Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 22 - Témoignages du 31 août 1999 (séance du matin)
OTTAWA, le mardi 31 août 1999
Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-32, Loi visant la prévention de la pollution et la protection de l'environnement et de la santé humaine en vue de contribuer au développement durable, se réunit aujourd'hui à 9 h 12 pour en faire l'examen.
Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bonjour, sénateurs, et bienvenue pour la suite de notre étude du projet de loi C-32.
Nous accueillons ce matin M. François Blais, juriste-traducteur du Centre de traduction et de documentation juridique, à qui nous avons demandé de comparaître. Celui-ci a aimablement accepté de venir nous expliquer la définition dont nous avons parlé concernant le terme «cost-effectiveness» et ses équivalents en français.
Monsieur Blais, je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie beaucoup de comparaître devant nous. Comme vous le savez, nous nous intéressons uniquement à un segment en particulier. Nous vous serions reconnaissants de nous communiquer votre opinion à cet égard. Vous avez la parole, monsieur.
[Français]
M. François Blais, directeur du Centre de traduction et de documentation juridique, Université d'Ottawa: Monsieur le président, permettez-moi de me présenter; je suis directeur du Centre de traduction et de documentation juridique à l'Université d'Ottawa. Je suis membre du Barreau du Québec, de la Corporation des traducteurs et interprètes du Nouveau-Brunswick et de l'Association des juristes traducteurs du Canada.
Pour en venir tout de suite au coeur du sujet, -- comme je le mentionne dans la lettre que vous avez tous reçue -- il existe une différence entre le texte anglais et le texte français. Il semble qu'on ait omis la notion de «cost» dans le texte français. Selon le Grand Robert et la plupart des autres dictionnaires, le terme «effectif» signifie simplement «qui se traduit par un effet, par des actes réels», alors que «cost-effective» en anglais, pour sa part, comporte plutôt l'idée de quelque chose qui offre un bon rapport coût/efficacité. Selon la banque Termium du Bureau de la traduction, le terme «cost-effective» signifie:
[Traduction]
...economical in terms of tangible benefits by money spent.
[Français]
L'équivalent français de cette expression est:
Se dit d'une stratégie, d'une décision, d'un programme, d'un processus ou d'une opération qui produit des résultats nets positifs par rapport aux coûts qu'il entraîne.
On retrouve exactement la même définition dans le dictionnaire Ménard, dictionnaire de la comptabilité.
Il semble donc qu'il existe une distinction assez importante entre les termes «mesures effectives» et «cost-effective measures». Il y a une nuance qui n'existe pas en français. En général, on traduit «cost-effective» par «rentable, efficient ou économique», selon Termium et selon la plupart des dictionnaires. Dans un projet de loi, je sais qu'on tente d'éviter le terme «rentable» parce qu'il a une connotation de recherche de profits, tandis que dans «cost-effective», il n'y a pas nécessairement cette recherche de profits. Il faut tout simplement avoir un bon rapport coût/efficacité.
J'ai aussi fait une rapide recherche dans les lois fédérales où on retrouve assez souvent le terme «cost-effective» qui est rendu, à quelques reprises, par «rentable». Notamment dans le cas de la Loi sur les carburants de remplacement, qui est assez récente, on dit à l'article 3:
[Traduction]
...where it is cost-effective and operationally feasible,
[Français]
Et se traduit par «lorsque cela est rentable et faisable».
Dans la Loi sur les transports au Canada, on dit à l'article 130(4):
[Traduction]
...unless there is no cost-effective continuous route wholly within Canada.
[Français]
Et au même article en français:
[...] il n'est toutefois pas tenu de le faire s'il n'y en a pas qu'il puisse emprunter convenablement pour un prix concurrentiel.
On a retenu cet aspect du terme. Le coût, donc le prix, est concurrentiel. Dans la Loi sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui est également une loi très récente, on dit dans le préambule:
[Traduction]
The Government of Canada wishes to have that foods inspection agency deliver those services in a cost-effective manner.
[Français]
Qui se traduit par:
[...] que cette Agence d'inspection des aliments rende ces services d'une manière économique.
Là aussi, «économique» est un équivalent possible. On a gardé encore cet aspect que l'on ne retrouve pas d'ailleurs, je le souligne à nouveau, dans le texte français du projet de loi C-32.
Enfin, dans la Loi nationale sur l'habitation, à l'alinéa 99c), on dit:
[Traduction]
[...] the cost-effective implementation of any federal or provincial housing arrangement.
[Français]
Qui est rendu en français par «afin de favoriser la mise en <#0139>uvre au moindre coût».
C'est une solution très élégante d'ailleurs. Finalement, dans la Loi sur les océans, au paragraphe 41(2), on dit:
[Traduction]
The minister shall ensure that the services referred in subparagraphs are provided in a cost-effective manner.
[Français]
Et qui est rendu par:
[...] que les services [...] sont dispensés de la manière la plus économique et la plus judicieuse possible.
C'est également une bonne solution. Pour résumer, je crois que le terme «effectif», dans la version française, ne rend pas tout à fait le «cost-effective» de la version anglaise. Il aurait été plus judicieux de le rendre par «efficient» ou peut-être «rentable» ou une autre solution comme celle que je viens de vous mentionner.
[Traduction]
Le sénateur Spivak: Monsieur Blais, d'après votre expérience, est-il possible de faire coïncider les deux versions autrement qu'en adoptant un amendement? Pensez-vous que ce soit une erreur monumentale?
[Français]
M. Blais: Ce n'est certainement pas une erreur très grave et c'est assez facile à modifier. Il suffit soit de modifier la version française, en mettant un terme qui est plus approprié tel que «efficient» ou «rentable», ou de modifier la version anglaise, ce qui serait plus compliqué, pour la rendre conforme à la version française. Il faut que les deux versions correspondent, c'est le but de l'opération. En anglais, il s'agirait pour la rendre conforme à la version française, de laisser tomber la notion de «cost». C'est aux rédacteurs de décider.
[Traduction]
Le sénateur Spivak: D'après ce que vous dites, il semble que le terme «effectif» en français a absolument le même sens que le terme anglais «effective», qui signifie «atteindre un but», mais sans aucune connotation de coût. Êtes-vous d'accord?
[Français]
M. Blais: Je suis entièrement d'accord.
[Traduction]
Le sénateur Spivak: Il n'y a pas de connotation de rapport prix-efficacité quant à la manière utilisée pour atteindre un but.
[Français]
M. Blais: C'est cela, pour atteindre un but. Sauf qu'en français, entre «effective» et «effectif», il y a un rapport de faux amis et il faut faire attention. Le «effective» en anglais se rend plutôt par «réel» ou «des mesures...». Dans le dictionnaire des faux amis par exemple, il est dit: «Les autorités nous ont apporté aucune aide effective» en français, qui serait rendu en anglais par «any real or material». Mais par contre:
[Traduction]
I know an effective remedy for headaches.
[Français]
«Je connais un remède efficace.» Mais selon les définitions du dictionnaire, «effectif» vise un but, qu'on atteigne un but réel, tangible. Donc pour répondre à votre question, avec certaines nuances, le «effective» en anglais correspond bien au «effectif» en français.
[Traduction]
Le sénateur Spivak: Autrement dit, «une mesure effective» en français pourrait être une mesure qui n'est pas du tout économique. Ce pourrait être une mesure beaucoup plus coûteuse. Ce ne serait pas nécessairement une mesure économique. Je pense que c'est important étant donné qu'en l'occurrence, notre examen ne porte pas uniquement sur un concept; nous envisageons un volet administration et c'est un principe qui a été avancé tout au long du projet de loi. Il se peut que l'on obtienne deux versions totalement différentes sur le plan de l'administration, en français et en anglais, ce qui pourrait évidemment donner lieu à des litiges. Or, c'est précisément ce que nous voulons éviter.
Le sénateur Taylor: Je m'aventure dans un domaine que je connais très peu.
Dans votre lettre, monsieur Blais, vous vous êtes borné à faire valoir que le terme «cost-effective» devrait se rendre par «rentable» et «efficient». J'ai en main un autre document de la Bibliothèque du Parlement qui introduit le terme «efficacious». Pourquoi avoir passé cela sous silence dans votre lettre alors que ce terme semble pratiquement interchangeable avec «efficace ou rentable»?
[Français]
M. Blais: Oui, «efficace» et «effectif» sont interchangeables, c'est à peu près la même définition en français. Je ne l'ai pas mentionné, simplement parce que je ne jugeais pas que c'était nécessaire. On m'avait demandé justement d'analyser «cost-effective» et «effectif». Mais oui, «efficace» pourrait être utilisé tout aussi bien et cela ne changerait rien à la version française.
[Traduction]
Le sénateur Taylor: Je remarque qu'on utilise le terme «efficace» dans un certain nombre d'autres lois.
Remontons plus en arrière encore. Quelle est la racine latine de «rentable»? Vous dites que c'est un produit qui engendre des résultats nets justifiant un investissement en capital. De quelle façon l'usage de ce terme diffère-t-il de «louer»? Quelle est la différence entre les deux racines?
[Français]
M. Blais: Probablement, je n'ai pas la version latine des deux termes, mais je pense que le mot «effectif» est plus moderne que «efficace». «Effectif» est venu par la suite, on dit que c'est un terme qui date de 1792. C'est peut-être dans la réforme administrative française, lors de la Révolution française, qu'on a décidé que «effectif» était plus à la mode que «efficace». Il a un sens particulier qui est peut-être plus précis que «efficace». «Efficace» serait le terme plus général. «Effectif» signifie: «qui se traduit par un effet, par des actes réels». Alors que «efficace» signifie: «qui donne un bon rendement, qui a un bon effet». Je m'avance un peu, j'ai peu de base pour vous répondre.
[Traduction]
Le sénateur Taylor: Les termes «efficacious» et «efficient» en anglais sont très semblables aux définitions que vous avez données. «Efficient» signifie qu'il doit y avoir profit en retour. «Efficacious» signifie simplement qu'une action a lieu.
Les termes «rentable» et «louer» me posent quelques difficultés. Je digresse quelque peu, mais si je m'adresse à un commerçant francophone en venant travailler, aurais-je l'air supérieur si j'emploie «rentable» plutôt que «louer»? Pourquoi devrais-je utiliser l'un plutôt que l'autre?
[Français]
M. Blais: Je n'ai pas très bien compris le deuxième terme que vous avez utilisé. Rentable et louer?
Le sénateur Nolin: «Rent» et «rentable».
M. Blais: «Rent» et «rentable».
[Traduction]
Le sénateur Taylor: Vous voyez maintenant à quel point c'est compliqué. Les autres membres du comité ont enfin compris les questions et veulent maintenant intervenir. C'est comme enlever la couverture sur la cage d'un canari.
Le président: Nous savons maintenant pourquoi l'Ouest ne comprend pas l'Est.
[Français]
M. Blais: Pour répondre à votre question, il y a peut-être une même racine, c'est-à-dire que le mot vient probablement de la même racine: «rentable» et «rent». Il y a aussi un aspect économique dans «rentable» et dans «rent». Peut-être qu'on peut lier les deux termes par cela. Le mot «rentable» veut dire: «qui va apporter un bénéfice quelconque, qui a aussi un bon rapport coût/efficacité». Alors que le mot «rent» veut dire tout simplement: «louer, une location». En français, il n'y a aucun rapport.
[Traduction]
Le sénateur Taylor: Par conséquent, «louer» n'a pas nécessairement un sens économique. Je terminerai mon interrogatoire -- faute d'un meilleur terme -- en disant qu'il me semble que nous soyons en train de couper les cheveux en quatre.
Le président: Ce n'est pas une futilité.
[Français]
Le sénateur Nolin: Monsieur Blais, il me semble qu'il y a une divergence qui n'est peut-être pas majeure, mais il y a définitivement une divergence -- je ne dirai pas d'intention -- dans les termes utilisés dans la version anglaise et la version française. Si des tribunaux étaient confrontés à cette possible contradiction entre les deux versions, quelle serait, selon vous, leur conclusion?
M. Blais: Un tribunal qui serait aux prises avec un problème qui découle de l'interprétation du texte anglais ou du texte français devrait voir l'intention du législateur. Dans ce cas-ci, ce n'est pas tout à fait évident parce qu'il y a vraiment une différence entre les deux termes. En français, comme je l'ai dit au tout début, il n'y a pas la notion de «cost», de rentabilité ou d'économie alors qu'en anglais, il y a cette notion. Un tribunal serait sans doute obligé, d'après l'ensemble de la loi, de comprendre ce que le législateur voulait dire avec ces termes. Il noterait qu'il y a une divergence, mais il devrait trancher et ce, en faveur ou au détriment de la personne qui conteste ou qui est devant le tribunal.
Le sénateur Nolin: Avez-vous eu le temps d'examiner l'intention du législateur?
M. Blais: Non, sénateur Nolin.
Le sénateur Nolin: Vous avez restreint votre examen aux deux termes utilisés?
M. Blais: Uniquement aux deux termes utilisés.
Le sénateur Nolin: Lesquels vous semblent différents.
M. Blais: Différents, oui.
Le sénateur Nolin: Pour ne pas dire contradictoires?
M. Blais: C'est cela.
[Traduction]
Le sénateur Hays: La réponse était-elle oui?
Le président: La réponse était que oui, il y a contradiction.
[Français]
M. Blais: J'ai dit qu'ils étaient contradictoires, mais c'est peut-être un peu fort. Il faut nuancer parce que cela dépendrait de la définition qu'on voudrait donner à «cost-effective» et à «effectif». Il y a vraiment une divergence. C'est en ce sens que j'ai répondu oui au sénateur Nolin.
Le sénateur Nolin: Le fait qu'en français on ne fait aucune référence à la notion mercantile ou économique de l'efficacité m'amène à parler de contradiction. Maintenant, le terme que vous avez utilisé est différent et certainement approprié. Il ne m'apparaît pas suffisant, mais c'est définitivement différent.
[Traduction]
Le président: Monsieur Blais, serait-il utile que le terme «cost-effective» soit défini dans la loi?
[Français]
M. Blais: Cela aiderait certainement un tribunal qui aurait éventuellement à se pencher sur la question. Il faudrait que la définition corresponde en français aussi. À ce moment, il faudrait certainement modifier les deux textes de loi. Il serait sans doute plus facile de modifier l'une ou l'autre version.
[Traduction]
Le président: S'il n'y a pas d'autres questions, nous remercions M. Blais d'être venu.
Collègues, je vous présente M. Sam Bock, qui est venu me voir à Calgary après m'avoir été chaudement recommandé par d'autres sources. J'ai trouvé sa démarche rafraîchissante. Il nous offre une toile de fond intéressante. M. Bock voulait comparaître devant le comité et je lui ai dit que je ferais mon possible pour qu'il puisse le faire et présenter son point de vue à titre de simple citoyen, mais un simple citoyen très savant.
Vous avez la parole, monsieur Bock.
M. Sam Bock (témoignage à titre personnel): Honorables sénateurs, j'apprécie beaucoup l'occasion qui m'est donnée de comparaître aujourd'hui. Comme je l'ai dit au sénateur Ghitter, je trouve formidable que nous ayons un Sénat composé de membres nommés, ce dont je ne me rendais pas pleinement compte avant de prendre connaissance de plusieurs transcriptions de vos délibérations antérieures. J'ai été très impressionné par tout ce que j'ai lu. Je m'étais rallié à l'opinion, courante dans l'Ouest, selon laquelle le Canada a besoin d'un Sénat élu, sans fouiller la question en profondeur, mais je ne suis plus du tout de cet avis.
Le sénateur Nolin: Vous n'avez pas d'objections à ce que nous utilisions votre témoignage à d'autres fins, n'est-ce pas?
Le président: Vous pourriez peut-être commencer par nous donner une idée de vos antécédents, de vos études et de votre expérience.
M. Bock: Je me suis intéressé à l'environnement et aux sciences toute ma vie. Depuis les 20 dernières années, je me suis particulièrement attaché à l'étude de la physique des particules, de la chimie nucléaire et des sciences de la santé. Je détiens un baccalauréat en économie et en études environnementales. Ma thèse consistait en une analyse scientifique et économique comportant une prévision sur les besoins en énergie et en technologies en Amérique du Nord, plus particulièrement en ce qui concerne les combustibles fossiles, l'énergie nucléaire et les sources énergétiques de substitution.
Après avoir travaillé plusieurs années à Wall Street et à Denver au financement de projets reliés à l'énergie, j'ai laissé les affaires pour devenir athlète et entraîneur à temps plein dans le domaine du bobsleigh et de l'athlétisme. Afin de mettre au point de nouvelles méthodes à l'intention des entraîneurs et des athlètes, j'ai commencé à faire de la recherche en chimie de la'alimentation et en mécanique et biochimie sportive.
Pour améliorer les chances de réussite de nos athlètes, j'ai lancé une petite société de R-D, Paragon Technologies, afin de concevoir, mettre au point et fabriquer de nouveaux équipements sportifs pour l'entraînement et la compétition. Cette entreprise a fourni et continue de fournir aux principaux fabricants de chaussures de sport de haute performance des conseils en matière de conception et de fabrication.
Les programmes reliés aux sports de Paragon -- ceux que nous avons élaborés dans le cadre d'une association et de cette société -- ont aidé les athlètes canadiens à remporter des médailles aux Jeux olympiques et aux Championnats mondiaux ainsi qu'à établir de nombreux records du monde, dans une grande mesure grâce au nouvel équipement que nous avons mis au point, ainsi qu'à la chimie nutritionnelle appliquée qui nous a permis de réussir naturellement dans des sports où est répandu l'usage des stéroïdes.
Je crois que mes 10 années d'expérience comme entraîneur et mes études de biochimie, alliées à ma connaissance des finances, de la conception et de la fabrication, m'ont permis de bien comprendre les préoccupations tant des écologistes que des gens d'affaires. Je crois fermement que ces deux groupes peuvent, et doivent, fonctionner en harmonie pour que nous puissions relever avec succès les défis du XXIe siècle.
J'aimerais aborder aujourd'hui quelques questions liées à la chimie qui, à mon avis, sont importantes en regard du projet de loi, et vous expliquer les conséquences du libellé de la mesure. Il existe deux types d'activités chimiques de base qui fonctionnent de façon très différente.
Le premier type, celui qui est le plus souvent utilisé dans l'industrie, est l'activité chimique se produisant de façon aléatoire dans laquelle une substance réagit avec une autre lorsqu'elles sont mises en présence dans certaines conditions. Une voiture mélange de façon aléatoire l'essence avec de l'oxygène et le brûle pour créer du gaz carbonique et de l'eau. Si les ratios de carburant et d'oxygène sont bons, comme c'est bien connu, les émanations ne sont pas toxiques pour la vie végétale et animale -- eau et dioxyde de carbone. Cependant, s'il n'y a que suffisamment d'oxygène pour combiner un atome d'oxygène avec chaque atome de carbone, ce sera plutôt un monoxyde de carbone qui sera produit. En outre, les impuretés qui se trouvent dans le carburant, comme les composés du souffre, peuvent réagir avec l'oxygène pour créer de l'anhydride sulfureux, par exemple.
La création de sous-produits chimiques dans une voiture est aléatoire et essentiellement libre. C'est un point très important. La majeure partie de l'activité chimique utilisée dans les processus industriels est de cette nature, aléatoire et libre. Nous pouvons la contrôler dans une certaine mesure, et nous y réussissons passablement bien, mais nous sommes toujours en train de créer quelque chose que nous ne voulons pas nécessairement.
Les réactions chimiques aléatoires créent des sous-produits aléatoires. Si c'était la seule façon qu'avaient les produits chimiques d'interagir, il n'y aurait pas de vie sur la Terre puisque les processus de la vie sont ordonnés et exigent le recyclage de sous-produits spécifiques, et non pas ceux qui sont produits de façon aléatoire.
Pour empêcher la création de sous-produits aléatoires et maximiser l'utilisation des nutriments, toutes les formes de vie utilisent une réaction chimique enzymatique comme base pour catalyser la croissance et maintenir la santé. Les enzymes permettent aux formes de vie de bâtir très rapidement des modèles précis et complexes. Les réactions enzymatiques sont jusqu'à 3 000 fois plus rapides que les réactions aléatoires, ce qui permet à la vie de s'épanouir et de se regénérer.
Qui plus est, les enzymes ne réagissent qu'à des composés particuliers d'une façon distincte et ne produisent pas normalement des sous-produits aléatoires. Ceci est très important parce que le sous-produit particulier d'une enzyme est le carburant d'un autre. C'est ce qui nous permet de réorganiser encore et encore les produits chimiques dans notre corps. La progression ordonnée de la vie ne serait pas possible si les enzymes produisaient des sous-produits aléatoires puisque ces derniers boucheraient notre système en perturbant la matrice complexe de l'action interdépendante des enzymes.
En somme, nous avons dans notre système des centaines de milliers d'enzymes qui travaillent toutes en harmonie les unes avec les autres. Si l'on fait en sorte d'en perturber une, l'effet se fait sentir sur toutes les autres. Il faut parfois très longtemps comme nous pouvons le constater dans le contexte plus vaste de la nature.
Il importe de comprendre que le corps recycle constamment des matériaux. Cela est possible uniquement parce que les enzymes ne polluent pas vraiment. Elles se bornent à engendrer un produit spécifique que nous pouvons utiliser de nouveau.
Étant donné que les véhicules automobiles et la plupart des processus industriels ne recyclent pas leur carburant, comme le font les humains et les animaux, ils engendrent de façon aléatoire des produits qui ne les touchent pas. Cependant, les produits chimiques synthétiques ou synthétisés de façon aléatoire dérangent souvent la chimie reposant sur les enzymes des formes de vie végétales et animales.
Il a fallu des millions d'années d'évolution pour que s'établissent les systèmes d'enzymes. Les formes de vie végétales et animales sont incapables de s'adapter à l'explosion des produits chimiques élaborés depuis les 40 à 50 dernières années puisqu'elles ne peuvent pas mettre au point d'un jour à l'autre de nouvelles enzymes capables de traiter les nouveaux produits chimiques. L'évolution des systèmes enzymatiques leur permet uniquement de traiter des composés naturels. Voilà pourquoi les milliards de tonnes de produits chimiques synthétiques que nous produisons sont devenus très problématiques pour la vie animale et végétale saine. Par conséquent, il faut exercer une très grande prudence dans l'utilisation des sept millions de produits chimiques que nous avons créés et il faut les régir adéquatement.
Notre compréhension des produits chimiques la plus récente ne permet aucune autre conclusion. Dans ce cas, pourquoi les Canadiens déversent-ils des centaines de millions de livres de substances toxiques partout dans notre environnement? Il est clair que nous ne comprenons pas toutes les répercussions de nos gestes.
Aux États-Unis, la production annuelle de produits chimiques organiques a grimpé en flèche, passant d'un million de tonnes en 1930 à 500 millions de tonnes ou un billion de tonnes en 1990. Et depuis 1994, aux États-Unis, il se crée approximativement une tonne de déchets municipaux par personne par année. Qui plus est, une tonne de déchets dangereux est créée par personne par année et encore plus scandaleux, une tonne de déchets industriels est créée par personne par semaine.
La façon dont tous les pays industrialisés polluent la planète est l'une des actions les plus irresponsables jamais commises par l'humanité. Comme l'a rapporté la chaîne radiophonique de Radio-Canada récemment, de tous les Etats américains et de toutes les provinces canadiennes, le Texas et l'Ontario étaient les plus grands pollueurs. Cette nouvelle était accablante mais prévisible et elle indique que nos totaux de pollution par habitant ne peuvent être très différents de ceux des États-Unis. Nous savons tous que le Canada affiche les mêmes niveaux d'utilisation par habitant des ressources et de l'énergie que son partenaire du sud.
Malheureusement, il n'existe pas beaucoup de données canadiennes desquelles nous pourrions tirer des chiffres solides, de sorte que sans pousser les choses trop loin, j'ai dû recourir aux données américaines pour avoir une idée de la situation ici.
Une goutte de dioxine est suffisante pour tuer 1 000 personnes. En 1993, dans le bassin des Grands Lacs seulement, les entreprises canadiennes ont déclaré qu'elles avaient déversé 111 millions de livres de produits chimiques toxiques. Bien que les quantités «déclarées» soient inférieures aujourd'hui, les quantités réelles à l'époque et aujourd'hui sont beaucoup plus élevées parce que l'Inventaire national des rejets de polluants d'Environnement Canada exclut de grandes sources d'émissions toxiques. Il est difficile de le croire, mais les secteurs de l'agriculture, de l'exploitation forestière, de la pêche, du forage pétrolier et des mines ne sont pas tenues de déclarer leurs rejets. Seules les industries en aval qui traitent leurs propres produits doivent le faire. Il est évident que ces industries primaires contribuent largement énormément à la pollution des pesticides et des produits chimiques.
J'ai déjà travaillé sur des plates-formes de forage et je peux vous dire ce que j'y ai vu couramment. Nous déversions tout ce que nous utilisions sur le chantier dans un grand trou que nous remplissions ensuite. Il s'y retrouvait du carburant diesel et la moitié des produits chimiques utilisés dans notre travail. Ayant vécu en Alberta une grande partie de ma vie, cela me dérange énormément de savoir qu'il existe de tels sites contaminés un peu partout dans le Nord.
En outre, les données de l'inventaire n'indiquent pas les déversements de plusieurs substances très toxiques, comme la dioxine et le mercure qui sont déversés en quantités inférieures au seuil de déclaration. Combien de gouttes de dioxine sont incluses dans les 111 millions de livres de déchets toxiques dont j'ai parlé tout à l'heure? Le gouvernement a essentiellement créé des règles relatives à la déclaration de la pollution qui permettent à l'industrie de polluer en secret et qui font croire à tort à la population que ce secteur rend des comptes à Environnement Canada.
Pour aggraver le problème, environ 95 p. 100 de la production de produits chimiques industriels sont dérivés du pétrole. Par conséquent, bon nombre de ces composés sont liposolubles et s'accumulent dans nos tissus adipeux. Ces résidus pétrochimiques se concentrent dans les animaux gras qui se situent en haut de la chaîne alimentaire. On estime que 90 à 95 100 de tous les pesticides vaporisés sur les aliments conventionnels se concentrent dans la viande, le poisson et les produits laitiers, soit les animaux au sommet de la chaîne alimentaire. Or, c'est nous qui sommes ces animaux.
Les succès de nos athlètes aux Jeux olympiques ont été rendus possibles par l'adhésion à un régime alimentaire organique. J'ai veillé soigneusement à ce qu'ils ne consomment pas des aliments de source conventionnelle car ceux-ci renferment trop de pesticides, ce qui aurait nui à leur performance. En outre, ces aliments conventionnels ont été dépouillés de leurs minéraux par les produits chimiques et les fertilisants d'utilisation courante.
La possibilité de concentration est alarmante. D'après la U.S. EPA, les poissons peuvent accumuler jusqu'à 9 millions de fois les niveaux de BPC du milieu aquatique dans lequel ils vivent. C'est un chiffre terrifiant. Et comme si ce n'était pas suffisant, sachez que la moitié des prises de poissons dans le monde est donnée à manger au bétail, où les toxines se retrouvent en plus grande concentration encore.
Souvent, nous n'avons pas les enzymes ou la capacité dans nos systèmes lymphatiques pour traiter adéquatement les aliments synthétiques ou les autres composés qui entrent dans notre corps. Une accumulation de composés synthétiques peut nuire ou enrayer les réactions biochimiques normales du corps et entraîner une mutation génétique ou une maladie dégénérative.
Il n'a pas fallu longtemps après le moment où Monsanto a commencé à produire des BPC qu'il est devenu évident que ces produits chimiques posaient de graves problèmes à la vie humaine. Trois ans après le début de la production, les visages et les corps de 23 des 24 travailleurs de l'usine Monsanto sont devenus défigurés. Cela n'a pas arrêté Monsanto. Depuis lors, plus de 1,5 milliard de livres du produit chimique ont été produits par Monsanto et d'autres firmes. On croit que l'on peut probablement trouver des BPC dans les tissus de chaque poisson de la planète.
Des synthèses de produits qui ressemblent beaucoup à des composés organiques peuvent également tomber dans les sites récepteurs biochimiques et stimuler de façon erronée le corps de manière indésirable. C'est le problème que posent les imitateurs et les perturbateurs du système endocrinien.
La santé est normale. La maladie ne l'est pas. Normalement, les défauts génétiques sont très rares. Le modèle génétique de pratiquement tous les êtres humains s'est transmis efficacement d'une génération à une autre sans interruption depuis le début de la vie sur Terre. On estime que les probabilités d'avoir un véritable défaut génétique sont de cinq sur 1 000. Notre composition génétique a été constamment raffinée par la nature tout au long de l'évolution de l'homme. Le génie génétique de la nature est si parfait et répétitif dans sa capacité de se réparer et de se regénérer que rien de ce qu'a pu concevoir l'homme ne se rapproche, même de loin, de quelque chose d'aussi perfectionné.
Si le corps fonctionne si bien, pourquoi de si nombreuses personnes sont-elles malades? Pourquoi le cancer est-il maintenant la première cause de mortalité dans le pays? Pourquoi dépensons-nous 74 milliards de dollars en soins de santé, soit plus de 2 000 $ par personne par année? À ce rythme, nous dépenserons 150 000 $ par personne en soins de santé tout au long de la vie d'un Canadien, soit presque un million de dollars pour une famille de six. Nous sommes en train de mettre en faillite notre société et d'hypothéquer notre avenir.
Les gouvernements du monde entier n'ont pas réglementé adéquatement la révolution chimique qui a débuté dans les années 30. Aujourd'hui, le cancer tue plus d'enfants américains que toute autre maladie. Vous vous souvenez certainement qu'il y a 40 ans, le cancer chez les enfants était pratiquement inexistant. Nos industries agricoles et chimiques détruisent inopinément nos sols et les aliments qui y sont produits avec des déchets chimiques, des engrais chimiques, des pesticides et les récoltes transformées génétiquement.
La pollution, sous la forme d'eau et d'air contaminés, d'aliments modifiés chimiquement ou génétiquement, d'engrais chimiques qui modifient l'équilibre des minéraux dans les sols, de pesticides pulvérisés sur les récoltes et les pelouses, d'additifs alimentaires artificiels, de radiation électronique, et cetera, est en grande partie responsable des maladies dégénératives et des mutations biologiques des formes de vie. Beaucoup d'entre nous tombons malades parce que nos corps sont débordés et n'arrivent plus à éliminer les substances non naturelles qui nuisent aux réactions biochimiques naturelles.
Contrairement à ce que croyaient les experts et les gouvernements dans le passé, nous découvrons qu'il n'existe pas de niveau sûr pour les produits chimiques toxiques. Ces produits chimiques se sont lentement répandus dans toute la chaîne alimentaire et affaiblissent maintenant notre système immunitaire et causent des maladies chez toutes les formes de vie. Il n'y a aucune raison pour qu'il en soit ainsi. Les intérêts économiques et politiques à court terme ont causé un tort considérable à l'environnement et inutilement noirci la réputation de l'industrie chimique.
La plupart des gens ne comprennent pas comment les toxines nous rendent malades. S'ils le comprenaient, ils ne mangeraient pas ou n'utiliseraient pas un grand nombre de produits qu'ils achètent aujourd'hui. La pollution chimique peut mettre beaucoup de temps à endommager le bagage génétique d'un animal ou d'un être humain adulte de sorte que tout semble presque normal jusqu'à ce qu'il soit trop tard.
Pis encore, ce type de pollution cause des dommages génétiques immédiats chez les foetus. En 1986, en Arkansas, le lait de 70 p. 100 des mères qui allaitaient était contaminé avec de l'heptachlore, un pesticide d'utilisation courante, par ailleurs toxique, qui avait été interdit plusieurs années auparavant. À peu près à la même époque, une étude menée à d'Hawaii menée auprès de 120 nourrissons dont le lait maternel avait été contaminé à l'heptachlore, a révélé un retard grave dans le développement de leur cerveau.
Malheureusement, ce ne sont pas là des cas isolés. Il y a trop de cas de ce genre pour que je puisse les inclure tous dans mon mémoire, mais ils étaient très répandus aux États-Unis, dans les Etats où ces études ont été réalisées.
Récemment, plus d'une décennie plus tard, la U.S. Agency for Toxic Substances and Disease Registry a finalement confirmé que l'on a conclu avec certitude que l'exposition aux produits chimiques toxiques sur une longue période avait une incidence sur l'intelligence des enfants qui y sont exposés dans l'utérus. De tels exemples montrent qu'il faut appliquer le principe de la prudence au moment d'évaluer des nouveaux composés chimiques et de décider d'utiliser ou non une substance.
J'aborde maintenant ce que je considère être la partie la plus importante de mon mémoire. Pris dans leur ensemble, tous ces faits et statistiques nous amènent des conclusions très alarmantes, et pourtant incontournables. Même si nous cessions de rejeter des toxines demain, comme conséquence de celles déjà déversées, les taux de cancer devraient continuer à augmenter pendant plusieurs années encore puisque historiquement, les données révèlent que les répercussions environnementales généralisées accusent un certain retard par rapport aux actions qui les causent. Étant donné qu'il est peu probable que nous puissions arrêter la pollution toxique immédiatement, nous pouvons par conséquent déduire que les taux de cancer augmenteront probablement à un rythme encore plus rapide qu'à l'heure actuelle. Il est réaliste de prédire qu'un fort pourcentage des citoyens de notre société connaîtront une mort prématurée à cause du cancer. Le phénomène a déjà commencé d'après les nouvelles statistiques sur la mortalité.
Bien que ce soit une perspective effrayante, une menace encore plus grave pour l'avenir de notre société est posée par le problème du dommage génétique immédiat causé au foetus qui représente l'avenir même de notre société. Nous pouvons nous attendre à un nombre considérable d'enfants affligés d'une intelligence amoindrie, de difficultés d'apprentissage permanentes et de systèmes immunitaires faibles, diminuant l'intelligence et la force physique de l'ensemble de notre société. Dans une courte période, nous menaçons d'annihiler des millions d'années d'évolution. Il n'y aura pas de retour en arrière.
La décision de permettre que se poursuive cette oeuvre de destruction est entre vos mains et celles des autres membres du gouvernement.
La plupart des Canadiens ne s'intéressent pas à la chimie de l'environnement et s'ils n'ont pas suffisamment de connaissances en chimie pour effectuer des choix éclairés, c'est au gouvernement qu'il revient d'effectuer la recherche et la classification nécessaires pour les protéger. Les Canadiens font confiance au gouvernement et s'attendent à ce que ce dernier fasse les bons choix stratégiques.
La LCPE doit tenir compte des réalités chimiques fondamentales. Elle doit élaborer les principes de l'utilisation durable des produits chimiques qui nous permette d'établir un cadre socio-économique viable. Elle doit exiger une classification immédiate de tous les composés que nous créons afin que nous puissions réglementer adéquatement le recours aux produits chimiques et éliminer la production et l'utilisation des substances dangereuses.
Nos décisions relativement à l'utilisation des produits chimiques auront d'importantes répercussions sur notre bien-être économique et social. Il n'est pas avisé d'envisager les facteurs économiques et sociaux à court terme alors que nous jetons les bases d'une politique à long terme sur les produits chimiques.
Le projet de loi C-32, dans sa forme présentée au comité permanent de la Chambre des communes en mai dernier, était un bon point de départ pour le Canada. Bien qu'il ne tienne toujours pas compte de certaines préoccupations environnementales, il prévoit un cadre de travail pour ce qui est le plus important. Il établira un principe de prudence bien défini et prévoira un système accéléré et indépendant pour éliminer certaines substances toxiques d'après leur toxicité inhérente.
Le projet de loi prévoit aussi la classification de 23 000 des 80 000 produits chimiques utilisés couramment aujourd'hui dans le monde entier, et la quasi-élimination des substances jugées toxiques. Ce serait aux manufacturiers de faire la preuve que la sécurité d'une substance avant son lancement sur le marché commercial. Le ministre de l'Environnement serait habilité à mettre en oeuvre le principe de prudence et à agir rapidement et indépendamment, au besoin, pour protéger l'environnement et les citoyens du Canada.
Ces importantes caractéristiques ont été rendues nulles par les modifications subséquentes qu'a exigées l'industrie et qu'a approuvées le ministre de l'Environnement, et qui ont rendu le projet de loi contradictoire, ambigu et inefficace. Chacune de ces modifications dresse un important obstacle à une intervention rapide et efficace visant à protéger la santé humaine. Je vais résumer l'effet de ces modifications sur le projet de loi.
La définition du principe de prudence a été diluée avec la réapparition de la notion de rentabilité. Un principe de prudence efficace rentable est une contradiction dans la lettre. Le Canada est déjà signataire de nombreux accords en matière d'environnement, dans lesquels ce principe est défini raisonnablement et ou il n'est pas question de rentabilité.
On a supprimé un moyen rapide et indépendant d'éliminer certaines substances toxiques d'après leur toxicité inhérente. Les clauses de quasi-élimination ont été atténuées. Il n'est plus exigé de s'efforcer de réduire le plus possible les substances toxiques les plus dangereuses. Un accent inutile est maintenant mis sur des impératifs d'ordre économique à court terme.
L'autorité du ministre de l'Environnement a été réduite, puisqu'il lui faut demander l'approbation du Cabinet pour de nombreuses décisions lorsqu'il tentera de s'opposer à des activités menaçant notre environnement et notre santé. Au lieu d'exiger des fabricants qu'ils prouvent la sécurité des nouveaux produits chimiques, comme le proposait le comité permanent de la Chambre des communes, le projet de loi adopté à l'étape du rapport charge de manière irresponsable le ministre de l'Environnement de ce fardeau. Le projet de loi, sous sa forme actuelle, dégage l'industrie de l'obligation de se comporter de manière responsable et expose potentiellement les Canadiens à encore plus de toxines qu'il en existe maintenant. Quel genre de gouvernement peut, en toute connaissance de cause, accorder aux affaires plus d'importance qu'à la santé et au bien-être de ses citoyens, y compris de lui-même?
Pour connaître la formulation exacte des modifications au projet de loi que propose le comité permanent de la Chambre des communes, il suffit de consulter le document que vous avez tous reçu et qui forme l'annexe A.
Le Sénat ne devrait pas permettre l'adoption du projet de loi C-32 avant que leur vigueur n'ait été rendue à ces dispositions essentielles. Ne pas le faire reviendrait tout simplement à fermer les yeux sur la destruction de notre environnement.
Une LCPE rigoureuse et efficace devrait être la première étape de la mise en ordre du dossier des produits chimiques. En guise de complément à ce projet de loi, nous devrions créer de nouvelles lois qui prévoiraient l'octroi d'importants crédits d'impôt pour la recherche et le développement, et d'autres mesures fiscales incitatives liées aux impôts pour que l'industrie du Canada mette au point des technologies industrielles et de transport qui soient sans danger pour l'environnement au XXIe siècle.
Les problèmes de santé attribuables à la pollution et au réchauffement planétaire ne laisseront à la société d'autres choix que de mettre au point de telles technologies. Dans notre système de libre entreprise, la technologie est mise au point selon la demande. Les gouvernements et les sociétés avant-gardistes reconnaissent les besoins futurs et mettent en oeuvre des programmes de recherche et de développement pour que la technologie y réponde.
Il incombe à l'industrie canadienne d'engager l'expertise technique nécessaire à la mise au point de ces technologies. Le Canada doit aider l'industrie à investir dans l'avenir. Ces technologies seront aussi nécessaires au XXIe siècle que les ordinateurs et les systèmes de communication l'ont été durant la deuxième partie du siècle présent. Les nations et les entreprises qui les mettront au point seront aussi prospères que les responsables des technologies précédentes. Le Canada et son industrie devraient ouvrir la voie. Il n'y a pas de raison que nous ne puissions être en même temps sains et prospères.
Le sénateur Hays: Je crois que vous avez réitéré dans une certaine mesure des choses que nous avons déjà entendues sur l'opinion de nombreux Canadiens au sujet de ce qui arrive à leur environnement. Le plus déroutant, c'est que nous ne savons vraiment pas quelles sont les conséquences à long terme de la dissémination des produits chimiques. L'espérance de vie des humains est en moyenne, disons, de 75 ans.
Cela me rappelle un peu le titre d'une pièce de théâtre, «Arrêtez le monde, je veux débarquer». Bien entendu, nous ne pouvons pas débarquer. Nous sommes inexorablement engagés dans un processus où on tente de trouver réponse à ce qui vous préoccupe pour de nombreuses raisons -- de votre point de vue d'humains inquiets qui ont des opinions bien arrêtées sur les conséquences de la dissémination incontrôlée ou contrôlée des produits chimiques dont nous ne savons rien, et qui voudraient bien être, comme vous l'avez dit dans votre dernière phrase, riches mais aussi en santé.
C'est ce qui oblige les gouvernements provinciaux à adopter les positions qu'ils défendent. Vous n'en avez rien dit, mais je peux très bien imaginer la réaction dans ma province de l'Alberta, qui, je crois, est aussi la vôtre, si le gouvernement fédéral déclarait qu'il allait réglementer la prospection et la production pétrolière et gazière, ou encore la réaction des gens du Manitoba si nous nous avisions de décréter que nous allons désormais prendre les rênes de l'exploitation de leurs forêts.
Le sénateur Spivak: Je le voudrais bien.
Le sénateur Hays: Bien sûr, et certaines personnes le souhaitent aussi, mais je ne peux qu'imaginer la réaction que cela provoquerait. D'autres gouvernements jugent avoir des responsabilités dans le domaine, et ils estiment très bien s'en acquitter.
Beaucoup dressent du monde des affaires le même portrait que vous. Au dernier point vignette de la page 6, vous déclarez que ce projet de loi n'est pas bon parce qu'il tient compte des entreprises et, dans votre dernier paragraphe, vous dites qu'il incombe à l'industrie canadienne, soit encore aux entreprises, de résoudre le problème.
Je vais vous poser une question très générale, que nous avons posée à presque tous les témoins. Compte tenu du point où nous en sommes maintenant, alors que nous avons investi d'énormes quantités de ressources -- des ressources financières, humaines et émotionnelles -- pour en arriver là où nous en sommes, est-ce que ce serait vraiment une bonne chose de tout arrêter maintenant ou acceptons-nous le projet de loi C-32 pour faire avancer les choses?
M. Bock: Non. J'ai réfléchi à cette question. J'entends de plus en plus dire que nous en sommes au point où nous envisageons soit d'adopter cette loi, soit de revenir à celle de 1988. Aucune de ces solutions n'est acceptable.
Selon moi, il faut faire ce que je suggère à mes athlètes. Nous avons abattu un travail énorme jusqu'ici. Je me rappelle l'époque où j'ai fabriqué un bobsleigh qui représentait une bonne partie de ma vie. Il a descendu la piste sans se rendre nulle part. Cela ne m'a pas empêché de continuer d'essayer de l'améliorer et, croyez-le ou non, il a suffi d'y faire quelques changements pour qu'il batte un record mondial. Il y avait des très petites choses à modifier mais pour lesquelles il nous a fallu travailler longtemps. Regardez quelqu'un comme Donovan Bailey, aussi arrogant soit-il, ou n'importe lequel de nos grands athlètes: ils n'arrêtent pas de se heurter à des obstacles. En essayant d'atteindre le sommet et de faire ce qu'il y a de mieux de quelque chose, il est certain qu'on rencontre des problèmes, et la solution n'est certainement pas d'abandonner la partie.
Vous avez réalisé un travail phénoménal, et je ne crois pas que nous soyons bien loin du but avec ce projet de loi. Je suis un environnementaliste, mais mon mouvement m'a parfois gêné parce qu'il peut sembler trop extrême. Nous avons déjà eu affaire là. Nous nous sommes mis dans la tête que l'industrie et les environnementalistes ne pourront jamais s'entendre, qu'il y aura toujours des conflits et que les entreprises sont toujours contre l'environnement. Je ne suis absolument pas d'accord avec cela.
Il nous faut instaurer de nouveaux programmes. Nous devons reconnaître ce qui motive notre société. Qu'est-ce qui motive tous ces athlètes? L'argent. Qu'est-ce qui motive les entreprises? L'argent encore -- les impôts.
Si nous pouvions concrétiser certaines choses de la manière appropriée, nous pourrions motiver nos entreprises à s'adapter et à atteindre leurs objectifs. Sans ce supplément de stimulation, comme un entraîneur qui encourage un athlète, ce genre de chose, souvent, ne peut pas se réaliser.
C'est là où nous en sommes. Ce comité et le gouvernement doivent continuer d'émettre des encouragements. Je sais bien que M. Anderson est dans une posture délicate. Son parti s'est fermement opposé à toute autre discussion sur cette loi, mais il me semble que ce serait manquer de prévoyance. Nous atteignons presque le but. À la fin de mai, le sous-comité de la Chambre des communes a proposé une excellente loi.
Je ne crois pas que l'industrie devrait tellement craindre de souffrir d'une telle loi. Il nous faut avoir les moyens appropriés de savoir ce qui est réellement disséminé dans notre environnement. Ce projet de loi permettra au moins de recueillir cette information. Nous devons contrôler ces substances. Sans cela, nous le paierons très cher pendant très longtemps. Nous pourrions mettre en péril l'avenir de tout le pays.
Le sénateur Hays: Vous avez dressé à la page 5, la liste des parties importantes du projet de loi. Si je lis bien le projet de loi, des mesures sont prévues à ces sujets. Une tentative a été faite d'expliquer le principe de prudence, bien que ce ne soit pas la définition que privilégie le comité de la Chambre des communes, ni un bon nombre des membres de ce comité.
D'après ce que je vois sur la liste, le projet de loi C-32 prévoit des mesures à propos de chacun de ces éléments, mais rien n'arrivera pour certains d'entre eux avec la LCPE actuelle. C'est un peu comme votre analogie avec le bobsleigh. Je ne connais pas grand-chose du bobsleigh, mais il me paraît plutôt effrayant et dangereux. Quel est le fondement du succès? Est-ce que c'est le bobsleigh? C'est de cela qu'on parle ici -- les coureurs, la cabine, la configuration aérodynamique, tous les aspects importants. Ou encore est-ce l'équipe qui utilise le bobsleigh? Il me semble que l'équipe et le bobsleigh doivent travailler ensemble. Une bonne équipe sur un mauvais bobsleigh peut probablement bien s'en tirer, mais une mauvaise équipe sur un mauvais bobsleigh n'aurait peut-être pas le même succès.
Le véritable test sur la manière dont le projet de loi C-32 s'appliquera dans la loi sera dans ce qu'en fera le gouvernement. Je vous entends, et bien d'autres témoins, dire «s'il vous plaît, dirigez mieux le ministère; faites en sorte que toutes ces choses qui ne sont pas arrivées arrivent».
M. Bock: Excusez-moi de vous interrompre, mais nous devons viser la quasi-élimination des substances toxiques persistantes. C'est cela qu'il faut faire. Je n'ai pas cité les études que j'ai lues dans le cadre de mon travail de recherche sur la chimie de la nutrition, et comme travailleur dans le domaine de la santé, alors que je cherchais à déterminer ce qui n'allait pas dans notre système, mais j'ai vu tellement de jeunes enfants apathiques, sans éclat dans le regard, parce qu'ils sont nourris d'aliments de piètre valeur nutritive. Ils mangent des cochonneries. De nombreuses études le démontrent, mais elles ne retiennent pas l'attention des médias parce qu'elles semblent tout simplement trop effrayantes.
Le scénario que j'ai présenté ici semble effrayant, mais c'est ce que nous vivons maintenant. Vingt-sept pour cent de notre population meurt maintenant du cancer. C'est un pourcentage énorme. Nous vivons un cauchemar. Cela peut ne pas sembler si mal parce que nous survivons, mais quand nous l'écrivons noir sur blanc, cela fait peur.
Nous pouvons nous habituer à beaucoup de douleur et de difficultés, et c'est ce que nous faisons maintenant, mais cela ne fera que s'aggraver. Il n'y a pas de doute que la race humaine survivra, mais combien d'entre nous survivront, et quelles forces nous resteront au bout de tout cela, dans une vingtaine ou une trentaine d'années?
Nous devons donner à l'industrie certains incitatifs pour entamer le changement. Le Canada est toujours à la traîne des autres. Pourquoi? Nous avons beaucoup de gens innovateurs. Nous devrions avoir une plus grande foi et laisser nos industries et notre gouvernement diriger la marche. Nous ne devrions pas copier les systèmes américain et britannique qui semblent pouvoir faire l'affaire. Laissons libre cours à notre propre initiative. Nous avons conçu l'Arrow. L'industrie canadienne a connu un bon nombre d'autres grandes réalisations. Pourquoi ne pas développer nos propres technologies et les vendre dans le monde entier? Soyons des chefs de file et récoltons-en les fruits.
Le sénateur Buchanan: Monsieur Bock, vous avez utilisé le terme «effrayant». Nous avons entendu beaucoup de commentaires autour de cette table depuis environ une semaine. Le vôtre est probablement le plus effrayant, à propos de ce qui pourrait ou ne pourrait pas arriver dans le monde. Je ne dis pas que vous ayez tort. Vous avez parlé de statistiques sur les produits chimiques organiques qui sont passés de quelque 7 millions de dollars en 1950 à un trillion de livres.
M. Bock: C'est-à-dire 500 milliards de tonnes.
Le sénateur Buchanan: C'est beaucoup.
M. Bock: C'est vrai.
Le sénateur Spivak: C'est une révolution industrielle.
Le sénateur Buchanan: Comment expliquez-vous que les gens vivent plus longtemps en 1999 qu'en 1930, 1940 ou 1950?
M. Bock: C'est un peu compliqué, mais il y a de bonnes raisons pour cela. Je vais vous faire la meilleure analogie que je puisse trouver: quand vous vous regardez dans le miroir, tous les matins, vous voyez la même personne. Il ne semble pas y avoir beaucoup de changements, mais votre système est en train de se renouveler. C'est sujet à débat, mais d'après certains, votre système effectue un renouvellement intégral tous les deux ou trois ans, chaque atome de votre corps est remplacé par d'autres atomes par le biais de votre nutrition. Votre code génétique est continuellement copié, recopié et perpétué.
C'est un avantage que d'être plus âgé sur cette planète, parce que le système de quiconque qui est né avant les années 1950 est fondé principalement sur une nutrition biologique. Vous êtes donc partis d'une base très solide. J'ai 40 ans. Je suis né en plein coeur de la révolution chimique. Ma génération n'est pas aussi solide que la vôtre. Nous voyons maintenant un plus grand nombre de malformations chez les nouveau-nés et des problèmes génétiques généraux qui n'existaient pas auparavant.
Cela prend du temps pour que votre code génétique soit complètement écrasé par des produits chimiques persistants, parce que l'ADN est si bien fait. La structure formée en double hélice lui permet de se réparer constamment, mais ce pouvoir de réparation peut un jour être annihilé. Nous vivons peut-être plus longtemps maintenant, mais beaucoup de gens ne vivent pas plus longtemps en bonne santé.
Le sénateur Buchanan: Voulez-vous dire qu'il y aura réversion de la longévité?
M. Bock: Je le crois. Je ne peux pas en faire la preuve aujourd'hui, mais c'est mon avis de chercheur. Oui, nous le verrons. Voyez ce qui est arrivé en Russie. L'espérance de vie des gens peut être écourtée. Absolument.
Le sénateur Buchanan: En Amérique du Nord, voyez-vous des indices précurseurs de cette réversion?
M. Bock: Je vois les statistiques sur le cancer monter en flèche, oui. J'observe les parents de mes amis. Le grand-père de ma femme a survécu à plusieurs de ses enfants. Il est en bien meilleure santé à 96 ans que son fils de 67 ans.
Le sénateur Cochrane: Vous ne pouvez pas en tirer cette conclusion.
M. Bock: Est-ce que j'ai dit que je le faisais? Je constate certaines choses. Je ne peux pas prouver ce que je vous dis maintenant. Je dis seulement qu'il y en a certains signes.
Les statistiques démontrent que le cancer est à la hausse, de même que les maladies dégénératives. Si nous voulons vivre de longues années avec une maladie dégénérative, c'est une chose, mais la qualité de vie est un facteur important.
Le sénateur Buchanan: Je le sais bien. Quelqu'un a parlé de politique il y a quelques minutes. J'ai oeuvré sur la scène politique provinciale pendant 25 ans. Tout ce temps-là, nous avons fait la promotion du poisson pour des motifs de santé, et nous le faisons encore maintenant. Cependant, d'après ce que je lis dans votre mémoire, nous devrions tout au contraire dire aux gens de ne pas manger de poisson. Mon Dieu, je ne retournerais plus jamais à Sambro!
Le sénateur Spivak: Il y a bien des endroits où les gens se le font dire.
Le sénateur Buchanan: Non, ce n'est pas vrai. Nous faisons encore la promotion du poisson en tant qu'aliment sain.
M. Bock: C'est vrai. Nous faisons aussi la promotion de nos produits cultivés selon les méthodes conventionnelles comme étant des aliments sains. Si vous me demandiez si c'est sain pour mes athlètes, je vous dirais que non, ce ne l'est pas. Je ne leur permets pas de manger de ces choses-là.
Le sénateur Buchanan: Mais les athlètes mangent du poisson.
M. Bock: Oui, ils mangent du poisson, mais vous devez comprendre qu'il faut beaucoup de temps à ces toxines pour s'accumuler dans notre système. Elles ne nous abattent pas forcément immédiatement.
J'étudie depuis longtemps la physique des particules. Vous pourriez être radié aux rayons bêta pendant longtemps et n'en constater les effets qu'au bout de 20 ans, après que les mutations que subit votre ADN aient entraîné des changements.
Je possède un petit bout de terrain au bord de la rivière Stikine, une superbe région reculée du Canada. J'ai appris tout récemment ce qui arrive aux poissons de là-bas. J'aurai désormais beaucoup de difficulté à manger le poisson que j'aime tant là-bas. Cela me rend fou de penser qu'en tant qu'omnivore, je suis poussé au végétarisme de source biologique parce que je ne peux pas avoir un bon approvisionnement de viande dans le pays. La viande contient des éléments toxiques.
Demandez au sénateur Adams ce qui se passe dans le Nord. Nous savons ce qui est arrivé à l'approvisionnement là-bas et aux gens qui consomment ces aliments. Nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire. Nous sommes l'organisme le plus fortement constitué sur la planète. Nous pouvons encaisser beaucoup avant d'être abattus, mais nous sommes déjà nombreux à en ressentir les effets, à preuve, l'augmentation des décès dus au cancer. Il n'y a pas si longtemps, les maladies cardiaques étaient les premières causes de décès. Le cancer vient de les dépasser, et je crois que nous pouvons nous attendre à ce que cette tendance persiste.
Le sénateur Buchanan: Je terminerai en vous affirmant que dans 30 ans, je discuterai encore de tout cela avec vous.
M. Bock: Il y a des moyens de contourner ces problèmes difficiles. Je suis tenté actuellement de créer une famille et que je me demande si je dois vraiment amener des enfants dans ce monde, et je suis plutôt optimiste. Je suis entraîneur sportif, et je fais de mon mieux pour mener des enfants jusqu'aux Olympiques. Je suis généralement d'un esprit assez positif. Nous devons envisager cette situation assez grave avec un esprit positif.
Les statistiques sont alarmantes. Si je devais faire un pari sur les chances de ces statistiques de se confirmer, je parierais qu'elles le feront. Cependant, je crois qu'il y a des façons pour nous d'envisager les choses de manière à améliorer la situation. La nature a les moyens de se guérir, mais pas tant que le problème n'a pas été cerné et que nous n'appliqueront pas de solutions.
Le sénateur Taylor: Monsieur Bock, vous dressez là un tableau plutôt noir, un peu comme ces pasteurs du renouveau religieux que je voyais passer dans nos campagnes quand j'étais enfant. Ils nous disaient que nous devions nous repentir, sinon quelque chose de terrible nous arriverait.
Vous avez parlé d'un nouvel équipement et de chimie appliquée de la nutrition. Est-ce que vous recommandez certaines herbes et vitamines aux athlètes que vous entraînez?
M. Bock: Nous prescrivons certains groupes alimentaires et nous évitons certains types de gras. Je crois que ce qui est considéré aujourd'hui comme une bonne nutrition changera dans l'avenir. À la fine pointe de la recherche en nutrition, les avis sont nombreux et varient sur ce qui est bon, comparativement à ce que bon nombre de nos gouvernements nous disent qu'il est bon de consommer.
En général, nous consommons plus que la plupart des gens de certains composés chimiques pour stimuler nos muscles et faire certaines choses. Nous pouvons améliorer cela, mais, en général, je fais mes athlètes consommer des aliments de source biologique.
Le but de l'athlétisme, par exemple, est de se rendre à un certain point plus vite que quelqu'un d'autre. Pour y arriver, il faut se reposer et récupérer, et utiliser son énergie efficacement. Si votre corps est occupé à faire un travail supplémentaire pour évacuer des toxines et que votre foie doit travailler plus fort pour nettoyer votre corps plutôt que de fabriquer de nouveaux tissus pour la performance athlétique, vous ne faites que réprimer votre potentiel.
Tout ceci a été déclenché par les résultats positifs des analyses de Ben Johnson. Nous nous sommes rendu compte qu'il est possible, par injection, de stimuler une partie minuscule de notre constitution biologique -- l'ARN -- pour fabriquer plus de muscles en utilisant des stéroïdes anabolisants; ou on pourrait envisager le tableau d'ensemble et stimuler l'état de santé global. Tous ces facteurs biochimiques différents font de vous la personne que vous êtes. C'est ainsi que nous voyons les choses.
Nous ne prescrivons pas nécessairement des herbes particulières, bien que cela puisse arriver, si c'est jugé approprié. Cependant, nous essayons d'augmenter l'ingestion de certaines sources biologiques de minéraux et d'huiles riches qui contribuent à l'absorption de l'oxygène dans le système et à l'accélération du métabolisme. Nous utilisons aussi certains types de protéines qui peuvent être plus riches que d'autres. Mais surtout, nous avons un régime alimentaire très spécifique.
Le sénateur Taylor: À part votre équipement, est-ce que vous fabriquez et vendez certains de ces suppléments nutritifs?
M. Bock: Non. Je fais un peu de consultation pour aider les gens qui ne réussissent pas trop bien et qui pourraient, d'une certaine façon, être malades. Je les aide à collaborer avec leur médecin pour améliorer leur nutrition.
Nous concevons des types spécifiques de pantalons de course qui permettent aux coureurs de maintenir une température corporelle adéquate. Donovan Bailey porte ces pantalons. Nous concevons de l'équipement de bobsleigh pour nos athlètes, des crampons pour l'athlétisme, et d'autres choses du genre.
Le sénateur Taylor: J'apprécie beaucoup mes séances d'exercice, maintenant, qui constituent principalement à sauter aux conclusions, à éviter de voir les faits et à m'échiner sous les malentendus.
Connaissez-vous la différence entre l'ancienne LCPE et la nouvelle? Le président a bien résumé les choses. Je crois qu'il plaisantait, mais de la bouche des enfants sort la vérité et le roman fleuve.
Nous avons discuté, au comité, du concept d'un renouvellement quinquennal. Bien sûr, il y a toujours quelque chose à débattre, mais il faut bien commencer quelque part. J'ai l'impression que vous reprochez au projet de loi de ne pas avoir avancé aussi rapidement que vous l'auriez souhaité.
Vous êtes entraîneur d'athlètes olympiques, et il est certainement difficile de pousser la Chambre des communes à avoir une performance olympique, mais vous avez bien raison d'essayer. J'ai l'impression que le projet de loi C-32, même s'il a ses défauts, est néanmoins une bonne base pour lancer les choses, quitte à le renouveler dans les quatre ou cinq prochaines années. Ce serait une erreur de revenir à la case départ et d'essayer de réinventer la roue. Aussi imparfaite que soit notre performance, nous nous sommes rendus à ce point de notre entraînement; nous pouvons bien aller un peu plus loin. Vous aimeriez bien voir ces améliorations, mais est-ce que je vous interprète mal si je dis qu'aussi imparfait qu'il soit, ce projet de loi est tout de même mieux que ce qu'il était il y a cinq ans?
M. Bock: J'ai beaucoup entendu cet argument ces derniers temps, venant des médias et du ministre Anderson. Je crois que beaucoup a été fait pour ramener ce projet de loi à ce qu'il était avant l'étape du rapport.
Le sénateur Taylor: Nous sommes un peu revenus en arrière.
M. Bock: C'est cela.
Le sénateur Taylor: Est-ce que nous sommes revenus à la case départ?
M. Bock: Je crois que vous avez beaucoup trop reculé. Ne pas prévoir de quasi-élimination est inacceptable.
Le sénateur Taylor: Parlons donc un peu de la quasi-élimination. Quelle est votre définition de «quasi-élimination»?
Le sénateur Hays: Prenons le mercure comme exemple.
M. Bock: Je ne suis pas chimiste industriel, mais je suis sensible à l'industrie à cause de mon expérience de la construction d'un bobsleigh, par exemple. Un bobsleigh n'est pas seulement qu'un morceau de métal. C'est un châssis complexe recouvert de fibre de verre et de forme aérodynamique, fabriqué selon toutes les méthodes industrielles modernes. Quand je le fabriquais, j'avais les mains couvertes d'acétone. J'étais entouré de fibre de verre et de copeaux de métal et de tout ce que vous pouvez imaginer.
Je sais qu'il nous faut construire, et évoluer. Cependant, il y a certains composés chimiques que nous générons. Le mercure est un composé qui existe naturellement, comme dans la radiation. Chacune des briques d'un immeuble envoie une forme quelconque de rayons bêta parce que la terre dont ses briques sont faites renferme d'infimes quantités de noyaux radioactifs.
Nous ne pouvons pas complètement éliminer certaines substances, mais les BPC ne viennent pas normalement de la nature et nous pouvons certainement nous arranger pour réduire la production de ces substances. Nous ne pourrons pas les «quasi éliminer», puisque nous les avons déjà disséminées, mais nous pourrions quasi éliminer leur utilisation.
Il serait facile de jouer avec les mots. La voie que doit emprunter l'industrie peut lui faire peur, mais la vie est remplie de ces craintes. Par exemple, je craignais de venir devant vous vous présenter un mémoire. Comme je n'ai jamais fait ce genre de chose auparavant, je m'avançais en terre inconnue. Je ne savais pas comment cela se passerait quand j'arriverais ici. Mes athlètes sont un autre exemple. Ils ne connaissent pas ce vers quoi ils se dirigent. Les industries voient le problème de la pollution de l'environnement de la même manière. Cependant, une fois qu'on est forcé à faire les premiers pas dans la voie qu'il faut prendre, on se rend compte que le cheminement n'est pas aussi ardu qu'on s'était convaincu qu'il le serait.
L'industrie fait des histoires à cause de la quasi-élimination. Le fait est que nous devrons quasi éliminer ces choses à un moment donné, alors pourquoi ne pas commencer dès maintenant?
Le sénateur Taylor: Vous êtes peut-être plus près de la définition de l'industrie que vous ne le pensez. Il est question de «la plus infime quantité qui soit mesurable». Ce qui la préoccupe, c'est que les techniques de mesure évolueront et, à ce moment-là, elle devient une cible mobile. Elle veut bien de la quasi-élimination, mais elle s'inquiète de sa définition. Elle veut éliminer selon les mesures d'aujourd'hui, et puis avoir la paix pendant quatre ou cinq ans. Il me semble que votre position n'est pas très éloignée de la leur.
M. Bock: Il nous faut une LCPE rigoureuse qui nous aide à contrôler. Nous ne contrôlons tout simplement pas les toxines que nous rejetons. Les seuils sont très élevés pour quelques-unes unes tandis qu'il y en a d'autres que certaines industries ne sont même pas tenues de déclarer.
Il était intéressant de remarquer, dans le rapport INRP diffusé en 1996 par le ministre de l'Environnement, à quelle vitesse les industries réduisaient la quantité de toxines qu'elles rejetaient, simplement parce qu'il leur fallait désormais les déclarer. Lorsqu'une industrie réalisait qu'elle était en tête de liste, cela l'incitait à la réduction, parce qu'elle ne voulait pas devenir la cible de Greenpeace, par exemple.
Les chiffres étaient réduits de deux manières. Tout d'abord, les industries faisaient attention à ne pas faire d'erreurs dans leurs statistiques qui pourraient gonfler les nombres. Deuxièmement, la clôture d'une mine inefficace, qui était devenu un problème pour une compagnie, a entraîné une forte réduction des polluants rejetés.
Il est très important d'accélérer la transmission des données et de motiver l'industrie à apporter les changements nécessaires.
Le sénateur Taylor: Je conviens que la transmission des données est le meilleur outil que nous ayons, parce qu'il permet au public d'être suffisamment informé et de faire des comparaisons.
Vous avez dit que le fardeau repose sur le ministre de l'Environnement, qui doit prouver que quelque chose est toxique. Il me semblait que c'était un avantage. Où voudriez-vous que repose ce fardeau?
M. Bock: Je préférerais l'inversion de cette responsabilité. Dans la version précédente du projet de loi, les manufacturiers devaient prouver que les substances étaient sécuritaires. Je peux comprendre le problème que cela pose à l'industrie. S'il est trop difficile de prouver que quelque chose est sécuritaire, rien de nouveau ne sera mis sur le marché, ce qui pourrait aussi être un problème. Cependant, si c'est au ministre de l'Environnement qu'il incombe de prouver que quelque chose est toxique, avec les limites des méthodes scientifiques traditionnelles, cela pourrait prendre 25 ans avant que l'on sache que quelque chose est toxique. Entre-temps, l'heptachlore pourrait avoir provoqué des déformations des embryons dans l'utérus des mères.
Le sénateur Taylor: Ce serait peut-être une bonne chose que ce soit au ministre de l'Environnement de le faire, parce que les pressions politiques le forceraient à rester vigilant.
J'ai représenté le ministre de la santé à Rome, au Codex Alimentarius, l'organe international qui détermine ce qui est sécuritaire et qui ne l'est pas dans l'alimentation. Il y a une nouvelle vogue de l'étiquetage. L'étiquetage permettrait au ministère d'avertir les gens qu'un produit est nouveau, et que rien ne peut indiquer s'il est bon ou mauvais.
Que pensez-vous de ce processus?
M. Bock: Je ne crois pas que cela protégerait le travailleur dans l'usine, ou les Canadiens en général. On en sait beaucoup sur l'acétone; et pourtant personne ne m'avait averti d'éviter de mettre mes mains dans l'acétone alors que je m'en servais. Par contre, je n'y remettrai plus jamais mes mains.
J'ai travaillé à différents niveaux. J'ai eu la chance d'occuper un emploi de col blanc, mais j'ai beaucoup aimé mes fonctions de travailleur manuel et observer ce qui se passe dans ce milieu de travail. On ne peut pas attendre d'un employé de tour de forage pétrolier qu'il sache ce qui est sécuritaire. J'ai grimpé un jour dans un bac à boue, pour y récupérer une clé à molette. Pour éviter de mouiller mes vêtements, j'y suis allé en sous-vêtements. J'en avais jusqu'au cou, et je me suis baissé pour ramasser la clé. J'étais immergé dans du diesel, et je ne le savais même pas.
Par chance, je suis encore en santé. On verra dans quelques années si je le suis encore après tout ce travail dans des secteurs plutôt difficiles. Nos travailleurs sont trop occupés à essayer de faire leur travail et de ne pas perdre leur emploi pour vérifier quelles substances particulières ils devraient utiliser. Ceci s'applique aux laboratoires et aux plantes.
Le sénateur Taylor: Je parlais des substances inconnues.
Le sénateur Adams: Votre mémoire est très intéressant. Vos commentaires sur l'accumulation de toxines dans les graisses animales ont particulièrement retenu mon attention. Ce qui me préoccupe, c'est ce que le projet de loi C-32 ne dit rien des aliments de la nature que nous consommons dans le Nord. Vous avez parlé de mercure dans les graisses. Ce qui nous préoccupe le plus, ce sont les BPC et le mercure dans le lait maternel.
À cette époque-ci de l'année, nous fabriquons généralement de l'huile avec la graisse de baleines et de phoques. C'est ce qui nous sert en hiver à chauffer nos maisons. Je m'inquiète des effets de ces substances chimiques sur les peuples de l'Arctique. Les habitants des communautés de l'extrême Arctique m'envoient des pétitions pour me faire part de leurs préoccupations à l'égard du projet de loi C-32.
Comment pouvons-nous réduire la pollution de l'air et des eaux par le mercure? En ce moment, nos chasseurs sont en train de chasser le caribou. La graisse du caribou, que nous aimons manger, contient des toxines. Lorsque vous allez au magasin pour acheter du boeuf, le boucher retire le gras de la viande. Cela ne se fait pas dans le Nord. C'est la même chose pour la viande de phoque. Nous utilisons la graisse des phoques pour le chauffage et pour la cuisson de nos aliments. C'est tout à fait traditionnel pour moi.
Le ministre ne dit pas qu'il nous protégera de la pollution qui affecte les produits de la nature que nous consommons. C'est ce qui me préoccupe le plus dans le projet de loi C-32. Le ministre m'a promis qu'il travaillerait avec M. Rock. Cependant, M. Rock n'est pas au Sénat.
Les habitants du Nord sont très inquiets de la quantité de ces substances qui sont détectées dans l'organisme, parce qu'ils sont tout à fait conscients que la viande qu'ils mangent est affectée par les substances chimiques. Comme vous le dites, de plus en plus de gens ont le cancer chaque année, et nous aimerions savoir comment prévenir cela. Comment les substances chimiques pénètrent-elles la graisse des animaux, puis nos organismes?
M. Bock: C'est très complexe. Lorsque je suis dans le Nord, je vis dans une communauté autochtone, et j'essaie d'y rester plusieurs mois par année. Il est décourageant de constater que les communautés autochtones mangent des aliments qui y sont expédiés d'aussi loin que les États-Unis. Pour commencer, ce n'est même plus frais, et c'est souvent passé par plusieurs processus de transformation. Cependant, au lieu de consommer les aliments traditionnels qui sont là, tout près à être cueillis, les gens mangent des aliments importés, parce que maintenant, les aliments traditionnels, comme vous le savez, sont trop contaminés par les polluants de l'air et des eaux dont viennent, en fin de compte, tellement d'aliments.
Personnellement, je crois que les habitants de votre région devraient manger beaucoup de racines, ce qui ne peut pas vous aider beaucoup en hiver, quand vous avez besoin des huiles et de la graisse pour conserver l'énergie et vous réchauffer. C'est un problème très complexe.
C'est le même problème avec le régime alimentaire des Nord-Américains non autochtones. Ils ont le régime occidental traditionnel, mais ils comprennent très peu ce qui est advenu aux graisses que comporte ce régime. Les margarines et les autres composants lipides modifiés sont bourrés d'horreurs. Ça ne se sait pas beaucoup, parce qu'il y a des gros groupes de pression, dans les industries de transformation des aliments, qui font tout pour cacher ce genre d'informations aussi longtemps que possible. Cela commence à se savoir, quand même. On le constate, en périphérie de la société, par exemple, lorsque les athlètes exigent la meilleure alimentation possible et font tout pour obtenir des réponses. Ils ont accès à ce genre d'information.
Ce n'est pas uniquement le régime alimentaire des peuples traditionnels qui a été modifié, mais aussi celui du reste des Nord-Américains. On se rend de plus en plus compte de l'existence d'un gros problème. Traditionnellement, les médecins n'ont pas de formation en chimie de la nutrition. J'en ai discuté avec de nombreux médecins. En fait, je donne des cours magistraux sur la chimie de la nutrition. Sur leurs 4 400 heures de formation pour devenir médecins, ils n'ont que 6 heures de cours de chimie de la nutrition. Cela paraît un peu fou, lorsque l'on pense qu'ils essaient de traiter la biochimie humaine. Sans l'étude de la chimie de la nutrition, en rapport avec la biochimie humaine, je ne vois pas comment on peut avoir une vue d'ensemble de la situation.
Cependant, cela est en voie de changer. De plus en plus de médecins se renseignent d'eux-mêmes sur ces sujets. Ils font leurs propres démarches de recherche et se sensibilisent aux problèmes de l'approvisionnement alimentaire actuel et à ce dont les gens ont besoin, pour tenter de minimiser les effets des éléments nuisibles qui peuvent s'y trouver.
N'oublions pas, non plus, que l'organisme humain est très robuste. Notre système lymphatique est la poubelle de notre organisme. Tant que cette poubelle n'est pas pleine, vous pouvez fonctionner. Mais lorsqu'elle se remplit et qu'elle commence à déborder, elle déverse des toxines dans les autres parties de notre système, ce qui met des pressions de plus en plus grandes sur notre organisme. Ce n'est pas très bon d'avoir ces choses dans notre système. Elles se concentrent dans le foie et dans diverses parties de l'organisme. Elles peuvent causer des problèmes.
Ce n'est pas comme si nous avions été exposés au monoxyde de carbone pour la première fois avec la création des moteurs. Le feu émet du monoxyde de carbone. Nous respirons de la fumée et bien d'autres choses depuis la nuit des temps. Les humains et les autres animaux sont très robustes. Ils sont faits pour composer avec une certaine dose d'impuretés et pour s'y adapter. Cependant, je crois que nous atteignons maintenant nos limites. Nous pouvons le voir dans les résultats de plusieurs études du gouvernement. Par exemple, quelle quantité de dioxine notre environnement peut-il prendre? Certains groupes pensent «pas beaucoup». Pour certains groupes scientifiques, nous avons maintenant atteint la limite et l'environnement global de la planète ne peut plus en prendre.
Le sénateur Spivak: Merci, monsieur Bock, votre exposé est très intéressant. Je vous comprends bien, au sujet de la chimie de la nutrition, parce que mon médecin de famille étudie cela en ce moment. C'est très instructif.
Les environnementalistes comprennent ce dont vous parlez. La plupart en sont conscients. Vous remettez en question toute une civilisation et un mode de vie et, par conséquent, beaucoup de gens refusent la réalité. C'est ce qu'a connu Galilée. L'Église l'a persécuté pour ses idées. On peut très bien comprendre ce qui arrive. Un jour, la réalité s'infiltrera dans la conscience. Il reste à savoir si nous aurons suffisamment de temps pour réparer les dommages causés.
Vous savez que la plupart des éléments importants ne sont pas prévus dans ce projet de loi; il en est question dans d'autres lois qui portent sur les produits et pesticides, les grains, les aliments et les drogues. Tous les nouveaux aliments, les nouvelles drogues et les nouveaux cosmétiques seront l'affaire de l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Ce qui est intéressant, à ce propos, c'est qu'ils n'auront rien à évaluer. Absolument rien. Tout d'abord, l'évaluation sera faite en grande partie par les compagnies, et puis certaines personnes regarderont les résultats et diront: «Oh, c'est très bien», et les laisseront passer.
À part cela, s'il y a une équivalence substantielle, c'est-à-dire que si vous regardez une pomme de terre et qu'elle ressemble à une pomme de terre, il est inutile de l'évaluer. Tout ce concept d'équivalence en substance a été introduit, j'en suis sûr, par les compagnies qui cherchaient à s'assurer que leurs produits ne seraient pas mis en question.
J'ai vu dans l'un de nos mémoires que la notion d'équivalence en substance n'est absolument pas fondée scientifiquement. Elle n'a jamais été éprouvée. Le processus scientifique d'évaluation des choses comme les produits de biotechnologie est tout à fait différent. Pourriez-vous commenter cela, puisque vous êtes expert en nutrition?
M. Bock: C'est un domaine assez délicat, parce que j'éprouve beaucoup de respect pour la science; mais en même temps, je reconnais ses limites. J'essayais d'expliquer au sénateur Ghitter, la première fois que je l'ai rencontré, que si nous n'envisagions la performance athlétique qu'avec les outils que nous donnent les analyses scientifiques, nous n'irions nulle part. Nous n'aurions jamais aucune donnée à temps. Par conséquent, nous devons appliquer le principe de prudence lorsque nous essayons de développer des athlètes. Nous devons reconnaître rapidement ce qui fonctionne pour eux et ce qui ne va pas. Parfois, nous recourons à la science, et d'autres fois, nous nous fions à notre instinct et au simple bon sens. Vous voyez tous les indices autour de vous, et vous n'avez peut-être pas toutes les preuves qu'il faut, mais l'histoire a démontré que certaines choses, comme ceci ou cela, fonctionne bien, et on pense détecter une tendance, alors on fonde une décision là-dessus. Je ne sais pas comment nous allons pouvoir contourner ces obstacles.
Le sénateur Spivak: Peut-être pourrais-je être plus spécifique. Prenons un aliment dont un gène a été modifié, ce que je voudrais savoir, c'est si ce produit n'est plus le même que le produit d'origine de la nature.
M. Bock: Absolument.
Le sénateur Spivak: C'est là où je veux en venir. Cependant, selon la pratique, ce genre de produit est considéré comme étant semblable à la substance naturelle, donc il est inutile de l'analyser.
M. Bock: Nous savons que ce n'est pas correct.
Le sénateur Spivak: Nous avons entendu cet argument à maintes reprises venant des compagnies, dans le cadre des audiences sur la STbr; d'après elles, la STbr est la même chose que la BST naturelle. C'est un problème très épineux.
M. Bock: J'ai une méthode pour tenter de faire comprendre cela à des gens qui me consultent à propos de leurs problèmes diététiques, ou de leurs problèmes de santé qui peuvent être réglés par un ajustement du régime alimentaire. L'un des grands problèmes que nous avons avec notre approvisionnement, ou deux ou trois des plus grands problèmes, ce sont les pesticides. Nos aliments contiennent un certain nombre de graisses fortement contaminées ou modifiées, dont beaucoup de gens ne savent rien. Ce qu'il faut absolument comprendre, c'est que nos terres se sont déminéralisées, parce que les plantes ont besoin de 24 à 25 éléments nutritifs et que nos engrais chimiques n'en contiennent que trois ou quatre. Elles absorbent les trois ou quatre éléments nutritifs et sucent la terre à la recherche des autres. Voilà une quarantaine d'années que c'est ainsi. Il y a des études qui démontrent que les aliments que nous trouvons dans les magasins sont loin d'avoir les minéraux qu'ils contenaient auparavant. En fait, notre organisme a besoin de cinq minéraux fondamentaux, et la plupart des gens ne le savent pas, mais le sodium est le plus important d'entre eux -- le sodium bio-organique, je ne parle pas du sel de table. Si vous vous fiez aux idées reçues, vous ne voudrez rien savoir du sodium; cela donne l'hypertension et toutes sortes d'autres troubles. En fait, le sodium est le minéral qui vous est le plus indispensable. Vient ensuite le chlore, puis le potassium, le calcium et le magnésium.
Le sodium a été réduit à presque rien dans le sol. Il y a 2 000 fois moins de sodium qu'auparavant dans beaucoup de sols où sont répandus les engrais. Les plantes ont besoin de sodium. La vie vient des océans, et c'est manifestement pourquoi le sodium et le chlorure sont si importants à notre structure chimique. Cependant, il n'y a plus de sodium dans le sol à bien des endroits. Les résultats des analyses du sol varient d'un endroit à l'autre.
Une belle laitue romaine à votre marché local, correctement réfrigérée, a superbe allure; si vous la comparez à une laitue biologique, vous ne verrez pas beaucoup de différence. Cependant, si vous faites une analyse chimique, vous constaterez une très grande différence entre les deux laitues.
Pour faire comprendre ceci à des gens qui peuvent avoir de la difficulté à le concevoir, je propose d'imaginer que vous êtes la laitue et que vous regardez deux bébés humains. L'un est né avec le syndrome de Down et l'autre est «normal». À première vue, ces deux bébés semblent tout à fait semblables. Vous ne pouvez pas détecter de différence entre l'un et l'autre. Les différences entre ces deux bébés sont subtiles, mais elles sont importantes, nous le savons. Beaucoup de gens ne savent pas cela.
Je ne suis pas censé donner un exposé sur la nutrition, mais le manque de minéraux dans nos aliments est à la source de nombreux problèmes, des maladies dégénératives à bien d'autres troubles biochimiques dans nos vies. Ce que vous disiez, à propos des modifications des aliments qui, bien qu'infimes, ont une grande importance parce qu'ils ne sont plus les mêmes, est très important.
Le président: Merci, monsieur Bock, pour votre témoignage ce matin. Vous êtes venu ici, non pas comme lobbyiste représentant un côté ou l'autre, mais en tant que citoyen intéressé qui a une expérience phénoménale. Vous avez fait une forte impression sur le comité.
Comme vous, je suis un optimiste. L'humanité a été capable de surmonter bien des obstacles dans son évolution, et nous le ferons encore, mais nous avons besoin d'aide pour cela. D'après ce que vous avez dit, et vous pouvez me corriger, votre conclusion, c'est qu'aucune des suggestions du sénateur Hays, soit d'adopter le projet de loi ou de revenir à la case départ, ne vous semble acceptable. Vous dites au comité qu'il y a moyen d'améliorer certains aspects du projet de loi. Nous devrions nous mettre à la tâche et faire notre travail.
M. Bock: C'est cela. J'ai été tellement impressionné par ce que le gouvernement a été capable de faire pour le Canada. Je n'étais pas si enthousiaste avant d'avoir approfondi certaines questions, mais lorsque j'ai vu la quantité de travail qui a été réalisé par le comité permanent au niveau de la Chambre, j'ai trouvé cela remarquable. Il est remarquable que tant de gens issus de tant de milieux différents puissent se mettre d'accord sur quelque chose. Un groupe très diversifié a convenu que c'était la meilleure façon de procéder. C'étaient nos experts, chargés d'examiner cette question pour le compte de la Chambre des communes. Je suis étonné que nous n'ayons pas eu le cran d'écouter nos experts, et j'espère que le Sénat, lui, dans ses démarches, saura écouter ce groupe particulier dont les membres ont été réunis à cause de leur expertise.
Vous avez été chargés de la tâche difficile d'examiner cette loi, et beaucoup de travail a été abattu. C'est du bon travail, et je pense seulement que nous devrions écouter ce que les membres du comité de la Chambre avaient à dire à prime abord. Eux aussi ont fait un excellent travail, et il faudrait le poursuivre.
Le président: Merci.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président: Honorables sénateurs, nous souhaitons la bienvenue au groupe d'experts suivant de l'Environmental Law Centre et de la West Coast Environmental Law Association.
Vous avez la parole.
Mme Arlene Kwasniak, avocate, Environmental Law Centre: Honorables sénateurs, je vous remercie de cette occasion qui m'est donnée de m'adresser à vous. Nous souhaitons, par votre entremise, remercier le Sénat de l'importance qu'il donne à ce projet de loi et de l'avoir soumis à l'examen d'un comité.
L'Environmental Law Centre de l'Alberta a été créé en 1982. Nous sommes situés à Edmonton, en Alberta. Notre principal objectif est de faire tout en notre pouvoir pour que les lois et les politiques en matière d'environnement protègent efficacement l'environnement. Cela peut sembler un peu futile, mais en fait, dans les dernières années, des lois environnementales ont été formulées pour protéger d'autres choses, comme l'économie et l'industrie. Cependant, parce que nous sommes d'avis que les lois environnementales doivent principalement chercher à protéger l'environnement, cet examen de la LCPE revêt pour nous une grande importance.
Nous nous intéressons à la LCPE depuis le tout début. Nos représentants étaient ici, au cours des années 1980, alors que le LCPE était en voie de développement, et aussi tout au long de ce processus de consultation.
Le Sénat joue un rôle vital et fort approprié dans le processus de révision de la LCPE. Pour reprendre les paroles de l'honorable John A. Macdonald, le Sénat, en tant que Chambre haute, est l'instance qui peut avoir un deuxième regard objectif sur une question. Or, vous l'avez certainement déjà entendu, le projet de loi C-32, tel que l'a adopté la Chambre des communes, a vraiment besoin d'un second regard objectif. Sir John A. Macdonald a aussi dit du Sénat ce qui suit:
Il doit s'agir d'une Chambre indépendante qui agit en toute liberté d'action, car sa valeur unique lui vient de sa nature d'organisme réglementaire qui examine calmement des lois proposées par le bras populaire et qui empêche l'adoption hâtive ou inconsidérée de lois provenant de ce bras, bien qu'elle ne doive jamais se mettre en travers de la volonté délibérée et entendue du peuple.
De plus, l'honorable J. Cauchon a dit, dans le cadre de débats parlementaires sur la Confédération, en 1951, que le rôle du Sénat est de...
[...] faire office de contrepoids afin d'empêcher l'adoption de lois partisanes et de tempérer la précipitation de tout gouvernement qui souhaiterait aller trop vite ou trop loin -- j'entends un organisme législatif capable de protéger le peuple contre lui-même et contre les abus de pouvoir.
Enfin, je cite sir Richard Cartwright, dans les Débats du Sénat du 17 mai 1906:
Et je tiens à souligner à quel point je suis sérieux quand je dis que la valeur du Sénat ne se trouve pas uniquement dans ce que le Sénat fait mais aussi dans ce que le Sénat empêche d'autres instances de faire.
Nous pouvons tirer de ces citations les conclusions suivantes: Le Sénat devrait jeter un second regard calme et rationnel sur les projets de loi préparés avec précipitation. Le Sénat doit apporter des modifications aux projets de loi inconsidérés. La valeur du Sénat est également dans ce qu'il empêche d'autres personnes de faire. Le Sénat est une protection contre les abus de pouvoir. Le Sénat ne doit pas s'opposer à la volonté délibérée et entendue du peuple.
Bien entendu, à prime abord, le moins que l'on puisse dire, c'est que le projet de loi C-32 n'a pas été préparé précipitamment. Après tout, depuis le début de l'examen quinquennal de la LCPE jusqu'à ses audiences du comité du Sénat, il s'est écoulé près de cinq ans. Cependant, compte tenu des informations qui ont filtré au cours de ces années, il devient évident que bon nombre de volets du projet de loi C-32 ont été préparés précipitamment, et que beaucoup ne traduisent pas la volonté délibérée et entendue du peuple. Ces aspects reflètent plutôt l'exercice de pressions intenses par une industrie puissante, égocentrique et qui se réglemente elle-même.
Mon mémoire expose six importants aspects, les suit à travers différentes étapes et démontre où il n'y a pas eu de précipitation, où toutes les consultations possibles ont été faites auprès de tous les types possibles d'intervenants, où un examen minutieux a été effectué et où la volonté du peuple a été entendue. Dans ces différentes étapes, il n'y a qu'un seul type de résultat, mais lorsqu'il y a eu précipitation et pressions intenses, c'est autre chose.
Nous n'avons pas le temps ici de passer en revue les six aspects. Au lieu de cela, je me concentrerai plutôt brièvement sur le rôle du gouvernement fédéral dans la protection de l'environnement, le principe de prudence, l'élimination et l'évaluation de la toxicité.
En juin 1994, la Chambre des communes a confié l'examen de la LCPE au comité permanent de l'environnement et du développement durable. Chargé de cette mission, le comité a parcouru le pays, entendu des centaines de témoins et lu les mémoires présentés par un vaste éventail d'intervenants, dont des citoyens ordinaires, des représentants de groupes autochtones, de l'industrie, d'organismes gouvernementaux, des milieux de la santé, du travail et de l'enseignement et d'autres ordres de gouvernement.
À la suite de ces démarches, le comité a publié un rapport intitulé: «Notre santé en dépend! Vers la prévention de la pollution». Le comité a fait ces recommandations dans les termes qui suivent:
[...] qui reflètent les opinions fermes qui nous ont été communiquées au cours de réunions publiques, pendant la dernière année. De toute évidence, un nombre croissant de Canadiens reconnaissent que l'environnement et la santé se soutiennent l'un l'autre et que l'aide des écosystèmes sains garantissent une meilleure santé et une qualité de vie supérieure mais également un bien-être matériel supérieur et plus durable.
Le rapport du comité de la Chambre traduit les souhaits délibérés et entendus du peuple. Il a été produit après un examen réfléchi et sans précipitation. Il tient compte du point de vue de tous les secteurs et n'a pas subi l'influence indue de groupes de pression motivés exclusivement par leurs propres intérêts. Dans ce document de 375 pages qui contient 141 recommandations, le comité réclamait une refonte de la LCPE destinée à faciliter et à forcer un programme d'action fédéral plus ambitieux, en matière de protection de l'environnement et de la santé.
Le comité recommandait que le gouvernement fédéral joue un rôle fort et vigoureux en matière de protection de l'environnement. Il invitait le gouvernement à veiller à l'harmonisation et à affirmer ses compétences constitutionnelles dans les domaines de la protection de l'environnement, notamment en établissant des normes nationales visant les produits de la biotechnologie, les substances toxiques, les pesticides et les substances qui constituent un risque transfrontalier.
Je voudrais souligner en passant que cette étude a été effectuée avant le report de la célèbre cause Hydro-Québec devant la Cour suprême du Canada. Dans ce procès, le droit constitutionnel du gouvernement du Canada de réglementer les substances toxiques qui n'ont pas d'effet hors province apparent a été mis en question. La Cour suprême du Canada a très clairement établi que le gouvernement fédéral avait ce pouvoir de réglementation.
Le comité a insisté pour que se poursuivent les audiences, même alors que les tribunaux étudiaient la question. Depuis lors, la Cour suprême a rendu sa décision. Il est donc d'autant plus important maintenant que le gouvernement fédéral aille de l'avant et agisse. La Cour suprême a dit qu'il en avait le droit.
Le comité recommandait que l'on définisse et mette en pratique efficacement et utilement le principe de la prudence, qu'il définissait ainsi:
[...] lorsqu'une activité ou une substance constitue une menace sérieuse de dommages à l'environnement ou à la santé des personnes, des mesures fondées sur la prudence doivent être prises même à défaut de certitude scientifique.
À propos de l'élimination des substances toxiques, le comité recommandait de s'attaquer au problème sur trois fronts, notamment en éliminant progressivement et effectivement les substances les plus toxiques; par élimination graduelle on entend l'élimination de la fabrication, de la production et de l'utilisation d'une substance et non pas seulement de la limitation des rejets.
Pour ce qui est de l'évaluation de la toxicité en vertu de la LCPE, le comité a recommandé que la LCPE permette que la toxicité d'une substance, établie soit par une évaluation de la toxicité ou du danger intrinsèque, soit par une évaluation complète des risques, suscite une intervention en vertu de la LCPE.
Nous en arrivons à la réponse du gouvernement au rapport. Le gouvernement a présenté sa réponse officielle au rapport du comité en décembre 1995. Aucune consultation du public ou d'intervenants non gouvernementaux n'a été faite en vue de la préparation de cette réponse. Néanmoins, il est de notoriété publique que l'industrie réglementée a exercé d'énormes pressions sur le gouvernement pour qu'il réfute nombre des recommandations du comité permanent de la Chambre. J'aborderai notamment le rôle du gouvernement fédéral lorsque, tandis que le comité recommandait la prudence et un contrôle étroit en ce qui concernait la conclusion d'accords d'équivalence, le gouvernement a recommandé qu'il y ait plus d'ententes de ce genre.
Sauf pour les substances toxiques réglementées, contrairement à la recommandation du comité relativement à des normes nationales, le gouvernement a préconisé l'établissement d'objectifs et de directives.
Alors que le comité insistait pour que le gouvernement adopte un rôle fort et vigoureux en matière de protection de l'environnement, le gouvernement fédéral a mis l'accent sur l'harmonisation.
Au sujet du principe de la prudence, dans sa réponse, le gouvernement déclarait que ce principe ne devrait être intégré à la LCPE que si la notion de «coût-efficacité» y était liée.
Au sujet de l'élimination, alors que le comité préconisait l'élimination complète de la production et de l'utilisation des substances les plus toxiques, le gouvernement, dans sa réponse, recommandait la quasi-élimination, ce qui revient à limiter les rejets et à ne pas ordonner une élimination graduelle de la fabrication, de la production et de l'utilisation des substances visées.
Au sujet de l'évaluation de la toxicité, le gouvernement préconise une démarche fondée sur les risques, pour déterminer la toxicité en vertu de la LCPE.
Une autre occasion s'est présentée pour le public d'intervenir. Le gouvernement donnait 90 jours à quiconque souhaitait commenter sa réponse. Les commentaires écrits ont été regroupés dans un recueil sur l'examen de la LCPE.
Même s'il m'est impossible de donner le détail des deux volumes de réponse, ma stagiaire d'été les a soigneusement étudiées. D'après son examen, une grande majorité des observations communiquées appuyaient clairement les positions du comité permanent de la Chambre plutôt que les points de vue du gouvernement. Une assez longue note de bas de page explique le processus qu'elle a suivi pour en arriver à cette conclusion.
On pourrait penser que si le projet de loi devait effectivement traduire les avis de tous ces gens et non pas seulement ce que pensait l'industrie ou ce que le gouvernement avait recueilli dans ses consultations, on obtiendrait quelque chose de plus proche du rapport du comité de la Chambre des communes. Au lieu de cela, nous avons eu un projet de loi C-74, qui a été présenté en décembre 1996. Ce projet de loi traduisait largement le contenu de la réponse du gouvernement au comité de la Chambre. Le projet de loi C-74, bien entendu, est mort au Feuilleton à l'arrivée des élections générales.
En mars de 1998, la Chambre des communes a présenté le second projet de loi renouvelé de la LCPE, le projet de loi C-32. Tout comme le projet de loi C-74, cette mesure reflète la réponse du gouvernement sur ces grandes questions d'intérêt public au lieu de l'opinion des intervenants exprimée dans le cadre d'audiences publiques.
Au sujet des quatre points concernant le rôle du gouvernement fédéral sur lesquels je veux insister, je signale une insertion remarquable dans le projet de loi. Il y est précisé que pour ce qui est de l'exécution de la LCPE:
[...] s'efforcer d'agir compte tenu de l'esprit [...]
En l'occurrence, il est question des accords d'harmonisation, ce qui les élèvent au rang de lois, alors qu'ils ne représentent que des accords.
En outre, on a ajouté des clauses qui font de la LCPE une mesure résiduelle, de sorte que cette dernière ne s'appliquera pas lorsque d'autres mesures fédérales pourront s'appliquer.
En fait, au lieu de suivre la suggestion du comité voulant que le gouvernement fédéral vise des normes nationales, la LCPE prévoit uniquement que des objectifs et des lignes directrices seront autorisés, sauf pour les questions qui seront assujetties à la réglementation.
Relativement au principe de la prudence, on a ajouté l'expression «cost-effective».
Au sujet de l'élimination, à la suite de la réponse, le projet de loi C-32 vise uniquement la quasi-élimination, ce qui signifie la réduction définitive de la quantité ou concentration mesurable d'une substance à un niveau inférieur à la limite de dosage précisée dans la réglementation. Cela signifie qu'un ministre peut décider ce que signifie «quantité mesurable.»
Pour ce qui est de l'évaluation de la toxicité, encore une fois, cela va dans le sens de la réponse et se fonde uniquement sur l'évaluation des risques.
Lorsque le projet de loi a été présenté en deuxième lecture, il y a eu un vaste débat et il a été renvoyé au comité de nouveau. Ce dernier y a consacré plus de 11 mois. Les membres du comité ont reçu des mémoires et entendu des témoins de tous les secteurs pertinents. À la suite de l'examen article par article, il a proposé 157 amendements. Un grand nombre étaient de nature administrative, mais certains étaient des amendements de fond. Dans la perspective des champions de la santé et de l'environnement ainsi que de l'intérêt de la population, l'examen du projet de loi s'en est trouvé renforcé.
Tout comme la première fois, cet exercice mené par le comité et les amendements qui en ont découlé sont le résultat d'une longue étude attentive dans le cadre de laquelle toute la gamme des intervenants ont été représentés.
Au sujet des questions identifiées, comme celle du rôle du gouvernement fédéral, même si les dispositions à cet égard sont loin de ce que renfermait le rapport de 1995 fondé sur les instances qui lui avaient été présentées, le comité les a tout de même renforcées. À titre d'exemple, le fait que l'alinéa 2(1)l) a été modifié pour que l'on «s'efforce d'agir» compte tenu de l'esprit des accords et arrangements intergouvernementaux, et non pas conformément à ces derniers.
Au sujet du principe de la prudence, bien qu'il soit mentionné à maintes reprises, à tout le moins dans le préambule, l'expression «cost-effective» a été supprimée.
Au sujet de l'élimination, comme je l'ai dit, «la quasi-élimination» signifie en deçà de la mite de dosage précisée dans la réglementation. Le comité a remplacé «tel que défini» par «spécifié» dans la réglementation, ce qui, dans mon esprit, enlève quelque peu de discrétion à la réglementation. Cela était une bonne chose.
En outre, le comité a modifié les dispositions concernant la quasi-élimination afin de permettre au ministre de fixer des objectifs provisoires, notamment en limitant les émissions, mais toujours dans le but d'atteindre la quasi-élimination. Il s'agit là d'améliorations.
Pour ce qui est de l'évaluation de la toxicité, le comité a également modifié les dispositions concernant l'évaluation pour que, le cas échéant, la LCPE puisse autoriser des mesures de contrôle en se fondant sur une preuve autre qu'une évaluation exhaustive des risques. Cela signifie qu'il n'est pas nécessaire que l'évaluation de l'exposition détermine précisément quelle quantité d'une substance ou d'une combinaison de substance doit infiltrer l'environnement pour causer un effet nocif dans chaque cas. Cependant, cela s'appliquerait uniquement à une substance ou une combinaison de substances de toxicité intrinsèque, persistante et biocumulative qui a un effet néfaste à long terme sur l'environnement. Par conséquent, il faudrait tout de même que des règles strictes soient respectées pour que la LCPE puisse assurer un contrôle en se fondant sur la toxicité intrinsèque. Sont nécessaires diverses preuves scientifiques pour montrer, par exemple, l'effet à long terme sur l'environnement et le rapport entre la présence de cette substance dans l'environnement et l'effet remarqué. Ce qu'il n'est pas nécessaire de démontrer, c'est précisément la quantité qui doit s'y trouver.
Le 15 avril 1999, le comité a déposé son rapport à la Chambre des communes. Nonobstant le fait qu'il présentait ses amendements en se fondant sur une étude approfondie d'une durée de 11 mois, au cours de laquelle tous les intervenants ont eu amplement l'occasion de s'exprimer, le gouvernement a présenté et adopté des amendements qui renversaient un grand nombre de changements de fond. Il a ajouté de nombreux amendements en vue d'accroître l'obligation statutaire de consulter les provinces et territoires avant que des mesures puissent être prises aux termes de la LCPE.
En ce qui concerne l'élimination, cédant aux instances de l'industrie, il a apporté des amendements qui, à mon avis, édulcorent les articles relatifs à la quasi-élimination. On a supprimé le passage du paragraphe 65(3)évoquant «les mesures pour réaliser la quasi-élimination d'une substance», de sorte que, même si les ministres sont tenus de fixer les objectifs provisoires, c'est-à-dire permettre des rejets, quoique réduits, on ne mentionne plus l'objectif ultime de la quasi-évaluation.
Au sujet de l'évaluation de la toxicité, le gouvernement a modifié par voie d'amendement la définition de «substance toxique» à l'article 64 afin de supprimer la référence à la toxicité intrinsèque. Auparavant, il était précisé que sauf aux endroits où il était fait mention de «toxicité intrinsèque», une substance était toxique aux termes de la LCPE si elle était conforme à certains critères. Cette référence à la toxicité intrinsèque a été supprimée, et par conséquent, l'évaluation exhaustive des risques étant désormais exigée pour évaluer la toxicité en vertu de la LCPE, qu'une substance soit ou non un polluant organique persistant.
Au cours des nombreuses années consacrées à l'étude de la LCPE, tous les processus prévus par la mesure auxquels participaient les secteurs d'intérêt public, y compris Environnement et Santé, le message avait toujours été clair: la LCPE devrait promouvoir un leadership vigoureux et actif de la part du gouvernement fédéral sur le plan de la protection de la santé et de l'environnement. De nombreux habitants de l'Alberta, moi compris, l'affirment. D'ailleurs, un autre citoyen de l'Alberta l'a affirmé juste avant moi. Il y a également de nombreuses agences et organismes en Alberta qui souhaitent que le gouvernement fédéral assume un rôle très ferme.
Évidemment, cela ne sera pas du goût de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques des intervenants du secteur. Nous souhaitons que l'on ne modifie pas davantage la LCPE de façon à favoriser davantage d'harmonisation, comme cela est souhaité dans le mémoire de l'ACFPC.
Dans son rapport de 1999, Brian Emmett, le commissaire à l'environnement et au développement durable, fait une mise en garde contre l'harmonisation. D'après lui, on a constaté que ces accords ne donnent pas les résultats escomptés et que de nombreuses activités essentielles à leur exécution ne se déroulent pas aussi bien que prévu.
Une bonne partie du mémoire que j'ai présenté au comité de la Chambre des communes portait sur l'harmonisation. Quant à la décision Sun Pine, les porte-parole de l'industrie et de certains gouvernements en ont fait une interprétation voulant qu'une «harmonisation» signifie qu'en cas de juridiction commune dans un dossier, seul le processus provincial devrait s'appliquer. Dans mon mémoire, j'ai appelé cela la quasi-élimination des processus fédéraux. Nous devons être très prudents en matière d'harmonisation.
Au sujet du leadership fédéral, je ferai largement référence au mémoire de l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement. M. Winfield a dressé la liste de toutes les dispositions du projet de loi adopté par la Chambre des communes qui exigent des offres de consultation avec les provinces et d'autres intervenants avant d'aller de l'avant. Dans les articles qui suivent, il est précisé qu'un ministre peut agir si une offre de consultation n'est pas acceptée dans les 60 jours.
Comme M. Winfield l'a fait remarquer, si le ministre peut intervenir advenant qu'une offre de consultation ne soit pas acceptée, il s'ensuit que si une offre de consultation est acceptée, il ne peut agir, à tout le moins pendant que la consultation a cours. Il n'existe pas dans le projet de loi un processus pour mettre un terme à la consultation et si les autorités provinciales souhaitent qu'elle se poursuive, cela pourrait lier les mains du gouvernement fédéral dans des dossiers où les offres de consultation sont exécutoires.
Nous préconisons que ces dispositions du projet de loi soient modifiées pour rendre cet exercice discrétionnaire et que les articles portant sur cette période de 60 jours soient supprimés.
Pour ce qui est de faire de la LCPE une loi résiduelle, le bon sens veut qu'un ministre défende sa réglementation. Le ministère de l'Environnement devrait se faire le champion de l'environnement. Il importe que le ministère de l'Environnement soit en mesure de réglementer les questions environnementales.
Pour ce qui est du principe de la prudence, dans ma note en bas de page, j'ai signalé de nombreux exemples dans des accords internationaux où l'énoncé de ce principe n'incluait pas les termes «cost-effective» afin d'illustrer qu'il est tout à fait accepté de ne pas inclure cette expression.
Au sujet de la quasi-élimination, il existe un traité sur les polluants organiques persistants dont le Canada doit devenir signataire. En fait, le Canada a été un chef de file dans l'élaboration de ce traité. Il exige que chaque partie interdise la production et l'utilisation des produits chimiques figurant dans la liste de l'annexe A. Si nous devenons signataires du traité, nous devrons aller plus loin que la quasi-élimination; nous devrons éliminer.
Bon nombre des substances sur la liste sont déjà interdites au Canada, mais de nouvelles substances seront incluses dans le traité. Nous ne pouvons lier les mains du gouvernement fédéral à cet égard.
En ce qui a trait à l'évaluation de la toxicité, il y a une lourde preuve, particulièrement en ce qui concerne les perturbateurs du système endocrinien, selon laquelle l'exposition n'est pas le critère ultime pour déterminer la toxicité. Nous devons pouvoir suivre l'évolution de la situation et prévoir dans notre législation la possibilité d'une intervention du gouvernement fédéral fondée sur l'évaluation de la toxicité.
En conclusion, vous avez une belle occasion de poser un geste d'une grande valeur pour la société canadienne et son avenir. Je sais que le comité sénatorial prendra très au sérieux son rôle dans l'étude de cette mesure.
Le président: Monsieur Shrybman, vous avez la parole.
M. Steven Shrybman, directeur exécutif, West Coast Environmental Law Association: Monsieur le président, la West Coast Environmental Law Association célébrera son 25e anniversaire au mois de septembre. Certaines personnes importantes sont d'anciens membres de notre conseil d'administration, dont l'actuel ministre fédéral de l'Environnement.
Nous avons participé à l'élaboration d'une législation et d'une politique progressistes de protection de l'environnement en Colombie-Britannique, au Canada et sur la scène internationale depuis 25 ans. Nous avons contribué pour une grande part à la création des dispositions qui sont devenues la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, il y a 11 ans.
Nous avons également collaboré avec le gouvernement fédéral pour l'aider, dans un contexte international, à poser des jalons importants dans les dossiers du changement climatique, de la biodiversité, et plus récemment, du transport des déchets dangereux.
Ce regard sur les 25 dernières années est une occasion de se rappeler tout le progrès réalisé dans l'instauration d'un cadre juridique relativement à la législation et à la politique environnementales dans notre pays, cadre qui n'existait pas au début des années 70. Malheureusement, ce progrès semble au point mort. Pour ce qui est de l'évolution de la politique fédérale dans le domaine, elle s'est arrêtée depuis 10 ans. Il y a eu une ou deux exceptions, mais la dernière décennie n'a pas été très fructueuse pour l'environnement au niveau fédéral.
La LCPE a été proclamée le 22 juin 1988, il y a environ 11 ans. Certains d'entre vous se souviendront que, cette année-là, un sommet sur l'évolution du climat a eu lieu à Toronto et qu'on y avait énormément parlé de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. À l'époque, le gouvernement avait pris de timides engagements en vue de réduire ses émissions de l'ordre de 20 p. 100 d'ici l'an 2000.
Trois ou quatre ans plus tard, cet objectif avait été édulcoré; néanmoins, au Brésil, les pays participants s'étaient engagés à stabiliser les émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990 d'ici l'an 2000. Toutefois, nous n'avons pas réussi à atteindre cet objectif. En fait, les émissions ont augmenté. Le fait que nous n'ayons pas été à la hauteur de nos obligations internationales dans ce contexte illustre l'échec des mesures volontaires.
Au cours des années 90, on nous a rappelé à maintes reprises la gravité des diverses crises écologiques auxquelles nous sommes confrontés. Le changement climatique est l'une d'elles. Nous commençons à avoir la preuve du sérieux des conséquences de notre échec dans la foulée de divers événements météorologiques extrêmes.
Les biologistes nous ont récemment rappelé à quel point le problème de la perte de la biodiversité est grave, une majorité d'entre eux ayant en effet répondu à une enquête menée par le U.S. Museum of Natural History qu'ils étaient pratiquement convaincus que nous étions à une étape avancée du processus de la sixième grande extinction massive de la vie sur la planète. Cette fois-ci, l'extinction est causée par la main de l'homme.
Les avertissements sont de plus en plus dramatiques et alarmants. Pourtant, à mesure que s'accroît la preuve que nous faisons réellement face à des crises écologiques qui mettent en jeu la survie même de notre espèce, menace dont a fait état la commission Brundtland il y a plus de 10 ans, la capacité des gouvernements d'assumer leurs responsabilités dans ce dossier et de recourir aux outils dont ils disposent pour régler ces problèmes semble réduite. Parallèlement, dans le contexte d'obligations d'investissement et de commerce international, nous avons adhéré à des accords qui ont mis à la disposition des grandes sociétés de puissants moyens de battre en brèche les réalisations législatives et réglementaires que nous avions réussi à arracher de haute lutte. Au Canada, il suffit de songer au sort réservé à la réglementation fédérale interdisant l'utilisation du MMT dans l'essence. Notre propre gouvernement est non seulement victime des règles commerciales internationales, mais il y a lui aussi recouru activement pour s'attaquer à des initiatives réglementaires mises en oeuvre par d'autres gouvernements. Il a notamment eu recours à l'Organisation mondiale du commerce pour contester la réglementation sur l'intégrité des aliments en Europe. Le résultat de cette contestation a été la décision de l'organe d'appel de l'OMC d'écarter le principe de la prudence comme motif acceptable de prendre des règlements en vue d'assurer la protection de la santé publique. En ce moment, le gouvernement fédéral du Canada interjette appel auprès de l'OMC pour contester la réglementation sur l'amiante appliquée en France.
Alors que s'accumulent les preuves montrant que nous devrions faire davantage, nous en faisons moins. En effet, nous avons créé certains nouveaux outils qui avantagent ceux qui souhaitent le démantèlement de nos initiatives législatives et réglementaires.
Je fais ces observations pour établir le contexte du mémoire que nous vous présentons. Vous y trouverez des détails et des précisions à bien des égards. Cependant, permettez-moi d'en souligner les plus importants.
Avant de critiquer les faiblesses de la mesure, je tiens à dire que je reconnais le dévouement et l'engagement sincère des employés d'Environnement Canada, des ministres et des membres du comité. Toutes ces personnes font de leur mieux dans les circonstances. Cela dit, le fait que nous ayons autant de mal à établir une norme raisonnable en matière de législation environnementale dans notre pays montre bien à quel point nos attentes ont diminué.
Dans notre perspective, la faiblesse la plus fondamentale du projet de loi C-32 est son défaut d'inclure une disposition de nature législative qui interdirait le rejet dans l'environnement des substances les plus pernicieuses, persistantes et biocumulatives en usage dans notre pays. Je pense que la plupart des Canadiens seraient scandalisés d'apprendre que la loi-phare du Canada dans le domaine de l'environnement ne renferme même pas une simple interdiction contre une activité polluante. C'est un élément que l'on retrouve dans les lois provinciales sur l'environnement dans notre pays, et ce depuis près de 30 ans dans certaines provinces. C'est un élément de la Loi fédérale sur les pêches qui fait défaut dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Au lieu de cela, nous allons réglementer, contrôler ou même interdire le rejet de ces substances dans l'environnement uniquement lorsque le cabinet décidera, dans sa grande sagesse, qu'un tel geste est nécessaire.
Nous avons 11 ans d'expérience avec la présente loi. Nous savons que le progrès de la réforme de la réglementation en faveur de l'environnement a été affreusement lent. En outre, en n'instaurant pas une simple interdiction contre le rejet de polluants dans l'environnement, nous créons un statu quo qui favorise ceux qui souhaitent ralentir le progrès d'une initiative de nature réglementaire. Ainsi, toute initiative réglementaire devient le champ de bataille dans la lutte entre les industriels et les champions de la santé et de la protection de l'environnement alors que nous progressons lentement vers l'adoption de mécanismes efficaces qui nous permettraient véritablement d'améliorer le sort de l'environnement dans le cadre de la loi.
Cela montre bien qu'au cours des années 1990, au niveau fédéral, nous avons abandonné l'idée que les gouvernements doivent jouer un rôle vigoureux de réglementation de l'activité des entreprises commerciales dans l'intérêt public. Nous avons adhéré au concept selon lequel il suffisait d'inviter les milieux d'affaire à faire mieux et que le volontariat, comme les gens d'affaire s'empressent de nous le rappeler, est la voie de l'avenir. Selon cette philosophie, nous n'avons pas besoin d'un contrôle gouvernemental exercé par voie réglementaire.
Je suis désolé, mais lorsque j'ai préparé ces mémoires, j'ai supprimé certains documents que nous avons présentés au comité permanent de la Chambre. Je réunirai volontiers toute cette documentation qui portait précisément sur la question de l'approche volontaire. On y trouve des preuves montrant le piètre bilan des mesures volontaires. Elles peuvent avoir un rôle à jouer dans certains contextes. La participation des citoyens à des programmes de recyclage sous forme de boîtes bleues en est un bon exemple. Au fil des ans, j'ai travaillé avec des industriels qui sont des chefs de file dans leur secteur et qui ont voulu démontrer l'efficacité d'une performance fondée sur une gestion améliorée de l'environnement. Mais plus souvent qu'autrement, les chefs d'entreprise sont obnubilés par leurs obligations fiduciaires envers leurs actionnaires et se bornent à se plier aux exigences de la loi. D'ailleurs, la plupart des gens d'affaire vous le diront. En fait, la firme Price Waterhouse a mené auprès de divers chefs de direction une enquête qui a révélé précisément cela. Les entreprises se plient aux exigences de la loi. Elles ne répondent pas aux invitations à participer à des programmes volontaires.
Environnement Canada a effectué une étude de la performance de divers secteurs industriels dans le contexte d'une approche volontaire, et ensuite documenté le déclin rapide du nombre de polluants qui apparaît dès que les gouvernements commencent à réglementer le domaine.
Notre incapacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre est une autre preuve de l'échec des mesures et des initiatives volontaires. Ce n'est tout simplement pas une démarche qui nous permettra d'atteindre notre but.
Que la LCPE soit privée de l'élément statutaire le plus fondamental et primordial montre que le gouvernement a reconnu son impuissance face à la nouvelle réalité mondiale de la déréglementation, de la privatisation et du libre-échange. Même aujourd'hui, le gouvernement n'a pas la témérité de défendre les dispositions réglementaires et statutaires qui, à mon avis, et de l'avis de nombreux de ses membres, sont nécessaires pour régler les problèmes auxquels nous faisons face.
Je vais passer rapidement en revue le mémoire et me borner à en relever un ou deux autres aspects. J'aimerais vous parler brièvement des dispositions relatives à la prévention de la pollution du projet de loi C-32.
Comme vous le savez, le projet de loi fait de la prévention de la pollution sa pierre angulaire. D'ailleurs, il en est fait mention au tout début de la mesure. Nous estimons que la prévention de la pollution est un nouveau paradigme des plus importants pour contrôler la performance environnementale des entreprises implantées dans notre pays. Depuis 20 ans, on a pu constater les limites des stratégies de contrôle de la pollution «en bout de piste». Elles sont coûteuses. On court le risque de déplacer les polluants d'un médium à un autre et de refiler les risques de l'environnement aux travailleurs. Cette approche relègue l'environnement au rang d'ajout ou d'après-coup. C'est une démarche qui s'exprime comme ceci: «Nous allons déterminer ce que nous allons faire, et comment nous allons le faire; c'est uniquement après avoir pris toutes ces décisions que nous envisagerons quelles répercussions elles risquent d'avoir sur l'environnement, et nous essayerons de régler le problème en bout de ligne.»
Ces quelque dernières années, en grande partie à cause de l'existence de lois sur la prévention de la pollution beaucoup plus vigoureuses aux États-Unis qu'au Canada, nous avons amplement la preuve de l'efficacité de cette approche. Certaines instances américaines -- les États du Massachusetts, du New Jersey, le gouvernement fédéral -- ont été en mesure, grâce à leurs initiatives réglementaires, de combler le fossé qui séparait les travailleurs des habitants des collectivités et des environnementalistes et qui les avait empêchés jusque-là de collaborer efficacement à régler ce qui est véritablement un problème commun.
Nous savons que des initiatives comme substituer les intrants, changer le processus de production lui-même, voire reformuler les produits, sont des moyens d'une efficacité incroyable non seulement pour ce qui est de contrer les polluants mais aussi d'utiliser à meilleur escient les ressources et l'énergie dans le processus de production. Les entreprises qui adhèrent sérieusement au principe de la prévention de la pollution découvrent qu'il y a souvent des avantages économiques très substantiels associés à un examen de la production, des intrants aux extrants, qui permet d'effectuer le travail de façon beaucoup plus rentable.
La LCPE se veut un instrument de la prévention de la pollution, mais dans les faits, elle n'exige pas de quiconque qu'il s'engage dans des activités de prévention de la pollution. Encore une fois, elle permet au ministre d'imposer cette exigence aux termes de son pouvoir de réglementation; cependant, la loi elle-même demeure muette à ce sujet. Encore une fois, nous avons laissé au processus du cabinet, lequel n'engendre ni débat parlementaire ni débat public, avec ses exigences politiques, l'élément le plus fondamental de cette mesure.
Le défaut d'exiger des gens qu'ils planifient et mettent en oeuvre les mesures de planification qui s'imposent est ressorti d'une enquête menée par le gouvernement du New Jersey, qui a une loi vigoureuse, auprès des gestionnaires de l'environnement dans les entreprises assujetties aux exigences obligatoires de planification relative à la prévention de la pollution. Ils ont mené leur enquête avant et après. Avant la planification de la prévention de la pollution, les gestionnaires environnementaux avaient estimé très modestement les avantages qu'une telle planification engendrerait concrètement pour leur entreprise. Une fois la planification terminée, ils ont constaté qu'il y avait tout un train de mesures qu'il était très logique de mettre en oeuvre.
Nous sommes dans un dilemme. Si les entreprises comprenaient les avantages liés à la planification de la prévention de la pollution, elles s'y mettraient volontiers. Cependant, étant donné qu'elles ne sont pas tenues de faire cette planification, elles n'en découvrent jamais les avantages. Dans notre mémoire, nous soulignons l'avantage énorme qu'il y aurait à exiger des entreprises qu'elles prennent les mesures qui, dans de nombreux autres secteurs industriels, se sont avérées être de très bonnes pratiques commerciales, notamment pour ce qui est d'assurer l'utilisation efficiente des ressources, de l'énergie et de la performance environnementale.
En terminant, j'aborderai une autre question dont nous traitons dans nos mémoires. Il s'agit de l'absence d'engagement du gouvernement fédéral en vue d'améliorer sensiblement la performance environnementale des activités ayant lieu sur les terres domaniales et dans les opérations gouvernementales. Ces dernières ne sont pas assujetties aux lois et règlements des provinces.
Un certain nombre de groupes communautaires de la Colombie-Britannique sont aux prises avec les problèmes créés par des pollueurs installés sur des terres fédérales qui ne relèvent pas de la loi ou des exigences de permis provinciales. Encore une fois, la mesure nous promet l'adoption de règlements, mais depuis 11 ans, nous attendons toujours. Il existe de nombreux exemples qui montrent l'échec de l'approche adoptée par le gouvernement fédéral en ce qui a trait à la publication de protocoles et de lignes directrices. Bien souvent, on n'en tient aucun compte. Nous représentons de nombreux clients en Colombie-Britannique qui sont aux prises avec les conséquences de ce vide attribuable à l'absence de la réglementation fédérale.
Il y a une solution facile à ce problème. Il suffit d'indiquer que les opérations fédérales menées sur des terres fédérales seraient assujetties aux exigences législatives des provinces en matière d'environnement. D'ailleurs, il existe un précédent dans la Loi sur les Indiens. Nous recommandons au gouvernement fédéral de s'en inspirer et nous espérons que vous prendrez le temps de passer en revue les autres propositions de fond énoncées dans notre mémoire.
Le vice-président: Avant de donner le coup d'envoi à la période de questions, je voudrais poser rapidement une question au sujet d'une affirmation qui revient à maintes reprises dans les mémoires. Vous mentionnez que l'Organisation mondiale du commerce a permis au gouvernement du Canada d'intenter une action en compensation en raison des restrictions européennes sur le boeuf aux hormones. Comment les pays votent-ils en bloc à l'OMC? De façon générale, on est porté à croire que les organisations internationales sont plus sévères que nous ne le sommes nous-mêmes à ce sujet. Comment cela a-t-il pu passer?
M. Shrybman: Il n'y a pas de vote une fois qu'une décision a été prise par l'organe d'appel de l'Organisation mondiale du commerce. Une fois la décision prise, elle est mise en oeuvre à moins que dans les 60 jours suivants, tous les membres de l'OMC, y compris la partie victorieuse, conviennent de bloquer la mise en oeuvre de la décision de l'organe d'appel.
La plupart des gens ne comprennent pas que lorsque nous avons créé l'Organisation mondiale du commerce, en 1995, nous avons créé une institution internationale dotée d'un pouvoir exécutoire. Cela ne faisait pas partie du régime du GATT. Les décisions de l'OMC sont exécutoires et il n'y a aucun moyen d'en empêcher la mise en oeuvre une fois qu'elles sont rendues.
Le président: Quels blocs de pays ayant droit de vote ont participé à cette décision? Combien de personnes sont concernées, ou combien de pays?
M. Shrybman: La décision concernant la réglementation sur l'innocuité des produits alimentaires en Europe a été rendue par l'organe d'appel de l'Organisation mondiale du commerce, lequel se compose de trois officiels sans affiliation avec quelque gouvernement membre que ce soit. Si je ne m'abuse, il sont choisis parmi une brochette de 17 experts du commerce international. Par conséquent, ce sont des arbitres, des juges commerciaux. Ils ne sont pas eux-mêmes membres de l'OMC. Ils ne représentent pas de pays en particulier. Il s'agit d'un tribunal. C'est l'instance qui prend les décisions concernant la réglementation sur l'intégrité des aliments. C'est cette instance qui a déterminé que le principe de la prudence ne serait pas reconnu par l'OMC comme élément déclencheur de la réglementation sur l'environnement ou l'intégrité des aliments.
Le vice-président: Pouvez-vous me dire, spontanément, quels étaient ces trois pays?
M. Shrybman: Non, je l'ignore.
Le sénateur Hays: Je vous remercie tous les deux de ces excellents exposés. Je pense qu'ils couvrent très bien le terrain que vous vouliez couvrir.
Selon la version d paragraphe 65(3) émanant du comité de la Chambre, certaines mesures pouvaient être prises afin d'atteindre la quasi-élimination. À l'étape du rapport, on a changé la formulation en ce sens:
Lorsque le dosage d'une substance a été spécifié sur la Liste mentionnée au paragraphe (2)...
Je pense qu'il s'agit de la Liste prioritaire. Quelle différence y a-t-il entre les deux versions, d'après vous?
Les ministres avaient les coudées franches pour ce qui est de prendre des mesures en précisant le dosage et dans les faits, en réglementant l'élimination d'une substance. Ils doivent réglementer l'élimination pour respecter le pouvoir qui leur est conféré par le droit criminel, lequel est le fondement de la partie 5.
J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. L'affaire Hydro-Québec est venue à un cheveu, en fait un juge, d'évacuer entièrement la Partie 5. Nous serions peut-être en train de siéger aujourd'hui, aux termes des dispositions relatives à la paix, l'ordre et le bon gouvernement, mais nous discuterions dans un contexte empreint d'une grande incertitude, n'eût été le cas de Hydro-Québec.
Quelle est la différence dans la position des ministres maintenant? En supposant que les ministres décident qu'ils veulent intervenir, seront-ils tenus, au sens administratif, de faire davantage aux termes du paragraphe 65(3) énoncé au stade de l'étude du comité de la Chambres qu'aux termes de l'article retenu à l'étape du rapport?
À mon avis, il y a tout autant de souplesse dans le paragraphe 65(3) issu de l'étape de l'étude en comité que dans le même article après l'étape du rapport.
Mme Kwasniak: À l'étape de l'étude du comité de la Chambre, le but ultime était la quasi-élimination. Tous les objectifs provisoires devaient tendre vers ce but. C'était la raison d'être. La différence, c'est que dans la version issue de l'étape du rapport, le but visé est l'établissement d'objectifs provisoires. En fait, par sa formulation, la mesure crée l'obligation positive de permettre les émissions. Le but ultime n'est pas la quasi-élimination. Je ne trouve ni l'une ni l'autre de ces versions satisfaisantes.
Le sénateur Hays: Je suis peut-être mal informé, mais je crois qu'il n'y a pas eu de changement au paragraphe 65(2) entre l'étape de l'étude en comité et l'étape du rapport. C'est ce qu'indiquent mes notes.
Le sénateur Spivak: Tout le volet administration nous ramène au paragraphe 65(3).
Mme Kwasniak: Je vais me reporter à mon mémoire. Je veux également dire quelques mots au sujet de votre interprétation de l'affaire Hydro-Québec. Je ne dirais pas que nous soyons passés à un cheveu, même si le vote a été serré.
Le sénateur Hays: Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant votre opinion sur le partage des voix cinq contre quatre, mais surtout l'argument exprimé par la majorité.
Mme Kwasniak: J'en suis à la page 12 de mon mémoire. Comme l'en exhortait l'industrie, le gouvernement a modifié les dispositions sur la quasi-élimination de manière à les rendre inopérantes. Ces modifications font en sorte que la LCPE n'autoriserait plus que les plans de quasi-élimination destinés à respecter certains objectifs provisoires, plutôt que le but de la quasi-élimination. Cela s'est fait par la modification du paragraphe 65(3) c'est-à-dire la suppression de la locution relative à la «prise de mesures visant la quasi-élimination d'une substance».
Ce faisant, le paragraphe 65(3) se limite à indiquer que les ministres fixent par règlement la limite du dosage selon lequel une substance vouée à la quasi-élimination peut être rejetée.
Également, le gouvernement a modifié d'autres dispositions afin de retirer les mentions de l'objectif de la quasi-élimination et de les remplacer par des renvois au paragraphe 65(3) et aux objectifs provisoires. Les plans et mesures viseront les objectifs provisoires et non pas le but ultime de la quasi-élimination.
Le sénateur Hays: Le paragraphe 65(2) demeure le même, à notre connaissance. Il se lit ainsi:
Les ministres établissent une liste de substances -- la liste de quasi-élimination -- qui précise la limite de dosage de chaque substance.
Autrement dit, il a toujours été prévu qu'il y aurait une limite de dosage...
Mme Kwasniak: Cela est vrai pour les deux rapports.
Le sénateur Hays: ... dans le processus visant à atteindre la quasi-élimination qui, comme nous le précise le paragraphe 65(1) se définit comme «la concentration la plus faible d'une substance qui peut être mesurée».
Je ne suis pas convaincu d'avoir reçu la bonne réponse à cette question. Les ministres sont responsables de l'administration de la loi. Supposons qu'ils décident de prévoir une certaine période de temps ou d'autoriser le rejet dans l'environnement d'une certaine substance toxique figurant sur la Liste prioritaire, que ce soit par le biais d'un processus ou autrement. Pourquoi les ministres auraient-ils davantage les mains liées aux termes d'une version de cet article par rapport à l'autre?
À mon sens, la version du comité de la Chambre ne donnera pas lieu à une décision administrative différente de celle découlant de la version de l'étape du rapport, en supposant que les ministres choisissent la voie qu'ils veulent suivre.
Mme Kwasniak: Je pense que vous avez raison, si la volonté politique est là, on pourrait aboutir au même résultat. Quel que soit ce résultat, il serait en deçà de la limite de dosage au bout du compte. La différence, c'est que dans un cas, ils doivent prendre une décision en visant l'objectif de la quasi-élimination. Dans l'autre, cela n'est pas nécessaire.
Le sénateur Hays: Ils doivent être plus astucieux.
Mme Kwasniak: Aucune des deux versions ne me convient. Je voudrais qu'il soit fait mention de l'élimination et non seulement de la quasi-élimination. M. Shrybman souhaitait une interdiction assortie de mesures réglementaires, comme c'est le cas habituellement dans les lois provinciales. Dans un premier temps, on interdit la pollution et ensuite, on précise des moyens ou des mesures pour y arriver.
Le sénateur Hays: Je vous suis. Voulez-vous faire un commentaire sur le fondement de la loi? Étant donné qu'elle se fonde sur le droit criminel, elle reconnaît que les autorités provinciales sont également habilitées à prendre des règlements dans ce domaine.
Mme Kwasniak: C'est exact.
Le sénateur Hays: Étant donné que la loi relève du droit criminel, le tribunal a maintenu qu'il n'entravait pas la capacité de la province de prendre un règlement non plus. L'argument semble plutôt faible compte tenu du rôle de réglementation prépondérant du gouvernement fédéral que souhaitent certains témoins. Ainsi, le gouvernement devrait pouvoir intervenir dans le domaine de l'exploitation de produits forestiers ou de la production et développement d'hydrocarbures.
Mme Kwasniak: Selon le juge La Forest, la catégorie de choses qui peut être réglementée aux termes du pouvoir conféré par le droit criminel n'est pas une catégorie fermée, mais elle doit donner lieu à l'exercice légitime de ce pouvoir.
Il a énoncé quelques suggestions quant au genre de choses qui pourraient être assujetties à la réglementation. La seule nuance qu'il a apportée, c'est que ce pouvoir ne saurait être utilisé pour ouvrir la porte à des ingérences déguisées dans un champ de compétence législative exclusivement provinciale. Il s'agit en effet de questions de compétence mixte.
Comme je l'ai écrit dans mes notes, la décision majoritaire, renforcée par le terrain d'entente entre la majorité et l'opinion dissidente, pave la voie à une gamme de lois environnementales. Le principal désaccord entre les opinions majoritaire et minoritaire concernait la structure de telles lois. La majorité aurait permis que les interdictions et les sanctions découlent du cadre de réglementation alors que l'opinion dissidente aurait exigé des interdictions et des sanctions législatives directes.
D'après mon interprétation, le tenant de l'opinion dissidente estimait que la mesure ressemblait à une loi de réglementation et non à une loi relevant du Code criminel, et cela lui posait problème. Les juges ne semblaient pas s'objecter à ce que la réglementation des produits toxiques s'inscrive dans le cadre d'un objectif légitime donnant lieu à l'exercice d'un pouvoir au criminel.
Le sénateur Spivak: Il est important de noter que les articles où il est question de mise en oeuvre nous ramènent au paragraphe 65(3), et non au paragraphe 65(2) ou 65(1). C'est une partie très compliquée et alambiquée du projet de loi. Cela nous amène à prendre en compte «toute autre question technique, économique ou sociale pertinente», non seulement la question de savoir ce que le ministre doit faire. Cela signifie que l'objectif risque de n'être jamais réalisé.
Les porte-parole de l'industrie nous ont dit que, sous sa forme antérieure, le paragraphe 65(3) allait lier les mains du ministre alors que ce ne serait pas le cas en l'occurrence. Je n'ai pas compris cet argument, mais c'est ce qu'ils ont dit. En ce qui concerne le préambule, ils ont exercé des pressions pour que l'on en supprime le passage «éliminer progressivement la production et l'utilisation». Maintenant, cette partie du préambule précise la nécessité de «procéder à la quasi-élimination». Or, si l'on examine la définition de «quasi-élimination», encore une fois, il s'agit du rejet de substances.
Si l'on évacue tout le verbiage, dans un cas, on met l'accent sur le contrôle du rejet de substances et dans l'autre, sur l'élimination progressive de la production et de l'utilisation de substances. Il importe de se rappeler que nous parlons uniquement des substances les plus dangereuses, de choses qui ne sont pas le produit d'une évolution naturelle. Voilà la différence.
Et même lorsque nous examinons les polluants organiques les plus persistants, nous devons prendre en compte des questions économiques. Quel est le tort causé? Il est très difficile de quasi-éliminer, et encore plus d'éliminer graduellement la production et l'utilisation de ces substances.
Le sénateur Hays: Monsieur le président, avec l'indulgence du sénateur Spivak, j'aimerais faire un autre commentaire à l'intention du témoin avant qu'il réponde à l'intervention du sénateur Spivak qui, soit dit en passant, est très utile.
Le problème que j'ai, c'est qu'à moins que le rôle du gouvernement fédéral soit au bout du compte d'interdire quelque chose -- c'est-à-dire l'existence de cette toxine dans l'environnement ou son rejet dans l'environnement --, ce dernier perd tout simplement l'assise de son pouvoir. S'il se borne à réglementer, comme le suggèrent les commentaires du sénateur Spivak, je pense qu'il se retrouvera dans l'eau chaude en raison de l'assise de la partie 5 de la présente mesure et de la partie 2 de l'ancienne.
J'apprécierais que dans leur réponse au sénateur Spivak, les témoins gardent cela à l'esprit.
Lorsque le pouvoir habilitant est un pouvoir découlant du droit criminel, il est plus étroit que le plein pouvoir de réglementer dont disposent apparemment les provinces. Il est possible qu'elles aillent de l'avant aux termes d'une compétence résiduelle. Quoi qu'il en soit, compte tenu de ce que nous savons aujourd'hui, elles devront respecter ce qui est envisagé au titre d'un pouvoir découlant du droit criminel. À mon avis, ce pouvoir prévoit au bout du compte une interdiction quelconque ou le fait de mettre un terme à une pratique, de mettre un terme à un rejet ou à l'existence d'une substance, tel que prévu à la partie 5.
M. Shrybman: Une interdiction générale n'est pas toujours nécessaire. L'interdiction peut viser le rejet d'une substance selon une quantité ou une manière qui cause à l'environnement un dommage que la mesure a pour mandat d'empêcher. Ce n'est pas toujours tout ou rien.
En l'occurrence, je pense que nous sommes dans une situation où c'est tout ou rien pour ce qui est de la quasi-élimination des substances qui correspondent aux critères, c'est-à-dire qui sont persistantes et biocumulatives. Cependant, le gouvernement fédéral a parfaitement le pouvoir d'interdire le rejet de substances dans la mesure où celles-ci causent du tort à l'environnement, même si la mesure aurait plus de mordant si elle était assortie d'une interdiction législative précisément pour les raisons énoncées dans l'opinion dissidente dans l'affaire Hydro-Québec.
Le vice-président: Monsieur Shrybman, vous n'avez pas signalé que la loi fédérale aurait dû énoncer comme premier principe le respect de l'environnement et pourtant vous avez dit qu'il en était ainsi pour chaque loi provinciale. Est-ce que je vous ai bien compris?
M. Shrybman: Je n'ai pas lu les lois de toutes les provinces, mais il va sans dire que c'est le cas pour plusieurs d'entre elles.
Le vice-président: Les provinces ne sont certainement pas des modèles de vertu en matière de respect de l'environnement. Je me demande donc pourquoi vous croyez qu'il serait tout à coup utile pour le gouvernement fédéral d'adopter le ton moralisateur des provinces ou dites-vous simplement que vous aimeriez que le principe s'y trouve et que vous vous sentiriez plus à l'aise même s'il n'est pas appliqué?
M. Shrybman: Je dois vous dire que je suis en désaccord avec vous lorsque vous parlez d'un ton moralisateur. La Loi sur la protection de l'environnement de l'Ontario, qui a été promulguée en 1971, contient simplement une disposition générale contre le rejet dans l'environnement de substances qui nuiront tant à la santé qu'à l'environnement.
Le sénateur Taylor: Je viens de siéger pendant trois ans à un comité qui s'est penché sur l'industrie des pâtes et papiers dans toutes les provinces canadiennes. La Saskatchewan est la seule province qui respecte un tant soit peu l'environnement. Je ne pense pas que vous vouliez utiliser l'eau de quelque cour d'eau de l'Ontario pour vous brosser les dents, peu importe ce que disait la loi de 1971.
Le sénateur Spivak: L'élimination de la notion de toxicité intrinsèque est un autre obstacle à l'élimination graduelle tant de la production que de l'utilisation de ces substances. Je ne sais pas ce qui inquiétait l'industrie à cet égard étant donné que les chances d'en arriver là sont très minces, la route étant parsemée de divers obstacles. Je ne sais pas si elle y parviendra un jour.
Qui plus est, je tiens à vous rappeler que la note bureaucratique laissait entendre que la quasi-élimination est impossible.
M. Shrybman: J'ai participé à de nombreux combats visant à mettre en place de nouvelles lois et de nouveaux règlements et je sais que parfois le milieu des affaires se trompe. C'est assurément ce qui lui est arrivé au sujet du projet de loi régissant le transport des matières dangereuses en Ontario lorsqu'il a mis le holà à l'action réglementaire. Le projet de loi a toutefois été mis en oeuvre et a finalement eu très peu d'impact sur les affaires.
À d'autres occasions, le milieu des affaires a été d'un grand soutien, par exemple en ce qui concerne la Déclaration des droits de l'environnement en Ontario. J'ai participé à la mise sur pied du petit comité qui a rédigé cette mesure législative. Une grande partie a à voir avec les personnalités et la vigueur avec laquelle les groupes de pression font progresser leurs dossiers mais on ne peut juger de l'effet définitif des initiatives en matière de réglementation environnementale par la réaction du milieu des affaires. Parfois elles réagissent exagérément et parfois, sans doute, pas assez, mais il se peut qu'on fasse beaucoup de bruit pour rien.
Le vice-président: La recommandation de Mme Kwasniak en matière d'harmonisation était que nous cessions de diluer le pouvoir ou l'autorité fédérale au moyen de nouveaux amendements forçant l'harmonisation. J'ai l'impression que vous pensez que les droits des provinces peuvent avoir nui à l'efficacité de la loi sur l'environnement. Nous ne devons pas oublier de consulter les gouvernements autochtones et les peuples autochtones. S'agit-il d'une forme d'harmonisation négative? L'harmonisation fait référence non seulement aux gouvernements provinciaux mais aussi aux gouvernements autochtones, aux peuples et aux groupes autochtones.
Mme Kwasniak: Pouvez-vous préciser le genre de choses que vous voyez comme étant harmonisées en ce qui concerne les gouvernements autochtones?
Le vice-président: J'ai cru comprendre que vous aviez l'impression que la capacité d'agir unilatéralement du gouvernement fédéral sur les questions environnementales était diluée. Vous sembliez croire que ce sont les provinces qui ralentissent le processus. Le projet de loi C-32 ne prévoit-il pas des consultations et des actions concertées avec les provinces de même que les gouvernements et les peuples autochtones? Il me semble que vous vous en êtes beaucoup pris aux gouvernements et aux peuples autochtones de même qu'aux provinces.
Mme Kwasniak: Non, je vous ai parlé sur quelques sujets dont les accords d'harmonisation auxquels le gouvernement fédéral est partie en matière d'évaluations environnementales et de rejets. En ce qui a trait à la consultation, des dispositions exigent du gouvernement fédéral qu'il consulte les gouvernements provinciaux ainsi que les groupes autochtones et d'autres avant de prendre des mesures.
Le problème en ce qui concerne ces dispositions c'est que, à part l'obligation de consulter, il y a cette l'incapacité d'agir si une offre de consultation était acceptée par une province. Il faut faire quelque chose à cet égard.
La Cour suprême du Canada nous a montré que le gouvernement a le devoir de consulter les nations autochtones sur de nombreuses questions. En Colombie-Britannique, la province est tenue légalement de consulter avant d'accorder des permis d'exploitation forestière si la tradition veut que ces terres appartiennent à un peuple autochtone. Je ne laisse pas entendre que le gouvernement fédéral ne remplit pas ses obligations légales de consulter, comme l'a imposé la Cour suprême. Il est impératif que le gouvernement fédéral s'acquitte de tous ses devoirs en matière de consultation, qui sont prévus dans les traités, les lois autochtones et en règle générale dans les règlements.
Ce qui ne va pas selon moi, c'est que le gouvernement aurait les mains liées par cette obligation de consulter. Il doit bien y avoir une façon d'éliminer les consultations pour que le gouvernement puisse agir. Le devoir de consulter les groupes autochtones est différent de celui de consulter les gouvernements provinciaux. Je ne sais pas pourquoi toutes ces consultations supplémentaires avec les provinces ont été inscrites dans la loi. Elles ne se trouvaient pas dans la LCPE initiale. Il n'existe aucun processus à cet égard. C'est la raison pour laquelle j'ai dit qu'elle devrait être laissée à la discrétion du gouvernement fédéral. Je dois admettre que l'idée d'un simple pouvoir discrétionnaire me rend un peu mal à l'aise, mais même dans le cas d'une obligation légale il faut prévoir un processus pour mettre fin à la consultation. Ce qui m'inquiète surtout, c'est que cela lie les mains du gouvernement.
Le vice-président: Il est tout à fait inhabituel d'entendre un Albertain parler ainsi.
Mme Kwasniak: Je ne crois pas que ce soit inhabituel.
Le sénateur Ghitter: Nous avons vu cela dans la Loi sur le contrôle des armes à feu et je ne crois pas que cela pose un problème. C'est une question de caractère raisonnable. Le gouvernement fédéral n'avait pas consulté les groupes autochtones au sujet du contrôle des armes à feu. Le gouvernement a envoyé quelques représentants pour un court séjour dans le Nord et a déclaré qu'il s'agissait de consultation, ce que tout le monde a accepté. Nous avons soutenu le contraire. Le sénateur Adams, en particulier, se rappellera que, lorsque le projet de loi C-68 a été adopté, il n'y a pas vraiment eu de consultation selon toute interprétation raisonnable. Je suppose que si quelqu'un voulait le contester, il le ferait en s'adressant aux tribunaux. Je ne sais pas si on réussira même à définir la consultation. Cependant, je crois qu'il est approprié qu'on le mentionne dans la loi parce que, pendant trop longtemps, les groupes autochtones n'ont jamais été consultés. On l'a mentionné pour s'assurer qu'ils seront consultés et je suis sûr que nous appuyons tous l'initiative.
Mme Kwasniak: Tout à fait et la loi exige que le gouvernement procède à des consultations. Néanmoins, il faudrait prévoir un processus pour définir la consultation et décider du moment où une action peut être prise.
Le vice-président: J'ai l'impression qu'il existe un lien très étroit entre l'harmonisation et la consultation et je me demandais à l'égard de quel aspect vous vous en preniez.
Le sénateur Hays: C'est la première fois que je vois dans une mesure législative quelque chose sur les mesures économiques que la plupart d'entre nous, je crois, jugent nécessaires pour atteindre les objectifs que nous sommes fixés en ce qui concerne les changements climatiques.
Êtes-vous d'accord pour dire qu'il s'agit d'une nouvelle initiative gouvernementale importante dans le projet de loi C-32?
M. Shrybman: Tous à fait, mais nous avons quelques réserves sur le libellé de la section 6 pour ce qui est de la capacité du gouvernement de compter sur les dispositions qui s'y trouvent pour composer avec les questions relatives au changement climatique. Nous avons fait des suggestions pour alléger le texte en ce qui a trait au rejet de substances dans l'environnement qui entraînent le réchauffement du globe, même si elles ne nuisent peut-être pas la qualité de l'air local.
Le vice-président: Merci beaucoup de vos exposés informatifs et bien documentés.
Nous reprendrons nos travaux à 13 h 30.
La séance est levée.