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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 44 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 26 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a été saisi du projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 46 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je voudrais souhaiter la bienvenue à tous, y compris nos téléspectateurs.

C'est la troisième réunion que le comité consacre au projet de loi C-3. Le projet de loi prévoit l'établissement d'une banque nationale de données génétiques, devant être tenue par le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et servir à aider les organismes policiers à résoudre les crimes. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 29 septembre 1998 et a été présenté en première lecture au Sénat le lendemain. Il a été adopté en deuxième lecture le 22 octobre de cette année, ce qui veut dire que le Sénat l'a déjà approuvé en principe. Il a ensuite été renvoyé à ce comité pour être examiné en détail.

Cet examen a commencé hier avec la comparution de M. Jacques Saada, secrétaire parlementaire du solliciteur général, qui est le ministre responsable du projet de loi C-3. Le comité a entendu ensuite deux témoins du laboratoire judiciaire central de la GRC.

Nous recevons ce matin des témoins représentant l'Association canadienne des policiers et l'Association canadienne des chefs de police.

Nous entendrons d'autres témoins sur le projet de loi C-3 au cours des deux prochaines semaines. Une fois que tous les témoins auront comparu, nous examinerons le projet de loi article par article, à la suite de quoi le comité décidera s'il convient d'adopter le projet de loi tel quel, de proposer des modifications ou de recommander que le projet de loi ne soit pas adopté. Le comité fera ensuite rapport de sa décision au Sénat.

J'invite maintenant les témoins de l'Association canadienne des policiers à présenter leurs déclarations préliminaires. Il y aura ensuite une période de questions, puis les représentants de l'Association des chefs de police prendront la parole.

M. Grant Obst, président, Association canadienne des policiers: Je vous remercie. Je suis constable dans le corps de police de la ville de Saskatoon. Je fais partie des services de police de la province de la Saskatchewan depuis 16 ans et je suis actuellement affecté à la division des patrouilles en uniforme de Saskatoon.

Depuis 16 ans, mon rôle consiste à traiter avec des citoyens de la collectivité de Saskatoon, ordinairement lorsqu'ils sont victimes d'un criminel ou lorsqu'ils ont eux-mêmes des ennuis avec la loi. Je vais aujourd'hui essayer de vous présenter le point de vue des 35 000 agents de police de première ligne que représente notre association.

L'Association canadienne des policiers comprend les dix associations provinciales de la police ainsi que deux organisations nationales, l'Association des membres de la GRC et l'Association des policiers du Canadien National. Nous représentons quelque 35 000 agents de police de première ligne et membres civils travaillant en liaison avec la police ou avec des associations de police.

Les membres de l'ACP travaillent de très près avec les citoyens du Canada dans le domaine policier. Nous sommes en contact avec les victimes des nombreuses infractions que peuvent commettre les éléments criminels. Nous consacrons un nombre incalculable d'heures à écouter ces victimes.

Je me présente devant vous ce matin pour vous dire que j'entends sans cesse les gens que nous servons exprimer leur frustration face à notre système d'administration de la justice. Ils sont frustrés parce qu'ils ont l'impression que les droits des criminels passent avant ceux des bons citoyens. Cette frustration se reflète dans la façon dont les gens traitent avec les forces de l'ordre. Ils pensent souvent qu'il est futile d'appeler la police lorsqu'ils sont victimes d'un crime. Ils ont l'impression soit que nous ne pouvons rien faire pour eux, soit que les auteurs du crime s'en tireront toujours sans avoir la punition qu'ils méritent. Beaucoup de mes collègues croient que la confiance des Canadiens dans le système de justice est très ébranlée.

J'ai mis beaucoup de temps à essayer de choisir les bons mots pour vous expliquer ce qui se passe dans les rues de Saskatoon. Il est très difficile pour des gens qui ne travaillent pas dans notre domaine d'imaginer ce qui peut se passer là. J'aurais aimé pouvoir vous emmener avec moi en patrouille. C'est une véritable invitation que je vous adresse. Nous avons emmené avec nous des députés et d'autres représentants élus pour leur montrer ce qui se passe loin des grandes artères, dans les petites allées de nos collectivités. J'espère que nous pourrons vous l'expliquer aujourd'hui.

Le principal objet de notre exposé est le projet de loi C-3 et la banque de données génétiques. L'Association canadienne des policiers exerce des pressions depuis des années pour obtenir la création d'une banque de données génétiques. Les agents de police et les membres civils que nous représentons partout dans le pays appuient de tout c<#0139>ur la création de cette banque de données. Le projet de loi vous avez devant vous contient à la fois les principes et les mesures concrètes que nous recherchons en ce qui concerne une banque de données génétiques, mais nous croyons que cela ne suffit pas encore.

Nous vous parlerons les différents secteurs dans lesquels nous croyons qu'il y a des lacunes. Ce comité du Sénat constitue notre dernier recours auprès de personnes ayant le pouvoir d'apporter des modifications au projet de loi. Je sais que vous ne pouvez pas vous-mêmes le modifier, mais vous êtes habilités à le renvoyer à la Chambre des communes avec des recommandations d'amendement. Nous vous exposerons certains des domaines qui, à notre avis, ont besoin d'être changés afin que cette base de données puisse servir aux agents de police qui travaillent dans la rue pour rendre plus sûres nos collectivités et pour assurer une plus grande sécurité à nos citoyens.

Ce projet de loi particulier constitue probablement le plus important outil de prévention du crime ou d'appréhension des criminels que nous ayons vus depuis un certain temps et il en sera probablement ainsi pendant de nombreuses années à venir. Nous ne verrons sans doute rien de semblable pendant des années, comme outil de lutte contre le crime. C'est à la fois un outil pour combattre le crime et pour le prévenir. Le fait de pouvoir prélever des échantillons d'ADN sur des suspects ou des criminels nous permettrait de mieux cibler nos enquêtes.

Aujourd'hui, les ressources humaines, le temps et l'argent constituent des denrées rares. Nous ne pouvons pas consacrer trop longtemps à nos enquêtes si nous ne suivons pas la bonne piste. En prélevant un échantillon d'ADN et en procédant à des comparaisons, les enquêteurs qui s'occupent d'un cas particulier -- le sergent Tweedy vous expliquera le déroulement de notre processus d'enquête -- sauront très rapidement quels suspects éliminer. Nous éviterions ainsi les fausses pistes. Dans un certain nombre de cas, les analyses génétiques ont permis d'exonérer des personnes qui avaient été faussement condamnées. On ne peut pas faire abstraction de cet aspect du projet de loi. Les prélèvements d'ADN constituent non seulement un moyen d'enquête, mais aussi un moyen d'élimination qui nous éviterait de consacrer du temps et de l'argent à des enquêtes ou à des suspects qui n'ont rien à voir avec le cas qui nous occupe.

Je suis accompagné aujourd'hui du sergent Netelenbos, du Service de police de Calgary, qui a passé 23 ans à servir les citoyens de cette ville dans beaucoup de domaines d'exécution de la loi. Le sergent Netelenbos vous donnera un aperçu général de notre façon d'envisager le fonctionnement d'une banque de données génétiques dans le cadre de l'action policière.

Le sergent-détective Tweedy a environ 18 ans d'expérience dans les enquêtes sur les homicides au Service de la police métropolitaine de Toronto, qui est l'un des plus grands services de police du Canada. Il a une grande expertise dans les secteurs d'enquête où la banque de données génétiques sera d'une grande aide.

M. Danson, notre avocat, mettra ensuite votre disposition l'expertise juridique que les agents de police ne possèdent pas. M. Danson vous parlera de quelques-unes des questions constitutionnelles qui se posent toujours lorsque nous parlons d'élaborer de nouvelles mesures législatives.

Nous concentrons notre attention sur trois grands domaines du présent projet de loi. Je vais vous en donner un très bref aperçu, à la suite de quoi mes collègues vous en parleront avec beaucoup plus de détails. Tout d'abord, considérons le moment où un échantillon serait prélevé sur une personne, sur un criminel ou sur un suspect. Le projet de loi que vous avez devant vous permet à la police de prélever un échantillon d'ADN sur une personne condamnée pour une infraction prescrite ou désignée. Nous croyons que le projet de loi devrait avoir des dispositions semblables à celle de la Loi sur l'identification des criminels, c'est-à-dire permettre à la police de prélever un échantillon au moment où elle a des motifs raisonnables et probables de croire qu'un individu a commis une infraction prescrite. C'est là une importante partie de la proposition que nous vous présentons. M. Danson vous en parlera et mes trois collègues vous expliqueront toute la différence que cela ferait.

Deuxièmement, le projet de loi actuel prévoit une exception. C'est au paragraphe 487.051(2), si vous voulez vous y reporter. Nous ne savons pas vraiment pourquoi cette disposition est là. Elle permet à une personne de demander à être exemptée du prélèvement d'un échantillon d'ADN si elle peut prouver qu'un tel prélèvement aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement démesuré. Cela ouvre la porte à toutes sortes d'appels. Je me demande ce que les législateurs avaient à l'esprit lorsqu'ils ont rédigé cette disposition. Je me demande pourquoi elle est là. J'espère que vous voudrez bien l'examiner de très près. M. Danson pourra en reparler si vous avez des questions à poser à ce sujet.

Le sénateur Nolin: De quel paragraphe s'agit-il encore?

M. Obst: C'est le paragraphe 487.051(2), à la page 14.

Le troisième et dernier domaine sur lequel nous voudrions attirer votre attention concerne le prélèvement rétroactif d'échantillons. Je veux parler du prélèvement d'échantillons sur des détenus qui purgent une peine dans notre système correctionnel, des détenus qui ont été déclarés coupables des infractions désignées ou prescrites qui figurent dans l'annexe. Nous voyons de très graves problèmes dans ce domaine, dont M. Danson vous parlera en détail.

Après les exposés, vous aurez sûrement des questions. Je vous invite à nous les poser. Si vous avez des questions pendant que nous présentons nos exposés, n'hésitez pas à les poser. Je répète encore que nous considérons le Sénat comme notre dernier recours. Nous espérons qu'il sera possible de faire quelque chose pour que cette banque de données soit ce qu'elle pourrait être, c'est-à-dire l'un des plus importants outils dont les agents de police pourraient se servir pour assurer la sûreté et la sécurité des citoyens dans nos collectivités. Je vous répète que les citoyens se sentent frustrés devant le système actuel. Une telle mesure contribuerait à rétablir la confiance des gens que mes collègues et moi-même servons.

Le sergent Jon Netelenbos, vice-président pour l'Alberta, Association canadienne des policiers: Je travaille pour le Service de police de Calgary depuis 28 ans. Je me suis occupé d'enquêtes générales et de crimes sexuels et j'ai été superviseur d'agents en uniforme. Je suis actuellement sergent responsable du groupe des incidents majeurs dans un district comptant 210 000 citoyens.

Au cours de ma carrière, j'ai vu beaucoup de changements se produire dans le système de justice pénale. Bien sûr, certains ont été radicaux, et d'autres pas. Certains ont été fonctionnels, pratiques et favorables aux citoyens, et d'autres pas. Le projet de loi C-3 se classe dans ce dernier groupe.

Vous me pardonnerez l'analogie peut-être un peu simpliste, mais le gouvernement vient de construire une toute nouvelle voiture pour les Canadiens. C'est un modèle ultramoderne doté des caractéristiques technologiques les plus avancées. Malheureusement, la voiture n'a pas de roues et, dans cette mesure, elle est totalement impuissante, son potentiel étant complètement inexploité. C'est tout à fait le cas du projet de loi C-3.

Permettez-moi de vous parler rapidement des procédures effractives et intrusives dont les fonctionnaires de notre ministère de la Justice s'inquiètent tant. La police fait subir l'alcootest depuis des dizaines d'années. Bien que l'alcootest ne soit pas particulièrement douloureux ou inconfortable, il prend beaucoup plus de temps et est beaucoup plus embarrassant qu'un prélèvement par écouvillonnage. Au mieux, un alcootest dure 40 minutes tandis qu'un prélèvement par écouvillonnage ne prend que six dixièmes de seconde.

J'ai vu des gens avoir de la difficulté à souffler assez régulièrement et assez fort dans l'alcootest, qu'on fait subir depuis longtemps au Canada aux conducteurs soupçonnés d'avoir des facultés affaiblies. Nous le faisons tous les jours. La prise d'empreintes digitales n'est ni intrusive ni douloureuse mais, encore une fois, elle prend du temps et nécessite un contact physique plus étroit entre le suspect et l'agent de police.

Nous connaissons tous les aspects constitutionnels de ces processus. Par conséquent, pourquoi voulons-nous prélever des échantillons d'ADN sur une personne au moment de son arrestation? La réponse n'est ni détaillée ni complexe, elle est très simple. Nous voulons le faire pour permettre à l'agent de police de résoudre des crimes graves tels que l'agression sexuelle et le meurtre.

À Calgary, par exemple, nous avons prélevé des empreintes génétiques sur la scène d'un double homicide, il y a quelques années. Cela veut dire que nous recherchons une concordance, comme dans le cas des empreintes digitales. Le projet de loi C-3 ne nous permettrait pas de résoudre ce crime. Cela pourrait arriver, mais c'est très improbable. En effet, il ne nous permettrait d'obtenir un échantillon que si l'auteur ou les auteurs du crime ont déjà été arrêtés et déclarés coupables. Une véritable tragédie judiciaire se produirait si le contrevenant en cause est arrêté pour une autre infraction puis est relâché, pour ne jamais plus se présenter devant un tribunal et ne jamais plus nous donner la possibilité d'obtenir une empreinte génétique. Résultat: un homicide sans solution.

Notre ordinateur d'identification des dactylogrammes contient une énorme quantité de données. Celui de Calgary renferme 480 000 empreintes digitales, couvrant probablement tout l'Ouest du Canada. À Calgary, nous avons environ 20 000 empreintes latentes, c'est-à-dire des empreintes trouvées sur des lieux de crime, mais dont on ne connaît pas le propriétaire. Chaque fois qu'une personne est arrêtée et mise en accusation, on lui prend ses empreintes et on les compare aux 480 000 qui se trouvent dans l'ordinateur. Nous avons parfois des «coups de chance», comme nous les appelons dans la police, qui nous encouragent beaucoup. Cela ne veut pas dire que nous avons trouvé le coupable, mais nous avons au moins une piste à suivre.

Lors de notre comparution devant le comité de la Chambre des communes, on nous a demandé ce qui se produit lorsque nous trouvons une concordance et si la procédure suivie est équitable. Bien sûr que la procédure est équitable. Les gens sont rarement déclarés coupables au Canada sur la seule foi d'empreintes digitales.

Je vous demande de vous arrêter un instant sur ce fait, particulièrement ceux d'entre vous qui s'inquiètent de la constitutionnalité d'un prélèvement d'ADN effectué au moment de l'arrestation: la prise d'empreintes digitales est très reliée aux casiers judiciaires. Une empreinte digitale est reliée à ce que nous appelons un numéro SED avec le casier judiciaire détaillé. Ce sont des dossiers. On a une empreinte digitale qui correspond à un numéro, à un nom et à des renseignements très confidentiels. Par contre, une empreinte génétique contenue, comme on le propose, dans une base de données n'est pas reliée à un casier judiciaire. C'est une caractéristique hautement technique qui, j'ose le croire, n'intéressera que des experts en criminalistique.

Il n'y aura pas de banque de données dans laquelle, dès l'arrestation, des noms seraient rattachés aux empreintes. Ce n'est rien de cela. Dans cette mesure, les empreintes digitales et les données qui les accompagnent se prêtent beaucoup plus à des abus. Je voudrais croire que ce n'est pas le cas, mais il n'y a pas de doute que la possibilité d'abus existe.

J'ai l'impression que le projet de loi C-3 a des défauts fondamentaux, comme cette voiture ultramoderne dont je vous parlais. Il ne suffit pas de dire que le gouvernement a jugé bon d'établir une banque de données génétiques. Que les promoteurs du projet de loi disent que cette mesure vaut mieux que rien du tout est une absurdité, en ce qui me concerne.

À titre de membre de ce comité et de tout le Sénat, vous avez vraiment la possibilité d'agir pour changer d'une manière concrète le système de justice pénale. Je ne saurais trop insister sur ce point. Si vous renvoyez le projet de loi à la Chambre des communes, vous sauverez des vies, vous éviterez à de nombreuses familles des souffrances indescriptibles. Voilà le véritable enjeu.

Le sergent-détective Neale Tweedy, Service de police de Toronto, Association canadienne des policiers: Je suis agent de police depuis 27 ans. J'ai passé 17 ans à faire des enquêtes sur des meurtres, à donner de la formation et à superviser. J'ai donc acquis une grande expérience dans tous les aspects de l'enquête sur la mort: gestion des lieux du crime, interprétation des lieux du crime, collecte de preuves, élimination de suspects, entrevues, droit et procédure, gestion de l'information, gestion des victimes et présentation des preuves. Ce ne sont là que quelques-uns des éléments du processus. J'ai déjà été reconnu par la Division générale de la Cour de justice de l'Ontario comme témoin expert dans le domaine des enquêtes sur les homicides.

Au cours de ma carrière d'enquêteur, je me suis occupé d'un certain nombre de meurtres dans lesquels la victime a été violée, le viol ayant été le motif primaire ou secondaire du crime. Christine Prince, Ruth Stern, Rupy Sanghera, Tania Anikejew, Nicole Morin, Andrea Atkinson, Kala Clauduz, Kristen French et Leslie Mahaffy sont les noms de quelques-unes des femmes et des enfants à qui on a enlevé la vie. Je peux voir les lieux de ces crimes dans ma tête, comme si c'était une projection de diapositives.

En janvier 1995, j'ai été chargé de diriger l'enquête sur l'un des crimes les plus connus au Canada: l'enlèvement, le viol et le meurtre, en 1984, de la petite Christine Jessop, âgée de neuf ans, de Queensville, en Ontario. Pendant onze ans, Guy Paul Morin avait été faussement accusé et c'est grâce à l'ADN qu'il a été innocenté.

Vous avez peut-être lu Red Rum the Innocent, qui a été un livre à grand succès au Canada. Quelques jours à peine après l'acquittement de M. Morin, le dossier a été transféré de la police régionale de Durham au Service de police de Toronto, et c'est alors que j'ai commencé à m'en occuper à titre de commandant d'une unité spéciale chargée du meurtre de Christine Jessop. Mon équipe et moi-même avons consacré trois années à temps plein à cette affectation. Depuis ce temps, je pense tous les jours à Christine et à l'horreur qu'elle a vécue. De plus, tous les jours, je songe au fait que j'ai été incapable d'identifier son meurtrier et de le sortir de l'ombre. Le père et la mère de Christine méritent de connaître l'identité de son meurtrier. Tous les citoyens du Canada méritent de le connaître.

Les preuves recueillies montrent que, le 3 octobre 1984, Christine Jessop a été enlevée dans la petite ville de Queensville, qu'elle a été emmenée en voiture dans un bois isolé à une cinquantaine de kilomètres de chez elle, puis qu'elle a été sauvagement violée. Durant l'agression commise sur cette enfant qui pesait à peine 40 livres, son agresseur lui a à plusieurs reprises enfoncé la pointe d'un couteau dans la peau. Ses cris, sa terreur ont probablement satisfait les appétits sexuels et émotionnels pervers de son assassin.

Après le premier viol, les preuves montrent que Christine a encore été violée et qu'au cours de l'agression, on lui a décoché un coup de poing au visage qui a été tellement violent qu'il lui a gravement fracturé l'arête nasale. Des voisins vivant dans deux maisons de ferme situées à quelque distance de là se sont réveillés dans la nuit et ont entendu ses cris et ses appels au secours, mais ils ont pensé se tromper et ont décidé de ne pas appeler la police. Lorsque le tueur a été fatigué de Christine, les preuves montrent qu'il a poignardé l'avant et l'arrière de son petit corps. Il lui a ensuite tranché le cou avec une telle férocité qu'il l'a presque décapitée.

Elle a été laissée là, morte, couchée sur le dos, dénudée à partir de la taille, les jambes écartées, seule dans le bois. Le tueur a tranquillement quitté les lieux dans sa voiture. Christine est restée là soumise aux éléments jusqu'à ce que son corps soit découvert trois mois plus tard, le 31 décembre 1984. Le cadavre était dans un état de décomposition avancée et n'avait pas été épargné par les animaux.

Honorables sénateurs, c'est cela, la réalité des enquêtes sur les meurtres. C'est très différent, beaucoup plus horrible, beaucoup plus complexe à résoudre que ne le décrivent les écrivains et les scénaristes. Il n'y a pas de vocation qui pose de plus grands défis. Aujourd'hui, je viens vous demander votre aide.

Un tueur a laissé son sperme sur les lieux du crime. Il a été recueilli et préservé. En 1995, grâce aux progrès de la génétique, les scientifiques ont réussi à extraire l'ADN de ce sperme et à déterminer qu'il ne correspondait pas à celui de M. Morin.

Depuis, j'essaie encore et toujours d'identifier l'assassin de Christine, surtout en prélevant des échantillons de sang ou de salive sur des suspects possibles. Cette enquête a imposé aux membres de l'équipe d'évaluer 27 000 personnes. J'ai veillé à ce que l'ADN d'environ 325 hommes soit comparé à la carte de visite que l'assassin a laissée sur les lieux. Beaucoup de ces 325 hommes sont des citoyens respectables qui avaient des liens directs ou indirects avec Christine, à titre de membres de la famille, d'amis ou de voisins.

Comme citoyens et parce qu'ils souhaitaient faciliter l'enquête, ils ont accepté de donner des échantillons d'ADN. Il ne s'agissait en fait que d'une toute petite piqûre sur le bout des doigts. Cela nous a permis d'éliminer la possibilité que l'assassin était connu de Christine ou de sa famille. La majorité des 325 hommes étaient cependant des délinquants ayant des antécédents d'agression sexuelle, de pédophilie et de meurtre.

Malheureusement, jusqu'ici, j'ai été incapable d'identifier le meurtrier. Dans un monde hautement informatisé où les bases de données nous envahissent partout, j'ai été réduit à écrire à un millier d'organismes policiers et de laboratoires judiciaires d'Amérique du Nord dans ma recherche d'une concordance d'empreintes génétiques. La possibilité que le meurtrier échappe à cette technique d'enquête est cependant très grande et, malgré tous mes efforts, je commence à croire que cela s'est produit.

Dans mes 27 années de travail pour la police, je n'ai jamais vu une mesure législative qui pouvait avoir un impact aussi important et aussi direct sur la prévention du crime que le projet de loi C-3. Les avantages seraient immédiats: ils se traduiraient tout de suite par la solution d'un plus grand nombre de crimes. La mesure constituerait en même temps un important facteur de dissuasion qui devrait réduire la violence, surtout contre les femmes et les enfants.

Toutefois, il est extrêmement important que cette mesure législative soit bien conçue. Dans sa forme actuelle, elle ne l'est pas. Tout comme ma correspondance avec les organismes policiers et les laboratoires, le projet de loi a des lacunes qui posent de nombreux problèmes. Je suis extrêmement contrarié de nous voir si près de l'adoption d'une mesure aussi importante et de me dire qu'il va peut-être falloir se contenter d'une version aussi diluée de ce que nous pourrions avoir.

L'objet déclaré du projet de loi est d'aider les organismes chargés d'appliquer la loi à identifier les auteurs présumés d'infractions désignées. Toutefois, les mailles du filet sont bien trop grandes pour que le projet de loi soit vraiment utile à ceux qui enquêtent sur des homicides ou des agressions sexuelles. Je peux vous l'affirmer en toute confiance et sans la moindre hésitation.

Les principes déclarés du projet de loi sont que la protection de la société et l'administration de la justice sont bien servies par la découverte, l'arrestation et la condamnation rapides des contrevenants. Toutefois, la découverte rapide des contrevenants est gravement compromise si on ne peut prélever des échantillons qu'après une déclaration de culpabilité.

Les honorables sénateurs doivent clairement comprendre qu'en réalité, plus de 90 p. 100 des personnes arrêtées sont libérées sous caution directement au poste de police ou quelques jours plus tard par un juge de paix. Il y en a beaucoup que nous ne revoyons jamais. Beaucoup sont retrouvés, mais ne sont jamais renvoyés dans la juridiction où l'infraction a été commise, pour des raisons monétaires. Voilà la réalité du Canada, où les distances sont énormes et où les budgets consacrés à la mise en vigueur de la loi et aux poursuites sont petits.

À Toronto seulement, plus de 50 000 personnes sont inculpées chaque année dans des affaires criminelles. Beaucoup font l'objet d'inculpations multiples au moment de leur arrestation. La plupart sont libérées sous caution. À tout moment, il y a à Toronto plus de 19 000 mandats d'arrestation et mandats d'amener en vigueur, sans compter qu'environ 5 000 personnes sont arrêtées chaque année sur la base de ces mandats et inculpées pour défaut de comparaître. Ce nombre de 19 000 mandats non exécutés demeure constant, il augmente même. Dans ces circonstances, il est clair qu'un prédateur sexuel ou un assassin a de grandes chances d'échapper à l'arrestation.

Très peu de contrevenants arrêtés en dehors de la juridiction où l'infraction a été commise y sont renvoyés. À Toronto, le procureur en chef signale que, chaque année, son bureau reçoit 250 demandes de renseignements dont les auteurs cherchent à savoir si des personnes arrêtées à l'extérieur de la juridiction, parfois appelée le rayon de retour, seront renvoyées à Toronto pour y subir leur procès. En fait, très peu de ces gens sont renvoyés. Il ne s'est renseigné qu'au sujet des cas limites, parce que la police connaît déjà les protocoles en vertu desquels des milliers de personnes appréhendées chaque année ne sont pas renvoyées dans leur juridiction pour y être jugées. On les laisse tout simplement partir.

La plupart des prédateurs connaissent bien les lois, les tribunaux et les protocoles policiers. Ils savent exploiter les faiblesses du système. Au cours de l'enquête publique menée sur les viols et les meurtres commis par Paul Bernardo et Karla Homolka, le juge en chef adjoint Archie Campbell a révélé que Bernardo savait exploiter les lacunes policières en passant d'une juridiction à l'autre pour éviter d'être découvert et arrêté. Les tueurs en série connaissent également les autres faiblesses du système.

Il est courant qu'un délai d'un an sépare l'arrestation de la déclaration de culpabilité. Si un criminel appréhendé n'est relié à un crime resté sans solution qu'après avoir été déclaré coupable, une grande partie de la preuve aura disparu. Il ne faut pas être assez naïf pour croire qu'un procès au criminel peut se fonder exclusivement sur un échantillon d'ADN. Tous les éléments de preuve pertinents doivent être identifiés, recueillis et présentés au tribunal.

Plus le délai est long, moins il est probable que la police réussira à trouver d'autres preuves, qu'il s'agisse d'indices matériels, de témoins, de motifs, de moyens, de circonstances favorables ou même d'alibis. Tous ces types de preuve sont gravement affaiblis avec le passage du temps. Si un lien est établi grâce aux empreintes génétiques, plus tôt cela se fait, plus il y a de chances de retrouver les preuves et d'intenter des poursuites fructueuses.

Il y a environ deux ans, le gouvernement de la Grande-Bretagne a adopté une loi sur l'ADN qui aide vraiment la police à agir. Le principe consistait à prélever des échantillons d'ADN au moment de l'arrestation sur un groupe de contrevenants aussi étendu que possible. Le gouvernement britannique avait reconnu alors que les personnes prédisposées au crime se rendent souvent coupables de plusieurs genres d'infractions. En fait, Clifford Olson avait été reconnu coupable d'une foule d'actes malhonnêtes avant de se livrer au viol et au meurtre. Depuis que cette loi a été adoptée en Grande-Bretagne, même des voleurs à l'étalage ont été rattachés à des crimes beaucoup plus graves, simplement parce que souvent, le crime fait partie de la nature d'une personne, qui violera avec la même facilité qu'elle volera votre système de son.

Honorables sénateurs, nous n'avons jamais eu une occasion aussi merveilleuse de résoudre des crimes de violence et de dissuader ceux qui sont prédisposés à en commettre. Ayant travaillé aux premières lignes pendant de longues années, je peux vous affirmer que, sans modifications, le projet de loi ne serait que l'ombre de ce qu'il pourrait être. Je peux vous assurer que s'il est adopté dans sa forme actuelle, d'autres jeunes femmes et d'autres enfants, tout comme la petite Christine Jessop, seront violés et parfois tués. Si le projet de loi est adopté tel quel, vous allez devoir le réviser à l'avenir et, malheureusement, le prix à payer sera effroyable.

Vous pouvez empêcher tout cela de se produire. Comme le coroner en chef de l'Ontario l'a dit: «Qu'allez-vous répondre aux parents des futures victimes? Que la mort d'êtres aimés aurait pu être prévenue si le gouvernement avait juste amélioré un peu plus le projet de loi?» Et s'il s'agissait de votre enfant ou de votre petit-enfant? Que diriez-vous? Je ne sais pas ce que je dirais moi-même.

M. Timothy Danson, conseiller juridique, Association canadienne des policiers: J'aimerais aborder ce matin deux aspects de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Le premier est le fait que les alinéas 487.055(1)b) et c) ne permettent le prélèvement d'échantillons d'ADN sur une personne déjà détenue que si elle a commis deux meurtres ou viols ou plus. Le second est qu'il faut attendre une déclaration de culpabilité, plutôt que l'arrestation ou la mise en accusation, avant de pouvoir procéder à des analyses génétiques.

Au sujet du premier point, l'article 487.055 proposé est ainsi libellé:

(1) Sur demande ex parte... le juge de la cour provinciale peut autoriser... le prélèvement, pour analyse génétique, du nombre d'échantillons de substances corporelles d'une personne jugé nécessaire à cette fin, dans le cas où celle-ci...

b) avant cette entrée en vigueur, avait été déclarée coupable de plusieurs meurtres commis à différents moments;

c) avant cette même entrée en vigueur, avait été déclarée coupable de plus d'une des infractions sexuelles visées au paragraphe (3)...

selon les dispositions du paragraphe 487.06(1).

L'Association canadienne des policiers et, à mon avis, une majorité écrasante de Canadiens trouvent cette disposition extrêmement choquante et absolument répréhensible. Il est fondamentalement choquant et répréhensible de prétendre que le viol sauvage et le meurtre d'un enfant ne suffisent pas pour autoriser une analyse génétique.

La différence entre un et plusieurs viols ou entre un et plusieurs meurtres, c'est comme la différence entre tuer une personne en lui tirant une balle dans la tête ou la tuer en lui tirant six balles dans la tête. La personne est de toute façon morte après la première balle. C'est comme si on voulait faire la distinction entre une personne méchante et une personne extrêmement méchante. Il y a un stade où la différence n'a plus aucun sens et devient tout simplement choquante.

À mon avis, cette disposition est contraire à tout principe de logique et de bon sens. Souvent, la différence entre un viol ou un meurtre et deux viols ou deux meurtres n'est qu'une question de temps: elle dépend du moment où l'accusé est pris et pas du tout de la mesure dans laquelle il est dangereux. Si quelqu'un comme Paul Bernardo ou Clifford Olson est pris après le premier meurtre plutôt qu'après les meurtres suivants, personne ne songerait à prétendre qu'il n'est pas aussi dangereux.

Le détenu condamné pour viol ou pour meurtre pourrait en avoir commis d'autres sans qu'on le sache, parce qu'il n'a pas été pris. En fait, les propositions avancées par l'Association canadienne des policiers pourraient bien permettre de faire le lien.

Je n'ai pas vu d'avis juridique -- que ce soit du ministère de la Justice ou des trois juges à qui le ministère a demandé un avis, l'honorable Charles Dubin, c.r., l'honorable Claude Bisson, c.r., et l'honorable Martin R. Taylor, c.r. -- disant qu'en vertu de la Charte, on ne peut prélever un échantillon d'ADN que si un criminel a tué et violé plus d'une fois.

En fait, le ministère de la Justice s'est commodément abstenu de demander à ces trois anciens juges un avis sur cette question capitale. À mon avis, il ne l'a pas fait parce qu'il savait que cet avis ne serait pas favorable à son point de vue, et je trouve cela déplorable.

Le ministère de la Justice voudrait vous faire croire qu'on devrait épargner aux personnes déclarées coupables d'un seul meurtre et d'un seul viol l'indignité et la violation du droit à la vie privée que représenterait une analyse génétique. Sans parler de l'indignité que leurs actes ont imposée à leurs victimes et de la suppression globale et brutale du droit de celles-ci à la vie privée, je voudrais vous donner ma réponse aux fonctionnaires du ministère de la Justice qui estiment qu'on ne peut pas agir à moins de deux meurtres ou viols ou plus. Je vais poursuivre l'argumentation de Neale Tweedy au sujet de Christine Jessop.

Je prétends que ce qui représente vraiment une intrusion indue, c'est qu'un prédateur sexuel a enlevé de chez elle ma cliente, la petite Christine Jessop, âgée de neuf ans. Il l'a emmenée dans un bois isolé, à 50 kilomètres de là, l'a brutalement et sauvagement violée, l'a poignardée à plusieurs reprises dans la poitrine et dans le dos jusqu'à ce qu'elle meure, la décapitant presque avec son couteau.

Le fait est qu'une analyse génétique appropriée pourrait permettre de retrouver son meurtrier, plutôt que de le laisser en liberté. Ce meurtrier, il est peut-être en prison aujourd'hui même. Toutefois, s'il n'a été déclaré coupable que d'un seul meurtre ou d'un seul viol, cette loi nous interdirait de prélever sur lui un échantillon d'ADN.

Ce qui, à mon avis, représente vraiment une intrusion indue, c'est qu'un prédateur sexuel comme Joseph Fredericks a enlevé mon client, le jeune Christopher Stephenson âgé de onze ans. Il l'a pris dans un centre commercial très achalandé de Brampton, l'a sauvagement et brutalement torturé, l'a violé puis lui a tranché le cou, le laissant perdre tout son sang et mourir, pour que son père puisse le reconnaître à la morgue municipale le jour de la Fête des pères.

Ce qui, à mon avis, représente vraiment une intrusion indue, c'est qu'un prédateur sexuel comme Paul Bernardo a enlevé mes clientes Kristen French et Leslie Mahaffy, les a torturées, brutalisées, violées et assassinées.

Ce qui, à mon avis, représente vraiment une intrusion indue, c'est un tueur aussi insensible que Clinton Gayle, qui a exécuté mon client, le constable Todd Bayliss, sans que celui-ci ait même pu dégainer son arme, ou comme Clinton Suzack, qui a exécuté mon client, le constable Joseph Macdonald.

Les filles de Joseph Macdonald -- Julia, qui était âgée d'un an lorsque son père a été abattu dans l'exercice de ses fonctions, et Melissa, qui avait alors trois ans -- demandent où est leur papa et pourquoi il est mort. Lorsqu'elles rentrent chez elles -- et ce n'est pas là une figure de style, c'est la triste réalité --, elles parlent à leur père en regardant sa photo posée sur la table à café. Pouvons-nous leur dire sérieusement que le Parlement du Canada a jugé qu'un meurtre ou un viol ne suffit pas? Jusqu'à ce jour, elles confectionnent encore des objets d'artisanat pour leur père, qu'elles rapportent à la maison et dont elles lui parlent, en regardant sa photo.

J'espère que vous trouvez cela choquant. Lorsque les représentants de la Justice se présenteront devant vous, nous espérons que vous leur demanderez pourquoi. Nous n'arrêtons pas de demander pourquoi. N'est-il pas logique que l'Association canadienne des policiers demande au ministère de la Justice pourquoi? Vous n'obtiendrez pas une réponse fondée sur la Constitution. Je vous garantis que personne ne se présentera devant vous pour vous dire: «La Constitution exige que les détenus aient commis deux meurtres ou deux viols avant qu'on puisse les soumettre à une analyse génétique.» Cela ne se produira pas.

Comme vous le savez, en ce qui concerne le meurtre, il faut qu'il y en ait eu plus d'un à des moments différents. Cela veut dire qu'une personne pourrait arriver armée d'une mitraillette et tuer dix policiers d'un coup, sans qu'on ait le droit de prélever sur elle un échantillon d'ADN. On pourra, cependant, obtenir une analyse génétique dans le cas d'une personne qui aurait assassiné deux agents de police à deux occasions différentes.

Cette disposition est intellectuellement choquante et insultante. Je vous exhorte à renvoyer cette mesure à la Chambre des communes ou, à tout le moins, à demander qu'on arrête à un meurtre et à un viol.

L'autre aspect de cette mesure particulière est le suivant. En vertu du projet de loi, on peut procéder à une analyse génétique sur les auteurs d'infractions désignées une fois qu'ils ont été déclarés coupables. Toutefois, lorsqu'il s'agit de personnes déjà condamnées ou qui se trouvent déjà en prison, la disposition ne s'applique qu'aux contrevenants dangereux, c'est-à-dire aux auteurs de meurtres ou de viols. Pourquoi y a-t-il une liste différente? Si la loi permet de prélever des échantillons d'ADN sur les personnes déclarées coupables d'infractions désignées, pourquoi ne pouvons-nous pas prélever des échantillons sur ceux qui sont déjà en prison après avoir été déclarés coupables des mêmes infractions? Pourquoi faut-il une liste différente? Peut-être connaissez-vous la réponse. Nous ne la connaissons pas. Lorsque nous avons demandé des réponses, nous ne les avons pas obtenues. Bien sûr, vous avez plus de pouvoir que nous.

J'ai le plus grand respect pour les membres de la Chambre des communes, mais je me demande combien de ceux qui ont voté en faveur de ce projet de loi étaient vraiment au courant du problème que je viens juste de mentionner.

Permettez-moi de passer maintenant au moment de l'analyse génétique. D'abord et avant tout, il importe de se rendre compte que la position de l'Association canadienne des policiers au sujet du prélèvement d'échantillons d'ADN au moment de l'arrestation ou de l'inculpation est à la fois neutre et objective, puisque les résultats de l'analyse confirmeront autant l'innocence que la culpabilité. On a peut-être totalement fait abstraction de cet important facteur dans l'analyse juridique qui vous a été présentée par les parties qui s'opposent à notre point de vue, ou alors on ne lui a pas donné tout le poids qu'il méritait.

Comme vous le savez, l'analyse constitutionnelle doit se caractériser autant par l'intention que par le contexte, à défaut de quoi elle est totalement sans valeur. Considérons ce qui se passerait si une autre affaire Guy Paul Morin se présentait aujourd'hui et que la loi permette le prélèvement d'échantillons d'ADN au moment de l'arrestation ou de l'inculpation. Que se passerait-il aujourd'hui?

Si une telle loi avait été en vigueur, un innocent n'aurait pas été jugé et condamné pour un meurtre brutal et sauvage qu'il n'avait pas commis. Deuxièmement, une piste très chaude ne se serait pas refroidie au point où le meurtrier est encore en liberté aujourd'hui. Troisièmement, on aurait épargné à des gens comme mes clients, les Jessop, l'énorme chagrin, la terrible angoisse de se demander si on a pris le vrai meurtrier. Quatrièmement, on aurait évité de gaspiller des millions de dollars appartenant aux contribuables canadiens. Cinquièmement, on aurait évité de mettre en cause l'intégrité et la crédibilité du système de justice et de police et de susciter tout le cynisme qui en découle, comme nous l'avons vu au cours de l'enquête sur l'affaire Morin. Sixièmement, le meurtrier de Christine Jessop aurait peut-être été sous les verrous et l'inquiétude du public aurait peut-être été apaisée.

Voilà donc le second terme de l'équation, c'est-à-dire les répercussions extrêmement positives sur les innocents. De toute évidence, des effets positifs découlent de toute concordance établissant la culpabilité d'un criminel. Quel prix pouvons-nous attribuer à ces facteurs?

Nous ne devrions jamais perdre de vue le fait que les avantages découlant des propositions mises de l'avant par l'Association canadienne des policiers sont autant attribuables à la possibilité de disculper les innocents qu'au fait de s'assurer que les coupables paient pour leurs crimes.

Pour être parfaitement clair, je précise que l'Association canadienne des policiers estime qu'il est indispensable de détruire les échantillons d'ADN prélevés sur une personne accusée, inculpée ou arrêtée si elle est jugée non coupable. De plus, l'association croit que quiconque manque à sa responsabilité de détruire un échantillon d'ADN en cas d'acquittement de la personne en cause se rend coupable d'une grave infraction criminelle entraînant de très sérieuses sanctions pénales.

Ces mesures de compensation, qui jouent sûrement dans le contexte de l'équation constitutionnelle, n'apparaissent nulle part dans l'analyse de ceux qui s'opposent à notre position. Il est facile de soulever des préoccupations, comme on l'a vu dans certaines des lettres des juges. Quelques-unes de ces préoccupations sont légitimes, mais il est facile d'y répondre: il suffit de proposer, comme nous le faisons, que l'échantillon d'ADN soit détruit si l'accusé est jugé non coupable.

Permettez-moi de me reporter à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Beare, qui a confirmé la validité constitutionnelle de la prise d'empreintes digitales au moment de l'arrestation. La cour a statué qu'une personne arrêtée au motif raisonnable et probable qu'elle a commis un crime grave «doit s'attendre à une diminution importante du respect de sa vie privée». Ce ne sont là ni mes paroles ni mon opinion. Ce n'est pas non plus l'opinion de l'Association canadienne des policiers. C'est le texte de l'arrêt de la Cour suprême du Canada.

Selon la cour, même si beaucoup de gens trouvent déplaisante la prise des empreintes digitales, il s'agit en fait d'un procédé «anodin, qui ne prend que très peu de temps et ne laisse aucune séquelle durable». La question, pour la Cour suprême du Canada, n'était pas de savoir si la prise des empreintes digitales porte atteinte aux droits de l'accusé, car il n'y a pas de doute à cet égard; elle consistait plutôt à déterminer si, sur le plan juridique, cette l'atteinte est indue.

Nous devons comprendre où se situent les limites de la constitutionnalité. Ceux qui ont adopté un point de vue contraire au nôtre parlent d'invasion de la vie privée. Toutefois, on ne peut pas parler d'une invasion de la vie privée du citoyen moyen si les limites sont placées beaucoup plus haut.

La Cour suprême du Canada a déclaré qu'une fois que la police a des motifs raisonnables et probables de soupçonner qu'une personne a commis un crime grave, il faut s'attendre à une importante diminution du respect de la vie privée, de sorte que votre point de départ, dans ce cas, se situe assez bas. C'est votre point de départ. Vous remarquerez en lisant la décision des juges que leur point de départ, c'est le public dans son ensemble.

Le point à noter, c'est qu'au départ, il y a une importante diminution du respect de la vie privée. L'argument contraire est que nous devrions résister à la tentation d'établir un parallèle trop étroit entre la façon dont les empreintes digitales ont été traitées dans l'affaire Beare et le prélèvement d'échantillons d'ADN. La Charte est entrée en vigueur le 17 avril 1982 et l'arrêt Beare remonte à 1988. Si la Cour suprême du Canada avait examiné la même question dans les dix années suivantes, il est probable que sa décision aurait été différente.

À titre d'avocat, je conseille mes clients en me fondant sur la loi actuelle et je ne pose pas l'hypothèse que la Cour suprême du Canada a commis une erreur en prononçant son jugement. Les juges de la cour suprême sont les seuls qui puissent revenir sur leurs propres décisions. Voilà pourquoi l'ACP a clairement dit qu'il faudrait demander à la Cour suprême de se prononcer clairement sur cette question. Le fait est qu'en considérant l'arrêt de la Cour dans l'affaire Beare, on peut conclure qu'il n'y a pas de distinction de principe entre le prélèvement d'empreintes digitales et le prélèvement d'empreintes génétiques.

J'ai fourni au comité un exposé d'une page énumérant les raisons données par la Cour suprême dans le cas des empreintes digitales. Ce sont les mêmes raisons pour lesquelles le juge Hill estime que nous avons besoin des prélèvements d'ADN. À l'analyse, il est impossible d'établir une distinction entre les motifs dans les deux cas. On ne peut pas échapper à la conclusion que les deux ont le même objet. Une fois qu'on s'en est rendu compte, l'arrêt Beare devient la décision qui prime. À mon avis, il n'y a aucun doute que cette décision serait jugée valide sur le plan constitutionnel.

Personne ne croit, ne serait-ce qu'un seul instant, que c'est une question parfaitement tranchée dans laquelle tout est blanc ou tout est noir. Toutefois, les tribunaux sont très respectueux des choix législatifs. Si le Parlement jugeait bon d'adopter une loi sur les empreintes génétiques qui serait semblable à la loi régissant les empreintes digitales, je crois que les tribunaux s'inclineraient devant ce genre de choix législatif. À condition, bien sûr, que les sauvegardes nécessaires figurent dans la loi en question.

Certains juges cherchaient établir une distinction entre une empreinte digitale, qui est externe, et l'ADN qui est interne ou vient de l'intérieur du corps. Si cette distinction avait la moindre validité, la Cour suprême du Canada aurait infirmé les dispositions du Code criminel concernant l'alcootest, qui s'appliquent également à des éléments internes de l'organisme.

Nous n'avons pas besoin d'un mandat pour tester votre haleine parce que l'alcool se dissipe. C'est une question de temps. On dit que l'ADN ne disparaît pas et qu'on a donc le temps d'obtenir un mandat autorisant le prélèvement d'un échantillon d'ADN parce que la personne en cause attendra sous les verrous ou chez elle. Si c'était là une justification valide sur le plan constitutionnel, le même argument devrait pouvoir s'appliquer aux empreintes digitales. Je ne prétends pas être médecin, mais je ne crois pas que vos doigts puissent disparaître non plus.

Tout comme on peut prendre des empreintes digitales à n'importe quel moment, on peut prélever un échantillon d'ADN en tout temps. C'est donc là un argument spécieux et trompeur.

Le sénateur Bryden: Si des empreintes digitales sont prises au moment de l'arrestation, sont-elles détruites si la personne en cause est jugée non coupable plus tard?

M. Danson: Seulement sur demande.

Le sénateur Bryden: Elles ne sont pas automatiquement détruites?

M. Danson: Elles ne sont pas détruites à moins qu'une demande ne soit reçue à cet effet.

Le sénateur Bryden: Sont-elles détruites si la personne est arrêtée, mais n'est pas mise en accusation?

M. Danson: Encore une fois, c'est seulement fait sur demande. Mes collègues pourront peut-être vous donner plus de détails à ce sujet.

M. Tweedy: On ne prend les empreintes digitales d'une personne que si elle est inculpée.

Le sénateur Bryden: Le point auquel je veux en arriver, c'est qu'il n'y a pas de distinction entre la prise d'empreintes digitales et le prélèvement d'un échantillon d'ADN. Vous noterez que je vous cite.

M. Danson: Il n'y a pas de distinction sur le plan constitutionnel.

Le sénateur Bryden: À votre avis, si un accusé sur lequel on a prélevé un échantillon d'ADN est acquitté, l'échantillon devrait être détruit.

M. Danson: Il serait détruit en conformité de la loi, à défaut de quoi la personne responsable s'exposerait à de graves conséquences pénales. Incidemment, cette disposition figure déjà dans le projet de loi, mais dans d'autres contextes.

Le sénateur Bryden: Cela ne devrait-il pas s'appliquer également aux empreintes digitales?

M. Danson: La réponse à cette question met en évidence le point que nous cherchons à établir. La Cour suprême du Canada n'a pas jugé utile de soumettre cela à l'épreuve constitutionnelle. Cela n'empêche pas le Parlement de faire un choix législatif à cet égard.

Le fait que la Cour suprême du Canada ne l'ait pas exigé comme principe constitutionnel confirme que notre proposition comporte en réalité plus de sauvegardes que dans le cas des empreintes digitales.

Le sénateur Bryden: Cela revient à une question d'équité. Si vous proposez que les échantillons d'ADN soient détruits, je m'attendrais à ce que vous accordiez le même traitement aux empreintes digitales. Exact?

M. Danson: Cela serait évidemment très logique. Toutefois, ce sont les représentants du ministère de la Justice qui, dans leurs arguments relatifs au danger des analyses génétiques, font une distinction. Nous n'acceptons pas ces arguments, mais nous avons une réponse à donner à ceux qui les acceptent. Nous proposons des sauvegardes législatives pour apaiser ces préoccupations.

Le sénateur Bryden: J'ai moi aussi été avocat. J'essaie d'obtenir une réponse directe. Si les échantillons d'ADN doivent être détruits en cas d'acquittement, seriez-vous d'accord pour que la même chose s'applique, en vertu de la loi, aux empreintes digitales?

M. Danson: Comme avocat, vous savez sans doute que je suis ici à titre de conseiller juridique de l'ACP. Je n'ai jamais posé cette question et je ne suis donc pas en mesure d'y répondre. Si vous voulez connaître mon opinion personnelle, je serai heureux de la donner. Personnellement, je crois que si la Cour suprême du Canada a statué, dans l'affaire Beare, que ce n'est pas nécessaire, c'est que ce n'est pas nécessaire.

Le sénateur Bryden: Puis-je poser la même question au président de l'Association?

M. Obst: Je peux vous dire que cette question particulière n'a jamais été débattue. Je ne connais pas la position de l'ACP sur le sujet.

Je tiens cependant à préciser que la police ne prend pas d'empreintes digitales à moins que la personne n'ait été mise en accusation. Vous pouvez être arrêté, mais si vous n'êtes pas inculpé, on ne prendra pas vos empreintes digitales. Il n'y a pas d'empreintes sans mise en accusation.

Le sénateur Beaudoin: Je m'inquiète surtout de la Charte canadienne des droits et libertés. Tout le monde cite l'opinion du juge Cory selon laquelle, même si la question n'a pas été soulevée, il semblerait que les dispositions récentes du code permettant l'analyse génétique répondraient à toutes les exigences constitutionnelles. Le problème est qu'il ne s'agit que d'une opinion incidente. Cela ne veut pas dire que la cour ne ratifierait pas cela, mais ce n'est pas une décision en soi.

En second lieu, la loi qui a été examinée dans ce cas impose l'obtention d'un mandat judiciaire pour prélever des échantillons de substances corporelles. Cela étant dit, l'ADN ne me préoccupe pas d'une façon générale. Nous devrions tirer parti de la science. Mon problème porte sur le moment. Pourquoi prélèverait-on un échantillon au moment de l'arrestation? Beaucoup de personnes appréhendées ne sont jamais ni mises en accusation ni déclarées coupables.

Le moment est important d'un point de vue juridique. Bien sûr, il établit des restrictions sur les dispositions concernant les perquisitions et les saisies. Comme vous l'avez dit cependant, cela pourrait être justifié en vertu de l'article 1 de la Charte dans une société libre et démocratique. Toutefois, nous sommes très divisés. Le juge La Forest a été beaucoup plus sévère que les autres juges sur ce point. Il interprétait l'article 8 de la Charte, qui traite des fouilles, perquisitions et saisies, d'une manière très libérale, parce qu'il s'agissait d'une menace à la vie privée de tous les citoyens du Canada.

Pourquoi voulez-vous que l'échantillon soit prélevé au moment de l'arrestation? Cela se ferait-il toujours sans autorisation judiciaire?

M. Danson: Pour les fins de la discussion, disons plutôt que ce serait fait au moment de la mise en accusation.

Le sénateur Beaudoin: La différence est considérable.

M. Danson: Je vous répondrai par une question identique, qui pourrait être soulevée au sujet de la prise des empreintes digitales: «Pourquoi pas au moment de la mise en accusation?» Devrions-nous prendre dans tous les cas les empreintes digitales d'une personne qui est inculpée? La Cour suprême du Canada a jugé que c'était là un exercice valable de l'autorité de l'État, qui ne va pas à l'encontre des articles 7 ou 8 de la Charte concernant les fouilles, perquisitions et saisies.

Dans Stillman, qui est l'affaire dans laquelle le juge Cory s'est prononcé, il y a une très importante distinction parce que la police n'avait pas le pouvoir légal de faire ce qu'elle a fait dans cette affaire. Cela est très important. Vous le constaterez tout le long de ma lettre et dans toute la décision Stillman.

La Cour suprême du Canada a dit à maintes reprises qu'en l'absence d'un pouvoir légal, la police agit en vertu des pouvoirs que lui confère la common law au moment de l'arrestation. Il y a donc une énorme différence de fait entre cette situation et celle où une loi du Parlement traite explicitement de la question en prévoyant les sauvegardes nécessaires. Je pose l'hypothèse que les arrêtistes ont bien rédigé la décision et que cette importante distinction était délibérée.

Il y a deux autres facteurs fondamentaux dans l'affaire Stillman. Les conclusions relatives à la conduite de la police étaient extrêmes. Elles critiquaient sévèrement les mesures prises par la police dans ces situations. C'est quelque chose qui ne se produirait pas dans le contexte du projet de loi C-3.

Le second facteur porte sur les empreintes dentaires, qu'il a fallu une heure et demie pour réaliser, à comparer à une fraction de seconde. Permettez-moi de vous donner un autre exemple, peut-être plus pratique.

Supposons que l'assassin de Christine Jessop soit pris dans une affaire de cambriolage. Il sait que s'il est déclaré coupable de vol avec effraction -- infraction évidemment mineure par rapport au meurtre --, il subira une analyse génétique en vertu du projet de loi C-3. Il sait qu'en cas de déclaration de culpabilité, il deviendra le premier suspect dans l'affaire du meurtre de Christine Jessop.

Quelles chances aurait cette personne d'être mise en liberté sous caution après avoir été accusée de vol avec effraction? Vous avez entendu plus tôt que 90 p. 100 des gens inculpés d'infractions criminelles obtiennent une libération sous caution. Par conséquent, si cette personne est ainsi libérée, il est très peu probable qu'elle se présente à son procès, sachant qu'une déclaration de culpabilité lui mettrait automatiquement sur le dos la responsabilité du meurtre de Christine Jessop.

C'est un exemple pratique des effets du prélèvement d'empreintes génétiques au moment de l'arrestation, effets qui seraient très précieux pour la police.

Le sénateur Beaudoin: Rejetez-vous l'opinion selon laquelle le prélèvement de substances corporelles sur une personne arrêtée, sans autorisation judiciaire préalable, ne serait pas jugé acceptable en vertu de la Charte, en tant qu'exercice raisonnable du pouvoir du Parlement?

M. Danson: Je rejette en effet cette opinion. Je pourrais vous donner une réponse écrite la semaine prochaine parce que je n'ai pas formulé mon point de vue dans ce contexte.

Le sénateur Beaudoin: Faites, je vous en prie, parce qu'il est évident que les avocats ne s'entendent pas tous sur tous les points.

Vous semblez croire que l'analyse génétique est analogue à la prise d'empreintes digitales, mais il y a une grande différence. Ne croyez-vous pas que l'analyse génétique, du moins à première vue, est plus effractive que la prise d'empreintes digitales?

M. Danson: C'est une importante question. On est en train de mettre au point une technique qui permettra de prélever de l'ADN sur une empreinte digitale.

Le sénateur Beaudoin: Cela résoudrait votre problème.

M. Danson: C'est important cependant parce que le fait même situe bien le problème. La décision du juge Hill, qui est mentionnée dans toutes les opinions, constitue le premier jugement qui examine d'une manière approfondie le caractère effractif de l'analyse génétique. Il a conclu que la différence, sur ce plan, entre la prise d'empreintes digitales et le prélèvement d'un échantillon de muqueuse buccale à l'intérieur de la joue, est marginale.

Le sénateur Beaudoin: Mais une empreinte digitale n'est qu'une empreinte digitale, tandis qu'une analyse génétique est l'équivalent d'une encyclopédie: tout est là.

M. Danson: Vous avez parfaitement raison, mais il est trompeur d'évoquer ce point dans la loi. L'opinion de juges distingués est qu'une empreinte digitale n'est qu'une empreinte digitale, tandis que l'ADN en dit beaucoup plus sur l'ascendant génétique, les maladies et tout le reste.

La banque de données génétiques ne fait pas tout cela. Lorsqu'un test d'ADN est effectué, le résultat est une série de chiffres, disons, A4617. C'est ce code qui est introduit dans l'ordinateur. C'est ce code qui est recherché. L'ordinateur ne contient pas d'autres renseignements.

Vous l'avez vu dans l'opinion des juges. C'est de cela qu'ils parlaient.

Le sénateur Grafstein: La nuit dernière, nous avons exploré ce point longuement et d'une manière approfondie. Le comité est très conscient de la distinction à faire entre les empreintes digitales et ce qui sera conservé dans une banque de données génétiques. Nous avons passé plusieurs heures sur ce point précis, la nuit dernière. Nous sommes donc très au courant de ces questions.

M. Danson: Permettez-moi de dire, avec le plus grand respect, que les distingués juges se trompent sur ce point.

Le sénateur Grafstein: Je ne suis pas sûr de la conclusion à laquelle vous aboutissez, mais nous sommes sûrs des faits.

Le sénateur Nolin: Si vous avez quelque chose par écrit, veuillez nous le faire parvenir.

Le sénateur Grafstein: Nous serions heureux de toute aide que vous voudrez bien nous donner.

La présidente: Nous devons recevoir un autre groupe plus tard. Peut-être pourrions-nous raccourcir les réponses pour que les sénateurs qui figurent sur ma liste puissent poser quelques questions.

M. Obst: Je voudrais faire une observation en réponse à la question précédente. En ce qui concerne le mémoire de l'ACP et de notre deuxième recommandation, l'association appuierait de tout c<#0139>ur un amendement du Sénat qui proposerait le prélèvement d'un échantillon au moment de la mise en accusation et non au moment de l'arrestation. Je voudrais que cela soit bien clair.

Le sénateur Beaudoin: Êtes-vous en train de modifier votre mémoire?

M. Obst: Oui. Je pensais que la recommandation parlait de mise en accusation plutôt que d'arrestation. Il s'agit de notre deuxième recommandation, à la page 9 du mémoire. Tous nos arguments concernant ce point en particulier sont fondés sur le prélèvement de l'échantillon au moment de la mise en accusation, pas à celui de l'arrestation.

La présidente: Comme cela se fait actuellement dans le cas des empreintes digitales?

M. Obst: C'est exact.

La présidente: M. Danson dit qu'on pourra bientôt prélever l'ADN sur les empreintes digitales, parce que celles-ci contiennent des cellules de la peau.

Le sénateur Joyal: Monsieur Danson, vous dites que vous aimeriez que la Cour suprême soit saisie des aspects constitutionnellement contestables du projet de loi. Il y a la constitutionnalité de l'interprétation de l'article 8 de la Charte en rapport avec les fouilles, perquisitions et saisies et la tenue d'une banque permanente de données génétiques. Le juge Dubin a soulevé un doute raisonnable au sujet de la constitutionnalité du projet de loi. Par ailleurs, certains témoins nous ont pressés d'agir rapidement. Ce matin, votre exposé nous demandait d'une façon générale de recommander l'adoption rapide du projet de loi.

Seriez-vous d'accord si notre rapport au Sénat et au gouvernement recommandait de renvoyer une série de questions à la Cour suprême du Canada et de retarder l'adoption du projet de loi en attendant la réponse?

M. Danson: Absolument. Il est préférable d'agir correctement au départ pour épargner beaucoup de temps par la suite.

Le sénateur Joyal: Vous avez également dit que la loi au Royaume-Uni autorise le prélèvement d'échantillons au moment de l'arrestation. Hier, on nous a dit que la loi britannique est d'une assez grande portée. Vous préconisez l'adoption de privilèges semblables.

Avez-vous des statistiques sur le nombre d'acquittements? On nous a affirmé que cette mesure serait aussi efficace pour trouver les coupables que pour acquitter les innocents. Si nous devons peser notre décision, il nous faut trouver l'équilibre entre les avantages et les inconvénients du système. Ce serait donc utile pour nous d'avoir quelques statistiques sur la situation. On nous a fait plusieurs déclarations à cet égard, mais nous n'avons pas de faits pour les étayer.

M. Danson: Nous ne pouvons pas vous en donner aujourd'hui, mais nous vous les ferons parvenir.

Le sénateur Joyal: Je crois comprendre que c'est un argument qui est souvent repris. Je voudrais donc le mettre en perspective.

Vous avez également mentionné l'exception qui figure à l'article 487.051 et en vertu de laquelle on peut demander à être exempté du prélèvement d'échantillons. Vous craignez qu'on ne présente d'innombrables appels qui compromettraient l'efficacité de votre travail. Sur quoi basez-vous cette crainte?

M. Obst: Nous nous interrogeons sur les circonstances auxquelles pensaient les auteurs du projet de loi lorsqu'ils ont rédigé cette disposition. J'essaie d'imaginer une situation dans laquelle un individu inculpé d'une infraction figurant dans la liste serait en mesure de démontrer que le prélèvement d'un échantillon aurait sur sa vie privée des effets tellement disproportionnés qu'il devrait en être exempté. Je n'ai pas réussi à trouver des circonstances dans lesquelles cela serait justifié. Toutefois, la présence de cette disposition crée une échappatoire pouvant enrayer le système si on cherche à prouver l'existence d'effets disproportionnés sur la vie privée.

Le sénateur Joyal: En d'autres termes, serait-il préférable de retarder une décision plutôt que de vous refuser l'autorisation de prélever un échantillon?

M. Obst: C'est exact.

La présidente: Nous ferez-vous donc parvenir une réponse à la deuxième question du sénateur Joyal?

M. Danson: Oui.

Le sénateur Grafstein: Je suis enchanté d'accueillir M. Danson au comité. Il vient d'une famille distinguée qui a rendu de grands services au public. Je crois qu'il vaut la peine de noter cela dans notre compte rendu.

Je tiens également à souhaiter la bienvenue au sergent-détective Tweedy. Je viens du Grand Toronto où sa réputation n'est pas à refaire. Lorsque je suis arrivé à Toronto pour y pratiquer le droit criminel, domaine auquel j'ai dû renoncer beaucoup trop tôt, je me souviens d'un grand ami de la famille qui m'a beaucoup conseillé et qui avait le même grade que vous. C'était l'un des policiers les plus connus de Toronto lorsque que je m'y étais établi en 1955. Son attitude et sa réputation étaient fameuses, de même que le fait qu'il avait capturé le gang des Boyd. C'était un grand sergent-détective et un excellent ami personnel. Je tenais également à le mentionner.

J'aimerais beaucoup disposer de certaines statistiques sur cette question, si vous pouvez nous en fournir. Tout d'abord, le Royaume-Uni a un plus vaste éventail d'infractions désignées, commençant par le vol avec effraction. Je ne connais pas trop bien la loi en question. Pouvez-vous nous dire si elle permet le prélèvement d'échantillons d'ADN au moment de l'arrestation? Quelles sont les données statistiques fondées sur cette différence et que s'est-il produit?

Je crois savoir que les prélèvements d'ADN sont prévus dans les lois de chacun des États des États-Unis. Pouvez-vous nous fournir des données statistiques, nous parler des répercussions de ces prélèvements à la fois sur les arrestations et les mises en accusation?

Enfin, la question dans votre texte concerne les échantillons. C'est un point qui relève de la vie privée et qui nous intéresse de près. J'ai noté que vous recommandez l'ajout d'une disposition imposant la destruction des échantillons. Vous êtes d'avis, maître -- et je vous en félicite --, qu'il faudrait inculper les gens qui omettent de le faire.

La nuit dernière, on nous a dit que cela coûterait trop cher. Si j'ai bien compris, un certain nombre de gels d'ADN sont testés dans le cadre d'un même processus. On nous a expliqué que 26 ou 29 sont testés et qu'il serait trop coûteux et trop inefficace de retirer les échantillons de la base de données. Pouvez-vous nous présenter des faits qui prouvent le contraire? Ce serait utile.

Vous pourriez peut-être, pour nous aider, lire les témoignages de la nuit dernière. Vous y verrez que nous avons longuement examiné tout cela. Comme le sénateur Joyal l'a mentionné, nous craignons les répercussions sur la vie privée. Il serait extrêmement utile pour nous de connaître votre point de vue, surtout si vous vous montrez aussi déterminé au sujet de cette proposition, pour une question d'équité.

M. Obst: Pouvons-nous obtenir une transcription des délibérations de la nuit dernière?

Le sénateur Grafstein: Nous vous la ferons parvenir.

Le sénateur Bryden: Madame la présidente, pouvons-nous demander la même information au ministère de la Justice?

La présidente: Certainement. Un représentant du ministère de la Justice est assis au fond de la salle. Je suis sûre que le ministère sera enchanté de fournir ces renseignements.

Le sénateur Buchanan: Vous avez mentionné que le projet de loi impose qu'une personne ait commis plus d'un meurtre ou d'un viol pour qu'il soit possible de prélever sur elle un échantillon d'ADN. Le comité de la Chambre des communes était-il au courant de ce fait?

M. Danson: Dans sa forme actuelle, le projet de loi nécessite qu'il y ait plus d'un meurtre ou d'un viol. Si le Parlement du Canada souhaite faire ce choix législatif, il est libre de le faire et il peut expliquer ses motifs aux Canadiens. Toutefois, la réponse que j'ai reçue, c'est qu'une exigence constitutionnelle imposait que le projet de loi soit libellé ainsi. Nous avons demandé quelle était cette exigence, mais nous n'avons pas reçu de réponse. J'en conclus que cette disposition n'a aucun motif.

Le sénateur Buchanan: Cela a-t-il été porté à l'attention du comité de la Chambre des communes?

M. Danson: Je crois qu'on l'a fait. Je peux me tromper, bien sûr, mais j'ai l'intime conviction que la plupart des députés de la Chambre des communes qui ont voté sur ce projet de loi n'étaient pas conscients de ce fait.

La présidente: Je vous remercie beaucoup d'avoir comparu devant le comité. Vous nous avez donné de quoi alimenter notre réflexion et nous poser bien d'autres questions à l'avenir.

Nos témoins suivants représentent l'Association canadienne des chefs de police.

M. Brian Ford, président, Comité de modifications aux lois, chef, Service de police d'Ottawa-Carleton: Je suis chef du Service de police régional d'Ottawa-Carleton et président du comité de modifications aux lois de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Bryan McConnell, directeur exécutif de l'Association canadienne des chefs de police, qui est également membre du comité de modifications aux lois.

Depuis que j'ai assumé la présidence de ce comité de l'ACCP, j'ai eu le plaisir de comparaître à plusieurs occasions devant votre comité pour parler de diverses mesures législatives. Chaque fois que je suis venu, les représentants de l'association et moi-même avons été chaleureusement accueillis. Nous sommes convaincus que votre comité se soucie beaucoup des problèmes et des défis auxquels sont confrontés les agents de police partout au Canada. Nous vous sommes très reconnaissants de votre appui et de l'intérêt que vous portez à ces questions.

Nous sommes venus aujourd'hui pour vous transmettre un message simple mais important au sujet du projet de loi C-3, qui traite de la banque de données génétiques. Nous vous demandons d'adopter ce projet de loi afin de permettre aux agents de police de progresser dans leurs enquêtes destinées à appréhender les auteurs d'infractions graves. En vous demandant d'adopter le projet de loi, je voudrais vous dire que nous sommes conscients de ses lacunes. Nous en avons parlé à vos collègues de la Chambre des communes lorsque nous avons comparu devant le comité permanent de la justice et des droits de la personne en février 1998.

Nous avons en particulier exprimé notre préoccupation au sujet du moment du prélèvement des échantillons. Le projet de loi ne permet le prélèvement d'échantillons qu'après une déclaration de culpabilité. Comme d'autres, nous avons proposé que le prélèvement ait lieu au moment de la mise en accusation. C'est là une question importante en ce qui concerne le volume et, partant, l'efficacité des données devant être recueillies.

De toute évidence, le moment du prélèvement a des répercussions sur l'application de tout le projet de loi. Je serais incapable de vous dire aujourd'hui que nous avons complètement renoncé à cette position. Ce ne serait pas vrai. Toutefois, je crois fermement qu'un voyage de mille kilomètres doit commencer par un premier pas. Nous comprenons que le prélèvement d'échantillons au moment de la mise en accusation ne survivrait pas actuellement à une contestation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, d'après les opinions exprimées par trois juges distingués. Nous les avons lues et nous comprenons leur point de vue.

Toutefois, la clé de la position que nous adoptons aujourd'hui réside dans l'engagement que le gouvernement a pris de revoir cette mesure législative trois ans après sa mise en vigueur. C'est sur cet engagement que se fonde notre appui. Je ne crains pas de dire que nous espérons qu'une mise en <#0139>uvre réussie du projet de loi C-3 prouvera la valeur de cette mesure législative. En même temps, nous sommes certains que la communauté policière saura recueillir et conserver l'information en cause de façon à en préserver la confidentialité et à protéger l'intégrité du système.

Nous sommes convaincus que, dans trois ans, la police sera en mesure de démontrer que le projet de loi a sauvé des vies, a prévenu des crimes et a offert aux agents de police un outil d'enquête efficace et légal. Dans trois ans, le projet de loi aura fait ses preuves au service des victimes et de la police. Il aura montré, comme nous l'avons énergiquement dit devant le comité de la Chambre des communes, sa valeur préventive. Toutefois, ces arguments ne peuvent être invoqués de façon convaincante qu'après une période de succès. À ce moment, soyez certains que nous soulèverons à nouveau la question du moment du prélèvement des échantillons.

Madame la présidente, l'Association canadienne des chefs de police a hâte de voir le projet de loi mis en vigueur et à la disposition des agents de police du Canada. À notre avis, le genre de crimes qu'il nous permettra de combattre et le genre de victimes qu'il nous permettra d'aider exigent qu'il soit mis en vigueur immédiatement. C'est une mesure législative d'une grande importance pour la communauté policière.

En conclusion, nous voulons vous dire encore que ce projet de loi est important. Je ne saurais trop insister là-dessus. Vous noterez que nous ne sommes pas accompagnés aujourd'hui par nos conseillers juridiques, ce qui nous empêchera peut-être de répondre à des questions spécialisées. Nous ne sommes que de simples agents de police, bien que M. McConnell soit un ancien commissaire adjoint de la GRC. Nous ne sommes ici que pour vous dire que le projet de loi est extrêmement important. Il a des lacunes, mais rien dans la vie n'est parfait. Nous avons besoin d'une base de données. Comme je l'ai dit, il faut bien faire un premier pas. Nous aurons l'occasion dans trois ans de revoir le processus. Je crois qu'à ce moment, nous présenterons nos arguments d'une façon plus énergique.

Le sénateur Grafstein: Nous avons des témoignages contradictoires au sujet de ce projet de loi. Le ministère dit qu'il est urgent et qu'il faudrait l'adopter le plus tôt possible. Par ailleurs, les représentants de l'Association des policiers ont dit qu'ils préféraient un projet de loi d'une plus grande portée qui résisterait à une contestation présentée en vertu de la Charte. Maintenant, vous nous dites que le projet de loi est imparfait, mais que vous voulez quand même aller de l'avant. Que devons-nous faire?

M. Ford: Notre association voudrait que le projet de loi soit adopté. C'est un important outil de lutte contre les infractions graves.

Nous n'avons pas actuellement une banque de données, mais nous en avons désespérément besoin. Oui, certains points de vue ont été exprimés tout à l'heure, j'en ai écouté quelques-uns. Ce sont bien sûr des préoccupations tout à fait légitimes, que nous partageons d'ailleurs. Toutefois, nous croyons fermement que le projet de loi devrait être adopté sans délai.

Nous aurons l'occasion de revenir et de poursuivre nos efforts en vue d'obtenir des amendements et des modifications, en travaillant de concert avec les représentants du ministère de la Justice. Nous pourrions également exercer des pressions sur certaines personnes à la Chambre des communes.

Le sénateur Grafstein: Le Sénat joue un rôle différent depuis l'adoption de la Constitution de 1982. L'une de nos principales responsabilités est de nous assurer que les projets de loi qui nous sont présentés sont constitutionnels.

Nous avons le devoir, à titre de législateurs, d'assumer nos responsabilités et d'adopter une technologie nouvelle et importante. Il n'y a pas de doute que cette technologie est importante et que nous devrions l'appliquer le plus tôt possible, mais nous devons prendre les précautions constitutionnelles nécessaires. C'est le dilemme du comité.

Il n'y a pas de doute que nous souhaitons aller de l'avant, mais nous devons le faire avec prudence, du point de vue constitutionnel. Si nous adoptions le projet de loi et qu'une contestation de sa constitutionnalité retarde ensuite d'importantes enquêtes criminelles, nous aurions choisi une voie coûteuse et difficile. Voilà le problème auquel nous devons faire face.

M. Ford: Lorsque le projet de loi a été présenté, juste avant les dernières élections, nous avions envisagé cette position. Nous étions fermement d'avis que, malgré le dilemme constitutionnel, il était préférable pour faire respecter la loi et prévenir le crime de prévoir le prélèvement d'échantillons au moment de la mise en accusation.

Toutefois, l'Association canadienne des chefs de police et son comité de modifications aux lois ont longuement examiné la question constitutionnelle qui se posait. Nous étions d'avis que le projet de loi, tel qu'il a été présenté par le nouveau gouvernement, nous donnait les meilleures chances d'éviter une contestation constitutionnelle ayant de bonnes chances de réussir, contestation qui nous aurait en fait tous placés dans une situation très embarrassante. Nous appuyons le projet de loi dans sa forme actuelle parce qu'il est clairement entendu qu'il comporte une disposition de révision.

Nous n'avons pas actuellement une banque de données. Nous en avons besoin pour empêcher les criminels de faire de nouvelles victimes et pour poursuivre nos enquêtes avec succès. Grâce à la disposition de révision, nous aurons l'occasion, en tant que société, d'examiner comment la loi fonctionne et de déterminer collectivement qu'elle comporte des lacunes auxquelles il sera alors possible de remédier. Certaines de ces lacunes ne pourront pas être corrigées à cause de la Constitution. Notre conception d'une lacune pourrait ne pas tenir devant une contestation constitutionnelle. À l'heure actuelle, nous n'avons rien et nous avons besoin de cette base de données.

Le sénateur Joyal: Vous insistez sur le fait que vous avez besoin de cette base de données, mais sa création soulève des questions constitutionnelles à cause des dispositions de la Charte. Si un avocat contestait la constitutionnalité de la banque de données, à quel point pensez-vous que cela compromettrait l'efficacité de cette mesure législative?

M. Bryan McConnell, directeur exécutif, Association canadienne des chefs de police: La contestation n'aurait aucun effet si elle ne réussissait pas.

Le sénateur Joyal: Un avocat peut se présenter devant un tribunal pour demander une injonction interlocutoire permettant de suspendre l'application de la loi. Le tribunal aurait alors à décider s'il convient ou non d'accorder l'injonction.

Nous ne voudrions pas que peu de temps après l'adoption et la mise en vigueur du projet de loi, la constitutionnalité de la banque de données soit contestée devant les tribunaux. Qu'arriverait-il au reste de la mesure législative? Nous avons besoin de considérer ce qui arrivera concrètement si nous acceptons votre point de vue.

M. McConnell: Si nous établissons la base de données et que sa constitutionnalité soit contestée -- c'est une situation hypothétique, mais vraisemblable --, nous aurions toujours la base de données, nous aurions les échantillons et nous ne perdrions pas de temps.

Si un seul meurtrier est relâché entre aujourd'hui et le moment où le projet de loi entrera finalement en vigueur, nous n'aurons pas ses empreintes génétiques. Le temps presse.

Le sénateur Joyal: Pensiez-vous à l'article 13 du projet de loi lorsque vous avez parlé de la disposition de révision? L'article 13 prévoit un examen après cinq ans, mais vous avez parlé d'une période de trois ans.

M. McConnell: Le projet de loi dit clairement qu'il s'agit d'une période de cinq ans.

Le sénateur Andreychuk: Le public considère de très près l'ensemble du système d'administration de la justice. Il attend beaucoup de ce système, mais nous ne répondons pas toujours à ses attentes. Si nous adoptons une mesure législative, les gens vont se sentir en sécurité, ils auront l'impression que nous en faisons davantage pour les protéger. Toutefois, si la constitutionnalité de la mesure est contestée, ne portons-nous pas atteinte à l'idée que les gens se font de l'administration de la justice, n'ébranlons-nous pas leur confiance dans le système?

Les gens auront l'impression d'être trahis, ils ne comprendront pas toutes les ramifications constitutionnelles. Tout ce qu'ils verront, ce sera la disparition d'une garantie qu'ils croyaient avoir obtenue. Ne vaudrait-il pas mieux, dans ces conditions, nous assurer de la solidité de cette garantie avant de l'établir?

M. Ford: Le public croit vraiment que nous avons la technologie nécessaire. Il est vrai que nous l'avons, c'est la capacité juridique qui nous manque.

Nous croyons être fondés à établir une banque de données. Cette impression se base sur beaucoup de questions dont les médias ont parlé. On a signalé que la capacité juridique existe à d'autres endroits.

On blâmera les avocats, Dieu merci, pour les problèmes qui se poseront. Nous ne pouvons pas cesser d'agir par crainte d'une contestation en vertu de la Charte. Les membres du comité de la Chambre des communes m'ont demandé si le projet de loi était à l'abri d'une contestation constitutionnelle. Ma réponse, c'est qu'il l'est autant que n'importe quel autre projet de loi que le gouvernement adopte.

L'affaire Feeney a changé beaucoup de choses en ce qui concerne les mandats de perquisition, elle a établi de nouvelles règles juridiques. C'était tout à fait imprévisible au moment où la loi a été rédigée. Pourtant, la rédaction de la loi concernant les mandats de perquisition et l'entrée dans le domicile d'une personne pour un motif raisonnable ne remonte pas à si loin.

Tout projet de loi adopté par le gouvernement, y compris celui-ci, s'expose à être contesté en vertu de la Charte. Nous en sommes tout à fait conscients. Je ne suis qu'un profane, mais j'ai l'impression que ce projet de loi résistera autant à une contestation que n'importe quelle autre mesure législative. Les experts nous ont dit qu'il tiendra tel quel. Nous aurions eu des difficultés si le projet de loi avait permis le prélèvement d'échantillons d'ADN au moment de la mise en accusation. Les chances de succès d'une contestation auraient alors été plus grandes. Toutefois, le projet de loi est maintenant plus solide et nous croyons qu'il est important pour nous d'ajouter cet outil à notre trousse.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit qu'on blâmera les avocats. C'est une question importante. Lorsqu'on blâme les juges, c'est le système d'administration de la justice qui en souffre. Ce n'est pas le cas si les avocats ou la police sont blâmés. Nous devons prendre garde à protéger constamment le système d'administration de la justice.

Par ailleurs, si vous appuyez le prélèvement d'échantillons au moment de la mise en accusation, êtes-vous également en faveur de la mise en place d'un mécanisme de destruction des échantillons?

M. Ford: Oui.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce que le chef de la GRC fait partie de votre association?

M. McConnell: L'ancien président de l'Association canadienne des chefs de police était le commissaire adjoint de la GRC.

Le sénateur Andreychuk: La banque de données serait tenue par la GRC, qui dit qu'il est matériellement impossible de détruire les échantillons. En avez-vous discuté avec les représentants de la GRC?

M. McConnell: Nous parlons d'une situation hypothétique, c'est-à-dire la situation dans laquelle vous renverriez le projet de loi à la Chambre des communes. Cette question ne se pose pas, maintenant que le projet de loi n'autorise le prélèvement d'échantillons qu'après la déclaration de culpabilité et non au moment de la mise en accusation. La question est sans conséquence compte tenu de la forme actuelle du projet de loi.

Le sénateur Andreychuk: J'en suis bien consciente, mais je voulais savoir si vous seriez en faveur d'une modification qui autoriserait le prélèvement d'échantillons au moment de la mise en accusation.

M. Ford: Je ne sais pas vraiment, je ne dispose pas de tous les renseignements à ce sujet. En ce qui concerne l'Association, nous aimerions que le projet de loi soit adopté dans sa forme actuelle.

Le sénateur Bryden: Je comprends votre point de vue. En un certain sens, vous êtes disposé à progresser par étape. Toutefois, rien ne garantit que la mesure, dans sa forme actuelle, ne fera pas l'objet d'une contestation constitutionnelle. Je pense à l'article qui permet de prélever un échantillon sur un criminel déclaré coupable. Une fois qu'il a purgé sa peine, vous conservez quand même l'échantillon.

On trouvera toujours quelque chose. Il y a toujours un point de départ. Je crois que la proposition selon laquelle il conviendrait de demander à la Cour suprême de se prononcer d'avance sur la constitutionnalité du projet de loi retarderait considérablement son adoption. Comme je les connais, les juges n'aiment pas beaucoup les renvois abstraits. Ils préfèrent des faits et des cas concrets. C'est juste une observation, en passant.

Une fois le projet de loi mis en vigueur, avez-vous une idée de la mesure dans laquelle il sera utile? Je crois biens qu'il serait très utile si des échantillons d'ADN pouvaient être prélevés au moment de la mise en accusation, ce qui vous permettrait de monter toute une bibliothèque de profils génétiques. Mais, dans sa forme actuelle, à quel point le projet de loi vous sera-t-il utile?

M. McConnell: Sénateur, il faudra qu'il nous soit utile de deux façons. La première concerne les contrevenants qui ont déjà été condamnés. Si on retrouve le profil génétique plus tard, on a d'excellents indices permettant de retrouver le criminel.

Tout contrevenant qui a la moindre lueur d'intelligence aurait intérêt à y penser d'avance: s'il commet une autre infraction, on pourra le retrouver grâce à son profil génétique. C'est un puissant outil de prévention.

Le sénateur Bryden: Vous semblez considérer la disposition concernant l'examen à entreprendre dans cinq ans comme une sauvegarde. Vous dites que vous pourrez alors revenir à la charge. À mon avis, si le projet de loi remporte un certain succès, nous serions en meilleure position pour aller un peu plus loin, ce qui serait raisonnable, d'un point de vue constitutionnel.

On ne surveillera pas seulement le fonctionnement du système. On surveillera également la conduite des forces policières. À mon avis, on les contrôlera de très près. Je ne vois pas sur quelle base on pourrait abuser du système, dans sa forme actuelle. Je suis convaincu cependant que la police aura la responsabilité de s'en tenir très strictement aux dispositions du projet de loi surtout si, dans cinq ans, vous avez l'intention de demander les pouvoirs nécessaires pour prélever des échantillons au moment de la mise en accusation d'un suspect.

Êtes-vous d'accord?

M. Ford: Tout à fait.

La présidente: Vous avez dit très clairement que vous préférez que le projet de loi soit adopté tel quel tout de suite. Toutefois, vous avez une liste de préférences, dont l'une serait la possibilité de prélever des échantillons au moment de la mise en accusation.

Que pensez-vous, par ailleurs, de l'autre point soulevé par l'Association des policiers au sujet des exigences constitutionnelles? C'est aux pages 16 et 17 du projet de loi. Pour qu'il soit possible de prélever un échantillon d'ADN sur un criminel condamné, il faut qu'il ait été déclaré coupable de plus d'un meurtre ou de plus d'une agression sexuelle, commis à des moments différents.

Appuyez-vous la position de l'Association des policiers sur cette question? Préféreriez-vous que cette disposition soit également modifiée ou corrigée?

M. McConnell: J'ai écouté l'excellent exposé des représentants de l'Association canadienne des policiers et de M. Danson. Bien sûr, il est difficile de comprendre les motifs de cette disposition. Je ne les comprends pas, mais je ne suis pas avocat. Je ne sais pas pourquoi la Constitution imposerait qu'une personne ait été déclarée coupable au moins deux fois. Toutefois, lorsqu'il sera temps de réviser le projet de loi, il sera possible aux intéressés de se présenter et de dire à quel point cette disposition est inefficace.

Je ne comprends honnêtement pas, pas plus que l'ACP. C'est clairement un domaine auquel il faudra penser à l'étape de la révision.

Le sénateur Bryden: Je crois que la version actuelle de cette disposition découle des audiences du comité de la Chambre des communes. Ce n'est pas la version originale du projet de loi.

Au départ, on s'était inquiété du fait que la version originale du projet de loi ne permettait pas toujours de retrouver les récidivistes qui étaient déjà détenus, c'est-à-dire qui avaient commis des infractions avant l'entrée en vigueur de la loi.

Le problème était de trouver un moyen de le faire sans courir le risque d'une violation flagrante de la Charte. Si ces gens ont été jugés et déclarés coupables, ont purgé leur peine et ont été relâchés, comment pouvait-on prélever sur eux des échantillons d'ADN?

L'une des sauvegardes qu'on a trouvées pour se prémunir contre une contestation en vertu de la Charte était de considérer seulement les récidivistes. On ne procéderait à des prélèvements que s'il y avait plus d'un incident, ce qui justifierait l'atteinte à la liberté, à la sécurité de la personne et à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies. Je crois que c'est pour cette raison que nous avons cette disposition. Je ne l'appuie pas, mais je pense que c'est ainsi qu'elle s'est retrouvée dans le projet de loi.

M. McConnell: Si je comprends bien, il ne s'agit même pas de meurtres multiples, comme à Vernon, où plusieurs personnes ont été tuées en même temps. Je crois comprendre que la disposition impose des moments différents.

Le sénateur Joyal: L'interprétation du sénateur Bryden est importante, parce qu'elle soulève la question du prélèvement d'un échantillon sur une personne qui a déjà été libérée. Nous devrions vérifier cela. Il pourrait y avoir un autre moyen de régler le problème, qui éliminerait l'échappatoire sans pour autant laisser sans solution un problème aussi grave que celui que les témoins nous ont décrit.

Peut-être les fonctionnaires du ministère qui sont présents aujourd'hui pourront-ils examiner cette question et nous expliquer plus tard les motifs de cette disposition.

La présidente: Je suis sûre qu'ils le feront.

Je vous remercie d'avoir comparu, messieurs.

La séance est levée.


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