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Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 37 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 15 juin 1999

Le comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 17 h 30 pour examiner le Budget principal des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2000.

Le sénateur Terry Stratton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous entendrons ce soir Huguette Labelle, présidente de l'Agence canadienne de développement international, et John Robinson, vice-président de l'ACDI.

Bienvenue et merci d'être venus. Veuillez présenter votre déclaration, si vous en avez une, puis nous vous interrogerons.

Mme Huguette Labelle, présidente, Agence canadienne de développement international: Merci de votre invitation à témoigner devant vous cet après-midi. J'aimerais consacrer quelques minutes à certains points saillants du mémoire que vous avez déjà devant vous. Je serai brève, afin de laisser le plus de temps possible pour les questions.

Nous voulons vous faire sentir que la coopération internationale a évolué depuis 30 ans. Très souvent, ce que nous voyons à la télévision ne nous porte pas à le croire, parce que les projecteurs sont braqués sur les problèmes, sur les difficultés. Nous ne voyons pas toujours le côté positif, les progrès qui ont été accomplis en ce qui concerne l'accès à de l'eau propre, l'accès à l'éducation, le nombre de personnes qui savent lire, le nombre de personnes qui participent à la vie économique d'une société.

Mais malgré ces progrès remarquables, de nombreux défis de taille persistent.

[Français]

Ces défis, on les voit régulièrement à la télévision. Il existe encore une très grande disparité entre les hommes et les femmes. Les femmes sont beaucoup moins lettrées et les petites filles ne vont pas à l'école autant que les garçons.

Bien souvent, les femmes sont celles qui font le travail le plus ardu. Ce sont des faits connus. Aller chercher de l'eau peut parfois représenter 15 kilomètres de marche par jour, ce qui équivaut à près d'une journée de travail.

Les enfants meurent encore en très grand nombre dans les pays en voie de développement. Très jeunes, des enfants sont utilisés pour travailler. Beaucoup de petites filles sont aussi utilisées pour le commerce du sexe et ce, dès l'âge de cinq ans.

[Traduction]

Le plus grand problème, c'est l'écart qui se creuse entre les riches et les pauvres. Il y a encore 1,5 milliard de personnes qui survivent avec moins d'un dollar par jour. J'ai rencontré bien des gens dans le monde qui survivent avec 30 $ ou 40 $ par année -- peut-être faut-il se réjouir, puisque ce sont des dollars américains. En outre, avec la télévision -- parce qu'on trouve parfois un téléviseur dans une collectivité rurale très pauvre -- les gens peuvent voir comment on vit ailleurs dans le monde. Cela crée d'autres problèmes. Mais le vrai problème réside ailleurs, le problème, c'est ce fossé énorme.

La population continue d'augmenter. Cette augmentation se poursuivra probablement jusqu'en 2040, en supposant que la situation ne change pas vraiment, mais qui sait ce que nous réserve l'avenir. Ce que nous savons, c'est que 95 p. 100 de la croissance démographique, environ 80 millions de personnes par année actuellement, se concentrent dans les pays en développement. De plus en plus d'enfants naissent tous les jours.

En ce qui concerne la santé, je parlerai brièvement du sida, parce que nous avons appuyé le traitement et la prévention du sida, surtout en Afrique. Il y a quelques années, je suis allée au Zimbabwe. À l'époque, l'espérance de vie des femmes était de 56 ans. D'ici six ans environ, elle sera descendue à 25 ou 26 ans. De nombreux enfants n'ont plus de père ni de mère, ni même d'oncles ou de tantes plus âgés qu'eux. Ils sont tous morts ou sont gravement malades. Il n'est pas rare de voir une fillette de huit ans s'occuper de toute une famille de quatre ou cinq enfants plus jeunes qu'elle.

[Français]

On entend beaucoup parler de l'environnement après Kyoto, et ce secteur est assez troublant. À l'heure actuelle, ce sont les pays de l'Ouest qui produisent le plus de CO2, mais d'ici quelques années la moitié de cette production proviendra des pays en voie de développement puisqu'ils s'industrialisent beaucoup plus.Dans certains cas, des pays comme la Chine brûlent du charbon mou et ainsi, beaucoup de produits nocifs sont libérés dans l'air.

[Traduction]

Dans notre mémoire, nous signalons que l'eau nous inquiète, parce que 25 pays en manquent actuellement. Un groupe qui a mené une importante étude il y a deux ans prévoit qu'en 2025, environ 66 pays manqueront d'eau. C'est une autre grande source de problème, car de nombreux cours d'eau de la planète sont bordés par plusieurs pays. Le Nil, le Mékong, le Zambèze en sont quelques exemples. La gestion conjointe des cours d'eau sera très importante pour éviter que des conflits n'éclatent parce que les niveaux d'eau sont bas.

Je ne m'étendrai pas sur le problème des conflits. Nous les voyons tous les jours à la télévision.

Je passe brièvement à la page 16 du mémoire, qui rappelle simplement que, dans le cadre de nombreux sommets, que ce soit à Beijing, à Copenhague ou au Caire, le Canada s'est engagé avec d'autres pays à collaborer pour changer la situation des pauvres et mener une action qui compte vraiment.

L'ACDI est l'organisme du gouvernement fédéral qui s'occupe de coopération internationale. Notre mandat consiste essentiellement à réduire la pauvreté, afin de rendre le monde plus sûr et plus prospère. Nous sommes actifs sur tous les continents et nous le sommes aussi à l'échelle multilatérale en appuyant certaines agences spécialisées des Nations Unies, comme l'UNICEF. Nous collaborons avec les institutions financières internationales qui accordent des prêts à des conditions de faveur dans les pays les plus pauvres du monde, ainsi qu'en Europe centrale et en Europe de l'Est, même si l'objectif de ce programme consistait au départ à nouer des liens entre les Canadiens et cette région du monde, lorsqu'elle s'est ouverte. Mais vu les problèmes qui sont survenus, ce programme ressemble de plus en plus à un programme d'aide au développement classique.

À la page 20, nous décrivons quelques priorités des programmes: l'eau, la sécurité, la nutrition, le logement. Nous nous sommes engagés à y consacrer 25 p. 100 de notre aide publique au développement. L'ACDI a beaucoup travaillé avec les femmes dans le monde. Nous avons aussi contribué aux services d'infrastructure. C'est une troisième priorité. De plus en plus, nous travaillons dans le domaine des droits de la personne, de la démocratie et du bon gouvernement, en aidant les pays à se doter d'un régime de droit quand il n'existait pas ou était très faible. Nous les avons aidés à élaborer des lois qui leur permettront de recevoir des investissements. Nous espérons que notre action comptera à l'avenir. Nous les aidons également à développer leur secteur privé et à protéger leur environnement.

À la page 21, nous donnons quelques exemples de ces activités.

[Français]

Nous avons, par exemple, dans le domaine des micronutriments, fait beaucoup de travail auprès de nombreux pays où, bien souvent, avec un demi-cent nous pouvons éviter qu'un enfant souffre de déficience mentale suite à des carences en vitamine A. Pour citer un autre exemple, dans plusieurs régions du monde, des carences en iode ne sont pas compensées par l'utilisation de sel iodé comme nous le faisons au Canada. On supplée donc à ces carences par des aliments fortifiés, en attendant de résoudre ces problèmes. Autrement, on retrouve des enfants présentant des retards de croissance qui ne seront jamais comblés à l'âge adulte.

[Traduction]

Je ne passerai pas en revue les autres exemples. Nous vous les avons présentés pour que vous puissiez en prendre connaissance quand vous le voudrez. Certains vous amèneront peut-être à nous poser des questions auxquelles nous tenterons de répondre individuellement ou collectivement.

Essentiellement, l'aide publique au développement, ou l'APD, donne au Canada la possibilité d'aider les autres. Les Canadiens ont déclaré qu'ils croient cette action nécessaire. C'est le côté altruiste de la chose. L'APD nous permet aussi d'exercer une influence autour de la table. Vu que le Canada a travaillé dans de nombreuses régions du globe, les gens nous connaissent et ils sont souvent plus enclins à appuyer à l'échelle multilatérale certaines des activités qui nous tiennent à coeur. Évidemment, c'est aussi une façon de contribuer à la sécurité et à la santé dans le monde. Il y a eu des cas de malaria indigène au Canada. Il y a de nouvelles formes de tuberculose et la tuberculose peut presque faire le tour du globe en 24 heures.

Il y a de nombreux autres aspects. L'un d'entre eux est évidemment le fait que l'APD contribue à notre prospérité. Nous collaborons avec de nombreux groupes et avec bien des gens au Canada. Même si nos projets visent à aider des collectivités à l'étranger, le rendement de cet investissement comprend souvent des retombées pour des entreprises ou des universités canadiennes, qui obtiennent ainsi un marché de la Banque mondiale, par exemple, ou encore des débouchés commerciaux. Nous pouvons voir les retombées qui découlent d'un grand nombre de nos programmes. Les entreprises et les universités canadiennes se sont fait connaître dans un pays et ont pu démontrer ce que peuvent faire les Canadiens dans telle ou telle situation. Ce n'est pas l'objectif de notre programme, mais cela arrive sans cesse.

[Français]

J'aimerais dire un dernier mot sur l'enveloppe budgétaire. À la page 29, vous voyez comment la distribution est faite. Il y a l'enveloppe internationale pour la coopération, où sont regroupés les dispensateurs de services, dont l'ACDI. Nous représentons à peu près 80 p. 100 de cette enveloppe. Le ministère des Finances en a une certaine partie pour la Banque mondiale, le ministère des affaires étrangères et le Centre de recherches pour le développement internationale, entre autres.

À la page 30, on souligne le fait que l'ACDI a contribué de manière importante à la réduction du déficit dans les dernières années. Cela a, par contre, causé une baisse importante du budget d'aide du Canada, qui se compare à notre PNB. Toutefois, dans son dernier budget, le gouvernement a indiqué un début de croissance à partir de l'an prochain. La page suivante est un rappel de ce que vous avez dans la partie III en ce qui concerne le budget.

Le sénateur Bolduc: On a une population mondiale qui tourne autour de six milliards de personnes dont, grosso modo, trois milliards en Asie, un milliard ou un peu moins pour le continent américain, près d'un milliard pour l'Afrique et le Moyen-Orient et, finalement, un autre milliard pour l'ensemble de l'Europe. Donc la moitié de la population se retrouve en Asie.

Ce qui me frappe dans le budget bilatéral et l'organisation géographique de ce budget, -- j'exclus pour l'instant l'aide multilatérale -- c'est que vous avez 167 millions de dollars pour l'Amérique du Sud, 90 millions de dollars pour les pays de l'Europe de l'Est, 315 millions de dollars pour l'Afrique et le Moyen-Orient, et 253 millions de dollars en Asie.

Il y a probablement autant de pauvres en Asie qu'en Afrique. On a qu'à penser aux Indes, au Pakistan, au Sri Lanka et à l'Indonésie où les populations sont immenses, sans parler de la Chine.

En dehors de l'aide multilatérale qui est surtout de l'aide immédiate et humanitaire, vous arrivez à 250 millions. J'ai de la difficulté à m'expliquer ce dosage. Puisque nous sommes une nation commerçante, je comprends que nous devions transiger un peu partout dans le monde, et c'est d'ailleurs un des dilemmes de l'ACDI. Vous aidez une centaine de pays alors que beaucoup de gens disent que vous devriez vous concentrer davantage sur les pays les plus pauvres qui sont de l'ordre de 40 ou 50.

Est-ce qu'il y a une justification à ce partage géographique? Si le critère est la pauvreté, j'ai de la difficulté à comprendre pourquoi vous allouez 250 millions de dollars en Asie, et 167 millions de dollars en Amérique latine. Je ne dis pas que c'est mauvais, mais j'imagine qu'il doit y avoir d'autres considérations que le critère de la pauvreté qui interviennent. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Labelle: En comptant seulement la Chine et l'Inde, ces deux pays représentent un tiers de la population mondiale. On sait très bien que dans un pays comme la Chine cela va bien dans certaines régions comme le sud-est, mais que dans le centre et le nord-ouest il y a des gens qui gagnent 50 dollars ou moins par année. Il y a donc beaucoup de pauvres en Asie, entre autres au Bangladesh et au Pakistan.

Il y a, par contre, moins de pays dans cette région du monde. La Chine, l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh, où l'on retrouve les plus pauvres, sont les quatre pays que nous appelons «nos pays de concentration»: 70 p. 100 de nos ressources, du programme d'aide, si j'oublie l'Europe de l'Est et l'Europe centrale, vont dans 25 pays. C'est donc une façon différente de se concentrer.

En Afrique nous devons composer avec l'aspect historique et le fait que nombre des pays les plus pauvres y sont situés.Vous avez donc raison pour cela, à savoir que 44 p. 100 de l'aide va à l'Afrique, et 37 p. 100 à l'Asie. Il est évident qu'il y a beaucoup de pauvres encore en Asie. C'est la raison pour laquelle ces trois pays sont les plus importants.

En termes d'équilibre, il est évident que si nous avions des ressources supplémentaires, nous regarderions de très près les régions que vous avez identifiées. Bien souvent, on fait des glissements d'une région à l'autre ou d'un pays à l'autre. Ce que nous espérions, évidemment, c'est que dans les pays comme, par exemple, l'Indonésie où nous avions déjà identifié une décroissance, nous pourrions, d'ici un certain nombre d'années, faire la réaffectation. Malheureusement, avec la crise financière, nous avons dû reviser nos positions à ce sujet. Vous soulevez donc un point très important, il y a beaucoup de pauvres du côté de l'Asie, mais les gens l'oublient quelquefois.

[Traduction]

Le sénateur Bolduc: Pourquoi l'ACDI n'est-elle pas une fondation établie par la loi? Elle a été établie par décret. Est-ce parce que dans les affaires internationales et dans les affaires étrangères au Canada, tout comme dans tous les régimes parlementaires inspirés du modèle de Westminster, il y a une tradition de leadership exécutif dans les affaires étrangères, ce qui signifie que l'État peut faire ce qu'il veut? Est-ce parce que, dans les affaires étrangères, une discrétion nécessaire doit s'exercer différemment dans le temps et selon les programmes? Ou est-ce simplement parce qu'ils étaient très occupés dans les années 50 lorsqu'ils ont pris cette décision et que, depuis, le gouvernement a été paresseux? Il est tellement pratique de ne pas avoir de loi qui régit ses actes. Quand j'étais fonctionnaire, je le comprenais très bien.

Mme Labelle: Je ne saurais me prononcer sur la paresse. Je n'y étais pas à l'époque. Vous vous souviendrez que le bureau de l'APD se trouvait au ministère des Affaires étrangères et que l'ACDI a été créée il y a 31 ans. Je suppose qu'à l'époque, ils n'ont pas jugé une loi nécessaire. Au moment de l'examen de la politique étrangère, en 1994-1995, le comité mixte de la Chambre et du Sénat s'est demandé s'il fallait une base légale distincte plutôt que la législation régissant les affaires étrangères. Au bout du compte, il n'y a pas eu de décision dans ce dossier, mais on en a certainement débattu pendant un certain temps et l'on s'est posé beaucoup de questions à ce sujet. Il ne fait aucun doute qu'il y a des avantages à avoir une base législative, mais aucune mesure n'a été prise en ce sens; par conséquent, la loi qui régit les affaires étrangères est la base légale de nos activités.

M. John M. Robinson, vice-président, Agence canadienne de développement international: En plus de la Loi sur le ministère des Affaires extérieures, dans laquelle il est brièvement question de l'ACDI, nous sommes aussi régis par les dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques et d'autres lois. L'ACDI n'est pas sans orientation législative, mais il n'y a pas de loi qui nous traite comme un ministère. À toutes fins utiles, nous sommes un ministère indépendant du gouvernement. Nous avons notre propre ministre, qui est membre à part entière du Cabinet. L'absence de base législative n'a pas empêché l'ACDI d'être considérée comme un ministère distinct au gouvernement.

Le sénateur Bolduc: Vous êtes indépendants surtout du point de vue de la gestion. Du point de vue de l'élaboration des politiques cependant, vous donnez votre avis et le gouvernement décide ensuite des grandes politiques publiques en matière d'aide étrangère.

Mme Labelle: Même si nous avions notre propre base législative, on s'attendrait à ce que nous nous comportions et nous nous comporterions effectivement conformément à la politique étrangère générale du Canada, notamment en ce qui concerne la décision d'agir ou de ne pas agir dans un pays donné. Lorsque quelque chose va très mal dans un pays, comme l'apartheid en Afrique du Sud, et qu'on décide de couper les liens avec ce pays, ce sont des décisions de politique fondamentales que nous devrions respecter et que nous respectons.

Évidemment, la politique étrangère est décidée par le ministère des Affaires étrangères et nous appliquons cette politique. La différence, c'est que la politique de développement est en grande partie décidée par l'ACDI. Je pense au type de cadre de politique que nous nous donnons dans un pays en particulier, à celui que nous nous donnons en ce qui concerne le rôle de la femme dans le développement, l'environnement et la lutte contre la pauvreté. Il y a une division du travail.

Le sénateur Bolduc: Ma troisième question touche au rapport du vérificateur général. Je sais que vous collaborez étroitement avec le vérificateur général depuis quatre ou cinq ans. En 1993, le vérificateur général a déclaré qu'il fallait améliorer l'évaluation et l'analyse des programmes de l'ACDI.

J'ai devant moi le rapport du vérificateur général de 1998 sur votre agence. À la page 18, la principale conclusion du rapport est que la gestion et l'évaluation des programmes s'améliorent à l'ACDI mais qu'il y a encore du pain sur la planche. Vous avez décrit assez éloquemment vos plans et vos priorités. C'est une grande amélioration et cela nous donne une image plus concrète de vos diverses activités. En même temps, le vérificateur général déclare qu'il y a encore du travail à faire en ce qui concerne l'analyse, l'évaluation des politiques et l'évaluation des programmes. Ce dernier aspect intéresse notre comité depuis six ou sept ans. Nous avons beaucoup insisté sur l'évaluation des programmes dans les activités du gouvernement, parce que, après tout, lorsqu'il y a un programme, il faut l'évaluer.

Dans son rapport, après avoir expliqué ce que vous nous avez présenté comme étant votre objectif et vos priorités, le vérificateur général affirme qu'il y a encore beaucoup à faire au sujet des indicateurs des résultats ou de l'incidence de vos activités sur les pays en développement. À la page 18, il cite les bons indicateurs qu'il a trouvés à l'OCDE, qui travaille en collaboration avec d'autres pays. En lisant votre rapport sur l'ACDI, je trouve que les indicateurs dans votre document sont moins quantitatifs que les exemples donnés dans le rapport du vérificateur général.

Le sénateur Fraser: Est-ce la pièce 21-6?

Le sénateur Bolduc: Oui.

Le sénateur Fraser: Elle se trouve à la page 16.

Le sénateur Bolduc: En français, elle se trouve à la page 18. Il y a des objectifs pour le bien-être économique, puis les indicateurs correspondants, et la même chose pour le développement, la durabilité et la remise en état de l'environnement, et enfin des indicateurs généraux. Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que le vérificateur général a été trop sévère ou trop strict ou qu'il a été juste?

Mme Labelle: Il y a environ quatre ans, l'ACDI a commencé à établir un cadre axé sur les résultats. Nous avons fait un virage à 180 degrés dans la gestion des programmes.

Le vérificateur général conviendrait avec nous que nous avons très bien réussi au niveau des projets. Si nous acceptons d'aider un pays à mettre sur pied un réseau d'écoles primaires qui fonctionne et que nous allons ensuite dans un village et voyons que tous les enfants sont à l'école primaire, c'est un indicateur des résultats, des réalisations et des retombées éventuelles. Nous avons cet indicateur.

La difficulté c'est de parvenir à des indicateurs des résultats plus globaux. Nous en avons discuté longuement avec le vérificateur général. Nous lui avons demandé son avis sur une question très difficile: si nous aidons un pays à renforcer l'éducation primaire dans une région, dans quelle mesure les succès remportés par ce pays au niveau national peuvent-ils être attribués à notre travail? Nous avons peut-être formé les enseignants ou nous avons aidé la collectivité à gérer ses écoles, ce qui ne se faisait pas auparavant. Il y a plusieurs éléments. Le problème en est un d'attribution. Il est difficile de savoir si nous sommes responsables des résultats au niveau national.

Dans le secteur de l'éducation, nous travaillons dans de nombreux pays. Parfois, nous participons à la formation des enseignants, parfois à la construction d'écoles, parfois aux programmes, aux manuels, et cetera. Au bout du compte, il est très difficile d'affirmer: «Pour tout ce que nous faisons dans le monde, voici les indicateurs de ce que nous avons accompli», parce qu'il est difficile de tout mesurer au niveau global.

Le vérificateur général dirait qu'au niveau des projets, nous nous en tirons très bien. Nous sommes très contents et nous avons évalué les projets. Il y a toujours une évaluation en fin d'année. Tous les projets sont examinés pour déterminer où nous en sommes par rapport à où nous voulions être. Nous collaborons étroitement avec l'OCDE et avec la Banque mondiale pour déterminer s'il y a une façon de contourner la difficulté de l'agrégation au niveau global. Je pense que le vérificateur général convient avec nous que ce n'est pas une sinécure. Nous devons continuer à tenter de voir si s'est faisable, mais cette faisabilité n'a pas encore été démontrée. C'est en partie le raisonnement qui sous-tend cette observation.

Le sénateur Lavoie-Roux: Comment faites-vous pour déterminer si les sommes que vous versez aux pays et aux gouvernements, par exemple, vont là où elles devraient aller? Comment savez-vous si ces montants sont bien dépensés? Ainsi, quelqu'un qui est allé en Ouganda m'a raconté que l'argent ne va pas toujours où il devrait aller. Je ne sais pas où il est distribué, alors cela m'inquiète. J'ai entendu une remarque semblable d'un employé d'une ambassade du Canada dans un autre pays africain, je crois. Ils m'ont dit qu'il faudrait examiner de près l'utilisation qui est faite des fonds de l'OCDE. Quel genre de contrôle pouvez-vous exercer et dans quelle mesure pensez-vous réussir?

Mme Labelle: À l'heure actuelle, nous ne donnons pas d'argent aux gouvernements. Nous nous entendons sur les besoins et les priorités avec les gouvernements des pays ou avec les collectivités, c'est le mieux que nous puissions faire, puis nous nous tournons vers les experts canadiens pour qu'ils gèrent ce dossier en notre nom. Par exemple, si un pays nous dit qu'il aimerait vraiment aider ses citoyens à avoir accès au crédit, parce que cet accès n'existe pas, nous pourrions faire appel à l'une de nos coopératives canadiennes qui a de l'expérience dans cette région du monde. La coopérative travaillerait avec la collectivité pour lancer une coopérative et mettre en commun ses ressources monétaires afin de se développer. Mais nous ne transférerions pas de ressources au gouvernement.

Dans les années 80, il y a eu des efforts importants vers l'ajustement structurel, afin d'aider les pays à réduire les énormes déficits qu'ils avaient à l'époque. En un sens, la plupart d'entre eux auraient pu faire faillite. Des institutions comme la Banque mondiale et le FMI, qui surveillaient la situation de très près, ont fourni des ressources. Nous ne le faisons plus. Ce que nous faisons, c'est nous entendre sur les besoins et les priorités, nous tourner vers les Canadiens et surveiller de très près les résultats. Ils ne reçoivent pas d'argent tant qu'ils n'ont pas livré la marchandise. Les avances sont très faibles et de très courte durée. Les gens ne reçoivent jamais le montant total. Ils reçoivent des versements mensuels ou trimestriels en fonction des rapports sur l'avancement des travaux. Une institution spéciale s'occupe du contrôle ou nous nous chargeons du contrôle quotidien des résultats. C'est ainsi que nous nous assurons que les ressources sont consacrées aux fins pour lesquelles il a été décidé de les affecter, et nous sommes convaincus que cela fonctionne.

Si un problème particulier venait à votre connaissance, j'espère que vous nous en parleriez pour que nous puissions faire enquête immédiatement. C'est ce que nous faisons chaque fois qu'il y a des questions ou un doute quelque part. Nous faisons appel à des vérificateurs externes qui vont sur place et étudient la situation. Nous ne fermons pas les yeux.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: N'y a-t-il pas des domaines où le contrôle est plus difficile? Par exemple, s'il s'agit de ressources que vous mettez à la disposition de l'éducation et que cela doit se traduire par la construction d'une école ou par la formation d'enseignants, cela peut être relativement facile à contrôler. Dans le domaine de la santé où vous touchez à des programmes de vaccination, de prévention, cela peut être beaucoup plus difficile d'exercer un contrôle si l'argent est vraiment allé aux fins pour lesquelles il avait été accordé.

Mme Labelle: Exactement. Si l'on prend, par exemple, l'immunisation, on travaille avec l'OMS qui a son réseau à travers le monde pour aider les pays à se donner des systèmes d'immunisation et des moyens de contrôle de qualité des vaccins. Ensuite, on travaille avec l'Unicef pour donner des vaccins. Donc on ne donne pas à nouveau l'argent au pays pour qu'il achète ceci. Quand le temps arrivera et qu'il pourra le faire, il n'aura probablement pas besoin de nous et il pourra le faire à partir de prêts concessifs ou autres. Pour les vaccins, c'est l'Unicef, l'OMS et l'Association d'hygiène publique du Canada qui sont nos trois collaborateurs. Vous avez raison, cela pourrait être beaucoup plus facile de ce côté d'avoir des détournements des vaccins ou des seringues qui sont utilisées.

Le sénateur Lavoie-Roux: Quant à l'argent que vous accordez à un pays, avez-vous l'impression que tout est bien contrôlé?

Mme Labelle: Le vérificateur général aussi, sur une base assez régulière, est notre contrôleur externe. Pour chaque projet, on fait des vérifications périodiques et bien souvent des évaluations à mi-terme. On le suit à mesure qu'il avance de sorte que s'il y a quelque chose qui cloche, on arrête et on va voir ce qui se passe. Si on voit qu'il y a un problème et qu'on n'est pas certains du résultat, on annule les projets, même si on est à mi-chemin. Ce n'est pas fréquent mais cela arrive.

[Traduction]

Le sénateur Fraser: J'aimerais savoir quelles proportions de votre budget sont affectées aux divers domaines. Je vois que 25 p. 100 est consacré aux besoins fondamentaux, mais on ne nous dit pas quels pourcentages vont aux autres secteurs prioritaires.

Mme Labelle: C'est le seul secteur où le pourcentage est fixé à l'avance. Pour les autres, nous déterminons après coup quelle part des ressources est allée à chacune de nos priorités de programme. Nous en faisons rapport au Parlement dans notre rapport sur le rendement ainsi que dans la partie III du document que je vous ai remis. Comparativement aux autres secteurs, celui du bon gouvernement a grandi parce que la demande et les besoins sont élevés actuellement. C'est le seul que nous fixons à l'avance. Pour le reste, nous nous entendons avec le pays sur les besoins et les priorités et nous les examinons périodiquement, parce que les besoins changent souvent. Ainsi, nous avons dû modifier complètement ce que nous faisons au Honduras et au Salvador. Si nous voulons que les citoyens d'un pays contrôlent leur développement, si nous voulons travailler en fonction de leurs besoins et de leurs priorités, alors nous ne pouvons pas trop affecter nos ressources à l'avance, parce que nous commencerions alors à fausser ce qui peut être important pour eux.

Le sénateur Fraser: Je me demande si nous pouvons examiner un secteur, celui de l'intégration de la femme au développement et de l'égalité hommes-femmes. Je renvoie aux pages de la version anglaise. La page 10 du Livre bleu et la page 16 du rapport du vérificateur général semblent donner une perspective bien différente. Le livre bleu dit qu'un résultat escompté est l'accroissement de la participation des femmes, à part égale, aux décisions touchant le développement durable de leurs collectivités. Entre parenthèses, la participation à part égale est un objectif que nous n'avons pas atteint chez nous, à plus forte raison là-bas. Il est aussi question de la promotion des droits des femmes et des fillettes. Le vérificateur général parle de l'objectif de supprimer toute discrimination entre les sexes dans l'éducation primaire et secondaire d'ici 2005. Où est-il allé chercher cela? Comment pouvons-nous concilier ces objectifs?

Mme Labelle: L'OCDE a retenu un certain nombre d'objectifs ou de buts précis qui ont été fixés aux multiples sommets dans le monde et les a mis en évidence pour nous rappeler qu'ils sont réalisables si nous mettons tous la main à la pâte, que nous devrions les garder comme des balises. Celui que vous venez de citer découle de ce processus.

Le sénateur Fraser: C'est ce que nous devrions considérer comme votre opinion documentée.

Mme Labelle: Oui.

Le sénateur Fraser: Eh bien, bonne chance.

Au sujet de la radiation de la dette, nous avons radié 1,3 milliard de dollars de dette. C'est au niveau canadien, pas multilatéral, n'est-ce pas?

Mme Labelle: Oui, c'est la radiation canadienne.

Le sénateur Fraser: À combien s'élève la dette envers nous?

Mme Labelle: En ce qui concerne la dette bilatérale relative à l'APD, il ne reste plus que celle de la Birmanie, dans le cas des pays les moins développés.

Le sénateur Fraser: Ce sont les 100 millions de dollars que sur le montant de 1,3 milliard.

Mme Labelle: C'est ce qui reste actuellement sous forme de crédits agricoles dans certains pays où la SEE est encore présente.

M. Robinson: Nous avons radié toute la dette pour le Sub-Sahara et pour l'Afrique ainsi que pour les Antilles du Commonwealth. Nous avons fait un échange de dette pour l'environnement en Amérique latine. Les portions de notre APD qui restent en souffrance sont des dettes sur le sous-continent, principalement en Inde et au Pakistan. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais il reste un encours de quelque 400 ou 500 millions de dollars. Ces pays ne sont pas visés par le Programme pour les pays pauvres très endettés et n'auraient donc normalement pas droit à une radiation de la dette.

Le sénateur Fraser: Passons maintenant aux paramètres, en particulier les paramètres internationaux et multilatéraux. Je ne connais pas très bien la question. Lorsque j'ai tenté de me préparer pour cette séance, j'ai été frappé par le fait que, pour certains de ces pays, il y a un cadre de six ans, divisé en deux tranches de trois ans, selon le bon rendement financier ou économique -- je ne me souviens plus lequel. Qui définit ce qui constitue un «bon rendement»? Comment est-ce défini?

Mme Labelle: Je suis convaincue que vous en avez entendu parler et que vous en entendrez encore parler dans les prochains jours parce qu'il en sera question au Sommet du G-8 à Cologne. Au comité de développement de la Banque mondiale, le Canada a présenté plusieurs demandes, notamment pour tenter de réduire les délais. En outre, nous voulons essayer d'atteindre certains pays qui figurent sur la liste pour l'avenir, afin de les aider plus rapidement que prévu.

En ce qui concerne qui décide, on en discute beaucoup chez nos directeurs exécutifs, à la Banque mondiale et au FMI. Essentiellement, le cadre multilatéral a été établi avec la Banque mondiale et le FMI, mais les pays en développement participent de plus en plus, comme ils le devraient, aux discussions sur les paramètres, les critères et les lignes directrices.

Nous avons tenté de rendre l'accès plus facile, plus rapide et plus généreux.

Le sénateur Fraser: Pouvez-vous me donner des exemples de certains de ces critères? Est-il question de budgets équilibrés? S'agit-il d'un programme de type reaganien?

Mme Labelle: Il est prévu que les pays auront une gestion financière prudente et, par conséquent, qu'avec le temps le budget sera équilibré. Dans tous ces pays, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous avons demandé des budgets plus équilibrés. La proportion consacrée aux armements et à la défense par rapport aux autres postes budgétaires devient un facteur important, parce que des sommes considérables pourraient être investies dans ces pays. Voilà certains des critères et du type de cadre législatif dont il faut se doter pour gérer ses affaires sur une base économique.

Nous avons exercé des pressions considérables pour nous assurer que le FMI et la Banque mondiale ne poussent pas ces pays à réduire leur financement social, parce que ce qui s'est passé dans les années 80 et 90 a créé de grands problèmes. Il faut un bon équilibre entre les aspects sociaux et les aspects économiques afin de ne pas déstabiliser le pays et créer des problèmes plus graves que ceux qu'on règle.

Le sénateur Cools: Nous pourrions peut-être aussi discuter au comité du moment où le sous-comité se réunira aux périodes prévues habituellement pour les séances du comité. Nous devrions peut-être en discuter.

Vous avez soulevé de nombreuses questions. De toute évidence, l'ampleur du sujet est énorme. S'agit-il d'un décret valable pendant 30 ans ou est-il renouvelé de temps en temps?

Mes questions fondamentales touchent à ce que vous avez décrit comme la politique de développement et l'élaboration de cette politique. Par quel processus définit-on cette politique? Ainsi, on me dit que vos priorités comprennent notamment les droits de la personne, la démocratie et le bon gouvernement. Par quel processus, le thème de la démocratie et du bon gouvernement a-t-il été retenu comme secteur d'intervention?

Mme Labelle: Le premier décret est encore valide. Les dispositions de la loi sur les affaires étrangères également. En ce qui concerne la politique, les priorités de programme et le mandat, le cadre général a été adopté lors de l'examen de la politique étrangère effectué par le gouvernement après les propositions du comité de la Chambre et du Sénat, et il convient très bien. C'était en 1995. Si certaines de nos politiques sont telles que nous devons vraiment consulter le gouvernement, alors nous nous adressons au Cabinet pour obtenir un examen ou une autorisation. Ainsi, nous avons accru le niveau de participation à Cuba il y a quelques années. C'est devenu une décision du Cabinet. Le montant affecté à l'aide humanitaire au Kosovo a aussi été une décision du Cabinet, parce qu'il s'agissait d'un problème important.

Par contre, nous avons retenu la santé comme priorité et nous avons cherché à élaborer un cadre pour réaliser cette priorité en collaboration avec d'autres ministères fédéraux, de nombreux partenaires au Canada et nos partenaires internationaux.

Le sénateur Cools: Le Cabinet a-t-il décidé ou avez-vous décidé que les droits de la personne, la démocratie et le bon gouvernement seraient l'un de vos six secteurs prioritaires?

Mme Labelle: Le gouvernement l'a décidé. Le gouvernement a défini cette priorité ainsi que les 25 p. 100 consacrés aux besoins humains fondamentaux, que vous avez évoqués il y a un moment.

Le sénateur Cools: Je ne veux pas faire de politique partisane, mais quel gouvernement a décidé, le gouvernement actuel ou le gouvernement précédent?

Mme Labelle: C'était en 1995.

Le sénateur Cools: En même temps?

Mme Labelle: Oui.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Depuis la fondation de cet organisme en 1968, des pays se sont regroupés pour fournir de l'aide aux pays sous-développés. Aujourd'hui, on peut dire que nous avons aidé certains pays à se développer. Quels sont les pays qui, grâce à notre aide, sont devenus autonomes économiquement et industriellement?

Mme Labelle: Les Caraïbes sont une région où le Canada a contribué de façon importante au cours des années 70 et 80. Il y a certains pays de cette région, la Barbade par exemple, où nous n'avons plus de programmes. Ce n'est pas un pays riche, mais il est autonome. Si je parle de cette région en particulier, Trinidad et Tobago en serait deux autres.

Le sénateur Ferretti Barth: Y a-t-il d'autres pays qui sont sur le point de devenir autonomes?

Mme Labelle: Nous avions identifié la Thaïlande, la Malaisie et l'Indonésie. Nous croyons que ces pays pourront se remettre sur pied assez rapidement, surtout la Thaïlande et la Malaisie.

On a dû retarder l'échéancier. Chaque année on le revoit et il était vraiment en chute. On se voyait d'ici trois ans être complètement à l'extérieur. On ne faisait pas de nouvelle programmation et on terminait les projets que nous avions commencés.

Le sénateur Ferretti Barth: Jusqu'à aujourd'hui, l'ACDI a donné 3 800 000 dollars au Sierra Leone. Vous aidez ce pays depuis trois ans. J'ai lu un rapport à ce sujet et la situation est épouvantable. Les forces armées sur place tiennent la population en otage et commettent des crimes contre l'humanité. Elles sont encore là et elles sont bien armées. Je me demande à quoi ont servi les trois millions de dollars.

Mme Labelle: Principalement à de l'aide humanitaire d'urgence pour aider ceux qui ont été amputés. Nous leur fournissons une aide médicale à travers des organismes comme Médecins sans frontières ou la Croix-Rouge internationale.

D'autre part, cette somme a servi à aider les réfugiés qui se sont déplacés à l'intérieur du pays. Il est très difficile de travailler au Sierra Leone parce que tout est une question de sécurité.

Sans programme bilatéral, on agissait là où on voyait qu'il était possible d'aider des gens à survivre et ce, uniquement par le biais de la Croix-Rouge et de Médecins sans frontières.

Le sénateur Ferretti Barth: L'aide financière que nous fournissons à ce petit pays ne réussit pas à remettre de l'ordre ou à susciter la conscience humaine. Vaut-il la peine de continuer à aider ce pays très pauvre? D'où vient l'argent des armes qui sont très modernes?

Il y a quelque chose qui cloche. L'ACDI devrait procéder à une enquête spéciale sur ces atrocités. Il faut envoyer de l'argent pour mettre fin à ces atrocités qui durent depuis trois ans.

Mme Labelle: Le Sierra Leone est un des pays les plus difficiles. Le Soudan en est un autre, mais les atrocités y sont moins grandes et moins nombreuses. Nous collaborons avec la communauté internationale, aussi bien du côté multilatéral que bilatéral.

Nous travaillons avec l'Angleterre et la France dans le but de découvrir des créneaux qui nous permettraient d'aider ce pays à se stabiliser à nouveau. Il est difficile de s'y rendre à cause des problèmes de sécurité. Tout ce qu'on peut faire à ce moment-ci, c'est attendre le moment d'avoir le moyen d'agir en tant que communauté internationale et d'aider ceux qui ont été les plus affectés.

On sait très bien qu'il s'agit d'un palliatif et non d'une solution à long terme. C'est pour permettre à des gens de survivre. On le fait avec des institutions internationales réputées.

Le sénateur Ferretti Barth: Pourquoi continuer à aider ce pays, à envoyer de l'argent? Vous savez bien qu'on ne peut intervenir qu'en dehors des zones de conflits. L'ACDI donne de l'argent à ce peuple et nous ne pouvons pas nous y rendre. Comment dépense-t-on cet argent? Comment justifier le fait que ces gens soient si bien armés? Pourquoi fournir des armes pour mutiler les gens?

Mme Labelle: Beaucoup de gens se demandent d'où viennent les armes. Il est évident qu'elles viennent de l'extérieur. Nous ne donnons pas d'argent à ce pays. Nous travaillons avec la Croix-Rouge internationale qui, sur une base humanitaire, essaie d'aider les plus démunis pour leur permettre de survivre en attendant une autre solution. On ne remet pas d'argent autrement qu'à travers la Croix-Rouge, Médecins sans frontières ou Care Canada.

Le sénateur Ferretti Barth: Avez-vous des résultats de ce travail que fait la Croix-Rouge? Il nous faudra un compte rendu puisque nous allons envoyer un million cinq cent mille dollars. Qu'en est-il de notre action humanitaire? Combien d'enfants ont été soignés et combien de familles ont été hébergées? Avez-vous un rapport faisant état de l'utilisation de l'aide financière?

Mme Labelle: Je n'ai pas l'information avec moi mais il est possible de vous la remettre. Lorsque nous travaillons avec une institution comme la Croix-Rouge, on sait exactement ce qu'ils vont faire et ce qu'ils ont accompli avec les ressources. C'est la même chose avec Médecins sans frontières. Ces médecins opèrent les amputés pour éviter que la gangrène s'installe dans leurs membres amputés d'une manière atroce, comme vous l'avez mentionné plus tôt. Il nous fera plaisir de vous remettre l'information sur le Sierra Leone et sur ce que nous avons fait.

Le sénateur Ferretti Barth: J'ai lu dans votre présentation que dans les services d'infrastructures en Chine, l'ACDI a introduit un modèle de système d'irrigation qui utilisera 30 p. 100 moins d'eau que le système conventionnel et qui protégera les sols tout en améliorant la productivité. Ce projet ne pourrait-il pas être introduit dans d'autres pays que la Chine?

Vous avez parlé de pénurie d'eau. Les nations auront très peu d'eau. Elles doivent irriguer, et cetera. Ces pays sont déjà avisés qu'ils souffriront d'une pénurie d'eau. Est-ce que vous faites des efforts pour offrir ce système d'infrastructures qui a connu beaucoup de succès en Chine?

Mme Labelle: Pour la Chine, on l'a fait sous forme de projet pilote. On travaille avec le gouvernement chinois pour que les autres régions puissent bénéficier de ce projet. Cela irradie à travers la Chine. C'est important parce que cela signifie que notre projet a beaucoup d'enfants -- pas ceux qui contribuent à augmenter la population mondiale -- mais ceux qui aident.

Pour les autres pays, nous discutons avec un gouvernement donné, avec le peuple et cette question prioritaire est mise sur la table. On fait un certain nombre de choses.

On a appuyé au Ghana tout un programme un peu différent de celui-là. Ce programme apporte de l'eau propre à chaque petit village qui autrement devait aller la chercher un peu partout dans un trou que les gens buvaient et ils en mouraient. Ce programme est géré par les femmes des communautés. On le fait à un prix très bas pour chacun des puits. Dans toute une région du Ghana maintenant, les communautés ont de l'eau propre. On pouvait aider ces gens à solutionner ce problème.

Dans le domaine de l'eau où il y a des chances de gros conflits, par exemple, le Mékong et le Nil, nous avons développé un projet avec les pays riverains pour qu'ils puissent gérer l'eau ensemble.

Le sénateur Ferretti Barth: C'est une coopérative.

Mme Labelle: C'est exact. Si quelqu'un à la source du Nil -- ce n'est pas un grand fleuve large -- décide d'un projet d'irrigation, il y aura des problèmes en Égypte. Les conflits en découleront évidemment.

[Traduction]

Le sénateur Moore: Aux pages 14 et 15 de votre rapport sur le rendement, à droite, je vois 86,5 millions de dollars pour les pays en transition. Ce montant se rapporte-t-il aux pays indiqués sur cette partie de la carte, les pays de l'ex-Union soviétique, par exemple? À gauche, il y a un graphique indiquant les sommes qui ont été dépensées dans les divers pays. Le seul que je vois dans cette région serait l'ex-Yougoslavie, avec 18 millions de dollars. Dans quels autres pays ces montants ont-ils été dépensés?

Je voudrais ensuite revenir à l'ex-Yougoslavie et vous poser des questions à ce sujet.

Mme Labelle: Dans la catégorie des pays en transition, les principaux pays sont encore la Russie et l'Ukraine. L'Ukraine y figure principalement à cause du problème énergétique, pour lequel la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et certains donateurs bilatéraux se sont unis afin d'empêcher un autre Tchernobyl et de combler une partie des besoins énergétiques. Une catastrophe pourrait encore survenir à tout moment.

Le sénateur Moore: Quelle somme est affectée à l'Ukraine?

Mme Labelle: Je devrai vous communiquer ce renseignement plus tard.

Le sénateur Moore: Est-ce plus de 11 millions de dollars?

Mme Labelle: Probablement autour de ce montant ou un peu moins. C'est quelque chose comme 40 millions de dollars en cinq ans. Mais ce n'est pas définitif.

Le sénateur Moore: Ce n'est pas sur le graphique. Et la Russie?

Mme Labelle: La Russie, l'ex-Yougoslavie, ici, ce sont 18 millions de dollars.

Le sénateur Moore: Je veux savoir d'où vient ce montant de 86,5 millions de dollars. Il y a 8 millions de dollars pour l'Ukraine. Où sont les 78 millions qui restent?

Mme Labelle: La Russie, ce n'est pas seulement l'Ukraine, alors la Russie serait plus probablement plus près de l'ex-Yougoslavie; mais il y a la Roumanie, les Balkans et évidemment, maintenant le Kosovo. L'an prochain, vous verrez des montants complètement différents. Il y aura quelques ressources en République tchèque, en Hongrie et en Pologne, mais elles seront à la baisse. Certains pays passeront probablement à une autre catégorie d'ici trois à cinq ans. Je vous enverrai la liste de tous les pays, y compris ceux de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est, ainsi que le budget annuel et les dépenses prévues au cours des cinq prochaines années.

Le président: Ce serait satisfaisant?

Le sénateur Moore: Ce serait utile. Si vous pouviez aussi les regrouper pour que ce soit clair, ce serait apprécié. L'exemple que j'ai indiqué était de 86,5 millions de dollars. Évidemment, c'est le montant au 31 mars 1998, donc, il y a un an. Dans quels pays cette somme a-t-elle été dépensée? La Bosnie est-elle incluse?

Mme Labelle: La plus grande partie est allée à la reconstruction de la Bosnie.

Le sénateur Moore: Donc la plus grande partie des 18 millions de dollars y aurait été affectée. Vous avez indiqué que le Cabinet a pris une décision concernant le Kosovo. Quels sont les montants en cause? Des montants ont-ils été dépensés en 1998-1999 ou s'agit-il d'un budget pour 1999-2000? Quelle est l'ampleur de l'aide? Avec quelles agences collaborerons-nous pour nous assurer que l'argent aboutit dans les bonnes mains et qu'on fait ce qu'il faut avec les deniers des contribuables?

Mme Labelle: En ce qui concerne l'ACDI et le Kosovo, pour l'instant, il s'agit d'aide humanitaire. Nous avons un budget approuvé à ce jour de 52 millions de dollars.

Le sénateur Moore: Est-ce pour l'exercice 1999-2000?

Mme Labelle: Oui, et une partie a été dépensée dans la première partie de 1998. Je retourne aussi en arrière. Ce n'est pas tout dépensé au moment où je vous parle. Environ 35 à 36 millions de dollars ont été dépensés pour de la nourriture, des couvertures, un appui au HCNUR, en collaboration avec CARE Canada, la Croix-Rouge et, dans une certaine mesure, avec Médecins sans frontières. Nous nous orientons vers la reconstruction et la consolidation de la paix au Kosovo. Le déminage est l'une de nos priorités.

Le sénateur Moore: Le déminage est financé par l'ACDI plutôt que par le ministère de la Défense nationale?

Mme Labelle: Le déminage s'effectue habituellement de deux façons. Le groupe de maintien de la paix, à mesure qu'il entre au Kosovo, se servira de sa machinerie lourde pour éliminer environ 70 p. 100 des mines terrestres. Les soldats ouvriront les grands axes et s'assureront que là où passent les gens, les villages sont déminés et prêts à un retour immédiat. Ensuite, il faudra voir si des mines ont été plantées dans les champs qui seraient cultivés. C'est à ce moment-là que nous entrons en jeu. La première partie relève effectivement des opérations de maintien de la paix.

Le sénateur Mahovlich: Qu'est-il advenu du CUSO? Existe-t-il encore?

Mme Labelle: Il est bien vivant. Il s'est remis. Le CUSO est encore à l'oeuvre dans de nombreux pays du monde.

Le sénateur Mahovlich: Un de mes neveux a enseigné le dessin au coeur du Congo dans les années 60. Je me suis souvent demandé si la situation s'était améliorée au Congo.

Mme Labelle: Malheureusement, non, mais je sais que cela n'a rien à voir avec votre famille, sénateur.

Le sénateur Mahovlich: Quand il est rentré, il a eu besoin d'aide psychologique pendant environ cinq ans. Ce fut très difficile pour lui. Je me souviens qu'il écrivait à ma mère. Ce fut une expérience terrible.

Mme Labelle: De nombreux Canadiens ont fait du travail de développement avec le CUSO quand ils étaient jeunes ou un peu moins jeunes.

Le sénateur Mahovlich: Il en est sorti du bon.

Mme Labelle: Oui, sans aucun doute. Le CUSO fait encore du bon travail de nos jours. Je suis étonnée qu'il n'y ait personne dans la salle ayant travaillé pour le CUSO.

Le sénateur Cook: J'ai une question au sujet de votre programme pour les jeunes, même si vous ne connaissez peut-être pas les détails. J'ai découvert le CUSO quand j'étais chez les guides et que nous avons planté des vergers et creusé des puits en Angola. Ces programmes existent-ils toujours? Ils sont doublement utiles. Ils aident le pays étranger et nos jeunes Canadiens. Ils les sensibilisent. Y a-t-il des subventions de contrepartie pour financer l'organisation?

Mme Labelle: C'est en grande partie le travail de notre programme de partenariat. Un grand nombre de nos programmes sont à frais partagés. Lorsque nous collaborons avec la Banque de céréales vivrières du Canada, ils obtiennent des dons importants par l'entremise des Églises et chez les agriculteurs, afin qu'une partie des aliments produits puisse être donnée à cette banque alimentaire.

Nous avons actuellement plusieurs programmes pour les jeunes. Le CUSO et l'EUMC font beaucoup de travail avec les jeunes, mais ce n'est pas leur seule fonction. Leur vocation a changé depuis le début des années 60. Il y a aussi Jeunesse Canada Monde et Carrefour canadien international, pour ne nommer que deux des organismes de bénévoles à l'intention des jeunes. Nous avons ouvert une partie du programme Jeunes stagiaires à la coopération internationale. Nos partenaires font ainsi participer des jeunes canadiens à leur projet ou à leur équipe. Ce programme a donné de très bons résultats. Il vise à permettre une transition entre l'université ou le collège et l'emploi et la plupart des stagiaires se trouvent un emploi au sein de l'organisation qui les a pris en stage. C'est une vraie réussite. Trouver d'autres façons d'internationaliser nos jeunes rapporte en les rendant plus ouverts sur le monde.

Le sénateur Cook: Ma deuxième question touche à la santé. Je viens de Terre-Neuve. Nous sommes très actifs en Afrique de l'Est avec le programme de télémédecine. Est-ce la voie de l'avenir? Nous avons eu un partenariat intéressant lorsqu'un groupe de nos professeurs en sciences infirmières est allé en Angola et a ramené des Angolais à Terre-Neuve pour les former dans nos hôpitaux. Ces infirmiers et infirmières diplômés retournent ensuite en Afrique. Ce programme en cours en Angola correspond-il au type de projets que vous financez?

Mme Labelle: D'habitude, le projet doit inclure un important élément de durabilité, ce qui signifie que nous devons les amener à ne plus avoir besoin de notre aide. Souvent, nous faisons ce que vous avez fait à Terre-Neuve, soit nous entendre sur un recyclage périodique, et c'est habituellement ce qui les amène tout naturellement à l'autosuffisance.

Le sénateur Cook: Vous voyez que c'est un plus pour le pays. Et la télémédecine? Est-ce la voie de l'avenir? L'implanterons-nous dans le nouveau millénaire?

Mme Labelle: Nous nous sommes servis de Terre-Neuve comme d'un très bon modèle et exemple de ce que les pays pourraient faire. Nous avons adapté ce qui a été fait à Terre-Neuve aux situations d'autres pays. Nous sommes allés vers les gens sans créer d'infrastructure physique, qu'ils ne peuvent pas se payer. Nous avons aussi d'autres modèles par lesquels nous avons jumelé des facultés de médecine d'un pays en développement et du Canada afin qu'une grande partie de la formation puisse se faire électroniquement. Des Canadiens participent à la formation des internes ou à la formation spécialisée ou les médecins étrangers viennent au Canada pour un bref séjour. Cela coûte beaucoup moins cher et il y a plus de chance que les gens restent dans leurs pays pour aider leurs concitoyens après avoir été formés dans leur pays.

Le sénateur Cook: Je l'ai cherché ici et je ne l'ai rien trouvé. J'ai pensé que c'était une petite goutte d'eau dans l'ensemble. J'étais seulement curieuse.

Mme Labelle: Nous ne l'avons pas donné en exemple. Nous changeons les exemples pour que l'éventail soit plus vaste. Je pense que nous le garderons pour l'an prochain.

Le sénateur Cook: J'ai participé au programme de sciences infirmières, qui m'a beaucoup emballée. J'ai pensé que c'était la voie de l'avenir, avec la télémédecine. J'ai eu l'impression que nous pouvions aider les gens des pays en développement à devenir autonomes.

Mme Labelle: L'une des grandes difficultés dans de nombreux pays en développement est qu'ils ont soit des médecins, soit des travailleurs de la santé mal préparés. Cela peut créer de graves problèmes. Nous avons maintenant une demande de plus en plus forte pour former des infirmières afin que ce groupe intermédiaire soit plus nombreux et puisse très souvent rester plus longtemps.

Le sénateur Cook: Ce sera donc un programme permanent?

Mme Labelle: Oui.

Le sénateur Bolduc: Quels sont les mécanismes de coordination de l'aide bilatérale? Je suppose que beaucoup de pays européens subventionnent des projets dans les mêmes domaines que vous. Par exemple, je me souviens que lorsque je travaillais en Afrique pour la Banque mondiale, je voyais souvent de la machinerie ou de l'équipement agricole traîner dans les champs. Il n'y avait pas de pièces de rechange, alors ils ne pouvaient pas s'en servir. Je me suis aperçu qu'ils avaient un tracteur John Deere des États-Unis et un autre d'une autre marque provenant de l'Europe. Comment coordonnez-vous votre aide?

C'est vrai pour les pays en développement et pour les pays en transition, en ce qui concerne l'aide que nous leur fournissons pour qu'ils deviennent plus démocratiques et axés sur le marché. Je sais que vous travaillez à ces deux aspects. Il doit bien y avoir une organisation au sein de l'OCDE ou d'une autre tribune.

Mme Labelle: Il y a plusieurs paliers. Une fois par année, la Banque mondiale dirige un groupe. Elle invite tous les donateurs à rencontrer chacun des pays qui reçoivent des ressources importantes. À ce palier, nous nous réunissons donc et le pays en question vient à la table. Nous avons quelques jours de discussions pour voir où s'en va le pays, s'il y a des choses que nous pourrions améliorer en agissant ensemble.

Sur le terrain, dans le pays proprement dit, nous tentons maintenant d'améliorer cette coordination. Au quotidien, nous nous assurons de tenir compte des synergies, des occasions de travailler ensemble lorsque nous pouvons avoir des retombées plus grandes que celles que nous aurions si nous agissions seuls.

Le sénateur Bolduc: Les Italiens, les Français, les Britanniques, les Américains et peut-être aussi les Allemands envoient leurs excédents là-bas. Ils n'envoient pas nécessairement ce qui est nécessaire.

Mme Labelle: En Bosnie, ils avaient besoin d'énergie parce qu'ils ne pouvaient pas se chauffer. Alors, le Japon, le Canada et la Grande-Bretagne ont décidé d'unir leurs efforts. Nous n'aurions pas pu nous le permettre tout seuls. Les Japonais auraient pu faire cavalier seul, mais ils voulaient le savoir-faire du Canada. Nous collaborons généralement tous ensemble à la planification de la reconstruction ou du développement.

En Haïti, la principale priorité était l'établissement d'un système de justice. Alors, la France, les États-Unis et le Canada en ont fait leur projet. Nous avons défini entre nous ce que nous pensions faire le mieux et nous avons réparti le travail en conséquence. En unissant nos efforts, nous avons une plus grande capacité qu'auparavant. Avant, notre capacité était inexistante.

Le sénateur Moore: Avez-vous dit que la Banque mondiale se réunit seulement une fois par année avec les donateurs pour recevoir les pays et déterminer si l'aide correspond aux besoins, afin d'obtenir des résultats optimaux?

Mme Labelle: Oui.

Le sénateur Moore: Et entre ces réunions, qu'arrive-t-il?

Mme Labelle: Il y a tous les ans un sommet où l'on se concentre vraiment sur chaque pays. Le reste du temps, il peut y avoir des réunions dans le pays, avec les Nations Unies, avec les donateurs bilatéraux qui sont dans ce pays et avec la Banque mondiale, ainsi qu'avec les autres institutions multilatérales présentes dans le pays. Ce sommet annuel en est un de haut niveau. Mais dans un contexte plus particulier, il y a des réunions périodiques dans le pays, selon que le pays est stable ou non, et ce sont des réunions sectorielles.

Le sénateur Moore: Exigeons-nous, à titre de pays de donateur, des rapports, quel que soit le niveau dans les pays que vous avez mentionnés? Des rapports sont-ils exigées tous les 30 ou 90 jours? Établissons-nous un régime de rapports ou laissons-nous les projets suivre leur cours?

Mme Labelle: En ce qui concerne nos organismes d'exécution, nous établissons dès le départ dans nos marchés avec eux le calendrier des comptes rendus. Selon le projet, ces comptes rendus peuvent être très fréquents ou tous les trois mois. Mais le versement des fonds s'effectue surtout sur une base mensuelle. C'est habituellement une fois par année qu'un pays fait rapport de ses progrès à tous les donateurs.

Le sénateur Moore: Je comprends. Je voudrais m'assurer que si un dossier tourne mal, nous le sachions avant la fin de l'année.

Mme Labelle: Si un dossier tourne mal de notre point de vue, nous le surveillons en permanence.

Le sénateur Moore: J'ai les mêmes inquiétudes que le sénateur Ferretti Barth.

Le sénateur Cools: Quelle capacité ou possibilité avez-vous d'empêcher un pays de faire des ventes pour réaliser un profit? Ainsi, en Grenade si je ne m'abuse, l'ACDI a en grande partie monté tout le réseau téléphonique, puis le gouvernement l'a vendu.

Le sénateur Bolduc: En novembre dernier, la Banque mondiale a publié un livre intitulé Who Gives Foreign Aid to Whom and Why? C'est écrit par un auteur au nom curieux de David Dollar et par Alberto Alesina. Cet ouvrage est le fruit d'un grand nombre de nouvelles recherches. La corrélation entre l'aide et la croissance est presque nulle, affirment-ils. Une aide accrue ne signifie pas une croissance accrue. Tout dépend où elle est donnée. Si c'est dans un bon pays, alors elle réduit la pauvreté. Mais il faut la donner au bon pays. Sinon, elle ne sert à rien.

Dans leur évaluation des pays, les auteurs font remarquer que pour que l'aide fonctionne, les pays doivent avoir une bonne politique économique, une faible inflation, des politiciens qui contrôlent le budget et le déficit, une ouverture au commerce extérieur, une primauté du droit bien ancrée et une bureaucratie compétente. Ces critères devraient être utilisés pour décider à qui vont les dons.

Sur un échantillon de 113 pays, 32 font partie de ce groupe à fortes retombées où les taux de pauvreté dépassent 50 p. 100. C'est une façon de cibler l'aide. Cet ouvrage vous inspire-t-il dans votre travail? Vous aide-t-il à cibler l'aide? Un rapport publié il y a quelques années affirmait que vous ne concentriez pas assez vos efforts. Vous tentez d'apporter de l'aide à trop d'endroits en même temps.

Mme Labelle: Il ne fait aucun doute que le rapport Dollar de la Banque mondiale fait valoir très clairement que s'il n'y a pas de bon gouvernement dans un pays, plein de choses n'avancent pas. C'est pourquoi nous avons accru notre appui au bon gouvernement. Si un pays est prêt à améliorer sa politique économique, son approche budgétaire et sa législation bancaire afin que les banques ne s'effondrent pas, s'il est désireux et capable de le faire, alors évidemment, nous offrons notre aide lorsque nous avons les ressources nécessaires pour le faire.

Nous nous sommes retirés de l'ancien Zaïre il y a quelques années parce que nous avions l'impression que notre investissement ne faisait aucune différence. Nous nous sommes retirés du Nigeria. Nous nous retirons très régulièrement de certains pays et nous effectuons des évaluations constantes. Quand nous n'avons pas l'impression de pouvoir vraiment faire une différence, nous n'insistons pas.

Mais nous avons d'autres solutions pour les pays dont les problèmes ne sont pas aussi grands ni aussi évidents. Nous choisirons peut-être de ne pas travailler avec le pays, mais nous avons des occasions fantastiques de faire du travail de base, à une échelle réduite. Par exemple, nous pouvons collaborer avec nos ONG. Elles fournissent elles-mêmes des ressources considérables et nous pouvons leur en fournir un peu, notamment en élaborant des programmes de micro-crédit pour les pauvres ou en contribuant aux programmes d'alphabétisation et d'immunisation. Nous n'aurons peut-être pas de programme d'aide bilatérale dans ces pays, mais nous pourrions apporter de l'aide à un niveau très différent.

Nous sommes d'accord avec le rapport Dollar. Les pays qui n'ont pas un niveau élevé ou un niveau acceptable de bon gouvernement sont très variés. Il y en a certains dont on se tient loin. D'autres sont prêts ou capables de s'améliorer. Nous travaillons alors avec eux pour régler leur problème de bon gouvernement.

Le sénateur Bolduc: Quand on examine l'évolution de la croissance économique au cours des 25 dernières années, on peut dire que les bons exemples de pays qui se sont améliorés comprennent ceux qui se sont engagés dans un régime d'économie de marché, comme en Asie du Sud-Est, en Malaisie et en Thaïlande. Dans ces pays-là, la croissance a été très rapide, 6 p. 100 par année depuis dix ans, sauf pour la récente baisse imputable à l'instabilité financière internationale. Je me demande si vous n'avez pas une espèce de vocation sociale, du fait que vous vous occupez beaucoup de santé, d'éducation et de questions de ce genre, au lieu d'essayer d'insister sur l'économie de marché dans ces pays. Par exemple, vous donnez beaucoup de conseils sur les questions financières, sur la fiscalité. La plupart du temps, les régimes fiscaux de ces pays sont mauvais parce qu'ils n'incitent pas les gens à faire des affaires. J'ai l'impression qu'il serait plus efficace de s'occuper des aspects économiques au lieu de toute un éventail de programmes, parce que le taux de croissance en Afrique a été d'environ 1 p. 100 pendant 10 ou 20 ans, comparativement à 6 p. 100 en Asie du Sud-Est, 6 p. 100 en Inde et 9 p. 100 en Thaïlande. Ces pays n'ont pas reçu d'aide de notre part. Ils se sont débrouillés pour développer une économie de marché, qui semble les avoir développés beaucoup plus rapidement que tous ces autres programmes. J'ai peut-être un préjugé, mais je remarque qu'une seule priorité sur les six que vous avez fixées est le développement d'une économie de marché. À mon avis, c'est la seule solution. Il n'y a pas de croissance possible dans ces pays sans économie de marché. Il est très difficile de la mettre en place dans ces pays. J'accorderais une priorité beaucoup plus grande à cet aspect qu'à de nombreux autres, sauf les situations d'urgence relatives à la santé ou à l'alimentation. C'est mon impression.

Votre agence consacre 7,5 millions de dollars aux politiques. C'est beaucoup. Deuxièmement, vous dépensez environ 2 milliards de dollars, encore qu'une partie de ce montant soit peut-être dépensée par le ministre des Affaires étrangères, et il vous faut environ 100 millions de dollars pour appuyer et gérer ces dépenses. Il me semble que vous dépensez beaucoup d'argent en gestion; presque 7 p. 100.

Mme Labelle: Nous devrions expliquer en quoi consiste ce secteur parce que les politiques n'en sont qu'une petite partie. Nous avons des conseillers professionnels et scientifiques au niveau supérieur qui sont essentiellement la base de connaissances de l'institution, du point de vue de la santé, de l'environnement, du bon gouvernement et des droits de la personne. Il y avait une direction générale spécialisée il y a quelques années, mais elle a été abolie et le personnel scientifique et professionnel a été affecté dans chacun des programmes. Un petit groupe parmi les plus chevronnés a été gardé, pour que nous ayons une capacité institutionnelle en plus de celle de chaque programme. Nous avons aussi conservé toutes les données. C'est là que réside une partie de notre mémoire institutionnelle. Les bibliothèques aussi relèvent aussi des politiques, tout comme de nombreux autres services. Tout cela constitue les 7 p. 100 que nous consacrons à la gestion et aux politiques, ce qui peut sembler élevé quand on ne tient pas compte de tous ces facteurs. En ce qui concerne les Affaires étrangères, à quoi exactement pensiez-vous?

Le sénateur Bolduc: Aux 100 millions de dollars pour la gestion de l'ACDI, autrement dit, à environ 7 p. 100 de tout le budget.

Mme Labelle: Les frais de gestion dans la plupart des institutions varient souvent de 10 à 13 p. 100 plutôt que 7 p. 100.

Le sénateur Bolduc: Oui, mais vous faites beaucoup de dons. Il y a beaucoup de subventions.

Mme Labelle: Oui, il faut pouvoir les administrer, mais nous concevons aussi les projets avec les pays. Nous surveillons, nous évaluons, nous faisons tout cela, alors à 7 p. 100, je pense que nous nous en tirons plutôt bien comparativement aux coûts de gestion de la plupart des institutions.

Le sénateur Bolduc: Vous avez environ 1 200 employés?

Mme Labelle: Oui, nous en avons près de 1 300.

Le sénateur Bolduc: Environ 50 p. 100 ici et 50 p. 100 sur le terrain?

Mme Labelle: Non. Avant que j'arrive à l'ACDI, l'agence a été plus centralisée, à cause des coûts. Ce n'est pas nécessairement la meilleure solution, mais envoyer une personne sur le terrain coûte deux fois et demi plus cher qu'avoir une personne ici. Il revient moins cher de faire voyager notre personnel. C'est plus dur sur le personnel. Les employés doivent souvent voyager le tiers de l'année dans les pays dont ils sont responsables. Nous avons des personnes sur le terrain qui font le lien, mais elles sont moins nombreuses que normalement.

Le sénateur Moore: Quelle est la ventilation du personnel, en pourcentage? Combien sont à Ottawa ou à l'administration centrale? Combien sont sur le terrain?

Mme Labelle: Il y en a environ 125 sur le terrain. En 1992, nous avons centralisé à nouveau nos activités.

Le sénateur Bolduc: L'autre moitié de votre personnel voyage dans le monde entier?

Mme Labelle: Les deux tiers passent beaucoup de temps et dépensent beaucoup d'énergie sur le terrain, mais c'est beaucoup moins cher pour nous, encore que ce ne soit pas idéal.

Le sénateur Bolduc: Et les universités? J'ai remarqué que bien des gens viennent chez nous pour étudier et qu'ils ont tendance à rester ici au lieu de retourner dans leurs pays. Pourquoi ne pas envoyer un professeur d'université là-bas au lieu de faire venir les gens ici, parce que, sinon, ils ne servent pas leurs concitoyens.

Mme Labelle: Ceux qui viennent d'Asie rentrent habituellement chez eux; la proportion est très élevée. Chez les Africains, la proportion est beaucoup plus faible. Nous collaborons avec les universités pour voir si nous ne pourrions pas amener les gens étudier chez nous pendant un an ou deux au lieu de quatre ans. Il y aurait une entente entre deux universités. Habituellement, plus le séjour est court, moins les gens ont tendance à rester. Nous voulons aussi nous concentrer un peu plus sur la maîtrise, parce que les étudiants sont un peu plus vieux, ils ont habituellement fondé une famille, et la probabilité qu'ils rentrent chez eux est beaucoup plus élevée.

Il y a un nombre assez élevé de programmes par lesquels des professeurs d'université ou de collège vont à l'étranger et aident des établissements à démarrer et à offrir une certaine formation sur place parce qu'elle coûte moins cher.

Le sénateur Fraser: Je voudrais revenir sur le rapport Dollar. J'ai lu votre rapport de rendement pour l'exercice 1997-1998 et je vois, par exemple, que cette année-là, vous avez consacré environ 80 millions de dollars à des initiatives visant directement l'intégration de la femme dans le développement et l'égalité hommes-femmes et 238 millions à des initiatives visant directement les droits de la personne, la démocratie et le bon gouvernement. Ces proportions seront-elles probablement maintenues cette année?

Mme Labelle: Oui, à peu près. Mais n'oubliez pas que, pour ce qui est des femmes, un grand nombre de nos projets, concernant par exemple la micro-entreprise pour les femmes ou l'éducation de base des filles, sont codés ailleurs.

Le sénateur Fraser: Je comprends bien, mais il s'agit des montants pour des initiatives directes. Il me semble que la catégorie droits de la personne est un gros fourre-tout pour les droits de la personne, la démocratie et le bon gouvernement. La perception accrue de droits de douane au Mali, qui était l'un des projets de l'an dernier, par exemple, a peu à voir avec les droits de la personne, encore que ce soit très pertinent pour le bon gouvernement. Je m'intéresse tout particulièrement au volet droits de la personne. Il y a certainement des tensions permanentes entre le dévouement du Canada pour la cause des droits de la personne et de certains régimes avec lesquels vous avez affaire. Parfois, quand ça va vraiment mal, vous vous retirez, et cela s'applique à de nombreuses situations effrayantes où les droits de la personne sont bafoués ainsi qu'aux pays dont le gouvernement ne veut pas développer le pays, par exemple. Qu'arrive-t-il dans les situations intermédiaires? Quelles sont les critères, les règles, les politiques pour déterminer où vous allez, ce que vous faites?

Par exemple, aider la Chine à développer un excellent service statistique peut être merveilleux pour le développement d'un bon gouvernement, mais compte tenu de ce que nous savons au sujet des droits de la personne en Chine, nous les aidons à développer un outil qui pourrait facilement être mal employé d'une façon ou d'une autre. Comment réagissez-vous face à ce problème fondamental?

Mme Labelle: Permettez-moi de prendre la Chine en exemple. Nous avons discuté avec la Chine des priorités pour l'aider au mieux. Nous parrainons depuis trois ans un projet visant à aider les Chinoises à comprendre leurs droits en vertu de la loi, d'une loi qui a été proclamée à l'occasion de la Conférence sur les femmes à Beijing. C'est très intéressant, parce que maintenant, dans plusieurs provinces, les organisations féminines disent que c'est bien beau tout cela, mais que l'un de leurs grands problèmes c'est qu'elles n'ont pas accès à l'aide juridique. Elles n'ont aucun recours lorsque, par exemple, leur mari décide de vendre la terre qui les nourrit et d'aller vivre avec une autre femme dans le sud, là où il travaille. Nous collaborons maintenant avec elles pour établir une forme d'aide juridique pour les femmes, ce qui, une fois de plus, fait bien partie de cette grande catégorie.

Nous recherchons ces possibilités dans les pays où, soudainement, il devient logique pour nous d'agir de telle ou telle façon, surtout lorsqu'il y a une ouverture et parfois une offre. Nous avons oeuvré avec certains pays à la mise en oeuvre d'une commission des droits de la personne, en nous fondant sur notre connaissance de ce genre d'organisme au Canada, de sorte que notre aide prend des formes bien différentes.

Quand décidons-nous que le gouvernement du Canada devrait se retirer? Ce pourrait être à la suite d'une de recommandation de notre part ou d'une situation comme celle que j'ai décrite il y a un instant. Il est plus difficile de prendre des décisions dans les cas intermédiaires, car si nous nous retirons, nous n'avons plus d'outils pour influencer ou aider. Quand on n'est plus là, on ne peut plus saisir les occasions qui se présentent. Il y a peut-être moins d'occasions qu'on le voudrait, mais parfois, on peut bâtir sur chacune et exercer ainsi une certaine influence.

Le sénateur Fraser: Nous portons-nous parfois à l'offensive dans ce domaine? Utiliserions-nous, par exemple, le fait qu'un pays veut de l'aide pour un programme d'infrastructure comme levier pour que le gouvernement renforce les droits de la personne?

Mme Labelle: Il n'y a pas nécessairement de troc, mais dans certaines situations, il devient clair pour le pays que le maintien de notre aide, ou la possibilité d'une hausse de notre aide, dépend d'un certain nombre de changements dont nous discutons avec le pays. Nous avons constaté que, très souvent, si les citoyens de ces pays deviennent plus forts, ils deviennent également mieux en mesure de se représenter devant le gouvernement et les autorités. C'est une autre façon de procéder.

Le sénateur Fraser: Une autre question qui m'intéresse est ce qu'on appelait l'aide liée, mais je ne sais pas si cette expression est encore aussi pertinente qu'elle l'a déjà été. J'ai lu quelque part que 70 p. 100 de notre aide revient en réalité dans les poches des Canadiens. Pouvez-vous expliquer comment fonctionne ce système? Quelle part des fonds reste dans les pays en développement? De quels montants s'agit-il? Quels types de biens ou de services canadiens sont achetés et quels sont les critères?

Mme Labelle: Il y a un grand débat international en cours actuellement au sujet de la réduction de l'aide liée dans le cadre de l'OCDE. Notre aide est liée à 50 p. 100 en Afrique et à 66 p. 100 dans les autres pays.

Ainsi, notre aide humanitaire permet d'acheter de la nourriture. Nous achetons ces aliments au Canada, et ces achats représentent une grande proportion de notre aide liée. Si nous demandons à une université canadienne de participer à la création d'une nouvelle faculté dans un pays donné, la rémunération de ceux qui fournissent l'assistance technique à partir du Canada compterait dans l'aide liée.

En revanche, si nous participons à la construction d'un chemin rural dans un pays, peu de Canadiens travailleront à ce projet. Il y aurait peut-être un ingénieur et une ou deux autres personnes travaillant avec lui et la population locale. Par conséquent, la population locale en bénéficierait, non seulement parce qu'elle obtiendrait la route mais aussi parce qu'elle travaillerait à sa construction. Nous essayons de réduire au minimum les désavantages et d'optimiser les avantages. La question de l'aide liée est encore très d'actualité et fait l'objet d'un grand débat.

Le sénateur Fraser: Quelle est votre position à ce sujet? Je crois comprendre que nous avons de l'aide liée, mais je ne suis pas certaine que nous insistions pour en avoir.

Mme Labelle: En principe, nous croyons que nous devrions avoir beaucoup moins d'aide liée. En pratique, il faut faire attention, parce qu'une partie du débat tourne autour du fait que le monde cherche à délier l'aide multilatérale, ce qui veut dire que si nous voulons aider une micro-entreprise dans une région donnée, nous devrions probablement avoir un prêteur international. Alors, nous favorisons le déliement de l'aide bilatérale par rapport au pays où nous travaillons plutôt que le déliement de l'aide multilatérale qui ferait qu'une grande partie de notre aide technique pourrait être fournie par d'autres pays occidentaux et que les Canadiens auraient très peu de possibilités d'y participer.

Le sénateur Fraser: Les frais d'administration augmenteraient également s'il fallait faire des appels d'offres internationaux.

Mme Labelle: Oui. Le débat est un peu compliqué pour ces raisons.

Le sénateur Cools: J'ai devant moi un article du The Lawyers Weekly daté du 29 août 1997. Le titre de l'article est «Canada's New Global Role: `Juges sans frontières'» et le sous-titre, «Judges from around the world turn their eyes to Canada's justice system». Il s'agit d'une entrevue avec le commissaire de la magistrature fédérale, M. Guy Goulard, et avec le juge en chef de la Cour suprême du Canada, M. Lamer. On lit dans cet article des choses extraordinaires et très intéressantes.

Ainsi, par exemple, «Juges sans frontières», voilà comment le juge en chef Antonio Lamer désigne en souriant son invention. Au début de l'article, je lis: «M. Goulard coordonne un nombre grandissant de projets internationaux de coopération judiciaire très fructueux, dont un plusieurs sont financés par l'Agence canadienne de développement international.»

Il y a environ deux ans, le 9 décembre 1996, dans une entrevue avec le juge en chef Lamer sur CPAC, le juge Lamer a déclaré très clairement qu'il était très déçu que le Sénat ait modifié l'amendement Arbour, qui était ce qu'il a qualifié d'éléments du projet de loi C-42. Le juge Lamer a déclaré:

[...] J'ai été un peu déçu lorsque le Sénat a modifié l'amendement Arbour, parce qu'il s'agissait d'une modification générale visant à permettre aux juges d'aller dans des pays [...]

Puis,

Et cette modification aurait permis plus facilement de payer les dépenses des juges, parce que les juges ne sont censés être rémunérés qu'en vertu de la Loi sur les juges.

Il a ajouté:

J'ai été un peu déçu mais j'ai trouvé un autre moyen et je dînerai aujourd'hui avec Mme Huguette Labelle, la présidente de l'ACDI. Je pense que nous passerons par l'ACDI. Quand on veut, on peut, et je serai très fier de voir 20, 30, 40 juges du Canada, aller dans le monde sans qu'il leur en coûte quoi que ce soit, sauf évidemment leur temps libre, un peu comme Médecins sans frontières.

Vous pourriez peut-être nous expliquer un peu ce que l'ACDI, et vous en particulier, avez fait exactement dans ce dossier. Il me semblait bien que les juges du Canada, en vertu des articles 54 à 58 de la Loi sur les juges, n'étaient censés être payés que par le gouvernement canadien. Je me demande si vous pouvez donner des explications sur ce qui a été fait. C'est peut-être entièrement faux, je n'en sais rien. Pouvez-vous nous dire quelle est la participation de l'ACDI dans les affaires judiciaires et le rôle du juge en chef du Canada, à l'égard des activités internationales des juges canadiens dans le monde?

Mme Labelle: Premièrement, nous avons des demandes de pays qui veulent que nous les aidions à établir la primauté du droit. Il faut d'abord un système judiciaire qui fonctionne, de sorte que le besoin et le problème sont réels. Cela fait partie du bon gouvernement, auquel vous avez fait allusion, sénateur Bolduc. Nous recevons ces demandes.

Nous avons quelques mécanismes, mais pas beaucoup de ressources au Canada pour répondre à ces demandes. Nous avons collaboré avec M. Goulard en contribuant à trouver des experts à divers moments, afin de donner des conseils techniques. La demande est beaucoup plus forte que l'offre pour le moment.

Le sénateur Cools: Vous pouvez peut-être me donner un peu plus d'information. Je ne me soucie pas des demandes qui viennent du monde entier. Je m'intéresse à ces projets où vous financez le commissaire de la magistrature fédérale. J'aimerais connaître les montants en cause et le mode de fonctionnement. Je veux savoir combien l'ACDI verse au ministère de la Justice pour permettre à des juges d'aller dans le monde entier.

Mme Labelle: Vous aimeriez avoir la liste de nos projets, par exemple? Nous pouvons vous la fournir très facilement, pour que vous sachiez où sont ces projets et les ressources qui y sont consacrées.

Le sénateur Cools: Je vous en serais très reconnaissante. J'aimerais avoir la liste des projets et savoir qui les administre, les montants et les juges en cause.

Je vous le demande parce que nous tentons depuis un certain temps d'obtenir cette information. Cela paraît très difficile. Je ne comprends pas vraiment pourquoi, parce que c'est une entreprise tellement noble. J'aurais cru que tout le monde en serait fier et le crierait sur tous les toits.

Quels sont les montants en cause?

Mme Labelle: Ils ne sont pas élevés, parce qu'il ne s'agit pas d'un projet d'infrastructure et qu'il ne faut pas nécessairement du personnel à plein temps. Il s'agit d'assistance technique. Quelqu'un se rend sur place pendant un certain temps pour examiner ce qui se fait, fournir une expertise et des conseils directs. Il ne s'agit pas de construire quelque chose. Les montants ne sont pas élevés, mais nous fournirons cette information au comité.

Le sénateur Cools: Je lis dans le même article de The Lawyers Weekly:

Le juge en chef Lamer a déclaré que ses discussions avec des juges chinois de haut rang l'ont convaincu que les juges eux-mêmes veulent vraiment améliorer le système de justice, tandis que le gouvernement chinois souhaite mettre en oeuvre des réformes qui renforceront la confiance des investisseurs.

C'est exceptionnel, extraordinaire.

Je suis curieuse. Est-ce qu'une partie des 62,3 millions de dollars qui vont à la Chine est consacrée à ces projets?

Mme Labelle: Nous avons un projet avec la Chine, afin de les aider à recycler les juges. Le montant n'est pas élevé. C'est l'un de nombreux projets.

Le sénateur Cools: Je m'inquiète moins des montants que du processus constitutionnel par lequel vous payez les juges. La Loi sur les juges est très explicite au sujet de la rémunération, des dépenses et des paiements aux juges. Mon inquiétude découle d'un projet de loi que le Sénat a examiné, le projet de loi C-42. À l'époque, de nombreux sénateurs s'en rappelleront, le projet de loi cherchait -- et j'ai devant moi des lettres du juge Lamer au ministre Rock -- des dérogations assez importantes à la Loi sur les juges pour permettre aux juges de participer à des activités internationales. Le Sénat a examiné le projet de loi et ne l'a pas du tout aimé, de sorte qu'il n'a pas donné son autorisation. Mais nous avons fait une exception, pour la juge Louise Arbour. La Loi sur les juges stipule très clairement que la juge Louise Arbour peut faire ceci ou cela. La loi est assez explicite.

Il me paraît un peu étrange qu'après que le Sénat a modifié à l'unanimité le projet de loi et refusé de permettre au juge Lamer et aux autres juges d'exercer des activités internationales, je voie le juge en chef Lamer déclarer à la télévision qu'il est déçu du Sénat mais qu'il a trouvé un autre mécanisme, par votre entremise.

Je me demande encore si ces activités sont tout à fait conformes à l'intention et à l'esprit de la Loi sur les juges. Je sais que ce sont des questions difficiles auxquelles vous ne pouvez pas répondre à brûle-pourpoint. J'aurais pensé que certains de vos fonctionnaires auraient apporté la réponse, parce que notre comité pose ces questions depuis trois ou quatre ans.

J'apprécierais votre aide pour jeter un peu de lumière sur ce dossier. Je crois en l'aide humanitaire accordée à de nombreux pays. Je crois en l'aide et je crois que le Canada a un rôle bien réel à jouer dans le monde. Mais je fais la distinction entre des rôles qui me paraissent liés au développement, comme nous avions l'habitude de le faire il y a quelques années, et d'autres rôles que je considère clairement politiques, presque néocolonialistes. Promouvoir le bon gouvernement, les droits de la personne et la démocratie, ce n'est pas vraiment de l'aide comme celle que l'ACDI vise à apporter. Quand l'ACDI a été créée, je ne crois pas que l'intention visée était qu'elle participe un jour à la mise sur pied d'institutions gouvernementales à l'étranger. Je considère le rôle des juges très sacré. Ma formation est surtout britannique. Jouer avec la magistrature me rend très nerveuse.

C'est un sujet énorme. Je n'aime pas voir la magistrature, en particulier la magistrature du Canada, servir à des fins politiques. C'est pour cette raison que je m'inquiète. Je me moque de la richesse ou des ressources financières d'un juge. Je crois que nous avons le devoir, à titre de parlementaires, de protéger l'intégrité d'une magistrature indépendante.

Le président: Nous avons beaucoup parlé du présent et du passé. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est l'avenir. Quand vous planifiez pour l'avenir, je sais que vous faites des plans de jeu pour un an ou deux, comme on doit le faire dans tout bon système de gestion. En ce qui concerne votre agence, quels sont, à votre avis, les plus grands problèmes auxquels le monde sera confronté? Quels mécanismes mettez-vous en place pour tenter de les résoudre?

Mme Labelle: Un problème ressort, mais il y en a une foule juste derrière. Je dirais que le plus grand problème, c'est probablement la disparité, le fossé grandissant entre les riches et les pauvres, et le plus grand nombre de personnes qui sont exclues à cause de la croissance démographique, par exemple. C'est probablement un problème plus explosif que tous les autres problèmes très délicats, comme l'alphabétisation et la mortalité infantile, par exemple.

Ce problème touche tous les pays. Au Canada, les gens s'en soucient également. Il y a un écart dans les pays et entre les pays.

En ce qui concerne les solutions pour réduire cette disparité, c'est une question très difficile. Il faut divers outils, dont certains sont en place actuellement. Mais il faut insister sur certains plutôt que sur d'autres. Par conséquent, nos priorités actuelles jettent encore des bases pour que les gens puissent se sortir eux-mêmes de la pauvreté et réduisent donc cette disparité.

Un deuxième problème, c'est le travail avec les gouvernements. Je reviens à des questions antérieures au sujet de la Banque mondiale et de la dette. Nous voulons voir si nous pouvons les appuyer à instaurer une meilleure redistribution de la richesse dans leur pays. D'ailleurs, en Inde, nous avons aidé le gouvernement à renforcer son régime fiscal précisément pour cette raison. Un nombre beaucoup plus élevé d'Indiens pourrait payer de l'impôt, le gouvernement le sait et veut percevoir cet impôt. La redistribution est donc un autre grand problème.

Troisièmement, il y a le problème de la cohérence entre toutes nos politiques. Autrement dit, si les pays pauvres ne peuvent exporter vers les pays riches, alors leurs économies ne pourront jamais dépasser le niveau de l'économie de subsistance.

Nous devons donc mettre l'accent sur le développement classique, comme le disait le sénateur Cools, et sur l'aide relative aux filets de sécurité sociale, à l'infrastructure sociale et à la redistribution. Nous devons également trouver comment collaborer ensemble, comme collectivité multilatérale, pour que nos marchés soient accessibles aux pays pauvres et qu'ils puissent exporter leurs produits. Nous devons appuyer l'amélioration de la qualité de leurs produits, leurs initiatives de commercialisation, et les aider à faire partie de certains régimes commerciaux multilatéraux. Il reste un grand nombre de problèmes importants comme la croissance démographique, mais je demeure convaincue que développer une économie de marché constitue un défi plus important que tous les autres et c'est pourquoi nous nous concentrons sur lui.

Le président: Les pays les plus riches commencent-ils à se pencher sur ce problème?

Mme Labelle: Nous avons dépensé beaucoup d'énergie dans les nombreux travaux du comité d'aide au développement de l'OCDE. Il y a des travaux spéciaux sur la cohérence des politiques. L'ACDI a aussi fait beaucoup de travail en collaboration avec les pays nordiques et des pays donateurs qui partagent les mêmes idées sur la meilleure façon d'aider les gouvernements dans leur infrastructure sociale. Évidemment, les travaux relatifs à la dette sont un autre moyen. De nombreuses initiatives convergent au niveau bilatéral et au niveau multilatéral, surtout au sein de la Banque mondiale, de l'OCDE et des Nations Unies.

Le président: Vous êtes une éternelle optimiste, n'est-ce pas?

Mme Labelle: Oui. Il le faut dans ce métier.

Le président: Nous vous avons retenue pendant deux longues heures et demie. Merci beaucoup de votre présence. Nous vous demanderons peut-être de revenir.

Mme Labelle: Ce furent deux heures et demie formidables. La préparation des sénateurs était remarquable. Ce fut très agréable. Si vous avez des conseils à nous donner, ne vous gênez pas, ou si des sénateurs ou des membres de votre comité ont besoin de renseignements supplémentaires sur ce que nous faisons ou sur notre façon de procéder, communiquez avec nous.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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