Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 21 - Témoignages du 27 septembre
OTTAWA, le mercredi 27 septembre 2000
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne, se réunit aujourd'hui à 13 h 15 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: Honorables sénateurs, nous allons reprendre notre étude du projet de loi C-16. Nous avons le plaisir d'accueillir le professeur Sears, le professeur Braen et M. Blake.
M. Alan M. Sears, professeur, Université du Nouveau-Brunswick: Honorables sénateurs, je reconnais avoir été un peu étonné, au début, d'être invité à venir ici. Je me suis spécialisé dans l'instruction civique plutôt que dans les questions de naturalisation. Lorsque je dis à mes amis que je travaille dans le domaine de l'éducation civique, ils pensent que j'aide les gens à préparer leur examen de citoyenneté. Ce n'est pas du tout mon champ d'étude. Je m'intéresse à la citoyenneté de façon plus générale. Néanmoins, en lisant le compte rendu de vos délibérations récentes, j'ai vu que vous aviez la même vision générale de la citoyenneté et je me suis senti plus à l'aise pour venir ici.
L'éducation civique est un sujet qui suscite actuellement énormément d'intérêt dans le monde entier, non seulement en ce qui concerne sa dimension éducative, mais aussi dans le contexte des théories politiques et sociales. J'ai apporté avec moi une douzaine de nouveaux ouvrages sur la question dont un bon nombre ont été publiés par des Canadiens. Celui-ci a été édité, entre autres, par Alan Cairns, un éminent politicologue canadien. Il s'intitule Citizenship, Diversity and Pluralism. C'est un des deux ouvrages que Cairns a publiés au cours des deux dernières années. L'autre s'intitulait Citizens Plus et examinait les questions de citoyenneté concernant les peuples autochtones.
C'est un sujet qui suscite énormément d'intérêt. L'Australie, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont entrepris de vastes initiatives nationales sur le plan de l'éducation civique. Il est très intéressant de voir le travail réalisé en Angleterre -- non pas en Grande-Bretagne -- où la citoyenneté est un sujet d'intérêt assez récent. Les gens se considéraient comme des sujets britanniques, mais maintenant la question de la citoyenneté et des droits revêt beaucoup d'importance dans les écoles d'Angleterre. D'importantes initiatives sont prises pour inclure l'instruction civique dans le programme scolaire des écoles intermédiaires et secondaires au cours des prochaines années.
Il y a également des projets nationaux et d'importants projets supranationaux, dont le principal est celui qu'a entrepris le Conseil de l'Europe pour créer le nouveau citoyen européen. Un débat intéressant se déroule actuellement en Europe au sujet de l'euro et les Danois se prononceront demain, dans un référendum, sur l'adoption de cette monnaie. D'après les sondages, le résultat du référendum risque d'être négatif, mais la discussion portait sur les symboles qui devaient figurer sur l'euro. Nous plaçons sur notre monnaie un grand nombre de nos symboles nationaux et de nos signes de fierté civique.
Ce n'est qu'un exemple de projet supranational dans le domaine de l'éducation civique. Je dirais que cette activité internationale est, en grande partie, le résultat de trois crises différentes mais reliées les unes aux autres.
Il y a la crise de l'ignorance. Les jeunes citoyens ne possèdent pas les connaissances qu'exige la citoyenneté. L'Australie a parlé de «déficit civique» et on nous rapporte toutes sortes de faits à ce sujet. Le Globe and Mail et le National Post nous ont révélé que, d'après les conclusions de l'Institut du Dominion, les Canadiens ne connaissent pas leur histoire et leurs traditions ainsi que les choses qu'il faut savoir pour être un bon citoyen.
La deuxième crise est celle de l'aliénation. Les jeunes citoyens se sentent à l'écart des institutions et des mécanismes de la vie civile. Nous lisons toutes sortes d'articles sur la participation aux élections, sur le cynisme des gens vis-à-vis de la classe politique. Pratiquement chaque sondage indique que la confiance du public dans la classe politique et les institutions publiques a nettement diminué au cours des 15 à 20 dernières années.
La dernière crise est celle de l'agnosticisme. Les jeunes citoyens ne croient pas dans les valeurs de la citoyenneté démocratique. Nous entendons beaucoup parler de ces jeunes qui se joignent à des groupes xénophobes, qui deviennent des «skinheads», qui torturent leurs camarades d'école, et cetera. C'est une des causes de la crise de la citoyenneté.
Une personne comme moi devrait se réjouir de ce regain d'intérêt. Par exemple, en 1994, le gouvernement australien a consacré 25 millions de dollars aux programmes d'éducation civique. Le montant ne paraît peut-être pas énorme sur la Colline parlementaire, mais si vous travaillez dans le secteur de l'éducation, en dehors des maths, des sciences et de la technologie, vous savez qu'il s'agit d'une somme considérable. Les Américains ont financé leur Center for Civic Education à raison de 10 millions de dollars par an et cela pendant plusieurs années. Le Centre étend ses activités à l'ensemble des États-Unis et au monde entier. Je dirais que tout cet effort est dû au risque de crise.
Bien entendu, cela a fait l'objet d'un débat public considérable au Canada. Il est difficile d'ouvrir un journal diffusé à l'échelle nationale sans avoir l'impression qu'on s'alarme devant l'ignorance de nos concitoyens. Malheureusement, je crois que dans la plupart des cas, nous n'avons pas su diagnostiquer la crise. Nos résultats sont très médiocres en ce qui concerne l'éducation civique. Comme nous ne savons pas diagnostiquer la crise, nous ne savons pas prescrire le bon remède. Jack Granatstein a écrit un livre à succès intitulé: Who Killed Canadian History? qui propose certaines solutions qui me paraissent pour le moins boiteuses. Rien ne prouve que ce qu'il suggère améliorera l'éducation civique.
Je voudrais faire plusieurs suggestions au comité au sujet de l'éducation civique. Il faut d'abord reconnaître que la citoyenneté est une notion complexe. Ce n'est pas simple. À l'occasion de vos débats antérieurs, le sénateur Kinsella a fait valoir qu'on ne semblait pas parler beaucoup de la citoyenneté au sens large dans le projet de loi et qu'on mettait davantage l'accent sur la naturalisation. Il a proposé d'y parler de valeurs, de droits et de responsabilités. Je suis d'accord. Néanmoins, nous pensons parfois que si les gens doivent adhérer à ce que nous considérons comme les valeurs canadiennes, toutes sortes de problèmes sociaux disparaîtront du même coup. En fait, nous savons que nos valeurs sont souvent en contradiction. Au Nouveau-Brunswick, nous valorisons la liberté d'expression. Nous avons également eu un triste personnage du nom de Malcolm Ross qui a publié des discours répréhensibles et nous nous demandons que faire en pareille situation. Ce n'est pas facile. Nous valorisons également le droit des gens d'être à l'abri des préjudices et nous savons que certains discours représentent un préjudice et c'est pourquoi nous nous battons.
Lorsque la ministre vous a parlé du test, elle a dit que nous nous attendons encore à ce que les citoyens soient informés sur leur nouvelle patrie. Mais que devraient-ils savoir? J'estime que le test qu'ils subissent actuellement pour obtenir la citoyenneté est tout à fait inadéquat et reflète certains des pires aspects de cette crise. Permettez-moi de vous citer un exemple personnel.
Il y a deux ans, ma fille, qui était en huitième année, préparait un examen sur l'histoire du Canada. La veille de l'examen, elle m'a remis son livre en me demandant de lui poser des questions. Une des choses qu'elle devait savoir était la date de la Confédération. Je lui ai demandé: «Quelle réponse vas-tu donner?». Elle m'a répondu: «1867». Je lui ai dit: «Je ne pense pas que tu devrais répondre 1867». «Que veux-tu dire?» m'a-t-elle demandé. Je lui ai dit que la réponse était plutôt 1949. Elle m'a dit que ce n'était pas la bonne réponse. Je lui répondu: «C'est la bonne réponse si tu habites à Terre-Neuve».
C'est ce que je veux que ma fille sache au sujet de la Confédération. Je ne veux pas qu'elle pense que c'est arrivé en 1867. Je veux qu'elle sache que nos relations ont évolué. C'est ainsi que nous vivons ensemble. Nous avons commencé à parler de la Confédération au cours du dernier tiers du XIXe siècle, nous en parlons encore et nous continuerons d'en parler. C'est quelque chose de fluide et de complexe.
J'y ai repensé aujourd'hui. Je suis arrivé tôt, j'ai marché sur la colline du Parlement. Je suis allé à la Flamme du Centenaire, et tout ce que j'ai vu c'est 1867 et 1870 et 1871 et 1873 et ainsi de suite, jusqu'aux discussions qui ont donné lieu à la Déclaration de Calgary. Tout cela fait partie de la Confédération. C'est ce que je veux que ma fille comprenne. Je ne veux pas nécessairement qu'elle sache qu'il s'est produit quelque chose en 1867. C'est certainement une date importante dans l'histoire de ce lien, mais quand on réduit l'éducation civique à cela, ça ne veut presque rien dire, à mon avis, et c'est pourquoi les gens ne le savent pas. Quand des gens participent à des sondages dont on fait état dans la presse nationale, ils échouent, non pas parce qu'ils n'ont pas appris ces choses à l'école, mais parce que ces choses ne leur ont pas été présentées dans un contexte historique.
À Londres, en Angleterre, on a des programmes d'enseignement de l'anglais langue seconde pour les nouveaux immigrants. Ces programmes se concentrent sur l'éducation des nouveaux citoyens, et on ne leur présente pas que des connaissances anecdotiques sur la vie en Angleterre mais aussi des dossiers importants, des questions importantes auxquels fait face la société anglaise. On a là-bas des programmes d'enseignement de l'anglais où les nouveaux immigrants sont mis en rapport avec une organisation communautaire et y travaillent. Ils doivent interviewer des gens sur les questions dont l'organisation s'occupe et travailler à certains de ces dossiers et faire rapport de tout cela à leurs camarades de classe. Chaque étudiant examine en profondeur une question unique ou une organisation sociale donnée, puis tous les étudiants se réunissent et en discutent avec leurs camarades. C'est une façon d'apprendre l'anglais et d'en connaître aussi davantage sur la citoyenneté et cela de façon plus approfondie qu'en étudiant les 200 questions dont 20 pourront être posées aux nouveaux citoyens. La citoyenneté est complexe.
La deuxième chose que je veux souligner, c'est que la citoyenneté évolue. Ce n'est pas une chose stable, et on le voit bien dans les débats qui portent sur ce projet de loi. La plupart d'entre vous, dans vos questions, ont parlé de la façon dont la législation a évolué depuis 1946-1947 jusqu'à la Loi de 1997 et jusqu'au présent projet de loi. La ministre a fait valoir que la situation évolue, et que le projet de loi doit donc en tenir compte. Le sénateur Kinsella a parlé de «naturalisation stérile». Nous traitons la citoyenneté comme si c'était une chose immuable.
Dans le cadre de mon propre travail sur l'histoire de la participation du gouvernement fédéral à l'éducation civique, je peux voir qu'au fil du temps le gouvernement fédéral a essayé de cerner, si l'on veut, l'identité nationale. Le gouvernement a commencé par ce que j'appelle les pionniers héroïques, puis il est passé à la réalité bilingue et biculturelle. Dans le document, on dit entre autres choses que les Canadiens doivent comprendre que le Canada est en fait un pays bilingue et biculturel. Ce n'est pas le cas. C'est en vertu de la politique et des lois que nous avons un pays bilingue et biculturel, mais ce n'est pas du tout un fait ni une réalité. Cette politique et ces lois ont évolué en raison des discussions comme celle-ci que nous avions ensemble. Nous y avons travaillé. Le Canada est un pays pluraliste et officiellement multiculturel. Encore là, ces mesures politiques et législatives ne reflètent pas nécessairement fidèlement la réalité. C'est ainsi que nous avons choisi de nous voir, et cela s'est fait sur une certaine période.
Quand le sénateur Kinsella s'est adressé à votre comité en juin, il a dit que c'était en quelque sorte devenu un passe-temps national que de tenter de définir la nature de la citoyenneté canadienne. J'espère qu'il ne disait pas cela pour le déplorer, parce que je pense que c'est exactement ce qu'il faut faire. Un de mes collègues a dit un jour que les Canadiens sont des gens qui discutent constamment de ce que cela signifie d'être Canadien, et le but de l'éducation civique c'est de faire participer les gens à ce débat de façon éclairée. Je suis d'accord avec lui.
Le Canada est une conversation, et nous voulons que les gens participent à cette conversation. Notre éducation civique consiste en grande partie à amener les gens à adhérer à un certain idéal préconçu, mais il n'existe pas et ne devrait pas exister. Nous devons sensibiliser les nouveaux Canadiens aux questions, aux débats et aux dossiers qui préoccupent les Canadiens de longue date et les faire participer à ces débats de façon informée.
M. Raymond Blake, directeur, Saskatchewan Institute of Public Policy: Honorables sénateurs, je suis ravi d'avoir été invité à exprimer mes vues sur le projet de loi C-16. Il faut certainement s'attendre à de multiples débats et discussions quand le gouvernement s'apprête à modifier une loi aussi essentielle que celle qui a trait à la citoyenneté. Il y en a long à dire au sujet du projet de loi C-16 en tant que tel ainsi qu'à propos de la notion de citoyenneté, et à l'instar de M. Sears je vais quant à moi parler de la citoyenneté de façon générale.
La citoyenneté n'est ni un simple concept juridique ni une mesure législative parlementaire. La citoyenneté définit qui nous sommes en tant que citoyens et qui nous sommes en tant que nation. La citoyenneté suppose des droits. Elle suppose des responsabilités. Elle suppose la loyauté et l'engagement envers une nation ou une cause commune. Malheureusement, après avoir lu le projet de loi C-16, j'en conclus que celui-ci ne sera pas une grande source d'inspiration pour les Canadiens. Il ne tient pas vraiment compte du sentiment grandissant de «canadianité» que nous voyons déferler sur le pays.
M. Sears a parlé de sa fille. Pour ne pas être en reste, j'aimerais parler de mon fils, qui a sept ans et qui a passé du temps au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan. On ne peut pas dire de ces sociétés qu'elles sont aussi pluralistes que peut l'être Toronto, et pourtant quand on visite une petite ville du Nouveau-Brunswick ou une grande ville en Saskatchewan on y voit des gens qui viennent de partout dans le monde. On voit des enfants qui tous les matins y entonnent leur hymne national. On les voit dessiner et colorier la feuille d'érable avec beaucoup de fierté. Je crois qu'un projet de loi sur la citoyenneté devrait s'adresser particulièrement aux jeunes Canadiens ainsi qu'aux nouveaux Canadiens.
En prévision de mon témoignage, je suis allé consulter la Loi de 1947 sur la citoyenneté. L'honorable Paul Martin, père, avait présenté cette première Loi sur la citoyenneté et il avait dit au Parlement de l'époque que la citoyenneté, c'était bien plus que le droit de voter, plus que le droit de posséder des biens et de les céder, plus que le droit de se déplacer librement sous la protection de l'État. Il avait aussi dit que la citoyenneté c'était le droit de participer entièrement à la bonne fortune, à la mauvaise fortune et à l'avenir de la nation. Pour lui, la citoyenneté était un signe de l'édification d'une nation. C'était un signe qu'on créait un nouveau type de Canada pour tenir compte du changement et de l'évolution dont M. Sears a parlé il y a un instant.
Malgré les éloges qui ont plu sur M. Martin et la Loi sur la citoyenneté depuis 1947, il faut bien rappeler que cette loi n'a pas été accueillie avec enthousiasme en 1947, et n'a pas été saluée alors comme une excellente mesure législative. Même si de nombreux libéraux francophones et anglophones considéraient à l'époque que c'était une merveilleuse chose que de distinguer l'identité canadienne de l'identité britannique, la loi n'avait pas été bien accueillie par bon nombre de conservateurs avec un petit «c» et de nombreux impérialistes, qui jugeaient que nous tournions le dos à la Grande-Bretagne et qu'elle sonnait le glas de notre nation.
Des sénateurs se rappelleront aussi sans doute encore mieux que moi que l'unifolié, cet important symbole national, n'a pas au début recueilli les faveurs des Canadiens. En fait, la proposition de l'adopter a engendré un immense débat et beaucoup de dissensions, et pourtant il est maintenant devenu un symbole durable.
Tous les instruments qui permettent d'édifier une nation présentent des difficultés. Ils stimulent les débats, et c'est très bien ainsi. Ils suscitent la controverse, et pourtant ce sont tous d'importants symboles de qui nous sommes en tant que Canadiens.
Pour édifier une nation, il faut pouvoir compter sur un leadership courageux, ce que nous attendons de nos élus. Malheureusement, le projet de loi C-16 ne fait pas montre d'un leadership courageux. On n'y parle pas de ce que cela signifie d'être Canadien pour la majorité des Canadiens.
Il est clair que le rôle des commissaires à la citoyenneté qui seront nommés si ce texte de loi est adopté consistera à promouvoir une citoyenneté active au sein des communautés. Pourtant, dans les discussions entourant le projet de loi, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration n'indique pas que le gouvernement du Canada a l'intention de promouvoir l'éducation civique de la façon préconisée par M. Sears. Rien n'indique que la ministre va suivre l'exemple du très honorable David Blunkett, secrétaire d'État à l'éducation et à l'emploi du Royaume-Uni, qui a récemment dit qu'il était essentiel qu'en tant que nation on fasse davantage pour éveiller les jeunes à l'importance de la citoyenneté: On doit montrer que dans une démocratie moderne il y a des rôles et des responsabilités que les citoyens doivent assumer. En fait, au Canada, notre serment de citoyenneté a été revu à l'article 34 du projet de loi, de l'aveu même des responsables du ministère sur leur site Web, pour deux raisons, la première étant que le serment proposé est plus concis et facile à réciter pour les nouveaux Canadiens. C'est loin d'être un serment propre à éveiller le sentiment national chez les jeunes et c'est loin d'être le genre de chose qui peut édifier une nation comme la nôtre.
Le Canada a eu d'énormes défis à relever au cours des 10 dernières années. Il y a eu un changement radical et on pourrait parler à cet égard de plusieurs choses. On pourrait parler de la place du Québec dans la Confédération, du lac Meech et de Charlottetown. Certains avaient sans doute du mal à concevoir que le Québec obtienne un statut distinct, mais pour la plupart des Canadiens, y compris pour moi, on débattait alors de la notion de citoyenneté. Le débat a été amer et acrimonieux, mais il a aussi été utile.
Lorsqu'un gouvernement présente une mesure législative traitant de la citoyenneté dans un pays comme le nôtre, qui est diversifié sur le plan des groupes ethniques, des religions et des classes, il n'y a guère de valeurs communes. Si j'étais parlementaire, je n'essaierais même pas de concevoir un projet de loi décrivant ce que représente la citoyenneté au Canada, mais en tant que citoyen, c'est précisément ce que j'attends du législateur.
Nos parlementaires doivent savoir qu'un grand nombre de nos concitoyens se préoccupent de l'avenir de ce pays et se sentent profondément Canadiens. J'en ai rencontré parmi mes élèves et à l'école que fréquente mon enfant. Pourtant, leur engagement comporte aussi des choix délicats. Il y a sans doute des choses utiles dans ce projet de loi, mais j'estime que lorsqu'on parle de citoyenneté, on s'attend à trouver du courage et du leadership. Lorsqu'on parle de citoyenneté -- et c'est une notion bien élémentaire pour les Canadiens et les citoyens de ce grand pays -- on a de plus grandes ambitions, en particulier pour nos jeunes qui se demandent ce que c'est qu'être Canadien.
[Français]
M. André Braen, professeur, Université d'Ottawa: C'est un privilège et un honneur pour moi de pouvoir intervenir auprès de vous aujourd'hui. Je serai beaucoup plus technique, beaucoup plus procédurier que mes deux collègues précédents.
En ce qui concerne ce projet de loi C-16, on m'a demandé surtout de vérifier l'intervention de la Cour fédérale du Canada dans le processus de perte ou de révocation de la citoyenneté canadienne ou encore dans le cas de l'annulation d'une attribution de citoyenneté. Vous voyez donc que l'objet de mes commentaires dès le départ sera extrêmement limité.
J'ai regardé avec beaucoup d'intérêt ce projet de loi et, évidemment, pour être fidèle à l'objet de mon intervention, j'ai étudié de façon plus particulière les dispositions du projet de loi qui traitent de la révocation ou de la perte de la citoyenneté ou de l'annulation d'une attribution de la citoyenneté.
L'article 16, tel que proposé, permet aux gouverneurs en conseil, par décret, de révoquer la citoyenneté canadienne. Pour ce faire, on doit préalablement rédiger un rapport qui sera le fait du ministre chargé de la loi. Cette possibilité de révocation n'intervient que dans les cas de fraude, de fausse déclaration ou de dissimulation intentionnelle de la part de l'intéressé. Il existe des cas bien précis où la révocation peut intervenir.
L'article 17, tel que proposé, prévoit que le ministre qui doit ainsi remettre son rapport au gouvernement, avant que celui-ci ne puisse procéder à la révocation, établisse un rapport, mais que préalablement il doive aviser l'intéressé de son intention. Il doit également l'aviser de la possibilité de demander à la Cour fédérale du Canada de se pencher, de se prononcer sur le cas. Autrement dit, de demander à la Cour fédérale du Canada de vérifier si, sur le fond, il y a eu effectivement fraude, fausse déclaration ou dissimulation essentielle.
La décision de la division de première instance de la Cour fédérale du Canada est finale à ce sujet. Évidemment, l'intéressé peut ainsi demander que la Cour fédérale se prononce sur son cas, comme il peut renoncer à ce droit. On remarquera que dans le cas de la révocation, il y a une intervention possible de la Cour fédérale du Canada prévue par le projet de loi.
L'article 18 prévoit que le ministre, qui sera chargé de l'application de la loi peut, par arrêté, annuler une attribution de la citoyenneté canadienne par un acte de conservation, de répudiation ou par un acte de réintégration dans la citoyenneté canadienne. L'article 18 prévoit les cas où cela peut se faire: s'il y a eu fausse identité de la part de l'intéressé ou encore si l'article 28, tel que projeté, s'applique, c'est-à-dire si on a, finalement, attribué la citoyenneté canadienne à une personne qui n'aurait pas eu le droit de se voir attribuer la citoyenneté canadienne à cause de l'un des cas visés à l'article 28.
Par ailleurs -- toujours sous le même article 18 -- on prévoit que dans un tel cas, le ministre, avant de procéder à l'annulation, doit aviser l'intéressé et lui dire: «Écoutez, on se prépare à annuler votre attribution de citoyenneté. Vous avez la possibilité de demander à la section de première instance de la Cour fédérale du Canada de vérifier la légalité de la décision qui sera ainsi prise.»
L'article 29 donne -- en général -- au ministre un devoir d'aviser les individus couverts par l'application de la loi de leur droit de demander à la Cour fédérale du Canada le contrôle judiciaire des décisions qui sont prises par l'administration. De plus, l'article 30 permet au ministre de réviser sa propre décision dans certains cas.
Je voudrais attirer l'attention de cette honorable Chambre sur deux caractéristiques. D'abord, en ce qui a trait à l'intervention possible de la Cour fédérale du Canada, le projet de loi, tel que rédigé, fait une distinction entre, d'une part, un cas de révocation de la citoyenneté -- c'est-à-dire l'intervention du gouverneur général en conseil qui se fait sur rapport du ministre et ce rapport doit faire état de la possibilité de faire intervenir la Cour fédérale du Canada -- et, d'autre part, le processus d'annulation d'une attribution de citoyenneté qui vise des objets complètement différents.
Dans un cas, on permet à la Cour fédérale du Canada de se prononcer sur le fond et de vérifier s'il y a eu fraude. Dans l'autre cas, on dit que la Cour fédérale n'intervient pas sur le fond et ne fait que vérifier la légalité du processus. Faire appel au contrôle judiciaire de la Cour fédérale du Canada, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale du Canada, c'est demander à la cour d'exercer son pouvoir de contrôle et de surveillance, c'est lui demander de vérifier si la décision est légale ou pas.
Deuxièmement, une autre distinction issue du projet de loi tel que libellé: on fait une différence entre, d'une part, la capacité de la Cour fédérale d'intervenir comme tribunal judiciaire et de se prononcer sur le fond d'une histoire et, d'autre part, d'intervenir à titre de contrôle judiciaire. Autrement dit, dans un cas on intervient sur la légalité et dans l'autre cas, on intervient sur le fond.
Que l'on parle de révocation de la citoyenneté canadienne ou encore que l'on parle de l'annulation par la ministre d'une attribution de citoyenneté ou de réintégration dans la citoyenneté, les conséquences au plan légal sont les mêmes. L'intéressé perd les droits qui vont avec le statut qui découle de la citoyenneté canadienne. De façon plus particulière et au niveau constitutionnel, l'individu qui se voit révoquer ou annuler une attribution de citoyenneté, perd également des droits constitutionnels, des droits enchâssés dans la Constitution. La Charte canadienne des droits et libertés, comme vous le savez, proclame des droits humains, des droits inhérents aux individus, mais proclame également des droits qui ne peuvent être exercés que par les citoyens et citoyennes canadiens. Par exemple: l'article 3, le droit de vote à la législature d'une province ou au Parlement du Canada, le droit d'éligibilité de se porter candidat à ces mêmes élections. L'article 6, donne le droit de circulation, sortir et entrer au Canada, se promener d'un bout à l'autre du pays. L'article 23 de la Charte canadienne, donne le droit des parents de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité de la province qu'ils habitent. C'est un droit qui appartient aux citoyens canadiens. Que l'on parle de révocation ou encore d'annulation, sur le plan légal, les conséquences sont les même, en particulier, en ce qui concerne la perte de droits constitutionnels.
On peut donc se demander pourquoi, dans ce cas, est-ce que l'on fait une distinction au niveau de la procédure applicable et au niveau de l'intervention de la Cour fédérale? Pourquoi, dans un cas, on lui demande d'aller au fond de l'histoire et pourquoi, dans l'autre cas, on dit non et on vérifie juste si la décision est légale.
Les contrôles de la légalité en contentieux administratifs n'est pas quelque chose qui est nécessairement simple, on tombe dans le «assez complexe». Est-ce que la sagesse -- c'est la question que je voulais vous poser -- commanderait-elle de la part du législateur et de la part du Parlement du Canada, qui prévoit l'intervention d'une cour de justice, en l'occurence la Cour fédérale du Canada pour que celle-ci puisse se prononcer sur le fond d'une histoire, pas juste s'il y a eu fraude mais également voir s'il y a des cas d'interdiction, si on applique et si on interprète les législations énumérées à l'article 28 de façon correcte. Donc, de prévoir l'intervention de la Cour fédérale du Canada dans tous les cas où la citoyenneté canadienne est en péril. Voilà la question que je voulais vous poser. Je vous remercie de votre patience.
Le vice-président: Je dois vous dire tout de suite, avant de passer à la période des questions, que nous nous sommes posés la question plusieurs fois. D'une part, il y a la décision du Conseil des ministres et, d'autre part, il y a la voie judiciaire. On s'est interrogé à savoir si cela va devant les tribunaux, évidemment, on suit les principes juridiques. C'est relativement facile. Mais si l'on considère la voie qui débouche sur le Conseil des ministres, c'est beaucoup plus compliqué parce qu'il y a des motifs politiques. Je suis très heureux que vous ayez abordé ce problème. Je suis certain que vous devrez répondre à plusieurs questions sur ce point du projet de loi.
Le sénateur Fraser: Professeur Braen, j'aurais deux questions à vous poser. Je ne suis pas avocate, mais je veux d'abord m'assurer que je comprends bien votre position. Si j'ai bien compris le point de vue de la ministre, les raisons pour lesquelles elle aurait le droit d'annuler la citoyenneté sont très précises, par exemple, une fausse identité ou quelqu'un mis en accusation pour un crime commis au Canada. La ministre a le pouvoir d'annuler la citoyenneté pour des raisons vraiment précises où il n'y aurait aucun doute possible, et, à ce moment-là, on n'aurait pas besoin de tout le processus judiciaire pour protéger les droits de la personne en cause. Vous trouvez que cela n'est pas une justification suffisante, n'est-ce pas?
M. Braen: Une fausse identité appelle une appréciation, une interprétation des faits. Si je comprends bien, ce serait l'interprétation donnée par l'exécutif qui prévaudrait. Par ailleurs, il est vrai que l'article 28 énonce avec beaucoup de précision les cas d'interdictions. Je vous ferai tout simplement remarquer qu'appliquer une loi, vérifier si telle disposition de la loi s'applique ou non, cela fait appel à une discrétion qui est judiciaire aussi. En tant qu'autorité d'immigration, je peux très bien me faire une idée de ce qu'est l'article 55(1) de la Loi sur l'immigration du Canada, mais en réalité, sur le plan légal, c'est uniquement l'interprétation d'une cour de justice et non pas des autorités de l'immigration qui fera foi. À cause de cette discrétion judiciaire quant à l'application et l'interprétation d'une disposition législative et ainsi de suite, à prime abord, cela peut paraître très précis, mais les mots sont très imparfaits pour véhiculer tout cela
Le sénateur Fraser: Ce n'est jamais précis.
M. Braen: Surtout lorsque les avocats se mêlent de la question.
[Traduction]
Le sénateur Fraser: Monsieur Blake, nous avons été très impressionnés par vos propos et par ceux de M. Sears, au sujet des dimensions plus vastes de la citoyenneté. Cependant, lorsque vous dites qu'il devrait y avoir autre chose dans ce projet de loi, vous ne précisez pas ce à quoi vous pensez. Les valeurs que vous évoquez seraient bien difficiles à insérer dans une mesure législative comportant des points juridiques précis. Qu'est-ce qui manque dans ce projet de loi et que vous aimeriez y voir ajouté?
M. Blake: Il est certain que la citoyenneté canadienne a toujours donné lieu à des contestations. Prenons trois groupes qui ont toujours été marginalisés et qu'on ferait intervenir dans le décor, à savoir les Autochtones, les groupes multiculturels et les femmes, par exemple; on va constater que les membres de ces trois groupes ont des conceptions bien différentes de ce que signifie la citoyenneté canadienne par rapport à ce qu'en pense un homme blanc d'âge moyen.
L'édification d'une nation dépend du dialogue sur l'identité de sa population. Il n'y a pas de réponses faciles à votre question, mais le XXIe siècle est le moment idéal pour tenir un tel débat. Certains événements nous ont amenés à la situation présente. La première Loi sur la citoyenneté a été adoptée en 1947. La Cour suprême est devenue l'arbitre ultime des décisions judiciaires au Canada en 1949. Certains ont qualifié la Seconde Guerre mondiale de «Guerre du Canada» parce que c'est à ce moment que nous avons conquis notre autonomie sur la scène internationale. Les notions de démocratie pearsonienne et d'internationalisme libéral ont été portées à l'avant-scène. On pourrait aussi citer la Charte des droits et libertés ou le drapeau parmi les moments clés qui définissent le Canada. Nous sommes progressivement devenus une nation. Mais cela ne s'est pas fait du jour au lendemain.
Je n'ai pas de réponses à vous donner, mais la population canadienne, en particulier les jeunes, a amorcé un dialogue. Nous parlons maintenant d'engagement du citoyen. Les Canadiens sont attachés à leur pays. Ils essaient de définir le Canada. Nous avons besoin d'un véritable dialogue national qui fasse appel à toutes les technologies disponibles et qui accueille tous les citoyens, du milieu scolaire aux universités en passant par les scouts et tous les autres clubs ou organismes. Ce débat sera contesté, il sera difficile et j'aurais aimé vous apporter des réponses plus précises. Cependant, si l'on essaie de définir la notion de citoyenneté, j'aimerais que tous les citoyens interviennent dans le débat et nous définissent en tant que peuple.
Le sénateur Andreychuk: Je vous remercie d'avoir fait la distinction entre les deux articles du projet de loi et leurs conséquences. J'aimerais pousser la discussion un peu plus loin. Vous avez à juste titre fait remarquer que des décisions qui appartenaient autrefois aux tribunaux et qui reposaient sur des précédents incomberont maintenant au Cabinet. Comment le Cabinet procédera-t-il? Devra-t-il se reporter aux précédents quand il s'agira de décider si de fausses déclarations ont été fournies à l'appui d'une demande? Comment les personnes visées pourront-elles se défendre? Comment seront-elles assurées d'être traitées équitablement? Comment une personne pourra-t-elle se défendre étant donné que l'article 16 prévoit une réponse écrite qui reposera cependant sur des discussions à huis clos du Cabinet.
M. Braen: Si je comprends bien l'article 16, le ministre doit soumettre un rapport avant que le gouvernement ne puisse révoquer la citoyenneté d'une personne.
[Français]
Si l'intéressé le désire, il peut obtenir une intervention de la Cour fédérale du Canada. C'est alors la Cour fédérale du Canada qui est appelée à se prononcer sur des cas précis à savoir s'il y a eu fraude, dissimulation et ainsi de suite. Si la Cour fédérale se prononce, elle le fait en vertu de ses règles de procédure et, évidemment, l'intéressé fait partie de ces procédures. L'intéressé sera présent -- on peut le supposer -- à cette audience, cette instruction ou ce processus judiciaire qui est en cause. Ce n'est qu'une fois la réponse donnée par la Cour fédérale -- si on le lui demande -- que le ministre et, ensuite, le gouvernement pourra intervenir. Je vois mal le gouvernement intervenir à l'encontre, par exemple, d'une décision de la Cour fédérale qui conclurait sur l'absence de fraude. Là, franchement, je ne pense pas que l'article 16 permet au gouvernement d'aller contre une décision comme celle-là puisque le pouvoir de révocation n'existe que s'il y a, entre autres, une fraude. Si la Cour fédérale, dans une instruction où le gouvernement et le citoyen sont représentés, juge qu'il n'y a pas eu fraude, le gouvernement ne peut plus agir. À mon avis, il n'y a plus de compétences valides ici. Il y a une intervention du citoyen, mais au niveau des instances judiciaires. Il faut se souvenir que le pouvoir politique n'intervient qu'après cette instance judiciaire.
Le vice-président: Vous arrivez à la conclusion que le pouvoir politique ne peut conclure qu'après la cour.
M. Braen: Si le principal intéressé a demandé que la Cour fédérale intervienne. Le libellé des articles 16 et 17, prévoit que le gouverneur en conseil intervient que s'il y a un rapport du ministre. Pour qu'il y ait rapport du ministre, il faut également qu'un avis soit envoyé au citoyen l'avisant que l'on se prépare à lui révoquer sa citoyenneté, parce qu'il y a eu fraude à un certain moment, et la possibilité pour l'individu de saisir la Cour fédérale de vérifier s'il y a eu fraude ou non. Or, si l'individu décide d'aller devant les instances judiciaires, à ce moment, cela vient conditionner le pouvoir du gouvernement. Le gouvernement ne peut révoquer que s'il y a eu fraude, dissimulation de faits intentionnels et ainsi de suite.
Le vice-président: Seule la cour va dire s'il y a eu fraude.
M. Braen: On a la possibilité de demander à la cour de dire s'il y a eu fraude. Si la cour dit qu'il n'y a pas eu fraude, le gouvernement n'a pas le pouvoir de révoquer.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Certains groupes ont fait valoir qu'une fois que la Cour fédérale rend sa décision, celle-ci est transmise au gouvernement et elle ne peut pas faire l'objet d'un appel, mais seulement d'un contrôle judiciaire. Qui plus est, ce contrôle ne porte que sur la procédure et non pas sur les faits. Pensez-vous que ce processus soit juste ou ne croyez-vous pas qu'il serait amélioré s'il prévoyait un droit d'appel devant la Cour fédérale d'appel?
M. Braen: Oui, je pense que cela améliorerait le processus parce que la Cour fédérale pourrait en première instance établir s'il y a vraiment lieu de croire à une fraude.
[Français]
La décision du gouverneur général reste elle-même, en vertu de la Rule of Law, sujette à une intervention possible de la Cour fédérale à un autre stade, mais uniquement sur le plan du contrôle de la légalité. Cependant, le contrôle de la légalité, c'est une chose, mais ce n'est pas juste une question de procédure.
[Traduction]
Ce peut être plus que cela. Cela peut inclure, par exemple, ce qu'on appelle des erreurs de droit.
À mon avis, les articles 16 et 17 semblent équitables. L'article 18 me paraît plus contestable.
Le sénateur Andreychuk: Certains ont aussi fait valoir que l'article 17 prévoit peut-être un droit d'appel et que dans le cas contraire, la question de la Charte se poserait. L'article énonce que la décision rendue par le tribunal est définitive. On fait valoir qu'un droit d'appel doit être prévu pour qu'il y ait application régulière de la loi. Des témoins nous ont dit hier que le dilemme auquel ils ont fait face est que le premier tribunal à se pencher sur leur cas avait rendu des décisions peu cohérentes et c'est ce qui les amène à soutenir qu'un droit d'appel constituerait un moyen plus définitif et constructif de régler le problème.
[Français]
M. Braen: Il serait peut-être sage à ce moment-là de prévoir que la décision de la première instance ne soit pas finale et qu'elle suive les règles de l'appel ordinaire qui sont prévues dans la loi sur la Cour fédérale. Ici la question qui se pose porte sur l'alourdissement du système. On sait, lorsqu'on va devant les tribunaux, que cela prend beaucoup de temps. Ajouter un droit d'appel, est-ce que cela prolonge les délais ou alourdit le système?
Par ailleurs, il faut tenir compte du nombre possible de déchéances. À l'heure actuelle, la déchéance de la citoyenneté existe, mais je ne pense pas qu'il y ait un nombre significatif de déchéances sur une base annuelle. Peut-être que le Parlement va dire que ce n'est pas nécessairement alourdir le système puisqu'on ne prévoit pas beaucoup de révocations par le gouvernement. C'est véritablement votre rôle à vous au Parlement.
Est-ce qu'on institue un palier d'appel dans le but de créer un peu plus de cohérence dans les décisions qui auront à être prises par la Cour fédérale, à la section de première instance?
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: On peut évidemment aussi faire valoir que la révocation de la citoyenneté est une question très grave comme l'ont fait remarquer les tribunaux bien qu'il s'agisse toujours d'une question relevant du droit civil. La révocation de la citoyenneté peut reposer sur la prépondérance des probabilités qui est un critère auquel il est beaucoup plus facile de satisfaire que celui de la preuve «au-delà d'un doute raisonnable». Quoi qu'il en soit, ces groupes estiment que l'existence de trop de mécanismes d'appel en cas d'infractions mineures jette le discrédit sur notre système de justice et sur le principe d'équité sur lequel il repose. Or, pour un droit aussi fondamental que celui de la citoyenneté, aucun droit d'appel n'est prévu et la citoyenneté peut être révoquée sur la prépondérance des probabilités. Les conséquences d'une perte de citoyenneté vont évidemment bien au-delà des conséquences de la perpétration de crimes mineurs.
[Français]
M. Braen: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Comme on le disait tantôt, les conséquences découlant soit d'une révocation, soit d'une annulation d'une attribution sont graves sur le plan légal en tant que tel. Peu d'offenses se traduisent par une déchéance, entre autres, de droit constitutionnel comme cela. Ne faudrait-il pas dans un tel cas s'assurer, juste pour la neutralité du système, pour être juste, faire intervenir une cour de justice qui par définition est plus impartiale et indépendante que le gouvernement?
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Vous avez donné en exemple le système qui existe au Royaume-Uni. Certains groupes reprochent à ce projet de loi de porter essentiellement sur la naturalisation de nouveaux citoyens. Or, l'article 33 énonce que les commissaires seront chargés de promouvoir le sens civique, notamment le respect de la loi et l'exercice du droit de vote. Les nouveaux commissaires seront donc tenus dans une certaine mesure de promouvoir la citoyenneté.
La ministre a parlé de valeurs communes. Il est question dans le projet de loi du sens civique sur un fond de pluralité, mais nous ne savons pas du tout quelle formation recevront les commissaires. Selon le projet de loi, ce sera prescrit dans les lignes directrices, mais je ne sais pas au juste si ces lignes directrices seront incluses dans le règlement.
Est-ce le genre de débat que vous disiez vouloir provoquer ou pensez-vous qu'il devrait porter sur autre chose?
M. Sears: C'est une bonne question et cela nous ramène à ce que demandait le sénateur Fraser plus tôt au sujet de ce que nous pourrions faire. J'hésite à prescrire trop de choses dans le projet de loi, mais il y a deux éléments qu'on pourrait y inclure. Le premier serait une déclaration symbolique dans le préambule pour expliquer que la citoyenneté canadienne est une notion complexe en évolution qui n'est pas interprétée de la même façon par tous. Cela donne une certaine marge de manoeuvre à ceux qui ont des valeurs différentes des nôtres. Nous permettons cette divergence et nous en sommes fiers. Notre régime gouvernemental prévoit d'ailleurs une opposition loyale.
Le rôle des commissaires m'intéresse particulièrement parce que nous avons tous nos propres idées sur l'éducation civique. C'est une chose que nous faisons très mal et que la ministre fait très mal, d'après moi. Lors de son témoignage, la ministre a parlé beaucoup d'activités pendant la Semaine de la citoyenneté. Pourtant, ces activités sont surtout des manifestations patriotiques et des célébrations. Dans les cours de multiculturalisme, on parlait auparavant de multiculturalisme de célébration ou de la version loisirs et festivals du multiculturalisme où les élèves dans les écoles apportaient chacun un plat d'un pays différent à partager avec les autres. Nous ne discutions cependant jamais des aspects du multiculturalisme qui risquent d'être controversés et qui sont certainement importants. La culture influe énormément sur la façon dont nous envisageons le reste du monde sur les plans économique et politique. Notre culture ne tient pas seulement aux aliments que nous consommons, aux vêtements que nous portons ou à la musique que nous écoutons.
C'est une bonne idée. Le gouvernement fédéral a un rôle légitime à jouer pour promouvoir l'éducation civique, mais cela doit aller plus loin que le genre de célébrations culturelles visant à plaire à tout le monde et organisées, par exemple, par l'Institut du Dominion. Ce genre d'activités laisse entendre, par exemple, que si nous ne savons pas que Michael J. Fox est canadien si l'on nous donne une liste de noms, c'est une catastrophe pour notre pays. Comme Michael J. Fox vient d'obtenir la citoyenneté américaine, ce n'est pas catastrophique pour le pays si nos enfants ne savent pas qu'il est canadien.
Vous avez parlé de l'application régulière de la loi. Notre groupe est en train d'examiner la façon dont les jeunes comprennent ce que nous appelons des concepts ou des idées clés en matière de citoyenneté. L'une de ces notions est celle de l'application régulière de la loi.
Un autre concept que nous avons examiné longuement avec des enfants de la deuxième à la onzième année, c'est-à-dire des enfants de 8 à 18 ans, est la dissidence. Nous organisons des discussions avec les enfants sur un acte de dissidence dans un scénario-maquette ou une vidéo, et ensuite nous leur posons des questions. Nous avons constaté une chose dans tous les groupes d'âge: les enfants croient que les dissidents sont de mauvaises personnes. Ils voient des gens qui violent une règle à cause d'un principe et disent: «S'ils font cela ils prennent probablement de la drogue; probablement qu'ils volent; probablement qu'ils détestent leur mère. Ce sont de mauvaises personnes.» Est-ce ainsi que nous voulons que les citoyens d'une démocratie considèrent la dissidence et les dissidents?
Si l'on jette un coup d'oeil au programme scolaire, il est bien évident qu'on n'y consacre pas beaucoup de temps aux dissidents. En 1980, Kenneth Osborne a publié un ouvrage célèbre intitulé: Hardworking, Temperate and Peaceable: the Portrayal of Workers in Canadian History Textbooks, dans lequel il a signalé que l'on ne parle pas dans les textes d'histoire de la grève générale de Winnipeg ou de la marche sur Ottawa ou d'autres activités controversées du mouvement syndical. Il est question uniquement d'hommes qui vont travailler en chantonnant pour construire le Canada.
C'est très bien d'inculquer la fierté de son pays, mais cette fierté doit être basée sur de bonnes connaissances. L'éducation civique fournie par le ministère et lors d'activités comme la Semaine de la citoyenneté se borne d'après moi à des activités de célébration.
Le sénateur Andreychuk: J'ai quelques questions à poser au sujet du fait qu'on ait inclus la notion de citoyenneté et l'immigration dans le même projet de loi. J'espère qu'un de mes collègues en parlera aussi ou que j'aurai la chance de poser une question pendant le deuxième tour de table.
Le sénateur Grafstein: L'un des problèmes pour les Canadiens, c'est qu'ils ont du mal à comprendre quels sont les droits et les privilèges d'un citoyen. Le projet de loi ne le précise pas. Il porte sur la citoyenneté, mais ne définit pas les droits ou les responsabilités.
Je pense que c'est le professeur qui a dit qu'il existe une série de droits. Serait-il utile d'énumérer les droits des citoyens quelque part pour que ceux qui le veulent puissent voir eux-mêmes ce que cela signifie d'être citoyen en lisant le projet de loi? Vous avez mentionné ces droits. Il y a notamment le droit de voter lors d'élections à la Chambre des communes et aux assemblées législatives et le droit de se porter candidat. Le même droit existe à l'échelon municipal. Il y a le droit de rester au Canada et les droits de mobilité qu'ont aussi les résidents permanents. C'est ce qu'on dit dans un document que nous avons reçu de la Bibliothèque du Parlement. Il y a les droits à l'instruction des minorités. Il y a aussi le droit de demander un passeport, le droit d'obtenir un emploi prioritaire à la fonction publique fédérale, qui fait maintenant l'objet d'un appel à la Cour suprême, je pense, et le droit ou l'obligation de faire partie d'un jury.
Il me semble qu'avant d'essayer de mieux définir ce qu'est un citoyen, il faudrait au moins savoir quels sont ses droits et ses privilèges aux yeux de la loi. Fait-on vraiment la distinction entre les droits aux yeux de la loi d'un citoyen par opposition à ceux d'un immigrant reçu ou d'un résident du Canada? Fait-on vraiment la distinction entre ces deux genres de responsabilités et de droits?
M. Blake: Quand on m'a invité à témoigner devant votre comité, j'ai fait une recherche sur Internet pour les mots «citoyenneté Canada» et j'ai obtenu une liste de cabinets d'avocats qui travaillent avec les immigrants. J'ai ensuite essayé «Canada citoyenneté» et j'ai obtenu à peu près la même liste. Il y a très peu d'endroits où un Canadien peut trouver ce que cela signifie d'être citoyen.
Bien entendu, certains de mes collègues ont affiché la Charte des droits et libertés sur les murs de leur bureau. Ce sont nos droits à titre de Canadiens. Le projet de loi mentionne la Charte des droits et libertés, mais ce serait une bonne chose qu'on définisse nos droits de façon très claire. La notion de citoyenneté n'est pas simplement juridique. Un drapeau est autre chose qu'un simple bout de tissu.
Cela veut dire quelque chose pour nous quand nous voyons Simon Whitfield porter un drapeau canadien pendant les Olympiques. Tous les membres de ma famille l'ont applaudi et acclamé à ce moment-là. Cela a provoqué un sentiment de fierté parce que c'était un drapeau particulier. C'est un symbole que nous avons appris à apprécier, peut-être par osmose, probablement d'une façon que nos grands-pères ne connaissaient pas. Pour moi et surtout pour mes enfants, cela symbolise qui nous sommes. Quand nous voyageons à l'étranger, ce qui arrive malheureusement trop peu souvent, mes garçons disent toujours: «Oh! un avion canadien ou un drapeau canadien; quelqu'un qui vient du Canada».
Nous devons faire en sorte que la citoyenneté signifie quelque chose pour nous. Un bon point de départ serait de définir ce que cela signifie d'être citoyen canadien.
Le sénateur Grafstein: Dans le projet de loi?
M. Blake: Oui.
Le sénateur Grafstein: Quelqu'un d'autre veut-il ajouter quelque chose?
[Français]
M. Braen: Ce serait bien dans la mesure où l'établissement d'une liste des droits conférés par la citoyenneté permettrait, sur une base pratique, de mieux saisir les conséquences de l'octroi ou de la révocation de la citoyenneté. C'est quelque chose de quasiment impossible puisque pour faire cela, il faudrait réviser toute la législation canadienne et même provinciale. Par exemple, la Loi sur la marine marchande du Canada a été modifiée. Si je veux immatriculer un bateau pour qu'il ait le pavillon canadien, il est spécifié qu'il faut être citoyen canadien. Donc, établir une liste signifierait réviser toute la législation, ce qui est long et ardu, et dès qu'il y aurait une modification à la législation, il faudrait modifier notre liste. Sur le plan légal, reconnaître que la citoyenneté donne un statut, c'est suffisant.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Je n'ai rien à redire à cela. Ce que je n'aime pas, c'est qu'il y ait confusion parmi les membres du public. Vos deux collègues ont dit que le plus important était de renseigner mieux les gens au sujet de la citoyenneté, peu importe comment on la définit. Pour l'instant, la loi ne dit vraiment rien. Je ne propose pas une liste exhaustive. Je propose plutôt une liste donnant des exemples des notions les plus importantes. De toute façon, ce sera pour plus tard.
Michael J. Fox a récemment annoncé qu'il allait prendre la citoyenneté américaine, parce qu'il a quitté le Canada à l'âge de 18 ans et que de ce fait il n'a jamais voté. Il lui paraissait important de participer au processus démocratique américain. Voilà une des raisons invoquées auprès de la presse, l'autre jour, pour expliquer sa demande de citoyenneté américaine: le droit de voter, le droit de participer.
Une autre question sur laquelle j'aimerais vous entendre est celle de la perte de valeur de la citoyenneté. Je vais commencer par le haut, plutôt que par le bas, et parler de la Cour suprême du Canada. J'ai regardé de près la décision de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, décision dont on a beaucoup débattu ici ces dernières années. J'ai constaté que dans sa décision la Cour suprême utilisait le terme «Québécois». À la lecture, cela m'a paru un petit peu étrange que la Cour suprême du Canada, une instance juridique qui doit veiller à ces définitions, quelles qu'elles soient, puisse utiliser le terme de «Québécois». Il me paraissait préférable en effet de parler d'habitants et/ou de citoyens canadiens résidant au Québec, et non pas de Québécois. Est-ce que cela vous a également gênés? Vous parlez du rôle de la citoyenneté et de l'importance de celle-ci. J'attire votre attention sur la langue, et le contenu qu'on donne au terme «citoyenneté» dans les tribunaux.
M. Sears: Je pense que cela dépasse mes compétences. Je pense en réalité que la Cour veut bien dire ce que vous disiez, sénateur: il s'agit des citoyens du Canada, qui ont le droit de vote, et qui habitent au Québec.
Le sénateur Grafstein: Mais ça n'est pas clair. Ça semble d'ailleurs contraire à ce que vous disiez, lorsque vous parliez de clarté, de plus grande clarté, de droits légaux et de droits légaux assortis d'obligations. J'ai l'impression que ça va exactement dans le sens contraire.
M. Sears: Je ne suis pas opposé à l'idée que même les droits définis dans la loi peuvent différer selon les personnes.
Le sénateur Grafstein: Personne n'y trouve à redire. Nous voulons simplement savoir ce que sont ces droits.
Je vais passer maintenant à une autre chose, qui me gêne également. Il s'agit d'éducation. Et là encore c'est peut-être à l'opposé de la thèse que vous défendez. Si vous voulez vous reporter à l'alinéa 6(1)c), qui stipule:
Le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à quiconque, à la fois:
c) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;
Pensez-vous que l'expression «connaissance suffisante» est une condition minimale adéquate, ou que cela doive même être une condition tout court? En tous les cas c'est nouveau.
M. Sears: Ça n'est pas nouveau.
Le sénateur Grafstein: On dit «connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada». Je ne sais pas si c'était dans la loi de 1947.
M. Sears: C'était dans la loi de 1977. Le demandeur doit convaincre le juge de la citoyenneté qu'il parle et comprend l'une des deux langues officielles. D'après ce que je comprends de la loi de 1977, elle comportait une exemption, à savoir que le demandeur qui était au Canada depuis 20 ans pouvait être dispensé de cet examen.
Le sénateur Grafstein: Laissons cette dérogation de côté. Qu'est-ce que vous pensez de cette condition?
M. Sears: Je pense qu'il est raisonnable de s'attendre des habitants du pays qu'ils parlent et comprennent l'une de nos langues officielles. Le terme «suffisante» est de toute évidence nébuleux. C'est difficile à évaluer.
Le sénateur Grafstein: Et si nous nous situons dans une perspective d'éducation civique, quel effet ce terme nébuleux a-t-il sur vous? Et d'ailleurs, pour vous aider à répondre, j'ai déjà fait remarquer à la ministre que très franchement cela me pose problème, car je connais des tas de citoyens qui sont d'excellents citoyens canadiens, et qui n'ont pas cette connaissance de l'une ou l'autre de nos langues officielles.
M. Sears: Je connais également des tas de gens qui feraient d'excellents citoyens canadiens, et qui n'ont pas juridiquement le bénéfice de la citoyenneté. Si vous pensez à cette citoyenneté de façon plus large, vous verrez qu'il est tout à fait imaginable que quelqu'un ait toutes les qualités qui en feraient un excellent citoyen, qui participe à la vie active du pays, qui apporte sa contribution, et cela sans avoir le bénéfice juridique de la citoyenneté. On voit ça tous les jours.
Le sénateur Grafstein: Tenons-nous-en à la citoyenneté. Il s'agit bien d'un statut privilégié.
M. Sears: Oui.
Le sénateur Grafstein: Par exemple, les hôpitaux de Toronto peuvent assurer une traduction dans 87 langues et dialectes différents.
M. Sears: C'est encore autre chose. Le discours dominant de notre société se fait en français et/ou en anglais, et les citoyens doivent effectivement être capables de participer à ce discours. J'appuie cependant le droit des personnes à être jugées dans une langue qu'elles comprennent, en passant par un interprète si nécessaire. Ça c'est encore un petit peu différent de ce dont nous débattons ici autour de cette notion de citoyenneté.
Si nous attendons plus de nos citoyens -- c'est-à-dire que cette citoyenneté ne doit pas simplement être un statut, ça doit être aussi une volonté de participation -- ils doivent alors pouvoir participer pleinement au discours civique, en l'occurrence en français ou en anglais, ou dans les deux. Et je pense que dans ce sens c'est raisonnable comme condition.
Le sénateur Grafstein: Est-ce que je pourrais entendre les autres témoins là-dessus?
M. Blake: Nous voulons que des personnes d'origines différentes puissent coexister dans notre pays. C'est d'ailleurs un trait distinctif du Canada. La Loi sur la citoyenneté doit permettre à ces populations diverses de se rencontrer et de discuter, et de s'entendre, espérons-le, sur un certain ensemble d'objectifs et d'idéaux. On espère également qu'elles puissent trouver un chemin menant à la réalisation de ces objectifs et idéaux, au pays même.
C'est précisément ce type d'ouverture d'esprit qui nous honore. Je vois par exemple à Toronto des tas de gens qui, à mon âge, lors de réunions entre amis, conversent en italien. En même temps ce sont des gens très dévoués à la cause canadienne. Tout outrage au Canada, ils le vivent comme une insulte personnelle. Nous voulons donc cette diversité de personnes, coexistant et partageant des objectifs et idéaux communs.
Le sénateur Grafstein: Mais revenons aux exigences linguistiques de la Loi sur la citoyenneté.
M. Blake: Je pense que la citoyenneté est un privilège investi d'un droit. Il arrive justement qu'on ne fasse pas cette distinction au Canada. Même des gens qui arrivent ici sans parler une langue, et qui ne la parleront jamais de façon satisfaisante, sont cependant de véritables citoyens. Mais pour pouvoir participer à ce discours public, et pour savoir ce qui se passe dans leur pays, je crois qu'il y a un minimum linguistique exigible, dans l'une ou l'autre des langues officielles.
[Français]
Le sénateur Pearson: Monsieur Braen, j'aimerais que vous m'aidiez à comprendre la différence entre la révocation et l'annulation et quelles sont leurs conséquences légales.
M. Braen: Le projet de loi fait une distinction. Dans le processus de révocation, le titulaire du pouvoir c'est le gouvernement. Cela signifie qu'un individu a déjà la citoyenneté. Le gouvernement peut intervenir et révoquer dans les cas prévus aux articles 16 et 17, s'il y a eu fraude et ainsi de suite, mais uniquement si une procédure est prévue.
Un petit peu plus loin, en ce qui concerne l'annulation, on dit que s'il s'agit de l'attribution de la citoyenneté, s'il s'agit d'un cas de réintégration dans la citoyenneté, s'il s'agit d'une demande de répudiation, le ministre peut annuler une décision s'il y a eu, par exemple, fausse dissimulation ou si un des cas prévus à l'article 28 est présent.
Dans les faits, il y a un recoupement, à mon avis, parce que le pouvoir de révoquer du gouverneur en général signifie qu'une personne s'est déjà vu attribuer la citoyenneté.
Par ailleurs, lorsqu'on dit à l'article 18 qu'on peut annuler une attribution de citoyenneté, on semble viser la même catégorie d'individus. Les motifs d'intervention sont différents. La révocation ne peut avoir lieu que s'il s'agit, selon l'article 16, de fraude, de fausse déclaration ou de dissimulation intentionnelle. Donc, il y a eu une attribution suite à une fraude.
L'article 18 parle d'une annulation pour un cas d'attribution de la citoyenneté, mais les motifs sont différents. On dit qu'il s'agit d'une personne qui s'est vue attribuer la citoyenneté alors qu'elle était dans une des catégories de l'article 28, donc un cas d'interdiction. On s'est trompé. Ou encore, s'il y a eu fausse identité.
Le sénateur Pearson: Je comprends cela.
M. Braen: De prime abord, si je lis l'article -- j'ai la version, française --, il semble y avoir un recoupement dans le pouvoir d'annulation et de révocation à l'égard d'un individu qui s'est déjà vu attribuer la citoyenneté canadienne.
Le sénateur Pearson: Si une personne se voit révoquer sa citoyenneté, les actes qu'il a commis, pendant qu'il était citoyen, restent-ils valides?
M. Braen: Tout à fait.
Le sénateur Pearson: Qu'en est-il dans le cas d'une annulation?
M. Braen: En droit civil, oui, mais le droit civil s'applique uniquement au Québec. Lorsqu'on parle d'une décision d'annulation d'un droit, il y a des conséquences. On est supposé remettre les parties au même État. En common law, il n'y a pas la notion tout à fait exacte. Je ne pense pas que la révocation, par exemple, d'une citoyenneté fait en sorte qu'un contrat conclu deux ans auparavant par un individu, soit déclaré nul. Je ne pense pas qu'il y aurait ce genre d'effet. À partir de la révocation et du décret, l'individu perd les droits qui peuvent être reconnus par la législation.
Le sénateur Pearson: Je comprends pour la révocation, mais qu'en est-il pour l'annulation?
M. Braen: Il me semble que c'est la même chose. Si on annule l'attribution d'une citoyenneté en vertu de l'article 28, parce qu'on s'est trompé -- l'individu n'y avait pas droit -- j'ai l'impression qu'à partir du prononcé de l'annulation, on perd ses droits. Toutefois, je ne pense pas que cela ait des effets sur les droits civils antérieurs.
Le sénateur Pearson: Je croyais que cela aurait une incidence sur le droit de vote.
M. Braen: Imaginons le cas où une personne s'est vue attribuer la citoyenneté alors qu'elle n'y avais pas droit en vertu de l'article 28. Quels sont les effets? À l'époque lorsque cette personne a voté, elle en avait le droit. On ne peut pas revenir en arrière. Cela peut affecter son sens d'éligibilité. Si j'avais été candidat à une élection et que j'avais été élu, l'annulation de l'attribution aurait alors un effet parce que je n'ai plus le sens d'éligibilité.
Le sénateur Pearson: J'espère que c'est un cas tout à fait inouï!
Le vice-président: Vous avez piqué ma curiosité parce que l'article 18 fait les distinctions: attribution, conservation, répudiation, réintégration. Donc, lorsqu'on annule, c'est pour une raison qui a toujours été là à l'origine. On annule; autrement dit cela n'a jamais soulevé d'intérêts pour ainsi dire.
Le sénateur Fraser: C'est ce qui est dit dans la version anglaise.
[Traduction]
En anglais, justement, il est précisé «is, and always has been, void» (nulle).
Le vice-président: Oui, c'est exactement cela.
Le sénateur Grafstein: C'est-à-dire que c'est entaché de nullité depuis le début.
[Français]
Le vice-président: Cela n'a jamais été dicté validement.
Le sénateur Nolin: Tout ce qui est nul est toujours nul. C'est un vieux principe de droit civil.
Le vice-président: Mais comme le professeur Braen est un expert en droit administratif, j'aimerais bien savoir ce qu'il en pense.
M. Braen: J'ai la version française du projet de loi. Je n'ai pas la version anglaise et cela semble être un peu différent. On dit ici:
[...] prendre un arrêté déclarant nulle l'attribution, la conservation, [...]
On ne dit pas «et réputé». Il y a une différence. Cependant, encore une fois, quels sont les conséquences qui pourraient découler d'une annulation? Par exemple, j'ai voté aux dernières élections; j'étais citoyen canadien. On m'a annulé l'attribution de la citoyenneté parce que je tombe dans les catégories de l'article 28 et je n'avais pas le droit d'avoir la citoyenneté. Cela veut-il dire que le droit de vote que j'ai exercé est censé n'avoir jamais existé? Je ne crois pas. J'ai voté.
Le sénateur Fraser: Je comprend ce raisonnement. Les raisons pour lesquelles on peut avoir une annulation de citoyenneté sont déjà connues par cette personne. Elle en est déjà consciente. La personne sait si elle a menti sur son identité. Elle sait si elle a été trouvée coupable ou mise en accusation ailleurs. Ce ne sont pas des situations où la personne a fait une erreur honnête. C'est vraiment un cas où elle savait dès le début qu'elle n'avait pas le droit, alors elle en subit les conséquences.
M. Braen: Supposons que je suis armateur et que le navire que je possède puisse battre pavillon canadien, la Loi sur la marine marchande m'oblige à être citoyen canadien. Supposons que cette citoyenneté me soit révoquée, quelles sont les conséquences? Les conséquences sont que je ne réponds plus aux normes de propriété de la loi, mais il n'y a pas d'effet rétroactif. Lorsqu'on parle d'annulation en droit civil, il y a un effet rétroactif. C'est très compliqué la loi.
Le vice-président: On est ici pour expliquer les choses compliquées.
Le sénateur Nolin: J'ai une question à vous poser concernant l'article 21(1). La notion d'intérêt public, n'est pas circonscrite en plein pouvoir discrétionaire dans le cas de l'article 21(1), est attribuée au ministre et, ensuite, échoit au gouverneur en conseil. Si je relis la décision Morales ainsi que celle du juge en chef Lamer sur la notion d'imprécision, pouvez-vous orienter ma réflexion? Est-ce trop imprécis pour que cela ne passe pas le test de la légalité?
M. Braen: C'est une notion d'intérêt public très utilisée autant par les juges que par le législateur. Il y a un large aspect discrétionnaire dans l'application de cette discrétion. Je serais surpris que cela affecte la constitutionalité au sens de l'article 7 de la loi lorsqu'on parle de la précision que la loi doit avoir. Je pense que si vous dites que dans l'intérêt public, le ministre peut faire un rapport, les individus ont une idée. On n'a peut-être pas la même conception, mais on sait à peu près ce que peut être l'intérêt public, c'est-à-dire un large éventail de possibilités. Je ne suis pas surpris par cela. Cette bituib est très utilisée par les législateurs tant fédéral que provinciaux ainsi que par les juges.
Le vice-président: Ce n'est pas imprécis au point d'être institutionnel?
M. Braen: L'article 7 de la Cour suprême l'a invoqué, mais ce n'est pas très clair comme décision. On sait que la loi doit être claire, mais qu'est ce que cela signifie? Lorsqu'on utilise un mot, des difficultés d'interprétation peuvent toujours se poser.
Le sénateur Nolin: Je serais d'accord avec vous s'il y avait une mesure de contrôle de la décision.
M. Braen: Il y a une mesure de contrôle qui existe en vertu du contrôle judiciaire.
Le sénateur Nolin: On contrôlera la légalité, mais à ce moment-là, le Cabinet dira aux tribunaux: «Soyez satisfaits, c'était dans l'intérêt public.» La légalité est donc vérifiée.
M. Braen: La Cour suprême, depuis l'affaire Baker, il y a deux ans, s'est permise une intrusion dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme celui de l'intérêt public. En appliquant une approche pragmatique et fonctionnelle, elle peut en arriver à s'ingérer dans l'exercice de cette discrétion et vérifier si, à son avis, c'est légal ou non.
Le Président: De quel arrêt s'agit-il?
M. Braen: L'arrêt Baker c. le ministre de l'Immigration. Ce n'est pas une notion qui laisse au ministre ou aux autorités exécutives toute la latitude possible. Il y a des limites qui existent en droit face à des notions comme celles-là.
Le sénateur Nolin: L'exécutif ne pourrait pas se servir de son pouvoir discrétionnaire pour aller à l'encontre d'une liberté fondamentale?
M. Braen: Les droits fondamentaux, comme vous le savez, sont protégés. Ils ne peuvent être limités que dans la limite prévue dans la Constitution elle-même. Est-ce que, par exemple, la perte de la citoyenneté fait perdre un droit fondamental? Cela fait perdre des droits constitutionnels, comme on l'a expliqué tantôt. L'article 3 et l'article 6 de la Charte pourraient invoquer cet aspect constitutionnel, effectivement.
Le sénateur Nolin: J'en suis au processus judiciaire respectueux des droits des parties. Si une décision de l'exécutif va affecter mes droits, j'aimerais pouvoir contre-interroger la personne qui m'accuse ou qui soulève des raisons d'affecter mes droits. Toutefois, je n'aurai pas ce droit.
M. Braen: Non. D'abord, il ne s'agit pas de révocation, il s'agit d'attribution. C'est complètement différent. Par ailleurs, en vertu de la jurisprudence du contentieux administratif, il y a un «duty to act fairly», à tout le moins. Même si c'est une décision administrative très discrétionnaire, la jurisprudence s'attend -- ou à mon avis s'attendrait -- à ce que les autorités de l'immigration respectent une certaine procédure, une certaine équité, soit «fair», agisse avec «fairness». Qu'elle donne, par exemple, un avis indiquant une possibilité à l'individu de se faire entendre par écrit. Ce n'est pas parce que c'est omis du texte de la loi que, par ailleurs, cela ne s'applique pas.
La jurisprudence a toujours été constante à ce niveau, depuis l'affaire Nicholson en 1979. Lorsque l'exécutif prend une décision qui affecte les droits de l'individu, et ce serait le cas ici, il existe à ce moment-là une obligation d'agir avec équité. C'est une présomption qui est très forte. Elle ne s'applique pas uniquement si la loi est claire à ce sujet.
Or, si on lit cet article, ce n'est pas clair que le législateur veuille donner toute la latitude au ministre. J'ai l'impression qu'il y aurait un minimum de procédure à respecter. Il faut comprendre que la loi laisse de la souplesse en ce qui concerne l'application et le choix de ces procédures. Parce qu'il y a beaucoup de cas, je suppose, qui devront être traités et on ne peut pas demander une audience chaque fois. C'est mon interprétation.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Je suis un petit peu perdue. Vous dites d'un côté que la notion d'intérêt public est une notion bien établie, et vous n'avez aucune difficulté à accorder au ministre, et donc au Cabinet, le droit de refuser la citoyenneté, dans l'intérêt public. C'est bien cela?
Je ne vois pas que nous ayons progressé dans le sens d'une obligation pour le ministre de s'expliquer. Il n'est pas question ici d'intérêt national, ni de sécurité, ça se trouve à d'autres articles. L'intérêt public doit donc être quelque chose d'autre que ce que ces articles du projet de loi définissent. De ce fait, cette notion d'intérêt public est une espèce de fourre-tout, sans aucune définition.
Je n'ai pas poussé mes recherches là-dessus, mais je vois bien qu'il y a d'autres situations où on pourrait parler d'intérêt public. Mais là-dessus, la ministre n'a pas réussi à nous citer autre chose que le cas des crimes haineux. Je crois que c'est le sénateur Nolin qui, à ce moment-là, a fait remarquer que nous avons un droit pénal pour ces crimes, et il se demandait donc alors pourquoi il faudrait appliquer cet article. Nous avons alors demandé d'autres exemples. La ministre a dit qu'il y en avait, mais qu'elle ne pouvait pas les révéler. Tout cela me mettrait mal à l'aise quant aux valeurs, ou aux réactions du Cabinet lorsqu'il voudrait protéger mes intérêts publics.
Le sénateur Grafstein: Cela n'a nul effet dès le début.
[Français]
M. Braen: Vous avez tout à fait raison parce que, dans d'autres dispositions, la loi prévoit des motifs précis pour l'intervention du gouvernement, tels que la sécurité nationale et ainsi de suite.
Je suis d'accord avec vous. À mon avis, il faut comprendre que l'octroi ou l'attribution d'un pouvoir au ministre, selon un critère discrétionnaire très large comme celui de l'intérêt public, en droit, ne doit pas être perçu comme étant une discrétion illimitée.
De tout temps, les tribunaux ont toujours jugé que l'octroi par le législateur d'une discrétion, aussi large soit-elle, comme la notion d'intérêt public, n'est pas illimitée.
D'abord, il y a une obligation pour le ministre d'agir, lorsqu'il exerce sa discrétion, en conformité avec les objets de la loi. Le ministre ne peut pas tout faire. Il a le pouvoir de faire un rapport et de dire qu'il serait contraire à l'intérêt public que d'attribuer la citoyenneté. Mais en ce faisant, il doit le faire conformément aux objectifs poursuivis par la loi. Autre limite: la bonne foi. Il ne peut pas agir dans l'arbitraire. Il doit agir de bonne foi. Les tribunaux ont donc posé des limites ou des restrictions à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire.
C'est pour cela que je ne partage pas nécessairement votre crainte. L'utilisation d'une expression comme «l'intérêt public», ne m'apparaît pas, en tant que juriste, comme octroyant au gouvernement la capacité de tout faire. Il existera toujours, tant qu'il y aura un principe de la légalité, et c'est constitutionalisé comme vous le savez, il y aura toujours des limites imposées par les tribunaux. Le recours au tribunal judiciaire est donc toujours possible dans des cas d'arbitraire. Je n'ai pas la même crainte que vous, mais il serait peut-être, effectivement, mieux de préciser l'exercice de cette discrétion. Et plutôt que de parler d'intérêt public, si cela nous déplaît, préciser les cas. Le gouvernement va vous dire: «Écoutez, il y a tellement de situations qui peuvent survenir qu'on ne peut pas énumérer une liste, c'est mieux d'avoir un motif, une discrétion.»
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Je ne connais peut-être pas très bien le fonctionnement du Cabinet, mais lorsque nous avons demandé des exemples à la ministre, elle a dit qu'elle n'était pas libre de le faire. Le fait qu'elle n'ait pas pu nous donner des exemples semble indiquer qu'il s'agit de cas d'intérêt national. Est-ce que tous les documents du Cabinet seraient mis à la disposition d'un tribunal?
Deuxièmement, comment interprétez-vous l'article 21 du projet de loi, qui traite de l'intérêt public, avec le paragraphe 22(3)? Le paragraphe 22(3) énonce:
Le décret est définitif, et par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel ni de contrôle judiciaire.
Donc, il s'agit vraiment uniquement de contrôle administratif. Dans le cadre d'un contrôle, le tribunal sera-t-il habilité à ordonner la production de tous les documents dont il a besoin pour que le type d'examen dont vous semblez parler puisse se faire?
[Français]
M. Braen: Je vais répondre d'abord à la deuxième question. En ce qui concerne l'article 22(3), même s'il est édicté que le décret est définitif et qu'il n'est pas susceptible d'appel et de contrôle judiciaire, je ne pense pas que cela écarte le pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour fédérale. Il me semble. On a jugé, dans le cas des provinces, qu'il était inconstitutionnel que d'argumenter que le législateur provincial pouvait écarter le pouvoir de contrôle et de surveillance.
Dans l'affaire MacMillan Bloedel en 1995, la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle, pour le Parlement canadien, sa capacité de pouvoir transférer ce que la Cour a appelé un pouvoir inhérent qui appartient à une cour supérieure et de le donner à un organisme administratif.
Autrement dit, le pouvoir de contrôle et de surveillance fait, de la part de la Cour suprême du Canada, l'objet d'une protection constitutionnelle aux yeux de la Cour suprême du Canada. Cela me surprendrait beaucoup que l'on puisse reconnaître au Parlement du Canada le pouvoir de mettre à l'abri son administration du pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour fédérale ou de la Cour supérieure dans les matières constitutionnelles.
Par ailleurs, en ce qui concerne la question de la preuve et des rapports, il peut y avoir un problème. Vous avez une Loi sur la preuve au Canada et une législation sur l'accès à la documentation gouvernementale, et ainsi de suite, qui permet à l'exécutif de soustraire l'analyse d'une preuve devant un tribunal. À moins de me tromper, c'est le juge en chef de la Cour fédérale du Canada qui doit intervenir, vérifier et constater à même le dossier. Il doit donc jeter un oeil au dossier pour vérifier si oui ou non tout cela peut être l'objet de divulgation, donc peut être transmis à l'autre individu. Il y a donc une intervention ici qui est possible. Pour ce qui est des paramètres, je ne suis pas très familier avec cela.
Le vice-président: Il y a un contrôle final par la cour.
M. Braen: C'est dans la Loi sur la preuve si le Cabinet invoque des arguments secrets.
Le sénateur Nolin: Malgré le paragraphe 3 de l'article 22, vous dites qu'il y aurait un contrôle judiciaire?
M. Braen: Le Parlement canadien, sur le plan constitutionnel, ne peut pas prétendre écarter l'autre pouvoir, le pouvoir judiciaire, de sa capacité de contrôler la légalité d'une décision.
Le vice-président: Je suis convaincu de cela.
Le sénateur Nolin: Le paragraphe 3 est là pour nous dire quoi finalement?
M. Braen: C'est ce qu'on appelle en jargon administratif «une clause privative», pour démontrer aux tribunaux qu'on ne veut pas trop qu'ils se mêlent de nos affaires. C'est effectivement ce que la Cour Suprême va faire.
Le vice-président: Et ils ont le droit de s'en mêler.
Le sénateur Nolin: Malgré le texte très précis de l'article.
M. Braen: Tout à fait. En cas d'illégalité.
Le sénateur Nolin: Il faudrait quand même que les tribunaux entendent le cas. Je ne voudrais pas que sur une mesure préliminaire, l'État, devant la Cour fédérale, dise qu'en vertu du paragraphe 3 de l'article 22 de la loi sur une mesure préliminaire: «Vous êtes bien la Cour fédérale, mais vous n'avez pas le pouvoir d'entendre le cas présent.»
M. Braen: Selon moi, la Cour fédérale peut intervenir.
Le sénateur Nolin: De la façon dont c'est écrit, le Parlement étire un peu son pouvoir.
M. Braen: C'est courant pour un législateur fédéral ou provincial que de s'essayer comme cela. Ce que je dis, c'est que cela n'empêche pas une cour de justice d'intervenir et, par exemple, de vérifier, en contrôlant la discrétion, si effectivement il y a eu une mésinterprétation de ce qu'est l'intérêt public en appliquant les critères de l'affaire Baker et ainsi de suite.
Le sénateur Nolin: Dans une procédure préliminaire, l'État fédéral pourrait-il invoquer le paragraphe 3 et dire au juge de la Cour fédérale: «Vous n'avez pas le pouvoir d'entendre la plainte ou la demande qui est devant vous parce que vous n'avez pas ce pouvoir en vertu du paragraphe 3»?Comme mesure préliminaire, la cour n'a pas encore examiné les faits de la décision, on en est qu'à une mesure préliminaire.
M. Braen: Sur le plan juridique, on ne peut pas avancer cet argument. Si on le fait, une cour de justice en est habilitée, parce qu'une cour de justice peut intervenir non seulement lorsqu'une décision a été prise, mais peut intervenir aussi pour empêcher qu'une décision prétendument illégale soit prise. Sur le plan préliminaire, avec ce genre d'argument, je ne pense pas que cela empêcherait la Cour fédérale d'intervenir et, par exemple, de dire qu'il s'agit du pouvoir de contrôle et de surveillance. Cela est protégé au plan constitutionnel. Je ne veux pas substituer mon opinion à ce qu'est l'intérêt public, mais je vais vérifier si c'est légal, toutefois. Mon avis est que je n'ai pas de crainte de ce côté-là.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: J'ai une observation générale à faire à ce sujet. Nous avons soulevé deux questions juridiques très étroites mais intéressantes. La première concerne les limites judiciaires de l'intérêt public. Il serait très utile d'obtenir de la Bibliothèque du Parlement certains cas traitant de la définition d'«intérêt public» tels qu'ils pourraient s'appliquer dans cette situation. Cela pourrait faciliter nos discussions.
Deuxièmement, le professeur a soulevé un autre point intéressant. Vous vous rappellerez, monsieur le président, que la première chose que l'on nous a apprise en droit administratif c'était The New Despotism de Lord Hewart, qui traitait exactement de ce point, à savoir le rôle des tribunaux par rapport à celui de l'État et les cas où les tribunaux ont la primauté sur l'État, indépendamment de l'existence d'une clause privative. Plutôt que d'en débattre, il serait peut-être utile de demander à notre personnel d'étudier un peu cette question afin que nous sachions au moins à quoi nous en tenir sur la situation actuelle des arrêts de la Cour suprême concernant les clauses privatives.
Le sénateur Andreychuk: Je pense que nous devrions obtenir de l'information sur ces deux questions, et sur une troisième concernant la règle de preuve et la façon dont les tribunaux obtiennent des documents du Cabinet.
Le sénateur Grafstein: Je trouve qu'on est en train de demander aux témoins de nous donner un mémoire juridique. Comme cette question a été soulevée à plusieurs reprises, il serait préférable pour nous d'obtenir de l'information du personnel. C'est aussi une façon d'avertir les conseillers de la ministre que nous poserons des questions à ce sujet et qu'ils ont intérêt à être mieux préparés et à nous donner, lorsqu'ils comparaîtront, des réponses plus définitives qu'ils ne l'ont fait la première fois.
Le vice-président: La ministre revient demain après-midi.
Le sénateur Grafstein: Nous avons donc intérêt à avertir ses collaborateurs qu'il s'agit d'une question importante de définition.
J'aimerais revenir à un sujet qui a été abordé lors d'une séance précédente, et obtenir l'opinion du professeur sur l'article 14 du projet de loi concernant une personne qui a vécu à l'étranger en tant qu'enfant ou petit-enfant d'un citoyen canadien et qui estime être Canadien. J'utiliserai l'exemple classique des enfants de missionnaires qui ont séjourné à l'étranger pendant cette période. En vertu de cette disposition, les personnes dans cette situation, qui estiment être citoyennes canadiennes, ne recevraient aucun avis qu'à l'âge de 28 ans elles risquent de perdre leur citoyenneté et tous les droits qui s'y rattachent, à moins qu'elles aient pris des mesures six ans auparavant concernant les critères de résidence ou un avis quelconque. Il s'agit en fait d'une révocation de la citoyenneté fondée sur une loi précédente sans préavis d'aucune sorte. Il n'y a absolument pas d'application régulière de la loi dans ce cas-là. Il s'agit uniquement d'une déclaration de droit. Cela n'est-il pas un sujet de préoccupation pour vous compte tenu de la Charte des droits?
[Français]
M. Braen: À la fin de mon intervention, je vous avais posé la question à savoir s'il était sage que le législateur fasse une distinction entre révocation et annulation, compte tenu que les conséquences de l'article 14 s'ajoutent à cela, puisqu'il s'agit d'une perte automatique en tant que telle. Évidemment, c'est très grave comme conséquence. Premièrement, l'article 14 n'est pas simple à lire. Il est assez compliqué. Deuxièmement, en termes de conséquence, c'est très grave.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Professeur, la loi fait office de préavis, mais il n'existe aucun préavis particulier communiqué à une personne. Ici encore, le principe général selon lequel on ne peut pas plaider l'ignorance de la loi s'applique ici, par conséquent aucun préavis en tant que tel n'est donné au particulier bien qu'il incombe au particulier de ne pas plaider l'ignorance de la loi. Cela devient la loi. Il reste à déterminer si cela est juste et raisonnable. Cette disposition est-elle à l'abri de toute contestation en vertu de la Charte?
[Français]
M. Braen: Est-ce contre la Charte dans la mesure où il y a perte éventuelle de droit constitutionnel? Sur le plan de la procédure, pour agir équitablement, les autorités de l'immigration devraient, premièrement, aviser au moins l'individu qu'il risque de perdre sa citoyenneté, compte tenu de l'article 14.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: C'est à l'âge de 22 ans car les dispositions du projet de loi exigent que ces candidats séjournent ici six années avant d'atteindre l'âge de 28 ans. De fait, ils découvrent à l'âge de 28 ans qu'ils perdent leur citoyenneté mais, à cause de l'exigence concernant la résidence dont ils sont avisés à l'âge de 22 ans, cela devient inéluctable. D'une certaine manière cela semble assez alambiqué.
[Français]
M. Braen: Les autorités de l'immigration devraient, avant de faire perdre la citoyenneté à cet individu, compte tenu de l'article 14, au moins utiliser une procédure minimale qui serait, à mon avis, d'aviser l'individu qu'il entre dans le champ d'application de l'article 14, et au moins l'entendre en tant que tel.
La première des choses sur le plan de la procédure, et compte tenu de l'état de la jurisprudence canadienne en ce qui a trait à l'application de la justice naturelle ou encore le «duty to act fairly», il me semble qu'il y a des garanties offertes par le droit, qui ne se retrouvent pas dans la loi mais qui sont offertes par le droit et qui viennent limiter le champ d'application de l'article 14. Par ailleurs, les conséquences sont très graves, comme vous le dites. On s'aperçoit que dans un tel cas, c'est quasi automatique; il n'y a aucune intervention de prévue par la Cour fédérale du Canada. N'y aurait-il pas lieu, comme dans les autres cas de fraude, de dissimulation d'identité, et ainsi de suite, de faire intervenir une Cour de justice, comme la Cour fédérale, compte tenu des conséquences qui découlent de la perte de la citoyenneté même si elle est automatique? Je pense qu'il est sage de poser la question comme vous l'avez fait.
[Traduction]
Le vice-président: À l'article 7 de la Charte, on trouve l'expression «avec les principes de justice fondamentale». C'est au coeur de la Charte et la Charte est au coeur de la Constitution.
Le sénateur Grafstein: Je rappelle au président le témoignage du fonctionnaire du ministère de la Justice qui nous a signalé que l'obligation n'incombait ni au gouvernement, ni à l'État, mais plutôt aux particuliers qui doivent se tenir au courant. Cette obligation n'incombe pas à l'État. La question est importante: à qui incombe l'obligation en l'occurrence? Incombe-t-il à l'État de donner l'avis de révocation ou incombe-t-il aux citoyens de se tenir au courant afin d'être conscients que leurs droits peuvent être révoqués sans préavis?
M. Braen: Si on invoque la notion d'équité, il incombe à l'État d'informer les citoyens.
Le sénateur Grafstein: Je pose cette question car si les témoins représentant le gouvernement comparaissent, je vais leur demander de traiter de cet aspect.
Le sénateur Joyal: Ma question est dans la même veine que la question précédente et elle est liée aux remarques du sénateur Grafstein.
[Français]
Monsieur Braen, mon interprétation de l'article 17(3), le pouvoir de surveillance et de contrôle des tribunaux supérieurs sur les tribunaux inférieurs, est la suivante: nous avons affaire ici à une décision de la Cour d'appel de la Cour fédérale division de première instance. On refuse, dans cet article, le droit de requérir la permission d'en appeler. On ne refuse pas le droit d'appel, on refuse le droit de la permission d'en appeler. Il y a une différence, à mon avis, importante entre un processus de respect des différentes étapes du processus judiciaire habituel, qui est de prévoir différents niveaux d'appels, quoique au fur et à mesure que l'on progresse dans la hiérarchie judiciaire, il y a des conditions plus strictes qui gèrent l'appel. Par exemple, on n'a pas un droit stricte d'en appeler à la Cour suprême; on requiert le droit d'en appeler à la Cour suprême. On vit, je pense, avec ce principe de façon tout à fait acceptable.
Dans le cas présent, on refuse à un individu la capacité de requérir la permission d'en appeler. Lorsque vous dites que malgré tout un individu peut toujours faire appel au pouvoir général de surveillance des tribunaux, vous modifiez le système par lequel les droits d'une personne sont normalement débattus. Vous faites passer la décision d'une approche régulière de discussion et de décision pour la relancer dans la responsabilité plus générale des tribunaux. Ce n'est pas la même chose du tout, à mon avis. Lorsque l'on dit que malgré le fait qu'il y ait des clauses exclusives comme celles-là qui refusent le droit d'en appeler, cela n'empêche pas et cela n'exclu pas de façon globale le pouvoir de surveillance des tribunaux supérieurs sur les tribunaux inférieurs. Il n'en demeure pas moins que l'individu qui est face à cette situation, se retrouve dans une condition tout à fait différente que celui qui épuise le processus normal d'appel suite à une décision. Lorsque vous faites appel au pouvoir de surveillance et de contrôle des tribunaux, il ne contrôle pas exactement les mêmes éléments de la décision que si le processus est régulier à l'intérieur d'un système d'appel normal. Quand je dis normal, je veux dire régulier. Donc, on prend une décision qui est engagée dans un processus de discussion judiciaire et on le place à l'intérieur d'une responsabilité plus large des tribunaux. On ne lui donne pas la même garantie de droit que s'il peut requérir une décision d'en appeler. Je pense qu'il y a une nuance à faire entre les deux. Ce qu'on fait dans le cas présent, et je vais utiliser une expression anglaise pour le décrire...
[Traduction]
Nous faisons passer le système sous le contrôle général des tribunaux alors que les particuliers devraient avoir la possibilité de demander la permission de faire appel.
[Français]
Il y a une différence fondamentale entre les deux. Je pense que l'article, tel que rédigé, limite les droits d'un individu d'avoir un «due process» qui correspond à la philosophie du droit qu'on veut suivre, comme vous le dites vous-même et contre lesquels on se bat. Si on se bat contre ce type de clause exclusive, on devrait l'amender, à mon avis, pour rétablir ce qui est normallement le processus habituel dans des décisions aussi importantes pour les individus que celui de se faire priver de sa citoyenneté.
M. Braen: Vous avez tout à fait raison. Vous vous souviendrez qu'au début, lors de mes commentaires généraux, j'ai dit qu'il était curieux que le législateur fasse une distinction entre le processus de révocation par le gouverneur en conseil et le processus d'annulation par le ministre.
Dans le cas du processus de révocation, il y a possibilité d'une intervention de la Cour fédérale de première instance, qui juge si oui ou non il y a eu fraude. C'est cette intervention qui n'est pas susceptible d'appel. Normallement, en vertu de la Loi sur la Cour fédérale du Canada, il y a un appel des décisions finales, rendues par la division de première instance, devant la Cour d'appel fédérale. Dans la projet de loi C-16, on exclu cela. Par ailleurs, en ce qui a trait à la capacité d'annuler, on ne fait plus intervenir la Cour fédérale pour juger du fond, on la fait intervenir en tant qu'organisme de contrôle pour vérifier la légalité de la décision. Ce n'est plus là une décision qui touche le fond.
Or, la question que je posais était: pourquoi est-ce qu'on fait cette différence dans le cas des deux processus puisqu'en bout de ligne le résultat est le même? En bout de ligne, le citoyen est susceptible de perdre sa citoyenneté.
Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites. C'est un cas grave et si vous le jugez sage, il y aurait peut-être lieu de prévoir une place un peu plus grande pour le pouvoir judiciaire qui devrait être normalement la sienne.
Le vice-président: Comme vous l'avez constaté, c'est un débat extrêmement intéressant et très difficile.
[Traduction]
Sénateurs, nous accueillons maintenant des représentants de la coalition des synagogues concernant le droit, du Kitchener-Waterloo Multicultural Centre et du Metro Toronto Chinese & Southeast Asian Legal Clinic.
[Français]
M. Kenneth M. Narvey, chercheur juridique et dirigeant responsable des opérations, de la Coalition des synagogues concernant le droit relatif aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, y compris ceux de l'Holocauste: Je suis dirigeant d'une coalition de six synagogues dans la région du grand Montréal.
[Traduction]
Je pense que vous avez tous copie de ma lettre en date du 27 septembre adressée à M. Heyde. J'en ai des exemplaires supplémentaires ici pour ceux qui ne l'auraient pas. Au moment des questions, je ferai peut-être distribuer des extraits de l'affaire Tobias en Cour suprême du Canada, à laquelle je me reporte dans le texte de ma lettre à M. Heyde. J'ai également des copies d'une lettre adressée au sénateur Finestone, le 26 juin.
Le professeur Braen a affirmé qu'il serait peut-être judicieux de ne pas laisser exclusivement à la Division de première instance de la Cour fédérale le soin de décider si une personne a obtenu la citoyenneté de façon frauduleuse ou non et qu'il serait peut-être opportun d'offrir la possibilité d'interjeter appel d'une décision devant la Cour d'appel fédérale. C'est pour l'essentiel mon propos aujourd'hui, et je vais apporter un grand nombre de détails. À la lecture de ma lettre à M. Heyde, vous constaterez que je préconise que ceux qui témoignent devant un comité législatif présentent en anglais et en français le libellé des amendements qu'ils proposent.
Le vice-président: Vous pouvez constater que la question de l'appel a été abordée par bien des gens ici.
M. Narvey: Non seulement je l'ai constaté, mais j'ai ici la référence renvoyant aux pages de leurs témoignages où ils en parlent. Des témoins précédents ont demandé ce qu'il faudrait faire. Quant à moi, je voudrais parler de la façon de faire. Un comité ne peut pas se prononcer sur une idée mais il peut adopter une motion portant sur une proposition d'amendement précise. Je propose six motions numérotées de 1 à 6 et précédées des lettres CdS-CPdS -- identifiant la Coalition des synagogues concernant le droit-comité permanent du Sénat.
Hier, vous avez reçu de l'Association du Barreau canadien, un classeur qui a été préparé il y a plus d'un an pendant les délibérations sur le projet de loi C-63 à la Chambre des communes. Tout comme nous, l'Association du Barreau canadien préconise qu'on offre la possibilité d'interjeter appel avec l'autorisation de la Cour d'appel. Le Barreau du Québec en fait autant, tout comme M. Matas.
J'ai témoigné devant le comité de la Chambre des communes et j'y ai présenté trois amendements, dont deux ont été adoptés. Les circonstances entourant le rejet du troisième vous intéressent sans doute.
Comme M. Matas, je pensais que la solution était très simple et qu'il suffisait de modifier le paragraphe 17(3) pour dire, contrairement à l'interdiction qui s'y trouve, que le droit d'appel existe avec autorisation préalable de la Cour d'appel. M. Sabourin, greffier de la citoyenneté canadienne, m'a fait remarquer que les choses étaient plus compliquées que cela. Il faudrait également modifier le paragraphe 17(1). Par conséquent, j'ai préparé un libellé pour concrétiser mon idée et l'ai présenté au comité de la Chambre des communes sous forme de proposition d'amendement. M. Sabourin a signalé aux membres du comité que l'idée n'était pas bonne et que le gouvernement ne l'appuyait pas. Il craignait que cela ouvre droit à une procédure judiciaire en bonne et due forme selon laquelle, avec l'autorisation, on pourrait en appeler à la Cour d'appel fédérale et, avec l'autorisation, se rendre en appel à la Cour suprême du Canada et il se demandait pourquoi on procéderait ainsi puisque, une fois tout cela fait, il fallait quand même un rapport du ministre et l'intervention du gouverneur en conseil. Par conséquent, le comité a rejeté l'amendement.
J'ai rédigé un autre amendement qui a été proposé à l'étape du rapport à la Chambre des communes, amendement qui aurait établi ce que la ministre a qualifié, l'autre jour, de procédure purement judiciaire. En effet, cet amendement proposait l'exclusion de l'intervention du gouverneur en conseil, le ministre devenant un procureur et non un juge. Je vous aurais présenté ce libellé à vous aussi, car il était appuyé par le B'nai Brith, le Congrès germano-canadien, le Congrès ukrainien canadien, et un grand nombre de députés, même si ce n'était pas la majorité, mais la ministre Caplan a l'autre jour prononcé des paroles percutantes. Elle m'a convaincu que je devais corriger le tir.
Dans sa déclaration liminaire, la ministre Caplan a dit que le système actuel était satisfaisant car le gouverneur en conseil aura la possibilité de tenir compte de toutes les questions de droit de même que des considérations humanitaires. En réponse à une question du sénateur Andreychuk, elle a dit que le système actuel était satisfaisant car si une personne avait dû mentir pour des raisons valables, la Cour n'aurait pas le choix et devrait quand même révoquer sa citoyenneté alors que le gouverneur en conseil peut prendre en considération des raisons humanitaires.
J'ai pris très au sérieux les propos de la ministre concernant cet aspect-là et je pense que la solution est un moyen terme entre ce qu'elle a dit et ce que je préconise. Je vous soumets donc le résultat de ma réflexion.
Selon moi, la ministre a à moitié raison. Il faut prendre en compte les considérations humanitaires et il se peut que le gouverneur en conseil soit tout désigné pour cela. J'ai écouté la discussion jusqu'à présent, mai je ne suis pas tout à fait convaincu qu'il soit opportun que le gouverneur en conseil prenne des décisions concernant les droits car les réunions du conseil des ministres se tiennent à huis clos, sont secrètes, et on ne peut pas s'y faire entendre. Toutefois, si le conseil des ministres se penchait sur des raisons humanitaires, le système ne serait pas pire qu'il l'est actuellement. Cependant, à mon humble avis, il est tout à fait déplacé que le gouverneur en conseil se penche sur des questions de droit. Le gouverneur en conseil n'a pas cette compétence.
Deux excellents juges, le juge Noël, et le juge Lutfy, qui tous les deux ont été promus dans la hiérarchie judiciaire depuis les jugements qu'ils ont rendus, sont d'un avis diamétralement opposé quant à savoir s'il existe un fondement juridique pour les enquêtes de sécurité menées avant juin 1950. Une Cour d'appel peut trancher, donner raison à l'un ou à l'autre mais le gouverneur en conseil ne peut pas le faire. Le ministre des Pêches, que j'aime bien et que je respecte, n'est certainement pas habilité à décider si c'est le juge Noël ou le juge Lutfy qui a raison.
Ainsi, j'ai choisi de rédiger un nouvel article. Comme vous le constatez, j'aime bien rédiger, en anglais et en français, mais je suis toujours prêt à accepter les critiques. Il ne s'agit pas d'un libellé parfait. En fait, je vous signale tout de suite une erreur qui se trouve à la page 16 de mon texte.
Je recommande, comme le précise le libellé que je propose ici, qu'il y ait un mécanisme par lequel le ministre serait le poursuivant, mais la décision serait laissée aux tribunaux.
C'est la Section de première instance de la Cour fédérale qui décide s'il y a eu fraude, et cetera. Comme l'a souligné M. Matas, il est injuste qu'il n'y ait aucune possibilité à l'heure actuelle d'en appeler de la décision du ministre. La personne peut demander la permission d'en appeler de sa décision, mais n'obtiendra pas nécessairement cette permission de la Cour fédérale d'appel. Si sa demande d'autorisation d'en appeler de la décision est rejetée, elle pourra demander l'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada. Nous proposons un nouveau paragraphe 17(3) libellé en ces termes: «suivant ce processus, s'il y a eu révocation par les tribunaux». M. Doody, au nom des Ukrainiens, a fait remarquer que quelqu'un avait dit: «qu'on laisse aux tribunaux le soin de faire cela», et ce quelqu'un, c'était moi.
Après cela, comme c'est déjà prévu dans plusieurs mesures législatives existantes, la personne devrait pouvoir demander au gouverneur en conseil d'ordonner au ministre de lui redonner sa citoyenneté pour des raisons humanitaires.
Il y a encore beaucoup plus de détails que je n'ai pas pu vous présenter. Si je n'ai pas le temps de vous parler de toutes les modifications que je préconise, je demanderai que le paragraphe 17(3) soit reformulé en français pour ne pas semer la confusion et le désordre relativement à l'affaire Tobias.
J'ai sans doute pris plus de cinq minutes, mais j'attends vos questions.
Mme Vera Golini, membre du conseil d'administration, Kitchener-Waterloo Multicultural Centre: Merci de bien vouloir nous entendre aujourd'hui. Quelqu'un de notre centre devait être ici aujourd'hui, mais elle a dû être hospitalisée. Je ne suis pas aussi compétente qu'elle en la matière, mais ma compassion est aussi grande que la sienne.
Le cas de notre centre est intéressant, non pas seulement parce que nous fêtons ce mois-ci notre 30e anniversaire, mais aussi parce que nous nous occupons chaque année d'environ 9 000 personnes. Nous nous occupons des problèmes et des besoins des nouveaux immigrants. Notre centre est quatrième au Canada pour ce qui est du nombre d'immigrants qu'il accueille. Notre personnel compte 15 employés qui traitent avec 47 groupes linguistiques.
Nous sommes très préoccupés par le projet de loi C-16, parce qu'il nous touche de façon très directe, sur le plan tant historique que présent. Ce qui nous inquiète surtout, c'est l'absence d'une procédure d'appel. Nous sommes également préoccupés par le fait que les juges de la citoyenneté seront remplacés par des commissaires. Je vais vous parler de ces deux points-là, puisque ce sont ceux qui nous touchent le plus directement, et je laisserai le soin aux autres groupes de vous parler des points qui les préoccupent particulièrement.
La principale inquiétude que nous avons au sujet du projet de loi C-16 tient au fait qu'il ne prévoit aucun mécanisme d'appel pour les personnes trouvées coupables d'avoir obtenu la citoyenneté de façon frauduleuse. En outre, nous ne sommes pas d'accord pour dire que la décision ultime concernant la révocation de la citoyenneté devrait appartenir au gouverneur en conseil. Nous sommes d'avis que cette décision devrait plutôt appartenir à la magistrature.
Nous tenons à déclarer notre opposition au fait que la révocation de la citoyenneté soit soumise à une procédure judiciaire inacceptable parce les décisions y seront prises selon la prépondérance des probabilités sans qu'il soit possible d'en appeler. La citoyenneté tient à coeur à tous les Canadiens. Aussi, il ne faudrait pas donner à des hommes et des femmes politiques, comme le ministre de la Citoyenneté et ses collègues ministres, le privilège de révoquer la citoyenneté par le biais d'une procédure judiciaire imparfaite.
Pour ce qui est des conclusions de fait, il devrait appartenir au tribunal de première instance de décider des faits permettant de conclure que la citoyenneté a été obtenue de façon frauduleuse. Il devrait également être possible de se rendre jusqu'à la Cour suprême pour en appeler de cette décision. Une fois tous les recours épuisés et une fois confirmée la décision de l'instance ou des instances inférieures selon laquelle la citoyenneté a été obtenue de façon frauduleuse, le conseil des ministres peut alors imposer la révocation de la citoyenneté, tout en se réservant le droit de tenir compte de considérations humanitaires. Il s'agit là d'un point important qui est au coeur même de la compassion qui fait la réputation du Canada. Il faudrait aussi faire une place à cette compassion.
Les recherches qui ont été faites dans les pays du Commonwealth et dans les textes de loi sur la citoyenneté révèlent qu'un certain nombre de pays indépendants exigent une procédure judiciaire d'application régulière de la loi pour les cas de révocation de la citoyenneté. Il n'y a donc pas de véritable fondement à l'affirmation selon laquelle le processus qui est proposé pour révoquer la citoyenneté canadienne existe dans presque tous les pays du Commonwealth, comme on l'a déclaré ailleurs. C'est ce que dit M. Narvey dans la lettre qu'il vous a fait remettre, et nous vous implorons de tenir compte de ses conclusions et de celles d'autres chercheurs.
Nous croyons qu'un des principes fondamentaux de notre société démocratique veut que le citoyen qui a été reconnu coupable par un tribunal ait le droit d'en appeler de cette décision. Il en est d'ailleurs ainsi tant pour les visiteurs que pour les citoyens nés au Canada. Nous soutenons que ce droit doit aussi s'appliquer aux Canadiens naturalisés, c'est-à-dire à ceux qui sont devenus citoyens canadiens par choix. Le projet de loi à l'étude ne leur donne pas ce droit. En abaissant la norme de preuve pour les cas de révocation de la citoyenneté, on enlève de sa valeur à la citoyenneté de ces gens-là. C'est donc une décision qui ne saurait être prise à la légère.
Étant moi-même Canadienne d'origine italienne, je suis consciente de l'importance fondamentale de ce droit. Je ne suis pas mariée et je n'ai pas d'enfant, mais j'ai ma profession, et c'est ma citoyenneté qui m'a permis d'y accéder. Je tiens à bien faire comprendre que cette question touche pas moins de 20 p. 100 des Canadiens, c'est-à-dire quelque six millions de Canadiens. Voilà le nombre de ceux qui, comme moi, sont devenus citoyens canadiens par choix.
En tant que citoyenne canadienne née en Italie, je suis directement concernée par cette affaire. Il me paraît inconcevable que si j'étais reconnue coupable d'avoir fraudé pour devenir citoyenne canadienne -- ce que je n'ai pas fait -- je n'aurais aucune possibilité d'en appeler de la décision avant qu'on ne m'enlève ce qui me tient le plus à coeur, ma citoyenneté canadienne.
Notre deuxième sujet de préoccupation concernant le projet de loi C-16, dont je parlerai plus brièvement, est le fait qu'il remplace les juges de la citoyenneté par des commissaires qui seront nommés. Nous soutenons que le pouvoir d'accorder la citoyenneté devrait être confié à une personne investie de l'indépendance judiciaire. Ainsi, tant l'octroi que la révocation de la citoyenneté se feraient par la voie d'un processus officiel qui serait, non pas politique, mais juridique. En outre, nous estimons qu'il n'est pas nécessaire d'exiger de ces juges ou de ces commissaires qu'ils aient reçu l'Ordre du Canada. Ce n'est pas nécessaire à l'heure actuelle. Certains l'ont reçu, et d'autres pas. S'il avait fallu suivre cette règle, nous aurions été privés des services de juges très estimés, comme Lorna Van Mossel et Robert Sommerville.
La citoyenneté devrait être octroyée ou accordée en se fondant sur une épreuve évaluant la connaissance du Canada et sur une entrevue avec un juge de la citoyenneté. C'est à partir de ce moment-là qu'on acquiert le sens civique; c'est à partir de ce moment-là qu'on fait ses premiers pas comme citoyens canadiens. Je peux vous assurer que beaucoup de ceux qui, comme moi, ont obtenu la citoyenneté à un âge où ils étaient conscients de ce qu'ils faisaient se souviennent de deux dates, celle où ils se sont mariés et celle où ils ont obtenu leur citoyenneté.
En conclusion, je tient à vous signaler que, au Centre multiculturel de Kitchener-Waterloo, nous sommes au courant des vues et du travail de notre député, M. Andrew Telegdi, relativement au projet de loi C-16. Au nom de notre centre, je tiens à vous dire que nous appuyons entièrement le travail et les opinions de notre député. Il vous a déjà fait entendre son plaidoyer. Vous savez ce qu'il a dit et écrit sur le sujet. Nous l'appuyons entièrement, et nous implorons le Sénat de tenir pleinement compte de ses recommandations et de les appuyer.
M. Victor Wong, représentant, Metro Toronto Chinese & Southeast Asian Legal Clinic: Monsieur le président, honorables sénateurs, je suis le directeur exécutif de la Vancouver Association of Chinese Canadians. Nous sommes une organisation locale de lutte contre le racisme et de défense des droits de la personne qui a son siège à Vancouver. Je représente aujourd'hui mes collègues de la Clinique d'aide juridique du grand Toronto pour les immigrants en provenance de la Chine et du Sud-est asiatique. La clinique juridique est une organisation à but non lucratif qui aide les immigrants et les réfugiés à faible revenu. Elle a son siège à Toronto.
Nos deux organisations travaillent ensemble, de même qu'avec d'autres organisations qui militent pour l'égalité, notamment le Conseil canadien pour les réfugiés et le Chinese Canadian National Council. Beaucoup des observations que vous avez entendues aujourd'hui se trouvent dans notre mémoire. Je ne veux pas répéter ce que l'on vous a déjà dit. Je me contenterai plutôt de faire ressortir certains points que nous voulons porter à votre attention.
Notre travail se fait auprès des réfugiés, des demandeurs du statut de réfugié, des visiteurs, des personnes sans papier et des groupes vulnérables. Ces personnes ont droit à l'entière protection de la Charte pendant le temps où elles cherchent à obtenir un statut juridique au Canada. Elles ont aussi pleinement droit à l'application régulière de la loi. Je n'arrive donc pas à comprendre pourquoi nous n'accorderions pas l'entière protection de la Charte à cette tranche de 20 p. 100 de notre population qui décide, par choix, comme l'a dit Mme Golini, de devenir citoyenne canadienne.
Nous sommes d'avis que le projet de loi témoigne d'un parti pris un peu trop favorable au ministre et au conseil des ministres. Il n'accorde peut-être pas assez d'importance à la personne concernée pour qu'elle puisse faire contrepoids à ce pouvoir. Il devrait y avoir aussi un autre contrepoids du côté de la magistrature. Comme l'ont signalé les témoins qui m'ont précédé, il y aurait des améliorations à apporter à cet égard.
Dans le cas des dispositions relatives à l'annulation et à la révocation de la citoyenneté, les modalités d'application de la norme de preuve ne nous paraissent pas très claires. Nous estimons que, pour quelque chose d'aussi sérieux que l'annulation ou la révocation de la citoyenneté de quelqu'un, la norme de preuve devrait être élevée. C'est le principe «hors d'un doute raisonnable» qui devrait s'appliquer. Que l'on soit convaincu que la citoyenneté devrait être annulée ou révoquée ne devrait pas être suffisant. Si la personne en appelle de la décision devant la Cour fédérale, la cour cherchera uniquement à savoir si la procédure administrative en place a été suivie. Il faut une norme plus élevée quand il s'agit de quelque chose d'aussi sérieux que de retirer à quelqu'un sa citoyenneté.
Pour ce qui est du processus, nous vous recommandons d'envisager de confier la prise de décision à une personne indépendante. Le ministre voudra peut-être jouer le rôle de la poursuite dans les cas de révocation de la citoyenneté, mais sans être aussi appelé à prendre la décision.
Nous sommes préoccupés par la définition de l'intérêt public dont il est question aux articles 21 et 22. La définition n'est pas assez large. Nous voulons rappeler aux sénateurs ce moment de xénophobie dans l'histoire canadienne qu'a été le traitement réservé aux Canadiens de race japonaise nés ici au Canada. L'hystérie qui prévalait pendant la guerre a conduit à leur expulsion du Canada. C'est là un exemple de la révocation de la citoyenneté canadienne. L'opinion publique à l'époque était manifestement plus à droite que la position du gouvernement. Le gouvernement avait donc l'appui de la population. Cette décision était clairement dans l'intérêt public à l'époque. Nous savons maintenant qu'elle était erronée. Notre organisation a des réserves au sujet du terme «intérêt public». Nous vous incitons fortement à demander qu'il soit clarifié, sinon carrément supprimé.
À propos des modalités de calcul du nombre de jours qui sont prévues à l'article 6 du projet de loi, le gouvernement a modifié la façon de calculer le nombre de jours dans le cas des réfugiés, des demandeurs du statut de réfugié, des visiteurs et des personnes sans papier. Selon la règle actuelle, le calcul aux fins de la durée de la résidence se fait à raison d'un demi-jour pour chaque jour de résidence depuis l'arrivée de la personne. Prenons le cas de la personne qui demanderait le statut de réfugié après avoir déjà passé beaucoup de temps -- des mois ou des années -- au Canada ou encore celui du visiteur qui resterait au-delà de l'expiration de son visa de visiteur ou celui d'une personne sans papier ou d'une personne qui serait entrée au pays illégalement et qui serait ensuite admise officiellement au Canada. À l'heure actuelle, le calcul se fait à partir du jour de son arrivée. La ministre propose que le calcul se fasse à partir du jour où la personne est admise de façon officielle.
Nous avons eu l'occasion de travailler avec les immigrants qui sont arrivés par bateau sur la côte de la Colombie-Britannique. Je sais que deux d'entre eux ont récemment été admis officiellement. Ils avaient déjà passé 13 mois en détention. Aux termes de la nouvelle loi, le calcul se ferait à partir du jour où ils auraient reçu le statut juridique de réfugié au sens de la Convention, c'est-à-dire il y a environ un mois peut-être. Mais ils sont au Canada depuis déjà 13 ou 14 mois.
À quoi sert-il de faire attendre ces personnes six ou sept mois encore pour obtenir la citoyenneté? Je tiens à vous faire remarquer que ces gens qui ont travaillé en tant que personnes marginalisées, qui sont membres de groupes vulnérables, ou qui ont peut-être exprimé le désir de rester ici, tiennent beaucoup à devenir Canadiens. Pourquoi retarder délibérément la possibilité pour eux d'obtenir la citoyenneté? L'objectif ici est d'encourager tous les résidents permanents à s'intégrer, à participer pleinement à la société canadienne et à devenir des citoyens à part entière.
Enfin, en ce qui concerne le statut d'apatride, je ne comprends absolument pas la raison d'être d'une telle disposition. Pourquoi voulez-vous faire cela? Pourquoi à 28 ans et non pas à 38? Pourquoi ne pas le faire à 48 ou à 58 ans? À quoi sert cette disposition? Les témoins qui m'ont précédé, qui sont des experts, ont parlé de la nécessité d'avoir une procédure. Un des sénateurs a fait la même observation. Toutefois, une administration serait tenue de retrouver toutes ces personnes pour les prévenir qu'elles sont sur le point de devenir apatrides. À quoi cette disposition peut-elle servir? À mon sens, c'est une mesure tout à fait inutile.
Nos recommandations ne sont pas aussi précises que celles de mon collègue, M. Narvey. Nous prions instamment le comité d'envisager des amendements pour supprimer ou modifier ces articles du projet de loi qui sont problématiques.
Le sénateur Andreychuk: Votre position est très claire et se rapproche d'observations faites par plusieurs témoins. Avez-vous eu l'occasion de discuter avec le ministre de votre position au sujet de ces 20 p. 100 de Canadiens? En particulier, est-ce que des membres de votre association ont discuté du processus d'appel et de l'intérêt public à la lumière des exemples que vous avez donnés?
M. Wong: Mes collègues ont fait des instances auprès de la Chambre des communes. Je ne sais pas s'ils ont parlé directement au ministre. Je sais qu'ils ont fait des exposés et présenté des mémoires au comité depuis le projet de loi C-63, mais personnellement, je ne l'ai pas fait car je m'intéressais principalement aux réfugiés de la mer, une question qui comporte certains aspects politiques.
Le sénateur Andreychuk: Ma question suivante porte sur les droits et les obligations des citoyens. D'après le projet de loi, qu'un citoyen soit né au Canada ou pas, il a droit à tous le droits, pouvoirs et privilèges et il est sujet à toutes les obligations, devoirs et responsabilités d'un citoyen de naissance, bref, il a exactement le même statut.
Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, ces 20 p. 100 dont vous défendez les intérêts, pensez-vous qu'ils se sentiront les égaux des Canadiens nés ici? Est-ce que c'est un des problèmes, est-ce la raison pour laquelle vous souhaitez une possibilité d'appel?
M. Wong: Seuls ceux dont la citoyenneté peut être révoquée ou annulée ont un problème. Les Canadiens nés ici seront toujours canadiens.
Le sénateur Andreychuk: Certains témoins sont venus nous dire qu'ils ont cette crainte, ils se sentent comme des citoyens de seconde classe et ils souhaitent avoir cette procédure de recours. D'autres Canadiens se demandent ce qui les inquiète, se disent que si ces gens-là n'ont rien fait de mal, pourquoi se sentent-ils menacés? De quel côté penche-t-on dans votre communauté?
Mme Golini: Dans nos communautés, un citoyen qui n'est pas né ici a l'impression qu'il n'est pas citoyen au même titre qu'une personne née ici. En fait, il y a cette menace invisible de révocation, même s'ils n'ont pas obtenu leur citoyenneté par des moyens répréhensibles ou frauduleux. Ils se disent que le moment venu, ils ne réussiront peut-être pas à prouver la vérité en l'absence d'un processus d'appel. C'est le point épineux. Certains citoyens semblent plus citoyens que les autres.
M. Narvey: Pour commencer, l'article 12, qui explique que nous sommes tous égaux, comporte lui-même une inégalité inévitable. Nous sommes tous d'accord: ceux qui ont eu la chance de naître ici ne peuvent pas perdre leur citoyenneté, mais ceux qui ont eu la chance de venir s'établir ici peuvent la perdre. On se pose donc la question: comment est-il possible de perdre une citoyenneté? Pour ceux qui risquent de la perdre, ce qui semble injuste, c'est l'absence d'une possibilité d'appel. D'un autre côté, il y a une autre injustice, comme M. Matas l'a expliqué, l'injustice envers les victimes, à l'égard de laquelle le ministre ne peut pas faire appel. Je ne sais pas qui a eu cette idée de génie de ne pas prévoir d'appel, mais nulle part ailleurs le Parlement ne présume qu'un juge de première instance a eu une infaillibilité magique.
On a demandé à M. Wong s'il avait parlé avec le ministre. Je dois dire que le ministre a refusé de me parler, à moi. M. Sabourin, qui jadis me parlait avec amabilité, refuse maintenant de me parler ou d'accepter les documents que je lui envoie.
Je ne pense pas que ce soit une affaire faite, comme M. Matas le dit. Les gens pensent que c'est décidé, mais cela ne peut pas être définitif avant certaines consultations. J'espère que vous réussirez à convaincre le ministre d'accepter certains amendements. C'est certainement un projet de loi qui a besoin d'être modifié, et c'est ici qu'il faut faire ce travail.
Mme Golini: Le fait qu'on refuse le privilège d'un appel dans l'intérêt du public est particulièrement intéressant. Nous considérons que c'est un paradoxe et que cela devrait être rectifié.
Le sénateur Grafstein: Si je comprends bien, ce que vous voudriez, c'est une procédure de recours, mais vous ne voulez pas que la division d'appel traite l'affaire ab initio. Ce que vous voulez, c'est une procédure d'appel fondée sur les questions de droit qui auraient pu surgir au premier palier d'établissement des faits.
Mme Golini: Oui.
M. Narvey: Oui, question de droit ou question de droit et de fait, mais une procédure d'appel normale. L'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que toute décision de la Section de première instance de la Cour fédérale peut faire l'objet d'un appel devant la Cour d'appel fédérale. Nous sommes d'accord avec l'Association du Barreau canadien et avec B'nai Brith, non pas pour qu'il y ait appel lorsque cela ne se justifie pas, mais plutôt pour qu'existe la possibilité de solliciter un appel. Si le tribunal considère que la cause est défendable, il vous autorisera à vous défendre. C'est une norme bien plus élevée d'avoir l'autorisation de solliciter un appel auprès de la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais passer à une question de fait. À la page 2 du mémoire de la Metro Toronto Chinese & Southeast Asian Legal Clinic, on trouve une référence à l'emprisonnement des Japonais. La situation des Chinois était différente. Entre 1923 et 1947, 11 Chinois seulement furent admis dans ce pays. Dans ce cas-là, c'était une question d'immigration, et non pas une question de citoyenneté comme dans le cas des Chinois.
La situation des Japonais a surgi à cause de la Loi sur les pouvoirs d'urgence qui a aujourd'hui beaucoup changé. La nouvelle Loi sur les pouvoirs d'urgence contient beaucoup plus de restrictions et doit observer les dispositions de la Charte. Quand on pense aux autres lois qui existent aujourd'hui, je doute que cette situation puisse se reproduire de nos jours.
Si je vous fais cet historique, c'est que le Sénat et la Chambre des communes ont travaillé très fort sur cette question. À l'avenir, un gouvernement malavisé ou raciste aurait beaucoup plus de mal à prendre de telles mesures. Les restrictions sont bien plus sévères. J'espère que cela est bien clair. C'est une question sur laquelle ce comité s'est penché particulièrement.
Le vice-président: C'est une affaire qui précède de beaucoup la Charte des droits et libertés.
Le sénateur Grafstein: Nous ne l'ignorons pas, mais il faut reconnaître que nous avons fait beaucoup de chemin depuis la Charte, et nous avons tiré certaines leçons de l'histoire.
Le sénateur Andreychuk: Il arrive que l'histoire se répète.
Le sénateur Grafstein: Mais aujourd'hui, c'est plus difficile.
Le sénateur Andreychuk: Il faut l'espérer.
Le sénateur Grafstein: Il y a une autre question de principe ici, une question qui nous donne des problèmes à tous, et c'est la définition de «l'intérêt public». Là encore, nous n'avons pas encore entendu la position du ministre, mais vous êtes-vous interrogé sur la définition de l'intérêt public? Sur le plan judiciaire, c'est beaucoup plus restreint que certains mémoires ne pourraient le faire croire. Je ne suis pas certain que la définition soit cohérente. Peut-être avez-vous des observations à ce sujet. Je sais que d'innombrables décisions judiciaires ont porté sur la nature de l'intérêt public, et je pense que la définition ne va pas aussi loin que vous et certains autres témoins semblent penser. J'espère que le ministre nous donnera des précisions, mais qu'est-ce que vous en pensez? Je parle d'une définition légale. Il s'agit d'un point de droit, et non plus de politique. En politique, l'intérêt public, c'est très vague. Pour les tribunaux, c'est beaucoup plus précis.
M. Wong: Parlons maintenant de la façon dont on a invoqué la Loi sur l'immigration au cours des 14 ou 15 derniers mois en réponse à l'arrivée de réfugiés chinois. D'autres bateaux ont suivi le premier bateau qui est arrivé et les adultes à bord de ces navires ont été incarcérés. Le gouvernement soutien que cela était fait dans l'intérêt public. Le gouvernement a alors pris un certain nombre de mesures. Plus de 110 personnes à bord des trois bateaux qui ont suivi le premier bateau n'ont pas pu présenter une demande de réfugié. Ces personnes ont fait appel de cette décision et ont demandé à ce que leurs cas soient entendus par la Cour fédérale. Juste avant que la Cour fédérale n'entende leurs cas, le ministère de l'Immigration est revenu sur sa décision initiale et a accepté d'étudier le cas de ces personnes.
Les articles parus dans la presse en juillet et en août 1999 font état de l'hystérie suscitée par l'arrivée de ces personnes chez le public, les médias, l'opposition et les commentateurs publics. Tous réclamaient qu'on réexpédie ces gens chez eux sans qu'on leur donne l'occasion de présenter leurs cas. On peut considérer que ce que le gouvernement a fait en refusant à 110 personnes le droit de présenter une demande de réfugié était dans l'intérêt public, mais c'était illégal.
Le sénateur Grafstein: Je ne le conteste pas, mais je me demande vraiment si le gouvernement a invoqué le critère de l'intérêt public. Je ne le pense pas.
M. Wong: Non, mais il s'est servi du règlement sur l'immigration pour incarcérer les ressortissants chinois.
Le sénateur Grafstein: Je ne le conteste pas, mais nous discutons d'une toute autre question qui est celle de savoir comment un ministre doit définir l'intérêt public. Il s'agit de savoir s'il doit tenir compte de certaines restrictions.
M. Wong: Aucune restriction ne s'est appliquée dans ce cas-ci. Je vous donne un exemple concret.
M. Narvey: Je crois que c'est M. Matas qui a le premier fait valoir que cette disposition vise une seule personne, M. Ernst Zundel qui, comme l'a fait remarquer la ministre, incite à la haine. La question est de savoir s'il n'y aurait pas une meilleure façon de s'y prendre que par un libellé aussi vaste qui nous préoccupe tous. On décidera peut-être un jour que ce que vous et moi jugeons comme étant dans l'intérêt public va plutôt à l'encontre de celui-ci.
L'un des problèmes qui se pose en ce qui touche à la disposition du Code criminel portant sur l'incitation à la haine est qu'aucune poursuite ne peut être intentée pour ce motif sans le contentement du procureur général de la province. Comme vous le savez, les dernières dispositions du projet de loi modifient plusieurs autres lois dont la Loi sur l'immigration et, si je ne m'abuse, la Loi sur le SCRS. Si l'on jugeait que c'est ce qu'il convient de faire, peut-être que le projet de loi pourrait modifier le Code criminel de sorte que le procureur général fédéral puisse intenter des poursuites contre M. Zundel s'il continu d'inciter à la haine et qu'il n'ait pas pour le faire à demander le consentement du procureur général de la province.
Si cela n'est pas possible, je serais prêt à accepter ce libellé bien qu'avec certaines réserves. Il ne me plaît pas. Je ne fait confiance à cet égard à tous les gouvernements futurs. Je suis sûr que ce gouvernement-ci n'abuserait pas de la situation et invoquerait cet article seulement dans le cas de M. Zundel. Voilà ce que je voulais dire à ce sujet.
Le sénateur Grafstein: À mon avis, il existe actuellement au Canada certaines restrictions qui s'appliquent au concept de l'intérêt public. Ainsi, rien de ce qui serait contraire à la Charte ne peut être considéré comme étant dans l'intérêt public. Des restrictions s'appliquent à ce principe. Depuis 1982, de nombreuses lois définissent ce qu'on entend par intérêt public. L'intérêt public est défini de façon beaucoup plus étroite aujourd'hui qu'il y a 20 ans en raison de l'adoption de lois qui portent sur la protection des droits de la personne. Je comprends le problème qui se pose, mais j'estime cependant qu'il existe des restrictions au concept de l'intérêt public.
M. Narvey: Je vous remercie de me rappeler la discussion qui a eu lieu entre le sénateur Nolin et M. Braen. Je suggère qu'à l'étape de l'étude article par article, qu'on propose une motion visant à supprimer le paragraphe 22(3).
M. Braen dit que même si le projet de loi dispose qu'il n'y a pas de contrôle, ou d'appel, les tribunaux interviendraient de toute façon. Je suis d'accord avec le sénateur Nolin pour dire qu'ils ne le feraient pas, ou tout au moins on peut se demander ce qu'un tribunal ferait d'une clause privative. Si, comme il dit, c'était contraire à la Constitution, je vous suggérerais alors de ne pas l'adopter. Je suis certain qu'un tribunal examinant une décision du Cabinet ayant trait à l'intérêt public et refusant à M. Zundel la citoyenneté confirmerait cette décision. On n'a pas à protéger d'un contrôle judiciaire une décision justifiée.
Le problème qui se pose quand on dit que l'intérêt public est limité, c'est que s'il n'y a personne d'autre que le décideur qui prend la décision sans appel, alors l'intérêt public n'est pas limité même s'il devrait l'être. Je proposerais donc de supprimer le paragraphe 22(3).
Le vice-président: J'ai un peu de mal à accepter ce que vous êtes en train de nous dire. Vous dites que nous savons tous que l'intérêt public est général et peut-être vague. M. Braen a dit très clairement que cette expression était vague, mais ce sont des choses qui arrivent de temps à autre en droit. Le sénateur Grafstein a évoqué la jurisprudence en la matière.
M. Narvey: Absolument.
Le vice-président: Il nous serait très utile de disposer d'une étude sur la façon dont l'intérêt public a été interprété par la Cour suprême du Canada. Je m'empresserais de la lire. Toutefois, voyez-vous, annuler toute cette disposition pour cette raison, c'est une toute autre affaire.
M. Narvey: Pas toute la disposition, seulement la partie qui dispose qu'une décision ne peut faire l'objet d'un examen ni d'un appel par aucun tribunal. Je la conserverais, mais en retranchant le paragraphe 22(3). La jurisprudence, c'est très bon dans les tribunaux, mais la jurisprudence n'est pas très bonne quand il n'y a pas de tribunal.
[Français]
L'article 22(3) devrait stipuler qu'il y aurait un contrôle judiciaire pour s'assurer que la jurisprudence contient la vraie signification de l'intérêt public.
[Traduction]
Je ne dis pas de tout supprimer. Conservez les paragraphes 22(1), ni 22(2), ni 22(4) et 22(5), mais supprimez le paragraphe 22(3).
Le vice-président: Parce qu'à votre avis la clause privative n'est pas utile?
M. Narvey: C'est cela. Elle est plus qu'inutile: elle crée un doute là où il ne devrait pas y en avoir.
Le sénateur Fraser: J'adopte une optique légèrement différente, n'étant ni avocat ni juriste. Si j'essaie de voir pourquoi nous avons un passage comme celui-là dans la loi, il me semble que ce que nous voulons dire c'est qu'il doit y avoir une certaine marge de manoeuvre pour qu'on puisse exercer un pouvoir discrétionnaire politique.
Je ne suis pas d'accord sur ce qu'on a dit de la disposition concernant Ernst Zundel. Il y a des quantités d'autres gens que l'on pourrait exclure pour d'autres motifs s'ils étaient parvenus à obtenir un statut de résident au Canada. Il suffit de penser par exemple à O.J. Simpson. Il a été acquitté d'accusations de meurtre. Nous n'aurions nulle part aucune disposition nous permettant d'invoquer le motif du citoyen indésirable. Or, les éléments de preuve d'ADN qui ont été utilisés par la poursuite auraient été jugés concluants au Canada. Je ne vois pas comment on peut raisonnablement s'attendre à ce que nos tribunaux annulent le verdict de tribunaux des États-Unis. Il faudrait que ce soit une décision politique. C'est bien clair pour moi. Qu'en pensez-vous?
M. Narvey: Des gens raisonnables peuvent avoir des vues différentes. Je ne suis pas d'accord avec vous sur cette question. À mon avis, je ne devrais pas faire fi des décisions des tribunaux des États-Unis et dire que O.J. Simpson était coupable. J'ai bien pris soin de ne pas suivre l'affaire O.J. Simpson parce que j'estimais que je n'étais pas un juré et que je ne pouvais pas jouer ce rôle, et j'étais prêt à laisser les tribunaux américains faire de leur mieux ou pas. Toutefois, si le Conseil des ministres croit qu'il y va de l'intérêt public de refuser la citoyenneté à O.J. Simpson, il devrait avoir suffisamment confiance en son raisonnement pour permettre à O.J. Simpson d'utiliser des recours devant les tribunaux pour contester sa décision.
Je ne veux pas être juge et partie et, à mon avis, le Conseil des ministres ne devrait par l'être non plus. S'il a raison, si son raisonnement est justifié, il l'emportera au tribunal. Un bon nombre d'entre nous ont eu affaire aux tribunaux et ont à l'occasion été déboutés et nous pouvons dire que nous avons essayé de faire valoir nos droits et que le tribunal s'est trompé ce jour-là. Peut-être que nous ne sommes pas d'accord sur ce sujet. Après tout, c'est le comité et le Sénat qui décideront et non pas moi. C'est mon point de vue.
M. Wong: Nous devons demander au gouvernement ce qu'il entend par «intérêt public». Nous devons demander au gouvernement à quelles fins il prévoirait recourir à cette clause. Le sénateur Fraser a donné l'exemple de O.J. Simpson et elle a mentionné le cas de Ernst Zundel. On pourrait aussi poser la question concernant les enfants de notre ancienne ennemie l'Iraq. Quel sentiment avons-nous à l'égard des enfants ou des immigrants iraqiens? Peut-être que si l'issue n'avait pas été aussi claire, ou que nous avions subi de grandes pertes, il pourrait alors s'avérer conforme à l'intérêt public de leur refuser la citoyenneté parce que nous leur en voudrions tellement d'avoir fait sombrer l'un de nos navires de guerre ou je ne sais quoi d'autre. Dans quels cas le gouvernement du Canada prévoit-il recourir à cette disposition? C'est ce que j'inciterais vivement les sénateurs à demander au gouvernement.
Le vice-président: Nous aurons l'occasion de poser la question, probablement demain ou après.
Le sénateur Finestone: J'ai posé la question. On m'a dit qu'il y avait plus de 2 000 cas où l'expression «intérêt public» était définie ou utilisée en tenant compte des circonstances de l'affaire. Ces affaires ont trait au bien-être de la population. C'est la réponse que j'ai obtenue et j'espère qu'on pourra l'entendre confirmer quand les professionnels comparaîtront.
Le vice-président: Cette information est-elle tirée de la jurisprudence? Quand on parle de nuances juridiques, la jurisprudence est importante.
Le sénateur Finestone: Puis-je vous suggérer de poser cette question demain?
Le vice-président: Je le ferai certainement. C'est le sénateur Grafstein qui l'a suggérée et je suis d'accord avec lui. Je ne vois pas pourquoi nous ne devrions pas étudier cela pendant encore au moins un jour ou deux. Par après, nous pourrons demander au ministre ce qu'il en pense. Après tout, c'est un projet de loi d'un ministère. C'est un projet de loi très important, qui n'est pas facile, mais très intéressant.
Mme Golini: J'aimerais que l'on réfléchisse un peu plus à ce que l'avenir nous réserve, c'est-à-dire que de plus en plus l'intérêt public rejoint des domaines où il n'en était pas vraiment question auparavant: par exemple, qu'on pense aux gens qui sont atteints de maladies infectieuses, comme le sida. Comment allons-nous agir dans ces cas et qu'est-ce qui va se produire à l'avenir? Les humains peuvent mettre en danger d'autres humains, souvent par inadvertance. Que dispose la loi à cet égard?
En outre, alors que la citoyenneté est un droit naturel reconnu à ceux qui naissent dans un pays, notre culture n'a pas encore dissocié l'idée ou la notion de citoyenneté de l'idée du mérite. Non seulement on a le droit à la citoyenneté, mais on doit se montrer digne de sa citoyenneté pour être considéré comme un bon citoyen. Le civisme et le mérite sont très étroitement liés.
L'intérêt public me semble indissociable de tout cela. Le gouvernement et la loi m'apparaissent comme un parent qui veille au bien-être de tous même s'il doit pour cela sacrifier le bien-être d'un individu. Je réfléchissais à tout cela pendant que nous discutions. L'avenir doit certainement être pris en compte.
M. Narvey: Je suis tout à fait d'accord avec les sénateurs Grafstein et Beaudoin qu'il y a lieu d'effectuer des recherches dans ce domaine. Je suis un chercheur et j'aimerais proposer au comité une autre avenue de recherche que vous pourriez envisager. Je ne sais pas si le gouvernement soutient toujours la position qu'il a prise à la Chambre des communes et que le sénateur Finestone a énoncée dans son discours lorsqu'elle a déposé ce projet de loi au Sénat, soit que le système canadien de révocation est celui qu'appliquent la plupart des pays du Commonwealth. Dans la législation des pays du Commonwealth que j'ai examinée, je n'ai trouvé nulle part d'affirmation selon laquelle une décision est sans appel. Il peut y en avoir qui suivent notre exemple. Le Commonwealth compte une cinquantaine de pays. Je suggère qu'on demande à la ministre et à ses hauts fonctionnaires si c'est toujours leur position ou s'ils y ont renoncé. Si c'est toujours leur position, demandez-leur de fournir au comité un recueil de toutes les lois sur la citoyenneté des pays du Commonwealth qu'ils connaissent afin que les honorables sénateurs puissent évaluer cette proposition plutôt que de s'en tenir exclusivement à ma recherche. Ils disposent de ressources plus vastes.
Le vice-président: Les hauts fonctionnaires nous informerons à ce sujet demain. Quelle est la situation dans les autres pays du Commonwealth?
M. Narvey: Les lois de ces pays devraient être fournies afin que vous puissiez voir si vous les interprétez de la même façon que le font les hauts fonctionnaires. J'ai constaté que dans chaque pays on envisage la situation sous un angle différent. Il y a une certaine similitude parce que tout découle de la loi britannique de 1919, mais ces différentes lois prennent toutes des orientations différentes, et aucune d'entre elles ne restreint comme nous le faisons le contrôle judiciaire et les appels.
Le sénateur Finestone: En examinant ce projet de loi, j'ai constaté qu'il y avait des problèmes. C'est un domaine très délicat. Quand j'ai examiné le projet de loi pour la première fois, j'ai pensé que tout tournait autour de la question de la qualité de citoyen et de la situation du citoyen naturalisé qui n'aurait jamais même dû obtenir la citoyenneté. J'ai du mal à comprendre pourquoi les gens sont si troublés, parce que je sais que quand la Section de première instance de la Cour fédérale est saisie d'une affaire, elle examine à fond tous les faits. Il y a des intervenants de part et d'autre ainsi que des témoins. Je ne comprends pas pourquoi certains pensent que les décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale sont à ce point erronés.
Je pense toutefois qu'il peut y avoir lieu de s'inquiéter quand, comme le disait M. Matas, des décisions contradictoires sont rendues par des juges différents et que le ministre ne peut rien y changer. Toutefois, le ministre peut renverser ces décisions par décrets. Cela me semble très juste, parce que ces personnes n'étaient pas légalement ici au départ. Elles ont obtenu la citoyenneté en fournissant des renseignements trompeurs, peu importe le temps qu'elles aient passé ici. Elles ont sciemment caché des faits importants. Elles ont fourni une fausse identité. C'est toute une série de critères, qu'il soit question de l'article 16 ou de l'article 28.
Une question qui me préoccupe encore beaucoup plus que celle-là, c'est celle de savoir si l'on a veillé à l'intérêt supérieur de l'enfant. Je veux savoir comment on y veillera. Les autres aspects m'inquiètent moins.
J'ai entendu ce que vous avez dit à propos de la disposition Zundel, mais M. Zundel n'est pas vraiment le bienvenu au Canada, pas plus que ne le serait O.J. Simpson.
M. Narvey: Je ne dis pas que O.J. Simpson est le bienvenu. Je refuse tout simplement de considérer cette affaire.
J'espère pouvoir vous convaincre que M. Matas a effectivement raison de dire qu'actuellement il y a une option univoque. Si la décision du ministre est annulée, le ministre n'a plus de recours. Il ne peut pas s'adresser au gouverneur en conseil et exiger que la citoyenneté soit révoquée même si la Cour fédérale a jugé qu'il n'y a pas eu fraude.
Le problème des jugements contradictoires existe bel et bien. Si le ministre peut en appeler, nous devons nous montrer justes et permettre à l'intéressé d'en appeler. Selon le juge Noël, avant juin 1950, on ne commettait pas de fraude en cachant à l'étape de la vérification de sécurité des faits qui auraient entraîné l'exclusion, parce que c'est en juin 1950 que pour la première fois il est devenu illégal de mentir à un agent de sécurité. Le juge Lutfy estime quant à lui que c'était déjà illégal.
M. Matas et moi estimons que tant la personne dont la citoyenneté a été révoquée que le ministre, dans le cas où la citoyenneté n'a pas été révoquée, devraient pouvoir demander l'autorisation d'en appeler à la Cour fédérale. Habituellement la Cour ne vous autorise pas à en appeler pour la simple raison que vous avez une cause défendable en droit. Si votre affaire s'appuie sur très peu d'éléments de preuve, la Cour peut très bien attendre que quelqu'un soumette une affaire mieux étoffée avant d'accorder l'autorisation. C'est pourquoi nous disons qu'il devrait y avoir une possibilité d'appel.
Je partage vos inquiétudes au sujet de la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et j'ai dit ce que je voulais dire à propos de l'intérêt public.
J'aimerais ajouter quelque chose que je n'ai pas dit encore. M. Matas déplorait que le système actuel prenne trop de temps et que le ministre et le gouverneur en conseil ne semblent pas en mesure de se décider. Je veux dire quelque chose qui je crois n'a encore jamais été dit au Parlement. La ministre a reçu un avis selon laquelle l'équité l'oblige à faire certaines choses qu'en 1920 et en 1940 elle n'aurait pas été tenue de faire. Parce qu'elle agit un peu comme un juge et qu'elle doit décider s'il y a lieu de présenter un rapport au gouverneur en conseil, elle a demandé au ministère de la Justice d'écrire à des gens qui avaient été déboutés en Cour fédérale pour leur dire que le ministre envisageait de présenter un rapport et demandait s'ils souhaitaient lui faire part d'observations. Dans un cas, une personne a présenté des observations très élaborées comme si elle s'adressait à une cour d'appel.
Le ministère de la Justice a ensuite rédigé un commentaire à ce propos à titre d'avis à l'intention de la ministre. La personne en a demandé un exemplaire afin de pouvoir y répondre. On me dit que la ministre a décidé s'il y avait lieu d'acquiescer à cette demande mais elle n'a pas encore décidé s'il y a lieu de transmettre cette décision à l'intéressé. Cela prend beaucoup de temps.
La ministre est dans une position intenable. Elle est le procureur. Elle ne devrait pas être tenue de jouer le rôle de juge. Elle est membre du corps collégial qui va décider si elle a raison une fois qu'elle aura décidé si elle a raison ou pas. C'est un processus injuste.
On me dit qu'une autre personne qui a été déboutée devant la Section de première instance de la Cour fédérale a écrit au ministère de la Justice pour dire qu'elle ne présenterait d'observations à la ministre, puisque cela n'a aucun sens, mais a demandé quelle était la procédure à suivre pour présenter des observations au gouverneur en conseil. Je crois savoir que des conseillers auprès du gouverneur en conseil essaient de voir comment il y a lieu de répondre à cette demande.
Dans les tribunaux, les procédures et les échéanciers sont connus. Je suis heureux d'entendre Mme Golini reconnaître que, comme l'a dit la ministre, le gouverneur en conseil devrait être autorisé à agir de façon humanitaire et empreinte de compassion.
Le juge Noël a dit que perdre sa citoyenneté pour fraude c'est comme perdre une police d'assurance parce qu'on a commis une fraude. Si l'on dit que je me suis fait assurer en omettant de dire que j'avais des problèmes cardiaques, j'ai droit d'en appeler de la décision. Si la compagnie d'assurance est déboutée, elle a droit d'en appeler. Nous voulons avoir le droit d'en appeler, pour que tous sachent à quoi s'en tenir et puissent compter sur un traitement équitable.
M. Wong: En ce qui a trait aux annulations, nous croyons comprendre des témoignages des témoins précédents qu'en vertu de l'article 18, on ne peut pas envisager un appel sur le fond. Si tel est le cas, il n'y a pas de véritable appel.
Le sénateur Finestone: Vous parlez du contrôle judiciaire par opposition à un appel à la Section de première instance de la Cour fédérale.
M. Wong: Oui.
Mme Golini: Il est paradoxale de constater que plus la population a des moyens grâce à la science, à la recherche et à la technologie de découvrir la vérité sur le passé des autres, plus le système juridique y fait obstacle. Un appel vise à permettre à ceux qui croient ne pas être coupables de disposer d'une occasion de prouver leur innocence. Heureusement qu'il y a maintenant les empreintes génétiques et ces autres choses dont nous ne disposions pas il y a 20 ou 30 ans. J'espère que le système judiciaire va emboîter le pas au progrès scientifique et sociologique pour libérer des individus accablés par le carcan du doute et des faussetés. C'est essentiellement ce que nous demandons.
Le vice-président: S'il n'y a pas d'autres questions, je vais alors remercier sincèrement les témoins pour leurs intéressants témoignages.
La séance du comité se poursuit à huis clos.