SOUS-COMITÉ SÉNATORIAL DE LA FORÊT BORÉALE
RÉALITÉS CONCURRENTES : LA FORÊT BORÉALE EN DANGER
Rapport du Sous-comité de la forêt boréale du Comité sénatorial permanent de lagriculture et des forêts
Le président du Sous-comité : L'honorable Nicholas W. Taylor
La vice-présidente : L'honorable Mira Spivak
Juin 1999
MEMBRES
LE SOUS-COMITÉ SÉNATORIAL DE LA FORÊT BORÉALE
36e Législature, 1997-98 - Première session
Président : L'honorable Nicholas W. Taylor
Vice-présidente : L'honorable Mira Spivak
et
Les honorables sénateurs :
Chalifoux
*Graham (ou Carstairs)
*Lynch-Staunton (ou Kinsella)
Robichaud, F., c.p.
Stratton
*Membres d'office
Les sénateurs suivants ont aussi participé aux travaux du Comité lors de son étude : Les honorables sénateurs Adams, Atkins, Cohen, Deware, Gill, Mahovlich, Rossiter, Whelan.
LE SOUS-COMITÉ SÉNATORIAL DE LA FORÊT BORÉALE
35e Législature, 1996-97 - Deuxième session
Président : L'honorable Doris Anderson
et
Les honorables sénateurs :
Spivak
Taylor
Le sénateur suivant a aussi participé aux travaux du Comité lors de son étude :
L honorable sénateur Gustafson.
ORDRE DE RENVOI
Extrait des Journaux du Sénat du mardi 18 novembre 1997 :
Lhonorable sénateur Gustafson propose, appuyé par lhonorable sénateur Stratton,
Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir des forêts au Canada; et
Que le Comité présente son rapport au plus tard le 15 décembre 1998.
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Le Greffier du Sénat
Paul C. Bélisle
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Extrait du Procès-verbal du Comité sénatorial permanent de lagriculture et des forêts le 19 février 1998 :
Quun sous-comité soit institué et quil soit autorisé à faire enquête sur différentes questions touchant lexploitation de la forêt boréale et toute autre question se rattachant à la foresterie que le comité pourrait lui renvoyer de temps à autre.
Que le sous-comité soit investi des pouvoirs conférés au comité sénatorial permanent de lagriculture en vertu des articles 89 et 90 du Règlement du Sénat, à lexception du pouvoir de faire rapport au Sénat directement.
Que cinq (5) membres, dont trois constituent un quorum, soit désignés pour faire partie du sous-comité.
Que le sous-comité sur la forêt boréale soit composé initialement des membres suivants : les honorables sénateurs Robichaud, Spivak, Stratton, Taylor et Whelan.
Que le greffier du sous-comité soit informé des substitutions.
La motion, mise aux voix est adoptée.
Le greffier du Comité
Blair Armitage
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Extrait des Journaux du Sénat du mardi 24 novembre 1998 :
Lhonorable sénateur Taylor propose, appuyé par lhonorable sénateur Mahovlich,
Que, par dérogation à lordre adopté par le Séant le 18 novembre 1997 à étudier létat actuel et les perspectives davenir des forêts au Canada, le comité permanent de lagriculture et des forêts soit habilité à présenter son rapport au plus tard le 30 juin 1999; et
Que le Comité soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.
Après débat,
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Le greffier du Sénat,
Paul C. Bélisle----------------------
Extrait des Journaux du Sénat du jeudi 29 avril 1999 :
Lhonorable sénateur Taylor propose, appuyé par lhonorable sénateur Maloney,
Que, les documents reçus et les témoignages entendus à propos de lexploitation de la forêt boréale durant la deuxième session de la trente-cinquième législature soient renvoyés au Sous-comité de la forêt boréale du Comité sénatorial permanent de lagriculture et des forêts.
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Le greffier du Sénat,
Paul C. Bélisle
LES RÉALITÉS ÉCOLOGIQUES
La forêt boréale au Canada
Le changement climatique et la forêt boréale
Aperçu de la forêt boréale aujourdhui
La "forêt fonctionnelle"
Tableau 1: Propriété, concessions et zones protégées forêt boréale de louest
Pratiques forestières
Pratiques sylvicoles
Usines et pollution
Approvisionnement ligneux et taux de coupe
Impacts cumulatifs de lactivité humaine
Tableau 2: Agents dapplication de la Loi sur les pêches - 1998
Aménagement durable de la forêt fonctionnelle
La forêt « oubliée »
La forêt « protégée »
Territoires provinciaux protégés
Parcs
Les territoires protégés protégeront-ils ce qui compte?
RECOMMANDATIONS
LA RÉALITÉ AUTOCHTONE
Utilisation traditionnelle des terres
Autres utilisations de la forêt : Possibilités daffaires et demplois
Évolution récente du partage des compétences
RECOMMANDATIONS
LA RÉALITÉ ÉCONOMIQUE
Tableau 3 : EMPLOI TOTAL DANS LINDUSTRIE FORESTIÈRE
Tableau 4 : VALEUR DES VENTES DE LINDUSTRIE FORESTIÈRE
Tableau 5 : EXPLOITATION DES FORÊTS
Tableau 6 : Lindustrie forestière canadienne, ventes et exportations, 1993-1997
Tableau 7 : Recettes fiscales provenant du secteur forestier
RECOMMANDATIONS
LA RÉALITÉ MONDIALE
RECOMMANDATION
LES QUESTIONS FONDAMENTALES
Annexe A - 35e législature - Visites
Annexe B - 35e législature - Témoins
Annexe C - 36e législature Témoins et Visites
Annexe D - Résumé daudiences
Le Sous-comité est davis que nous pouvons et devons élaborer des stratégies pour assurer la survie de notre forêt boréale menacée, tout en favorisant son utilisation traditionnelle et en préservant les avantages économiques et industriels.
Notre rapport traite de létat de la forêt boréale, des menaces bien réelles à sa survie et des possibilités qui soffrent à nous pour définir et modifier la trace laissée par lhomme. Notre étude sinspire des conseils et de lexpérience des collectivités autochtones, de lindustrie forestière et du milieu scientifique, des groupes de protection et de conservation de lenvironnement, et des autres utilisateurs de la forêt tels les touristes et les organisations de loisirs. Enfin, le Sous-comité sest intéressé à lexpérience de la Suède et de la Finlande, pays dont la plus grande partie des forêts originales ont disparu il y a près dun siècle et qui ont repris la production sous la forme dune gestion intensive de forêts essentiellement privées. Il a tenu, à Ottawa et dans différents endroits du pays, de nombreuses audiences publiques où une gamme dintervenants ont pu exprimer leurs préoccupations au sujet de la forêt boréale. Il a aussi visité des collectivités forestières et des établissements industriels partout au pays, ainsi quen Suède et en Finlande.
Nos recommandations ne se limitent pas à ce qui est du ressort du gouvernement du Canada. Une bonne part de nos constats et de nos suggestions ont trait aux activités des provinces, de lindustrie, des collectivités et municipalités boréales et de bien dautres intervenants. Ceci est voulu.
Dans son rapport, le Sous-comité insiste sur un point : même sil y a pas de solution instantanée et quil faut prévoir une longue période de transition pour apporter les correctifs qui simposent, la fenêtre des possibilités dont nous disposons pour préserver toutes les valeurs que recèle la forêt boréale se referme rapidement. Il faut passer de la parole à lacte dans les plus bref délais.
Nicholas W. Taylor
Président
La forêt boréale dans le monde, ressource dont le Canada est le principal gardien, est assiégée. Elle est menacée par le changement climatique qui pourrait lanéantir en grande partie à cause de lépuisement de la couche dozone et des précipitations acides. Au Canada, certaines parties de la forêt boréale sont aujourdhui menacées par le changement climatique et la surexploitation, notamment les grandes étendues de forêt vierge et les vieux peuplements. De plus, la forêt boréale canadienne est sollicitée au point quelle ne saurait plus être gérée comme elle lest actuellement. La récolte du bois, hautement mécanisée, saccélère comme cest le cas dans le secteur de la prospection et de lextraction des minéraux et du pétrole. Entre temps, la forêt boréale doit continuer dêtre le gîte et la source de subsistance de collectivités autochtones, lhabitat de la faune et un sanctuaire pour protéger la biodiversité et les bassins versants. Selon les consultations menées partout au pays par le Conseil canadien des ministres des Forêts ainsi que par le présent Sous-comité, il ne fait aucun doute que cette grande diversité de fonctions sont essentielles aux yeux des Canadiens à qui cette forêt appartient.
Face à tant de sollicitations, dattentes et de menaces, les Canadiens doivent trouver des moyens nouveaux et plus efficaces de gérer lactivité humaine dans la forêt boréale afin de concilier les réalités concurrentes que sont la conservation des ressources, le maintien du mode de vie et des valeurs des collectivités boréales, et la prospérité économique.
Le Sous-comité est davis que nous pouvons et que nous devons élaborer des stratégies qui contribueront à assurer la survie de notre forêt assiégée tout en y favorisant les utilisations traditionnelles et en générant des retombées économiques. Il est aussi davis quil est important de sengager très bientôt dans cette voie avant quil ne soit trop tard.
Pour concilier toutes les réalités concurrentes de la forêt boréale sans compromettre davantage la survie de la forêt, le Sous-comité recommande que la forêt boréale soit répartie en trois types de zones distincts. Une zone serait gérée intensivement, suivant le modèle scandinave, à des fins de production de fibres. À en juger par les exemples dont le Sous-comité a été témoin en Scandinavie, on pourrait, par une gestion intensive, octupler au moins la production canadienne actuelle de bois. Au bois et aux fibres fournis par les zones de gestion intensive pour approvisionner les usines pourrait sajouter le bois des peuplements durables des boisés privés, y compris celui des terres agricoles marginales reboisées aux limites de la forêt. On pourrait aussi accroître lutilisation de fibres de rechange. Les zones de gestion intensive pourraient par exemple être limitées à quelque 10 à 20 pour cent de la superficie totale de la forêt boréale.
Le deuxième type de zone, dune superficie plus grande, serait géré moins intensivement : on y maintiendrait un choix relativement naturel darbres dessences et dâges variés de façon à protéger la biodiversité de la forêt. Y serait aussi admise toute la gamme des collectivités et utilisateurs de la forêt, y compris les chasseurs et trappeurs autochtones, ainsi que les pourvoyeurs et canoéistes.
Le troisième type de zone, dune superficie dau moins 15 à 20 pour cent de la forêt boréale, serait constitué en zones protégées et comprendrait des zones utilisées traditionnellement par les Autochtones pour la récolte de bois, des zones écologiques représentatives et des habitats fauniques importants.
La population exige de plus en plus quon tienne compte de ses préoccupations dans les décisions concernant lutilisation des forêts. Le Sous-comité lui donne raison et est davis que des représentants de tous les intervenants forestiers, locaux ou régionaux, devraient participer à la désignation des zones susmentionnées. Selon lui, la gestion de la forêt devrait être confiée à des compagnies forestières aux termes dune tenure à long terme marquée au coin dune bonne gestion et dune participation importante de la collectivité au processus de vérification et de décision. La tenure de terres publiques serait sujette à des vérifications périodiques rigoureuses qui seraient menées par des experts qualifiés avec laide de représentants de la population locale. Les lois en matière de conservation sappliqueraient également aux forêts tant publiques que privées.
Le Sous-comité constate que la mise en uvre du système de désignation recommandé ici ne peut se faire instantanément : elle exigera un certain temps et une collaboration étroite entre les différentes autorités en cause. Toutefois, il est convaincu quil faut se fixer un tel objectif à long terme et sempresser dès maintenant de latteindre. Tout en poursuivant cet objectif, le gouvernement fédéral doit assumer ses responsabilités, surtout à légard des Autochtones. Le régime fiscal doit servir dinstrument pour favoriser ladoption de pratiques forestières écologiques.
En tirant ces conclusions, le Sous-comité ne prétend pas quil faut adopter intégralement le modèle scandinave. Malheureusement, il reste très peu de forêt vierge dans cette partie du monde. Le Sous-comité est cependant davis que nous pouvons apprendre beaucoup de lexpérience acquise par les Scandinaves en matière de gestion forestière intensive et ladapter à nos zones de gestion intensive. Ce faisant, nous pourrons ensuite soutenir une industrie forestière prospère tout en maintenant intactes de grandes étendues de forêt boréale dont nous avons encore la chance de nous enorgueillir. Cest ainsi que nous pourrons gagner sur les deux tableaux.
- Afin de concilier toutes les demandes concurrentes sur la forêt boréale, le Sous-comité recommande quon envisage sérieusement un régime forestier fondé sur les paysages et reconnaissant trois catégories dans la forêt boréale. La première, pouvant atteindre 20 pour cent du territoire de la forêt boréale, serait aménagée intensivement pour la production de bois. La deuxième, comptant pour la plus grande partie du territoire, serait aménagée moins intensivement à diverses fins, mais viserait essentiellement à préserver la biodiversité. La troisième, pouvant atteindre jusquà 20 pour cent du territoire, serait constituée en zones protégées pour en préserver la valeur hautement écologique et culturelle.
- Que, pour conserver son caractère sauvage à la forêt boréale, ressource canadienne précieuse et en voie de disparition, on complète au plus tard en 2002 le réseau de zones protégées, dont le parachèvement était prévu avant la fin de 2000.
- Que le gouvernement fédéral sempresse de délimiter, de créer et de protéger entre temps six nouveaux parcs nationaux dans la zone de forêt boréale.
- Que le gouvernement fédéral némette pas de permis de coupe ou autres dans les zones prévues pour des parcs, coordonne ses ministères pour que chacun sache où se trouvent ces zones et encourage les provinces à en faire autant.
- Que, une fois créés, les parcs nationaux et provinciaux soient vraiment protégés contre toute activité industrielle.
- Que le gouvernement fédéral commence à négocier avec les provinces un accord officiel engageant les parties à gérer écologiquement les parcs et leurs environs.
- Quon crée et applique des normes limitant la densité des routes et des sentiers en fonction de lendroit, dans la forêt boréale.
- Que des zones tampons soient prévues entres les aires de coupe et les parcs pour ne pas perturber les écosystèmes des parcs.
- Que, dans les zones protégées et les forêts aménagées, les gouvernements veillent à la préservation de lhabitat des grands mammifères en tenant compte de leurs besoins de superficie minimale et de contiguïté de territoires.
- Le gouvernement fédéral doit utiliser son pouvoir constitutionnel en matière de droits autochtones, de pêche, despèces menacées, doiseaux migrateurs, deaux navigables et dévaluation environnementale pour jouer pleinement son rôle à légard des forêts boréales du Canada.
- Que le Canada se dote dune Loi sur les espèces en péril rigoureuse reconnaissant limportance de protéger lhabitat dont dépend la survie de ces espèces, comme le font les États-Unis depuis les années 60.
- Que, dans la partie de la forêt boréale située près de la ligne des arbres, pour laquelle il ny a pas encore de bonnes méthodes sylvicoles, on interdise la coupe.
- Que, pour protéger la forêt boréale, le gouvernement fédéral applique rigoureusement la Loi sur les pêches et la Loi sur les oiseaux migrateurs, et utilise ses pouvoirs dévaluation environnementale pour empêcher lexploitation non écologiques des forêts et traiter des impacts interprovinciaux.
- Quon limite les coupes dans les vieux peuplements de la forêt boréale, qui sont essentiels à la préservation de la biodiversité, on en limite la coupe.
- Que le régime fiscal soit adapté pour favoriser un aménagement durable des forêts.
- Que des avantages fiscaux soient accordés aux propriétaires de boisés qui renoncent à couper leur bois pour protéger les espèces menacées ou leur habitat.
- Que des avantages fiscaux soient accordés pour favoriser le reboisement des terres agricoles marginales.
- Que les propriétaires de petits boisés ne soient plus imposés sur le potentiel commercial du bois sur pied, mais uniquement une fois le bois coupé et les recettes réalisées.
- Que les propriétaires de petits boisés puissent verser les recettes de lexploitation de leur bois dans des comptes en fidéicommis portant intérêt, à labri de limpôt, jusquà cet argent soit retiré et utilisé à des fins autres que laménagement durable des boisés.
- Que le gouvernement fédéral examine le traitement fiscal des boisés transmis de génération en génération au sein dune famille. Actuellement, certains propriétaires de boisés prétendent devoir exploiter leur bois pour pouvoir payer limpôt sur ces transactions familiales, au mépris de la conservation des boisés familiaux.
- Quon revoie les conditions dadmissibilité au supplément de revenu garanti des personnes âgées qui sont propriétaires de boisés et qui, dans la situation actuelle, peuvent être incitées ou forcées à « liquider » leur actif forestier.
- Que le gouvernement fédéral modifie le traitement des dépenses daménagement forestier des propriétaires de petits boisés, qui prennent parfois des décennies à rapporter. Revenu Canada maintient toujours que de telles dépenses doivent produire régulièrement des revenus sur un horizon de plusieurs années pour démontrer quil y a « espoir raisonnable de profit ». En foresterie, lhorizon doit être plus long.
- Que le ministre des Finances envisage de modifier le régime des pertes agricoles restreintes pour tenir compte quil faut plus de temps pour réaliser un profit en foresterie.
- Que les gouvernements encouragent les entreprises à investir dans la fabrication de produits à valeur ajoutée à partir du bois canadien.
Autres Recommendations :
- Que le gouvernement fédéral finance un inventaire national exhaustif des forêts, des sols forestiers et des organismes du sol.
- Que des données sur les écosystèmes soient recueillies et versées dans la Base nationale de données sur les forêts. Le Sous-comité a eu de la difficulté à étudier certaines questions parce que les données sont en général soit nationales, soit provinciales. Les données spécifiques sur la forêt boréale sont difficiles à trouver.
- Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord, le Service canadien des forêts et les autres organismes fédéraux assument leur part des responsabilités du gouvernement fédéral à lendroit de la nation métisse et des Premières nations dans leurs programmes portant sur les questions forestières autochtones.
- Que les gouvernements naccordent aucun permis de coupe aux compagnies forestières sur les terres traditionnelles utilisées par les peuples autochtones depuis des siècles ou dans des zones de revendications territoriales sans respecter les plus récentes décisions des tribunaux. Le Sous-comité est également favorable à un règlement rapide des revendications territoriales.
- Que les provinces reconnaissent lobligation fiduciaire de lÉtat de protéger et dhonorer les droits des Autochtones comme étant une responsabilité partagée en matière de foresterie, ce qui comprend lobligation des gouvernements de participer aux négociations entre les peuples autochtones et les représentants de lindustrie forestière.
- Que les utilisations traditionnelles des terres par les Autochtones soient prises en compte dans la planification de toute région boisée qui fait lobjet de telles utilisations ou de toute activité forestière qui pourrait compromettre les droits issus de traités des Autochtones.
- Que des mécanismes permanents et évolutifs soient prévus pour créer des partenariats entre le gouvernement, lindustrie et les peuples autochtones en matière de formation en foresterie, de démarrage dentreprises, daccès à des territoires forestiers et de création demplois.
- Que le gouvernement et lindustrie conjuguent leurs efforts pour favoriser la fabrication de produits du bois à valeur ajoutée dans les collectivités forestières et ainsi créer plus demplois dans le secteur forestier.
- Quon renforce les programmes de recyclage visant à permettre aux travailleurs forestiers déplacés de demeurer dans leur collectivité sans devoir quitter le secteur.
- Que le Canada prône internationalement lintégration des nombreux systèmes de certification forestière qui, isolément, sont moins efficaces.
Une vaste forêt de conifères sétale comme un manteau sur les épaules des contrées les plus septentrionales de la terrela Sibérie, lAlaska, le Canada et la Scandinavie. Tirant son nom de Boréas, le dieu grec des vents du Nord, la forêt boréale compte pour près du tiers des terres boisées de la planète et a été qualifiée du plus grand écosystème du monde. Elle renferme également les plus vastes étendues de marais et de lacs dans le monde. À linstar dautres forêts de la planète, elle est de plus en plus sollicitée par lactivité humaine. Comme en faisait état la Commission mondiale sur les forêts et le développement durable :
« Nous épuisons le capital naturel de la planète beaucoup plus rapidement quil ne se renouvelle. Au lieu de nous satisfaire de l« intérêt » du « capital naturel », nous empruntons auprès des collectivités plus pauvres et des générations futures. »(1)
Le Canada a un rôle important à jouer dans ce domaine, étant lun des principaux gardiens de lécosystème de la forêt boréale. Du Yukon et du nord-est de la Colombie-Britannique, cette forêt sétend sur le nord des Prairies et le sud des Territoires du Nord-Ouest, le nord de lOntario et du Québec, et les régions boisées du Labrador et de Terre-Neuve. Un lambeau pénètre même dans le nord du Nouveau-Brunswick.
Contrairement aux forêts des États-Unis, de la Scandinavie et de la plupart des autres nations, celles du Canada sont publiques; à peine 6 pour cent sont privées. Les forêts du pays relèvent à 71 pour cent des provinces et à 23 pour cent du gouvernement fédéral(2). Le Nouveau-Brunswick, où le pourcentage de forêt privée approche 50 pour cent, est lexception au Canada pour ce qui est de la forêt boréale.
La forêt sétend essentiellement sur des terres publiques gérées par les provinces, mais le gouvernement fédéral est responsable de nombreuses questions liées aux forêts : responsabilité fiduciaire à lendroit des peuples autochtones, protection des espèces menacées et des oiseaux migrateurs, gestion des eaux navigables et des pêches, évaluations environnementales, et avancement de la recherche et de la technologie en foresterie. Son rôle comme signataire de la Convention sur la biodiversité de 1992 et son engagement de Kyoto à réduire les émissions de gaz à effet de serre (comme le dioxyde de carbone) sont aussi étroitement liés à la gestion de nos ressources forestières.
Cette grande « forêt du Nord », habitat de lorignal et du loup, du caribou et de lours, constitue notre grande nature, notre frontière sauvage et la patrie dun grand nombre dAutochtones du Canada. La faune, les arbres, les lacs et les rivières qui sy trouvent appartiennent à tous les Canadienspatrimoine public de biodiversité dont peu dautres pays peuvent senorgueillir.
Depuis des siècles, ce patrimoine a été le fondement même du développement de notre pays. Avant que des colons européens ne sétablissent dans ce qui est devenu le Canada, les Autochtones chassaient, pêchaient et trappaient dans les forêts et défrichaient de petites parcelles pour faire pousser des cultures. Ils vivaient en harmonie avec la forêt et nexerçaient sur elle aucun impact à grande échelle. Lorsque des colons européens se sont établis au XVIIe siècle, ils ont commencé à défricher les forêts pour aménager des exploitations agricoles. La forêt était vue comme un obstacle au peuplement ainsi que comme une source commode de matériaux de construction. Au XVIIIe siècle a débuté le commerce du pin blanc avec lEurope, et surtout lAngleterre qui en faisait des mâts de bateau pour sa grande flotte navale. Entre temps, une industrie du sciage est née au Canada pour répondre au besoin grandissant de bois de construction des nombreux établissements qui se développaient au Canada et le nord-est des États-Unis. Les exportations vers lEurope ont continué daugmenter. Pendant cette période, lapproche à la gestion forestière en a été une dexploitation non réglementée des ressources. Les arbres avaient une valeur économique une fois abattus, et il fallait de toute façon les abattre pour laisser place aux établissements qui se développaient. Les approvisionnements étaient inépuisables car les forêts semblaient illimitées,(3)(4)
Au début du XIXe siècle, le commerce florissant des pâtes et papiers sest ajouté au commerce du bois et les recettes provenant des permis, des droits de coupe et des autres frais dutilisation imposés à une industrie forestière fébrile devinrent, pour les provinces, essentiels au financement de leur développement économique. LActe de lAmérique du Nord britannique de 1867 reconnut ce fait en donnant aux provinces de lest le contrôle des ressources naturelles, dont les forêts, leur permettant ainsi de conserver tous les revenus provenant des terres publiques provinciales. Ces droits aux ressources forestières ont été accordés après le développement de louest.
Les gouvernements provinciaux continuent encore de tirer directement et indirectement des revenus importants dindustries forestières. (voir tableau 7, p. 68) Ce nest quà la fin du XIXe siècle que des voix ont commencé à sélever devant la vitesse à laquelle les forêts disparaissaient. Après tout, elles nétaient peut-être inépuisables. Cest à cette époque que les premières grandes réserves forestières ont été créées et que dautres territoires ont été mis de côté pour être préservés dans leur état boisé naturel. Laménagement forestier sest mis à changer considérablement, la science ayant fait de grands pas et lÉtat ayant créé des organismes et des ministères pour contrôler lindustrie.
Cette « ère de conservation » a été suivie dans les années 1930 à 1980 par une politique daménagement axée sur le maintien du « rendement durable » du bois, visant à respecter un équilibre entre croissance nette et exploitation.(5)
Il est amplement démontré que les utilisations et les pratiques de gestion actuelles de la forêt détruisent notre patrimoine, que nous abattons trop darbres sur de trop grandes superficies et que nos politiques forestières ont été mauvaises. Pourtant, sur papier, le Canada mène une politique inspirée de laménagement durable. Ces visions contradictoires peuvent-elles être toutes les deux bonnes? Quen est-il de laménagement forestier durable au Canada aujourdhui? Sommes-nous sur la bonne voie et vers où nous mène-t-elle?
Le Sous-comité de la forêt boréale a entrepris cette étude afin de répondre à ces questions. Il a examiné en particulier les questions liées à lenvironnement, aux Autochtones et aux enjeux internationaux.
Nous avons été désarçonnés par lampleur et la complexité des enjeux que pose la forêt boréale aujourdhui changement climatique, droits ancestraux et issus de traités, commerce international et biodiversité. Nous avons constaté que la façon dont les gens évaluent la forêt boréale évolue et que la gestion forestière au pays fait lobjet dune importante réévaluation.
Bien des Canadiens seraient étonnés de voir tout ce qui se passe aujourdhui dans la forêt boréale. Les activités qui sy pratiquent ne se limitent pas à la seule exploitation industrielle des forêts, mais sétendent également à la mise en valeur des ressources énergétiques, au défrichement de terres agricoles, à la construction de routes et à des activités récréatives et touristiques dans un milieu auparavant inaccessible. Ces activités se sont développées sur une grande échelle depuis quelques décennies.
Ce bourdonnement dactivité sest accompagné ces dernières années dune activité tout aussi intense dans les conseils dadministration et les conseils municipaux où des personnes préoccupées par la forêt ont cherché à baliser la route de léquilibre entre lexploitation et la conservation. Le Service canadien des forêts et le Conseil canadien des ministres des forêts ont fait produire deux plans quinquennaux successifs (stratégies nationales sur les forêts) en consultation avec le public. Fondée sur une vision, des principes et des plans daction à légard des forêts canadiennes, ils constituent une étape importante vers laménagement forestier durable. Le Conseil canadien des ministres des forêts définit comme suit lobjectif de « laménagement forestier durable » est :
« dentretenir et daméliorer à long terme la santé des écosystèmes forestiers au bénéfice de tous les êtres vivants, autant au niveau national quinternational, tout en assurant à la génération actuelle et aux générations futures des bonnes perspectives environnementales, économiques, sociales et culturelles ».(6)
En 1992, le Canada est devenu le premier grand pays à adopter un accord sur les forêts. Les 25 organismes signataires (la Coalition pour la Stratégie nationale sur les forêts) sont un vaste regroupement de gouvernements, fédéral, provinciaux et territoriaux, de syndicats, de lindustrie, de groupes autochtones, de groupes de défense de lenvironnement, duniversitaires et dorganismes privés propriétaires de boisés. Ils ont supervisé la mise en uvre de deux stratégies quinquennales nationales sur les forêts et établi le contexte dun deuxième accord canadien sur les forêts qui a été signé en 1998 par 39 organismes. Dans cet accord, les signataires confirment que
« Nous aménagerons nos forêts de façon à intégrer toute une gamme dusages et de valeurs, dont la production de matière ligneuse, les habitats fauniques, et les étendues en parcs et à létat sauvage ».(7)
Les chercheurs du Service canadien des forêts ont établi un ensemble de critères et dindicateurs pour mesurer les progrès de laménagement forestier durable.
Les provinces, signataires de lAccord, se sont engagées à préparer leur propre plan daction dans le cadre de la Stratégie nationale sur les forêts, avec une importante participation du public; certaines ont des codes de pratiques pour les opérations forestières. Les signataires de lindustrie ont aussi préparé des plans daménagement forestier durable.
Il semble donc que nous en sommes maintenant au point où ces notions de transformation éventuelle sont répandues dans le milieu forestier. Cependant, les institutions, les plans de gestion et les pratiques forestières sur le terrain nont guère changé, dans la plupart des cas.
Le changement de cap ne saute pas immédiatement aux yeux dans la forêt. Nombre de décisions prises aujourdhui auront un impact sur la forêt dont hériteront les petits-enfants de nos petits-enfants, et non sur la forêt actuelle. Toutefois, cest la situation actuelle qui inquiète bien des gens. Il flotte un sentiment durgence, une impression, du moins dans certaines régions de la forêt boréale, que le temps est compté pour sauver certains éléments vitaux dont la forêt assure le maintien, tels les habitats fauniques, les bassins versants et les « puits de carbone ». Nous avons limpression de mettre rapidement fin à certains des nombreux avantages et services que la forêt offre à la population et auxquels cette dernière sattend.
Le Sous-comité a aussi entendu beaucoup de témoignages sur limportance quaura toujours la forêt pour la prospérité économique du pays. Même si laménagement a changé au fil des ans, lindustrie forestière occupe toujours un des premiers rangs dans la vie économique du Canada. Des centaines de milliers de Canadiens travaillent directement ou indirectement dans le secteur forestier dont la contribution à la balance commerciale du pays est de 30 milliards de dollars par année. Cest ce quon appelle la « réalité économique » dune demande croissante.
Concilier les réalités écologiques et économiques de la forêt boréale est un défi énorme. Toutefois, au cours de la présente étude, le Sous-comité a relevé dautres « réalités » quil faut ajouter à léquation et équilibrer en fin de compte. Celle dont le Sous-comité a entendu le plus parler et à légard de laquelle le gouvernement fédéral pourrait jouer un grand rôle est la « réalité autochtone ». Au Canada, bien des Autochtones vivent encore dans la nature. La forêt boréale est leur milieu de vie, et sa santé est essentielle à leur survie. Ils doivent participer davantage à laménagement de leurs forêts et retirer davantage de la richesse quelle génère. Le gouvernement fédéral a la responsabilité, négligée ou oubliée selon bien des gens, de représenter les Autochtones auprès des provinces qui établissent des plans de mise en valeur de nos forêts.
Au cours de létude, le Sous-comité a également été sensibilisé de près à la « réalité internationale » des pratiques forestières. Important acteur dans le commerce international des produits de la forêt, le Canada doit satisfaire aux demandes de plus en plus pressantes des consommateurs et leur prouver, probablement par une certification reconnue internationalement, quil gère ses forêts dune manière écologique.
Le présent rapport est le fruit de nos recherches. Nous espérons quil suscitera un débat public sur le meilleur sort à réserver à ce patrimoine commun.