Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 10 février 2000
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 9 h 07, dans le but d'examiner l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: J'aimerais dire quelques mots avant de présenter notre témoin. En 1998, le comité a tenu des audiences à Ottawa et dans les Prairies pour discuter des modifications proposées à la Loi sur la Commission canadienne du blé. Les membres du comité ont rencontré de nombreux agriculteurs qui leur ont dit que le revenu agricole était à la baisse et qu'ils craignaient pour leur avenir.
Les subventions versées aux agriculteurs, surtout en Europe et aux États-Unis, avaient été citées à l'époque comme un des facteurs en cause. Ces subventions étaient à l'origine de l'effondrement du prix des céréales et des oléagineux. Or, nous savons à quel point les prix ont baissé dans les marchés des produits primaires, surtout dans celui des céréales et des oléagineux.
Le comité sénatorial a entrepris un examen de ces subventions, en s'appuyant sur les négociations de l'Organisation mondiale du commerce et les réunions ministérielles qui ont eu lieu à Seattle, en novembre dernier. Le sénateur Joyce Fairbairn et moi-même y étions. Ce fut une expérience pour le moins intéressante. Il y a eu des échanges très constructifs entre les pays participants sur les problèmes du secteur agricole. Nous aurons l'occasion d'en voir les résultats dans les années à venir.
Le rapport du comité, qui s'intitule «La voie à suivre: les priorités pour l'agriculture canadienne et la ronde du millénaire», a été déposé en août et remis à l'honorable Pierre Pettigrew, ministre du Commerce international, de même qu'à l'honorable Lyle Vanclief, ministre de l'Agriculture. Ils pourront s'en inspirer pour établir la position du Canada en vue de ces négociations.
J'ai le plaisir, ce matin, d'accueillir M. Keith Degenhardt, de la Wild Rose Agricultural Producers de l'Alberta. Il nous tarde d'entendre votre exposé.
M. Keith Degenhardt, premier vice-président, Wild Rose Agricultural Producers: Je suis venu vous rencontrer ce matin pour vous dire que, si rien n'est fait pour améliorer la situation actuelle des agriculteurs, ces derniers n'auront pas d'avenir. Moins de 4 p. 100 des Canadiens pratiquent l'agriculture. Or, un emploi sur sept est tributaire de l'industrie alimentaire. L'agriculture est synonyme de produits alimentaires. Elle permet de nourrir les Canadiens et la population mondiale.
La Wild Rose Agricultural Producers est un organisme agricole de l'Alberta, qui est financé à même les contributions volontaires des producteurs qui en sont membres.
L'Alberta compte trois millions d'habitants. Dix-sept pour cent d'entre eux habitent dans des régions rurales et vivent de l'agriculture. Compte tenu de notre faible densité de population, 80 p. 100 des denrées que nous produisons sont exportées. Par conséquent, nous contribuons à la balance commerciale favorable du Canada. Grâce à des investissements clés dans les infrastructures et à des décisions de principe judicieuses, comme l'octroi d'incitatifs aux agriculteurs -- et je dis bien «incitatifs» -- l'Alberta s'est doté d'une industrie de l'élevage bovin fort dynamique. D'autres secteurs de l'élevage ont également connu un essor, et cette hausse légère de la demande a entraîné une augmentation de la production céréalière. Les agriculteurs sont prêts à s'adapter à tout changement.
Cela dit, le revenu agricole moyen des agriculteurs de l'Alberta s'élève à 36 000 $, dont 65 p. 100 est constitué de revenus d'appoint. L'économie albertaine est souvent considérée comme un phare. Les politiciens de l'Alberta soutiennent que notre économie agricole est forte et viable. Or, nos agriculteurs tirent uniquement 12 600 $ de leurs activités agricoles, et 23 400 $ de travaux extérieurs. Ils produisent davantage à un coût moindre, mais gagnent moins d'argent.
Malgré toutes les mesures que les agriculteurs ont prises pour améliorer leur efficacité, et les investissements que les gouvernements et l'industrie agroalimentaire ont effectués, pourquoi le secteur agricole est-il confronté à une crise? La réponse est simple: nous sommes un pays exportateur. Les États-Unis et l'Union européenne sont responsables de la baisse des prix des céréales, qui sont maintenant ridiculement bas. Tant qu'ils trouveront des moyens de venir en aide à leurs agriculteurs sans que cela n'entraîne un effet de distorsion sur le prix des produits agricoles, la situation restera la même, sauf s'il y a une pénurie de denrées à la suite d'une catastrophe naturelle.
Que pouvons-nous faire, dans l'immédiat, pour aider les agriculteurs à surmonter cette crise? La Wild Rose Agricultural Producers a quelques suggestions à faire. Les agriculteurs comptent de plus en plus sur les revenus d'appoint. Or, les statisticiens ont tort d'inclure cette forme de revenu dans le calcul du revenu agricole. Est-ce qu'ils incluent, dans le chiffre d'affaires des autres entreprises, le revenu tiré d'un deuxième emploi? Tant qu'aucune ventilation ne sera faite, on aura l'impression que les agriculteurs en Alberta gagnent 36 000 $. Nous aimerions que les chiffres reflètent leur revenu réel.
À l'heure actuelle, avant qu'un agriculteur ne puisse être jugé admissible à l'assurance-emploi, 15 p. 100 de son revenu agricole brut est soustrait de son chèque d'assurance-emploi. Or, nos marges bénéficiaires sont loin d'atteindre 15 p. 100 de notre revenu brut. D'après les études menées par Agriculture et Agroalimentaire Canada et par la FCA, même une marge de 5 p. 100 est jugée trop élevée. Nous vous encourageons vivement à demander que la marge soit ramenée de 15 à 5 p. 100 du revenu agricole brut.
Passons maintenant au transport. Dans le cas des céréales et des oléagineux, nous souhaitons la mise sur pied d'un système de transport commercial et comptable. Le principe est louable, et il y a toujours place à l'amélioration. Les manutentionnaires céréaliers et les compagnies de chemin de fer faisaient partie de l'initiative Kroeger. De plus, WRAP, KAP et SARM, avec le soutien d'autres intervenants de l'industrie, ont proposé une formule qui sert bien les intérêts des producteurs. Les éléments clés en sont les suivants: un plafond de revenu moins élevé, fondé sur une évaluation de la moyenne flottante de 3 ans des coûts de transport ferroviaire de 1998, établie par l'OTC, y compris une contribution de 20 p. 100 aux immobilisations; l'arbitrage des propositions finales, l'APF, qui sert les intérêts des expéditeurs, et qui comporte un système à deux paliers avec un plafond fixé à 2 millions de dollars. Le point suivant porte sur la concurrence efficace, qui est essentielle dans le système ferroviaire. Il faudrait accorder les droits d'exploitation selon le critère de l'intérêt public. Il faudrait également instituer un système comptable au sein de l'industrie, un système où les activités de commercialisation et la position concurrentielle de la Commission canadienne du blé ne seraient pas compromises. Nous aimerions que le comité nous aide à défendre cette position.
Nous sommes les producteurs situés le plus loin de la mer. Aux États-Unis, le transport des céréales uniquement par chemin de fer, sur une distance égale, coûte 60 $ la tonne. C'est 30 $ la tonne de plus que ce que les agriculteurs de l'Ouest paient à l'heure actuelle. À ce prix, les exportations de céréales coûteraient trop cher. L'idéal, en l'absence de concurrence efficace, serait d'avoir un système commercial bon marché et déréglementé.
Or, avant d'apporter des changements aux politiques actuelles, il est important de procéder à une analyse des effets à long terme de ceux-ci. Il y a un nouveau mot qui est très «à la mode» en Alberta. Il s'agit du mot «circuit». Il ne faut pas oublier que la Commission canadienne du blé constitue un des meilleurs circuits de distribution établis par les agriculteurs et le gouvernement dans l'Ouest. Nous ne voulons pas que les changements apportés aux politiques de transport nuisent à ce circuit et compromettent son existence, ou encore qu'ils entraînent une hausse des coûts de transport qui, de 10 à 30 p. 100, passeraient de 20 à 60 p. 100 de valeur des marchandises. Ces augmentations nuiraient à la viabilité à long terme de l'exploitation agricole familiale.
Passons maintenant au programme de sécurité du revenu agricole. Nous avons besoin de ce programme. Les agriculteurs sont actifs sur le marché mondial. Non seulement le prix que nous recevons pour notre produit est-il fondé sur les cours mondiaux, qui sont influencés à la baisse par les subventions à l'exportation, mais les coûts de nos intrants sont également gonflés en raison de l'importance de l'aide que les États-Unis et l'Union européenne accordent à leurs agriculteurs.
On a laissé entendre, entre autres, que si le programme de sécurité du revenu agricole était amélioré, sa valeur serait capitalisée sous forme de superficies cultivées et d'équipement. Or, cette capitalisation a déjà été réalisée, sauf que les agriculteurs canadiens n'ont pas reçu d'aide financière leur permettant de soutenir la concurrence à l'intérieur de leur propre territoire. Comme la plupart de notre équipement est fabriqué aux États-Unis et vendu sur le marché nord-américain, l'aide aux agriculteurs américains est déjà intégrée dans le coût de celui-ci. L'aide accordée par l'Union européenne, elle, est capitalisée sous forme de valeur foncière plus élevée. Il suffit de quelques acheteurs européens pour faire monter la valeur des terres agricoles au Canada et ainsi capitaliser l'aide accordée par l'Union européenne à ses agriculteurs. Notre programme de sécurité du revenu agricole a été conçu dans le but de venir en aide aux agriculteurs qui recevaient un rendement acceptable pour leurs investissements, mais dont les marges bénéficiaires devaient atteindre à tous le moins 15 p. 100 de leur revenu agricole brut, non pas 5 p. 100, ou moins, de celui-ci.
En tant qu'agriculteurs, nous sommes conscients des autres priorités qui existent en matière de dépenses, surtout dans les domaines de la santé et de l'éducation, et auxquelles nous souscrivons entièrement. Toutefois, si nous voulons continuer à vivre dans ces collectivités, nous devons trouver le moyen de survivre en attendant de renouer avec la prospérité.
Les piliers du programme de sécurité du revenu agricole sont l'assurance-récolte, le CSRN et l'aide en cas de catastrophe. J'aimerais dire quelques mots au sujet de ces trois points.
L'assurance-récolte protège les agriculteurs contre les baisses de production, et couvre habituellement entre 50 et 80 p. 100 de la production moyenne d'une région sur un certain nombre d'années. Nous voulons un programme aligné davantage sur les besoins des agriculteurs en Alberta. Certains souhaitent privatiser l'assurance-récolte. Or, nous sommes d'avis que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent continuer d'appuyer le programme d'assurance-récolte et de s'en servir comme outil de gestion des risques.
Le CSRN est un bon programme, et nous essayons d'amener la Alberta Cattle Commission à modifier sa position pour que le bétail fasse partie dorénavant du programme CSRN. Nos inquiétudes sont de deux ordres. Si l'année 2000 est aussi désastreuse que l'ont été les années 1998 et 1999, les agriculteurs pourraient se retrouver sans rien dans leur compte, ce qui les laissera dans une position très vulnérable. Nous devons mettre au point un moyen de les aider à renflouer le compte pendant les bonnes années de production.
Nous devons absolument changer l'attitude de certains agriculteurs, comptables, fonctionnaires et politiciens, qui considèrent le CSRN comme un fonds de retraite ou un fonds de dernier recours. Ce programme vise à stabiliser le revenu agricole. Il est très efficace lorsqu'il est bien utilisé.
J'aimerais maintenant vous parler de l'aide en cas de catastrophe. Le programme ACRA s'inspire du FIDP de l'Alberta. Or, le groupe Wild Rose a cerné certaines de ses faiblesses bien avant son adoption comme programme national. Il fonctionne bien quand une catastrophe frappe une seule fois un secteur après quelques bonnes années de production.
Notre expérience au sein de l'industrie de l'élevage du bétail en Alberta le démontre fort bien. Toutefois, si vos activités sont diversifiées, que vous cultivez divers types de céréales et d'oléagineux et que vous enregistrez de mauvaises années de production, comme ce fut le cas pour la région de Peace River en Alberta, ou qu'il y a un effondrement des prix, comme c'est le cas pour l'ensemble du Canada, ce programme n'est pas d'une grande utilité. Une marge moyenne de 70 p. 100 ne fait que prolonger l'agonie au lieu d'apaiser la douleur, alors que nos marges sont inférieures à 5 p. 100.
L'objectif de la Wild Rose Agriculture Producers est de créer un milieu où les collectivités rurales peuvent prospérer, compter sur l'appui de personnes qui vivent de l'agriculture au sein d'exploitations familiales, et qui entretiennent de bons rapports entre elles, avec la communauté et la terre.
Voilà ce à quoi aspirent les agriculteurs. Nulle part ailleurs le concept du bénévolat et la volonté d'assumer divers rôles au sein de la collectivité n'est-il aussi évident.
Nous devons nous forger une mentalité qui, tout en prônant la libéralisation du commerce mondial, reconnaît la nécessité d'assurer le bien-être de tous les segments de la société. Les incitatifs offerts aux autres entreprises doivent également être accordés aux exploitations agricoles familiales pour assurer la viabilité de celles-ci.
Les agriculteurs s'occupent de la terre. Ils ont déjà contribué à réduire considérablement les émissions de dioxyde de carbone et, par ricochet, les émissions de gaz à effet de serre, en pratiquant la culture minimale et le système de semi-directs. C'est un domaine où nous pourrions, grâce à des politiques adéquates, aider non seulement les agriculteurs, en leur octroyant des crédits en échange d'une baisse des émissions, mais également les grandes industries qui produisent du dioxyde de carbone.
Le groupe Wild Rose estime que les changements politiques à long terme et la sensibilisation du public à l'importance de l'agriculture, aux nombreux rôles joués par les agriculteurs, inciteront la population urbaine à veiller à ce que ses objectifs, soit un environnement sain et des aliments de qualité, soient eux aussi atteints.
Nous devons tenir compte, comme on le fait en Europe, de la contribution importante des agriculteurs au maintien d'un environnement rural sain pour la population, les animaux et les plantes. Des programmes d'incitatifs pourraient être mis au point par les agriculteurs, avec l'appui du milieu urbain, tandis que l'ensemble du Canada pourrait se charger d'améliorer la qualité de l'air que nous respirons et de préserver nos magnifiques paysages. Nous pourrons ainsi partager tout cela avec le reste du monde, via l'industrie touristique.
Le secteur agricole remplit de multiples fonctions et revêt une importance vitale pour le Canada. Les agriculteurs sont d'avis que s'ils connaissent une autre année comme celle qui vient de s'écouler, il n'y aura plus d'avenir pour le secteur agricole. Notre objectif, avec votre aide, est d'éviter qu'une telle chose se produise.
Le sénateur Fairbairn: Monsieur Degenhardt, comme vous le savez sans doute, j'entretiens depuis longtemps des rapports avec votre organisme, qui s'appelait à l'origine Unifarm. Je pense que ce groupe a été le premier à m'inviter, en tant que sénateur, à prendre la parole devant lui, lors d'une de ses assemblées annuelles. Je l'ai fait avec grand plaisir, même si je me suis sentie un peu mal à l'aise quand j'ai appris que je prendrais la parole après Don Mazankowski ce jour-là. Je suis restée en contact avec votre organisme pendant très longtemps, et je suis consciente du rôle important que vous jouez en Alberta.
Vous avez soulevé, dans votre mémoire, un point qui nous préoccupe beaucoup à Ottawa. Il s'agit de la question du transport des céréales, un sujet qui a fait l'objet de nombreuses études. Il y a eu les rapports Estey et Kroeger, que le gouvernement s'apprête à revoir en vue d'élaborer sa position.
Quel rôle la Commission canadienne du blé jouerait-elle dans un système structuré, mais plus déréglementé? Vous avez dit que vous ne voudriez pas qu'on apporte des changements aux activités de commercialisation de la Commission qui nuiraient à celle-ci.
J'aimerais avoir votre avis, et celui de votre organisme, sur le rôle que jouerait la Commission dans un système de transport nouveau et amélioré qui profiterait à l'Ouest canadien et surtout, aux producteurs. Je sais que c'est une question difficile.
M. Degenhardt: J'aimerais, avant de répondre à cette question, vous parler des écoles de pensée qui existent à ce sujet.
Il y a deux écoles de pensée dans l'Ouest. La première juge la Commission inutile, la deuxième la juge utile.
Or, le rôle joué par la Commission fausse le jugement d'un grand nombre de personnes quand on aborde la question du transport.
Je n'ai pas parlé de la Commission et du commerce dans mon mémoire, parce que je n'avais pas suffisamment de temps. Quand les États-Unis affirment qu'ils ne veulent pas faire affaire avec une entreprise commerciale étatique comme la commission australienne ou canadienne du blé, nous devons jeter un coup d'oeil sur les raisons qui les amènent à faire une telle déclaration.
Comme vous le savez, l'Alberta, à l'heure actuelle, tire grandement partie de la hausse du cours du pétrole. Cette hausse s'explique en partie par le fait que les pays membres de l'OPEP ont décidé d'exercer un contrôle sur la production de pétrole dans leur pays. Or, ni les sociétés pétrolières multinationales, ni les États-Unis n'ont dénoncé cette décision, en partie parce que ces multinationales sont celles qui exploitent les ressources pétrolières dans ces pays.
J'aimerais maintenant revenir à la question des grains et du blé. Pourquoi les États-Unis réclament-ils l'abolition des commissions canadienne et australienne du blé? Les États-Unis sont les plus grands exportateurs de blé au monde. Toutefois, quand vous comparez deux choses identiques, c'est-à-dire le blé produit aux États-Unis, et le blé à haute teneur en protéines et de bonne valeur meunière produit dans l'Ouest canadien, vous constatez qu'il n'y a aux États-Unis qu'une petite région qui est en mesure de produire ce blé.
Les grains sont peut-être exclus de ce marché parce qu'ils n'exercent aucun contrôle là-dessus. Toutefois, la Commission canadienne du blé, elle, exerce un contrôle sur ce produit, et cela ne leur plaît pas.
Les Australiens produisent un blé blanc qui est le meilleur au monde en ce qui concerne le marché asiatique. Les Américains peuvent produire du blé blanc pour le marché asiatique, sauf qu'il n'est pas d'aussi bonne qualité que le blé australien. Encore une fois, ils sont exclus de ce marché. Il faut donc voir quelles sont les raisons fondamentales qui les amènent à réclamer l'abolition de la Commission canadienne du blé.
Revenons maintenant à la façon dont le transport influe sur cette question. Des personnes font des démarches à Ottawa pour que le rapport Kroeger soit adopté comme tel. Les membres de Wild Rose, bien qu'ils aient des opinions variées, appuient tous KAP, SARM et WRAP. Cela ne signifie pas, par contre, qu'ils sont contre le changement.
Si l'on veut que la Commission du blé continue de nous avantager, il faut avoir l'assurance qu'elle peut continuer de traiter avec le plus d'efficacité possible afin de maximiser le rendement pour l'agriculteur.
Les changements recommandés par M. Kroeger diminueraient sensiblement le rendement pour l'agriculteur. Ils conféreraient aux entreprises de manutention des grains la capacité de mélanger les grains à la goulotte plutôt qu'au port.
Si on la retire complètement du transport, puisqu'elle n'a pas d'installations de manutention ou d'entreposage, on met la Commission canadienne du blé dans le pétrin. Matériellement, elle peut faire des ventes, mais elle doit compter sur tous les autres partenaires de l'industrie des grains pour transporter le produit jusqu'au port. Cette idée nous met mal à l'aise.
Je ne suis pas un expert des transports. Je comprends l'enjeu en tant que principe, mais des membres de notre organisme en saisissent mieux les éléments pratico-pratiques. Malheureusement, ils avaient d'autres engagements. De plus, des personnes du KAP et du SARM beaucoup plus ferrées que moi dans ce domaine peuvent vous donner des précisions. Quand nous avons exposé notre position, nous envisagions de faire économiser 25 millions de dollars aux agriculteurs canadiens, de laisser cet argent dans leurs poches en adoptant la position exposée par M. Kroeger ou par la Prairie Farm Coalition. Une troisième option a été présentée par les manutentionnaires du grain comme tel, option qui est différente de la recommandation Kroeger. Cela répond-il à votre question ou ai-je été trop loin?
Le sénateur Fairbairn: Je vous remercie. Je me réjouis d'entendre vos propos opportuns. Nul n'ignore que nous tentons vraiment d'accueillir ici des témoins représentant toute la gamme des opinions, et il est donc très important d'entendre ce que Wild Rose a à dire. Quand des décisions sont prises, ce sont des décisions centrales qui influent pendant longtemps sur l'avenir. Elles ne sont pas faciles à changer. Par conséquent, il importe que vous exprimiez officiellement vos vues ici, et je vous remercie de le faire.
J'ai une autre question. Vous avez parlé de l'aide aux sinistrés offerte par l'ACRA. Comme vous le savez sans doute, le ministre de l'Agriculture a annoncé à Red Deer, le 14 janvier 2000, que l'aide serait bonifiée d'un milliard de dollars étalé sur deux ans et réparti parmi les provinces.
D'après vos observations, puisque vous avez certainement eu des contacts avec l'ACRA, quelle méthode d'aide aux sinistrés, selon votre organisme, serait la plus efficace pour les agriculteurs albertains et ceux des Prairies à ce stade-ci? De toute évidence, le premier volet de l'aide a fait l'objet de beaucoup de critiques. On s'efforce de faire mieux. Selon vous, que faudrait-il que le gouvernement fédéral et les provinces offrent comme soutien à l'industrie actuellement? Comme le sait le président, les efforts, même s'ils comportaient leur dose de frustration, ont presque abouti à Seattle. Toutefois, rien ne s'avérait efficace dans les négociations commerciales mondiales à ce moment-là. Le domaine au sujet duquel il y a presque eu entente était l'agriculture, mais les négociations ne nous ont pas menés là où nous voulions aller. La question des subventions internationales relève certes du long terme plutôt que du court terme. Or, il est question d'une aide immédiate au Canada. Qu'en pensez-vous?
M. Degenhardt: Avant de vous répondre, il faudrait que je vous pose une question. Tout au long du rapport, je fais constamment allusion à un problème de taille avec lequel nous sommes aux prises en agriculture. Il s'agit de nos marges très basses, du très faible rendement de l'investissement. Lierons-nous le programme d'aide aux sinistrés à la règle du 70 p. 100 de l'OMC ou irons-nous plus loin? Il faut que je le sache avant de vous répondre.
Les agriculteurs de certaines régions des Prairies -- pas tous, car l'agriculture est particulière à chaque lieu -- sont visés. Un rien suffit à changer la récolte. Ainsi, un fermier peut bien avoir une récolte record, toutes autres choses étant égales par ailleurs, alors que son voisin à 200 milles de là aura une récolte tout à fait différente. La règle de 70 p. 100 pourrait s'avérer efficace pour certains agriculteurs et désastreuse pour d'autres.
Comment répondez-vous à cette question? Maintenons-nous la règle du 70 p. 100?
Le sénateur Fairbairn: J'aimerais pouvoir vous répondre, monsieur Degenhardt. C'est une question cruciale. Malheureusement, je n'ai pas la réponse.
M. Degenhardt: Je pourrais vous répondre selon deux scénarios, si vous le souhaitez.
Le sénateur Fairbairn: Donnez-nous les deux scénarios. Nous pourrons ensuite les étudier.
M. Degenhardt: Voilà qui pose problème à quelqu'un qui n'a pas une connaissance poussée de l'agriculture. Je sais que le sénateur Gustafson s'y connaît en agriculture. Sur une ferme de céréales et d'oléagineux, il n'y a pas deux cultures, mais bien quatre ou cinq qui peuvent être exploitées dans les mêmes conditions. Par exemple, sur ma ferme, nous avons un système de culture diversifié. Nous faisons pousser du seigle d'automne, de l'avoine, du lin, du blé -- en fait, trois variétés de blé -- et du canola. En termes de production, l'année 1998 a presque été un désastre pour nous bien que nous ayons eu des conditions d'humidité idéales, cette année-là. Nous avons eu des pluies dignes des Indes orientales. Du 29 juin au 13 juillet, 16 pouces de pluie sont tombés sur nos sols. Nous habitons à l'extérieur d'un petit village, Hugenden, qui se trouve seulement à un mille de là et qui a reçu vingt pouces de précipitations. Or, à huit milles de là, nous n'en avons reçu que cinq.
Les cultures que nous exploitions ont eu des rendements très variés. Ce fut la pire culture de seigle d'automne que nous ayons jamais vue. Le temps était tout simplement trop sec, et quand les pluies sont finalement arrivées, il était trop tard. Notre canola, qui germe tôt, a également donné la pire récolte que nous ayons eue. Par contre, notre récolte de blé a été une des meilleures.
Le sénateur Oliver: Pour les trois variétés?
M. Degenhardt: Pour les trois variétés, effectivement. En réalité, elle l'a été pour le blé et même le seigle d'automne, mais cette année-là, la récolte de sigle d'automne a été exceptionnelle en raison de la sécheresse qui a sévi au début du printemps. L'industrie de l'agriculture étudie le blé depuis 75 ans dans les Prairies. La céréale résiste bien à la sécheresse. Le canola n'est pas exploité depuis aussi longtemps, de sorte qu'il n'est pas aussi bien adapté à des conditions de sécheresse.
Nous avons vécu ce que nous estimons être une catastrophe. Toutefois, si vous faites une moyenne, nous aurions connu un sort moins pire que d'autres. Je n'ai pas réclamé d'aide en vertu de l'ACRA. Le problème avec ce programme -- et soyons honnêtes --, c'est que les formalités sont trop compliquées.
J'ai fait mes comptes aux fins du CSRN en juillet. J'en ai conclu que je serais admissible à un soutien pour la production de 1999 dans le cadre de ce programme, mais pas pour 1998 parce que, cette année-là, les données portaient sur la production de 1997. Sur notre ferme, l'année 1998 a été une de nos meilleures saisons, mais l'année 1999 sera la pire.
J'ai peut-être droit à un faible montant dans le cadre de l'ACRA. Quand on sait que ce fut l'une de mes pires années de récolte, je trouve étonnant que je n'aie probablement pas droit à l'aide aux sinistrés. Ce fut pourtant ma pire année. Si j'utilise la pleine déduction pour amortissement, mon exploitation agricole serait déficitaire. Pourtant, je n'aurais peut-être pas droit à de l'aide de l'ACRA ou du PSRC.
Le programme CSRN est différent, parce que mon épouse et moi, depuis que nous nous sommes associés, faisons des mises de fonds dans l'entreprise. Chacun de nous y verse entre 15 000 et 16 000 dollars de revenu. J'ignore si vous le savez, mais le revenu du programme CSRN n'est pas un revenu agricole. Il s'agit d'un revenu d'investissement, selon Revenu Canada. Donc, notre ferme recevra environ 30 000 dollars du CSRN, sans que l'ACRA y ajoute quoi que ce soit. Cette règle du 70 p. 100 nous tue.
Que pouvons-nous faire si la règle du 70 p. 100 est maintenue? Tout d'abord, il faut simplifier le formulaire pour que l'agriculteur n'ait pas à payer 500 à 1 000 $ à un comptable pour l'aider à le remplir. Il devrait y avoir un formulaire du CSRN que l'agriculteur peut remplir en même temps que sa déclaration de revenu pour connaître exactement sa situation, sans accroissement de coût pour lui. Il est très décourageant pour l'agriculteur de dépenser entre 500 et 1 000 $ sans en retirer quoi que ce soit. C'est ce qui est arrivé à de nombreux agriculteurs qui ont présenté une demande au PSRC, puis à l'ACRA. L'ACRA est une variante presque du PSRC, bien qu'il en soit une version améliorée.
Le CSRN a posé un réel problème à l'Alberta. En fait, l'Alberta n'en fait pas partie. Nous pouvons faire ce que nous voulons du CSRN parce que le gouvernement fédéral a assumé les frais de ce programme en Alberta. C'est un réel avantage pour nous, en Alberta, que vous ayez pris des mesures concrètes à cet égard alors que le gouvernement de l'Alberta ne l'a pas fait.
La première chose à faire est de simplifier le formulaire.
La deuxième est, si la règle des 70 p. 100 est maintenue, de prévoir un mécanisme qui permettrait de la traiter comme l'assurance-récolte. Ce sera très difficile à faire.
Il est souvent question des trois piliers que sont les filets protecteurs. On vous les a probablement décrits déjà, mais actuellement, l'assurance-récolte absorbe les premiers 70 p. 100 d'une perte, du point de vue de la production. Ensuite, s'il y a toujours manque à gagner, l'aide aux sinistrés est censée en combler 70 p. 100. Enfin, le CSRN peut s'appliquer aux 30 p. 100 qui restent. C'est pourquoi ils sont tous essentiels.
Si l'on veut améliorer l'ACRA, il faut faire un retour en arrière et tenir compte, dans le cadre du programme, du revenu tiré des diverses cultures d'une ferme. J'ai lu, dans un article rédigé par un journaliste local -- à nouveau, un point de vue différent du mien -- quelqu'un qui vilipendait la Commission canadienne du blé et les faibles prix qu'elle avait obtenus pour la récolte de 1999-2000. Le journaliste ne s'arrêtait qu'à l'acompte à la livraison. Le blé est en réalité une des plus fortes cultures des Prairies actuellement. Il a été moins touché sur le marché international que le canola. En effet, le cours du canola est passé de 8 à 9 $ le boisseau à 5 ou 6 $. Le cours du blé est passé, lui, de 4,50 $ à environ 4,10 $ environ. Je fais allusion ici au blé no 1 riche en protéines, non pas au blé no 3. Dans ma région, c'est quelque chose qu'on peut faire.
Le président: Dans ma région, on obtenait 1,87 $ pour du blé dur légèrement gelé.
M. Degenhardt: En l'absence de la règle du 70 p. 100, c'est là qu'interviendrait peut-être un programme d'aide aux sinistrés. S'il faut le repenser, il vaudrait mieux y intégrer le concept des marges, de marges décroissantes, de la perte de revenu causée par une baisse des marges. Le programme actuel d'aide aux sinistrés n'en tient pas compte. Si vous traversez une période d'années aux marges décroissantes, comme on dit souvent dans les Prairies, 70 p. 100 de zéro égale zéro. C'est le hic de ce programme. Il ne tient pas compte de nos marges décroissantes. Il faut le faire dans un programme d'aide aux sinistrés; toutefois, pour le faire, il faut aller au-delà du principe des 70 p. 100.
Le sénateur Fairbairn: Je vous remercie beaucoup. Il est bon de connaître votre position officielle.
Le président: J'aimerais revenir à la question du transport ferroviaire. Quelle est votre position concernant une fusion de CNR et d'un chemin de fer américain? Quelle sorte d'impact croyez-vous que cela aura au Canada?
M. Degenhardt: En agriculture, on ne s'en préoccupe tout simplement pas. Quand j'ai fait allusion tout à l'heure au soutien de l'industrie concernant le KAP, le WRAP et le SARM, une partie de ce soutien vise d'autres marchandises que les céréales.
Dans l'ouest du Canada, l'industrie de la potasse, celle du charbon et celle du soufre n'ont pas constaté d'avantages au régime qui leur est actuellement imposé par les chemins de fer. Elles espèrent que le rapport Kroeger se traduira par un avantage pour elles, par un meilleur arbitrage final. De plus, quand vous parlez à leurs représentants, ceux-ci ont constamment le mot «concurrence» à la bouche. Que dire? Il y aura moins de concurrence. C'est aussi simple que cela. Burlington Northern, sur un réseau équivalent du Montana, exige près de 60 $ par tonne.
Je suppose que, si la fusion se produit, l'industrie du chemin de fer envisagera très sérieusement de passer à un régime de style américain, ce dont nous, en tant qu'agriculteurs, ne nous réjouirons pas mais qui, j'en suis sûr, fera le bonheur des agents de courtier en grains parce que les agents américains verront toute une nouvelle gamme de possibilités d'emploi s'ouvrir à eux. Étant donné le régime d'attribution du matériel remorqué, de mise aux enchères des wagons, les agents de courtier en grains, auparavant limités à un emploi dans la fonction publique ou chez les céréaliers, pourront maintenant travailler pour les chemins de fer. Si l'agent de courtier en grains va travailler pour le chemin de fer, il se trouve alors sur place et sait exactement ce qui se passe sur le marché. Si le cours du maïs grimpe à 10 $ la tonne environ, il sait que, pour transporter le maïs du point A au point B, il a besoin de 10 $ de plus par tonne. Il sait que les céréaliers peuvent le payer. Ils disposent de 10 $ de plus avec lesquels ils peuvent jouer et ils peuvent exiger plus pour le transport de cette marchandise. Malheureusement, quand le chemin de fer touche ce dollar, il ne le rend pas au fermier. Une partie de nos discussions à cet égard concerne la concurrence. Vous parlez de déréglementation. Or, s'il n'y a pas moyen de faire jouer la concurrence dans ce scénario, nous aurons un problème.
Je vous en donne un autre exemple, parce qu'il y en a toujours à l'extérieur de l'industrie du grain. Un bon exemple est ce qui s'est produit il y a deux ans, en Alberta, en rapport avec les bovins. Les deux grands conditionneurs de viande de l'Alberta sont Cargill, situé à High River, et Lakeside, à Brooks. Quatre-vingt-quinze pour cent de la viande conditionnée passent par ces deux usines non seulement en Alberta, mais aussi dans certaines régions de la Saskatchewan. Il y a environ deux ans, ces conditionneurs ont décidé d'abaisser le prix qu'ils offraient de 4c. environ par livre. C'est tout ce qu'ils offraient à l'époque. Toutefois, ils avaient oublié de tenir compte de deux facteurs. Tout d'abord, aux États-Unis où beaucoup de bovins sont importés par Cargill et IBP -- ces installations sont propriétaires du bétail, c'est-à-dire une fois que ces bêtes pèsent environ 600 livres et ainsi de suite et elles les engraissent dans leurs propres parcs. Ce n'est pas le cas des parcs d'engraissement de l'Ouest qui ne sont pas propriétaires des bovins. Les plus importants parcs d'engraissement de Feedlot Alley, aux alentours de Lethbridge et dans notre région, où on compte quelques grands engraisseurs qui nourrissent 30 000 bovins, ont examiné la situation et dit: «Ce prix est inacceptable. Pour 4c. par livre, nous pouvons transporter nos bêtes jusqu'aux usines des États-Unis.» Ils l'ont fait pendant deux semaines, et le cours est remonté de 4c. la livre. Quand on est aux prises avec un duopole qui ne veut pas livrer concurrence, on est à sa merci.
Le sénateur Rossiter: Monsieur Degenhardt, pourriez-vous expliquer ce que représentent les sigles WRAP, KAP et SARM pour ceux d'entre nous qui ne viennent pas de l'Ouest?
M. Degenhardt: Le WRAP est mon organisme, soit le Wild Rose Agricultural Producers, et le KAP est le Keystone Agricultural Producers of Manitoba. C'est l'organisation générale qui représente les agriculteurs du Manitoba. Grâce à un fort lobby et à quelques appuis, comme en Ontario, ils ont obtenu un bon soutien financier. Le SARM est le sigle de Saskatchewan Agricultural Rural Municipalities. En Saskatchewan, il n'y a pas d'organisme général représentant les agriculteurs. Quand le Saskatchewan Wheat Pool s'est transformé en société ouverte, de plus en plus d'agriculteurs estimaient que nul ne les écoutaient. Le SARM a assumé un plus grand rôle, surtout dans le domaine du transport.
Il y a une chose qu'il faut que vous sachiez au sujet de la Saskatchewan. Le sénateur Gustafson le sait sûrement. En Alberta, on dit souvent: «De retour de la Saskatchewan, il vaut mieux faire faire le réglage de la géométrie de son véhicule». C'est à cause des routes en Saskatchewan. En effet, les routes de cette province représentent six fois environ la superficie du réseau routier de l'Alberta, et il n'y a pas d'impôt. L'Alberta compte 3 millions de personnes, une industrie pétrolière et certaines autres industries que la Saskatchewan n'a pas.
Je ne sais pas si le président sera d'accord avec moi, mais si les tendances actuelles se maintiennent, les principales entreprises de vache-veau iront s'installer dans le nord de la Saskatchewan. Si le secteur des grains n'est plus rentable, le nord de la Saskatchewan possède l'eau et la production. On peut y élever beaucoup de bétail s'il n'y a pas d'autre choix. C'est aussi simple que cela.
Le sénateur Rossiter: Les avantages en seraient-ils contrebalancés par le coût du transport vers les marchés et les abattoirs?
M. Degenhardt: Il y en aurait mais, à nouveau, il s'agit du moindre de deux maux. Si votre marge est de 1 plutôt que 5 p. 100 -- ce qui est insuffisant dans le cas des céréales et des oléagineux en raison des changements -- et que votre marge sur le bétail est de 8 à 9 p. 100, vous choisirez d'élever du bétail.
Le président: Je me suis entretenu avec des producteurs de l'Iowa, c'est-à-dire les plus importants producteurs de bovins au monde. J'ai aussi rencontré au Kansas, où se trouvent les grands parcs d'engraissement, un monsieur de la Banque mondiale. Il m'a dit que les producteurs de boeuf de l'Iowa cherchent un endroit dans le nord du Canada d'où ils pourraient capitaliser sur l'industrie du bétail en raison des tarifs de transport. Au Kansas, ils achètent tout le maïs qui se trouve à une distance raisonnable de transport par camion, durant une moitié de l'année, pour y transporter des bêtes venues du Canada et du Mexique. Le coefficient du grain, qui est de 8 pour 1, fait qu'il est préférable de nourrir le bétail là où se trouve l'orge, notamment dans le nord de la Saskatchewan. Ce que j'essaie de faire valoir, c'est que, si nos gouvernements provinciaux, notre gouvernement fédéral et nos fermiers ne prennent pas conscience bien vite de la situation, les Américains contrôleront l'industrie d'alimentation du bétail dans le nord de la Saskatchewan. Je suis tout à fait d'accord avec vous; il y aura beaucoup d'argent à faire dans ce secteur.
Le sénateur Rossiter: La situation est très grave. Pourtant, il y a plein de possibilités si d'une façon quelconque nous pouvons en profiter en tant que Canadiens.
M. Degenhardt: Je le crois.
Le sénateur Rossiter: Le revenu gagné par tous les membres de la famille sur la ferme est-il inclus dans le revenu agricole?
M. Degenhardt: Oui, il l'est.
Le sénateur Rossiter: Est-ce le cas du jeune de 16 ans qui travaille?
M. Degenhardt: Oui. Le jeune de 16 ans et l'épouse, si elle a un emploi à l'extérieur de la ferme.
Le sénateur Rossiter: Le revenu de l'époux est-il inclus s'il travaille à l'extérieur de la ferme?
M. Degenhardt: Oui.
Le sénateur Rossiter: Est-ce également le cas d'autres genres d'entreprises?
M. Degenhardt: Non.
Le sénateur Rossiter: Comment Revenu Canada justifie-t-il cela?
M. Degenhardt: Voici quelqu'un de la Fédération canadienne de l'agriculture qui peut peut-être répondre à cette question.
M. Benoît Basillais, analyste de la politique, Fédération canadienne de l'agriculture: Je travaille pour la Fédération canadienne de l'agriculture. Vous voulez savoir pourquoi tout le revenu gagné est considéré comme du revenu agricole?
Le sénateur Rossiter: C'est bien cela. Pourquoi le revenu de tous est-il inclus dans le revenu agricole?
M. Basillais: Nous posons cette question au gouvernement depuis plusieurs années. Toutefois, nous n'avons jamais reçu de réponse.
Quand le gouvernement publie ses prévisions annuelles du revenu agricole, il y inclut toujours les revenus d'appoint. La Fédération a toujours eu pour principe que c'est insensé, qu'il ne faudrait tenir compte que de l'entreprise agricole.
Je n'ai rien à ajouter au sujet de cette question. Nous ne sommes pas d'accord avec cette politique. Elle est insensée. S'il y a plus de revenus d'appoint sur la ferme, la plupart du temps, c'est parce que les agriculteurs ont besoin de plus d'argent et qu'il faut qu'ils se trouvent un emploi à l'extérieur. Parfois, des journaux affirment que le revenu agricole est en baisse et que les revenus d'appoint sont à la hausse, l'idée étant que ce n'est pas si mauvais pour l'industrie agricole. Je suis désolé, mais c'est tout à fait le contraire. Cela signifie que les agriculteurs ne font pas assez d'argent et que la ferme ne suffit pas à les faire vivre.
Le sénateur Rossiter: Oui, ainsi que les autres membres de la famille.
M. Basillais: Oui. Tous les membres de la famille ont besoin de travailler. Tous les six mois, nous écrivons au ministre à ce sujet. Si vous pouviez nous être utiles, nous vous en saurions gré.
Le sénateur Rossiter: Si j'étais infirmière dans l'ouest du Canada, ne serait-ce que pour conserver ma licence et ne pas avoir à repartir constamment à zéro, il faudrait que je travaille à temps partiel. Je ne gagnerais pas beaucoup et je ne paierais aucun impôt. Tout serait inclus dans le revenu agricole et ferait simplement en sorte de le hausser au-dessus du revenu agricole «réel».
Le président: Vous faites valoir un très bon point.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que la FCA a procédé à des études? Si ces chiffres sont exacts en ce qui a trait au revenu d'appoint, et je les accepte comme étant réalistes, n'a-t-on pas effectué des études pour rationaliser les travaux agricoles effectués par une ferme constituée en société ou par des fermes familiales qui se sont associées pour se constituer en société? Je sais que cela ébranle ce que nous appelons la ferme familiale.
J'écoute, je lis et je surveille ce qui se passe dans le monde agricole. J'ai été agriculteur et je le suis encore. Je possède encore 500 acres qui ne produisent rien et ne m'apportent aucun revenu réel. Si je n'avais pas toutes ces autres activités, je serais déficitaire.
A-t-on procédé à des études de rationalisation en ce qui a trait à la possibilité de prendre un secteur et de constituer toutes les exploitations en société -- autrement dit, où M. Degenhardt et tous les agriculteurs du voisinage se constitueraient en société? Je sais que cela se fait par l'entremise de faillites et de gens qui capitalisent sur l'infortune. Procède-t-on à des études au-delà des faillites et effectuer ce genre de rationalisation?
Si je pose cette question c'est parce que dans tous les rapports qu'on nous présente, les gens nous disent que les agriculteurs sont disposés au changement. Sont-ils prêts à le faire de façon si radicale? C'est là ma question.
M. Degenhardt: Je vais répondre d'un point de vue légèrement différent, en partie du point de vue de l'agriculteur mais pas seulement du sien.
J'avais inclus dans mon mémoire une déclaration que j'ai enlevée et qui a été faite par le Hudson Institute. Cet organisme estimait que la façon la plus efficace d'exploiter une ferme c'était non pas par l'entremise d'une ferme constituée en société mais par celle d'une ferme familiale parce que les familles acceptent plus volontiers les moins bons rendements.
Pour revenir au concept de la ferme constituée en société, la Commission de l'élevage bovin de l'Alberta ne s'est pas associée au compte du CSRN tout simplement parce que certains de ses membres y ont opposé une résistance sous prétexte qu'ils ne voulaient pas de subventions ce qui est assez hypocrite de leur part lorsque l'on considère l'industrie de l'élevage bovin en Alberta et tout l'appui qu'elle a reçu du gouvernement albertain. C'est une autre question que nous pouvons aborder tout comme celle de l'industrie du boeuf d'embouche. Ils n'ont pas voulu du compte du CSRN en raison du plafond imposé. Son plafond était trop bas pour un grand nombre des éleveurs du Feedlot Alley, même si le secteur des grains et des oléagineux a été considérablement touché.
Avec l'agriculture, cela dépend parfois non de votre performance en tant qu'agriculteur mais de l'endroit où votre grand-père ou votre arrière-grand-père s'est installé lorsqu'il a immigré dans ce pays. La plus grande concentration de dollars dans le compte du CRSN se trouve dans le petit secteur le long de la route 2 du côté albertain. Ce n'est pas en raison de l'industrie de l'élevage du bétail, mais parce que c'est dans ce secteur qu'on trouve les sols les plus riches et la meilleure teneur en humidité. Pour eux, récolter entre 60 et 70 boisseaux d'orge, avec un apport agricole similaire au mien, c'est un échec. J'estime qu'il s'agit d'une très bonne récolte alors qu'il n'en va pas de même pour eux. Ils ne peuvent faire pousser du blé no 1 à forte teneur en protéines mais ils peuvent faire pousser 100 boisseaux de blé de printemps des prairies no 2. Avec le même apport, mais avec une production beaucoup plus importante, ils peuvent réaliser de plus grands bénéfices.
Pour revenir à la question des fermes constituées en société, les agriculteurs ont réfléchi à cette idée. Je dois vous parler de mon expérience de travail au gouvernement fédéral. Parmi mes activités d'appoint entre le milieu des années 80 et le début des années 90, j'ai travaillé pour le Bureau d'examen de l'endettement agricole. Si vous voulez voir ce qu'est un cauchemar sur une exploitation agricole, regardez ce qui se passe dans une ferme constituée en société qui fait faillite. Il ne lui reste absolument rien. Cependant, si votre ferme familiale doit déposer son bilan, la loi vous permet de sauver quelque chose à la différence de la ferme constituée en société.
M. Basillais: Je n'ai pas grand-chose à ajouter à cette réponse. Le débat a cours depuis longtemps sur la ferme familiale par opposition à la ferme constituée en société. Je peux me servir de l'exemple de la ferme de mon père. C'est une ferme constituée en société, mais comme c'est mon père et mon frère qui cultivent la terre il s'agit pour moi d'une exploitation familiale. Je crois qu'il faut dire qu'il arrive parfois que les agriculteurs décident de se constituer en société pour des raisons fiscales ou que sais-je encore mais que ça n'en reste pas moins une ferme familiale. Nous ne devons pas l'oublier.
Le sénateur Oliver: Ma question découle de celles que vous ont posées le sénateur Rossiter et le sénateur St. Germain et porte un peu sur le même sujet. À la page 1 de votre document, vous dites que les agriculteurs produisent davantage à moindre coût et ramène malgré tout moins d'argent à la maison. Un Canadien moyen qui lit cela se demanderait pourquoi ils ne tentent pas leur chance ailleurs ou s'ils font les choses de la bonne manière.
Je veux poser une ou deux questions philosophiques au sujet des agriculteurs et de l'agriculture. Ce ne sont pas des questions faciles parce que vous avez dit vous-même qu'un des grands problèmes auxquels les agriculteurs font face c'est qu'ils s'appliquent sans obtenir un bon rendement de leurs investissements.
Je suis allé au Japon à quelques reprises pour me faire dire à chaque fois que si nous voulons y vendre des produits canadiens, il nous faut leur envoyer non pas des produits à l'état brut, mais des produits à valeur ajoutée, d'ajouter de la valeur à ce que nous faisons pousser de manière à faire de véritables bénéfices.
Vous devriez peut-être vous tourner vers d'autres aspects de la chaîne alimentaire. Au lieu de simplement semer une graine dans le sol, d'attendre qu'elle pousse et, à la fin de l'été, de mettre votre récolte en vente, vous pourriez peut-être y ajouter de la valeur, faire des bénéfices et vendre ce produit comme une troisième ou une quatrième ligne de produit. Certaines entreprises canadiennes qui ont bien réussi étaient à intégration verticale. Au lieu de se limiter à une seule chose, elles ont aussi produit, possédé et contrôlé les composantes du produit à valeur ajoutée.
Pourquoi les agriculteurs ne font-ils pas cela? Si cela peut se faire dans les autres secteurs il me semble logique que cela puisse s'appliquer également au secteur agricole. Faites-vous toujours les mêmes choses de la même manière? Dans l'affirmative, pourquoi ne pas changer? Je peux poser ces questions parce que moi aussi, à l'instar du sénateur St. Germain, je suis exploitant agricole. Je m'y connais un peu sur le coût des intrants en ce qui a trait aux engrais et ainsi de suite. Nous ne faisons pas les choses comme avant. Je veux savoir pourquoi vous ne changez pas votre façon de faire dans l'Ouest.
M. Degenhardt: Je vais répondre à cela philosophiquement et essayer d'aller au-delà.
Lorsque j'ai rédigé ce document, ma femme et moi parlions de cela. Si je suis ici entre autres c'est que d'autres membres de notre conseil participent à un sommet sur l'agriculture en Alberta. Il s'agit d'un exercice visant à prévoir un ensemble de réunions qui permettront aux agriculteurs de se concerter sur la prochaine voie dans laquelle s'engagera l'agriculture en Alberta. Diverses déclarations ont été faites à ce sommet sur l'agriculture dont l'une, par exemple, d'un consultant en agriculture américain qui parle des grands changements qui se produisent et ainsi de suite. Il s'agit de ce genre de choses.
L'une des raisons de notre persistance à vouloir rester agriculteurs, même si ce n'est pas très payant, est que nous prenons plaisir à planter une graine dans le sol et à la regarder pousser. Même si nous devons avoir des excréments de vache jusqu'au cou, nous tenons à aider notre bête à accoucher d'un veau trop gros. Nous aimons faire ces choses -- certaines moins que d'autres, bien sûr. Les agriculteurs aiment ce qu'ils font. C'est pourquoi beaucoup d'entre eux ont consenti des sacrifices. Même s'ils travaillent plus fort, qu'ils produisent plus pour moins d'argent, ils veulent rester agriculteurs, parce que c'est ce qu'ils aiment faire.
J'ai visité deux de nos usines de traitement à valeur ajoutée, en Alberta. La première est celle de Cargill, à High River; nous pouvions aller partout, sauf au poste d'abattage, où on ne nous a pas laissé pénétrer. Il y a une chose dont Cargill est heureuse, c'est qu'elle n'a que 50 p. 100 de roulement de personnel, tandis que Lakeside, à Brooks, par exemple, a 100 p. 100 de roulement de personnel de chaque année. La raison à cela est que leurs employés n'aiment pas ce qu'ils font. Donc chaque année, il faut former de nouveaux employés.
Là où je veux en venir c'est que les agriculteurs qui n'aimaient pas l'agriculture sont partis parce que ce n'était et ce n'est toujours pas payant. À moins d'aimer ce qu'on fait, on n'est pas prêts à faire les sacrifices qu'il faut.
Le sénateur Oliver: Vous avez dit que votre revenu brut s'élève en moyenne à 36 000 $ par année, et que 65 p. 100 de ce revenu provient d'activités hors de la ferme. Est-ce que ces revenus accessoires sont liés à la ferme de quelque façon que ce soit, ou est-ce qu'ils proviennent d'un emploi tout à fait distinct et différent? S'il y a un lien, je dirais que c'est un revenu à valeur ajoutée. Pourquoi ne pas améliorer et augmenter votre revenu en faisant plus de ces activités à valeur ajoutée que vous aimez?
M. Degenhardt: La «moyenne» déguise beaucoup de choses. Notre ferme est une provenderie et une exploitation de naissage contrôlée. Mais en plus de notre troupeau commercial, nous avons aussi quelques bêtes de race. Mon épouse et moi gagnons ce «revenu moyen» grâce à nos activités sur notre ferme. Ce qui nous permet de gagner autant c'est que nous sommes allés dans des marchés à créneaux, le genre de choses que les agriculteurs de toutes les Prairies tentent en ce moment de trouver. Les marchés à créneaux rapportent légèrement plus. Ils amènent le changement, qui se poursuivra. Certains agriculteurs n'ont pas fait ce choix. Ils préfèrent produire une seule chose. Il y a beaucoup d'activités d'exploitation pétrolière dans notre région. Certains fermiers peuvent travailler sur les chantiers de forage pour 10 $ ou 15 $ de l'heure; ou encore, s'ils veulent bien d'un emploi saisonnier plus dur, ils peuvent travailler sur les pontons d'exploitation pétrolière pour 23 $ ou 25 $ de l'heure. Il y a donc certains choix.
Dans notre région, lorsqu'on parle d'un jeune agriculteur, il s'agit de quelqu'un qui a entre 18 et 30 ans. Il y a des endroits en Saskatchewan où un jeune agriculteur, c'est quelqu'un de mon âge, parce qu'il n'y a pas là autant de diversité en matière de revenu d'appoint.
Pour en revenir à la question sur les produits à valeur ajoutée, en Alberta, nous ajoutons de la valeur et nous continuerons de le faire. L'intégration verticale est en marche. L'avenir n'est pas rose. Je trouve les déclarations sur le Japon très intéressantes, parce que s'il y a un pays où il est difficile de faire pénétrer des aliments, même des aliments à valeur ajoutée, c'est bien le Japon.
Le sénateur Oliver: C'est plus facile avec un produit à valeur ajoutée qu'avec le produit brut.
M. Degenhardt: Ce n'en est pas moins un pays difficile à pénétrer parce que, même les produits à valeur ajoutée qu'ils importent doivent correspondre à leurs spécifications. Pour le boeuf, par exemple, ils sont habitués au produit de type Kobe. Il faut neuf ou dix mois de plus que la normale pour produire cela sur une ferme de l'Alberta. C'est le temps qu'il faut pour que l'alimentation produise cet effet de marbrage de l'animal, en plus de certains changements génétiques. Jusqu'ici, cela n'en a pas valu la peine. Certains l'ont envisagé, mais cela ne vaut pas la peine de produire le boeuf Kobe. Même s'il le Japon le paie à fort prix, avec le temps et l'effort que ça prend pour nourrir un tel animal, ce n'est pas plus rentable que les produits qui visent le marché nord-américain.
L'un des grands avantages pour notre industrie bovine en ce moment, c'est que nous sommes tout près des États-Unis. Nous n'occupons pas vraiment une grande place sur le marché mondial. Nous faisons peut-être un peu d'exportation vers d'autres pays mais notre vrai marché, c'est l'Amérique du Nord. C'est le plus riche du monde et cela a constitué un avantage pour notre produit. Plus aux États-Unis qu'ici, on ne permet pas tellement d'importations de bovins.
Le sénateur Oliver: Si le revenu moyen brut d'un agriculteur comme vous est de 36 000 $, et que 65 p. 100 de ce revenu provient d'activités hors de la ferme, combien gagne un agriculteur comme vous au nord des États-Unis, quelqu'un qui exploite le même genre de ferme que vous?
M. Degenhardt: Ce n'est pas mon revenu brut. Ce serait plutôt entre 250 000 $ et 300 000 $.
Le sénateur Oliver: Trente-six mille dollars, c'est le revenu familial net?
M. Degenhardt: Oui.
Le sénateur Oliver: Alors quel est le revenu net d'une famille semblable des États-Unis?
M. Degenhardt: Je ne le sais pas. La CFA pourrait probablement nous le dire.
Le sénateur Oliver: Est-ce que c'est beaucoup plus?
M. Degenhardt: Cela dépendrait de la région. Je sors un peu du sujet, mais lorsque je reçois une revue sur l'équipement, comme New Holland ou John Deere, 90 p. 100 des articles sont structurés autour de la ferme familiale américaine. À voir les photos de ces revues, on dirait que ces familles sont beaucoup plus à l'aise, mais c'est probablement seulement dans les régions où la production est plus élevée.
Dans une région équivalente à celle où le président et moi-même exploitons notre ferme, disons le nord du Montana, les agriculteurs paient beaucoup plus que nous pour le transport. Je crois que leur situation est pire que la nôtre. Cependant, dans la région qui longe la rivière Missouri, où on produit 200 boisseaux de maïs par acre, c'est autre chose que le nord du Montana. Ils vivent très bien.
Il y a deux petites choses que j'aimerais mentionner. L'une concerne le transport et l'autre les incitatifs. Au sujet du transport, on fait assez souvent des comparaisons d'économies entre le Canada et les États-Unis. On parle par exemple des manutentionnaires céréaliers américains qui coûtent beaucoup moins, mais il y a deux choses dont il faut tenir compte. La première c'est que très souvent, c'est le gouvernement qui paie l'entrepôt. Deuxièmement, ils parlent de maïs, et non pas des huit ou neuf différents produits qui sont encore fractionnés en trois ou quatre catégories. Il ne s'agit que de maïs no 1 ou no 2.
Autrement dit, si vous ne traitez que du maïs no 1 et no 2, c'est beaucoup plus simple que lorsque vous devez vous occuper de huit ou neuf produits répartis en trois ou quatre catégories. L'autre chose à propos des incitatifs, c'est que nous sommes actifs dans l'Ouest et aussi en Ontario. C'est très peu, mais encore là, ce sont les petites choses qui peuvent compter, comme l'Alberta l'a démontré avec l'industrie bovine.
Pour l'instant, Revenu Canada ne reconnaît pas les sommes que les agriculteurs de tout le pays investissent dans la recherche, par le biais des différents biens et services et des diverses contributions de l'agriculteur. Nous ne pouvons pas les déduire comme crédits d'impôt et, même si c'était possible, ce serait bien peu pour un seul agriculteur, peut-être 300 $ ou 500 $ de crédits d'impôt, mais c'est tout de même beaucoup lorsque qu'on fait le total.
Dans l'Ouest du Canada seulement, grâce à la contribution à la Western Research Check-off, qui ne monte qu'à 20c. par tonne de blé et 40c. par tonne d'orge, 4,5 millions de dollars sont versés à la recherche et pourtant, les agriculteurs n'ont droit à aucun crédit pour ça. Il existe des documents qui indiquent ces chiffres. Ce serait facile d'y remédier. Il suffirait que Revenu Canada le reconnaisse, et dise à l'agriculteur: «Puisque vous investissez dans l'avenir, nous voulons le reconnaître».
Le sénateur Oliver: Je suis sûr que le sénateur Fairbairn vous comprend et qu'elle en parlera au ministre Martin.
Le sénateur Stratton: J'aimerais revenir sur quelques points. Le principal problème dans tout cela, c'est simplement l'envergure des subventions offertes dans d'autres pays, comme nous le savons tous. Lorsque nous étions en Europe, nous avons entendu dire que l'exploitant d'une ferme de 40 hectares en France gagne 50 000 $ par année, et un fermier de l'Italie gagne environ 35 000 $. Tant qu'il y aura ces subventions, le cours des produits restera faible, un point c'est tout.
Quand a eu lieu la première ronde des négociations de l'OMC à Seattle, l'on espérait fort que quelque chose serait fait pour corriger la situation, mais cela n'a pas été le cas. J'espère seulement que les gens qui y ont manifesté, s'ils écoutent maintenant, ont su reconnaître les dommages potentiels à votre industrie qui en ont découlé.
Ce qui me préoccupe, en deux mots, c'est que si nous voulons assurer la survie de vos fermes familiales il vous faut de l'aide, et vite. Pourquoi nos gouvernements semblent-ils faire la sourde oreille? Pourquoi n'admettent-ils pas -- pourquoi ne l'ont-ils pas admis il y a un an -- qu'il vous faut plus que les mesures qu'ils appliquent en ce moment? Pourquoi le message ne passe-t-il pas?
M. Degenhardt: Je crois que c'est en partie à cause des agriculteurs eux-mêmes. Autant commencer par là. Parce qu'ils ne sont pas unifiés, qu'ils cherchent tous à se faire entendre, nous avons brouillé le message -- ou nous transmettons des messages différents. Il y a un mois, la Western Wheat Growers a envoyé un message différent de celui des autres agriculteurs, et en ce moment, c'est un autre message qui circule. Le problème vient donc en partie de là.
Un autre aspect de la question -- et j'en ai un peu parlé déjà -- c'est que nous devons éduquer la population urbaine, non seulement sur l'importance de l'agriculture pour la sécurité de l'approvisionnement ici et dans le reste du monde, mais aussi sur l'importance de l'agriculture, c'est-à-dire ce que nous faisons pour sauvegarder l'environnement. Voilà quelque chose qu'il nous faut tous entreprendre, et que nous devons commencer dès maintenant. Beaucoup de gens des villes ne semblent pas comprendre que la viande vient des porcs et du bétail et que le lait vient des vaches. C'est inquiétant.
En Europe, la situation est même pire. L'une des choses qui nous inquiète en tant qu'organisation, et pour laquelle nous faisons campagne, est la question du traitement humain des animaux. Il faut absolument en faire plus à ce sujet. C'est une partie du problème, et nous devons essayer d'éduquer les gens là-dessus.
Un autre aspect du problème, pour être franc, est que des tas de gens se présentent aux gouvernements et aux politiciens pour leur parler de problèmes qui doivent avoir leur attention immédiate et, évidemment, il faut établir des priorités. Lorsqu'il y a des situations comme la nôtre, où nous qui représentons moins de 4 p. 100 de la population avons un certain problème, ça ne fait pas beaucoup d'électeurs potentiels. Je pense qu'il faut surmonter cela -- le fait que nous soyons une infime partie de la population. Bien que nous soyons importants pour nos échanges commerciaux et l'alimentation de la planète, nous ne représentons qu'une infime partie de la population; il faut donc mieux éduquer les communautés urbaines sur l'importance de nos activités. C'est par là qu'il faut commencer. Autrement, nous ne pourrons pas faire de grands progrès.
En fait, je crois que nous, en Alberta, nous avons un véritable problème parce que nous vivons dans la plus riche des provinces, dans le sens où la province n'a pas de dette et parfois, nous ne pouvons même pas convaincre notre propre gouvernement de l'existence d'un problème. Le gouvernement de l'Alberta ne veut pas reconnaître que l'agriculture est en difficulté en ce moment.
Le sénateur Stratton: Vous êtes donc convaincu que le problème est double, avec, tout d'abord, les agriculteurs qui sont leur pire ennemi parce qu'ils ne s'expriment pas d'une voix unie?
M. Degenhardt: C'est une partie du problème. En Alberta, nous l'avons constaté. Le sénateur Fairbairn l'a dit, elle a travaillé avec Unifarm. Nous avons constaté, par l'entremise de nos organisations de production primaire, une fragmentation de la représentation des agriculteurs. Actuellement, cette fragmentation pose un très grand obstacle à l'évolution de certaines situations.
Wild Rose Agricultural producers est membre de l'Alberta Safety Net Coalition, et elle est bien moins organisée, bien moins homogène que le regroupement national. Je le sais parce que mon épouse est membre de ces deux organisations. Elle aime beaucoup plus participer à des réunions nationales qu'aux réunions provinciales, parce que nous avons un groupe fragmenté assez agressif qui ne s'intéresse qu'à ses propres problèmes, et c'est assez difficile à surmonter. C'est un problème que Wild Rose Agricultural Producers devra régler. À moins de présenter une situation à laquelle on peut s'attaquer immédiatement et qui fait peur à l'agriculteur lui-même, ou encore au public, ça ne marche vraiment pas bien.
Wild Rose a eu une initiative fantastique il y a deux ans. Nous avons épargné 2 500 $ pour chaque agriculteur dont le camion avait plus d'un essieu, parce qu'il devait y avoir un décret selon lequel les camions de plus d'un essieu devraient être immatriculés comme véhicules commerciaux plutôt que comme véhicules agricoles. Nous avons eu beaucoup de soutien des agriculteurs jusqu'à ce qu'on en arrive à la question financière.
Le sénateur Stratton: Cela, c'est un problème à long terme. La dernière ronde de négociations du GATT a pris sept ans. Même si les États-Unis ont dit qu'il n'en faudrait que trois, cela ne se réalisera pas. Le problème pourrait encore se poser pendant sept ou dix ans. Ce serait probablement au moins dix ans, parce qu'une fois qu'on arrive à une entente, il faut encore une période de mise au point pour les subventions dont l'échéance est de dix ans. Ce n'est donc pas un problème à court terme.
Il y a certainement moyen que les gouvernements et les agriculteurs s'unissent, reconnaissent le problème, le comprennent réellement et le règlent. Ce qui me préoccupe plus que tout, c'est l'aspect moral, fondamentalement: c'est-à-dire la mort lente. L'industrie agricole agonise, d'une année à l'autre, et pourtant, on ne semble rien faire. On semble prendre tout cela en se disant «eh bien, c'est la vie». C'est peut-être la vie, mais c'est plutôt raide, particulièrement avec le genre d'approche des Européens. Je ne suis pas d'accord avec la procédure européenne et je n'aime pas les subventions, quelles qu'elles soient. Tant qu'il y aura des subventions dans le monde, les agriculteurs auront un gros problème, qui durera.
Je ne peux pas voir comment la question pourra être résolue, étant donné la situation et tout ce dont on parle. Peut-être peut-on régler certaines choses à court terme, mais il faut absolument trouver une solution à long terme. Nous faisons des tentatives de résolution ponctuelle, nous tentons des solutions et échouons parfois en essayant de résoudre quelque chose qui, d'après mois, ne peut pas fonctionner. Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Degenhardt: Je suis d'accord en grande partie, oui. Vous avez résumé ce que beaucoup d'agriculteurs ont dit, particulièrement les agriculteurs de la Saskatchewan. L'Alberta a connu une assez bonne année, mais pas la Saskatchewan, qui a eu une inondation. Ce n'est pas une lente agonie. En ce moment, les gens de certaines régions de la Saskatchewan ont l'impression que quelqu'un a saisi un couteau et leur a tranché la jugulaire. Vous voyez bien les gens à l'Assemblée législative de la Saskatchewan, et je suis sûr que c'est ce qu'ils ressentent.
Ce n'est pas un problème facile. Nous y travaillons et le creusons depuis longtemps. Je n'aime pas, moi non plus, les subventions, mais elles font partie de la réalité dans laquelle nous vivons. Ce que nous voulons, c'est survivre jusqu'à ce que nous puissions vivre, parce que, comme je le disais au sénateur Oliver, nous aimons ce que nous faisons. Nous devons y aller à petits pas en matière de politiques pour nous assurer d'être ici encore dans une vingtaine d'années, lorsque nous aurons atteint cet objectif de nous débarrasser des subventions.
On peut prendre des mesures ponctuelles, mais en tant qu'agriculteur, j'ai connu beaucoup d'années difficiles où je ne pensais pas m'en tirer. Je continue de lutter. Je finirai peut-être par subventionner mon exploitation, et il y a, semble-t-il, beaucoup de personnes ici qui le font déjà. Je suis spécialisé dans d'autres domaines, tout comme mon épouse. Nous pourrions faire autre chose. Nous ne sommes pas obligés de nous occuper de production agricole, mais je préférerais essayer d'améliorer le système pour que nous puissions continuer de travailler dans ce secteur.
Nous sommes parfois obligés d'y aller à petits pas, sauf que, comme je l'ai mentionné, il s'agit parfois de pas importants, des pas qu'il faut franchir si nous voulons améliorer le système.
Le président: Je ne crois pas que le Canada puisse se permettre d'abandonner les agriculteurs. On a l'impression que les agriculteurs -- et je parle en tant qu'agriculteur -- sont là à quémander.
Si on jette un coup d'oeil sur les chiffres que la Fédération de l'agriculture vient de me transmettre, et que j'ai distribué, on constate que le consommateur moyen au Canada ne travaille que huit jours par année pour payer la nourriture produite par une exploitation familiale -- seulement huit jours. Nous touchons six cents sur 1,50 $ que coûte un pain. Nous subventionnons le Canada. Le Canada ne peut se permettre d'abandonner ses producteurs, qui sont fort productifs.
C'est un problème d'envergure nationale. Nous devons nous y attaquer en adoptant des mesures adéquates et raisonnables. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre notre industrie agricole. Elle est la base de l'économie du Canada, de l'Amérique du Nord. Les Européens, eux, l'ont très bien compris. C'est aussi simple que cela.
Je le répète, nous ne sommes pas des quémandeurs. Nous n'aimons pas quémander, mais le système actuel ne permet pas à l'agriculteur de réaliser des profits suffisants et de faire face à la situation quand les prix des denrées atteignent les niveaux auquel ils sont actuellement.
Le sénateur Robichaud: Le sénateur Stratton a dit que le secteur agricole est en perte de vitesse. Toutefois, si l'on tient compte de ce que vous dites ici, notre production semble être à la hausse. Il n'y a pas de pénurie de produits agricoles. Il est très difficile de faire comprendre aux citoyens ordinaires que les agriculteurs sont en difficulté, parce qu'il n'y a jamais eu de pénurie de produits. En fait, on en produit plus. Comme le disait le sénateur Gustafson, vous ne recevez pas beaucoup pour les produits que nous consommons.
Vous avez également dit que le problème vient en partie du fait que les agriculteurs ne parlent pas d'une même voix. De nombreuses personnes proposent des solutions différentes. Est-ce pour cela, entre autres, que le programme ACRA a été conçu de la façon dont il l'a été, et qu'il est si difficile de le modifier pour qu'il vienne en aide aux personnes dans le besoin?
Est-ce que des mesures ne s'imposent pas de toute urgence? Il faut faire quelque chose, sinon, de nombreux agriculteurs feront faillite. Le problème ne vient-il pas aussi du fait que les gens proposent tellement de solutions que les décideurs ne savent plus où donner de la tête?
M. Degenhardt: Oui, c'est un des problèmes qui se pose. Comme je l'ai dit, je connais mieux le programme FIDP.
Il a été conçu dans le but de venir en aide à un secteur qui connaît de bonnes années de production. Si je demandais à un groupe d'agriculteurs albertains, ou peut-être à ceux qui sont réunis autour de la table, quel est le secteur qui se porte le mieux, je suis certain qu'ils répondraient: le secteur de l'élevage bovin. Or, en Alberta, les plus gros paiements accordés en vertu de ce programme l'ont été au secteur de l'élevage bovin, pas au secteur des céréales et des oléagineux. Le secteur qui se porte bien, mais qui connaît ensuite une baisse radicale de production au cours d'une année donnée pourra bénéficier de ce programme. Il a permis de venir en aide aux éleveurs de porc.
Le président: Il a été conçu pour l'industrie de l'élevage porcin, et n'a jamais été modifié par la suite. Je dois dire en toute justice que les gouvernements de la Saskatchewan et du Manitoba ont réclamé le programme et l'ont approuvé. Toutefois, on aurait dû réagir plus vite quand on a constaté qu'il ne répondait pas aux besoins de l'industrie céréalière.
M. Degenhardt: C'est vrai. Notre organisme avait depuis longtemps dénoncé les lacunes du programme FIDP. Des changements avaient été proposées au cours de sa deuxième année de mise en oeuvre, par suite de ce qui s'est produit dans la région de Peace River. Cette situation a vraiment permis de faire ressortir les lacunes du programme.
Elle a aussi permis de faire ressortir les lacunes du programme d'assurance-récolte. Ce programme a des points forts, mais il présente des faiblesses. Pendant un an, les agriculteurs de la région de Peace River n'ont pu ensemencer leurs terres. Elles n'étaient pas inondées, mais elles étaient trop imbibées d'eau pour pouvoir être ensemencées. Or, si vous ne pouvez pas ensemencer une terre, vous ne pouvez pas assurer votre récolte. On n'avait pas prévu ce problème.
Or, il faut s'attendre à ce genre de situation, car il est difficile de concevoir un programme qui va couvrir tous les problèmes qui peuvent se poser. Il faut voir ce que vise le gouvernement. Si l'aide fournit correspond à 70 p. 100 de la marge de profit, alors qu'elle est de 5 p. 100, elle ne sera que ponctuelle, comme l'a indiqué le sénateur Stratton. Il nous faut un programme qui tient compte des marges de profit réalisées sur un certain nombre d'années, ce que ne fait pas le programme actuel.
Le sénateur Robichaud: Revenons à l'assurance-emploi et à l'impact qu'a ce programme sur les agriculteurs. Comment pouvons-nous le structurer de façon à ce qu'il réponde à vos besoins? Manifestement, le revenu est réalisé à différentes époques de l'année, ce qui risque de compliquer les choses quand on présente une demande de prestations. Pouvez-vous nous dire combien d'agriculteurs reçoivent actuellement des prestations d'assurance-emploi? Vous n'avez pas mentionné de chiffre.
M. Degenhardt: Je ne l'ai pas mentionné parce qu'il est difficile d'établir combien d'agriculteurs ont recours au programme d'assurance-emploi. Je dirais que les agriculteurs de l'Alberta figurent parmi ceux qui y ont le plus souvent recours. Si vous arrivez à trouver un emploi à l'extérieur de l'exploitation agricole qui paie 23 $ l'heure, que vous l'occupez pendant trois à six mois et que vous gagnez beaucoup d'argent, même si vous devez déduire 15 p. 100 de votre revenu agricole brut avant de pouvoir toucher des prestations d'assurance-emploi, vous allez quand même recevoir un bon montant. Comme il est très difficile de calculer le revenu net d'une exploitation agricole, Revenu Canada prend 15 p. 100 du revenu agricole total, divise ce chiffre par x nombre de semaines, ainsi de suite, et ensuite soustrait ce montant de la prestation d'assurance-emploi.
Certaines personnes touchent entre 6 000 $ et 10 000 $ par mois quand elles travaillent sur une installation de forage pétrolier. Ce sont sans doute des jeunes, qui commencent à exploiter avec leur père une ferme qui sera transmise d'une génération à l'autre. Ils possèdent peut-être seulement un ou deux quarts de section. Ils partagent le matériel, de sorte qu'ils n'ont pas à en assumer les coûts. Par conséquent, le seul revenu agricole qu'ils déclarent, c'est celui qu'ils tirent de leurs quarts de section. Comme ils n'ont pas engagé de dépenses, ils peuvent toucher des prestations d'assurance-emploi.
Toutefois, prenons l'exemple d'un agriculteur qui exploite 3 000 acres. Sa conjointe, qui est enseignante, décide de quitter son emploi. Comme le gouvernement tient compte uniquement du revenu agricole brut tiré de ces 3 000 acres, la conjointe, même si elle a enseigné pendant 10 ou 12 ans, n'a pas droit aux prestations d'assurance-emploi.
Le sénateur Robichaud: Parce que son revenu est considéré comme faisant partie du revenu agricole?
M. Degenhardt: En partie, oui. Ils vont soustraire 15 p. 100 du revenu agricole brut des prestations d'assurance-emploi qu'elle toucherait. Comme elle fait partie intégrante de l'exploitation agricole, ils enlèvent 15 p. 100 du revenu agricole brut, et le montant se trouve à être plus élevé que les prestations d'assurance-emploi qu'elle toucherait.
Le sénateur Robichaud: Dans ce cas-là, la conjointe n'est pas considérée comme une personne, en tant que telle, qui est indépendante de son mari agriculteur.
Le président: C'est une question qui relève des droits de la personne.
Le sénateur Robichaud: Je ne sais pas si le cas est le même, mais une affaire similaire a été portée devant les tribunaux par un groupe de femmes de l'Île-du-Prince-Édouard, et elles ont eu gain de cause.
M. Degenhardt: Il y a des similitudes, sauf que chaque affaire portée devant les tribunaux dans les provinces est unique. Une femme a perdu sa cause dans la province d'origine du sénateur Gustafson. Cela n'avait rien à voir avec l'assurance-emploi. Elle occupait un emploi et avait participé depuis le début aux activités de l'exploitation familiale. Les tribunaux ont dit qu'elle ne pratiquait pas l'agriculture à temps plein, mais uniquement à temps partiel. Elle ne pouvait réclamer une perte de plus de 5 000 $, même si elle avait pleinement participé aux activités de cette exploitation agricole au fil des ans. Donc, les jugements rendus peuvent être soient favorables, soient défavorables.
M. Basillais: Cette question est très complexe, et le problème existe depuis des années. Nous avons créé un comité chargé d'examiner la règle du 15 p. 100. Cela fait deux ans que nous nous penchons là-dessus, et rien n'a changé. Agriculture Canada a été très actif de son côté. Le ministère a réalisé une étude il y a un an, et il a constaté que la règle de 15 p. 100 ne tient pas. Le rendement normal est de 4,3 p. 100, de sorte que la règle de 15 p. 100 ne tient pas. Elle devrait se situer entre 4,3 p. 100 et 5 p. 100, de sorte que la perte serait de 10 p. 100.
Si vous êtes un travailleur agricole, que vous perdez votre emploi et que vous présentez une demande de prestation d'assurance-emploi, ils vont soustraire de vos prestations un montant qui correspond à 15 p. 100 de votre revenu agricole brut. Or, cette déduction ne devrait pas être de 15 p. 100, mais de 5 p. 100. Dans certains cas, cela risque de représenter beaucoup d'argent, de sorte que vous ne serez pas admissible au programme.
Les règles, par ailleurs, ne sont pas claires. La Saskatchewan agit d'une façon, l'Île-du-Prince-Édouard, d'une autre, de sorte qu'il nous est impossible de savoir quelles règles sont appliquées. Nous devons nous adresser aux tribunaux pour le savoir. C'est un processus très long. Cette règle est très injuste à l'égard des conjointes.
J'ai une exploitation agricole. Ma femme travaille à l'extérieur. Elle ne participe pas du tout aux travaux de la ferme. Toutefois, si elle perd son emploi, elle ne pourra pas toucher des prestations d'assurance-emploi, parce que c'est elle qui s'occupe de la comptabilité. Autrement dit, le fait que vous vous occupiez de la comptabilité signifie que vous participez aux activités de l'exploitation, que vous êtes agriculteur et que, par conséquent, vous n'avez pas droit aux prestations.
Le sénateur Rossiter: Elle ne participe pas aux travaux de la ferme, mais son revenu est inclus dans le revenu agricole?
M. Basillais: Ils calculent tout, de sorte qu'elle n'est pas admissible au programme. La règle est très injuste à l'égard des conjointes. Supposons que ma femme tombe enceinte et qu'elle prend un congé de maternité. Elle n'aurait pas droit aux prestations d'assurance-emploi. Si je travaillais pour la FCA, elle y aurait droit.
C'est très complexe et j'ai beaucoup de mal à l'expliquer. J'ai des renseignements que je peux vous transmettre, mais cet exemple illustre bien le fait que le système ne fonctionne pas.
En fait, le système ne sert pas du tout les intérêts des agriculteurs. Ces derniers sont déjà confrontés à de gros problèmes. Ils cherchent à se trouver un emploi à l'extérieur de l'exploitation, et s'ils perdent cet emploi, ils risquent d'être encore une fois pénalisés. Ils n'auront pas de revenu agricole et s'ils perdent leur emploi, ils n'obtiendront rien.
Le sénateur Robichaud: S'ils obtenaient de l'aide, est-ce qu'elle leur serait utile? Ou est-ce qu'elle ferait tout simplement prolonger l'agonie?
M. Degenhardt: Elle ne prolongerait pas l'agonie dans le cas d'un nouvel agriculteur ou d'un agriculteur qui met sur pied une exploitation. Elle lui permettrait d'exploiter sa ferme. En lui accordant une aide, vous permettriez à l'agriculteur et à sa conjointe de mettre sur pied une exploitation agricole familiale.
Il convient aussi de mentionner que le CN et le CP organisent des rencontres avec des associations professionnelles agricoles pour leur expliquer les changements qui doivent être apportés au système de transport. Ils commencent par nous dire que le transport des céréales leur fait perdre de l'argent, et nous disent ensuite que les changements apportés au système leur permettront d'être concurrentiels, de réduire leurs tarifs et de réaliser des profits. Leur argumentation n'est pas très convaincante. Ils parlent des pertes qu'ils subissent, mais du même souffle nous disent qu'ils constituent une industrie à forte intensité de capital. C'est quelque chose que nous voulons vérifier, tout comme la FCA d'ailleurs. L'agriculteur a beaucoup de mal à avaler cet argument. Si vous voulez avoir un exemple d'une entreprise à forte intensité de capital, vous n'avez qu'à jeter un coup d'oeil du côté de l'exploitation agricole. Vous avez vos terres et vos actifs, et tout cela coûte très cher. J'ai une exploitation agricole que l'on qualifie de petite à moyenne, et des actifs immobilisés de 1,75 million de dollars. Notre revenu brut se situe entre 250 000 et 300 000 $. C'est beaucoup d'argent. Malheureusement, nous n'en gardons que très peu.
Notre revenu net, jusqu'à l'année dernière, était de 60 000 $. C'est 30 000 $ pour moi, et 30 000 $ pour mon épouse. Cette année, si je réclame la totalité de la déduction pour amortissement, je serai dans le rouge. Nous avons un manque à gagner de 8 000 $. L'année 1999 a été très difficile.
L'assurance-emploi peut aider certains agriculteurs. Tout changement apporté par Revenu Canada aux crédits pour la recherche serait également utile.
Pour revenir aux commentaires du sénateur Stratton, que nous réserve l'avenir? J'ai parlé d'éducation. Il faut que les agriculteurs se regroupent et parlent d'une même voix. Il faut également tenir compte du fait que nous travaillons avec l'environnement. Nous devons faire front commun sur cette question. Concernant la réduction des émissions de dioxyde de carbone, nous devons envisager de fournir aux agriculteurs des crédits en échange de toute réduction des émissions.
Étant donné que d'autres pays versent des subventions à leurs agriculteurs, nous devons trouver un moyen de financer l'exploitation agricole. Ces crédits pourraient constituer une solution.
Nous devons également sensibiliser le consommateur, tout comme l'a fait l'Europe. Ils savent que le rôle de l'agriculteur consiste, en partie, à préserver les terres rurales et le système agricole. Il y a aussi la question de l'abandon des lignes ferroviaires. On a commencé, dans les Maritimes, à aménager des sentiers pancanadiens. Un citadin peut emprunter un de ces sentiers et admirer les magnifiques terres agricoles qui composent le paysage. On devrait reconnaître notre contribution à ce chapitre.
Ce sont là des exemples des mesures que nous pourrions prendre.
Le sénateur Robichaud: Nous devrions peut-être recommander que votre exploitation obtienne une subvention de DRHC pour que vous puissiez aménager la partie du sentier qui traverse vos terres.
Le président: Honorables sénateurs, nous devrions clore la réunion. Je veux présenter mes excuses au sénateur Ferretti Barth, qui a été obligée de partir plus tôt. Elle avait des questions à poser.
Sénateur Chalifoux, avez-vous quelque chose à ajouter?
Le sénateur Chalifoux: Je voudrais remercier le témoin. Il y a longtemps que je n'ai pas entendu un exposé aussi intéressant, juste et sensé.
On a déjà posé les questions que je voulais soulever. Toutefois, je tiens à dire que je suis originaire de l'Alberta, et que mes parents ont une exploitation agricole, même si cela fait des années que je ne participe pas directement aux travaux de la ferme. Toutefois, je comprends fort bien les frustrations et préoccupations que vous avez.
Ce que je vais dire n'est peut-être pas tellement pertinent, mais j'ai toujours trouvé étrange que ma soeur et son mari soient obligés d'inclure dans leur revenu agricole, aux fins de l'impôt, les produits cultivés dans leur potager. Les gouvernements devraient examiner de plus près ce que doivent déclarer les agriculteurs.
Le sénateur Robichaud: Est-ce que c'était considéré comme une activité agricole?
Le sénateur Chalifoux: Oui. Cela faisait partie de leur revenu agricole, même si ces produits étaient destinés à leur propre consommation. S'ils abattaient une vache, ils devaient le déclarer. Si ma soeur vendait des oeufs sur le bord d'une route à Calgary, elle devait le déclarer.
Vous avez mentionné, dans votre exposé, le prix d'un pain. Au début des années 70, l'agriculteur touchait moins de 10 p. 100 du prix payé par le consommateur. Rien n'a changé.
Je vous remercie d'avoir porter toutes ces questions à notre attention. J'espère que nous pourrons nous en inspirer quand nous commencerons à négocier en votre nom. Nous devons absolument aborder certains de ces points à la table de négociations.
Le président: Vous avez fait de l'excellent travail. J'aimerais vous poser une question au sujet des produits transgéniques.
M. Degenhardt: Nous pourrions en discuter pendant toute une autre réunion. Il ne faut pas oublier que mon domaine de spécialisation, et celui de mon épouse, c'est la recherche. Il y a deux points ici qui conviennent d'être mentionnés. La modification génétique, en tant que telle, est un processus tout à fait acceptable. Nous cherchons toujours à améliorer les produits. Toutefois, cela crée des problèmes au niveau du contrôle.
L'an dernier, notre organisme s'est opposé à l'utilisation du gène terminateur, parce que cela signifierait que nous n'exercerions plus aucun contrôle sur le processus. En fait, Monsanto a réussi à convaincre les agriculteurs à signer une entente et à céder ainsi leurs droits de contrôle. Nous trouvons cela injuste.
Le sénateur Robichaud: Monsanto ne ferait pas une chose pareille, n'est-ce pas?
M. Degenhardt: En ce qui concerne la recherche, nous n'avons rien contre celle-ci. Toutefois, mon épouse et moi déplorons la quantité de recherche qu'effectue le secteur privé dans le domaine de l'agriculture. Cela présente des avantages, mais également des inconvénients. En tant qu'agriculteurs, nous payons plus aujourd'hui pour les recherches qui s'effectuent dans le domaine agricole que ce n'était le cas quand Agriculture Canada s'en occupait. Il n'y a pas plus de progrès qui sont réalisés, puisque nous avons accès, grâce aux universités et à Agriculture Canada, au même matériel qu'utilisent ces entreprises.
Par exemple, une des variétés du canola les plus populaires aujourd'hui est le Quantum. Or, cette variété, qui résiste à l'herbicide Round-Up, est disponible depuis quatre ans. L'Université de l'Alberta, faute de fonds de recherche, doit lutter avec Monsanto pour obtenir que cette variété soit mise en vente sur le marché.
Le président: La protection des droits des sélectionneurs a eu l'effet inverse que prévu.
M. Degenhardt: Exactement. Il y a aussi le fait que la protection juridique des modifications génétiques nuit aux efforts de recherche d'Agriculture Canada. Le ministère s'est retiré d'un grand nombre de programmes de recherche sur les grains de l'Ouest en raison de cette protection juridique. Cela équivaut, pour les agriculteurs des Prairies et les Canadiens, à une nouvelle perte de contrôle.
Le sénateur Rossiter: Est-ce que les OGM sont responsables de la baisse du prix du canola?
M. Degenhardt: Non. Il y a cinq ans, au moment de revoir le rôle de la Commission canadienne du blé, les politiciens et autres intervenants, surtout les Albertains, disaient, «Le canola est un produit merveilleux». Nous disions à l'époque qu'il y avait une pénurie d'huile de canola à l'échelle mondiale, mais pas de blé. En fait, il y a aujourd'hui un surplus d'huile de canola sur les marchés mondiaux. Voilà pourquoi le prix a baissé. N'oubliez pas que c'est le consommateur, au bout du compte, qui décidera du sort des OGM, pas l'agriculteur.
Le président: La Wild Rose Agricultural Producers peut être très fière du témoin qui l'a représentée aujourd'hui. Merci d'être venu nous rencontrer.
La séance est levée.