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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la
Forêt boréale

Fascicule 17 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 2 décembre 1998

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 heures afin de poursuivre son étude sur l'état actuel et futur de la foresterie au Canada en ce qui concerne la forêt boréale.

Le sénateur Spivak (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente: Bienvenue à tous les représentants. Nous accueillons comme témoins M. Claude Langlois, M. Luc Bouthillier et M. Denis Bernatchez.

M. Claude Langlois, président du comité consultatif pour l'environnement de la Baie de James: Madame la présidente, je veux d'abord vous remercier d'avoir invité le comité consultatif de l'environnement de la Baie de James à comparaître devant vous et vos collègues sénateurs, membres du sous-comité sur la forêt boréale.

Nous avons déposé auprès du greffier de votre sous-comité un texte qui résume l'essentiel de la présentation que nous vous faisons et nous serons heureux de répondre aux questions des membres de votre sous-comité. Notre présentation portera essentiellement sur trois aspects. En tant que président du comité, je vous présenterai brièvement l'historique, les rôles et les responsabilités du comité, de même qu'un bref aperçu des principaux enjeux.

M. Luc Bouthillier vous présentera ensuite les efforts qui ont été faits au cours des dernières années et les réflexions du comité en matière de gestion forestière durable dans le territoire de la Baie de James, de même que les initiatives récentes du comité en matière de développement, de critères et d'indicateurs de gestion forestière.

M. Roméo Saganash devait nous accompagner. C'est un représentant de la partie crie. Il a préparé la troisième partie du texte que nous vous avons remis. M. Bouthillier présentera le texte qui avait été préparé par M. Saganash portant sur les préoccupations du comité eut égard au statut particulier du territoire de la Baie de James, qui est occupé et utilisé en majeure partie par les Cris de la Baie de James.

Le comité consultatif pour l'environnement de la Baie de James est un organisme qui a été constitué en 1978 en vertu de la Convention de la Baie de James et du Nord québécois, qui a été signée en 1975 par les gouvernements du Québec et du Canada et par les Cris de la Baie de James.

Le comité est composé de 13 membres, dont quatre membres nommés par l'administration régionale crie, quatre membres nommés par le gouvernement du Canada, quatre membres nommés par le gouvernement du Québec et un membre d'office qui est le président du comité conjoint chasse, pêche et trappage.

Le comité a pour fonction d'étudier et de surveiller l'administration et la gestion du régime de protection de l'environnement et du milieu social tel qu'institué par le chapitre 22 de la Convention de la Baie de James et du Nord québécois pour l'ensemble du territoire de la Baie James.

Une carte en annexe du document que nous vous avons remis montre les limites du territoire délimité en vertu de la convention. Ce territoire inclut la région du Québec qui est située au sud du 55e parallèle, à l'ouest du 69e méridien et dont la limite méridionale coïncide avec la limite sud des lots de trappage des Cris.

Le comité consultatif de l'environnement de la Baie de James agit à titre de conseiller auprès des gouvernements du Québec et du Canada, de l'administration régionale crie, des conseils de bande des villages cris, du Conseil régional de la Radissonie ou des municipalités du territoire de l'ensemble des instances gouvernementales sur le territoire, il agit à titre de conseiller pour l'élaboration des lois et règlements concernant l'environnement et le milieu social du territoire et fait un certain nombre de recommandations.

Ces recommandation portent sur l'adoption de projets de lois ou de projets de règlements, sur des modifications à apporter aux lois et règlements existants en matière d'environnement et de milieu social, sur des modifications aux règlements et à la procédure d'utilisation des terres qui peuvent influer directement sur les droits des autochtones ou encore sur les mécanismes et les processus d'évaluation et d'examen des répercussions sur l'environnement et le milieu social s'appliquant sur le territoire de la Baie de James.

Dans l'élaboration de ces avis et de ces recommandations au gouvernement responsable, le comité doit s'appuyer sur des principes directeurs. Ces principes sont notamment la protection des droits de chasse, de pêche et de trappage des autochtones sur l'ensemble du territoire, le régime de protection de l'environnement et du milieu social pour ce qui est de réduire le plus possible les répercussions sur les autochtones des activités de développement à l'intérieur du territoire, la protection des autochtones, de leurs communautés et de leur économie, la protection des ressources fauniques, du milieu physique et biologique et des écosystèmes, les droits et garanties des autochtones dans les terres telles que classifiées en vertu de la convention, la participation des Cris à l'application de ce régime, les droits et les intérêts, quels qu'ils soient, des non-autochtones habitant le territoire, le droit de mener des projets de développement dans le territoire et, enfin, la réduction des répercussions sur les autochtones et les communautés autochtones. C'était l'ensemble des principes directeurs du comité dans l'administration et la surveillance du régime de protection de l'environnement.

En matière d'exploitation forestière, au cours des dernières années, la problématique de l'exploitation forestière sur le territoire de la Baie de James a été au centre des préoccupations du comité. Le chapitre 22 de la convention prévoit que le ministère québécois responsable doit faire parvenir au comité le plan d'aménagement et d'exploitation des forêts du domaine public situées dans le territoire. Le comité doit alors étudier et commenter ces plans dans un délai de 90 jours avant leur approbation par le ministre des Ressources naturelles du Québec.

Chaque année, les compagnies forestières coupent environ 500 km2 de forêt sur les territoires de chasse familiaux des Cris appelés «lots de trappage». Le réseau de routes forestières pénètre de plus en plus dans le territoire, donnant un accès de plus en plus grand aux non-autochtones pour la chasse et la pêche.

Actuellement, l'exploitation forestière sur le territoire de la Baie de James est sans contredit l'une des activités ayant le plus d'effets sur le mode de vie des Cris.

Il faut noter que l'exploitation forestière sur le territoire est soustraite au processus d'évaluation environnementale lorsqu'elle fait partie de plans de gestion approuvés par le gouvernement après leur soumission à notre comité. L'étape de révision par le comité consultatif pour l'environnement de la Baie de James des plans généraux et quinquennaux d'aménagement forestier est une étape cruciale permettant de porter un jugement sur les conséquences environnementales et sociales des activités forestières pour les habitants et utilisateurs du territoire de la Baie de James. Les informations transmises par les corporations forestières sont trop souvent incomplètes et le comité, par le passé, n'a jamais été en mesure de commenter les plans d'aménagement d'une manière qui permette d'atteindre les objectifs de la convention.

Pour remédier à cette situation, le comité a préparé une directive intérimaire pour la soumission des plans d'aménagement qui énumère tous les éléments et renseignements particuliers qui doivent faire partie d'un plan d'aménagement. Les informations demandées incluent les liens entre le plan proposé et certains espaces significatifs pour les Cris, tels les camps de chasse et de pêche, les ravages d'animaux et les lieux sacrés.

Dans la perspective de l'évaluation prochaine d'une nouvelle génération de plans généraux d'aménagement forestier, le comité et son sous-comité sur la foresterie ont entamé un processus de réflexion pour développer une approche de gestion forestière durable pour l'ensemble du territoire de la Baie de James. Ce processus a mené à l'élaboration d'une proposition pour une première ébauche pour la gestion forestière durable dans le territoire de la Baie de James. Cette ébauche est présentement examinée conjointement par le ministère des Ressources naturelles pour définir les conditions de son application pour l'exercice de planification en cours par les corporations forestières. Le comité s'est également penché sur le projet du gouvernement du Québec de mise à jour du régime forestier québécois et de la Loi sur les forêts. Le comité déplore notamment que ce projet ne prenne nullement en considération les conditions particulières qui doivent s'appliquer à tout développement dans le territoire de la Baie de James, y compris l'exploitation forestière. Le régime de protection de l'environnement et du milieu social applicable dans le territoire accorde aux Cris, lorsque c'est nécessaire pour protéger les droits des autochtones, un statut particulier et une participation spéciale plus grande que celle normalement prévue pour le grand public. Cela est prévu à l'intérieur de la Convention de la Baie de James et du Nord québécois. Après 23 ans d'existence de la Convention de la Baie de James et du Nord québécois, le comité est d'avis qu'une révision des modalités s'impose. La révision du chapitre 22 de la convention a été amorcée par le comité, compte tenu notamment de la désuétude de la procédure d'évaluation environnementale en vigueur en vertu de la convention.

M. Luc Bouthillier, faculté de foresterie et de géomatique, Université Laval: Comme vous êtes à la toute fin de votre enquête et que le rapport va être déposé incessamment, j'imagine que vous avez plus de questions à poser. J'irai donc très rapidement dans mon texte.

La vice-présidente: Je voudrais vous corriger. Le rapport doit être déposé avant le 30 juin. Nous avons beaucoup de temps.

M. Bouthillier: J'ai été mal informé, on m'avait dit le 13 décembre. Ma présentation devait porter sur le développement durable en foresterie. Si vous avez lu le texte, vous avez probablement constaté qu'en aucun moment, je n'utilise cette expression pour une raison très simple. L'expression «développement durable» est devenue une espèce de «buzz word». Bien que ce soit une expression un peu galvaudée, cela traduit une chose importante, à tout le moins en foresterie. Chaque fois que je parle d'aménagement écosystémique, c'est ma façon de parler de développement durable. Le territoire de la Baie de James, sous la Convention de la Baie de James, est représentatif de la problématique de la forêt boréale au nord du 55e parallèle, à peu près partout au Canada. J'enseigne la politique forestière à l'Université Laval. J'ai été nommé au CCEBJ comme représentant du Québec. Je témoigne devant vous en tant qu'universitaire spécialisé en politique forestière. J'ai l'impression que le cas de la Baie de James est riche d'expériences valables à la grandeur du Canada.

Quel enseignement porte le cas de la Baie de James? Il est extrêmement intéressant de s'apercevoir que le territoire de la Baie de James est un vaste territoire forestier de 5,2 millions d'hectares. Lorsqu'on sait qu'un hectare représente l'équivalent d'un terrain de football, il s'agit d'un très gros territoire qui comporte de très vieilles forêts pouvant se comparer à ce qu'on appelle les «Old growth» sur la côte du Pacifique, mais c'est beaucoup moins spectaculaire. Quand on veut intervenir, cela nous pousse à envisager des stratégies d'environnement qui se comparent à ce qu'on pourrait faire sur la côte Ouest. Cette espèce d'idées invite à faire une foresterie différente de celle que nous avons en ce moment, fondée sur le régime de perturbation naturelle.

Pratiquer un aménagement écosystémique consisterait à organiser la récolte forestière de façon à imiter les perturbations naturelles. Vous avez certainement déjà entendu parler de cette chose. À cet égard, dans la forêt boréale, les perturbations naturelles qui nous intéressent sont les incendies. Le comité est heureux d'exposer au sous-comité sénatorial une carte exprimant le régime de perturbations naturelles affectant le territoire de la Baie de James et l'intensité des coupes forestières. Il y a un certain nombre de comparaisons intéressantes.

Le territoire forestier de la Baie de James est un vaste territoire avec une forêt ayant des caractéristiques pouvant nous amener à penser que ce sont des forêts «longévives». Contrairement aux «Old growth» conventionnels, ce sont des forêts composées de très petits arbres qui poussent lentement. En général, nous retrouvons très peu souvent plus de 100 m3/hc.

La vice-présidente: Je ne peux pas envisager la grandeur de cet espace.

M. Bouthillier: Ce sont des arbres qui mesurent à peu près 10 mètres. Sur ce territoire, lorsqu'un arbre atteint cette hauteur, il s'agit d'un gros arbre alors que sur la côte Ouest, on peut facilement parler de 90 mètres.

Compte tenu de l'étendue du territoire, même si ce sont de petits arbres qui poussent lentement, il y a beaucoup de bois. Ce qui fait l'intérêt de ces forêts boréales, après plus d'un siècle de foresterie au Canada, c'est que l'on constate une rareté du bois et que la forêt est perçue comme étant une réserve de bois. Lorsque nous parlons d'aménagement écosystémique, il faut attirer l'attention sur le fait que cela prend des pratiques forestières différentes de celles du sud. Il faut surtout dire que ce ne sont pas seulement des réserves de bois et qu'il y a d'autres valeurs, en l'occurrence, sur le territoire régi par la Convention de la Baie de James.

Ces autres valeurs sont exprimées par la présence de la communauté crie. C'est comme cela à la grandeur du Canada. Vous avez 88 p. 100 des communautés autochtones qui vivent en forêt boréale au Canada. C'est pourquoi je vous dis que ce qui se passe dans le territoire de la convention est un excellent laboratoire pour comprendre la réalité de la forêt boréale.

Cette forêt généralement perçue comme un vaste tas de bois est un milieu essentiel, le fondement identitaire de la nation crie. En plus de contribuer à l'identité autochtone, un Cri notamment, c'est aussi le lieu qui fournit les conditions matérielles permettant l'existence de l'économie traditionnelle crie. Sans forêt, non seulement les Cris perdent leur identité mais aussi les moyens de vivre de cette économie de subsistance. Si les valeur cries ne sont pas considérées dans la gestion écosystémique de cette forêt boréale, les Cris vont perdre l'élément essentiel pour développer un projet prétendant à une certaine modernité.

Vous savez que dans les communautés autochtones, où on a le plus haut taux d'accroissement de la population, il est clair que l'économie de subsistance ne parviendra pas à satisfaire aux besoins de ces gens. Si ces gens veulent prendre le virage de la modernité, ils devront faire de la foresterie. Cela nous invite à repenser la foresterie que l'on pratique avec nos valeurs du sud.

J'aimerais aussi attirer l'attention du comité sur le renouvellement, par le gouvernement du Québec, de sa politique forestière. Il démontre beaucoup d'intérêt à l'égard de la perception suivante: la forêt doit être perçue comme un patrimoine qui doit être géré pour le bénéfice de tous pour assurer aux générations actuelles et futures des perspectives encourageantes aux plans social, culturel et économique. C'est une intention très généreuse.

Quand on regarde les moyens, on s'aperçoit que ce qui compte, c'est d'assurer la disponibilité des plus gros approvisionnements possibles de matière ligneuse sur la période la plus longue. On pense surtout au tas de bois. Je voudrais que vous soyez les porte-parole de gens qui voient plus qu'un tas de bois dans la forêt. C'est un organisme vivant qui permet une évolution avec des sociétés humaines. Il faut s'ouvrir à cela.

Les moyens pour appliquer le nouveau régime forestier au Québec sont des contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestiers surtout destinés à des utilisateurs de matière ligneuse. L'objectif visé par ces contrats est d'augmenter les rendements soutenables de matière ligneuse. Encore une fois, on a la preuve que l'on pense surtout «bois» quand on pense «forêt». Il faut dépasser cette mentalité de deux par quatre, il faut arrêter de raisonner comme des madriers.

Il est important d'expliquer ce qui est attendu de la forêt si on veut relativiser l'importance du bois. Votre comité peut jouer un rôle intéressant à cet effet.

On n'accorde pas dans le nouveau régime forestier de rôle déterminant aux autochtones dans la gouverne de leur territoire. Sur le territoire de la Baie de James, il n'y a pas vraiment dans la loi forestière de rôle particulier pour les Cris. On les considère comme les autres intervenants. De par leur enracinement sur le territoire, de par leur culture tout à fait différente, nous croyons, au sein du CCEBJ, que les Cris devraient avoir un rôle plus déterminant à jouer dans la gouverne du territoire. C'est un peu pour cela que le CCEBJ a travaillé très fort à développer un mécanisme de critères et d'indicateurs qui vont permettre de donner un sens réel, une portée concrète aux valeurs cries dans la planification des aménagistes forestiers du sud.

Le gouvernement du Québec s'est montré très réceptif et très collaborateur à cet égard. À ma connaissance, cette situation exemplaire mériterait d'être connue à l'extérieur du Québec, ailleurs au Canada.

En terminant, cela m'amène à la perception d'un intervenant du milieu universitaire sur la problématique crie à poser trois questions: si nous voulons vraiment faire de l'aménagement de la gestion écosystémique du développement durable sur le territoire de la Baie de James, cela nous amène à nous poser la question suivante: veut-on cultiver la forêt de la Baie de James? Il y a peu de signaux qui donnent à penser que c'est le cas. Cela semble trop perçu comme un tas de bois. Ce qui semble compter, c'est de faire des routes qui permettent de récolter au plus bas coût possible. Cette idée de cultiver les arbres ne semble pas très claire.

Si on veut vraiment faire de la gestion écosystémique sur ce territoire, est-on d'accord pour accorder un statut particulier aux communautés cries? Sont-elles des composantes spécifiques dans les institutions de gestion forestière actuelle et future?

Encore une fois, on ne peut pas répondre que oui. Il semble qu'il y ait beaucoup de résistance à accorder un statut particulier aux communautés autochtones en matière de gestion forestière, au Canada en général et en particulier sur le territoire de la Baie de James.

Il y a plusieurs raisons à cela. Il y a certainement que, dans la population canadienne et québécoise en général -- mes travaux de recherche l'indiquent --, on sent un grand climat de méfiance.

Par exemple, dans la région du Haut-Saint-Maurice, dans laquelle je travaille avec la communauté attikamek, mes travaux indiquent que 80 p. 100 des populations allochtones ne font pas confiance aux autochtones en matière de gestion forestière. Des travaux d'un collègue de l'Université Simon Fraser arrivent à la conclusion que dans les villes à caractère forestier, comme par exemple Prince Rupert ou Fort Alberny, seulement 28 p. 100 de la population est d'accord pour accorder un statut particulier aux autochtones.

On peut comprendre que les gens responsables des politiques forestières résistent. Il n'y a pas d'acceptation sociale à l'égard d'un statut particulier. Peut-être y aurait-il intérêt à développer plus de sensibilisation, plus de travail en commun entre les populations autochtones et allochtones qui vivent sur les territoires forestiers, pour développer une vision commune. Sur le territoire de la Baie de James, il est manifeste que les Blancs ne parlent pas aux autochtones. Pas de surprise s'il y de la méfiance, pas de surprise si les Blancs ne veulent pas accorder de statut particulier.

À cet égard, cela nous permettrait de tester l'hypothèse qui veut que -- dans la dernière stratégie forestière du Canada qui a été renouvelée en mai dernier -- si nous voulons faire du développement durable en forêt, il faut adopter les valeurs autochtones. C'est intéressant, mais cela demeure une hypothèse qu'il faudra vérifier.

En développant une cohabitation entre les autochtones et les allochtones qui partagent un même territoire et qui pourraient développer une vision commune de la foresterie écosystémique, nous pourrions amorcer un véritable développement durable en foresterie.

J'enchaîne maintenant avec la partie concernant les Cris, que M. Roméo Saganash n'est pas en mesure de présenter. M. Saganash produit quatre constats quand il essaie de lire la problématique forestière sur le territoire de la Baie de James avec un oeil cri, une perspective autochtone.

Le premier constat, c'est que la foresterie est absolument absente dans la Convention de la Baie de James. La foresterie apparaît, à toutes fins utiles, comme un enfant pauvre. Il faut se remettre dans le contexte; la Convention de la Baie de James a été rédigée à la fin des années 60, début des années 70, où à l'époque on n'envisageait même pas de récolter du bois sous ces latitudes. On considérait que l'exploitation forestière était non économique.

Ce n'est donc pas une surprise si, à cette époque, on considérait que l'exploitation forestière ne représentait pas une menace pour le milieu social ou l'environnement de la nation crie. Il y a donc un contexte historique qui fait que la foresterie n'était pas prévue dans la convention, et je pense qu'il faut dénoncer cette situation.

Le deuxième constat concerne la législation forestière au Québec qui semble ignorer le contexte de la Convention de la Baie de James, qui accorde et reconnaît des droits aux Cris.

Effectivement, il n'y a aucune mention de la convention. M. Saganash nous dit que l'on semble considérer que le Québec doit être géré selon des règles uniformes, que les mêmes lois doivent être appliquées dans la partie nord et dans la partie sud, que c'est une erreur et que la bonne façon de remédier à cette erreur, c'est de faire une place pour la Convention de la Baie de James dans la législation forestière québécoise.

Effectivement, si, dans la législation qui a été sanctionnée en 1986, on ne fait pas mention de la Convention de la Baie de James, peut-être qu'avec le renouvellement de cette loi, il serait intéressant de faire une place pour la convention.

Troisième constat, qui est extrêmement important et que je partage tout à fait, le régime forestier actuel ignore complètement, parmi les usages légitimes de la forêt, les usages qu'en font généralement les autochtones.

Le régime forestier actuel considère que la fonction prioritaire de la forêt, c'est de produire du bois. En conséquence, l'environnement, la faune, les aménagements paysagers et environnementaux comme la purification de l'eau, la protection contre l'érosion, sont perçus comme des contraintes dans l'exploitation de la forêt.

Cette mentalité est d'autant plus tragique lorsque l'on s'aperçoit que les usages traditionnels cris sont perçus comme des contraintes, alors que dans une vision progressiste de la foresterie, les usages autochtones de la forêt devraient nous permettre de mieux concevoir la foresterie.

M. Saganash dénonce le fait que les usages que font les Cris de la forêt, bien qu'ils soient explicitement reconnus dans la Convention de la Baie de James, soient totalement niés dans le régime forestier.

Cela amène M. Saganash à s'interroger: faut-il comprendre que le territoire du Nord et de la Baie de James sert strictement à compenser la gestion déficiente de l'ancien régime forestier, c'est-à-dire à fournir du bois jusqu'à ce qu'on puisse cultiver la forêt dans le sud du territoire ou dans le sud du Québec, et que lorsque nous aurons une forêt en meilleur état dans le sud du Québec, on fermera la mine au Nord?

Finalement, M. Saganash semble constater que dans l'application des règles forestières au Québec, il y a beaucoup plus de contraintes au sud qu'au Nord. On accorde une gestion plus sympathique à l'égard des industriels forestiers qui oeuvrent sur le territoire de la Baie de James, en imposant moins de contraintes.

C'est un jugement que fait M. Saganash, et il aurait été intéressant qu'il puisse expliquer sa position. Pour ma part, je crois comprendre que les règles prévues au sud ne correspondent pas à celles du Nord parce que la foresterie au Nord, c'est quelque chose qui nous est totalement inconnu. Ce n'est pas parce qu'on respecte les règles du sud dans le Nord qu'on fait de la bonne foresterie au Nord. J'ai l'impression que c'est le message qu'il faut lire.

En ce qui concerne la gestion des forêts nordiques, l'utilisation que les Cris en font semble complètement ignorée et l'idée de l'aménagement intégré n'est pas vraiment retenue par les industriels qui oeuvrent dans cette forêt.

L'exploitation des forêts semble donc un droit qui a préséance; il semble que le droit des autochtones au développement de leur territoire est moins valable que le droit des industriels à exploiter la forêt sur le territoire de la Baie de James, et c'est un irritant que les gens des six communautés cries, qui vivent sur le territoire de la Baie de James, affirment régulièrement au comité sur la Convention de la Baie de James. Je me fais tout à fait solidaire du point de vue de M. Saganash; il semble y avoir deux poids, deux mesures.

M. Langlois: Je voudrais conclure en disant que la forêt boréale occupe une grande partie du territoire de la Baie de James et que l'exploitation forestière est surtout concentrée dans le sud de ce territoire, où des répercussions négatives ont été obeservées pour les communautés cries qui occupent ce secteur.

Au cours des dernières années, l'exploitation s'est graduellement étendue vers le nord. Des contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestiers ont même été octroyés dans des territoires situés au nord du 52e parallèle.

Dans un territoire aussi nordique, compte tenu de la fragilité des écosystèmes et de leur productivité naturelle plus faible que dans les forêts plus méridionales, les risques de surexploitation forestière sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs au Québec ou au Canada. La gestion forestière durable dans un territoire nordique doit donc s'appuyer sur des principes de conservation de la biodiversité et de préservation de la viabilité des écosystèmes forestiers. La gestion intégrée des ressources ligneuses et non-ligneuses de la forêt du territoire doit permettre une exploitation forestière optimale, mais en assurant l'utilisation du territoire à d'autres fins, par la population autochtone et non-autochtone.

La recherche de solutions à la problématique de l'exploitation forestière en territoire cri passe par la réaffirmation de la prépondérance du régime de protection de l'environnement et du milieu social, qui est établi par la Convention de la Baie de James et du Nord québécois. Elle passe aussi par un changement des attitudes face aux activités traditionnelles des autochtones en milieu forestier qui sont complèment absentes, rappelons-le, de l'actuel régime forestier.

Le régime forestier en vigueur au Québec depuis une dixaine d'années a été conçu en faisant abstraction des droits négociés avec la nation crie dans la Convention de la Baie de James et du Nord québécois. Le CCEBJ, le comité consultatif pour l'environnement de la Baie de James, est donc d'avis que le gouvernement du Québec devrait mettre en place un régime forestier distinct pour le territoire de la Baie de James afin de s'assurer que les principes directeurs de la convention soient pris en compte. C'était l'essentiel du message que nous voulions livrer.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: Je m'excuse auprès des témoins et des membres du comité. J'ai dû me lever vers 5 h 30 ce matin pour prendre un avion afin de me rendre à une conférence à Toronto. La conférence portait sur les catastrophes naturelles au Canada et sur ce que nous pouvons faire lorsqu'ils se produisent. C'était plutôt intéressant. Elle était organisée par Protection civile Canada et l'Institut pour la réduction des pertes résultant de catastrophes du Bureau d'assurance du Canada. Ces organismes tentent de trouver des solutions pour faire face à de telles les catastrophes naturelles. En fait, ils nous ont dit qu'ils avaient constaté une augmentation phénoménale de ces événements sous forme d'inondations, de tempêtes de verglas, et cetera.

Un représentant d'Environnement Canada a présenté un exposé. Le sénateur Spivak trouvera ce qu'il a dit intéressant mais elle n'en sera pas très heureuse. Le XXe siècle a été le siècle le plus chaud du millénaire, et cette année est la plus chaude que l'on ait jamais enregistrée. Ils avaient prévu une augmentation des températures globales entre 1 et 3,5 degrés centigrades au cours des 50 prochaines années, et ils prévoient maintenant que cette augmentation sera sans doute de plus de 3,5 degrés.

Si cela se produit, vos arbres qui n'atteignent à l'heure actuelle que 10 mètres, deviendront considérablement plus grands très rapidement.

Combien d'autochtones travaillent à l'heure actuelle dans le secteur d'exploitation des forêts dans le Nord? Avez-vous des chiffres?

M. Bouthillier: Nous avons des tendances. Pour l'instant, c'est moins de 5 p. 100 de la population active. L'un des défis énormes que nous devons affronter à l'heure actuelle consiste à encourager ces gens à participer. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne les Cris. La coupe des arbres est tout à fait étrangère à leur culture. Lorsqu'un membre de la nation Crie exprime un intérêt pour la foresterie, ses pairs exercent une pression considérable pour l'encourager à laisser tomber. Ce n'est pas le cas cependant pour ce qui est des Micmacs ou des autres peuples autochtones.

Plus on va dans le Nord, plus grand est le défi que pose l'industrie forestière et nous devons compter sur les peuples autochtones pour être nos forestiers.

Le sénateur Stratton: Si vos arbres n'atteignent qu'environ 10 mètres, la question qui nous vient à l'esprit est la suivante: qu'est-ce qui constitue un cycle d'exploitation forestière sain? Est-ce un cycle de 80 ou de 50 ans?

M. Bouthillier: Le cycle est beaucoup plus long que cela. Le cycle de rotation devrait être d'environ 200 ans. Ce cycle n'est pas fondé sur les peuplements vieux. En fait, il n'est pas du tout basé sur la croissance mais plutôt sur le cycle de renouvellement. Le cycle de renouvellement ici dépend de la fréquence des incendies. Nos estimations de la fréquence des incendies nous portent à croire que la rotation se fait environ à tous les 200 ans.

Lorsque nous planifions les opérations forestières, nous devrions garder à l'esprit que nous devrions couper dans un secteur en particulier 1/2000e de la forêt. Je ne suis pas certain que ce soit le cas à l'heure actuelle.

Le sénateur Stratton: Il ne faut certainement pas 200 ans à un arbre pour atteindre la maturité. Le cycle doit être plus court que cela. Si les arbres poussent dans une région jusqu'à ce qu'ils atteignent un stage de maturité exploitable où il est possible d'avoir un développement durable, ce cycle est certainement plus court que 200 ans.

M. Bouthillier: Oui et non. C'est à peu près la même chose dans le nord de l'Alberta et dans les Territoires du Nord-Ouest. On entre dans l'ordinateur de l'information sur le cycle de coupe, la rotation, afin de calculer ce que nous pouvons couper sans mettre la terre en danger. Ce chiffre est d'environ 120 ans.

Dans les forêts du Nord, dans ce que je j'appelle dans notre document le «Moyen Nord», le taux de croissance n'est pas un cycle régulier. Il peut y avoir de petits arbres qui restent très près du sol pendant 100 ans, et s'il y a un incendie, ils seront libérés et ils atteindront leur pleine taille en 40 ou 80 ans.

Nos expériences en foresterie -- et je parle ici au nom de la communauté scientifique, non pas en mon nom personnel -- montrent que planter des arbres dans le Nord ne donne aucun résultat la plupart du temps.

Dans une forêt du sud, lorsqu'on plante un arbre, on s'attend typiquement à une croissance régulière, ce qui signifie que, selon l'endroit où se trouve, en 40 ou 80 ans, on aura des arbres qui pourront être coupés. Cependant, le Nord a une dynamique différente dont on ne sait toujours pas grand-chose. C'est pourquoi nous tentons, dans nos activités forestières d'émuler ou d'imiter les perturbations naturelles, mais on en est toujours au stade d'expérimentation.

Le sénateur Stratton: Si vous plantez un arbre, pourquoi est-ce qu'il ne grandirait pas?

M. Bouthillier: C'est parce que les conditions environnementales ne s'y prêtent pas. Le sol est peu profond, ce qui fait que le gel va déraciner les jeunes plants. On a un taux de mortalité élevé. La couche de neige pour protéger ces semis contre le vent n'est pas très épaisse, et par conséquent il y a une dessiccation considérable.

Il y a également un problème génétique. Dans nos pépinières, nous n'avons pas beaucoup de semences provenant des arbres du Nord. Pour le moment, nous plantons des semis qui sont les descendants de gros arbres qui poussent dans le sud, et cela nous cause beaucoup de difficultés. Je ne dis pas que la plantation d'arbres soit un échec total dans le Nord, mais elle n'est certes pas aussi efficace que dans le sud du pays.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Pour enchaîner à ce sujet, on ne peut pas se fier aux résultats obtenus avec les plantes. L'espèce était mal adaptée à ce climat. Cela pourrait se faire assez facilement, aller recueillir les cônes, les graines, les faire pousser en serre et ensuite les replanter, est-ce que cela a déjà été tenté?

M. Bouthillier: À ma connaissance, non, mais je ne possède pas la science infuse.

M. Langlois: Dans le contexte du projet d'aménagement du complexe La Grande, il y a eu beaucoup de plantations qui ont servi pour régénérer des territoires, des sablières ou gravières pour la construction. C'était principalement des feuillus qui étaient plantés. L'expérience ne peut pas être utilisée. Pour les conifères, il n'y a pas beaucoup de choses.

M. Bouthillier: Cette expérience visait à produire des aulnes. Ce sont des arbustes qui ont une très grande capacité de retenir les sols. À ma connaissance, dans une perspective de production de matière ligneuse, il n'y a pas d'expérience qui a été réalisée. Je serais étonné qu'il n'y en ait pas eu ailleurs au Canada. Pour ce qui est du Québec, je ne suis pas au courant.

Quand nous vous disons que ce serait intéressant de développer une foresterie autochtone, on a là une belle occasion. La récolte des semences, des cônes, l'extraction des semences, la production en serre de ces petits arbres, la sélection des sites, la préparation des sols pour accueillir ces petits arbres, la plantation des sols, l'entretien de ces petits arbres représentent tout autant d'opportunités très constructives. Il n'est pas question d'abattre des arbres, il est question d'en planter. L'arbre est symbole de vie dans la culture autochtone. Si vous plantez des arbres, vous propagez la vie. Comment se fait-il que l'on envisage pas de tels moyens pour amener les communautés autochtones vivant en milieu forestier à prendre le virage de la modernité en faisant de la foresterie? Il faut demeurer conscient que le reboisement doit demeurer une situation à laquelle on recourt uniquement quand les mécanismes de régénération naturelle ne fonctionnent pas. La meilleure forêt sous ces latitudes est celle qui utilise des capacités autonomes de régénération.

Le sénateur Robichaud: Je suis d'accord avec vous. Lorsque l'économie d'une région a besoin comme dans ce cas de fibres, on trouve des moyens pour justifier certaines opérations. Il faut développer des espèces qui existent déjà, comme on l'a fait chez nous, au Nouveau-Brunswick, où l'on a propagé l'idée que si on faisait de l'éclaircissement, on pouvait augmenter la coupe annuelle de 10 à 15 p. 100 selon l'endroit, plus au nord ou plus au sud. On a coupé parce qu'on était sûr de ce que l'on avançait. La même chose pourrait se faire dans cette région.

Vous avez fait allusion aux Micmacs qui allaient couper des arbres. Vous savez qu'ils en sont arrivés là pour la simple raison que c'était la seule activité possible. Ils n'avaient rien d'autre à faire. Ils cherchaient à faire des choses. Ces communautés ont un taux de chômage de 80 à 90 p. 100.

Vous nous dites que les populations cries subsistent de la forêt de différentes façons, sans compter sur la matière ligneuse et les fibres. Vous dites que cette population augmente plus vite qu'ailleurs, et que cela crée des besoins. Ils vont vouloir la même chose que vous avez chez vous et que j'ai chez moi. Ils vont subir l'influence de la télévision. Ceci va demander une autre activité que celle qu'ils poursuivent actuellement, la coupe du bois probablement. Cela pourrait changer. Est-ce que vous prévoyez que cela pourrait se produire dans un avenir rapproché?

M. Bouthillier: C'est une question de survie pour ces communautés que d'ici cinq à dix ans, l'activité forestière soit une source d'emplois, de revenus, de bien-être, de progrès social fondamental pour les communautés cries du territoire de la Baie de James. Un peu de la même façon, au Nouveau-Brunswick avec les Micmacs, avec les nations autochtones de l'île de Vancouver, ces communautés nous fournissent les exemples les plus vibrants de succès sur ce que la forêt peut générer comme progrès social pour les nations autochtones.

M. Langlois: Pas plus le comité consultatif pour l'environnement de la Baie de James que les Cris qui font partie du comité, étant une des trois parties, ne sont contre toute exploitation forestière. Par contre, il ne faut pas que l'exploitation forestière dans le Nord du Québec, dans le territoire de la Baie de James, qui est sous convention, soit gérée de la même façon que dans le sud. C'est une participation à la gestion de l'exploitation forestière que recherchent les autochtones, et non pas bloquer toute exploitation forestière. Les problèmes des Cris avec l'exploitation forestière sont reliés à la surexploitation dans certains territoires. Dans certains territoires familiaux, il y a plus de 60 ou 70 p. 100 du territoire qui a été coupé.

Cela crée des problèmes majeurs pour la subsistance des Cris. Une partie importante de la population fait de la chasse et de la pêche, de la trappe. Ils ont des camps de chasse et pêche et ils se fient au gibier pour la subsistance. La forêt est un abri important pour eux.

Il y a toutes sortes de solutions que l'on peut envisager à la coupe à blanc, dont les éclaircis commerciaux, et cetera. Il ne faudrait pas que le message que vous reteniez de nous aujourd'hui soit que les Cris ou le comité sont contre l'exploitation forestière.

Le sénateur Robichaud: Je n'ai pas compris cela du tout. Vous voulez qu'ils soient impliqués. Vous voulez surtout développer pour cette forêt un modèle de gestion qui soit totalement différent de ceux que l'on applique dans d'autres zones. Vous devez le faire de toute urgence. Si vous réduisez le territoire où ces gens vivent de façon traditionnelle, vous allez les forcer à se tourner vers d'autres sources de la forêt, notamment la fibre, et cela risquerait d'être désastreux.

On se trouve dans une situation impossible à gérer, avec des gens qui veulent travailler et pour qui on se tourne vers la forêt pour leur donner une activité.

M. Bouthillier: Le message que vous voulons faire passer est qu'il faut mettre cette forêt boréale, qui est située au nord du 50e parallèle, sous une cloche à fromage. Il y a peut-être des efforts de conservation à faire, mais il faut que cette forêt soit utilisée pour participer au progrès social des populations autochtones ou allochtones des milieux nordiques. Cela nous invite à chercher une nouvelle foresterie.

Le sénateur Robichaud: Qu'attendez-vous de nous pour vous aider à réaliser cette nouvelle façon de gérer cette forêt tout à fait particulière?

M. Bouthillier: Il y a un tas de gens qui ont témoigné devant vous et qui ont exprimé des attentes à l'égard de la façon dont on utilise la forêt. Le comité sénatorial peut certainement être un premier jalon pour développer une vision commune.

Le gros problème à surmonter est de voir dans la forêt un vaste réservoir de matières ligneuses. C'est normal parce que cela a très bien servi le pays au cours des 150 dernières années, mais il faut passer à autre chose. Il y aura toujours de la matière ligneuse qui continuera à contribuer au fait que le Canada est une nation riche et prospère, mais la forêt est un milieu aux ressources multiples. Les industriels y sont très puissants, les récréologistes y sont très intéressés aussi. Il ne faut pas dénoncer cela. Les autochtones aussi ont une position particulière, de même que les gens préoccupés par la biodiversité. Touts ces intérêts sont très sectoriels.

Si nous voulons vraiment faire une gestion écosystémique de la forêt, il faut que, région par région, nous développions une vision commune et que nous nous fixions des objectifs de production. Il faut savoir ce qu'on attend de cette forêt et agir de façon commune, convergente.

Un comité comme le vôtre peut évidemment souligner le message qu'actuellement, il y a beaucoup d'attentes à l'égard de la forêt, mais qu'elles sont éclatées, presque conflictuelles, et que pendant qu'on va essayer de triompher des adversaires pour que l'utilisation que l'on privilégie domine, on manque de temps pour développer cette vision commune. Le premier geste à poser, pour passer à la gestion écosystémique, est certainement de développer une vision commune, et vous avez une occasion en or de marteler ce message

Le sénateur Robichaud: Nous avons entendu ce message à plusieurs reprises. Je dois vous dire que j'ai été, dans certains cas, impressionné. Je mentionne les propriétaires de lots boisés au Nouveau-Brunswick qui se sont associés et qui ont pris en main les lots qu'ils détenaient. Ils ne voient plus la forêt seulement comme un tas de bois, un endroit où on peut aller abattre des arbres.

On a même vu des compagnies forestières changer d'attitude. Nous avons visité des sites. Il reste encore beaucoup à faire, mais il y a eu un changement et il doit continuer. J'espère que notre apport pourra contribuer à ancrer cette nouvelle façon de voir la forêt et surtout à y prendre garde.

M. Bouthillier: Votre rapport pourra peut-être inviter tous les intervenants du milieu forestier à avoir le courage de l'imperfection.

[Traduction]

La vice-présidente: Nous avons visité le lac Mistassini et nous y avons rencontré les Cris. Les trappeurs nous ont dit que les compagnies forestières se souciaient peu de l'endroit où ils installaient leurs pièges, qu'elles arrivaient et coupaient les arbres sans les consulter ou sans se soucier d'eux. Par ailleurs, ils ont dit qu'ils ne pouvaient faire du piégeage ailleurs car les trappeurs ont chacun une zone qui leur est allouée, et c'est ainsi depuis des milliers d'années.

Cette nouvelle vision, cette nouvelle foresterie, exige des connaissances et du leadership. Nous sommes allés au Québec et nous avons entendu de belles choses au sujet de ce qu'ils faisaient là-bas. Ils auront éliminé les herbicides en l'an 2000. Cependant, qu'est-ce qui explique cette négligence au Québec? On retrouve la même situation dans tout le pays. Au Manitoba, à mon avis, la situation est encore pire qu'au Québec. Nous avons entendu des choses terribles en Alberta. Pourquoi le gouvernement du Québec n'est-il pas intervenu à ce sujet? Est-ce par manque de connaissance? Est-ce un manque de volonté politique? Il serait certes dans l'intérêt du gouvernement, pour obtenir les «conditions gagnantes», de s'assurer que les Cris sont de leur côté. À quoi attribuez-vous cette négligence?

[Français]

M. Langlois: Je vais répondre en partie à votre question. M. Bouthillier pourra peut-être compléter. D'abord, ce n'est peut-être un problème vécu spécifiquement au Québec. L'exploitation forrestière est l'industrie canadienne la plus importante en termes de création d'emplois et en termes économiques.

Au Québec, il y a une concentration de l'industrie forestière. Presque 40 p. 100 des installations industrielles en foresterie se trouvent au Québec.

Il y a eu énormément d'améliorations qui ont été faites sur le plan du contrôle de la préservation et du contrôle de la pollution par les papetières en particulier dans le domaine des pâtes et papier. Une prise de conscience a été faite à ce niveau. Les gouvernements ont dû adopter des règlements pour inciter les papetières à procéder de cette façon. Entre 1993 et 1995, par exemple, au Québec, à peu près un milliard et demi de dollars ont été dépensés par les 60 papetières du Québec pour installer un traitement secondaire. Cela a considérablement amélioré et diminué la pollution en milieu aquatique. Il reste un effort à faire au niveau des compagnies forestières sur tous les autres volets de leurs opérations, en particulier la coupe forestière et les usines de sciage, où cette prise de conscience et cette réflexion n'ont pas eu lieu. Cela est probablement, en partie, dû au fait qu'il n'y a pas eu de réglementation particulièrement sévère qui aurait pu amener cette réflexion, ni du côté fédéral, ni du côté provincial. Pour les fabriques de pâte et papier, la réglementation a été très sévère tant dans toutes les provinces que pour le fédéral. Cela a obligé les papetières à bouger.

Un des rôles que peut jouer un comité comme le vôtre et l'un des intérêts de votre comité, c'est justement de faire prendre conscience à l'ensemble de la population canadienne et à l'ensemble des institutions canadiennes qu'il reste encore beaucoup de problèmes à régler du côté de la foresterie et des autres activités du domaine de la foresterie, que ce soit la coupe forestière ou le bois de sciage.

Au niveau international, certaines préoccupations ont déjà été exprimées dans le passé et les compagnies papetières et forestières n'ont pas le choix. Il faut qu'elles s'adaptent parce que, à un moment donné, elles ne pourront pas vendre leurs produits sur le marché internationnal si elles ne respectent pas l'environnement biophysique et social. Il y a une réflexion qui doit se faire au niveau des corporations. Les gouvernements réagissent aux pressions économiques, politiques et populaires. Il y a des pressions économiques énormes dans le domaine de la foresterie.

[Traduction]

M. Bouthillier: Pour répondre à votre question directement, je veux m'assurer de l'avoir bien comprise. Est-ce que vous demandez pourquoi il n'y a pas de place pour les questions autochtones dans le secteur forestier, particulièrement au Québec?

La vice-présidente: Pas seulement au Québec, je parle de partout au Canada.

M. Bouthillier: C'est un problème canadien. C'est une question de culture industrielle. Partout au Canada, la gestion des forêts sur les terres publiques est faite par l'industrie. La culture industrielle a évité les questions autochtones pendant 100 à 180 ans partout au Canada. L'approche industrielle a créé une tradition an matière d'exploitation forestière au Canada, qui se répercute sur l'exploitation forestière aujourd'hui.

Vous avez aussi demandé pourquoi on ne reconnaît pas l'importance des questions autochtones dans le secteur forestier. C'est certainement parce qu'on ne tient pas compte des faits et du savoir-faire. Cependant, partout au Canada il y a une volonté de régler les problèmes autochtones.

[Français]

La vice-présidente: Il y a de beaux mots.

[Traduction]

M. Bouthillier: Oui, on rêve peut-être beaucoup en couleur, mais il y a plus que cela, du moins au Québec et en Colombie-Britannique.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, lorsque les trois quarts de l'électorat ne voit pas avec bienveillance les problèmes autochtones en ce qui a trait aux forêts, il faut peut-être agir avec prudence. C'est sans doute pour cette raison que nous avons l'impression qu'on rêve en couleur.

Cela étant dit, il y a un autre point que je devrais mentionner. La plupart des gens qui tirent des profits ou des avantages des ressources forestières croient qu'ils perdront quelque chose. C'est une impression qu'il faut dissiper si nous voulons mettre en place un nouveau plan d'exploitation forestière qui aura du succès. Nous devons élaborer de nouveaux procédés de participation qui se traduiront par une situation satisfaisante pour tous. Cela est possible. C'est le message que nous tentons de transmettre.

Du moins au Québec, il y a beaucoup de bonne volonté. Nous faisons peut-être des illusions, mais je ne pense pas que ce soit le cas.

[Français]

M. Denis Bernatchez, secrétaire du comité consultatif pour l'environnement de la Baie de James: Au Québec, en ce qui concerne le territoire de la Baie de James et l'expoitation forestière en particulier, nous en sommes au niveau d'une prise de conscience. Il faut comprendre que le problème est assez récent. En 1975, il n'y avait pas d'exploitation forestière sur le territoire de la Baie de James. Dans la Convention de la Baie de James, on dit que l'exploitation forestière est compatible avec les modes de vie des Cris. Cela était vrai à l'époque. Il ne se faisait pas d'exploitation forestière, donc il n'y avait pas les effets de l'expoitation forestière. Le long réseau de chemins qui donne accès à tout le territoire n'existait pas. Telle était la situation en 1975.

En 1998, la situation a changé. Cette prise de conscience a pris un certain temps avant de «se mettre en branle», si vous me permettez l'expression. Cela a probablement pris 23 ans avant qu'on se rende compte de l'effet de la foresterie sur les modes de vie des Cris. Cela a changé leurs habitudes de chasse et de pêche. Cela a changé toute leur vision de leur milieu et cela, pour un Cri, est fondamental. Vous avez vu des endroits où il y a des coupes à blanc où une forêt peut devenir mature. On dit que, sur le territoire de la Baie de James, cela prend à peu près 120 ans. Alors quand le père voit les arbres coupés, il sait que plusieurs générations vont voir une forêt qui va grandir très lentement, dépendamment des contidions climatiques, et cetera. S'il n'y a pas de feux de forêt, elle peut toujours progresser, mais si des feux de forêt s'ajoutent à ce phénomène, cela peut résulter en un territoire dévasté.

On en est à cette prise de conscience. Il est fondamental que le régime forestier au Québec soit revu. Cet exercice est présentement en cours. Il y a également une autre activité qui se déroule: quand les entreprises forestières font un plan d'aménagement forestier, en principe, elles vont consulter les communautés autochtones. Les ingénieurs forestiers rencontrent les autochtones dans leur communauté -- ces gens ne sont pas des spécialistes de la foresterie -- , leur présentent un plan et leur disent ce qu'ils ont l'intention de faire. Souvent, les autochtones ne sont pas en mesure d'imaginer le résultat final de l'exploitation forestière sur leur terrain. Ils ne peuvent pas s'imaginer que la forêt va être dévastée d'un horizon à l'autre et cela, pendant 60, 70 ans, dépendant de la croissance. Il y a un rapport de force dans ce secteur. Quand une compagnie forestière consulte une communauté crie, il est clair que la compagnie forestière est mieux équipée pour vendre son produit que ne l'est la communauté crie pour défendre sa culture, ses intérêts ou ses modes de vie traditionnels.

Le sénateur Robichaud: Vous demandez qu'il y ait des consultations avec les communautés cries auparavant. M. Bernatchez vient de nous dire que ces communautés ne sont pas en position d'évaluer le désastre qui peut se produire. Nous avons tout un dilemme, n'est-ce pas?

M. Bouthillier: Le gouvernement du Québec révise présentement son régime forestier. Dans cette révision, il y a un constat extrêmement intéressant, soit l'engagement de faire participer à la gestion les communautés allochtones et autochtones, dont le bien-être dépend de la forêt. C'est un engagement extrêmement prometteur. Il faut que cela aille au-delà des mots. Aller au-delà des mots, c'est ce qu'il faut faire aussi dans la proposition de mise à jour du régime forestier québécois, développer et mettre en place des mécanismes d'échange adaptés aux valeurs des communautés autochtones. C'est un engagement prometteur qui se traduit dans les faits par des choses réelles, puisque l'initiative du comité consultatif pour l'environnement de la Baie de James sur les critères et les indicateurs veut donner aux industriels forestiers un tableau de bord sur ce que signifie le fait de faire attention aux valeurs cries quand on fait de la foresterie. Le gouvernement du Québec, à travers son ministère des Ressources naturelles, fournit énormément de ressources et a des engagements très concrets pour que cette initiative aboutisse pour que l'on ait ce tableau de bord dans un avenir très rapproché, que d'ici les trois prochains mois, l'on ait au moins 15 critères et que d'ici trois, quatre ou cinq ans, l'on puisse avoir un tableau de bord qui comportera près de 80 critères. Il y a des initiatives en matière de participation de mécanismes de consultation adaptés aux valeurs des communautés autochtones. Des projets de recherche sont financés pour trouver un processus de consultation dans lequel les Cris se sentiront à l'aise. Je peux vous en parler abondamment, je suis l'un des bénéficiaires de ces projets de recherche.

Le sénateur Robichaud: Je voulais justement vous demander ceci: comment les Cris participeront-ils à l'élaboration de votre plan ou tableau de bord? Je ne fais aucunement référence à vous, mais si ce sont des professeurs d'université pensent leur dire de quelle façon ils devraient voir tout cela, il arrive que ce soit juste, mais les gens ne sont pas convaincus que cela vient d'eux et on doit respecter cela. Souvent, d'autres gens viennent, ils leur racontent une toute autre histoire qu'ils acceptent aussi bien que la première.

M. Bouthillier: Sénateur, si vous étiez dans ma classe, je vous accorderais un A+. Vous avez tout compris.

[Traduction]

La vice-présidente: Le fait que l'on consulte les autochtones est très prometteur, mais on doit regarder ce qui se passe par exemple en Alberta. Nous avons visité Alpac et, comme vous le savez, de vastes consultations devaient avoir lieu à ce sujet, mais en fait, il y a en eu très peu.

Cependant, je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'on ne rêve pas en couleur lorsqu'on reconnaît le statut et les droits des autochtones. Nous avons eu des commissions royales historiques et des procès historiques. Cependant, depuis 10 ans il y a eu une agression énorme de la forêt boréale, surtout dans le nord de l'Alberta. Le Manitoba renversera la vapeur et l'Ontario veut doubler sa coupe annuelle autorisée.

Les compagnies forestières, pour satisfaire leurs actionnaires, ne respectent pas toujours les règles et le gouvernement ne les fait pas respecter. Le gouvernement provincial ne les fait pas respecter en Alberta. Ils disent que ce qui n'est pas exploité est perdu. En d'autres termes, les compagnies sont au-dessus du gouvernement.

Face à cette agression terrible, quels mécanismes existent pour s'assurer que nous pouvons donner de la force à l'expression «gestion de l'écosystème» et utiliser les valeurs multiples de la forêt? Les gens commencent à les reconnaître, mais rien n'est fait à cette fin.

Par ailleurs, je vois quelque chose d'autre se produire qui est encore plus menaçant. Par exemple, le fait d'utiliser Greenpeace comme bouc émissaire et de dire que cet organisme est l'ennemi du peuple parce que les marchés asiatiques se sont effondrés. Les agents de relations publiques qui travaillent pour les compagnies forestières parlent de la beauté et de la nature que l'on retrouve en Colombie-Britannique. Il ne s'agit pas ici d'une petite escarmouche mais d'une véritable bataille. Il faut avoir les bons outils.

Je ne blâme pas les compagnies forestières de vouloir faire des profits. Je les blâme de ne pas tenir compte des autres secteurs, notamment celui de la pêche à la morue. Nous avons toujours dit qu'il fallait pêcher parce qu'on avait besoin d'emplois. Maintenant il n'y a plus de poisson et plus d'emplois.

Dans le rapport que nous présenterons au Sénat, nous voulons aborder les vrais problèmes, notamment le rôle du peuple autochtone dans le contexte de la forêt boréale. Comment peut-on aborder cette grave question d'ordre pratique? Je ne pense pas être trop sarcastique; je pense que je ne fais que décrire la réalité.

Je reconnais ce qui s'est produit dans le secteur des pâtes et papier et les millions de dollars qu'a dépensés l'industrie forestière, mais c'est le gouvernement fédéral qui l'a obligé à le faire.

Pouvez-vous proposer des recommandations quant à la façon dont nous pourrions améliorer la situation? Êtes-vous d'accord avec mon analyse de la situation, ou est-ce que vous la croyez exagérée?

M. Bouthillier: Je connais assez bien le Nord de l'Alberta et Alpac. Pour un étranger ou quelqu'un de l'extérieur, c'est certainement terrifiant et effrayant. La question devrait être la suivante: comment pouvons-nous trouver une autre solution en ce qui concerne l'utilisation des terres?

Nous devons insister sur le devoir de consulter et de consulter d'une façon particulière. Alpac fait des efforts considérables de relation publique pour montrer qu'ils ont consulté les peuples autochtones au sujet des cartes d'occupation des sols traditionnels.

Le sénateur Spivak: Avez-vous vu ces plans, et avez-vous vu leur usine?

M. Bouthillier: Oui, il est bon d'avoir des plans mais s'ils sont tout simplement relégués dans un placard, ils ne servent à rien. C'est ça le problème. Nous faisons des consultations. Lorsque je parle de l'obligation de consulter, je ne parle pas seulement de consulter les peuples autochtones; tous ceux qui sont parties prenantes sur ces terres et territoires doivent être consultés. Ce doit être fait de façon à avoir un contrôle partagé des forêts et de faire en sorte que les industriels et les autres intervenants puissent se mettre d'accord sur une vision commune ou des buts et objectifs communs.

Il importe de comprendre de quelle façon les compagnies forestières voient la consultation: «Nous savons comment exploiter les forêts; nous savons à quoi ressemble les terres; et nous leur dirons comment cela fonctionne» ce n'est peut-être pas tout à fait de l'arrogance, mais presque. La consultation devrait comporter un processus d'apprentissage. Il y a plusieurs façons d'apprendre. Les gens dans l'industrie ont beaucoup à apprendre des autochtones, des adeptes du plein air, des écologistes, et cetera. Les autochtones ont eux aussi beaucoup à apprendre. La consultation devrait mener à un apprentissage et à un contrôle partagés des forêts lorsqu'on a un plan adéquat de gestion de l'utilisation des terres.

Le sénateur Spivak: Est-ce ce qui se passe au Québec à l'heure actuelle? Avec le renouvellement du régime forestier au Québec, est-ce qu'on voit la lumière au bout du tunnel, avant qu'il ne soit trop tard?

M. Bouthillier: Ce sera difficile, et je suis peut-être trop optimiste, mais je pense que c'est pour très bientôt.

[Français]

M. Langlois: Le projet de régime forestier au Québec prévoit déjà, dans le document de consultation, que les industries doivent entamer et initier des programmes de surveillance, de contrôle des impacts de leur exploitation sur l'environnement et sur le milieu social. Il y a déjà une ouverture.

Pour répondre à votre question sur les catastrophes, tant sur le plan de la foresterie que sur n'importe quel plan qui regarde l'environnement, le législateur aura toujours un rôle à jouer. Au Québec, comme partout ailleurs au Canada, on a développé au cours des dernières années une tendance à la déréglementation en matière environnementale. Il est nécessaire de donner de plus en plus d'autocontrôle ou de systèmes d'autosurveillance aux promoteurs, mais il va toujours falloir des législations qui incitent les industries et les promoteurs à s'améliorer, à devenir de meilleurs citoyens sur le plan de la protection de l'environnement et du maintien de la qualité de l'environnement social.

La vice-présidente: Il y a des outils fédéraux très puissants qu'on veut maintenant éliminer dans les projets de loi, par exemple dans la Loi sur les pêches. On veut éliminer les «triggers».

M. Langlois: C'est un bon exemple. La Loi sur les pêches du gouvernement fédéral, qui a été amendée en 1992, prévoit depuis cet amendement un programme de suivi des effets sur l'environnement pour toutes les papetières au Canada. C'est un programme administré conjointement par le gouvernement et les papetières. Ce sont les papetières qui font le suivi, qui paient pour le suivi. Elles font cela sur un cycle de trois ans. Donc, c'est peut-être une forme de déréglementation, mais dans la loi et le règlement, il y a une obligation pour les papetières d'effectuer leur suivi.

C'est un peu ce qu'on risque de retrouver avec le régime forestier proposé ici, en particulier lorsque l'on spécifie qu'il va y avoir un accroissement de l'efficacité du contrôle et des suivis forestiers et environnementaux. On prévoit que ce suivi sera fait par les industries. Il est sûr que pour qu'elles le fassent, il faut qu'elles y soient obligées, sinon le profit qu'elles convoitent fera en sorte qu'elles mettront le moins d'argent possible sur les questions de suivi environnemental.

Le sénateur Robichaud: Vous disiez qu'on devait inciter les industries et même les obliger. Juste une incitation, un encouragement, ce n'est pas suffisant. Il faut avoir des mesures assez claires qui les obligent à faire certaines choses. On voit que ce n'est pas si méchant que cela et au niveau des relations publiques, on en retire des bénéfices.

M. Bernatchez: Souvent, on se rend compte que les entreprises forestières sont très sensibles au point de vue des acheteurs de produits forestiers. De plus en plus, elles veulent des certifications environnementales qu'elles vont obtenir à condition que la gestion forestière satisfasse des critères très précis. Souvent, ce sera des critères allemands, américains ou français. Les acheteurs de bois commencent de plus en plus à exiger des certifications environnementales. On est un peu complémentaire à tout cela. Nous espérons que cela sera une synergie d'efforts et que par le révision du régime forestier du Québec, on pourra atteindre l'objectif de ne pas rendre le milieu forestier complètement absent de l'exploitation forestière. Nous croyons honnêtement qu'il y a une cohabitation possible entre les Cris et les non-Cris qui habitent le territoire et les exploitants forestiers, sauf qu'à mon avis, il faut changer les règles du jeu.

Le sénateur Robichaud: Un commentaire pour vous remercier de votre excellente présentation bien documentée et bien articulée. On comprend le message que vous nous donnez, qui appuie d'ailleurs les messages que nous avons entendus précédemment, y compris des communautés autochtones de partout au Canada.

Madame la vice-présidente faisait allusion au fait que nous avons tiré quelques leçons pour nous instruire et nous prévenir de désastres. Elle a parlé des morues. Premièrement, j'ai confiance que nous obtiendrons plus de succès parce que nous sommes mieux renseignés et deuxièmement, il n'y a pas de phoques qui mangent tout ce qui leur passe sous le nez.

M. Langlois: On peut voir les arbres, alors qu'on ne peut pas voir les morues.

Le sénateur Robichaud: C'est cela, les chances sont donc de notre côté.

La vice-présidente: Je tiens à vous remercier pour votre présentation. Si vous avez quelque chose à ajouter qui pourrait nous aider, vous pouvez peut-être nous l'envoyer et téléphoner à notre recherchiste. C'était très intéressant.

M. Langlois: Nous vous transmettrons sûrement, lorsqu'il sera finalisé, le document que nous avons préparé sur les critères et les indicateurs.

La séance est levée.


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