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RULE - Comité permanent

Privilèges, Règlement et procédure

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Privilèges, du Règlement et de la procédure

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 7 décembre 1999

Le comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure se réunit aujourd'hui à 16 h 30 pour étudier la question de privilège soulevée par l'honorable sénateur Kinsella.

Le sénateur Normand Grimard (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: La semaine dernière, à la suite de notre séance ordinaire, le comité directeur s'est réuni en présence du M. Audcent, greffier juridique du Sénat, M. Gary O'Brien, greffier du comité et M. J. Robertson de la Bibliothèque du Parlement.

Nous avons demandé à M. O'Brien de communiquer avec M. Chopra pour lui demander s'il préférait que la réunion se tienne en public ou à huis clos. M. Chopra a opté pour une séance en public. De la même façon, M. Chopra a indiqué n'avoir aucune objection à ce que la réunion se déroule concurremment à d'autres litiges entendus par la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Tous les témoins, à l'exception du sénateur Kinsella, seront assermentés avant leur témoignage. Le témoin sera autorisé à se faire accompagner de son avocat. Cependant, l'avocat ne pourra ni intervenir ni répondre directement aux questions adressées à son client.

Le mandat du comité se limite à l'étude d'un éventuel outrage au Parlement. Par conséquent, les témoins et les sénateurs ne seront pas autorisés à aborder d'autres questions. Dans le cadre de nos réunions, nous avons pour tâche de consigner des faits au compte rendu, et les faits en question doivent se rapporter à la question de privilège.

Honorables sénateurs, acceptez-vous les lignes directrices définies par votre comité directeur?

Des voix: D'accord.

Le vice-président: Le chef adjoint de l'opposition, le sénateur Kinsella, a soulevé la question de privilège au Sénat. Je l'invite à faire une déclaration préliminaire à ce sujet.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, l'exposé que je vais présenter devant le comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure comporte trois parties. Dans la première, je vais résumer au meilleur de ma connaissance les faits qui se rapportent à la question à l'étude. Dans la deuxième partie, je ferai des observations à propos des documents relatifs à la procédure concernant le privilège parlementaire. Dans la troisième partie, je porterai à votre attention des questions d'intérêt ayant trait à la question de privilège.

Le rapport préparé par les membres du personnel du comité comporte le document intitulé «Question de privilège soulevée par le sénateur Kinsella». Dans la table des matières, qui n'est pas datée, on retrouve sept éléments. Dans le document, on reproduit les débats auxquels la question de privilège a donné lieu au Sénat depuis le 8 septembre 1999.

On trouvera dans les commentaires que j'ai faits à l'époque, qui figurent dans le hansard, le contexte factuel de la question de privilège, que le président a par la suite déclarée fondée à première vue.

Je résume les faits. Le dimanche 15 août 1999, je dirigeais une de mes rencontres communautaires à Ottawa. La participation des citoyens aux affaires publiques était la question débattue. J'ai demandé aux participants de parler des obstacles qui, selon eux, s'opposaient à la participation des citoyens aux affaires civiques.

M. Shiv Chopra comptait parmi les participants. En réponse à la question, il a cité un exemple personnel, c'est-à-dire une suspension de cinq jours sans salaire que lui a imposée son employeur, Santé Canada. M. Chopra en est venu à la conclusion que la suspension de cinq jours sans salaire qui lui a été imposée était la conséquence directe de son témoignage devant un comité permanent du Sénat.

Pendant la réunion, je me suis rappelé les travaux menés plus tôt en cours d'année par le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, devant lequel M. Chopra avait comparu à titre de témoin. Comme tout sénateur l'aurait fait, je me suis donc inquiété des conséquences auxquelles un témoin risque de s'exposer à la suite d'un témoignage devant un comité parlementaire. Qu'on ait pu intervenir dans les conditions d'emploi du témoin m'est alors apparu comme une question fort grave.

Le lendemain, soit le lundi 16 août 1999, j'ai écrit au sous-ministre de M. Chopra, M. David Dodge, sous-ministre de la Santé. Je lis un extrait de la lettre:

Monsieur,

À l'occasion d'une table ronde des sénateurs portant sur la participation aux affaires publiques, qui s'est tenue hier, M. Shiv Chopra a porté à notre attention le fait que Santé Canada lui a imposé une suspension de cinq jours avec effet le 18 août 1999.

Comme vous le savez, M. Chopra a comparu à titre de témoin devant le comité sénatorial permanent de l'agriculture à l'occasion de son étude de la somatotropine bovine recombinante, la STbr. À l'époque, le comité et le Sénat ont tous deux indiqué clairement que le Parlement tenait à ce que les témoins soient à l'abri des représailles, directes ou indirectes, à la suite d'un témoignage devant une Chambre du Parlement.

Je demande donc qu'on impose un moratoire sur la suspension disciplinaire imposée à M. Chopra, ou encore qu'on la diffère, jusqu'à ce que nous puissions nous assurer que la mesure ne constitue pas un outrage au Parlement.

J'ai signé, Noël A. Kinsella, chef adjoint de l'opposition. Une copie de la lettre a été expédiée à l'honorable Sharon Carstairs, leader adjointe du gouvernement. Avec la permission du comité, monsieur le président, je me ferai un plaisir de déposer la lettre.

Le mardi 17 août 1999, j'ai reçu une lettre du sous-ministre de la Santé, dans laquelle on lit:

Monsieur le sénateur,

La présente fait suite à votre lettre du 16 août 1999, concernant la suspension de cinq jours qui a été imposée à Shiv Chopra. Notre directeur de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels m'a appris que M. Chopra consent à ce que nous utilisions l'information se rapportant à la mesure disciplinaire.

La mesure disciplinaire qui a été prise l'a été par le gestionnaire hiérarchique compétent de Santé Canada. Elle a fait suite à des propos tenus par M. Chopra à l'occasion d'une conférence sur les expériences des minorités visibles en milieu de travail. Il apparaissait dans l'ordre du jour de la réunion à titre d'évaluateur de médicaments de Santé Canada. M. Robert Joubert, directeur général, Santé Canada, et Mme Lucille Marleau, gestionnaire de projet, Ressources humaines, Santé Canada, avaient la veille agi comme conférenciers invités dans le cadre d'une journée tenue sous le thème des pratiques exemplaires dans le domaine de l'équité en matière d'emploi.

Pendant son exposé, M. Chopra a déclaré ce qui suit: «[...] Vous avez entendu ce qu'a dit hier le directeur général des Ressources humaines, Bob Joubert. Les propos qu'il vous a tenus -- c'est tout ce que je peux dire, je n'étais pas là -- n'étaient que mensonge parce que rien ne se passe à SC et nous de l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales envisageons de déposer des accusations d'outrage au tribunal contre les trois organisations, à savoir le Conseil du Trésor, la Commission de la fonction publique et Santé Canada.»

On m'informe que la mesure a été prise par le ministère en conformité avec les règles de conduite applicables à l'ensemble des fonctionnaires, quelle que soit la question concernée. La mesure n'a rien à voir avec les comparutions de M. Chopra au comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Je vous prie d'agréer, monsieur le sénateur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

David A. Dodge

Une copie de la lettre a été expédiée à l'honorable Sharon Carstairs, leader adjointe du gouvernement. Je me ferai un plaisir de la déposer plus tard.

Comme on l'a indiqué à l'occasion du débat, une lettre que j'ai reçue de M. Chopra a été déposée et consignée au compte rendu au moment où la question de privilège a été soulevée au Sénat, le 8 septembre 1999. Je crois que les honorables sénateurs ont en main une copie de la lettre dans laquelle M. Chopra réitère par écrit que la mesure disciplinaire ou la suspension qui lui a été imposée s'explique en tout ou en partie par sa comparution en tant que témoin devant un comité du Sénat. Le lettre figure dans les dossiers du Sénat.

Honorables sénateurs, voilà donc les faits tels qu'ils ont été portés à ma connaissance. À titre de membre d'office du comité sénatorial de l'agriculture, je suis au courant des débats qui ont eu lieu à l'époque et du témoignage qui a été donné. À titre de membre du comité, je suis au courant du témoignage de tous les témoins, y compris ceux de M. Chopra et de M. Dodge. Je suis également au courant de l'existence d'une lettre qu'a fait parvenir le ministre de la Santé. Tous ces renseignements figurent dans le document préparé par le comité et auquel j'ai déjà fait allusion.

Je passe maintenant à ma deuxième série d'observations, qui porte sur le privilège parlementaire. M. Armitage, greffier du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts et greffier principal adjoint de la Direction des comités, a préparé un document utile daté du 25 août 1999, à propos de la protection des témoins. Je ne sais pas si les membres du comité ont le document, mais on y trouve un aperçu précieux de certains des enjeux qui ont directement trait au privilège parlementaire.

Par exemple, on y souligne que l'article 9 de la Déclaration des droits de 1689 prévoit clairement la liberté de parole des parlementaires et des témoins qui comparaissent devant la Chambre ou devant un comité. Dans le document, on attire également notre attention sur certains documents portant sur la procédure. On cite ainsi la page 160 de la deuxième édition de Maingot: «Les témoins et les autres participants à des activités du Parlement sont protégés.» Le commentaire 109 de la sixième édition de Beauchesne prévoit ceci:

Les témoins entendus en comité jouissent d'une immunité et d'une liberté de parole égales à celles des députés. Rien de ce qui a été dit devant un comité, ou à la barre de la Chambre, ne peut être invoqué dans une cour de justice. Nul ne saurait donc refuser de répondre sous prétexte d'auto-incrimination.

À la page 125 de la vingtième édition d'Erskine May, on prévoit ce qui suit:

Tout comportement ayant pour but d'empêcher d'éventuels témoins de comparaître devant la Chambre ou devant des comités de l'une ou l'autre Chambre constitue un outrage. En vertu du même principe, la Chambre considère comme un outrage tout harcèlement ou toute menace dont seraient victimes des personnes ayant témoigné devant la Chambre ou devant un comité.

Il y a d'autres exemples. Le document en question constitue un survol utile de la documentation liée à la procédure portant sur le privilège.

Honorables sénateurs, voici les observations à propos du traitement qu'il convient de réserver à ce genre de cas. Je me suis dit que j'allais exposer mon point de vue sur la question. Le président en est venu à la conclusion que la question de savoir si un fonctionnaire a ou non été victime de représailles au travail après avoir comparu devant un comité du Sénat constituait à première vue une question de privilège. Il m'apparaît donc, honorables sénateurs, que la question qui se pose maintenant a trait à l'établissement d'un processus juste et raisonnable pour déterminer si la personne a, dans les faits, été victime de représailles pour avoir comparu devant un comité du Sénat. La question a trait au critère que le comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure pourra utiliser pour déterminer si les allégations de la personne sont fondées ou non. En d'autres termes: que doit faire l'intéressé pour convaincre le comité qu'il a été victime d'un acte irrégulier?

Honorables sénateurs, la situation de fait à laquelle nous sommes confrontés dans cette affaire s'apparente à quelques autres situations de fait rencontrées dans les domaines des relations de travail, des droits de la personne et du droit administratif. Fort de mon expérience dans le domaine des droits de la personne, je suis en mesure d'affirmer que l'affaire s'apparente aux cas qui ont trait aux droits de la personne. Dans ce domaine, nous avons habituellement affaire à des allégations de discrimination et d'actes irréguliers au travail. Cependant, elle s'apparente aussi au droit des relations de travail, où on a parfois affaire à des cas de représailles contre en employé par suite d'activités syndicales. Elle s'apparente enfin à des affaires liées au droit du travail dans lesquelles un employé alléguerait avoir été victime de représailles pour avoir signalé des violations des règles de santé et sécurité. Ce que ces cas ont en commun, c'est qu'il est difficile de montrer que la direction a agi contre l'employé pour des motifs inacceptables, lorsqu'elle peut par ailleurs invoquer des motifs légitimes pour justifier les mesures prises.

En raison de cette difficulté, les tribunaux des droits de la personne, les cours et d'autres tribunaux administratifs s'en sont toujours remis, dans ce genre de situation, à un mécanisme souvent désigné sous le nom de charge secondaire de persuasion. Les cours et les tribunaux ont ainsi affirmé que, pendant l'exposé des faits, c'est à l'accusé qu'il revient d'assumer la charge de persuasion et d'expliquer ses actions.

Toutes les instances judiciaires et administratives canadiennes où une affaire de discrimination est instruite acceptent ce qu'on appelle le critère de McDonnell Douglas. Le nom fait référence à un jugement rendu par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire McDonnell Douglas Corp. v. Green en 1973. Il s'agissait à l'époque d'allégations de discrimination dans l'embauchage. Le juge Powell a affirmé que c'était au plaignant qu'il incombait d'abord d'établir à première vue un cas de discrimination raciale. Pour ce faire, le témoin peut montrer que, premièrement, il appartient à une minorité raciale, que, deuxièmement, il a posé sa candidature à un poste pour lequel il était qualifié et pour lequel l'employeur cherchait des candidats et que, troisièmement, il a essuyé un refus, malgré ses qualifications et que, enfin, le poste est par la suite demeuré ouvert, si bien que l'employeur a continué à solliciter des candidatures auprès de personnes possédant les qualifications du plaignant. L'affaire McDonnell Douglas définit le seuil qui s'applique à l'établissement d'une cause à première vue. Nonobstant les subtilités qu'entraîne dans de tels cas la recherche du point d'équilibre adéquat, deux principes se dégagent de ce genre de jurisprudence, et je les expose à l'intention des honorables membres du comité.

Lorsque, premièrement, on a affaire à une conduite alléguée particulièrement répugnante -- dans ce cas-ci, il s'agissait de discrimination dans l'embauchage --, le seuil fixé pour l'établissement à première vue d'une cause est moins élevé. Lorsque la conduite est moins répugnante, il s'ensuit donc que le seuil est plus élevé.

Dans le cas qui nous occupe, le comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure doit déterminer si un cas de représailles a été établi à première vue. Pour établir si les faits présentés suffisent à l'établissement d'une cause à première vue, les sénateurs peuvent se demander s'il est répugnant pour un employeur d'exercer des représailles contre un employé qui a témoigné devant un comité du Sénat. Il devrait aussi se demander s'il est facile de masquer ce genre de représailles au moyen de préoccupations légitimes que peut invoquer l'employeur pour justifier ses actions. Qui serait au courant? C'est la réponse à ces deux questions qui devrait guider chacun des sénateurs, le moment venu d'établir ce qui les convaincrait de demander à l'employeur de venir montrer que les mesures qu'il a prises étaient légitimes et ne constituaient pas une forme de représailles contre l'employé.

Honorables sénateurs, voilà en tout respect ma vision des faits. Les références que j'ai faites aux documents relatifs à la procédure portant sur le privilège parlementaire et à la dynamique du droit du travail et des droits de la personne pourront aider chacun des membres du comité à trancher la question qui lui a été soumise.

Le vice-président: Nous allons certainement nous procurer le document préparé par M. Armitage et tous les autres auxquels vous avez fait allusion dans votre déclaration.

À l'intention des personnes ici présentes, je précise qu'un certain nombre d'autres comités siègent au moment où nous nous parlons. Le Sénat siège également. Par conséquent, des sénateurs se joindront à nous au fur et à mesure de nos délibérations.

Nous allons débuter par M. Shiv Chopra, évaluateur de médicaments, Division de l'innocuité pour les humains, Santé Canada. L'avocat David Yazbeck accompagne M. Chopra. Je vais maintenant demander au greffier de procéder à l'assermentation de notre premier témoin, M. Chopra.

(M. Shiv Chopra: assermenté)

Le vice-président: Avant d'entendre votre témoignage, monsieur Chopra, j'aimerais vérifier deux points de détail avec vous. Premièrement, vous avez accepté que la réunion du comité se déroule en public.

M. Shiv Chopra, B.V.Sc., M.Sc., Ph.D.: Oui, monsieur.

Le vice-président: Deuxièmement, vous avez consenti à ce que le comité siège concurremment à l'affaire vous concernant qu'instruit la CRTFP.

M. Chopra: Oui, monsieur.

Le vice-président: Vous pouvez faire votre déclaration préliminaire, après quoi les sénateurs vous poseront les questions qui s'imposent.

M. Chopra: Merci, monsieur le président, honorables sénateurs. C'est avec des sentiments mitigés que je me trouve ici à votre demande. Ces sentiments -- je les explique en partie par le fait que j'éprouve une grande exaltation et beaucoup d'espoir pour le pays dans lequel je vis -- qu'il se trouve quelqu'un quelque part au pays qui aura à coeur que justice se fasse. En entendant, vous allez comprendre les problèmes qui ont conduit à la situation dans laquelle je me trouve aujourd'hui.

Par ailleurs, j'éprouve beaucoup de crainte et d'angoisse à la pensée de ce qui risque de se produire après le témoignage que je suis censé faire devant vous. Je me suis engagé à dire la vérité, comme je l'avais fait devant le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Une fois de plus, ce n'est pas à ma demande que j'ai comparu devant le comité sénatorial de l'agriculture. Après des demandes insistantes et de longue date, et malgré les réticences que m'inspirait ma crainte de ce qui risquait d'arriver, j'ai fini par comparaître, avec en poche des garanties écrites fournies par le ministre de la Santé au président de l'autre comité.

Dans le témoignage que je vais vous présenter aujourd'hui, j'entends montrer que la suspension de cinq jours qui m'a été imposée n'est que l'une des illustrations des nombreuses formes de représailles et de harcèlement dont j'ai été victime comme conséquence directe du témoignage que j'ai présenté devant le comité sénatorial de l'agriculture. Je veux dire également un mot des facteurs qui ont mené à cette situation.

D'entrée de jeu, je précise que, à Santé Canada, j'ai été mêlé à deux cas précis depuis 1988. Le premier a trait aux violations des droits de la personne et à la discrimination que Santé Canada, le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique font conjointement subir aux employés issus de minorités visibles. Deuxièmement, c'est au cours de cette même année, soit 1988, que j'ai été associé à l'examen de la somatotropine bovine recombinante -- STbr pour faire plus court -- de même qu'au processus décisionnel s'y rapportant.

C'est grâce aux efforts que j'ai déployés dans le domaine de l'équité en matière d'emploi et de la discrimination raciale que deux poursuites ont été intentées contre Santé Canada en 1992. Il s'agissait dans un cas d'une affaire me concernant et dans l'autre d'une affaire collective à laquelle j'ai été mêlé à titre de tierce partie, en ma qualité de président de l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales, en application de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La poursuite me concernant a été déposée en application de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L'affaire me concernant a été instruite en premier, et elle a été rejetée. Je me suis alors adressé à la Section de première instance de la Cour fédérale, où j'ai été -- le juge a convenu avec moi qu'il fallait renvoyer la cause devant le tribunal, et le ministère a interjeté appel et s'est adressé à la Cour d'appel fédérale, où il a été une fois de plus débouté, de sorte que l'affaire est maintenant instruite dans une autre instance.

La deuxième cause, qui a été déposée exactement le même jour, soit le 16 septembre 1992, désormais connue sous le nom d'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales contre la Reine, concerne trois organisations: Santé Canada, le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique. D'autres parties sont en cause, nommément la Commission canadienne des droits de la personne et mon syndicat, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. La décision a été rendue en 1997. Je crois qu'elle l'a été le 19 mars 1997.

C'est à cette époque -- pendant que les audiences se déroulaient, que l'affaire a suscité un vif intérêt dans le public, et la cour a fini par trancher en notre faveur. Comme je l'ai indiqué, l'affaire qui me concerne est toujours devant le tribunal, et il y a eu un élément de preuve critique qui a constitué un point tournant dans l'affaire de l'Alliance aussi bien que dans le nouveau renvoi de l'affaire me concernant devant le tribunal. J'aimerais que vous m'autorisiez -- c'est ce que je vais faire, au fur et à mesure que nous avancerons. Pour le moment, j'aimerais dans ma déclaration préliminaire faire référence à la décision qui a conduit aux deux décisions. Il y a un élément de preuve critique portant sur les droits de la personne.

À l'époque, en raison de l'attention suscitée et de ma participation personnelle dans les deux affaires -- parce que dans l'affaire relative à l'Alliance, dans la décision, on a compris que j'avais personnellement joué un rôle clé dans la démarche qui a mené à l'audition de la plainte par la Commission des droits de la personne -- le ministère à partir de ce moment -- a été très en colère contre moi. Avant même que la décision ne soit rendue, on a pris toutes sortes de mesures pour m'empêcher -- pour m'isoler et faire des choses qui -- on m'a, du fait que j'avais soulevé ces questions, présenté comme un fauteur de troubles. On me refusait de l'avancement, on refusait d'envisager ma candidature à des postes. Par la suite, les choses ont dégénéré jusqu'à ce que, en 1996, un poste pour lequel j'étais qualifié soit ouvert dans mon domaine d'expertise immédiat et à la suite d'un envoi d'un message électronique, j'ai posé ma candidature. À grand peine, j'ai fini par obtenir en 1996 -- et pour une période de pas moins d'un mois, le poste de chef intérimaire de la division des médicaments antiparasitaires, endocriniens et du système nerveux central du Bureau des médicaments vétérinaires.

C'est là une période critique. Durant ces quatre mois, bon nombre de problèmes ont été portés à mon attention. Je reviendrai sur les questions au fur et à mesure qu'elles se posent et situerai les choses en contexte -- comment les deux éléments sont interreliés et comment j'ai fini par être convoqué par le comité de l'agriculture. Je montrerai aussi comment, à la suite de mon témoignage, les représailles dont je faisais déjà l'objet se sont aggravées. Je parlerai aussi des nombreuses autres choses qui se sont produites par la suite et dont la suspension de cinq jours n'est que la pire des illustrations.

Je tiens aussi à préciser que je ne suis pas le seul à faire l'objet de ces choses, même si je suis la principale cible de la colère du ministère. D'autres de mes collègues qui ont également témoigné devant le comité de l'agriculture ont aussi fait l'objet de harcèlement, mais pas autant que moi.

En terminant ma déclaration préliminaire, je précise donc à l'intention des membres du comité que, à titre de victime, je n'ai pas toute l'information et que je ne dispose pas d'informations complètes. Le ministère possède une bonne partie de l'information, et je n'y ai pas accès, et le ministère ne fait rien pour que j'y aie accès.

En ce qui concerne la suspension de cinq jours qui m'a été imposée et qu'on impute aux propos que j'ai tenus dans le cadre d'un atelier de Patrimoine canadien, il existe une fois de plus des preuves critiques, qui relèvent entièrement de la compétence de Santé Canada, ou aussi de Patrimoine canadien, et auxquelles je n'ai pas accès. Par conséquent, je demande qu'on obtienne tous les renseignements pertinents des témoins compétents -- les gestionnaires de Santé Canada et de Patrimoine canadien, et même de certains de mes collègues qui sont harcelés, mais pas autant que moi.

Monsieur le président, je ne peux me fonder que sur les documents que je suis en mesure de vous fournir. On m'a demandé d'apporter tous les documents que j'ai en ma possession, et ils sont nombreux. Je pourrai vous les laisser. Au moment d'étudier ces documents et mon témoignage, j'espère que vous allez décider de convoquer d'autres témoins afin d'aller au fond du problème, qui est très grave et très complexe.

Le vice-président: Monsieur Chopra, j'aimerais que vous citiez aux fins du compte rendu des délibérations du comité les faits qui ont mené à votre suspension -- tous les faits qui ont mené à votre suspension -- et ceux qui vous portent à croire que la suspension en question a trait à votre comparution devant le comité de l'agriculture.

Vous comprenez?

M. Chopra: Oui, monsieur.

Le vice-président: Je pense qu'il est très important que nous ayons plus de détail. Voilà ma question.

M. Chopra: Je vous remercie, monsieur. Je vais tenter d'y répondre.

Parmi les documents que j'ai apportés, vous allez trouver mon curriculum vitae, mes antécédents, le genre de travail que j'effectue, à la fois au ministère et à titre de leader de la collectivité dans les domaines liés aux droits de la personne et à la discrimination en milieu de travail, des études que j'ai signées, des articles dans les médias, les prix qui m'ont été décernés dans le domaine, particulièrement l'étude initiale que j'ai réalisée sur l'équité en matière d'emploi dans le contexte des employés de la fonction publique fédérale du Canada issus de minorités visibles -- ce qui remonte en 1988 --, certaines recommandations et aussi les mesures que j'ai prises, un récit préparé par l'organisation à laquelle j'appartiens, l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales -- ce qu'il y a dans ce récit, c'est que rien n'est arrivé. J'ai écrit au premier ministre, j'ai écrit aux ministres, j'ai écrit à la Commission des droits de la personne. J'ai écrit à tous les responsables, mais rien n'a été fait. À la fin, c'est la Commission canadienne des droits de la personne, le président, M. Maxwell Yalden, qui m'a pris au sérieux et qui a commencé à consigner mes plaintes et à faire enquête.

Voici ce qui s'est produit. Le tournant critique, relativement à ces plaintes, c'est une plainte que j'ai déposée en vertu de la procédure habituelle de grief, à titre d'employé de Santé Canada. Dans la plainte, j'indiquais être au service du ministère depuis près de 20 ans, sans avoir jamais reçu d'avancement. En fait, j'en avais eu une fois par suite d'une reclassification. On m'a enlevé les avantages qui s'y rattachaient en déclarant qu'il s'agissait d'un poste déclaré surévalué.

L'honorable sénateur Kinsella a fait allusion au fardeau de la preuve. Une fois qu'on a convenu que c'est là mon plaidoyer et que c'est peut-être ce qui explique le problème -- le fait que je suis d'une origine ethnique différente et qu'on m'accorde un traitement différent, malgré mes qualifications qui, à mon avis, sont égales ou supérieures à celles d'autres personnes qui sont traitées mieux que moi -- à ce moment, c'est à l'autre partie que revient d'assumer le fardeau de la preuve.

Monsieur, c'est exactement ce par quoi je suis passé. J'ai présenté mon grief à la sous-ministre de Santé Canada en août 1992 et j'ai soulevé la question auprès d'elle. Je lui ai dit: «À mon avis, c'est moi qui suis le meilleur. Ce n'est que mon opinion. Je veux qu'on m'explique pourquoi je n'arrive à rien. Je veux que vous me disiez ce que je devrais faire pour obtenir de l'avancement.» Elle a répondu: «Pourquoi dites-vous que c'est le racisme qui est en cause?» J'ai dit: «Parce que jusqu'à 25 p. 100 des employés de Santé Canada, en particulier les scientifiques éminemment qualifiés, appartiennent à une minorité visible et qu'aucun d'entre eux n'accède jamais à un poste de direction -- or ils sont dans certains cas en poste depuis 20 ans, et ils ne font rien de mal. Sachant tout cela, je dois vous demander de me dire pourquoi rien ne bouge.» Elle a au moins convenu que la question était légitime.

La sous-ministre en question était Mme Margaret Catley-Carlson. Elle a confié à une agente supérieure des ressources humaines qui assistait à l'audition du grief le soin d'aller rencontrer le sous-ministre adjoint compétent, M. Albert J. Liston, de la Direction générale de la protection de la santé. À la suite de la réunion, on a produit un document à partir des notes prises par l'agente en question, qui se nommait Shirley Cuddihy, et le document a été expédié à la sous-ministre.

J'ignore ce qui est arrivé au sous-ministre adjoint, mais il a quitté le ministère quelques jours plus tard. Son départ à la retraite n'était pas prévu. Cependant, mon grief a été rejeté, et on a statué que le racisme n'était pas en cause.

Entre temps, j'ai réussi, en invoquant la Loi sur l'accès à l'information, à obtenir une copie du document, mais non sans mal. En fait, j'ai ainsi pu mettre la main sur de nombreux documents. Ils figurent dans mes notes, et je ne vais en lire que quelques lignes.

On a demandé à M. Liston de dire que ma plainte comportait deux volets. De nature générale, le premier a trait à toutes les minorités visibles, et à moi en particulier. Il devait aussi indiquer pourquoi aucun membre des minorités visibles n'avait accédé à un poste de direction, en plus de se prononcer sur mon cas particulier.

C'est ce qu'il a dit. Les employés semblent se tirer mieux d'affaire lorsqu'ils postulent des textes à caractère technique plutôt que des postes de gestion. Lorsqu'on ne tient compte que de l'approche scientifique, les différences culturelles sont aplanies. En ce qui concerne les compétences non techniques, par exemple la communication, l'exercice d'influence et la négociation, il arrive souvent que leur patrimoine culturel ne soit pas mis en lumière -- dans ces domaines, ils sont désavantagés.

La capacité d'interagir avec un certain nombre d'intervenants, par exemple l'industrie, est importante, au même titre que les relations à l'interne avec les pairs, les subalternes et les supérieurs. De la même façon, de même, nous exerçons nos activités dans le contexte nord-américain, où la recherche de consensus est la norme, ce qui est très étranger à certaines cultures.

Il ajoute que les membres des minorités visibles devraient se regarder dans le miroir. En raison de leurs antécédents culturels, leurs représentants doivent apprendre à mieux communiquer et adopter un style moins autoritaire. Il s'agit non pas d'un problème de couleur, mais bien plutôt de culture. Il ne s'agit pas non plus d'un problème propre à une direction générale ni même à un ministère, même s'il semble se retrouver plus fréquemment dans des ministères comme le nôtre, à vocation technique et scientifique.

Le sénateur Kroft: J'aimerais savoir avec certitude ce que vous citez -- s'agit-il d'une lettre ou d'une décision officielle?

M. Chopra: Il s'agit de notes prises par une représentante de la sous-ministre. À la suite du dépôt de mon grief, une agente des ressources humaines a été dépêchée pour discuter de mon cas avec le sous-ministre adjoint, soit à l'échelon le plus haut du ministère, et ces notes résultent de l'interview avec le sous-ministre adjoint. M. Albert J. Liston.

La première partie, c'est-à-dire celle que je viens de lire, portait sur un problème générique à Santé Canada. Celle que je vais maintenant lire porte sur mon cas personnel, après quoi M. Liston parlera de moi personnellement.

Le sénateur Kroft: Je vous remercie.

M. Chopra: M. Liston -- avant ce rapport en 1992, j'avais travaillé personnellement avec M. Liston à titre de conseiller en gestion -- de 1974 à 1978 --, de sorte qu'il me connaissait et qu'il connaissait mon style, ce que je faisais et mes qualifications, mon CV et tout ce que j'avais fait par ailleurs. Lorsqu'il était directeur général de la Direction des médicaments, je relevais donc de lui personnellement et de son comité de direction.

Voici ce qu'il a dit: il voyait dans Shiv Chopra un homme possédant de solides connaissances théoriques qui, à son avis, aurait intérêt à polir ses compétences non techniques -- les mots «compétences non techniques» refont ici surface. À son avis toujours, ces compétences non techniques faisaient défaut chez moi, par exemple celles que suppose le mode de fonctionnement nord-américain, même s'il n'avait jamais éprouvé de difficulté à travailler avec moi et qu'il ne s'était jamais plaint de notre collaboration. J'y reviendrai.

Il ajoute: Shiv Chopra n'est pas un négociateur. Il ne se fait pas facilement des alliés. Certaines de ces informations avaient été portées à sa connaissance une fois terminée notre collaboration. Il a aussi ajouté: «Tout est de sa faute puisqu'il n'a pas posé sa candidature.» Maintenant qu'il a déjà versé ses commentaires au dossier, il rejette le blâme sur la victime. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que le ministère, après avoir reçu cette information, ne me l'a pas communiquée et a rejeté mon grief en affirmant qu'il n'y avait pas de discrimination.

Ce n'est qu'après que j'ai mis la main sur ces renseignements en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et que je l'ai communiquée à la Commission canadienne des droits de la personne que cette dernière a changé d'avis et conclu qu'on avait affaire à un très grave problème. C'est -- on ne met pas souvent la main sur un document comme celui-ci, qui constitue une véritable pièce à conviction -- personne n'admet exercer de la discrimination -- et voici que la sous-ministre de Santé Canada a accès à un document, qui demeure malgré tout caché. C'est à ce moment que la Commission canadienne des droits de la personne a porté plainte.

Le vice-président: Monsieur Chopra, j'hésite à vous interrompre, mais je pense qu'il serait utile pour le comité que vous centriez précisément vos allégations sur votre comparution devant le comité de l'agriculture. N'oubliez pas ce que j'ai dit dès le départ. J'ai indiqué que notre mandat se limitait à un éventuel outrage au Parlement. Par conséquent, les témoins et les sénateurs ne seront pas autorisés à aborder d'autres questions. Je comprends que ces faits font partie de votre vie. Cependant, vous avez vous-même indiqué en commençant que vos problèmes remontent à 1988.

Le Sénat est fondé à déterminer s'il y a eu outrage du fait que vous avez témoigné à deux reprises devant le comité de l'agriculture. C'est le mandat que nous avons reçu. Personnellement, je pense que nous nous éloignons trop du problème que nous avons pour mandat d'étudier.

M. Chopra: Je comprends parfaitement, monsieur. Cependant, vous devez comprendre le contexte dans lequel l'incident s'est produit. Si on m'a suspendu pendant cinq jours, c'est parce que le ministère nous interdit de participer à des réunions, de parler aux médias de quelque sujet que ce soit, qu'il s'agisse de l'innocuité des aliments, des droits de la personne ou de tout ce qui m'arrive.

Comme je l'ai déjà indiqué, la suspension de cinq jours n'est que l'une des choses qui me sont arrivées, et la question est toujours en suspens devant le Tribunal des droits de la personne du Canada. Ils préfèrent tout cacher, tenter leur chance avec la suspension de cinq jours et prétendre qu'on m'avait donné des directives. Je suis certain que des représentants du ministère vous diront: «Eh bien, il a reçu des directives, et il ne les a pas respectées. Voilà pourquoi il a été suspendu.»

Si vous voulez mon humble avis, monsieur, vous ne serez pas en mesure de vous faire une idée d'ensemble si vous ne disposez pas de tous les faits qui se rapportent à la suspension et qui se rapportent aussi à ma comparution devant le comité du Sénat chargé d'étudier la STbr, parce que tous les faits ne seront pas mis en contexte.

Ce que j'ai dit -- le ministère était très mécontent de ce que j'ai dit et des vérités que j'ai révélées au comité sénatorial de l'agriculture parce que ce dernier, ne l'oublions pas, ne s'est pas occupé que de la STbr. Les membres du comité m'ont posé de nombreuses autres questions. J'ai comparu à trois reprises, et tous ces faits ont suscité une vive colère au sein du ministère. On a donc cherché à me reprocher quelque chose pour pouvoir, en dernière analyse, justifier un licenciement. Voilà le problème auquel nous sommes confrontés. C'est le début des démarches entreprises par le ministère pour se débarrasser de moi.

À moins qu'on examine toute la preuve, que j'ai apportée avec moi -- je suis désolé d'avoir peut-être pris un peu trop de temps, mais on doit comprendre les faits qui concurremment ont mené à l'éclatement de cette affaire -- d'une part, la question liée aux droits de la personne; d'autre part, la question liée à la STbr.

Je vais maintenant passer à la question de la STbr et, du même souffle, vous donner une idée de la colère que mes travaux ont suscitée depuis le début. En 1988, quelques entreprises ont soumis à Santé Canada des présentations portant sur la STbr. Il y avait quatre entreprises; deux ont par la suite renoncé. L'une d'entre elle était Monsanto, l'autre Elanco. Au Canada, il existe quelques moyens de présenter un médicament aux termes de la Loi sur les aliments et drogues. La première concerne la présentation de drogue nouvelle. L'entreprise concernée affirme alors: «Nous possédons toutes les données, peu importe par qui elles ont été recueillies, où que ce soit dans le monde. Voici notre demande. Examinez-la aux termes de la Loi sur les aliments et drogues. Si elle est satisfaisante, délivrez-nous un avis de conformité.» C'est ce qu'on appelle une présentation de drogue nouvelle.

Il existe une autre méthode, qui s'inspire de la première. En vertu de la Loi sur les aliments et drogues, une société peut également présenter un autre type de demande, à savoir une demande visant une drogue nouvelle de recherche. Monsanto a présenté une demande de nouveau médicament. Elanco, filiale d'Eli Lilly, a présenté une demande de drogue nouvelle de recherche à propos de la même chose. Le fait que les deux demandes aient été présentées de cette façon s'explique par la nouvelle ère de produits génétiquement modifiés dans laquelle nous sommes entrés. La BST ou la STbr, est l'un d'entre eux. Voilà pourquoi on parle de somatotropine bovine recombinante.

Aux États-Unis seulement, il existe une loi pour les produits génétiquement modifiés ou transgéniques. On ne peut remettre un brevet qu'à la toute première société qui présente une demande. Aucune autre société ne peut présenter une demande pour des produits génétiquement modifiés ou transgéniques. Voilà pourquoi il y a eu un litige ou une bataille judiciaire entre les deux sociétés aux États-Unis et un règlement hors cour entre elles.

Cependant, la loi des États-Unis ne s'applique pas au Canada. Voici donc la démarche qu'a adoptée Elanco: «Nous allons présenter une demande de drogue nouvelle de recherche pour le même produit au Canada. Si le produit est question est approuvé, nous allons le vendre partout ailleurs dans le monde, même si nous ne pouvons pas le faire aux États-Unis.» Puis, ils ont quelque peu limité leurs ambitions. La demande qui a été présentée -- et que j'ai eu à étudier...

Le vice-président: Monsieur, c'est la deuxième fois que je suis obligé d'intervenir. Je vous le répète: sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer que votre ministère vous a suspendu en raison de votre comparution devant le comité de l'agriculture? Par exemple, l'un de vos supérieurs vous a-t-il fait des remarques négatives à la suite de votre comparution devant ce comité?

M. Chopra: Non, monsieur.

Le vice-président: L'un de vos supérieurs vous a-t-il parlé de votre témoignage devant le comité de l'agriculture? Que vous a-t-il dit? A-t-il été le seul? Lorsqu'on vous a informé de la mesure disciplinaire prise contre vous, à savoir la suspension de cinq jours, qui a commencé à s'appliquer en date du 18 août de cette année, de combien de jours de préavis avez-vous bénéficié? Quel motif a-t-on invoqué pour justifier la suspension. Je cherche simplement à vous poser des questions, et nous aimerions que vous y répondiez.

Je crois comprendre que, le 26 mars 1999, vous avez participé à titre de conférencier à un atelier organisé par Patrimoine canadien à propos des minorités visibles en milieu de travail.

Lorsqu'on vous a informé de la suspension de cinq jours qui vous a été imposée, a-t-on indiqué, par écrit ou verbalement, que vous étiez suspendu par suite de votre comparution devant le comité de l'agriculture?

Lorsque nous lisons la lettre que vous avez fait parvenir au sénateur Kinsella, voyez-vous, vous dites au troisième paragraphe:

[...] une suspension de cinq jours qui m'a été imposée par mon employeur, Santé Canada, et qui constituait en fait, je voudrais le souligner, la dernière d'une série de mesures de représailles.

Vous ajoutez quelques mots, dans l'un des derniers paragraphes:

Je dois ajouter que la direction de Santé Canada insiste sur sa position, relative à ma présentation à la conférence de Patrimoine canadien, le 26 mars 1999, selon laquelle j'aurais dû obtenir une autorisation préalable parce que j'y figurais comme «Évaluateur des médicaments à Santé Canada». La direction n'accepte pas de considérer que je participais à cette conférence à titre de président de la Fédération des organismes de relations inter-raciales de l'Ontario (FROO) et de président sortant et membre du Conseil de l'Association de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales.

Je conçois tout cela, mais le problème auquel nous sommes confrontés -- je le répète -- est le suivant: y a-t-il eu violation du privilège lorsque vous avez témoigné devant un comité du Sénat? L'un de vos supérieurs ou un de vos employeurs vous a-t-il dit: «Eh bien, vous ne devriez pas témoigner» ou «Vous avez fait un faux témoignage, et c'est pourquoi nous vous suspendons».

Voilà ce que nous devons trancher, monsieur Chopra. J'essaie d'être très poli, et je ne veux plus intervenir. C'est avec grand plaisir que nous vous donnons l'occasion de témoigner en présence de votre avocat, et nous vous avons demandé si vous étiez d'accord pour que la séance se déroule en public. Vous avez répondu que oui. Nous ne nous sommes pas opposés à ce que votre avocat vous accompagne. Nous allons vous donner l'occasion de vous exprimer, et nous allons vous aider s'il y a eu irrégularité, mais essayez de nous aider parce que tel est le problème que nous devons résoudre. Si vous avez des questions, posez-les, et je vais tenter de vous expliquer les choses. J'invite maintenant les autres sénateurs membres du comité à se prononcer maintenant, s'ils ne sont pas d'accord avec moi.

M. Chopra: Monsieur le président, vous m'avez posé une question: quelqu'un m'a-t-il dit, de façon directe ou indirecte, que je ne devrais pas comparaître devant le comité sénatorial de l'agriculture, ou encore dire ou taire certaines choses. Voilà ce à quoi j'aimerais m'intéresser en premier lieu.

Lorsque le comité sénatorial de l'agriculture m'a invité à témoigner, monsieur, ce n'était pas à ma demande. C'est le comité qui m'a demandé de la faire. C'est le premier élément. En fait, je me suis montré très réticent à l'idée de comparaître. Puis, des garanties m'ont été données. C'est dans ce contexte que, par la suite, le sous-ministre adjoint de Santé Canada à l'époque, M. Losos, nous a fait parvenir une lettre, aux autres témoins et à moi, nous disant comment nous comporter et quoi dire et ne pas dire. En fait, on a même fait parvenir au comité sénatorial de l'agriculture et à moi un rapport à la rédaction duquel j'avais participé et duquel certains éléments d'information critique avaient été supprimés. On nous a dit: «Allez-y, et tenez-vous en à ce qu'il y a dans le rapport.» On a aussi dit -- avant même tout cela, le nouveau directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, à l'époque où j'étais -- lorsque je préparais le rapport, celui qu'on a appelé le rapport sur l'«analyse des lacunes», qui a fait l'objet de l'enquête du Sénat -- je l'ai avec moi -- le directeur a demandé par écrit, a demandé que le rapport soit changé, ou modifié. Nous avons refusé de le faire. La preuve est devant le comité de l'agriculture.

Lorsque le rapport nous a été remis, il avait déjà été déposé dans le cadre de l'audition du grief que nous avions présenté à la CRTFP, à la suite des griefs déposés devant la direction de Santé Canada au motif qu'on exerçait des pressions sur nous pour que nous approuvions des médicaments à l'innocuité douteuse. La question a été entendue par la CRTFP. C'est par l'intermédiaire des audiences de la CRTFP que le comité sénatorial de l'agriculture a appris qu'il y avait à Santé Canada des scientifiques qui s'opposaient au produit sur lequel il faisait enquête, de sorte qu'il a voulu nous entendre.

Deuxièmement, bon nombre d'ONG canadiennes, en particulier le Syndicat national des cultivateurs, le Conseil des Canadiens, le Sierra Club et la Coalition canadienne de la santé ont écrit au comité du Sénat pour lui demander d'entendre les scientifiques de Santé Canada de façon à ce qu'il puisse se faire sa propre idée.

Voilà ce qui nous a amené devant le comité sénatorial de l'agriculture. Nous étions réticents à l'idée de comparaître. Le ministère refusait même de transmettre notre propre rapport, le rapport sur l'«analyse des lacunes», au Sénat.

Pour couronner le tout, ils ont fait appel, après avoir enfin accepté que nous comparaissions, à des personnes du Conseil privé et de l'extérieur du ministère, à l'exception de nos gestionnaires, lesquels nous ont dit comment témoigner sous serment devant le comité du Sénat. On nous a dit que nous pouvions être coincés entre deux serments: le serment que nous avons prêté à titre de fonctionnaires et celui que nous allions prêter devant le comité sénatorial de l'agriculture. On nous a dit que la seule personne habilitée à témoigner était le ministre ou une personne désignée par lui. Aussi devions-nous nous montrer prudents.

Nous avons dû obtenir des avis juridiques, et nous avons obtenu des avis juridiques divergents -- quels sont les droits et les privilèges des témoins du Parlement, et comment leur comparution doit-elle se dérouler, que doivent-ils dire sous serment? Sous serment, j'ai donc dit ce qu'il fallait, ce que je savais, ce qu'il y avait dans mon propre rapport et ce que le comité voulait entendre.

En fait, j'ai comparu à trois reprises. On ne cessait de me convoquer. J'ai dit la vérité à propos de la BGH et d'autres questions. J'ai répondu à toutes les questions qu'on m'a posées.

Passons maintenant à la deuxième question. Vous voulez savoir si le ministère m'a informé qu'il entendait prendre des mesures de représailles contre moi en raison de mon témoignage. La question est injuste.

Le sénateur Kroft: Avec votre permission, monsieur Chopra, j'aimerais vous ramener à il y a environ 30 secondes. Vous avez évoqué les directives qui vous ont été données à propos du témoignage que vous deviez faire et de la prudence que vous deviez exercer -- je ne suis pas certain de comprendre ce que vous avez voulu dire. Votre avocat vous a-t-il conseillé? Je n'arrive pas à savoir de façon certaine si votre avocat a été mêlé à l'affaire. Vous dites que oui. Êtes-vous d'avis que les séances d'information ou les conseils en question étaient inappropriés? Je me demande si vous pourriez m'éclairer à ce sujet.

M. Chopra: Oui, monsieur. Deux choses. Premièrement, on m'a remis un rapport à partir duquel témoigner. C'était mon propre rapport, dont des parties avaient été supprimées. Des parties critiques. Ils ont dit: «Bon, maintenant, va parler en te fondant là-dessus, et dis la vérité.» Au comité sénatorial de l'agriculture, j'ai dit: «J'ai bien prêté serment, mais quelle vérité est bonne à dire? Celle que j'ai à l'esprit ou celle que le ministre m'a dit de révéler?» Je ne savais pas quoi faire. Si j'ai prêté serment devant Dieu, je suis censé dire toute la vérité et rien d'autre que la vérité, et c'est ce que j'ai fait. Mais on m'a dit au ministère: «Parle en te fondant sur ce rapport dont nous avons supprimé certaines parties, ton rapport à toi.» Je ne savais pas quoi faire.

En fin de compte, ce sont les pressions importantes que le comité de l'agriculture a exercées sur le ministère qui a fait qu'on a fini par publier le rapport. À ce moment-là, nous pouvions au moins parler en nous fondant sur ce qui se trouvait dans le rapport.

Le sénateur Kroft: C'était avant votre comparution.

M. Chopra: C'était avant que je n'accepte, avant que je ne comparaisse devant le comité sénatorial de l'agriculture.

Le vice-président: Auriez-vous l'obligeance de produire la lettre que vous avez reçue de la part de M. Losos avant de comparaître devant le comité de l'agriculture?

M. Chopra: La lettre se trouve dans mes documents. Je vais vous les laisser. Et il y a encore un grand nombre de documents que je n'ai pas apportés, qui concernaient tous l'autre comité sénatorial de l'agriculture. Il y a donc de nombreux documents.

Le sénateur Kinsella: Je crois que je voulais soulever la même question que le sénateur Kroft. Je vous prie de continuer, sénateur.

Le sénateur Kroft: Je me limitais à une question particulière.

Le sénateur Kinsella: Si vous me permettez de récapituler brièvement, dites-vous que le Dr Losos vous a remis une lettre énonçant ce qu'un témoin doit faire devant un comité parlementaire? Est-ce la première communication que vous avez eue avec M. Losos? Y a-t-il une lettre ou un quiconque document?

M. Chopra: Il y a une lettre du M. Losos.

Le sénateur Kinsella: Adressée à qui?

M. Chopra: À mon nom personnel.

Le sénateur Kinsella: Avez-vous une copie de cette lettre?

M. Chopra: Oui. Elle se trouve dans mes documents. Voulez-vous que je dépose cela?

Le sénateur Kinsella: Pouvez-vous faire la lecture du document en question, des premières lignes peut-être? Peut-être pourrons-nous avoir cela plus tard.

Le vice-président: C'est très important.

M. Chopra: La lettre s'adresse à moi. «Docteur»...

Le sénateur Kinsella: Est-elle datée?

M. Chopra: C'est du M. Losos. Fait étrange, il n'y a pas de date, mais le contexte est là. Elle nous a été remise en mains propres, par livraison expresse, à moi et aux autres personnes qui ont comparu devant le comité sénatorial.

Le sénateur Kinsella: Pouvez-vous nous dire à quel moment environ cette lettre, ou ce document, vous est parvenu? Est-ce avant votre comparution devant le comité?

M. Chopra: C'est avant ma comparution, avant le 22 octobre. J'ai comparu trois fois. Le 22 octobre...

Le sénateur Kinsella: 1998?

M. Chopra: 1998. Puis le 26 avril 1999, et le 3 mai 1999.

Le sénateur Kinsella: Auriez-vous l'obligeance de lire votre lettre?

M. Chopra:

Docteur,

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts vous demande de témoigner devant lui pour discuter des constatations énoncées dans le rapport sur l'analyse des lacunes concernant le groupe d'examen interne sur la STbr et l'examen interne sur la STbr.

Le sous-ministre m'a informé du fait que le ministère coopérera pleinement à l'enquête du comité sénatorial sur la STbr. À titre de fonctionnaire, vous avez l'obligation de comparaître si un comité de la Chambre des communes ou au Sénat vous demande de le faire. Pour vous aider à préparer votre témoignage, nous joignons une publication du Conseil privé intitulée Note sur les responsabilités des fonctionnaires à l'égard des comités parlementaires, ainsi qu'un exemplaire des rapports sur l'analyse des lacunes où des éléments d'information protégée en application de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels sont supprimés.

Pour vous aider à préparer votre témoignage devant le comité, le bureau des relations parlementaires du ministère organisera une séance d'information. À cette séance, des responsables du Bureau du Conseil privé passeront en revue avec vous les rôles et les responsabilités des fonctionnaires qui témoignent aux audiences des comités parlementaires.

Je vous demande d'être présent à cette séance. Le bureau des relations parlementaires du ministère communiquera avec vous pour en fixer la date.

Dans l'intervalle, veuillez agréer, docteur, mes sincères salutations.

J.Z. Losos

Le sénateur Kinsella: La séance a-t-elle eu lieu?

M. Chopra: Oui, elle a eu lieu.

Le sénateur Kinsella: Y avez-vous assisté?

M. Chopra: J'ai assisté à la séance.

Le sénateur Kinsella: Et durant cette séance, avez-vous discuté d'autre chose que l'obligation pour les fonctionnaires d'être utiles aux comités?

M. Chopra: Oui, monsieur. De fait, un document a été remis, une explication. Trois personnes du Conseil privé étaient présentes et -- deux ou trois personnes du Conseil privé et deux ou trois personnes du bureau des relations avec les médias du ministère de la Santé. Pas de superviseur, pas...

Le sénateur Kinsella: À un point quiconque de cette réunion, un responsable du Bureau du Conseil privé ou un supérieur du ministère de la Santé vous a-t-il donné des instructions, que ce soit de façon directe ou indirecte, concernant ce que devait être votre témoignage -- la teneur, la substance de votre témoignage -- devant le comité sénatorial?

M. Chopra: Il était entendu que nous allions parler en nous fondant sur le rapport avec les passages supprimés et qu'il fallait faire attention en raison du conflit entre les deux serments. Oui, c'était là les instructions. Notre question, ma question particulière, était la suivante: «Où est le Dr Losos ou où est la direction du ministère? Est-ce qu'on nous autorise à y aller ou non?»

Le sénateur Kinsella: Vous a-t-on dit que vous ne pouviez témoigner de questions que vous connaissiez et qui, vous le saviez, faisaient l'objet des passages supprimés dans le rapport?

M. Chopra: C'était sous-entendu dans la lettre: nous ne pouvions parler des questions abordées dans les passages supprimés, car elles sont assujetties...

Le sénateur Kinsella: Où est-ce sous-entendu?

M. Chopra: On dit que le rapport, qui est un rapport sur «l'analyse des lacunes», dont une copie a été remise au comité sénatorial et à moi-même, où l'information -- voici: où l'information protégée en application de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels a été supprimée. Autrement dit, nous devions désormais parler en nous fondant sur le rapport dont certains passages avaient été supprimés. L'information même...

Le vice-président: Sénateur Kroft.

Le sénateur Kroft: Voilà qui m'intrigue. La question du rapport où les passages sont supprimés, cela risque de n'être pas aussi grave que ça en a l'air. J'aimerais comprendre. On vous a expliqué que des passages ont été supprimés en conformité avec ces modalités légales -- la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l'accès à l'information.

Bon, maintenant, avez-vous signalé -- avez-vous précisé le dilemme dans lequel vous vous retrouviez? Vous a-t-on expliqué que vous étiez assujetti aux dispositions de ces lois? Qu'est-ce qui s'est passé entre vous et les responsables du Conseil privé à ce moment-là?

M. Chopra: Nous avons bel et bien soulevé la question. Comment pouvons-nous parler sous serment d'un rapport comportant des passages supprimés dont nous sommes les auteurs nous-mêmes? Il y a là des passages critiques qui condamnent le produit, ce qui a fait l'objet d'une dissimulation, entre les mains du ministère. À Santé Canada comme chez son homologue américain, la FDA, il y a eu un rapport critique intitulé «Three-month Rat Toxicology Study», d'une étude réalisée par Monsanto. C'est l'étude centrale qui s'est révélée être l'arrêt de mort de ce produit. Parce que c'était le rapport -- c'était le rapport que nous avons trouvé et commenté, au sujet duquel ils voulaient que nous gardions le silence.

Le sénateur Kroft: Je comprends. Cela vous dérangeait donc beaucoup d'être mis dans cette position. Tout de même, avez-vous accepté le fait que c'était une réalité juridique, que vous étiez assujetti à ces deux lois?

M. Chopra: Non. Je croyais que si je devais parler sous serment, il fallait alors que les passages supprimés soient mis au jour.

Le sénateur Kroft: Est-ce ce que vous avez dit aux responsables du Conseil privé?

M. Chopra: Oui.

Le sénateur Kroft: Que vous ont-ils dit?

M. Chopra: Ils ont dit: «Nous allons vous donner des nouvelles.»

Le sénateur Kroft: Et puis, qu'est-ce qui est arrivé alors?

M. Chopra: Alors, par la suite, ils ont publié le rapport intégral, puis nous sommes allés témoignés en nous fondant sur le rapport.

Le sénateur Kroft: Au moment où vous avez témoigné devant le comité, les restrictions juridiques avaient donc été éliminées?

M. Chopra: Oui.

Le sénateur Robichaud: Voilà qui nous éclaire bien. Tout de même, à un moment donné, si je ne m'abuse, vous aviez l'impression, vous étiez convaincu qu'il y avait un conflit entre les deux serments. Étiez-vous convaincu du fait que, d'une façon ou de l'autre, vous alliez vous parjurer?

M. Chopra: Tout à fait: que puis-je donc faire? Si je parle sous serment et qu'on m'empêche d'aborder un sujet en raison du serment de fidélité que j'ai envers mon employeur, alors qu'est-ce que je peux faire?

En fait, mon syndicat s'est appuyé sur un autre avis juridique possible -- il y avait un document qui nous disait que, en fait, ce que Santé Canada et le Conseil privé nous disaient n'était pas tout à fait exact: il faut témoigner sous serment et il faut dire toute la vérité.

Le sénateur Robichaud: En ce moment, croyez-vous vous être parjuré ou avoir pu vous parjurer?

M. Chopra: Non, monsieur, je ne me suis pas parjuré. Mais si je refusais de répondre...

Le sénateur Robichaud: Est-ce que vous vous seriez parjuré si vous aviez répondu à la question selon votre conscience et non pas selon celle d'un autre?

M. Chopra: Si j'avais dissimulé l'information, je me serais parjuré, mais si je n'avais pas répondu aux questions, j'aurais agi au mépris du comité sénatorial. J'aurais alors dit: Je ne vais pas répondre à cette question, car je me suis déjà engagé -- ce serait au mépris de son ordre. Il y avait donc un témoin.

Le sénateur Kroft: Pardon, mais tout cela ne relève-t-il pas de la conjecture? Puisque, en fait, au moment où vous avez témoigné devant le comité, les passages supprimés avaient été mis au jour.

M. Chopra: C'est une question théorique, sénateur, à laquelle je donne une réponse théorique.

Le sénateur Kroft: Vous pouvez bien vous engager dans des débats théoriques, mais je tiens simplement à comprendre clairement les choses. De fait, c'est une situation théorique. Le dilemme dont vous parliez n'était plus là au moment de votre comparution. Je reviens là-dessus pour m'assurer qu'il ne peut y avoir aucun malentendu.

M. Chopra: Vous avez raison.

Le vice-président: Vous pouvez continuer. Si nous avons des questions à poser, nous allons vous interrompre. Je crois que c'est la meilleure façon de procéder pour que les gens comprennent bien des deux côtés.

M. Chopra: Je m'excuse. Je n'essaie pas d'éprouver votre patience. Je vous demande de comprendre ma situation, car elle est très difficile, très complexe.

Je dois donc faire de mon mieux pour vous présenter tous les éléments d'information dont je suis conscient, au moyen de tous les éléments d'information que je possède moi-même. Par conséquent, à moins que je ne puisse vous révéler tous les faits pertinents, je ne crois pas pouvoir faire justice à ma propre cause. Je vous prie d'être indulgent.

Ayant maintenant présenté cette déposition, ayant été informé du fait qu'il fallait changer le rapport, ayant eu pour instruction de parler en me fondant sur le rapport où les passages avaient été supprimés... imaginez ce que le ministère a fait. À l'une des audiences, le ministère a fait venir un comité externe présidé par un médecin représentant le Collège royal des médecins et chirurgiens, le Dr MacLeod, et le comité sénatorial, de but en blanc, me désigne comme étant compétent pour débattre avec le Dr MacLeod de ses vues sur l'innocuité pour les humains, sujet qu'il avait été appelé à aborder par écrit et à examiner à fond, avant de témoigner devant le même comité sénatorial.

Ici, les questions sont ressorties assez clairement -- et, ici, vous me demandez où d'autre peut-on trouver... je crois que toutes les audiences du Sénat devraient aussi faire partie de cette enquête. Dans cela, vous allez constater que le comité, le comité externe de l'innocuité pour les humains que le ministère a engagé n'a pas révélé tous les éléments d'information, n'a pas reçu tous les éléments d'information, mais a néanmoins affirmé que l'utilisation de la STbr ne posait pas de risque pour les humains.

Le comité en question n'a même pas eu le droit de nous rencontrer, même s'il a été dit, durant les réunions antérieures, que nous serions appelés à rencontrer ce comité externe pour présenter notre rapport et en discuter avec eux -- nous n'avons pas eu le droit de les rencontrer. Ce débat fait partie de mon témoignage du 3 mai devant le comité de l'agriculture. Cela me paraît être d'une importance critique. Il faudrait examiner cela.

Il y a un des membres de ce comité qui, ici même, dans cette pièce, nous qualifiait, moi et mes collègues de «héros». Tout ce que je disais, c'est que je ne voulais pas être un héros; je voulais seulement que l'on me permette de faire mon travail. J'ai fait mon travail, et voici qu'il y a ce harcèlement et, en raison de ce harcèlement, le ministère décide subitement de rejeter la STbr au Canada, mais à ce jour, il n'a toujours pas avoué qu'il y avait un problème concernant l'innocuité de la substance pour les humains.

Le vice-président: Monsieur Chopra, je vais vous poser une seule question: dites-vous que la suspension de cinq jours qui vous a été imposée l'a été seulement parce que vous avez comparu devant le comité de l'agriculture?

M. Chopra: C'est un des éléments principaux parce que -- maintenant, je peux aborder cela. Si vous regardez les dates des diverses autres mesures de Santé Canada juste avant et après mes témoignages devant le comité sénatorial, vous noterez, sénateur, que j'ai comparu devant le comité sénatorial le 22 octobre 1998, le 26 avril 1999 et le 3 mai 1999.

Dans l'intervalle, la direction du ministère, y compris le sous-ministre et divers fonctionnaires, a été appelée à comparaître, tout comme plusieurs autres témoins, ce qui a été une très grande source d'embarras pour le ministère.

Le sous-ministre, David Dodge, a été sommé d'expliquer tout ce qui se passait à Santé Canada -- toutes les accusations qui ont été portées durant les audiences. M. Dodge a promis d'aller au fond des choses. Il a promis de retourner au ministère, de faire enquête et de revenir présenter un rapport au comité sénatorial. Il est bel et bien revenu. Il a dit qu'il a examiné toutes ces choses. Voici une lettre de sa part où il affirme qu'il n'a rien trouvé à redire. Comme les autres consultants, il a regardé la décision de la CRTFP et a simplement dit: «Cela a été rejeté». Ce n'est pas vrai. C'est une façon erronée de présenter les faits. La CRTFP a rejeté les griefs avant notre comparution devant le comité de l'agriculture pour dire qu'elle n'avait pas compétence pour trancher les questions d'intérêt public. Mais en même temps, la décision de la CRTFP reconnaissait qu'il y avait là des questions scientifiques et interpersonnelles troublantes. Cela est dit dans la décision. Il est inexact pour le sous-ministre, David Dodge, de dire que la cause a été rejetée.

De là, on peut aller aux autres conséquences. Le ministère rejette maintenant la STbr, mais seulement parce qu'elle nuit peut-être à la santé animale, et non pas à la santé humaine. À ce jour, il insiste toujours pour dire qu'il n'y a pas de problème concernant l'innocuité pour les humains, car il s'était déjà engagé à dire qu'il n'y avait pas de problème. Des données remontant à 1988 prouvaient qu'il y avait collusion avec l'entreprise et le fait qu'on dissimulait l'information, ici et à la FDA. Ce sont les choses qui ont été révélées, de sorte qu'ils étaient en colère, et qu'ils voulaient s'en prendre à moi.

Le vice-président: Sénateur DeWare, avez-vous une question?

Le sénateur DeWare: Vous dites que des allégations ont été faites durant les audiences du 22 octobre, du 26 avril et du 3 mai. Pourriez-vous nous préciser en quoi consistaient ces allégations?

M. Chopra: Selon les allégations en question, nous, les scientifiques de Santé Canada -- il y en a six parmi nous qui ont déposé un grief à l'égard du sous-ministre Dodge et de celle qui l'a précédé, Michèle Jean -- subissions des pressions pour autoriser des médicaments d'une innocuité douteuse. Et c'était -- la somatotropine bovine n'était même pas une question à ce moment-là, dans nos griefs, puisque cela nous avait été enlevé. Il y avait un responsable spécial du dossier, le Dr Ian Alexander, qui était seul responsable du dossier de la somatotropine bovine. Personne d'autre au Bureau ne pouvait toucher ou regarder ce dossier. Il y avait d'autres questions -- les hormones de croissance pour le boeuf, les antibiotiques, diverses autres choses -- que nous étions pressés d'autoriser même si nous pensions que c'était d'une innocuité douteuse.

Nous nous posions des questions là-dessus. Et, durant ce processus, j'ai tenu lieu de chef par intérim durant la période critique, d'octobre 1996 à février 1997, de cette division critique, où la question des hormones de croissance pour le boeuf a vraiment fait surface. Le Canada avait porté plainte à l'OMC -- ce dont, encore une fois, on ne nous avait rien dit, en disant que les hormones de croissance pour le boeuf ne posaient aucune difficulté. Nous savions que ce n'était pas le cas. C'était la situation d'une hormone particulière autorisée en 1973.

Le sénateur DeWare: Monsieur Chopra, est-ce que vous êtes en train de répondre à ma question quant aux allégations formulées durant les audiences?

M. Chopra: Oui. Tout cela a été révélé aux audiences.

Le sénateur DeWare: D'accord.

M. Chopra: Je vous révèle la substance de la plainte, mais il y a eu témoignage sur toutes ces choses aux audiences du Sénat.

Le vice-président: Sénateur Kroft, vous avez une question?

Le sénateur Kroft: Oui. J'essaie de bien savoir qui est en cause ici. Bon, vous n'étiez pas seul. Vous avez des collègues qui se sont retrouvés dans la même situation. Avez-vous toujours agi en tant que groupe, par exemple pour les réunions avec les responsables du Conseil privé et la séance d'information et les préoccupations quant aux dilemmes soulevés? Est-ce que vous agissiez seul, ou encore est-ce que c'était vous et vos collègues qui, ensemble, vous êtes retrouvés dans cette situation?

M. Chopra: Non. C'était avec mes collègues à qui on a demandé de comparaître.

Le sénateur Kroft: Vous avez tous vécu la même expérience et, cela aidait à présumer, vous avez parlé de ces préoccupations entre vous et êtes venu témoigner en tant que groupe fort d'une sorte de front commun?

M. Chopra: Oui, monsieur. Nous avons fait part des mêmes préoccupations, par écrit, au ministère.

Le sénateur Kroft: Pouvez-vous m'expliquer ce qui s'est passé du point de vue des mesures disciplinaires ou de toute autre forme de mesure du ministère à l'égard des autres?

M. Chopra: Oui, sénateur. Un de mes collègues, la Dre Margaret Haydon, moi-même et le Dr Gérard Lambert étions les trois témoins du Bureau des médicaments vétérinaires. Le Dr Lambert et moi-même sommes deux des auteurs du rapport qui ont refusé de le modifier sur les ordres du directeur.

La Dre Margaret Haydon était à la division pendant la période de quatre mois où j'ai été chef par intérim. J'étais son superviseur. Durant ce temps, elle a déposé un grief, j'ai déposé un grief distinct, et tout le personnel de la Division de l'innocuité pour les humains, là où j'ai mon poste en temps normal, a aussi déposé un grief collectif. Il y a tout cela qui se passait, et qui a été porté à l'attention de la CRTFP. Nous avons été choisis, nous trois, pour comparaître devant le comité chargé d'étudier la STbr devant le comité de l'agriculture.

La Dre Margaret Haydon a révélé au comité certains des éléments d'information qui se trouvaient dans le rapport -- qui ont aussi été supprimés, soit dit en passant -- cela remontait à 1994, au moment où elle était chargée d'évaluer l'innocuité de ce médicament pour les animaux. On a trafiqué ses dossiers, on les a volés, et la GRC a dû intervenir.

Le sénateur Kroft: Voilà qui m'intéresse, mais j'aimerais obtenir une précision sur la question particulière. Est-ce que les autres ont fait l'objet de mesures disciplinaires, à part vous?

M. Chopra: La Dre Haydon et moi-même avons reçu -- j'ai reçu une réprimande qui m'empêchait de m'adresser aux médias, d'assister à une réunion, des instructions disant que je ne pouvais assister à aucune réunion. La Dre Haydon n'a pas reçu de lettre de réprimande en tant que telle, mais elle a eu pour consigne de ne pas parler en public et de ne pas s'adresser aux médias.

Nous nous sommes tous les deux pliés rigoureusement à ces instructions par la suite. Il y a eu deux exceptions dans mon cas, et un dans celui de la Dre Haydon. Je vais aborder cette question et je vais aussi décrire ce qui nous est arrivé, aux deux, de ce fait.

Le sénateur Kroft: Y a-t-il quelqu'un d'autre que vous qui a fait l'objet d'une mesure disciplinaire?

M. Chopra: Je suis le seul à avoir fait l'objet d'une mesure disciplinaire, en termes juridiques, mais il y a une mesure implicite à l'endroit de la Dre Haydon. C'est maintenant la Cour fédérale qui, en application de la Charte des droits, doit se prononcer sur la capacité de traiter de questions concernant la sécurité publique et le fait de parler en tant que citoyen du pays. La question est actuellement entre les mains de la Cour fédérale. La cause doit être entendue en juin, l'an prochain.

Le sénateur Robichaud: Est-ce la Cour fédérale ou le Tribunal des droits de la personne?

M. Chopra: C'est la Cour fédérale.

Le sénateur Kinsella: M. Chopra, dans une lettre que vous m'avez adressée en date du 19 août, vous dites que toutes ces mesures étaient la conséquence directe de votre témoignage, celui que l'on vous a demandé de présenter au comité de l'agriculture. Pour reformuler la question que le président vous a posée il y a quelques instants, en rapport avec la mesure disciplinaire prise à votre encontre le 18 août, affirmez-vous que la seule raison pour laquelle vous avez fait l'objet d'une mesure disciplinaire est le fait d'avoir témoigné devant le comité ici présent, ou dites-vous que la mesure vous a été imposée en partie parce que vous avez témoigné devant le comité et peut-être aussi en partie pour d'autres motifs, notamment la conférence de Patrimoine canadien?

Nous aimerions obtenir une réponse claire pour votre témoignage. La mesure disciplinaire a-t-elle été prise contre vous en partie parce que vous avez témoigné devant le comité, ou dites-vous que vous avez été visé par cette mesure seulement parce que vous avez témoigné?

M. Chopra: Je crois que c'est uniquement en raison du fait que j'ai témoigné devant le comité sénatorial, car le ministère était en colère à ce sujet et qu'il y a eu des conséquences. Si nous regardons les dates, ce qui s'est passé, et le prétexte qu'ils ont pris pour m'imposer une suspension de cinq jours -- mon exposé à Patrimoine canadien a eu lieu les 25 et 26 mars 1999. On me demande d'aller expliquer cela à mon directeur en juillet, et il me dit qu'il a appris que j'ai présenté un témoignage et ainsi de suite. Le ministère le savait depuis le tout début, car je n'étais pas seul. Même les éléments de preuve qu'on m'a donnés, qu'on a produits pour moi -- pour une mesure. Bob Joubert, directeur général des ressources humaines, y figurait comme conférencier. Lucille Marleau devait aussi prononcer une allocution. Je figurais dans la liste des conférenciers et, lorsque j'ai été appelé, en juillet, à expliquer de quoi j'avais parlé, il y avait précisément quatre lignes dans la lettre: «Expliquez cela.»

Le sénateur Kinsella: De qui provenait la lettre?

M. Chopra: Du Dr André Lachance. On me disait de venir expliquer cela en présence d'une personne, d'un responsable des ressources humaines, et que je pouvais être accompagné d'un représentant de mon syndicat.

Le sénateur Kinsella: À un moment donné, entre le 26 mars, le dernier jour de la conférence de Patrimoine canadien, et juillet? C'est à ce moment que vous avez rencontré le Dr Lachance et les autres?

M. Chopra: Oui.

Le sénateur Kinsella: Entre mars et juillet, y a-t-il quelqu'un au ministère qui a demandé s'il convenait pour vous de parler à une conférence de Patrimoine canadien, ou qui a dit que cela pouvait poser un problème?

M. Chopra: Non. Jamais.

Le sénateur Kinsella: C'est autour de quoi, début juillet, fin juillet?

M. Chopra: Je crois que cela se trouve dans la lettre. Je crois que c'est le début juillet.

Le sénateur Kinsella: C'est donc deux mois au moins après votre dernière comparution devant le comité sénatorial de l'agriculture?

M. Chopra: Oui, sénateur.

Le sénateur Kinsella: Quatre mois après la conférence de Patrimoine canadien?

M. Chopra: Oui. Permettez-moi de préciser encore ce qui s'est passé pendant la réunion avec le Dr Lachance. Il m'a demandé de réagir aux quatre lignes dans sa lettre. Il a dit: «Avez-vous dit cela?» J'ai dit: «Je ne me souviens pas» -- je ne sais pas parce que je n'ai pas de transcription ou de bande, je ne sais donc pas ce que j'ai dit, et ainsi de suite, mais si vous avez une transcription ou une bande ou un discours intégral, et le contexte, c'est quelque chose que j'aurais pu dire, dans le bon contexte, mais je ne sais pas où ni comment.

Il m'a dit: «Avez-vous demandé la permission du ministère? Vous êtes désigné sur la liste comme étant évaluateur de médicaments au Bureau des médicaments vétérinaires.» Et je lui ai signalé qu'il s'agissait là d'une erreur de la part des organisateurs -- j'ai de la correspondance; au moment où j'ai été invité par les organisateurs de Patrimoine canadien à leur envoyer un résumé de cinq lignes et mon titre, j'ai envoyé cela, ainsi qu'une courte biographie. J'ai envoyé cela. J'ai transmis l'information par fax. Sur la lettre que j'ai envoyée par fax, je les ai priés de modifier l'adresse pour que ce soit mon adresse personnelle.

Le sénateur Kinsella: Avec qui traitiez-vous à Patrimoine canadien?

M. Chopra: Il y a un expert-conseil qui organisait la conférence au nom de Patrimoine canadien. C'est M. Grant McNeil, à qui j'ai transmis cinq pages de ma communication après l'invitation qui m'a été faite par téléphone.

Le sénateur Kinsella: Est-ce qu'on vous invitait à venir prendre part à la réunion sur les relations interraciales qu'on organisait en votre qualité de personne touchée par les relations entre les races ou encore vous invitait-on à titre de scientifique au ministère de la Santé?

M. Chopra: Non, on m'a invité parce que je suis actif dans le dossier des droits de la personne et que je suis un leader communautaire qui a une présence publique assez notable en rapport avec ces questions depuis plusieurs années, ainsi que pour mon expérience personnelle. Et c'est sur l'expérience personnelle qu'ils voulaient que j'insiste, puisque le titre de mon allocution était «la dimension humaine». Je devais donc traiter de la dimension humaine de l'équité en matière d'emploi, d'une part, puis de ce qui est vraiment -- des expériences des gens qui se retrouvent personnellement dans une telle situation, ou encore au nom des autres.

C'était là le contexte. De fait, je peux -- c'est une très courte lettre que j'ai adressée à M. McNeil.

Je confirme par les présentes ma participation à la table ronde chargée de la question «la dimension humaine» à votre conférence ayant pour thème l'avenir de l'équité en matière d'emploi -- Employment Equity: Looking Forward -- les 25 et 26 mars 1999.

Vous trouverez ci-joint une introduction de cinq lignes de mon exposé et une courte biographie.

Dans l'intervalle, si vous avez besoin de renseignements supplémentaires, n'hésitez pas à communiquer avec moi.

Veuillez agréer, monsieur, mes sincères salutations.

Et mon adresse personnelle.

Et sur le bordereau du fax, j'ai une note: «Veuillez transmettre toute future correspondance à mon adresse de Manotick.» Ils ont reçu cela. Cette lettre-ci, je leur ai envoyée le 8 mars 1999.

Le sénateur Kinsella: Cette communication est-elle rédigée sur du papier à en-tête? Avez-vous adressé cette lettre à M. McNeil sur du papier à en-tête du ministère de la Santé?

M. Chopra: Non. C'est mon adresse personnelle qui est indiquée.

Le sénateur Kinsella: La lettre que le ministère du Patrimoine canadien vous a envoyée, est-ce que c'était sur du papier à en-tête du ministère du Patrimoine canadien?

M. Chopra: Je n'ai pas reçu de lettre, c'était seulement un appel téléphonique. Je ne sais pas comment ils ont eu mon adresse. C'est peut-être dans le bottin téléphonique, enfin, mais quand j'ai remarqué que mon nom figurait sur la liste dans le programme comme évaluateur de médicaments, j'ai eu un peu de souci, et je leur ai donc dit de changer cela et de changer mon adresse pour que ce soit mon adresse personnelle. En fait, le résumé -- je l'ai ici -- et le titre est «Le racisme dans la fonction publique du Canada: et demain?». Il y est indiqué: Shiv Chopra, président Fédération des organismes de relations inter-raciales de l'Ontario.

Le sénateur Kinsella: J'ai remarqué que le 25 et le 26 mars étaient un jeudi et un vendredi. Or, ce sont des jours de travail, du moins au Sénat. Est-ce que c'était un jour ouvrable pour vous et les autres personnes qui ont assisté à la conférence?

M. Chopra: C'était un jour ouvrable. C'est une conférence de deux jours organisée pour une grande part -- ou plutôt, entièrement, pour les fonctionnaires fédéraux, sauf pour ceux qui étaient invités à titre de conférenciers et ainsi de suite. Je n'ai pas assisté à la conférence dans son intégralité ni même pendant toute la journée le jour où j'étais là. Je n'ai même pas -- j'ai parlé vers 11 h 30 et je n'y suis même pas resté pour le repas du midi.

Le sénateur Kinsella: Si un employé du ministère de la Santé s'en va assister à une conférence ou à un séminaire du CCG ou à un atelier qui est organisé à Touraine, il n'est évidemment pas aux bureaux de son propre ministère, s'il est à la conférence. Y a-t-il un processus en vertu duquel on demande la permission, ou encore des directives pour déterminer à quel moment on peut aller assister à une conférence, plutôt que de se trouver à son poste de travail?

M. Chopra: Sénateur, il y a deux questions à considérer. Premièrement, il faut obtenir la permission, et c'est ça le processus, et deuxièmement, il y a le moment choisi. Pour répondre à la première question, cette conférence n'avait rien à voir avec Santé Canada ni avec mon travail. De fait, dans ce cas particulier, je suis directement opposé à eux dans l'affaire de l'Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales, et c'est à ce titre que l'on m'a invité à prononcer une conférence et à faire le point sur ce qui se passe dans le contexte de...

Le sénateur Kinsella: Avez-vous été payé pour ce jour-là?

M. Chopra: Par qui?

Le sénateur Kinsella: Par le ministère de la Santé.

M. Chopra: Oui, j'ai été payé, mais j'y ai seulement été pour la demi-heure dont je disposais pour le repas du midi. Je ne suis pas resté pour le repas du midi. Je n'ai pas assisté au reste de la séance. Je ne suis pas allé ailleurs.

Le sénateur Kinsella: Vous dites donc que vous étiez là à titre personnel et durant une période qui était libre pour vous?

M. Chopra: C'était mon temps à moi, oui.

Le sénateur Kinsella: C'est utile de le savoir.

M. Chopra: De fait, maintenant, si vous regardez ce qui a été résumé -- puisque j'ai les actes de la conférence, et c'est ici -- il n'y a pas de mention de ce que j'aurais dit, à en croire selon les allégations du ministère. Ils m'ont donné, depuis ce temps-là, une bande qui permet d'entendre précisément les quatre lignes en question énoncées par ce qui semble être ma voix -- ces quatre lignes seulement. Je ne sais pas très bien -- je ne sais pas très bien si ce sont les organisateurs qui ont officiellement enregistré cela, si ça venait de là, ni où se trouve le reste de la bande, ni où se trouvent les bandes des autres allocutions. Je me suis adressé à nouveau aux organisateurs et j'ai appris, de la part du président aussi bien que de l'organisateur qui enregistrait lui-même les choses, que les bandes étaient enregistrées précisément pour que puissent être produits les actes et non pas pour être diffusées autrement par la suite; de fait, elles n'ont pas été diffusées. Il a remis les bandes au président de la conférence.

Le sénateur Kinsella: Connaissez-vous la personne qui avait en main les bandes?

M. Chopra: Grant McNeil a préparé les bandes et les a remises au président de la conférence, Alix Hector, et c'est Alix Hector que j'ai abordé par la suite à propos des bandes.

Le sénateur Kinsella: Je veux bien saisir la chose. Dites-vous donc que, de votre point de vue, la mesure disciplinaire qui vous a été imposée par le sous-ministre, du moins selon la lettre qu'il m'a adressée, quant à votre participation à la conférence de Patrimoine canadien, était injustifiable et qu'elle fait l'objet d'une autre procédure? Dites-vous donc que si ce n'est pas le cas, par élimination, il faut conclure que l'autre gros problème concernait votre comparution devant le comité sénatorial?

M. Chopra: C'est parce qu'il ne trouvait rien d'autre pour me sanctionner. Le Dr Lachance m'avait appelé à propos d'autres choses lorsque je suis allé à la Cour fédérale en rapport avec le bâillon qui a été imposé, et à ce moment-là, on m'a demandé d'expliquer deux des déclarations que le Toronto Star avait publiées à la suite de cette action. Il y avait deux déclarations et il m'a demandé de comparaître, juste avant la suspension, d'y aller et d'expliquer cela. Les déclarations étaient les suivantes: à propos de la cause devant la Cour fédérale, j'ai dit en quelque sorte qu'à titre de citoyen du pays, j'avais le droit de me prononcer sur des questions liées à l'innocuité des aliments -- je ne parlais donc pas au nom de Santé Canada. C'était une des déclarations. L'autre, c'était que j'estimais avoir l'obligation de parler lorsque le ministère ne faisait rien.

On m'a demandé d'expliquer les deux déclarations, de dire si elles étaient exactes et de les justifier. J'ai dit qu'elles sont exactes, et je ne me rétracte pas parce que je suis à la Cour fédérale et qu'en réponse aux journalistes qui me demandent de parler de cette affaire, je dis que je suis citoyen, que c'est là ma position, qu'à titre de citoyen, j'ai le droit de me prononcer sur des questions liées à l'innocuité des aliments et que le ministère ne devrait pas m'imposer le bâillon.

Ensuite, j'estime avoir l'obligation de me prononcer, en tant que fonctionnaire, lorsque le ministère ne fait rien. Le Dr Lachance m'a demandé: «Et qu'en est-il de la deuxième déclaration?» J'ai dit: «Pourquoi? où est le problème?» Il a dit: «Vous dites que le ministère ne fait rien.» J'ai répondu: «Je vous prie de lire cela avec soin. Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que j'estimais avoir l'obligation de parler.»

Le vice-président: Docteur, pouvez-vous terminer votre réponse dans les deux minutes qui suivent, car les sénateurs, comme vous le voyez, quittent la salle -- ils ont d'autres engagements -- et j'ai deux petites questions à vous poser. Pouvez-vous finir de répondre au sénateur Kinsella dans une minute ou deux?

M. Chopra: Oui, sénateur, si c'est votre consigne. Je devrai alors dire que «oui», c'est une mesure directe de représailles et un prétexte qui est utilisé pour m'attaquer, puisque mon témoignage devant le comité sénatorial a à ce point vexé le ministère qu'il se servirait de n'importe quel prétexte.

Et, soit dit en passant, ce n'est pas la seule chose. Il y a d'autres questions en jeu ici qui, si vous le permettez ou si vous me donnez l'occasion de revenir... mais j'insiste pour dire que si votre comité veut aller au fond des choses, vous allez devoir me rappeler pour que j'explique tout le contexte. Vous allez devoir aussi convoquer d'autres témoins, dont certains sont mes collègues. Vous allez devoir convoquer des témoins de Patrimoine canadien. Vous allez devoir convoquer des témoins du ministère de la Santé, autres que les gens des ressources humaines.

Ce sont des questions qui sont liées entre elles. À moins que vous n'interrogiez tous ces témoins et que vous obteniez tout le témoignage, j'estime que justice ne serait pas faite dans mon cas. Merci, sénateur.

Le vice-président: Je vous vous poser deux questions et je vous demande d'avoir l'obligeance de répondre par un «oui» ou un «non», dans la mesure du possible.

Premièrement, votre superviseur a-t-il dit quoi que ce soit de négatif après votre comparution devant le comité de l'agriculture? Si c'est le cas, dites-nous ce qu'il a dit.

M. Chopra: Sénateur, vous allez devoir être plus précis, puisqu'il y a eu de nombreux cas où il a dit ou laissé sous-entendre que mes collègues et moi étions des fauteurs de trouble et qu'il allait nous régler notre cas et nous envoyer quelque part où on n'entendrait plus jamais parler de nous, et il a fait diverses autres menaces, ainsi que...

Le vice-président: Quel est son nom?

M. Chopra: Dr André Lachance. Il a fait des remarques désobligeantes envers les minorités visibles, et c'est une chose qui est documentée. Toutes ces questions doivent être réglées. Et il y a des plaintes à ce sujet qui ont été adressées à la Commission canadienne des droits de la personne, et le ministère ne fait pas enquête ou ne le permet pas ou ne répond pas.

Il y a, sénateur, un très, très grand nombre de questions qu'il faut envisager dans le contexte total.

Le vice-président: Je vous demande, docteur, ce qui s'est passé après votre témoignage devant le comité de l'agriculture.

M. Chopra: Justement, sénateur. C'est durant et après. Il nous a fait des menaces en nous disant que nous devons nous conformer, envisager notre carrière de scientifique au ministère, sinon il nous fera des choses, et qu'il a eu de la part de la haute direction, du sous-ministre, des instructions, et cela se trouve aussi dans les éléments de preuve déposés, et même que le sous-ministre s'engage à réorganiser, le fait qu'il y a ce directeur, ce que ce directeur va faire, et le fait qu'on nous traite de fauteurs de trouble.

Nous avons aussi apporté des éléments de preuve, face à face, une pétition signée par 200 personnes de la Direction des aliments à l'intention du sous-ministre, David Dodge, et, par la suite, une rencontre personnelle de tous ces gens avec David Dodge, et le fait de le confronter et de lui écrire une lettre.

Le sénateur Kinsella: Vous avez commencé à dire il y a quelques instants, en répondant à la question du sénateur Grimard, que le Dr Lachance vous a dit certaines choses après votre comparution devant le comité de l'agriculture. A-t-il dit ces choses devant quelqu'un d'autre?

M. Chopra: Oui, sénateur, à tout le...

Le sénateur Kinsella: Est-ce que les gens viendraient témoigner de cela?

M. Chopra: À la réunion rassemblant tout le personnel du bureau, il y a mes collègues qui sont assis ici, le Dr Vilim, le Dr Lambert, la Dre Haydon, et il y en a d'autres qui ne sont pas ici et qui étaient présents lorsque les menaces ont été faites. Et il nous a traités de fauteurs de trouble et a dit qu'il nous muterait dans un endroit où on n'entendrait jamais plus parler de nous et il disait que nous devions nous conformer...

Le sénateur Kinsella: C'est après votre comparution devant le comité de l'agriculture?

M. Chopra: En février 1999, puis il y a eu les communications écrites par la suite et la façon dont il disait qu'il réorganiserait. Et, de fait...

Le sénateur Kinsella: Attendez un instant. Vous dites que ses menaces sont faites dans des communications écrites. Avez-vous les documents écrits en question avec vous?

M. Chopra: Pas des menaces faites dans de tels termes, mais il y a des références, des choses sous-entendues, la façon dont le ministère allait restructurer et la façon dont il dirigerait les choses et irait de l'avant. Autrement, le train a quitté la gare. C'est ce qui a été dit à la réunion du bureau. Et il nous fait maintenant tourner la page et passer à autre chose -- oublier le passé et reprendre le travail. Et les nominations de personnes qui n'ont pas les compétences recherchées. Tout cela fait l'objet de nombreux griefs et de nombreuses plaintes que nous avons formulées, mes collègues et moi-même.

Le sénateur Kinsella: C'est une mesure de représailles pour votre comparution devant le comité sénatorial?

M. Chopra: Tout à fait.

Le sénateur Kinsella: Pouvez-vous nous donner encore le nom des gens qui étaient au bureau, qui ont entendu le Dr Lachance dire cela?

M. Chopra: Dre Margaret Haydon, Dr Arnost, A-R-N-O-S-T, Vilim, V-I-L-I-M. Dr Gérard Lambert, Dr S. S. Malik, M-A-L-I-K. Il y en a peut-être d'autres. Je suis sûr de ceux-là. Dr Rajinder Sharma, S-H-A-R-M-A. Dr Chris, C-R-I-S (sic), Basudde, B-A-S-U-D-D-E.

Tous ces gens ont reçu des menaces collectives et personnelles de la part du même directeur.

Le sénateur Kinsella: Oui, ils étaient présents et ils ont entendu les remarques faites par le Dr Lachance, que vous assimilez à une forme de représailles?

M. Chopra: Oui, sénateur.

Le sénateur Kinsella: À cause de votre comparution et de celle de vos collègues devant le comité de l'agriculture?

M. Chopra: Oui, sénateur. Le contexte, sénateur -- si vous me donnez un instant -- le contexte, même dans les communications écrites où M. Dodge écrit qu'il a présenté un témoignage au comité sénatorial et qu'il a dit telle et telle chose -- il y a une lettre à cet égard. Et ça se poursuit avec les autres engagements, le fait qu'il abordera d'autres allégations formulées au sujet des hormones et ainsi de suite, qu'il ira au fond des choses. Voilà précisément -- le comité doit prendre connaissance de toutes ces choses pour savoir à quoi riment les représailles.

Le vice-président: S'il n'y a plus de questions... M. Chopra, nous nous entretenons avec vous depuis plus de deux heures. Vous savez que les sénateurs ont d'autres engagements, des réunions et ainsi de suite. Je crois savoir que vous êtes prêt à nous laisser un certain nombre de documents qui, à vos yeux, sont importants pour étayer l'allégation que vous formulez dans votre lettre du 19 août 1999 adressée au sénateur Kinsella.

Nous tenons à vous garantir que: nous allons étudier tous ces documents avec beaucoup de soin. Nous vous remercions d'être venu comparaître.

Je m'adresse aux honorables sénateurs: demain, à midi, nous nous réunirons à la salle 356-S. Nous pourrons alors nous pencher sur les futurs travaux du comité, prendre connaissance du nom d'autres témoins, établir la fréquence de nos réunions, et cetera. Le comité lève la séance jusqu'à demain midi. Nous nous réunirons à huis clos. Un petit repas sera servi.

La séance est levée.


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