, Habitat faunique Canada: Honorables sénateurs, je suis à la fois forestier et biologiste. Habitat faunique Canada est une organisation très axée sur le savoir scientifique, mais je pense que les problèmes que pose la gestion de la forêt boréale ne peuvent être résolus uniquement par le savoir scientifique.
Très simplement, nous ne pouvons continuer à nous en remettre à une gestion prescriptive de la forêt boréale qui ne fait que traiter les symptômes. Il faut s'attaquer à la racine des problèmes afin de concrétiser les orientations à long terme promises par les gouvernements fédéral et provinciaux en matière de biodiversité, d'exploitation forestière durable, et cetera. Il faut mettre en oeuvre ces politiques sur le terrain.
Malheureusement, l'approche prescriptive rencontrée si couramment dans la forêt boréale persistera encore quelque temps, puisque nous manquons d'objectifs spécifiques à l'égard de toute une gamme de valeurs forestières. Il manque dans les milieux forestiers le sens des responsabilités, et la relation entre les droits et les obligations en matière de gestion de la forêt boréale n'est pas claire. Qui est responsable? En outre, nous n'avons pas encore pris conscience des avantages sur le plan de la concurrence internationale que le Canada retirerait de la préservation de l'intégrité de nos forêts naturelles.
Toutes ces questions ne se posent pas seulement à l'égard de la forêt boréale, mais de toutes les forêts du Canada. Je suis convaincu que le débat actuel sur l'impact des pratiques de gestion forestière sur la forêt boréale, que ce soit du point de vue écologique, social ou économique, doit céder la place à un débat sur la conception de nos forêts futures dans le contexte des quatre thèmes sous-jacents que j'ai mentionnés. Ce n'est que dans ce contexte que nous pourrons déterminer les pratiques de gestion appropriées pour nos forêts.
J'aimerais vous raconter l'histoire d'une femme qui a hérité d'une grande forêt et qui cherchait quelqu'un pour la gérer. Elle a passé de nombreuses annonces et a rencontré trois personnes offrant des titres de compétence impeccables.
Le premier candidat s'est vanté de rendre la dame très riche, car il allait optimiser le rendement économique de la forêt. Elle l'a écouté et lui a dit: «Merci, mais non merci. Au revoir».
Le deuxième candidat disait à la dame qu'elle deviendrait très célèbre et pourrait recevoir les riches et les altesses royales en créant une merveilleuse réserve de gibier. Là encore, elle a écouté, et a répondu: «Merci, mais non merci. Au revoir».
Le troisième candidat a simplement dit: «Dites-moi ce que vous vous attendez de votre forêt et je la gérerai en fonction de ces valeurs». Elle a répondu: «Vous êtes embauché».
Au Canada, nous ressemblons beaucoup à cette femme. J'ai l'impression que nombre des interventions que vous avez entendues au cours des derniers mois se situaient dans la ligne des réponses des deux premiers candidats. Je le dis sans vouloir critiquer les efforts extraordinaires déployés ces dernières années par la communauté forestière canadienne pour élaborer la Stratégie nationale sur les forêts et les régimes d'accréditation et toute la somme de recherches et de travaux visant à définir la gamme des valeurs forestières. Cependant, je conserve l'impression que nous ressemblons beaucoup à cette femme.
Je reviens aux quatre thèmes que j'ai isolés au début pour les mettre en rapport avec les expériences et les programmes d'Habitat faunique Canada.
Bien qu'il y ait un besoin pressant d'informations sur toute la gamme des valeurs rencontrées dans la forêt boréale, on peut dire que les protecteurs de la faune ont omis de définir des objectifs en matière d'habitat à l'échelle du site ou du paysage. Dans le même temps, des objectifs et des plans d'exploitation de bois ont été déposés pour autorisation.
Il aurait fallu commencer à définir ces objectifs il y a longtemps et nous pouvons certainement le faire encore, même en l'absence de connaissances supplémentaires.
Habitat faunique Canada a élaboré de concert avec les entreprises d'exploitation forestière un programme relativement agressif de définition d'objectifs en matière d'habitat, objectifs qui sont indispensables si l'on veut progresser.
Nous ne sommes pas en faveur de l'approche actuellement appliquée dans la forêt boréale, soit l'approche prescriptive et la prolifération de directives générales et restrictives limitant la créativité et la capacité d'adaptation aux divers sites. On assiste à une prolifération incroyable de restrictions, sans que l'on définisse les objectifs visés.
À l'heure actuelle, les sanctions réglementaires imposées à ceux qui enfreignent ces directives générales ou le défaut de reboisement approprié ne sont pas compensées par une reconnaissance des actes positifs en matière de gestion forestière.
Des programmes sont essentiels pour récompenser les exploitants forestiers qui prennent les mesures appropriées sur un site. Habitat faunique Canada a lancé un programme de reconnaissance de la gérance forestière, en collaboration avec les pouvoirs publics et l'industrie, afin d'assurer que les engagements pris dans les conseils d'administration en matière d'exploitation durable sont tenus et respectés au niveau opérationnel.
Je crois que c'est le premier programme de cette nature au Canada qui récompense ceux qui font les choses bien au niveau opérationnel.
Troisièmement, l'industrie ayant accepté une plus grande responsabilité à l'égard des effets indirects de la coupe de bois sur d'autres valeurs forestières, elle a devancé les pouvoirs publics sur le plan de l'établissement d'objectifs pour établir la durabilité. Dans le même temps, un effort incroyable est déployé au niveau de l'accréditation et de la mise en oeuvre pratique de la stratégie nationale sur les forêts.
Au moment où se manifeste cet intérêt à l'égard d'un ensemble de valeurs forestières et cette tentative de gérer la forêt de manière plus viable, le gouvernement fédéral s'est privé des outils économiques permettant de promouvoir ce concept. Les gouvernements provinciaux, avec leurs budgets toujours plus réduits, semblent également incapables d'exécuter leurs responsabilités de gestion ou d'appliquer leurs politiques et règlements en maniant et la carotte et le bâton.
Peut-être faut-il inventer un nouveau mode de tenure dans les forêts boréales, qui aligne plus clairement les droits, les règles et les responsabilités de manière à créer une synergie collective sur le plan de la gestion forestière. Cette synergie n'existe pas aujourd'hui. Ainsi, l'industrie forestière devrait-elle être responsable et avoir à rendre compte de la protection de l'habitat faunique? Dans l'affirmative, doit-elle payer pour cela? Sinon, qui doit payer? C'est une question intéressante et importante.
Quatrièmement, s'agissant de conserver la biodiversité, nous pensons que le principe clé de la viabilité écologique est d'importance fondamentale pour toutes les parties intéressées par la forêt. Bien que de vastes superficies de forêt boréale aient été attribuées aux sociétés forestières, nous ne devrions pas tolérer de désignation de vocation unique dans nos forêts. Comme M. McNamee l'a dit, nous sommes partisans d'une approche qui prend en considération la totalité du paysage forestier. Nous souhaitons préserver l'intégrité naturelle du paysage forestier.
Je peux fournir au comité des renseignements complémentaires à ce sujet. Nous avons publié un rapport intitulé «Natural Forest Landscape Forest Management: A Strategy for Canada». Cette stratégie permettrait de préserver l'intégrité de toute la forêt au Canada.
Les forêts canadiennes ont conservé une beaucoup plus grande biodiversité naturelle que celles d'autres pays, par exemple ceux d'Europe, où l'on a appliqué plutôt une approche de plantation. Mettons à profit nos atouts de nation forestière, au lieu de copier les solutions de ceux qui nous envient notre richesse naturelle. Beaucoup de gens voudraient nous voir adopter une exploitation forestière de type plantation. Nous devrions plutôt vanter et être fiers de la capacité du Canada de conserver la biodiversité de ces forêts tout en récoltant du bois.
En conclusion, je vous fais remarquer que vous avez la tâche difficile, mais enviable, de faire avancer le débat, jusqu'à présent passéiste, sur la gestion forestière et l'orienter vers la création d'un cadre qui déterminera la mosaïque des forêts futures du Canada. D'autres tentatives de peindre ce tableau ont déjà été faites, mais peut-être manquaient-elles d'imagination et d'un contexte opérationnel.
À l'heure où nous parlons, de nombreux hectares de forêt boréale sont en cours d'exploitation, et la délimitation et les pratiques sylvicoles choisies pour ces zones façonnent déjà la forêt que connaîtront les petits-enfants de nos petits-enfants. Pour dire les choses autrement, nous, au Canada, sommes l'un des rares pays qui puisse toujours gérer et façonner sa forêt future de manière à respecter un large éventail de valeurs. Habitat faunique Canada est résolu à faire en sorte que les décisions de gestion forestière d'aujourd'hui préserveront l'incroyable diversité de la faune et des habitats que l'on rencontre au Canada.
Le sénateur Robichaud: Votre cinquième recommandation dit que le gouvernement fédéral devrait réintroduire le feu comme outil de gestion. Pourriez-vous m'expliquer cela?
M. McNamee: Je vous renvoie au chapitre sur ce sujet du rapport sur l'état des parcs. Il explique de façon assez détaillée le rôle des feux dans les parcs nationaux du Canada et ce qu'ils cherchent à faire.
D'après ce que je sais, le feu est un agent de réjuvénation dans la forêt boréale. Certaines espèces d'animaux ont besoin d'habitats ouverts, et le feu ouvre des clairières. Il régénère la végétation de telle manière que l'on n'a pas une forêt composée uniquement de vieux arbres. Vous obtenez des peuplements réjuvénés et des arbres jeunes.
Tout le monde a entendu parler de la dévastation que les incendies ont causé dans le Parc national Yellowstone, mais on n'a guère expliqué que ces feux ont revigoré la forêt du parc. Si vous n'avez pas d'incendie, il se produit une accumulation incroyable et vous n'avez plus de repousse. Vous commencez à perdre des habitats pour la faune.
À Prince Albert, avant que le gouvernement fédéral lutte contre les incendies, la totalité du parc aurait été brûlée en l'espace de 25 à 75 ans. Aujourd'hui, à cause de la lutte contre les incendies, il faudrait 645 ans avec le cycle des incendies. C'est dû au fait que nous combattons le feu pour revigorer la forêt boréale dans les limites du parc.
Certaines essences ont besoin du feu. M. Neave travaillait dans la forêt boréale en Alberta, et il pourrait peut-être mieux répondre à votre question.
Nous avons appris -- pas seulement dans la forêt boréale, aussi dans les parcs de montagne -- qu'en l'absence d'incendies la forêt a gagné et a recouvert certains des pâturages et clairières dont les ours grizzly ont besoin pour survivre. C'est un problème commun dans beaucoup d'endroits. Parcs Canada a commencé à réintroduire le feu dans certains de nos parcs nationaux, particulièrement les parcs nationaux de montagne, afin d'y établir un écosystème plus varié.
Le sénateur Robichaud: Ne voyez-vous pas un problème pour les parcs nationaux -- ou toute autre autorité d'ailleurs -- à l'égard des provinces? Les provinces ont compétence sur les forêts et elles vont laisser brûler des fibres précieuses qui sont en demande et dont, dans certains cas, des localités entières dépendent. Par exemple, les scieries, les usines de pâte à papier et les collectivités autochtones au Nouveau-Brunswick veulent accès aux forêts domaniales afin d'y couper du bois.
Nous disons toujours: «On ne peut pas couper. Il y a un niveau à ne pas dépasser». Mais on pourrait ensuite mettre le feu à toute la zone. On pourrait arguer que, dans certains cas, la coupe à blanc ferait la même chose. Elle n'aurait pas les mêmes effets qu'un incendie, mais elle créerait les espaces ouverts que vous mentionnez. Comme vous dites, certaines essences ont besoin du feu pour que les graines germent, mais c'est un argument difficile à faire accepter en certains lieux, ne pensez-vous pas?
M. McNamee: Il n'y a pas de coupe de bois dans les parcs nationaux, et nous n'avons donc pas à choisir entre brûler et couper. C'est clair. La Loi sur les parcs nationaux interdit l'exploitation du bois.
Évidemment, dans certains parcs nationaux, une concertation avec la collectivité locale est opportune, afin qu'elle sache ce qui se passe.
Vous voudrez peut-être demander à quelqu'un de Parcs Canada de venir expliquer son programme de gestion. Cette personne pourra vous en dire plus sur certains des points que vous avez soulevés, car il y a un programme de brûlis dans un certain nombre de parcs nationaux canadiens et leurs responsables pourront mieux vous informer. Par conséquent, je vous suggère d'inviter des représentants de Parcs Canada à venir témoigner.
Évidemment, lorsqu'on parle de réintroduire le feu dans les parcs nationaux, toutes sortes de considérations sont à prendre en compte. Certains parcs contiennent des villages et leurs habitants s'inquiètent des effets sur les espaces récréatifs. Je ne suggère pas de passer au feu la totalité d'un parc, mais certaines zones ont manifestement besoin d'être incendiées et le gouvernement fédéral le fait. Il faudrait un programme plus actif. Il faudrait un programme de sensibilisation du public au rôle des incendies dans la forêt boréale.
M. Neave: J'ai travaillé en Alberta pendant de nombreuses années et nous y étions très préoccupés par les pâturages d'hiver des mouflons. En raison de la suppression des incendies, les forêts envahissaient les pentes en altitude et les pâturages des mouflons disparaissaient petit à petit.
La forêt gagnait et les herbages dont dépendait la survie des mouflons disparaissaient au rythme d'environ 10 p. 100 tous les huit ans. De ce fait, la population de mouflons déclinait. Le même problème se pose dans les parcs où il n'y a pas eu de gros incendies pendant de nombreuses années.
M. McNamee: Je signale au comité que le rapport sur l'état des parcs décrit très bien l'effet sur la végétation d'une diminution radicale des brûlis. J'en conseille la lecture au comité.
Le sénateur Robichaud: Je vais certainement le faire, mais nous avons siégé à différents endroits. Au Nouveau-Brunswick, nous avons rencontré les propriétaires de boisés privés qui s'intéressent de près à des aspects tels que la biodiversité. Ils déploient des efforts dans ces domaines.
Savez-vous comment la forêt est gérée au Nouveau-Brunswick, où les compagnies doivent soumettre un plan qui est revu tous les cinq ans et qui doit tenir compte de la biodiversité et des mélanges d'essences?
M. Neave: L'un de nos programmes peut être observé dans le bassin Miramichi. Il est dommage que vous n'ayez pas rencontré le forestier en chef, Joe O'Neill. Il n'était apparemment pas là. Il est un partisan fervent de la préservation des différentes valeurs de cette forêt. Je connais très bien les différentes opérations au Nouveau-Brunswick.
J'ai l'impression que vous voulez amener la question de savoir si la coupe de bois peut remplacer les feux de forêt.
Le sénateur Robichaud: Oui, pour les herbages sur les pentes.
M. Neave: À notre avis, la coupe ne reproduit pas un incendie. Vous ne pouvez remplacer ce qui se passe sur le terrain, du point de vue du montant de couverture végétale brûlée ou de la variabilité des incendies. Autrement dit, lorsqu'un feu balaye et ne brûle pas tout uniformément, certains endroits sont davantage carbonisés que d'autres. Les plus touchés récupéreront très lentement, alors que dans les autres il y aura une réaction végétative très rapide.
On obtient une diversité incroyable après un incendie. En revanche, la coupe est principalement uniforme, bloc par bloc. Elle ne donne pas le même degré de diversité.
Un incendie peut causer une forte érosion et perte de sol. Le terrain peut être tellement carbonisé qu'il lui faut des années pour récupérer. Vous n'obtenez pas cela avec la coupe. Lorsque vous coupez le bois, vous essayez d'enlever uniformément les arbres et de protéger le sol. Vous essayez également de protéger les cours d'eau. Après une coupe, vous n'avez pas la variabilité de sites que donne un incendie.
Cela dit, je pense néanmoins que la coupe peut être un outil de gestion très important pour la mise en valeur des forêts futures. Comme j'essaie de le montrer, on ne sait pas très bien concevoir une forêt future. Nous commençons seulement à songer à des plans de gestion forestière sur 100 ans, notamment au Nouveau-Brunswick. Habitat faunique Canada a investi plus de 500 000 $ dans la province pour élaborer des plans d'habitat à long terme en concertation avec les compagnies. Ces plans portent sur une durée de 100 ans.
Il y a quelque possibilité de remplacer l'incendie par la coupe aux fins de l'établissement des peuplements futurs.
Le sénateur Robichaud: C'est ce que j'essayais de faire valoir. En fait, nous pouvons avoir les deux. Le feu peut quand même passer lorsque la forêt est très sèche. Son passage sera rapide et vous pourrez probablement mieux le contrôler, au lieu de le laisser brûler au hasard, auquel cas il risque de s'étendre plus que vous ne le voulez.
M. Neave: Le Nouveau-Brunswick commence à étudier de très près l'historique des feux au cours des 100 à 300 dernières années. On essaie d'y comprendre les fréquences et de reformuler en conséquence les plans de gestion forestière à long terme. On espère reproduire à l'échelle des paysages le type de perturbations qui sont survenues au hasard, mais sur une période de 300 ans. Ce sera le point de départ pour la préservation de la biodiversité dans la forêt.
Le président: À titre d'argument supplémentaire, j'ai quelque difficulté à admettre que des désastres tels que les incendies peuvent être bénéfiques pour les forêts, davantage que les autres risques naturels.
Le sénateur Robichaud: Avant que vous répondiez, je suis sûr que vous connaissez les Christmas Mountains au Nouveau-Brunswick, qui étaient recouvertes d'une forêt assez ancienne. Il n'y a pas eu d'incendie, mais une tempête a tout aplati. Nous nous sommes précipités avec des machines pour sauver les fibres, car le sol était jonché d'arbres. Une ressource précieuse était en train de se perdre.
Au lieu d'attendre un incendie, nous avons embauché des quantités de bûcherons et donné du travail aux scieries pour éviter d'avoir à mettre le feu. C'est pourquoi je suis réticent à juste brûler tout ce bois. Le public serait plutôt indigné à l'idée de simplement brûler la forêt.
M. McNamee: Je ne prétends pas -- et personne ne prétends -- qu'il faut choisir absolument entre l'un et l'autre. Les écologistes ont montré que le feu a clairement un rôle à jouer. Vous devriez regarder ce qui se fait dans les parcs nationaux et envisager la généralisation de ces méthodes.
Ce n'est pas vrai seulement de la forêt boréale. Dans le Parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton, où l'on a combattu les incendies pendant des décennies, on prévoit maintenant que le sapin baumier et le bouleau vont supplanter les forêts de pin gris qui sont indigènes à cette région.
Le président: Qu'y a-t-il de mal à cela? L'intérêt commercial est moindre, mais quelles sont les conséquences pour l'écologie si l'on a du sapin baumier au lieu de pin gris?
M. McNamee: Je ne suis pas expert dans ce domaine et c'est pourquoi vous devriez consulter les écologistes.
Le président: Je peux voir les forestiers se lécher les babines. Ils adoreraient avoir une forêt de pins gris.
M. McNamee: Je ne voulais pas lancer cette controverse, mais je pense qu'il faut songer au rôle des parcs nationaux. Leur but est en partie de protéger des espaces représentatifs, d'essayer de maintenir une diversité et de préserver des forêts propices à la faune. Il faut admettre qu'autour du Parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton, le paysage a été profondément transformé, et c'est pourquoi il s'agit de préserver certains de ces exemples.
Dans le Parc national de Banff, les peuplements de trembles dépendaient lourdement du feu. Certains disent que les peuplements de trembles brûlaient par le passé selon un cycle de 20 ans. Les forêts de trembles sont indispensables aux ours grizzly. Dans le Parc national de Banff, là où vivent la plupart des ours grizzly à cause de tout le développement intervenu sur les contreforts, on prévoit que les peuplements de trembles auront disparu d'ici 2045. Dans des endroits comme Yellowstone, les castors se nourrissent des trembles. C'est ce qu'ils mangent. Il y a une dépendance à l'égard des peuplements de trembles.
Les gens prédisent que la suppression des incendies entraînera la disparition des forêts de trembles. Celle-ci déclenchera à son tour une série d'événements. Je serais ravi de transmettre de plus amples renseignements à votre comité.
Il faut réfléchir à certains de ces aspects. Je ne dis pas «le feu seulement» et je ne dis pas «pas d'incendie». À l'évidence, le service national des parcs a établi que nous perdons certains de ces peuplements parce que nous avons si longtemps combattu les incendies.
Le président: Considérez-vous que c'est une mauvaise chose?
M. McNamee: Dans certains cas, oui.
Le président: Comment savez-vous lequel est un bon incendie et lequel est un mauvais incendie, si vous dites «seulement dans certains cas»?
M. McNamee: Dans certains cas, le feu est manifestement une bonne chose.
M. Neave: J'aimerais répondre à la question de savoir pourquoi nous voulons préserver ce que nous avons. Pourquoi voulons-nous maintenir des zones d'incendie ou reproduire et copier les cycles du passé?
À l'égard de toutes les conventions internationales et nationales, nous sommes tombés dans le piège consistant à nous engager à maintenir notre diversité et nos paysages nationaux, sans réellement réfléchir à ce que cela suppose. Nous employons tous des termes parce que nous n'en connaissons pas d'autres, et donc nous disons que nous allons maintenir la biodiversité. Cependant, nous devons nous interroger sur nos objectifs en matière de biodiversité. Nous devrions les énoncer au niveau opérationnel et permettre à l'industrie ou à tout organisme de gestion de les réaliser concrètement. Or, nous ne faisons pas cela. Nous disons «maintenez la biodiversité», mais nous ne savons pas comment. Nous ne disons pas ce que nous voulons.
Je suis sûr que d'autres témoins vous ont déjà dit que le débat autour de la gestion des forêts tourne autour de ce que les gens ne veulent pas. Mais on ne parle presque pas de ce que l'on veut.
Le président: N'est-ce pas là une partie du problème, monsieur Neave? Nous, les êtres humains, n'avons pas les connaissances requises pour savoir ce que nous voulons. Cependant, nous soupçonnons profondément que si nous laissons seulement les médecins s'occuper de santé, seulement les généraux s'occuper des armées et seulement les forestiers s'occuper des forêts, les résultats ne seront jamais ce qu'ils annoncent. Autrement dit, nous aurons toutes sortes de problèmes.
Peut-être faut-il cesser d'intervenir, ne plus allumer de feux et ne plus combattre le feu, ni rien d'autre. Par exemple, nous ne savons pas quels produits chimiques peuvent être bons pour une forêt de 200 ans ou une forêt de dix ans. Nous ne savons pas si le sapin baumier, qui est considéré comme du mauvais bois aujourd'hui, ne sera pas très prisé à l'avenir. Peut-être le mélèze sera-t-il l'une des grandes découvertes du XXe siècle. Si vous êtes un naturaliste, ne pensez-vous pas qu'il faut faire confiance davantage à la nature qu'aux professeurs?
M. Neave: Cela ne fait aucun doute. Nous voulons préserver les options futures. Nous devons préserver toutes les possibilités qu'offre la forêt et toutes les valeurs qu'elle renferme. Rien n'est plus fondé.
Le président: Je ne parle pas de toute la forêt, mais il faut retrancher certaines parties et laisser faire la nature.
Je vois deux arguments ici. L'un consiste à gérer les forêts en dehors des parcs, et l'autre revient à dire que l'on veut créer un gel écologique dans le temps. Autrement dit, nous voulons laisser cette forêt tranquille et voir ce qui se passe.
M. Neave: Pour être efficace, il faut les deux. Nous avons besoin de points de référence écologiques. Nous avons besoin de parcs et d'espaces protégés à l'intérieur d'un paysage pour maintenir cette intégrité. Nous ne pouvons faire l'un sans l'autre, il nous faut les deux. C'est ce que nous appelons la gestion du paysage total. Il faut gérer tout le paysage.
M. Garth Lenz: Je considère aussi que l'homme n'a pas une idée très claire de ce qu'il faut faire et que généralement nous le réalisons beaucoup trop tard. Je sais que beaucoup d'écologistes et de personnes préoccupées considèrent que mère nature se débrouillait très bien sans nous. Il y a là une certaine sagesse.
Vous dites que si nous avons de vastes espaces protégés, il vaudrait mieux ne pas y intervenir d'aucune façon. Si un incendie éclate naturellement, il faut le laisser brûler, mais sans nécessairement aller mettre le feu nous-mêmes.
Le problème tient peut-être en partie au fait que nos espaces protégés sont relativement petits à l'intérieur du paysage d'ensemble, et nous n'avons pas de superficie suffisamment vaste, d'un seul tenant, pour laisser le modèle naturel se reproduire lui-même. Dans un espace relativement vaste tel que le Parc national Wood Buffalo -- s'il n'avait pas été assez largement exploité, ce problème aurait pu être prévenu. Dites-vous que dans un espace comme celui-ci nous devrions peut-être nous abstenir d'intervenir? Autrement dit, ne pas éteindre les incendies lorsqu'ils surviennent, mais pas nécessairement les allumer non plus?
M. McNamee: La question que M. Lenz vient de poser nous ramène à celle de tout à l'heure sur les valeurs. Notre pays a déclaré que la préservation de l'ours grizzly est une valeur importante. Notre pays veut perpétuer l'ours grizzly. Cependant, nous l'avons évincé des prairies et repoussé dans les parcs de montagne. C'est son dernier refuge. La science nous dit que, pour préserver le grizzly, il faut ces clairières et ces forêts de trembles, et elles sont régénérées par le feu.
Nous avons passé des décennies à combattre les incendies dans le Parc national de Banff. Ce facteur de changement a été supprimé, et c'est pourquoi on veut le réintroduire.
En 1983, un grand parc provincial de 1 500 kilomètres carrés a été établi dans le nord de l'Ontario. Il était destiné à protéger le caribou et à maintenir une portion représentative de la forêt boréale.
Au cours des dix années suivantes, on a constaté que la plus grosse population de caribou des bois de l'Ontario était menacée par toutes les activités forestières aux alentour du parc. Le parc n'était pas suffisamment étendu pour être représentatif de la région, ni pour faire vivre le caribou des bois ni maintenir le régime d'incendie requis dans la région. Les autochtones, les écologistes, le gouvernement et l'industrie forestière se sont concertés et ont négocié, après dix années et 1,5 million de dollars, un parc d'une superficie dix fois plus grande que la taille originale. La compagnie forestière a volontiers cédé ses permis pour cela.
C'est un exemple où nous avons défini les valeurs, compris que le développement autour d'un parc était contraire à ces valeurs et l'on a agrandi le parc. Je ne dis pas que c'est la seule façon de faire les choses, mais je dis que c'est un exemple où des valeurs ont été déterminées, où nous avons appliqué les connaissances scientifiques et pris les mesures qui s'imposaient.
Le sénateur Rossiter: Je suis moi aussi intéressée par le cycle des incendies. Si l'on passait en revue les prétendues plantations, il doit, je présume, y en avoir qui poussent depuis 40 ans. Que s'y passe-t-il? Y a-t-il du sous-bois? Les arbres semblent-ils être si serrés qu'aucun sous-bois ne peut pousser? Y a-t-il jamais eu d'incendie dans ces plantations, ou bien celles-ci sont-elles toujours trop vertes?
M. Neave: Je ne peux que vous fournir une réponse très générale, car je ne suis pas un reboiseur actif. Il s'est passé de nombreuses choses au cours des dernières années. La plupart des premières plantations -- et il y en a beaucoup un petit peut partout dans l'est de l'Ontario -- ont été surplantées. Elles avaient une très faible productivité pour ce qui est de la valeur du bois ou de la pâte à papier et elles avaient une valeur très limitée pour la faune.
Nombre des peuplements ont malheureusement été plantés d'arbres de mauvaises essences, et nombre d'entre eux ont de ce fait tout simplement été abandonnés. Si un incendie s'y déclare, alors qui va s'en préoccuper; ces peuplements n'ont qu'une valeur très limitée. Certains ont de la valeur, mais on n'a pas consacré beaucoup de travail à leur gestion.
Il y a eu une brève période de plantation intensive de ce que l'on appelle les «arbres-champignons»: on récupère les gènes des arbres les plus hauts et qui connaissent la croissance la plus rapide et on les combine pour créer ces arbres-champignons. Je ne peux pas vous parler de cela dans le détail, mais il serait intéressant que quelqu'un vienne vous entretenir de cette question. L'impression générale est que ce n'était pas une approche très sage, ni du point de vue écologique ni du point de vue forestier.
Le sénateur Rossiter: Il y a environ une semaine, je rentrais chez moi en voiture et j'ai traversé la région de Fredericton et nombre des zones plantées. Je me suis demandée ce qui se passerait s'il se déclenchait dans ces régions un incendie et qu'on n'intervenait pas. Toute la région redémarrerait-elle différemment, ou se retrouverait-on avec quelque chose de plus proche du genre de forêt que l'on désire?
M. Neave: Ce genre de forêt s'implanterait définitivement dans le temps. Dans certains cas, le pin gris, le tremble ou le peuplier pousseront. D'autres essences exigent que des saules ou des peupliers s'implantent d'abord, et l'épinette poussera alors en dessous. Oui, définitivement, tous ces peuplements finiront par retrouver leur état d'avant.
Le sénateur Rossiter: Je me suis souvent demandée si le bois de ces plantations aurait un jour de la valeur et si les arbres repousseraient.
Le président: Le sénateur Rossiter a posé une bonne question au sujet des plantations. M. McNamee a peut-être déjà entendu cette question. Je veux parler maintenant des forêts entourant les terres agricoles marginales, surtout dans l'Ouest. Beaucoup de terres de niveaux 4 et 5 là-bas ont été converties à la culture, mais il faut avoir beaucoup de chance pour y faire pousser quoi que ce soit. Les gens font la queue pour obtenir de l'aide financière, ne serait-ce que pour survivre. Notre régime fiscal ne fait rien pour les gens qui veulent faire des plantations.
Sur ces terres pauvres, les arbres ont été abattus, qu'ils aient ou non été bons. Nous avons alors eu une pénurie d'arbres de forêt naturelle pour approvisionner notre marché d'exportation et notre demande de bois. Pourquoi ne pas faire ce qui se fait en Finlande et en Suède et avoir des plantations sur des terres qui sont déjà consacrées à des plantations, sauf qu'on y plante de l'orge ou autre chose du genre?
M. Neave: J'ai passé de nombreuses années en Alberta et j'ai vu nombre de ces boisés privés se faire couper pendant la période d'essor économique de la Colombie-Britannique.
La meilleure réponse est la description de la gestion des boisés privés au Canada. On parle de la «forêt oubliée». Ce n'est pas agricole, et le ministère de l'Agriculture ne gère pas cette forêt comme étant un produit agricole en vertu de l'un quelconque de ses programmes d'extension. En même temps, les ministères des Ressources naturelles n'en assurent pas la gestion en tant que forêt. Voilà pourquoi on parle de la forêt oubliée.
Les quelque 300 propriétaires de boisés au Canada étaient presque tous au Québec, en Ontario et dans les provinces maritimes. Les propriétaires de boisés n'obtiennent pas beaucoup d'aide en vertu de programmes d'extension. Certaines entreprises, surtout dans les Maritimes, ont négocié des arrangements avec des entreprises locales pour gérer leurs boisés dans le cadre de plans de gestion, mais c'est plutôt l'exception que la règle au Canada.
L'encouragement à planter davantage de boisés privés n'est tout simplement pas là. Il n'y a pas d'engagement, que ce soit sous forme d'aide financière consentie par des organes gouvernementaux, d'incitatifs ou encore d'activités d'extension. Personne ne veut en faire la promotion. L'investissement dure trop longtemps pour que le rendement soit gros. À moins que des changements ne soient apportés au régime fiscal -- ce que demandent depuis des années les propriétaires de boisés privés -- et à moins qu'il y ait des changements fondamentaux du point de vue économique, je ne pense pas que cela change.
Le président: A-t-on fait des études sur les terres marginales qui sont maintenant consacrées à la céréaliculture et aux pâturages? Si ces terres étaient converties à la foresterie et produisaient de la même façon que les plantations finlandaises ou suédoises, savons-nous à quel volume de bois nous pourrions-nous attendre?
M. Neave: La Colombie-Britannique et le Québec ont certains chiffres pour ce qui est de la croissance et du rendement. L'Ontario a des chiffres, en provenance des différents ministères, sur les bonnes terres du point de vue forestier. Ils peuvent vous dire à quelle vitesse la forêt pousserait et dans quels délais l'on pourrait faire une récolte ou réaliser un rendement.
Le président: C'est certainement la forêt oubliée.
Aucun des témoins n'a parlé de la participation autochtone. Plus de la moitié des autochtones vivent dans des villes, comparativement à 80 p. 100 des non-autochtones, qui sont des citadins. De ces autochtones qui vivent à la campagne, environ 75 p. 100 d'entre eux habitent la forêt boréale. Ils veulent des droits des traités; ils veulent s'adonner au trappage et à la pêche, et couper du bois. Or, c'est la province qui détient les droits en ce qui concerne la forêt. La province dira: «les autochtones sont une responsabilité fédérale, mais les arbres nous appartiennent à nous».
Le Nouveau-Brunswick a fait un effort en communiquant avec tous les détenteurs de permis et en leur disant que 5 p. 100 des coupes doivent être réservées aux autochtones. Les autres provinces n'ont pas fait de même. Ce sera intéressant, car vous vous souviendrez de la façon dont les autochtones du Nouveau-Brunswick ont obtenu ces 5 p. 100. Avez-vous réfléchi à cette question? Vous parlez de tourisme, de pêche et de bois. Avez-vous du tout réfléchi aux droits des traités visant les terres ancestrales autochtones?
M. McNamee: Dans notre présentation, j'ai délibérément mis l'accent sur les parcs nationaux. Vous tenez ces audiences depuis plus d'un an, alors vous avez beaucoup entendu parler d'autres questions. Voilà pourquoi je me cantonnerai aux parcs nationaux.
En ce qui concerne l'établissement de parcs nationaux, la politique fédérale est de ne pas bouger à moins que les Premières nations concernées n'appuient la création du nouveau parc national en question. Lorsque les Premières nations l'appuient, elles font partie du processus de négociation. À l'intérieur de la forêt boréale, le plus récent parc national est le parc national Wapusk, dans le nord du Manitoba.
Ce parc a vu le jour non seulement grâce aux gouvernements fédéral et manitobain, mais également grâce à une Première nation provinciale -- celle des Keewatinowi Okimakanak du Manitoba -- et aux deux communautés locales de Premières nations touchées. Celles-ci ont clairement vu le parc et la protection de la forêt boréale comme contribuant à leur genre de vie. Ce qu'elles faisaient, c'était maintenir les terres qu'elles avaient l'habitude d'utiliser pour la chasse. L'entente relativement au parc leur garantit le droit de maintenir à l'intérieur du parc une chasse traditionnelle de subsistance.
La Première nation est également cogestionnaire du parc, et le plan de gestion du parc qui est en train d'être élaboré vise à protéger cette partie représentative de la forêt boréale. Le comité de gestion du parc comprend un certain nombre de personnes nommées par les gouvernements fédéral et provincial ainsi que des représentants des Premières nations.
Les parcs nationaux sont aujourd'hui de plus en plus gérés selon une formule de cogestion. Les Premières nations travaillent aux côtés de Parcs Canada pour veiller à ce que leur mode de vie traditionnel soit maintenu à l'intérieur de ces parcs et à l'intérieur de la forêt boréale. Elles retirent autre chose que du bois de ces terres -- du caribou, et cetera.
Je vous recommanderais d'inviter quelqu'un de Parcs Canada à venir vous entretenir davantage de cette question.
Le sénateur Robichaud (Saint-Louis-de-Kent): J'apprécie ce que vous dites: vous faites intervenir les gens et vous vous assoyez ensemble pour établir des objectifs. Votre mémoire s'appuie sur l'idée qu'il nous faut fixer des objectifs puis nous organiser.
Je suis heureux d'entendre que vous tenez également compte de l'activité économique humaine, comme par exemple le trappage et la coupe d'arbres, et du fait que ces activités doivent être menées dans un contexte de durabilité. J'aime ce que j'entends.
M. Neave: La gestion de la faune au Canada n'est pas structurée depuis si longtemps que cela. Dans les années 1880, la faune a été plutôt décimée par les premiers colons. La conservation n'est en fait un concept reconnu que depuis les années 30. La stratégie dans les années 30 -- et elle est toujours en place jusqu'à un certain point -- se limite, en ce qui concerne la faune et ces ressources, c'est-à-dire la pêche, la chasse, le trappage et ainsi de suite, à essayer d'étirer ce que nous avons aussi longtemps que possible. L'idée de pouvoir maintenir la faune comme ressource durable est relativement nouvelle dans le contexte de la gestion des ressources.
Malheureusement, la communauté autochtone continue d'essayer d'étirer les possibilités de chasse, de pêche et de trappage aussi longtemps que possible, au lieu de s'efforcer de les asseoir sur une base solide en vue de les maintenir pour le long terme. C'est pourquoi la chasse, la pêche et le trappage sont autorisés aux côtés d'autres utilisations des terres. Cependant, il n'y a aucune garantie que la fourrure et que les poissons seront là.
La stratégie nationale sur les forêts est l'une des questions qui a été le plus controversée dans le cadre des débats de l'an dernier sur les efforts visant à inclure les intérêts autochtones au niveau planification de l'utilisation des terres, et non plus seulement au niveau distribution.
Le président: J'aimerais qu'on passe maintenant à la question de la macro-gestion. Nous avons parcouru tout le pays et avons siégé dans toutes les provinces, à l'exception de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve et du Yukon.
Quelqu'un doit faire ces choses dont nous avons parlées. Il y a le secteur du tourisme. Il y a les utilisations autochtones, les utilisations écologiques. Il semble que chaque province se consacre à raser les arbres. Elles ne se consacrent pas au tourisme. Nous avons un ministère du Tourisme. Nous avons des ministères de l'Environnement et des ministères des Forêts, et chacun y va de son propre programme.
En Ontario, nous avons vu une zone forestière cédée à une société forestière. On lui a dit «vous déposez le plan, nous l'approuvons et tous les cinq ans une vérification sera faite par un groupe indépendant». Ce groupe sera indépendant du gouvernement et de l'industrie. Il sera composé de forestiers, d'écologistes et d'autochtones, ce dans le but de veiller à ce qu'un bon usage soit fait de la forêt. Il n'en demeure pas moins que le principal administrateur est la société forestière. C'est un petit peu comme la privatisation d'une autoroute ou d'un traversier. L'autre possibilité est de laisser cela aux mains du gouvernement.
Les gens sont nombreux à se méfier de laisser quelque chose aux soins du gouvernement. Vous verrez peut-être disparaître tous vos arbres.
Pensez-vous qu'une macro-gestion avec une vérification tous les cinq ans soit une meilleure solution que de laisser les ministères des Forêts gérer les forêts?
M. Neave: La question de savoir qui est redevable et qui est responsable de la forêt est devenue très floue au cours des dernières années. Les régimes d'accréditation ont évolué au Canada. J'étais vice-président lors de l'organisation de l'Association canadienne de normalisation. Je pense que les régimes d'accréditation de l'Association canadienne de normalisation et du conseil du tourisme sont très utiles. Les entreprises les embrassent. Elles veulent être accréditées dans l'intérêt de la commercialisation.
Elles finiront par être accréditées et par assumer des responsabilités en matière de conservation de l'habitat et de toute une gamme d'autres tâches en plus de la simple production de billots de bois et de profits.
Il y aura alors une vérification, dont les résultats seront sans doute remis au gouvernement provincial. Qui donc est redevable? À mon sens, c'est une étape dans le processus visant à faire en sorte que l'industrie forestière soit davantage redevable en ce qui concerne la gestion de toute la série de valeurs. Je ne dis pas que c'est bon ou mauvais, mais cette approche en matière d'accréditation est telle que l'industrie est reconnue comme gérant les terres.
Il nous faut toujours nous demander, lorsqu'il y a accréditation pour une terre donnée, qui est en train d'être accrédité? Est-ce l'entreprise qui prend les arbres, le gestionnaire agissant au nom de la Couronne, le gestionnaire provincial?
Le sénateur Rossiter: Si un cultivateur épuise sa terre, il ne peut rien récolter, et si la société forestière dénude une étendue, elle ne peut pas récolter de bois. L'agriculteur a appris cela au fil des ans, mais pendant longtemps, on a eu des forêts à perte de vue.
M. Neave: C'est une parfaite analogie. Le cultivateur est propriétaire de la terre et, à bien des égards, il en est l'intendant. Il se sent responsable de s'occuper de la terre et de la maintenir en vue d'en retirer un avantage économique.
Les sociétés forestières n'ont pas développé de responsabilité en matière d'intendance et n'ont pas de responsabilités ou de droits relativement à la terre. Elles ont tout simplement le droit de couper des arbres.
M. McNamee: Pour revenir sur la question des incendies, j'aimerais vous féliciter sur un article paru dans un livre récent sur le Nord. Il raconte l'histoire très intéressante de la façon dont la gestion des incendies a progressé dans la forêt boréale du Nord au cours des 70 dernières années et du rôle des autochtones. Je vais fournir cela au comité, car c'est un tableau d'ensemble fascinant.
Votre question est importante, monsieur le président, et la Fédération canadienne de la nature n'a pas encore vu de société forestière réserver de son propre chef une grosse étendue pour être un parc ou une zone sauvage, dans le but de satisfaire les objectifs fixés. Une entreprise en Colombie-Britannique a cédé une forêt pluviale, mais seulement parce que la Première nation et le gouvernement l'y ont contrainte.
Le gouvernement a toujours un rôle à jouer pour veiller à ce que 95 p. 100 des terres de la Couronne soient consacrées à des parcs et à des aires protégées.
Au fur et à mesure que les entreprises s'intéressent davantage à la rentabilité, aux actionnaires, aux dividendes et à la concurrence internationale, je pense qu'elles subiront davantage de pressions pour ne pas réserver de zones protégées, à moins qu'il y ait également des menaces de boycotts internationaux et de personnes s'attaquant aux investisseurs internationaux dans les sociétés forestières.
En ce qui concerne la question des vérifications, tout dépend de ce qui est vérifié. Quelles valeurs et quels objectifs sont vérifiés? Le gouvernement continue d'avoir un rôle central, important et critique dans l'identification et la négociation des zones protégées ainsi que pour veiller à ce que ces terres ne soient pas consacrées au développement.
J'ai du mal à accepter la notion que lorsque des droits de terres de la Couronne sont transférés à une société forestière, ils peuvent assurer la mise en oeuvre exhaustive de la Stratégie nationale sur les forêts. Je ne pense pas qu'on en ait la preuve.
Le président: Monsieur Lenz, je vous invite à nous présenter votre diaporama.
M. Lenz: Honorables sénateurs, je me suis bien gardé de faire la moindre mention d'incendie dans mon diaporama. Je commencerai par vous rappeler que M. Neave vous a dit au début de son exposé qu'il est forestier et biologiste. Je ne suis ni l'un ni l'autre. Je suis photographe. Je ne prétends donc pas être un expert sur la forêt boréale, mais je souhaite néanmoins vous fournir une documentation visuelle sur certains des défis dont vous parlez. Ma présentation concerne tout particulièrement la forêt boréale du Nord de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et de la Saskatchewan. Elle traite de questions comme l'état des rivières, l'intégrité de la forêt et les défis et les conflits auxquels se trouvent confrontées les communautés de Premières nations qui habitent ces régions. Les Premières nations ont une diversité d'opinions sur ces questions, tout comme c'est le cas de la communauté non autochtone.
Cet automne, j'ai passé environ cinq semaines dans la région de Fort Liard et de la rivière Liard, et j'ai séjourné avec une famille Slavey élargie, un sous-groupe des Dénés, qui tente de maintenir un style de vie traditionnel. J'aimerais vous raconter une partie de son histoire dans le contexte de certaines des autres expériences que j'ai vécues ailleurs dans la forêt boréale. J'aimerais également remercier le président, les sénateurs et les autres personnes présentes pour l'occasion qui m'est ici donnée de faire cette présentation.
La première diapositive montre la rivière Liard, qui commence à l'extrémité nord des Rocheuses, sur son versant oriental, près de Watson Lake dans le Yukon.
La diapositive suivante montre la rivière qui trace une ligne tout juste au sud du 60e parallèle, en allant vers l'est.
La diapositive suivante montre la rivière traversant un certain nombre d'écosystèmes du nord très différents, y compris le deuxième plus important écosystème de sources chaudes en Amérique du Nord, les Liard Hot Springs, que l'on voit sur la diapositive suivante. S'il y en a parmi vous qui avez emprunté l'autoroute de l'Alaska, vous avez peut-être eu la chance de passer un peu de temps dans cet endroit tout à fait unique.
La diapositive suivante montre la rivière serpentant tout juste au sud de la frontière du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Elle trace des méandres jusqu'à une vaste plaine, et vous pouvez voir son lit se plier et se replier sur lui-même, créant une plaine inondable alluviale très riche et très fertile qui alimente cet exemple très productif et toujours largement intact de forêt boréale.
Cette diapositive-ci montre la rivière faisant une boucle vers le nord et jusque dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle rejoint à Fort Simpson le fleuve Mackenzie, qui se jette dans la mer de Beaufort.
Voici un exemple de certains des types forestiers que l'on trouve dans la forêt boréale. Cela m'étonne toujours lorsque les gens disent que tous ces paysages se ressemblent. Ils ne prennent pas le temps de regarder l'incroyable diversité que l'on retrouve à l'intérieur de cette forêt, et M. Neave, en sa qualité de biologiste, pourrait nous en fournir de nombreux exemples.
La diapositive suivante montre le caractère unique des rivières du nord qui se déversent dans le fleuve Mackenzie, formant un bassin fluvial nordique. Au contraire des rivières Peace, Athabaska, Mackenzie et Smoky, ces rivières-ci ont toutes subi d'importantes incursions industrielles le long de leurs rives et ont été polluées par les effluents. La Liard, qui, au contraire de la Peace, n'a pas de barrage, a jusqu'ici réussi à échapper à ce sort.
Passant maintenant à la diapositive suivante, je me souviens que lorsque j'ai pour la première fois voyagé dans le Nord, cela m'avait choqué de constater que des usines de pâtes déversaient leurs effluents dans les rivières. Ces rivières avaient pris des proportions quasi mythologiques dans mon esprit lorsque je les avais étudiées à l'école primaire et avais appris que c'était elles qui avaient servi de route pour la découverte du passage du Nord-Ouest. Cela m'avait choqué de voir que ces rivières, qui font partie de notre identité culturelle, avaient été si gravement endommagées.
Il avait été question à la fin des années 80 de l'implantation de l'usine d'Alberta Pacific, qui avait été vantée à l'époque comme devant être la plus grosse usine de pâte kraft blanchie au monde. L'étude des rivières du Nord avait été entreprise dans le but d'examiner l'intégrité de ce réseau enchevêtré de rivières pour déterminer s'il pourrait résister au stress d'encore une autre usine. Les recommandations de cette étude n'ont été mises à exécution que bien après la construction de l'usine de l'Alberta Pacific.
Trois autres études ont été faites, toutes indiquant que l'usine de l'Alberta Pacific allait poser des problèmes pour la santé, mais le gouvernement de l'Alberta avait choisi de ne pas écouter, et l'usine existe donc aujourd'hui.
Il y a eu toute une accumulation dans les années 80 d'infrastructures de ce genre partout dans le Nord, et surtout dans le nord de l'Alberta. Cette diapositive montre l'usine de Kimberly-Clark, à Grande Prairie. L'usine de Procter & Gamble crache des effluents non traités dans la rivière Smoky. Au départ, ce tuyau que vous voyez allait directement dans la rivière mais cela avait créé de tels problèmes de relations publiques que l'usine l'a fait se déverser dans le bassin de démoussage, qui se draine dans la rivière.
L'état de ces rivières est extrêmement critique, car elles sont une importante source d'alimentation pour les communautés des Premières nations du Nord. En fait, certaines communautés tirent, d'après les estimations qui ont été faites, entre 40 et 50 p. 100 de leur approvisionnement alimentaire des rivières. La Smoky se draine dans la Peace, qui se jette à son tour dans le fleuve Mackenzie.
Pendant que je parcourais cette région, et tout particulièrement le parc national Wood Buffalo, un membre d'une communauté des Premières nations isolée m'a prêté son bateau afin que je puisse me promener le long de la rivière Peace. Il m'avait mis en garde, me recommandant de ne pas boire l'eau et de ne pas manger le poisson de la rivière car on savait qu'ils n'étaient pas très salubres. En fait, le gouvernement de l'Alberta a émis des avertissements sur les quantités de poissons pris dans ces rivières qui devraient être consommés. Pourtant, j'ai vu devant la maison de cet homme une quantité importante de poissons pris dans cette même rivière. Devant nourrir une famille de cinq, dans une communauté marquée par un taux de chômage supérieur à 90 p. 100 et par des produits alimentaires vendus extrêmement chers, il n'avait pas le luxe de ne pas manger ces poissons.
J'ai passé peut-être une demi-heure à photographier ce tuyau qui déverse l'effluent dans la rivière Smoky, et pendant les 24 heures qui ont suivi, mon compagnon et moi-même avons eu de très graves maux de tête, des brûlures au nez et les yeux qui pleuraient.
En passant, cette usine a été accusée par le gouvernement albertain d'avoir commis 212 violations de la législation en matière de qualité de l'eau; or, elle continue de tourner, déchargeant son effluent dans la rivière et dans la chaîne alimentaire des peuples des Premières nations.
L'accumulation d'infrastructures industrielles a donné lieu à des coupes à blanc de très grande échelle. Cette photo ne résulte pas d'une longue recherche de la pire coupe à blanc qui soit, mais a été prise le long du premier chemin de coupe que j'ai emprunté en arrivant dans le nord-est de la Colombie-Britannique.
Les coupes à blanc de grande envergure entreprises dans la forêt boréale ont un double effet négatif sur le réchauffement de la planète. Premièrement, ces coupes détruisent la forêt existante de telle sorte qu'elle n'est plus en mesure de minimiser les effets du réchauffement de la planète en absorbant du gaz carbonique et en émettant de l'oxygène. Deuxièmement, selon David Suzuki, la coupe de la forêt et la transformation du bois produisent des centaines de millions de tonnes de gaz carbonique relâchées dans l'atmosphère chaque année.
M. McNamee a parlé du fait qu'il nous faille faire plus pour maintenir l'intégrité de nos parcs dans la forêt boréale. Cette coupe à blanc a été photographiée dans le parc national Wood Buffalo, le plus grand parc national du Canada, où il y a eu de la coupe de 1945 jusqu'en 1992, je pense. C'est un bon exemple de mauvaise gestion à l'intérieur des limites d'un incroyable élément du patrimoine national qui aurait dû être protégé.
La coupe dans la forêt boréale en l'absence de mesures de sauvegarde appropriées peut amener une terrible érosion du sol. Le climat y est sec et froid, et le sol, dépourvu de son manteau sylvestre, peut très facilement perdre par lessivage les éléments nutritifs qu'il renferme. Cette diapositive montre le lessivage et l'érosion constatés après une légère pluie. Une fois que ce sol a perdu ses éléments nutritifs par lessivage, il est beaucoup moins fertile pour le reboisement.
Dans le cas des initiatives de reboisement réussies dans le nord de la Saskatchewan, la récolte de remplacement ne reproduit pas nécessairement ce qui était là auparavant. Cette diapositive montre ce qui était autrefois un peuplement naturel de bouleaux, qui a été remplacé par des conifères, et au premier plan, on voit bien l'état desséché du sol après la coupe à blanc.
Pendant que l'on essaie de faire du reboisement de certaines façons et dans certains endroits, on ne tente pas de reproduire les processus naturels précédents, et, naturellement, cette nouvelle couverture végétale ne joue pas le même rôle biologique, ni le même rôle en ce qui concerne la faune, que la forêt originale.
Cette photo a été prise en survolant le parc Wood Buffalo, et c'est un exemple de ce qui est arrivé à l'intérieur des limites du parc. Bien que le défrichement en damier résulte en des coupes à blanc dans l'ensemble plus petites, il crée un problème que l'on appelle l'«effet lisière». Pour vous l'expliquer simplement, certaines essences ne pousseront pas du tout à l'intérieur d'une frange pouvant atteindre une largeur de 100 mètres en bordure d'une coupe à blanc; d'autres essences s'y implanteront et proliféreront. Les essences qui ne peuvent pas s'y établir deviennent extrêmement limitées, et le déséquilibre qui en résulte peut créer des problèmes au sein de l'écosystème.
Une récente étude de l'université de l'Alberta montre que les coupes à blanc dans la forêt boréale détruisent les lichens, qui sont la principale source d'alimentation en hiver pour le caribou des bois. Le caribou des bois est à son tour une source de nourriture traditionnelle pour les Cris de la région.
Des coupes à blanc de grande envergure comme celle que l'on voit sur cette diapositive peuvent également présenter de graves problèmes pour les orignaux, qui sont la principale source d'alimentation pour de nombreuses Premières nations dans la région.
Ces énormes sillons creusés parallèlement à la pile de bois rejeté peuvent être profonds de jusqu'à six pieds, rendant les orignaux très vulnérables à leur principal prédateur, le loup. Encore une fois, cela peut créer de très graves déséquilibres dans la faune sur laquelle compte les Premières nations comme principale source de nourriture.
Comme je l'ai mentionné dans la courte préface à mes remarques, il existe au sein des communautés des Premières nations des conflits de taille. Cette diapositive montre l'usine Millar Western, près de Meadow Lake, dans le nord de la Saskatchewan. Cette usine appartient en partie au conseil tribal de Meadow Lake, qui reçoit une part des profits, et l'usine emploie des locaux, ce dans une communauté qui connaît un taux de chômage de 80 p. 100. Nombre des anciens avaient été frustrés par le fait que la coupe du bois dans la région ait été pratiquée pendant des années sans qu'il n'y ait jamais eu d'évaluation de l'impact sur l'environnement. Ils voyaient se faire complètement raser les terres sur lesquelles ils avaient traditionnellement chassé et piégé des animaux et ramassé des plantes médicinales.
Sentant qu'ils n'avaient aucun recours, ils ont créé un groupe appelé The Protectors of Mother Earth. Au printemps de l'année 1992, ils ont érigé un barrage. Ce barrage a été maintenu pendant plus d'un an. Il a créé de profondes divisions dans la communauté. Le neveu de Cecilia Iron était le chef par intérim à l'époque. Il a lui aussi ressenti le conflit, car il considérait que c'était une source d'emplois pour les gens de son peuple. Comme je l'ai mentionné, le taux de chômage dans la région était de 80 p. 100 et il y avait dans le Nord peu de possibilités d'emploi.
Les anciens cherchaient à protéger cette région. Il me faudrait préciser, afin que ce soit bien clair, qu'ils ne disaient pas qu'il ne devrait pas y avoir de coupe du tout; tout simplement, ils étaient préoccupés par les sites sacrés et par les zones productives qui étaient critiques pour leur mode de vie traditionnel. Ils s'opposaient également à l'agriculture mécanisée. Ils trouvaient, à très juste titre, que cette agriculture n'offrait pas les emplois que pouvaient offrir les méthodes agricoles qui nécessitent beaucoup plus de main-d'oeuvre, et qu'elle endommageait beaucoup plus la terre.
La validité de leurs préoccupations ressort bien de ces images. Je ne suis ni forestier ni biologiste, mais je me suis rendu en cet endroit, je l'ai photographié, j'ai touché le sol, et ces conditions que vous voyez ici sont parmi les pires que j'aie jamais vues. La terre était comme un genre de poudre. En vous promenant dans ces vastes superficies coupées à blanc, vous voyiez mille après mille de jeunes plants qui étaient tout bruns et qui étaient morts.
Cette diapositive montre les régions qui, plusieurs années auparavant, avaient été recouvertes d'une forêt boréale très saine.
C'est avec un certain soulagement et une grosse dose d'anticipation optimiste que je me suis lancé dans une exploration de la région de la rivière Liard. J'ai eu le bonheur de passer du temps là-bas avec Shirley Bertrand et sa famille élargie. Cette famille s'est rendu compte que la clé à son identité et à son processus de guérison est de conserver son lien avec la terre. Les parents de Mme Bertrand n'ont jamais habité Fort Liard. Ils ont vécu toute leur vie le long des rives de la rivière Liard. Jusqu'à il y a environ 15 ans, les gens des Premières nations de cette région vivaient dans le bois, éparpillés le long de la rivière Liard dans de petits groupes familiaux, avec un certain nombre de camps qu'ils fréquentaient à différentes périodes de l'année pour la chasse et la cueillette d'aliments.
Il y a environ 15 ans, ils ont été encouragés à s'établir tous ensemble, dans une même localité, à Fort Liard. On leur avait dit qu'on leur verserait de l'aide social, qu'ils habiteraient des maisons chauffées et que la vie n'y serait plus dure. Or, c'était la communauté familiale et le style de vie traditionnel qui avaient maintenu les liens traditionnels à l'intérieur de ces groupes. C'est cette structure qui les avait protégés, même par suite de la dévastation des écoles de missionnaires et de l'introduction de boissons alcoolisées. Les communautés et les gens étaient toujours en bonne santé et forts. Cependant, on m'a dit qu'au cours des 15 années qui se sont écoulées depuis que les gens sont allés s'établir à Fort Liard, les problèmes sociaux, l'alcoolisme et différentes formes d'abus sont devenus beaucoup plus graves. L'on a constaté un dérapage très rapide vers la dépendance et la perte de sa dignité propre.
La famille Bertrand -- et les membres de la famille élargie, dont le nombre n'est pas insignifiant -- a été très assidue dans le maintien de ses liens, en organisant ses chasses régulières et en vivant de la terre.
Jusqu'à tout récemment, la région était demeurée intacte pour ce qui est de l'intégrité biologique et culturelle de la terre et des gens. Dans ces régions, je trouve qu'il est difficile de parler de la terre, de la forêt boréale et de l'écosystème sans parler des Premières nations. Les gens des Premières nations sont un élément important de la terre. Cependant, avec l'implantation de deux grosses usines et la protection au sud d'une vaste étendue dans les Rocheuses du Nord, cette région subit des pressions toujours croissantes, comme le montre cette photo d'un camp de bûcherons sur les rives de la rivière Liard. Vous pouvez voir à l'arrière-plan les manifestations des activités d'exploitation forestière.
J'ai passé une semaine avec la famille Bertrand lors de sa chasse automnale à l'orignal. Elle a également voulu que je prenne un peu de temps pour explorer la région entourant sa ligne de trappage. Cette ligne de trappage a été transmise de père en fils aussi loin que l'on s'en souvienne. La famille n'avait pas vérifié cette partie de la ligne de trappage depuis l'année précédente. Elle voulait constater les activités de coupe qu'il y avait eu l'hiver précédent. Nous n'avions pas fait beaucoup de chemin afin de tomber sur ces grosses coupes à blanc toutes fraîches, faites dans l'année sur sa ligne de trappage traditionnelle.
Pour vous donner un exemple de l'envergure de certaines de ces coupes à blanc, cette photo a été prise en regardant en direction de la rivière Liard, sur une légère pente. La photo suivante a été prise en tournant de 180 degrés l'appareil-photo. Cette photo est prise de la direction opposée. Il est difficile de bien saisir l'envergure de la coupe car même un grand angle n'embrasserait pas toute la trouée. On parle ici d'une très vaste trouée dans une région sur laquelle cette famille compte pour sa subsistance depuis des milliers d'années.
La famille Bertrand avait expliqué à la Slocan Forest Products les régions qui étaient particulièrement importantes pour elle. La Slocan Forest Products les avait interrogés là-dessus et la famille lui avait dit que dans cette région en particulier elle était préoccupée par un barrage et une cabane de castors. Elle a été extrêmement frustrée de constater que cette région avait été détruite l'année précédente.
Cette photo montre les deux frères. La journée avait été extrêmement difficile pour eux lorsqu'ils ont vu ce qui avait été fait à leurs terres.
J'ai parlé plus tôt de l'importance des aliments traditionnels pour ces communautés du Nord. Il s'agit en partie d'une question monétaire, car ces gens n'ont que très peu de moyens monétaires. Il est difficile de les considérer comme étant pauvres lorsque vous les connaissez, car ce sont des personnes extrêmement heureuses et fortes avec de bonnes relations familiales. Cependant, sur le plan monétaire, ils n'ont vraiment pas grand-chose.
Si vous vouliez accorder une valeur en dollars aux aliments sauvages trouvés dans cette région habitée par le peuple Slavey, cela se chiffrerait sans doute aux environs de 10 000 $. En d'autres termes, s'il leur fallait remplacer ces aliments au supermarché, cela leur coûterait 10 000 $. Or, comme je l'ai dit, le taux de chômage dans ces régions tourne autour de 80 p. 100 ou 90 p. 100, et il est tout simplement exclu que ces gens dépensent de telles sommes pour se nourrir.
Ces aliments sont par ailleurs extrêmement sains. Traditionnellement, la viande d'orignal et de caribou ne renferme qu'environ 1 p. 100 ou 2 p. 100 de gras. Des aliments équivalents achetés en magasin auraient une teneur en gras variant entre 12 p. 100 et 20 p. 100. Lorsque des gens abandonnent un régime alimentaire traditionnel pour essayer de le reproduire avec des aliments achetés en magasin, cela crée de sérieux problèmes diététiques, car la teneur en gras peut être jusqu'à 20 fois ce qu'elle était auparavant. D'autre part, la teneur en fer du caribou et de l'orignal est à peu près six fois ce qu'elle est pour le porc maigre, et pour le zinc, la teneur de ces viandes traditionnelles est trois fois plus élevée. Ces viandes sont très riches en éléments nutritifs.
L'obtention de cette nourriture est une partie très importante des traditions de ces gens. Lorsque vous vivez pendant ne serait-ce qu'une courte période de temps avec les Slavey, vous vous rendez compte que le fait de ne pas chasser, de ne pas manger d'orignal, de ne pas vivre sa vie au rythme de l'orignal, c'est presque arrêter d'être Slavey. L'on commence à comprendre pourquoi les problèmes sociaux peuvent être si catastrophiques dans ces communautés où les gens ont été coupés de la terre. C'est parce qu'ils n'ont rien qui remplace le rôle central de la chasse, de la cueillette et de la préparation de la nourriture ainsi obtenue.
Les chasseurs Slavey ont fini par tuer un orignal. Toute la famille les a alors retrouvés pour abattre une quantité de travail considérable. En tant que citadin du Sud, je n'avais pas la moindre idée de ce qui se passerait une fois l'animal abattu. Toute la famille travaille ensemble pour charger l'orignal dans le bateau. Elle ramène la carcasse à l'un de ses camps traditionnels et toute la famille participe au découpage. Elle écharne la peau. La peau sert à la fabrication des lanières pour les raquettes et est également utilisée pour façonner les mocassins vendus comme articles d'artisanat.
Chaque partie de l'original est utilisée. Je ne saurais trop insister là-dessus. Tout est mangé. Les sabots sont bouillis et mangés. La moelle des sabots peut être utilisée pour faire une gelée, et les deux petits os du sabot sont utilisés pour dépecer le boeuf. Les outils utilisés pour écharner l'orignal sont fabriqués à même l'orignal. L'épine dorsale est découpée et la moelle qui en est retirée est utilisée pour le tannage de la peau. C'est absolument incroyable comme tout est utilisé et comme tout le monde y travaille ensemble.
La diapositive suivante montre quelques-uns des articles d'artisanat et des outils de travail façonnés à partir des ressources naturelles présentes dans la région. Dans cette région, les Slavey consomment quelque 50 plantes et animaux différents sur lesquels ils comptent pour leur régime alimentaire traditionnel. Comme je l'ai dit, l'apprentissage de ces aptitudes, qui sont transmises de père en fils et de mère en fille, est très étroitement lié à l'identité propre de ces gens.
Je ne peux pas m'empêcher de comparer la façon dont les Slavey utilisent chaque petit bout de l'orignal au genre de gaspillage que l'on constate dans l'industrie forestière industrielle moderne.
Cette diapositive montre un camp traditionnel. Tout le long de la rivière, les enfants ont acquis leurs aptitudes traditionnelles en matière de chasse, de trappage et de cueillette. C'est un petit peu comme une salle de classe extérieure pour eux. Vous pouvez vous imaginer l'horreur qu'ils ont ressentie en découvrant que cette région avait été coupée à blanc.
Lorsque vous survolez cette région en avion, vous êtes sensibilisé à sa beauté et au fait que certaines grosses étendues sont demeurées intactes. J'ai vu des airs une grosse partie de la Colombie-Britannique en particulier, mais d'autres régions du Canada également. Il est rare de voir une forêt productive qui n'est pas marquée par des coupes à blanc d'un genre ou d'un autre.
Vous commencez également à voir l'envergure des incursions qui se font sur ces terres. Avec la technologie moderne utilisée dans l'industrie forestière et le recours à des abatteuses-empileuses, la terre peut être radicalement changée en un très court laps de temps. Ce peut être fait beaucoup plus rapidement, plus rapidement même que dans la région d'où je viens, le long de la côte, où tous les arbres sont au départ coupés à la main.
Vous pouvez avoir une idée de la façon dont ils mènent leurs coupes le long de la rivière Liard et de ses estuaires. Les gens ont demandé une bande tampon de 500 mètres, car ces zones en bordure des rivières sont particulièrement importantes sur le plan habitat et valeur écologique. Les années où l'hiver est dur, les orignaux descendent dans ces régions de plus faible altitude, où la neige est donc moins dure. Vous voyez également des exemples de coupes jusqu'à la rivière.
La forêt boréale préoccupe beaucoup plus qu'une seule famille élargie. La forêt boréale est le plus vaste écosystème au monde. Elle couvre 80 p. 100 des terres forestières canadiennes et 67 p. 100 de celles-ci ont été cédées à long terme pour des coupes à blanc. Elle joue un rôle important dans la lutte contre le réchauffement de la planète et le changement climatique. Cette image vous montre l'étendue de la forêt boréale mondiale.
En tant que photographe et en tant qu'amoureux de mon pays, je crois que le Nord, les régions sauvages du Nord et, par extension, la forêt boréale, font partie intégrante du concept de ce qu'est le Canada.
Dans la culture non autochtone, nous n'avons pas la culture artistique, musicale et architecturale qu'ont d'autres pays. Nous avons un incroyable patrimoine naturel et une abondance de ressources naturelles. Je dis cela dans le meilleur sens du terme, et pas juste dans le contexte de l'exploitation.
Nous avons un incroyable patrimoine sauvage. Lorsque je donne des présentations de diapositives en Europe, par exemple, les gens ne comprennent pas que dans certaines régions l'on se batte au sujet de la terre. Pendant une présentation que j'ai donnée dans le sud de l'Allemagne, quelqu'un a même dit: «Ce que vous faites c'est comme détruire des vitraux pour fabriquer des bouteilles recyclées pour des boissons gazeuses».
Lorsque des gens ont commencé à utiliser l'expression «Brésil du Nord» pour décrire la Colombie-Britannique et le Canada, les Brésiliens ont été très offensés qu'un pays pleinement industrialisé comme le Canada affiche des niveaux de coupe de bois comparables à ceux du Brésil. En fait, notre taux de coupe rivalise avec ceux de la Malaisie et du Brésil.
Le Canada a une petite population comparativement à sa masse territoriale. Nous sommes l'un des pays les plus riches au monde et nous affichons l'une des meilleures qualités de vie. Nous avons l'un des meilleurs systèmes de soins de santé et l'un des plus hauts taux d'alphabétisation. Si nous ne pouvons pas marquer un temps de recul et protéger certaines de ces régions importantes, si nous ne pouvons pas commencer à vivre de façon durable et si nous ne pouvons pas offrir un meilleur exemple, alors je pense que nous serons très mal pris pour nous attendre à ce que quiconque d'autre le fasse. Une part énorme du bois que nous coupons est exportée. Ce que nous coupons ne maintient pas nos besoins matériels véritables dans notre pays. Nous aurions bien du mal à critiquer qui que ce soit d'autre.
Le Canada a une responsabilité et des possibilités uniques de mériter la réputation dont nous sommes, je pense, à juste titre devenus fiers. Nous avons manqué un peu de vigilance dans notre exécution de cette responsabilité et dans le maintien de l'image que nous avons à l'étranger.
Le président: Merci, monsieur Lenz. Vous êtes un très bon photographe, cela est manifeste.
Le sénateur Robichaud: La présentation de diapositives a été un très bon enchaînement après les exposés des témoins précédents, qui ont souligné que nous devrions fixer certains objectifs et veiller à ce que les choses que nous avons vues dans vos diapositives n'arrivent pas.
Le président: Très bien dit, sénateur.
La séance est levée.