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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la
Forêt boréale

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 23 novembre 1998

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 heures pour poursuivre son étude de la situation actuelle et de l'avenir de la forêt boréale au Canada.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, la séance est ouverte. J'ai une courte déclaration à faire.

Voilà déjà un certain temps que nous étudions les forêts boréales du Canada. Si nous n'en connaissions pas toute l'importance pour notre pays et pour notre population, elle nous est désormais apparue bien clairement. Le Canada a des responsabilités internationales dans ce domaine. La forêt boréale repose comme un manteau sur les épaules du monde et, dans un pourcentage de plus de 20 p. 100, elle se trouve au Canada. Elle représente dans notre pays 80 p. 100 du total de nos forêts. Il est évident par ailleurs que la survie de nos forêts boréales est très menacée, surtout en raison des activités humaines.

Beaucoup de gens assimilent les forêts à l'exploitation forestière. D'aucuns y voient avant tout une source de richesse découlant de l'exploitation de la pâte à papier et des fibres, mais la plupart des Canadiens accordent désormais à la forêt boréale une valeur qui va bien au-delà de la possibilité d'en exploiter le bois.

Il n'est pas facile d'exploiter de manière judicieuse la forêt boréale. Les questions qui se posent sont les suivantes: quelles sont les menaces pour sa survie, qu'il s'agisse de l'exploitation industrielle ou des effets du réchauffement de la terre et des changements climatiques? C'est ce que nous sommes en train d'étudier. Nous étudions aussi la façon dont on peut préserver cette forêt tout en favorisant un usage polyvalent répondant aux besoins légitimes des gens qui en dépendent d'un point de vue économique ou culturel.

D'autres questions se posent encore. Comment faire en sorte qu'elle reste un habitat sûr et productif pour la flore et la faune? Comment protéger les droits des Premières nations pour lesquelles la forêt est un lieu de vie à la fois physique et spirituel? Les témoins que nous allons entendre tout à l'heure auront bien des choses à nous dire à ce sujet. Comment faire coexister les exigences des entreprises d'exploitation forestière et notre devoir de pérenniser la forêt et d'en réserver une part suffisante à l'état pur pour pouvoir la léguer aux futures générations? Quels sont les responsabilités et les droits respectifs des collectivités locales, de l'industrie forestière, des Premières nations, des provinces et du gouvernement du Canada?

Au cours de nos délibérations, nous nous sommes rendus dans de nombreuses localités de la forêt boréale du Canada pour entendre différents points de vue sur ces questions et sur d'autres encore, et on nous a parlé de l'importance de la forêt pour les loisirs, la faune, l'eau et, ce qui est peut-être encore plus important, en tant qu'habitat des personnes qui y résident.

Le moment est donc bien choisi pour accueillir nos témoins de ce soir.

Nous allons entendre aujourd'hui Mary Jane Jim-Cant, vice-présidente régionale pour le Yukon de l'Assemblée des premières nations; Harry Bombay, directeur général de l'Association nationale de foresterie autochtone; et enfin Hugh Taylor, qui représente le Conseil tribal des Tlingits de Teslin.

Si je comprends bien, Mme Jim-Cant va prendre la parole en premier.

Allez-y.

Mme Mary Jane Jim-Cant, vice-présidente régionale (Yukon), Assemblée des premières nations: Monsieur le président et honorables sénateurs, je tiens à remercier le président d'avoir invité l'Assemblée des premières nations à s'adresser à vous ce soir. Charlene Higgins va nous rejoindre bientôt.

Je vais d'abord me présenter. Je m'appelle Dakwa ul Nne chedne chea.

Je suis membre des Premières nations Champagne et Aishihik du Territoire du Yukon. Je suis aussi membre du clan du corbeau du Territoire du Yukon.

Ce sont là mes noms traditionnels. Ils m'ont été donnés à ma naissance. Mon nom chrétien est Mary Jane Jim-Cant et je suis vice-présidente de l'Assemblée des premières nations de la région du Yukon.

J'occupe à l'heure actuelle les fonctions de vice-présidente chargée du développement économique.

Je vais évoquer les principaux sujets qui préoccupent les Premières nations: l'accès aux ressources forestières, la violation des droits autochtones et issus de traités, l'acquisition de compétences et la mise en place d'une stratégie forestière des Premières nations.

Pour ce qui est de l'accès aux ressources forestières, 1,4 million d'hectares sur les 2,7 millions d'hectares du territoire des réserves sont couverts de forêt. Il y a 633 Premières nations dans notre pays. Près de 59 p. 100 d'entre elles vivent dans des réserves. Les habitants des Premières nations dépendent très largement des forêts. Voilà des siècles que les arbres et les autres richesses de la forêt sont à la base de la culture des Premières nations. En nous empêchant progressivement d'accéder aux forêts, on a procédé à un génocide à petit feu.

La création du réseau des parcs n'a pas amélioré la situation. Les habitants de la plupart des Premières nations sont rarement invités à prendre part à la création des parcs et à les gérer.

Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones a recommandé que des mesures provisoires soient prises pour faciliter un meilleur accès aux ressources naturelles en vue d'améliorer les conditions de développement économique et culturel des autochtones.

La commission a recommandé par ailleurs que l'on étende la portée des bénéfices tirés du développement des ressources sur les territoires traditionnels de manière à obtenir une répartition plus équitable des avantages économiques tirés de ces activités.

Pour ce qui est de la compétence sur les forêts, les autochtones ont en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982 le droit de chasser et de pêcher sur les territoires traditionnels, mais ils n'ont pas le contrôle de l'exploitation forestière.

La Loi sur les Indiens n'offre aucun mécanisme permettant aux Premières nations d'administrer et de contrôler les forêts des réserves. Les Premières nations ne peuvent pas délivrer de licences ou de permis d'exploitation du bois sur leur territoire. Aux termes des dispositions de la Loi sur les Indiens et du règlement sur le bois s'appliquant aux Indiens, c'est le MAINC qui délivre des licences et des permis de coupe et d'enlèvement du bois sur les réserves à la demande du conseil de bande. Malheureusement, cette façon de procéder n'offre pas aux collectivités la possibilité de pratiquer activement la méthode traditionnelle de gestion forestière. Si l'on veut que la méthode actuelle de gestion durable des forêts ne soit plus une simple formule à la mode, mais débouche sur des actions concrètes, il faut faire appel aux connaissances de la nature qu'a notre peuple.

On ne respecte pas les engagements pris par le Canada envers la communauté internationale dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, qui consiste entre autres à protéger la connaissance et les innovations des Premières nations pour ce qui est de l'utilisation durable et de la conservation des ressources forestières. La stratégie nationale sur les forêts, qui découle de l'Accord canadien sur les forêts, ne prévoit qu'une seule -- une sur sept -- orientation stratégique traitant des questions complexes se rapportant aux droits issus des traités autochtones.

L'accord a été présenté à la signature de toutes les provinces sans que les Premières nations soient suffisamment consultées. Aux termes de l'intervention qu'il a faite devant le sous-comité le 8 juin 1998, le MAINC considère qu'il est avant tout un organisme de financement. Dans son rapport, il a précisé que les bandes devaient réinjecter dans leurs propres projets forestiers de l'argent qui bien souvent était censé être affecté à la santé, à l'enseignement et à d'autres secteurs prioritaires.

Les collectivités autochtones ont la plus forte croissance démographique au Canada. Selon le rapport de la Commission royale, en 2015 la population de ces collectivités aura augmenté d'environ 50 p. 100.

Quatre-vingt pour cent des collectivités des Premières nations sont situées dans des régions de notre pays où la forêt est l'une des activités économiques principales, sinon l'activité prédominante. Les Premières nations considèrent que le secteur forestier revêt une grande importance pour procurer de l'emploi et des revenus à ces collectivités en pleine expansion.

Les habitants des Premières nations veulent pouvoir développer leur activité économique et subvenir à leurs propres besoins ainsi qu'à ceux de leur famille. On ne peut y parvenir qu'en garantissant un accès juste et équitable aux terres et aux ressources.

Les Premières nations n'ont pas besoin de programmes de financement limités. Elles veulent bénéficier d'un appui pour que des ententes de cogestion novatrices puissent être passées entre les gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux, le secteur privé et les gouvernements des Premières nations. Les Premières nations ont besoin d'aide pour acquérir des compétences, une formation, une possibilité d'accès aux capitaux, une expérience commerciale et des capacités de recherche.

Il faut que le gouvernement fédéral respecte les engagements qu'il a pris pour faciliter les capacités de développement et la mise en place de stratégies de développement professionnelles visant à protéger les terres et l'environnement, à gérer les territoires et les ressources et à augmenter les crédits affectés aux projets d'exploitation des ressources.

Pour ce qui est des intérêts des tiers, les conflits en matière forestière se multiplient alors qu'il y a moins de justice. Au départ, l'arrêt Paul promettait de corriger la situation. À la suite de l'arrêt prononcé par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, qui a rejeté un jugement reconnaissant les droits autochtones d'exploiter et de vendre les arbres sur les territoires de la Couronne, nous sommes revenus à un statu quo inique.

Le coût des procès, que ce soit en temps ou en argent perdu, va dans bien des régions empêcher les Premières nations de gagner leur vie. À la suite des conflits qui opposent les Premières nations aux provinces, les intérêts extérieurs vont prendre de l'ampleur.

Les Premières nations se retrouvent toujours assises entre deux chaises. Si elles subviennent à leurs besoins en faisant de l'exploitation forestière, les provinces interviennent et les arrêtent en déclarant qu'elles sont irresponsables.

Si elles essaient de protéger les forêts, elles ne disposent d'aucune ressource et d'aucun texte législatif leur permettant d'obliger les provinces à faire appliquer la loi.

Pour ce qui est de la stratégie forestière, le MAINC a entrepris conjointement avec l'Assemblée des premières nations (APN) de mettre en place un projet de développement de politiques s'appliquant aux territoires et aux services relevant de leur compétence. La stratégie forestière des Premières nations répond à la nécessité pour les Premières nations d'être reconnues comme des partenaires à part entière du gouvernement fédéral, des provinces et de l'industrie forestière dans le cadre de tous les projets visant à définir, à concevoir et à mettre en place une gestion durable des terres forestières.

Pour être efficaces, il faut que les Premières nations aient des compétences locales, puissent avoir accès et participer au réseau des forêts et soient en mesure de collaborer avec l'Association nationale de foresterie autochtone (ANFA).

Les Premières nations refusent de rester les bras croisés pendant qu'on coupe la forêt. Il est indispensable, lorsque l'on mettra en oeuvre ce projet, de procéder dans le cadre d'une stratégie nationale appropriée. Il est tout à fait normal que nous soyons des partenaires de l'ANFA.

Le projet d'intervention conjointe dans ce secteur n'en est qu'à ses débuts. Des travaux de recherche et de définition des problèmes s'appliquant aux ressources naturelles nous permettront de disposer d'un schéma clair et global. Nous devrions ainsi pouvoir disposer du cadre juridique actuel faisant état des obstacles, des possibilités qui s'offrent, et cetera, dans chacun des secteurs des ressources naturelles, y compris les forêts.

Le groupe stratégique de l'APN a l'intention d'instaurer des relations de travail informelles avec l'ANFA sur les questions forestières.

À titre de conclusion, les principaux sujets d'inquiétude des Premières nations touchant la gestion des forêts boréales sont l'accès aux ressources forestières, la violation des droits autochtones et issus de traités, l'acquisition de compétences, les intérêts des tiers et la mise en place d'une stratégie forestière des Premières nations.

Nous sommes chez nous au Canada. Nous y étions hier, nous y sommes aujourd'hui et nous y serons demain pour prendre la place et jouer le rôle qui nous reviennent de droit. Je remercie encore le président et les honorables sénateurs d'avoir invité l'APN à intervenir au sujet de la situation actuelle et de l'avenir de la forêt boréale au Canada.

Le président: Merci, madame Jim-Cant. J'espère que vous resterez encore quelques minutes pendant que nous écoutons M. Bombay.

M. Harry Bombay, directeur général, Association nationale de foresterie autochtone: Je tiens à remercier le président et les membres du sous-comité de me donner l'occasion de faire connaître mon point de vue sur les questions liées à la gestion durable des forêts et à la participation autochtone au secteur forestier pour ce qui est de la forêt boréale. J'ai déjà rencontré un certain nombre des sénateurs ici présents. Madame et messieurs les sénateurs Whelan, Adams et Chalifoux, c'est un plaisir pour moi de vous revoir.

L'organisation que je représente, l'ANFA, qui est l'Association nationale de foresterie autochtone, s'intéresse principalement au rôle joué par les collectivités autochtones dans la gestion durable des forêts au Canada.

Je viens du nord-ouest de l'Ontario. Je suis membre de la Première nation de Rainy River. Voilà maintenant sept ans environ, depuis sa constitution en 1991, que je m'occupe de l'Association nationale de foresterie autochtone. Nous cherchons à promouvoir la participation des autochtones à la gestion des forêts. Afin d'y parvenir, nous jouons un rôle clé pour influencer la politique forestière. Chaque fois que nous en avons la possibilité, nous prenons la défense des intérêts forestiers autochtones au Canada.

Comme l'a indiqué Mme Jim-Cant, la gestion des forêts revêt une très grande importance pour les collectivités autochtones étant donné que notre culture et notre mode de vie sont tributaires de la santé des forêts. L'ANFA considère que la gestion des forêts doit respecter notre mode de vie et notre relation avec la nature. Si les méthodes employées ne permettent pas d'y parvenir, il est impossible alors que l'on puisse dire que la gestion des forêts au Canada est durable.

Les collectivités autochtones du Canada sont soumises à d'incessants changements depuis l'arrivée des Européens sur le continent. À l'heure actuelle, les collectivités autochtones sont aux prises avec le problème du développement et se demandent dans quelle mesure il leur faut s'en tenir à l'économie traditionnelle ou adopter des valeurs ou des projets non autochtones afin d'améliorer leur situation sociale et économique. Toutes les collectivités autochtones du Canada cherchent à parvenir à un certain équilibre entre les dimensions traditionnelles et contemporaines du développement économique, auquel s'opposent un certain nombre de facteurs. J'ai recensé six facteurs qui influent sur les liens qu'entretiennent les collectivités autochtones vis-à-vis de la forêt. Ces facteurs sont le degré d'intégration à la collectivité et à la culture non autochtone; la proximité des centres urbains; la part de la culture traditionnelle dans les connaissances, les coutumes et les structures sociales; la santé globale de la collectivité; l'étendue et l'influence des intérêts extérieurs concernant les ressources; enfin, les compétences organisationnelles, financières et techniques.

Étant donné que les autochtones dépendent largement de la forêt au Canada, l'un des moyens pour eux d'exprimer leurs aspirations collectives passe par la gestion forestière et l'instauration de relations appropriées avec le secteur forestier. Cette tâche n'est pas simple parce que nos systèmes de valeurs et de croyances diffèrent souvent des régimes de gestion forestière établis par les provinces, qui sont en grande partie axés sur l'industrie forestière.

Ce qui nous empêche surtout d'influer sur la politique forestière, c'est le fait que les Indiens et que les territoires réservés aux Indiens relèvent de la compétence fédérale, alors que la gestion des forêts relève de la compétence des provinces. Le fédéral et les provinces font bien attention de ne pas se marcher sur les pieds lorsqu'ils exercent ces compétences. Dans la pratique, il en est résulté que les divers paliers de gouvernement ne se sont pas trop préoccupés de protéger les droits autochtones en matière de gestion forestière.

Il est nécessaire de régler toute cette question du rôle joué par le gouvernement fédéral dans le secteur forestier. Certains d'entre vous le savent, le Service canadien des forêts et d'autres intervenants s'efforcent en ce moment de définir le rôle du gouvernement fédéral en matière forestière. En 1995, il a été annoncé dans le discours du Trône que le gouvernement fédéral se retirait complètement des forêts. À notre avis, le gouvernement fédéral a un grand rôle à jouer en matière forestière, notamment sur la question des autochtones. La gestion durable des terres forestières situées sur les réserves indiennes relève de toute évidence de la compétence fédérale, et l'obligation fiduciaire qu'a la Couronne de protéger et d'honorer les droits autochtones issus de traités, bien qu'elle soit partagée avec les provinces, relève avant tout de l'initiative du gouvernement fédéral.

Lorsqu'on les considère dans le cadre global de la politique forestière nationale, les questions autochtones doivent être prises en compte et se voir accorder tout autant d'importance que tout ce qui relève de la science et de la technologie, du commerce et des affaires internationales et de la coordination nationale des projets de gestion durable des forêts. Voilà les quatre domaines dans lesquels le gouvernement fédéral doit actuellement jouer un rôle.

Ce que je veux faire comprendre ici, c'est que le gouvernement fédéral a un rôle de chef de file à jouer pour s'assurer que les autochtones tirent profit du secteur forestier. Pourtant, le gouvernement fédéral n'a pas fait preuve de dynamisme en la matière. Cela ressort de l'absence de programmes et de politiques touchant les activités forestières des Premières nations. Nous n'avons qu'un programme, le Programme forestier des Premières nations. C'est le seul programme conçu en vue de promouvoir la participation des Premières nations au secteur forestier. Ce programme est doté d'un budget national de 5 millions de dollars par an, qui diminue d'année en année. Il est sur la pente descendante depuis les trois dernières années. Nous nous attendons à ce que l'on mette fin à ce programme le 31 mars 2001.

La question que l'on se pose alors, c'est comment vont faire les Premières nations du Canada pour réaliser leurs aspirations en matière forestière en l'absence d'un tel programme? Ce programme est assez mal orienté et manque évidemment de crédits pour répondre aux objectifs qu'il s'est fixés.

Le gouvernement fédéral devrait sérieusement envisager de mettre à contribution de Programme forestier des Premières nations pour élargir les possibilités offertes et obtenir le genre de choses qu'a mentionnées Mme Jim-Cant. D'autres programmes fédéraux peuvent être utilisés par les Premières nations en matière forestière. C'est ainsi que les Affaires indiennes disposent d'un programme de négociation de l'accès aux ressources, que les Premières nations peuvent d'une certaine façon bénéficier des programmes de formation qui relèvent de Ressources humaines Canada et que d'autres projets ont été entrepris par le gouvernement fédéral par l'intermédiaire du Service canadien des forêts. Je parle ici du programme des forêts modèles, puisque nous avons une forêt modèle administrée par les autochtones au Canada. Ce n'est toutefois qu'une petite superficie de terres forestières administrées par la Première nation crie Nishnawbe.

Pour ce qui est du commerce international, le Canada n'a pas tenu compte des besoins de développement des collectivités autochtones. L'accord sur le bois d'oeuvre est l'un des principaux obstacles à l'heure actuelle au développement autochtone. À mesure que nos collectivités vont se développer et que nous allons nous doter de sociétés forestières productrices de bois, il est inévitable que nous nous tournions en priorité vers le marché des États-Unis. À l'heure actuelle, nous avons huit sociétés forestières qui survivent à peine et deux autres qui ont dû fermer leurs portes en raison de la fermeture des débouchés sur le marché du bois d'oeuvre des États-Unis.

Comme vous le savez, honorables sénateurs, c'est le ministère des Affaires étrangères qui administre l'accord sur le bois d'oeuvre et qui impose des quotas aux sociétés forestières de quatre provinces du Canada. Les quotas sont plafonnés à 14,7 millions de pieds-planches. Les sociétés des Premières nations reçoivent environ 0,02 p. 100 de ce contingent. Elles ont demandé à l'Association nationale de foresterie autochtone de se pencher sur la question. Nous comptons sur votre comité pour qu'il s'en saisisse.

Si notre quota est réduit, c'est entre autres parce que nos sociétés sont de petite taille. Elles viennent d'être créées et, par conséquent, elles n'ont pas une longue expérience de l'exportation vers les États-Unis.

Sur cette question, il faut que les négociations commerciales entre le Canada, les États-Unis et d'autres partenaires commerciaux tiennent compte des besoins de développement des autochtones. Ces accords commerciaux doivent prendre acte du fait que nous avons des droits et que nous sommes des peuples commerçants. Voilà des siècles que nous avons des échanges avec les tribus situées de l'autre côté de la frontière des États-Unis. Nous aimerions que ces échanges se poursuivent et s'étendent sur un plan commercial.

Pour ce qui est des projets cherchant à promouvoir et à coordonner les politiques visant à réaliser une gestion durable des forêts au Canada, le gouvernement fédéral ne joue pas activement son rôle de fiduciaire dans la formulation des politiques. De nombreux mécanismes sont en voie d'être institués pour assurer une gestion durable des forêts. Il y a entre autres les critères et les indicateurs de gestion durable des forêts, qui ont été élaborés par le Conseil canadien des ministres des forêts. De manière générale, le Service canadien des forêts les appuie et en assure la promotion.

Ces critères et ces indicateurs n'accordent pas à notre avis suffisamment d'importance à des questions telles que les droits autochtones issus de traités et le partage des avantages économiques tirés du secteur des forêts. Nous considérons qu'il convient d'établir un critère distinct pour les forêts autochtones au sein de ce mécanisme et que l'on devrait demander au Conseil canadien des ministres des forêts de revoir le document et de s'assurer que les questions autochtones y sont bien traitées.

L'importance des critères et des indicateurs doit être à mon avis soulignée parce que c'est pour nous la façon de mesurer la durabilité du secteur forestier. C'est aussi le moyen pour l'Association canadienne de normalisation d'homologuer les méthodes de gestion durable des forêts au Canada. L'ACNOR reprend ces critères et ces indicateurs pour mesurer à quel point la gestion des forêts est durable et pour en homologuer l'exploitation.

Nous devons nous assurer que ces différents documents, en raison de leurs conséquences et de leurs effets à long terme sur le secteur forestier, reconnaissent que les questions autochtones sont un élément essentiel de la gestion durable des forêts.

La «Stratégie nationale sur les forêts» est un autre instrument de gestion durable des forêts. Je viens juste d'en recevoir deux exemplaires vendredi dans mon bureau, et l'on retrouve dans ce document l'orientation stratégique no 7 qui traite des questions autochtones.

Les éléments clés de ce document, ce ne sont pas tant les dispositions qu'il contient que la nécessité pour les provinces et pour le gouvernement fédéral de se doter des politiques appropriées afin de mettre en application les grandes orientations stratégiques de ce document.

Nous sommes déjà passés par cette procédure. Nous avons eu de 1992 à 1997 une stratégie nationale sur les forêts. On y trouvait nombre d'objectifs excellents et l'on y prenait aussi des engagements. L'inconvénient de ce document, c'est que personne ne l'a pris en charge; personne n'était tenu de réaliser les engagements que l'on y prenait.

Ce document a été signé le 1er mai ici même à Ottawa lors du Congrès national sur les forêts. Nous devons veiller cette fois à ce que les parties signataires du document s'engagent à atteindre les objectifs qui y sont fixés et sont prêtes à mettre en oeuvre les politiques et les programmes qui s'imposent pour appuyer ces objectifs.

Nous voulons que ça se réalise. Nous voulons aussi nous assurer qu'un maximum de gens connaissent l'existence du document et les objectifs qu'il faut réaliser. Le gouvernement fédéral a un grand rôle à jouer dans ce domaine, que ce soit sur le plan des politiques ou des programmes.

Toutefois, le grand sujet de préoccupation des Premières nations et des autres autochtones du pays, c'est le fait que les gouvernements provinciaux se désintéressent des répercussions des politiques forestières sur les collectivités autochtones. En dépit des directives qui leur sont données dans le cadre de la Stratégie nationale sur les forêts et par d'autres moyens, et malgré les recours en justice et les décisions qui ont validé les droits autochtones issus de traités au Canada, les provinces ont hésité à véritablement consulter les organisations des Premières nations sur les droits autochtones issus de traités.

Lorsqu'ils se sont penchés sur l'exigence légale de consulter les autochtones et d'agir conformément aux droits autochtones issus de traités, les tribunaux ont confirmé l'existence d'un titre de propriété autochtone. L'arrêt Delgamuukw de la Cour suprême a des répercussions immédiates dans les régions du Canada pour lesquelles il n'y a pas de traités. Cet arrêt a aussi certaines incidences sur la validité des traités existants et sur la possibilité d'en contester certaines dispositions.

Pour ce qui est des territoires visés par les traités, un arrêt important a été prononcé en 1997 par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Halfway River First Nation c. B.C. Ministry of Forests. Il est dit en substance dans cet arrêt que la délivrance d'un permis de coupe du bois peut être considérée à première vue comme une infraction à un droit issu de traité. En second lieu, la Couronne doit procéder à des consultations avant de prendre toute décision susceptible de remettre en cause des droits autochtones ou issus de traités. Troisièmement, il incombe à la Couronne de faire tout son possible pour procéder à des consultations et pour s'informer des droits ancestraux et issus de traités pertinents ainsi que de l'effet des décisions proposées. Quatrièmement, la Couronne doit fournir aux Premières nations tous les renseignements pertinents concernant la décision proposée.

Les provinces ne se sont généralement pas conformées à cette procédure. Elles n'ont pas mis en place des politiques qui leur auraient permis de se conformer aux décisions prononcées par les tribunaux. Au contraire, elles ont mis en oeuvre des politiques qui tendent à minimiser les droits autochtones issus de traités. Le meilleur exemple est celui des «terres pour la vie» de l'Ontario.

À l'heure actuelle, cette opération est terminée et je crois savoir qu'un rapport va être déposé très bientôt par le gouvernement provincial. Les intervenants en Ontario ont jusqu'au 30 novembre pour présenter leurs dernières observations, après quoi la politique sera mise en oeuvre.

La politique «des terres pour la vie» a deux objectifs: le premier est de mieux protéger l'industrie pour qu'elle puisse conserver son monopole sur les approvisionnements en bois; le second est de réserver davantage de territoires aux parcs et aux zones protégées. Ces deux objectifs vont à l'encontre de ceux des autochtones. Les autochtones considèrent que l'industrie se désintéresse d'eux. Les parcs, les zones de loisirs et les zones protégées nous empêchent d'utiliser le territoire pour nos activités traditionnelles.

Nous considérons que la politique «des terres pour la vie» que mène l'Ontario, présente de sérieux inconvénients. Nous croyons savoir que les responsables de cette politique envisagent même l'octroi de concessions à des groupes tels que les clubs de motoneige pour qu'ils puissent utiliser exclusivement certaines zones. On peut se demander alors ce qui restera aux Premières nations une fois que l'on aura concédé toutes ces terres à toutes sortes d'organisations. C'est là un des grands problèmes au niveau provincial.

L'accès aux ressources est un autre secteur clé. Si l'on prend l'ensemble des forêts boréales du pays, il n'y a probablement que deux ou trois exemples d'accès véritable aux ressources forestières par les Premières nations aux termes du régime foncier provincial en matière forestière. Le Conseil tribal de Meadow Lake en Saskatchewan et la nation crie de Peter Ballantyne sont en train d'obtenir un accord de gestion forestière. En dehors de la Saskatchewan, aucune Première nation de l'Ontario ou du Manitoba n'a réussi à accéder sous une forme ou sous une autre aux ressources forestières par l'intermédiaire du régime foncier provincial.

L'un des grands sujets d'inquiétude vient aussi du fait que les régimes fonciers des provinces confèrent davantage de responsabilités à l'industrie en matière de gestion forestière. En Ontario, aux termes des permis d'exploitation durable des forêts, et dans d'autres provinces, aux termes des accords de gestion forestière, les provinces demandent à l'industrie d'administrer d'énormes territoires. Elles lui demandent de gérer la forêt dans tous les domaines. Jusqu'à un certain point, les gouvernements provinciaux demandent à l'industrie de régler les questions autochtones issues des traités. Ce n'est absolument pas normal. Les Premières nations ne devraient pas avoir à traiter avec les sociétés forestières pour ce qui est de leurs droits autochtones issus de traités. C'est avec les gouvernements qu'elles ont des relations et c'est à ce mécanisme que l'on devrait avoir recours.

En substance, les questions d'accès relèvent des compétences provinciales, mais le gouvernement fédéral a un grand rôle à jouer à notre avis pour appuyer les Premières nations sur ce point. Nous devrions faire le maximum pour nous doter des infrastructures favorisant la participation des Premières nations. Nous parlons des nouveaux modes de propriété foncière. Nous devrions nous interroger non seulement sur la possibilité pour les Premières nations d'accéder au bois, mais aussi aux autres produits de la forêt. Nous devrions nous efforcer de doter les autochtones de nouvelles compétences, notamment en ce qui a trait à l'apport de valeur ajoutée et à la gestion forestière. Il y a bien des domaines dans lesquels le gouvernement fédéral pourrait donner son appui.

J'ai fait de nombreuses critiques dans mon exposé, mais je dois signaler que nous avons quelques bons exemples de cogestion dans le secteur de la forêt boréale. Il y a d'excellents projets menés conjointement par les Premières nations et l'industrie. Certaines sociétés des Premières nations assument des responsabilités en matière de gestion forestière. Ces réussites devraient nous servir de modèles et permettre par ailleurs au gouvernement et à l'industrie de faire confiance aux Premières nations et de savoir qu'elles sont en mesure d'obtenir des résultats dans le secteur forestier. Nous avons tout simplement besoin de multiplier ces exemples.

Le président: Merci. Nous allons maintenant donner la parole à Mme Higgins.

Mme Charlene Higgins, gestionnaire forestière, Shuswap Nations Tribal Council, Assemblée des premières nations: Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie au nom de l'Assemblée des premières nations de m'avoir invitée ici. Je serai très brève.

Je m'en tiendrai à la politique internationale et à la façon dont elle se reflète au niveau national et local. Je travaille sur trois plans: d'abord en ce qui a trait à la politique internationale. Je m'occupe de la politique nationale au sein du groupe de travail du caucus autochtone qui se penche sur les dispositions de l'alinéa 8j). J'opère au niveau provincial en Colombie-Britannique pour essayer d'intégrer les changements de politique au sein de la province. Je m'occupe localement des neuf bandes Shuswap et je fais aussi certains travaux pour le compte du Conseil tribal de Nicola.

Pour replacer un peu les choses dans leur contexte, le rapport Brundtland de 1987 a reconnu le rôle joué par les populations autochtones en matière de développement durable. Dans la déclaration de Rio, cinq ans plus tard, on a clairement établi la pertinence de leurs connaissances et de leurs pratiques traditionnelles pour le développement durable et la nécessité de protéger leurs droits.

C'est dans ce cadre que s'insère par conséquent la «Stratégie nationale sur les forêts», un document publié par le gouvernement fédéral. Au nom des bandes shuswap, nous pouvons dire que nous sommes très déçus par ce document. C'est uniquement dans l'orientation stratégique no 7 que l'on y reconnaît qui nous sommes, ce que représentent les peuples autochtones et quelle est leur place. J'ai fait une critique de ce rapport. L'orientation stratégique no 1 est celle de l'intendance en matière forestière. C'est là le rôle des autochtones. Nous étions les intendants à l'origine. Aucun mécanisme et aucune stratégie ne sont établis dans ce document.

Je signalerai que dans le cadre de l'orientation stratégique no 8, celle des forêts privées, la plupart des bandes pour lesquelles je travaille ont des terrains boisés. Le problème, ce sont les scieries. Ils n'ont pas de scieries pour les exploiter et les possibilités d'apporter une valeur ajoutée sont donc limitées à moins qu'elles ne trouvent un associé. Il est difficile d'être indépendant.

Les provinces contrôlent 80 p. 100 des forêts et, aux termes de la Constitution canadienne, la gestion des forêts est placée sous la responsabilité des provinces. Les provinces n'étaient pas à la table des négociations lorsque le gouvernement a signé et ratifié la Convention sur la diversité biologique. Tout au long de cette décision sur la diversité biologique des forêts, qui fait appel à une gestion durable en vertu du rapport Brundtland et de la convention de Rio, on se réfère à la nécessité de recourir aux connaissances traditionnelles, mais aucun mécanisme n'est prévu. Il n'y a rien. Les provinces ne sont pas parties à la négociation et ne sont donc pas tenues de mettre en application cette décision, ni mandatées pour le faire.

Cette décision se réfère directement aux éléments de programme et aux activités découlant de l'alinéa 8j). Je pourrais vous donner plus tard des précisions au sujet de l'alinéa 8j), mais il dispose en substance:

Respecter, préserver et maintenir la connaissance, les innovations et les pratiques des communautés indigènes et locales et promouvoir l'élargissement de leur application.

Il est impossible de mettre en pratique ces connaissances si les assemblées législatives n'ont adopté aucune politique pour rendre responsables l'industrie et les gouvernements.

L'alinéa 10c) dispose qu'il convient de protéger et d'encourager l'utilisation coutumière des ressources biologiques conformément aux pratiques culturelles traditionnelles. Cela découle directement de la décision. C'est mentionné à l'alinéa 8j) et toutes les dispositions pertinentes sont reprises par la Convention sur la diversité biologique qui vient d'être ratifiée cette année dans le cadre du programme de travail biologique sur les forêts. Le Canada a bloqué ce programme de travail pendant des années afin d'appuyer une convention sur les forêts.

Les bandes de Shuswap et de Nicola sont contre une convention forestière. Nous avons fait récemment bien trop de progrès dans tous les domaines grâce à la Convention sur la diversité biologique et à l'incorporation de l'alinéa 8j). Nous avons très peur de ne plus pouvoir nous réclamer de la Convention sur la diversité biologique, qui est le seul accord international qui offre pour le moins un cadre global et un début de reconnaissance des droits des autochtones. Le Canada pousse dans ce sens. Cela fait partie de la Stratégie nationale sur les forêts. Il s'efforce de faire signer une convention sur les forêts. Les autochtones sont d'ores et déjà marginalisés et le Canada n'a même pas mis en route le programme de travail aux termes de la décision sur la biologie des forêts. Certains affirment qu'il n'y a pas de propriété, mais il faut une volonté politique et il est indispensable de faire venir les provinces à la table des négociations.

La volonté du Canada de faire signer une convention sur les forêts nous inquiète aussi. Nous n'y sommes pas favorables. Plusieurs gouvernements s'y opposent. Les ONG internationales telles que l'ICUN et le Fonds mondial pour la nature n'y sont pas favorables. Ils n'appuient pas le Canada. Sur cette question, le Canada reçoit très peu d'appui au plan international. Il devait s'agir d'une procédure ouverte et axée sur la participation. Le comité directeur s'est déjà réuni au Costa Rica. Je n'ai pas connaissance que des groupes autochtones aient été invités et, d'un autre côté, je ne sais pas si nous irions. Nous serions marginalisés.

Nous nous inquiétons aussi du fait que dans le cadre du forum intergouvernemental sur les forêts qui se tient à Genève, le gouvernement doit faire en sorte que l'on tienne compte des produits forestiers autres que le bois dans le cadre de l'évaluation des biens et des services reliés à la forêt. Les peuples autochtones, les peuples indigènes, exigent le droit de contrôler et de gérer ces ressources. Ces ressources relèvent de la subsistance. Le gouvernement ne devrait pas pouvoir intervenir pour en faire un enjeu commercial ou pour les contrôler.

Récemment, les Shuswap ont intenté un recours en justice. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a modifié la Loi sur la forêt le 30 juillet. Il est en train de créer quatre nouvelles forêts communautaires pilotes. L'une sera placée sous le contrôle des autochtones et les trois autres non. Le gouvernement a modifié la loi pour que chacun des signataires d'une convention pilote ait non seulement le droit exclusif de couper et d'exploiter le bois, mais aussi le droit de gérer les ressources que représentent les plantes et les autres produits de la forêt.

C'est une modification qui vient juste d'être apportée. Nous saisissons les tribunaux sur ce point. C'est directement contraire à l'arrêt Delgamuukw et aux droits autochtones. Ces dispositions empiètent sur nos droits. Nous n'avons pas été consultés.

Je vais terminer sur une note plus optimiste. Je m'efforce ici et dans les secteurs dans lesquels je travaille de mettre en place des mécanismes nous permettant de faire participer utilement des autochtones à des stratégies communautaires et d'en tenir compte dans les politiques et les stratégies nationales sur les forêts.

J'ai rencontré le groupe de travail informel de la justice autochtone qui s'occupe de ces articles pour que l'on invite instamment le gouvernement fédéral, non seulement à assumer la responsabilité de ce qu'il a signé, mais aussi à inciter les provinces à venir à la table des négociations. On ne peut pas mettre en application cette stratégie ou la décision sur la diversité biologique des forêts sans que les provinces soient à la table des négociations.

Il y a des éléments plus positifs puisque je participe localement aux négociations devant permettre aux bandes et aux groupes des Premières nations pour lesquelles je travaille de s'associer à des projets apportant une valeur ajoutée en matière forestière. Nous n'avons pas accès à la tenure, au bois d'oeuvre ni au quota de résineux. Je m'occupe d'une bande qui a une scierie sans avoir accès au bois. Il nous faut changer tout cela pour que les Premières nations puissent jouer comme il se doit un rôle utile dans le secteur forestier.

Je crois sincèrement que c'est possible. Il faut toutefois que des politiques soient mises en place et que des lois soient adoptées pour que ça se réalise.

Le sénateur Whelan: Si j'en crois leurs exposés, nos trois témoins nous disent que le gouvernement fédéral a renoncé à ses obligations en matière forestière.

M. Bombay: Cela résume bien la situation, oui. Selon moi, le gouvernement fédéral a des responsabilités dans deux domaines. Le premier est celui de l'administration des terres fédérales réservées à l'usage et au profit des Premières nations ainsi que de toutes les terres qui peuvent être placées sous leur contrôle, et le second est celui de la protection de leurs droits autochtones issus de traités sur ce que l'on appelle les terres publiques.

Le gouvernement fédéral n'a pas mis en place de régime de gestion forestière pour les terres qui relèvent actuellement de la compétence fédérale et qu'utilisent les Premières nations. Ensuite, il n'a pas fait preuve d'initiative et n'a pas pris de mesures utiles pour agir en sa qualité de fiduciaire en ce qui a trait aux droits autochtones sur ce que l'on appelle les terres publiques.

Le sénateur Whelan: Je pense avoir entendu Mme Higgins indiquer que certains pays semblaient s'opposer aux politiques canadiennes.

Mme Higgins: Je n'exprimerais pas la chose ainsi. Je dirais que le gouvernement fédéral a tendance à passer sous silence les pays qui s'opposent à ses efforts en vue de faire signer une convention forestière et ne parle que de l'Amérique. Il n'en reste pas moins toutefois que la Norvège, la Nouvelle-Zélande et d'autres pays n'y sont pas favorables; la Communauté européenne est divisée. Je n'irai pas jusqu'à dire que le gouvernement fédéral ne bénéficie d'aucun appui; il a l'appui de certains pays, mais d'autres y sont opposés.

Le sénateur Whelan: A-t-il l'appui des États-Unis?

Mme Higgins: Non.

Le sénateur Whelan: Je me poserais des questions sur la possibilité de recevoir un appui dans ce pays. Le secrétaire de l'Agriculture des États-Unis a le contrôle exclusif de l'agriculture, mais aussi des forêts. Les États se contentent de diffuser ses services.

Mme Higgins: Les États-Unis se sont fortement opposés au projet de convention forestière patronné par le Canada lors du récent Forum international qui s'est tenu à Genève sur les forêts, et la Norvège ainsi que la Nouvelle-Zélande en ont fait autant, en soulevant plusieurs problèmes que pose une convention sur les forêts.

Le sénateur Whelan: Monsieur le président, comment pouvons-nous négocier avec les États-Unis alors que ces derniers n'ont qu'un seul responsable de la forêt. Nous avons de notre côté 10 ou 11 responsables à ménager. Le problème se complique d'autant.

À Timmins, on nous a parlé de la frontière provinciale invisible que l'on traverse sans savoir que de l'autre côté le programme mis en oeuvre est complètement différent. Les populations sont traitées différemment, qu'il s'agisse des autochtones ou des exploitants forestiers.

Il est regrettable que le gouvernement fédéral ait renoncé à ses responsabilités dans ce secteur. J'ai le même sentiment au sujet des pêches. Il n'aurait jamais agi ainsi si une autre personne avait été à la tête du ministère, je peux vous le garantir.

On entend parfois dire dans certaines réunions, même si je n'ai pas assisté à toutes, qu'il faudrait peut-être supprimer toute exploitation forestière. Certains affirment qu'il faut préserver la biodiversité et reconnaissent que l'exploitation forestière est une industrie importante.

J'ai lu récemment un document de l'Association nationale de foresterie autochtone. C'est un entretien avec Harry Bombay et Peggy Smith.

Je conclus de votre exposé d'aujourd'hui que vous voulez vous impliquer davantage sur les questions forestières. Que pensez-vous du projet de loi déposé actuellement par le gouvernement de l'Ontario et dans lequel celui-ci renonce à tous ses droits sur les forêts en faveur des entreprises de l'Ontario?

M. Bombay: La majorité des terres du Canada font actuellement l'objet de permis concédés à l'industrie forestière. Celles qui ne l'ont pas encore été sont en voie de l'être.

Du point de vue des autochtones, il y a un équilibre délicat à conserver entre les usages traditionnels et la conservation, d'une part, et le développement économique, d'autre part. Les autochtones sont constamment en proie à cette difficulté. Chaque collectivité a son propre point de vue.

Les autochtones veulent effectivement préserver la biodiversité, les usages traditionnels des forêts et les activités traditionnelles. Il reste à savoir ce qu'ils peuvent faire pour participer à l'industrie forestière.

Les collectivités autochtones commencent à participer à l'industrie forestière. Les dernières statistiques nous révèlent qu'effectivement nous avons quelque 600 sociétés forestières contrôlées par des autochtones dans notre pays, depuis les très petites entreprises jusqu'aux activités du Conseil tribal de Meadow Lake, qui emploie près de 400 personnes dans ses différentes sociétés.

Il y a tout un éventail de sociétés forestières qui opèrent dans de nombreux secteurs, depuis l'exploitation forestière jusqu'à la sylviculture en passant par des activités non reliées à l'exploitation du bois. Il y a tout un mélange. Lorsque je parle de 600 sociétés, cela couvre tout l'éventail des activités.

Le sénateur Whelan: Vous avez parlé des échanges qui ont lieu depuis des siècles entre les peuples autochtones. Vous n'avez même pas aujourd'hui de quotas d'exportation de bois vers les États-Unis.

M. Bombay: Nous avons quelque six sociétés qui ont un quota. Il y en a trois, je crois, en Colombie-Britannique qui disposent d'un quota réduit. Nous en avons une en Ontario. Nous obtenons certains de nos quotas en nous associant à des partenaires qui travaillent avec quelques-unes des sociétés forestières dont nous disposons actuellement. Nous obtenons directement et indirectement des quotas.

Des sociétés ont dû fermer parce qu'elles n'ont pas réussi à obtenir un quota suffisant de bois d'oeuvre.

J'ai rencontré les responsables de Kyahwood il y a une semaine. Cette société est une entreprise en participation de Wet'suwet'en et de Northwood qui est située près de Smithers. Elle dispose d'un certain quota. Si vous êtes familiarisé avec l'accord sur le bois d'oeuvre, vous savez que l'on peut exporter sans quota des produits à valeur ajoutée vers les États-Unis. Elle perçait des trous dans les tiges pour que l'on puisse considérer qu'il s'agissait d'un produit à valeur ajoutée. On a désormais remédié à cette faille dans l'accord sur le bois d'oeuvre.

À un moment donné, elle faisait des bénéfices de quelque 11 000 $ par mois. Depuis que l'on a supprimé cette échappatoire dans l'accord sur le bois d'oeuvre, elle perd environ 88 000 $ par mois parce qu'elle a perdu ses débouchés sur le marché des États-Unis.

Voilà quelles sont les répercussions financières. Bien entendu, cela se répercute sur les emplois. Elle avait 50 employés et elle n'en a plus que 20. C'est la situation dans laquelle se trouvent les sociétés forestières des Premières nations dans tout le pays.

Le sénateur Whelan: Le sigle de l'ANFA, qui est celui de l'organisation de M. Bombay, n'a besoin que d'une lettre de plus en anglais pour s'apparenter à celui de l'ALENA, l'accord de libre-échange nord-américain, mais je ne vois pas ici où est le libre-échange.

M. Bombay: Non, il n'y en a pas. Nous nous sommes souvent demandés quelle était la raison d'être de l'accord sur le bois d'oeuvre, alors que nous sommes censés avoir l'ALENA pour libéraliser le commerce.

Mme Higgins: J'aimerais répondre à la première question posée par le sénateur, qui est de nature économique. Il nous demande si les Premières nations veulent être impliquées dans le secteur forestier. Il est certain que les Premières nations veulent s'impliquer. Pour replacer là encore les choses dans leur contexte, les collectivités pour lesquelles je travaille au niveau local dépendent toutes de la forêt. Elles ont été écartées de l'industrie forestière lorsqu'elles n'ont pas réussi à exercer leur concurrence lors du passage d'un système de contingentement à un système de tenure en vertu des dispositions de la Loi sur les forêts en 1982. Elles n'ont reçu aucune tenure. Nous n'avons pas de tenure; nous n'avons pas accès aux ressources et par conséquent nous pouvons difficilement être économiquement viables.

L'économie est la clé du succès d'une collectivité ou d'une entreprise. Il faut être viable.

Le président: Les Premières nations ont été aussi écartées des accords de tenure au Nouveau-Brunswick mais, l'année dernière, le Nouveau-Brunswick s'est retourné vers les propriétaires et leur a demandé de réserver 5 à 8 p. 100 de leur territoire aux autochtones. Avez-vous étudié ce système?

M. Bombay: Oui. Les 5 et 8 p. 100 sont les deux chiffres pertinents. Les Premières nations sont censées obtenir 5 p. 100 de la PAC au Nouveau-Brunswick. Je crois que huit des 14 Premières nations du Nouveau-Brunswick ont signé actuellement des accords au sujet de ces 5 p. 100. Il se peut éventuellement que cela donne satisfaction aux Premières nations au Nouveau-Brunswick.

Voilà qui prouve que les gouvernements peuvent concéder une tenure s'ils le veulent.

Mme Higgins: Dans les négociations auxquelles j'ai participé, j'ai toujours demandé une rétrocession. Je n'ai pas réussi, mais je continue à le demander. Récemment, j'ai rencontré le directeur de district et le directeur régional des forêts pour essayer de négocier une tenure pour la collectivité. Le directeur de district m'a dit qu'il n'y avait pas de PAC disponible. C'est la réponse que l'on nous fait en Colombie-Britannique. Ils ne veulent pas nous rétrocéder une partie de leur PAC. Selon les titulaires de permis, c'est uniquement pour des raisons économiques.

Le président: Nous avons un sénateur du Nouveau-Brunswick au sein de notre comité. Il pourra éventuellement vous dire comment on a procédé au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Robichaud: Les témoins qui sont ici aujourd'hui savent probablement mieux que moi ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick. Ce que l'on a réussi à faire, c'est reconnaître que les autochtones avaient des droits sur la coupe annuelle.

Vous nous dites que ce n'est pas exactement ce qu'ils veulent. J'espère qu'ils continueront à négocier et que cette façon de procéder favorisera une croissance de l'activité économique, car c'est ce que tout le monde veut. Ils veulent avoir la possibilité de travailler et d'être productifs.

Le taux de chômage dans les collectivités autochtones du Nouveau-Brunswick était inacceptable, allant jusqu'à atteindre 90 p. 100 dans certains cas, ce qui causait toutes sortes de problèmes. Si on continue à pouvoir leur procurer des débouchés, ce sera certainement positif. Toutefois, il reste beaucoup de choses à faire.

Monsieur Bombay, vous avez déclaré que votre exposé était assez négatif, mais vous nous avez donné d'excellents exemples de participation autochtone à l'exploitation forestière. Pourriez-vous mentionner au comité quelques-uns de ces exemples édifiants? C'est ce qui nous permet d'avancer.

M. Bombay: Un excellent exemple est celui des Produits forestiers de West Chilcotin dans la région du lac Anahim en Colombie-Britannique. Il s'agit d'une entreprise tripartite entre la Première nation Ulkatcho, la collectivité non autochtone l'Anahim Lake et une société de production de bois du nom de Carrier Lumber. Chaque partie possède un tiers de la société en participation, qui a eu beaucoup de succès ces dernières années. Elle a d'excellents employés et de bonnes politiques. L'un des politiques porte sur l'emploi et sur les contrats passés par la société. Les autochtones doivent occuper 50 p. 100 des emplois à la scierie et dans toutes les entreprises d'exploitation forestière sous contrat. C'est la structure qui a été prévue au sein de l'organisation.

Elle se lance maintenant dans les produits à valeur ajoutée. Je me trouvais en août au sein de cette collectivité. J'ai vu les nouveaux bâtiments et les excellentes relations de travail qui se sont instaurées entre la collectivité autochtone, les non-autochtones et la société forestière. Voilà un bon exemple d'accord qu'il est possible de mettre en place.

Cette société obtiendrait cependant de bien meilleurs résultats si elle possédait un quota supérieur de bois d'oeuvre. Je pense que son quota n'équivaut qu'à 45 p. 100 de sa capacité de production. Elle n'a pas encore fait autant de progrès qu'elle le pourrait.

Le président: Est-ce que les quotas sont alloués par l'industrie forestière ou par le gouvernement?

M. Bombay: Il y a un comité national qui alloue les quotas entre les quatre provinces. Les comités régionaux siègent dans chacune des quatre provinces pour répartir les quotas à l'intérieur de la province.

Mme Higgins: Les Premières nations ne participent pas à cette répartition.

Le président: Toutefois, les comités ont été créés par les anciennes grosses sociétés?

Mme Higgins: Oui.

Le président: Et par le gouvernement?

M. Bombay: Oui.

Le président: Le gouvernement fédéral ne pourrait pas insister pour que les sociétés autochtones reçoivent certains quotas?

M. Bombay: C'est une possibilité. L'accord sur le bois d'oeuvre comporte de nombreuses ententes annexes. Certaines d'entre elles s'appliquent au prix du bois d'oeuvre. Si le prix dépasse un certain montant, des quotas supplémentaires viennent s'appliquer. On peut faire appel à ces quotas supplémentaires pour remédier à ce que l'on appelle les cas difficiles, qui sont souvent ceux des sociétés des Premières nations ou des nouveaux arrivants. Il y a des façons de contourner le problème. Pour qu'un quota puisse être alloué, il faut le prendre en quelqu'un d'autre, et c'est là que le problème se pose.

À mon avis, la meilleure façon de procéder est de chercher à dispenser les sociétés forestières des Premières nations de l'accord sur le bois d'oeuvre.

Le Manitoba, la Saskatchewan et les provinces de l'Atlantique sont exonérés à l'heure actuelle de l'application de l'accord sur le bois d'oeuvre. Les sociétés forestières des Premières nations ne pourraient-elles pas l'être aussi?

Le sénateur Robichaud: Il faudrait que les Américains soient d'accord, n'est-ce pas?

M. Bombay: Oui, ce serait nécessaire. Étant donné la taille insignifiante des sociétés forestières autochtones, ce ne serait qu'une goutte d'eau dans la mer. La part que représentent les Premières nations sur le marché du bois d'oeuvre est faible à l'heure actuelle.

Mme Higgins: L'accord sur le bois d'oeuvre doit être renégocié en mars 2001. Au nom des groupes que je représente, les Premières nations chercheront à être directement représentées lors de ces négociations. Nous chercherons à bénéficier d'une exemption.

Le sénateur DeWare: Il semble que les autochtones et que les Premières nations ne se voient pas accorder la même possibilité d'accéder aux terres. Au début des années 80, le Nouveau-Brunswick a mis en application l'un des meilleurs programmes de gestion forestière: celui qui coupait un arbre devait en planter un autre. S'il ne le faisait pas, le permis était révoqué. Pour quelle raison le gouvernement fédéral ne pourrait-il pas offrir un programme similaire aux peuples autochtones? Cela vous donnerait accès à tout le territoire forestier dans lequel vous habitez et vous pourriez le gérer. On offrirait les mêmes possibilités que celles qu'on offre actuellement aux sociétés d'État et aux sociétés privées.

M. Bombay: Si l'on pouvait y parvenir, ce serait magnifique. C'est quelque chose que le gouvernement fédéral devrait promouvoir. Les terres relèvent actuellement de la compétence des gouvernements provinciaux, qui contrôlent la gestion forestière. Les gouvernements provinciaux ont tendance à ne pas reconnaître nos besoins et nos droits en matière forestière.

Le sénateur DeWare: Nous parlons d'un accord fédéral-provincial et non pas simplement d'une entente avec les provinces?

M. Bombay: Oui.

Le sénateur DeWare: Est-ce que les recommandations de la Commission royale sont prises en compte?

Mme Higgins: Non, pas du tout.

M. Bombay: Il y avait d'excellentes recommandations dans le rapport de la Commission royale. Pour l'instant, nous constatons que le gouvernement fédéral ne répond pas aux questions posées précisément par la Commission royale.

Le gouvernement fédéral met en place des programmes. Il a étendu l'application du Programme de négociation de l'accès aux ressources et il a mis en place un programme portant sur l'acquisition des ressources. Toutefois, ces programmes ne sont pas propres aux forêts.

Il met en place quelques nouveaux programmes, mais il ne règle pas les problèmes de fond mentionnés par le rapport de la Commission royale pour ce qui est des politiques et de l'accès aux ressources.

Le sénateur DeWare: Est-ce que l'on y autorise votre peuple à gérer certaines parties du territoire, notamment à couper, à exploiter et à exporter les produits, tout en reboisant la forêt?

M. Bombay: Oui.

Le sénateur DeWare: Monsieur Bombay, vous avez indiqué que le Programme de foresterie des Premières nations est doté de 5 millions de dollars de crédits par an et qu'il a été élargi. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

M. Bombay: Le Programme de foresterie des Premières nations bénéficie d'environ 5,5 millions de dollars de crédits par an. C'est un programme sur cinq ans qui a été mis en place en 1996. Il se terminera le 31 mars 2001, justement en même temps que l'accord sur le bois d'oeuvre.

Ce programme vise avant tout le développement économique. Contrairement aux programmes qui l'ont précédé, comme le Programme sur les terres forestières indiennes, qui avait été établi dans le cadre des accords fédéraux-provinciaux de développement des ressources forestières, ce programme ne s'applique pas à la gestion des forêts sur les terres des réserves.

Lorsque le gouvernement fédéral s'est retiré de ces accords de développement des ressources forestières en 1995, nous avons dû le convaincre qu'il conservait une responsabilité sur les terres des réserves indiennes. Nous l'avons persuadé d'y maintenir un programme qui s'appelle aujourd'hui le Programme de foresterie des Premières nations. Ce programme a été réorienté sur le développement économique par opposition au développement ou à la gestion durable des forêts indiennes.

Le sénateur DeWare: C'était l'orientation de l'accord fédéral-provincial. On a alors changé d'orientation.

M. Bombay: Qui plus est, les crédits versés jusqu'alors ont été réduits d'environ 30 p. 100.

Les crédits du programme actuel, celui du Programme de foresterie des Premières nations, diminuent chaque année. L'année prochaine, ils seront d'environ 5 millions de dollars par an et l'année suivante de 4,5 millions. Ce sont des montants dégressifs. Il faut y remédier. Le Programme de foresterie des Premières nations est le seul dont nous disposions pour appuyer les activités forestières des collectivités des Premières nations.

Mme Higgins: Quant à la Commission royale sur les peuples autochtones, elle a fait des recommandations précises touchant l'adoption de mesures provisoires visant à améliorer l'accès des autochtones aux ressources forestières sur les terres publiques et à les faire participer à leur gestion et à leur développement.

En Colombie-Britannique, nous avons bien un code de déontologie forestière que signent les entreprises pour pouvoir attester de leur travail. Au sujet de la participation autochtone, il leur suffit d'envoyer une lettre. On parle ici d'un mécanisme de renvoi.

Les groupes des Premières nations que je représente ne participeront pas à ce mécanisme parce qu'il ne protège pas les droits et les titres fonciers autochtones sur la terre.

Nous nous efforçons de négocier une réforme de la tenure pour nous permettre d'accéder à la forêt, de l'administrer et d'améliorer les codes de déontologie forestière. Nous avons besoin d'une réforme de la tenure. Sur les différentes tenures qui vont être conférées par le gouvernement, une seule sera autochtone, les autres seront au bénéfice des collectivités. Nous avons donc besoin d'une réforme de la tenure. Les premières nations vont procéder à une gestion globale en suivant ou en améliorant les directives s'appliquant à la déontologie forestière.

Le sénateur DeWare: Pensez-vous que si l'on appliquait comme il se doit les recommandations de la Commission royale, on répondrait à un certain nombre de besoins des autochtones concernant les programmes de gestion de la forêt?

Mme Higgins: Si l'on s'efforçait de les mettre en application, cela répondrait aux besoins. «Comme il se doit», voilà qu'il est difficile à définir; l'essentiel c'est que l'on s'engage à les mettre en application. La Commission royale sur les peuples autochtones a très bien fait son travail; elle a bien souvent raison. Toutefois, le rapport a été laissé dans un tiroir. Les recommandations ne sont pas mises en application.

Le président: Madame Jim-Cant, j'imagine qu'au Yukon les autochtones ont énormément de choses à dire concernant l'utilisation de la forêt conformément à sa vocation à l'origine, avant que l'on coupe et que l'on exporte le bois. Je pense aux lignes de piégeage, au tourisme, à la pêche, et cetera. Nous avons les mêmes problèmes dans les collectivités non autochtones. Il y a le tourisme, les motoneigistes, les pêcheurs, et cetera, qui entrent en conflit avec les exploitants forestiers. Si les autochtones prenaient le contrôle d'une région donnée, assisterions-nous à la même bataille entre, d'une part, les exploitants forestiers et les marchands et, d'autre part, ceux qui veulent préserver la forêt pour la chasse, le trappage et les usages traditionnels. Autrement dit, un engin de débardage fait autant de dégâts, qu'il soit conduit par un Autochtone ou par un non-Autochtone.

Mme Jim-Cant: Sans trop aller dans les détails, je peux dire que le Conseil tribal des Tlingits de Teslin va approfondir certains aspects de cette question.

Pour ce qui est de l'établissement d'un partenariat et de l'élaboration de stratégies de développement, nous nous trouvons en ce moment à un point tournant du fait que le gouvernement fédéral a commencé à transférer une partie de ses responsabilités au gouvernement territorial.

Le président: Il y a des gens qui ne diraient pas «transférer» mais plutôt «abandonner».

Mme Jim-Cant: Le gouvernement transfère une partie de ses responsabilités, notamment dans le domaine de la gestion et des ressources forestières, au gouvernement territorial. Selon l'Accord-cadre définitif, les Premières nations doivent participer à ce processus. Nous n'avons pas encore reçu de protocole d'entente définissant ce processus. Le gouvernement du Yukon est en train d'élaborer une stratégie sur les forêts. Nous trouvons tout à fait regrettable de ne pas avoir été invités à participer activement à ce processus. C'est là une autre occasion perdue d'établir un partenariat efficace et une stratégie de développement. Nous espérons pouvoir sauver la situation grâce au lobbying que nous faisons ici et devant d'autres instances et aux autres démarches faites auprès du gouvernement du Yukon.

Nous allons parler de l'attribution des droits de coupe au Yukon et je vais laisser Mme Warrington et M. Taylor vous parler de ce sujet parce que ces personnes ont des idées et des renseignements précis à vous communiquer.

Le sénateur Adams: Madame Jim-Cant, le Yukon connaît-il les mêmes problèmes que la Colombie-Britannique et l'Ontario dans ses rapports avec le gouvernement fédéral? Vous n'avez rien sur la réserve mais comment se règlent au Yukon les revendications territoriales présentées au gouvernement du Canada? Le gouvernement du Canada exerce-t-il encore un certain contrôle sur l'exploitation forestière? Avez-vous le droit de commercer librement dans la province? Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Jim-Cant: J'ai parlé dans mon exposé du MAINC qui, conformément à la Loi sur les Indiens, continue à délivrer les permis de coupe sur les terres des Premières nations au Yukon, terres que l'on pourrait également qualifier de terres publiques. Jusqu'à la signature de l'Accord-cadre définitif au Yukon, nous participions à ce processus. C'était la seule façon pour nous d'avoir accès à cette ressource, et aux autres aussi, d'ailleurs.

Nous constatons qu'à l'heure actuelle le gouvernement fédéral transfère des pouvoirs au gouvernement territorial. Une partie du problème vient du fait que le gouvernement fédéral exerce encore ses pouvoirs en matière d'attribution de permis de coupe. Il se refuse à reconnaître qu'il est tenu d'assurer la participation des Premières nations du Yukon à ce processus.

Cela constitue une violation de l'Accord-cadre définitif qui a été conclu entre les trois gouvernements, et non pas seulement entre ces deux gouvernements. Au Yukon, l'accord a été conclu par trois parties.

Le sénateur Adams: Utilisez-vous vos ressources locales pour exporter du bois de sciage de résineux? Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Jim-Cant: L'exportation du bois de sciage de résineux?

Le sénateur Adams: Oui. Vous n'avez pas de permis d'exportation. Vous pouvez uniquement utiliser le bois d'oeuvre localement, au Yukon. Certaines personnes souhaitent exporter à l'étranger. Vous avez du bois. L'utilise-t-on uniquement dans la région du Yukon?

Mme Jim-Cant: Non, ce bois est exporté. Malheureusement, les Premières nations n'ont pas participé à ce processus, du moins depuis que l'on exporte ce bois. Comme l'a déclaré M. Bombay, il y a des Premières nations qui sont en train d'établir un partenariat avec des entreprises pour exercer cette activité. Je ne pense pas toutefois qu'il y ait aujourd'hui au Yukon des Premières nations qui s'occupent uniquement d'exporter du bois.

Le président: Madame Higgins, sur le plan international, compte tenu du succès qu'ont obtenu les Lubicons avec des boycotts à l'échelle mondiale, du fait que certains pays, d'Europe notamment, ont commencé à mettre sur pied des mécanismes de certification, ainsi que du fait qu'une bonne partie de notre production est exportée, je suis sûr que vous avez déjà envisagé de demander à des gouvernements et à des acheteurs étrangers d'exercer des pressions pour que le processus de certification exige que les autochtones participent activement à l'exploitation de leur forêt.

Mme Higgins: Il est curieux que vous mentionniez cela parce que nous sommes en pourparlers avec l'alliance au sujet de certains problèmes qui se posent dans le secteur forestier. La Colombie-Britannique ne nous a encore reconnu aucun droit conformément à l'arrêt Delgamuukw. Les bandes pour lesquelles je travaille n'ont pas conclu de traités et n'étant pas d'accord avec le processus de conclusion des traités, elles se refusent à en négocier.

Tout récemment, on a mis sur pied un mécanisme bilatéral et lorsque vous parlez de contacter directement la Communauté européenne, vous n'êtes pas très loin de la vérité. Il est tout à fait exact que nous avons pensé à aborder avec la Communauté européenne la question de la certification, de la non-reconnaissance de nos droits, de l'absence de stratégies d'exploitation durable, des pratiques forestières et de l'absence de plan de gestion de nos ressources traditionnelles.

M. Bombay: J'aimerais faire une observation. L'Association nationale de foresterie autochtone a préparé un certain nombre de documents que j'aimerais remettre au président. Nous en avons d'autres mais nous avons fait des copies. Il y a les Lignes directrices sur la gestion des terres et forêts par les autochtones, une étude sur les connaissances forestières traditionnelles des autochtones au Canada, et notamment leur utilisation, ainsi que d'autres documents.

Vous trouverez dans un de nos documents une carte qui montre la forêt boréale. Elle indique que la plupart des traités conclus avec les autochtones du Canada visent les territoires où se trouve la forêt boréale.

Le président: Les témoins suivants, Mme Warrington et M. Taylor, représentent le Conseil tribal des Tlingits de Teslin. Il y a très longtemps, j'étais alors un jeune géologue aux dents longues et j'ai travaillé aux environs d'une immense montagne de granite qui n'est pas très loin de là. Il y a vraiment beaucoup d'amiante dans cette région. Vous avez la parole.

Mme Blanche Warrington, gestionnaire, Ressources renouvelables, Conseil tribal des Tlingits de Teslin: Je remercie le président, l'honorable Nicholas Taylor, et les membres du sous-comité de nous donner l'occasion de parler au nom de ma Première nation, les Tlingits de Teslin.

Comme cela a été mentionné, je m'appelle Blanche Warrington; en tlingit, je m'appelle Yekanasheen et je fais partie du clan de l'aigle de la Première nation des Tlingits de Teslin. Je suis technicienne forestière et je travaille à titre de gestionnaire des Ressources renouvelables pour ma Première nation. Mon collègue et superviseur, M. Hugh Taylor, vous présentera un exposé après le mien.

Les Tlingits de Teslin occupent leur territoire traditionnel au Yukon depuis 400 ans environ. Mon peuple a vécu uniquement des ressources de la nature et aujourd'hui encore, les Tlingits sont capables aujourd'hui encore de vivre dans la nature en construisant des camps, en chassant et pêchant, en trappant et en exerçant d'autres activités. Nous ressemblons aux autres peuples autochtones parce que nous avons toujours exploité les ressources naturelles de notre territoire pour vivre.

Depuis la construction de la route de l'Alaska, nous avons de plus en plus de mal à préserver notre mode de vie et les ressources dont nous dépendons complètement sont aujourd'hui menacées.

La Division des ressources forestières du MAINC vient de publier récemment une analyse préliminaire de l'approvisionnement en bois d'oeuvre concernant le sud du Yukon qui inquiète beaucoup mon peuple, en particulier les anciens. Selon cette analyse, l'unité de gestion forestière de Nisutlin, qui comprend notre territoire traditionnel, s'est vu attribuer une possibilité annuelle de coupe de 89 000 mètres cubes pour les 10 prochaines années.

Les anciens s'inquiètent du fait que cette analyse est principalement fondée sur les vieilles forêts qui entourent Teslin Lake et la Nisutlin. Pour notre peuple, la Nisutlin est la mère nourricière, parce que c'est là que nous pêchons et chassons pour nous nourrir. Les anciens exigent que l'on préserve une zone tampon de 1 000 mètres le long des cours d'eau, alors que l'analyse en question ne prévoit qu'une zone de 100 mètres. Les anciens ont également affirmé qu'ils ne toléreraient pas que l'on pratique la coupe à blanc dans notre territoire traditionnel.

Les anciens tiennent à conserver les vieux peuplements et exigent que notre territoire traditionnel demeure dans son état naturel. Les anciens de mon peuple parlent constamment d'un projet de coupe qui a été réalisé le long de Sidney Creek, qui est situé dans notre territoire traditionnel. En 1992-1993, la Division des ressources forestières a attribué un permis de 15 000 mètres cubes le long de Sidney Creek, dans une zone d'environ 75 hectares et comprenant des pentes de près 35 p. 100. Il est choquant de voir la quantité de déchets et de rebuts qui ont été laissés sur cet emplacement.

En 1995, Ressources forestières a décidé de régénérer le site en y plantant de l'épinette. L'été dernier, je me suis rendue dans cette zone avec un collègue pour examiner la situation. Nous avons constaté que les secteurs de coupe n'avaient pas été suffisamment reboisés et que les arbres qui avaient survécu n'avaient en moyenne que 15 centimètres de hauteur, ce qui n'est pas un très bon résultat, compte tenu du fait que ces arbres ont été plantés il y a trois ans.

Jusqu'ici, il n'existe aucune donnée statistique démontrant que le reboisement est viable dans les forêts boréales du sud du Yukon. Cela découle du fait que dans la partie sud-est du Yukon, le reboisement n'a commencé qu'il y a trois ou quatre ans et qu'il n'existe encore aucune preuve démontrant que cette technique permet de régénérer la forêt.

Pour en revenir à l'analyse sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre, j'aimerais signaler à votre attention un autre sujet de préoccupation. En 1995, Ressources forestières a fixé une possibilité annuelle de coupe de 350 000 mètres cubes pour le sud-est du Yukon. Ce plafond d'exploitation se fondait sur l'analyse d'approvisionnement en bois d'oeuvre qui avait été intégrée à la version provisoire d'un «Plan de gestion forestière du sud-est du Yukon». Ce plan de gestion a été élaboré en 1991 et repose maintenant sur les tablettes.

Ressources forestières fixe aujourd'hui une possibilité annuelle de coupe en se basant sur une analyse préliminaire d'approvisionnement en bois d'oeuvre pour le sud-est du Yukon qui fait encore l'objet de consultations. Il faut savoir que le sud-est du Yukon a été exploité à un rythme qu'il n'est pas possible de soutenir et que les intéressés recherchent maintenant des secteurs plus prometteurs, situés plus au nord sur la route de l'Alaska. Lorsque Ressources forestières annonce publiquement que l'on peut couper 89 000 mètres cubes de bois derrière chez vous, cela est inquiétant.

L'analyse en question prévoit une augmentation de 246 p. 100 de l'approvisionnement en bois d'oeuvre. Le Conseil tribal des Tlingits de Teslin et la collectivité de Teslin soutiennent que cette analyse n'est pas fondée sur des techniques de gestion forestière durable dans la mesure où les dimensions de référence ont été fixées à un niveau beaucoup trop bas puisqu'elles sont de 10 centimètres pour le diamètre fin bout et de 15 centimètres pour le diamètre inférieur. Il y a également le fait que 80,9 p. 100 des peuplements marchands mentionnés dans l'analyse tombent dans la catégorie des sites à faible productivité.

Pour terminer, j'aimerais mentionner qu'au cours de la saison 1997-1998, le Conseil tribal des Tlingits de Teslin a collaboré avec Ressources forestières à l'élaboration d'un modèle forestier montrant les autres techniques de coupe de bois qui peuvent être utilisées dans notre territoire traditionnel. La forêt Ademo est un exemple de technique d'exploitation faisant appel à des méthodes de coupe sélective et constitue une réalisation dont les deux gouvernements peuvent légitimement être fiers.

Pour ce qui est de la saison 1998-1999, le Conseil tribal des Tlingits de Teslin est toujours en train de négocier avec Ressources forestières la réduction de la possibilité annuelle de coupe pour la faire passer de 89 à 16 000 mètres cubes. Le conseil va ainsi avoir l'occasion d'élaborer un schéma d'aménagement des sols, un plan de gestion de la faune et un plan de gestion de la forêt qui, je me permets de le signaler, devraient être achevés avant que l'on publie une analyse de l'approvisionnement en bois d'oeuvre.

Je vous signale également que nous possédons des exemplaires de l'analyse préliminaire sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre et que nous avons également un exemplaire d'une critique de cette analyse, préparée par Herb Hammond, dont vous pouvez prendre connaissance.

M. Hugh Taylor, directeur, Terres et ressources, Conseil tribal des Tlingits de Teslin: Lorsque j'ai écouté le dernier exposé, je me suis dit que les Premières nations du Yukon avaient beaucoup de chance. Dans cette région, le problème n'est pas d'avoir accès à la forêt mais plutôt de la gérer de façon durable.

Je vais poursuivre en décrivant les autres questions que pose l'analyse de l'approvisionnement en bois d'oeuvre dans le sud du Yukon. À titre de précision, le Nisutlin est une zone d'exploitation forestière qui est située dans le sud du Yukon. Ce processus couvre six zones mais nous parlons uniquement de la zone de Nisutlin parce qu'elle concerne le territoire traditionnel de Teslin.

Il est impossible de surévaluer l'importance d'une analyse de l'approvisionnement en bois d'oeuvre. Bien avant de sortir les tronçonneuses, bien avant d'émettre des permis de coupe de bois, bien avant de décider à qui va appartenir le bois, il faut déterminer le cubage de bois compatible avec une exploitation durable de la forêt.

La meilleure façon de résumer les aspects de l'analyse d'approvisionnement qui nous inquiètent est peut-être de dire que le modèle utilisé s'est avéré insuffisant dans le sud du Canada et que l'on doit se demander pourquoi on l'utiliserait dans le Nord, alors que les sols sont plus froids, le climat plus rigoureux et la croissance plus lente?

Le modèle utilisé au Yukon est un modèle qui vient de la Colombie-Britannique. Il a été modifié une première fois pour l'appliquer au sud-est du Yukon et une deuxième fois pour l'adapter à la région de Teslin. On n'utilise que la partie de ce modèle qui concerne le bois d'oeuvre.

En Colombie-Britannique, on ne s'intéresse pas uniquement à la croissance de la forêt. On tient compte de tous les aspects de la forêt qui ont de la valeur. Au Yukon, on s'intéresse uniquement au bois d'oeuvre. Le modèle de la Colombie-Britannique n'est donc même pas retenu intégralement.

Je vais énumérer les omissions ou les aspects qui ne sont pas suffisamment étudiés dans l'analyse sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre. Il y a les questions reliées à l'habitat faunique, comme les habitats d'hiver et les couloirs utilisés par les animaux, la préservation des vieux peuplements et le manque d'évaluation des répercussions archéologiques. Toutes les autres provinces et territoires du Canada procèdent à ces évaluations des répercussions archéologiques avant d'exploiter les forêts.

Mme Warrington a parlé des zones tampons le long des cours d'eau et des différences d'opinions qui existent à ce sujet entre les anciens et les Ressources forestières. On n'a pas tenu compte des intérêts des trappeurs. On n'a pas tenu compte des intérêts des pourvoyeurs. Ces questions n'ont même pas été abordées. Les aspects patrimoniaux ne sont pas traités. Les entreprises de tourisme en milieu sauvage n'ont pas été consultées. Nos conseillers en développement économique nous disent que, dans la région de Teslin, c'est le tourisme en milieu sauvage qui est le secteur économique le plus prometteur. Cela n'est guère compatible avec les coupes à blanc et la construction de routes.

Mme Warrington a parlé de la planification de l'utilisation des terres. Nous venons tout juste de commencer à planifier l'utilisation des terres conformément à l'Accord-cadre définitif. Elle a parlé des cycles de régénération. Elle a également parlé des autres techniques d'exploitation. Si l'on met de côté les techniques de coupe à blanc pour leur préférer d'autres techniques, la question de la régénération ne se pose pas. La première chose qu'on enseigne dans les écoles de foresterie est que l'épinette n'aime pas le soleil; elle aime pousser à l'ombre, celle des trembles ou d'autres espèces. Lorsque l'on fait des coupes à blanc et que l'on replante de l'épinette, on travaille à l'envers. Je crois que cela s'appelle le syndrome de la photosynthèse.

La quantité de bois d'oeuvre a été calculée à partir de l'hypothèse qu'il n'y aura pas de phase de végétation herbacée et arbustive. En Colombie-Britannique, après une coupe à blanc, lorsque les graminées et les arbustes gênent les jeunes plants, on pulvérise de l'herbicide pour les tuer. La croissance des graminées et des arbustes est très importante pour les sols et la faune. Il faut respecter cette période de croissance qui peut s'étaler sur 10, 20 ou 30 ans.

L'analyse ne définit pas les seuils écologiques des sols marécageux, les climats, ou les micro-organismes. On s'est penché sur les dimensions sociales ou culturelles.

Lorsque je parle de dimensions culturelles, il faut comprendre que les Premières nations ont besoin d'un territoire d'une certaine étendue pour pouvoir préserver leur mode de vie. L'accord définitif nous accorde le droit de pêcher, de chasser, de faire du trappage et de la cueillette. Il y a donc lieu de tenir compte de ces droits et du territoire nécessaire pour pouvoir les exercer.

Les aspects économiques n'ont pas été analysés. La délimitation des zones de lutte contre les incendies est prévue pour cet automne alors que l'analyse a été faite il y a un an. Le modèle de la Colombie-Britannique est basé sur la technique de la coupe à blanc, aspect que les anciens n'acceptent pas non plus.

Aucun plan de gestion de l'accès au territoire n'a été préparé, ni aucune évaluation des répercussions que pourrait avoir cet accès. Une des principales craintes des anciens est qu'une fois les routes d'accès construites, il est impossible d'empêcher les gens de les utiliser. L'abandon de ces routes ne semble pas pouvoir empêcher les conducteurs de véhicules tout terrain et de skidoos de les utiliser.

Le modèle d'approvisionnement en bois d'oeuvre englobe ce que l'on appelle des îlots forestiers, c'est-à-dire les parties de la forêt qui ont résisté à un incendie. Les spécialistes de la gestion des écosystèmes nous disent que ces îlots jouent un rôle très important pour ce qui est de la régénération et de la repousse et qu'ils abritent les animaux qui ont réussi à survivre à un incendie. Ils se réfugient dans ces îlots lorsqu'il y a un incendie. Selon ce modèle, ces îlots font partie des zones exploitables qui contiennent du bois marchand. Nous pensons que ces îlots devraient être préservés.

Les cartes qui indiquent les types de forêt sont truffées d'erreurs. Nous parlons à ce sujet de lacunes de l'inventaire. Les ingénieurs forestiers que nous avons embauchés s'arrachent les cheveux lorsqu'ils doivent travailler avec ces cartes.

Mme Warrington a parlé du fait que l'indice de qualité de stations était faible. Selon cet indice, 80,9 p. 100 des stations font partie des classes de stations ayant un faible potentiel. Nos conseillers en gestion des écosystèmes nous disent que ces stations ne devraient pas être exploitées. Si l'on accepte leurs conseils et si l'on supprime cette catégorie de stations, l'approvisionnement en bois d'oeuvre, ou le cubage annuel, est réduit de 80 p. 100.

L'analyse de l'approvisionnement se fonde sur un cycle de régénération de 100 ans pour les bonnes stations d'épinettes. Les anciens savent que ces arbres ont besoin de 250 à 300 ans pour atteindre l'âge adulte. Avec un tel modèle, lorsque tous les peuplements indiqués auront été coupés, il n'y aura plus jamais de peuplements murs.

Nous avons tous entendu parler l'été dernier et l'été d'avant de l'augmentation des incendies de forêt. Au Canada, la superficie touchée est passée de 1 à 3 millions d'hectares square en 10 ans. Elle a été multipliée par trois.

Mme Warrington a également mentionné que la taille marchande, telle que définie, était très petite. En fait, les scieries du Yukon ne peuvent accepter pour le moment du bois de dimension aussi réduite. Il ne sert donc absolument à rien de choisir une taille aussi petite parce que cela englobe du bois qui ne peut pas être transformé ici et que cela gonfle artificiellement le chiffre de l'analyse sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre.

Ce modèle comprend également des choses qui ne devraient pas, d'après nous, en faire partie ou qui devraient être utilisées différemment. Je pense au fait que ce modèle englobe les arbres de petite taille et les stations à faible potentialité. Nous pensons que les responsables de l'aménagement des terres vont délimiter des secteurs où les routes seront interdites. Ces secteurs vont comprendre principalement la vallée Nisutlin. Les anciens de Teslin ont toujours dit que l'on ne devrait pas couper du bois dans cette vallée, ce qui veut dire qu'on ne devrait pas non plus y construire de routes. Le modèle choisi pour l'analyse tient pour acquis que l'on va construire des routes pour avoir accès à tous les peuplements visés par l'analyse.

Parcs Canada a démarré une étude de faisabilité pour le secteur de Wolf Lake. Ce secteur représente plus de la moitié de la zone prise en compte pour l'analyse de l'approvisionnement. Si l'on décide d'aménager ce parc, cela va réduire de moitié la superficie visée par l'analyse. Le gouvernement du Yukon est en train d'élaborer une politique, qu'il appelle la stratégie relative aux secteurs protégés qui va être finalisée ce mois-ci. Cette stratégie va définir les parcs et les autres zones qui méritent d'être protégés, ce qui va réduire d'autant la superficie exploitable de la forêt.

Dans l'ensemble, il y a tellement d'aspects dont l'analyse ne tient pas compte que le chiffre proposé est probablement supérieur de 80 à 85 p. 100 à ce qu'il aurait dû être.

Je vais revenir à ce que j'ai appelé la conciliation des intérêts, qui a été mentionnée plus tôt. Le Conseil des Tlingits de Teslin est propriétaire d'une scierie, la Yukon River Timber. Sa capacité va passer à 40 000 mètres cubes par an. Le Conseil des Tlingits de Teslin est également propriétaire d'une entreprise de pourvoirie dans la région du Wolf Lake, ainsi que d'une entreprise de services touristiques à Teslin. Comme les autres Premières nations, nous avons dû lutter contre le chômage, le manque d'instruction et d'autres problèmes sociaux. Il faut tenir compte de tous ces besoins, tout en protégeant notre territoire traditionnel.

Ce n'est pas parce que l'on a conclu une entente définitive sur les revendications territoriales à Teslin que les anciens estiment que cette entente a eu pour effet de réduire leur rôle d'intendant à l'égard des terres visées par le règlement. Bien au contraire, ils se considèrent toujours comme les intendants du territoire traditionnel. Nous surveillons tout ce qui se passe. Nous ne nous intéressons pas uniquement aux terres visées par le règlement.

Je devrais également mentionner que, si les Tlingits de Teslin sont établis au Yukon, ils sont en train de négocier avec la Colombie-Britannique. Nous avons donc le plaisir de travailler avec trois paliers de gouvernement.

Les gens de la Yukon River Timber essaient de faire du bon travail. Mais si cela est nécessaire et qu'il n'est pas possible d'exploiter la forêt de façon durable, ils fermeront la scierie. Le but essentiel n'est pas de faire des bénéfices. Il y a aussi le fait que des représentants de la scierie se sont rendus en Finlande où ils ont appris comment accélérer la croissance des arbres et obtenir un taux d'utilisation de 100 p. 100 ou presque. Nous avons été très surpris de voir que les Finlandais et les Suédois qui sont venus à Teslin voulaient apprendre comment restaurer intégralement la forêt en Finlande et en Suède parce qu'en s'intéressant uniquement au bois, ils perdent les micro-organismes et toutes les choses qui composent une forêt. Je ne sais pas très bien comment ils pourront faire revenir les souris et les autres animaux et régénérer les plantes.

Il est intéressant de noter qu'ils se sont tellement préoccupés de la forêt, et avec un tel succès, qu'ils ont perdu beaucoup de choses. Ce n'est qu'aujourd'hui qu'ils s'en rendent compte.

En résumé, je ne vois pas comment le Canada pourrait se vanter devant les Nations Unies d'être un leader mondial en matière de gestion durable de la forêt alors qu'au Yukon, le seul territoire où le Canada gère la forêt, nous n'avons pas encore réussi à mettre en place une exploitation forestière durable. Il n'est toutefois pas trop tard pour bien faire les choses au Yukon.

Si l'on veut parvenir à une exploitation durable de la forêt, il faut transformer l'analyse sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre en un processus comprenant quatre étapes. La première étape consisterait à définir les seuils écologiques. La seconde préciserait les dimensions socio-économiques et culturelles. La troisième consisterait à définir ce que veut dire un aménagement forestier écologique pour les terres exploitables, telles qu'elles ont été délimitées en fonction des autres critères. La quatrième étape est celle par laquelle MAINC a commencé, c'est-à-dire le calcul de la possibilité annuelle de coupe. C'est le MAINC travaillant de concert avec le groupe directeur de la collectivité qui devrait effectuer ce travail. Ce groupe serait appuyé par ses propres spécialistes de la gestion de l'écosystème. En attendant, nous espérons que le plafond d'exploitation demeurera à son niveau antérieur. Beaucoup de gens penseraient que 89 000 mètres cubes de bois ne représentent pas une grande quantité mais à Teslin où le niveau a toujours été inférieur à 2 000 mètres cubes, l'annonce d'un plafond de 89 000 mètres cubes a vivement inquiété la population.

Je devrais peut-être remercier Ressources forestières d'avoir présenté un plafond si élevé parce que cela a eu pour résultat de mobiliser toute la collectivité. Les résidents étaient même encore plus scandalisés que les membres du Conseil des Tlingits de Teslin. Cela a obligé Ressources forestières à mettre sur pied un comité directeur composé de résidents et de travailler avec eux; c'est pour cela que nous sommes en train de négocier avec eux pour qu'ils ramènent ce plafond à 16 000 mètres cubes. Nous espérons que les pourparlers vont se poursuivre, même si le gouvernement n'a pas officiellement renoncé à son modèle ni au plafond proposé.

La forêt boréale est le plus vaste écosystème au monde, ce qui lui donne une caractéristique tout à fait unique. Il y en a largement pour tout le monde. La forêt peut combler nos besoins mais elle ne comblera jamais notre goût du lucre.

Encore une fois, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous parler de nos problèmes.

Le sénateur Spivak: Je devrais connaître la réponse à la question que je vais vous poser. Cependant, je ne sais pas exactement si les Ressources forestières ont juridiquement le pouvoir de préparer un plan et de l'imposer. Quelles sont les entreprises forestières qui font de la coupe de bois dans cette région? Premièrement, quel est le statut juridique de ce plan?

M. Taylor: Je n'appellerais pas cela un plan. C'est une analyse sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre. Ce service a pour mission de gérer la forêt conformément à la Loi sur les terres territoriales; il est également tenu, en vertu de l'accord définitif, de consulter certaines personnes. Dans ce cas-ci, il n'y a pas eu consultations. Nous avons parlé en août 1997 au responsable de l'inventaire des ressources forestières et depuis, nous n'avons plus entendu parler de lui. Nous avons appris en mars 1998 que le gouvernement avait rendu ce chiffre public.

À Teslin à l'heure actuelle, il n'y a pas d'entreprises forestières en activité. La Yukon River Timber et six autres entreprises seraient susceptibles d'obtenir un permis mais aucun permis n'a encore été accordé.

Le sénateur Spivak: Est-ce que le Conseil tribal des Tlingits de Teslin participe au processus de prise de décisions? Quel est le cadre juridique? Quel est votre situation juridique?

M. Taylor: Le chapitre 17 de l'accord définitif traite des ressources forestières. Le chapitre 16 prévoit la création d'un comité conjoint des ressources renouvelables. Ce comité consultatif transmet ses conseils au ministre. Le ministre est censé consulter ce comité et la Première nation sur toutes les questions qui touchent les ressources forestières.

Le sénateur Spivak: Avez-vous obtenu des opinions juridiques sur vos positions respectives sur tous ces sujets?

M. Taylor: Oui, nous avons eu deux opinions juridiques. Toutes les eux affirment que le gouvernement n'a pas procédé aux consultations prévues. Nous hésitons toutefois à intenter des poursuites judiciaires ou à demander des injonctions parce que nous avons réussi à leur faire accepter de passer de 89 000 à 16 000 mètres cubes pour la coupe de cette année. Ressources forestières souhaite toutefois revenir à 89 000 mètres cubes en avril, ce qui va peut-être nous obliger à choisir cette solution. L'autre aspect positif a été la création du comité directeur de la collectivité.

Le sénateur Spivak: Je ne sais pas s'il existe une région au Canada où l'on fasse de l'exploitation durable. C'est un peu une situation idéale. Je ne pense pas qu'il y ait une région où cela se pratique vraiment. Le président en sait peut-être davantage là-dessus.

Pensez-vous qu'il soit possible de mettre en oeuvre ce modèle, ce qui serait quelque chose de fantastique? Comme vous le dites, c'est une magnifique possibilité que l'on pourrait réaliser grâce à cette collaboration. Vous réservez-vous la possibilité d'intenter des poursuites judiciaires si cela est nécessaire?

M. Taylor: Je suis convaincu que nos dirigeants se réservent toujours cette possibilité. Je suis pour le moment assez optimiste, en partie parce que la Yukon River Timber, l'entreprise qui appartient à la bande, est la seule entreprise qui produise du bois au nord de Watson Lake. En raison des limites imposées aux exportations, on ne peut exporter du Yukon que 40 p. 100 de la production, il faut exploiter une sorte d'entreprise à valeur ajoutée. C'est pourquoi la Yukon River Timber sera une des principales entreprises concernées.

Le sénateur Spivak: De qui cela relève-t-il? Qui a le pouvoir d'imposer des limitations en matière d'exportation?

M. Taylor: Ce sont des règles du MAINC ou des Ressources forestières. C'est une politique, je ne pense pas que ce soit une règle législative.

Le président: Existe-t-il dans les lois du Yukon une disposition qui oblige le MAINC à confier l'administration de ce secteur au ministre des Ressources du Yukon? Pendant combien de temps encore le MAINC va-t-il encore pouvoir prétendre protéger les intérêts du Yukon dans le secteur forestier?

M. Taylor: La date butoir du transfert de pouvoir, qui ne pourra pas être respectée d'après moi, est le 31 mars 1999; c'est la date à laquelle les gouvernements doivent avoir conclu une entente de principe. Le transfert commencerait le 31 décembre 1999. Je ne vois pas comment cela pourrait se faire mais ce sont les dates prévues.

Le président: Pensez-vous qu'il soit préférable de traiter avec le gouvernement du Yukon ou avec le MAINC?

Mme Warrington: Nous espérons qu'une fois le transfert déclenché, certains programmes seront confiés au gouvernement territorial. Je pense qu'à partir de ce moment-là, nous travaillerons avec le gouvernement territorial et non pas avec le gouvernement territorial et avec le gouvernement fédéral. Nous espérons pouvoir travailler de concert au règlement de ces questions, notamment celle de l'analyse sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre.

Le sénateur Spivak: Quelles sont les dispositions concernant l'exploitation des ressources? L'espoir est une chose merveilleuse mais d'après ce que j'ai vu du transfert des pouvoirs dans ma propre province, le Manitoba, la réalité est bien triste.

M. Taylor: Ça ne fait que trois ans qu'ils ont commencé à produire des documents de plus de quatre pages. Le gouvernement du Yukon ne s'est pas contenté de faire main basse sur les fonctionnaires fédéraux, les spécialistes de la forêt, mais il a également l'intention d'adopter par renvoi les dispositions législatives fédérales parce que cela prendrait autrement trop de temps à adopter ces textes. Nous allons donc devoir appliquer les mêmes lois pendant une période indéterminée et travailler avec les mêmes fonctionnaires.

Le président: Avant de donner la parole au sénateur Adams, j'aurais aimé poser une autre question sur l'aspect juridique de cette question. Le territoire des Tlingits n'est pas une réserve, n'est-ce pas? Je crois comprendre que le Yukon et les Tlingits administrent conjointement les terres en question; est-ce bien cela? Y a-t-il une limite ou un point à partir duquel vous arrivez dans le territoire de Old Crow au Nord ou quelque chose du genre? Le Conseil des Tlingits de Teslin est-il limité à une certaine zone d'influence?

M. Taylor: Oui. Nous sommes en fait limités à notre territoire traditionnel qui comprend près de 16 000 kilomètres carrés. En plus de cela, nous possédons des pouvoirs, aux termes de la Loi sur la faune, sur les personnes qui chassent dans l'ensemble du territoire. Les dispositions sur les terres et les ressources nous donnent des pouvoirs sur les terres visées par le règlement, qui représentent 937 milles carrées de ce territoire.

Sur les terres visées par le règlement, nous exerçons un contrôle sur les ressources forestières. Les anciens ne pensent pas que leur rôle s'arrête à la ligne de levé. Ce qui risque par contre de se produire si la situation ne change pas, c'est qu'il y aura des petits îlots verts sur les terres visées par le règlement et des secteurs moins verts ailleurs.

Le président: Le plafond annuel de 89 000 mètres cubes ne concerne pas uniquement les terres visées par le règlement, mais les terres publiques. Ces terres appartiennent-elles uniquement au Yukon ou en partie à la Colombie-Britannique?

M. Taylor: Uniquement au Yukon.

Le sénateur Adams: Vous nous avez dit que les coupes à blanc avaient un effet sur la culture des autochtones. Vous avez parlé de piégeage en particulier. Les coupes à blanc vont-elles avoir des répercussions sur le revenu des trappeurs et des chasseurs?

Mme Warrington: Je ne sais pas du tout combien gagnent les trappeurs. Je pense que leurs revenus varient. Je crois que, dans l'ensemble, les trappeurs obtiennent d'assez bons résultats de nos jours. Cependant, si on exploite nos forêts, cela risque d'avoir de graves répercussions sur le revenu des trappeurs. Cela nous préoccupe beaucoup parce que notre territoire traditionnel est sillonné par les lignes de piégeage des trappeurs dont au moins 70 p. 100 sont des Tlingits de Teslin. Si l'on exploite cette forêt, cela va avoir des répercussions sur leur revenu.

Le sénateur Adams: Sont-ce des résidents locaux ou des gens de l'extérieur qui vont obtenir les emplois créés par ces activités forestières?

Mme Warrington: Je crois que ce sont les personnes intéressées qui ont exercé leurs activités dans la partie sud-est du Yukon, dans le district de Watson Lake, qui vont en bénéficier. Les forêts de la partie sud-est du Yukon disparaissent lentement mais sûrement. Je suis certaine que tout le monde ici est au courant de la pénurie de bois d'oeuvre qui existe en Colombie-Britannique. Il y a un bon nombre d'entrepreneurs forestiers de la Colombie-Britannique qui ont obtenu des permis de coupe pour la partie sud du Yukon. Maintenant que les ressources forestières du sud-est du Yukon s'épuisent, certains entrepreneurs remontent la route de l'Alaska. Le premier endroit où ils peuvent s'arrêter sur la route de l'Alaska est en fait notre territoire traditionnel.

Le sénateur Adams: N'y a-t-il pas un règlement qui prévoit que les coupes à blanc ne peuvent se faire qu'à une certaine époque de l'année? Dans l'Arctique, on ne fait pas beaucoup d'exploration pendant l'été parce que cela abîme les sols. Le seul moment où il est permis de faire du forage, c'est en hiver. Les coupes à blanc devraient être réglementées de la même façon.

Mme Warrington: Au Yukon, la coupe de bois s'effectue pendant l'hiver. Je ne pense pas qu'on ait coupé du bois en été ces dernières années. Au Yukon, il y a des entrepreneurs qui demandent que l'on étende la période de coupe aux mois d'été. Je pense que les Premières nations, la Yukon Conservation Society et les autres ONG du Yukon vont se saisir de cette question. Je ne pense pas que l'on autorise la coupe de bois en été parce que la forêt boréale du Yukon est un environnement très fragile.

Le sénateur Adams: Monsieur Taylor, vous avez parlé de reboisement. Quelles sont les espèces d'arbres que l'on plante?

M. Taylor: À Whitehorse, il y a une pépinière qui fournit de l'épinette. On plante principalement de l'épinette et du pin. Dans ces forêts, on replante principalement les espèces que l'on coupe. Lorsque l'on coupe de l'épinette, c'est l'épinette qui veut repousser, toutefois, après que le tremble soit revenu. Lorsque l'on coupe du pin, les sols conviennent mieux à cet arbre et ce sont les pins qui repoussent.

Ils ont effectivement essayé de planter de l'épinette dans les zones qui ont été coupées à blanc au lieu de laisser d'abord repousser le tremble mais cela ne donne pas de très bons résultats. Ces plants sont d'assez bonne qualité. En fait, cette pépinière en exporte en Norvège et en Finlande, des pays qui se trouvent à peu près à la même latitude. C'est une source d'approvisionnement acceptable mais j'aimerais tout de même que l'on ne pratique pas la coupe à blanc pour que la question de la régénération ne se pose pas.

Le sénateur Adams: Est-ce qu'on connaît en Finlande des températures aussi basses que 70 degrés sous zéro ou est-ce que cela ne se produit qu'au Yukon?

M. Taylor: Je ne pense pas qu'il fasse aussi froid dans ce pays.

Le sénateur Robichaud: Quel est le taux de chômage dans le secteur dont vous parlez et pour lequel on a proposé une possibilité annuelle de coupe de 89 000 mètres cubes? Ce taux risque d'influencer les personnes chargées de fixer le cubage autorisé à cause des emplois que cela va créer. Est-ce que cela représente un facteur qui influence beaucoup la décision d'autoriser certaines activités dans le secteur ou est-ce que cela ne joue pas du tout?

M. Taylor: C'est effectivement un facteur et nous ne l'oublions jamais. À Teslin, le chômage varie entre peut-être 30 p. 100 en été et 70 p. 100 en hiver. Encore faut-il savoir qui serait embauché. Si c'est la Yukon River Timber qui exploite la forêt, elle pourrait employer peut-être jusqu'à 24 personnes. Si ces personnes ne suffisent pas, il faudra demander à des gens de l'extérieur de venir travailler dans notre région. Ces emplois supplémentaires n'iront pas aux résidents de Teslin. Les entreprises de Watson Lake amèneront alors leurs propres équipes. Cela n'aura pas pour effet de donner du travail aux résidents de Teslin à l'heure actuelle mais c'est tout de même un argument dont se sert le gouvernement.

Le sénateur Robichaud: Pour les gens qui recherchent un travail, c'est un argument que vous êtes obligé de prendre en considération parce que ces personnes ont des besoins et qu'il y a des ressources. Si l'on réduit trop le cubage autorisé, on risque d'en arriver à un point où il ne sera pas rentable de construire les routes et l'infrastructure nécessaires, cela influence donc énormément les personnes chargées de prendre ces décisions. Comment concilier tout cela?

M. Taylor: Pour l'équipe de gestion du Conseil tribal des Tlingits de Teslin, l'objectif visé est l'exploitation durable. Plus précisément, une exploitation durable de la forêt et non pas une exploitation durable du bois. Si un cubage de 20 000 mètres cubes est compatible avec une exploitation durable de la forêt, alors c'est le chiffre qu'il faut retenir. Ce pourrait être 40 000 ou 60 000 mais nous ne disposons d'aucune indication montrant que cela représente un rythme d'exploitation que l'on peut maintenir. Les études et les données qui permettraient de justifier ces chiffres n'existent pas. J'ai travaillé à Teslin avec les Ressources forestières et j'ai également travaillé avec la bande de Teslin. J'ai également travaillé dans différentes régions de la Colombie-Britannique. Le plafond devrait probablement s'établir autour de 30 000 à 35 000 mètres cubes pour tout ce secteur. Nous avons beaucoup étudié cette question. Les spécialistes nous disent que le chiffre proposé par le gouvernement est deux fois trop élevé.

Le sénateur Robichaud: Dans quel délai pensez-vous que l'on pourrait obtenir tous les renseignements permettant de prendre une décision éclairée au sujet de la possibilité annuelle de coupe?

M. Taylor: Nous parlons ici de deux ou trois ans. Cela dépend en partie de la décision de Parcs Canada, parce que si le ministère décide d'aller de l'avant, il va inclure une étude des possibilités forestières dans son étude générale du secteur concerné.

Le président: Vous avez parlé de parcs. Parlez-vous d'un parc national qui engloberait une partie du territoire traditionnel des Tlingits de Teslin?

M. Taylor: D'un parc national, oui.

Le président: Je suis membre d'un autre comité. Nous avons créé un parc en grande partie parce que de nombreux autochtones le demandaient. Des géologues brillants, non autochtones sont venus dire «Savez-vous qu'on pourrait peut-être exploiter une importante mine de cuivre dans ce secteur?» Maintenant, on parle de modifier les limites du parc.

Sachant qu'il ne sera sans doute pas possible d'exploiter le bois dans le parc national, vous allez peut-être vous heurter à un autre obstacle, à savoir, que le ministère va interdire à tout le monde de couper du bois. Avez-vous réfléchi à cela?

M. Taylor: Oui. Ce secteur a un potentiel forestier très limité. C'est une autre question au sujet de laquelle nous ne sommes pas d'accord avec Ressources forestières. Il y a beaucoup de secteurs en vert foncé sur la carte du ministère dans un secteur qui a brûlé depuis que le ministère a préparé cette carte.

Le président: Ce n'est pas un problème. S'ils n'ont que 20 ans de retard, ils se débrouillent très bien.

M. Taylor: L'exploration minière est une autre question qui nous préoccupe, en particulier dans la partie sud-est de la zone étudiée. Cela peut influencer l'établissement des limites.

Le sénateur Robichaud: Nous avons entendu la semaine dernière des témoins qui déploraient le fait que nous luttons contre tous les incendies de forêt, parce qu'une telle attitude a un effet négatif sur la forêt elle-même. Cela ne lui permet pas de se régénérer et de retrouver son état naturel. Que pensez-vous de cela? S'il y avait un incendie dans votre secteur, est-ce que vous essaieriez de l'éteindre?

M. Taylor: Je ne veux pas aborder la question des incendies.

Le sénateur Robichaud: Je vais ranger mes allumettes alors.

M. Taylor: L'opinion est divisée au sujet des incendies. C'est un peu comme la question de l'avortement. Cela dépend. Cette réponse vous satisfait-elle?

La nature sait ce qu'elle fait avec les incendies. Lorsque la foudre déclenche un incendie, celui-ci se propage sur une certaine superficie et il y a ensuite la pluie et des averses et le reste. Lorsqu'il ne pleut pas pendant trois semaines, ce n'est pas la foudre qui déclenche un incendie. C'est dans ce genre de situations que se produisent des incendies causés par l'homme et ces incendies prennent des proportions considérables. Cela dépend de l'origine de l'incendie, de son emplacement et des espèces d'arbres.

On vient de terminer un rapport complet sur cette question au Yukon. J'approuve l'essentiel de cette étude. Le rapport signale que chaque fois que nous réussissons à lutter contre les incendies, cela nous rapproche d'un incendie catastrophique parce que la forêt boréale a besoin des incendies. Lorsqu'il n'y a pas d'incendie, il faut prendre d'autres mesures, soit couper des arbres, parce que la forêt va brûler un jour ou l'autre. Nous analysons maintenant la situation en terme de zones de repli plutôt que de zones d'intervention. Lorsqu'un incendie se déclare dans un certain secteur et dans certaines conditions, nous le laissons se propager jusqu'à ce qu'il atteigne un certain endroit avant d'envisager de faire quelque chose, parce que cela représente des millions de dollars. Les incendies s'arrêtent d'eux-mêmes de toute façon. Il faut tenir compte davantage des aspects écologiques et de la façon dont les incendies évoluent. Il faut lutter contre certains incendies et en laisser brûler d'autres. Voilà la réponse.

Le sénateur Robichaud: Vous avez parlé de forêt modèle. Existe-t-elle à l'heure actuelle? Est-ce que vous pratiquez des coupes sélectives dans cette forêt à l'heure actuelle?

Mme Warrington: Oui. La forêt modèle est une initiative conjointe de Ressources forestières et du Conseil des Tlingits de Teslin. C'est au printemps dernier que les arbres ont été coupés. Ce n'est pas encore tout à fait terminé. On doit encore couper 1 000 mètres cubes de bois dans cette forêt pour terminer le travail.

Nous voulions démontrer comment l'on pouvait utiliser les méthodes de coupe sélective. Toutes les personnes intéressées peuvent visiter la forêt modèle. Nous espérons que les entrepreneurs forestiers qui pratiquent la coupe à blanc vont venir voir l'effet de ces méthodes en visitant la forêt modèle et qu'ils adopteront des méthodes de coupe sélective au lieu de la coupe à blanc.

Le sénateur Robichaud: Il y a quelques semaines, nous avons vu au Nouveau-Brunswick une démonstration d'une machine qui faisait de la coupe sélective mais de façon très efficace. Elle coupait un sapin adulte en laissant les épinettes continuer à pousser. Cela donne de l'ombre pour que les jeunes plants puissent croître. Cela paraît être une bonne méthode, en ce sens que la machine coupait les arbres adultes en laissant les autres croître et en conservant de l'ombre pour le reste de la végétation. Utilisez-vous des machines pour couper les arbres?

Mme Warrington: Oui. C'est une Wolverine. Nous avons utilisé des tronçonneuses dans certains peuplements mais la plupart des arbres ont été coupés avec cette machine. Cette méthode abîme très peu les sites. Comme je l'ai dit, nous sommes très fiers de cette forêt modèle. C'est une initiative conjointe du gouvernement fédéral et du Conseil des Tlingits de Teslin. Nous réussissons parfois à travailler ensemble.

Le sénateur Robichaud: C'est une excellente chose d'avoir ce genre d'exemple pour comparer avec la coupe à blanc, en particulier lorsque c'est quelqu'un qui connaît la question et vous explique ce qui se fait.

J'espère qu'avec votre projet pilote, vous réussirez à convaincre les gens que la coupe à blanc n'est pas la meilleure solution.

Mme Warrington: Oui. Pour la saison 1998-1999, on a prévu de réduire le cubage du bois coupé. Ressources forestières parle de 89 000 mètres cubes et nous essayons de lui faire accepter de ramener cette quantité à 16 000 mètres cubes. Le Conseil tribal des Tlingits de Teslin a mis sur pied un comité directeur des activités forestières qui comprend des membres de la collectivité et le Conseil des Tlingits de Teslin. Ressources forestières a préparé ce qu'elle appelle un rapport d'état de la ressource. Ce rapport décrit les secteurs qui vont être exploités. Nous avons présenté des commentaires au sujet de ce rapport. Nous avons demandé, à titre de comité directeur des activités forestières, que les activités de coupe exercées dans notre territoire traditionnel soient conformes à la méthode de coupe sélective appliquée à la forêt modèle.

Mme Higgins: J'aimerais citer d'autres chiffres aux membres du comité.

Lundi, je vais participer à l'examen de l'approvisionnement en bois d'oeuvre pour la région de Kamloops. Il y a environ un mois, Forest Renewal B.C. a publié un chiffre annuel 7 millions de mètres cubes pour notre secteur. Je vous parle de cela parce que j'aimerais aborder la question qu'a soulevée le sénateur lorsqu'il a demandé: Dans quel délai pensez-vous pouvoir obtenir les renseignements dont vous avez besoin?

Le 8 octobre, le conseil d'administration de Forest Renewal B.C. a décidé que les études concernant les utilisations traditionnelles ne faisaient plus partie de son mandat, et que par conséquent, il ne les financerait plus. Les collectivités des Premières nations n'ont plus les moyens de recueillir les renseignements nécessaires. Nous n'avons pas conclu de traité et nous n'avons donc pas accès à des fonds qui permettraient de financer ces inventaires de base. C'est un grave problème pour nous. Nous ne pouvons pas examiner ces questions. Nous n'avons pas les renseignements dont nous avons besoin pour prendre des décisions éclairées.

J'ai participé à cet examen de l'approvisionnement en bois d'oeuvre qui va permettre de déterminer la quantité de bois que l'on peut exploiter dans le district forestier de Kamloops. Le gouvernement a accordé un financement, dont il a lui-même fixé le montant et la durée. D'autres études sur les utilisations et les connaissances traditionnelles vont coûter des centaines de milliers de dollars. L'accord tripartite du parc Algonquin et du lac Barrier accordait aux collectivités des montants allant de 300 000 $ à 500 000 $ pour effectuer ces études. Cela remonte à deux ans, à l'heure actuelle ce chiffre est tombé à 311 000 $, lorsqu'elles arrivent à obtenir ce montant.

Le gouvernement réduit ces sommes mais il fixe les délais. Il finance uniquement les recherches qui permettent d'obtenir les renseignements dont il a besoin. Nous ne recherchons pas ces données pour les mêmes raisons que lui. Nous ne lui transmettons pas tous les renseignements que nous obtenons parce qu'il s'agit souvent de renseignements très délicats sur le plan culturel.

Nous n'avons pas accès aux ressources ou aux données dont nous avons besoin pour prendre des décisions éclairées. Nous avons entendu dire que l'on avait coupé ans ce secteur 7 millions de mètres cubes environ et les entreprises forestières se moquent de ce chiffre. C'est le chiffre qui a été établi par le conseil d'administration de Forest Renewal.

Le sénateur Adams: J'ai beaucoup entendu parler des champignons qui poussent dans les secteurs où il y a eu des feux de forêt. Savez-vous où poussent ces champignons? Est-ce qu'ils poussent près des collectivités du Yukon? Combien de temps faut-il attendre pour pouvoir vendre ces champignons sauvages qui poussent dans le Yukon? Est-ce qu'ils poussent uniquement dans cette région? Ces champignons se vendent très cher et ils offrent peut-être un intérêt économique.

Mme Warrington: Comme vous le savez sans doute, 350 000 hectares de forêt ont brûlé au Yukon cet été. Je crois que ces champignons vont pousser dans les secteurs brûlés l'année prochaine. Je ne sais pas s'ils repoussent l'année suivante également. Il y a une Première nation qui a utilisé à son avantage un incendie qui avait sévi près de Burwash. Les membres de cette Première nation ont ramassé tous ces champignons et les ont vendus, mais je crois qu'ils ont tout juste couvert leurs frais.

Au Yukon, la plupart des incendies ne touchent pas notre territoire traditionnel de sorte que nous ne sommes pas en mesure de profiter réellement de cette possibilité.

Le sénateur Adams: Nous parlons de terres fédérales. Est-ce que n'importe qui peut venir ramasser ces champignons? Cette activité est-elle réglementée?

Mme Warrington: Sur les terres visées par un règlement, nous avons la priorité. Nous avons conclu un accord définitif. S'il y avait un incendie sur les terres visées par le règlement, nous aurions la priorité. Nous aurions également la priorité sur notre territoire traditionnel.

Le président: Soixante pour cent du bois d'oeuvre doit demeurer au Yukon; on ne peut en exporter que 40 p. 100. Vous êtes donc obligé d'utiliser 60 p. 100 de ce bois. Comment l'utilisez-vous?

M. Taylor: Une précision, il faut transformer 60 p. 100 du bois avant de pouvoir l'exporter.

Le président: Cela pourrait être une transformation très sommaire. Avez-vous essayé de créer des emplois en ajoutant de la valeur à ce bois, notamment par la fabrication de meubles?

M. Taylor: Yukon River Timber n'a guère de débouchés. Les producteurs examinent différentes possibilités. Ils vendent des maisons en rondins à assembler avec du bois usiné et bouveté. Ils en ont vendu quelques-unes. C'est là que vont être leurs débouchés parce que pour les planches, il faut un séchoir. Ils ne peuvent concurrencer le bois d'oeuvre séché au séchoir qui vient du sud. Ils utilisent soit des matériaux de récupération soit du bois rond.

Le sénateur Spivak: Je m'intéresse à l'utilisation que l'on fait des herbicides. Lorsque nous étions au Québec, nous avons appris que le gouvernement allait interdire complètement l'utilisation des herbicides en l'an 2000. Leur usage sera complètement interdit. Au cours de nos déplacements, nous avons également constaté que la végétation arbustive et herbacée repoussait. Je n'ai pas remarqué que dans les limites que vous proposez vous ayez inclus l'interdiction des herbicides.

Avant d'écouter vos commentaires j'aimerais dire ce que je pense du problème de l'emploi par opposition au développement durable. Il me semble que chaque fois que l'on a utilisé cet argument, cela a été catastrophique. La pêche à la morue est un excellent exemple de ce qui se passe lorsqu'on prend des décisions dans le seul but de créer des emplois. Aujourd'hui, il n'y a plus d'emploi, il n'y a plus de poisson et nous avons épuisé une ressource d'une grande valeur. Cela me semble être une question de connaissances.

Cela ne fait pas très longtemps que l'on peut parler de la science de la foresterie durable. Les gens ne connaissent pas très bien ce domaine. Les entreprises forestières commencent tout juste à essayer de savoir ce que veut dire une exploitation forestière écologique. Certaines le font sincèrement et d'autres à titre d'opération de relations publiques. Cette évolution a pris des millions d'années. Il me paraît stupide de penser que l'on peut apprendre du jour au lendemain ce qu'il faut faire.

Que pensez-vous des herbicides, en particulier pour votre forêt modèle?

Mme Warrington: À ma connaissance, on n'a pas utilisé d'herbicides au Yukon, depuis que l'on a effectué les coupes il y a des années pour marquer la frontière entre le Yukon et la Colombie-Britannique. Je ne suis pas sûre qu'on ait utilisé des herbicides dans la partie sud-est du Yukon. Je sais que dans notre territoire traditionnel, nous n'avons pas utilisé d'herbicides. Si quelqu'un voulait utiliser des herbicides sur les terres visées par le règlement, il devrait d'abord demander la permission du Conseil tribal des Tlingits de Teslin.

Le sénateur Spivak: Excellent.

Mme Warrington: Je dirais que l'on utilise probablement les herbicides dans le sud-est du Yukon si cela est autorisé, parce qu'on y fait du reboisement et qu'on utilise toujours des herbicides ou des pesticides pour détruire la végétation qui gêne la croissance des jeunes plants. Je n'en suis pas certaine. Nous allons devoir vérifier cela.

Le sénateur Spivak: Il me semble que l'on obtient d'excellents résultats au Québec en matière de régénération de la forêt sans utiliser d'herbicides. Je sais que cela est possible. C'est tout ce que je voulais dire.

Mme Warrington: Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Robichaud: Lorsque j'ai parlé du taux de chômage, je ne proposais pas d'utiliser les ressources à des fins sociales. Je disais uniquement que, dans certaines situations, ce facteur influence énormément les décideurs. Pour prendre une bonne décision, il faut disposer de données exactes et avoir les moyens de communiquer avec les personnes concernées.

C'est ce qui se passe lorsqu'il s'agit de ressources et qu'il faut fixer le nombre de prises ou le volume du bois coupé. C'est cela que je voulais dire.

Mme Higgins: J'aimerais faire un commentaire. J'aimerais vous donner une idée de ce qui se passe en Colombie-Britannique. J'aime beaucoup l'idée d'utiliser les ressources à des fins sociales. Je vais vous donner un cas où cela s'est fait. L'année dernière, en Colombie-Britannique, il était prévu, selon Forest Renewal, que les recettes provenant des droits de coupe devaient être réinvesties dans l'aménagement des terres. Le conseil d'administration a décidé que lorsqu'il finançait un projet, 45 p. 100 des emplois devaient être créés dans le domaine de la sylviculture. Cette règle était tout à fait inapplicable à l'intérieur de la province. Ce modèle avait été établi pour les régions côtières mais on l'a imposé à l'intérieur des terres, où l'on ne fait pas beaucoup de sylviculture. Il y avait des équipes sur le terrain. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a exigé que l'on applique ce pourcentage. Les titulaires de permis devaient assumer les frais et c'est ce qu'ils ont fait.

La sylviculture n'est pas une méthode d'exploitation durable. Il y a de plus en plus d'études qui le démontrent. Il était ridicule d'appliquer cette méthode à l'intérieur des terres où la croissance est très lente.

Le sénateur Adams: Le Yukon aborde la question des terres publiques un peu différemment, n'est-ce pas?

Mme Warrington: J'aimerais préciser que nous sommes intervenus au nom du Conseil des Tlingits de Teslin et que le principal problème est l'analyse sur l'approvisionnement en bois d'oeuvre.

Le président: Merci beaucoup pour vos remarques très éclairantes.

La séance est levée.


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