Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 22 - Témoignages du 28 septembre 2000 (après-midi)


OTTAWA, le jeudi 28 septembre 2000

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne, se réunit aujourd'hui à 13 h 30 afin d'examiner le projet de loi.

Le sénateur Gérald A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Honorables sénateurs, nous reprenons notre examen du projet de loi C-16, Loi proposée concernant la citoyenneté canadienne. Nous recevons aujourd'hui des représentants du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Il s'agit de M. Wolpert, de Mme Frith, de M. Sabourin et de M. Stevens. Je tiens à vous remercier d'être des nôtres aujourd'hui. Nous avons de nombreuses questions d'ordre technique et d'ordre juridique au sujet du projet de loi C-16.

Mme Rosaline Frith, directrice générale, Intégration, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: Monsieur le président, honorables sénateurs, j'aimerais tout d'abord vous présenter les autres fonctionnaires du ministère qui m'accompagnent aujourd'hui. Normand Sabourin est notre greffier de la citoyenneté canadienne; Eric Stevens est conseiller juridique, comme Max Wolpert. Nick Oosterveen est le directeur général de la Direction générale de la sélection et Madeleine Riou est conseillère en matière de nationalité. Nous devrons peut-être faire appel à ces personnes au sujet de questions spécifiques.

Je ferai d'abord quelques brèves observations liminaires, puis je demanderai à M. Sabourin de faire un court exposé sur les questions importantes qui ont suscité des discussions au sujet du projet de loi C-16.

Monsieur le président, voilà maintenant près de 20 ans que l'on prépare le projet de loi C-16. C'est un projet de loi qui modernisera la Loi de 1977 sur la citoyenneté. Il comblera les lacunes et corrigera les incohérences de la loi actuelle. Il reflétera les décisions des tribunaux et de la Commission des droits de la personne en matière de discrimination et améliorera le traitement du volume élevé de demandes. Le projet de loi à l'étude est le résultat d'une vaste consultation.

Nous avons fait beaucoup de progrès depuis l'adoption de la première Loi sur la citoyenneté en 1947. Aux termes de cette loi, la citoyenneté était un privilège qui n'était accordé à une personne que si elle répondait à certains critères subjectifs. Cette loi comportait des dispositions discriminatoires envers certaines catégories de personnes. Par exemple, les femmes qui épousaient un non-Canadien étaient lésées.

La Loi sur la citoyenneté de 1977 visait à éliminer les aspects discriminatoires. Elle a établi la reconnaissance de la double citoyenneté et a établi des critères clairs pour l'obtention de la citoyenneté.

Malgré ces améliorations importantes, il est devenu rapidement évident que la Loi de 1977 avait besoin d'être modifiée. Les points de vue divergents des tribunaux sur l'exigence en matière de résidence est un bon exemple. Un autre exemple est le manque d'équité dans le traitement des enfants adoptés à l'étranger et au Canada par des parents canadiens. Ces questions, ainsi que les lacunes administratives, seront réglées par le projet de loi C-16.

Le projet de loi dont vous êtes saisis encourage la loyauté envers le Canada et favorise le respect de nos droits et libertés. Il garde les éléments de la loi actuelle qui fonctionnent bien et établit des critères clairs, justes et objectifs pour l'obtention de la citoyenneté canadienne.

Je suis fière d'être ici aujourd'hui avec mes collègues pour appuyer le projet de loi. Avant de commencer à répondre à vos questions, je vais demander à M. Sabourin de faire quelques observations.

[Français]

M. Norman Sabourin, greffier de la citoyenneté canadienne, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: Monsieur le président, ma présentation durera environ huit minutes et traitera des questions soulevées jusqu'à aujourd'hui. Je suis très heureux de pouvoir m'adresser au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles dans le cadre de l'examen du projet de loi C-16. Mes collègues et moi avons suivi de près les délibérations du comité. Nous avons pris bonne note de vos questions et de vos commentaires, de même que des préoccupations qui ont été soulevées devant le comité.

[Traduction]

Nous avons été très impressionnés par les délibérations et la profondeur de la réflexion des membres de votre comité sur toutes les questions entourant la citoyenneté. Comme Mme Frith l'a dit, le projet de loi dont vous êtes saisis est le résultat de nombreuses années de travail de fonctionnaires dévoués qui ont oeuvré sous la direction des différents ministres responsables de la citoyenneté.

Dès 1984, il est apparu évident que la loi avait besoin d'être révisée. Le ministre responsable à l'époque, qui est aujourd'hui un honorable sénateur membre de votre comité, a dit que le gouvernement souhaitait moderniser et renforcer la Loi sur la citoyenneté afin de refléter les valeurs canadiennes qui ont changé.

Ces nombreuses années de travail signifient que le projet de loi dont vous êtes saisis a fait l'objet d'un examen intense et sérieux et représente, à mon avis, le meilleur équilibre possible et le meilleur projet de loi que le gouvernement puisse présenter au Sénat.

Cela dit, certains aspects de la loi préoccupent toujours certaines personnes, et j'aimerais parler de quatre questions importantes qui ont fait l'objet d'un long débat lors des délibérations du comité récemment. Naturellement, j'espère que je pourrai apporter certains éclaircissements qui vous faciliteront la tâche lorsque vous examinerez plus tard le projet de loi en détail.

[Français]

Mes quatre sujets sont le droit à la citoyenneté, la perte de la citoyenneté, l'intérêt public et le besoin d'adopter une nouvelle loi sur la citoyenneté.

La citoyenneté et la nationalité sont deux termes qui portent parfois à confusion. Je pense que cela découle principalement du fait que, dans certains pays, le terme «nationalité» a des connotations ethniques qui influent les conditions d'acquisition du statut.

Par contre, sur le plan juridique, la Convention européenne sur la nationalité précise, dans le rapport explicatif, que le terme «citoyenneté» est privilégié dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale, et qu'il a la même signification que le terme «nationalité» utilisé en Europe occidentale.

J'ajouterais que le terme «citoyenneté», qui est privilégié au Canada, l'est aussi dans les autres pays qui ont connu des politiques d'immigration au fil des années, y compris l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. C'est normal puisqu'on ne veut pas, dans nos pays qui ont été enrichis par l'immigration, avoir un terme qui pourrait être perçu par certains comme ayant des connotations d'ethnicité.

En droit international, il est clairement établi que chaque État est libre de définir les conditions d'acquisition de statut de citoyenneté. Au Canada, ce droit à la citoyenneté est purement statutaire. Même si la Charte canadienne des droits et libertés fait référence au statut de citoyen, le statut lui-même est défini strictement par le Parlement.

[Traduction]

Permettez-moi maintenant d'aborder la question de la perte de la citoyenneté, plus particulièrement la perte involontaire. Cela peut se produire de deux façons différentes, c'est-à-dire par une annulation ou une révocation. L'annulation est un pouvoir administratif du ministre de corriger une erreur qu'il aurait commise en accordant la citoyenneté. Nous savons qu'un résident permanent acquiert la citoyenneté quand le ministre accorde la citoyenneté conformément à la loi, mais la loi stipule par ailleurs que le ministre ne peut pas accorder la citoyenneté si une personne fait l'objet d'un interdiction criminelle. Qu'arriverait-il si la ministre accordait la citoyenneté de toute façon, même si elle n'avait pas le pouvoir de le faire au départ? Le projet de loi à l'étude stipule que dans un tel cas, la ministre peut déclarer nulle l'attribution de la citoyenneté. C'est exactement ce en quoi consiste ce pouvoir d'annulation. Nous croyons, comme nos conseillers juridiques d'ailleurs, que la ministre a ce pouvoir aujourd'hui aux termes de la loi actuelle. Cependant, étant donné les graves conséquences d'une annulation de la citoyenneté, le projet de loi à l'étude précise que la ministre ne peut exercer ce pouvoir que dans un délai de cinq ans, et qu'elle doit aviser l'intéressé afin qu'il puisse être entendu.

[Français]

Un autre aspect du projet de loi qui a fait l'objet de beaucoup de commentaires est celui de l'intérêt public. Pour définir ces mots, je crois qu'il est utile de se référer au commentaire de la Cour suprême:

Le sens général du terme «intérêt public» renvoie à l'ensemble particulier de valeurs qui sont le mieux comprises sous l'aspect du bien collectif et se rapportent aux questions touchant le bien-être de la société.

La Cour suprême a jugé que cette notion était trop vague dans certains contextes, mais il s'agissait de circonstances où un droit constitutionnel était atteint, ce qui n'est pas le cas en matière de citoyenneté.

On nous demande pourquoi il faut un pouvoir exceptionnel dans la loi, basé sur l'intérêt public. La ministre a résumé devant vous la situation de façon assez succinte. Le gouvernement doit pouvoir bénéficier d'une soupape de sécurité pour les situations imprévisibles.

Je vais tenter de vous donner un exemple hypothétique, ce qui n'est peut-être pas facile. Parlons de M. X qui vient s'établir au Canada. Il est résident permanent. M. X, toujours résident permanent du Canada, quitte son pays natal pour la Ruritanie, son pays d'origine. Là-bas, il part à la recherche de son ex-conjointe. Elle est enseignante dans une école primaire. Il la trouve dans cette école et il commet un meurtre violent et répugnant. La plupart des enfants sont tués. Il y a même des images télévisées de ces scènes horribles.

Bien sûr, M. X est arrêté et poursuivi en Ruritanie où il est accusé de ces crimes, mais il est trouvé non coupable par le jury en Ruritanie. En fait, il s'agit d'une question d'admissibilité de la preuve. Il y a eu un problème technique et le jury trouve M. X non coupable. Il revient au Canada où il est toujours résident permanent. Maintenant, les familles des enfants qui sont morts à la suite des actes de M. X prennent un recours civil contre lui pour tenter d'établir qu'il a une responsabilité civile, qu'il a effectivement causé la mort de ces enfants sans raison valable. Les familles des enfants tués gagnent le recours.

M. X dépose sa demande de citoyenneté et ne fait l'objet d'aucune interdiction criminelle dans la loi. Il n'est pas visé par les dispositions de la loi qui pourraient nous empêcher de lui attribuer la citoyenneté. La ministre n'a d'autre choix que de lui accorder la citoyenneté.

Une question se pose donc ici. Le Canada devrait-il accueillir M. X dans la famille canadienne? Est-ce qu'il représente les valeurs que nous partageons dans notre pays? La réputation internationale du Canada serait-elle entachée si on attribuait la citoyenneté à M. X?

Cet exemple hypothétique, bien que n'étant pas le meilleur que l'on puisse vous présenter, démontre qu'il existe des cas imprévisibles. Ce sont peut-être des cas impliquant des personnes qui incitent à de la haine ou encore des cas de personnes qui en incitent d'autres à commettre des crimes sérieux.

La seule façon pour le gouvernement de s'assurer qu'il n'aura pas les mains liées du fait qu'il n'aura pas prévu à l'avance ces types de cas est de prévoir un pouvoir exceptionnel dans la loi.

Puisqu'il s'agit d'un pouvoir exceptionnel, il est proposé que seul le gouverneur en conseil exerce ce pouvoir exceptionnel afin de rendre les ministres de la Couronne imputables de leurs actions et ce, dans le pur respect de nos traditions parlementaires.

Il existe un parallèle qui peut nous être utile même s'il n'est pas idéal. La clause de l'intérêt public s'apparente quelque peu à la clause nonobstant de la Charte des droits et libertés. Est-ce que la clause nonobstant est utilisée fréquemment? Est-elle nécessaire? De toute évidence, les gouvernements qui ont vu à son adoption croyaient qu'elle l'était.

[Traduction]

Je vais maintenant parler de la révocation de la citoyenneté. Vous avez beaucoup entendu parler de cette question, tant de la part de la ministre que des témoins. Vous savez qu'il existe aujourd'hui un processus administratif visant à révoquer la citoyenneté, un processus qui relève de l'exécutif. D'aucuns ont suggéré qu'un processus judiciaire serait préférable.

Nous sommes d'avis qu'il serait injuste de dire qu'un modèle est supérieur à l'autre. Les deux modèles ont du mérite et les deux modèles sont imparfaits, comme tout ce qui est humain.

En examinant chaque modèle, la question qu'il faut se poser, c'est de savoir si nous pouvons prédire comment les tribunaux interpréteront le pouvoir de révocation de la citoyenneté à l'avenir. Le modèle proposé par le gouvernement a été mis à l'épreuve et validé mis à l'épreuve encore une fois et contesté devant les tribunaux, et à chaque fois les tribunaux ont dit que le processus était équitable et qu'il protégeait les intérêts des citoyens.

Devrions-nous choisir un nouveau modèle qui n'a pas fait ses preuves et attendre de nombreuses années pour voir comment les tribunaux interpréteront ces dispositions? Serait-il juste de dire aux citoyens: «Nous aurons dorénavant de nouvelles règles qui s'appliqueront à vous. Nous ne savons pas exactement comment les tribunaux appliqueront ces règles, mais nous espérons que tout ira pour le mieux».

Mon ministre et le gouvernement estiment que le processus, qui a permis à plus de trois millions de personnes d'être naturalisées canadiennes depuis 1977 et a fait perdre à 37 p. 100 leur citoyenneté par la révocation, a fait ses preuves. C'est un processus qui a été mis à l'épreuve et qui s'est révélé équitable pour tous.

J'aimerais dire une dernière chose au sujet de la révocation et de la perte de la citoyenneté. On vous a dit que tous les citoyens sont égaux par la naissance ou la naturalisation. On vous a dit que c'est ce que stipule l'article 12 du projet de loi. L'article 12 répète l'article 6 de la loi actuelle et le libellé est clair. Un citoyen est un citoyen, point final. D'aucuns ont dit que cela n'était pas vrai. D'aucuns ont dit que les citoyens naturalisés étaient des citoyens de deuxième classe parce qu'ils pouvaient perdre leur statut; la seule façon pour eux de perdre leur statut de citoyen du Canada, c'est s'ils l'ont obtenu par des moyens frauduleux.

Si vous mentez pour obtenir la naturalisation, vous perdez votre statut. Si vous mentez pour obtenir un passeport en disant que vous êtes né d'un parent canadien et que ce n'est pas le cas, vous perdrez votre passeport. Si l'on découvre que votre mensonge est en fait la seule raison pour laquelle vous avez la citoyenneté aujourd'hui, alors le gouvernement estime que vous ne devriez pas avoir aujourd'hui la citoyenneté.

Essentiellement, en ce qui concerne la perte de la citoyenneté, la fraude c'est de la fraude. On ne peut pas être reconnu comme citoyen si on a obtenu la citoyenneté par des moyens frauduleux.

Permettez-moi de conclure en faisant quelques observations au sujet de la nécessité d'adopter ce projet de loi.

Ma directrice générale a dit que depuis 1977 les tribunaux se sont prononcés à maintes reprises et ont affirmé que la loi devait être modifiée. Par exemple, la Cour fédérale a dit que les règles concernant la résidence signifient que le processus de la citoyenneté est devenu une sorte de loterie. La Cour fédérale dit au Parlement: «Cette situation montre bien qu'on a besoin d'une réforme législative».

La Commission canadienne des droits de la personne nous a dit elle aussi que cette réforme est urgente. Il est très important de clarifier les règles concernant la filiation, tout comme il est important de corriger l'iniquité qui existe dans le cas des enfants adoptés. Bon nombre des plaintes qu'a reçues la Commission sont en suspens à l'heure actuelle car le gouvernement a montré qu'il était prêt à régler ces problèmes en déposant au Parlement la proposition législative dont vous êtes saisis.

Certains honorables membres de votre comité ont participé à des études, à des rapports et à des propositions en vue de recommander des changements à la loi. Le discours du Trône a mentionné à plusieurs reprises la nécessité d'une réforme législative. Après 23 ans de travail énorme -- un travail dévoué, honnête et énergique -- en vue d'élaborer ces propositions, les membres de votre comité ont ici l'occasion de donner au Canada une loi sur la citoyenneté révisée, modernisée et pertinente pour le XXIe siècle.

Le vice-président: Il y a un point que vous abordez au début de vos observations que j'aimerais élucider. Depuis une semaine, on nous dit que d'une certaine façon les citoyens nés au Canada sont traités différemment de ceux qui ont obtenu la citoyenneté. Vous dites que nous n'avons eu que 37 cas de révocation de la citoyenneté depuis 1977 et que, dans chaque cas, il a été nécessaire d'établir clairement qu'il y avait eu fraude, et que cette fraude était le seul critère. C'est la raison pour laquelle un citoyen canadien né au Canada ne perdra jamais sa citoyenneté. Cette punition est le résultat d'une fraude qui a été commise avant l'attribution de la citoyenneté. Si les choses sont expliquées de cette façon, à première vue, cela semble aller. Seuls les citoyens qui ne sont pas nés au Canada peuvent perdre leur citoyenneté et la fraude doit avoir été commise avant qu'ils deviennent citoyens canadiens, non pas après, n'est-ce pas?

M. Sabourin: C'est exact. La disposition sur la révocation parle de fraude, non pas seulement d'une fraude commise pour obtenir la citoyenneté, mais pour être admis au Canada également, car si une personne a pu demander la citoyenneté au Canada, c'est qu'au départ cette personne avait obtenu la résidence permanente.

Le vice-président: Ma deuxième question est la suivante: supposez qu'un citoyen canadien né au Canada commette un crime et qu'une personne qui a obtenu la citoyenneté commette le même crime après avoir obtenu la citoyenneté canadienne. La punition est-elle la même?

M. Sabourin: Monsieur le président, en ce qui a trait aux sanctions pénales, les mêmes s'appliquent à tous. Pour ce qui est de la révocation et de la perte de la citoyenneté, une personne ne peut perdre sa citoyenneté en raison de son comportement après l'avoir obtenue. On ne peut pas perdre sa citoyenneté dans un tel cas.

Le vice-président: Donc, si le même crime est commis, la même punition s'applique. Je suis d'accord avec cela.

M. Sabourin: C'est exact.

Le sénateur Cools: Monsieur le président, vous parlez de la même punition. Voulez-vous parler de la sanction qui est prévue dans le Code criminel, ou voulez-vous parler des mêmes conséquences? Le Code criminel s'en soucie peu. Il ne stipule que la punition. Peut-être que vous voulez parler des conséquences, non pas de la punition.

Le vice-président: Au Canada, il y a l'égalité devant la loi. C'est un principe fondamental des droits de la personne. Que vous soyez ou non citoyen canadien de naissance cela n'a aucune importance. Le Code criminel s'applique également à tous.

M. Sabourin: Exactement.

Le vice-président: J'aimerais que vous me disiez si le projet de loi C-16 respecte ce principe.

M. Sabourin: Il ne fait aucun doute que, le projet de loi C-16 respecte ce principe. On ne peut perdre son statut de Canadien que si on l'a obtenu de façon frauduleuse -- et non pas parce qu'on a posé un geste qui n'a rien à voir avec l'acquisition de ce statut.

Le sénateur Cools: En vertu de ce projet de loi. Est-ce que cela exclut toute autre loi du Parlement portant sur la trahison ou autre chose?

Le vice-président: Il y a la possibilité de deux voies, les tribunaux et le Cabinet. Depuis de nombreuses années, il en est ainsi au Canada. Beaucoup de témoins ont dit que tout devrait être soumis aux tribunaux, que tout devrait être décidé en fonction des principes de notre droit qui est excellent.

Pouvez-vous m'expliquer pourquoi nous avons besoin de l'intervention du Cabinet? Est-ce parce qu'un aspect de cette question dépasse le champ de compétence des tribunaux et doit reposer entre les mains des ministres de la Couronne? La Couronne possède certaines prérogatives. Le Cabinet possède certains pouvoirs. Le pouvoir exécutif repose entièrement entre les mains des membres du Cabinet dans ce pays. L'exécutif doit prendre certaines décisions hors de la compétence juridique de l'État. Est-ce la raison pour laquelle nous conférons un pouvoir aux ministres, à l'organe exécutif du gouvernement?

M. Sabourin: Monsieur le président, peut-être me permettrez-vous de situer cette question dans son contexte. Dans la plupart des pays, l'octroi de la citoyenneté est une prérogative si importante de l'État qu'il est fondé sur un pouvoir discrétionnaire.

Depuis 1977, en vertu de la loi, l'octroi de la citoyenneté est un droit au Canada. Si une personne respecte les exigences définies dans la loi, le ministre a le devoir d'accorder la citoyenneté. Toutefois, ce pouvoir demeure celui de l'exécutif. Le droit d'accorder le statut à une personne qui en fait la demande à l'organe administratif du gouvernement parce qu'elle a respecté les exigences demeure un pouvoir administratif. Le principe veut que si l'organe exécutif accorde le statut et constate ensuite que le statut a été accordé en contravention de la loi, l'exécutif peut retirer le statut.

En 1977, le Parlement a dit: «Madame ou monsieur le ministre, avant de retirer le statut, vous devez d'abord demander à la Cour fédérale s'il y a eu ou non fraude».

Le vice-président: Est-ce obligatoire?

M. Sabourin: Oui, c'est obligatoire. Le ministre ne peut pas aller de l'avant sans procéder ainsi.

Deuxièmement, le Parlement a reconnu qu'à cause des conséquences graves pour une personne qu'entraîne la perte du statut, le ministre ne pouvait pas retirer le statut; il fallait que cela soit fait collectivement par le gouverneur en conseil sur l'avis de tous les ministres de la Couronne. Voilà pourquoi, même s'il s'agit d'un pouvoir exécutif, c'est le Cabinet qui prend la décision finale. Ainsi, un seul ministre ne prend pas la décision, la décision est prise collectivement de concert avec les autres ministres.

Le vice-président: Le dernier point qui a été soulevé est celui-ci quand l'affaire est renvoyée en première instance à la Cour fédérale, ce qui est obligatoire, et constitue une protection pour la personne, existe-t-il un droit d'appel à la Section d'appel de la Cour fédérale?

M. Sabourin: On ne retrouve pas ce droit dans le projet de loi, monsieur le président, et à ce titre, il serait peut-être utile d'expliquer le contexte ou de faire une comparaison avec d'autres régimes.

Avant 1977, l'exécutif possédait toujours le pouvoir de retirer la citoyenneté au Canada. Toutefois, avant de le faire, la loi prévoyait qu'avant que le ministre ne puisse agir, il devait constituer une commission composée de juges à la retraite qui déterminerait s'il y avait eu ou non fraude. Le ministre n'intervenait alors que si la commission déterminait qu'il y avait eu fraude.

En 1977, nous avons décidé que la commission pouvait ne pas sembler tout à fait impartiale puisque, après tout, ses membres étaient nommés par le ministre. Qui serait considéré impartial? Les juges de la Cour fédérale? Les membres de la Cour fédérale qui sont nommés par l'exécutif, à vie, et dont le pouvoir d'agir de façon autonome est un principe sacré et reconnu au Canada.

À titre d'information utile, dans d'autre pays, tels que l'Australie, il faut demander l'avis d'un organisme indépendant avant de retirer la citoyenneté à quelqu'un. Même si cet organisme est une cour, cela ne signifie pas que celle-ci détermine des droits fondamentaux. La cour ne décide pas s'il faut révoquer ou non la citoyenneté. La cour déclare simplement avoir examiné les faits, avoir écouté la personne dont la citoyenneté fait l'objet de discussion. Après avoir écouté cette personne, la cour peut croire que la fraude n'a pas été commise sciemment. La personne a peut-être menti mais sans le savoir. Si la cour est de cet avis, alors ni le gouvernement, ni le ministre et ni le gouverneur en conseil ne peut révoquer sa citoyenneté. Ils n'ont tout simplement pas le pouvoir de le faire.

Le vice-président: Ainsi, le ministre intervient à la fin du processus, après que la cour a rendu son jugement?

M. Sabourin: En effet, lorsque la division de première instance s'est prononcée.

Le vice-président: À la division de première instance, on applique évidemment tous les principes de droit.

M. Sabourin: En effet.

Le sénateur Cools: Avez-vous parlé d'un jugement ou d'une opinion de la cour?

Le vice-président: C'est plus qu'une opinion. J'ai l'impression que c'est une sorte de jugement.

Le sénateur Fraser: C'est une décision.

Le vice-président: S'agit-il d'une enquête ou d'un jugement?

M. Sabourin: M. Stevens pourrait peut-être répondre à cette question.

Le sénateur Moore: Au paragraphe 17(3) du projet de loi, il est question d'une décision.

M. Eric Stevens, conseiller, Services juridiques, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: Honorables sénateurs, il s'agit essentiellement d'une décision qui porte sur les faits, mais il faut également appliquer la loi. La procédure est la suivante: présentation d'une demande introductive d'instance, exposé de la défense. Cela ressemble beaucoup à une poursuite. C'est une procédure plutôt formelle.

Le vice-président: Dans le projet de loi, on utilise le terme «décision». Cela me convient.

Le sénateur Moore: Pour poursuivre dans la même veine que le président, que se passe-t-il si au cours de ses délibérations, la Cour fédérale constate que la personne a menti pour fuir la persécution. Ce serait frauduleux, frauder c'est frauder, dites-vous.

Comment peut-on faire intervenir les considérations humanitaires?

M. Sabourin: C'est peut-être là un excellent exemple de ce que la ministre a tenté d'expliquer aux membres de ce comité. Dans le cadre d'une procédure juridique plutôt qu'administrative, la cour n'aurait d'autre choix que de révoquer la citoyenneté si elle constatait qu'il y avait effectivement eu fraude. Toutefois, dans l'exemple que donne l'honorable sénateur, la décision de la cour est rendue à titre indicatif et transmise à la ministre pour lui donner le pouvoir de présenter un rapport. La ministre pourrait décider, en se fondant sur des motifs humanitaires, qu'il n'est pas approprié de présenter un rapport. Elle pourrait peut-être soumettre le rapport au gouverneur en conseil, à ses collègues -- les ministres de la Couronne -- et dire: «Je ne sais pas, il ne faut peut-être pas donner suite à cette affaire car il y a des considérations dont on doit tenir compte».

Avec votre permission, je vais vous donner un exemple concret qui pourrait intéresser tous les membres du comité. Nous n'avons pas beaucoup discuté de cas particuliers ici, car on est un peu limité dans ce qu'on peut dire. Toutefois, je pense que vous connaissez tous le nom de Helmut Oberlander, soit parce qu'il vous a pressenti personnellement ou parce que vous avez lu quelque chose dans les journaux. M. Oberlander a écrit à chacun des ministres de la Couronne à qui il a dit: «Lorsque le Cabinet examinera la question de savoir s'il faut ou non donner suite à la décision de la Cour fédérale voulant que j'aie commis une fraude, j'espère que vous ne tiendrez pas compte de cette information». Si la procédure était judiciaire et que M. Oberlander écrivait aux juges de la cour pour leur dire: «J'espère que vous ne tiendrez pas compte de cette information», ce serait un outrage au tribunal. Il se trouverait à faire quelque chose qui n'est pas permis, qui n'est pas du tout approprié. Évidemment, il pourrait faire valoir ses arguments devant la cour, mais il ne lui serait pas permis de tenter d'influencer l'opinion d'un député en invoquant des motifs humanitaires. Il ne pourrait pas dire: «Même si la cour a déclaré que j'ai commis une fraude, il y a des raisons pour ne pas m'enlever mon statut». Voilà pourquoi la procédure, validée à de nombreuses reprises, est à bien des égards plus utile qu'une procédure judiciaire.

Le vice-président: Le Cabinet a-t-il toujours eu ce pouvoir?

M. Sabourin: Oui.

Le vice-président: S'agit-il d'un pouvoir discrétionnaire même s'il est fondé sur la décision de la cour?

M. Sabourin: Oui. Sur ce dernier point, l'inverse évidemment n'est pas vrai. Si la cour constate qu'il n'y a pas eu fraude, l'affaire s'arrête là. Le gouvernement ne peut pas agir, ne peut pas aller de l'avant.

Le vice-président: Ce serait la fin de l'affaire?

M. Sabourin: Ce serait la fin de l'affaire. La personne demeure un citoyen.

Le vice-président: C'est intéressant.

Le sénateur Andreychuk: À ce sujet, vous dites que frauder, c'est frauder et que la cour ne tiendra pas compte des motifs humanitaires. Par contre, la cour utilisera toutes les dispositions possibles pour interpréter la signification de fraude. Par exemple, s'il y avait eu contrainte, on ne pourrait pas fournir la preuve qu'il y a eu fraude.

M. Sabourin: En effet.

Le sénateur Andreychuk: Il faut effectuer une analyse très technique de la fraude et tenir compte de nombreux jugements fouillés sur ces définitions. Si je comprends bien, vous ne proposez pas une application mécanique, mais plutôt une application fondée sur le jugement.

M. Sabourin: Oui, c'est délicat. Mais c'est ce que je dirais.

Le sénateur Andreychuk: C'est pourquoi nous constatons parfois qu'un juge aurait pu décider autrement.

M. Sabourin: Oui, en effet.

Le vice-président: Pouvez-vous nous dire s'il est déjà arrivé que le Cabinet ne partage pas l'avis de la Cour fédérale et n'ait pas révoqué la citoyenneté après une constatation de fraude?

M. Sabourin: Je ne sais pas jusqu'à quel point je peux vous parler des délibérations au sein du Cabinet.

Le vice-président: Je comprends. C'est une question hypothétique.

Le sénateur Cools: Si le témoin a des problèmes, nous pouvons continuer à huis clos. Nous devons laisser savoir au témoin que c'est notre intention de le protéger.

Le vice-président: Il m'est difficile de résister à la tentation de poser cette question sur le Cabinet.

M. Sabourin: Personnellement, je sais que des ministres responsables de la citoyenneté se sont présentés devant le Cabinet et y ont présenté des recommandations que l'on n'a pas retenues.

Le vice-président: Le Cabinet n'a pas suivi leurs recommandations.

M. Sabourin: En effet.

Le vice-président: Ce n'est pas un problème.

M. Sabourin: Évidemment.

Le sénateur Fraser: Au paragraphe 17(1), il est dit que le ministre «ne peut établir le rapport sans avoir auparavant avisé l'intéressé», mais il n'est fait aucune mention des détails du rapport. On peut supposer que la personne sera avisée par écrit qu'un rapport sera présenté au Cabinet pour l'informer qu'elle a obtenu sa citoyenneté frauduleusement. Toutefois, il n'est pas exigé que soit donnée une explication des éléments de preuve, des motifs du ministère ou des motifs du ministre à l'appui de la fraude. Ainsi, on peut dire à l'intéressé qu'il ou elle fera face à l'accusation la plus grave possible, qu'il ou elle a le droit d'en appeler devant les tribunaux, mais il n'y a rien qui puisse aider l'intéressé dans son recours aux tribunaux.

Si j'avais commis une fraude grave, sans la moindre excuse, je ne me donnerais peut-être pas la peine de m'adresser aux tribunaux. Toutefois, il me semble que certaines catégories de gens, des personnes peut-être moins bien instruites, ou des gens qui sont venus ici de pays où le régime judiciaire n'est pas très solide, pourraient tout simplement décider de laisser tomber se disant qu'ils devront sans doute retourner dans un camp de réfugiés à quelque part. Pourquoi ne pas dire à l'intéressé au moins quelles sont les preuves de fraude? Pourquoi négliger d'informer l'intéressé? N'est-ce pas l'un de nos droits démocratiques de savoir de quoi on nous accuse et sur quels éléments de preuve on se fonde?

Le vice-président: Tout à fait.

M. Sabourin: Je vais répondre partiellement et peut-être ensuite demanderai-je à M. Wolpert d'ajouter quelque chose. Tout d'abord, il y a la pratique que nous avons adoptée fondée sur des avis juridiques. La pratique veut que dans chaque cas où le ministre a envoyé un avis de révocation, il est entré dans les détails pour expliquer les motifs de la décision. Nos conseillers nous disent que si nous ne donnons pas un préavis équitable et un aperçu clair des motifs du rapport, l'intéressé sera incapable de se défendre. Monsieur Wolpert, voulez-vous ajouter quelque chose?

Le sénateur Fraser: Ce n'est pas ce qui est dit ici. Vous me dites que c'est la pratique, mais rien ne le confirme.

M. Max Wolpert, conseiller juridique, Justice Canada: Les tribunaux ont souligné, par exemple, dans l'affaire Dueck, que la ministre est liée par ce qu'elle met dans l'avis. En l'occurrence, M. Dueck était accusé d'avoir été le chef de police d'un certain village pendant la guerre et d'avoir aidé les Allemands. La cour a constaté que ce n'était pas le cas -- on n'a pas démontré la véracité de l'information. On a plutôt constaté qu'il avait joué un autre rôle, celui de collaborateur pendant la guerre. Toutefois, parce qu'il n'en était pas fait mention dans l'avis, ou dans l'exposé des faits qui lui avait été remis en cour, la ministre a perdu la cause.

Je travaille à la Division des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre au ministère de la Justice. Nous traitons de la révocation de la citoyenneté dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Nous faisons très attention lorsque nous rédigeons les avis pour la ministre afin qu'on y trouve précisés, au départ d'une façon assez succincte, mais suffisamment détaillée, le lieu, les circonstances et les autres allégations pertinentes.

Nous mentionnons les lieux géographiques, le moment, l'unité des forces d'occupation avec laquelle nous alléguons que la personne était liée. Ces avis contiennent bon nombre de détails. Si l'intéressé exerce son droit d'en appeler, la Cour fédérale utilise toutes les règles normales qui s'appliquent à des poursuites en bonne et due forme devant elle. C'est à la ministre, par l'entremise de son conseiller juridique, dans l'exposé des faits, de donner tous les détails de façon à ce que l'intéressé sache contre quoi il doit se défendre. Si c'est insuffisant, comme dans toute autre poursuite, la cour ordonnera que cela soit fait.

Le sénateur Fraser: J'aimerais continuer dans la même veine. Nous avons entendu un témoin ici aujourd'hui qui a souligné le principe juridique qui veut que si vous dites quelque chose à un endroit et ne le dites pas ailleurs, on suppose que c'est parce que vous ne vouliez pas le dire la deuxième fois.

Je constate qu'au paragraphe 21(3), la disposition sur l'intérêt public, il est dit que l'avis doit comporter un résumé des motifs contenus dans le rapport lié à l'intérêt public. Je comprends que dans ce cas-ci, il s'agit d'un rapport déjà rédigé. Dans le cas de l'article 17, il est question d'un rapport à écrire. Pourquoi ne pas au moins prévoir un résumé du rapport?

Je veux qu'on s'en prenne aux criminels de guerre. Aucun criminel de guerre ne devrait être en sécurité ici. Personne ne devrait trouver ici un refuge sûr.

M. Sabourin: Je peux peut-être tenter de répondre à cette question. Évidemment, à l'article 17, l'article sur la révocation, on prévoit une procédure qui force le ministre à renvoyer quelque chose à la Cour fédérale. S'il n'y inclut pas de résumé, comme l'a expliqué M. Wolpert, il se retrouvera dans une situation très difficile. Cela illustre...

[Français]

...le pouvoir de surveillance du judiciaire sur l'appareil exécutif...

[Traduction]

C'est bien le signe que les tribunaux ont un rôle à jouer pour faire en sorte que le ministre ait des comptes à rendre. La cour fédérale n'intervient pas dans l'application de l'article 21. Il s'agit ici d'un pouvoir exceptionnel. S'il n'était pas énoncé explicitement à l'article 21, les tribunaux auraient plus de difficulté à affirmer que le ministre assume une telle obligation.

On peut en débattre, mais il est beaucoup plus sage d'affirmer que le ministre assume une obligation de ce point de vue aux termes de l'article 21. Il n'y a pas de renvoi prévu à la cour fédérale. Je ne pense pas pouvoir vous répondre autre chose.

Le sénateur Andreychuk: J'ai entendu M. Wolpert parler des meilleurs usages du ministère lorsqu'il évoquait la présentation de cette information. Nous voyons l'effet de l'article 17 comme l'a dit, je crois, le sénateur Fraser: on a créé là un domaine juridique nouveau. C'est peut-être le même article qu'autrefois, mais l'élément juridique est nouveau.

Comme vous avez également ajouté l'article 21, où vous parlez de «résumé des motifs», il serait loisible aux tribunaux de dire qu'une mesure prise à titre de bon usage n'était pas indispensable parce que le Parlement ne la considérait pas indispensable. Il n'est nullement garanti que ce qui vaut pour la poursuite des usages et le maintien de l'opinion de la cour s'appliquera en l'occurrence. Il faut espérer qu'on en vienne ici à des conclusions.

Certains témoins ont dit -- et je crois que c'était aussi le propos du sénateur Fraser, qu'il se pourrait que certaines personnes reçoivent un avis. Peut-être risquent-elles de ne pas comprendre notre système si elles ne connaissent que la brutalité de l'exécutif de leur pays d'origine. Peut-être vont-elles s'imaginer que tout est fini.

Si elles comprenaient leur situation, peut-être pourraient-elles l'analyser. Elles pourraient adopter une attitude différente face à la révocation de leur demande.

Le sénateur Fraser: Elles pourraient même invoquer une erreur.

M. Sabourin: Sauf votre respect, il m'est bien difficile de conclure qu'à cause de l'ajout de l'article 21, la Cour fédérale sera amenée à dire qu'à son avis, les dispositions antérieures obligeaient le ministre à divulguer les motifs pour lesquels il présentait un rapport, mais qu'une telle obligation n'existe plus dans la nouvelle loi. À mon avis, ce ne serait pas conforme au principe évoqué tout à l'heure par le président, à savoir l'exigence de la divulgation d'emblée.

Je voudrais dire également que nous demandons aux nouveaux citoyens de montrer qu'ils comprennent les droits et responsabilités que comporte la citoyenneté. Nous leur demandons de prouver qu'ils comprennent les valeurs de notre pays. Nous leur demandons de nous expliquer pourquoi la primauté du droit s'applique au Canada. Ils savent toutes ces choses et comprennent que dans notre pays, on peut s'adresser en toute confiance à un agent de la GRC, sachant que vos droits individuels seront respectés et que l'agent est là pour vous protéger et non pour vous persécuter. Les nouveaux citoyens savent que la primauté du droit s'applique dans notre pays.

Je crois que la réponse est double. Tout d'abord, il ne faut pas sous-estimer le niveau de connaissances et de compréhension des nouveaux citoyens concernant leur pays d'adoption. Deuxièmement, le ministre a toujours l'obligation de divulguer cette information à défaut de quoi elle sera irrecevable devant les tribunaux.

[Français]

Le sénateur Nolin: À propos des droits de contrôle judiciaire, un témoin nous a parlé du pouvoir de contrôle de la Cour fédérale, à l'effet qu'il s'appliquerait nonobstant l'article 22(3) et qu'il s'appliquerait à un individu qui veut questionner l'à-propos de l'attitude du ministre ou du Cabinet à la suite d'une possible décision du Cabinet en vertu des articles 21 et 22.

Le pouvoir de la Cour fédérale s'appliquerait-il malgré l'article 22(3)? En d'autres mots, donneriez-vous des instructions au ministère de la Justice afin de vous représenter devant la Cour fédérale dans une mesure préliminaire disant: «Messieurs les juges, nous avons beaucoup de respect pour vous, mais vous n'avez pas juridiction en vertu de l'article 22(3) et votre pouvoir de contrôle ne s'étend pas à notre pouvoir discrétionnaire»?

M. Sabourin: Je dirais que d'après ce qu'on m'a enseigné en droit constitutionnel, -- et c'était un très éminent juriste assis au bout de la table qui me l'a enseigné -- il ne fait aucun doute qu'une clause privative est quand même sujette au pouvoir de surveillance des tribunaux. Le Parlement peut dire que c'est non susceptible de contrôle judiciaire, mais il reste tout de même que si le décret a été pris en violation des règles de justice naturelle ou parce qu'il y a eu un manque d'impartialité, il est certain qu'il y aura une intervention.

Le sénateur Nolin: Il y a donc un contrôle judiciaire?

M. Sabourin: Absolument.

Le sénateur Nolin: Le paragraphe 3 est là mais ne veut rien dire?

M. Sabourin: Il est là pour s'assurer qu'il n'y a pas de tentative d'ouvrir un droit d'appel comme tel. L'article 22(3) est là pour s'assurer qu'il n'y aura pas de tentative de questionner les conclusions tirées par le Cabinet qui agit comme un organe décisionnel administratif.

Le sénateur Nolin: À ce moment-là, je vous reconnais le mot «droit d'appel». Or, il n'y a pas de droit d'appel. Pourquoi avoir ajouté les mots: «ni de contrôle judiciaire»? Si je comprends votre raisonnement sur le droit d'appel, vous ne voulez pas questionner l'à-propos de la décision, à savoir comment la décision a été prise, si les règles de justice naturelle ont été respectées, ainsi que les droits conférés à tout individu qui vit au Canada en vertu de la Charte. Je n'ai pas de problèmes avec cela. J'espère que vous ne voulez pas empêcher cela. Alors, pourquoi avoir ajouté les mots: «le contrôle judiciaire»?

M. Sabourin: Il y a une distinction entre le texte anglais et le texte français dans la loi. Dans le texte français, on parle de contrôle judiciaire dans des termes génériques. Vous remarquerez qu'en anglais on emploie les mots «review by any Court». On ne dit pas «judicial review by the Federal Court», comme on ne dit pas «contrôle judiciaire par la Cour fédérale» en français. Je crois que la terminologie en français est utilisée dans un sens générique.

Le sénateur Nolin: Au paragraphe 3 de votre mémoire, vous dites que le décret est définitif et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel -- je vous le concède -- ni de contrôle judiciaire. À ce que je sache, le texte français a autant de valeur que le texte anglais.

M. Sabourin: Absolument.

Le sénateur Nolin: J'accepte vos arguments sur le questionnement de l'à-propos de la décision du Cabinet. Je n'argumente pas. C'est un pouvoir discrétionnaire et l'exécutif doit l'avoir, mais pourquoi pas de contrôle judiciaire? Je comprends qu'en anglais on a employé un autre terme, mais on s'entend tous pour dire qu'un juge moindrement bien informé saurait que cela veut dire le contrôle judiciaire de la Cour fédérale; et ce, qu'il lise le texte anglais ou le texte français.

M. Sabourin: Si on croit que le terme peut être lu de façon plus générique, on croit et on accepte qu'il y aura un pouvoir de surveillance qu'on ne peut pas abroger de toute façon. Si on croit que le mot «judiciaire» a une connotation qui tente à prévenir l'intervention, le contrôle judiciaire et le pouvoir de surveillance, il est clair qu'une cour viendrait dire que ces mots ne sont pas constitutionnellement valides.

Je pencherais alors pour l'interprétation qui dit qu'il y a une connotation plus générique et bien que chacun des textes, français et anglais, ont force égale de loi, les dispositions s'interprètent les unes par rapport aux autres. On lit alors le français et l'anglais en même temps pour tenter de voir où on veut en venir. Il est clair que l'intention de ces dispositions est de s'assurer qu'il n'y a pas un tribunal qui veut intervenir autrement que sur les bases normales de contrôle judiciaire, tel qu'on l'entend dans le contexte de la Loi sur la Cour fédérale. Il n'est pas question d'une intention, dans l'article 22, qui voudrait dire qu'on veut soustraire l'application du pouvoir de surveillance. Ce serait de toute façon impossible pour le Parlement.

Le vice-président: Ce serait interprété comme cela, d'après moi.

Le sénateur Nolin: Donc, on a parlé pour ne rien dire dans la loi.

Le vice-président: Cela peut arriver.

[Traduction]

Le sénateur Cools: Dans le contexte des propos du sénateur Nolin, que signifie la formule «par dérogation à toute autre loi fédérale»? Pourquoi figure-t-elle dans un projet de loi? Pourquoi faudrait-il que le Parlement l'accepte? À la page 8, le paragraphe 17(3) comporte la formule «par dérogation à toute autre loi fédérale». Le Parlement n'a pas à adopter des lois qui dérogent à son action législative.

Le sénateur Nolin: On la trouve dans l'ancienne loi, mais elle est assujettie à l'application de la Charte. C'est une clause privative.

[Français]

Pour s'assurer que la déclaration ne s'applique pas, on utilisait ce genre de formule.

Le vice-président: Nonobstant toute autre déclaration?

Le sénateur Nolin: C'est une sorte de formule nonobstant déguisée. C'est une clause privative très large.

Le vice-président: Une chose est certaine concernant cette clause privative, c'est que dans notre système, les cours interviendront toujours à cause de leur contrôle judiciaire. On ne pourra jamais écarter cela.

M. Sabourin: C'est certain. C'est compris, accepté et reconnu par toutes les parties qui ont contribué à l'élaboration de ces dispositions.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: J'ai plusieurs questions à poser, mais je voudrais commencer par celle-ci: aux termes de l'alinéa 17(1)b), si quelqu'un demande la saisine de la Cour fédérale dans les 30 jours qui suivent l'envoi de l'avis, la Section de première instance se prononce par prépondérance des probabilités. Je sais qu'il y a eu des amendements à ce sujet à la Chambre. Pourquoi demandez-vous à la Cour fédérale de trancher? En supprimant la formule «par prépondérance des probabilités», vous vous conformeriez au droit actuel et à la jurisprudence concernant ce critère. Cette disposition me semble curieuse. Est-ce qu'on s'en remet aux tribunaux pour une réinterprétation? Je vous pose la question parce qu'une certaine jurisprudence se prononce pour la prépondérance des probabilités, mais il faudrait un degré de probabilité plus élevé que dans d'autres domaines, car la citoyenneté revêt une importance particulière. Je ne vous citerai pas les arrêts en question; vous les connaissez sans doute mieux que moi. Mais pourquoi a-t-on repris cette expression? Elle avait sa raison d'être avant les amendements apportés à la Chambre des communes. Est-ce qu'elle l'a toujours? Quel est le but visé?

M. Sabourin: Comme vous l'avez bien indiqué, on s'est consacré à ce sujet dans l'autre endroit, et on a estimé qu'il fallait expressément reconnaître l'évolution de la jurisprudence de la Cour fédérale en disant qu'elle se prononçait par prépondérance des probabilités et que le Parlement en prenait acte. Je n'entends pas me prononcer sur l'intention du comité qui a étudié précédemment ce projet de loi, mais c'est ainsi que je comprends ce qui y a été dit et que c'est pour cela que la formule a été retenue.

Le sénateur Andreychuk: Si on la supprimait, quel devrait être le critère, selon les conseillers juridiques? Si l'on supprimait les mots «par prépondérance des probabilités», quel critère devrait appliquer la Cour fédérale?

M. Stevens: Ce serait toujours la prépondérance des probabilités, car nous ne sommes pas dans le domaine du droit pénal et la norme de la preuve «hors de tout doute raisonnable» ne s'applique pas.

Le sénateur Andreychuk: La disposition sur l'intérêt public me préoccupe beaucoup. Nous allons recevoir un mémoire sur l'évolution de la notion d'intérêt public et sur la jurisprudence à ce sujet. Est-ce qu'on ne s'expose pas ici à des circonstances imprévues? C'est un peu comme si on faisait un chèque en blanc pour l'avenir. Chacun sait qu'on ne peut pas prédire l'avenir. En droit pénal, il faut pouvoir prévoir toutes sortes de situations, mais les lois doivent viser des dangers et des problèmes actuels et précis. À mon avis, c'est là la prérogative absolue de l'exécutif, et c'est pour lui une difficulté importante, car il faut considérer la situation internationale. Au plan international, aux époques antérieures comme actuellement, ce sont généralement les abus du pouvoir exécutif qui privent les citoyens de leurs droits civiques, qui les chassent du pays ou qui les dépouillent de leur citoyenneté.

Cette attitude de l'exécutif est généralement associée aux États répressifs ou totalitaires, aux régimes communistes ou staliniens, qui invoquent toujours l'autorité de la loi pour justifier leurs actions.

Dans la société actuelle, comme vous l'avez dit, nous essayons de faire preuve de compassion et de compréhension. Nous avons opéré un changement fondamental en affirmant que la citoyenneté est un droit. Le requérant doit passer un examen, mais l'octroi de la citoyenneté ne peut être discrétionnaire, et la ministre en convient parfaitement. Elle a elle-même évoqué un cas particulier, vous l'avez fait également. Cependant, dans une perspective plus large, il semble qu'on essaie de légiférer pour investir le gouvernement des pouvoirs auxquels aspirent les dirigeants répressifs qui veulent exercer une mainmise sur la population.

M. Sabourin: Vous évoquez là des arguments qui forcent à réfléchir sur les raisons pour lesquelles il y a lieu de s'inquiéter des pouvoirs discrétionnaires illimités. Comme vous le dites, on associe normalement les vastes pouvoirs discrétionnaires aux régimes oppresseurs. J'ai parlé avec la ministre des intentions du gouvernement et ce qu'il faut en retenir, c'est qu'il y a un certain équilibre à respecter. D'un côté, il est loisible au gouvernement d'accorder la citoyenneté. C'est le cas dans la plupart des pays et c'était aussi le cas au Canada. En revanche, il existe aussi un droit restreint d'obtenir la citoyenneté sans réserve.

L'équilibre consiste à s'orienter vers le droit restreint, tel qu'on l'a reconnu en 1977, tout en tirant les leçons de notre expérience des 23 dernières années. Peut-être s'agit-il d'un dossier très délicat présentant des circonstances imprévisibles où on devra imposer certaines restrictions. Il va falloir profiter des occasions pour que les choses évoluent.

Vous avez évoqué des activités criminelles, par exemple, pour lesquelles il faut éviter d'accorder un chèque en blanc ou un mandat trop large à l'exécutif. C'est bien certain. Le Parlement doit agir et doit indiquer clairement les conséquences de certaines actions. Que se passerait-il dans le cas d'un crime sur lequel le Parlement n'aurait pas eu l'occasion de légiférer? N'est-il pas souhaitable que le gouvernement ait la possibilité d'imposer un délai de cinq ans à l'octroi de la citoyenneté à une personne qui a commis des actes généralement considérés comme répréhensibles que le Parlement envisage sérieusement de placer sous le coup de la loi, peut-être même d'une loi pénale?

Sans cette soupape de sécurité, comme l'a dit la ministre, le gouvernement se trouve paralysé. Je peux vous parler d'un cas où, en ma qualité de greffier de la citoyenneté canadienne, j'ai été accusé d'outrage au tribunal, ce qui est bien un comble pour un officier de justice. Ce cas s'est produit parce que mon ministre et mois avions en notre possession des renseignements indiquant qu'on pouvait difficilement envisager d'accorder la citoyenneté à un certain individu. La cour nous a demandé pourquoi nous retenions le dossier et nous a sommés de nous conformer à la loi et de traiter ce dossier.

Personne ne peut prévoir l'avenir. Il pourrait survenir des circonstances où toutes les personnes ici présentes souhaiteront que l'on empêche un certain individu d'entrer dans la famille canadienne, du moins jusqu'à ce que l'on ait pu faire certaines vérifications concernant des comportements que nous jugeons totalement répréhensibles.

Dans mon exposé, j'ai cité un exemple qui est loin d'être idéal. Il existe sans doute de meilleurs exemples, et j'en suis bien conscient. Notre ministre a parlé du cas d'un individu qui incite à la haine ou à la violence. On peut essayer de définir des exemples, mais la difficulté, c'est toujours de prévoir l'avenir. L'article 21 se veut, comme l'a dit la ministre, une soupape de sécurité que ne pourront utiliser que des personnes qui ont des comptes à rendre au Parlement.

Le sénateur Andreychuk: Je respecte votre réponse. Il me semble cependant que s'il est vraiment question des crimes haineux les plus horribles, on peut rétorquer que des comportements que le Parlement jugeait haineux et dangereux à une certaine époque se sont transformés par la suite en droits de la personne dignes d'être défendus. Notre histoire n'est pas irréprochable de ce point de vue.

Compte tenu de ces deux ensembles de principes, il faudrait être plus précis. Cette disposition accorde un chèque en blanc au ministre. C'est un message que peuvent difficilement accepter certains membres de notre société qui ne sont pas nés ici et dont on va pouvoir examiner le passé à la loupe, alors que ceux qui sont nés ici ne subiront rien de tel.

Ce n'est pas une bonne politique internationale de citoyenneté. Il est certainement possible d'obtenir les mêmes résultats tout en imposant certaines réserves pour faire en sorte qu'il ne puisse y avoir révocation pour des motifs futiles. Le ministère pourrait procéder ainsi dans certains dossiers, plutôt que de s'adresser aux tribunaux, par crainte de tomber sur un juge peu compréhensif. Les objectifs de transparence et de promotion des valeurs sociales seront battus en brèche si les choses se passent en coulisses.

M. Sabourin: Vous dites que les valeurs de la société ont considérablement évolué au fil des ans; vos propos trouvent en moi une résonance profonde. Des actes qui étaient répréhensibles dans le passé ne le sont plus. Cela va sans dire. Il va aussi sans dire que certains gestes qui étaient tolérables ou permissifs dans le passé ne le sont plus aujourd'hui. Avec l'évolution de ces questions, comment pouvons-nous prédire ce que sera l'avenir et quels comportements devront être ciblés?

Vous avez parlé de la précision. Pourrions-nous employer des termes plus précis qui, sans être trop limitatifs, préciseraient au moins quand cet article s'appliquerait afin que nous le comprenions mieux? M. David Matas vous en a parlé. Je lui en ai aussi parlé. C'est un homme très compétent et très érudit. Je le respecte beaucoup et j'admire son travail, mais lorsque je lui ai demandé de m'expliquer la nécessité d'être plus précis, il m'a répondu: «Donnez-moi un cas, et je vous proposerai un libellé».

Si je connais un cas, je peux trouver un libellé. Si j'avais un exemple précis, je pourrais trouver un libellé clair permettant l'exercice de ce pouvoir. Mais nous ne sommes pas en mesure de le faire.

Pour terminer, j'aimerais faire une observation sur la nature illimitée de ce pouvoir. Les articles libellés de façon si vague sont exceptionnels. Le gouvernement le reconnaît, la ministre en a aussi parlé, mais cela ne signifie pas que ce pouvoir est sans limite. J'ai entendu quelqu'un dire: «Que se passera-t-il si le gouvernement au pouvoir n'est pas aussi ouvert que le gouvernement actuel? Et si le gouvernement décidait que les personnes sidéennes sont indésirables et invoquait contre elles la disposition de l'intérêt public?» J'ai discuté de cette possibilité avec mes conseillers et avec l'avocat du ministère de la Justice.

Il ne fait aucun doute qu'un avis indiquant qu'un décret a été pris en vertu de l'article 21 pour ce motif-là ferait l'objet d'une attaque vigoureuse de la part des tribunaux puisque cela constituerait une violation abjecte de la Charte et des droits de l'intéressé. Ces dispositions sont vastes, mais certainement pas autant que celles de la Charte. Elles ne contredisent certainement pas les principes enchâssés dans la Charte, particulièrement le droit à l'égalité prévu à l'article 15. Il ne s'agit pas d'un pouvoir illimité que nous jugerions répréhensible dans un régime totalitaire. Il s'agit plutôt d'un pouvoir conféré à l'exécutif, pouvoir peut-être vaste, peut-être pas clairement défini pour les raisons que j'ai énoncées, mais qui reste assujetti à un contrôle judiciaire.

Le sénateur Andreychuk: Je dirai pour terminer que, avec les années, nous avons commencé à appliquer prudemment les concepts de l'intérêt national et de la sécurité, mais nous nous sommes toujours assurés que leur définition correspondait aux principes internationaux. Cet article continue de me troubler, car il est très subjectif et dépend du point de vue du parti au pouvoir. Nous nous vantons d'être une société pluraliste. Nous savons aussi que les conseils des ministres sont composés de gens qu'ils sont comme ceux qu'on trouve ailleurs au pays et qui sont susceptibles de faire parfois de grosses erreurs.

Nous avons de vastes définitions, de vastes pouvoirs mais aucun contrôle ni recours externe. Je termine là-dessus. Je comprends ce que vous dites.

M. Sabourin: Les termes «intérêt public» ont un sens. Cette expression est employée non seulement au Canada, mais dans bien d'autres pays pour décrire un ensemble de valeurs ou une certaine réalité. Bon nombre d'entre vous en connaissent bien plus que moi dans ce domaine du droit, mais la Cour suprême s'est exprimée sur l'ensemble unique de valeurs qu'on peut décrire comme traduisant le bien commun et qui touchent le bien-être de la société. Par conséquent, même si cette expression est vaste et subjective, vous avez raison de le souligner, on ne peut l'isoler de la définition qu'on en a faite.

Si le ministre recevait une demande de déclaration et que la demande s'avérait n'être d'aucune pertinence au regard de l'expression telle qu'elle aurait été définie par la cour, le ministre pourrait alors difficilement faire une recommandation en ce sens.

Le sénateur Andreychuk: Je reviens à votre exemple. Nous savons que cet homme battait ses enfants. Il y a des séquences filmées et des preuves visibles de même que des preuves écrites qui en témoignent. Nous connaissons aussi le pouvoir de la technologie, et nous savons qu'il est possible de présenter des clichés tout à fait hors contexte. Il va de soi qu'une personne n'est pas nécessairement coupable de meurtre du simple fait qu'on l'a trouvée un fusil fumant à la main. Il pourrait y avoir des motifs de défense, et cetera.

Il me semble que, si on invoque l'intérêt public pour retirer à cette personne la citoyenneté, on porte ainsi un jugement sur des causes qui n'ont peut-être pas été décidées selon les normes canadiennes, et on ne donne pas à la personne la possibilité de bien se défendre comme elle pourrait le faire devant un tribunal. On a évoqué le cas d'une personne qui aurait été accusée, puis acquittée dans un autre pays, sur un point de détail. Les points de détail servent, d'après ce que j'ai appris, de mesures de sauvegarde. Nous nous trouverions à dire que le système de l'autre pays n'a aucune valeur et que son tribunal d'arbitrage a rendu une décision tellement inadmissible que nous l'écarterions. Il me semble que nous irions à l'encontre de ce que nous cherchons à accomplir peu à peu dans le monde, à savoir édifier des systèmes judiciaires auxquels nous pouvons faire confiance.

Nous venons d'adopter le projet de loi C-19, et nous avons dû travailler très fort pour en arriver à des descriptions et des décisions communes. Nous avons fait l'expérience d'une loi sur l'extradition. Le ministre devrait-il intervenir? À qui faisons-nous confiance, au procureur d'un État américain ou à notre ministre? Ce sont là des questions où le jugement joue une part importante.

Votre exemple m'effraie. Nous ôterions à quelqu'un la citoyenneté, non pas le droit d'entrer au pays, mais la citoyenneté, en nous fondant sur le jugement que nous aurions porté sur le système de quelqu'un d'autre et sur une affaire judiciaire.

Le sénateur Fraser: Il ne s'agit pas d'ôter, mais bien de refuser.

Le sénateur Andreychuk: Excusez-moi, j'ai manqué de rigueur dans le choix du terme. Vous avez raison.

M. Sabourin: Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire qu'il ne faut pas considérer un verdict de non-culpabilité comme étant simplement le résultat d'un point de détail, qu'il ne faut pas attaquer le verdict pour cette raison et le déformer. Je tiens toutefois à faire remarquer qu'il pourrait y avoir dans le monde des régimes ou des pays où les tribunaux n'ont pas la même réputation d'intégrité que les nôtres et ceux d'autres pays. Il n'en reste pas moins que, dans l'exemple que j'ai cité, il y avait eu un verdict d'acquittement au criminel, mais que les tribunaux avaient conclu, sur la prépondérance des probabilités, à la responsabilité civile de cette personne du fait qu'on pouvait lui reprocher d'avoir causé la mort de ces enfants. Dans cet exemple hypothétique, au terme d'un processus rigoureux fondé sur la primauté du droit, on a conclu à la responsabilité de la personne dans cette affaire, et je crois que la plupart des Canadiens trouveraient son comportement répréhensible.

En conclusion, je sais que vous n'avez pas voulu laisser entendre en utilisant le mot «ôter» qu'il s'agissait de retirer à quelqu'un sa citoyenneté.

Le sénateur Andreychuk: Non. Je voulais dire la lui «refuser». Je suis désolée.

M. Sabourin: Le refus dans ces cas-là vaut pour cinq ans. Si l'on prévoit une date d'expiration du délai, c'est pour déterminer s'il est possible que, pendant cette période, la personne sera de nouveau accusée ou condamnée. Je qualifierais cela de période de probation.

Le sénateur Pearson: Sur une tout autre question, j'ai passé 35 ans dans le service extérieur. Je me demande si, à votre avis, l'article 9 concernant l'attribution de la citoyenneté est un redressement suffisant eu égard à ce qui m'apparaît être un resserrement des critères de résidence. Beaucoup de mes collègues ont servi fidèlement le Canada à l'étranger, mais n'ont jamais pu passer suffisamment de temps au Canada.

M. Sabourin: Je vous ferai une réponse en deux parties, et je me permettrai de commencer par situer un peu la discussion dans le contexte. Je dirais que, pour représenter le Canada à l'étranger, il faut être un citoyen.

Le sénateur Pearson: Tout dépend de la façon dont on définit la représentation. Je suis l'épouse d'un membre du service extérieur, et je peux vous dire que les conjoints représentent bien le pays à l'étranger.

M. Sabourin: Merci, sénateur.

Des voix: Bravo!

M. Sabourin: Vous m'avez devancé, et vous avez bien raison. Le gouvernement reconnaît cela. Il reconnaît que le conjoint d'un citoyen servant le Canada à l'étranger fait un travail très important à l'étranger et qu'il ou elle ne devrait pas être pénalisée du fait d'être à l'extérieur du Canada avec son conjoint pendant la durée du service.

Je vous inviterais à vous reporter aux dispositions du projet de loi omnibus que le Parlement a adopté récemment, le projet de loi C-23. Il est dit dans cette loi qu'elle sera automatiquement modifiée si le projet de loi C-16 entre en vigueur. Elle sera automatiquement modifiée pour y ajouter un paragraphe à l'article 6 qui préciserait que le temps que le conjoint d'un citoyen canadien servant à l'étranger passe à l'extérieur sera calculé aux fins de la résidence au Canada. On a donc prévu le coup.

Le sénateur Pearson: Cela est très utile. Je savais qu'il en était question, mais je voulais qu'on me le précise. Plusieurs personnes ont aussi parlé de l'article 8, et je crois qu'il est également très important. Il porte sur l'adoption. D'après l'expérience que j'ai du service extérieur, les agents d'immigration sont souvent surchargés et qu'ils n'ont pas la compétence pour déterminer quel est l'intérêt supérieur de l'enfant.

Qu'a-t-on voulu dire par là? Pourquoi a-t-on inclus cela? Si l'adoption s'est faite selon les règles habituelles, quelqu'un d'autre aura fait cette détermination.

M. Sabourin: Comme vous le savez sans doute, l'expression «dans l'intérêt supérieur de l'adopté» a été ajoutée à la suite d'un amendement qui a été proposé à l'autre endroit suivant l'examen du projet de loi. Nous voulions ainsi avoir un mécanisme qui nous permettrait de tenir compte des préoccupations exprimées par les provinces relativement à l'application de cette disposition.

Nous avons eu des discussions exhaustives avec les gouvernements provinciaux pour diverses raisons, notamment parce que l'autorité constitutionnelle relative aux questions d'adoption appartient aux provinces. Les gouvernements provinciaux nous ont dit qu'ils craignaient qu'on attribue la citoyenneté à un enfant qui souffrirait d'un trouble médical, par exemple, dont les parents n'auraient pas été informés. Les provinces savent par expérience que, quand les parents adoptent un enfant et qu'ils ne comprennent pas les soins que nécessitera l'enfant plus tard, il y a un risque réel qu'ils abandonnent l'enfant parce qu'ils sont incapables de lui assurer les soins que nécessite son état et que ce soit la province qui doive en assumer la garde.

Le gouvernement fédéral a toujours dit très clairement que l'attribution de la citoyenneté ne dépendrait pas de l'état de santé. Cependant, pour déterminer si l'adoption est valable et si les parents comprennent l'état de santé de l'enfant avant de décider de l'adopter, nous prévoyons prendre des règlements en vertu de la loi afin de permettre qu'une vérification soit faite pour s'assurer que les parents sont informés.

Nous avons pensé que la meilleure façon de lancer ce processus serait de recourir à une expression qui est définie et utilisée en droit international et dans les lois de plusieurs provinces relativement au statut des enfants adoptés. Nous considérons que cette disposition nous permettrait de prendre des règlements qui tiendraient compte des préoccupations exprimées par les provinces à ce sujet.

Le sénateur Pearson: C'est pour cette raison qu'on a inclus cette expression?

Mme Frith: Je pourrais peut-être ajouter quelque chose. Dans les discussions que nous avons eues avec les provinces, il y avait plusieurs points d'interrogation, notamment au sujet des processus que nous utiliserions, de la façon dont nous veillerions à l'intérêt supérieur de l'enfant et de la compétence de ceux qui seraient appelés à étudier les dossiers. Nous avons de nombreuses années d'expérience du côté de l'immigration pour ce qui est des adoptions à l'étranger, et c'est quelque chose qui a toujours été très important pour le ministère. Nous cherchons toujours à faire échec au trafic d'enfants et à respecter le droit international.

La question de «l'intérêt supérieur de l'enfant» est une question qu'ont souvent à se poser nos gens qui travaillent à l'étranger. Ils travaillent en collaboration avec les provinces. Au début, nous avions pensé que nous pourrions régler la question par la voie de la réglementation et qu'il ne serait pas nécessaire d'en parler dans la loi comme telle. Nous en sommes toutefois venus à la conclusion qu'il vaudrait bien mieux dire expressément à l'article 8 que l'adoption doit avoir été faite «dans l'intérêt supérieur de l'adopté».

Autrement dit, il faut avoir l'assurance que l'adoption a été faite en bonne et due forme -- car ce n'est pas le cas dans certains pays. On étudiera donc la situation de la famille, tout comme cela se fait dans les provinces pour les adoptions au Canada, et le rapport de l'étude sera communiqué aux provinces. Elles auront également l'assurance que la famille a été informée de l'état de santé de l'enfant et que les parents prennent l'engagement de s'en occuper en connaissance de cause.

Voilà toutes les considérations qui ont conduit à cette décision. Nous aurions également un moyen de communiquer avec les provinces pour qu'elles puissent nous donner le feu vert, nous dire que l'adoption a été faite selon les règles.

Le sénateur Pearson: C'est simplement que, ayant moi-même passé un an à m'occuper de la question de la garde et de l'accès, j'estime que «l'intérêt supérieur de l'enfant» n'est pas plus clair que l'intérêt public, ce terme-là étant sans doute plus clair que le premier. Je comprends les raisons qui vous ont amenés à faire ce que vous avez fait, mais j'espère que vous pourrez vérifier que l'adoption a été faite en conformité avec ces règlements.

M. Sabourin: Je dirai en réponse à cela que nous élaborons les règlements en consultation avec les provinces. Nous voulons nous assurer qu'ils tiennent compte des préoccupations exprimées par les provinces. L'objet des règlements sera d'énumérer une liste de facteurs qui devront être pris en compte pour déterminer si l'adoption a été faite dans l'intérêt supérieur de l'adopté.

Le facteur clé dans tout cela, c'est que les provinces ont dit qu'il fallait une étude de la situation de la famille. Nous croyons que c'est là une condition très importante, car la loi dans d'autres pays n'exige pas nécessairement ce type d'étude. Nous pourrons donc demander qu'une étude soit faite de la situation de la famille afin que la province puisse déterminer si, à son avis, l'adoption est légitime.

Le sénateur Pearson: Cela s'explique par le fait que la citoyenneté n'est attribuée qu'après que la province a déclaré l'adoption légitime.

M. Sabourin: Exactement.

Le sénateur Pearson: Finalement, l'intention que j'approuve entièrement, est de s'assurer à tout le moins que l'enfant aura la citoyenneté avant d'arriver au Canada.

M. Sabourin: C'est juste.

Le sénateur Pearson: Je ne suis toujours pas convaincue que c'est vraiment la meilleure formulation possible, mais je suppose que c'est le mieux que vous puissiez faire pour le moment.

[Français]

Le sénateur Joyal: Ma première question est reliée au non-parallélisme de la procédure prévue au projet de loi C-16, par rapport à celle qui est prévue dans la Loi sur l'immigration. Pourquoi faire moins dans un cas que dans l'autre, alors que dans la Loi sur la citoyenneté, il y a plusieurs droits qui résultent de l'obtention de la citoyenneté?

Ma deuxième question porte sur l'article 17(3). Je ne suis pas encore convaincu que l'exclusion de la permission d'en appeler est juste, compte tenu que la décision que doit prendre la Cour fédérale de première instance est fondamentalement reliée à la fraude.

Si vous regardez la définition du paragraphe 17(1)b), on parle de fausse déclaration, de fraude ou de dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Une intention malveillante de tromper est présente dans les trois éléments. Si vous regardez ce que la Cour d'appel fait normalement dans les cas habituels de fraude en droit privé, elle réévalue l'intention frauduleuse et elle ne revoit pas les faits qui amènent à conclure l'existence des faits eux-mêmes. C'est la première cause dans laquelle j'ai moi-même été impliqué dans une affaire testamentaire il y a 35 ans.

J'ai beaucoup de difficulté à exclure le droit d'appel quand la décision en première instance n'est pas exclusivement fondée sur l'appréciation de faits objectifs. Selon moi, il y a là un élément de discrétion très important. Et vous savez très bien que la personnalité des gens dans une cause comme celle-là est un élément important et souvent déterminant de l'impression qui est créée. Souvent, la preuve n'est pas si concluante. On se fait une appréciation des témoins, et le reste.

En excluant la permission d'en appeler, je ne suis pas certain que l'objectif que vous poursuivez de judiciariser et de ne plus être sujet à l'appréciation d'une commission, comme c'était auparavant le cas, rencontre les objectifs de fond poursuivis dans le projet de loi. C'était là mon commentaire au sujet de l'article 17(3).

Ma troisième question porte sur l'article 30 qui, à mon avis, comporte une faute de rédaction.

[Traduction]

Je vais demander à M. Stevens de se pencher là-dessus. L'article 31 est important parce que dans la version anglaise, il est question d'un «material defect».

[Français]

Il est mentionné en français:

Le ministre peut [...] dans le cas où, selon lui, la décision est entachée d'une erreur importante.

Il s'agit de deux choses différentes. Dans un cas, l'expression «a material defect» réfère à une omission administrative, un papier manquant, à un cas où, par exemple, un certificat de naissance n'aurait pas été produit, tandis que dans l'autre cas, c'est une erreur importante.

Qu'est-ce qu'une erreur importante? Je ne vois pas de quelle façon cette traduction établit une concordance de droit. Le ministre ayant un pouvoir discrétionnaire, la discrétion est donc augmentée selon l'un ou selon l'autre.

Quant à l'article 14, j'aimerais revenir à une question qui, vous le savez, a souvent été posée. Dans notre système de droit, alors qu'on possède la citoyenneté, comment peut-on en être déchu sans même en avoir été informé?

D'un côté, avec un retard de deux semaines, Revenu Canada envoie des rappels trois fois par mois. De l'autre côté, si quelqu'un est sur le point de perdre sa citoyenneté, il n'en sera même pas informé. Je vous avoue que je trouve cette situation un peu difficile. La personne n'est coupable de rien. Le simple fait de ne pas l'avoir demandé entraîne la déchéance du droit. Je voudrais bien que votre analyse puisse me convaincre à ce sujet. Ma dernière question porte sur l'ordre public.

[Traduction]

Je vais passer à l'anglais pour cette question-ci puisque vous en avez parlé en anglais. L'intérêt public au conseil des ministres -- j'y ai déjà été et je ne révélerai pas de secrets -- est fonction d'une dynamique sociale. Je vous propose comme scénario un conseil des ministres où le premier ministre aurait dit que le sida est un châtiment de Dieu. Il est contre le mariage des gais, parce qu'il y voit un péché contre l'ordre social -- contre l'unité familiale -- et que le mariage entre gais devrait relever de l'appréciation individuelle même si la Cour suprême du Canada s'est prononcée là-dessus. Le cas n'est pas hypothétique. Les propos ont vraiment été tenus. Que feriez-vous dans le cas d'une personne ayant été diagnostiquée comme sidéenne qui demande la citoyenneté et qui vit dans une union avec un conjoint du même sexe aux termes d'une loi provinciale qui reconnaît son union avec son conjoint du même sexe comme étant un engagement légal? La personne présente sa demande au conseil des ministres sous un premier ministre comme celui-là. Comment définit-on à ce moment-là l'intérêt public?

Personne n'aura accès au compte rendu des discussions, il sera confidentiel. On en discutera autour de la table au conseil des ministres où la majorité des ministres partagent vraisemblablement l'opinion du premier ministre.

Je soutiens que l'intérêt public est une notion très fluide. Vous avez parlé de M. Matas. Sauf tout le respect que je vous dois, monsieur Sabourin, et je vous connais depuis des années, je ne suis pas d'accord avec vous quand vous laissez entendre que M. Matas ne pourra pas définir ce qu'est l'intérêt public. Je connais M. Matas depuis 20 ans. Il y a 20 ans qu'il vient témoigner devant le Parlement canadien. Ne ternissons pas sa réputation: si nous lui demandions de venir nous décrire les éléments essentiels de l'intérêt public, il serait en mesure de nous présenter des éléments.

Je trouve inacceptable de l'interpeller en lui disant: «Pensez-vous savoir ce qu'est l'intérêt public?» Nous tous qui avons participé au débat public sur cette notion savons comme elle est fluide. Rien ne nous empêche cependant de définir des grands critères, de fixer à tout le moins certains paramètres pour notre société qui doit être guidée par la primauté du droit et qui doit, autant que possible, définir cette primauté du droit et obtenir une appréciation des tribunaux, notamment quand les dirigeants politiques font l'objet de pression ou qu'ils ont une conviction personnelle qu'ils veulent imposer ou encore quand ils donnent l'impression que cette conviction religieuse influence leurs décisions. Je sais quel est mon point de vue à ce sujet. Vous nous avez présenté le vôtre; je vous présente le mien. Il n'est pas nécessaire d'en débattre. Je tenais simplement à le présenter publiquement.

Ce sont toutes les questions que j'ai, monsieur le président.

[Français]

M. Sabourin: Premièrement, loin de moi l'idée d'attaquer de quelque façon que ce soit M. Matas. D'ailleurs, quand j'ai parlé de lui, j'ai dit que j'admirais son travail et que selon moi, il était d'une compétence sans reproches.

N'ayant pas encore lu de propositions de texte, il m'est difficile de prendre position sur un texte qui serait de qualité supérieure puisque personne ne me demande d'en considérer un. Pour revenir aux cinq points que le sénateur Joyal a soulevés dans sa question, je vais tenter d'y répondre de mon mieux.

Pour ce qui est du parallélisme avec la Loi sur l'immigration, j'ignore jusqu'à quel point on peut faire les comparaisons entre l'une et l'autre loi. En particulier, je pense qu'il y a eu des inquiétudes concernant certaines dispositions prévues dans le projet de loi C-31.

De son côté, le projet de loi C-16 tient compte des autres lois fédérales qui existent en ce moment, y compris le Code criminel et l'actuelle Loi sur l'immigration. Par contre, pour ce qui est des dispositions du projet de loi C-31 qui ne concordent pas avec le projet de loi C-16, rien n'empêche de faire des modifications à la Loi sur la citoyenneté pour qu'effectivement il y ait un équilibre.

Je pense tout particulièrement aux questions de peines qui sont prévues pour les crimes. Il n'y a aucun problème à créer un équilibre entre les deux. Lorsque le projet de loi C-31 entre en vigueur, il entre en vigueur.

Ensuite, concernant la question de révocation et celle du paragraphe 17(3), on doit se demander s'il s'agit de questions de fraude exclusivement, ou pas. Au tribunal d'appel, dans une affaire civile de fraude, est-ce qu'on a la capacité ou pas de faire une réelle appréciation de l'intention?

Je suis entièrement d'accord avec ce que vous avez dit, mais il ne faut pas oublier qu'ici, ce qu'on tente d'obtenir, c'est le conseil le plus impartial possible pour ensuite permettre au ministre de procéder ou de ne pas procéder.

Est-ce l'idéal? Je suis certain que non. Est-ce parfait? Assurément pas. Est-ce que, par contre, c'est un processus qui a été éprouvé devant les tribunaux? La réponse est oui.

Je dois faire écho aux propos de la ministre, Mme Caplan, qui a affirmé qu'il s'agit d'un processus qui a été validé par les tribunaux, qui a été utilisé raisonnablement. Comme je le mentionnais plus tôt, avec trois millions de nouveaux citoyens en 23 ans et 37 révocations de la citoyenneté, il y a quand même là une histoire que les chiffres nous racontent.

En ce qui a trait à l'article 30, je dois convenir avec vous que dans plusieurs des dispositions de la loi, il y a des choses qui m'étonnent entre les versions française et anglaise. Lorsqu'on a procédé à la rédaction de la loi, les jurilinguistes nous ont surpris à plus d'une reprise avec les expressions qu'ils ont consacrées au texte de loi. M. Stevens et moi avons discuté longuement du fondement de l'article 30 et de l'étendue du pouvoir du ministre.

Nous sommes d'avis que parce que la loi oblige le ministre à attribuer la citoyenneté à une personne qui rencontre les conditions, un refus de la citoyenneté donne nécessairement ouverture à l'autorité du ministre, sous l'article 30.

Donc, qu'elle soit qualifiée d'erreur importante dans la version française ou de «material defect» dans la version anglaise, -- parce que c'est un droit que la personne a, au départ, de se voir attribuer la citoyenneté -- la décision initiale du refus de la citoyenneté est une erreur importante. C'est quelque chose de fondamental pour la personne qui se voit privée de son droit.

Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire, mais il demeure que la base de l'exercice du pouvoir repose sur le refus de la citoyenneté, au départ. Dans les cas de refus, il faudrait que ce soit qualifié, dans un cas comme dans l'autre, d'erreur importante ou de «material defect».

En ce qui concerne vos commentaires sur l'article 14, j'ai écouté avec beaucoup d'attention les propos du sénateur Grafstein. Je dois avouer que je comprends l'inquiétude d'un citoyen qui pourrait se voir perdre son statut, alors qu'il voulait le conserver. Mais le fondement de cette disposition est de s'assurer que les personnes nées à l'étranger, ou de parents nés à l'étranger, conservent la citoyenneté seulement si elles ont un attachement avec le Canada.

Je pose alors la question: la personne qui tombe sous le coup de la disposition de l'article 14 sait-elle qu'elle est Canadienne? A-t-elle un attachement quelconque envers le pays? Si la réponse est oui, la personne au sens de l'article 14, est Canadienne. Elle sait qu'elle est Canadienne et a un attachement envers le pays.

Conséquemment, elle a sûrement fait quelque chose pour démontrer cet attachement. Cela peut être un attachement aussi simple qu'une visite chez les grands-parents qui demande qu'on ait un document de voyage pour entrer au pays. Il faut pour cela obtenir une preuve de citoyenneté. Pour l'obtenir, il faut communiquer avec le Bureau des passeports ou le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Dans les deux cas, la personne qui réclame le droit à la citoyenneté -- en raison d'une naissance à l'étranger ou d'un parent né à l'étranger -- se fait immédiatement donner un avis, soit par le ministère des Affaires étrangères ou notre ministère. Cet avis stipule que la personne est Canadienne, mais qu'elle est sujette à perdre sa citoyenneté à l'âge de 28 ans. Elle est avisée que si elle ne vient pas au Canada pour une période de trois ans avant l'âge de 28 ans, et qu'elle ne demande pas à conserver la citoyenneté, elle la perdra à l'âge de 28 ans.

Il serait préférable d'envoyer des avis à tous ceux qui naissent citoyens canadiens et qui pourraient tomber sous le coup de cette disposition, même si les coûts s'avèrent importants. Comment va-t-on identifier ces personnes? Sans faire de déclaration farfelue, il est clair que des Canadiens se reproduisent constamment à l'étranger, et créent donc des Canadiens. Nous ne pouvons pas être au fait de la situation, à moins que les gens communiquent avec nous et nous avisent qu'ils se savent Canadiens et qu'ils veulent revenir au Canada ou qu'ils veulent un passeport ou un certificat de citoyenneté. Dans lequel cas, nous les avisons formellement du risque de perdre la citoyenneté.

Je reviens aux questions que vous aviez soulevées concernant l'intérêt public, qui n'est pas un sujet facile et que je ne veux pas la traiter à la légère.

Lorsque le gouvernement a présenté son projet de loi, il a décidé qu'il était important pour lui de posséder ce pouvoir et que, sans ce pouvoir, certains cas pourraient causer des problèmes très sérieux.

Je vais revenir à la question du mariage de conjoints de même sexe comme exemple de cas qui pourrait faire l'objet d'une déclaration en vertu de l'article 21.

Il y a un problème avec cela. Un ministre ne peut pas soumettre un mémoire au Cabinet sans obtenir un avis ou un conseil du ministère de la Justice indiquant que la proposition respecte la Charte. C'est essentiel. Par exemple, si on veut procéder dans le cas de conjoints de même sexe, il est évident que les conseils du ministère de la Justice seraient à l'effet qu'un tel acte viendrait violer la Charte. Dans d'autres cas mentionnés plus tôt, s'il s'agit d'un préjudice ou d'un manque d'impartialité envers une personne en particulier, il est sûr qu'il y aurait un problème et une ouverture à un recours judiciaire.

Je suis certain que mes réponses ne sont pas idéales et je conviens avec tout le monde que ce pouvoir est un pouvoir exceptionnel, mais il demeure, pour reprendre les mots de la ministre, qu'une soupape de sécurité est nécessaire. Je ferai un dernier commentaire pour conclure sur cette question d'intérêt public.

Il ne faut pas oublier que ce sont des arrêtés en conseil qui devraient être pris par le gouverneur en conseil. Il ne peut pas en prendre à tous les jours. Il ne peut pas dire que le Cabinet va établir une politique chaque fois que quelqu'un se présente dans le monde de la citoyenneté et tombe sous le coup d'un groupe de personne qu'il n'aime pas, et prendre un arrêté en conseil déclarant l'intérêt public.

S'il y a fréquemment des arrêtés en conseil sur l'intérêt public publiés dans la Gazette du Canada, j'ose espérer que les gens vont élever la voix contre ce genre de pratique et que le ministre imputable sera réclamé en Chambre.

Il s'agit, comme on l'a dit clairement, d'un pouvoir très exceptionnel. Je le comparerais au pouvoir sur la sécurité nationale. La loi actuelle est en vigueur depuis 23 ans et il n'y a eu, depuis ce temps, que trois ou quatre cas de sécurité nationale où un arrêté en conseil fut pris par le gouverneur en conseil disant qu'une personne n'était pas éligible à recevoir la citoyenneté parce que l'intérêt national était en jeu.

C'est le même genre de disposition. C'est une disposition très exceptionnelle pour être utilisée dans des cas rarissimes et c'est pour cela qu'elle repose entre les mains du gouverneur en conseil et non celles du ministre.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Quand il s'agit d'intérêt national, nous tenons compte de ce que disent la GRC, le SCRS et Interpol. Nous avons donc des évaluations tangibles et permanentes de la sécurité nationale qui feraient la différence, n'est-ce pas?

M. Sabourin: Je suis d'accord avec vous. Je ne parlais toutefois pas de la qualité du processus de prise de décision, mais bien de la fréquence des cas.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je veux revenir sur votre interprétation de l'article 30. J'avais un problème lorsque j'ai lu le mot «importante», mais j'en ai encore davantage après avoir entendu votre réponse.

Vous nous dites que le refus est exceptionnel. L'erreur devrait donc être importante pour ouvrir la cassation du refus. Cela devrait être l'inverse: le refus étant exceptionnel, une erreur quelle qu'elle soit, devrait ouvrir la cassation. On devrait enlever le mot «importante».

M. Sabourin: Vous avez peut-être raison et j'aurais sûrement dû utiliser d'autres mots. De fait, lors de la rédaction, j'avais proposé d'autres mots. Me Stevens et Me Rioux avaient proposé d'autres mots. En bout de ligne, nous nous sommes rendus aux conseils reçus par les jurilinguistes qui sont très près de leurs mots. Ils nous demandent de leur expliquer l'intention, et ils nous donnent les mots.

Nous avons demandé à un expert-conseil, M. Fairbairn, conseiller de la Reine, de nous fournir une opinion sur la façon d'interpréter l'article 30. Il nous a donné des explications et des avis qui reflètent justement l'intention que nous avions communiquée aux jurilinguistes. Ce qui nous confirme que l'expression «erreur importante» veut dire ce qu'elle veut dire.

J'aimerais faire un dernier commentaire. Notre objectif, avec cette disposition, est de s'assurer que les délégataires du ministre, qui sont 200 agents très compétents répartis à travers le pays, vont rendre des décisions consistantes qui respectent la loi. Quand il y aura un refus, on voudra l'examiner en vertu de l'article 30. Ainsi, lorsqu'un refus sera erroné, on pourra justement le retourner. C'est un processus normatif qui fera en sorte que lorsqu'un agent verra sa décision revue et corrigée, il se dira qu'il faudra qu'il fasse attention la prochaine fois. Nous voulons donner une ouverture assez large à ce recours. Nous voulons permettre aux gens de se faire entendre lorsque leur citoyenneté est refusée.

Le sénateur Nolin: J'ajouterais même, au soutien de votre argument, que l'article 30 ne fait pas référence qu'au refus, mais aussi à toute décision quant à l'octroi de la citoyenneté. C'est assez large. Il s'agit de toutes les décisions qui peuvent être prises au cours de l'examen d'une demande, incluant le fait de l'accorder ou de la refuser.

M. Sabourin: Je dois clarifier quelque chose de très important dans l'article 30. Il y a deux aspects à l'article 30. Le premier est le refus d'attribuer la citoyenneté. Si le ministre, par l'entremise de son délégataire, attribue la citoyenneté à une personne, il n'y a pas d'ouverture possible sauf la révocation ou l'annulation.

Le sénateur Nolin: Que veulent dire les mots «ainsi que toute décision relative à la délivrance d'un certificat de citoyenneté»?

M. Sabourin: Le deuxième cas, c'est le certificat. Cela s'applique seulement à une personne qui est citoyenne de naissance. C'est important que le comité saisisse bien ceci. La personne citoyenne de naissance l'est parce que la loi dit qu'elle est citoyenne. La loi prévoit strictement les conditions qui font en sorte qu'elle est citoyenne. Si on lui a donné un certificat par erreur ou parce qu'elle a menti, il faut avoir un moyen d'annuler ce certificat, donc la décision initiale. De là l'article 30. Je dirais par contre qu'il y a des mécanismes pour protéger le demandeur qui se voit annuler son certificat sous l'article 30. Je vous réfère aux articles 36 et 37 qui prévoient le mécanisme pour l'annulation du certificat.

Le sénateur Nolin: J'aurais une question en ce qui a trait aux infractions. Lorsque la ministre reçoit des avis avant de se présenter devant ses collègues du Cabinet, est-ce que ces avis proviennent des fonctionnaires de son ministère ou peuvent-ils provenir d'autres ministères?

M. Sabourin: Elle peut recevoir non seulement des avis d'autres ministères, mais aussi de justiciables.

Le sénateur Nolin: Les documents au soutien de son mémoire seront-ils uniquement des rapports de ses fonctionnaires, qui sont des fonctionnaires de la citoyenneté au sens de l'article 40, ou cela comprend-t-il ses fonctionnaires de la citoyenneté tels que vous et d'autres fonctionnaires?

M. Sabourin: Il y en a aura assurément d'autres. Dans ce genre d'exercice, il y a des consultations interministérielles, mais il y a toujours, au point de vue très formel, une contribution du ministère de la Justice.

Le sénateur Nolin: Voici pourquoi je vous pose ces questions. Ce matin, un monsieur est venu témoigner devant nous et il a fait une accusation qui, selon moi, ne peut pas passer sans être relevée. Il semblerait que les services de sécurité et de renseignements avaient à plusieurs reprises fait de faux rapports sur son compte. Si c'est la perception honnête qu'il a de l'administration de ses droits comme citoyen, on doit se poser des questions. Est-ce que ces rapports supposément faux pourraient être joints à un mémoire au Cabinet de votre ministre? Si oui, est-ce que c'est l'article 40(1)a) qui s'applique quant à l'infraction commise par ce ou ces fonctionnaires ou c'est le paragraphe 39(2)a)? Vous allez me dire que la peine est la même, 10 000 dollars, mais je veux savoir comment cela fonctionnerait.

Deuxièmement, quelle sorte d'enquête serait menée? Quelles sont les mesures de garantie qu'on pourrait offrir à ce monsieur qui est venu témoigner ce matin?

M. Sabourin: Vous peignez assurément un portrait très inquiétant et très difficile.

Le sénateur Nolin: C'est comme cela qu'il nous a été présenté.

M. Sabourin: D'une part, dans les cas de sécurité nationale, c'est le solliciteur général du Canada qui conseille le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. S'il y a un rapport qui est faux, le solliciteur général en est responsable. Il a été rédigé par des gens qui l'ont trompé. Dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, il y a beaucoup de dispositions qui traitent de la façon dont est géré le Service canadien du renseignement de sécurité et des pouvoirs de surveillance qu'a l'inspecteur général qui est nommé par le solliciteur général du Canada. Il est là justement pour s'assurer que les pratiques qui sont suivies par le Service canadien du renseignement de sécurité ne sont pas susceptibles de tricherie ou de tromperie.

D'autre part, dans un contexte plus global, en matière de sécurité nationale, il y a toujours des questions qui sont tellement troublantes que même d'en discuter pourrait affecter la sécurité nationale. C'est pour cela que la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prévoit le rôle de surveillance finale du comité de surveillance.

Comme vous le savez, ce comité est composé exclusivement de conseillers privés de la Reine. Des conseillers privés qui ont été nommés en consultation avec les partis d'opposition en Chambre pour s'assurer qu'il y a un groupe qui a une certaine objectivité, mais qui en même temps peut considérer les questions confidentielles qui, si elles étaient révélées, pourraient préjudicier à la sécurité nationale. C'est devant ce comité de surveillance que dans tous les cas de sécurité nationale, y compris les cas de citoyenneté, la personne peut faire des représentations selon lesquelles un rapport contre elle n'est pas exact. Elle peut faire des représentations selon lesquelles le comité de surveillance n'a pas l'impartialité voulue d'agir contre elle. Ce qui a déjà été fait avec succès.

J'essaie de peindre le portrait global pour dire qu'il y a quand même des mécanismes en place qui permettent d'avoir confiance en le système qui est devant nous.

En termes de condamnation, je ne pourrais pas vous le dire avec certitude, à moins d'avoir certains détails. Qui est la personne qui a menti? Qui a créé un faux rapport? À qui l'a-t-elle expédié et comment a-t-elle fait parvenir ces renseignements au solliciteur général et ensuite au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration? C'est quand même assez difficile de préciser cela.

Le sénateur Nolin: L'article 39(2)a) est suffisamment large pour inclure qui que ce soit. L'expression «fausse déclaration», c'est très large.

M. Sabourin: C'est très large. Il est difficile de se prononcer sans avoir un cas précis sous les yeux. Je discutais à l'instant avec ma directrice générale de l'article 40 qui vise plus particulièrement les fonctionnaires de la citoyenneté.

Le sénateur Nolin: L'article 39 étant plus large, il récupère ce qui manque dans le premier. Cela répondrait aux préoccupations de notre témoin de ce matin.

Le vice-président: Vous avez deux équipes, l'une de langue française et l'autre de langue anglaise. Vous avez considérablement amélioré le système; les traductions sont moins collées sur le texte, et c'est une bonne chose. Le génie de la langue française est différent de celui de la langue anglaise et vice versa. J'imagine que les deux équipes emploient toujours les mêmes termes dans les mêmes conditions, mais le problème d'interprétation ultime revient encore à la cour de justice. Dans un cas, elle peut préférer la version française et, dans un autre cas, préférer la version anglaise.

En pratique, la cour a-t-elle l'occasion de se prononcer souvent là-dessus? Par exemple, on a dit tout à l'heure que le contrôle judiciaire, évidemment, était prépondérant. On ne peut pas aller contre l'interprétation judiciaire. C'est un principe fondamental de notre système constitutionnel. Alors on a préféré une version. Cependant, existe-t-il des cas où vous avez vraiment des débats devant les tribunaux à ce sujet?

M. Sabourin: Je ne crois pas qu'il y en ait eu dans le contexte de la citoyenneté. Nous avons effectivement deux équipes, et nous avons beaucoup amélioré les processus de rédaction. Les équipes travaillent de façon simultanée. Quand mes collègues et moi étions là pour la rédaction, les deux équipes de jurilinguistes travaillaient en même temps, devant deux écrans d'ordinateur côte-à-côte, afin de capturer en même temps les idées dans les deux langues. C'est sûr que l'un est à l'occasion à la remorque de l'autre. Il peut y en avoir un qui est plus vite ou un autre qui discute avec l'autre, mais c'est simultané. De cette façon, on capture beaucoup mieux l'intention qui est derrière la disposition.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais obtenir un éclaircissement au sujet de l'article 14, qui considère la citoyenneté comme un droit pour ceux qui ne sont pas nés au Canada. Cependant, les articles précédents qui mènent à l'article 14 se fondent sur le principe de l'égalité entre les personnes nées au Canada et celles qui naissent à l'étranger simplement parce que leurs parents y sont là à servir leur pays. Si donc nous voulons être conséquents, les fonctionnaires du ministère et le gouvernement ne seraient-ils pas d'accord pour dire que, si la personne était née ici, elle ne perdrait pas sa citoyenneté? Nous avons dit que les personnes nées de parents servant notre pays à l'étranger sont considérées comme étant nées ici. Autrement dit, nous voulons les mettre sur un pied d'égalité. Je trouve donc qu'il y a une certaine confusion à l'article 14.

Êtes-vous en train de dire qu'il s'agit ici d'une disposition hybride -- et que nous élargissons ce droit? Dois-je comprendre que cela ne revient pas au même que si vous étiez né ici? Celui qui est né au Canada garde toujours sa citoyenneté, et il est le seul à pouvoir la révoquer. Le gouvernement ne peut la lui enlever. En insérant cette disposition, le principe que vous mettez de l'avant est celui d'un droit plutôt que d'un fait acquis en raison d'une naissance en sol canadien. Vous ai-je bien compris? Si vous êtes en poste à l'étranger, c'est parce que votre pays vous y a envoyé. La Convention de Vienne établit des règles où on définit ce qu'est la résidence à l'étranger et les conditions dans lesquelles cette résidence à l'étranger est considérée comme étant en sol canadien ou pas. Mais nous, nous avons décidé que cela n'était pas considéré comme territoire canadien.

M. Sabourin: Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre.

Le sénateur Pearson: C'est le sort des conjoints et, évidemment, des enfants qui auraient eu droit à la citoyenneté canadienne à la naissance qui nous préoccupent. Le problème, c'est de décider si on leur donne le droit de réclamer la citoyenneté le moment venu -- pour qu'ils soient sur un pied d'égalité avec les autres citoyens canadiens. Non, je crois qu'il reste toujours la possibilité d'une révocation éventuelle, même si elle est très douteuse.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce que vous optez pour le principe du droit?

Mme Frith: Une fois que ces gens ont acquis la citoyenneté canadienne -- à moins que cela ne soit par des moyens frauduleux -- ils sont considérés comme n'importe quel autre Canadien. Dans le cas d'une personne née à l'étranger de parents canadiens et qui devient citoyenne à 28 ans -- c'est-à-dire une personne qui revient au Canada pendant trois ans, pour confirmer ses liens avec le Canada et pour maintenir sa citoyenneté -- cette personne est traitée sur un pied d'égalité avec tous les autres Canadiens nés au Canada. Sa citoyenneté est la même que celle de n'importe quelle autre personne née au Canada, et qui aurait reçu la citoyenneté dès la naissance. Autrement dit, son statut de citoyenne canadienne n'est pas interrompu. C'est comme si elle était née au Canada.

Le sénateur Pearson: Cela me va, même si le sénateur Andreychuk a peut-être encore des doutes.

M. Sabourin: Sans vouloir surestimer les compétences de ceux qui sont les spécialistes de la loi actuelle et du projet de loi, il faut comprendre que la question du droit à la citoyenneté lors d'une naissance à l'étranger tend à devenir plus compliquée au fur et à mesure que le temps passe.

Mais comme l'a dit Mme Frith, je dirais qu'en principe, il n'y a aucune différence. Si vous obtenez le statut de citoyen canadien, à moins que vous n'ayez eu recours à des moyens frauduleux, vous êtes considéré comme un citoyen et vous ne pouvez plus jamais perdre ce statut.

Pour ce qui est de l'article 14, l'âge de 28 a été choisi en partie pour des raisons historiques. Il y a bien longtemps, on avait déterminé qu'un mineur ne comprenait peut-être pas la nécessité de s'inscrire et qu'un adulte, s'il la comprenait, aurait quand même besoin d'un certain temps raisonnable pour pouvoir agir là-dessus. On a donc fixé ce délai raisonnable à 10 ans.

Le sénateur Andreychuk: J'ai une question d'ordre statistique. Vous avez dit qu'en vertu de la loi actuelle, trois millions de personnes avaient reçu la citoyenneté canadienne depuis 1977 mais que 37 p. 100 d'entre eux avaient eu leur citoyenneté révoquée. Combien d'entre eux ont fait l'objet d'un examen minutieux et d'une évaluation?

Autrement dit, nous savons combien d'entre eux ont perdu la citoyenneté, mais nous ne savons pas combien de cas le gouvernement a traité, sans qu'ils aient pour conséquence la répudiation de la citoyenneté. Nous ne savons pas combien d'entre eux ont réussi à garder leur citoyenneté par d'autres moyens. Combien d'entre eux ont fait l'objet d'une enquête ou d'un examen minutieux?

M. Sabourin: Je n'ai pas de chiffres là-dessus. Mais je pourrais peut-être vous donner une réponse anecdotique.

Cela dépend de la façon dont vous définissez l'examen minutieux. Au départ, il n'est pas inusité que nous recevions une lettre écrite par quelqu'un prétendant qu'un tiers a menti pour obtenir sa citoyenneté et qu'il nous demande de réagir à cela. Nous recevons fréquemment ce genre de lettres et nous les étudions. Si la lettre contient des données précises qui laissent entendre que l'information est crédible, nous pouvons assurer un suivi. Parfois, nous décidons de confier notre enquête à un palier supérieur, et parfois nous décidons de l'abandonner.

Au palier suivant, un agent de la citoyenneté se saisirait du dossier et poserait plusieurs questions. De quoi s'agit-il? Quelle représentation erronée a peut-être eu lieu? Quand cela s'est-il produit? Est-ce grave? S'agit-il de quelqu'un qui aurait commis un vol à l'étalage il y a 23 ans?

Il pourrait y avoir un fondement, si la personne en question a fait l'objet d'une interdiction criminelle 23 ans auparavant; toutefois, est-ce dans l'intérêt de qui que ce soit que l'on rouvre le dossier? Sans doute pas. L'affaire serait donc classée.

Par contre, s'il s'agit d'un cas plus sérieux, comme un crime plus grave ou un crime commis plus récemment et qu'il soit clairement démontré dans les dossiers que l'intéressé a fait l'objet d'une interdiction criminelle, l'affaire pourrait poussée plus loin. À ce moment-là, nous demanderions normalement à la GRC d'intervenir et d'enquêter; nous lui demanderions de confirmer les renseignements que nous avons et de déterminer s'il y en a d'autres à ajouter. Nous lui demanderions les résultats de son enquête.

Si ce qui nous est alors signalé nous laissait croire que nous pourrions avoir alors en main quelque chose de solide, nous consulterions alors nos conseillers juridiques et leur demanderions s'il peut y avoir matière à procès et si nous avons suffisamment d'information et de preuves pour convaincre la cour fédérale de notre position. Le conseiller juridique trancherait. D'ailleurs, M. Stevens m'a déjà dit non à quelques reprises.

Ensuite, nous nous adresserions au ministre que nous consulterions de la même façon. Si le ministre était d'avis qu'il y suffisamment de preuves pour que nous puissions agir, nous saisirions alors le gouverneur de l'affaire.

De façon générale, environ 3 000 cas de révocation nous sont envoyés chaque année. Je le sais par expérience, puisque j'ai été chargé de ces cas pendant quelques années. Je n'ai plus cette responsabilité aujourd'hui. Évidemment, les 3 000 cas ne sont pas tous retenus. Quelques-uns sont éliminés. À la fin de l'année, il en reste peut-être cinq qui sont soumis au ministre. Celui-ci décide alors lesquels il veut soumettre au gouverneur en conseil. Voilà ce qui se passe généralement tous les ans.

Votre comité s'est intéressé à des cas découlant d'activités ayant eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. M. Wolpert et Mme Frith viennent de me donner quelques chiffres. M. Wolpert pourrait peut-être vous en parler.

M. Wolpert: Le programme canadien actuel d'enquête sur les crimes de guerre remonte maintenant à cinq ans. Depuis sa création, 1 651 dossiers ont été ouverts. Sur ce nombre, 896 ont été fermés, car ils ne justifiaient pas que l'on pousse l'enquête plus loin. Un peu plus de 300 de ces dossiers sont inactifs; autrement dit, nous avions quelques faits, mais rien ne justifiait d'autres mesures supplémentaires. De plus, ils resteront à toutes fins utiles inactifs, à moins que l'on n'obtienne d'autres éléments. Des vérifications de routine ont été faites dans presque 200 cas au début, et rien ne justifiait que l'on poursuive les recherches.

Dans environ 150 cas, nous avons entrepris une enquête, ce qui inclut l'examen de documents dans les archives outre-mer. Après l'effondrement de l'ancienne Union soviétique, les documents sont devenus plus facilement accessibles. À la fin du dernier exercice, 82 dossiers étaient toujours ouverts et environ 8 d'entre eux faisaient l'objet de démarches actives. Treize cas ont déjà été portés devant les tribunaux en vertu du Programme canadien concernant les crimes de guerre commis pendant la Seconde Guerre mondiale.

En outre, dans une poignée de ces cas, l'intéressé n'a jamais pris la peine de demander sa citoyenneté. Ces dossiers ont donc été envoyés directement à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Sur les 1 600 cas dont je vous ai parlé au début, nous n'en avons donc retenu que treize.

Le sénateur Andreychuk: Lorsque vous dites avoir traité quelque 3 000 cas, incluez-vous dans ce nombre les cas mentionnés par M. Sabourin, ou s'agit-il de cas distincts? Vous nous avez donné des chiffres pour des cas reliés à des crimes de guerre commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Je pensais que les chiffres de M. Sabourin étaient généraux et ne portaient pas uniquement sur la Seconde Guerre mondiale.

M. Sabourin: Oui, je vous ai donné le nombre total de cas. Les 37 dont j'ai parlé incluent ceux qui ont tous abouti à la révocation. Le volume annuel représente donc le total.

Le sénateur Pearson: S'agit-il des cas de révocation et d'annulation?

M. Sabourin: Il s'agit uniquement des cas de révocation, puisque le pouvoir d'annulation est un nouveau pouvoir que le projet de loi C-16 accorde au ministre.

Le sénateur Pearson: Il n'existe pas encore?

M. Sabourin: Non.

Le sénateur Moore: Qu'est-ce qui déclenche le processus d'examen? Est-ce une lettre anonyme, par exemple, ou l'information doit-elle être divulguée par quelqu'un auprès de qui vous pouvez assurer un suivi approprié? Partez-vous de «tuyaux»?

M. Sabourin: L'information nous parvient de plusieurs façons. Bien sûr, avant de décider si l'on pousse plus loin un dossier, il faut se demander si l'information reçue est crédible. Dans le cas des lettres anonymes, nous ne leur accordons pas trop de crédibilité.

Par ailleurs, si nous recevions une lettre anonyme nous demandant pourquoi nous avons accordé la citoyenneté à tel ou tel individu qui a été à plus d'une reprise jugé coupable d'avoir battu sa femme -- l'auteur de la lettre prétendant que l'individu en question est coupable d'un crime et n'aurait pas dû recevoir la citoyenneté canadienne -- nous pourrions vérifier les faits et il se peut que nous trouvions immédiatement un dossier judiciaire confirmant qu'une erreur a été faite. La GRC peut ne pas nous avoir informé que l'individu en question faisait l'objet d'une interdiction criminelle. Dans ce cas, l'information retenue dans la lettre anonyme ayant été confirmée, nous pourrions intervenir.

Dans bien d'autres cas, nous recevons l'information directement de la Gendarmerie royale du Canada. En effet, la GRC peut nous informer qu'elle a déjà porté des accusations à l'égard d'un individu, mais que cette information s'est perdue à quelque part, ce qui a permis à l'individu en question de recevoir sa citoyenneté.

Le sénateur Nolin: Que faites-vous dans ces cas-là?

M. Sabourin: Nous examinons, là aussi, la situation dans son ensemble. L'individu peut faire l'objet d'une interdiction, mais l'affaire peut ne pas être aussi grave que cela et nous pouvons décider qu'il ne vaut pas la peine de faire intervenir toutes les ressources que nous avons à notre disposition pour agir contre cette personne par des moyens administratifs. Le pouvoir d'annulation qui existe dans la loi actuelle a son importance, étant donné que les interdictions ont leur raison d'être. Elles ont leur raison d'être, car nous avons pour principe que l'auteur d'un crime ne devrait pas avoir droit à la citoyenneté tant qu'il n'a pas remboursé sa dette envers la société. Autrement dit, le principe que nous mettons de l'avant, c'est que celui qui fait de la prison ne comprend pas vraiment ni ne partage les valeurs qui sont prônées par les Canadiens. Pour que les interdictions aient vraiment un sens, il faut que nous puissions retirer à un individu sa citoyenneté, dès lors que l'on découvre que cet individu fait l'objet d'interdictions.

Le sénateur Andreychuk: Le ministère a-t-il fait faire à l'interne ou à l'externe une étude pour déterminer le nombre de cas pour lesquels vous devez faire enquête parce qu'il y a eu manque du côté des démarches de l'immigration? J'ai déjà été en service à l'étranger, et j'ai vu des bureaux d'immigration souffrant d'un manque d'effectif. Mais n'abordons pas aujourd'hui la question de l'immigration. Vous dites recevoir quelque 3 000 plaintes et que certaines d'entre elles restent actives. Comment faites-vous pour savoir combien de ces dossiers auraient pu être identifiés facilement au moment des démarches d'immigration plutôt qu'au moment des démarches faites pour obtenir la citoyenneté? Je pense en particulier à de sombres individus qui ont des dossiers longs comme le bras et qui pourtant parviennent à entrer au Canada, parfois très facilement; or, on ne peut même pas toujours les accuser d'avoir menti, car il arrive qu'on ne leur pose même pas de questions. On leur accorde la citoyenneté, puis on décide ensuite de la révoquer, en expliquant que si les critères avaient été bien appliqués au moment de l'immigration, on n'aurait pas eu de problème lors de la demande de citoyenneté. Avez-vous des données empiriques qui nous permettraient de savoir de combien de cas il s'agit?

M. Sabourin: Ma directrice générale me signale que 10 des 37 cas dont nous parlons depuis 1977 étaient des cas de fraude lors des démarches d'immigration. C'est une indication. J'imagine que nous pourrions en effet colliger toutes les données, mais cela pourrait être toute une entreprise.

Le sénateur Andreychuk: Dans les dispositions où il est question du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif, il est évident que ce n'est pas le ministre qui va s'occuper de recueillir l'information. Le ministre n'a pas à établir le bien-fondé de l'affaire; c'est au ministère de le faire. Puis, la question set portée devant le conseil des ministres. Si j'ai bien compris la façon dont cela se passe, chaque ministre parle au nom de son ministère et chaque ministre a droit à du temps qui lui est réservé à l'ordre du jour du Cabinet. De plus, la plupart des cas sont traités dans le secret par le conseil des ministres.

La plainte qu'on entend souvent, c'est que lorsqu'on emprunte la voie de l'exécutif, il est difficile aux gens de se défendre puisqu'ils ne connaissent pas les critères retenus par le Cabinet pour prendre sa décision; les documents reçus sont expurgés ou partiels. C'est toujours le problème quand on met en balance le secret du cabinet et le droit de savoir des personnes touchées, leur droit de se défendre. Vous avez peut-être des commentaires à formuler là-dessus.

Je voyais la chose d'un autre point de vue. Présumons un instant que je ne suis pas avocate, que je représente la Saskatchewan, que je suis une très bonne agricultrice, et que je me retrouve au Cabinet, avec le portefeuille de l'agriculture. Comment fonctionne le Cabinet, d'après ce que vous savez? D'où les membres du cabinet tiennent-ils leurs conseils sur les sens à donner à la fraude par exemple et sur la façon raisonnable d'évaluer un dossier? Cette information vient-elle du gouvernement, par l'intermédiaire du ministère de la Justice? Est-ce que le Cabinet se fonde essentiellement sur ce que dit le gouvernement, pour prendre une décision éclairée? Je sais que ma question est délicate et que personne ne veut parler de ce qui se passe au Cabinet, mais j'aimerais vraiment savoir comment se prennent ces décisions, lorsque les décideurs ne sont pas des avocats de formation.

M. Sabourin: J'ai l'impression qu'il y a des gens autour de la table, ici, qui en savent plus que moi là-dessus.

Le sénateur Andreychuk: Ce n'est pas mon cas.

M. Sabourin: D'autres personnes voudront peut-être formuler des commentaires.

J'ai assisté en tant qu'observateur à certaines de ces réunions et sans parler de ce que je dois taire, ces discussions sont très ouvertes. On n'y dit pas: «Il serait préférable de faire comme nous disent les fonctionnaires.» Bien au contraire.

Le sénateur Andreychuk: Ce n'est pas là où je veux en venir. J'aimerais qu'on me donne des garanties. On parle constamment de fraude. Tout dépend de ma définition de la fraude. Dissimuler des circonstances importantes? Je ne suis pas convaincue que la moyenne des gens a en tête une définition précise de la fraude. Il faut la préciser. Je sais que les ministres ne prépareront pas leurs dossiers comme le feraient les avocats et les juges qui ont été formés pour cela. Comment appréhendent-ils ces concepts?

Mme Frith: Il y a diverses façons. Pour commencer, la procédure que nous suivons pour préparer des documents pour le Cabinet est toujours la même. Il faut que les documents présentés soient d'abord examinés par les ministres qui ont une responsabilité en la matière. Le ministre de la Justice a toujours une responsabilité quant au respect du système juridique pour les documents présentés; il faut que tout soit correct. Cette vérification se fait à diverses étapes. Essentiellement, il y a des rencontres interministérielles, où nous partageons nos documents et nous assurons que chacun comprend ce qui se passe. Il y a ensuite une diffusion plus large des documents, avec les fonctionnaires responsables de ces ministères, dont les ministres seront à la table, au Cabinet, pour s'assurer que nous sommes prêts à répondre à toute question qu'ils pourraient poser. Quand le ministre prend se réunit avec les membres du Cabinet, il est très bien renseigné. Les ministres ont l'occasion de contester les documents et de se prononcer dans un sens ou dans l'autre. Nous recevons beaucoup de manifestations de désaccord ou de questions avant que les intéressés soient convaincus de bien comprendre le dossier, surtout pour les questions plus graves.

On a amplement l'occasion de s'assurer que tout le monde s'entend sur les définitions et la terminologie. En outre, une personne dont le dossier sera étudié en est avisée. Le ministre l'en a informée. Beaucoup de personnes écrivent directement à tous les ministres pour plaider leur cause. Outre ce qui est présenté dans les documents du Cabinet, des facteurs externes ont pu aussi faire pression sur les ministres du Cabinet. Nous le constatons très souvent. Là encore, nous le constatons au ministère, parce que les ministres consultent souvent notre ministre pour savoir si ce qu'une personne leur dit est exact et si nous avons d'autres renseignements ou commentaires. Il y a bien des occasions d'en discuter. Voilà quel est le système.

[Français]

Le sénateur Nolin: À quel comité du Cabinet vos dossiers sont présentés? Ce n'est pas au Cabinet au complet, cela?

Mme Frith: Non. Normalement, c'est au comité spécial du Cabinet: le SCC.

Le sénateur Nolin: Cela veut dire que les membres de ce comité et les gens qui ont accès à ces documents ont une cote de sécurité plus élevée que les autres employés.

Mme Frith: Absolument.

[Traduction]

Le sénateur Pearson: J'ai quelques questions à poser, mais vous n'êtes pas obligé de répondre tout de suite. Dans les 37 cas de révocation de la citoyenneté, est-ce que le statut d'immigrant reçu a aussi été retiré?

M. Sabourin: Tout dépend. Si on constate que le demandeur a menti pour devenir citoyen, il est dépouillé de sa citoyenneté et redevient résident permanent. S'il a menti aussi pour devenir résident permanent, les deux statuts sont révoqués.

Le sénateur Pearson: Combien de jours lui donne-t-on pour faire ses valises?

M. Sabourin: En redevenant résident permanent, on bénéficie de tous les droits qui y sont associés, bien entendu. Pour la personne qui perd tout statut et tout avantage conférés par les dispositions de la Loi sur l'immigration, une enquête aura lieu pour déterminer si l'expulsion du Canada s'impose. Beaucoup de recours sont possibles pour contester ces décisions.

Le sénateur Pearson: C'est bien.

Le sénateur Andreychuk: Si le demandeur est apatride et qu'il n'y a nulle part où l'expulser, que se produit-il?

M. Sabourin: J'aimerais d'abord formuler quelques commentaires en guide d'introduction. Le risque d'apatridie est une considération importante avant de passer à la révocation. Si le cas est si horrible qu'il faut tout de même retirer la citoyenneté, le gouvernement devra trouver un autre pays prêt à recevoir l'apatride.

Le sénateur Pearson: La question de la rétroactivité a-t-elle été soulevée?

M. Sabourin: Oui, une fois.

Le sénateur Pearson: Cette question m'intéresse et j'aimerais en connaître la réponse.

Pour nos attachés de recherche, il pourrait être utile de voir d'autres serments d'allégeance, pour fins de comparaison. Que dit le serment américain?

Le vice-président: Ils ont un serment d'allégeance à la Constitution.

Le sénateur Joyal: Il est très long.

Le vice-président: Nous avons en main les serments de l'Australie, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et d'Israël.

Le sénateur Fraser: J'aimerais un suivi des questions du sénateur Pearson au sujet de la procédure en cas de révocation. Quand la citoyenneté est révoquée, cette décision est-elle rendue publique?

M. Sabourin: Le décret en conseil est public, mais le nom de la personne faisant l'objet du décret est une information protégée. On rend publique la décision de la Cour fédérale qui s'est prononcée sur le fait que cette personne a obtenu sa citoyenneté de manière frauduleuse ou par fausse déclaration. Le décret en conseil lui-même, même s'il est public, ne révèle pas le nom de la personne.

Le sénateur Fraser: Le fait qu'une décision a été rendue est publié dans la Gazette.

M. Sabourin: Exact.

Le sénateur Fraser: Cette personne peut ensuite dire publiquement: «C'est de moi qu'il s'agit et il y a eu une erreur judiciaire.»

M. Sabourin: Certainement. Si cette personne ne tient pas à la confidentialité, le gouvernement sera ravi de communiquer l'information à tout le monde.

[Français]

Le sénateur Joyal: J'ai trois questions. La première porte sur l'article 14. Lorsqu'une personne naît à l'étranger de parents dont le statut est défini à l'article 14, cette personne ne peut-elle pas aller à l'ambassade du Canada pour s'enregistrer afin d'obtenir un certificat de naissance?

M. Sabourin: C'est possible.

Le sénateur Joyal: On peut demander à une personne qui vivrait à l'étranger, par exemple lorsqu'elle se présente dans une institution d'enseignement telle que l'université, des documents qui attesteraient de son identité nationale.

M. Sabourin: Absolument.

Le sénateur Joyal: Par conséquent, l'ambassade aurait un registre dans lequel sont gardés les noms des personnes nées à l'étranger et qui ont demandé une preuve de naissance confirmée par le Canada.

M. Sabourin: Exact.

Le sénateur Joyal: Il serait donc possible, à l'ère actuelle de l'informatique, de tenir un registre. Il serait possible également de rechercher l'adresse d'une personne qui, en l'espace de 28 ans, n'aurait pas fait une demande de passeport pour l'aviser qu'elle est à la veille de perdre sa citoyenneté. On laisse la chance à la personne de maintenir sa citoyenneté, si elle le désire, en prenant les dispositions nécessaires. Serait-il possible de faire cela?

M. Sabourin: Ma réponse comporte deux parties. Vous avez raison, ce serait possible, mais la loi de 1947, qui avait une disposition semblable, nous a démontré qu'il est très difficile de retracer des personnes qui se sont enregistrées par le passé. C'est possible, mais aurait-on beaucoup de succès? Je ne le sais pas.

Par contre, ce qui continuera d'être fait, c'est l'approche à deux volets. Le premier consiste en une publicité qu'on retrouve dans les ambassades canadiennes à l'étranger. La publicité dit: «Êtes-vous né d'un parent canadien à l'étranger? Si oui, faites quelque chose!» La publicité affiche le drapeau du Canada et indique comment communiquer avec le greffier de la citoyenneté canadienne. Il y a cet aspect publicitaire.

Le deuxième volet vise à renseigner la personne qui se présente pour s'enregistrer, obtenir une preuve de citoyenneté ou un passeport, sur la manière formelle de le faire. On l'avise qu'il est citoyen, mais qu'il l'est en raison de sa naissance à l'étranger et que de ce fait, il pourrait perdre sa citoyenneté lorsqu'il atteindra l'âge de 28 ans. Nous agissons ainsi parce qu'en ce moment, il existe une disposition qui prévoit la perte de citoyenneté à l'âge de 28 ans. Nous procédons directement avec le demandeur.

Je mentionnais récemment, devant ce comité, qu'on tentait de rejoindre les gens par l'entremise de groupes communautaires actifs dans d'autres pays, comme par exemple le Comité central des mennonites, qui communique avec les membres de sa congrégation à l'étranger pour les aviser de ne pas oublier la fameuse disposition, entre autres. Pour faire notre part, nous agissons non seulement à titre de personne ressource pour elles, mais nous donnons au besoin des séances d'information et nous tentons de nous assurer que les gens soient bien renseignés sur cette disposition.

Le sénateur Joyal: Cette information est donnée lorsque la personne présente une demande de passeport, mais non pas au moment où elle enregistre la naissance?

M. Sabourin: L'enregistrement de la naissance est une procédure en vertu de l'ancienne loi qui se poursuit dans des cas rarissimes en vertu de la loi actuelle. La personne, par cet enregistrement, établit son droit à la citoyenneté. C'est à ce moment qu'on l'avise de cette disposition. Le plus fréquemment, la personne en question va demander une preuve. Elle n'a pas besoin de s'enregistrer, mais elle veut pouvoir prouver son statut à des personnes qui voudraient le lui réclamer, aux douanes ou ailleurs. C'est autant le devoir du ministère des Affaires étrangères que le nôtre de les aviser par lettre.

Le sénateur Joyal: Donc, lorsqu'une personne se présente à l'ambassade du Canada pour obtenir un certificat de naissance à l'étranger de parents canadiens, vous l'informez qu'un jour, elle pourrait se voir privée de sa citoyenneté?

M. Sabourin: S'il y a une demande pour enregistrer la naissance, donc le droit à la citoyenneté comme tel, la réponse est oui. Je ne veux pas vous laisser croire que c'est une situation blindée car quelque chose pourrait se glisser lors du processus. On fait vraiment tout ce qu'on peut, y compris la fameuse publicité dans les ambassades pour que les gens soient bien informés.

Le sénateur Joyal: Ma deuxième question porte sur l'article 44 qui dit au paragraphe 1:

Le ministre peut déléguer, par écrit, les attributions qui lui sont conférées par la présente loi ou ses règlements et il n'est pas nécessaire de prouver l'authenticité de la délégation.

Et au paragraphe 2:

Il peut désigner un fonctionnaire du ministère dont il est responsable pour agir en qualité de greffier de la citoyenneté [...]

En ce qui concerne le premier paragraphe, qui sont les personnes au sein du ministère qui se verraient désignées par le ministre et qui, en fait, agiraient avec les pouvoirs du ministre?

M. Sabourin: C'est fait par un instrument formel de délégation.

Le sénateur Joyal: Par exemple, qui est désigné actuellement?

M. Sabourin: Pour l'attribution de la citoyenneté aux enfants et aux adultes, pour les cas de naturalisation et l'émission des certificats aux personnes qui se disent canadiennes, pour les questions de conservation de la citoyenneté, et cetera, tout cela est délégué à des agents de la citoyenneté. On en trouve environ 200 à travers le pays. Ils traitent, en tout et partout, plus de 300 000 demandes par année. D'autres pouvoirs sont plus lourds de conséquences et ne sont pas délégués du tout ou encore, ils sont délégués à deux ou trois personnes, dont moi-même.

Le sénateur Joyal: Donc c'est vous le fonctionnaire dont il est question à l'article 44(2)?

M. Sabourin: En ce moment c'est moi. Il y a certains pouvoirs ou attributions qui sont plus lourds de conséquences et qui ne sont délégués qu'au greffier et au sous-ministre. On entend suivre le même processus pour le projet de loi qui est devant vous.

Le sénateur Joyal: Excluons les agents de la citoyenneté qui sont les administrateurs de la loi. Outre le greffier et le sous-ministre, qui exercerait les pouvoirs spéciaux du ministre, c'est-à-dire les pouvoirs que la loi attribue de façon spéciale, surtout en ce qui concerne la révocation et l'annulation?

M. Sabourin: Je dois préciser quelque chose de très important. Il y a une limite au pouvoir de délégation. Le ministre ne peut pas déléguer, par exemple, son pouvoir de faire des recommandations au gouverneur en conseil.

Le sénateur Joyal: Évidemment, c'est lui qui doit le signer.

M. Sabourin: Voilà. Tout ce qui traite de la révocation ne peut pas être délégué.

Le sénateur Joyal: Mais tout l'aspect révision, évaluation, confirmation de la recommandation et le reste, cela est fait au niveau du pouvoir délégué.

M. Sabourin: Effectivement.

Le sénateur Joyal: Ce qui revient au ministre, c'est «le fond de l'entonnoir» si je peux utiliser l'expression.

M. Sabourin: Oui et non. Vous avez entièrement raison sur qui fait le travail et quant aux recommandations présentées à la ministre, mais il ne s'agit pas d'une délégation d'autorité. C'est strictement un exercice administratif qui a pour but de préparer un dossier et de le présenter à la ministre en lui disant: «Voici ce que nous avons découvert et voici nos recommandations. Vous et seulement vous avez le pouvoir de faire une recommandation au gouverneur en conseil pour la révocation. Si vous êtes d'accord, signez ici.» Je ne veux pas tomber dans le processus technique, ce n'est pas mon but. Mais j'aimerais être clair sur le fait que cette responsabilité appartient entièrement à la ministre.

Le sénateur Joyal: Ma troisième question concerne l'article 24(1). J'ai déjà eu l'occasion de poser cette question à la ministre lorsque vous étiez présent. Elle a trait à la consultation qui est faite par le gouverneur en conseil pour la nomination d'un juge à la retraite. Si j'ai bien compris la réponse de la ministre, c'est qu'on a tout simplement reproduit l'article de la loi correspondante, relative à la sécurité nationale.

Au Parlement du Canada, nous nous retrouvons présentement dans une situation particulière. Je parle ici des deux Chambres. Nous avons connu une situation extraordinaire dans la 35e législature, où un parti n'avait que deux députés à la Chambre des communes. Ce parti s'est retrouvé en position majoritaire dans l'autre Chambre. Dans notre système parlementaire qui fonctionne sur la base de partis politiques, je crois que si on reconnaît l'existence des partis et leur rôle à exprimer un point de vue, on doit les reconnaître sur une base égale dans les deux Chambres, surtout lorsqu'un parti joue un rôle aussi déterminant que celui de parti d'opposition officielle de sa Majesté. Il a un statut précis à l'égard de l'autorité politique constituée au Canada. Par conséquent, il semblerait que des dispositions comme celles-là devraient refléter la présence des partis politiques dans l'ensemble du Parlement et non pas uniquement à la Chambre des communes.

Mon argument est fondé sur le fait qu'il ne s'agit pas de consulter le leader d'un parti sur de l'information confidentielle. Il s'agit, en somme, de vous demander une opinion sur la qualification professionnelle d'un juge à la retraite et non pas de partager une information privilégiée en soi. On m'a donné la biographie de la personne. C'est de l'information publique.

M. Sabourin: Exactement.

Le sénateur Joyal: Par conséquent, je ne vois pas sur quelle base, indépendamment de l'autre loi, on peut exclure un parti politique qui ne serait pas représenté par 12 membres dans une Chambre et qui serait représenté par plus de 12 membres dans l'autre Chambre. Par définition, notre système parlementaire fonctionne de telle manière qu'il y a une continuité, une mémoire à l'intérieur du Parlement. C'est la raison pour laquelle les sénateurs sont nommés, en moyenne, pour une plus longue période que la durée d'un mandat attribué à la Chambre des Communes.

Il me semble que l'intégrité du processus étatique voudrait que l'on consulte les partis qui sont représentés dans l'ensemble du Parlement et non pas uniquement dans une seule Chambre si l'avenue électorale fait qu'un parti a fait élire moins de 12 membres qui forment, dans l'ensemble du système parlementaire canadien, un élément essentiel du débat démocratique. Le cas du 35e Parlement est pour moi tellement évident. Il a fonctionné avec la totalité d'un parti qui n'était presque pas représenté à la Chambre des Communes, mais qui constituait la majorité du Sénat.

Il est difficile de justifier une telle question dans un système qui fonctionne sur la base des partis politiques. Le Sénat fonctionne également sur cette base. Comme vous savez, il y a un leader du côté gouvernemental et un du côté de l'opposition. N'avez-vous pas fait de discussions sur la base de ces principes lors de la rédaction de l'article 24(1)?

M. Sabourin: Je dois vous dire, sans trop m'embarquer, que même si vous nous avez dit que le Sénat fonctionne sur la base des partis politiques, je trouve que c'est beaucoup plus collégial que dans d'autres endroits. Je trouve vos arguments quand même assez séduisants. Vous avez entièrement raison, le Parlement c'est le Parlement. Autant le Sénat que la Chambre des communes, sans oublier Sa Majesté, constituent le Parlement. Mais c'est aussi le Parlement qui a proclamé la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. C'est le Parlement qui a décidé qu'il serait souhaitable, pour nommer les membres du comité de surveillance, que le processus qui prévoit la consultation entre le premier ministre et les leaders en Chambre soit le processus à suivre.

Alors, dans le contexte de toute la mécanique et de tout l'appareil qu'on connaît en matière de sécurité nationale, si on veut modifier ce processus sur la base de l'argumentation que vous avez mise de l'avant, -- qui je pense est excellente -- libre au Parlement de modifier la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, dans ce cas-là, la procédure prévue ici serait immédiatement modifiée comme amendement corrélatif pour avoir le même régime de nomination.

Le deuxième élément que je veux soulever, et qui est un élément purement pratique, c'est qu'il ne faut pas oublier que l'article 24 est là dans le cas éventuel -- c'est presque certain que cela ne se produira jamais -- où le comité de surveillance ne peut agir pour aucune raison que ce soit et qu'il a les mains liées. L'histoire de l'existence du comité de surveillance nous prouve que cela ne s'est produit qu'à une reprise. Quelqu'un avait allégué le manque de partialité du comité et il s'est avéré que cette personne ait eu raison. Toutefois, en définitive, les tribunaux ont dit qu'il était vrai qu'il y avait eu un manque de partialité, mais que le comité de surveillance pouvait néanmoins agir de cette façon ou d'une autre et qu'il n'y avait nul besoin de créer un vide juridique.

Lorsque la décision initiale -- et je parle évidemment de l'affaire Zundel -- avait été rendue, le gouvernement s'était dit que si la Cour fédérale dit qu'il y a un vide juridique, il faut le combler. Nous nous sommes donc présentés avec ce mécanisme de nomination du juge à la retraite, au cas où le comité de surveillance ne pourrait pas agir.

J'insiste sur cette question pratique parce qu'il ne faut pas voir la chose strictement au plan théorique. Il est fort probable que l'on n'aura jamais besoin de recourir à cette disposition, mais elle est là pour traiter de l'exception possible où il y aurait une incapacité d'agir du comité de surveillance.

Le sénateur Joyal: Je ne voudrais pas prolonger le débat là-dessus, mais la question fondamentale pour moi n'est pas de savoir s'il y a un seul cas qui se présente dans nos annales de la citoyenneté, c'est le principe. On ne peut pas, à mon avis, lorsque l'on conçoit une législation, faire fi de la nature du système dans lequel nous sommes. Même si jamais on ne faisait appel à l'article 24(1), -- à supposer qu'en pratique cela ne se produise jamais -- il n'en demeure pas moins que la nature exacte de nos institutions parlementaires serait reflétée dans cet article-là. Ce n'est pas une question de savoir si c'est le cas d'un seul individu. Ce n'est pas important. Ce qui importe, c'est l'intégrité des institutions et des principes à l'intérieur duquel notre système fonctionne au Canada. C'est cela, à mon avis, le premier critère.

Évidemment, le critère peut être tempéré par des éléments d'appréciation, mais il y a un principe de base qu'il faut reconnaître dans nos systèmes: l'intégrité du Parlement tel qu'il existe dans sa définition et l'intégrité de la règle de droit dans notre pays. Finalement, toute cette question des valeurs constitue un débat politique. On fait une loi qui doit protéger les droits des individus et c'est la règle de droit qui est l'élément fondamental. Tout le reste, tout ce qui se rapporte aux valeurs, correspond à ce que les individus contribuent eux-mêmes à la société. Mais au-delà de ce qu'ils peuvent contribuer, il y a la règle de droit qui donne à chacun la chance de faire valoir son point de vue dans l'ordre à l'intérieur duquel nous opérons et à l'intérieur de la Constitution et de la Charte canadienne des droits et libertés que nous avons.

Même s'il ne sera jamais utilisé, pour moi ce n'est pas l'argument pour dire qu'on l'a déjà fait antérieurement et qu'on pourrait répéter la même erreur. À mon avis, si nous nous sommes trompés lorsque nous avons fait la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, nous ne sommes pas obligés de répéter cette omission.

C'est le principe de base lorsqu'on définit le rôle du Parlement et des partis politiques. C'est beaucoup plus large que simplement le cas en question. Peut-être que cela ne se produira jamais jusqu'à la prochaine Loi sur la citoyenneté. Et lorsqu'on refera la prochaine loi, on dira que ce n'est pas important parce que cela ne s'est pas produit depuis 20 ans?

M. Sabourin: Je vous comprends entièrement. Moi aussi je pense qu'il ne faut pas parler du nombre de cas pour des questions aussi fondamentales que cela. J'espère que je n'apparaîtrai pas trop technique, mais si c'était la volonté du comité ici, si c'était la volonté de tous les parlementaires à la Chambre des communes et au Sénat, s'il y avait l'unanimité absolue à savoir qu'il faut adopter un processus de nomination suite à une consultation, comme vous l'entendez, je pense que la façon de procéder serait de modifier la loi initiale qui prévoit comment on traite les questions de sécurité nationale au pays.

Il serait bizarre -- supposons qu'il y avait unanimité, je ne sais pas, peut-être que l'unanimité est là -- de procéder par l'entremise de la Loi sur la citoyenneté, qui ne fait qu'adopter les principes établis dans la loi qui traite de la sécurité nationale. Il me semble qu'il serait préférable de proposer une modification au processus de nomination prévu dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Et là, c'est certain que cette Loi sur la citoyenneté va être modifiée pour refléter cela. Je ne suis certainement pas expert sur le plan de la procédure parlementaire, mais il me semble que si on veut proposer une modification, elle devrait viser la loi-cadre.

Le sénateur Joyal: La cohérence dans l'omission, en d'autres mots.

[Traduction]

Le sénateur Moore: Le sénateur Joyal a posé des questions au sujet des pouvoirs prévus au paragraphe 44(1), et M. Sabourin affirme qu'ils ne comprennent pas le pouvoir de révocation prévu à l'article 16. Comment le savoir? Si c'est le cas, pourquoi n'a-t-on pas prévu l'exception au paragraphe 44(1)?

M. Sabourin: Vous me mettez sur la sellette devant mon ancien professeur de droit constitutionnel. Je dois m'assurer de donner une réponse absolument parfaite.

Les conventions constitutionnelles régissent le fonctionnement du Cabinet. Ça ne peut certainement pas être un simple représentant d'un ministre de la Couronne qui explique à tous les autres ministres de la Couronne comment la délégation du pouvoir du gouverneur en conseil doit être exercée.

Le sénateur Fraser: Ma question a déjà été posée aux fonctionnaires qui étaient ici auparavant. Nous avons reçu cette semaine un témoin de la Ligue monarchiste du Canada. Pendant la discussion, on s'est posé des questions sur la partie du projet de loi sur le serment d'allégeance, une allégeance envers la Reine Elizabeth II. On se demandait si, en droit, cela comprendrait aussi ses héritiers et ses ayants droit qui sont mentionnés explicitement dans le serment actuel. Y a-t-il de bonnes raisons de ne pas avoir mentionné ses héritiers et ayants droit dans le nouveau serment?

Mme Frith: Je vais répéter ce que notre ministre a déjà déclaré. Lorsqu'on prête serment d'allégeance à la Reine, on fait automatiquement de même pour ses héritiers et ayants droit. La seule raison du retrait des mots «héritiers et successeurs» du serment, c'est de faciliter les choses pour nos nouveaux citoyens en rendant le serment aussi lisible et facile à dire que possible. C'était pour faciliter l'expression du nouveau serment. Il n'y a pas d'autre raison.

Le sénateur Fraser: Vous êtes convaincu que du point de vue juridique, il s'agit bien d'un serment au monarque du Canada, quel qu'il soit?

M. Sabourin: Absolument, et de ce côté, nous avons fait nos devoirs, en obtenant un avis juridique du ministère de la Justice ainsi que d'autres sources compétentes en la matière.

Le sénateur Fraser: Pourrions-nous envoyer une transcription de cette petite partie de nos délibérations à M. Aimers?

Le sénateur Andreychuk: Il y avait une autre partie, qui disait qu'en prêtant serment d'allégeance au Canada, le libellé était «et Sa Majesté» et ils préféraient que ce soit «et aussi à» ou «par conséquent» parce qu'à leur avis, on prêtait serment d'allégeance au Canada, et à Sa Majesté, ce qui était deux choses différentes. Ils disaient qu'on ne prêtait pas allégeance à Sa Majesté pour elle-même, mais à Sa Majesté comme chef d'État ou de la Constitution.

Le sénateur Fraser: Comme reine du Canada.

Le sénateur Andreychuk: Il semble que cela constitue deux loyautés plutôt qu'une.

Le vice-président: Pour commencer, je n'ai jamais douté qu'en prêtant serment d'allégeance au Canada, ça comprenait Sa Majesté. Je suis convaincu qu'en disant «Sa Majesté» il n'est pas nécessaire de dire «ses héritiers et ayants droit» parce qu'un principe en droit constitutionnel veut qu'au décès du roi et de la reine, son successeur prend immédiatement sa place. Il n'y a pas d'hiatus. J'en ai toujours été convaincu.

Il n'y a pas de raison de changer le serment d'allégeance pour ajouter «et à». Le mot «Canada» comprend Sa Majesté.

C'est bien entendu mon opinion personnelle.

M. Sabourin: Monsieur le président, sans vouloir m'attarder sur les détails de cette discussion, le texte du serment n'est pas simplement une déclaration juridique faite par le nouveau citoyen. Il est destiné à présenter de manière poétique les valeurs du Canada. Il ne s'agit pas uniquement d'un engagement juridique de la part du nouveau citoyen.

Je suis arrivé au programme de la citoyenneté quand le ministre était l'honorable Serge Joyal, il y quelques années de cela. Pendant toutes ces années, j'ai dû voir un millier de versions du serment. Toutes ces versions étaient réfléchies, toutes étaient très valables et belles, ou la plupart d'entre elles, et la seule constante, pendant toutes ces années, c'est que chacun avait une bonne version du serment. Comme l'a dit la ministre, cette version représente un certain consensus et est tout aussi bonne que de nombreuses autres.

Le vice-président: Pour moi, dans la loi, c'est une définition juridique. Quand elle figure dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, ou dans la Loi constitutionnelle, maintenant, il s'agit d'une définition constitutionnelle. Cette fois, elle n'est pas dans la Constitution, mais dans une loi, ce qui est bien différent.

Je tiens à remercier nos quatre témoins pour cette intéressante comparution devant le comité, aujourd'hui.

[Français]

Mme Frith: Il y a eu une erreur dans le document sur le processus de révocation et j'aimerais vous remettre une mise à jour.

Le vice-président: Nous l'acceptons volontiers.

La séance est levée.


Haut de page