Aller au contenu
SAFE

Sous-comité de la sécurité des transports

 

Délibérations du sous-comité de la
Sécurité des transports

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 25 mars 1998

Le Sous-comité de la sécurité des transports du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 35 pour étudier l'état de la sécurité des transports au Canada et mener une étude comparative des considérations techniques et des structures juridiques et réglementaires, dans le but de vérifier que la sécurité des transports au Canada est d'une qualité telle qu'elle répondra aux besoins du Canada et des Canadiens au prochain siècle.

Le sénateur J. Michael Forrestall (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous avons la chance d'avoir aujourd'hui avec nous M. Navin, ingénieur et professeur de génie civil à l'Université de la Colombie-Britannique. Il est également membre du conseil d'administration de Hamilton Associates de Vancouver. Il est accompagné de Mme Suzanne Hemsing, ingénieure en transport pour la même entreprise.

Veuillez commencer.

M. Frank P. D. Navin, professeur, faculté de génie civil, Université de la Colombie-Britannique: Merci beaucoup, monsieur le président.

J'aimerais vous présenter Mme Suzanne Hemsing, qui travaille avec moi lorsque j'agis comme consultant. Elle a emménagé à Ottawa, et elle s'occupera dorénavant de sécurité routière en Ontario. J'aimerais également m'excuser de ne pouvoir vous présenter qu'un rapport rédigé en anglais seulement, mais j'ai dû le préparer à très court délai et mes compétences en traduction sont extrêmement limitées. Je m'en excuse.

J'aimerais souligner pour vous quelques-uns des principaux points de ce rapport. Celui-ci est, par définition, général. Je ne me suis pas attardé aux détails. J'ai simplement tenté de mettre en évidence certaines des questions majeures.

Le diagramme très simple qui figure à la page 1 du rapport illustre l'accroissement de la mobilité depuis 1970. Vous pouvez voir que le nombre de kilomètres parcourus, le nombre de véhicules sur les routes et l'étendue du réseau routier sont tous à la hausse. De façon générale, les déplacements sur les routes ont augmenté d'à peu près 200 p. 100 depuis les années 1970.

De même, au chapitre de la sécurité, les statistiques générales portant sur les décès, les blessures graves et les accidents montrent qu'accidents et blessures graves sont eux aussi plus fréquents. Le nombre d'accidents a grimpé d'environ 150 p. 100 depuis 1970. Le seul point positif en matière de sécurité routière depuis les années 1970 tient à la réduction du nombre des décès, qui ont diminué d'environ 50 p. 100. Au Canada, notre dossier est juste un peu meilleur que celui de la plupart des autres démocraties occidentales.

Les chiffres atteignent des proportions assez grandes puisqu'on enregistre un peu moins de 4 000 décès par année au Canada. Aux États-Unis, on parle de près de 50 000 décès, et dans le monde entier, d'environ un quart de million de personnes. C'est considérable.

Soit dit en passant, les automobiles roulent depuis environ cent ans. Durant ce siècle, on a déploré entre 30 et 40 millions de décès sur les routes, soit plus que la population du Canada.

Ayant lu le programme dont le greffier m'a fait part, j'aimerais d'abord parler de l'incidence de la technologie sur la sécurité routière.

Mes recherches, ainsi que quelques autres auxquelles j'ai participé, indiquent qu'environ la moitié des décès évités l'ont été grâce à la technologie de la sécurité. Plus précisément, les progrès notés dans les statistiques sont attribuables à la ceinture de sécurité, à la réduction des limites de vitesse et aux dispositifs de sécurité à bord des véhicules. Nous savons que d'autres facteurs ont amélioré la sécurité routière, mais nous ne pouvons les quantifier dans les statistiques nationales. Ce sont notamment l'éclairage des intersections et les aménagements qui rendent l'accotement plus doux et plus sûr. Nous pouvons les évaluer à des endroits précis, mais ils donnent peu d'indications dans les données nationales.

Vous constaterez que dans mon rapport, j'ai tiré une série de conclusions. Je me contenterai d'en dégager les grandes lignes.

Ainsi, à la deuxième page, le paragraphe 6 porte sur l'un des principaux points de mon document, à savoir que la technologie devrait avoir comme objectif premier de réduire ou même de supprimer les risques de décès et de blessure grave.

Le risque est défini comme étant la combinaison de la probabilité d'être impliqué dans un accident et des conséquences de cette implication lorsqu'elle se produit.

Le comité m'a demandé d'examiner une question très intéressante reliée à la culture de la sécurité. La plus grande partie de mes commentaires découlent du paragraphe 8. Les Suédois ont tiré des conclusions similaires, mais il vaut la peine de les répéter.

On peut se poser la question suivante: voulez-vous qu'un membre de votre famille ou un ami périsse dans un accident de la route? La réponse est en général négative. Mais on peut aller plus loin. On en arrive en fin de compte à établir que l'absence de décès ou de blessures graves sur les routes doit constituer la seule solution ou politique morale d'un gouvernement que préoccupe la sécurité routière.

Comme le savent les membres du comité, la Suède a adopté cette vision de suppression totale. Je ne m'y attarderai pas, sauf pour souligner qu'en adoptant cette position, le gouvernement, ses organismes et les autres spécialistes de la sécurité routière peuvent avoir une très bonne idée des mesures à prendre. La sécurité routière devient alors prioritaire, au même titre que les secteurs réglementés comme l'environnement, les engagements financiers et le reste.

Dans mon rapport, je donne des détails sur la façon dont cette politique pourrait s'appliquer aux fabricants de véhicules automobiles. Il n'y a pas de raison pour qu'on ne leur fixe pas d'objectifs à atteindre. On peut fixer des objectifs pour les concepteurs et les constructeurs de route. On peut faire de même pour les responsables des programmes d'information publique afin qu'ils s'élèvent contre la publicité antisécuritaire qu'on nous sert pour vendre des voitures à haute performance.

Vous m'avez également demandé d'examiner la question de la privatisation. J'en parle à la page 4. Comme le savent plusieurs d'entre vous, j'ai participé à l'analyse de la sécurité de l'autoroute 407, première route privée à péage électronique au Canada ces dernières années.

Après en avoir discuté avec le constructeur de cette route à péage, la Canadian Highways International Corporation, je soutiens que la sécurité sur les routes peut faire l'objet d'une simple analyse de rentabilisation. Les routes à péage ne sont rentables que lorsque les véhicules roulent. Pas de circulation, pas de profits. Les administrateurs peuvent se permettre d'investir dans la sécurité routière au point où le manque à gagner équivaut à ce qu'il leur en coûte pour faire disparaître les traces d'un accident. Cette incitation économique est mathématiquement bien définie. En pratique, les chiffres sont un peu moins précis.

Il est important de noter que les ministères des Transports ne sont pas soumis aux mêmes impératifs financiers. Ils traitent la sécurité routière surtout comme une question politique, pas nécessairement d'ordre financier.

J'ai fait quelques propositions, jointes en annexe à mon mémoire. Premièrement, point probablement le plus important, l'objectif avoué du Canada et de son gouvernement devrait être de réduire radicalement ou même de ramener à zéro le nombre de décès et de blessures graves sur nos grandes routes.

Deuxièmement, on devrait promouvoir la nouvelle culture de sécurité routière en intervenant de façon marquée dans les aspects sécuritaires de la conception des véhicules, des routes et des systèmes d'information publique. Loin d'être laissée aux spécialistes de ces domaines, cette question doit en être une de politique officielle.

Troisièmement, on devrait mettre en place un programme d'infrastructure destiné à accroître la sécurité fondamentale des routes canadiennes, et non seulement leurs caractéristiques physiques. Nombre d'entre nous qui nous occupons de sécurité routière estimons maintenant que nous disposons de suffisamment d'experts pour faire des calculs valables dans ce domaine.

Quatrièmement, il faut rendre les camions moins dangereux sur les routes. J'entends par là que non seulement ils doivent être moins nuisibles pour la structure des routes, car ils peuvent les endommager énormément, mais qu'ils doivent également être moins dangereux pour les autres usagers. Cela soulève la question des trains routiers et d'autres de même nature. Le Canada a obtenu de très bons résultats dans ce domaine par l'entremise de l'Association des transports du Canada et d'autres groupes. Nous faisons figure de chef de file dans ce secteur.

Cinquièmement, je recommande que votre sous-comité convoque à une réunion des instances supérieures de mise en application, y compris des représentants des secteurs de la police, de la législation et du judiciaire, afin de déterminer ce que ce groupe juge important, applicable et punissable. Nombre de membres des corps policiers et des organismes de réglementation ressentent une frustration fondamentale avec laquelle je dois composer pour la reconstitution des accidents. Ils disent: «Pourquoi nous préoccupons-nous de certains de ces points? Rien n'évolue de toute façon.»

Le sénateur Roberge: Êtes-vous satisfait de la façon dont les statistiques sont tenues? Par exemple, comment la méthodologie influe-t-elle sur les statistiques auxquelles vous faites référence?

M. Navin: Les statistiques que j'ai fournies sont flexibles et peuvent être revues, mais la tendance est là et il y a augmentation. En ce moment, la police, notre principale source de statistiques, ne recueille plus de données dans de nombreux domaines. La question de la validité des données s'est toujours posée. Mais un pas de plus a été franchi. Une partie des renseignements ne sont tout simplement pas recueillis par la police. Cela a rapport en partie avec le rôle de la police dans la collectivité et avec les autres priorités qui lui sont imposées. Je ne sais pas très bien comment contourner ce problème sans disposer de ses propres sources.

Le sénateur Roberge: Si vous aviez le choix, pourriez-vous décrire précisément dans un document le genre de statistiques que vous aimeriez recevoir et qui seraient suffisamment significatives?

M. Navin: Je pense que nous pourrions obtenir d'assez bons résultats en ce sens. Nous ne pourrions pas creuser en profondeur car bon nombre de questions que nous voudrions poser ne l'ont pas encore été. Nous pouvons cependant glaner certaines informations. Par exemple, en tant qu'ingénieur, j'ai un besoin pressant de données assez précises sur les scènes d'accident. Où exactement les accidents se sont-ils produits? Je peux vous dire que j'ai analysé des accidents à des passages à niveau et que je les ai par exemple regroupés à un endroit pour m'apercevoir que certains s'étaient produits à des embarcadères de traversier situés à 20 milles de là. La précision de certaines de ces données est déplorable. Je crois comprendre qu'au cours de la formation de base des policiers, qui dure six mois, on consacre environ deux jours à la rédaction des rapports d'accident et à la sécurité routière. C'est tout.

Le sénateur Roberge: Il pourrait être intéressant pour nous de recevoir vos recommandations. Si nous pouvons en obtenir de sources différentes, nous pourrions ultimement recommander à Statistique Canada de tenir les statistiques différemment et mieux.

Le président: Quelles sont les meilleures sources de renseignements, celles du milieu universitaire ou celles d'un quelconque organisme du gouvernement fédéral?

M. Navin: Je crois que compte tenu de l'ampleur et du volume des statistiques de ce genre, le gouvernement central est la seule entité qui dispose d'un réseau national et des autres moyens pour le faire. À l'université, nous avons tendance à tout centrer autour de projets.

Le président: Par exemple, vous analyseriez les statistiques de compagnies d'assurance pour mener à bien un projet?

M. Navin: C'est exact.

Le président: Ce n'est qu'après avoir pris connaissance des rapports de police, des documents des compagnies d'assurance et des conclusions du milieu universitaire que vous pouvez prédire que telles conditions prévaudront sur tel tronçon de route et qu'un accident se produira à une distance de 26 pouces de l'accotement?

M. Navin: À peu près, et c'est ce qu'a fait Mme Hemsing.

Le président: Nous examinons en partie ce qui se passe, les embouteillages à New York et les causes des embouteillages.

M. Navin: C'est aussi ce que nous analysons, mais ceux d'entre nous qui s'intéressent à la sécurité routière tentent, à partir de la base statistique, d'élaborer des modèles mathématiques nous permettant de prévoir ce qui se produira, et c'est pour cela que nous avons besoin de données fiables. À partir de données valables, nous pouvons produire des modèles assez bons et prédire l'avenir. Nous pouvons modifier les modèles et dire que si nous apportons tel changement à la route, tel résultat sera obtenu. C'est pourquoi nous, en tant qu'ingénieurs, avons besoin de données fiables. Vous qui traitez de questions de niveau plus élevé avez aussi besoin des données pour analyser les politiques et déterminer si elles sont acceptables.

Le sénateur Roberge: Je lisais à la page 5 de votre mémoire un passage traitant du camionnage transfrontalier. Je veux être certain de bien comprendre. Vous parlez du processus de fabrication juste-à-temps. Peut-être est-ce une question de langue, mais je ne comprends pas ce que cela veut dire.

M. Navin: À la rubrique «Camionnage transfrontalier», à la page 5, on dit:

On croit que le processus de fabrication juste-à-temps ajoute à la pression exercée sur les systèmes de livraison par camion. On accroît peut-être l'efficacité de la fabrication aux dépens de la sécurité routière.

Essentiellement, le milieu de la sécurité routière juge que la nécessité d'acheminer des produits d'un fabricant à un autre au moyen de camions servant d'entrepôts mobiles peut exercer certaines pressions pour que les livraisons soient faites à temps. Il ne s'écoule plus trois ou quatre jours entre le moment où un produit est livré et celui où il est utilisé. On s'en sert sur-le-champ.

Le sénateur Roberge: Je comprends. Je suppose que cela vaut également pour la livraison des colis, qui a augmenté sensiblement. Tout le monde veut que la livraison soit faite dans les deux heures qui suivent. Le même scénario s'applique.

M. Navin: Oui, je crois qu'il en est ainsi. Dans des discussions générales, certains d'entre nous se disent d'avis que l'impatience et la colère que manifestent les usagers de la route découle en partie de la frustration qu'occasionne l'obligation de respecter les délais, toujours les délais.

Le sénateur Roberge: Et à la fin, vous êtes parfois pris dans un embouteillage.

M. Navin: Je reviens tout juste de Bangkok où les embouteillages sont un mode de vie, et je dois reconnaître que je n'ai pas perçu sur les routes la colère qui se manifeste ici.

Le sénateur Roberge: Peut-être qu'ils y sont habitués et qu'ils l'acceptent.

M. Navin: Peut-être devrions-nous avoir des routes plus congestionnées, de sorte que nous pourrions apprendre à l'accepter nous aussi.

Le sénateur Roberge: Et peut-être que nous vivrions plus vieux.

Êtes-vous d'avis que le gouvernement devrait privatiser des routes pour qu'elles deviennent plus sûres?

M. Navin: Je n'ai étudié cette question qu'en relation directe avec l'autoroute 407.

Le sénateur Roberge: Le concept peut être appliqué ailleurs.

M. Navin: L'idée semble bonne, mais elle doit être étudiée et soupesée par ceux qui financent et aménagent ces routes, et non seulement par moi qui ne s'intéresse qu'à un aspect très restreint du réseau routier.

Le sénateur Roberge: À ce stade-ci, vous nous recommanderiez d'aller un peu plus en profondeur, de sorte que le comité pourrait en arriver à en faire une recommandation.

M. Navin: C'est mon avis, oui.

Le sénateur Roberge: Je suis d'accord avec vous pour dire que pour que la culture de la sécurité évolue, il faut se fixer des objectifs.

Le sénateur Bacon: De nombreux témoins nous ont dit que la fatigue et l'intensification de la concurrence dans le secteur du transport menaçaient la sécurité sur les routes. Au bas de la page 4, vous parlez des heures de travail et d'expériences menées en Australie. Quelle est la solution, d'après vous?

M. Navin:C'est là un des problèmes qui sont raisonnablement bien cernés et pour lesquels nous n'avons pas de solutions valables. J'ai entendu parler d'un grave accident de camion en Colombie-Britannique avant lequel un chauffeur avait conduit de la Saskatchewan directement jusqu'à Vancouver; il a perdu la maîtrise de son véhicule dans les deux derniers kilomètres, avec des conséquences tragiques. Cela devient une question de mise en application. De leur côté, les petites entreprises exercent des pressions. Je ne sais vraiment pas comment vous pouvez régler ce problème.

Le sénateur Bacon: À propos de l'Australie, avez-vous des solutions?

M. Navin: Pas que je sache. Ceux qui s'intéressent à la sécurité routière, ceux qui s'occupent du camionnage, et je suis sûr que vous les avez entendus, tous cherchent désespérément une solution à ce problème.

Le sénateur Bacon: Un de mes amis a suggéré qu'étant donné que le transport par camion s'intensifie, nous devrions alléger le transport routier et intensifier le transport ferroviaire.

Cette solution pourrait-elle être envisagée?

M. Navin: En faisant cela, vous enlevez de la pression au camionnage, qui en a beaucoup en ce moment, pour en ajouter au secteur ferroviaire, qui en supporte moins.

Le sénateur Bacon: Seriez-vous en faveur qu'un office national de la sécurité enquête sur les accidents routiers? La sécurité y gagnerait-elle? La situation s'en trouverait-elle améliorée?

M. Navin: La situation serait-elle meilleure ou pire? Je suis très impressionné par l'étendue et la profondeur des enquêtes que font le NHTSA et le National Transportation Safety Board à propos des accidents routiers aux États-Unis. Leur performance est exceptionnelle en ce qui concerne les accidents majeurs. Ils ont relevé des phénomènes très intéressants comme l'aquaplanage des camions dans des circonstances très particulières. De même, les pluies acides rendent très glissantes les routes de calcaire. Ils ont cerné ces problèmes et ont attiré l'attention sur eux à l'échelle nationale, de sorte que des gens comme moi en Colombie-Britannique peuvent maintenant analyser des accidents inexpliqués et conclure qu'ils ont peut-être été causés par un de ces facteurs.

Ce serait une façon de concentrer les connaissances à l'échelle nationale et de contribuer à les disséminer. En fait, un office pourrait analyser certains des accidents les plus graves, trouver ce qui s'est produit, la défaillance et proposer des solutions. Je crois que dans ces circonstances, un office serait très utile.

Actuellement, un petit groupe de la Direction générale de la sécurité des véhicules automobiles de Transports Canada reconstitue des accidents, mais en s'intéressant surtout aux véhicules. J'ai déjà été coordonnateur de cette équipe à l'Université de la Colombie-Britannique, et nous nous sommes penchés sur des problèmes comme les feux de gaz propane, les coussins gonflables, les collisions latérales et le reste. Je crois qu'il serait certainement souhaitable qu'un office de la sécurité soit créé.

Le sénateur Adams: J'aimerais vous poser d'autres questions à propos des accidents. Chaque fois que nous avons une tempête de neige, on nous dit à la radio combien de voitures se sont tamponnées. Vous êtes-vous penché sur les causes des accidents sur les grandes routes? On nous parle des problèmes d'alcool au volant. Au Canada surtout, les gros camions sur les routes posent problème. Certaines personnes sont pressées et veulent dépasser un camion sans remarquer l'autre voiture qui vient en sens inverse. Jadis, et c'est peut-être encore le cas aujourd'hui, les chauffeurs de gros camions vous faisaient signe si personne ne venait en sens inverse; vous saviez alors que vous pouviez dépasser.

Je suis familier avec les conditions dans l'Arctique et par temps froid. Conduire sur une route enneigée est différent de conduire sur pavé sec. Un accident peut arriver en une seconde seulement. Vous vous faites parfois dépasser dans la neige épaisse par des gens qui roulent à plus de 100 kilomètres à l'heure et qui ne peuvent s'arrêter si un autre véhicule vient à leur rencontre. Mon fils de 18 ans a pris son permis de conduire l'été dernier. Il n'a jamais pensé à ce qu'est la conduite dans la neige. Ses instructeurs lui ont dit de ne pas boire au volant, de ralentir dans les courbes et le reste, mais ils ne lui ont pas parlé de la glace, de la neige, de la pluie verglaçante ni de la glace noire. Il ne sait rien de la conduite dans ces conditions. Le conducteur n'est pas le seul à blâmer s'il ne connaît pas la route sur laquelle il roule.

Connaissez-vous ces situations?

M. Navin: Comme le sait le sénateur Adams, je connais les conditions arctiques. J'ai appris à conduire dans une mine à ciel ouvert près d'Asbestos, au Québec, sur la poussière très fine de la mine, et avant de rouler pour la première fois sur une route pavée, je pensais que toutes les routes étaient glissantes.

Les Australiens ont commencé à utiliser des simulateurs dans les cours de conduite. C'est très intéressant. J'en ai essayé un, nous avons reproduit ce que nous pensions être l'équivalent d'une route glacée, et les résultats ont été très satisfaisants. Ayant conduit très souvent sur la glace, je peux dire que l'effet était très réaliste. Nous pouvons simuler des conditions comme la glace noire et il est probablement moins coûteux de nous doter d'assez bons simulateurs pour reproduire ces conditions.

L'un des problèmes que pose la coutume locale de signaler lorsqu'on peut dépasser est que cela ne fonctionne qu'avec les gens qui connaissent le truc. Nous avons déploré des accidents tragiques dans ce contexte. Un parent d'un de mes étudiants originaire du Ghana est venu au Canada. Tôt un matin de printemps, il s'est rendu chez un parent, a roulé sur de la glace noire et a été tué; il ne savait comment réagir dans de telles conditions. Avec le tourisme global, plein de gens nous visitent en tous temps de l'année, et nous connaîtrons des problèmes de ce genre.

Je ne sais comment donner aux gens la formation nécessaire. Je sais qu'en Colombie-Britannique, où les pentes sont nombreuses, cela constitue un problème majeur. Comme je l'ai dit, je connais plusieurs personnes qui ont été tuées de cette façon. Personnellement, j'ai déjà conduit dans ces conditions, au volant d'une fourgonnette dans laquelle prenaient place la famille, le chien et le reste. Vous vous retrouvez sur de la glace noire. Vous priez pour continuer tout droit car si vous quittez la route, vous vous retrouvez quelques centaines de mètres plus bas. Heureusement, je m'en suis tiré, mais je dirais que la glace noire sur les routes constitue un problème réel.

Dans quelques années, les exigences environnementales poseront un grave problème car nous ne pourrons plus épandre du sel sur les routes voisines de rivières poissonneuses. Nous devrons trouver quelque chose d'autre à utiliser.

L'entretien des routes et les conditions de route hivernales sont des problèmes épineux sur lesquels on commence à peine à faire des recherches. À l'Université de la Colombie-Britannique, nous avons mené certains travaux à propos des gros camions: évaluer leur traction, essayer de les stopper dans des pentes abruptes -- nous en avons plusieurs --, les immobiliser dans une montée et les faire redémarrer et simplement essayer de les faire freiner en terrain plat. Oui, l'entretien des routes pose un problème majeur et les solutions nous échappent encore pour le moment.

Le président: Existe-t-il des dispositifs pouvant être intégrés à la chaussée pour indiquer électroniquement la présence de glace noire? En l'absence de glace, le dispositif serait fermé et n'enverrait pas de signaux. Y a-t-il des indices physiques ou chimiques qu'on pourrait déceler pour donner un avertissement?

M. Navin: C'est une question intéressante. Je crois que vous avez parlé à l'un de ceux qui m'ont approché pour faire l'essai de peintures thermosensibles. Je sais qu'il existe de petits systèmes localisés qui prévoient s'il se formera de la glace noire dans un secteur restreint. Je crois comprendre que des chercheurs en Finlande, en Norvège et en Suède se sont intéressés à ce problème. Je ne connais pas précisément les résultats de leurs travaux.

Je sais que certaines voitures de luxe sont équipées d'un thermomètre qui indique la température assez près de la surface de la route. Vous pouvez alors en déduire la température de la chaussée et savoir si elle se situe au point critique juste au-dessus de zéro.

Le président: J'aimerais revenir à la question globale des objectifs. On entretient en Europe un débat -- dont nous avons eu ensemble la chance de prendre connaissance -- à propos de l'uniformité des vitesses.

Nous savons, et on nous l'a démontré à l'aide de graphiques, que un million de voitures qui roulent à 150 kilomètres à l'heure sur un tronçon droit n'auront jamais d'accident si elles maintiennent toutes exactement la même vitesse. C'est là un objectif, mais qui n'est pas forcément réaliste. Pour qu'il soit atteint, il faudra apporter de nombreuses innovations techniques et technologiques, de sorte que les gens y croient plus ou moins.

Pouvons-nous fixer des objectifs auxquels les gens croiront vraiment, notamment l'uniformité des vitesses? Pensez-vous que nous pouvons fixer une limite de vitesse uniforme pour tout le Canada? Croyez-vous que nous puissions avoir une seule limite pour les charges et les vitesses?

Je parle sérieusement. Les grandes sociétés nationales de camionnage, très dignes de confiance, nous ont assurés que leurs chauffeurs de camion ne dépassaient pas 100 kilomètres à l'heure. Pourtant, certains -- je ne parle pas de un ou de deux, mais de dizaines, voire de centaines -- me dépassent à 120 à l'heure parce qu'ils sont pressés de rentrer. Les sociétés font des efforts, mais les chauffeurs posent problème.

À propos de l'uniformité des vitesses, si un pauvre conducteur comme moi se trouve au volant d'une petite voiture usagée entre un camion de 30 roues qui roule à 90 kilomètres à l'heure et un autre qui roule à 110, il peut se retrouver très vite dans le pétrin.

Nous avons parlé de tourisme. Si vous partez d'ici pour vous retrouver sur les grandes autoroutes européennes, vous pouvez gravir une pente masquée à une vitesse de 150 kilomètres à l'heure -- parce que dix autres voitures vous suivent à la même vitesse -- et tomber sur un camion qui vient d'atteindre le sommet de la côte à à peine 60 à l'heure. Que faites-vous?

M. Navin: Vous espérez que Dieu sera de votre côté et que vous survivrez. C'est tout ce que vous pouvez faire.

Le président: Pouvons-nous de manière réaliste fixer des objectifs en matière de vitesse dans ce contexte?

M. Navin: Je ne pense pas que nous puissions le faire actuellement, sauf dans le cas des grandes routes pour lesquelles nous savons que nous pouvons déjà fixer des objectifs. Par exemple, en Colombie-Britannique, lorsque nous dessinons nos routes à certains endroits, nous savons que nous devons nous écarter du critère de la géométrie parce que nous ne pouvons pas respecter en matière de conception les mêmes critères qu'au Québec ou qu'en Ontario. Les montagnes sont trop hautes, et les pentes, trop longues.

Ces exceptions mises à part, nous devrions effectivement pouvoir fixer des limites de vitesse pour certaines catégories de routes. Je crois que dans le sud de l'Ontario, les vitesses sont beaucoup plus élevées que celles qui sont atteintes à Vancouver et dans les environs dans des conditions de conduite similaires. En outre, je sais d'après mon expérience personnelle qu'en Californie, il vous faut rouler beaucoup plus vite. La situation dépend de l'application du code de la route et des attentes des gens.

Si nous prenons une décision qu'approuvent les systèmes de réglementation et judiciaire, les gens verront que nous sommes déterminés dans nos intentions. En ce moment, certains considèrent que des aspects de la sécurité routière -- en particulier la vitesse -- ne sont pas pris au sérieux. Si vous regardez la publicité produite actuellement pour certaines voitures, vous constaterez qu'elle est foncièrement antisécuritaire. On insiste sur la vitesse, encore la vitesse.

Vous avez devant vous quelqu'un qui adore la vitesse, mais je suis chanceux. J'ai accès à une piste d'aéroport où je peux faire des expériences. Je ressens du plaisir à conduire dans les terrains de stationnement glacés et le reste. Par contre, je ne roule pas à très haute vitesse sur les routes parce que je suis pleinement conscient, et j'en discute constamment avec mon épouse et mes enfants, des conséquences d'une sortie de route. Parce que je m'intéresse continuellement aux pannes et à leurs conséquences, mes enfants parlent de la «malédiction de l'ingénieur».

Pour répondre à votre question, oui, pour certaines routes, pour les grandes voies rapides, nous pourrions fixer une limite de vitesse à l'échelle nationale. Pour ce qui est des routes de pénétration dans les diverses provinces, elles ont été tracées en fonction de critères légèrement différents. Il vous faudrait étudier la question très attentivement.

Le sénateur Roberge: Pour fixer une limite de vitesse uniforme dans tout le pays, par exemple, nous nous heurtons aux compétences provinciales. Je crois comprendre que les ministres provinciaux et fédéral des Transports sont en pourparlers afin d'établir certaines directives générales et normes nationales. Les discussions semblent se poursuivre depuis très longtemps. D'après vous, qu'est-ce qui fait obstacle à cette mesure? En avez-vous une idée?

M. Navin: J'ignore tout des obstacles politiques. Comme vous le savez, je suis isolé dans une université --

Le président: Ne dites pas cela, professeur. Vous ne pouvez vous isoler en Colombie-Britannique. Ce n'est pas si loin. Je comprends ce que vous voulez dire.

M. Navin: Sénateur, je vous demande de m'aider à résoudre ce problème.

Le président: Peut-être construirons-nous de meilleures routes. Je suis toujours préoccupé par les normes et par le regroupement des services. Je pense qu'un représentant d'une entreprise de camionnage devrait pouvoir téléphoner et dire: «J'ai besoin de 27 permis. Mes camions sont de tels types, ils ont tant d'essieux, ils transportent telles charges et tels produits. Puis-je avoir les permis cet après-midi?» Avec les permis serait remise une trousse incluant une plaque d'immatriculation valide depuis Saint John's, Terre-Neuve, jusqu'à Victoria, en Colombie- Britannique.

Si vous avez d'une part 1 000 camions de 30 roues transportant de lourdes charges à une vitesse de 90 kilomètres à l'heure et, d'autre part, 1 000 autres camions semblables roulant à 110 à l'heure, y aura-t-il une différence appréciable en termes de dommages que ces deux groupes de véhicules causeront au réseau routier?

M. Navin: La vitesse n'est pas un élément qui contribue à endommager le réseau routier, mais elle peut menacer les autres usagers de la route qui roulent en même temps que ces camions car l'énergie en cause croît comme le carré de la vitesse.

On a demandé tout à l'heure comment on pouvait contrôler des facteurs comme les limites de vitesse à l'échelle nationale. Ma dernière recommandation-proposition concerne les corps policiers et leur efficacité. Dans ma description, je traite de l'application des règlements par la police et de la réduction de ce pouvoir en maints endroits. La seule méthode permettant à la police de mieux faire respecter les lois est la surveillance électronique. Les nouveaux dispositifs électroniques, abstraction faite des exigences reliées au respect de la vie privée et d'autres, sont là pour être utilisés. Il suffit maintenant de trouver une méthode acceptable pour s'en servir.

D'après notre expérience en Colombie-Britannique, nous avons constaté que le radar photographique, par exemple, avait un certain effet d'apaisement sur la circulation. Le flot de véhicule se déplace à peu près à la même vitesse moyenne, la différence n'étant que de quelques kilomètres à l'heure, mais le grand changement concerne le nombre de conducteurs qui dépassent de plus de 10 kilomètres à l'heure la vitesse limite. Ce nombre chute d'environ 4 ou 5 p. 100.

Le sénateur Roberge: Mais légalement, peuvent-ils donner des contraventions?

M. Navin: Oui, mais en ce moment, à cause du libellé de nos lois, c'est le propriétaire du véhicule qui écope la contravention, et non le conducteur. Même si vous dites à votre jeune fille qu'elle doit payer la contravention parce que c'est elle qui a excédé la vitesse permise, elle ne perd pas de points de démérite et cela n'est pas tout à fait juste. Actuellement, en général, la loi est ainsi faite que vous payez la contravention et demandez plus tard un remboursement. Au plan législatif, les choses doivent être claires. Je crois que dans la plupart des endroits, c'est le propriétaire qui écope la contravention.

Les camions posent un problème car parfois, le tracteur appartient à une société, et la remorque, à une autre.

Le sénateur Roberge: C'est une question de loi.

M. Navin: C'est aux intersections que se posent certains des principaux problèmes de circulation. On fera l'essai en Colombie-Britannique de caméras placées près des feux de signalisation, à des intersections.

Le président: Comment cela fonctionne-t-il?

M. Navin: On surveille une intersection et si quelqu'un brûle un feu rouge, on prend une photo et la personne écope une contravention. C'est assez facile à installer. Un de nos problèmes, c'est que les gens «étirent» le feu vert. Vous devez attendre de plus en plus longtemps avant de vous engager dans certaines grosses intersections, de peur qu'un véhicule surgisse.

Le président: Ces intersections doivent s'étendre sur 100 verges.

M. Navin: Oui. Dans des villes comme Boston, il faut être prudent car nombre de conducteurs anticipent le feu vert. Il existe, pour la conduite, des règles locales qu'il faut connaître. J'ai travaillé dans une région du Pérou en 1989, et je n'arrivais pas à comprendre les règles de la conduite. Finalement, quelqu'un m'a dit: «C'est facile. Si vous vous déplacez parallèlement au cours d'eau, vous avez priorité; sinon, vous cédez le passage.» Comme j'étais en plein désert, je n'ai jamais pu trouver le cours d'eau. C'est le problème que posent les règles locales que les étrangers ne connaissent pas.

Le sénateur Bacon: Au cours de nos audiences à Edmonton, nous avons rencontré un représentant de l'Association canadienne du camionnage qui nous a dit que la conception des routes était peu sûre et qu'elle était parfois perçue comme la cause d'accidents. Il nous a suggéré de demander aux autorités provinciales de respecter une série de normes de sécurité nationales. Avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Navin: Oui. J'aimerais qu'on établisse de telles normes, mais en ce moment, nous serions bien en peine de proposer en matière de géométrie des normes de sécurité qui feraient l'unanimité.

D'après l'expérience que j'ai acquise en analysant des accidents, surtout ceux impliquant des camions, il est très rare qu'un seul facteur soit en cause. Habituellement, deux ou trois éléments se combinent pour déclencher l'accident. Il est très rare que le véhicule soit seul en cause. Dans tous les cas d'accidents mortels -- je fais ici appel à ma mémoire -- je crois que le véhicule seul est responsable de moins de un p. 100 des problèmes, la route seule, de deux ou trois p. 100 au plus, et le conducteur seul, d'environ 50 à 60 p. 100.

Par contre, la combinaison route-véhicule-conducteur explique plus du tiers de tous les accidents, de sorte que la route est certainement un facteur de poids. Lorsqu'un seul facteur est en cause, il s'agit en général du conducteur ou de la route. Nous espérons pouvoir corriger la situation par des moyens électroniques. Par exemple, je suis certain qu'un représentant de l'International Road Dynamics de Saskatoon vous a expliqué qu'il existe un dispositif qui repère les camions, enregistre leur vitesse et leur indique, s'ils s'engagent trop vite dans la courbe, à quelle vitesse précise ils doivent la négocier. Si le camion va assez lentement, rien n'est indiqué.

En théorie de la conception, nous avons un principe appelé «orientation positive» qui dit que si vous ne pouvez offrir à un conducteur ce qu'il attend, vous devez lui dire à quoi s'attendre. Dans ce cas-ci, on franchit un pas de plus en disant qu'il ne faut dire au conducteur que ce qu'il a besoin de savoir et quand il a besoin de le savoir; autrement, on ne lui dit rien.

Le sénateur Roberge: S'agit-il d'un système électronique placé dans la cabine du camion qui donne des indications avant la courbe? Est-ce de cela que vous parlez?

M. Navin: Non, tout est placé le long de la route. Dans les faits, des capteurs sur la route pèsent le camion et comptent les essieux. Le système identifie donc sommairement le type de camion en question. Sachant cela, vous pouvez déterminer à quelle vitesse il peut négocier une courbe donnée parce que vous disposez d'un pistolet radar ou que vous pouvez vous servir des boucles pour calculer la vitesse. Un panneau indicateur, noir la plupart du temps, est placé le long de la route. Si nécessaire, il s'allume et transmet un message. Il prend également une photo, de sorte que si le chauffeur du camion ne suit pas l'instruction, il ne peut pas dire que le panneau ne s'est pas allumé. Le panneau donne un avertissement; ensuite, c'est au chauffeur à décider. C'est un très beau dispositif. Pour un quart de million de dollars, on peut en installer un n'importe où.

Le sénateur Roberge: C'est ce que vous appelez l'«orientation positive»?

M. Navin: Oui. C'est un système d'information intelligent, positif.

Le sénateur Roberge: Vous avez dit que vous aviez participé à la conception et à la construction de l'autoroute 407. Pouvez-vous nous décrire brièvement les principales différences au plan de la qualité de construction entre cette route et la plupart des autres routes canadiennes?

M. Navin: J'ai participé à l'analyse de l'autoroute 407 au plan de la sécurité et non à sa construction.

Au plan technique, d'autres systèmes de génie sont utilisés pour les très belles structures qui y sont intégrées; le profil géométrique est assez classique. La conception du revêtement est très particulière car on a pavé les trois voies en même temps au moyen d'une machine spéciale importée d'Europe. Après le passage de cette machine, la route était en place et tout était terminé.

Mise à part l'efficacité qui découle de la production de masse et que l'on ne peut atteindre qu'en construisant une route de cette façon -- et ce n'est pas ainsi que les gouvernements construisent des routes en général -- cette route n'a rien d'exceptionnel, si ce n'est qu'à la suite de son analyse au plan de la sécurité, la Canadian Highways International Corporation soutient que c'est la route la plus sûre du monde.

Le président: Oui, jusqu'à ce qu'un voile blanc apparaisse et que quelque chose d'autre se produise.

La réduction du nombre de décès doit constituer un objectif primordial ici. Croyez-vous qu'il soit possible de continuer de réduire la mortalité sur les grandes routes -- sinon en chiffres absolus, du moins en proportion des milles parcourus ou quel que soit le critère retenu?

M. Navin: Je pense qu'il y a moyen de réduire davantage la mortalité sur les routes. C'est ce qu'on doit viser dans la plupart des analyses économiques. Les blessures graves comptent parmi les pires tragédies. Le rapport entre les blessures graves et les décès est d'environ 10 à 15 pour un.

Le président: Vous parlez de blessures laissant des séquelles à long terme.

M. Navin: Des séquelles à très long terme qui sont catastrophiques pour les familles en cause. Plus jeune, j'ai vu périr nombre de mes amis dans des accidents d'auto. Cela se passait dans les années 1950 et 1960, à une époque où on s'y attendait. Ce sont ceux qui ont subi des blessures graves qui représentent les cas les plus tragiques. C'est dans ce domaine que nous devons faire plus d'efforts, c'est-à-dire empêcher que des gens subissent des lésions au cerveau, restent quadriplégiques, etc.

Un décès est suivi d'une période de deuil. Le défunt vous manque, puis c'est fini. Mais les grands blessés sont toujours là pour vous rappeler l'accident. Ce sont sur eux que doivent porter nos efforts et nos pensées.

C'est un défi plus difficile à relever car les statistiques ne sont pas encourageantes. L'Insurance Corporation of British Columbia est très préoccupée par ces blessures. Elle est également alarmée par les petits accrochages qui se produisent lors des tempêtes de neige. Ceux-ci représentent de 40 à 50 p. 100 des indemnités qu'elle verse. Le pourcentage est encore plus élevé au Québec.

Nous pouvons réduire quelque peu la mortalité, mais nous devrions commencer à nous préoccuper davantage des blessures graves.

Le président: Pouvez-vous proposer une mesure qui pourrait nous faire progresser ou améliorer sensiblement la situation à ce propos?

M. Navin: Nous devons nous intéresser aux accidents dans lesquels un seul véhicule fait une sortie de route. Environ 37 p. 100 des décès surviennent dans ces circonstances. Je ne suis pas certain des chiffres à propos des blessures, mais les accidents de ce genre ne reçoivent pas beaucoup d'attention si on les compare aux autres. Cela s'explique en partie par le fait qu'ils sont très difficiles à analyser. Ils sont relativement rares. Vous devez vous rendre sur les lieux assez vite pour déterminer les circonstances et voir quelles améliorations pourraient être apportées.

On peut apporter certaines améliorations aux véhicules, mais aussi à la route pour atténuer les conséquences des accidents.

Le président: L'éducation est-elle en cause ici?

M. Navin: L'éducation est toujours en cause, mais c'est probablement un des domaines dans lesquels il est le plus difficile d'intervenir. Les solutions les plus rentables sont, premièrement, l'application de la loi, deuxièmement la technologie, et troisièmement l'éducation.

La note de passage n'est pas de 100 p. 100. Par définition, les gens échoueront périodiquement. Vous ne voulez pas qu'une panne ou un moment d'inattention entraîne des blessures graves ou un décès. Habituellement, ce n'est pas le cas.

Le président: Je pense que le comité partage l'opinion que nous devons faire plus pour promouvoir une culture ou une perception de la sécurité. Un des outils à notre disposition est l'éducation.

Des moyens mécaniques sont aussi à notre portée. Rien ne vous réveille plus vite que le fait de passer sur 16 câbles sur la route. Souvent, vous ne savez même pas ce qui s'est passé. Le réveil est assez rapide.

J'ai agi comme coroner pendant un certain temps. Mise à part la consommation excessive d'alcool, l'inattention était l'un des premiers facteurs expliquant les accidents mortels sur lesquels j'ai fait enquête.

Que penseriez-vous de convoquer un psychiatre ou un autre expert qualifié, peu importe la discipline, pour qu'il nous explique ce qui se passe lorsque l'attention de quelqu'un est distraite, par exemple lorsqu'il parle au téléphone en conduisant?

M. Navin: Dans mes cours, lorsque je traite de cette question, je demande à mes étudiants de chanter «Joyeux anniversaire» et d'additionner une colonne de chiffres en même temps. Ils n'y parviennent pas. On ne peut pas passer d'un sujet à un autre assez rapidement.

La plupart des recherches sur l'inattention provoquée par le fait de conduire tout en parlant au téléphone sont encore isolées. On pense qu'il faudrait éviter de le faire.

Mon opinion personnelle, et c'est celle qui a cours chez Hamilton Associates, est que notre personnel ne devrait pas avoir de longues conversations téléphoniques en conduisant. Nous nous contentons de dire: «Je suis à tel endroit et je serai en retard à la réunion.» Nous nous servons de la composition rapide. Les usagers de téléphones cellulaires n'ont pas les numéros des autres cellulaires. Tout le monde doit passer par le système d'échanges commerciaux. Notre secrétariat se charge des échanges d'information. Il n'y a pas de conversation entre le client et l'ingénieur par téléphone cellulaire.

Comme nous nous occupons de sécurité routière, nous croyons que c'est la bonne chose à faire.

Le sénateur Adams: J'aimerais vous interroger à propos de la publicité à la télévision. Certaines annonces traitent des décès sur les routes et pourtant, vous pouvez voir des films dans lesquels le conducteur d'une voiture en sort indemne après avoir capoté. Certaines personnes pensent qu'elles peuvent faire de même.

Nous devrions peut-être promouvoir davantage la sécurité routière dans la publicité à la télévision. Quel est votre avis?

M. Navin: Le gouvernement peut dépenser pour promouvoir la sécurité, mais il se heurtera au problème des fabricants de voitures qui vendent leurs produits en insistant sur la vitesse et l'antisécurité. Si le Canada doit développer une culture de la sécurité, il doit le faire sur une base assez étendue. Je perçois l'émergence d'une culture de la sécurité dans la conception et l'aménagement des grandes routes, mais je ne la retrouve pas dans la publicité des fabricants de véhicules.

Les concepteurs de véhicules que je connais se soucient de la vie et de la santé des occupants, mais une coupure se fait entre le bureau de l'ingénieur et celui du vendeur. Je dirais que les voitures produites actuellement sont bien supérieures à celles du passé.

Je n'ai eu qu'un seul accident grave dans ma vie; ma voiture a capoté dans un fossé. Heureusement, ça s'est passé au bon moment: j'étais jeune, en santé et indestructible. Si cela se produisait maintenant, je ne crois pas que j'aurais la même chance.

D'une façon ou d'une autre, nous devons instaurer une culture de la sécurité. Il nous faut notamment mettre sur pied des programmes d'éducation et réglementer ce que les fabricants de voitures peuvent passer à l'écran. Nous avons eu du succès dans la lutte contre le tabagisme. Il n'y a pas de raison pour que le gouvernement n'assume pas davantage de responsabilités en matière de publicité vantant les véhicules automobiles.

Le sénateur Adams: Dans la plupart des annonces portant sur l'alcool au volant, on nous montre un ou plusieurs verres d'alcool; on ne nous montre pas l'auto qui tombe dans le fossé ou heurte quelqu'un. On ne nous montre rien des accidents horribles qui en résultent.

Le président: Monsieur Navin, au nom du comité, je vous remercie de votre présence.

La séance est levée.


Haut de page