Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 23 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 18 octobre 2000
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 09, dans le but d'examiner le projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Je tiens à présenter mes excuses à notre témoin, M. André Braen. Nous avons été retenus au Sénat. Nous avions prévu lever la séance à 15 h 30.
Monsieur Braen, la parole est à vous. Certains membres du comité ont demandé à vous revoir pour que vous puissiez nous parler davantage de la notion «d'intérêt public».
[Français]
M. André Braen, professeur, Université d'Ottawa: Dans un premier temps, j'aimerais remercier les membres de ce comité d'avoir renouvelé le privilège que j'ai de me présenter devant eux.
On m'a demandé, d'une façon plus particulière, de discuter de la question de l'intérêt public, notion qui apparaît dans le projet de loi. Ce projet de loi renvoie à plusieurs normes impliquant une certaine discrétion plus ou moins large en tant que telle et qui concerne des décisions relatives à l'attribution de la citoyenneté, à la répudiation de la citoyenneté ou, encore, à l'annulation d'une décision prise à cet égard.
Par exemple, l'article 16 permet au gouverneur en conseil, par décret, de révoquer la citoyenneté dans les cas de fraude ou de fausse déclaration d'un demandeur et ce, à condition qu'un rapport ait été fait par le ministre qui sera chargé de l'application de la loi.
Lorsqu'on parle de fraude ou de fausse déclaration, cela peut paraître relativement clair, mais en interprétant et en appliquant ces normes, il n'en demeure pas moins qu'il reste une discrétion au gouverneur en conseil ou au ministre d'interpréter et d'appliquer ces normes.
À l'article 18, on parle de la possibilité pour le ministre d'annuler une attribution par arrêté dans les cas de fausse identité ou dans des cas de non-admissibilité. Si on parle de fausse identité ou de cas de non-admissibilité, tels que décrits à l'article 28, cela peut paraître clair et objectif, mais il y a évidemment une certaine discrétion dans l'interprétation des mots qui sont utilisés.
Les discrétions aux articles 16 et 18 sont encadrées. Par exemple, à l'article 16, il est possible de faire intervenir la Cour fédérale et lui demander de se prononcer sur les cas de fraude ou de fausse déclaration. Dans le cas de l'article 18, la Cour fédérale peut exercer son pouvoir de contrôle et de surveillance en tant que tel.
L'article 21, quant à lui, parle de l'intérêt public. On dit que le ministre qui sera chargé de la présente loi pourra présenter un rapport au gouvernement dans le but d'interdire l'attribution de la citoyenneté, si on la juge contraire à l'intérêt public. On s'aperçoit que cette norme d'intérêt public est beaucoup plus vaste en termes d'exercice discrétionnaire que les normes que l'on retrouvait aux articles 16, 17 et 18.
De plus, on s'aperçoit que l'encadrement de cet exercice discrétionnaire, tel que proposé par le projet de loi, est quasiment nul et ce, dans le sens suivant: l'article 22 contient une clause privative où l'on prend la peine de déclarer une décision prise par le gouvernement comme étant finale, non susceptible de contrôle judiciaire et sans appel. De prime abord, c'est une norme d'intérêt public qui est très discrétionnaire et l'on renforce cet aspect discrétionnaire en écartant le pouvoir de contrôle et de surveillance.
Je vous dis tout de suite qu'en droit, le Parlement ne peut pas écarter le pouvoir de contrôle et de surveillance du pouvoir judiciaire d'une cour supérieure parce que ce pouvoir de contrôle et de surveillance est enchâssé à l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, à des fins juridiques, l'insertion d'une clause privative est tout de même considérée par les tribunaux. On s'aperçoit alors qu'à l'article 28 il y a une autre norme, la sécurité nationale qui, quant à elle, commande également un pouvoir discrétionnaire qui fait son apparition.
Cette notion d'intérêt public qui apparaît à l'article 21 n'est pas, en droit, une notion nouvelle, ce n'est pas quelque chose qui est saugrenu. Le législateur, qu'il soit fédéral ou provincial, utilise assez souvent cette notion d'intérêt public. C'est une notion quasi objective dans la mesure où, évidemment, l'application de cette notion appelle ou commande un exercice discrétionnaire relativement vaste, beaucoup plus qu'une notion comme la fraude, la fausse identité, la sécurité nationale et ainsi de suite.
En droit, cette notion d'intérêt public n'est quand même pas illimitée. En droit et en common law, on a toujours jugé que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire -- comme celui qui se fonde sur la notion d'intérêt public -- est limité par au moins deux facteurs.
La première limite, c'est la bonne foi. On présume que le gouvernement qui agit dans l'intérêt public agit de bonne foi. Les tribunaux interviennent pour invalider une décision dans la mesure où on est capable de démontrer la mauvaise foi.
L'autre limite, ce sont les objets de la loi. La Loi sur la citoyenneté poursuit certains objectifs. On suppose donc que le titulaire d'un pouvoir discrétionnaire basé sur l'intérêt public prendra des décisions en se fondant sur les objectifs poursuivis par la loi. Autrement dit, une notion comme celle de l'intérêt public ne confère pas au titulaire un pouvoir qui est illimité ou arbitraire.
Par ailleurs, il faut aussi savoir que même s'il existe dans notre système une séparation des pouvoirs, une cour de justice pourra quand même intervenir et vérifier l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire -- en ce qui nous concerne, fondé sur la notion de l'intérêt public -- en appliquant deux approches, dont l'approche traditionnelle.
Traditionnellement, les tribunaux dans ce pays vont vérifier si un pouvoir discrétionnaire fondé, par exemple, sur l'intérêt public, s'est exercé de bonne foi, de façon non discriminatoire, de façon raisonnable, conformément aux objets de la loi. Donc, de façon traditionnelle les tribunaux peuvent quand même intervenir et contrôler la légalité d'un exercice discrétionnaire fondé sur la notion de l'intérêt public.
De façon plus nouvelle, depuis une décision rendue par la Cour suprême du Canada l'an dernier, les tribunaux peuvent intervenir pour contrôler l'exercice d'une discrétion -- un pouvoir fondé sur l'intérêt public -- en appliquant ce que la Cour suprême du Canada a appelé «une approche pragmatique et fonctionnelle», dans le sens qu'on va lire la loi, on va vérifier dans quelle mesure la cour de justice peut intervenir pour invalider une décision. Voilà ce que j'avais à dire sur la notion d'intérêt public.
Ce qui m'apparaît étrange dans le projet de loi tel qu'édicté, c'est la création de ces catégories dans l'exercice d'une discrétion et la volonté de les assortir ou de prétendre les assortir à un degré de contrôle différent, compte tenu du fait que dans tous les cas, les conséquences pour l'individu qui fait l'objet de cette décision sont très graves.
En ce qui concerne la notion d'intérêt public, ce n'est pas une notion qui m'effraie, personnellement, en tant que juriste.
Le sénateur Beaudoin: Ma question concerne l'article 22(3). On dit que le décret est définitif et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel et non susceptible de contrôle judiciaire.
Dans notre régime constitutionnel canadien, je ne vois pas comment on peut voter en faveur de ce paragraphe. Si on vote en faveur de ce paragraphe, il sera écarté devant les tribunaux. Non seulement on dit que le décret est définitif, non seulement les autres lois ne s'appliquent pas, mais il n'y a même pas d'appel et il n'y a même pas de contrôle judiciaire. Le contrôle de la constitutionnalité des lois est la base de notre système. Je ne peux faire autrement que de suggérer d'écarter l'article 22(3) parce qu'il est inconstitutionnel. Si on ne l'écarte pas par un amendement, ce sont les tribunaux qui vont le faire. Quel est votre avis?
M. Braen: Cette disposition est qualifiée de clause privative dans le jargon du droit administratif. On s'entend pour dire que ce type de libellé n'est pas en soi inconstitutionnel puisque qu'il ne peut écarter le pouvoir de contrôle et de surveillance d'une cour supérieure. En pratique donc, les tribunaux de ce pays ne donnent pas de suite à ce type de clause. Cependant, pourquoi est-ce que le législateur voudrait quand même insérér ce type de clause même si, en termes de conséquences, sur plan constitutionnel il n'y en a pas? On ne peut pas écarter le principe de la légalité, car c'est une indication qui peut être utilisée par un tribunal lorsqu'il doit contrôler l'exercice de la discrétion.
En droit administratif, la présence d'une clause privative dans une loi appelle, de la part d'une cour de justice, ce qui est nommé une «réserve» ou une «retenue judiciaire». Lorsque ce type de disposition existe dans une loi, une cour de justice va dire qu'elle peut quand même vérifier si l'exercice du pouvoir discrétionnaire est illégal ou pas, mais elle le fait un peu à reculons. Le législateur lui demande de faire preuve de réserve. C'est dans ce sens que ce type de clause va trouver son utilité, et c'est probablement pour cela que les rédacteurs du projet de loi ont pensé l'y insérer.
Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, cela ne fait pas peur du tout à la cour, parce que la cour sait fort bien qu'elle peut intervenir malgré cela.
M. Braen: Cela est exact. Cela risque cependant de freiner les ardeurs du tribunal.
Le sénateur Nolin: Dans l'arrêt Morales, la décision de la Cour suprême, en 1992, traite de la théorie de l'imprécision en regard de l'usage de la terminologie «intérêt public». La cour, majoritaire, sous la plume du juge en chef Lamer, nous dit que l'usage des mots «intérêt public» ne permet pas le contrôle judiciaire. Les conditions de l'exercice de cette discrétion sont trop imprécises pour qu'on puisse supporter la légalité du texte de cette loi.
Le juge Lamer se réfère à une autre décision de la Cour suprême, contemporaine à l'arrêt Morales, l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society. Quelqu'un pourrait dire: oui, mais il s'agit bien d'une décision qui traite du droit criminel dans Morales, alors que si on parle de droit administratif, ce serait autre chose. Dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society, la Cour suprême nous dit que la théorie de l'imprécision, quant à l'usage des mots «intérêt public» ne s'applique pas uniquement au droit criminel mais à tous les droits: civils, administratifs et autres.
Quand je lis le texte de loi devant moi, surtout l'article 21, j'ai un problème. Dans vos remarques préliminaires, vous dites que les tribunaux, de toute façon, vont prendre le texte de loi, regarder l'objectif de la loi pour voir -- l'article 21 ne contient aucun critère normatif quant à l'application de la règle d'intérêt public -- s'il offre ces critères d'évaluation ou d'encadrement de la discrétion du ministre et du Cabinet.
Où puis-je retrouver dans ce projet de loi les objectifs auxquels vous faisiez référence dans vos remarques préliminaires? Quels sont ces objectifs qui encadreraient l'exercice discrétionnaire du ministre et du Conseil privé à la lumière des décisions de la Cour suprême selon les arrêts Morales et Nova Scotia Pharmaceutical Society?
M. Braen: C'est une tâche judiciaire!
Le sénateur Nolin: Pour le bénéfice de nos collègues, je veux juste lire un passage de l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society. La Cour a établi un test de l'imprécision, et elle écrit:
Une loi sera jugée d'une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire.
Ma question est la suivante: suite à ces décisions -- incluant le test de Nova Scotia Pharmaceutical Society --, l'article 21 respecte-t-il le test ou non?
M. Braen: Bien modestement, je pense que oui. Encore une fois, la notion de l'intérêt public est familière dans le langage législatif. On aurait proposé un autre motif ou un autre fondement. On pourrait lire, par exemple, que le ministre peut pour motifs raisonnables -- ou pour cause -- refuser d'attribuer une citoyenneté.
Pour cause, cela veut dire quoi? C'est aussi imprécis que l'intérêt public. Vous êtes d'accord avec moi?
Le sénateur Nolin: Voilà mon problème. Comme c'est imprécis, selon moi, je suis le test: c'est inconditionnel.
M. Braen: Mais ce n'est pas de l'imprécision, c'est du pouvoir discrétionnaire. Si on attribue un pouvoir discrétionnaire à un gouvernement, c'est parce qu'on se dit qu'il peut arriver des situations. On ne peut pas dans une loi prévoir toutes les situations. Il faut donc un peu de souplesse et, en cela, on dit que le gouvernement pourra dans certaines circonstances, dans l'intérêt public, intervenir en tant que tel.
Il est vrai qu'en droit une loi peut être déclarée inconstitutionnelle pour cause d'imprécision, mais les décisions où on a effectivement déclaré des lois inconstitutionnelles pour raison d'imprécision, à ma connaissance, sont extrêmement rares, parce qu'une loi est constituée de mots et que les mots doivent être interprétés. Il y a toujours, dès le départ, une certaine discrétion dans cet exercice. On ne me fera pas croire qu'on peut, à coup sûr, insérér dans une loi des motifs objectifs qui ne laissent place à aucune subjectivité. C'est quasiment impossible.
Le motif d'intérêt public n'est pas saugrenu dans la législation. Beaucoup de textes législatifs n'utilisent cette notion d'intérêt public ou d'autres aussi vagues que pour une cause raisonnable. Qu'est-ce qu'une cause raisonnable? Je ne veux pas me faire le défenseur de ce projet de loi, mais je vous dis qu'en droit administratif, ma réaction est la suivante.
Le sénateur Nolin: Moi aussi je veux donner une chance au projet de loi. J'ai juste un problème avec cet article. Je n'ai pas de problème avec le fait que le ministre et le Cabinet puissent exercer cette discrétion. Le problème que j'ai et la règle de droit le dit, c'est qu'il doit y avoir un certain encadrement, un certain guide. La cour dit «un guide suffisant», pas un guide complet.
Quand je lis ce passage de la décision de la Cour suprême et que j'y ajoute votre témoignage, où dans le texte vais-je trouver ce guide suffisant qui va guider l'exercice judiciaire?
M. Braen: Le guide existe, à mon avis, parce que si on jette un coup d'<#0139>il aux dispositions qui précèdent, par exemple la question de l'attribution de la citoyenneté, la question de la révocation d'une attribution de citoyenneté, la question d'une répudiation et ainsi de suite, il y a des critères qui sont énoncés.
Dans un cas, on va parler de fausse déclaration, de fraude. Il y a de la subjectivité là-dedans. Dans d'autres cas, on va parler de fausse identité ou encore de cas de non-admissibilité selon l'article 28. Il y a de la discrétion pour interpréter les mots utilisés à l'article 28.
Il y a aussi la notion de la sécurité nationale. La sécurité nationale, entre vous et moi, commande une certaine discrétion. Il y a des guides un peu partout. Le projet de loi dit que dans les autres domaines, qu'on va appeler l'intérêt public, on ne sait pas ce qui peut se passer. Peut-être y aura-t-il un cas où il ne sera pas question de fausse déclaration, de fraude. Ce ne sera pas un cas non-admissible selon l'article 28. Cela ne sera pas une question de sécurité nationale, mais ce sera quand même délicat si on octroit la nationalité. C'est pour cela qu'on parle d'intérêt public. C'est une espèce de notion de résidu, si vous voulez.
Le sénateur Nolin: Et qu'on veut exclure du contrôle judiciaire. Cela me préoccupe. Je suis d'accord avec vous, l'article 96 nous donne une protection. Mais qu'on veuille exerce une discrétion, qu'on veuille ne pas lui donner un guide quant à son utilisation et qu'on veuille en exclure le contrôle judiciaire, c'est là que je me demande ce qu'on veut cacher.
M. Braen: En droit, je pense qu'on ne veut pas cacher quelque chose, mais on veut s'assurer que les tribunaux judiciaires vont ou ne vont intervenir que très rarement dans l'exercice de cette juridiction. Encore une fois, qu'on veuille prétendre mettre de côté le pouvoir de contrôle et de surveillance, en droit constitutionnel cela n'a pas d'effet. Mais en droit administratif, c'est une indication qui, éventuellement, peut être considérée par une cour de justice pour ne pas vouloir intervenir avec l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, pour ne pas vouloir s'ingérer dans cette notion d'intérêt public.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Je tiens à remercier le personnel d'avoir préparé ce document. Il nous permet de cerner le débat. Il est très utile, mais en même temps, il nous complique un peu la vie.
Monsieur Braen, j'ai de la difficulté à suivre votre raisonnement. Je suis certain que vous avez jeté un coup d'oeil aux arrêts Morales, Nova Scotia Pharmaceutical Society, Zundel, Kuchma, Snider et Manitoba c. Metropolitan Stores Ltd. Ce qu'ils disent essentiellement, pour ce qui est de la protection des renseignements personnels, c'est qu'il n'est pas difficile de déterminer ce qui est dans l'intérêt public parce que cette notion doit être opposée à celle de la protection des renseignements personnels, un droit de portée très limitée. Le concept de l'«intérêt public» dans le contexte de la loi sur la protection des renseignements personnels me semble assez précis parce qu'il suppose la prise d'une décision. Il faut faire un choix entre, d'une part, la protection des renseignements personnels et, d'autre part, la divulgation de ceux-ci. Cela ne pose pas vraiment de problème.
Je présume que l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society portait sur une mesure de santé publique où il fallait assurer un dosage des intérêts de la société, soit un objectif légitime en matière de santé publique, et les droits de la personne. Encore une fois, cela ne posait pas vraiment de problème.
Dans l'arrêt Zundel, la Cour a statué que les tribunaux et les législateurs doivent faire preuve de prudence quand il est question de restreindre des droits constitutionnels. Quand nous imposons des restrictions, nous devons veiller à ce qu'elles soient justifiables, encore une fois dans l'intérêt public. Toutefois, tel n'est pas le cas ici, et voilà pourquoi cette affaire est plus complexe.
Dans le cas qui nous intéresse, ce n'est pas le droit d'obtenir la citoyenneté qui est en cause, parce que ce droit n'existe pas. C'est un privilège qui est accordé sous réserve de certaines conditions.
La question de l'intérêt public en soulève une autre beaucoup plus complexe, parce qu'elle est très vague et qu'elle ne définit pas les objectifs sociaux que nous cherchons à réaliser. Est-ce que cet objectif est le devoir d'exercer son droit de vote au Canada? Est-ce le devoir de ne pas exercer une influence indue sur un quartier en particulier?
Les réponses que vous avez données au sénateur Nolin ne répondent pas, selon moi, à la question, parce qu'il a soulevées des points bien précis. L'intérêt public est une notion très vaste, et c'est cette application plus vaste, sans orientation aucune, qui nous amène à nous poser des questions très profondes.
En quoi le fait de priver quelqu'un du droit de devenir citoyen, ce que nous voulons encourager, sert-il l'intérêt public? Nous essayons, au Canada, d'encourager les valeurs qui animent la citoyenneté en nous fondant, entre autres, sur la Charte. Or, nous ne définissons pas vraiment ces valeurs. Tout ce que nous disons, en vertu du serment, c'est que le citoyen doit s'engager à observer les lois du Canada. Ces termes sont vagues et peu satisfaisants.
Quelles seraient les limites imposées à l'égard de l'intérêt public, mises à part celles que vous avez déjà mentionnées, soit la fausse déclaration, la menace envers la sécurité, ainsi de suite? Ces limites sont très claires. Personne ne les remet en question. Le problème, c'est l'imprécision qui entoure toute la question. Aidez-nous à cerner, sans les définir, les valeurs qui animent la citoyenneté. Je ne pense pas que le projet de loi soit très utile à cet égard.
M. Braen: Il est difficile de répondre à cette question.
Le sénateur Grafstein: Je me pose la même question, et je n'arrive pas à y répondre.
[Français]
M. Braen: Je ne sais pas si les autorités du ministère de l'Immigration se sont présentées devant ce comité.
Le sénateur Nolin: C'est un autre problème que nous avons. Nous voulions adopter le projet de loi avant.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Nous ne devrions pas faire intervenir les autorités de l'Immigration dans le débat parce que cela ne ferait qu'embrouiller les choses. C'est un problème tout à fait différent. Cette question-ci est beaucoup plus complexe.
[Français]
M. Braen: Je ne sais pas trop comment vous répondre. À mon avis, cette notion d'intérêt public est une espèce de notion résiduaire.
Dans le projet de loi, on confère aux autorités gouvernementales, que ce soit le ministre ou le gouvernement, la capacité d'intervenir et de révoquer, par exemple, ou de répudier ou de ne pas attribuer une citoyenneté, et on fixe certains guides que j'ai énumérés tantôt.
Il semble que pour ne pas prendre de chances, pour faire en sorte que si jamais il existe des situations qu'on ne puisse pas relier à la question de la sécurité nationale, à la question criminelle qui ressort de l'article 28 et ainsi de suite, que le gouvernement puisse quand même, au nom de l'intérêt public, intervenir. Est-ce qu'il y a des paramètres? Tout ce que je peux dire, c'est qu'en droit, si j'étais juge à la Cour fédérale du Canada, dans une cour supérieure ou à la Cour suprême du Canada, je vous dirais que cette notion in se comporte quand même en droit des limites, qui sont celles que j'ai énumérées tantôt, soit la limite de la bonne foi et la limite des objets de la loi. Les autorités du ministère de l'Immigration vont avoir à définir les objets de la loi, eux-mêmes. Ils vont lire la loi et ils vont établir que c'est de telle façon qu'il faut procéder.
Il faut comprendre que lorsque la question est portée devant un tribunal, en définitive et ultimement, les objets de la loi seront définis par le tribunal et non pas par les autorités gouvernementales.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Je ne veux pas vous interrompre, mais nous n'aurons alors pas rempli notre devoir. Je ne veux pas déléguer à un juge de la Cour suprême la responsabilité de définir ce qu'est la citoyenneté. Au contraire. Je veux être en mesure de définir, pour lui, ce qui, à mon avis, est acceptable et ce qui ne l'est pas. Je ne suis pas d'accord avec l'idée de donner à un juge, avec tout le respect que nous leur devons, la responsabilité de définir les objectifs de la loi sur la citoyenneté au Canada.
Le sénateur Nolin: C'est encore plus compliqué que cela. On leur donne le pouvoir de définir l'intérêt public mais sans leur fournir de paramètres. On pourrait conclure, à la limite, que l'opinion du demandeur est contraire à celle du gouvernement, ou que le gouvernement la juge insatisfaisante. Toutefois, nous n'exerçons aucun contrôle là-dessus. Si c'est ce que nous voulons, je ne suis pas d'accord.
La présidente: Le comité aura l'occasion d'en discuter demain matin. Essayons d'avoir une réponse du témoin.
[Français]
M. Braen: Je voudrais quand même rappeler -- et je le fais avec beaucoup de retenue -- que dans notre système constitutionnel, il y a quand même une certaine séparation des pouvoirs. S'il vous revient de légiférer, il revient ultimement au cours de justice de définir les objets d'une loi. C'est notre système. Le législateur peut quand même aider le pouvoir judiciaire à bien interpréter la loi.
Le sénateur Nolin: On ne veut pas usurper leur travail, au contraire, on veut les aider à le faire.
M. Braen: Ultimement, ce sont eux qui décident.
Le sénateur Nolin: Mais cela leur arrive de nous dire «vous avez mal fait votre travail, voulez-vous recommencer?» et on ne voudrait pas que cela se produise.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Vous avez raison, vous êtes venu nous parler des aspects juridiques du projet de loi. Il revient aux législateurs de décider si nous voulons donner un tel pouvoir discrétionnaire à l'exécutif. Pour qu'un projet de loi devienne loi, il faut que le Parlement l'adopte. Vous avez tout à fait raison de nous dire ce qui risque de se produire si nous donnons à l'exécutif un tel pouvoir.
Vous avez dit que le pouvoir discrétionnaire accordé en vertu des articles 18 et 21 est fondé sur l'intérêt public. Le pouvoir discrétionnaire accordé en vertu de l'article 16 est, lui, plus généralisé. Les articles 18 et 21 permettent, quoique de façon limitée, d'avoir accès à un contrôle judiciaire, et peut-être même à un examen administratif.
Vous avez dit que l'intérêt public peut être invoqué dans les cas de fraude ou de fausse déclaration, et quand il y a menace envers la sécurité nationale. Ces motifs ne sont pas les seuls. À mon avis, l'article 16 n'est d'aucune façon assujetti, dans son application, aux autres dispositions, par exemple les articles 18 et 21, celles qui traitent de la sécurité nationale, ou encore l'article 28, qui traite des autres cas d'interdiction. L'article 16 n'est pas assujetti à ces dispositions. S'il l'était, est-ce que cela voudrait dire qu'un gouvernement pourrait invoquer les articles 17 ou 18, les menaces envers la sécurité nationale, et dire, «Écoutez, il existe d'autres facteurs que nous devons prendre en considération; il y a le contrôle judiciaire. Laissons cette option de côté. Invoquons l'article 16 parce qu'il nous accorde un pouvoir discrétionnaire plus vaste et qu'il nous permet de limiter l'influence du judiciaire»?
Il s'agit, autrement dit, d'un moyen de court-circuiter les autres dispositions. Vrai ou faux?
[Français]
M. Braen: Non, parce qu'il faudrait d'abord faire un examen très attentif. De prime abord, l'article 16 vise un cas très particulier, c'est celui de la révocation d'une décision attribuant la citoyenneté. L'article 16 dit que si quelqu'un s'est vu attribuer la citoyenneté, le gouverneur en conseil peut intervenir et révoquer cette citoyenneté pour les motifs qui y sont indiqués.
L'article 18 parle de l'annulation d'une décision d'attribuer la citoyenneté ou de répudier la citoyenneté. L'objet est alors quelque peu différent. Dans un cas on parle de révocation, dans un autre cas on parle d'annulation, de répudiation ou d'une attribution de citoyenneté. L'article 21 permet au gouvernement d'interdire au ministre d'attribuer la citoyenneté. Chaque disposition, à mon avis, a une finalité qui lui est propre. Il est certain qu'en bout de ligne, les autorités de l'immigration peuvent, face à un cas donné, utiliser l'une ou l'autre de ces dispositions indépendamment des cas qui se produisent. Je ne serais pas prêt à dire que cela permet un tour de passe-passe aux autorités de l'immigration pour faire un peu ce qu'ils veulent. Je ne pense pas que ce soit le cas.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Vous êtes d'accord avec moi pour dire que ces dispositions sont distinctes, qu'elles visent un objectif distinct. Vous convenez qu'il ne serait pas juste, alors, de laisser entendre que l'article 16 pourrait être invoqué parce que «nous avons des doutes; nous allons attendre avant de nous prononcer parce que nous avons déjà eu des cas similaires.» Vous dites que cet article a une finalité qui lui est propre?
M. Braen: C'est ce que je dis. L'objectif de cet article semble être très clair. Il est invoqué quand il y a révocation de la citoyenneté.
Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Grafstein a parlé des limites imposées au pouvoir et de la théorie de l'imprécision. Si l'article 16 a une finalité qui lui est propre, alors le gouvernement pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire, mais non comme il a toujours eu l'habitude de le faire dans le domaine de la citoyenneté. Il pourrait exercer ce pouvoir.
M. Braen: En vertu de l'article 16?
Le sénateur Andreychuk: Oui.
M. Braen: Non, ce pouvoir est limité.
[Français]
D'abord, cet article ne s'applique que lorsqu'il y a eu fraude ou fausse déclaration.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Je m'excuse, je faisais allusion à l'article 21. Je lisais le libellé de l'article 16.
L'article 21 a une finalité qui lui est propre, comme vous l'avez mentionné. Ainsi, le gouvernement n'a pas à invoquer l'intérêt national pour justifier son intervention. Il n'a pas à invoquer ces motifs. L'intérêt public ne pourrait pas être défini en termes très vastes.
[Français]
M. Braen: Je vais corriger mon tir parce que tantôt je parlais de l'article 27. L'article 21, quant à lui, vise une finalité qui lui est propre. Si on fait face à un cas de fausse déclaration ou de fraude, normalement l'article 16 devrait intervenir. Si on parle de sécurité nationale, normalement l'article 23 devrait intervenir.
Dans des cas autres que ceux qui sont déjà prévus aux articles de la loi, on vous dit quand même que dans l'intérêt public -- et dans les autres cas, ceux qui ne sont pas prévus -- le gouvernement peut intervenir.
L'article 21 a une finalité qui lui est propre. En ce qui concerne la façon dont j'interprète le projet de loi, il ne va s'appliquer que dans la mesure où d'autres dispositions ne trouvent pas application. Je vois mal comment on pourrait appliquer l'article 21 et invoquer que l'intérêt public concerne une question de fraude ou de fausse déclaration, alors que l'article 16 traite déjà de la question de fraude et de fausse déclaration.
[Traduction]
La présidente: Votre question n'a pas été consignée parce que les interprètes ne l'ont pas entendue.
Le sénateur Nolin: Ma question est la suivante: ils ne sont pas obligés de fournir les motifs, n'est-ce pas?
M. Braen: Je pense que oui. Il suffit de lire le paragraphe 21(3).
Le sénateur Nolin: D'accord.
[Français]
Si on juge qu'il est dans l'intérêt public d'annuler une attribution de citoyenneté, il y a une obligation de motiver, à tout le moins. Il s'agit quand même d'un léger encadrement de l'exercice du pouvoir discrétionnaire.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Je m'excuse si je vous ai induit en erreur quand j'ai parlé de l'article 16. Je voulais vous parler des deux articles. Je vais reprendre mon argument.
L'article 21 traite de l'intérêt public en termes vastes. Cet article empêcherait quiconque d'obtenir la citoyenneté si le ministre juge qu'il est «contraire à l'intérêt public» de l'attribuer. Pour ce qui est des autres dispositions, une personne n'obtiendrait pas, bien entendu, la citoyenneté si elle faisait l'objet d'une enquête de la GRC, si elle constituait une menace envers la sécurité, ainsi de suite. Or, cela donne à penser que «l'intérêt public» doit être défini en termes autres que ceux qui figurent dans le projet de loi.
Ma question va plus loin. Est-ce le ministère, le ministre ou le Cabinet pourraient, s'ils étaient confrontés à un problème, jeter un coup d'oeil à ces autres articles et conclure qu'ils ne peuvent, par exemple, invoquer le motif de la menace envers la sécurité nationale? La notion de sécurité nationale est clairement définie. Toutefois, le gouvernement pourrait dire «Je ne suis par sûr que ce motif peut être invoqué. Nous allons appliquer l'article 21, qui traite de l'intérêt public, parce que nous avons des doutes.» Cette démarche ne serait peut-être pas la bonne. Ma question est la suivante: ont-ils le pouvoir de le faire?
[Français]
M. Braen: Si une autre disposition n'est pas possible, si on n'est pas certain qu'il y a eu fraude, on pourra toujours utiliser l'article 21 et invoquer les motifs raisonnables dans l'intérêt public. C'est une possibilité, mais la crainte reste quand même atténuée du fait de l'obligation de motivation.
Cette obligation de motivation vient encadrer un peu l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Éventuellement, on peut imaginer un cas où effectivement, les autorités, étant incapables de prouver une fraude ou une fausse déclaration, pourraient aller vers ce pouvoir discrétionnaire résiduaire.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais qu'on parle ici de l'interprétation que donne à cette notion le droit administratif. Donc, si le gouvernement rend une décision négative à l'égard d'une personne en vertu d'une de ces dispositions, celle-ci peut s'adresser aux tribunaux. Il semble y avoir plus de transparence. Par exemple, le CSARS a des comités d'examen public, entre autres, qui se penchent sur ces dossiers. Cet article dit aux tribunaux: «N'intervenez pas». Par conséquent, il faudrait que le cas soit assez exceptionnel pour qu'ils interviennent. Si le demandeur était perçu comme une menace envers la sécurité du Canada, le gouvernement, pour éviter toutes ces démarches, invoquerait l'article 21, puisqu'il aurait ainsi plus de chances d'avoir gain de cause. Toutefois, cette personne serait moins en mesure de se défendre.
[Français]
M. Braen: Vous avez raison. Même si la clause privative n'empêche pas le contrôle d'une cour supérieure ou de la Cour fédérale, ce contrôle reste limité et porte sur la légalité en tant que telle, tandis que dans le cas d'une révocation, une intervention de la Cour fédérale sur le fond est prévue.
Pourquoi proposer quelque chose de différent? Vous avez raison, car pour l'individu qui fait les frais de la décision, il y a moins de possibilités de voir cette décision contestée au plan judiciaire.
[Traduction]
Le sénateur Pearson: J'aimerais poser une question qui se rattache à celle du sénateur Andreychuk.
J'essaie de visualiser le genre de personne dont il est ici question. Or, le genre de personne qui me vient à l'esprit, c'est quelqu'un qui est connu comme étant un pédophile dans un autre pays. Ne peut-on pas tout simplement dire que cette personne fait l'objet d'une enquête? Peut-on dire, «Nous avons entendu telle et telle chose au sujet de cette personne»? Ce n'est pas aussi simple que cela, n'est-ce pas?
Le sénateur Cools: Bien sûr que non.
Le sénateur Andreychuk: J'espère que non.
Le sénateur Pearson: J'ai déjà parlé du cas dont a été saisi l'Interpol. Ils connaissaient tous la personne, la surveillaient, mais on ne pouvait pas dire qu'elle faisait l'objet d'une enquête. J'aimerais qu'on m'explique pourquoi. Qu'est-ce qui vous permet de dire que quelqu'un fait l'objet d'une enquête?
Le sénateur Andreychuk: Ceci vous amène aux interprétations de la sécurité nationale et de l'article 28 qui, en toute justice pour ce témoin, ne relèvent pas du droit administratif. Il y a des règlements, des examens, des procédures spécifiques à la GRC, à Interpol, au CSTI et il y a des comités de surveillance qui doivent s'assurer que tout cela est observé. Il existe une façon de faire pour mettre les gens sous enquête.
Il y a eu un autre cas où quelqu'un s'est retrouvé dans les limbes. Quelqu'un qui fait l'objet d'une enquête de la GRC reste dans les limbes jusqu'à la clôture de l'enquête. Il n'y a pas moyen de faire aboutir cette enquête. J'aurais pu soulever la question comme étant un problème. Aussi, le Comité d'examen du gouverneur en conseil n'est pas tenu de faire de rapport jusqu'à cela fasse son affaire. Il y a donc un grand pouvoir de discrétion pour faire un examen minutieux des gens. Je ne suis pas sûre que cela pourrait s'appliquer à votre cas. Peut-être votre cas en est-il un où l'autre pays n'a pas été en mesure de déterminer si une personne était un suspect connu, ce qui signifie enquête criminelle, par opposition à des accusations au criminel.
Le sénateur Pearson: J'essaie de tirer les choses au clair dans mon propre esprit. J'en parlerai peut-être demain.
Le sénateur Andreychuk: J'ai une autre question d'intérêt public. Lorsque la ministre et ses collaborateurs ont témoigné devant nous, la ministre elle-même ou l'un de ses collaborateurs a dit: «Mais vous savez bien que le rôle du gouvernement dans une démocratie est de toujours agir dans l'intérêt public». Est-ce que cette responsabilité primordiale du gouvernement peut-être assimilée à ce dont il s'agit ici?
[Français]
M. Braen: Dans tous les cas, il y a toujours une responsabilité au plan judiciaire. Un pouvoir de discrétion ne peut être imaginé au plan juridique comme étant illimité, arbitraire et ainsi de suite. Cela n'est pas vrai.
Par ailleurs, si la notion d'intérêt public vous apparaît trop discrétionnaire, enlevez-la. Qu'est-ce qui va rester dans l'article 21? On pourrait dire que le ministre peut, s'il est convaincu qu'il y a des motifs raisonnables, refuser d'attribuer la citoyenneté ou annuler une attribution. C'est quoi «des motifs raisonnables»? La même question va se poser. Le même dilemme auquel vous faites face va se poser. À moins de définir un critère plus objectif comme dans le cas des autres articles, par exemple, ceux de la sécurité nationale, de la fausse déclaration, et ainsi de suite. À moins de déterminer et de décrire de façon plus objective d'autres normes, on va rester pris avec des normes résiduaires qui vont s'appeler «motifs raisonnables», «pour cause», «intérêt public», «pour tout autre motif» et ainsi de suite. Ce sera toujours le même débat de fond.
Le sénateur Joyal: Monsieur Braen, si nous voulons nous rassurer sur les implications juridiques de ces dispositions de la partie IV du projet de loi, est-ce qu'il ne serait pas opportun qu'un préambule énonce quels sont les objectifs poursuivis par le législateur? Ou encore, devrait-il y avoir une disposition dans le corps de la loi qui détermine les objectifs de la loi de sorte que lorsqu'un tribunal supérieur aurait à interpréter la notion de l'intérêt public, comme vous l'avez souligné tantôt, le deuxième champ d'investigation que la cour vérifierait serait beaucoup plus probant puisque la bonne foi se présume? J'imagine que le premier critère que vous avez exprimé n'est pas facile à imaginer. La bonne foi se présume. Il faudrait prouver que le ministre est de mauvaise foi. Je vous souhaite bonne chance si vous voulez faire cette preuve devant le tribunal.
En ce qui concerne les objectifs de la loi, comme cet élément nous est quand même plus accessible comme législateurs, est-ce qu'une des manières de garantir l'usage raisonnable de ce pouvoir ne serait pas d'avoir soit un préambule clair sur les objectifs de la loi ou une clause dans le corps de la loi qui défini quels sont les objectifs poursuivis?
M. Braen: Il est certain que si vous définissez avec plus de précision les objets de la loi, cela vient orienter l'exercice de la discrétion qui va de pair avec la notion d'intérêt public. Pour augmenter toujours, si vous voulez, l'encadrement de cette discrétion, l'abolition de la clause privative qu'on retrouve à l'article 23 serait un autre indice qui permettrait une intervention plus facile de la part d'une cour de justice. Ce sont des moyens qui, en tant que législateurs, vous donnent l'assurance d'une plus grande accessibilité à une cour de justice. C'est certain.
Le sénateur Joyal: Lorsque la Charte canadienne des droits et libertés a été adoptée, il y a dans l'article 1 de la Charte, une sorte d'ouverture à l'appréciation discrétionnaire. Comme vous le savez, l'article dit, et je vous le cite:
[Traduction]
La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et les libertés qui y sont décrits sous réserve seulement des limites raisonnables prescrites par la loi, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
[Français]
Voilà un critère qui était très large parce que l'appréciation de ce qu'est une société libre et démocratique dans certains pays n'est pas nécessairement la même que dans une société comme la nôtre. Pourtant, à travers les décisions qui ont émané de la Cour suprême, il y a maintenant toute une série de tests que la cour applique et ce n'est pas raisonnable de l'appliquer de n'importe quelle manière. C'est très précis. La cour a élaboré tout un corpus qui permet maintenant d'avoir des paramètres extrêmement précis.
Ce que je n'aime pas dans cette définition d'intérêt public, c'est qu'il n'y a même pas de référence à ce qui est raisonnable dans une société libre et démocratique. Si on disait «ce qui est conforme à l'intérêt public dans une société libre et démocratique», bien déjà, la cour pourrait retourner à son corpus de décisions et dire: «Voici ce qui est acceptable dans une société libre et démocratique.» Il y aurait déjà tout un bagage de références qui nous permettraient de déterminer qu'il y a quand même des balises. Mais ici, il n'y en a aucune. Il y aurait quand même la possibilité de maintenir une discrétion ministérielle tout en l'encadrant sur la base de normes juridiques qui ont déjà été définies par les tribunaux dans une clause qui, théoriquement, pourrait constituer des limites considérables à l'exercice des droits et des libertés énumérés dans les articles suivants de la Charte.
M. Braen: De mémoire, je puis vous affirmer que les tribunaux ont interprété des notions comme celle de l'intérêt public comme étant des actions qui nécessairement doivent être conformes au droit à la législation et ajoutons, à la Constitution. Un exercice discrétionnaire qui irait à l'encontre, par exemple, de la Charte canadienne des droits et libertés, serait non seulement inconstitutionnel, mais en plus, il serait très certainement jugé comme n'étant pas dans l'intérêt public. L'intérêt public commande, dans notre système, le respect de la loi et encore plus, de la Constitution. Sinon, ce n'est plus de l'intérêt public.
Le sénateur Joyal: Si on ajoutait à l'article 21, par exemple, les termes suivants:
[Traduction]
21. (1) Le ministre peut, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il est contraire à l'intérêt public d'attribuer la citoyenneté, présenter [...]
[Français]
... on aurait un rappel de limites qui existent dans notre Charte et qui ont été interprétées par les tribunaux. C'est déjà un encadrement plus précis que ce qu'on a dans ce projet de loi. Je suis certain que ce n'est pas la solution parfaite, mais c'est, à mon avis, une amélioration particulièrement importante de la définition de l'intérêt public. Si c'est «public», c'est parce que cela réfère à la société. On l'a déjà dit. La Cour suprême le dit d'ailleurs.
[Traduction]
Ils parlent de valeurs sociales.
[Français]
Je vous réfère à la décision de la Cour, à la page 2 du document, dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society, et je cite:
[Traduction]
La doctrine de l'imprécision a été décrite ainsi l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society:
Un équilibre délicat doit être maintenu entre l'intérêt social et les droits individuels.
[Français]
Mais l'intérêt sociétal, c'est l'intérêt d'une société libre et démocratique. À mon avis, l'adjonction de ce concept viendrait encadrer la notion d'intérêt public de manière conforme à ce que nous suivons déjà dans l'application des limites à la Charte canadienne des droits et libertés.
Il reste quand même qu'on va priver l'individu de l'exercice de droit. Si on refuse la citoyenneté à quelqu'un, on prive cette personne de voter, d'être candidat ou candidate. On la prive de se déplacer facilement à l'intérieur du pays et de se mouvoir à l'extérieur du pays et d'y revenir quand elle veut. On la prive d'avoir accès à l'éducation dans l'une ou l'autre des langues officielles de son choix et de d'autres dispositions des lois provinciales et fédérales qui s'adressent aux citoyens eux-mêmes. C'est quand même une décision très grave.
Donc, si c'est une décision conséquente, il me semble que s'il doit y avoir des limites à la demande, elles doivent être conformes aux limites qu'on reconnaît dans la définition des droits et des libertés tel que la Charte le propose.
M. Braen: La Charte s'applique même si on ne le mentionne pas dans la loi. C'est une contrainte à la souveraineté du Parlement canadien dès le départ.
Par ailleurs, votre suggestion d'ajouter à la loi vient renforcer justement et vient encadrer davantage l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. C'est certain. On n'aurait plus besoin de renvoyer à la Charte, ce serait même inscrit dans le texte de la loi pour appliquer cette notion d'intérêt public.
Le sénateur Nolin: Est-ce que vous nous dites que même si on n'ajoutait pas cet amendement où on incluerait dans le texte de l'article 21(1) les mots exacts qui sont inclus dans l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, les tribunaux se serviraient de cet encadrement jurisprudentiel pour analyser le pouvoir ou la discrétion du ministre.
M. Braen: On peut toujours invoquer devant un tribunal, compte tenu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, l'inconstitutionnalité d'une disposition législative. Ce qu'il faut savoir, c'est que la souveraineté du législateur est évidemment limitée par la Constitution, et dans notre Constitution, il y a une Charte des droits et libertés.
Dans la mesure où je prétends que cet article 21, ou qu'une décision du gouvernement va à l'encontre de l'un de mes droits protégés, à ce moment-là la question constitutionnelle est soulevée. Il faudra donc vérifier dans un premier temps si, effectivement, il y a eu une violation et, deuxièmement, si cette violation est justifiable ou pas et ainsi de suite. Et cela, que la loi soit silencieuse ou non.
Le sénateur Nolin: C'est ce que je comprends de votre témoignage.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Le sénateur Joyal propose quelque chose qui me semble bien. En réponse, ils affirment que même si ce n'est pas dans ce projet de loi, c'est dans la Charte, et la Charte s'applique toujours. Ceci dit, il vaut peut-être mieux le répéter. J'ai appris dans ma vie que, parfois, il n'est pas forcément mauvais de répéter quelque chose.
Le sénateur Joyal: J'ai terminé avec cette question, et je vous remercie de votre indulgence.
Si on essaie de se mettre d'accord sur l'intérêt public, «public» désigne non seulement l'individu, mais la société dans son ensemble. Si nous limitons cela à ce qui est acceptable dans une société libre et démocratique, nous établissons une milieu entre les droits d'une personne et ce qu'exigerait une société libre et démocratique.
À la première occasion où la Cour suprême a eu à débattre de la question, elle a été confrontée à la difficulté de définir «une société libre et démocratique». C'est un concept vaste et élastique. Dans un pays, cela peut signifier une chose et ailleurs, autre chose. Pour donner un exemple extrême, une république islamique, ce n'est pas la même chose qu'une société traditionnelle occidentale.
Nous devons trouver le juste équilibre entre le respect de la nécessité pour le gouvernement de protéger «l'intérêt public» et cela ne me pose pas de problème, dans le contexte de la définition d'une «société libre et démocratique» au Canada. Ainsi, nous créons un équilibre, un cadre de référence et un corpus de décisions -- qui n'élimineraient pas toute obligation, parce que le tribunal a décrété que «l'intérêt public» signifie certaines choses bien précises.
Je suis d'accord avec le sénateur Beaudoin que d'une décision à l'autre, le tribunal peut changer d'idée et exprimer une réserve, et cetera, mais au moins il existe des paramètres. C'est-à-dire que c'est une voie qui a une orientation.
Nous sommes mal à l'aise avec le concept de l'intérêt public parce que nous voulons préserver le pouvoir discrétionnaire du gouvernement dans certains domaines. Je pense que c'est juste. Le gouvernement a le droit de gouverner. Cependant, d'un autre côté, nous avons une Charte dans ce pays. Nous voulons nous assurer que la règle de droit, dans le pays, est équilibrée avec le besoin de l'exécutif et la nécessité de protéger les droits de l'individu.
[Français]
M. Braen: Évidemment, si l'on parle de l'application de la Charte canadienne des droits et libertés, dans notre système, c'est le pouvoir judiciaire qui, ultimement, détermine les valeurs d'une société libre et démocratique.
Par ailleurs, si l'on précise l'article 21 et qu'on encadre la notion d'intérêt public avec la question des valeurs dans une société libre et démocratique, il faut bien comprendre à ce moment-ci que le législateur se trouve à attribuer au gouvernement le pouvoir de déterminer lui-même, de se faire sa propre idée de ce qu'est une société libre et démocratique. Évidemment, on peut supposer que cela ne s'éloignerait pas trop de ce que les tribunaux ont déjà dit. Vous êtes dans la position où vous attribuez le pouvoir aux autorités exécutives de déterminer l'intérêt public, conformément aux valeurs qu'ils jugent fondamentales dans la société canadienne. C'est donc une attribution de pouvoir que vous faites.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: En fait, ils peuvent attribuer n'importe quoi, pour n'importe quelle raison. Au moins, nous aurions la possibilité de nous reporter à des décisions antérieures, particulièrement si nous excluons, au paragraphe 3, tout recours à un tribunal juridique. Nous aurions, pour le moins, certains critères. Si le mécanisme de contrôle est exclu ou assoupli, comme vous l'avez dit, nous aurions une meilleure garantie que ce serait fait conformément à ce qui est normalement acceptable dans une société libre et démocratique.
[Français]
M. Braen: Je suis d'accord avec vous, c'est une façon de voir. Vous avez raison.
[Traduction]
La présidente: Le débat est en train de se transformer en période de question.
Le sénateur Wilson: Bien qu'il soit convenable de dire que la Charte est implicite dans le projet de loi, nous devons aussi faire attention, au Canada, aux instruments internationaux de défense des droits de la personne que nous avons, en tant que pays, déjà adoptés. S'il en était fait mention, les cadres de travail et le contexte seraient plus définis. Une telle mention ne prendrait que quelques lignes dans le texte.
Ce genre de référence renforcerait grandement le concept de ce que signifie l'intérêt public. Notre intérêt pour la chose n'est pas nouveau, ce n'est pas que nous n'y avons jamais pensé. Pour appuyer ce que disait le sénateur Joyal, au sujet du renforcement de ce à quoi nous nous sommes déjà engagés, disons-le de façon explicite dans un préambule, qui n'est pas encore formulé.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit qu'en vertu de la Charte des droits et libertés, ceci est une société libre et démocratique. Par conséquent, si nous donnions ce pouvoir aux autorités exécutives et que nous insistions dessus, comme les deux sénateurs l'ont signalé, nous aurions au moins une idée de ce que nous entendons par société libre et démocratique au Canada. Cependant, la ministre a dit devant nous que ce qui avait amené la question était le cas d'un homme qui avait battu sa femme et ses enfants à mort et qui a été accusé et acquitté dans un autre pays.
Si nous faisons le moindre ajout à l'article 21, sans perdre de vue la Charte, est-ce que cela signifierait que le gouvernement serait contraint de définir notre société? Est-ce que cela permettrait aussi au gouvernement de déterminer ce qu'est une société libre et démocratique et si les règles de droit et les systèmes judiciaires sont adéquats?
[Français]
M. Braen: Oui, si vous encadrez l'exercice de la notion d'intérêt public avec cette question de société libre et démocratique, vous demandez au gouvernement de définir lui-même ce qu'est une société libre et démocratique. À cause du contexte constitutionnel, je serais surpris que ce soit très différent de ce que les tribunaux ont déjà décidé de ce côté. Si je puis me permettre, ce qui inquiète véritablement les gens, et avec raison, c'est la protection des droits de l'individu, parce que la décision est riche en termes de conséquence. Elle est très grave en termes de conséquence. Si on veut faire en sorte de protéger adéquatement les droits de l'individu et si on se dit: «Vous savez, la notion d'intérêt public cela commande une interprétation de l'exécutif, mais compte tenu de la gravité des choses, ce serait peut-être bon qu'il y ait en bout de ligne une interprétation judiciaire, alors pourquoi ne pas prévoir tout simplement un droit d'appel de cette décision devant la Cour fédérale?», à ce moment, c'est la Cour fédérale qui décidera de l'intérêt public.
Le sénateur Beaudoin: C'est ce qu'on dit depuis le début.
Le sénateur Nolin: Je n'ai pas de problème avec cela. Cela règle mon problème.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit qu'il y a différents types de sociétés libres et démocratiques et que le Canada en est un exemple. Si nous nous en tenons à notre Charte, jugerons-nous d'autres pays d'après notre perception de la démocratie, alors qu'en fait, il pourrait y avoir d'autres régimes démocratiques tout à fait valables?
[Français]
M. Braen: On parle ici de valeurs canadiennes, de société juste et démocratique. Ce n'est pas en tant que telle qualifiée de canadienne, mais puisqu'on parle de la Constitution du Canada implicitement, on parle de la société canadienne. Je pense que c'est implicite dans le projet de loi.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Alors, le sénateur Wilson pourra nous aider.
Le sénateur Wilson: Oui, dans le contexte plus vaste.
[Français]
M. Braen: Oui, mais vous savez, la démocratie s'exerce de façon différente.
Le sénateur Nolin: Je n'avais pas lu le paragraphe 5 de l'article 22. Quelle est la force probante d'un décret du Conseil privé?
M. Braen: C'est une question de preuve.
Le sénateur Nolin: Je comprends, mais que veulent-ils établir?
M. Braen: La décision. Le gouverneur peut, s'il est convaincu qu'il est contraire à l'intérêt public, attribuer ou interdire l'attribution de la citoyenneté. Si je comprends bien, ce processus décisionnel du gouvernement se fait en pratique au moyen de l'adoption d'un décret. On dit au paragraphe 5 que le décret lui-même fait preuve de son contenu.
Le sénateur Nolin: Si on ne disait pas cela, cela voudrait-il dire que le décret ne ferait pas preuve de son contenu?
M. Braen: Quand vous allez devant les tribunaux, il y a une règle qui veut que vous devez prouver tous les arguments que vous avancez. Dans la mesure où vous voulez prouver qu'il était dans l'intérêt public de refuser la citoyenneté, le simple dépôt du décret vient le prouver.
Le sénateur Nolin: Cela sans même questionner ce qu'il y a derrière le document?
M. Braen: Exact.
Le sénateur Nolin: C'est alors une autre muraille de protection pour l'exercice de la discrétion. Voyez-vous notre préoccupation?
M. Braen: Je la partage.
Le sénateur Nolin: La muraille a trois épaisseurs. Quand vous nous dites que la loi sous la Cour fédérale s'appliquera et qu'un examen de contrôle se fera, je vous crois. Toutefois, j'ai des préoccupations au sujet de la réserve que les tribunaux vont utiliser à causes de toutes ces murailles.
M. Braen: Il ne s'agit pas vraiment de prévoir un contrôle de la légalité. Il s'agit d'aller plus loin. On parle d'un vrai droit d'appel. C'est-à-dire de faire en sorte que non seulement, dans un premier temps, l'exécutif se prononce sur la question de l'intérêt public, mais au cas où cela ne serait pas correct, demandons au tribunal de faire sa propre appréciation.
Le sénateur Nolin: Quitte à permettre le huis clos. On le fait déjà dans d'autres lois.
M. Braen: Exact.
Le sénateur Beaudoin: Il y a deux choses dans cette loi: ce que l'exécutif fait, et ce que les tribunaux font ou peuvent faire. Quand vous voyez dans une loi:
[Traduction]
«La décision est définitive et en dépit de toute autre loi du Parlement, elle ne peut faire l'objet d'un appel ou d'un examen par aucun tribunal», c'est tout un pouvoir discrétionnaire. Il y a l'exécutif et le législatif. La Charte est toujours présente. Que vous le vouliez ou non, la Charte est toujours là. Ça me convient.
Si nous ne définissions pas cette loi qui est proposée plus clairement, les tribunaux le feront à notre place. Ma réaction est toujours la même, c'est-à-dire que nous devrions nous acquitter de notre devoir. Nous sommes une assemblée législative, et nous devons légiférer. Si nous avons tort, ou si les tribunaux croient que nous avons tort, ils statueront. Je ne voudrais pas que nous laissions les tribunaux régler le problème tout simplement parce que nous jugeons la tâche trop difficile nous-mêmes. C'est un mauvais argument.
Selon moi, pour le moins, la disposition ne devrait pas être là. Le droit de recourir au tribunal et le droit d'appel ne devraient pas être mis de côté. Même si nous le faisons et même si nous le disons, le tribunal dira: «cela ne fait rien, vous pouvez vous présenter devant nous.»
La présidente: Cela ne peut pas être laissé de côté.
Le sénateur Beaudoin: Non. Nous le disons d'emblée. S'il n'y a pas de droit d'accès au tribunal et aucun droit d'appel, alors, certainement, il y a quelque chose qui cloche. Je n'en dirai pas plus.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Braen, de vous être joint à nous aujourd'hui. Vous devez être un professeur intéressant. Je suis convaincue que vos étudiants aiment à vous écouter.
Honorables sénateurs, le comité se réunira à nouveau demain matin pour poursuivre l'examen de ce projet de loi. Ce sera une séance plénière, où les honorables sénateurs sont invités à exprimer leurs préoccupations sur le projet de loi et à parler des amendements qu'ils pourraient proposer ultérieurement. Si la situation évolue comme les journaux veulent nous le faire penser, il n'y aura pas d'examen article par article du projet de loi. Cependant si les choses ne se déroulent pas comme le laissent entendre les journaux, nous procéderons à un examen article par article du projet de loi à un moment de la semaine prochaine.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais remercier notre présidente pour sa façon de procéder. Jusqu'ici, nous avons parlé de la légalité du projet de loi. Il y a aussi la question de l'intérêt public selon notre perspective et s'il pourrait s'appliquer, et cetera. Et puis il y a la question de savoir si c'est un bon pouvoir législatif.
La présidente: Je ne voudrais pas perdre tous les efforts déployés par les membres du comité et du public qui ont, à grands frais pour les contribuables, témoigné devant nous. J'espère que demain matin, nous serons en mesure d'en consigner certains résultats au compte rendu.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons un précédent à ce sujet. Nous avons travaillé sur le projet de loi sur la cour martiale, par exemple. Nous avons creusé le sujet et exprimé nos points de vue pendant des jours et des jours, et ça a été très utile. Si jamais la question revient sur le tapis, notre démarche s'avérera très utile.
La séance est levée.