Délibérations du sous-comité des
Affaires des
anciens combattants
Fascicule 4 - Témoignages pour la séance de l'après-midid
OTTAWA, le mardi 3 février 1998
Le sous-comité des affaires des anciens combattants du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 13 h 40, pour poursuivre son étude de toutes les questions ayant trait à l'avenir du Musée canadien de la guerre, y compris, sans s'y limiter, sa structure, son budget, son appellation et son autonomie.
Le sénateur Orville H. Phillips (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, il a été question d'un document que j'ai reçu. Après le début de la séance, j'ai en effet reçu par télécopieur une note que m'a adressée un membre éminent de la communauté juive. Cependant, comme celle-ci n'était pas signée, le comité n'a pas souhaité la prendre en compte.
Hier soir, nous avons demandé à l'intéressé, un éminent rabbin, s'il voulait comparaître devant nous ce matin pour nous lire sa déclaration. Il a décliné notre offre et a recommandé que nous invitions à sa place George MacDonald.
Or, voilà qu'aujourd'hui le Citizen et d'autres journaux ont publié le texte en question. Je vous ferai remarquer que l'article du Citizen n'indique pas qu'un membre du comité a reçu cette note, mais il mentionne le nom du vice-président de la Société du Musée.
Le sénateur Jessiman: Je crois comprendre que le rabbin a été contacté et qu'il nous a demandé de nous adresser à M. MacDonald, ce que nous avons fait. M. George MacDonald devait comparaître devant nous ce matin à 9 heures, mais il n'a pu le faire à cause d'un méli-mélo administratif. C'est cela?
Le président: Oui.
Le sénateur Jessiman: Afin de tirer cette situation au clair, le président va maintenant nous faire lecture de ce document, pour le procès-verbal.
Le président: Après cela, nous en remettrons des copies à la presse. J'insiste sur le fait que ce document n'est pas signé. Je vous le lis:
La Société du Musée canadien des civilisations, le Congrès juif canadien, les Anciens combattants juifs du Canada et B'nai Brith Canada désirent faire une déclaration commune en réaction à la controverse déclenchée par le projet d'agrandissement du Musée canadien de la guerre.
La Société du Musée avait envisagé d'agrandir le bâtiment abritant le Musée canadien de la guerre, au 330 promenade Sussex, et d'y ajouter une salle sur l'Holocauste, car ce projet s'inscrit dans les limites de son budget.
Nous croyons maintenant qu'il serait possible de trouver une autre solution susceptible de satisfaire toutes les parties, à condition que tout le monde fasse preuve de bonne volonté. Sans renoncer à sa proposition originelle, la Société du Musée canadien des civilisations est maintenant disposée à examiner d'autres options pour abriter une exposition sur l'Holocauste, tout le monde reconnaissant que l'Holocauste mérite une galerie permanente.
Nous réaffirmons la nécessité d'illustrer la contribution fondamentale de nos anciens combattants à l'histoire militaire canadienne et nous avons la ferme intention de faire du Musée canadien de la guerre un centre national de commémoration et d'interprétation.
Nous avons fait tirer des photocopies de cette note à l'intention des membres de la presse.
Nous allons à présent passer à l'un des témoignages les plus importants de ces audiences, j'ai nommé celui du Bomber Command. Je vous en prie, approchez-vous et prenez place.
Le sénateur Prud'homme: Pour les milliers de personnes qui vont lire ce témoignage, il y a certainement lieu de préciser pourquoi vous dites que ce témoignage est l'un des plus importants. Il y a une différence entre lire un témoignage et voir un témoin comparaître.
Le président: Je me disais que personne n'allait le lire! Quoi qu'il en soit, au cas où quelqu'un serait effectivement intéressé, je précise que j'ai fait partie du Bomber Command.
M. Derek Farthing, président, Bomber Command Association of Canada: La précision était inutile, car vous le portez sur vous, monsieur le président.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du sous-comité, distingués invités, je suis honoré, en qualité de président et de pdg de la Bomber Command Association Canada et au nom des membres qui la composent, d'avoir été invité à comparaître devant vous pour soumettre notre point de vue à votre auguste assemblée.
Lors de l'assemblée générale de notre organisation, que nous avons convoquée immédiatement après avoir reçu notre invitation à comparaître, les membres ont dit craindre les répétitions. Après en avoir parlé entre nous, cependant, nous nous sommes rangés à l'idée qu'étant donné la nature de ce genre d'exposé, les répétitions sont non seulement inévitables mais nécessaires quand les groupes de témoins partagent les mêmes points de vue. Ainsi, avec les cinq excellents témoignages de ce matin vous aurez entendu trois positions: premièrement, il n'existe pas de rapport direct entre le Canada et l'Holocauste, déclaration avec laquelle nous sommes entièrement d'accord; deuxièmement, il faudrait loger le Musée sur l'Holocauste dans un bâtiment distinct du musée -- principe auquel nous souscrivons totalement; troisièmement, les politiques antisémites, envisagées et annoncées par Ottawa avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, ne concernent absolument pas la communauté militaire canadienne. Ces points de vue sont aussi les nôtres. Les anciens du Bomber Command avalisent intégralement ces déclarations, ainsi que des dizaines d'autres qui s'opposent à une Galerie sur l'Holocauste, telle qu'envisagée.
Je vais m'attarder un instant sur un aspect qui fait réfléchir et qui, je l'espère, est moins itératif que les autres; je veux parler du cas des enfants visitant le musée. Nous sommes persuadés que les Canadiens et les Canadiennes veulent que les enfants de tous âges puissent visiter le Musée canadien de la guerre afin d'en apprendre le plus possible sur les brillants exploits des militaires canadiens au cours des deux siècles écoulés. Nous voulons qu'ils puissent grimper sur les chars d'assaut et voir les casques que devaient porter leurs arrières-grands-pères. Nous voulons qu'ils puissent assouvir en toute liberté leur curiosité naturelle sur le Canada de la guerre.
Nous ne savons pas exactement où sera logée cette Galerie sur l'Holocauste, mais une chose est sûre, Mme Clarkson ne permettra certainement pas à des enfants de cinq et six ans de s'y déplacer sans contrainte. Inutile de parler ici des effets psychologiques, voire psychiatriques, qu'une telle exposition peut avoir sur de jeunes enfants. J'ai avec moi des photographies du camp de Belsen qui sont tellement horribles que je n'ai même pas osé les montrer à ma fille de 33 ans.
Que conclure de tout cela? Eh bien, il faut qu'un spécialiste de la question des réactions mentales déclenchées par des stimuli horrifiants décide de l'âge minimum auquel les enfants pourront être admis à la galerie et soumis à ce genre de spectacle. Devront-ils être âgés de 11 ans? de 14 ans? Devront-ils être accompagnés? Devront-ils se présenter en groupe ou avec leurs écoles? Devront-ils être accompagnés d'un instituteur? Peut-être que seuls les jeunes en âge de boire devraient être autorisés à visiter ce musée sans être accompagnés.
Une fois cet âge minimum décrété, il faudra mettre sur pied un système de garde à toute épreuve, pour faire appliquer les règles et éviter d'éventuelles poursuites que pourraient intenter des parents fâchés que leurs enfants fassent des cauchemars. Est-ce à dire qu'il faudra en permanence un effectif de six commissaires à la porte? Va-t-on vérifier les cartes d'identité inexistantes des enfants qui se présenteront à la porte? La maman du petit Paul de 9 ans interdit d'accès, pourra-t-elle lui faire comprendre que son grand frère de 14 ans, lui, peut entrer dans la galerie? Où tout cela nous mène-t-il? À une chose: la Galerie ou le Musée sur l'Holocauste doit être logé dans un bâtiment distinct. Certes, cela ne règle pas le problème du contrôle à l'accès, mais au moins il ne sera plus question de l'exercer dans la salle de réception très achalandée du Musée de la guerre.
Maintenant que nous avons établi hors de tout doute que le Musée sur l'Holocauste doit être logé dans un bâtiment distinct, penchons-nous sur les aspects pratiques de toute cette situation. Certains vous diront qu'une exposition sur l'Holocauste devrait être logée au Musée de l'homme. D'autres préféreront le Musée des civilisations. Aucune de ces suggestions n'est valable parce que la première institution est purement canadienne et que l'autre est trop civilisée.
Il y a donc lieu de construire un bâtiment et certainement pas de 4 000 pieds carrés seulement, car il ne servirait à rien. Il faudrait en fait un musée comme celui de Washington, dont la construction, à en croire certains rapports, aurait coûté 240 millions de dollars américains, autrement dit environ 348 millions de dollars canadiens selon le change actuel. Nous sommes donc très loin des 12 millions dont dispose Mme Clarkson et même des fonds qu'elle pourrait recueillir grâce à une campagne de financement. Il faut donc trouver une autre solution.
Puisque les musées sont affaire d'histoire, tournons-nous vers l'histoire pour trouver cette solution. Quand on met un ennemi ou un adversaire en échec, il faut veiller à lui laisser une voie de sortie, sinon on le contraint à se battre avec plus d'acharnement, jusqu'au bout. Comme tout le monde le sait, c'est précisément ce qui s'est produit à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand les alliés ont déclaré qu'ils n'accepteraient rien de moins qu'une reddition inconditionnelle de l'Allemagne. Privé de porte de sortie, les Allemands se sont battus jusqu'au bout, ce qui a occasionné des dizaines de milliers de morts inutiles.
Le second principe se trouve dans notre histoire même, je veux parler de notre capacité à faire des compromis. Les Canadiens, par leur nature modeste et effacée, sont mieux placés que les autres nations pour faire des compromis. Ce fut le cas en 1956 quand, en pleine crise de Suez, notre très respecté Lester Pearson a proposé la solution la plus naturelle qui soit: un compromis dans le plus pur style qui lui a d'ailleurs valu le Prix Nobel.
Nous en sommes venus à la conclusion que si les autres organismes opposés au plan actuel s'obstinent dans leur position et insistent pour qu'on n'installe pas la Galerie sur l'Holocauste au sein du Musée canadien de la guerre, Mme Clarkson et ses collègues du conseil d'administration n'auront d'autre choix que de livrer un combat au finish.
Nous avons la regrettable impression que la décision annoncée est définitive, qu'on ne permettra pas d'en changer. Eh bien, la Bomber Command Association of Canada désire proposer une solution englobant les deux principes que je viens d'énoncer. On pourrait se ménager une voie de sortie et jouer la carte du compromis grâce à trois petits traits de crayon d'un architecte, dans la limite du budget de 12 millions de dollars, et l'on mettrait du même coup un terme aux craintes et aux préoccupations de la plupart des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale.
Monsieur le président, je vous invite à retenir notre suggestion, à savoir que la Galerie sur l'Holocauste soit effectivement accolée à un Musée canadien de la guerre agrandi, mais en soit complètement isolée et soit accessible par une entrée à part.
Le sénateur Chalifoux: C'est très bien de nous proposer une solution, mais plusieurs témoins nous ont dit que 35 p. 100 des espaces supplémentaires sont réservés pour la Galerie sur l'Holocauste. Actuellement, plusieurs milliers d'objets sont exposés dans le Musée de la guerre. Que pensez-vous du fait que les 35 p. 100 de superficie supplémentaire envisagée ne serviront pas à exposer des artefacts militaires?
M. Farthing: Pour vous répondre, je ne peux guère que me fonder sur mon expérience de membre du Musée militaire de ma ville. Nous avons beaucoup trop d'objets militaires entreposés dans les sous-sols, les greniers et dans d'autres bâtiments. Nous avons lancé une campagne de financement de 100 000 $ pour ajouter une aile à notre musée et il n'est pas question, pour notre groupe, de consacrer une partie quelconque du bâtiment à une salle sur l'Holocauste.
Personnellement, j'estime qu'on ne devrait pas consacrer 35 p. 100 de la nouvelle superficie à une exposition sur l'Holocauste. On devrait s'en tenir à l'espace que le déjà consacré à l'Holocauste et à l'Allemagne, à condition de l'isoler des expositions du Musée de la guerre. Tout le reste devrait servir à l'exposition d'artefacts militaires.
Le sénateur Prud'homme: J'ai l'impression que votre suggestion d'ouvrir une galerie complètement isolée du musée ne répond pas aux critères muséologiques. C'est un peu comme si l'on construisait une cité interdite. Personnellement, je préférerais que vous vous en teniez à votre première recommandation, à savoir qu'il s'agit d'un Musée de la guerre et qu'il ne faut ni le déclasser, ni le surclasser.
M. Farthing: Il devrait s'agir de deux choses complètement distinctes. Cependant, si l'on juge que c'est la seule solution, au nom de l'efficacité et surtout à cause des contraintes financières, alors prévoyons deux entrées séparées.
Le sénateur Prud'homme: Vous conviendrez avec moi que les Canadiens sont suffisamment intelligents pour trouver une autre solution que celle consistant à ouvrir une galerie coupée du musée principal. Je comprends ce que vous voulez dire: vous ne voulez pas écarter l'idée d'une Galerie sur l'Holocauste, mais vous préféreriez qu'elle soit complètement à part.
M. Farthing: J'espérais que cela susciterait la réflexion.
Le sénateur Prud'homme: Vous avez réussi.
Le président: Vous parliez d'une campagne de financement pour votre musée. Où est-il situé?
M. Farthing: À St. Thomas, en Ontario.
Le président: Il y avait une base aérienne avant, là-bas.
M. Farthing: Oui, Aylmer and Fingal, et comme quelqu'un l'a signalé aujourd'hui, le Centre de formation aérienne du Commonwealth. Celui de St. Thomas était un des plus importants.
Le président: Avez-vous revisité le Musée de la guerre récemment, monsieur Farthing?
M. Farthing: Malheureusement pas.
Le président: Parce que j'allais vous demander si vous étiez content du traitement qu'on a réservé au Bomber Command. Je vous suggère d'aller y faire un tour et de jeter un coup d'oeil sur la maquette de Halifax.
M. Farthing: J'y ai été il y a quatre ans.
Le président: Eh bien, ça n'a pas changé. Vous avez donc vu la même vieille maquette de bombardier dont je veux parler. Je dois dire que je n'ai pas été particulièrement emballé par ce qu'on dit sur la plaquette de présentation.
M. Farthing: C'est la même chose dans le cas de l'histoire de l'Aviation royale canadienne au Musée militaire.
Encore une fois, ce matin, quelqu'un a dit que les gens se renvoient la balle.
Le président: On nous dit que l'aviation royale est représentée au musée de Rockcliffe, mais on n'en fait aucunement mention au Musée de la guerre.
S'il n'y a pas d'autres questions, je vais vous remercier pour votre témoignage et vos suggestions. Je tiens à rappeler que nous avons entendu la présentation d'une des plus importantes associations.
Le sénateur Cools: Les personnes qui liront la retranscription de ces témoignages ou qui nous regarderont à CPAC ne comprendront peut-être pas toutes ces plaisanteries. Je me dois donc de préciser que notre président, le sénateur Orville Phillips, a servi dans le Bomber Command pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Le président: Nos témoins suivants, MM. Les Peate et Dan Bordeleau, représentent l'Association canadienne des vétérans de la Corée.
M. Les Peate, président national, Association canadienne des vétérans de la Corée: Honorables sénateurs, permettez-moi d'indiquer à celui d'entre vous qui s'est étonné, hier, que Cliff Chadderton n'arbore pas ses médailles, que je suis moi aussi médaillé. Cependant, mon ami Dan Bordeleau ayant plus de décorations que moi, j'ai décidé de ne pas les porter.
Je vais vous présenter notre premier témoin, M. Dan Bordeleau. Il sait de quoi il parle, puisqu'il a servi dans la marine marchande durant la Seconde Guerre mondiale. Son navire a été coulé par une torpille. Il a fait carrière dans l'infanterie, au sein du Princess Patricia's Canadian Light Infantry et a passé quelques années dans la force régulière. Il est membre de plusieurs groupes d'anciens combattants. Il est actuellement trésorier national de notre association de même que président de l'Unité 7 d'Ottawa qui, avec ses quelque 300 membres, est la plus importante au Canada.
M. Dan Bordeleau, trésorier national, Association canadienne des vétérans de la Corée: Honorables sénateurs, Mme Adrienne Clarkson et son conseil d'administration font sans doute du bon travail au Musée des civilisations, mais l'organisme d'anciens combattants que je représente pense que ces gens-là ne comprennent pas le rôle du Musée canadien de la guerre, du moins pas dans le contexte du débat actuel sur la galerie consacrée à l'Holocauste, qu'on se propose d'ouvrir.
Je m'empresse de dire que ni mon association ni moi-même ne nions l'existence de l'Holocauste ni la haine ou la persécution dont certains groupes ethniques sont les cibles. Après tout, nous sommes des anciens combattants convaincus des horreurs de la guerre. Nous les avons nous-mêmes vécu ces horreurs. Et c'est justement parce que nous les avons vécues que nous avons une opinion tellement arrêtée au sujet de la mission du Musée canadien de la guerre et de sa responsabilité vis-à-vis de la population canadienne.
Nous pensons, nous aussi, que le travail au Musée canadien de la guerre est loin d'être terminé, mais avant de songer à agrandir le bâtiment, nous croyons qu'il faut restaurer, conserver et rénover les collections actuelles. Le Musée de la guerre a besoin de plus de place pour exposer ses collections actuelles et il ne peut se permettre de réserver davantage d'espace à de nouvelles expositions. Le bâtiment de la promenade Sussex est simplement trop petit, et la Maison Vimy, malgré son nom glorieux, n'est rien d'autre qu'un entrepôt de troisième catégorie dont les artefacts et les installations publiques sont loin d'être convenables. Une impression de stagnation se dégage de ces deux bâtiments. Certaines expositions n'ont pas changé depuis que je suis arrivé à Ottawa en 1972. Pourtant, malgré ces réserves, nous reconnaissons que le Musée de la guerre doit évoluer et refléter les croyances et les attentes de son public. Nous serions peut-être plus portés à appuyer l'idée d'une nouvelle galerie commémorant l'Holocauste si les expositions actuelles étaient plus fidèles à la réalité et représentaient mieux les deux conflits mondiaux ainsi que la guerre de Corée.
Prenez, par exemple, la partie du musée consacrée à la commémoration de la Première Guerre mondiale. Les anciens combattants que nous sommes sont très attachés à tout ce qui est décoration; nous arborons nos médailles avec beaucoup de fierté, mais les enfants canadiens ne comprendront jamais ce qui s'est passé à Mons, à Ypres, à Frezenberg ou à Arras en regardant des médailles. Il faut de l'imagination, de la détermination et de la compétence professionnelle pour parvenir à illustrer la nature et le sens d'une bataille à l'intention de gens qui n'en ont jamais vu; d'ailleurs, ceux et celles qui ont visité le Mémorial de Vimy savent que cela est possible.
La Seconde Guerre mondiale, elle aussi, fait l'objet d'un traitement dénué de toute imagination. Nous estimons que, malgré la controverse qu'elle a suscitée au début et l'effet traumatique qu'elle a conservé, l'exposition consacrée aux traitements que les Japonais ont imposés à nos prisonniers de guerre à Hong Kong est minable et dilettante. La Marine marchande, elle aussi, est traitée superficiellement. Pourtant, pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada exploitait la troisième plus grande flotte marchande du monde. En anglais, nous appelions «Park ships» les navires battant pavillon canadien et «Fort ships» ceux battant pavillon anglais. Or, l'exposition sur la Marine marchande au Musée de la guerre se limite à une plaque présentée en 1995 et à la maquette d'un cargo portant le nom d'un navire anglais. C'est à se demander s'il faut y voir un manque de connaissance, des défaillances dans la recherche ou s'il s'agit plutôt d'une attitude répandue du style «ce sera toujours assez bon».
L'espace consacré à la Guerre de Corée est tout aussi inapproprié. On est parti du principe que le matériel utilisé pendant cette guerre était le même que celui ayant servi durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui n'est pas le cas. Certes, les anciens combattants de la Corée peuvent toujours accompagner leur famille et expliquer ce qui manque, mais on va alors tout à fait à l'encontre du but visé. Un musée est censé consigner le passé à l'intention de ceux et de celles qui n'ont pas vécu l'époque traitée. Il ne faut pas devoir se fier à la mémoire des gens ayant vécu ces pages d'histoire, sinon, que se passe-t-il quand les porteurs de cette mémoire collective disparaissent, comme c'est le cas des anciens combattants de la Grande Guerre et comme se sera trop vite le cas de ceux de la Deuxième Guerre mondiale et de la Corée?
En tant qu'anciens combattants porteurs vivants de ce genre de souvenirs, nous sommes convaincus de l'importance du Musée canadien de la guerre et des obligations qu'il a envers le peuple canadien. Nous sommes d'accord avec le rapport produit en 1991 dans lequel on recommande que l'administration de ce musée soit détachée de celle du Musée des civilisations et des rêveurs qui sont à sa tête.
Voici ce que nous proposons à cet égard: nommer un ministre du cabinet qui sera responsable du Musée de la guerre; trouver l'espace nécessaire pour abriter un Musée de la guerre dont les Canadiens et les Canadiennes pourront être fiers; accorder au musée un budget réaliste, et s'assurer que le personnel chargé des expositions consulte les anciens combattants.
Pour en revenir à la proposition d'exposition sur l'Holocauste, je vous soumets un exemple à suivre. L'Imperial War Museum de Londres comprend une Galerie très impressionnante sur l'Holocauste; elle vient d'ailleurs d'être récemment ajoutée au musée et beaucoup considèrent qu'elle illustre fidèlement et efficacement le génocide de la Seconde Guerre mondiale. On n'a d'ailleurs construit cette nouvelle aile qu'après que tout le monde eut crier haro sur l'absence d'une représentation adéquate au musée et après que celui-ci eut été complètement rénové.
M. Peate: Je tiens à préciser que, pour moi, cette question de l'Holocauste n'est pas une fin en soi. J'estime qu'il faut y voir le symptôme d'un grave défaut dans la façon dont le Musée de la guerre est structuré, je veux bien sûr parler du fait qu'il soit contrôlé par la Société du Musée canadien de la civilisation.
La question du Musée sur l'Holocauste a provoqué un grand trouble. Comme vous avez tous et toutes mes notes en main, je ne vous les lirai pas et je me contenterai d'en commenter quelques-unes.
Tout ce dossier fait l'objet de plusieurs incohérences depuis qu'on en parle dans la presse. D'abord, la porte-parole, Mme Eva Schacherl, a déclaré au Ottawa Citizen que la future Galerie sur l'Holocauste n'avait rien à voir avec la nécessité de recueillir des fonds. Or, dans le Bulletin des Amis du Musée canadien de la guerre du printemps 1996, on parle de la constitution d'un comité juif national en vue de recueillir 2 millions de dollars pour les travaux d'agrandissement du musée; pour renvoyer l'ascenseur, on réserverait un espace consacré à une galerie baptisée salle des anciens combattants juifs canadiens et Mémorial sur l'Holocauste.
Je dois ajouter qu'un des témoins d'hier, le président des Amis du musée, M. Gerry Holtzhauer, a contacté certains de nos membres pour les inciter à ne plus s'opposer à cette galerie, car ils risquaient de faire échouer la campagne de levée de fonds.
M. MacDonald prétend que les visiteurs réclament plus de choses sur l'Holocauste. Eh bien, j'attire votre attention sur les annexes à mes notes, où je reprends les questions posées dans le sondage réalisé par le musée. Je vous en lis une:
Quel genre d'exposition aimeriez-vous le plus voir au musée? Choisissez-en autant que vous le désirez:
Récits et expositions sur les grands chefs militaires canadiens. Récits et expositions sur les héros de guerre canadiens. Récits et expositions sur le vécu des gens ordinaires en temps de guerre. Récits et expositions sur l'Holocauste. Récits et expositions sur la vie au «front intérieur» en temps de guerre. Récits et expositions sur le maintien de la paix.
Il n'y avait aucune question sur d'autres volets particuliers de la guerre. Pourtant, je suis certain que des questions, par exemple, sur les sous-marins dans le Saint-Laurent ou sur la Marine marchande canadienne auraient recueilli des taux de réponse de 63 p. 100. Soit dit en passant, ce taux de 63 p. 100 est sans doute nettement supérieur aux résultats que j'ai obtenus auprès des membres et des personnes ayant participé à ce sondage.
J'ai ici le résultat d'un sondage conduit en 1996, soit l'année précédente. Fait assez intéressant, celui-ci a été réalisé en juin, et 40 p. 100 des répondants ont dit souhaité que le musée consacre d'avantage à l'Holocauste. Tout de suite après, cette question de l'Holocauste a fait la une et, aussi étonnant que cela puisse paraître -- car les taux de réponse pour les autres thèmes n'ont pas vraiment varié -- en août, le taux de réponse à cet item était passé à 85 p. 100. Tiens donc!
Sur la question de l'espace d'exposition, la proportion de répondants favorables à l'affectation d'une salle à l'Holocauste a varié entre 6 et 35 p. 100. Les gens semblent, en général, penser qu'il ne resterait que très peu d'espace consacré aux expositions militaires, voire aucun. Cependant, l'interprétation de ces chiffres dépend de la façon dont on les comptabilise. Par exemple, quand le Musée de la guerre compte le nouvel espace d'exposition qu'il pourrait avoir, il englobe l'esplanade qui sera couverte grâce au un don de General Motors. Cependant, tous ceux et celles qui ont fréquenté le Musée de la guerre pendant l'été et l'automne savent que cette esplanade ouverte est très utile pour accueillir des expositions extérieures. De plus, elle a certainement servi à attirer plus de gens que tout ce qu'on peut trouver derrière la façade.
À l'origine, on avait prévu que la nouvelle aile coûterait 5 millions de dollars, ce qui aurait sans doute permis d'obtenir un espace d'exposition supérieur à l'ajout de 12 millions de dollars dont il est maintenant question, et l'on peut se demander comment on a pu en arriver là. D'ailleurs, je vais demander qu'on nous fournisse quelques renseignements sur les écrits concernant ce dossier.
On peut lire que la Galerie sur l'Holocauste allait traiter du racisme nazi. Je vous cite une entrevue avec Fred Gaffen, historien du Musée de la guerre, parue dans le Ottawa Citizen du 1er février 1997:
[...] des preuves écrasantes de l'antisémitisme rampant qui régnait au Canada à l'époque et proposera un examen sans complaisance du racisme du premier ministre de l'époque, MacKenzie King, et de certains de ses hauts fonctionnaires.
Est-ce là un sujet qui relève d'un Musée de la guerre?
On dit qu'il y a eu des consultations. Duane Daly, secrétaire national de la Légion royale canadienne, siège aussi au conseil des Amis du Musée de la guerre. Vous avez, je pense, entendu les témoignages de plusieurs autres groupes d'anciens combattants, notamment des membres de la Légion, qui vous ont déclaré n'avoir jamais été consultés à ce sujet. L'une des plus grosses sections de la Légion au Canada se trouve vis-à-vis de l'administration centrale de la Légion; eh bien, ces gens ont écrit à Sheila Copps pour protester contre cette idée d'une Galerie sur l'Holocauste, dès qu'ils en ont entendu parler. Inutile, je crois, d'en dire plus sur les soi-disant consultations avec les anciens combattants.
Enfin, lors d'une séance d'information en compagnie du directeur général par intérim, M. Don Glenney, et du colonel Holtzhauer, nous avons soutenu qu'il serait plus approprié de rattacher la Galerie sur l'Holocauste au Musée des civilisations, ce à quoi on a rétorqué que M. MacDonald ne serait jamais d'accord pour accueillir au Musée canadien des civilisations une exposition sur l'Holocauste. L'une des excuses fournie était le manque de place. Pourtant, le musée s'est débrouillé pour trouver 930 mètres carrés à consacrer à une exposition sur l'Égypte, sans rapport avec l'histoire canadienne et qui, soit dit en passant, a coûté près de deux fois plus que le budget annuel de fonctionnement du Musée canadien de la guerre. Allez donc y comprendre quelque chose.
L'avenir du patrimoine militaire canadien dépend des administrateurs et des fonctionnaires de la Société du Musée canadien des civilisations; pourtant, d'après leurs biographies, pas un n'a effectué une seule journée de service militaire, pas même dans la Réserve. Tiens donc!
Puis, on nous a parlé d'un comité de consultation. Peut-être allons-nous, enfin, aboutir à quelque chose. Voyons ce dont il en retourne. La présidente de ce comité, Charlotte Roy, est tout à fait impartiale puisqu'elle est enseignante et qu'elle accompagne régulièrement ses étudiants dans des déplacements sur le terrain pour participer aux symposiums annuels sur l'Holocauste. Deux autres membres sont ex-officio: M. MacDonald et Joe Geurts, les deux grands responsables de la SMCC. Un autre membre est le colonel Holtzhauer, qui est venu témoigner hier, et deux autres sont des généraux.
Soit dit en passant, lors de cette réunion, nous avons demandé à la personne apparemment chargée des affaires publiques à la SMCC de nous donner la liste des membres du comité consultatif et de nous indiquer si ces gens-là étaient payés. Aussi étonnant que cela puisse paraître, malgré le poste qu'il occupe et bien que trois des membres du comité étaient ses supérieurs, il ne savait pas qui siégeait au comité. Il ne savait pas non plus si les membres du comité étaient payés. Ils le sont. Ils perçoivent une allocation quotidienne dont le mondant n'a pas été révélé.
Pendant des années, le Musée de la guerre n'a vécu que de miettes. Tout le monde se réjouit de la manne que la SMCC fait soudainement tomber sur nous, mais que dire des 10 années que nous avons passées au Musée de l'homme à ne rien obtenir? Vous avez vu combien nous touchons de la SMCC, ce qui est une bonne indication de ce que tous ces gens-là pensent du patrimoine militaire canadien.
On a demandé aux membres du personnel de ne pas nous adresser la parole. On les a prévenus que s'ils nous parlaient, ils auraient des problèmes; alors ils refusent tout simplement de nous adresser la parole en nous précisant qu'ils ne font qu'obéir aux consignes qu'on leur a données.
Je ne vais pas vous parler de la Maison Vimy. D'autres l'ont fait avant moi.
Honorables sénateurs, nous avons le sentiment que l'avenir de notre brillant patrimoine militaire repose entre vos mains et je suis certain que vous n'allez pas nous abandonner.
Le président: Je dois préciser, monsieur Peate, que vous êtes guide au musée et que vous avez été assez aimable pour nous en faire faire une visite, à mon personnel et à moi-même, avant le début de ces audiences. Je me devais de préciser que vous êtes guide, parce que les autres membres du comité seront conscients que vous savez de quoi vous parlez.
M. Peate: J'ajouterai aussi que je vous ai montré le bombardier Halifax.
Le président: C'est exact.
Le sénateur Prud'homme: On nous a parlé de «mémoire institutionnelle militaire».
On a souvent dit de moi, qui suit maintenant sénateur indépendant, que j'ai été la mémoire institutionnelle du Parti libéral pour les 45 dernières années. Estimez-vous que nous manquons de ce qu'on appelle la mémoire institutionnelle militaire? Vous semblez ne pas savoir avec certitude qui, au sein de cette institution, parle au nom du Musée de la guerre. C'est ce que vous pensez?
M. Peate: Oui. D'ailleurs, cette semaine, nous avons conclu ce qu'on pourrait appeler un compromis avec un autre ordre de gouvernement. Nous avons en effet rencontré les représentants du ministère ontarien de la Voirie, cette semaine, avec qui nous nous sommes enfin entendus sur le principe de consacrer la 416 aux anciens combattants canadiens. Cela a mis un terme à une bataille de deux ans.
Nous sommes également présents sur le front de l'éducation. Il est pathétique de voir le peu de connaissance que les jeunes Canadiens et canadiennes, même ceux qui sont à l'université, possèdent de notre histoire militaire. Les Américains en savent plus sur l'histoire militaire canadienne que les Canadiens eux-mêmes.
M. Bordeleau: L'année dernière, j'ai donné des cours à cinq classes. Cette année, je n'en ai fait qu'une jusqu'ici. Nous avons sélectionné deux écoles pour accorder un prix de 750 $ aux élèves les plus méritants des cours sur la Corée et sur la Guerre de Corée. Le plus jeune ancien combattant de la Guerre de Corée est maintenant âgé de 64 ans. D'ailleurs, il est dans cette salle. Le musée devrait être le premier à s'occuper de ce genre d'enseignement.
Au musée, il y a une peinture très impressionnante représentant une bataille à proximité d'une rivière, en Corée. Eh bien, si l'on pouvait reproduire une tranchée dans laquelle les gens pourraient évoluer, et synthétiser une vision de nuit ainsi que des tirs d'artillerie, je pense qu'on parviendrait à enflammer les imaginations.
Le président: Merci beaucoup pour votre exposé. Je sais que les autres membres du comité aimeraient aussi vous remercier pour votre travail de guide bénévole au musée et pour l'excellent travail que vous accomplissez auprès des enfants à qui vous expliquez l'histoire militaire canadienne. Nous apprécions énormément le temps que vous avez pris tous deux pour tout cela.
Avant de passer au groupe suivant, je tiens à souligner que M. Eric Spicer, ancien libraire du Parlement et lui-même ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, vient de se joindre à nous. Je tiens à lui souhaiter la bienvenue dans notre nouvelle salle de comité.
Le groupe de témoins suivant représente la Canadian Fighter Pilots Association.
Brigadier-général M.F. Doyle (à la retraite), Canadian Fighter Pilots Association: Monsieur le président, honorables sénateurs, j'espère que la présidence ne sera pas offensée si je dis espérer que le sous-comité jugera ce mémoire comme étant aussi important que celui du Bomber Command.
Le président: Sans aucun doute.
M. Doyle: Je suis né à Montréal en 1924 et je me suis engagé dans l'Aviation royale canadienne le jour de mes 18 ans. J'ai d'abord été affecté sur Hurricane, au sein du Commandement aérien de l'Est, avant d'être envoyé outre-mer, en Angleterre, où j'ai fait une affectation sur Spitfire, au sein de la Deuxième force aérienne tactique. Je suis actuellement président de la Canadian Fighter Pilots Association, groupe représentant les pilotes de chasse qui ont combattu durant la Seconde Guerre mondiale ou la Guerre de Corée et, pour certains d'entre eux dans les deux conflits. Je les représente aujourd'hui pour exposer la position de l'association sur le sujet controversé dont vous avez été saisis.
Je suis accompagné de M. Lloyd Hunt, président sortant de notre association. Il a eu deux affectations en combat contre l'ennemi, en Europe, pendant la Seconde Guerre mondiale.
En tant qu'anciens combattants qui ont survolé les théâtres d'opération de la Seconde Guerre mondiale et de la Corée, les membres de notre association connaissent l'horreur des conflits armés. Nous savons aussi à quel point l'Holocauste a pu être un fléau monstrueux, fléau dont je crois pouvoir dire que la plupart d'entre nous -- j'entends par-là tous ceux que j'ai connus durant la guerre -- ignoraient alors l'existence. Nous estimons que les aspects militaires de la Seconde Guerre mondiale et ses répercussions sur les populations civiles devraient être commémorés en des lieux distincts. Nous sommes d'avis que le patriotisme, la loyauté et le sacrifice des Canadiens -- dont beaucoup sont tombés au champ de bataille et ont été enterrés à l'étranger ou n'ont même pas de tombe connue --, méritent d'être commémorés en soi, au Musée de la guerre. Il ne faut pas mélanger tout cela avec d'autres sujets relevant davantage de l'inhumanité de nos semblables. D'un autre côté, les millions de personnes qui ont été massacrées par Hitler, dans son désir d'anéantir la race juive, méritent beaucoup mieux, comme mémorial érigé au souvenir de cet acte ignoble, que l'aile d'un musée consacré à la Seconde Guerre mondiale.
Pour vous résumer de façon claire et non équivoque la position de notre association, je dirais qu'il y a lieu de se souvenir de l'Holocauste, mais pas au Musée canadien de la guerre, et qu'il ne faudrait pas non plus l'associer à des comportements militaires de Canadiens pendant la Seconde Guerre mondiale, la Guerre de Corée ou tout autre conflit auquel le Canada a pris part et où des Canadiens sont tombés.
En revanche, il est bien évident que nous devrions, dans la capitale nationale, consacrer un mémorial à l'Holocauste pour que les gens sachent l'horreur que cet événement a signifiée pour la civilisation.
Ne commettons pas ce que d'aucuns pourraient baptiser d'ultime sacrilège, celui d'édulcorer l'héritage glorieux du Canada et notre honorable passé guerrier en mélangeant les divers aspects historiques de notre présence sur les champs de bataille avec les conséquences tragiques de la démence meurtrière d'un dictateur déterminé à annihiler une entité culturelle et religieuse en Europe.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, telle est la position de la Canadian Fighter Pilots Association et je conclus ici ma présentation de cet après-midi.
Le président: Laissez-moi vous dire que le Sénat a été un temps honoré de compter en son sein le sénateur Molson, éminent pilote de Spitfire.
M. Doyle: Il était également membre de notre organisation, monsieur.
Le président: Vous serez peut-être étonné de savoir qu'il est aussi colonel honoraire du RCR.
Le sénateur Cools: Monsieur le président, le sénateur Molson pilotait-il des Spitfire ou des Hurricane?
M. Doyle: Je crois que c'était des Hurricane, madame.
Le sénateur Cools: Le sénateur Phillips maintient que c'était des Spitfire.
Le sénateur Prud'homme: Je me sens obligé de lui passer un coup de fil moi-même, parce que je l'ai remplacé au Sénat en qualité d'indépendant.
M. Doyle: Je sais que le sénateur Molson a récemment signé des gravures de Hurricane en Angleterre et qu'il a fait verser les recettes de la vente à la Canadian Fighter Pilots Association.
Le sénateur Cools: Voilà un exemple de tradition au service du pays, une tradition bien vivante qui a été transmise à ce comité.
Le sénateur Forest: Je tiens à vous féliciter pour votre exposé très concis. Si nous vous donnons l'impression de manquer de questions, c'est que la plupart des anciens combattants que nous avons entendus ont exprimé le même point de vue.
Précisez-moi une chose cependant, même si vous avez été très clair à ce sujet. Vous semblez non seulement préférer, mais également croire que la seule solution soit de loger le Musée de l'Holocauste et le Musée canadien de la guerre dans deux bâtiments distincts?
M. Doyle: Nous serions effectivement d'accord avec cela.
Le sénateur Forest: Un peu plus tôt aujourd'hui, M. Chadderton a indiqué qu'il serait prêt à s'en remettre aux recommandations de notre comité, s'il n'était pas possible d'avoir deux bâtiments distincts et si la seule solution était la cohabitation. Enfin, j'ai l'impression qu'il a dit qu'il se rallierait à la recommandation du comité. Tout le monde a clairement énoncé sa préférence pour deux emplacements distincts, et pas pour un bâtiment qui serait coupé du musée.
M. Doyle: Tout ce que nous disons, c'est que nous ne voulons pas que le Musée sur l'Holocauste ou un Mémorial consacré à cette tragédie soit logé au Musée canadien de la guerre.
Le sénateur Forest: J'ai compris.
Le sénateur Cools: Assurons-nous d'avoir copie de la lettre de M. Gaffen dans le dossier.
Le sénateur Chalifoux: J'ai une remarque à faire. N'oublions pas le Dépôt no 3, la Caserne Currie du dépôt de formation des pilotes de chasse.
Le président: Je tiens à vous assurer, général Doyle, que les gens du Bomber Command apprécient beaucoup les efforts que vous déployez. Je ne pense pas que qui que ce soit pourra vous rendre aussi bien hommage que Winston Churchill. Je n'essaierai pas d'édulcorer ses remarques pas plus que je n'aimerais voir affaiblis votre service et votre contribution à l'effort de guerre.
Notre témoin suivant appartient à la Nursing Sisters Association of Canada, il s'agit de Mme Dorothy Jean-Gogan.
Chers collègues sénateurs, le greffier m'informe que ce sera le dernier exposé des nursing sisters et j'espère que vous accorderez toute votre attention à ce que va nous dire Mme Jean-Gogan.
Mme Dorothy Jean-Gogan, présidente nationale, Nursing Sisters Association of Canada: Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, vous allez peut-être un peut vite en besogne. Je suis encore en fonction.
Je suis ravie et honorée de pouvoir représenter les nursing sisters du Canada. Il est vrai que nous pouvons donner l'impression de disparaître petit à petit. Notre congrès aura lieu en juin à Charlottetown et plus personne ne veut en tenir d'autres par la suite. Cependant, toutes mes camarades veulent demeurer sous le parapluie du CNAAC pour bénéficier des avantages découlant de cette adhésion, sans compter que nous voulons toutes continuer de participer aux pèlerinages annuels. Même si nous ne nous réunissons pas régulièrement, il semble que notre association continuera d'exister du moins quelque temps encore.
Alors que je me préparais à comparaître, je revoyais les noms des associations membres du CNAAC et je me disais qu'avant de m'asseoir à cette table vous auriez déjà entendu tous mes arguments, tout le monde aurait répété la même chose et nous serions tous d'accord sur ce qui a été pu être dit et écrit sur le sujet.
Halley Sloan, notre ancienne présidente nationale qui habite ici à Ottawa, m'a énormément aidée dans ma préparation. C'est l'une des infirmières les plus décorées du temps de guerre et même si elle avait beaucoup de chose à dire à ce sujet, elle a préféré s'en remettre à nous pour vous faire part de ses sentiments.
Nous comptons aujourd'hui 11 unités pour un total de 800 membres environ, nombre qui diminue d'année en année. Il y a trois ans, nous étions 930. La semaine dernière, je me suis entretenue avec les présidentes de toutes nos unités. Nous en avons quatre dans cette province: à Ottawa, Toronto, London et Windsor. Il y en a deux dans deux provinces, à Vancouver et Victoria, et à Edmonton et Calgary, et trois provinces n'en comptent qu'une seule, soit à Winnipeg, Halifax et Charlottetown. Absolument personne n'est d'accord avec l'ouverture au sein du Musée canadien de la guerre d'un pavillon ou d'un mémorial sur l'Holocauste; absolument personne!
Tous ces gens qui ont pris la parole au nom de leurs unités savent ce qui s'est dit, ils ont au moins lu Maclean's et tout le monde a pris connaissance des commentaires éloquents et bien sentis de Barbara Amiel. Personne n'ignorait la controverse. Pas une seule unité qui s'est présentée ici ne veut que les deux musées soient amalgamés. Nous avons deux raisons à cela: d'abord, comme on vous l'a dit, il ne faut pas que quelqu'un d'autre vienne détourner l'attention du témoignage que nous rendons au Canada de la guerre. Ce témoignage doit demeurer à part.
Deuxièmement, nous invoquons la mission du Musée canadien de la guerre. Et quelle est cette mission? Les infirmières, par exemple, se plient toutes aux énoncés de mission des institutions ou des ministères pour lesquels elles travaillent. L'énoncé de mission permet de comprendre les objectifs de ces institutions. C'est en partant de ce principe que j'ai demandé à l'administration de l'Hôpital Queen Elizabeth de Charlottetown, notre plus gros établissement, de me remettre son énoncé de mission. Celui-ci est double: fournir l'ensemble des services de soins aigus aux résidents de la région qu'il dessert et, deuxièmement, faire office de centre d'aiguillage en services hospitaliers spécialisés, au sein du réseau intégré des soins de santé de l'Île-du-Prince-Édouard. Voilà qui est simple, fondamental et qui dit exactement ce que doit faire l'hôpital. On peut alors dériver de cela les idéaux et les objectifs des soins infirmiers.
Ensuite, j'ai travaillé au Bureau du ministère des Anciens combattants à Charlottetown, où j'avais déjà été employée dans le passé. À ma retraite, après 28 années de services, de 1953 à 1981, j'étais lieutenant-colonel et dans mon dernier poste j'avais été gestionnaire des carrières pour les infirmières ayant servi pendant la guerre. Le ministère des Anciens combattants m'a nommé membre du Conseil d'administration de la Commission canadienne des pensions. C'était une nomination de dix ans, mais je n'y suis restée que quatre ans parce que j'ai été promue vice-présidente dans un autre poste dont le mandat était également de dix ans. Mais j'ai dû partir avant d'atteindre ma dixième année de service; le temps avait passé et j'avais atteint l'âge décisif. Remarquez, je sais que je ne le porte pas.
Le président: Pas du tout, je suis d'accord.
Mme Jean-Gogan: Je suis partie il y a presque deux ans.
Eh bien, le ministère des Anciens combattants a un énoncé de mission bien établi. Les objectifs généraux de l'organisation sont compris dans cet énoncé de mission. D'abord, le ministère a pour mandat de fournir aux anciens combattants, au personnel civil compétent et à leur famille tous les avantages et les services auxquels ils ont droit. Autrement dit, s'ils ont droit à une pension, c'est le ministère qui la leur verse. S'ils ont besoin de services, c'est le ministère qui les dispense.
Le deuxième objectif est de promouvoir le bien-être des anciens combattants en tant que membres actifs de la société. Autrement dit: gardez-les heureux, gardez-les à la maison et gardez-les en santé!
Le troisième objectif est de perpétuer le souvenir de leurs accomplissements et sacrifices pour l'ensemble des Canadiens.
Voilà trois grands objectifs simples.
Quel est l'énoncé de mission du Musée canadien de la guerre? Comment peut-on envisager de glisser une Galerie sur l'Holocauste en vertu de cet énoncé de mission? Peut-être connaissez-vous déjà le mandat du musée, mais quoi qu'il en soit je vais vous le lire:
Le mandat actuel du Musée canadien de la guerre est le suivant:
Perpétuer le souvenir des Canadiens qui ont servi à la guerre ou qui ont péri en conséquence de la guerre;
Il n'y a pas là place pour une Galerie sur l'Holocauste. Ensuite, il est question:
d'analyser l'histoire militaire et paramilitaire du Canada et ses conséquences sur le Canada et les Canadiens;
Nous ne voyons absolument pas comment faire rentrer la dedans une Galerie sur l'Holocauste. Enfin, le troisième point de l'énoncé de mission parle de:
Documenter la contribution militaire canadienne vis-à-vis du maintien de la paix et de la sécurité nationale et internationale.
Ça ne colle pas là non plus!
La plupart de nos membres actuelles sont des infirmières ayant servi outre-mer, au sein du Corps de santé royal canadien. Elles ont été environ 3 600 à être brevetées pendant la guerre et 2 600 à servir outre-mer. Celles qui ont servi en Europe et avec qui je me suis entretenue m'ont affirmé n'avoir jamais entendu parler de l'Holocauste à l'époque. Comment donc peut-on voir cet événement comme faisant partie intégrante de notre souvenir du temps de guerre outre-mer?
Voilà quel est le point de vue de nos membres. Je n'ai rien à ajouter, si ce n'est que je suis très heureuse d'être arrivée un peu plus tôt pour avoir l'occasion d'entendre les autres témoins qui partagent ce point de vue.
Mon père a servi durant les deux guerres et il serait très fier de moi aujourd'hui.
Le sénateur Cools: Quel a été le premier conflit auquel il a participé?
Mme Jean-Gogan: La Première Guerre mondiale, la grande guerre. Il a servi en Europe, dans les Flandres. Il était entraîneur de chevaux et chef de manège au Cinquième bataillon canadien de fusiliers à cheval, sous les ordres du colonel John McCrae.
Le sénateur Forest: Je suis ravie que les nursing sisters se soient faites représenter. Votre contribution à l'effort de guerre a été énorme.
Qu'a fait votre association pour commémorer les guerres? Avez-vous recueilli des artefacts?
Mme Jean-Gogan: Oui, et nous continuons. Quand j'ai quitté Ottawa, j'ai fait don de tous mes objets au Musée canadien de la guerre et j'ai été surprise de recevoir en retour un reçu aux fins de l'impôt.
De plus, nous avons un musée à Charlottetown qui est actuellement logé dans le manège militaire.
Le sénateur Forest: Est-ce que la plupart des objets recueillis par votre organisation se trouvent dans ce musée ou est-ce qu'ils sont répartis dans tout le pays?
Mme Jean-Gogan: Quand j'ai remis mes affaires, je me suis entretenue avec les gens du musée et j'ai eu l'impression qu'une partie de ces objets serait confiée à l'extérieur.
Le sénateur Forest: C'est cela, on les donne à d'autres musées pour des expositions itinérantes.
Le sénateur Cools: Nous savons tous ce que sont ou ce qu'ont été les nursing sisters. Mais comme ces audiences sont enregistrées et télévisées, pourriez-vous brièvement expliquer à l'intention des téléspectateurs ce que sont les nursing sisters.
Mme Jean-Gogan: L'armée canadienne a été bâtie sur le modèle britannique. En Angleterre, même dans les hôpitaux civils, on appelle «sister» l'infirmière en chef de l'hôpital tout comme les médecins les plus élevés en grade perdent le titre de docteur pour prendre celui de «mister», monsieur. Nous avons gardé le titre de «nursing sister», parce que nous avons fondé notre système sur le système britannique. C'est d'abord l'armée de terre qui l'a adopté et elle a été imitée par la marine et par l'aviation. Ces dernières années, on a commencé à changer les choses.
Lester Pearson avait nommé une femme à la tête de la Commission royale sur la situation de la femme. On avait contesté notre décision de refuser les infirmiers dans l'armée. Finalement, nous avons entre-ouvert la porte, les hommes sont restés un moment, mais ont estimé que les promotions n'étaient pas assez rapides et ils ont vite abandonné.
Lors de notre dernière biennale, nous avons adopté une résolution que peu de gens ont comprise. Nous avons voté pour changer notre titre et devenir «The Nursing Officers Association of Canada». Le Dr Salem devait veiller à ce que nous respections le Règlement intérieur de Roberts, mais nous avons oublié de changer la constitution. Quand je suis devenue présidente nationale, je me suis adressée aux avocats du ministère des Anciens combattants qui ont consulté leurs confrères du ministère de la Justice et nous ont informé que notre nom n'était pas officiel. Quoi qu'il en soit, nous ne le changerons pas maintenant. Il n'y aurait aucune raison de le faire maintenant, après tant de temps.
Le sénateur Prud'homme: Autrement dit, vous ne touchez à rien.
Mme Jean-Gogan: C'est cela.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Je veux vous témoigner toute l'admiration que nous ressentons pour les travaux que vous avez accomplis et que vous continuez d'effectuer.
[Traduction]
En bref, je tiens, comme on dit dans la bible, à rendre témoignage pour ce que vous accomplissez et ce que vous avez accompli. Je vous en remercie très chaleureusement.
Le sénateur Jessiman: Êtes-vous également représentées dans les trois services?
Mme Jean-Gogan: Vous parlez du temps de guerre?
Le sénateur Jessiman: Non, de l'association telle qu'elle est maintenant.
Mme Jean-Gogan: La plupart de nos membres n'ont servi qu'en temps de guerre. Quelques infirmières, comme moi, ont servi dans la force régulière.
Le sénateur Jessiman: Mais sont-elles des anciennes infirmières de la marine ou de l'armée? Y avait-il des infirmières dans l'aviation?
Mme Jean-Gogan: Oui.
Le sénateur Jessiman: Les trois armes sont-elles représentées de façon égale au sein de votre association?
Mme Jean-Gogan: Non, nous avons une prépondérance d'infirmières de l'armée de terre.
Le sénateur Jessiman: Et je suis certain que c'est la marine qui mène tout ça.
Mme Jean-Gogan: Pas quand je suis là. Pendant la guerre, nous avions 3 656 infirmières brevetées dans l'armée de terre; 2 625 d'entre elles ont servi outre-mer. Pendant la même période, il y en a eu 482 dans l'armée de l'air, dont quelques-unes seulement sont allées en Europe. Il n'y en a eu que 345 dans votre service.
Le sénateur Forest: C'est parce qu'ils n'étaient jamais malades.
Le sénateur Jessiman: J'en ai rencontré plusieurs d'entre elles outre-mer.
Mme Jean-Gogan: Notre organisation est principalement rattachée à l'armée de terre.
Le président: Les membres de votre organisation ont sans doute été témoins, plus que n'importe qui d'autre, des souffrances des soldats canadiens. Vous apportez à cette séance une touche personnelle et une compréhension uniques du problème. Je vous en remercie beaucoup. Vous avez dit que votre père pourrait être fier de vous, eh bien nous, nous sommes fiers de lui.
Mme Jean-Gogan: Il y a quelques années, nous avons salué le départ à la retraite d'Evelyn Pepper, la nursing sister sans doute la plus décorée encore en vie. Aujourd'hui, elle est malade. Quand nous nous préparions à lui rendre hommage, une autre infirmière avec qui elle avait travaillé dans les services de santé d'urgence m'a rappelé que c'est notamment grâce à Evelyn Pepper qu'on trouve désormais dans les hôpitaux de campagne du pays des lits articulés pouvant être haussés à hauteur de la taille, ce qui permet de ne pas avoir à se plier en deux pour soigner les malades. Elle disait toujours qu'elle avait remonté la botte italienne sur ses deux pieds et l'avait redescendue à quatre pattes. Je lui rends un hommage tout particulier aujourd'hui.
Le sénateur Prud'homme: A-t-elle reçu l'Ordre du Canada?
Mme Jean-Gogan: Je crois qu'elle l'a reçu il y a quelques années.
Le président: Avant Noël, notre comité a étudié la question des soins de santé pour les anciens combattants et nous avons visité l'Hôpital Sunnybrook. L'une des patientes que nous avons rencontrées était une nursing sister de 102 ans. Elle avait réclamé qu'on lui rende visite. Quand nous sommes partis, un des médecins nous a dit qu'elle téléphonait à ses amis pour leur raconter que des sénateurs étaient venus lui rendre visite et qu'elle les avait mis au pas. Cela me fait dire que les nursing sisters sont encore bien présentes.
Mme Jean-Gogan: Eh bien, elle a bien appris. D'ailleurs, si vous avez besoin de vous faire remettre au pas, vous me trouverez à Charlottetown.
Le président: Je vous en prie, allez-y.
M. Harold Leduc, vice-président, Association canadiennes des vétérans pour le maintien de la paix: Honorables sénateurs, sachez que nous apprécions la possibilité qui nous a été offerte de comparaître devant votre comité. Nous espérons que notre témoignage d'aujourd'hui vous sera utile.
Je tiens à faire une petite précision avant de commencer. Comme vous le voyez, je ne porte pas mes médailles. J'en ai cinq, dont l'Ordre du mérite militaire. Je ne les porte pas en signe de protestation contre notre gouvernement ingrat et le ministre des anciens combattants qui soumettent les anciens combattants canadiens à ce genre d'épreuve. Personnellement, j'estime qu'ils auraient dû être plus coopératifs.
On nous considère un peu comme les petits derniers chez les anciens combattants, mais à tort. Cela fait déjà 50 ans que nous existons. L'Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix est une association nationale officielle, proactive, sans but lucratif, ayant pour mandat de parler au nom des casques bleus, de leurs familles et de leurs survivants pour toutes les questions les intéressant. En outre, nous prêtons assistance à d'autres anciens combattants et venons en aide aux veufs et aux veuves de militaires décédés à l'entraînement.
Je vais vous lire la liste de nos réalisations. Nous sommes l'élément moteur d'une nouvelle décoration qui devrait être prochainement adoptée -- la Médaille canadienne du service de maintien de la paix -- pour laquelle nous jouons aussi le rôle de conseiller technique. Il nous aura fallu cinq ans et cinq projets de loi d'initiative parlementaire pour, enfin, parvenir à ce résultat.
Nous éducation le public par le biais de l'Internet. Tous les ans, le 11 novembre, nous allons donner un exposé aux jeunes délinquants du Victoria Youth Detention Centre sur la guerre et la participation du Canada à la guerre, de la constitution de notre pays jusqu'aux activités actuelles de maintien de la paix.
Les membres du bureau de notre association sont tous bénévoles. Tous nos services sont gratuits et j'ai moi-même pris une journée de congé pour me rendre ici.
Avant toute chose, je dois dire que nous appuyons la position du Conseil national des associations d'anciens combattants dans ce dossier. Nous estimons que l'administration du Musée canadien de la guerre ne devrait pas être confiée à des gens qui n'éprouvent aucun intérêt pour notre patrimoine militaire.
Le Musée canadien de la guerre devrait être financé par le ministère des Anciens combattants, être placé sous sa responsabilité et être administré par un comité ou une coalition d'associations d'anciens combattants. Ce faisant, les anciens combattants n'auront plus à être éprouvés sur des questions aussi fondamentales que celles dont votre comité est aujourd'hui saisi.
Nous sommes d'avis que le traitement de l'Holocauste est amplement suffisant dans le cadre de l'exposition du Musée sur la Seconde Guerre mondiale et de l'exposition temporaire actuelle intitulée «Réflexions sur l'Holocauste».
Bien que l'Holocauste soit un événement marquant de notre civilisation, il n'y a pas de raison pour qu'il fasse l'objet d'une exposition à part dans les murs du Musée canadien de la guerre, certainement pas en vertu du mandat du musée. L'Holocauste n'est qu'un génocide parmi d'autres, et il y en a eu beaucoup.
Les soldats canadiens, dans le cours de l'histoire militaire canadienne, ont été témoins des effets de nombreux génocides. Nous sommes par ailleurs convaincus que, sans égard aux considérations d'espace, toute exposition portant sur autre chose que le patrimoine militaire canadien, au sein du Musée canadien de la guerre, serait une injure suprême à nos soldats qui ont contribué à écrire ces pages d'histoire.
L'Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix est profondément convaincue qu'il faudrait tenir responsables les gens qui ont déclenché toute cette affaire et qu'on devrait remettre en question les postes qu'ils occupent au Musée canadien de la guerre. De toute façon, ce comportement n'est pas étranger au manque de respect que le gouvernement canadien et la société canadienne en général montrent envers les anciens combattants. Nous pensons que tout cela est dû à un manque de connaissance.
Une Galerie sur l'Holocauste située au Musée canadien de la guerre risquerait encore plus exploitée à des fins politiques que si elle se trouvait ailleurs, comme nous l'avons vu récemment avec ce qui s'est passé au Musée sur l'Holocauste de Washington que Yasser Arafat avait voulu visiter pour poser un geste de bonne foi. Nous devons éviter que notre musée se retrouve dans cette situation pour une exposition ne relevant pas de son mandat.
Sur une note plus personnelle, je dois vous dire que mon intérêt pour l'histoire militaire canadien m'a mené à rassembler des données sur plus de 350 Leduc ayant servi dans l'armée au Canada, de 1691 à nos jours. Je suis Canadien français d'expression anglaise. De l'arrivée de mon tout premier ancêtre, Pierre Leduc, en 1681, jusqu'à nos jours, les Leduc ont participé à toutes les actions du Canada, grandes et petites, en sol canadien et à l'étranger. Mon grand-oncle a été tué dans la Bataille de la Somme. Mon grand-père a servi durant les Deux Guerres mondiales. Mon oncle a fait la Seconde Guerre mondiale. Un de mes oncles est mort de ses blessures reçues en Italie et deux de ses jeunes frères ont servi dans l'armée d'occupation. Mon père a fait la Corée. Personnellement, j'ai servi à Chypre. Mon jeune frère est ancien combattant de plusieurs missions aux Nations Unies et il est rentré de Haïti juste avant Noël.
Voilà, je viens de vous donner un instantané de mon histoire familiale. Je suis certain que dans les collections privées, on pourrait trouver bien d'histoires de ce genre au Canada. Cela représente aussi le patrimoine militaire canadien des gens ordinaires. Combien d'autres soldats ou anciens combattants canadiens ont le même genre de souvenirs familiaux?
Personnellement, j'aimerais qu'on puisse exposer l'histoire de ma famille, mais il n'y a pas de place pour cela. Pourtant, ce devait être le rôle du Musée canadien de la guerre. On vous a fait part d'autres idées d'utilisation de l'espace additionnel au Musée canadien de la guerre, notamment des expositions sur la situation déplorable des anciens de Hong Kong ou sur l'histoire de nos casques bleus, marquée au sceau de la vaillance et de la bravoure. Loin de moi l'idée d'accorder plus d'importance à un dossier qu'à l'autre, mais il y a une chose qu'on oublie tout le temps, je veux parler de la façon répugnante avec laquelle le gouvernement a traité le Régiment aéroporté du Canada, à son retour d'une mission militaire en Somalie. Tous les parachutistes canadiens n'ont pas commis d'actes répréhensibles.
Autre chose. Les anciens combattants qui parlent en leur nom, même s'ils sont bien intentionnés, ne représentent pas le mouvement des anciens combattants. Hier et aujourd'hui, des particuliers sont venus témoigner devant nous. Leur contribution est certes valable, mais nous demandons avec insistance que les ministères prennent conseil auprès des organismes ou des associations d'anciens combattants qui sont mandatés pour représenter leurs membres et qui ne sont pas là pour défendre des intérêts personnels.
Notre association est prête à jouer un rôle de conseiller auprès de tout organisme qui le réclamera. On ne nous demande pas souvent de le faire, parce qu'on dirait que les lignes de communication sont coupées à hauteur des Rocheuses. Nous devons souvent nous en remettre au bon vouloir de M. Chadderton pour recevoir les nouvelles.
Je ne veux pas minimiser l'Holocauste, qui a été une abomination. Il est évident que nous ne devons pas l'oublier. Cependant, alors que nous regardons en arrière pour nous souvenir, d'autres génocides sont perpétués de par le monde et le seront encore dans l'avenir. J'en ai dressé une petite liste ici: 500 000 Tutsis zaïrois assassinés au Rwanda; 2,5 à 3 millions de personnes tuées au Laos, au Cambodge et au Vietnam en 20 ans de guerre; 2 500 réfugiés palestiniens à Beyrouth, assassinés dans une région placée sous la protection des soldats israéliens. Et la liste se poursuit. On a vu des images de ce qui se passe en Yougoslavie.
Hier, un témoin a demandé comment ses enfants pourraient savoir ce qu'ont été l'Holocauste et d'autres génocides. Eh bien, il suffit de regarder le journal télévisé. On commet des génocides dans le monde au moment même où nous nous parlons. Nous n'avons pas tiré les enseignements du passé.
Les génocides sont condamnés par le monde civilisé. D'ailleurs, le 9 décembre 1948, 42 pays signaient la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. En 1996, ils étaient 142 à l'avoir signée. J'ai apporté une copie de cet accord qui condamne le génocide commis dans le monde civilisé.
Cela étant posé, le Canada ferait preuve de négligence s'il accordait plus d'importance à un génocide de l'histoire qu'aux atrocités commises de nos jours, ailleurs dans le monde. Nous ne devons pas perdre de vue que nous sommes une société multinationale, multiculturelle.
Mme Sadako Ogata, Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés l'a d'ailleurs fort bien résumé dans un discours qu'elle a prononcé au Musée mémorial sur l'Holocauste de Washington, le 30 avril 1997. Dans le dernier paragraphe de son discours, on peut lire:
[...] pour moi, ce musée est un témoignage de notre échec à empêcher la répression et le génocide. Nous avons, aujourd'hui, la possibilité de tirer les enseignements d'hier et de sauver des vies qui seront perdues si nous n'agissons pas. Il ne faut surtout pas rester silencieux. Je vous sais gré de l'attention que vous portez à ce problème. Les victimes nous lancent un appel: plus de génocide!
Cela étant, les anciens casques bleus canadiens jugent que nous ne respectons pas les termes de la convention de 1948.
L'Holocauste est un événement important, tout comme l'assassinat des Rwandais, tout comme les autres génocides de par le monde. Ces génocides devraient faire l'objet d'un musée à part illustrant ce drame humain et permettent de lui accorder tout le respect qui lui est dû. Il faut éviter qu'un mémorial sur les génocides se retrouve à l'étroit dans un musée consacré à l'histoire et au patrimoine militaire canadien.
Un dernier mot sur les génocides. Il faut se garder d'éclipser le génocide des populations pauvres et démunies des pays du Tiers Monde par les génocides survenus dans nos sociétés mieux nanties.
Je veux maintenant dire un mot à propos des anciens casques bleus canadiens. Comme je le disais, nous sommes les petits derniers. Pourtant, le Canada participe aux opérations de maintien de la paix depuis 50 ans. Au début, nous remplissions davantage un rôle d'observateur.
Il y a eu trois missions de l'ONU en Corée. La première, celle de la Commission temporaire des Nations Unies pour la Corée, a débuté en 1947. Puis, la Guerre de Corée a éclaté. À la fin des hostilités, en 1953, une autre commission a été mise sur pied: la Commission de l'armistice militaire du commandement des Nations Unies-Corée, qui existe toujours.
Dans un deuxième temps, on a transformé la mission des forces de l'ONU pour lui donner le rôle plus traditionnel qu'on lui connaissait jusqu'à récemment. Je citerai, à cet égard, le travail de la Force d'urgence des Nations Unis en Égypte, celui de la Force des Nations Unies à Chypre et nos opérations au Congo. Cette période s'est étendue de 1956 à la fin des années 80.
J'ai entendu dire qu'on allait peut-être ajouter le thème de la paix au Musée de la guerre. Eh bien, nous pensons qu'il n'y a pas lieu de le faire puisque nous sommes des soldats au départ. Nous ne sommes pas envoyés outre-mer pour jouer les pacifistes. On nous envoie là-bas pour remplir des missions que d'autres soldats pourraient remplir aussi. Il ne faut pas croire que les casques bleus sont envoyés en terre étrangère, en plein milieu d'un conflit, pour se livrer à des étreintes collectives et améliorer le sort des gens.
À partir de la fin des années 80, le rôle traditionnel des casques bleus a changé. C'est ce qui s'est produit en Yougoslavie. On parle maintenant de «maintien de la paix», d'«imposition de la paix» et de «consolidation de la paix». Toutes ces façons de nommer des missions de guerre ne sont que des euphémismes.
Les Canadiens participent aux missions des casques bleus depuis 50 ans. Nos casques bleus ont servi sur des théâtres d'opération. Nous ne nous retrouvons pas forcément au milieu d'une guerre déclarée, mais nous sommes en pleine zone de combat. Nous sommes un peu comme des arbitres sur un terrain de football américain, nous sommes plus ou moins immobiles.
Nous endurons de rudes conditions de vie, nous connaissons la faim, la soif et nous nous faisons parfois blesser. Bien sûr, certains d'entre nous sont même tués. Et croyez-le ou non, on nous tire dessus avec les mêmes armes de destruction que des belligérants utilisent dans des guerres déclarées. J'ai extrait toutes ces réflexions du livre de Jim MacMillan-Murphy, président national de la CPVA, intitulé: Bullets, Bombs and Blue Berets.
Nous avons, en un sens, connu la situation désespérée de nos aïeux, si je puis utiliser cette expression, quand on voit ce que les autres associations d'anciens combattants ont connu pour essayer de se faire reconnaître. Il aura fallu 35 ans aux anciens combattants de Hong Kong et de la Corée pour qu'on commémore leurs sacrifices et qu'on leur accorde enfin la place qui leur revient dans l'histoire. Nous voulons que cela cesse, mais en fin de compte nous voulons simplement qu'on prenne acte de ce que nous avons fait. Les casques bleus ne datent pas d'hier.
Je le répète, j'y vois là des défauts d'éducation découlant d'un manque de respect. On nous met sans cesse à l'épreuve. Par exemple, l'une de ces épreuves les plus dures est le refus de nous consacrer un Livre du Souvenir dans la Tour de la Paix. Pourtant, 152 Canadiens sont morts dans des missions de maintien de la paix. Depuis cinq ans, nous essayons d'obtenir un Livre du Souvenir dans la Tour de la Paix, mais on nous le refuse systématiquement. C'est une honte!
On dit que nous intervenons dans le cadre de missions spéciales. Les soldats blessés sur des champs de bataille étrangers et dans le cadre de missions spéciales n'obtiennent pas les mêmes avantages que ceux blessés sur des champs de bataille étrangers dans une guerre déclarée.
En 1988, le Canada et les casques bleus canadiens ont reçu en commun le Prix Nobel de la paix. Dans nos tractations en vue d'obtenir la Médaille pour service au sein des forces de maintien de la paix, nous avons réclamé qu'on nous remette une barrette illustrant le Prix Nobel de la paix. On nous l'a refusé. Pourquoi? Le Canada ne devrait pas avoir honte de nos accomplissements.
Tout à l'heure, j'ai mentionné le triste épisode du Régiment aéroporté du Canada. Il faudrait raconter aussi cette histoire dans un musée.
Nous estimons que le système canadien de décorations et de titres honorifiques est défaillant. Maintenant que la GRC participe aux opérations de maintien de la paix, des policiers reçoivent des décorations militaires, ce qui est sans précédent. Et quand nous soulevons ce problème, les gens font la sourde oreille.
Comme nous sommes les petits derniers, nous souffrons bien sûr de maux de jeunesse. Un membre de notre bureau est décédé récemment. C'était un ancien combattant ayant servi au sein de la CICS, au Vietnam et à Chypre. Il était membre de la Légion depuis de nombreuses années. D'ailleurs, il résidait dans un logement de la Légion. Eh bien, à sa mort, on est venu remettre à sa veuve deux notes d'éviction, invoquant le fait qu'il n'était pas ancien combattant.
Honorables sénateurs, nous avons gagné notre statut d'ancien combattant. Il faut aussi raconter notre histoire. Le Musée canadien de la guerre, que ce soit dans ses locaux comme dans ses activités de diffusion externe, est le lieu idéal pour transmettre ce message.
L'Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix ne réclame rien d'autre qu'un peu de respect pour les services rendus par les anciens casques bleus. Nous savons que ce temps viendra et nous savons aussi que notre histoire devrait être racontée avec fierté.
En conclusion, je dirai que le Musée canadien de la guerre n'est pas assez grand. Il n'est pas assez grand pour permettre d'exposer notre patrimoine militaire. En outre, il faudrait placer l'administration et l'exploitation de ce musée sous la responsabilité d'un comité d'anciens combattants, relevant lui-même du ministère des Anciens combattants.
Le Canada est un pays multiculturel, membre des Nations Unies. Nous ne devons pas perdre de vue les obligations associées aux engagements que nous avons acceptés. Nous devons éduquer notre société sur tous les actes de génocide, et nous devons le faire de façon très dynamique pour essayer d'y mettre un terme.
Nous sommes conscients d'avoir fait notre marque et de mériter le respect qu'on accorde aux anciens combattants. Nous sommes le patrimoine militaire canadien des futures générations. Il ne faudrait pas que le mouvement des anciens combattants canadiens soit de nouveau éprouvé par l'ingratitude de leurs compatriotes, comme ce fut le cas à l'occasion de cette question fondamentale qui nous réunit aujourd'hui.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Leduc. Nous apprécions que vous soyez venu nous faire part de votre point de vue.
Le sénateur Jessiman: Votre association d'anciens combattants est-elle reconnue par le ministère des Anciens combattants? Bénéficiez-vous de tous les droits accordés aux anciens combattants? Avez-vous les mêmes problèmes que les gens de la Marine marchande, bien qu'on leur ait maintenant reconnu le statut d'anciens combattants.
M. Leduc: Oui, mais uniquement en vertu de la clause concernant le secteur des services spéciaux. Quand le major Henwood a sauté sur une mine en Yougoslavie et a perdu ses jambes, les ministères ont tiré à pile ou face pour décider qui allait lui fournir une chaise roulante, parce qu'ils ne savaient pas exactement à quel titre ce matériel était fourni. En fin de compte, il n'y a pourtant pas de différence entre la mine qui l'a privé de ses deux jambes et celle qui a tué mon oncle.
Le sénateur Jessiman: Par rapport aux anciens combattants de la Première Guerre mondiale ou de la Guerre de Corée, ou d'autres conflits, avez-vous les mêmes droits en vertu de la Loi sur les anciens combattants?
M. Leduc: Les choses sont un peu différentes dans le cas des services spéciaux. Le calcul des prestations est différent.
Le sénateur Jessiman: Y a-t-il des aspects auxquels la loi ne s'applique pas? Je comprends mal. Vous ne servez que pour un temps limité, après quoi vous êtes dégagés du service et vous faites autre chose? Vos affectations de casque bleu durent-elles un certain temps, comme trois mois ou un an? Comment cela fonctionne-t-il?
M. Leduc: Nos missions sont de six mois en général.
Le sénateur Jessiman: Et pendant cette période d'activité, vous êtes couverts?
M. Leduc: Oui.
Le sénateur Jessiman: Je comprends.
M. Leduc: On a droit aux mêmes avantages, mais parce que nous servons dans un secteur de service spécial, le temps ouvrant droit à pension est compté en double. Il existe différentes prestations.
Le sénateur Jessiman: Cette période est-elle calculée à partir du moment où vous signez au Canada ou à partir du moment où vous arrivez sur place à l'étranger pour remplir votre mission spéciale?
M. Leduc: En général, le temps commence à être compté à partir du moment ou votre unité reçoit l'ordre de mouvement.
Le sénateur Jessiman: Donc, à ce moment-là, vous pourriez très bien vous trouver au Canada?
M. Leduc: Oui. Il arrive souvent que les unités soient trop petites, en sous-effectifs et sous-équipées, et ce serait le bon moment pour recueillir des fonds destinés à l'agrandissement du musée. Souvent, les effectifs de ces forces sont complétés par des réservistes venus de tous les coins du Canada ou par d'autres sous-unités. Dès qu'on se retrouve à l'unité de transit, on est inscrit dans le manifeste et le temps commence à compter pour les états de service.
Le sénateur Jessiman: Je comprends.
Le sénateur Prud'homme: Je dois dire que c'est la première fois, en 34 ans de carrière, que je demeure sans voix en entendant un témoin. Tous ceux qui disent que l'esprit de l'armée est en train de disparaître en même temps que nous anciens combattants, devraient être ici à vous écouter. Les vieux soldats ont de quoi être fiers de la relève. Personnellement, j'ai suivi un entraînement militaire de trois ans à Shilo. J'en suis très fier, mais ce fut ma seule contribution militaire.
Le Canada s'enorgueillit de ses activités au sein des Nations Unies et cela m'ennuie de voir que des gens en profitent sans rien faire. En fin de compte, c'est ce que vous nous dites. Moi, j'aime les gens. Quand je rencontre des élèves, je leur dis que je remercie tous les bérets bleus que je croise. Mais oui, c'est ce que je fais dans toutes les parties du monde où je me retrouve. Ces gens-là ne savent pas qui je suis, mais je les remercie quand même de ce qu'ils font pour le Canada. Le simple petit mot «merci», est chargé de sens. Je suis sûr que vous êtes de cet avis.
Estimez-vous qu'on vous consulte en qualité d'association représentant vos collègues? Trouvez-vous que vous faites partie du processus décisionnel? Vous avez personnellement servi au Moyen-Orient, à Chypre et ailleurs dans le monde. Vous consulte-t-on? Estimez-vous qu'on vous fait participer à la prise de décision pour l'avenir?
M. Leduc: Absolument pas. Nous sommes situés à Victoria et c'est un inconvénient. Nous sommes un organisme national, mais nous sommes installés là-bas. Les casques bleus n'ont pas été mis sur pied hier. Bien des gens ont participé à des missions de cet organisme pendant des années et les spécialistes du maintien de la paix ne manquent pas, parce que nous sommes intervenus un peu partout dans le monde. Nombre de nos anciens combattants ont eu des affectations répétées. Mais en général, on les consulte d'abord.
Le sénateur Prud'homme: Vous dites que le gouvernement du Canada a refusé d'ouvrir pour vous un Livre du Souvenir. Je suis maintenant sénateur indépendant, mais j'ai été membre d'un parti politique pendant 40 ans, dont 30 à la Chambre des communes. J'aime dépolitiser le débat et je pourrais fort bien déposer un projet de loi au Sénat, mais celui-ci serait alors la voix d'un seul membre. Je suis sûr que d'autres, aujourd'hui, sont prêts à nous écouter et que nous pourrions rassembler tous les partis autour d'un projet de loi que nous soumettrions au Sénat.
Personnellement, je ne comprends pas cela. Je vois tout à fait le genre de livre dont vous parlez, puisque cela fait 35 ans que j'explique à des élèves ce dont il s'agit. Récemment, on a d'ailleurs ajouté un livre pour les anciens combattants de la Marine marchande. Pourquoi vous a-t-on dit non? Parce que les conflits doivent être terminés? Pourquoi?
M. Leduc: On nous a fourni plusieurs réponses, notamment le fait qu'il n'y ait pas de guerre déclarée et donc, qu'il n'y aura jamais de fin. Autrement dit, ce serait un livre ne portant pas sur une période définie, ce à quoi nous rétorquons que telle est la réalité. L'autre raison qu'on a invoquée est le manque d'espace dans la chapelle, mais cela n'est pas notre problème. Arrêtez donc de nous envoyer outre-mer si vous ne voulez pas ajouter de livres. Ce sont là les raisons qu'on nous avance à notre demande qui remonte à plus de cinq ans déjà. Nous avons même proposé au gouvernement de concevoir nous-mêmes le Livre, sur notre temps.
Le sénateur Prud'homme: Vous ne devriez pas avoir à le faire.
M. Leduc: Je sais, mais nous essayons tout. De plus, personne ne s'entend sur le nombre de morts. Hier, on nous a dit qu'il y en avait eu 111, mais en fait il y en a eu 152. Trois employés du ministère des Affaires étrangères sont morts en mission au service de la paix et un pilote civil est mort en Yougoslavie. C'était un Canadien, il n'est pas différent des autres. Tous les autres étaient des militaires.
Le sénateur Prud'homme: Pour quelle raison avez-vous refusé le Prix Nobel de la paix?
M. Leduc: Quand le gouvernement nous a fait part de son intention de construire un monument du Souvenir ici, à Ottawa, nous avons demandé ce qu'il ferait dans le cas des anciens combattants de Terre-Neuve ou de Colombie-Britannique. Il nous a répondu que cela n'importait pas, que c'est ainsi qu'il comptait commémorer les casques bleus canadiens. C'est absolument insensé. Si nous n'avons pas reçu le Prix Nobel de la paix individuellement, nous faisions tous partie du corps à qui on l'a remis. Cela fait de moi un lauréat du Prix Nobel, mais si je le dis autour de moi, personne ne me croit. Pourtant, il n'y a aucune différence entre Lester Pearson et moi-même. Nous avons tous deux reçu le Prix Nobel de la paix. Bien sûr, il y a des différences sur d'autres plans.
Le sénateur Prud'homme: Cette barrette serait-elle portée par tous les casques bleus?
M. Leduc: À l'origine, on a songé à faire produire une barrette qui représenterait la médaille du maintien de la paix dont je vous ai parlée, et qui serait remise à tous les casques bleus ayant servi au sein de l'ONU avant le 10 décembre 1988, c'est-à-dire jusqu'à la date de la signature du certificat. Nous avons entrepris les négociations avec le comité norvégien du Prix Nobel de la paix, et nous allons continuer de le faire à nos propres frais, si besoin est, en vue d'obtenir le droit de reproduire le certificat que nous ferions parvenir à tous les anciens combattants pouvant y prétendre, parce que le gouvernement ne veut pas le faire. C'est une honte.
Le sénateur Prud'homme: Je m'abstiendrai de dire quoi que ce soit sur la façon répugnante et sans précédent dont le gouvernement canadien a traité le Régiment aéroporté du Canada, mais je pense que cette décision de punir un groupe d'hommes durs et admirables tenait essentiellement à motifs politiques. C'est ce que je pense.
M. Leduc: J'ai servi neuf ans sous le drapeau du Régiment aéroporté et, à cette époque, j'aurais donné ma vie pour n'importe lequel de mes camarades. C'est ainsi que ces gens-là fonctionnent. C'est une méthode peut-être un peut trop agressive au goût de certain, mais cela fait partie de la vie. Le gouvernement a non seulement entaché la bonne réputation des membres actuels du Régiment aéroporté du Canada, mais il a aussi terni les noms de ceux qui nous ont précédés, ce qui est horrible parce que ce régiment a été bâti sur la vaillance de ces gens-là.
Le sénateur Prud'homme: Hier, j'ai parlé de la mémoire collective, de la mémoire militaire institutionnelle, et je veux en reparler aujourd'hui. Certes, aucun membre du conseil du musée ne représente cette mémoire, et c'est ce qui vous agace, à juste titre.
Le sénateur Kelly: Merci pour votre présentation. Vous avez certainement une foule d'idées à exprimer, et vous le faites très bien. Je dois vous préciser que je suis moi-même ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale. Je ne porte pas mes décorations, pas plus que vous, mais je suis certainement qualifié pour vous dire certaines choses.
Nous sommes réunis ici pour essayer de déterminer s'il convient ou non d'ouvrir une aile sur l'Holocauste au sein du Musée canadien de la guerre. Vous venez de nous dire qu'une telle galerie ne devrait pas faire partie du musée. Vous jugez que le musée actuel ne décrit pas suffisamment bien l'histoire militaire du temps de guerre et du temps de paix, et c'est pour cela que vous êtes en faveur de son agrandissement.
M. Leduc: Tout à fait.
Le sénateur Kelly: Reconnaîtriez-vous que la proposition de consacrer un mémorial à l'Holocauste est valable en soi? Vous ne croyez tout de même pas que si nous discutons aujourd'hui de l'Holocauste, nous ne parlerons pas plus tard des autres cas de génocide? Les deux ne s'excluent pas mutuellement. Ce n'est certainement pas ce que vous pensez.
M. Leduc: Non, mais j'ai l'impression qu'on devrait accorder la même importance à l'Holocauste et aux autres génocides.
Le sénateur Kelly: Je suis sûr que vous conviendrez avec moi qu'avec le temps, il y aura d'autres génocides et qu'on ne peut pas attendre indéfiniment pour leur consacrer un mémorial. Nous devons le faire sans égard à l'ordre dans lequel ces événements se sont produits. Il y aura encore des génocides.
Le sénateur Prud'homme: Dans ce cas, il faut commencer par les Arméniens.
Le sénateur Kelly: C'est un véritable torrent et nous avons juste à espérer qu'il s'arrêtera un jour.
M. Leduc: Voilà pourquoi il vaudrait mieux loger ce genre d'exposition dans un musée distinct. On pourrait alors y faire les ajouts qu'on veut ensuite.
Le sénateur Kelly: Parfait. Ça m'a chagriné de vous entendre dire que les Canadiens ne sont pas fiers de votre rôle en temps de guerre et en temps de paix. Vous avez tout à fait tort de penser cela. Mais je suis certain que ce n'est pas le cas.
M. Leduc: Je ne dirai pas qu'ils n'en éprouvent aucune fierté, mais ils n'en ont pas beaucoup.
Le sénateur Kelly: Ne prenez pas mal ce que je vais vous dire, mais je trouve que vous avez un penchant pour les grandes déclarations. Très honnêtement, je pense que les Canadiens de tous âges ressentent envers vous un peu plus de respect que vous le pensez. J'espère que vous chercherez à revoir cette impression, parce que plus vous répandrez cette opinion autour de vous et plus vous risquez d'infléchir les choses, positivement comme négativement. Vous risquez d'amener certains de vos camarades, qui sont fiers de ce qu'ils ont accompli, à penser que leurs compatriotes ne reconnaissent pas leurs actes, ce qui risque de les blesser. Je ne pense pas que tel soit le cas. Bien sûr, les choses pourraient toujours être mieux.
M. Leduc: Puis-je vous citer un exemple? Quand j'étais à l'école des candidats officiers de Chilliwack, en Colombie-Britannique, nous allions accueillir les jeunes recrues à l'aéroport. Nous y allions toujours en uniforme. Comme j'étais sous-officier supérieur de l'infanterie, je portais une ceinture-écharpe et j'avais sous le bras mon mesure-pas. Je ne ressemblais certainement pas à un porteur, mais tout le monde me posait des questions du genre: «Où puis-prendre un taxi? Où dois-je aller pour prendre cet avion?» et ce n'est pas une plaisanterie. Une autre fois, au cours d'un exercice, nous avons sauté au-dessus du nord de l'Ontario, à un moment où il y avait un problème avec notre drapeau. Malgré la présence importante de journalistes, les gens nous demandaient si nous étions des soldats américains. Je suis sérieux. Ça c'est vraiment passé comme ça.
Le sénateur Kelly: Je suis colonel honoraire d'un régiment du génie. Un jour, quand j'étais en uniforme, quelqu'un m'a demandé de lui apporter deux verres. Eh bien, je me suis exécuté et cela ne m'a pas mis mal à l'aise.
M. Leduc: Notre rôle est d'éduquer les gens.
Le sénateur Kelly: Bien sûr, je pense que c'est ce que vous voulez faire et que les efforts que vous avez déployés en ce sens porteront fruit, quelle que soit l'issue de tout cela.
Le président: Merci, sénateur Kelly. Quand nous vous verrons en uniforme, nous vous demanderons de nous servir à boire.
Le sénateur Cools: Je compatis avec vous à propos du déclin dont sont victimes les militaires et la vie militaire au Canada. Même la langue militaire se meurt.
En aparté, vous avez parlé de responsabilité. Vous avez dit qu'il faut tenir responsables les dirigeants du musée pour cette situation ou pour ce qu'ils ont fait. Pourriez-vous développer votre pensée à ce sujet?
M. Leduc: Je crois que cela est précisé à la page 5 de mon mémoire. On est en train de discuter du sort de la Galerie sur l'Holocauste, mais de toute évidence on se trouve devant un fait accompli. Ces gens-là se sont déjà tournés ailleurs et on a l'impression qu'ils n'ont plus qu'à récupérer l'argent pour construire leur nouvelle aile. Autrement dit, nous sommes en train de tenir une discussion après coup. Ils tirent leur pouvoir du mandat du musée, qui est de conserver notre patrimoine militaire canadien. Personnellement, j'estime que les responsables de cette affaire -- pas les bénévoles, mais le personnel de haut niveau, à commencer par les directeurs -- devraient être appelés à rendre des comptes. Les anciens combattants canadiens ne devraient plus être éprouvés par des questions aussi simples.
Le sénateur Cools: Si je vous pose cette question, c'est que dans ce pays, ce sont les ministres que nous tenons pour responsables. À longue échéance, les fonctionnaires ne sont pas responsables, ce sont les ministres. Cependant, quand on est dans une zone grise, comme c'est le cas avec les sociétés d'État, le Parlement doit examiner la question d'un peu plus près, parce qu'il arrive que les axes de responsabilité ne soient pas aussi bien définis qu'ils le devraient.
Au début de nos audiences, nous avons été fascinés d'entendre les représentants du ministère nous expliquer que leurs sociétés d'État sont autonomes par rapport à l'exécutif et par rapport au ministre. Quant à moi, il y aurait lieu de revoir la notion de responsabilité ministérielle dans ce cas et de se demander si elle a fonctionné ou pas en ce qui concerne cette société d'État. Je voulais juste être sûre d'avoir bien compris ce que vous vouliez dire.
La deuxième question que je veux vous poser est de nature un peu plus philosophique. J'ai été à la fois très touchée et frappée de vous entendre utiliser le terme «valour» pour décrire la vaillance, terme que j'orthographie personnellement à l'anglaise «V-A-L-O-U-R». Cela m'a rappelé une audience au cours de laquelle nous avions accueilli le général de Chastelain qui était encore en activité à l'époque. En réponse à une question d'un sénateur, il a déclaré: «Sénateur, je suis soldat, mon travail est d'obéir».
Comme vous le disiez il y a quelques minutes, vous auriez donné votre vie pour vos camarades. Ce faisant, vous parliez de vaillance. D'une certaine façon, tout ce dossier gravite autour de la question de la vaillance. En vous écoutant et en écoutant Mme Jean-Gogan il y a quelques minutes -- elle qui a dû voir tant de souffrances en portant secours aux malades, aux blessés et aux mourants --, la notion de vaillance m'est venue à l'esprit.
Peut-être que c'est cela qui ne cadre pas avec l'idée de loger la Galerie sur l'Holocauste dans le Musée de la guerre. Au bout du compte, le métier des armes est synonyme de vaillance. Les opérations militaires sont synonymes de bravoure et de courage, pas de viles attaques contre des milliers de Juifs non armés, sans défense, que représente l'Holocauste. En vous entendant nous rappeler ce principe et le principe de la vaillance, je me suis dit que c'est sur ce point que les choses ne collent pas. Un bon soldat se bat pour défendre sa cause; il se bat pour Dieu, pour la Reine et pour son pays. Il ne tue pas les innocents.
Je ne sais pas, monsieur le président, mais il est fort possible que tout le problème se ramène à cela et que c'est pour cette raison que les anciens combattants, à la quasi-unanimité, sont opposés à la cohabitation des deux musées. C'est certainement cela, parce que les anciens combattants n'auraient sinon aucune raison de s'opposer aussi unanimement et de façon aussi déterminée à ce projet.
Ma remarque était peut-être un peu longue, mais vous pourriez peut-être maintenant nous faire part de vos réactions sur l'aspect militaire, c'est-à-dire la vaillance, et sur la caractéristique de l'Holocauste, associée à l'extermination d'êtres humains, à de lâches attaques conduites contre des innocents.
M. Leduc: Je ne vais vous parler qu'en mon nom propre et uniquement de ce que je connais. Je ne pense pas qu'au cours de l'histoire la vaillance ait changé. Je ne pense pas que le métier de soldat, en tant que réponse honorable à l'appel aux armes, ait changé. Quand vous voulez envoyer des gens pour commettre des actes épouvantables -- autrement dit pour éventuellement tuer d'autres gens -- vous devez créer un esprit de corps, vous devez leur proposer une cause. C'est quand ce genre de cause tourne mal, quand les gens commencent à confondre leurs idéaux et les causes pour lesquelles vous vous battez, que les choses ne vont plus.
J'ai grandi à Montréal, ville entièrement multiculturelle. Quand j'y retourne, j'aime pouvoir échanger avec des gens en anglais, en italien ou en français. Tout le monde peut tenir la conversation dans sa propre langue, mais nous savons tous de quoi nous parlons. Si je me présentais comme étant supérieur à eux, c'est là que nous commencerions à avoir des problèmes.
Le sénateur Chalifoux: Que de souvenirs vous réveillez en moi! Le père de mes enfants a fait partie des 11 premiers membres du PPCLI à suivre l'entraînement de parachutiste au début de la formation du Régiment aéroporté canadien. Ce fut une histoire très glorieuse. Pendant toute la Seconde Guerre mondiale, j'ai travaillé dans une cantine de l'Armée du Salut et j'ai aussi administré pendant plusieurs années la cantine de l'armée de la caserne Currie. Mes enfants étaient des fanatiques d'armée et ils ont gardé cette fierté jusqu'à l'affaire de la Somalie. À cause de ce scandale, la fierté qu'ils ressentaient pour leur père a été ternie. Ce sont tous des adultes maintenant, certains sont peut-être même plus vieux que vous.
Tout cela m'amène à m'interroger sur cette question de fierté. J'habite à proximité de Namao. L'armée est en train de revenir à Edmonton où il y a maintenant une superbe base. Je me rappelle quand on a fermé la caserne Currie. Personne n'a jamais parlé du cas des familles, des femmes et des enfants qui sont restés derrière. Personne n'a jamais dit que nous vivions avec presque rien, qu'on nous avait regroupés dans des logements familiaux d'urgence où nous devions tendre des couvertures grises au milieu des pièces, pour les subdiviser. Tout cela fait partie de notre histoire militaire.
Je vais vous demander ce que vous pensez de l'espace utilisé pour l'histoire au Musée. On nous dit que 35 p. 100 de la future superficie sera réservée à la Galerie sur l'Holocauste. Que pensez-vous de ce pourcentage par rapport à la superficie qu'on va consacrer à l'histoire canadienne.
M. Leduc: Voilà une bonne question, madame. Vous venez de soulever plusieurs points intéressants. Je pourrais remplir ces 35 p. 100 d'espace avec les seuls artefacts retraçant l'histoire de ma famille. On pourrait utiliser cet espace pour présenter de nombreux objets du patrimoine militaire canadien. Si je suis seul à m'intéresser à certains aspects, je veux pouvoir me rendre au Musée et découvrir ce que j'y cherche. J'estime que la galerie sur l'Holocauste est totalement hors contexte. Je le répète, elle devrait faire l'objet d'une structure à part. L'Holocauste est un phénomène trop important, de trop grande envergure pour l'enfermer dans cet espace. En outre, on ne devrait pas nous imposer cette formule, au moment où nous cherchons nous-mêmes des espaces additionnels.
Quant à la vie de famille, sachez que ma femme et moi sommes le seul couple à être demeuré ensemble pendant 25 ans de vie militaire, et j'en connais des gens dans l'armée. À cause de notre rythme de vie, elle a quasiment élevé notre fils toute seule. Quand j'étais au Régiment aéroporté, je ne suis rentré régulièrement à la maison que durant deux années des cinq années que j'y ai passé. Il faut des femmes très fortes pour assumer ce genre de rôle, et on ne les louange jamais assez pour cela.
Le sénateur Chalifoux: J'ai élevé ma famille toute seule. J'ai été mère célibataire grâce à l'armée.
M. Leduc: C'est dur.
Le sénateur Chalifoux: C'est quelque chose que les organismes d'anciens combattants ne doivent pas perdre de vue dans leurs négociations; ils ne doivent pas oublier la souffrance des femmes et des enfants. Personnellement, j'ai dû annoncer à ma meilleure amie que son mari venait d'être tué en Corée, parce que l'aumônier ne pouvait pas le faire. La souffrance des familles aussi fait partie de notre histoire. Il faudrait que cela fasse partie de nos délibérations sur le Musée canadien de la guerre, parce que c'est une partie de notre histoire.
Le président: Je suis certain que nous vous réinviterons souvent, monsieur Leduc, après avoir entendu votre présentation d'aujourd'hui.
Le sénateur Forest: J'abonde dans le sens du sénateur Kelly. Je comprends que vous soyez blessé et préoccupé, mais les Canadiens sont nombreux à respecter les forces armées.
M. Leduc: Il n'empêche que nous devons encore faire de la vulgarisation.
Le sénateur Forest: Effectivement, surtout dans le cas des enfants.
Le président: Comme le témoin que nous devions entendre à présent n'a pu se rendre à notre invitation, nous allons accueillir M. Cliff Chadderton, président de l'organisme d'encadrement, qui va nous présenter le mémoire de la Sir Arthur Pearson Association of War Blinded.
M. Cliff Chadderton, président honoraire, Sir Arthur Pearson Association of War Blinded: La Sir Arthur Pearson Association of the War Blinded a été constituée au lendemain de la Première guerre mondiale par le célèbre colonel Eddie Baker. Depuis, cette association s'occupe des aveugles de guerre.
Bill Mayne, qui était sensé comparaître à ma place, a subi une crise cardiaque avant-hier soir. Il va bien; il est à l'hôpital Sunnybrook. Il m'a demandé d'aborder trois points en particulier:
Le premier découle de vos échanges d'hier à propos de M. Fred Gaffen. Nous avons en dossier une coupure de presse qui vous apprendra exactement ce que vous voulez savoir. Nous l'avons fait remettre au greffier du comité. Il s'agit d'un article qui a paru dans le Citizen du 1er février 1997. Je vous en lirai une partie. C'est très surprenant. M. Gaffen y déclare que tout semble indiquer que la Galerie sur l'Holocauste deviendra réalité et qu'on y traitera du rôle des soldats canadiens, surtout des soldats d'allégeance juive. L'article se poursuit ainsi:
Mais elle ne sera pas uniquement concentrée sur l'aspect militaire, promet Gaffen. On y trouvera des preuves écrasantes de l'antisémitisme rampant qui régnait au Canada à l'époque et proposera un examen sans complaisance du racisme du Premier ministre de l'époque, MacKenzie King, et de certains de ses hauts fonctionnaires.
Un peu plus loin, on cite Irving Abella, auteur de None is Too Many:
Soit on dit la vérité, soit on ne dit rien du tout.
Voici qui révèle l'objectif visé par Gaffen. Il déclare que, de tout le monde occidental à l'époque, les Canada est le pays qui s'est le plus mal comporté envers les Juifs et qui fut l'un des plus accommodant pour accepter les criminels de guerre nazis.
Un peu plus loin, on peut lire:
L'antisémitisme est un sujet particulièrement délicat au Québec, comme le montre la récente levée de bouclier contre le lieutenant gouverneur Jean Roux. Gaffen et Abella reconnaissent que les sentiments antisémites sont particulièrement virulents là-bas (autant parmi les anglophones que parmi les francophones québécois...).
Voilà, je pense, ce sur quoi le comité voulait mettre la main. M. Gaffen nous a déclaré, en février dernier, que la galerie sur l'Holocauste ne s'apparenterait pas à ce qu'on retrouve normalement dans un musée de la guerre. En un sens, il était beaucoup plus question de faire une exposition à caractère politique sur l'antisémitisme du Canada.
Je vais à présent vous lire le mémoire de la Sir Arthur Pearson Association. J'ai apporté une touche à sa rédaction, parce que je suis le président national de l'association.
Votre comité sera particulièrement intéressé par les remarques d'Adrienne Clarkson, apparaissant au bas de la page un. C'est la première fois que nous parvenons à obtenir des déclarations d'Adrienne Clarkson sur toute cette affaire. Je sais qu'elle doit comparaître devant votre comité, mais mon association veut tout de suite commenter les déclarations en question.
Premièrement, elle déclare que l'idée originale de la Galerie sur l'Holocauste découle du mandat du Musée canadien de la guerre, mandat qu'elle énonce par la suite. Mme Clarkson croit donc que la galerie sur l'Holocauste est conforme à son mandat.
Mon association s'inscrit en faux contre cet avis pour les raisons que nous avons déjà indiquées.
Mme Clarkson déclare ensuite que le conseil du Musée des civilisations:
[...] en est venu à la conclusion que le Musée (de la guerre) est non seulement le meilleur endroit où commémorer le plus important événement de la Seconde guerre mondiale, mais aussi parce que le Musée pourrait y trouver son intérêt, si cette galerie devait permettre d'attirer un éventail plus large de Canadiens[...]
Nous avons beaucoup de difficultés à accepter cette conclusion selon laquelle le Musée de la guerre est le meilleur endroit où loger un mémorial. Par ailleurs, nous avons un peu de mal à admettre ce qu'elle a dit à propos de l'Holocauste, qui serait l'événement le plus important de la Seconde guerre mondiale. Les membres de notre association, tous des blessés de guerre, ont eu l'occasion de faire connaissance avec la guerre avant de perdre la vue, et ils tiennent à rappeler qu'ils ne savaient presque rien pour ne pas dire rien de l'Holocauste. Eux non plus ne sont pas d'accord avec le fait qu'on qualifie l'Holocauste «d'événement le plus important de la Seconde guerre mondiale».
Ils demandent également au comité de se pencher sur la participation des Canadiens à l'opposition de l'agression armée du Japon. Quand Mme Clarkson déclare que l'Holocauste a été l'événement le plus important de la Seconde Guerre mondiale, ils estiment qu'elle détourne l'attention des batailles au cours desquelles ces anciens combattants ont été blessés, par exemple la bataille d'Afrique du Nord, la bataille d'Angleterre, la bataille de l'Atlantique et bien d'autres encore.
Mme Clarkson dit qu'elle veut s'ouvrir à un plus large éventail de Canadiens et elle rajoute:
[...] la Galerie sur l'Holocauste s'inscrira dans le cadre des travaux généraux d'agrandissement du Musée (de la guerre) qui sera ainsi davantage en mesure d'exposer ses collections très importantes.
Nous ne sommes pas d'accord avec cela non plus. À ce que nous sachions, il n'y a pas de collection importante sur l'Holocauste au Musée de la guerre. Cette collection devra être constituée par les spécialistes qui seront chargés de doter la Galerie sur l'Holocauste.
Nous sommes d'avis qu'il faut contester cette déclaration. Et c'est d'ailleurs ce que nous faisons ici.
Mme Clarkson déclare aussi que «le musée est une importante institution nationale», ce que nous ne remettons bien sûr pas en question. Elle ajoute:
[...] le conseil actuel est déterminé à l'utiliser à son plein potentiel pour que la contribution de nos soldats à notre pays continue d'être reconnue et puisse être une inspiration pour les futures générations.
Apparemment, on doit lire ce passage en tenant compte du fait que le conseil tient à avoir sa galerie sur l'Holocauste. Nous ne pouvons pas accepter de nous faire dire que l'ouverture d'une Galerie sur l'Holocauste permettra d'améliorer le Musée de la guerre.
Adrienne Clarkson poursuit en disant que:
[...] des objets d'une extrême importance sont actuellement entreposés et ne peuvent être exposés, soit à cause de contraintes financières, soit à cause du manque d'espace.
Eh bien, j'ai personnellement visité la Maison Vimy à plusieurs reprises. Outre les peintures d'Aba Bayefsky et quelques autres de Coleville sur Bergen-Belsen, je ne sache pas qu'il existe en entreposage, ni dans les mains du Musée de la guerre, beaucoup d'artefacts sur l'Holocauste.
Mme Clarkson dit que:
[...] la décision d'ajouter une Galerie sur l'Holocauste n'est qu'une étape en vue de transformer le Musée (de la guerre) en une destination importante pour un vaste public, qui sera attirée non seulement par cette exposition, mais aussi par les objets nouvellement acquis ou remis en état que nous pourrons nous permettre grâce à de nouvelles recettes.
Nous nous inscrivons en faux contre cette déclaration également. Nous ne suggérons pas qu'une Galerie sur l'Holocauste n'attirerait pas de nouveaux visiteurs. Cependant, celle-ci devrait-elle être la destination d'un large public intéressé à la visiter? Enfin, si l'on transformait ce Musée de la guerre en une destination intéressante pour le public, celui-ci pourrait visiter cette institution principalement pour découvrir le passé militaire des Canadiens, car c'est ce passé qui devrait être le centre d'attraction, et pas l'Holocauste.
Le point suivant, entièrement différent, concerne les Amis du Musée canadien de la guerre. Mon association tient à faire part à votre comité du contenu d'une lettre signée par le Colonel Holtzhauer qui a comparu devant vous hier. Il y déclare que cette organisation, les Amis du Musée canadien de la guerre, est favorable au statu quo. On y suggère qu'il aurait été difficile de parvenir à cette décision de façon soi-disant démocratique. Il importe de le souligner.
J'ai ici la lettre de la campagne de la Passation du flambeau. Le deuxième nom à paraître sur la liste des mécènes est celui de Cliff Chadderton. Or, vous savez que je ne suis pas d'accord avec la position des Amis du Musée de la guerre. Le quatrième nom est celui de Barnett Danson. Et nous savons, d'après les documents que votre comité a en sa possession, que M. Danson n'est pas non plus d'accord avec cette décision. L'autre nom qui apparaît sur cette liste est celui de M. Hugh Green, de la Légion royale canadienne. Lui non plus n'est pas d'accord avec cette décision. On peut se demander comment, malgré tout cela, les porte-parole des Amis du Musée de la guerre se sont arrogés le droit de venir déclarer devant votre comité que l'exposition sur l'Holocauste fait l'objet d'un soutien unanime.
Enfin, essayons de trouver réponse à une question posée plus tôt: quelle est la position du ministère des Anciens combattants dans ce dossier? Eh bien, nous avons en notre possession une lettre qui va répondre à cette question. M. Hotzhauer a écrit à M. Don Ives du ministère des Anciens combattants pour lui demander de venir comparaître devant le comité et annoncer que son ministère appuie la position des Amis du Musée de la guerre. Dans sa réponse écrite, M. Ives déclare que les organismes d'anciens combattants s'opposent à la Galerie sur l'Holocauste, notamment à cause du contrôle qu'exerce le Musée canadien des civilisations sur le MCG. C'est la première fois que je vois une lettre du ministère des Anciens combattants sur toute cette question, et c'est pourquoi nous vous en parlons aujourd'hui. Les représentants du ministère des Anciens combattants ont déclaré qu'ils ne voulaient pas émettre d'opinion risquant d'être perçue comme une critique du but éventuel d'une des principales organisations d'anciens combattants ou de l'administration de la Société du Musée canadien des civilisations.
L'Association Sir Arthur Pearson estime que ce point de vue présente un grand intérêt et une grande valeur pour votre comité. Tout d'abord, nous suggérons à votre sous-comité de se montrer très prudent vis-à-vis de ce que lui dit les Amis du Musée canadien de la guerre. Si vous le désirez, je pourrai déposer cette lettre auprès de votre comité. Comme je vous le disais, au moins trois des cinq ou six mécènes du Musée ne sont pas d'accord avec la position des Amis du Musée canadien de la guerre vis-à-vis de la Galerie sur l'Holocauste.
Nous croyons qu'il est important que votre comité soit au courant de l'existence de cette lettre du ministère des Anciens combattants où le signataire y déclare qu'au moment de sa rédaction, les responsables du ministère ne voulaient pas risquer de donner l'impression de critiquer l'objectif probable d'un des principaux organismes d'anciens combattants.
À l'occasion de cette comparution, mon association voulait d'abord s'assurer que le comité était au courant des déclarations de M. Fred Gaffen. Deuxièmement, nous voulions vous faire prendre connaissance de certaines des déclarations d'Adrienne Clarkson, consignées par écrit, parce qu'il nous a été difficile de déterminer exactement quelle était sa position. Rappelons que pour elle, cette idée découle du mandat du Musée. Elle estime, par ailleurs, qu'une Galerie sur l'Holocauste contribuera énormément à la capacité d'attraction du Musée de la guerre.
Troisièmement, après avoir appris que les Amis du Musée canadien de la guerre avaient comparu devant vous, mon association, qui apporte un important appui financier à cette organisation, a tenu à faire savoir au comité que le point de vue du Colonel Holtzhauer ne reflète pas nécessairement celui de tous les mécènes.
Le président: Monsieur Ives, dont vous avez prononcé le nom, appartient à la section commémorative du ministère des Anciens combattants à Ottawa; est-ce exact?
M. Chadderton: Oui, M. Don Ives.
Le sénateur Jessiman: Cependant, le ministère ne prend pas non plus position en votre faveur. N'est-il pas un peu indécis?
M. Chadderton: Oui.
Le sénateur Jessiman: Dans cette lettre, on dit qu'il ne veut pas risquer d'émettre une opinion risquant d'être perçue comme une critique de l'objectif probable poursuivi par la principale organisation d'anciens combattants -- c'est-à-dire vous-même -- ou par l'administration de la SMCC. Autrement dit, il ne veut prendre la part de personne. J'aimerais beaucoup me ranger à votre interprétation, mais je ne le peux pas. Je pense que le ministère des Anciens combattants déclare tout simplement qu'il ne veut pas se retrouver pris entre deux feux.
M. Chadderton: Il faut tenir compte du fait que le Colonel Holtzhauer a écrit à Don Ives pour lui demander l'appui du ministère dans sa position, appui qu'il n'a pas obtenu. C'est cela que nous voulons dire.
Le sénateur Forest: Monsieur Chadderton, aidez-moi à tirer une chose au clair. À la page 4 de votre mémoire, vous dites que dans sa lettre, M. Don Ives précise que les Amis du Musée canadien de la guerre sont favorables au statu quo. Je comprends par statu quo la situation telle qu'elle était avant.
M. Chadderton: Non. Le sens de cette lettre est très clair à ce sujet. Je crois que celle-ci ne prête à aucune interprétation. D'après les déclarations du Colonel Hotzhauer et de Murray Johnston, les Amis du Musée canadien de la guerre étaient d'accord avec l'adjonction de la Galerie sur l'Holocauste. C'est cela le statu quo auquel ils font allusion.
Je suis désolé si cela n'était pas très clair, mais je ne peux que vous lire ce qui est écrit dans cette lettre.
Le sénateur Forest: En avez-vous copie?
Le sénateur Cools: Nous aimerions en avoir copie. Si vous avez copie de cette lettre, M. Chadderton, vous pourriez peut-être nous la remettre.
M. Chadderton: C'est la première chose que je ferai demain matin. C'est M. Mayne qui a tous les documents et je n'ai pas jugé nécessaire de les apporter avec moi. J'ai appris à la dernière minute qu'il ne comparaîtrait pas.
Le sénateur Cools: J'ai une remarque à faire au sujet de la coupure de presse que vous nous avez lue. Vous nous avez dit citer M. Fred Gaffen. Cette citation est extraite du Ottawa Citizen du samedi 1er février 1997.
La galerie de Gaffen commémorera aussi les autres victimes du nazisme (les homosexuels, les slaves et les gitans), de même que les victimes des guerres contemporaines, en Bosnie ou au Rwanda et ailleurs, déclenchées par la haine ethnique. Il espère que cette exposition incitera le visiteur à s'interroger sur tous les préjugés banals et quotidiens qui nous entourent, préjugés que nous avons en nous mais ne pouvons voir et qui donnent lieu aux attitudes qui seront germes des holocaustes à venir.
Je retiens de ce que nous avons dit M. Chadderton, monsieur le président, que nous devrions peut-être nous entretenir de nouveau sur le fait de re convoquer M. Gaffen. M. Chadderton vient de nous apporter certains éléments qui nous manquaient. Nous devrions revoir ce qui a été prévu relativement au dépôt de cette information devant le comité.
Le président: Je vous rappelle que nous avons une réunion à huis clos à 9 heures.
Le sénateur Cools: Très bien. Avez-vous d'autres informations à nous communiquer? Il n'est plus ici question d'un musée, mais d'une tribune politique. Le produit final sera ce qu'il sera, mais certainement pas un musée, ce sera quelque chose d'autre. Ce qui ressortira de tout cela pourrait être tout à fait valable, mais ce ne sera pas un musée. Auriez-vous d'autres renseignements à nous communiquer à ce sujet?
M. Chadderton: Oui. Quand cette lette a été connue, j'étais hors du pays. Je suis rentré vers le 10 mars et j'ai alors téléphoné à M. Gaffen pour lui dire que j'avais pris connaissance des titres de journaux annonçant l'ouverture envisagée d'un Musée sur l'Holocauste à Ottawa. J'avais donc entendu parler d'un Musée sur l'Holocauste et je lui ai demandé de m'expliquer ce qu'il avait voulu dire au sujet de l'antisémitisme du gouvernement de MacKenzie King et la façon dont il l'entendait traiter de cet aspect? M. Gaffen m'a répondu que cela incombait aux Conservateurs et que, quant à lui, il travaillait pour Irving Abella et les autres qui lui avaient dit de déclarer cela.
Au cours de cet entretien, je n'ai pas abordé la question des autres génocides et je me suis limité au thème de l'article, c'est-à-dire l'Holocauste. M. Gaffn m'a alors indiqué le nom d'une certaine «Fuzzy» Teitelbaum, président d'un groupe local qui pourrait nous donner toutes les informations voulues. Je crois qu'elle est experte en matière d'Holocauste.
Il m'a dit par ailleurs que selon lui, après la publication de cet article, il venait de se faire couper les ailes. Je ne pourrais vous citer exactement les mots qu'il a employés, mais il m'a dit qu'il ne pourrait plus en parler avec moi. J'ai eu cet entretien six semaines environ après la parution de l'article.
Le sénateur Cools: Dans l'article, on mentionne la même personne que vous avez citée, Mme Teitelbaum, qui a interviewé les survivants de l'Holocauste dans le cadre du très impressionnant projet Shoah, mené par le metteur en scène de Hollywood Steven Spielberg. Honorables collègues, il y a une différence entre la muséologie et le divertissement. Mais cela, c'est une autre question.
M. Chadderton: Notre intention était de vous fournir ce document, parce qu'il en a été question hier. Personne ne savait où le trouver, mais nous l'avions en notre possession.
Le président: Nos témoins suivants représentent la First Canadian Parachute Battalion Association.
M. Jan DeVries, président, First Canadian Parachute Battalion Association: Honorables sénateurs, au nom de nos membres qui résident un peu partout au Canada, je tiens à vous remercier d'accueillir notre association aujourd'hui.
Le premier bataillon canadien de parachutiste a été formé en août 1942 et fut la seule formation de parachutistes canadiens durant la Seconde guerre mondiale. Au début, l'entraînement a été donné à Fort Benning, aux États-Unis, puis à partir de mai 1943, à Shilo, au Manitoba.
Le bataillon est arrivé en Angleterre en juillet 1943 où il a été intégré à la Troisième brigade de la Sixième division aéroportée britannique, jusqu'en 1945, c'est-à-dire à son retour au Canada.
Pendant ces deux années-là, le bataillon a été entraîné et s'est battu au sein de la Sixième division aéroporté, il a sauté en Normandie dans les premières heures du jour J, le 6 juin 1944, pour contrer les attaques allemandes et empêcher l'ennemi de déborder les forces alliées sur leurs flancs. Le bataillon a poursuivi les combats d'infanterie jusqu'à la Seine, en Normandie, trois mois plus tard.
Le jour de Noël 1944, le bataillon a été transporté par camions jusque dans les Ardennes belges pour contribuer à arrêter l'avance allemande dans la bataille de Belgique. De là, il a été envoyé aux Pays-Bas pour relever une unité stationnée le long du Maas. Il est ensuite rentré en Angleterre, a été regroupé, puis a été parachuté en Allemagne au-dessus du Rhin, le 24 mars 1945. Il y a 53 ans de cela. La réception allemande n'a pas été des plus agréables. Le 2 mai 1945, le bataillon a été le premier corps canadien et britannique à faire la jonction avec les Russes en Allemagne. À la cessation des hostilités au Japon, le bataillon a été démantelé en septembre 1945.
À ce que je sache, aucune autre unité canadienne n'a participé à la libération des camps de concentration. Eh bien, on ne trouve absolument rien dans le Musée canadien de la guerre sur cette unité.
Notre association avalise le mémoire du CNAAC. Je tiens à insister sur le fait que nous sommes totalement opposés au plan actuel d'inclusion d'une Galerie sur l'Holocauste dans le Musée canadien de la guerre. Soyez, par ailleurs, assurés que nous ne nous opposons pas à la création d'un mémorial sur l'Holocauste, à condition qu'on lui donne une place plus appropriée.
Nous avions des hommes de confession juive dans notre bataillon, mais encore plus d'Autochtones et de Métis. Nous ne tolérons pas l'idée de compartimenter le Musée canadien de la guerre au profit de quelque groupe que ce soit. Nous sommes favorables à l'idée d'une identité canadienne unique, pour laquelle nous nous sommes battus.
Le Musée de la guerre est un mémorial militaire canadien qui doit être conservé comme tel. Il n'est pas moins mémorial que les monuments sur lesquels on va déposer des gerbes un peu partout au pays. La seule différence, c'est que les musées sont là pour montrer comment et où les Canadiens se sont battus et pour exposer le matériel qu'eux-mêmes et leurs ennemis utilisaient. Comme quelqu'un l'a dit, même quand ce musée aura été agrandi, il sera encore trop petit.
N'oublions pas non plus qu'avec la fermeture des bases un peu partout au Canada et des musées qui y étaient rattachés, on est maintenant à la recherche d'un toit pour un grand nombre d'objets.
Le seul lien entre l'Holocauste et l'effort de guerre canadien tient au fait que, dans les derniers jours de la Seconde guerre mondiale, les Canadiens ont libéré certains camps de concentration. Des photographies représentent des Canadiens se tenant aux portes de ces camps et d'autres aidant les prisonniers. On pourrait exposer ces photos pour illustrer la libération des villes et villages, en suivant la progression des Canadiens en Europe.
D'après ce que j'ai entendu, je constate que l'actuel conseil du musée essaie de justifier par tous les moyens possibles l'ouverture d'une Galerie sur l'Holocauste au Musée de la guerre. Pourquoi cela? Pour nous cacher le fait qu'il n'y a pas sa place? Si l'Holocauste est une telle aubaine pour attirer le public, pourquoi ne pas en traiter au Musée des civilisations? D'après ce que j'ai cru comprendre, le taux de fréquentation y est en baisse.
Votre ex-collègue, feu le sénateur Stan Waters, était non seulement un membre éminent du Sénat, mais aussi l'un des mécènes de notre association et un des commandants de compagnie de notre bataillon en Allemagne pendant la guerre. Il aurait sans aucun doute été d'accord avec notre position.
À mon engagement, au début de 1943, j'étais l'un des plus jeunes du bataillon. J'ai aujourd'hui 74 ans. J'ai entendu parler des Polonais qu'on massacrait un peu partout, des bombardements de Londres et des populations civiles, des morts un peu partout, mais je n'ai jamais entendu prononcer le terme d'Holocauste avant la fin de la guerre. Il ne faudrait non plus pas oublier que si nous voulons faire quelque chose pour d'autres unités ou d'autres gens, les Polonais ont combattu sous les ordres de Canadiens. Les Polonais ont combattu à Arnhem. Si vous devez rendre hommage à qui que ce soit d'autre que les anciens combattants canadiens, vous devrez songer aux Polonais.
N'aurait-il pas été plus approprié de rappeler l'assassinat de 132 prisonniers de guerre canadiens pour illustrer le nazisme, que d'exposer la voiture d'Hitler et d'impeccables uniformes nazis? Vous vous souviendrez sans doute que ces 132 Canadiens désarmés ont été massacrés, abattus sous le tir de mitrailleuses dans les Ardennes.
On a souvent prétendu devant vous que nous nous sommes en partie battus à cause de l'Holocauste, mais comme je viens de vous le dire, je ne me rappelle rien de cela, pas plus que les anciens combattants avec qui je me suis entretenu.
N'oublions pas qu'Hitler détestait les Juifs. C'est l'appât du lucre qui l'a poussé à adopter la solution qui devait lui permettre de confisquer les biens des juifs. Cela nous, l'avons appris après la guerre.
Tout à l'heure, M. Glenney a dit que les expositions de matériel de l'aviation et de la marine, dans la cour l'été dernier, ont attiré de nombreux visiteurs. J'ai appris que ces expositions avaient été financées par les deux armes qui avaient dû pour cela puiser dans leur propre budget. Nous nous demandons, par ailleurs, pourquoi les anciens vétérans et des guides très informés ont été remplacés par du personnel du Musée des civilisations.
Parlons aussi des fonds que le Musée a réclamés pour remettre en état les véhicules du temps de guerre. Eh bien, je tiens à dire que plusieurs de ces véhicules ont été reconstruits par des bénévoles et donnés par le régiment de l'Ontario.
Afin qu'on comprenne bien la superficie que va couvrir la salle sur l'Holocauste, il faut savoir que 560 mètres carrés correspondent à 6 028 pieds carrés, soit à peu près deux fois la taille de cette pièce. Regardez cette pièce, multipliez-en la superficie par deux et vous aurez une bonne idée de la taille de l'exposition qu'on a l'intention d'ouvrir au Musée. C'est là une partie importante de la nouvelle aile. Pour l'instant, cela ne dit pas grand chose, parce qu'on jongle avec des tas de chiffres, mais l'augmentation réelle de la taille de l'exposition est de 22,5 p. 100.
En Israël, le Musée sur l'Holocauste est séparé du Musée de la guerre. Nous n'avons pas besoin d'une exposition sur l'Holocauste pour augmenter la fréquentation de notre Musée, pour améliorer ses expositions et inciter les gens à vouloir en apprendre davantage sur l'effort de guerre du Canada. Les membres de ce comité sénatorial sont notre dernier espoir que, dans l'avenir, le Musée de la guerre soit consacré aux Canadiens en guerre, pas uniquement pour nos petits-enfants, mais pour toutes les générations à suivre.
Le président: À propos de l'histoire de votre bataillon, il faut souligner que vous étiez tous des volontaires pour conduire ce type de guerre. Vous avez subi des examens médicaux très rigoureux, ainsi qu'un entraînement très poussé. C'est pour cela que nous vous respectons aujourd'hui.
Le sénateur Kelly: Dans la dernière partie de votre présentation, je crois vous avoir entendu dire que les gens essaient d'intégrer la Galerie sur l'Holocauste au Musée de la guerre. Ne savez-vous pas que les gens favorables à une Galerie sur l'Holocauste seraient d'accord pour qu'on la loge dans un bâtiment distinct, le Musée de la guerre n'étant qu'un pis-aller? Je l'ai déduit de ce que j'ai entendu. Autrement dit, cette idée n'émane pas de ceux qui devaient monter l'exposition sur l'Holocauste. On pensait que, comme le bâtiment allait pouvoir accueillir plus de visiteurs, il serait utile d'y loger la Galerie sur l'Holocauste. C'est cela qui semble être à la base de ce concept. Ce n'est pas ainsi que vous avez perçu les choses?
Il convient de reconnaître l'importance des deux. C'est cela que je veux dire. Je suis sûr que vous reconnaissez l'importance des deux sujets et vous estimez simplement qu'il ne faut pas les traiter sous un même toit.
M. DeVries: Absolument.
Le sénateur Kelly: Très bien, parce que je pense que c'est le cas.
M. Roland Anderson, président sortant, First Canadian Parachute Battalion Association: Notre position est ferme. Nous sommes tout à fait d'accord avec le CNAAC, avec le mémoire de M. Chadderton et avec la résolution adoptée en novembre dernier lors de la réunion de Toronto. Vous avez en main toutes les motions adoptées. Nous sommes en parfait accord sur tout cela. D'ailleurs, je pense que nous avons même été parmi les premiers à avaliser ce mémoire dont nous reprenons le contenu dans notre propre document.
Certaines choses nous inquiètent. Ce matin, M. Chadderton a déclaré qu'une exposition sur l'Holocauste greffée au Musée national de la guerre finirait, très rapidement, par le dominer. Que les choses soient bien claires, c'est ce que nous craignons, peu importe qu'on parle de 25 ou de 35 p. 100.
Je comprends ce que vous voulez dire, mais je crois que M. Chadderton vous a déjà répondu.
Le sénateur Kelly: Je voulais m'assurer que nous comprenions bien le témoin et je suis sûr que c'est ce que nous sommes parvenus à faire lors de cette conversation.
Le président: Merci beaucoup, messieurs. Nous apprécions que vous nous ayez exposé vos points de vue et nous apprécions aussi beaucoup votre contribution en Normandie et dans les autres régions où vous vous êtes battus.
Nos prochains témoins représentent le mouvement Opération «Héritage». Je vous en prie commencez.
Mme Raquel Chisholm, présidente, Opération «Héritage»: Tout au long des délibérations d'aujourd'hui, on a entendu des mots comme «jeunes», «enfants», «adolescents» et l'expression «jeune génération». Il est intéressant qu'une délégation de jeunes soit appelée à clore les débats de la journée. Nous estimons que c'est un grand honneur pour nous que d'être appelés à comparaître le même jour que de nombreux anciens combattants exceptionnels.
Je vous présente ce mémoire en ma qualité de présidente d'Opération «Héritage», organisme composé de diplômés du programme «Les vainqueurs» des Amputés de guerre du Canada. Personnellement, on m'a amputé le pied droit quand j'avais un an et demi, à cause d'une malformation de naissance. Ma camarade Jane Peterson est née sans bras gauche. Toutes deux participons au programme depuis de nombreuses années.
En outre, j'ai obtenu un baccalauréat spécialisé en histoire à l'Université Bishop's.
À l'occasion du programme «Les vainqueurs», nos membres ont pu nouer des liens étroits avec des anciens combattants amputés de guerre, dès 1975, date à laquelle ce programme a été mis sur pied. Dès le début, amputés de guerre et enfants du programme ont noué des liens très spéciaux. J'ai toujours en tête l'image d'hommes de 77 ans et de jeunes garçons de 7 ans comparant leurs jambes artificielles. Les garçons portaient le mot Senators sur leurs membres artificiels et certains anciens combattants portaient des prothèses vieilles de 50 ans. Ils avaient beaucoup de choses à raconter.
Grâce au travail des anciens combattants, les participants au programme «Les vainqueurs» et leurs familles reçoivent le soutien financier et émotif nécessaire pour leur permettre de mener une vie fructueuse et satisfaisante. Jane et moi-même en sommes l'illustration. Grâce à la philosophie du cercle des gagnants, élaborée et appliquée par les amputés de guerre eux-mêmes, les bénéficiaires du programme «Les vainqueurs» se sentent portés à réussir dans tout ce qu'ils entreprennent.
Près de 25 ans après le lancement du programme, les diplômés du programme pour enfants amputés ont décidé de se rassembler pour former Opération «Héritage». On nous a donné la possibilité d'apprendre sur l'histoire militaire du Canada d'une façon stimulante et tout à fait unique. En effet, nos membres ont participé à pas moins de sept séminaires portant sur tous les aspects de la guerre au cours du XXe siècle. Nous avons appris le rôle qu'a joué le Canada dans ces conflits, pas dans des livres, mais de la bouche des anciens combattants eux-mêmes. Grâce aux échanges francs et ouverts que nous avons eus sur les réalité de la guerre, on peut sans crainte affirmer que les membres d'Opération «Héritage» sont maintenant très versés dans tous les aspects pratiques du patrimoine militaire canadien et qu'ils ont beaucoup de questions à poser sur ce qu'ils ne connaissent pas.
Opération «Héritage», après avoir été la simple ramification du programme «Les vainqueurs», regroupe maintenant -- au sein d'un mouvement fort, indépendant et dédié --, des jeunes Canadiens et Canadiennes déterminés à commémorer et à conserver le patrimoine militaire canadien. Les membres d'Opération «Héritage» sont des hommes et des femmes résidant au quatre coins du Canada. Certains vont encore à l'université en vue d'obtenir leur diplôme et d'autres ont déjà débuté leur carrière dans l'industrie de la construction, dans le génie, le droit, l'enseignement et autre. Nous sommes véritablement un groupe représentatif des jeunes adultes canadiens.
Comme notre énoncé de mission parle de commémoration et de conservation du patrimoine militaire canadien, nous avons estimé devoir nous faire entendre au sujet de l'avenir du Musée canadien de la guerre. Après tout, l'avenir de ce musée est aussi le nôtre. Quand les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée ne seront plus parmi nous, comment pourra-t-on continuer à apprendre ce qui s'est passé dans les tranchés de Vimy ou sur les plages de Normandie, et qui va enseigner à nos enfants ce qu'a été la participation du Canada à la guerre de Corée?
Malheureusement, l'actuelle controverse concernant le choix du Musée canadien de la guerre comme emplacement d'une galerie sur l'Holocauste a été très fractionnelle. Précisons d'emblée que nous ne nous opposons pas à l'idée d'une galerie sur l'Holocauste; nous nous opposons à l'emplacement qu'on lui destine. Les anciens combattants canadiens méritent un musée plus grand pour loger tous les artefacts actuellement entreposés. Ils méritent un musée dans lequel ils pourront répondre aux questions que nous leur posons: pourquoi se sont-ils engagés? Quelle a été leur expérience de soldat? Jusqu'à quel point les Canadiens leur sont-ils redevables de leur liberté? La Galerie sur l'Holocauste est une entreprise méritoire, mais il ne faut pas la loger au Musée canadien de la guerre.
Dans ce mémoire, on énonce les objectifs du mouvement, que je vais vous lire d'abord et que je vous commenterai ensuite, ainsi que le point de vue de nos membres, qui se passe de commentaire.
Notre mission consiste à commémorer et à conserver le patrimoine militaire canadien.
Notre premier objectif est d'en apprendre plus sur les réalités horribles de la guerre par le truchement de contacts personnels avec les anciens combattants canadiens. C'est pour cela que Mme Peterson et moi-même, accompagnées de 20 de nos membres, nous sommes réunis dans une salle plus petite que celle-ci pour avoir le privilège d'entendre Roger Seer, ancien combattant de Hong Kong, nous expliquer ce qu'il a vécu dans l'armée, de son engagement à sa libération après 44 mois de captivité, en passant par son départ à bord d'un bateau, son séjour à Hong Kong et le jour de Noël où il a été fait prisonnier. Ce fut pour nous une expérience mémorable dont nous parlons encore.
Nous voulons aussi documenter de première main le vécu des anciens combattants pendant la guerre. Nous sommes à l'ère de la télévision. Un de nos membres possède un éditeur vidéo permettant de monter les témoignages que nous recueillons.
Nous voulons aussi assurer la liaison entre les anciens combattants et la jeunesse canadienne. Je nous vois un peu comme un fil conducteur, parce que nous avons su établir d'excellents rapports avec les anciens combattants dont nous pouvons faire profiter les gens de notre génération et les plus jeunes.
Nous voulons éduquer les générations de Canadiens, actuelles et futurs, sur les réalités de la guerre. Chaque année, au mois de novembre, nos membres sillonnent les collectivités, se rendent dans les écoles, visitent des groupes communautaires et des groupes de louveteaux et s'adressent aux médias pour parler des réalités de la guerre et de ce qu'ils ont appris de première main des anciens combattants.
Nous voulons rendre hommage à ceux et celles qui ont servi le Canada en temps de guerre et nous assurer que leur sacrifice ne sera pas oublié. Il ne faut surtout pas perdre de vue qu'Opération «Héritage» est un programme et un engagement permanent, 365 jours sur 365. Nous avons un pic d'activité le Jour du souvenir, mais nous nous consacrons à notre mission durant toute l'année.
Nous voulons combattre le révisionnisme et nous assurer qu'on relate de façon précise et sans préjugé, l'histoire militaire du Canada. Récemment, la chaîne History, l'une des nouvelles chaînes spécialisées, a projeté The Valour and the Horror. Eh bien, nos membres ont participé à une campagne épistolaire par courrier électronique pour dire à cette chaîne que nous n'étions pas d'accord avec les faits montrés dans le film.
Je vous ai dit que je suis diplômé d'histoire. Eh bien je me rappelle très bien une de mes professeures me dire: «Quand tu travailles sur le mouvement féministe des femmes au XIXe siècle, n'appliques pas le raisonnement d'une femme des années 90. Tu ne peux pas appliquer tes préjugés et des analyses à posteriori. Tu dois être objective.» Eh bien, c'est tout à fait ce que nous recherchons.
Nous voulons donner aux générations actuelles et futures une idée des conflits internationaux et leur faire comprendre qu'une dissuasion militaire peut être nécessaire. Nous sommes de chauds partisans du programme «Jamais plus la guerre» proclamant que nous ne devrions plus avoir à revivre ce que les générations d'anciens combattants ont vécu, et je suis sûr qu'ils sont tous d'accord avec cela. Même si nous admirons beaucoup ce qu'ils ont fait, je ne crois pas que nous voulons que cela se répète. Pour expliquer notre position, un de nos membres dit que nous n'allons certainement pas jeter toutes nos armes dans l'océan; nous voulons d'une dissuasion militaire, mais nous ne voulons plus revivre cela.
Nous avons aussi pour objectif de lancer un message d'espoir. Notre génération est la première à ne pas avoir vécu les affres d'un conflit mondial dont ma mère, par exemple, a entendu parler quand mon père est revenu de la guerre. C'était il y a 50 ans. Il n'y a pas eu de Troisième Guerre mondiale et nous espérons qu'il n'y en aura pas.
Enfin, nous voulons maintenir Les Amputés de guerre du Canada, les programmes qu'ils administrent et les soutenir dans leur engagement de protéger pendant longtemps encore l'histoire militaire du Canada. Il est déjà prévu dans la constitution des Amputés de guerre du Canada que les ex-bénéficiaires du Programme pour enfants handicapés prendront le relais afin de s'assurer que ce programme soit maintenu, mais aussi pour continuer de veiller à la protection de l'histoire militaire, ce à quoi nos prédécesseurs auront tant travaillé.
Voilà, en bref, qui nous sommes. La vidéo qu'on m'a autorisé à vous présenter vous permettra de vous en faire une meilleure idée encore, puisqu'il s'agit de notre histoire racontée par nos membres. C'est un témoignage collectif, pas celui d'une seule personne. Peut-on projeter le vidéo maintenant?
(Présentation vidéo)
(Après la présentation vidéo)
Mme Chisholm: Voilà qui expliquait assez bien qui nous sommes. Cette vidéo a été réalisée il y a plusieurs années et on ne parle donc pas de la controverse du Musée de la guerre.
Je vais maintenant demander à Jane Peterson de vous lire une des lettres contenues dans notre mémoire, car elle résume assez bien notre position sur toute cette question. Vous avez devant vous les autres déclarations de notre mémoire, qui se passent de commentaires; mais celle-ci les résument toutes.
Mme Jane Peterson, secrétaire, Opération «Héritage»: Cette lettre nous vient de nos représentants du Manitoba. Je vous la lis.
La proposition du conseil d'administration du Musée canadien des civilisations de construire une Galerie sur l'Holocauste au Musée canadien de la guerre, musée que contrôle le même conseil, a fait couler beaucoup d'encre dans la presse nationale.
De prime à bord, la proposition semble raisonnable, pour ne pas dire tardive. Le problème en fait, tient au choix de l'emplacement pour cette galerie.
Le Musée canadien de la guerre a pour mandat de conserver le patrimoine militaire canadien et sans doute aussi de rendre hommage aux anciens combattants ayant servi pour le Canada. Dans ce contexte, on peut donc trouver étrange de vouloir ouvrir une galerie destinée à commémorer le souvenir des victimes de l'Holocauste.
Dans leur combat pour leur pays, les anciens combattants canadiens ont aussi fait de grands sacrifices et perdu des amis et des parents. Personnellement, je trouve que le fait de retirer un espace d'exposition à un groupe méritoire pour en honorer un autre est une injustice à la mémoire des deux. Il serait peut-être plus approprié qu'un monument consacré à un événement ayant si profondément affecté la société canadienne soit situé au Musée canadien des civilisations.
C'est pour cette raison que les associations canadiennes d'anciens combattants s'opposent à la proposition du MCC. Bien qu'appuyant de tout coeur l'ouverture d'une galerie sur l'Holocauste, ils n'estiment pas que celle-ci doive se faire aux dépens du souvenir de leurs réalisations et de leurs sacrifices. En tant que membre d'Opération «Héritage» et en tant que personne ayant entendu de première main les récits des anciens combattants, je suis d'accord avec le fait que l'histoire des anciens combattants du Canada ne doit céder la première place à personne d'autre.
Mme Chisholm: Vous remarquerez que dans notre mémoire nous ne formulons aucune recommandation. Nous laissons cela aux soins des anciens combattants. Je me suis contentée de vous souligner ici que dans 10, 20 ou 30 ans, c'est nous qui nous présenterons devant un sous-comité sénatorial pour protéger le patrimoine militaire canadien. Pour l'heure, nous nous en remettons aux recommandations des anciens combattants et nous espérons très sincèrement que vous en tiendrez compte.
Dans les médias, on baptise souvent notre génération de «génération X». On nous accuse d'être des tire-au-flanc, des gens qui se fichent de tout ou qui ne croient en rien. Comme vous avez pu le voir dans cette vidéo et d'après notre mémoire, nous sommes un groupe de jeunes Canadiens productifs, se préoccupant beaucoup du patrimoine militaire canadien et qui sont intimement convaincus de ce qu'ils sont venus faire ici cette semaine.
Cependant, comme nous appartenons à cette génération, nous sommes très renseignés sur les médias. Ainsi, nous sommes confiants que tous ces débats sur l'avenir du musée pourraient fort bien inciter les gens à venir visiter les collections. Je conclurai en vous racontant une histoire qui m'a beaucoup touchée. Elle est tellement simple qu'elle parle d'elle-même.
Dans une réception, je m'entretenais avec un amputé de guerre. Au cours de la conversation, je lui ai simplement demandé où il avait perdu son bras. Il m'a répondu «à quelques milles de Berlin». Je l'ai arrêté en m'écriant: «Non de non, vous avez presque réussi, vous auriez très bien pu vous en sortir indemne». Cette histoire m'est restée toutes ces années. Elle est très simple mais, pour moi, elle illustre une grande partie du patrimoine militaire canadien.
Je n'ai pas besoin de fanfreluches, pas plus, je crois, que les gens de ma génération.
Je vous remercie d'avoir permis à Opération «Héritage» de s'exprimer. Je vous en prie, aidez-nous à commémorer et à protéger le patrimoine militaire canadien. Les anciens combattants le méritent, tout comme les générations montantes de Canadiens qui iront visiter le musée dans les décennies à venir.
Le président: Merci pour ce mémoire très intéressant et très encourageant.
Le sénateur Jessiman: Combien d'adhérents avez-vous en tout?
Mme Chisholm: Une centaine.
Le sénateur Jessiman: Et où sont-ils?
Mme Chisholm: Un peu partout au pays, de Saint John's à Victoria. De plus, nous avons des milliers d'enfants qui profitent du Programme «Les vainqueurs», et ils sont nos futures recrues.
Le sénateur Jessiman: Où est votre siège?
Mme Chisholm: Les Amputés de guerre du Canada nous prêtent un espace.
Le sénateur Jessiman: À Ottawa?
Mme Chisholm: Oui.
Le sénateur Jessiman: Votre organisme est-il présent dans toutes les provinces?
Mme Chisholm: Oui, dans toutes les provinces.
Le sénateur Forest: J'ai entendu parler d'Opération «Héritage» il y a plusieurs années, quand un comité de recherche auquel j'ai participé faisait enquête pour la remise d'un prix prestigieux à M. Chadderton. J'éprouve la plus grande estime pour le travail réalisé par les Amputés de guerre du Canada. J'ai une de leur plaque porte-clefs depuis des années. Le travail de cette association est très important. Nos audiences portent essentiellement sur la protection de l'histoire, au profit des générations à venir, et il n'y a pas de meilleure façon de le faire que de dialoguer avec la prochaine génération.
Le sénateur Chalifoux: Vous venez de nous donner beaucoup d'espoir.
Le sénateur Kelly: Je m'en voudrais de manquer l'occasion de vous dire que votre exposé a été fantastique. Nous avons entendu d'excellentes présentations aujourd'hui, mais la vôtre est de loin la meilleure et de loin aussi la plus rassurante.
Le président: Je suis d'accord, c'était un mémoire stimulant, très encourageant aussi pour les anciens combattants.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Je me sens réconforté, quand on entend tous ces propos sur la jeunesse, de voir des gens comme vous. Vous êtes la preuve vivante que tout ce que l'ont dit des jeunes n'est pas vrai.
[Traduction]
Le président: Je rappelle à mes honorables collègues que nous allons tenir une réunion à huis clos à 9 heures, demain matin.
La séance est levée.