Aller au contenu
SAF2 - Comité spécial

Sécurité des transports (spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial de la
Sécurité des transports

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 10 juin 1999

Le sous-comité de la sécurité des transports du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour étudier l'état de la sécurité des transports au Canada.

Le sénateur J. Michael Forrestall (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous poursuivons notre étude de l'état de la sécurité des transports au Canada. Ce matin, nous avons le privilège de recevoir M. Gerald Marsters. M. Marsters possède environ 40 ans d'expérience dans le domaine de l'aviation, dans l'enseignement universitaire ainsi qu'en recherche et en développement. M. Marsters a été pilote et instructeur pilote dans l'Aviation royale du Canada de 1952 à 1958. Après cela, il a fait des études en génie mécanique à l'Université Queen's, puis en génie aérospatial à l'Université Cornell, où il a obtenu son doctorat en 1967. En janvier de cette même année, il a commencé à enseigner à l'Université Queen's, où il est devenu professeur de génie mécanique en 1974.

En 1982, après une année sabbatique, il a été nommé directeur de la Navigabilité à Transports Canada, poste qu'il a occupé pendant cinq ans, M. Marsters est ensuite devenu directeur général de l'Institut de recherche aérospatiale au Conseil national de recherches du Canada, poste dont il s'est retiré en 1994. De mars 1994 jusqu'à aujourd'hui, par l'intermédiaire de son entreprise, AeroVations, il a agi comme conseiller technique et conseiller en gestion auprès de clients du domaine de l'aérospatiale, tant du secteur privé que du secteur public. Il a été chargé de cours à temps partiel au programme de génie aérospatial de l'Université Carleton. Il est un pilote actif et possède une expérience de vol sur de nombreux aéronefs, dont des aéronefs à voilure tournante.

Ce matin, M. Marsters nous parlera de l'avenir de l'aviation sous l'angle de la sécurité. J'espère que vous ne pilotez plus de Sea King ou de Labrador.

M. Gerald F. Marsters, président, AeroVations Inc.: J'essaie de les éviter.

Le président: Nous vous écoutons.

M. Marsters: Merci, monsieur le président. Bonjour, honorables sénateurs. Je suis heureux de me présenter devant vous pour vous parler de la sécurité de l'aviation. Si j'étais un véritable futurologue, mes affaires comme consultant seraient probablement beaucoup plus prospères qu'elles ne le sont en ce moment. Il est très difficile de prédire l'avenir.

J'ai préparé des notes, mais je suis disposé à m'en écarter si les honorables sénateurs ont des questions à poser sur certains aspects sur lesquels mes compétences me permettent d'éclairer leur lanterne.

Je passe maintenant aux transparents que j'ai préparés.

Si l'on veut prévoir l'avenir, il faut savoir faire des estimations et des projections à partir de la situation actuelle. Les accidents majeurs d'aéronefs ont atteint un plateau à environ 1,5 par million de vols. Pour situer ce chiffre en contexte, disons que, si un avion décollait d'Ottawa à chaque minute, quinze mois s'écouleraient avant que se produise le premier accident. Bien sûr, il y a plus d'un décollage à chaque minute dans le monde.

Le transparent suivant montre le bilan des accidents mortels sur environ 17 ans. On voit qu'il y a en ce moment près de 50 accidents mortels graves chaque année, qui font entre 1 200 et 1 500 victimes. Vous connaissez tous ces faits, aussi il n'est pas nécessaire que je m'y attarde.

Le transparent suivant illustre la nature du problème. Au cours des prochaines années, certains disent d'ici 2015, d'autres d'ici 2010, le nombre de vols passera à environ 30 millions, soit près du double de ce qu'il est actuellement. Par conséquent, si le nombre d'accidents par million de vols reste inchangé, il doublera. C'est dire que, à l'échelle mondiale, il y aura un accident grave tous les 12 à 15 jours plutôt qu'environ un par mois.

Ce transparent montre où, dans le monde des voyageurs, il est susceptible d'y avoir une augmentation marquée du nombre d'avions et, par conséquent, de la probabilité d'accidents. Selon un numéro récent d'Aviation Week and Space Technology, la FAA estimait qu'il y avait entre 2 000 et 2 100 avions de transport de passagers dans le monde en ce moment et que ce nombre passerait à près de 3 000.

Peu de gens sont préoccupés par la sécurité. Les niveaux de sécurité dont nous jouissons sont remarquables, quoique le transport aérien ne soit pas, en soi, sûr. L'expression clé ici, c'est «en soi». Chaque année, lorsque je parle de sécurité aux étudiants de Queen's, je leur montre ce transparent. Ils en ont le souffle coupé. Ils demandent ce que je veux dire par «en soi». Mais pourquoi les gens penseraient-ils qu'il est sans danger de monter dans un cylindre de métal pressurisé et de s'envoler à huit milles du sol pour circuler presque à la vitesse du son?

Le président: Je ne pense pas cela.

M. Marsters: L'aviation n'est pas sûre, en soi. Cependant, les avions sont un moyen de transport extraordinairement sûr comparé à d'autres. Il est évident que, lorsque vous voulez voyager à la vitesse où se déplacent les avions, cela ne va pas sans risque.

L'accident du vol TWA-800, au large de New York, a provoqué une réaction immédiate dans le public. Les gens établissent des rapports entre les choses. Ils veulent maintenant des avions absolument sûrs, ils ne veulent plus aucun accident. C'est un excellent objectif. Cependant, pour être absolument sûr, il faudrait qu'il n'y ait plus aucun risque. Les seules personnes qui ne courent absolument aucun risque sont celles qui sont déjà mortes.

Si nous avons un bilan aussi positif, c'est parce que les systèmes actuels sont, à mon avis, très efficaces. C'est-à-dire que le seuil de tolérance des erreurs est très élevé. D'après ma propre expérience de pilote, je peux dire qu'il m'est probablement arrivé à une ou deux reprises au cours de chaque vol de commettre une erreur qui, pour une raison ou une autre, n'a pas eu de conséquence. Il s'agissait peut-être même parfois de deux ou trois erreurs. Le système, comme il est actuellement structuré, avec le niveau de perfectionnement des avions et le reste, permet au pilote de commettre quelques erreurs avant de se retrouver en difficulté. Comme vous le savez, les accidents résultent d'une accumulation d'erreurs plutôt que d'une seule erreur. Je suis convaincu que, chaque fois que j'ai piloté un avion, j'ai commis au moins une erreur, peut-être plus. J'ai tout simplement été chanceux que rien de grave ne m'arrive.

Le prochain transparent donne quelques exemples de ce que je veux dire par seuil de tolérance très élevé. Ce transparent porte sur les accidents survenus à Fredericton, Bruxelles, Gander, un PC 12, et, le dernier, à Gimli, un Boeing 767. Ces exemples démontrent que le système est extraordinairement efficace. C'est un miracle si personne n'a trouvé la mort dans l'accident de Fredericton. Toutes les conditions étaient réunies pour que ce soit un accident grave. Pourtant, pour des raisons qui ne sont peut-être pas totalement claires -- l'efficacité du système, peut-être la solidité de l'avion et la chance qui a fait pousser un pin là où il a poussé plutôt que quelques pieds plus loin -- personne n'est mort dans cet accident.

Peut-être n'avez-vous pas entendu parler de l'incident de Bruxelles. Un Boeing 767, je crois, de Northwest Airlines parti de Detroit ou Chicago faisait route vers Francfort, en Allemagne, mais s'est posé à Bruxelles, à la grande surprise de tout le monde, y compris de ceux qui se trouvaient dans la cabine de pilotage.

Le président: Le mauvais aéroport.

M. Marsters: Le mauvais aéroport. Il est pratiquement impossible de croire que cela soit possible aujourd'hui. Pourtant, les pilotes ont posé un Boeing 737 rempli de passagers à Bruxelles par erreur. Les passagers de première classe s'en sont rendu compte parce qu'ils regardaient la carte à l'écran. Ils pouvaient voir où ils allaient. Le personnel de la cabine de pilotage, avec toutes ses cartes, se demandait pourquoi il ne réussissait pas à parler aux gens à qui il voulait parler. Il faut que le système soit efficace pour que cet incident ne se soit pas terminé en accident grave. Les pilotes sont sortis des nuages, se sont alignés sur la piste et ont dit: «Nous sommes arrivés, mais nous ne savons pas trop où.»

L'accident du PC 12 est survenu à Gander, au Canada, il n'y a pas longtemps. Un monomoteur rempli de passagers -- j'oublie combien -- a réussi à faire un atterrissage forcé dans une zone marécageuse juste à l'extérieur de Gander. Vous êtes probablement au courant de cet accident. Nous venons juste d'approuver les monomoteurs pour le transport de passagers selon les règles de vol aux instruments au Canada. Je crois que c'est le premier cas de défaillance d'un monomoteur de ce type transportant des passagers. Encore une fois, l'efficacité du système et une chance incroyable ont empêché que cet accident cause des pertes de vie.

Le dernier incident est celui du Boeing 767 survenu à Gimli. Un avion parti de Montréal a fait escale à Ottawa, puis s'est envolé pour Edmonton sans avoir suffisamment de carburant pour se rendre à destination. Les moteurs se sont arrêtés au-dessus de Red Lake. Avec beaucoup de chance et grâce à un système efficace, l'équipage a réussi à poser l'avion à Gimli sans pertes de vie. Cet incident est survenu il y a assez longtemps, mais beaucoup d'entre vous s'en souviendront.

Les défis que j'entrevois dans l'avenir sont les défis que nous devons déjà relever. Le premier, c'est celui des «impacts sans perte de contrôle». On pourrait se demander pourquoi un pilote voudrait percuter le sol en gardant le contrôle de son appareil. Cependant, cela se produit fréquemment. En fait, on sait que c'est lors d'impacts sans perte de contrôle qu'il y a eu le plus de pertes de vie dans le domaine de l'aviation au cours des vingt à trente dernières années.

Ce qui se passe, c'est que les gens s'embrouillent, les installations au sol ont des ratés ou quelqu'un fait mal ce qu'il doit faire. La sensibilité situationnelle peut expliquer en partie de ce qui conduit à de telles situations. Au fur et à mesure que les avions deviennent de plus en plus complexes et que de plus en plus de fonctions sont prises en charge par des ordinateurs sans intervention directe du personnel de la cabine de pilotage, il est de plus en plus facile de perdre conscience de la situation, c'est-à-dire de ne plus savoir où on est.

L'expression «navigation verticale» n'existait pas lorsque j'ai appris à voler. La «navigation horizontale» entre en compte dans l'erreur qui a amené des pilotes à atterrir à Bruxelles plutôt qu'à Francfort. Ils ne savaient pas où ils étaient. La navigation verticale signifie que vous savez où vous êtes dans un plan vertical. Le taux de descente et la vitesse des avions étant si élevés, la compétence en navigation verticale est aussi importante, peut-être même plus, que la navigation horizontale.

La perte de sensibilité situationnelle a conduit à de graves accidents récemment. Le plus connu est probablement celui qui est survenu à Cali, en Colombie. Un équipage a reçu une nouvelle marge de franchissement et a entré les chiffres dans l'ordinateur, sans se rendre compte que l'appareil avait dépassé le point de compte rendu. L'ordinateur de bord a affiché comme message: «Je ne suis pas encore arrivé au point de compte rendu selon les nouvelles instructions». L'avion a fait un virage pour atteindre ce point. Le pilote automatique a fait le travail et l'avion a percuté une montagne. L'équipe de pilotage ne savait pas où l'avion se trouvait.

À mon avis, le problème que nous aurons beaucoup de difficulté à surmonter est celui de la formation. Il y a une pénurie de personnel de pilotage. Il manque de nouvelles recrues pour assurer la relève. Pendant des années, les sociétés aériennes ont pu compter sur des pilotes bien entraînés et très expérimentés sortis de l'armée. Cette source s'est à toutes fins utiles tarie. Le résultat, c'est qu'elles doivent maintenant embaucher des gens venus du système civil, qui, à mon avis, n'offre pas une formation aussi rigoureuse, longue, et le reste, que l'armée.

Nous savons que, aux États-Unis, des gens sont embauchés comme copilotes avec aussi peu que 300 heures de vol. Certains ont parlé, dans ces cas, de formation sur le tas. Ce n'est rien pour inspirer confiance.

La formation est assez déficiente en ce qui a trait aux situations inhabituelles. Récemment, on a signalé des cas où des situations inhabituelles s'étaient produites avant un accident. Il semble évident que les pilotes qui n'ont pas connu le plaisir de renverser un appareil, voire de faire de l'acrobatie aérienne, ne possèdent pas les qualités qu'il faut pour faire face à des situations inhabituelles.

Selon moi, la pénurie de pilotes bien entraînés constitue un problème grave et un énorme défi pour l'avenir.

J'arrive maintenant aux autres questions en émergence. Vous connaissez peut-être le sigle FOQA, pour l'expression «assurance de la qualité des opérations aériennes». British Airways utilise un système appelé BASIS, pour British Airways Safety Information System (système d'information sur la sécurité à British Airways) depuis déjà un certain nombre d'années. Il s'agit d'un système d'assurance de la qualité des opérations de vol. Le système FOQA est assez répandu en Europe, y compris au Royaume-Uni. Selon ce système, chaque vol est analysé pour dépister les situations qui s'écartent des pratiques standards, les «écarts». Le système FOQA n'a pas été mis en oeuvre aux États-Unis en raison de l'opposition farouche des pilotes, qui croient qu'il servira, peut-être abusivement, à justifier des mesures disciplinaires et le reste. Parce que je suis convaincu que nos voisins du sud sont excessivement portés sur les poursuites devant les tribunaux, je crois que, à moins qu'ils ne clarifient leur réglementation, cette situation entraînera énormément de difficultés pour les tribunaux.

Au Canada, il a été proposé il y a quelques années d'utiliser le système FOQA pour réaliser une étude. Malheureusement, je ne faisais pas partie de l'équipe qui a remporté l'appel d'offres, aussi n'ai-je pas pu suivre ses travaux. Cependant, je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup de progrès.

L'acronyme ADS signifie système automatique de suivi des vols. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas ce système, sachez qu'un avion qui en est équipé émet en permanence, ou toutes les quelques secondes, un signal indiquant sa position, sa vitesse et sa direction. Ce signal relativement faible ne peut être capté que dans un rayon de trois, quatre ou peut-être cinq milles. Cependant, un appareil équipé de ce système recevra le signal émis par un autre appareil qui en est aussi équipé, de telle sorte que chacun des deux équipages pourra connaître les coordonnées de l'autre appareil. Cela veut dire que les avions peuvent littéralement «se voir», même au milieu des nuages. Ce système peut aider les contrôleurs aériens à garder une distance suffisante entre les avions en vol.

Une des difficultés que nous avons, et que nous ne sommes pas à la veille de régler en raison de l'augmentation du trafic aérien, c'est le mélange d'appareils. Il y a ceux qui volent selon les règles de vol aux instruments, qui sont suivis en tout temps par les contrôleurs aériens et dont l'espacement est assuré par le système de contrôle aérien, et il y a ceux qui obéissent aux règles de vol à vue, c'est-à-dire, lorsque la visibilité est bonne, qui évitent les collisions selon les principes dits «voir et être vu» et «voir et éviter».

Le système ADS contribuera à prévenir les collisions entre aéronefs. Il s'agit d'un système cher, mais pas trop, et je crois que les gens commenceront à l'utiliser de plus en plus sérieusement. Je crois que Fed Ex, par exemple, est en train d'équiper sa flotte du système ADS, car elle le trouve très utile.

La troisième mention sur la liste, ce sont les véhicules aériens télépilotés ou aéronefs téléguidés. Nous n'en voyons pas encore beaucoup, mais je suis sûr que l'on peut prévoir qu'ils deviendront très nombreux dans l'avenir. Il faudra attendre encore une quinzaine d'années avant que ces aéronefs deviennent commercialement viables. Cependant, après une conversation que j'ai eue avec un de mes collègues de chez Boeing il y a quelques semaines, j'ai déduit que cette entreprise voyait des flottes entières d'aéronefs téléguidés pour le transport de courrier et de fret, soit de vieux 727, DC-9 et autres où le pilote est tout simplement remplacé par quelque gadget électronique. Je ne crois pas que je verrai de mon vivant des avions téléguidés transportant des passagers.

Vous serez peut-être intéressés de savoir que des aéronefs téléguidés ont souvent été utilisés comme avions de surveillance lors des récents conflits dans les Balkans. Ils ont été très efficaces. Ces aéronefs ont pu remplir des missions où on n'aurait certainement pas voulu voir des humains.

Il y a quelques semaines, j'étais en Angleterre et j'ai entendu un discours d'un très haut gradé de la RAF, la Royal Air Force, qui affirmait que, selon la politique actuelle de la RAF, il faudra dorénavant justifier qu'une personne se trouve dans un appareil dans une zone de combat. Dans le passé, cette situation était normale, mais, dorénavant, il faudra expliquer pourquoi une personne est dans un appareil dans une zone de combat.

Je veux maintenant parler de la culture de la sécurité. Personnellement, j'estime que la chose la plus importante que nous devons faire face à l'augmentation du trafic aérien, c'est de veiller à ce que la culture de la sécurité soit profondément ancrée dans tous les aspects opérationnels de l'aviation. Le professeur Weiner, de l'Université de la Floride, je crois, a présenté ce concept des quatre P.

L'idée, c'est que les entreprises doivent adopter une philosophie axée sur la sécurité. Il ne suffit pas que le président d'Air Canada affirme: «Nous aurons des avions sûrs» puis parte jouer au golf. Il doit imposer cette idée, la véhiculer dans toutes ses actions et faire comprendre à tout le monde que c'est quelque chose en quoi il croit personnellement.

Je ne peux pas parler au nom de Lamare Durette et je n'en ai pas non plus l'intention, mais je crois que c'est ce que les PDG des sociétés aériennes doivent faire.

Une telle attitude serait transposée dans les politiques que les gestionnaires élaborent sur l'utilisation des aéronefs, ce qui se répercuterait sur les procédures et, finalement, dans la pratique, c'est-à-dire dans les cabines de pilotage et dans tout ce qui a trait aux vols.

Un des problèmes rencontrés, c'est que, à moins que la culture de la sécurité n'émane des échelons supérieurs, il y aura toujours de grands écarts entre les procédures et la pratique. Dans les cabines de pilotage, le personnel prend souvent des raccourcis qui s'éloignent des procédures. Dans certains cas, cela peut conduire à des situations inhabituelles et à des accidents.

Par conséquent, la culture de la sécurité est, à mon avis, un de nos principaux garde-fous. Nous devons insister sur l'instauration d'une telle culture par tous les moyens à notre disposition. Il est sage d'exploiter une société aérienne sûre. Le bilan des sociétés aériennes sûres est toujours meilleur. Cependant, les pressions sont là pour amener les sociétés aériennes à tourner les coins ronds pour amener les passagers à destination.

On m'a demandé de parler brièvement des questions régionales. Cependant, ce n'est probablement pas le sujet sur lequel je suis le plus fort.

Au Canada, au fil des ans, et certainement lorsque j'étais dans le secteur de la réglementation, d'énormes pressions ont été exercées par quelques sociétés aériennes du nord qui veulent être exemptées de certaines règles d'application générale au Canada. Elles soutiennent notamment que les règles en Alaska sont légèrement différentes des règles appliquées dans les 48 États américains du sud. En d'autres mots, la FAA accorde un certain traitement préférentiel, donc certaines exemptions, aux sociétés aériennes de l'Alaska en raison du climat, de la géographie et le reste. Le climat et la géographie sont un peu plus hostiles dans le Nord. Là-dessus, le sénateur Adams pourrait certainement m'en apprendre davantage que n'importe qui d'autre. Quoi qu'il en soit, selon l'argument présenté par les sociétés aériennes du nord du Canada, elles devraient obtenir certains adoucissements des règles applicables à leurs vis-à-vis de Toronto.

La position que j'avais adoptée à l'époque, et que j'adopterais encore aujourd'hui, c'est que tous les Canadiens, peu importe où ils vivent, méritent le même niveau de sécurité. C'était alors ma position et je n'ai pas changé d'idée à ce sujet. On pourrait évidemment en discuter. Il y a des gens qui soutiendront une position contraire de façon très convaincante. Mais j'ai mon point de vue et je le maintiens.

Le dernier transparent montre la répartition des accidents à l'échelle mondiale. J'ai pris les données de 1998 en incluant les accidents avec décès et les accidents sans décès et je les ai regroupées par région: l'Europe occidentale; l'Amérique du Nord; l'Amérique du Sud; le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Europe de l'Est; l'Asie, c'est-à-dire surtout la Chine et l'Inde; l'Asie- Pacifique, qui inclut l'Australie et la Nouvelle-Zélande, entre autres.

J'ai fait quelques constatations intéressantes. Dans certains cas, l'Amérique du Nord ne fait pas bonne figure. Le problème vient du fait que, dans certaines régions isolées et moins développées du monde, les accidents et les incidents ne sont pas rapportés avec rigueur. Par conséquent, toutes les statistiques dont on peut disposer comportent des distorsions. Si vous examinez les données dans le détail, vous arriverez à la conclusion qu'il est préférable d'éviter de prendre l'avion dans certaines parties du monde. Je l'ai déjà dit ailleurs, les sociétés aériennes sud-américaines ne sont pas parmi mes favorites et il n'est pas particulièrement agréable de prendre l'avion en Afrique, pour toutes sortes de raison. La Chine fait assez bonne figure tandis qu'il y a encore quelques problèmes en Inde et dans certaines parties de l'Asie du Sud-Est.

Le sénateur Perrault: Qu'en est-il de la Russie?

M. Marsters: Une partie du problème, comme vous le savez, c'est que la santé et la sécurité des citoyens n'est pas vraiment une priorité pour les gouvernements de beaucoup de pays. Par conséquent, ils n'ont pas pris les précautions que nous avons prises dans le monde occidental pour protéger leurs citoyens. Certains abordent les questions de sécurité avec une nonchalante évidente.

Nous avons récemment approuvé l'utilisation d'un hélicoptère russe de transport lourd par l'industrie forestière occidentale. Il a fallu entre huit et dix ans de travail avec les Russes pour les amener à hausser leurs normes au niveau connu en Occident. Ils ont construit beaucoup de leurs appareils comme s'il s'agissait de machinerie agricole plutôt que de matériel aéronautique perfectionné.

Il y a des régions où les gouvernements ne sont pas axés sur les citoyens, ce qui fait qu'ils ne réglementent pas, qu'ils ignorent comment réglementer, qu'ils ne veulent pas réglementer ou qu'ils n'en ont tout simplement pas les moyens.

J'ai donné au secrétaire un exemplaire de la page titre du compte rendu d'une conférence sur la sécurité aérienne tenue aux Pays-Bas il y a environ deux ans. Le titre d'un des articles est «Ah, si j'étais riche!» et le sous-titre «Je n'aurais pas autant d'accidents». Si vous vous rendez dans les régions très pauvres du monde, restez sur le plancher des vaches ou soyez très prudent.

Selon un rapport d'accident paru en 1997, je crois, en Ukraine, 28 personnes ont trouvé la mort dans l'écrasement d'un avion conçu pour en transporter douze. Des collègues qui ont pris l'avion en Ukraine m'ont raconté que, si vous réussissez à monter à bord d'un avion et qu'on parvient à fermer les portes, un peu comme dans les trains japonais à grande vitesse, alors, vous pouvez voler. Que vous ayez un siège ou pas importe peu. Lorsque 28 personnes prennent place dans un avion conçu pour douze, cela veut dire que les passagers n'ont pas tous un siège. Il est préférable que vous restiez au sol ou même à la maison.

Les notes que j'avais préparées s'arrêtent ici. J'ignore si je vous ai parlé d'avenir avec autant de perspicacité que vous le souhaitiez, mais je serai heureux de rester et de discuter avez vous tant que vous le voudrez.

Le président: Vous nous avez donné une idée de l'avenir et je vous en remercie. Je suis très heureux que vous ayez parlé de l'adoption d'une culture de la sécurité parce que c'est un sujet qui intéresse le comité au plus haut point.

J'ai trouvé très intéressant de vous entendre dire que tous les Canadiens avaient droit au même niveau de sécurité dans le domaine de l'aviation. Qu'en est-il des Canadiens qui prennent l'avion dans les régions mentionnées sur votre dernier transparent? N'assumons-nous pas une certaine responsabilité pour ce qui est d'améliorer la sécurité de leurs déplacements dans les régions où il manque peut-être de bons services de navigation aérienne, où il y a peut-être de mauvaises pistes, de mauvaises communications et des conditions météorologiques différentes de celles auxquelles nous sommes habitués en Amérique du Nord? Ne devrions-nous pas faire quelque chose par l'intermédiaire d'institutions comme l'ACDI, par exemple, étant donné que 25 p. 100 des accidents pourraient être évités s'il existait de bonnes cartes? En essayant d'améliorer la sécurité des voyageurs canadiens, ne devrions-nous pas consacrer de l'argent à l'amélioration de la situation?

M. Marsters: Monsieur le président, je vous donnerai une réponse à deux volets. Tout d'abord, le mieux que nous puissions faire au nom des Canadiens qui veulent voyager dans ces régions, c'est de travailler au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI. L'OACI a mis sur pied un système d'examen des systèmes de sécurité qui existent dans tous les pays du monde. Cet organisation est probablement le meilleur instrument à notre disposition pour faire avancer les choses. Je ne suis pas convaincu que nous fassions jouer les leviers dont nous disposons à l'OACI avec toute l'énergie que nous pouvons y mettre et peut-être devrions inviter nos délégués auprès de cette organisation à redoubler d'ardeur. L'OACI éprouve quelques problèmes parce qu'elle fonctionne par consensus et que, lorsque le consensus va dans le sens de l'inaction, il n'y a pas grand-chose qui se fait.

Les États-Unis ont adopté à cet égard une approche beaucoup plus proactive. En fait, ils ont mis sur pied un groupe de surveillance qui se rend dans les pays étrangers qui ont des vols à destination des États-Unis. Ce groupe visite leurs installations et il en fait une vérification ou une évaluation. Si les normes de ces pays ne sont pas satisfaisantes, le groupe leur dira ceci: «Nous ne voulons pas que vos appareils volent aux États-Unis parce que vos systèmes ne satisfont pas aux normes actuelles de l'OACI.» Cela veut parfois dire ceci: «Vos systèmes ne satisfont pas aux normes de la FAA.» Parfois, cela veut aussi dire ceci: «Nous protégeons l'industrie américaine et nous ne voulons pas de vos vols. Nous voulons pouvoir offrir des vols aller-retour à destination de votre pays.» Dans ce cas, il y a un certain protectionnisme qui intervient, entre autres choses.

À mon avis, le Canada ne peut pas adopter une attitude aussi ferme, mais le fait de collaborer avec l'OACI est une bonne solution.

Le deuxième volet de ma réponse, c'est que nous avons une certaine responsabilité, mais qu'il est difficile de nous en acquitter. Actuellement, je crois que le ministère des Affaires étrangères recommande aux Canadiens de ne pas visiter certains points névralgiques et qu'il les prévient que s'ils le font, ils s'exposent à des dangers. Dans cette optique, je pense que le ministère pourrait offrir le même genre de services aux voyageurs éventuels et leur dire que les risques sont plus élevés à certains endroits qu'à d'autres. Il s'agirait d'un service relativement passif. Cependant, je ne vois pas comment on peut empêcher les Canadiens de se rendre à un endroit qu'ils veulent réellement visiter.

Le sénateur Roberge: Le gouvernement devrait-il aussi se charger de prévenir les voyageurs que certains transporteurs aériens ont des dispositifs de sécurité à la limite de l'acceptable?

M. Marsters: Ce serait assez délicat d'agir de la sorte à moins que nous soyons réellement disposés à faire une vérification et à établir qu'un transporteur aérien ne fait pas ce qui convient et ne respecte pas les normes.

Par expérience, nous savons qu'à une certaine époque, les avions en provenance de Cuba ou ceux qui arrivaient à Gander en provenance de l'Union soviétique atterrissaient court, qu'ils arrachaient des feux de piste et qu'ils repartaient endommagés. La situation s'est toutefois améliorée. Il faudrait avoir de très sérieux arguments pour pouvoir déconseiller aux gens de voyager à bord des appareils de tel ou tel transporteur aérien. C'est quelque chose de très grave. À mon avis, nous devrions alors faire une vérification pour établir nos préoccupations en matière de sécurité.

Le sénateur Perrault: Votre exposé était fort intéressant. Compte tenu des statistiques, vous dites que nous pouvons nous attendre à une augmentation du nombre de personnes tuées dans des accidents d'avion. Est-il vrai que la technologie évolue en matière de sécurité? L'écart sera-t-il aussi grand?

J'ai perdu un grand-oncle dans un écrasement d'avion. Il était un pionnier de l'air aux États-Unis. De nos jours, un orage comme celui qui l'a tué aurait probablement été détecté, et son appareil ne se serait probablement pas écrasé.

M. Marsters: Vous avez parfaitement raison. Je pense que la technologie en matière de sécurité progresse, mais probablement pas aussi rapidement que l'augmentation du trafic aérien. Ce qui est inquiétant, c'est que le plateau dont j'ai parlé -- 1, 1,5 ou 2 pertes-coques par million de départs -- est stable depuis un certain nombre d'années. Il n'y a pas eu beaucoup de changement, et c'est pour cette raison que j'ai parlé de «plateau».

Ce que nous devons faire, c'est abaisser ces chiffres et les garder stables pour encore dix ans, mais ce n'est pas facile.

Nous devons prendre d'autres mesures afin d'assurer la formation, de sensibiliser les personnes concernées aux accidents avec impact sans perte de contrôle, d'améliorer et de perfectionner nos aides à l'atterrissage et de faire en sorte que les pilotes possèdent une parfaite sensibilité situationnelle. Nous devons nous assurer que ceux qui font ce travail continuent de le faire efficacement parce que c'est un travail très monotone.

Le sénateur Perrault: Avec les commandes de vol électriques, le pilote s'assoit et il n'a pratiquement rien à faire.

M. Marsters: Certains disent que, dans l'avenir, il y aura dans la cabine un pilote et un chien. Le chien sera chargé de mordre le pilote s'il essaie de faire quoi que ce soit.

Le sénateur Perrault: L'Allemagne a lancé un autre zeppelin. À votre avis, le zeppelin a-t-il un avenir dans l'industrie canadienne ou dans toute autre industrie?

M. Marsters: C'est un sujet dont on parle et qui tombe dans l'oubli régulièrement depuis de nombreuses années. Le problème avec les véhicules plus légers que l'air, avec les zeppelins, les ballons et le reste, c'est qu'ils sont très vulnérables aux vents forts. Si la vitesse maximale d'un véhicule est d'environ 30 noeuds et que les vents sont de 40 noeuds, le véhicule va alors aller à la vitesse du vent.

Il y a eu de nombreuses propositions préconisant d'utiliser ces appareils comme machinerie lourde forestière et pour d'autres applications du genre. Ces appareils sont extrêmement sûrs. Ils contiennent de l'hélium et, du fait de leur volume si important, ils peuvent résister à une très large déchirure et mettre beaucoup de temps avant d'amorcer leur descente. De ce point de vue, ils sont donc très sûrs.

Il y a longtemps que je n'ai pas préconisé l'utilisation de véhicules plus légers que l'air. Nous avons étudié ces véhicules. Lorsque je m'occupais de réglementation, nous avons étudié les règlements visant ces appareils. À un moment donné, il y avait un appareil de ce genre qui survolait Toronto, le site de l'Exposition nationale canadienne et le centre-ville, mais, à ma connaissance, ce phénomène est en perte de vitesse. Aux États-Unis, on utilise surtout ces appareils pour les matchs de football.

Le sénateur Perrault: Le dirigeable Good Year en est un exemple.

M. Marsters: Le dirigeable Good Year en est effectivement un exemple.

Le sénateur Adams: Je veux parler de la culture de la sécurité. Les aéronefs qui sont construits de nos jours sont très rapides, contrairement aux Single Otter ou aux Twin Otter. C'est dans cette optique que l'on pense à la culture de la sécurité. Dans les années 60, j'ai commencé à me rendre en avion dans des localités du Nord. J'étais électricien et je n'avais d'autre choix que de prendre l'avion pour aller faire du travail d'entretien et autre. Je mettais parfois deux jours à me rendre à un endroit pour y faire deux heures de travail.

Depuis 1977, je prends l'avion à destination et en provenance d'Ottawa. Je voyageais autrefois à bord d'appareils de type Single Otter et Twin Otter, et ce sont maintenant des 737 qui font le trajet. Les nouveaux pilotes doivent avoir énormément d'heures de formation. De nos jours, l'ordinateur fait tout. Après le décollage, il suffit d'entrer les données dans l'ordinateur.

Autrefois, je prenais place dans la cabine et le pilote me demandait de prendre les commandes pour lui parce qu'il avait certaines notes à prendre. De nos jours, on ne peut plus faire cela.

Au sujet de l'accident de Fredericton, le bureau de la sécurité a dit que le copilote n'avait pas suffisamment d'expérience des atterrissages dans des conditions météorologiques difficiles. Chaque fois que je monte à bord d'un avion, je me demande si le pilote est compétent et s'il a de l'expérience, car je ne sais rien de lui.

M. Marsters: Nous tenons mordicus à l'idée qu'il faut avoir confiance dans les autorités chargées de la réglementation et dans l'honnêteté et la franchise des transporteurs aériens. Il me semble que, dans le cas de l'accident de Fredericton, la réglementation était un peu trop vague, car un manque d'expérience était en cause. Le pilote n'avait pas assez d'expérience pour faire le travail qu'il était censé accomplir.

Votre problème -- en fait notre problème, mais le vôtre en particulier -- est intéressant parce que vous avez dû vous rendre souvent dans le nord et en revenir. Le climat est hostile là-bas, et l'on doit souvent composer avec des gens inexpérimentés. Ce qui se produit généralement, c'est que quelqu'un qui veut devenir pilote de ligne obtient un permis et travaille ensuite dans le nord pour accumuler des heures à bord de monomoteurs de type Otter et Beaver. Par conséquent, celui qui pilote le monomoteur de type Beaver à bord duquel vous prenez place n'a peut-être pas beaucoup d'expérience. Il accumule des heures qu'il inscrit dans son carnet de vol de manière à pouvoir dire à Air Canada qu'il est un pilote d'expérience. Il acquiert son expérience à vos dépens. Il nous reste à espérer que la réglementation et l'honnêteté des transporteurs suffisent à garantir la sécurité de leurs activités.

Je pense que nous avons eu beaucoup de chance, au fil des ans. Il y a un facteur chance qui intervient. Par ailleurs, si l'on disait qu'il faut imposer des règlements plus sévères, il s'ensuivrait de très graves répercussions économiques sur le nord. Il faut privilégier la culture de la sécurité, mais il faut aussi établir une sorte d'équilibre entre les besoins, de manière à assurer la sécurité des voyageurs à bord des avions tout en garantissant le bien-être économique des localités visées.

Le sénateur Maloney: Vous avez dit que des pilotes qui volent aux États-Unis ont accumulé 300 heures de vol. Êtes-vous satisfait de la formation que reçoivent actuellement les pilotes à l'emploi des grands transporteurs aériens au Canada?

M. Marsters: Oui. Je pense que notre structure en matière de réglementation est bonne. J'ai été un peu surpris lorsque les conclusions de l'enquête sur l'accident survenu à Fredericton ont été rendues publiques et que l'on a appris qu'un copilote avec relativement peu d'expérience avait tenté de faire un atterrissage périlleux. Dans ces circonstances, le capitaine aurait dû prendre les commandes de l'avion et effectuer l'atterrissage. Il aurait peut-être éprouvé les mêmes difficultés. Ce n'est pas clair.

L'erreur a été de poursuivre l'atterrissage. Cela laisse supposer que certaines personnes peuvent se faufiler dans le système et accéder à des postes qui les amènent à piloter des appareils sans avoir suffisamment d'expérience. En général, le Canada a toutefois une bonne structure de réglementation.

Je n'ai pas abordé cette question auparavant, mais je tiens à dire qu'une des choses qui me préoccupent sur le plan de la réglementation, c'est que, même si le Canada occupe une place importante parmi les pays qui construisent des aéronefs et que Bombardier est le troisième constructeur d'aéronefs dans le monde, les règles régissant la construction d'aéronefs, les normes de conception et ainsi de suite sont essentiellement déterminées aux États-Unis. Puisque le Canada joue maintenant un rôle de premier plan dans la construction d'assez gros avions de transport à réaction, il devrait aussi jouer un rôle de premier plan dans l'élaboration des règlements. Or, il n'en est rien. Nous ne jouons pas ce rôle de premier plan parce que nous n'avons pas la capacité de le faire au sein de l'organisme de réglementation qu'est Transports Canada. Comme tous les autres, cet organisme a été frappé par les compressions.

Il y a actuellement une innovation. L'aéronef à hélice rotative et à décollage et à atterrissage vertical qui est actuellement mis au point par la société Bell requiert une nouvelle série de règlements et normes. Le Canada devrait participer à leur élaboration, mais parce que nous n'avons pas l'effectif pour le faire, nous ne participons pas aux travaux. On nous transmettra donc les règlements à respecter. Le FAA élabore actuellement les exigences concernant l'aéronef à rotors basculants et, à ma connaissance, nous n'avons pas voix au chapitre. J'ai récemment parlé de cette question aux membres du groupe chargé de la sécurité du transport aérien, et cela constitue un problème.

Le sénateur Perrault: S'agit-il d'un hélicoptère?

M. Marsters: C'est un hélicoptère lorsqu'il atterrit et un avion lorsqu'il est en vol.

Le sénateur Perrault: C'est donc un appareil comme le chasseur britannique?

M. Marsters: Oui, mais cet appareil-là est à réaction, alors que celui-ci est turbopropulsé. En vol horizontal, il ressemble à un avion. Les propulseurs sont très grands, mais ils font exactement ce qu'il faut. Au moment d'atterrir, on incline les moteurs et l'on a alors un hélicoptère birotor.

Le sénateur Perrault: C'est excellent pour certaine pistes d'atterrissage.

M. Marsters: C'est la solution à bien des problèmes, mais elle est coûteuse et il faut prendre grand soin de certaines caractéristiques de conception.

Les transporteurs aériens canadiens sont généralement sûrs. Ils sont assujettis à une réglementation efficace et, même si je ne pense pas qu'ils agissent par pur altruisme, ils sont parfaitement sûrs.

Le président: À deux occasions, nous avons entendu le témoignage de M. Hueppner, qui effectue une étude commandée par le président Clinton -- une étude qui devait coûter 40 millions de dollars à l'origine, mais dont le coût, aux dernières nouvelles, frôlait les 300 millions de dollars et ne semblait pas vouloir cesser de grimper -- une étude visant simplement à prouver que tout va pour le mieux dans nos cieux. Avez-vous pris connaissance de cette étude?

M. Marsters: Non, je n'en ai pas pris connaissance.

Le président: L'étude en question vise à donner raison au président Clinton et à prouver que nous pouvons éviter l'écrasement d'un mastodonte au bout d'une piste tous les dix jours. Ceux qui prennent l'avion partout dans le monde espèrent que le président a parfaitement raison.

Si vous en étiez à vos débuts et que vous envisagiez une carrière dans l'aéronautique au Canada, y a-t-il une université ou un centre de formation que vous choisiriez? Je reviens sur le dernier volet de la réponse que vous avez donnée au sénateur Maloney et dans lequel vous avez dit que nous n'avons pas les ressources nécessaires dans la fonction publique. Les ressources nécessaires sont peut-être dans les entreprises et le secteur privé, mais nous n'avons pas encore mis en place de véritables centres d'excellence. Une des solutions réside peut-être là? Il n'est peut-être pas toujours nécessaire que le gouvernement fournisse les fonds et que les contribuables paient la note.

Les personnes les plus compétentes sont peut-être des gens comme vous qui ont à coeur, du point de vue légal, les progrès en matière de sécurité.

M. Marsters: À ma connaissance, monsieur, il n'existe actuellement aucun centre au Canada et je n'en vois aucun sur le point de voir le jour. Si l'on me demandait de mettre sur pied un centre axé sur la sécurité en matière de transport aérien, je devrais d'abord essayer d'en définir les composantes, car elles sont nombreuses.

Je me dirais d'abord que je dois composer avec les facteurs humains de l'entreprise. Je devrais me pencher sur la composante humaine en interaction avec un appareil.

À ma connaissance, à l'heure actuelle, les seuls établissements où l'on pourrait peut-être créer une organisation qui s'occuperait de cette question sont l'Institute for Aerospace Studies de l'Université de Toronto -- bien que celui-ci s'intéresse surtout au volet fabrication, à l'aspect matériel de l'affaire -- ou l'Université York, où certaines personnes ont fait des études intéressantes sur les aspects liés aux facteurs humains, sur les fonctions cognitives et ainsi de suite. Il serait peut-être possible de créer là un centre d'excellence, mais il doit exister une certaine motivation en ce sens.

Même si j'aimerais beaucoup créer pareil centre, je ne suis pas suffisamment riche pour le faire. Il faudrait qu'il existe une certaine motivation à cet égard. Il faudrait certainement avoir au moins l'appui moral des grands transporteurs aériens de notre pays. À mon avis, ce ne serait pas facile d'en arriver à cela. Souvent, les transporteurs tentent de faire faire leur travail.

L'idée est excellente. Si nous pouvions trouver un bienfaiteur très fortuné, ce serait très utile.

Le sénateur Roberge: À votre avis, le comité devrait-il recommander que tous les avions canadiens de transport de passagers ou certains d'entre eux soient dotés des dernières innovations technologiques dont vous avez parlé, par exemple celles qui sont liées aux accidents avec impact sans perte de contrôle ou aux systèmes automatiques de suivi des vols?

M. Marsters: Les systèmes automatiques de suivi des vols en sont à leur début. C'est un concept merveilleux, et des essais de validation sont en cours aux États-Unis. Il est cependant trop tôt pour dire si l'on devrait exiger la présence de pareils systèmes.

Puisque vous me le demandez, je recommanderais à Transports Canada d'évaluer les systèmes automatiques de suivi des vols afin de déterminer si l'on devrait ou non exiger leur installation à bord des avions de passagers. Il prématuré de dire qu'il faut exiger l'installation d'un tel dispositif dorénavant. C'est une bonne idée, mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir avant de la mener à bien.

M. Bruce Carson, conseiller principal du comité: Ce qui est principalement ressorti des discussions que nous avons eues avec M. Hunter aux États-Unis, c'est la collégialité qui doit exister dans la cabine, le fait que tout le monde doit participer à la prise de décisions et ainsi de suite. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Marsters: Depuis un certain nombre d'années, la GPAA ou gestion du personnel affecté aux aéronefs est un aspect important de la formation que reçoivent les membres d'équipage des transporteurs aériens. Il fut un temps où le capitaine était le chef et où l'on ne mettait jamais en doute son autorité. Il lui arrivait, à l'occasion, d'adresser la parole à son premier officier. Il avait quatre galons et était quelqu'un de très important. Il y avait un énorme clivage entre le capitaine et le reste de l'équipage. Il n'était pas normal que l'occupant du banc de droite mette en doute ou commente ce que le capitaine faisait ou ne faisait pas. L'arrogance est le mot clé pour décrire pareille situation.

L'idée de la GPAA, c'est de mettre un terme à cette arrogance, d'établir un climat de collégialité dans la cabine et avec les autres membres d'équipage qui peuvent éprouver des problèmes dans la partie arrière de l'avion, de donner aux personnes concernées la possibilité de communiquer, de contester les décisions prises par autrui et de travailler efficacement ensemble. En dernière analyse, dans une situation exceptionnellement délicate, la démocratie n'est toutefois pas la solution idéale pour diriger le poste de pilotage. Quelqu'un doit prendre une décision et la mettre à exécution.

À mon avis, si nous passions plus de temps à analyser les enregistrements des conversations qui se déroulent dans le poste de pilotage, nous serions mieux en mesure d'évaluer l'efficacité de la GPAA. Malheureusement, les employés du Bureau de la sécurité des transports sont les seuls à avoir accès aux enregistrements des conversations dans les postes de pilotage, ce qui rend impossibles l'examen et l'analyse de ces conversations.

Par rapport à l'accident de la Swissair, on peut faire des hypothèses -- et ce ne sont là que de pures suppositions -- sur l'efficacité de la GPAA au moment de l'accident. Certains articles de journaux que j'ai lus m'amènent à penser qu'il subsistait encore certains vestiges de l'attitude où quelqu'un dit que c'est lui le capitaine et pas les autres. Je suis peut-être injuste envers le capitaine en disant cela, mais d'après certains articles que j'ai lus, il semble qu'il dirigeait les opérations sans mettre à contribution toutes les ressources. La situation était toutefois intolérable et elle a connu un dénouement tragique.

La gestion du personnel affecté aux aéronefs est un outil précieux et il demeurera important de déployer des efforts en ce sens.

M. Carson: Sur une de vos diapositives, vous présentez les trois défis à relever: l'accident avec impact sans perte de contrôle, la sensibilité situationnelle et la formation. S'agit-il là des trois aspects de la sécurité qui vous préoccupent le plus?

M. Marsters: Je dois répondre par l'affirmative. Il ne fait aucun doute que l'accident avec impact sans perte de contrôle est une importante cause de décès lorsque surviennent des accidents d'aéronefs de passagers. Il faut faire quelque chose à cet égard. Si l'on possède une sensibilité situationnelle, l'avion ne devrait pas s'écraser. Il y a donc un lien entre la sensibilité situationnelle et l'accident avec impact sans perte de contrôle. Vu le nombre élevé de décès attribuables aux accidents avec impact sans perte de contrôle, je dirais donc que c'est très certainement une priorité.

À mon avis, le problème de la formation vient du temps relativement limité passé avec les copilotes, d'une formation pas aussi rigoureuse qu'on pourrait le souhaiter et du fait qu'on n'apprend pas aux pilotes à composer avec des comportements d'aéronef inhabituels.

Le président: Quelqu'un avec qui j'ai conversé et qui possédait une expérience d'un peu plus de 30 000 heures de vol m'a dit que c'était rare, mais qu'il arrivait qu'un copilote ne croit pas qu'on puisse piloter un avion sans tout l'appareillage dont sont actuellement dotés les gros aéronefs. Le copilote n'a pas reçu une formation qui lui permet d'avoir confiance dans l'art de piloter un gros aéronef. Il est ici question de gros-porteurs. Cela nuit à la formation. Dans le cadre de la formation, on n'apprend plus aux pilotes à faire des acrobaties aériennes.

M. Marsters: Plus de nos jours.

Le président: Je veux encore qu'on installe des parachutes dans les appareils ultra légers. Mes collègues pensent que je suis cinglé.

M. Keith Miller, expert-conseil en matière de transport auprès du comité: Monsieur Marsters, je crois que lorsque vous vous occupiez des règlements, vous étiez en faveur d'une réglementation identique pour le sud et le nord. Les règlements concernant le transport de matières dangereuses sont-ils les mêmes dans le nord et dans le sud?

M. Marsters: Je ne pense pas pouvoir répondre à cette question, monsieur. Sincèrement, je n'en sais rien. J'imagine qu'il doit y avoir des dérogations et des rajustements, mais peut-être pas tant que cela lorsqu'il est question de matières dangereuses. D'après mon expérience limitée du transport en région montagneuse et dans le nord, on assure le transport de gens qui ont une vie bien différente de celle que nous menons dans les villes du sud. J'ai assisté à un exercice où l'on déplaçait, en Colombie-Britannique, des pompiers d'un camp de lutte contre les incendies à un autre. J'ai constaté avec étonnement que toutes ces personnes qui faisaient la queue avaient une ou deux armes avec elles, ce qui est généralement interdit à bord des avions. Dans ce cas-là, nous avons pu ranger les armes dans certains compartiments de l'aéronef situés à l'extérieur de l'espace habité de l'avion.

Je suppose que dans le nord, il est beaucoup plus fréquent de transporter des munitions à bord d'un appareil. Par exemple, si j'essayais de monter à bord d'un avion à Toronto avec mes poches pleines de munitions, je ne réussirais probablement pas. Je pourrais même me retrouver dans un endroit inconfortable pour un certain temps.

Je pense toutefois qu'en raison des activités dans le nord, les règles sont plus souples et que des dérogations sont autorisées. Ma réponse doit toutefois se limiter à cela.

M. Miller: Lors de notre passage à Yellowknife l'an dernier, certains transporteurs locaux se sont plaints des règlements à cet égard. Je suis indécis depuis et je ne sais pas trop quelles exemptions sont prévues par Transports Canada. Nous allons toutefois vérifier cela auprès de ce ministère.

Vous avez rédigé un article sur les vérifications de sécurité dans les pays étrangers, article qui a été publié récemment dans le quotidien The Ottawa Citizen. Dans cet article, vous dites que le Canada ne devrait pas, à votre avis, s'inspirer du système américain de vérifications de sécurité dans les pays étrangers. Cette question préoccupe le comité dans une certaine mesure. Plusieurs se sont dits d'avis que nous devrions nous en remettre à l'OACI pour les vérifications de sécurité dans les pays étrangers.

Je crois qu'il y a eu à Montréal, en 1997, une conférence des directeurs généraux à l'issue de laquelle on a recommandé d'effectuer des vérifications de sécurité obligatoires dans tous les pays ou tous les États membres et d'étendre la portée de ces vérifications de manière à ce qu'elles englobent les activités au sol. Dois-je déduire de vos observations que si nous voulons nous assurer que les vols des transporteurs étrangers à destination et en provenance du Canada sont sécuritaires, nous devrions essayer d'amener l'OACI à accroître le nombre de ses employés chargés d'effectuer pareilles vérification de sécurité?

M. Marsters: Oui, monsieur, c'est ce que je pense. Le Canada est un pays relativement petit, qui dispose de ressources limitées pour faire cela, et l'organisme le plus efficace pour s'acquitter de cette tâche serait l'OACI. De l'avis de certains, l'approche américaine, par l'entremise de la Federal Aviation Administration, est parfois un peu sévère. Je préconise d'accomplir ce travail par l'entremise de l'OACI et d'épauler les efforts que cet organisme déploie.

Un des problèmes avec l'OACI, c'est que cette organisation fonctionne par consensus et que ses réalisations reposent essentiellement sur la volonté des intéressés. Je crois toutefois savoir que récemment, depuis que j'ai rédigé mon article, l'OACI a adopté un système de vérification plus rigoureux. Sincèrement, compte tenu de la place que notre pays occupe dans le monde, je ne pense pas que nous ayons la capacité de faire ce que la FAA a accompli et je ne pense pas que nous devrions avoir des aspirations en ces sens. C'est mon opinion personnelle.

M. Miller: Merci, monsieur Marsters. Je trouve cette idée très intéressante.

Le président: Monsieur, nous avons appris énormément au cours de la dernière heure. Vous nous avez aidés, car vous avez confirmé une partie de la réflexion que nous poursuivons. J'aurais voulu entendre votre témoignage le premier jour et non pas le 400e jour de nos audiences. J'aimerais aussi que le Canada crée un centre d'excellence, de manière à ce que nous puissions jouer un rôle dans le secteur général de l'aviation à l'échelle mondiale.

Ainsi, nous avons construit des installations aéroportuaires à la Barbade, non pas parce que les anciennes installations n'étaient pas sûres, mais parce qu'elles étaient inefficaces. Nous avons établi des systèmes de contrôle de la circulation. Nous sommes très compétents dans ce genre d'activités. Ces services ne sont pas coûteux.

La séance est levée.


Haut de page