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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 1 - Témoignages du 9 décembre 1999


OTTAWA, le jeudi 9 décembre 1999

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 9 h 05, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous avons le privilège d'accueillir aujourd'hui des représentants de l'Alberta Soft Wheat Producers Commission, c'est-à-dire de la commission des producteurs de blé tendre de l'Alberta. Je leur demanderais de bien vouloir se présenter et d'expliquer le rôle joué par leur organisme.

Messieurs, vous avez la parole.

M. Peter Pepneck, président, Alberta Soft Wheat Producers Commission: Je vous remercie de m'accorder quelques instants pour partager avec vous certaines recommandations concernant les réformes du transport et de la manutention du grain ainsi que les conditions de mise en place d'un filet de sécurité stable pour l'économie de l'Ouest du Canada.

Comme je suis un peu nerveux, je vous demanderais, si je vous renvoie à une partie du document et que j'oublie de vous en donner les coordonnées exactes, de me rappeler à l'ordre. J'essaierai autant que possible de vous dire où le trouver. Je vais parcourir brièvement le document avec vous dans l'ordre où il est présenté.

Comme producteurs de blé tendre du secteur primaire ou comme producteurs de tout produit agricole, nous nous conformons aux mêmes règles économiques que les autres petites entreprises. Vous le savez. Il y a toutefois une différence fondamentale entre nous et les autres secteurs industriels, soit le fait que la plus grande partie des marchés mondiaux sur lesquels nous écoulons nos marchandises et avec lesquels nous sommes en concurrence font l'objet d'importantes subventions, sans relation aucune avec les coûts de production. Ce que touchent les producteurs européens et américains n'a plus rien à voir avec les prix de vente de tel ou tel grain sur les marchés mondiaux.

À la différence des autres entreprises, nous ne pouvons pas simplement refiler le coût à nos consommateurs. Le consommateur exige plus de réglementation en matière de sécurité des produits alimentaires, de mise à l'essai des herbicides et pesticides, des organismes génétiquement modifiés et ainsi de suite. Nous avons les mêmes préoccupations, en tant que consommateurs. Toutefois, sous un régime d'utilisateur-payeur, cette réglementation gonfle les coûts du producteur primaire, qui ne peut en refiler l'augmentation au consommateur. La situation est essentiellement identique en ce qui concerne le système de manutention et de transport du grain, avec une complication de plus, soit que les producteurs doivent aussi composer avec un monopole ou un duopole en ce qui concerne le transport du grain en provenance de l'Ouest.

Là d'où je viens, c'est-à-dire dans le sud de l'Alberta, nous sommes en réalité aux prises avec un monopole. Il n'y a qu'un seul chemin de fer dans le sud de l'Alberta, le CP. L'abolition du tarif du nid-de-Corbeau et l'abrogation de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest ont eu pour effet net d'accroître les recettes des chemins de fer. Ceux-ci s'en réjouissent, mais ce n'est pas le cas des producteurs dont les coûts ont augmenté. Le transport et la manutention représentent pour eux deux facteurs de coût prépondérants.

Cela nous amène à la conjoncture actuelle. Nous sommes témoins actuellement d'une rationalisation sans précédent du système de transport ferroviaire et du système de transport du grain dans l'Ouest du Canada. On ferme des lignes secondaires et de nombreux silos partout dans les Prairies. D'énormes terminaux à forte capacité de production, habituellement des structures de ciment, sont construits le long des lignes ferroviaires principales. Nous ne contestons pas la rationalisation. Nous en reconnaissons les économies éventuelles pour les chemins de fer et les céréaliers, mais il faudrait aussi que nous, les agriculteurs, en profitions. Les producteurs savent que leurs coûts vont augmenter en raison de la rationalisation. Il faudra acheter du nouveau matériel, d'autres cellules d'entreposage sur la ferme. Le coût du transport est énorme. En tant que producteurs, nous craignons de ne pas rentrer dans nos frais et de ne pas toucher notre part des économies éventuelles à cause du monopole qu'exercent les chemins de fer.

N'oubliez pas que les producteurs sont ceux qui détiennent les plus gros enjeux, si l'on se fonde sur la valeur des éléments d'actifs. Les chemins de fer affirment avoir besoin de forts rendements. Les producteurs sont propriétaires d'éléments d'actifs d'une valeur totale beaucoup plus grande. Pourtant, ils n'obtiennent pas les rendements correspondants. Ils souhaitent être traités en tant que partenaires égaux. Nous ne demandons pas que les chemins de fer subventionnent nos exploitations. Toutefois, nous tenons à être traités en égaux et à partager équitablement avec eux les économies éventuelles.

Je ne vous ferai pas tout l'historique de notre participation au rapport de M. Kroeger et à celui de M. Estey. Sachez seulement que nous avons participé aux deux processus de consultation. Nous souscrivons aux conclusions du rapport Kroeger, mais nous estimons essentiel de faire ressortir certaines lacunes. Nous soulignons la gravité du manque à gagner des producteurs de grain de l'Ouest du Canada. Le problème a deux causes, soit la faiblesse des revenus et les coûts élevés de production.

L'énorme augmentation des coûts de transport est une des causes du problème et il faudrait, à notre avis, la régler en premier. Le plus important principe à défendre, si le système de manutention et de transport du grain de l'Ouest du Canada doit changer, est d'autoriser et de mettre en place une véritable concurrence dans le transport ferroviaire. Plus particulièrement, nous estimons qu'il faudrait qu'il y ait plus de deux concurrents pour transporter le grain du producteur, tout le long du réseau. C'est ce que recommandait le rapport Estey et c'est essentiellement ce que nous nous attendions à voir dans le rapport Kroeger.

Dans le sud de l'Alberta, il est facile de voir combien un chemin de fer du Montana qui a le monopole exige d'un marché captif et réglementé juste de l'autre côté de la frontière. De nos rencontres avec le comité des transports, nous avons eu l'impression que les chemins de fer font déjà du lobbying là-bas pour essayer de détourner l'attention du coût du transport ferroviaire. Il faut voir le tableau global, y compris les coûts de terminal et les coûts de manutention qui sont plus faibles aux États-Unis. Le producteur américain paie moins cher le transport et la manutention du grain que le producteur canadien. Cela se vérifie partout aux États-Unis. Si l'on se fie uniquement à la situation au Montana, il y a là-bas un marché captif, et les frais de transport par rail sont essentiellement plus élevés que partout ailleurs dans le monde.

Burlington Northern est un chemin de fer bien administré dont les coûts sont faibles, mais les tarifs élevés. Il exige 54 $ la tonne de l'autre côté de la frontière, dont 37 $ en frais totaux de manutention du fret dans certaines parties du sud de l'Alberta. Nous craignons qu'un régime entièrement déréglementé ne fasse augmenter encore plus les coûts des producteurs.

Le président: Ces chiffres incluent-ils les frais d'élévateur ou représentent-ils simplement les frais de manutention du fret?

M. Lynn Jacobson, président du conseil sur la commercialisation, Alberta Soft Wheat Producers Commission: Tout est inclus. Le chèque que je fais pour la manutention du grain, une fois toutes les retenues effectuées, y compris les frais d'élévateur, de nettoyage et de terminal, est de l'ordre de 37 $ la tonne.

M. Pepneck: Juste de l'autre côté de la frontière, les producteurs américains paient 54 $ la tonne simplement pour le transport. Les frais de manutention qu'ils acquittent sont un peu plus bas que les nôtres. Il y a des raisons à ce phénomène. Par exemple, le gouvernement des États-Unis paie la construction des structures en ciment, alors que les producteurs canadiens doivent les payer de leur poche.

Que nous sachions, la seule source de véritable concurrence serait de disposer d'un réseau ferroviaire à accès commun. Nous comprenons que cela poserait des problèmes au niveau de la sécurité, mais nous estimons que l'introduction de tarifs concurrentiels ou l'amélioration des règles relatives aux manoeuvres terminales interréseaux ne suffisent pas à garantir une véritable concurrence entre les chemins de fer. On n'a jamais entendu dire qu'il suffisait de deux chemins de fer pour assurer quelque concurrence que ce soit, surtout, comme c'est le cas dans l'Ouest du pays, quand leurs réseaux sont aussi distants l'un de l'autre. Nous sommes loin de l'autre fournisseur.

Les chemins de fer prétendent qu'ils offrent des tarifs incitatifs de 5 $ par tonne pour le placement de 50 wagons et de 1 $ par tonne pour le placement de 25 wagons. Ils affirment pouvoir récupérer ces frais. D'une certaine façon, ce n'est que du positionnement. Il est presque impossible d'obtenir 100 wagons à la fois et, jusqu'à maintenant, ces tarifs spéciaux ne s'appliquaient qu'aux wagons chargés dans une certaine limite de temps. En Alberta, il n'y a pas d'installation capable de charger 100 wagons en huit heures. Le tarif existe sur papier, mais il n'y a pas d'installation matérielle capable d'offrir un tel service. Récemment, la limite de temps a été changée, mais le fait n'a pas été bien communiqué.

À la page 5 de notre mémoire, nous décrivons les arguments invoqués par les chemins de fer contre l'accès ouvert aux voies. Ils soutiennent, à bon droit, qu'un pareil accès enfreindrait les droits de propriété privée. Ils craignent qu'on leur impose l'accès ouvert et qu'ils ne puissent pas récupérer les coûts d'entretien. Pourtant, quand on voit ce que le CRTC a décidé en matière de télécommunications, on se rend compte que la concurrence entraîne d'importantes économies pour le consommateur. Si le gouvernement refuse d'introduire une véritable concurrence dans le transport par rail, comme celle que défend le CRTC dans ses décisions et celle qui existe dans le transport par pipeline, où il y a un transporteur commun, les producteurs auraient tout intérêt à ce que le tarif de transport soit réglementé et qu'il soit établi en fonction de la distance parcourue.

Bref, les producteurs et l'industrie du grain s'unissent pour réclamer une concurrence véritable et efficace.

La question des tarifs de transport est elle aussi directement liée à la concurrence. S'il y avait véritable concurrence, le plafonnement des tarifs ou des revenus ne serait requis que pour une courte période de transition. À partir de là, la concurrence se chargerait de limiter les tarifs de transport. Je suis sûr qu'on vous a fait différentes suggestions quant à la façon de plafonner les revenus.

M. Kroeger a demandé à l'office de transport de faire une analyse des coûts. L'analyse montre bien qu'il faudrait que le plafond des revenus proposé à 31,50 $ par tonne par les chemins de fer soit inférieur au tarif réel moyen de 1998. M. Kroeger a ainsi recommandé que le revenu soit plafonné à 27,77 $ la tonne. Nous ne tenons peut-être pas à nous attarder aux chiffres, mais M. Kroeger a utilisé les données de 1998 et n'a pas tenu compte des gains de productivité réalisés en 1998-1999 et en 1999-2000.

Nous savons qu'un nouveau tarif n'entrera pas en vigueur avant l'an 2000. Si l'on intègre un facteur de 3 à 4 p. 100 entre ce que propose M. Kroeger et le tarif réel, on arrive à un résultat très proche de la principale recommandation de KAP WRAP SARM, comme on les appelle, c'est-à-dire des municipalités rurales de la Saskatchewan et de l'Alberta qui proposent 25,79 $ la tonne. Nous pouvons vous expliquer pourquoi ces chiffres nous semblent raisonnables, mais nous ne pouvons pas produire les données comme tel. Vous les trouverez dans la partie consacrée à l'option C, dans le rapport de M. Kroeger.

KAP WRAP et SARM ont proposé qu'une formule de productivité soit intégrée dans le tarif durant les cinq premières années, ce qui devrait aussi faire baisser le tarif de transport. Nous sommes d'accord avec le principe. D'importants gains d'efficacité sont réalisés actuellement. On est en train de construire les structures de ciment. Le système de manutention du grain sera rationalisé dans les quelques prochaines années. Les lignes secondaires seront fermées. Les élévateurs seront fermés. D'importantes économies seront réalisées au cours des prochaines années. Si l'on n'a pas besoin d'utiliser des lignes secondaires, on n'a pas besoin d'en entretenir, et il n'est pas nécessaire d'offrir le service partout. On réalise ainsi d'importantes économies dès maintenant.

Nous estimons toutefois qu'il vaudrait peut-être mieux étaler sur trois ans plutôt que sur cinq. Si la concurrence donne les résultats escomptés, le tarif de transport devrait baisser de lui-même, sans qu'il soit nécessaire d'adopter des mesures législatives en ce sens. Nous sommes disposés à accepter la formule pendant, par exemple, les trois premières années, en tant que mesure intérimaire, puis nous évaluerons la situation. Nous estimons toutefois essentiel que les coûts soient analysés en l'an 2005 afin d'évaluer l'efficacité de ces mesures. S'il existe une véritable concurrence, nous pourrons alors faire certains ajustements. Par contre, si la concurrence n'est pas au rendez-vous et que les producteurs ne profitent pas des changements apportés, il faudra revoir tout le système.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de s'attarder trop longtemps à l'environnement commercial. Le rôle de la Commission canadienne du blé est une question litigieuse, c'est le moins que l'on puisse dire, au sein des groupes de producteurs et d'industriels des Prairies. M. Kroeger recommande de situer la Commission canadienne du blé dans un environnement plus commercial, de la faire évoluer dans un contexte correspondant à l'esprit du rapport Estey. Sa proposition n'a pas fait l'unanimité au sein de l'industrie. Une façon de se sortir de l'impasse consisterait peut-être à ce que le gouvernement invite clairement la Commission canadienne du blé et tous les céréaliers à s'asseoir à la même table et à énoncer une position qui tiendrait compte des préoccupations de chacun. J'ignore s'il est possible de tous les réunir dans une même salle et de les obliger à chercher un terrain commun d'entente, mais nous encouragerions ce genre de dialogue, pour qu'on puisse mettre sur pied un système efficace.

À nouveau, nous aimerions faire des recommandations. Nous proposons notamment les changements que voici. Je vous rappelle toutefois que ces recommandations ne sont valables que s'il existe une véritable concurrence efficace entre les chemins de fer.

Les appels d'offres sont une des grandes pommes de discorde. Nous voyons l'appel d'offres comme un moyen que pourrait utiliser la Commission canadienne du blé dans le bon contexte pour abaisser les coûts des producteurs. Nous recommanderions que, si possible, le transport de 25 p. 100 du grain livré à la Commission canadienne du blé fasse l'objet d'appels d'offres. À la fin de l'année, la Commission canadienne du blé pourrait faire l'évaluation du processus et voir si les producteurs en ont réellement profité. Si l'on juge que l'appel d'offres est avantageux sur le plan des coûts, il faudrait alors encourager l'adoption du processus et en élargir l'application. Par contre, si le processus n'est pas avantageux, il faudrait le modifier pour qu'il le devienne.

Quant aux marchés, la commission des producteurs de blé tendre de l'Alberta estime qu'un régime de contrat entre partenaires qui établit clairement les responsabilités de chacun est avantageux pour les producteurs.

Pour ce qui est de la logistique, du moins durant la période de transition, il faudrait que la Commission canadienne du blé puisse conserver certaines attributions ou avoir son mot à dire au sujet du transport du grain, de manière à pouvoir respecter ses engagements sur le plan des contrats et des ventes. À notre avis, le meilleur moyen pour la Commission canadienne du blé de respecter tous ses engagements est le contrat de performance, mais ces contrats exigent que l'accès soit maintenu dans les Prairies.

Quant à savoir si la Commission canadienne du blé doit réceptionner le grain à port, les producteurs se partageraient des revenus variant entre 20 et 30 millions de dollars dans le scénario où la Commission canadienne du blé serait autorisée à les verser directement dans les comptes de mise en commun. Nous recommandons que les règlements de la Commission canadienne des grains soient modifiés pour autoriser le mélange de qualités, ce qui entraînerait peut-être même une augmentation des revenus. Le mélange des qualités est effectué par des experts. Si nous autorisons la Commission canadienne du blé à faire ces mélanges, elle se trouverait essentiellement à faire ce que les directeurs de terminaux souhaitent déjà faire si la Commission canadienne du blé exploitait elle-même la moissonneuse-batteuse du producteur. Ils y voient une source de revenu supplémentaire.

M. Jacobson: Pour vous expliquer ce qu'est le mélange, au port ou au terminal, les qualités supérieures de blé ne peuvent être mélangées qu'avec d'autres blés de même qualité. Ainsi, le blé de première qualité ne peut être mélangé qu'à d'autres blés de première qualité. On ne peut pas mélanger un blé de deuxième qualité à un blé de première qualité et continuer de le qualifier de blé de première qualité. La plupart du temps, le système fonctionne probablement quand les récoltes sont égales, mais, quand vous avez une récolte dont 90 ou 85 p. 100 sont composés de blé numéro 1, par exemple de blé de force roux de printemps, il faudrait pouvoir y mélanger d'autre blé numéro 1 et lui conserver sa qualité numéro 1. Au terminal, nous estimons que l'on devrait pouvoir mélanger du blé numéro 2 au blé numéro 1 et, de la sorte, en accroître la valeur pour le producteur.

M. Pepneck: Je vais vous parler des filets de sécurité, parce qu'ils sont liés à cette question. Il est impossible de séparer les filets de sécurité et le coût des intrants dans le transport de nos rendements nets. Le transport est notre principal intrant. Quand on examine les revenus, il faut tenir compte des rendements que nous obtenons du marché et de nos coûts. Le problème se situe quelque part entre les deux. Nos coûts augmentent. Nos rendements diminuent. Ils se sont croisés. C'est facile à comprendre. Quand nous parlons d'un filet de sécurité, nous parlons de l'extrême gravité de la situation de l'industrie des grains dans l'ouest du Canada. Les résultats d'une étude viennent d'être publiés. Ils révèlent que jusqu'à 40 p. 100 des répondants envisagent de se retirer de l'industrie au cours de la prochaine année. Cela nous préoccupe énormément.

Comme l'a dit un producteur de la Saskatchewan, un prix de 3 $ le boisseau était peut-être bon en 1929, mais il ne représente pas grand-chose aujourd'hui. Les prix actuels ne sont pas très différents des prix de 1929. Par contre, les coûts ont beaucoup grimpé. Le transport en est un.

Il faut que le Canada prenne des mesures pour faire en sorte que le cours mondial des grains recommence à être dicté par le marché, plutôt que par le gouvernement. La solution à long terme devrait être l'imposition de contrôles plus rigoureux sur les programmes de soutien nationaux, dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce. Toutefois, ces négociations ont échoué. Nous estimons néanmoins qu'il faut que le Canada fasse comprendre au monde et à ses producteurs de grains qu'il n'endurera pas sans rien faire que les producteurs canadiens, dont les coûts sont faibles, soient expulsés du marché par les producteurs subventionnés des États-Unis et de l'Europe dont les coûts sont très élevés.

Il faut trouver une formule quelconque de soutien du revenu à long terme. Nous en avons proposé une qui équivaut à un programme révisé de stabilisation du revenu net. Vous la trouverez dans l'annexe de notre mémoire. Je ne crois pas qu'il convienne de l'examiner en détail tout de suite. Il suffit de dire que nous y avons beaucoup réfléchi. Nous avons besoin d'un programme visant particulièrement le cours à la baisse des grains. Le cours des grains régresse tranquillement. Le programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole est pavé de bonnes intentions, mais il n'est tout simplement pas efficace. À titre d'exemple, en vertu de ce programme, vous touchez 70 p. 100 du cours mondial. Donc, si le cours mondial est de 4 $, on vous garantit 70 p. 100 de ce montant. Le cours mondial se maintient à 2,80 $ le boisseau depuis trois ans. Entre-temps, nos concurrents européens touchent une subvention de 4 $, plus le cours mondial. Ils touchent donc en fait 8 $ alors qu'on nous garantit uniquement un prix de 2,80 $. On ne peut tout simplement pas continuer ainsi.

Bref, nous trouvons que le manque à gagner des producteurs de céréales de l'Ouest est un problème grave et très sérieux. Il faut mettre en oeuvre des programmes pour y palier à court et à long terme. À notre avis, la réforme du transport qui est recommandée entraînerait une réduction des coûts des facteurs de production et une augmentation des revenus des producteurs sans qu'il en coûte rien au gouvernement ou aux contribuables. Si on laissait libre cours à la concurrence des chemins de fer, même l'étude de la Commission du blé canadienne le confirme, les producteurs de l'Ouest du Canada devraient pouvoir faire une économie de 150 $ à 240 millions de dollars par année.

Il faudrait aussi envisager un programme de soutien du revenu à long terme, et nous avons déjà formulé quelques idées à ce sujet.

Monsieur le président, nous sommes maintenant prêts à répondre aux questions.

Le président: Je vous remercie. Lorsque le tarif du nid de Corbeau a été éliminé, que payiez-vous, les producteurs de blé tendre, pour le transport? Quelle différence cela a-t-il fait pour vous, en Alberta? Par exemple, pour un exploitant de 1 000 acres de terre de Yorkton en Saskatchewan, l'élimination du tarif du nid du Corbeau a représenté une perte d'environ 20 000 $. Qu'en a-t-il été pour vous, en Alberta?

M. Andy Kovacs, directeur exécutif, Alberta Soft Wheat Producers Commission: Depuis l'élimination du tarif du nid de Corbeau, le prix du transport a pratiquement doublé pour le producteur. Nous payons environ 27 $ la tonne métrique maintenant, par rapport à environ de 13 $ auparavant. Les coûts ont donc doublé. Pour un acre de blé tendre irrigué, quand un acre produit deux tonnes, cela signifie que le coût des facteurs de production a augmenté de 27 $ par acre avec l'élimination du tarif du nid de Corbeau.

Le sénateur St. Germain: Nos témoins, ce matin, craignent beaucoup qu'il ne ressorte rien de bon de Seattle.

Messieurs, je vous remercie d'être venus ici ce matin nous faire vos présentations. Si j'ai bien compris, vous avez dit que le programme AIDA est bien, mais qu'il ne donne rien. Pouvez-vous expliquer pourquoi?

M. Pepneck: Le programme AIDA sera très valable s'il y a une chute soudaine, parce que 70 p. 100 du prix du marché, ce pourrait être assez. Lorsqu'il y a recul des prix des céréales dans plusieurs régions, les prix baissent avec une telle lenteur qu'ils peuvent perdre de 30 p. 100 chaque année sans que vous puissiez rien avoir du programme AIDA. C'est ce qui est arrivé. Il n'y a pas de dégringolade soudaine du coût des céréales, mais plutôt un repli graduel. Dans l'industrie de la culture des céréales, le programme AIDA pourrait être valable s'il y avait en même temps une catastrophe naturelle et une dégringolade du cours des céréales. Cependant, ce n'est pas assez lorsque vous n'avez rien, parce qu'il y a très peu de risque de catastrophe naturelle. Par contre, si c'est uniquement un problème de cours du marché, lorsque les prix baissent petit à petit, rien n'est prévu dans le programme AIDA pour cela.

M. Kovacs: En clair, si on s'appuie sur la moyenne sur trois années où les revenus baissaient, la moyenne est faible et on n'obtient que 70 p. 100 là-dessus. Vous parlez de l'efficacité du programme AIDA. Pourtant, soit qu'on n'en obtient aucun paiement, ou, si on a quelque chose, c'est très peu. C'est le problème du programme AIDA; l'indemnité qu'il prévoit est calculée selon cette moyenne du revenu sur une courte période de trois ans.

Le président: La plus grande partie de votre production est par irrigation, n'est-ce pas?

M. Jacobson: Oui.

Le président: N'y a-t-il pas de sécheresses?

M. Pepneck: Nous n'avons jamais réellement eu de sécheresse en tant que tel. Notre production est assez constante. Je devrais aussi préciser que nous sommes peu nombreux à ne cultiver qu'une seule chose. La culture du blé tendre se fait par rotation, donc nous cultivons divers autres produits. Mes autres cultures soutiennent ma culture de blé tendre et ainsi, je peux le vendre à prix réduit sur le marché mondial. Il y en a d'autres en Saskatchewan, cependant, qui n'ont pas cette possibilité. Ils ont besoin d'un revenu d'appoint pour subventionner leur production de céréales. C'est dire combien la situation est grave.

Le président: Je vous pose cette question parce que, en vertu du programme AIDA, s'il y a une année où vous n'avez pas de récolte à cause d'une sécheresse et que votre moyenne est extrêmement faible, vous n'avez pas droit à une indemnité. C'est la même chose si votre récolte est endommagée par la grêle. Les gens qui sont les plus touchés ne reçoivent jamais rien parce que le programme fonctionne de travers. Cependant, vous n'avez pas ce problème si vous avez votre propre source d'approvisionnement d'eau.

Le sénateur Spivak: Ne diriez-vous pas que le programme AIDA est fondé sur un principe erroné? Il est prévu pour le cas où une crise survient soudainement, mais le fait est que la crise est amorcée depuis plusieurs années. Ce qu'il faut vraiment, c'est un programme de soutien du revenu, pas le programme AIDA. Est-ce que c'est bien cela? Est-ce qu'il ne faudrait pas réorienter le programme de manière à répondre aux besoins réels plutôt que de conserver un programme aussi peu pertinent que celui-là?

M. Pepneck: Vous comprenez très bien le problème que pose AIDA. C'est exactement cela. Il n'est pas prévu pour une situation d'amenuisement continuel du revenu ou une situation qui se développe sur un certain période.

M. Jacobson: Vous avez bien compris cet aspect du problème. Les producteurs apprécieraient beaucoup un programme de soutien du revenu -- si jamais vous pouviez en mettre un sur pied. Il existe un programme en ce moment, c'est le programme de stabilisation des revenus et des marchés en Ontario, mais il n'est pas conforme aux règles du GATT; vous devez le comprendre. Le gouvernement canadien insiste sur la conformité aux règles du GATT. Si vous mettez sur pied un programme de soutien du revenu qui n'a aucun rapport avec le coût de la production ou des récoltes, alors il est conforme aux règles du GATT. Cependant, si vous commencez à établir des liens avec les récoltes, c'est là que les obstacles se dressent.

Le sénateur Spivak: Est-ce que tous les cultivateurs sont d'accord et préféreraient un programme totalement différent plutôt que l'on essaie de modifier un programme qui ne convient pas à la situation? Est-ce que les organisations agricoles préféreraient un programme différent, un nouveau programme financé par les fonds disponibles actuellement, plutôt que le programme AIDA qui n'est pas efficace?

M. Jacobson: Je ne sais pas si nous pouvons nous faire le porte-parole de toutes les autres organisations agricoles, mais nous pouvons certainement parler au nom de la nôtre. Le programme AIDA ne fonctionne pas pour nous. En Alberta, nous avons le programme FIDA, mais il est coûteux de présenter une demande d'indemnité. Vous devez faire une rétrospective sur trois ou quatre ans, et déterminer ce qui était à la ferme, ce qui n'y était pas et ce que vous avez vendu ou pas. Faire une comptabilité d'exercice sur trois ou quatre ans nous coûte très cher et c'est très long pour arriver à tirer les choses au clair, et nous n'obtenons pas des résultats très précis. Nous préférerions un revenu qui viendrait de nos impôts. Cela reviendrait au même et vous auriez les même renseignements.

Le sénateur St. Germain: À propos de votre production de blé tendre, vous disiez que vous avez aussi d'autres cultures. Avez-vous réduit la production de blé tendre, ou est-ce que vous devez absolument en cultiver pour le recyclage des cultures, et tout cela? Quel pourcentage de la production de blé tendre du pays vient de votre région et à quel marché est-il destiné?

M. Pepneck: Le coût du blé tendre baisse à une telle vitesse que notre organisation est menacée de ne plus exister l'année prochaine. C'est très pessimiste, venant d'un président d'organisation. Cependant, c'est dire la gravité de la situation. Pour ce qui est du blé lui-même, j'ai sauté le début du mémoire, où nous expliquons notre industrie. Le blé tendre est produit par notre organisation en Alberta pour la confection de farine à pâtisserie. Environ 95 p. 100 du blé tendre de printemps du Canada est produit en Alberta par les cultivateurs de notre organisation. Nous sommes passés de 250 000 acres il y a quelques années à 50 000 acres en ce moment. Ça été une décision strictement économique de notre part. C'est pourquoi nous disons que notre organisation est menacée, lorsqu'on voit combien les cours ont chuté au fil des ans.

La moitié de la production est vendue au pays à des usines de traitement qui font des gâteaux, des biscuits et des céréales pour petit déjeuner. Ces usines de traitement demandent qui leur fournira cette farine si nous ne pouvons plus le faire; les États-Unis? Je ne crois pas que les États-Unis nous la fourniront. Au lieu de cela, ils feront entrer les produits finis au Canada. Notre propre industrie à valeur ajoutée et les emplois connexes disparaîtront.

En Ontario, c'est surtout du blé tendre d'hiver qui sert à cela mais, bien sûr, les coûts du transport de l'est à l'ouest du Canada empêcheront la plus grande partie du blé de l'Ontario d'être amené à l'Ouest. Notre récolte de blé tendre ne vient à l'est du pays, y compris en Ontario, que lorsque surviennent des problèmes de maladies, ce qui arrive régulièrement, soit à peu près, deux années sur dix.

Le président: Quel prix obtenez-vous de votre blé de nos jours?

M. Everett Tannis, trésorier, Alberta Soft Wheat Producers Commission: Le prix final, l'année dernière, était de 113 $ par tonne métrique.

J'aimerais commenter le programme AIDA. Un cultivateur doit tomber en deçà du seuil de 70 p. 100 pour y être admissible. C'est donc qu'il n'est admissible qu'après la faillite. C'est un peu comme brancher sur l'équipement de survie un type qui est mort depuis deux jours. À quoi cela sert-il? Il nous faut un autre seuil d'admissibilité ou un nouveau programme.

M. Kovacs: Monsieur Jacobson a parlé des cours et de la raison du déclin rapide de l'industrie du blé tendre dans l'Ouest du pays. L'Alberta produit 95 à 99 p. 100 du blé tendre de l'Ouest. C'est la principale source de production, à part une petite quantité produite au Manitoba et en Saskatchewan. Le reste est du blé blanc d'hiver qui est produit en Ontario.

Cinquante mille tonnes métriques de notre blé tendre sert au pays à la préparation de produits de consommation à valeur ajoutée. Par exemple, Sunland Foods a une grande usine de confection de biscuits à Edmonton, qui emploie 600 à 800 personnes. Ils approvisionnent toutes les régions de l'Ouest canadien et la côte Nord-Ouest du Pacifique. Si la production de blé tombe au point où on ne peut plus approvisionner le marché intérieur, cette industrie disparaîtra tout simplement. Il serait impossible d'approvisionner la région de la côte Nord-Ouest du Pacifique en blé blanc s'il fallait que ça coûte plus cher.

La raison pour laquelle le cours du blé tendre blanc du printemps a baissé si rapidement est que le blé blanc est la céréale la plus subventionnée et la plus cultivée dans le monde entier. Nous faisons un bon produit, mais les cours du blé blanc sont le plus bas qu'ils ont jamais été. Comme nous le disons dans notre mémoire, les cours sont à un niveau jamais atteint depuis les années 30. À l'annexe C du mémoire, nous parlons des coûts de la production. Vous pouvez voir que le rendement brut, qui est illustré à la partie A du tableau, moins le coût total de la production, indiqué à la partie E, signale un manque à gagner de plus de 50 $ par acre.

Ces données viennent du ministère de l'Agriculture de l'Alberta. La production dont fait état cet exemple est énorme, avec 83,99 boisseaux par acre, ce qui est signe d'une gestion fantastique, supérieure à la moyenne, et pourtant les pertes sont encore de plus de 50 $ par acre.

Le sénateur Fitzpatrick: J'aimerais en revenir aux questions sur la production réduite. Au Canada, nous tentons d'augmenter la production à valeur ajoutée pour le marché intérieur et celui de l'exportation. Vous semblez dire que la production agricole est passée de 250 000 tonnes à 50 000 tonnes, et que cela aura des répercussions sur nos activités de traitement à valeur ajoutée.

M. Kovacs: C'est sûr qu'il y a des répercussions. Il y a, dans l'Ouest du pays, quatre transformateurs à valeur ajoutée qui utilisent la farine provenant de nos usines de traitement. Rogers Foods à Armstrong, en Colombie-Britannique, est la propriété exclusive de Nisshin Flour Milling de Tokyo, au Japon. Ils se servent de notre blé pour confectionner de la pâte à tempura qui est exportée au Japon. Nous pourrions perdre ce marché.

Nous pourrions aussi perdre une grande partie du marché de la seule usine de traitement de l'Ouest dont les propriétaires sont canadiens, Ellison Milling Company, à Lethbridge en Alberta. Ils approvisionnent le marché des liants de soupe à Aylmer, en Ontario, pour la compagnie Campbell's. Aucun autre blé produit au Canada n'a la qualité des liants que nous produisons dans l'Ouest du pays.

Le sénateur Fitzpatrick: Pouvez-vous donner une estimation du nombre d'emplois qui seraient perdus dans l'industrie de la transformation à valeur ajoutée? Certains emplois, dans l'industrie agricole pourraient être absorbés par le transfert à d'autres cultures, mais combien d'emplois, à votre avis, seraient perdus?

M. Kovacs: L'usine d'Edmonton, lorsqu'elle fonctionne à plein rendement, emploie environ 850 personnes. Celle d'Armstrong, en Colombie-Britannique, emploie entre 150 et 175 personnes. L'usine Robin Hood Multifoods de Saskatoon, aux dernières nouvelles, avait environ 275 employés. Ellison Milling, à Lethbridge, en avait à peu près 180. Ce ne sont pas de gros chiffres. Il y a aussi certains emplois de production dans le secteur d'activités primaires.

Nous partons du principe que l'industrie agricole génère environ 70 millions de dollars au niveau primaire, lorsque la production est dans la moyenne. Je ne peux pas donner d'estimation de la production à valeur ajoutée sur 50 000 tonnes de blé pour consommation domestique, mais ce serait un très gros chiffre. Il y a d'importantes retombées sur le transport, l'emballage, la distribution et cetera.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Je suis intriguée par votre présentation. Vous avez exposé plusieurs problèmes. Il n'y a pas très longtemps, le gouvernement a mis à votre disposition M. Estey et M. Kroeger qui sont des experts. Pourquoi n'êtes-vous pas satisfait de leurs recommandations?

[Traduction]

M. Pepneck: L'autre personne dont vous parlez, c'est M. Kroeger. Nous avons participé aux travaux de M. Estey et de M. Kroeger, et nous étions impatients de lire le rapport de M. Kroeger. Nous nous sommes inquiétés lorsque M. Kroeger a écrit à M. Collenette à propos de la loi qui devait suivre. Il a dit que les chemins de fer pourraient faire un effort pour réaliser des gains d'efficience mais, à propos de la compétition, il a dit «Nous examinerons cela plus en profondeur».

Dans nos entreprises agricoles, quand on dit «nous examinerons cela plus en profondeur» cela signifie que cela n'arrivera jamais. C'est notre principale préoccupation. D'après nous, tous les problèmes des chemins de fer ont été réglés. Un plafond du revenu a été fixé pour une période de cinq ans, comme cela avait été recommandé. Dans le but de rationaliser les systèmes, ils ont été autorisés à fermer des lignes secondaires qui faisaient partie de notre patrimoine. Si on les laisse fermer d'autres lignes secondaires, nous en serons directement affectés.

Nous sommes d'accord pour rationaliser, mais là où je veux en venir, c'est que je perdrai mon élévateur et ma ligne secondaire actuels et que M. Jacobson perdra les siens; M. Tannis les a déjà perdus depuis deux ans. Il ne s'agit pas de quelque chose de vague ou lointain, mais bien de nous-mêmes. Nous savons que cela entraîne des coûts supplémentaires. Par exemple, il nous faudra assumer un coût supplémentaire de 4 à 5 $ par tonne. Il faut seulement examiner plus en profondeur la question de la concurrence des chemins de fer.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Le dialogue entre vous et les deux messieurs est-il encore ouvert? Avez-vous abandonné l'idée de leur participation à la résolution de votre problème et cherché de l'aide par vous-même?

Vous avez un grand problème de transport et vous demandez maintenant une concurrence équitable pour tous. Vous dites que vous voulez rencontrer des membres de la Commission du blé et les autres producteurs de grains autour d'une table ronde pour discuter de vos problèmes communs. Avez-vous fait cette demande à la Commission du blé? La Commission du blé canadienne vous a-t-elle refusé la permission de rencontrer des gens afin d'étudier les problèmes et trouver une solution commune? Il faut faire participer tout le monde pour trouver un facteur commun qui vous permette de continuer à travailler.

Dans votre rapport, lorsque vous parlez des transports, pourquoi dites-vous seulement à ce moment-ci qu'un seul transporteur de grain ne suffit pas et qu'il faut trouver d'autres ressources? Pourquoi ne l'avez-vous pas demandé avant?

[Traduction]

M. Pepneck: Je vais répondre à la première question. Le juge Willard Estey a été chargé par le gouvernement d'effectuer une étude sur notre transport et le système de manutention du grain. Nous avons participé à cette étude, mais tout a arrêté lorsque le juge l'a terminée et a remis son rapport au ministre des Transports. M. Arthur Kroeger est un bureaucrate qui a été chargé de mettre en oeuvre les recommandations du rapport Estey, dans l'esprit Estey. Nous avons demandé à participer aux travaux du comité, même si nous n'étions qu'une petite organisation. On nous a refusé cela, mais nous avons tout de même assisté à toutes les séances plénières. M. Kroeger devait terminer son rapport dans un certain laps de temps, et il devait le remettre à M. Collenette à l'automne 1999. Cela a été fait, et nous nous reportons à la lettre que nous avons remise à M. Collenette. Nous ne nous opposons pas au processus en cours, mais il devait respecter un calendrier établi par le gouvernement. M. Kroeger a respecté l'échéance de septembre 1999 et a remis son rapport à M. Collenette. À ce moment-là, le processus a pris fin et c'est à cela que se rapportent nos commentaires.

Notre système de transport a évolué. À l'origine, le tarif du transport était régi par la loi, il n'y avait pas de plafonnement du revenu du transport. Au départ, les bénéfices liés au tarif du Nid-de-corbeau étaient établis à 13 $ par tonne, et cela était censé être sans limite. Les agriculteurs étaient contents, mais pas les compagnies de transport ferroviaire. C'était le coût du transport il y a bien des années, et les gens le comprenaient bien. Cependant, nous ne pouvons pas revenir sur nos pas. Les choses ont changé et le gouvernement a prélevé un certain pourcentage pour garantir les revenus des agriculteurs. Bien que nous payions le transport, ce système, néanmoins, coûtait au gouvernement. Ne voulant pas continuer à assumer ce coût, le gouvernement a élaboré un plan de rachat en vertu duquel il paierait environ la moitié du coût du transport pendant une année seulement, à la suite de quoi les agriculteurs devraient se débrouiller tout seuls. Cependant, le coût du transport était toujours réglementé par le gouvernement et les règles étaient fondées strictement sur la distance à parcourir.

Par exemple, le tarif de fret imposé au sénateur Gustafson, en Saskatchewan, est plus élevé que celui que je paie, puisqu'il est plus éloigné de la côte Ouest que moi. Dans le passé, quand le tarif du nid-de-Corbeau était en vigueur, le grain était acheminé vers l'Est, puisque le marché était situé à Thunder Bay, de sorte que le sénateur Gustafson payait un tarif moins élevé.

Nous sommes maintenant assujettis à un tarif de fret réglementé qui est fixé par le gouvernement, et ce tarif peut augmenter jusqu'à concurrence d'un certain montant. Les compagnies ferroviaires peuvent fixer un tarif inférieur au tarif de fret établi, mais elles ne le font pas. C'est leur décision; c'est le système en vertu duquel nous fonctionnons. Or, le gouvernement laisse entendre que ce système va prendre fin. Il a déclaré, à la suite du dépôt du rapport Kroeger, que le système sera plus ouvert, que tous seront en mesure de fixer leur prix, et que les producteurs ne bénéficieront plus d'aucune garantie. Voilà l'essentiel du processus Kroeger.

Le président: Il est important de signaler que les compagnies ferroviaires ont reçu d'importantes concessions en droits miniers, ainsi de suite. Par exemple, à toutes les deux sections de terrain, les droits miniers leur étaient cédés. Les représentants de ces compagnies ne vous le diront pas, mais ces droits ont été placés sous le nom d'une autre compagnie. Donc, leur situation a évolué, et elle est devenue, aujourd'hui, plus complexe. Les compagnies ferroviaires n'acheminent pas le grain au même prix qu'elles le faisaient, il y a des années de cela, en vertu de ces règles.

Il y a aussi le fait que, en Saskatchewan, par exemple, le syndicat du blé est en train d'éliminer 235 silos. Ils ont mis à terre un silo à Macoun, la semaine dernière, et mon petit-fils a dit, «Grand-papa, pourquoi les as-tu laissés faire?»

C'est une question grave qui soulève les passions, mais le fait est que le gouvernement et les responsables du transport du grain veulent essayer de changer le système. Des changements majeurs ont déjà eu lieu en Saskatchewan. Les silos sont en train de disparaître, et il y en aura 235 de moins dans un an ou deux. Il s'agit là d'un changement radical pour les Prairies.

M. Kovacs: Vous vouliez savoir pourquoi nous demandons au gouvernement du Canada et surtout au comité de nous accorder cette concession. Il faut comprendre que le processus Kroeger était axé sur le consensus, et que le consensus est une chose difficile à atteindre. Si vous vous êtes déjà retrouvé dans une pièce avec plus de 10 ou 12 personnes, vous avez sans doute constaté qu'il est impossible de s'entendre. Or, les trois comités d'étude s'étaient entendus sur certains points. Les compagnies ferroviaires, les compagnies céréalières et la Commission canadienne du blé étaient presque arrivées à s'entendre sur une nouvelle méthodologie qui faciliterait le processus. Toutefois, parce qu'il y avait peut-être trois autres personnes dans la salle, les compagnies ferroviaires, et peut-être un groupe de producteurs qui conteste presque tout ce que dit la Commission, ont dit non. Il a donc été impossible d'établir un consensus sur les points principaux, comme en témoigne le rapport Kroeger, même si les comités d'étude étaient arrivés à s'entendre sur ces questions.

Un échéancier raisonnable avait été fixé, et le rapport a été déposé. Nous devons maintenant y répondre, car le rapport passe sous silence un facteur sur lequel nous insistons beaucoup dans notre mémoire, soit la nécessité d'établir une véritable concurrence. Comme on l'a laissé entendre, le rapport Kroeger indique qu'il y aura une certaine concurrence, ou qu'il va examiner la question plus à fond. Cela ne nous satisfait pas. Sans concurrence réelle, les changements qui s'imposent en vue de rendre le système plus efficace, de permettre aux producteurs de bénéficier des retombées, ou encore de réduire les coûts, ne se concrétiseront pas.

Ces considérations sont, à notre avis, importantes. Nous avons essayé d'être aussi proactifs que nous le pouvions, étant donné que nous sommes un organisme relativement petit. Bien que nous n'ayons pas beaucoup de fonds, nous avons assisté aux trois assemblées plénières, et nous avons présenté un exposé bilatéral à M. Kroeger dès le début du processus, mais cela n'a pas donné grand-chose. Nous sommes ici aujourd'hui parce que nous luttons pour notre survie.

Le sénateur Gill: Y a-t-il des alternatives au transport ferroviaire?

M. Jacobson: Il faut utiliser le transport ferroviaire dans notre région en raison des distances. Nous n'avons pas de système de barge. Il n'y a pas de rivière suffisamment grande dans le sud de l'Alberta pour accueillir un bateau, encore moins une barge. Les chemins de fer constituent notre seul système de transport.

Les compagnies ferroviaires vous diront que le transport routier constitue une alternative viable, que les camions vous permettent de transporter le grain à une autre compagnie ferroviaire ou sur une autre ligne de chemin de fer. Or, les distances dans le sud de l'Alberta et l'Ouest canadien sont telles que les camions ne constituent pas une solution rentable. Leur marge de profit est restreinte, surtout s'ils reviennent à vide. Ils peuvent accroître celle-ci s'ils bénéficient d'un contrat retour. Par ailleurs, pour ce qui est du transport du grain qui est entreposé dans un terminal céréalier, il ne faut pas oublier que certains terminaux contiennent 50 000 ou 66 000 tonnes de grain. Vous devez charger un train complet. Multipliez 90 tonnes par 100 wagons, et voilà le volume que vous devez charger sur un train. Eh bien, vous ne pouvez pas acheminer ce volume par camion et garantir un contrat retour à une autre ligne. C'est matériellement impossible. Voilà pourquoi nous jugeons que le transport routier ne constitue pas une alternative viable.

Si vous vous rendez sur la côte et que vous commencez à remplir un train de 100 wagons, eh bien, il faut quatre super V pour remplir un wagon à grain. Chacun de ces super V doit traverser Vancouver. Si vous avez déjà vu le terminal céréalier de Vancouver, vous savez que vous ne pouvez pas y faire entrer des camions. C'est matériellement impossible. Vous ne pouvez pas ralentir le trafic. Vous ralentiriez tout le trafic sur les routes qui traversent les montagnes, sans compter celles de Vancouver.

Vous pouvez comparer notre situation à celle qui existe aux États-Unis. Aux États-Unis, le Burlington Northern est une compagnie ferroviaire rentable. Elle procure des gains intéressants aux actionnaires, et le gros de ces gains sont réalisés au Montana, où elle exerce un monopole dans un milieu non réglementé. Quand elle achemine des marchandises au Minnesota, où elle subit la concurrence d'autres modes de transport et où il existe un système de barge, elle applique un tarif identique au nôtre, dans le sud de l'Alberta. On voit la différence. Quand les prix sont dictés par la concurrence, ils diminuent. Quand il n'y a pas de concurrence, ils augmentent. Nous nous trouverions dans une situation similaire si les conditions ici étaient les mêmes.

Le sénateur Robichaud: Vous dites que la question de la fermeture des silos locaux soulève les passions. Je peux comparer cela aux quais qui se trouvent dans ma région. Les pêcheurs sont habitués à avoir leur petit quai, et si vous leur demandez d'aller pêcher ailleurs, ils seront prêts à faire la guerre pour le protéger. Or, on a assisté à une certaine rationalisation, et vous dites que celle-ci est nécessaire, dans une certaine mesure.

Vous parlez ensuite des installations. Avez-vous dit que, aux États-Unis, le gouvernement assume tous les coûts de manutention, alors que, au Canada, ce sont des producteurs qui les assument?

M. Pepneck: Les États-Unis ont toujours payé les coûts d'entreposage et de manutention du grain. Il n'y a pas de silos de collecte aux États-Unis. Cela fait des années qu'ils ont de gros terminaux installés un peu partout à travers le pays. Il y a dix ans, le gouvernement s'engageait à verser des frais d'entreposage aux agriculteurs. C'est un de leurs programmes. En fait, les frais d'entreposage ont servi, au fil des ans, à couvrir les coûts de manutention. Ils n'ont pas besoin de construire de nouvelles installations. À l'heure actuelle, dans les Prairies, nous assistons à une rationalisation des super-silos. Tout est question de rentabilité. Les coûts sont refilés directement aux producteurs. C'est nous qui allons finir par payer. Nous en sommes conscients. Ce n'est pas un paiement direct. Ils ont payé l'entreposage pendant des années, ce qui a permis de couvrir les coûts de construction des terminaux aux États-Unis. Il n'y a pas de petits silos de collecte aux États-Unis, et c'est comme ça depuis des années.

M. Jacobson: Je suis allé au Colorado, où ils ont de gros terminaux qui ont été construits avec l'aide financière du gouvernement puisque les producteurs ne payaient pas de frais d'entreposage à ce moment-là. Ils sont donc avantagés de ce côté-là.

M. Kovacs: Nous sommes en train d'éluder la question. Pour vous répondre directement, il y a eu des gains, et ces gains ont été réalisés par les compagnies ferroviaires et peut-être, dans une certaine mesure, par les compagnies céréalières, au détriment du producteur. Celui-ci est obligé d'acheminer le grain sur une plus longue distance parce que ses installations sont fermées. Mon ami, M. Tannis, doit parcourir 50 miles pour acheminer son grain jusqu'aux silos. Cela représente des coûts de 4 ou 5 $ la tonne. C'est lui qui doit les assumer. Or, les compagnies ferroviaires ont réalisé des économies importantes en ce sens qu'elles ont besoin d'un moins grand nombre de trains et d'employés. Elles peuvent facturer 50 ou 100 wagons à la fois. Elles n'ont pas besoin d'infrastructure pour acheminer le grain, grâce aux économies réalisées. Or, ces économies n'ont pas été refilées aux producteurs. Ces derniers ont été obligés de payer, ce qui fait que leurs coûts ont augmenté.

Le sénateur Robichaud: Donc, vous dites que ces gains n'ont pas été refilés aux producteurs?

M. Jacobson: Non. Certains l'ont été. À l'heure actuelle, ils proviennent des tarifs préférentiels que les compagnies céréalières offrent aux producteurs. Elles vont vous offrir un tarif préférentiel de 3 $ la tonne pour un placement de 50 wagons. Pour l'instant, on ne peut obtenir de tels tarifs du système de silos, parce que ce n'est tout simplement pas économiquement viable. Notre coopérative a été obligée d'augmenter son tarif de manutention à deux reprises l'an dernier pour rentrer dans ses frais.

À l'heure actuelle, le système est composé de petits silos de collecte et de gros terminaux. Disons-le franchement: le système est rationalisé. Les grandes structures de ciment sont déjà construites. Il n'y aura plus beaucoup de terminaux qui seront construits dans l'Ouest. Nous en sommes maintenant à l'étape suivante, qui est de rationaliser le système et de fermer les petits silos. C'est ce qui va se produire au cours des trois prochaines années.

Pour l'instant, les tarifs de fret ou les aides au transport constituent nos seuls incitatifs. Si nous avions un placement de 100 wagons, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle dans le sud de l'Alberta, nous pourrions peut-être réaliser une économie de 5 $ la tonne. Toutefois, une de nos plus grandes craintes, pour ce qui est de cette économie de coûts, c'est que, une fois le système rationalisé, si vous n'avez pas accès à des tarifs de fret concurrentiels qui vous permettent de négocier avec la compagnie ferroviaire, qu'est-ce qui incitera celle-ci à nous offrir des tarifs préférentiels? Les compagnies ferroviaires exercent une mainmise sur le marché.

Si les compagnies céréalières investissent 10, 12, 14, 15 ou 20 millions de dollars dans un terminal, elles ne peuvent pas tout simplement faire le chargement à ce terminal et ensuite se rendre à la prochaine ligne. Elles sont considérées comme des expéditeurs captifs et elles doivent se conformer aux exigences des compagnies ferroviaires. Si ces dernières ne veulent pas refiler quoi que ce soit aux producteurs ou même à la compagnie céréalière, elles ne le feront pas.

Le sénateur Robichaud: Une des solutions serait de permettre à d'autres d'utiliser les installations, comme le font les compagnies ferroviaires.

M. Jacobson: Oui. Nous estimons qu'il faut de la concurrence à ce niveau-là. Les compagnies ferroviaires utilisent toutes sortes de moyens pour anéantir toute concurrence entre deux joueurs. Elles vont peut-être le nier, mais elles se rencontrent sur le terrain de golf et discutent de ces choses. Elles vont dire, par exemple, «Tu fixes un tarif ici, et nous éviterons de faire la même chose.»

C'est le genre de chose qui arrive dans le monde des affaires, et nous en sommes conscients. Le danger s'accroît quand il n'y a que deux concurrents. Il nous faut une menace réelle, quelqu'un qui intervienne et ait accès au réseau à un coût compétitif. Cela permettrait de réduire les tarifs. Autrement, il faudra réglementer le transport du grain, solution que le gouvernement, comme la plupart des gens, ne privilégie pas. Toutefois, il faut établir des règlements pour protéger les producteurs s'il n'y a pas de concurrence.

M. Kovacs: Le fait est que cette menace n'incitera pas les compagnies ferroviaires à faire preuve d'équité ou à refiler ces gains aux producteurs. Il faut quelque chose de plus. Il faut une concurrence réelle, visible et véritable.

Le sénateur Robichaud: D'où viendrait la concurrence réelle dans ce cas-ci? D'où viendrait la menace?

M. Jacobson: Il y a une ligne ferroviaire sur courte distance au Manitoba, qui se rend jusqu'à Churchill et à la baie d'Hudson. Il y a également d'autres lignes ferroviaires sur courte distance en Ontario. Elles sont exploitées par Amtrak. L'autre alternative pourrait être la Burlington Northern, aux États-Unis. Ces compagnies pourraient, si elles le voulaient, être considérées comme une menace, sauf que je ne crois pas qu'elles soient intéressées à démontrer que l'accès ouvert peut fonctionner, parce que cela aurait un impact sur leurs activités. C'est un facteur qu'il faut prendre en considération.

M. Kovacs: Je vais faire plaisir à M. Jacobson et dire que la concurrence pourrait même provenir d'une compagnie céréalière qui achète une locomotive et quelques wagons et qui achemine le grain elle-même. Quoi qu'il en soit, la concurrence doit être ouverte et accessible.

Le sénateur Fairbairn: Les sénateurs doivent se rendre compte que, à un moment donné, le transport ferroviaire dans le sud de l'Alberta se portait bien. Les deux compagnies de chemin de fer sillonnaient la province. Le tarif du nid-de-Corbeau a été nommé d'après le couloir de montagne qu'empruntaient les chemins de fer dans le sud-ouest de l'Alberta. C'était une véritable aubaine pour les producteurs, Or, cette aubaine a pris fin pour plusieurs raisons, dont le commerce mondial, de sorte qu'on s'est retrouvé devant un vide. Les producteurs essaient maintenant de combler ce vide qu'ils considèrent comme une grande injustice.

Vous avez tout à fait raison de dire que la concurrence, dans les régions du Canada où celle-ci est inexistante, ne proviendra pas du CN ou du CP. D'où proviendra-t-elle? Une des compagnies a cessé d'offrir un service passagers dans le sud-ouest du Canada, et elle a été remplacée par une compagnie du secteur privé qui se débrouille fort bien, surtout pour ce qui est du service qu'elle assure entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Est-il réaliste de croire qu'une compagnie comme Amtrak pourrait livrer concurrence à ces autres entreprises, si elle desservait la région sud des Prairies? Il faudrait qu'elle desserve non seulement l'Alberta et le Montana, mais également le Manitoba et les États du Dakota. Est-ce que les personnes qui partagent votre point de vue ont des suggestions réalistes à proposer?

M. Tannis: J'aimerais vous faire part de certaines constatations qui accompagnent les graphiques qui ont été préparés par Whiteside & Associates de Billings, au Montana. Ce document laisse entendre que la déréglementation du secteur ferroviaire américain, en 1980, a produit des gagnants et des perdants. Les gagnants sont ceux qui occupent une position concurrentielle, et les perdants sont les expéditeurs captifs de plus en plus nombreux qui ont dû assumer les coûts entraînés par la baisse des tarifs. S'il a y a une leçon à tirer de tout cela, c'est que, lorsqu'il existe une situation de monopole et de duopole, il faut une réglementation solide pour protéger les expéditeurs captifs. Avant la déréglementation du transport ferroviaire aux États-Unis, en 1980, il y avait 42 chemins de fer de catégorie I. Le problème, c'est qu'il y avait deux objectifs concurrents, sauf que les régulateurs jugeaient qu'ils n'en formaient qu'un seul. La théorie était que la concurrence entre chemins de fer pouvait remplacer la réglementation, sauf que, sur un total de 42 chemins de fer de catégorie I, il n'en reste plus que quatre aujourd'hui.

Les tarifs captifs vont augmenter jusqu'à ce qu'ils atteignent ceux du mode de transport de rechange plus coûteux, ou jusqu'à ce que les clients fassent faillite. Ce sont les producteurs qui seront les plus touchés par les prix de duopole et de monopole parce qu'ils ne peuvent refiler les coûts de transport à quelqu'un d'autre.

Le document auquel je fais allusion a été préparé par des Américains, pour des Américains, aux États-Unis. Ils veulent comparer leur système au nôtre. Ils soutiennent que leur étude montre que la réglementation doit rester en place parce que les compagnies ferroviaires ne feront rien pour changer la situation. À leur avis, la seule concurrence proviendra des tarifs, quand ils augmenteront au point d'atteindre ceux que pratique le mode de transport de rechange. Nos tarifs tripleraient si nous devions avoir recours au transport routier pour acheminer le grain jusqu'à la côte. Voilà pourquoi il faut que le cadre réglementaire reste en place.

À la dernière page du document préparé par Whiteside & Associates figure une liste de recommandations. Tout d'abord, il est dit que nous devons conserver une réglementation solide pour protéger les expéditeurs captifs canadiens. Les expéditeurs captifs ne peuvent dépendre que d'un seul mode de transport pour être le plus efficace possible. Deuxièmement, nous devons instaurer un climat concurrentiel entre les chemins de fer du pays en favorisant la concurrence. Troisièmement, nous devons maintenir la participation importante de la CCB dans les fonctions liées au transport pour assurer la responsabilité et le partage de la productivité avec les producteurs agricoles. Quatrièmement, il est dit que nous devons mettre l'accent sur les lignes secondaires. Bien sûr, nous avons fait le contraire. Enfin, nous devons veiller à une révision des tarifs pour actualiser les données qui serviront à l'établissement des tarifs futurs.

C'est ce que disent nos voisins du sud. Voulons-nous vivre la même expérience et nous retrouver au même point dans 10 ans?

Le sénateur Spivak: Pourrions-nous avoir une copie de ce document?

M. Tannis: Nous vous en remettrons une après la séance.

Le sénateur Fairbairn: Vous avez dit plus tôt dans votre exposé que vous avez rencontré les fonctionnaires du ministère des Transports. J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de votre sujet de préoccupation; vous avez dit qu'ils ont discuté avec vous des économies comparatives dans le contexte général de la situation des transports aux États-Unis. Tout était inclus, mais si vous examinez une région comme l'Ouest, ces économies comparatives disparaissent ou sont considérablement réduites, car la situation est bien différente de celle qui prévaudrait si la question était envisagée comme une question nationale relative aux transports. J'aimerais que vous précisiez les choses pour voir si j'ai bien compris.

M. Pepneck: Les chemins de fer peuvent toujours faire du lobbying et ils ne cessent d'essayer de détourner l'attention. Le ministère des Transports nous a dit que nous pourrions réaliser plus d'économies au niveau de la manutention ou des silos. Il a fait remarquer en particulier que la gestion des silos est moins efficace au Canada qu'aux États-Unis.

Lorsqu'on commence à généraliser les choses et à s'appuyer sur des statistiques pour ce faire, on se rend compte que le transport et la manutention sont moins coûteux aux États-Unis qu'au Canada où le système est réglementé. Cela ne fait aucun doute. Les États-Unis utilisent des barges et transportent beaucoup de leur blé par des moyens de transport autres que le chemin de fer.

Toutefois, lorsque nous parlons des chemins de fer, nous voulons comparer notre système à celui des États-Unis dans les régions où ce sont les chemins de fer qui assurent le transport, surtout lorsqu'il s'agit de marchés captifs -- le Montana, le Dakota du Nord et même l'Idaho, plus près du port. Selon nous, il ne faut pas tout généraliser ni examiner le système de transport céréalier des États-Unis dans son ensemble, car on en conclurait alors que leur système est moins coûteux que le nôtre, malgré la réglementation de nos tarifs.

Le problème, c'est que nous n'aurons jamais leur système de transport. Nous devons opter pour le nôtre, lequel est très proche du leur dans les cas de marché captif. En pareil cas, leurs tarifs sont pratiquement le double des nôtres, alors qu'ils sont réglementés. Nos chemins de fer réalisent d'énormes profits, achètent des hôtels Westin à même leur petite caisse. Nous ne pouvons pas citer de chiffres, mais nous savons d'où vont provenir les économies les cinq prochaines années. Nous voulons absolument éviter que l'accent soit mis sur les silos. Concentrons-nous sur les chemins de fer, car, selon nous, c'est là que doivent se réaliser les plus grandes économies de coûts.

Le sénateur Fairbairn: Vous dites que vous êtes passés de 250 000 à 50 000 acres. En combien de temps cela s'est-il produit?

M. Kovacs: En cinq ans. Nous sommes tombés à 20 p. 100 en l'espace de cinq ans.

Le sénateur Fairbairn: De combien d'agriculteurs parlons-nous?

M. Kovacs: Au départ, nous avions 2 200 producteurs. Dans notre mémoire, nous prétendons représenter ces agriculteurs, car ils sont toujours dans notre base de données et sur nos listes d'expédition. Nous représentons leurs intérêts, mais on peut parler aujourd'hui de 600 à 700 producteurs, voire un peu moins.

Le sénateur Fairbairn: Ce n'est pas uniquement le cas de notre industrie.

M. Tannis: Nous sommes à Ottawa depuis trois jours et nous sommes allés dans plusieurs ministères. Le ministère des Transports est de toute évidence en faveur des chemins de fer. Nous sommes venus à Ottawa, car c'est la capitale du Canada et c'est là que la Gendarmerie royale obtient gain de cause tout comme les chemins de fer. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici, nous sommes venus vous demander votre aide.

Le président: Cela ne marcherait probablement pas pour l'Alberta, mais en Saskatchewan, on dit que si les tarifs de transport deviennent trop élevés, il ne restera plus qu'à expédier les céréales sur le Mississipi. Vous y avez fait allusion lorsque vous avez dit que les tarifs sont moins élevés pour les Américains à cause des voies de navigation. Ils se servent de l'armée et prennent beaucoup d'autres moyens pour expédier les céréales directement vers le sud, sur le Mississipi. Les chemins de fer canadiens craignent cette option depuis longtemps.

M. Jacobson: Vous avez raison, les chemins de fer craignent cette option du sud et des barges. Aux États-Unis, le réseau de canaux est appuyé par les fonds publics. C'est le U.S. Corps of Engineers qui l'entretient. Peut-être pourriez-vous demander au gouvernement s'il est possible de profiter de la subvention dont bénéficient les barges. Il se peut qu'il ne l'accepte pas vu qu'il a menacé de nous attaquer à l'aide de missiles nucléaires à cause de différends relatifs au commerce des grains.

Pour accéder à ce réseau, il nous en coûterait beaucoup plus que pour les agriculteurs américains. C'est une option à envisager si les tarifs de transport continuent de grimper. Une autre option consisterait à abandonner la culture des céréales.

Le président: La production céréalière dans la région du blé dur contrôlée par la Commission du blé a chuté de 18 à 10 millions de tonnes. Face à de tels chiffres, on se demande si l'industrie du blé pourra survivre si la tendance se poursuit.

[Français]

Le sénateur Gill: Il y a quelques années, j'ai eu la chance d'étudier le commerce international. J'aimerais recevoir une mise à jour, car sans doute que mes informations ne le sont pas. On avait étudié l'histoire du blé sur le plan international. On a parlé du monopole du transport.

En fait, j'ai eu des soupçons qu'il y avait aussi un monopole international. Il y avait très peu de gens qui contrôlait la mise en marché du blé. Est-ce que la situation a évolué? Cela doit avoir un grand effet sur les producteurs au pays. Un monopole n'est pas mauvais en autant qu'on le détienne. Si on ne le détient pas, c'est très mauvais. Ceux qui le détiennent sont très heureux. J'ai eu l'impression qu'il y a eu un monopole. Est-ce que la situation a changé?

[Traduction]

M. Jacobson: La Commission canadienne du blé est considérée comme un monopole des agriculteurs. C'est une des agences commerciales du Canada. Les États-Unis, quant à eux, sont passés de 43 à 10 exportateurs et ont effectué un regroupement dans le cadre de multinationales. Je n'ai pas les chiffres pour l'Europe, mais j'imagine que la tendance est la même. Éventuellement, ce sont les multinationales qui contrôleront le commerce du grain. Tout le processus est intégré à partir de la production jusqu'au consommateur. Les Américains font du commerce inter-sociétés au niveau multinational, jusqu'à ce que le produit arrive au consommateur. Le produit ne sort jamais du système si bien que les profits sont maximisés.

Nous sommes désavantagés du fait que notre système n'est pas intégré. La Commission du blé n'a pas les installations, ni non plus les agriculteurs, pour faire parvenir le produit jusqu'au magasin. Nous avons essayé la valeur ajoutée dans une certaine mesure, mais c'est un combat perdu d'avance. Il faut beaucoup d'argent. L'acceptation d'un produit par les consommateurs peut prendre cinq, six, sept ans, ce qui crée des prix prohibitifs pour les organisations d'agriculteurs et les empêche donc d'accéder au marché. Cela peut se faire et nous essayons de le faire, mais je doute que nous puissions soutenir la concurrence à grande échelle.

Le sénateur Spivak: J'ai déjà assisté à deux changements de la politique des transports. Je ne suis pas sûre que nous avons trouvé la politique qui convienne au Canada.

On nous a dit que les lignes secondaires seraient la planche de salut en matière de transport. Je sais que le transport routier n'est pas une bonne solution de rechange. On demande au gouvernement des subventions de milliards de dollars pour l'entretien des routes, comme celles du Manitoba qui n'ont jamais été conçues pour un trafic routier aussi lourd. La subvention du nid-de- Corbeau a été réduite, mais il faut par contre énormément subventionner les routes. Cela n'a aucun sens.

Les chemins de fer ont-ils abandonné les lignes secondaires sans les vendre?

M. Pepneck: Nous ne parlons pas vraiment des lignes secondaires. Les lignes secondaires sont reliées à la ligne principale dans certains cas, mais il n'y en a pas dans le sud de l'Alberta. Nous parlons du trafic sur les lignes principales lorsqu'il n'y a pas d'autre solution. Le transport routier peut toujours entrer en concurrence avec les lignes secondaires. C'est ainsi que les lignes secondaires fixent leurs prix. Nous parlons du transport du blé jusqu'au port et il n'y a absolument pas de solution autre que le chemin de fer.

M. Tannis: On retrouve en Alberta une ligne secondaire et le trafic ferroviaire y est léger. Cela veut dire que chaque wagon ne peut être complètement rempli en raison d'une limite de poids. Après la ligne secondaire, comment ces wagons à moitié pleins arrivent-ils jusqu'à la côte? Les chemins de fer donnent une fausse excuse lorsqu'ils disent que les lignes secondaires offrent une solution viable.

M. Jacobson: Il ne faut pas oublier non plus que les exploitants de silos qui construisent des silos à haut rendement sur les lignes principales et qui possèdent des installations sur les embranchements, n'ont pas vraiment intérêt à conserver de petites installations. Ils ne peuvent se permettre les deux systèmes. Nous avons choisi, en tant qu'agriculteurs, le système à haut rendement. Si une ligne secondaire n'assure pas le transport des céréales, personne ne l'achètera. Une société céréalière n'a aucun intérêt à conserver une ligne secondaire.

Le sénateur Spivak: Au Manitoba, les agriculteurs ont recours au transport routier sur des distances qui sont le triple de ce qu'elles étaient. Je ne comprends pas pourquoi vous ne pouvez pas vous servir des lignes secondaires. Je ne le comprends tout simplement pas. Ce n'est pas économique, ce n'est pas efficace, cela va nécessiter d'énormes subventions. Pourquoi n'envisage-t-on pas cette solution?

M. Pepneck: Si l'on opte pour une ligne secondaire, d'autres personnes partagent les coûts. Tant que le transport des céréales est assuré sur la ligne principale, ce sont les agriculteurs qui supportent tous les coûts de liaison entre l'exploitation agricole et les lignes principales. En quoi une ligne secondaire intéresserait-elle qui que ce soit? Nous avons accepté une telle rationalisation de notre système et nous devons en subir les conséquences.

Le sénateur Spivak: Nous parlons ici d'une politique qui serait à l'avantage des producteurs. Les actionnaires ne sont pas les seuls à avoir des intérêts en jeu. Les chemins de fer s'intéressent à leurs actionnaires et diminuent les coûts. Toutefois, l'industrie n'aboutit à rien car nous n'avons pas trouvé les politiques susceptibles de convenir. Je ne le comprends tout simplement pas.

M. Pepneck: Il faut également tenir compte de l'intérêt du public, vu que c'est le contribuable qui supporte le coût du réseau routier.

Le sénateur Spivak: Le contribuable doit de toute façon supporter le coût des subventions.

Le président: Je crois que vous en parlez dans votre mémoire, mais j'aimerais que vous nous disiez quelques mots sur la crise.

M. Pepneck: Très rapidement, le manque à gagner des céréaliculteurs de l'Ouest canadien est un problème réel et grave.

M. Tannis: Parfois, la situation n'a pas l'air si mauvaise, d'autres fois elle semble très grave. Ce n'est pas si simple. Le mois dernier, nous sommes allés à une réunion sur la sécurité économique des agriculteurs dans la province de l'Alberta. Parfois, le gouvernement de l'Alberta n'est pas d'un abord très facile, car il équilibre son budget et me passe la facture pour bien paraître. Nous manquons de fonds et nous ne sommes pas assez payés pour notre produit. C'est la raison pour laquelle nous parlons du chemin de fer; c'est un coût d'intrants. Il faut que nos coûts d'intrants restent bas, car il suffit que les gens apprennent que nous avons gagné un dollar de plus pour notre blé, pour qu'ils essaient de récupérer ce dollar ailleurs, si bien que nous manquons toujours d'argent. C'est un véritable sujet de préoccupation. On sait qu'il existe un écart entre ce qui est payé et les besoins qui ne sont couverts qu'à 70 p. 100 en moyenne, si bien que les chiffres ne donnent pas une image réelle de la situation. Les chiffres ne mentent pas, mais ils ne disent pas non plus toute la vérité. Pour ce qui est du CSRN, certaines sommes d'argent sont retirées. Il semble qu'il y ait beaucoup d'argent dans les comptes CSRN, mais cela veut dire qu'il s'agit d'agriculteurs qui ne sont pas dans le besoin. Il s'agit de ceux qui sont proches de la retraite, qui vendent leur exploitation ou qui ont quelque chose d'autre si bien qu'ils n'ont pas besoin de retirer de l'argent. Par contre, lorsque l'agriculteur se réveille à 2 heures du matin pour se demander comment il va nourrir sa famille le mois prochain -- comme c'est souvent le cas aujourd'hui -- la situation est toute autre.

M. Kovacs: Ne soyez pas dupes, mesdames et messieurs les sénateurs. Le besoin est réel, la crise est là et il faut réagir. Nous n'avons pas beaucoup de temps pour ce faire. Il faut réagir avant les semailles du printemps, avant avril ou mai, faute de quoi toute une génération de jeunes agriculteurs disparaîtra. Ils ne seront pas en mesure de survivre.

Ne vous laissez pas berner par les chemins de fer qui vont vous dire: «oui bien sûr nous allons perdre ces emplois, nous n'allons pas faire autant d'argent et l'efficience va disparaître». Lorsque les chemins de fer, notamment CP, commencent à parler de la perte ou de l'élimination d'emplois, c'est parce que leur efficience a augmenté et qu'ils peuvent toujours maintenir ou augmenter leurs marges de profit. Mettez l'accent sur les coûts d'intrants que nous vous avons montré aujourd'hui. Le transport est l'un de ces coûts; tous touchent le producteur, tous sont réels. Nous sommes en situation de crise. Les programmes actuels comme l'ACRA et le CSRN ne sont pas suffisamment adéquats et ne régleront pas la question. Il faut faire beaucoup plus et il faut mener des consultations plus pro-actives pour que quelque chose se passe d'ici peu.

Le président: Je vous remercie pour votre rapport très complet de ce matin. Nous sommes heureux de vous avoir reçus et le comité va certainement prendre votre rapport en considération.

La séance est levée.


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