Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 9 - Témoignages du 24 février 2000
OTTAWA, le jeudi 24 février 2000
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi C-202, Loi modifiant le Code criminel (fuite), se réunit aujourd'hui à 10 h 51 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Le comité des affaires juridiques et constitutionnelles commence maintenant sa séance et nous accueillons aujourd'hui M. Steve Sullivan, du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes.
Monsieur Sullivan, la parole est à vous.
M. Steve Sullivan, directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Madame la présidente, je suis heureux d'être invité à participer au débat sur le projet de loi C-202. Je suis déjà venu, mais je précise pour ceux qui ne m'ont pas encore entendu, que le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes est une organisation de défense des intérêts des victimes, c'est une organisation nationale à but non lucratif. Nous travaillons en collaboration avec tous les paliers de gouvernement pour veiller à faire entendre les voix défendant les intérêts des victimes. Nous essayons aussi de promouvoir la réforme de la justice. Nous sommes financés uniquement par l'Association canadienne des policiers.
Je voudrais tout d'abord rendre hommage au travail de M. Dan McTeague et de son personnel. Je tiens à les féliciter d'avoir élaboré ce projet de loi et d'avoir déployé tant d'efforts pour le faire adopter à la Chambre et le faire parvenir au Sénat. Comme vous le savez, il est plutôt rare que les projets de loi d'initiative privée arrivent jusqu'ici. La dernière fois que j'ai comparu dans ces circonstances, c'était au sujet du projet de loi de Tom Wappel sur les bénéfices des criminels. En tout cas, j'espère que ce projet de loi-ci ira plus loin que l'autre.
Je n'ai pas préparé de mémoire écrit, car je n'ai pas eu beaucoup de temps. Nous avons été étonnés que le projet de loi arrive aussi rapidement au Sénat et nous vous en félicitons. De plus, tout le monde semble en accepter au moins les principes. Il semble, à la lecture des débats du Sénat, que le projet de loi recevra l'approbation générale comme à l'autre endroit.
Le projet de loi a également reçu l'appui d'autres organisations comme l'Association canadienne des policiers, l'Association canadienne des chefs de police, la CAA, d'autres groupes de victimes avec lesquels j'ai travaillé comme Victimes de violence, CAVEAT, le groupe de Priscilla de Villiers. Je sais, d'après des familles qui ont perdu des proches à la suite de poursuites à grande vitesse dans des circonstances différentes, que l'appui est là. Je pense au cas du constable Richard Sonnenberg. Après son décès, sa soeur a entrepris une véritable croisade pour lever des fonds afin de permettre à la police de Calgary d'acheter un hélicoptère. Je pense aussi au cas plus récent du sergent Rick McDonald de la police de Sudbury. Il y a environ deux semaines, lorsque le projet de loi de M. McTeague a été adopté à la Chambre, l'épouse et la soeur du sergent McDonald étaient là pour y assister.
Le projet de loi bénéficie d'un appui généralisé. Je n'ai encore entendu personne le remettre sérieusement en question ou en contester la finalité. Ma première expérience de décès provoqué par des poursuites à haute vitesse remonte à l'époque où je travaillais pour Victimes de violence, il y a six ou sept ans environ, et à l'époque c'est un petit garçon de quatre ans qui avait été tué. Il était avec sa grand-mère dans leur fourgonnette quand celle-ci a été heurtée par une auto conduite par une bande de jeunes qui avaient volé ce véhicule. Quand j'ai eu l'occasion de les connaître un peu plus, je me suis rendu compte de ce qui pouvait arriver quand on décidait de fuir la police.
Quand j'ai témoigné au comité de la justice de la Chambre des communes à propos de ce projet de loi, j'étais avec M. et Mme Bowman, dont la fille a été tuée. L'affaire était devant les tribunaux à l'époque, et je crois qu'elle n'est pas encore terminée, et par conséquent les témoignages à l'époque ne pouvaient pas être divulgués. Toutefois, simplement en écoutant leur témoignage poignant, je me suis rendu compte de l'importance de ce projet de loi et des tragédies qui peuvent se produire lors de délits de fuite.
J'ajoute que le comité de la justice a souligné qu'il s'agissait d'une question importante lorsqu'il a examiné les dispositions du Code criminel en matière de conduite avec facultés affaiblies dans le rapport qu'il a soumis à la Chambre. Ce que la plupart des gens trouvent ahurissant, quand ils entendent parler de ce projet de loi, c'est que cela ne constitue pas déjà une infraction en vertu du Code criminel. La plupart des gens en sont convaincus et sont en tout cas tout à fait d'accord pour que ce soit le cas.
Bien que je n'aie pas de chiffres sur le coût de ces poursuites, nous pouvons tous imaginer qu'il est astronomique. Mais le plus important, c'est le coût en vies humaines, et c'est de cela que nous nous préoccupons fondamentalement. Nous nous sommes aussi concentrés sur les multiples blessures que peuvent subir des gens impliqués dans des accidents alors qu'ils n'y sont pour rien, par exemple des policiers qui participent à des poursuites ou qui essaient d'arrêter des fuyards en posant sur la route des herses crève-pneus, par exemple, et des personnes innocentes qui, sans y être pour quoi que ce soit, se trouvent tout simplement au mauvais endroit au mauvais moment, et j'ai horreur de cette expression, car en fait ce sont des gens qui avaient parfaitement le droit d'être là où ils se trouvaient.
Quelqu'un a dit que la police ne devrait tout simplement pas poursuivre les fuyards, et il est certain qu'il y a des lignes directrices à l'intention des policiers, ce qui est bien nécessaire. Toutefois, ce n'est pas si simple, car si les policiers ne pourchassaient jamais les fuyards, tout le monde prendrait la fuite. Personne n'aurait de raison de s'arrêter, et au contraire, le fait de savoir que les policiers ne les poursuivraient pas serait une incitation de plus à prendre la fuite.
Du point de vue des policiers, et bien que je ne sois pas policier moi-même, j'ai discuté avec beaucoup d'entre eux, il serait très facile de baisser les bras et de dire: «Je ne vais pas prendre le fuyard en chasse», mais cela fait partie de leur travail. Ils sont responsables de la sécurité du public, et il leur appartient de déterminer s'ils vont déclencher une poursuite, la continuer ou l'interrompre. De nombreux facteurs interviennent dans ces décisions. Je ne sais pas si vous recevez des représentants d'organisations de police, mais ils seraient certainement mieux placés que moi pour vous expliquer quels sont ces facteurs, parmi lesquels je pense que la sécurité publique occupe une place tout à fait primordiale.
Il est important de nous concentrer, comme le fait ce projet de loi, sur l'attitude du délinquant et non celle de la police. La personne interpellée choisit soit de prendre la fuite ou d'obtempérer. C'est un choix conscient, et il est important de bien identifier ce type de comportement. Ayant moi-même beaucoup de contacts avec des commissions de libération conditionnelle, je crois qu'il est très important pour ce genre de commissions de comprendre le comportement passé de quelqu'un qui a un casier judiciaire. Quand une commission cherche à déterminer le risque futur que peut présenter un individu s'il est relâché, c'est une chose de voir si cette personne a été condamnée pour conduite dangereuse, mais c'en est une tout autre de voir que cette personne a été condamnée pour avoir pris la fuite devant la police. La fuite est un acte différent, elle manifeste une intention différente, et je pense qu'il est important que les commissions de libération conditionnelle, les juges et les procureurs de la Couronne qui seront amenés à être confrontés avec un individu un jour ou l'autre sachent exactement ce que cette personne a fait dans le passé.
Au début de la semaine, nous avons participé à une réunion au ministère du Solliciteur général au cours de laquelle il a été question du document de consultation du ministère de la Justice à propos des enfants victimes. Si vous connaissez bien le document, vous savez que la question est de savoir s'il faut établir des infractions précises en matière de négligence, d'homicide ou de violence à l'égard des enfants, et je crois que le raisonnement est en partie que la plupart de ces infractions sont déjà couvertes par le Code criminel. Toutefois, il est important de bien identifier ce genre de comportement et de dire que battre son enfant, ce n'est pas la même chose que se lancer dans une bagarre dans un bar. Il s'agit ici de quelque chose de très semblable, puisque nous identifions des comportements et des motifs bien particuliers.
Je pense qu'il y a là un message important à l'intention du public qui est d'accord avec l'affirmation que ce genre de comportement n'est pas acceptable et ne peut être toléré. Il est dangereux et il entraîne la perte de vies humaines. Si les policiers poursuivent un fuyard, ou prennent quelqu'un en chasse et cessent de le poursuivre, ils auront désormais un mécanisme pour porter des accusations. Si un chauffard est en excès de vitesse et continue sur sa lancée et que les policiers ne jugent pas bon de continuer à le poursuivre, ils pourront interrompre leur poursuite mais ils disposeront d'un mécanisme pour poursuivre l'individu devant les tribunaux et l'accuser de délit de fuite.
Les individus en question font un choix. Ils évaluent manifestement les coûts qu'il y aurait pour eux à s'arrêter et à affronter les conséquences de leurs actes, qu'ils aient volé une voiture ou commis un excès de vitesse. Ils évaluent les chances qu'ils ont de s'échapper et de semer les policiers. L'un des objectifs de ce projet de loi est de bien leur faire comprendre qu'en cas de fuite, ils subiront des conséquences égales ou plus lourdes que s'ils s'étaient arrêtés. Cela ne dissuadera sans doute pas tout le monde, mais on espère que cette disposition en dissuadera tout de même un certain nombre. On ne pourra jamais empêcher absolument tout le monde prendre la fuite. Qu'il y ait des lois provinciales plus rigoureuses en cas de poursuite policière ou des lois fédérales pour criminaliser l'attitude des délinquants, on ne pourra jamais empêcher que certains individus prennent quand même la fuite.
Je pense que le projet de loi essaie de trouver un équilibre, et je sais qu'il en a été question hier, entre les gens qui prennent délibérément la fuite et ceux qui, pour une raison quelconque, ont une excuse raisonnable, qui ne se sont pas garés parce qu'ils n'avaient pas vu la voiture de police ou entendu les sirènes. Le projet de loi ne vise pas à criminaliser les personnes qui commettent des erreurs de bonne foi. C'est évidemment aux tribunaux qu'il appartiendra de peser les choses et de déterminer quelle excuse sera raisonnable. Il est difficile pour l'instant de préciser ce genre de chose.
Je sais qu'on a exprimé un certain nombre d'inquiétudes. J'ai lu le procès-verbal qui m'a été remis ce matin. Je l'ai parcouru rapidement, et j'ai constaté qu'il y avait certaines préoccupations au sujet des condamnations prévues dans le projet de loi et à propos des condamnations à perpétuité dans le cas d'un individu qui entraîne la mort d'autrui en prenant la fuite. D'un point de vue pratique, je voudrais cependant souligner que la condamnation à perpétuité dans ce cas ne serait pas comparable à une condamnation à perpétuité pour meurtre au premier ou au second degré. Vous savez que dans ce cas, la condamnation à perpétuité implique une peine minimale d'emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle. Dans le cas présent, il s'agirait d'un condamnation analogue à celle qui est prononcée pour un homicide involontaire, et dans ce cas il n'y a pas de durée minimale avant une éventuelle libération conditionnelle. Je pense en fait que la période serait probablement de sept ans.
Le sénateur Cools: Je crois que le texte précise que la condamnation à perpétuité serait une peine maximale, alors que dans l'autre cas, c'est la peine minimale.
M. Sullivan: Exactement. Ce ne serait pas la même chose que pour une condamnation pour meurtre au premier ou au second degré. Par conséquent, d'un point de vue pratique, les condamnations seraient différentes. La structure de condamnation prévue par le projet de loi adresse un message sévère aux éventuels délinquants, avec des condamnations qui correspondent à celles prévues dans le Code criminel pour des infractions analogues.
En lisant les débats du Sénat du 22 février, j'ai vu que le sénateur Kinsella était préoccupé par l'utilisation erronée du mot «tribunal» à l'article 3. Je félicite le sénateur d'avoir remarqué cela, car beaucoup de personnes ne l'avaient pas remarqué.
Il y a eu aussi une discussion hier au sujet de l'expression «excuse raisonnable» et je crois que ce que l'on veut faire, c'est trouver un juste équilibre entre ceux qui essaient de prendre la fuite et ceux qui, pour une raison quelconque, prennent la fuite techniquement, mais pas vraiment de façon délibérée ou intentionnelle.
Encore une fois, je remercie les membres du comité de m'avoir permis de comparaître. C'est toujours un plaisir. Ce n'est pas la même chose que dans l'autre endroit, parce que là-bas, il y a beaucoup plus de rigidité et d'esprit partisan. C'est beaucoup plus agréable ici. J'espère revenir bientôt parler avec vous d'un autre projet de loi que vous étudiez, le projet de loi C-247.
Je vais m'arrêter là et essayer de répondre à vos questions.
Le sénateur Beaudoin: Comme je le disais hier, les sanctions ont l'air un peu sévère à première vue. Hier, nous avons comparé les dispositions de ce projet de loi et celles qui figurent déjà dans le Code criminel, par exemple à l'alinéa 249.(1)a). Ce n'est pas une mauvaise comparaison.
Vous avez une longue expérience de la question puisque vous êtes directeur exécutif du Centre canadien pour les victimes de crimes, et il est évident que la question des sanctions est très importante pour les victimes de crimes. J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet. Le délit de fuite peut entraîner la mort et le coupable risque d'être condamné à l'emprisonnement à perpétuité. C'est peut-être très bien, mais ce n'est pas la même chose que quand des gens sont tués d'une autre manière. J'aimerais savoir ce que vous en pensez par comparaison?
M. Sullivan: C'est une des sanctions les plus lourdes qu'on puisse imposer. C'est incontestable. Mais il est certain que le tribunal aura une certaine latitude. Soyons réalistes, je pense qu'il sera très rare qu'un tribunal condamne quelqu'un à perpétuité pour ce genre de délit. Je serais étonné que cela arrive.
Il y a dans le Code criminel bon nombre de délits qui peuvent être sanctionnés au maximum par la condamnation à perpétuité, mais c'est quelque chose que l'on voit assez rarement. L'homicide involontaire, le meurtre et l'agression sexuelle grave sont passibles d'une condamnation à perpétuité, mais je suis bien incapable dans l'immédiat de me souvenir d'un seul cas où cette peine ait été effectivement infligée.
Le tribunal aura discrétion pour les cas où il faudra vraiment infliger une peine lourde. Prenons par exemple le cas de quelqu'un qui prend la fuite, qui percute plusieurs automobiles sur la route, qui tue ou blesse quelqu'un, et qui continue à fuir, et tue encore quelqu'un d'autre un peu plus loin. Ce n'est pas la même chose que quand quelqu'un prend la fuite pendant un moment et finit par s'arrêter.
Le tribunal aura la discrétion de requérir la peine maximale dans les cas rares où les délinquants auront commis un délit très grave. Je pense toutefois que de telles condamnations seront très rares.
Le sénateur Beaudoin: Évidemment, il y a des lignes directrices pour le juge qui s'appuiera sur l'expression «sans excuse raisonnable et dans le but de fuir». C'est la mens rea.
En général, on se préoccupe plus des sanctions minimales et un peu moins des sanctions maximales, car les contestations en vertu de la Charte ont plutôt tendance à être motivées par l'idée que le minimum est trop élevé. Ici, ce n'est pas le cas. Vous en arrivez toujours à la conclusion que le juge aura discrétion, et vous pensez qu'il sera assez rare qu'un juge condamne quelqu'un à perpétuité. C'est bien ce que vous dites?
M. Sullivan: C'est exact.
La présidente: Je voudrais poursuivre sur ce point en raison du problème suscité par l'expression «passible d'un emprisonnement». Afin que tous les membres du comité comprennent bien, je vais lire un extrait du Code à la rubrique «peine»:
[...] nulle peine n'est une peine minimale, à moins qu'elle ne soit déclarée telle
Le projet de loi ne stipule pas que ces peines sont un minimum; par conséquent, le juge a le loisir de s'en écarter.
Le sénateur Andreychuk: Je vais poursuivre ce point. Si le juge a discrétion pour appliquer une sanction aussi sévère, je me demande comment il pourra vraiment exercer sa discrétion dans le contexte actuel. Si le juge opte pour moins de sévérité plutôt que plus, il y aura probablement un tollé et le public dira que la loi ne marche pas ou que les juges n'en respectent pas l'intention. Je crains qu'au bout de quelques mois seulement après l'adoption de la loi, on nous demande de la rendre plus sévère. Si nous partons du sommet, où pourrons-nous aller? Je crains qu'on soit amené à déplacer ce repère à chaque affaire, en fonction des réactions du public et des politiciens.
Vous êtes en faveur de ce projet de loi parce que vous dites que les gens ont le choix: ils peuvent soit prendre la fuite, soit s'arrêter. Au cours de toutes mes années d'exercice de la fonction de juge, lorsque j'ai poursuivi ou défendu des individus, j'ai constaté que bien souvent il s'agissait plus d'une question de comportement humain que de choix. Les gens font une bêtise et ne veulent pas en assumer les conséquences. Ils ont simplement une réaction instinctive de fuite pour ne pas être confrontés aux conséquences de leur acte.
Je pense que le projet de loi pourrait être un instrument d'éducation si nous investissons suffisamment d'argent pour lui donner de la publicité de façon à ce que les gens sachent que le fait de «s'enfuir» ou de «prendre la fuite» est une infraction. Mais si nous nous contentons d'adopter ce projet de loi, j'ai l'impression qu'il sera difficile de faire la distinction entre les gens qui commettront une erreur sans malhonnêteté et les autres. Avez-vous un commentaire là-dessus?
M. Sullivan: J'ai un commentaire sur les deux points.
En ce qui concerne votre première remarque, il y a dans le Code criminel un certain nombre d'infractions assorties d'une peine maximale. L'introduction par effraction est passible d'un maximum très élevé, et l'homicide involontaire, qui correspond à tout un éventail d'activités, comporte un maximum élevé. On voit des hommes qui assassinent leur femme et qui invoquent ensuite l'argument de la provocation pour négocier une réduction de leur peine et réussir à se faire condamner à cinq ans seulement pour homicide involontaire. Cela scandalise le public.
Le débat plus généralement est de savoir s'il est utile pour la société et pour les tribunaux d'avoir un énorme éventail de peines, cela peut aller de six mois à la perpétuité. Les gens entendent parler d'une disposition qui prévoit la perpétuité et pensent qu'il y aura une condamnation lourde, alors qu'en fait l'individu n'est condamné qu'à trois, quatre ou cinq ans. Le débat va bien au-delà du projet de loi.
Je crois que M. McTeague a voulu rester dans la ligne du Code criminel avec ce projet de loi. Il faudra à un moment donné que nous discutions du problème des gens qui s'attendent à ce que des peines maximales soient prononcées et des tribunaux qui imposent des peines que la population trouve beaucoup trop légères comparativement aux peines maximales. C'est un débat qui est constamment présent, et sur lequel il faut nous pencher.
Votre deuxième argument concernait le choix des individus. Ce projet de loi ne va pas arrêter le criminel professionnel qui a volé une voiture et sait que c'est une infraction de prendre la fuite. Il va probablement prendre la fuite de toute façon. Les gens qui ont bu quelques verres et prennent le volant savent que s'ils ont un accident et qu'ils prennent la fuite, ils seront peut-être accusés d'avoir quitté les lieux d'un accident, mais ils éviteront de se faire accuser de conduite avec facultés affaiblies. Toutefois, s'ils savent que la sanction sera toute aussi lourde en cas de délit de fuite, peut-être réfléchiront-ils et ne prendront-ils pas la fuite, ce qui leur évitera de mettre en danger la vie d'autres personnes.
Vous avez raison de dire qu'il est tout à fait insuffisant d'adopter une loi et de s'attendre à ce que tout le monde au Canada la connaisse. Il faut éduquer les gens sur les sanctions. Si nous voulons qu'ils fassent un choix, il faut qu'ils sachent en quoi il consiste.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez parfaitement raison de dire que quand des criminels professionnels prennent la fuite, ils savent parfaitement ce qu'ils font. Ils ont choisi en toute conscience de commettre un vol à main armée et ils choisissent en toute conscience de prendre la fuite dans une automobile. La fuite devant les policiers n'est qu'un des choix qu'ils font.
Toutefois, dans le cas des personnes qui ont bu quelques verres et qui prennent le volant, c'est plutôt une sorte de conditionnement humain qui les incite à prendre la fuite plutôt qu'à affronter la réalité. Il est certain que la majorité des jeunes auxquels j'ai eu affaire ne faisaient pas le bon choix, et je m'inquiète du nombre de jeunes qui vont tomber sous le coup de cette mesure. Les jeunes pensent souvent qu'ils vont voler une voiture juste pour aller faire une balade et filer ensuite. Bien souvent, ils ne font pas consciemment le choix de fuir la police. J'ai très peur de l'application de ces dispositions dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je pense qu'on va en inculper plus avec cet article.
M. Sullivan: Vous venez de nous montrer pourquoi nous avons un régime distinct pour les jeunes. Bien souvent, les jeunes n'ont pas la même aptitude que les adultes à peser les conséquences de leurs actions. Ils agissent sans réfléchir. Dans le cas de ce petit enfant de trois ans qui avait été tué, et dont je vous parlais tout à l'heure, ce qui amusait ces jeunes, en plus de voler une voiture, c'était de faire la course sur la route. Cette fois-là, d'ailleurs, les policiers avaient cessé de les poursuivre bien avant l'accident.
Vous avez raison de dire que ce projet de loi n'aura pas d'effet dissuasif sur les jeunes. Il est cependant important que nous puissions bien cerner leur comportement et veiller à ce qu'ils en assument la responsabilité. Il y a différentes structures de détermination de la peine dans le Code criminel qui permettent de tenir compte de leur âge et de leur capacité à traiter l'information.
Il est cependant important que nous disions bien qu'il est illégal de fuir la police et que ce genre de comportement entraîne des conséquences bien précises. Si un jeune prend l'automobile de ses parents sans leur permission, c'est une infraction mixte. Le juge en tiendra compte et rendra sa décision comme le font les tribunaux à l'égard de la plupart des jeunes qui commettent des bêtises. Il y a d'autres mesures, par exemple le service communautaire.
La présidente: Vu les normes provinciales en ce qui concerne les jeunes contrevenants, j'ai quelques inquiétudes à ce sujet.
Le sénateur Pearson: Dans l'ensemble, je crois que cette loi est une bonne chose. Ce qui me plaît en particulier, c'est, comme vous le disiez, que même si les policiers décident qu'il est trop dangereux de continuer la poursuite, ils pourront quand même porter des accusations. Cela sera très utile car cela pourra inciter les policiers à ne pas aggraver une situation déjà dangereuse.
Si l'on modifie le Code criminel, faut-il aussi modifier la Loi sur les jeunes contrevenants?
Le sénateur Andreychuk: Dans l'ensemble, on dit que c'est le Code criminel qui s'applique, à quelques exceptions près. Les infractions tomberaient donc sous le coup du Code criminel.
Le sénateur Pearson: Je vois. Il y a quelque chose de paradoxal ici, puisqu'on obtient généralement le permis à 16 ans mais que les peines prévues ici ne seraient imposées qu'à des personnes de plus de 18 ans.
M. Sullivan: La Loi sur les jeunes contrevenants a sa propre structure de détermination de la peine. L'infraction s'appliquerait mais les dispositions de condamnation seraient différentes.
Le sénateur Cools: Les jeunes contrevenants ne tombent pas sous le coup du Code criminel sauf s'ils sont transférés dans le système pour adultes. Le système pour jeunes contrevenants est totalement distinct du système pour adultes.
La présidente: On vient de me dire que de jeunes contrevenants pourraient être accusés en vertu du Code criminel, mais que les décisions suivraient les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Le sénateur Beaudoin: Si je ne me trompe, il y a un régime d'adaptation pour les jeunes contrevenants à cet égard.
La présidente: Le tribunal doit obtenir un rapport pré-décisionnel.
Le sénateur Beaudoin: Vous estimez que ce genre d'infraction est plus fréquent chez les jeunes que chez les adultes?
Le sénateur Andreychuk: Nous le constatons chez trois catégories de personnes. Nous constatons ce comportement chez des criminels dangereux qui font des vols à main armée, qui s'évadent, et cetera. Nous le constatons chez des individus qui font partie du grand public canadien, qui boivent et prennent le volant, et qui prennent la fuite s'ils se font interpeller parce qu'ils ont commis une infraction. Et puis il y a les jeunes contrevenants qui appartiennent à ces deux catégories. Ce ne sont pas nécessairement des canailles, mais ils commettent des actes criminels. Il peut s'agir tout simplement de prendre la voiture des parents sans leur permission pour aller faire une virée. Ils s'affolent quand ils voient la police et ils prennent la fuite. J'ai constaté que bien souvent les jeunes ne faisaient pas un choix délibéré.
Le sénateur Pearson: Il serait intéressant de connaître le pourcentage correspondant à chacune de ces catégories.
M. Sullivan: Je peux me renseigner à ce sujet. À titre de renseignement, dans les trois cas que j'ai mentionnés, je sais qu'il y en avait au moins deux où il s'agissait de jeunes contrevenants, et je crois que dans le troisième cas, il s'agissait d'un jeune contrevenant qui a été transféré à un tribunal pour adultes.
Le sénateur Fraser: J'aimerais faire une remarque pour poursuivre sur ce qu'a dit le sénateur Andreychuk à propos du besoin d'éduquer les gens.
Je ne sais pas s'il est de notre ressort d'écrire aux gouvernements provinciaux, si nous adoptons le projet de loi, pour leur demander d'inclure cela dans le programme normal de cours pour le permis de conduire. La préparation théorique au permis de conduire consiste actuellement à étudier un livre qui est, je crois, le même partout dans le pays. Les jeunes l'apprennent par coeur parce qu'ils doivent passer une épreuve informatisée et que s'ils ont mémorisé tout le manuel, ils ont une note excellente à cette épreuve. Cela sert à quelque chose. Je comprends bien que les jeunes puissent s'affoler, mais s'ils connaissent les règles ils auront peut-être plus tendance à garder leur sang-froid et à respecter les règles.
La présidente: C'est une excellente suggestion. Je ne suis pas sûre que cela relève de notre compétence, mais nous nous renseignerons.
M. Sullivan: C'est une excellente remarque. Peut-être notre organisation pourrait-elle creuser aussi cette possibilité.
L'Association canadienne des automobilistes a témoigné au comité de l'autre endroit. Cette organisation pourrait elle aussi participer à l'éducation du public.
Le sénateur Beaudoin: Au Canada, le Code criminel est administré par les provinces. Elles s'occupent beaucoup du Code criminel.
Le sénateur Joyal: Monsieur Sullivan, votre organisation a-t-elle une idée du nombre de victimes d'accidents provoqués par le genre de comportement routier que nous essayons d'enrayer avec ce projet de loi?
M. Sullivan: Nous n'avons pas de statistiques. Peut-être le ministère en a-t-il. Je peux vous dire que nous nous sommes occupés d'un certain nombre de familles qui avaient étaient endeuillées à cause de ce genre d'agissement, mais il n'y en a pas eu beaucoup à venir nous demander notre aide. Nous nous occupons aussi de la préparation du mémorial de la police, car très souvent ce sont des policiers qui sont les victimes de ces accidents.
Pour ce qui est du nombre de personnes qui sont tuées ou blessées, je ne sais pas. Mais je peux vous dire que, chez les personnes que j'ai rencontrées, le bilan affectif est terrible. Je peux essayer de vous obtenir des chiffres.
Le sénateur Joyal: Nous sommes tous conscients de l'importance de la vie humaine et de l'intégrité physique des individus. Nous sommes tous absolument d'accord là-dessus. Ce que j'essaie de cerner dans ce projet de loi, c'est l'ampleur du problème. Autrement dit, est-ce que le nombre de motards a progressé de manière exponentielle depuis 10 ans, et est-ce que nous avons maintenant une situation beaucoup plus préoccupante sur le plan social qu'il y a 30 ans? Et est-ce que cela s'est traduit par une progression concrète du nombre de blessures et d'incidents dans les circonstances auxquelles nous essayons de remédier avec ce projet de loi?
Du point de vue de ce projet de loi, le fait de sauver ne serait-ce qu'une vie pourrait justifier une modification du Code criminel. Nous sommes tous d'accord là-dessus. D'un autre côté, il faut replacer cela dans le contexte de la société que nous essayons de comprendre ici. Je crois que c'est un élément important à prendre en compte lorsque nous légiférons, et votre association est évidemment bien placée pour nous aider à comprendre cela. C'est pour cela que je vous pose ces questions.
M. Sullivan: Je ne sais pas exactement d'où vient cette statistique, mais votre collège le sénateur Ghitter a dit qu'au cours des cinq dernières années, 305 personnes avaient été blessées à l'occasion de fuites au Canada. Ce n'est qu'un nombre approximatif, mais je vais essayer de vous obtenir des statistiques plus précises.
La présidente: Quand vous nous transmettrez cette information, nous la distribuerons aux sénateurs du comité.
Le sénateur Andreychuk: S'il y a des statistiques et qu'on peut les ventiler, j'aimerais savoir combien de ces victimes étaient des policiers et combien étaient des innocents qui se trouvaient là par hasard, si c'est possible.
M. Sullivan: Je vais essayer.
Le sénateur Cools: Le projet de loi semble directement axé sur les véhicules motorisés. C'est extrêmement important. J'ai appris que dans une ville comme Ottawa, on volait 50 véhicules par jour.
Le sénateur Andreychuk: C'est à Regina que les chiffres sont les plus élevés.
Le sénateur Cools: Apparemment, c'est un chiffre tellement énorme que les policiers ne se déplacent même plus. Quand quelqu'un téléphone en disant: «On m'a volé mon auto», les policiers se contentent de prendre la déposition au téléphone.
Si ce sont 50 véhicules qui sont volés chaque jour à Ottawa, et je n'ai aucune idée des chiffres pour Toronto ou Montréal, c'est vraiment un nombre époustouflant de vols. D'après mes calculs approximatifs, il doit y avoir une quantité colossale d'infractions criminelles liées à l'utilisation illégale ou au vol d'automobiles, et cetera.
Savez-vous combien de personnes ont été blessées dans ce genre de situations? Par exemple, sur ces 305 personnes blessées au cours des cinq dernières années, dont vous nous avez parlé, combien ont été victimes d'incidents où le véhicule était non seulement en fuite, mais avait aussi été volé? Le savez-vous, et pouvez-vous nous dire ce que cela représente dans l'ensemble de la criminalité liée à l'utilisation de véhicules motorisés?
M. Sullivan: Je n'ai pas de chiffres. C'est dans le hansard que j'ai trouvé le nombre que je vous ai mentionné. Je vais néanmoins essayer d'obtenir des statistiques. J'imagine que la majorité des gens qui prennent la fuite le font parce qu'ils ont déjà commis quelque chose d'illégal, le vol de voiture étant l'un des cas les plus fréquents. Nous avons parlé des jeunes contrevenants; je pense qu'une grande partie des véhicules volés sont volés par des jeunes qui veulent simplement aller faire une balade. Je pense que dans un grand nombre des poursuites, le véhicule est volé.
La présidente: Sénateur Cools, je dirai aux hauts fonctionnaires qui vont comparaître devant notre comité de se munir des réponses à ces questions.
Le sénateur Cools: Peut-être devrions-nous convoquer des représentants des divers corps policiers.
La présidente: Nous sommes en train de nous en occuper.
Le sénateur Cools: Quand ils viendront, dites-leur que nous nous intéressons tout particulièrement à cette question, car d'après ce que l'on me dit, la criminalité liée aux véhicules est très importante.
Le sénateur Moore: Je n'ai pas une question, mais plutôt un commentaire. C'est à propos de la question que le sénateur Joyal posait à M. Sullivan.
En tant que parrain de ce projet de loi, j'ai rencontré plusieurs fois Dan McTeague pour examiner la situation et je lui ai posé la même question à propos du nombre d'incidents entraînant la mort ou des blessures. Comme cela n'est pas répertorié comme infraction, il n'est pas possible de déterminer ce nombre en examinant les dossiers des tribunaux. Toutefois, M. McTeague m'a dit que l'Association canadienne des policiers et policières avait tenu une comptabilité de ces incidents, et c'est de là que viennent les chiffres pour les cinq dernières années fournis au Sénat par le sénateur Ghitter. D'après cette association, 40 policiers ont été tués au cours des cinq dernières années et 305 personnes ont été blessées à l'occasion de fuites. Je ne sais pas s'il s'agissait de cas de fuite associée à des activités criminelles ou simplement de fuite au volant d'un véhicule, mais ce sont les chiffres que nous avons et c'est là la source de ces chiffres.
La présidente: Nous essaierons d'obtenir des réponses aux questions qui ont été soulevées aujourd'hui. J'espère aussi que nous aurons de nouveau l'occasion de revoir M. Sullivan.
S'il n'y a pas d'autres questions, je vous remercie d'être venu nous rencontrer aujourd'hui pour nous présenter le point de vue des victimes.
La séance est levée.