Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 6 - Témoignages - séance de l'après-midi


OTTAWA, le mardi 9 novembre 1999

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 13 h 30, conformément au paragraphe 47(5) de la Loi sur les transports du Canada, pour étudier le décret autorisant certains transporteurs aériens majeurs et certaines personnes à négocier et à conclure toute entente conditionnelle.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivons cet après-midi notre étude sur les transporteurs aériens. Nous accueillons aujourd'hui comme premier témoin le Conseil des aéroports du Canada.

Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole.

M. Neil Raynor, directeur exécutif, Conseil des aéroports du Canada: Madame la présidente et honorables sénateurs, je vous remercie de nous donner l'occasion de vous exposer aujourd'hui un point de vue différent, soit celui des aéroports du Canada. Nous sommes heureux de vous rencontrer. C'est la première fois que le Conseil des aéroports du Canada comparaît devant un comité parlementaire. C'est donc un double honneur pour nous d'être ici.

Comme vous allez le constater, notre point de vue diffère de celui que vous ont présenté les témoins entendus jusqu'ici.

D'abord, j'aimerais dire quelques mots au sujet du Conseil des aéroports du Canada pour vous donner une idée de ce que nous faisons. Le CAC représente les aéroports du réseau national d'aéroports locaux, régionaux et nationaux, de St-Jean, Terre-Neuve, à Victoria, en Colombie-Britannique, des aéroports aussi petits que celui de Grande Prairie, en Alberta, et aussi gros que l'aéroport international Lester B. Pearson, à Toronto. Un nombre grandissant d'aéroports de toutes tailles joignent tous les jours les rangs de la CAC. Nous représentons la plupart des grands aéroports. Plus de 95 p. 100 de tous les vols intérieurs utilisent les aéroports membres du Conseil.

Le CAC est la voix des aéroports du Canada. En 1992, le gouvernement a pris la sage décision de céder ces aéroports à des intérêts locaux afin d'encourager leur développement en fonction des priorités et des marchés locaux. Dans la mesure où le CAC représente des aéroports de tailles très différentes, qui en sont à des étapes diverses de développement et dont les possibilités de croissance sont inégales, il n'existe pas de panacée pour répondre à tous les besoins. Le CAC encourage le comité permanent à tenir compte des différences locales pour trouver des solutions aux problèmes dont nous parlons ici. Nous vous encourageons également à demander à chaque administration aéroportuaire son point de vue.

Avant de céder la parole à M. Benoit, je tiens à dire que, dès le départ, nous pouvons affirmer catégoriquement que les aéroports membres du CAC sont en faveur de la concurrence en raison des avantages que cela représente pour les collectivités et les voyageurs.

Je vais maintenant donner la parole à M. Benoit.

[Français]

M. Paul Benoit, président et chef de la direction, Conseil des aéroports du Canada: Madame la présidente, honorables sénateurs, nous ferons notre présentation en anglais, mais nous répondrons volontiers à vos questions en français ou en anglais.

[Traduction]

La question dont traite le comité aujourd'hui est débattue dans le milieu aéroportuaire non seulement au Canada, mais également aux États-Unis et en Europe. Nous savons très bien que les aéroports ont un rôle à jouer pour promouvoir la concurrence, tant au niveau des compagnies aériennes qui desservent les localités qu'au plan des services connexes offerts aux voyageurs. Les dirigeants des aéroports et leurs équipes prennent cette responsabilité très au sérieux. L'horizon de planification des aéroports s'étire sur 10 à 15 ans en raison de la taille et des effets des investissements. La direction cherche constamment à accroître le nombre des liaisons intérieures, transfrontalières et internationales à partir de son aéroport. Elle souhaite offrir des choix d'itinéraires et augmenter la fréquence des vols, car elle sait que cela multiplie les options de voyages à prix abordable. Et elle cherche à établir les meilleurs tarifs possibles en encourageant la concurrence.

La direction donne la priorité à la prestation de services de qualité et au choix, au prix le plus bas possible. Sur le plan commercial, la preuve en est l'adoption de politiques de prix grand public dont profitent directement les consommateurs.

Préoccupés de la restructuration des transporteurs aériens et de la création d'un véritable monopole, nous croyons néanmoins que la réglementation, qu'elle prenne ou non une nouvelle forme, n'est pas la solution aux problèmes actuels des compagnies aériennes et que cette option doit être soigneusement évitée.

Pour mieux comprendre la position du CAC sur la question de la restructuration des compagnies aériennes, il serait sans doute utile de présenter au comité quelques données sur la cession des aéroports. Lorsque le gouvernement fédéral a commercialisé pour la première fois certains grands aéroports du Canada en 1992, il faisait oeuvre de pionnier. Il s'agissait d'un acte de foi, et le gouvernement de l'époque a consenti de voir les résultats de cette politique après cinq ans. L'examen a eu lieu.

On a conclu à la réussite de cette politique et que le gouvernement fédéral n'a pas à se mêler davantage de la gestion et des pratiques commerciales des aéroports. Les administrations aéroportuaires locales servent mieux leur collectivité. La population locale veut que son aéroport soit un moteur économique de leur région. Le but principal des administrations aéroportuaires, qui est d'assurer la sécurité des opérations tout en améliorant l'efficacité et en offrant des services rentables, a été atteint dans une très large mesure en très peu de temps.

Les compagnies aériennes admettent aujourd'hui qu'elles ont plus d'influence sur les dépenses d'immobilisations et reconnaissent que la gestion des aéroports répond à leurs besoins comme jamais auparavant. Tout cela a été possible grâce aux efforts des gens qui se sont consacrés à cette tâche. Le passage d'une gérance fédérale à une approche commerciale n'a été ni simple ni facile. Mais les personnes en cause -- principalement d'anciens employés de Transports Canada -- ont été à la hauteur du défi.

Pour sa part, le gouvernement fédéral s'est retiré de la gestion des aéroports et, ce faisant, a économisé plus de 100 millions de dollars par an. De plus, il touche maintenant plus de 200 millions de dollars de loyer chaque année. Mais ce loyer, s'il est un avantage budgétaire pour le gouvernement fédéral, représente une augmentation considérable des coûts pour les utilisateurs des aéroports. Et ces chiffres devraient augmenter encore lorsque la participation aux revenus entrera en ligne de compte, ce qui aggravera encore notre problème.

Le sénateur Kirby: Madame la présidente, si les témoins lisent tout leur mémoire, nous n'aurons pas de temps de poser des questions. Ils pourraient peut-être tout simplement nous donner les points essentiels.

M. Benoit: D'après ce que je comprends, le comité a jeté un coup d'oeil sur le document. Nous sommes alors prêts à répondre aux questions. Je peux en faire la lecture très rapidement, si c'est ce que vous préférez, madame la présidente.

La présidente: D'accord.

M. Benoit: Nous abordons certaines questions comme le contrôle des créneaux d'atterrissage. L'aéroport Pearson de Toronto est actuellement le seul aéroport au Canada qui contrôle les créneaux. Il est important de se rendre compte que le contrôle des créneaux pourrait s'avérer nécessaire dans d'autres grands aéroports comme Vancouver, Calgary et Dorval.

Actuellement, à Pearson, Air Canada, Canadien International et leurs affiliés régionaux détiennent la majorité des créneaux et contrôlent les périodes de pointe du matin et de l'après-midi. Le CAC estime que les créneaux sont un bien public et non privé. Ils ne sont pas la propriété des compagnies aériennes. Il en va de même pour les liaisons internationales.

Étant donné leur très grande importance pour l'exploitation et le développement ordonnés des aéroports communautaires, les créneaux devraient être gérés par d'autres entités. L'attribution de ces créneaux devrait être fondée sur trois principes clairs: une concurrence accrue; la politique dite à prendre ou à laisser; le respect des obligations internationales.

Je vais maintenant parler de l'impact de la restructuration sur les petits aéroports, qu'on a souvent tendance à oublier. Vous trouverez à la page 10 de notre mémoire les trois grandes questions qui sont importantes pour les petits aéroports.

D'abord, la structure qui émergera du processus de restructuration doit garantir les services essentiels aux collectivités desservies par les petits aéroports. Ensuite, la réglementation ne doit pas donner un monopole de droit. Enfin, le gouvernement fédéral doit relever le niveau du programme d'aide aux immobilisations aéroportuaires à un minimum de 105 millions de dollars par an, compte tenu du fait que les aéroports versent plus de 200 millions de dollars de loyer au gouvernement fédéral.

Passons maintenant aux conclusions.

M. Raynor: Voici les conclusions et les recommandations qu'a formulées le CAC relativement au processus de restructuration.

Le gouvernement fédéral a raison de s'inquiéter de la possibilité qu'une compagnie aérienne dominante voit le jour. J'ai rédigé ce texte vendredi et, depuis, beaucoup de choses ont changé. À notre avis, la réglementation, nouvelle ou non, ne permettra pas nécessairement de régler les problèmes actuels.

Les administrations aéroportuaires sont prêtes à participer à la résolution des problèmes de restructuration du secteur des compagnies aériennes. La cession des aéroports a créé des conditions propices pour que les aéroports puissent, de façon proactive, soutenir la concurrence.

Les recommandations que nous formulons sont donc les suivantes. Il faut réduire le fardeau locatif dans l'intérêt des aéroports, des usagers, des clients. Cette mesure comporte trois volets. Premièrement, Transports Canada doit reconnaître qu'il peut renforcer, en réduisant les loyers, la capacité des aéroports d'évoluer dans un contexte favorable à la concurrence. Deuxièmement, pour marquer sa bonne foi, Transports Canada devrait bloquer les loyers au niveau de 1999. Comme l'a indiqué M. Benoit, cela représente une dépense de 200 à 250 millions de dollars. Troisièmement, Transports Canada devrait faire participer l'industrie et les aéroports à l'élaboration d'un ensemble de principes clés afin de fixer un niveau juste et adéquat de loyer à payer.

En ce qui concerne les petits aéroports, les services essentiels doivent être garantis, la réglementation ne doit pas donner un monopole de droit, et le gouvernement fédéral doit relever le niveau et élargir la portée du programme aux immobilisations aéroportuaires.

Lorsqu'il est nécessaire -- et j'insiste là-dessus -- qu'existent des créneaux d'atterrissage, ils doivent rester la priorité publique et être gérés par l'administration aéroportuaire. Il n'y aucune raison de créer un mécanisme réglementaire si l'on dispose de règles claires pour régir l'attribution des créneaux.

L'utilisation commune des installations permet d'abaisser les coûts assumés par nos clients. Il s'agit là d'un point important. Le CAC estime que si l'on offrait des incitatifs, comme la réduction des loyers versés à la Couronne, les aéroports seraient plus nombreux à adopter ce type de politique et à fournir des installations partagées, ce qui, comme nous l'avons indiqué, contribue à créer un contexte favorable à la concurrence.

La formule de Chicago -- et nous pourrons discuter de tout cela quand nous passerons aux questions -- concernant le partage des coûts des services essentiels devrait être modifiée, car elle ne sert pas les intérêts des aéroports petits et nouveaux.

Enfin, si le gouvernement fédéral accepte le principe d'une compagnie intérieure dominante, cette compagnie devrait être tenue d'abandonner ses droits de participation majoritaire dans le cadre des accords actuels et de remettre aux administrations aéroportuaires ses droits à l'utilisation des installations qui seraient alors converties en vue d'une utilisation commune. Je fais allusion ici aux portes, aux passerelles d'embarquement et aux billetteries qu'on trouve dans les aéroports.

Le sénateur Forrestall: Nous avons privatisé les installations portuaires il y a deux ou trois ans de cela. Cette question a fait l'objet d'un débat fort intéressant. Les gens m'ont regardé de travers et se sont demandé si j'avais perdu la tête à cause de la position que j'avais adoptée. J'avais des inquiétudes, bien entendu, au sujet de la gestion des ports et je me demandais où ils allaient trouver l'argent pour financer les projets d'agrandissement, les travaux d'entretien, ainsi de suite. Ce qui me préoccupait avant tout, c'était l'impact qu'aurait la privatisation sur les municipalités où étaient situées les installations portuaires.

Elles ont eu droit, dès le départ, à des subventions tenant lieu de taxes parce qu'elles n'étaient pas imposables. Les aéroports versent une subvention tenant lieu de taxes. Or, qu'arrive-t-il si les aéroports, faute de clients, ne sont pas en mesure de verser une subvention aux municipalités ou de payer leurs impôts fonciers?

Quand les installations portuaires sont confrontées à ce problème, l'impact se fait sentir sur divers secteurs. Pour ce qui est des aéroports, cela pourrait avoir des conséquences sur tous les services, même les services d'incendie.

J'aimerais avoir votre opinion là-dessus, car je me demande si cela constitue un problème pour les aéroports, comme c'est le cas pour les installations portuaires.

M. Benoit: La question des impôts préoccupe tout le monde, mais il faudrait peut-être laisser à un autre comité le soin de se pencher là-dessus. Dans le cas de l'aéroport d'Ottawa, l'impôt foncier est passé de 2,9 à 7,3 millions de dollars. Cela nous pose un problème majeur. Les grands aéroports fournissent des services d'incendie -- et ils dépassent tous les normes fixées par Transports Canada -- et aucun changement n'est prévu de ce côté là.

Les aéroports, une fois privatisés, ont été autorisés à fonctionner comme une entreprise, et non pas nécessairement comme un système géré par une entité. Les conseils d'administration, comme vous le savez, sont composés de représentants des collectivités. Celles-ci participent à toutes les décisions. Plusieurs aéroports envisagent à l'heure actuelle d'entreprendre des travaux majeurs, des projets d'immobilisations importants.

C'est au moment de contracter des emprunts que nous savons si nous passons le test, car, comme vous le savez, aucun aéroport aujourd'hui, peu importe sa taille, ne reçoit de l'aide du gouvernement fédéral. En fait, notre aéroport verse tous les ans environ 5 millions de dollars en frais de location à l'État, et ce montant ne cesse d'augmenter. Nous avons de très grosses dépenses à assumer, mais nos aéroports sont financièrement autonomes et rentables et l'argent est réinvesti dans les installations.

Le sénateur Forrestall: Est-ce que vous êtes en mesure de supporter ce fardeau fiscal supplémentaire?

M. Benoit: Nous avons demandé une révision de l'impôt foncier. Le fardeau varie d'une collectivité à l'autre. Le problème est beaucoup plus sérieux dans le cas des petits aéroports. Il est possible que les nouveaux règlements adoptés par le gouvernement fédéral aient un impact sur ces collectivités. Certains de ces problèmes n'existaient pas quand les collectivités ont pris en charge les aéroports, mais les grands aéroports se trouvent en bien meilleure posture que les petits aéroports. Il est possible que toute cette situation soit attribuable au fait que, dans le passé, le législateur agissait à la fois comme organisme de réglementation et exploitant. Aujourd'hui, le législateur n'agit plus comme exploitant, mais seulement comme organisme de réglementation. Et il ne cesse de resserrer les règles.

M. Raynor: J'aimerais faire un commentaire au sujet des petits aéroports. Vous avez posé une question au sujet des services d'incendie ou des services d'intervention d'urgence, les SIV comme nous les appelons dans le milieu. Ce matin, j'ai assisté à une réunion du CARAC, le Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne, qui est en train de se pencher sur l'avenir des SIV dans les petits aéroports.

Quand le gouvernement fédéral a cédé l'exploitation et le contrôle des petits aéroports aux municipalités et aux groupes locaux, il l'a fait en partant du principe qu'il ne jugeait plus nécessaire d'avoir des équipes de sapeurs-pompiers dans les aéroports. C'est la proposition que nous sommes en train d'examiner. Le gouvernement fédéral a changé d'idée et entend maintenant réglementer les services d'incendie dans les aéroports. Or, plusieurs aéroports communautaires vont être obligés de fermer parce que ces services coûtent trop cher.

Souvent, les coûts de mise en oeuvre des règlements proposés représentent le quart du budget d'exploitation d'un petit aéroport. Cette proposition n'est tout simplement pas réalisable, à moins que le gouvernement fédéral ne s'engage à fournir les fonds nécessaires, ce qui ne semble pas être le cas pour l'instant.

Le sénateur Forrestall: La gestion des aéroports -- les services de la tour, les services au sol et les services météorologiques -- n'est pas en cause ici, n'est-ce pas?

M. Benoit: NAVCAN, une entreprise privée, gère le système de contrôle de la circulation aérienne. Le gouvernement fédéral a cédé cette fonction. Quant aux services météorologiques, le gouvernement fédéral se cantonne, à juste titre sur le plan des principes, dans le rôle de législateur et d'organisme de réglementation qui voit à la sécurité des aéroports.

Le service de lutte contre les incendies assuré 24 heures sur 24 à l'aéroport d'Ottawa nous coûte plus de 2 millions de dollars par année. Les véhicules à eux seuls coûtent plus de 700 000 $. Pour assurer un pareil service, il faudrait que les petites localités augmentent leurs tarifs. Fait encore plus névralgique, les petits transporteurs, qui assurent habituellement les liaisons très courtes, seraient incapables d'obtenir un rendement sur leur investissement et se retireraient donc du marché. C'est pourquoi nous affirmons que les retombées économiques sur les aéroports ont aussi des impacts sur le maintien des services dans les localités.

Le sénateur Finestone: Nous allons rédiger un rapport. Proposez-vous qu'on envisage, dans ce rapport, que le gouvernement du Canada maintienne les services essentiels dans les petites localités?

M. Benoit: Le gouvernement fédéral perçoit près d'un quart de milliard de dollars chaque année en loyer des aéroports qui ont été privatisés. Aux termes de certains changements projetés aux règlements, des localités perdront leur service aérien parce qu'elles ne peuvent pas se le payer, à moins qu'une partie de cet argent ne soit réinjecté dans le système. Il y a là pour les honorables sénateurs matière à réflexion.

Le sénateur Fairbairn: Vous avez peut-être remarqué que je continue de poser des questions au sujet des petits aéroports et de l'effet qu'aura la situation de cette ligne aérienne particulière sur eux. Dans de nombreuses régions du pays, ces coûts additionnels ont été abolis sur ordre du gouvernement. Maintenant que les ententes sont signées et qu'on a réuni des fonds pour exploiter les aéroports dans un contexte plus déréglementé, voilà qu'on envisage de changer les règles.

De plus, on s'inquiète d'une éventuelle réduction des vols. Il se pourrait que l'on se retrouve avec beaucoup moins d'aéroports au Canada. Il faudrait que les lignes aériennes en prennent conscience parce que, si nous n'avons pas les aéroports, elles ne pourront y poser leurs appareils.

Le sénateur Spivak: Dans le même ordre d'idées, j'aimerais savoir quel rapport il y a entre le loyer exigé et la valeur marchande et comment le gouvernement fédéral justifie la perception de ces loyers, si ce n'est pour réduire le déficit?

M. Benoit: Au début, le gouvernement fédéral avait pour principe que les recettes de l'État ne devaient pas diminuer, après la cession des aéroports. Certains d'entre nous estiment qu'il a depuis lors révisé sa position et qu'il cherche à améliorer ses recettes. Il y a très peu de justifications économiques pour toucher un loyer en rapport avec un aéroport.

Le gouvernement fédéral a réussi à se débarrasser de coûts représentant environ 100 millions de dollars et de quelques milliers d'employés. Il a tout cédé aux entreprises privées. Nous payons un quart de milliard de dollars en loyers. Nous allons mettre en place, au cours des prochaines années, une nouvelle infrastructure, au coût de 5 à 6 milliards de dollars. À la fin du bail, cette infrastructure sera la propriété de l'État. Si j'étais au Conseil du Trésor, j'estimerais avoir fait une très bonne affaire.

Le sénateur Kirby: J'aimerais que vous m'éclaircissiez un point. Est-ce que vous avez un bail foncier? Louez-vous l'immeuble? Que louez-vous au juste? Comment se fait-il, si vous apportez des améliorations aux immobilisations, qu'elles ne vous appartiennent pas?

M. Benoit: En règle générale, dans les grands aéroports, nous avons un bail de 60 ans qui nous permet d'utiliser l'installation.

Le sénateur Kirby: Ce bail vise-t-il les immeubles ou la propriété foncière?

M. Benoit: Il s'applique au terrain et aux bâtiments -- à tout l'aéroport. C'est-à-dire que, pour 60 ans, plus une autre période de 20 ans, nous en avons la jouissance paisible. Toutefois, à la fin du bail, comme les bâtiments se trouvent sur une terre de l'État, ils sont retournés à l'État, que nous les ayons construits ou pas. Par exemple, si nous remplaçons un terminal à Ottawa par un tout nouveau terminal, à la fin du bail, il ne nous appartient pas.

M. Raynor peut peut-être vous parler de la situation des petits aéroports, car elle est différente de celle des grands.

Le sénateur Spivak: Qualifieriez-vous ce loyer de taxe? Nous parlons ici de réduire des impôts et, pourtant, il y a des frais cachés partout.

M. Raynor: Certains l'affirmeraient. Certains organismes internationaux qui surveillent les lignes aériennes et l'aviation, par exemple l'OACI, voient ce loyer comme une taxe déguisée et ont fait des observations à ce sujet.

Pour en revenir au loyer, il est fort intéressant de noter que le loyer a été calculé en fonction de la valeur comptable nette de l'installation, ce que le gouvernement fédéral affirmait être la valeur de la propriété le jour de la cession, bien que chaque bail soit différent.

Cela ne correspond pas aux principes comptables généralement reconnus. Il s'agissait plutôt de principes comptables du gouvernement que certains membres de l'entreprise privée estimaient ne pas correspondre tout à fait à la norme.

Il est intéressant de noter que la valeur de l'investissement initial que le gouvernement du Canada a cédé décroît à mesure que des améliorations sont apportées aux immobilisations, mais que le loyer continue de monter. Il y a là une contradiction. Le loyer augmente durant la période de 60 ans, mais la valeur sous-jacente de ce qui a été cédé décroît en réalité.

Le sénateur Spivak: Qu'en est-il de l'amortissement?

M. Raynor: Il est plus ou moins annulé.

En ce qui concerne les petits aéroports, le réseau national des aéroports est composé des 26 aéroports les plus importants au Canada. En 1984, lorsque l'actuelle Politique nationale des aéroports a été mise en oeuvre, Transports Canada exploitait 150 aéroports environ. On a tout cédé, soit la propriété et l'exploitation, dans le cas des 125 autres. Les présumés 26 grands aéroports, y compris ceux d'Ottawa, de Toronto et de Moncton qui font partie du réseau national, ont été cédés à bail pour 60 ans.

Il existe deux groupes distincts d'aéroports auparavant exploités par Transports Canada. Certains ont été cédés quittes de toutes dettes et charges alors que d'autres ont été loués. Par ailleurs, il y a plusieurs aéroports exploités par des municipalités et des provinces qui ne font pas partie du réseau.

M. Benoit: Les baux exigeaient l'accord des deux parties. Les aéroports et les collectivités en ont accepté les modalités. Je tiens à ce que ce soit parfaitement clair. Les ententes n'étaient peut-être pas commercialement viables ou justifiables, mais les collectivités et les aéroports les ont signées.

Le sénateur Forrestall: J'ai une question connexe au sujet de la surveillance de la situation. Estimez-vous qu'il vous appartient de garder un oeil sur les situations marginales? Je parle maintenant des aéroports. Si vous décidiez de les fermer, cela aurait un impact significatif sur la fiscalité des municipalités. Qui surveille cela du point de vue des municipalités? Vancouver est en train de se transformer en aéroport qu'on préfère éviter. C'est presque la même chose dans le cas de Pearson. Nous construisons ces merveilleux aéroports, puis il faut payer 15 ou 20 $ pour avoir le privilège de les utiliser.

M. Benoit: Souvent, il n'y a pas eu d'investissement fait depuis plusieurs années dans les installations fédérales qui nous ont été cédées, pour diverses raisons, y compris à cause du déficit national.

Le sénateur Forrestall: Je vous demande qui surveille la situation.

M. Benoit: Pour ce qui est d'assurer la surveillance, les collectivités font effectivement des examens. Nous avons aussi des conseils d'administration. Nous sommes des sociétés privées qui gèrent un bien public. Selon moi, nous avons une plus grande obligation de reddition de comptes que si je dirigeais Nortel, par exemple. Ces conseils d'administration incluent des membres de la collectivité. Les nouvelles autorités aéroportuaires canadiennes ont des conseils d'administration de 15 membres au sein desquels le gouvernement fédéral est représenté, tout comme les provinces et les municipalités.

Pour ce qui est des améliorations apportées à Vancouver, si cela n'avait pas été fait, le tourisme en aurait souffert et, partant, l'économie canadienne. Il y aurait eu des engorgements. Cet aéroport assure actuellement des services à 14 ou 16 millions de passagers environ, ce que n'aurait jamais pu faire l'ancienne installation. Toutefois, le gouvernement fédéral n'y injecte pas d'argent. Il faut bien que quelqu'un en paie le prix.

Quant à savoir si nous construisons ou non des Taj Mahals, en bout de ligne, il n'y a qu'un seul consommateur. Vous pourriez dire que vous bénéficiez de cet argent par voie d'exonération du loyer. Cependant, si vous optez pour le principe de l'utilisateur payeur, il faudrait alors que ceux qui utilisent les installations paient des frais contrairement à ceux qui ne prennent jamais l'avion, même s'il y a un avantage économique pour tous. La surveillance sur le plan économique est essentiellement assurée par le marché, actuellement. L'entente que nous avons avec les lignes aériennes pour la perception des droits d'amélioration des aéroports leur confère un véritable droit de consultation de nos documents.

Le sénateur Forrestall: C'est bien. Toutefois, vous êtes en train de me faire un cours d'initiation à la science politique. Ce qui m'intéresse, c'est l'impact de la fusion de Canadien et d'Air Canada et la rationalisation de groupe, par exemple, là où 20 appareils atterrissent. Actuellement, 100 appareils se posent, ce qui produit X dollars de recettes. Si le nombre devait subitement passer à 40 ou à 20 atterrissages par jour, vos recettes baisseraient en conséquence.

M. Benoit: C'est juste.

Le sénateur Forrestall: Qui surveille l'impact que cela pourrait avoir sur les aéroports et sur la capacité des aéroports d'aider les municipalités dans lesquelles ils sont situés?

M. Benoit: Je crois avoir beaucoup mieux saisi votre question maintenant. La politique de l'aviation de 1988 était: «Laissons, jusqu'à un certain point, les forces du marché en décider». S'il y a restructuration de l'industrie, il y aura de nouveaux venus, selon les marchés. Il y aura aussi réduction du nombre de transporteurs dans certaines régions.

Nous avons effectué une étude pas mal complète de notre propre milieu à Ottawa. Elle a révélé que, pendant les deux ou trois premières années, il fallait s'attendre à une diminution du nombre de transporteurs, après quoi le marché se redresserait. S'il y a un marché à servir, il y aura quelqu'un pour assurer le service. S'il n'y a pas de marché, par contre, faudrait-il constamment assurer le service? Voilà une question que devra examiner votre comité.

En fin de compte, une rationalisation se fera. Déjà, sur certains marchés, des transporteurs nous disent: «Si quelque chose survient, nous serions peut-être intéressés à avoir des comptoirs additionnels. Nous aimerions peut-être qu'on nous réserve des portes. Pouvons-nous assurer une liaison à partir de votre aéroport?» S'il n'y a pas de marché, je vous le demande, monsieur, faudrait-il en maintenir un artificiellement?

Le sénateur Forrestall: Parlez-en aux gens de Sydney, en Nouvelle-Écosse.

M. Benoit: Il existe peut-être là-bas un marché suffisamment grand pour qu'on y assure le service.

Le sénateur Forrestall: Et s'il n'y en avait pas? Abandonneriez-vous le secteur industriel de Cap-Breton?

M. Raynor: Du point de vue du Conseil des aéroports du Canada, nous avons fait valoir au gouvernement fédéral à plusieurs reprises, bien avant d'entamer les discussions actuelles sur la restructuration, qu'il fallait tenir compte de la viabilité financière en ce qui concerne les petits aéroports. En termes de marché, de lignes aériennes et de municipalités, je puis vous donner l'assurance que la Fédération canadienne des municipalités suit de très près la situation.

Le sénateur Forrestall: C'est elle qui surveillera la situation, pas votre conseil.

M. Raynor: Nous travaillons de concert avec nos petits aéroports. En fait, les petits aéroports reçoivent plus d'attention que les plus grands, parce que ceux-ci se débrouillent très bien seuls.

Le sénateur Forrestall: Ils ne veulent pas que vous vous mêliez de leurs affaires?

M. Raynor: Je ne crois pas que ce soit la raison, mais c'est possible. Nous travaillons très fort et avec beaucoup de diligence avec les petits aéroports. La réunion que j'ai quittée juste avant de venir ici en témoigne.

Pour ce qui est de l'impact sur la municipalité, c'est en réalité à la municipalité d'y voir. Nous ferons de notre mieux pour qu'il y ait de la concurrence et que de nouveaux transporteurs puissent obtenir des locaux à l'aéroport. C'est l'une des déclarations que nous faisons dans notre document. Il est très important dans tout scénario où il y aurait un transporteur dominant qu'il y ait des installations, tant du côté du service aérien -- par exemple, les ponts et les portes -- et au sol -- les billetteries entre autres -- pour que de nouveaux venus puissent s'installer et que tout l'espace ne soit pas loué à un seul transporteur. Il se pourrait que celui-ci doive en céder. C'est la position que nous avons adoptée.

[Français]

Le sénateur Poulin: Pour reprendre ce que le sénateur Fairbairn disait tantôt au sujet des relations étroites entre les compagnies aériennes et l'Association des aéroports, d'après votre témoignage je dirais que vous avez plus qu'un partenariat mais presqu'une relation matrimoniale.

M. Benoît: Nos relations ne sont pas toujours les meilleures, mais les deux parties reconnaissent qu'elles ont besoin l'une de l'autre: sans avions, les aéroports ne feraient pas beaucoup d'argent et sans aéroports, il y aurait peu d'endroits pour atterrir. Depuis les deux dernières années, on coopère beaucoup avec l'industrie. On n'est pas d'accord sur tout, loin de là.

Le sénateur Poulin: Lorsque vous discutez avec les compagnies aériennes, qu'elle association est votre vis-à-vis?

M. Benoît: L'Association des transporteurs aériens du Canada, ATAC, ou Air Transport Association of Canada.

Le sénateur Poulin: Au cours de vos présentations au ministère des Transports, comme vous avez des liens à court et à long termes avec ce ministère, qui sont vos vis-à-vis?

M. Benoît: Principalement dans notre cas, on transige avec le Groupe des aéroports de Transports Canada et avec le sous-ministre adjoint Ron Sully.

Le sénateur Poulin: Si j'ai bien compris l'image que vous avez peinte de la situation des aéroports aujourd'hui, vous avez bien dit qu'il existe 26 gros aéroports et 125 plus petits aéroports?

M. Benoît: À différents degrés, oui, c'est exact.

Le sénateur Poulin: Vous dites que les problèmes des aéroports sont concentrés surtout dans les petits aéroports à cause des coûts qui sont engagés?

M. Benoît: Pas exclusivement. Le problème est plus important dans les plus petits aéroports. Par contre dans les gros aéroports, on doit ou payer une taxe d'un quart de milliard de dollars par année ou investir cette somme dans nos aéroports et dans nos communautés. Puisqu'on qu'on opère sur une base de caisse, il est très difficile financièrement de faire les deux.

Oui les petits aéroports sont menacés, mais les grands aéroports ont aussi besoin d'une révision de notre relation avec Transports Canada.

[Traduction]

Le sénateur Poulin: Est-ce là qu'intervient la recommandation que vous nous faites de bloquer les loyers?

M. Benoit: C'est une de nos recommandations. Ce serait une première étape, soit mettre fin à la progression des loyers dès maintenant jusqu'à ce qu'on ait trouvé une formule qui maintiendrait stables les recettes de l'État tout en nous permettant d'être ce que souhaitent que nous soyons les collectivités, soit une source de développement économique pour la région.

Le sénateur Poulin: Vous faites, dans votre mémoire, une déclaration qui me semble contradictoire. Ainsi, vous dites dans le mémoire qu'il est important de bloquer les loyers et de fournir une aide supplémentaire aux petits aéroports. Par contre, vous vous opposez à une reréglementation.

M. Benoit: C'est juste, mais je ne crois pas qu'il y ait là un conflit ou une contradiction. Il est question, d'une part, de réglementation et, d'autre part, d'une entente économique entre deux parties. À l'examen de nos transactions commerciales avec l'État, il faut se demander: «Comment pouvons-nous discuter et négocier? Que pouvons-nous faire?»

On a fait l'examen quinquennal des quatre premiers aéroports -- Vancouver, Montréal, Calgary et Edmonton. Cela fait partie du processus d'examen. Je vais vous dire ce que l'ATAC, c'est-à-dire l'Association du transport aérien du Canada -- en somme, les lignes aériennes -- a dit au sujet du rétablissement de la réglementation, affirmation avec laquelle nous sommes entièrement d'accord. Je vous la cite. Elle a dit qu'elle émousserait:

[...] la concurrence, [découragerait] les initiatives et [favoriserait] le recours à une approche du type «coût de production majoré» ou «service public» en matière d'approbation réglementaire du prix du billet, des routes et même de la capacité [...]

Il est impossible de revenir en arrière, à la bonne vieille époque. Ce n'était pas une bonne vieille époque. La situation était artificielle. Il faut situer en contexte la politique du gouvernement, qui a consisté à permettre aux forces du marché d'entrer en jeu autant qu'il est possible dans ce genre de contexte, tout en tenant compte de l'impact sur les petites localités. Avoir à se présenter devant un organisme pour justifier ses tarifs -- c'est ce que faisaient à l'époque les services publics.

Le sénateur Poulin: Afin de nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement des aéroports, pourriez-vous nous décrire comment les aéroports gagnent un revenu? Quelle part de ces recettes est représentée par les droits d'atterrissage et quelle part est attribuable aux concessions, dans le cas des aéroports qui prélèvent directement des frais des passagers? Cela nous permettrait d'avoir une vue plus complète de la situation.

M. Benoit: Les aéroports tirent leurs recettes des droits d'atterrissage, que nous prélevons de nos transporteurs.

Le sénateur Poulin: Si un appareil fait la liaison entre deux villes canadiennes et qu'il se pose à Montréal, quelle que soit la ligne aérienne, quel serait le coût de l'atterrissage?

M. Benoit: Cela varie. La formule est très complexe. Je n'essaie pas d'éviter de vous répondre. Le coût varie selon le nombre de sièges et le poids de l'appareil. Plus l'appareil est gros, plus les droits sont élevés. Dans le cas d'un 747 effectuant un vol international, la taxe d'atterrissage serait de l'ordre de 1 500 $ à 2 000 $, selon l'aéroport, parce que les frais varient aussi selon l'aéroport utilisé. Les frais d'atterrissage d'un petit appareil seraient de 47 $.

Nous tirons des revenus de nos concessions, des restaurants que vous voyez dans les aéroports. Le stationnement à l'aéroport produit un revenu. Nous louons aussi des terres. Nous sous-louons les terres de l'État dont nous avons la jouissance. Les lignes aériennes récupèrent entre 50 et 75 p. 100 à peu près de leurs coûts. Cela varie d'un aéroport à l'autre. D'autres revenus s'y ajoutent, de sorte que la cagnotte grossit.

Le sénateur Poulin: Je remarque qu'il y a beaucoup plus d'espace consacré à la promotion et à la publicité depuis la privatisation des aéroports. Quel pourcentage des recettes est représenté par la publicité à l'aéroport d'Ottawa, par exemple?

M. Benoit: Cela varierait. Malheureusement, je n'ai pas le pourcentage exact. À l'aéroport d'Ottawa, nos recettes sont d'approximativement 35 millions de dollars par année. Nos dépenses atteignent 32 millions de dollars par année environ. Le reste est représenté par de l'argent qu'il faut réinvestir dans l'installation. Le bail nous oblige à réinvestir cet argent.

La publicité dans les aéroports représente probablement un peu plus d'un demi-million de dollars par année. Ce n'est pas la plus importante source de revenus. Il y a dans les aéroports beaucoup de commerces où vous-même, le client, pouvez choisir de dépenser ou de ne pas dépenser. Nous garantissons des prix identiques à ceux que l'on retrouve au centre-ville dans tous nos aéroports au lieu d'augmenter les droits. Ces dernières années, la plupart des aéroports ont essayé de ne pas augmenter les droits imposés aux lignes aériennes.

M. Raynor: Le pourcentage de ce que nous appelons les droits d'aéroports, les droits imposés aux lignes aériennes, par rapport aux droits autres que ceux-ci, entrent dans les recettes qui proviennent de sources non aéroportuaires. Les lignes aériennes paient en fait moins, en termes de pourcentage, qu'elles ne le faisaient avant la commercialisation et la privatisation.

J'aimerais souligner un autre point qui intéresse bien des gens. Les petits aéroports n'ont pas la même capacité et ne peuvent donc pas augmenter leurs recettes non aéroportuaires; ils sont donc doublement touchés. Lorsque leurs coûts augmentent, certains imposés par la réglementation gouvernementale et qui n'existaient pas au moment de la cession, ils doivent absolument les absorber au niveau des lignes aériennes, car la municipalité ne peut probablement pas le faire.

Le sénateur Poulin: C'est un point intéressant, mais vous avez dit que le trafic passagers à l'aéroport de Vancouver est de près de 16 millions de personnes par année. Nous savons que Kuala Lumpur est le plus gros aéroport au monde; je viens de le visiter. Le trafic passagers correspond également à 16 millions de personnes par année, alors qu'on s'attendait à 25 millions de personnes l'année dernière.

M. Raynor: Pour en revenir aux projets d'immobilisations, si la Vancouver Airport Authority n'avait pas pris le contrôle de cet aéroport en 1992, je ne pense pas que le développement aurait été le même que celui que nous constatons aujourd'hui. Sans ce développement, il n'y aurait pas la création d'emplois que l'on connaît dans cette collectivité, directement à l'aéroport, mais aussi dans les environs.

Les aéroports sont le moteur de l'économie de la région. Il y a un lien direct entre ce développement et les améliorations apportées aux aéroports d'une part, et la création d'emplois autant dans les industries aéronautiques que touristiques, d'autre part. Le tourisme est essentiel pour beaucoup de nos petites collectivités.

Je viens juste de déménager de Halifax, et je connais bien Sydney et le Cap-Breton. Le Cap-Breton profite énormément de l'existence d'un aéroport international à Halifax et d'un aéroport à Sydney. Le tourisme ne marcherait pas aussi bien si ces aéroports n'étaient pas exploités de manière efficace et s'ils n'obtenaient pas le service de lignes aériennes concurrentes.

Le sénateur Poulin: Je vous remercie de vos observations qui, à mon avis, sont très importantes pour notre rapport. Merci.

Le sénateur Finestone: J'aimerais aborder la question des créneaux, mais je voudrais tout d'abord poser des questions suite à celles posées précédemment.

J'imagine que vous cherchez avant tout le confort de vos passagers et la rapidité du service.

M. Benoit: Effectivement.

Le sénateur Finestone: Si tel est le but, que pouvez-vous faire pour éliminer les longues files d'attente et pour accélérer l'enregistrement des bagages? Comment faire en sorte que les gens ne ratent pas leur vol à cause des longues files d'attente? Ne pourriez-vous pas prévoir une personne qui aiderait les passagers dont les bagages sont lourds, surtout qu'en général, les passagers ont dépassé la tranche des 25 -- 35 ans. Il faudrait prévoir des bagagistes; il faudrait prévoir des comptoirs où il y a plus d'un ou deux agents lorsque près de 100 personnes font la queue.

Dernier point, mais non des moindres, je crois qu'une réponse a été donnée à la question posée par le sénateur Fairbairn au sujet des petits aéroports: si vous deviez réduire le nombre d'atterrissages, peut-être pourriez-vous vous baser sur le nombre de passagers et non sur le nombre d'atterrissages. Pourriez-vous envisager une telle approche de manière à mieux régler les questions de location et de revenu?

Ce qui m'inquiète, c'est que le confort du passager est compromis: le client dispose de moins d'espace à cause de l'activité commerciale; il y a un nombre restreint de comptoirs et il y a moins de personnel dans tous les domaines; il n'y a pas de personnel pour vous aider avec vos bagages. Voyager n'est pas du tout confortable. Il faut se présenter des heures à l'avance uniquement pour être sûr de ne pas rater son avion.

Lorsque vous aurez répondu à ce sujet, je poserai une question à propos des créneaux.

M. Benoit: Sans vouloir détourner la question ou la mettre de côté, je dois dire que ce sont les lignes aériennes qui détachent du personnel aux comptoirs d'enregistrement.

Le sénateur Poulin: Pourriez-vous prévoir dans votre contrat un peu plus d'humanité?

M. Benoit: Pour ce qui est de notre contrat, les lignes aériennes louent de l'espace aux aéroports. Certains aéroports sont congestionnés et il se peut qu'il n'y ait pas suffisamment d'installations s'il on a déjà dépassé la capacité du bâtiment. C'est ce qui arrive dans le cadre de projets de construction.

Vous voudrez peut-être poser directement aux lignes aériennes la question relative à l'enregistrement et aux files d'attente au lieu de demander à une tierce partie d'y répondre.

En ce qui concerne le tarif par passager, par siège, par livre, ou par poids, au bout du compte, il s'agit toujours de dollars. Peu importe le nombre de passagers ou la masse à l'atterrissage d'un avion, ce qui compte, c'est l'argent. Nous travaillons depuis une année avec l'Association du transport aérien pour essayer d'arriver à une formule plus équitable, sans avoir encore trouvé de solutions. On en revient toujours à la manière de comptabiliser les choses.

Le sénateur Finestone: Cette question a été posée au sujet des petits aéroports, même si l'on ne cesse de me dire que Lethbridge n'est pas petit.

Pour ce qui est des passagers et de la considération à leur égard, nous nous souvenons d'un incident fort malheureux qui s'est produit pendant la nuit dans un petit aéroport du Québec à cause de l'éclairage qui était insuffisant; le sol n'avait pas été déneigé, il n'y avait pas de services d'ambulance et personne n'était là pour appeler de l'aide. J'espère que de tels incidents ne se reproduiront plus une fois que vous aurez terminé votre travail.

Pour ce qui est des créneaux, ce que vous dites est pertinent, à savoir que les créneaux sont une commodité publique et non privée. Ce matin, nous avons entendu quelqu'un de très intéressant qui représente Canada 3000. Il nous a demandé comment nous pouvions nous attendre à ce que sa société puisse soutenir la concurrence que lui impose un transporteur important qui dessert des routes nationales, internationales et interrégionales et qui, ce faisant, s'approprie tous les créneaux. D'après son témoignage, plus des deux tiers des créneaux à l'aéroport Pearson sont contrôlés par Air Canada et Canadian. Si je me souviens bien, il a dit que 82 créneaux sont disponibles toutes les heures et que les deux tiers de ces créneaux reviennent aux grandes lignes aériennes.

Le sénateur LeBreton: Il a également dit qu'entre 4 et 8 heures, il n'y a pas de créneaux pour les petits transporteurs.

Le sénateur Finestone: Comment convaincre les lignes aériennes que ces créneaux doivent être disponibles? Vous ne pensez pas qu'il soit nécessaire d'imposer une réglementation dans ce domaine, mais comment peut-on avoir un contrôle sur une ligne aérienne qui dessert tous les genres de routes sans pour autant avoir à soutenir de concurrence crédible?

M. Benoit: Nous comprenons votre préoccupation. Au lieu de parler d'un cas hypothétique, je vais vous donner un exemple concret. Il y a plusieurs années, une petite ligne aérienne du Québec voulait offrir un service entre St. Hubert et Toronto/Pearson mais ne pouvait obtenir de créneaux pour le retour entre 16 et 18 heures. Je travaillais aux Aéroports de Montréal à l'époque. Le passager qui prenait ce transporteur le matin pour relier St. Hubert à Pearson devait revenir via Dorval l'après-midi et se débrouiller pour aller chercher sa voiture de l'autre côté du pont.

Selon nous, les créneaux sont une commodité publique et non privée. Les lignes aériennes exploitent ou utilisent les créneaux, mais nous ne pensons pas qu'elles devraient pouvoir se les échanger. Les créneaux non utilisés devraient être remis aux aéroports, lesquels se chargeraient de les redistribuer. En cas de rationalisation qui se traduirait par une diminution du nombre de vols dans tous les marchés, ces créneaux pourraient être remis à l'aéroport.

Les aéroports sont en faveur de la compétition; peut-on dire la même chose des monopoles? Je vous pose la question. Nous avons avantage à accommoder autant de transporteurs et de vols que nos marchés le permettent.

Il arrive que des créneaux ou des comptoirs de billets ne soient pas utilisés. Cela pourrait bien faire l'objet d'une recommandation d'un comité. Les lignes aériennes devraient savoir que si elles ne s'en servent pas, elles les perdent. Il ne devrait pas y avoir de transfert aux transporteurs partenaires de la part des lignes aériennes. Un créneau qui n'est pas utilisé devrait être remis à l'aéroport pour être redistribué.

La même chose devrait s'appliquer aux routes internationales, car beaucoup ne sont pas utilisées sur le marché. J'ai entendu des représentants de lignes aériennes dire que la vente de leurs routes leur rapporterait 90 millions de dollars. Je demande si ces routes sont la propriété des lignes aériennes ou celle des Canadiens. Devraient-elles appartenir au gouvernement, lequel les redistribuerait lorsqu'elles ne sont pas utilisées? Ce débat se poursuit depuis des années au sein de l'industrie.

Le sénateur Finestone: Ne faudrait-il pas se demander alors si une réglementation s'impose pour permettre de fixer des règles et d'en assurer le respect? Les directeurs d'aéroport pourraient alors redistribuer un créneau où un comptoir non utilisé à ceux qui sont sur la liste d'attente. Le système actuel est contre-productif et anticoncurrentiel.

M. Benoit: À mon avis, il n'est pas utile de prévoir une réglementation pour assurer le respect des règles. Cela pourrait se faire sur ordre de Transports Canada qui dirait: «si vous n'utilisez pas le créneau, par exemple, vous le perdez.»

Dans notre mémoire, nous exposons trois conditions préalables à une gestion efficace de l'aéroport sans qu'il ne soit nécessaire de passer par le long processus de réglementation et de présentation à l'Office des transports du Canada. L'OACI et l'IATA ont des normes qui pourraient être reprises, fournissant ainsi une solution à trois volets, comme nous le proposons dans notre mémoire, sans qu'il soit nécessaire de passer par le processus de réglementation.

Le sénateur Finestone: Dans un sens, cela répondrait partiellement aux questions que nous posons au sujet de la concurrence.

M. Raynor: Je crois que oui. Nous avons besoin d'un cadre réglementaire afin de permettre aux administrations aéroportuaires d'avoir des règles et des principes clairs. Les administrations aéroportuaires sont là pour le bien-être de la collectivité et assurent une surveillance et une bonne gestion au plan local. Elles sont les mieux placées pour assurer le meilleur service possible aux consommateurs sur leurs marchés dans la mesure où elles se servent correctement de leurs créneaux.

Le sénateur Fairbairn: Lorsque nous avons parlé des petits aéroports, vous avez indiqué que l'aéroport d'Ottawa -- qui est un grand aéroport -- arriverait probablement à survivre même s'il enregistrait un déclin pendant une période de 2 ans. Toutefois, si un tel déclin se produisait dans un tout nouvel aéroport, celui-ci serait sans doute condamné à la fermeture. Vu l'étendue de notre pays vers l'est, vers l'ouest, vers le nord et vers le sud, les fermetures d'aéroport ne deviennent -elles pas à un moment donné une question de politique publique, puisque ces aéroports fournissent un service essentiel aux Canadiens?

M. Raynor: Votre question est très pertinente et il se peut que nous en arrivions à ce point, si le niveau de service et les recettes diminuent considérablement dans les petits aéroports. Depuis deux à trois ans, la viabilité financière des petits aéroports du Canada sont un sujet de préoccupation pour nous. Ces aéroports sont essentiels. Vous avez donné un peu plus tôt l'exemple de Fort McMurray où on ne peut pas facilement se rendre par un autre moyen de transport.

La viabilité financière à long terme des aéroports est un sujet de préoccupation. Nous devons prévoir l'évolution des choses et prendre les mesures qui s'imposent; cela s'inscrirait dans le cadre d'une politique publique. Nous avons déjà fait part de cette préoccupation au gouvernement fédéral.

M. Benoit: Il existe au gouvernement fédéral une politique à propos des aéroports de l'Arctique et du Nord; il n'y a pas de déréglementation. Cette politique -- ou une variante -- pourrait bien convenir à des petites collectivités. Certains aéroports de l'Arctique fonctionnent virtuellement dans un contexte de réglementation en ce qui concerne le service. Il faudrait peut-être élargir cette politique.

Ce que nous craignons, c'est un retour à la réglementation. Nous ne voulons pas revenir 30 ans en arrière. Certains systèmes actuels peuvent être adaptés pour fournir des solutions, comme par exemple le système des créneaux.

Dans certaines régions, on retrouve trois ou quatre aéroports à une demi-heure de distance les uns des autres. Sont-ils tous nécessaires? Peut-être que non. Cependant, toutes les régions doivent être desservies. L'approche que nous adoptons à l'égard des aéroports de l'Extrême-Arctique pourrait s'appliquer à certains endroits comme Fort McMurray. Cette politique est déjà en place.

M. Raynor: On retrouve d'autres exemples dans d'autres compétences. Nos amis du Sud ont une politique qui leur permet d'offrir des subventions d'exploitation à tout transporteur qui dessert certaines petites collectivités. Au lieu de réglementer ou de fixer les prix, le gouvernement pourrait offrir des incitatifs aux transporteurs pour les tenter de desservir les petites collectivités. C'est une approche que l'on pourrait peut-être envisager.

Le sénateur Fairbairn: Les petites collectivités ne sont pas nécessairement éloignées.

M. Raynor: C'est tout à fait vrai.

La présidente: Merci.

Le sénateur Finestone: Je ne pense pas avoir obtenu de réponse à ma question. Peut-être n'ai-je pas été suffisamment claire. J'aimerais reprendre la question de la convivialité. J'ai parlé des personnes âgées, des couloirs et des files et de ce que vous pourriez faire pour alléger les problèmes dans ces domaines. Laissons-de côté la question des longues files d'attente et le fait qu'il n'y ait pas d'endroit pour s'asseoir, ce qui est un problème grave. Si le tapis roulant ne fonctionne pas, qui en est responsable; ne pourrait-on pas prévoir de petites voitures qui amèneraient les gens jusqu'à l'aire d'embarquement? Pourquoi n'y a-t-il pas de bagagistes à l'entrée? Pourquoi ne prévoit-on pas, dans certains cas, des sièges pour ceux qui ne peuvent pas rester debout 20 ou 30 minutes? Quelles réponses pouvez-vous donner et qui est responsable?

M. Benoit: Le tapis roulant est la responsabilité de l'aéroport. Chaque aéroport doit s'assurer qu'il fonctionne ou qu'il existe un système de remplacement.

Pour ce qui est des lignes d'attente aux comptoirs d'enregistrement, il faut essayer de savoir pourquoi. Est-ce parce qu'il y a 20 comptoirs et seulement quatre agents de service? Dans ce cas-là, je crois qu'il faut chercher les responsables ailleurs. Certains aéroports ne peuvent pas matériellement avoir plus de comptoirs et c'est là que les délais de construction sont importants. Nous essayons tous de rendre le système plus convivial. Mis à part les quatre premiers aéroports qui ont été cédés en janvier 1992, tous les autres l'ont été à compter de décembre 1996 et janvier 1997. Nous avons en fait hérité de ces installations et nous essayons de les améliorer.

Le sénateur Kirby: Votre mémoire est excellent. En tant que comité, nous voudrons sans doute revenir sur la question du service essentiel. Le sénateur Forrestall et moi-même avons l'expérience de ce processus, dans un contexte toutefois entièrement différent, celui des «ports pour petits bateaux» où nous sommes d'accord depuis au moins 20 ans; la question du service essentiel qu'offre le petit aéroport est exactement la même.

La présidente: Nous avons comme prochains témoins des représentants du Syndicat canadien de la fonction publique, Division des lignes aériennes.

Bienvenue à notre comité.

Mme Judy Darcy, présidente nationale, Syndicat canadien de la fonction publique: Je suis accompagnée aujourd'hui de Denise Hill, présidente de la Division des lignes aériennes du SCFP; de Richard Balnis, attaché de recherche en chef spécialisé dans les questions aériennes; et de Pam Beattie, adjointe exécutive à la présidence.

J'aimerais vous remercier de nous donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. Nous n'avons qu'une présentation orale, car nous n'avons disposé que d'un court préavis pour cette comparution. Veuillez m'excuser de ne pas vous présenter de mémoire écrit aujourd'hui, mais nous avons toutefois un document qui remonte à deux ans et qui représente la position du Congrès du travail du Canada, position conjointe mise au point en réponse à la dernière crise des Lignes aériennes Canadien il y a trois ans. Un comité avait été constitué par le ministre des Transports et tous les syndicats du transport aérien ont rédigé un rapport conjoint que le Congrès du travail du Canada a intitulé: «La tête dans le sable».

Nous sommes le plus important syndicat canadien. Nous représentons 470 000 travailleurs et travailleuses des secteurs public et privé. Plus particulièrement, aux fins de la discussion d'aujourd'hui, bien que bon nombre de nos membres fassent partie du public voyageur tout comme vous, nous sommes venus ici pour vous parler plus particulièrement des préoccupations des membres du syndicat qui font partie du service aérien. Ainsi, nous représentons approximativement 9 500 agents de bord et 11 transporteurs -- Air Canada, Air Nova, Air Ontario, Air Transat, Canadien, Canadien régional, Calm Air, First Air, InterCanadien, Royal Air et Cathay Pacific de Vancouver --, voire d'autres groupes à mesure que nous continuons de les mettre sur pied.

Pourquoi sommes-nous tous réunis ici aujourd'hui? Si on remonte au 13 août, quand le gouvernement a invoqué l'article 47 en vue de faciliter la restructuration des transporteurs aériens, l'expérience, celle de nos membres et des Canadiens, nous apprend que le chaos règne depuis lors dans l'industrie. En toute franchise, nos membres et leurs familles ont vécu 12 semaines d'enfer. À ce stade-ci, rien ne porte à croire qu'il y a de la lumière au bout du tunnel. Je crois que nous avons tous ce sentiment. Les prochains mois ne seront pas faciles.

Votre comité pas plus que les Canadiens n'ignorent que cette restructuration a aussi créé beaucoup d'animosité chez les travailleurs des lignes aériennes. C'est malheureux parce que, à un certain moment donné, il faudra bien que bon nombre de ces employés travaillent côte à côte. La situation est très difficile à cause des graves problèmes de moral que cela a créé, ainsi que du climat d'incertitude entourant l'avenir de ces employés.

Les agents de bord et les autres travailleurs de lignes aériennes ont été traités comme des pions dans une autre série de restructurations internes qui, selon nous, sont le résultat d'une instabilité inhérente de l'industrie actuelle créée par la déréglementation. Les témoins qui ont comparu avant nous à cet égard ont émis des opinions différentes. La réglementation ne nous fait pas peur, et il se trouve que nous revoilà -- le pays, le gouvernement -- en train d'en parler à nouveau.

L'avenir de notre industrie, des emplois de nos membres, du service aux collectivités et de l'accès des collectivités au réseau national de transport fait la manchette tous les jours. Nous aimerions commencer par vous parler de la manière dont nous croyons en être arrivés là. Nous ne nous vantons pas de vous l'avoir prédit. Toutefois, il importe selon nous de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Nous avons l'intime conviction que l'industrie traverse actuellement une crise née directement du refus du gouvernement fédéral d'assumer un rôle de leadership, de mettre en place un cadre d'orientation qui assurait la viabilité des transporteurs aériens canadiens.

Votre comité peut jouer un rôle important en vue de combler cette lacune. Nous croyons savoir qu'on vous a confié une tâche particulière, soit d'examiner le décret annoncé par le gouvernement en vertu de l'article 47. Toutefois, d'après ce qui s'est dit jusqu'ici, il est clair que votre mandat va beaucoup plus loin et il faudrait, selon nous, qu'il soit encore plus général si vous voulez jouer un rôle utile auprès de la population et du gouvernement canadiens.

Il est essentiel qu'on presse le gouvernement d'agir tout de suite en vue de rétablir la confiance du consommateur dans l'avenir des transporteurs aériens canadiens, sujet auquel nous reviendrons tout à l'heure. Il est crucial que votre comité fasse des recommandations au sujet des critères exécutoires qui feront partie du projet de loi déposé par le ministre concernant l'approbation de la restructuration des transporteurs aériens. Enfin, il est impératif que vous pressiez également le gouvernement de trouver des solutions à long terme en vue de mettre en place le cadre d'orientation à long terme voulu pour assurer la viabilité des transporteurs aériens canadiens. Voilà les trois sujets dont nous souhaitons vous entretenir aujourd'hui.

Tout d'abord, pour ce qui est des conséquences défavorables de la déréglementation de l'industrie aérienne, en tant que Canadiens, nous vivons des crises périodiques de cette industrie depuis qu'elle a été déréglementée. Le pays les a non seulement vécues, mais elles ont accaparé toutes ses énergies -- par exemple, en 1992 et en 1993 et, à nouveau, en 1999.

À notre avis, ces crises périodiques continueront de survenir tant qu'on n'aura pas mis en place une réglementation intelligente adaptée au contexte actuel et futur. Nous estimons que ces crises ont directement rapport au comportement des entreprises autorisé et favorisé par la déréglementation. En raison de cette déréglementation, le gouvernement n'a plus le pouvoir d'intervenir pour en arriver à un juste équilibre des forces de la concurrence, d'une part, et de la protection de l'intérêt public, d'autre part.

Depuis la déréglementation, les exigences d'entrée sur le marché et de sortie de celui-ci ont été assouplies, ce qui a permis aux entreprises de restructurer l'industrie selon leurs propres intérêts, sans tenir compte de l'intérêt public. L'expérience canadienne nous a appris que les sociétés libres d'agir à leur guise ont semé le chaos périodiquement dans notre industrie et qu'elles continueront de le faire.

Malheureusement, au cours des trois derniers mois, les racines profondes de la crise actuelle, soit la déréglementation et l'inaction du gouvernement fédéral, ont été occultées dans le débat. Il est essentiel qu'on en discute dès maintenant.

Le véritable enjeu est le rôle que doit jouer le gouvernement pour faire en sorte que, quelle que soit la solution qui prévaut à la fin de la crise actuelle, nous avons une industrie du transport aérien viable et que nous préservons le plus d'emplois possibles dans le secteur aérien canadien. Cela sous-entend qu'il existe des solutions à court et à long terme que doit appliquer le gouvernement fédéral.

J'aimerais maintenant vous entretenir de la crise immédiate que vivent les Lignes aériennes Canadien et qui compromet l'avenir du transporteur. L'entreprise privée ne propose pas actuellement de solution pour la restructuration ordonnée de l'industrie du transport aérien. Onex a retiré son offre. Air Canada n'a pas encore rendu son offre officielle. M. Milton aurait déclaré qu'il le fera d'ici une semaine environ. On ignore encore quel rôle peut jouer ou jouera American Airlines dans le dossier des Lignes aériennes Canadien, étant donné le retrait d'Onex.

Le résultat de cette incertitude, c'est que Canadien tel que nous le connaissons est extrêmement vulnérable. Il y a quelques semaines, M. Benson aurait déclaré que la compagnie n'avait assez d'argent que pour quelques mois. En toute franchise, si le consommateur continue de perdre confiance, nous serons aux prises avec une crise encore plus grave avant cette échéance. Le consommateur pourrait facilement perdre entièrement confiance en quelques jours, ce qui aurait de très lourdes conséquences sur le bilan de la compagnie.

Étant donné la responsabilité qu'a le gouvernement fédéral à l'égard de l'avenir de l'industrie, il faudrait qu'il prenne des mesures pour rassurer les consommateurs au sujet de Canadien en attendant que soit faite une autre proposition viable de restructuration de l'industrie et que des solutions législatives et réglementaires à long terme aient été élaborées. Nous savons qu'il y aura des offres et des contre-offres. Nous ignorons combien de temps durera le processus. Nous affirmons qu'il faut qu'il y ait des solutions réglementaires à long terme et nous continuerons d'en réclamer. Toutefois, il faudra incontestablement agir à court terme afin d'aider Canadien. La restructuration de l'industrie prend plus de temps qu'il n'avait été prévu à l'origine en raison de l'inaction et de l'inaptitude du gouvernement fédéral. Si Canadien demande au gouvernement fédéral des garanties de prêt afin de pouvoir survivre à la crise, je crois qu'il faut que le gouvernement fédéral les donne.

Nous l'avons certes réclamé en 1992, quand une fusion d'Air Canada et de Canadien était dans l'air. Cette proposition ne s'est pas réalisée. Elle avait l'appui des libéraux, qui étaient dans l'opposition à l'époque, quand Jean Chrétien était chef de l'opposition. Nous avons aussi talonné le premier ministre Mulroney sur cette question, comme de nombreux autres, y compris, j'en suis sûre, certains d'entre vous. Une aide financière avait été offerte. Nous croyons qu'elle s'impose peut-être à nouveau.

Le deuxième sujet que je souhaite aborder avec vous concerne l'approbation par le gouvernement d'une convention des actionnaires. Le 26 octobre, le ministre des Transports, M. Collenette, a fait savoir qu'il déposerait un projet de loi sous peu conférant, à lui et au conseil des ministres, le pouvoir d'approuver avec effet rétroactif toute mesure de restructuration de l'industrie du transport aérien. Je crois comprendre que les échéances ont été reportées et que cela se fera maintenant au début de décembre.

Les critères d'approbation établis dans le décret pris aux termes de l'article 47 ou ce projet de loi ont suscité un vif débat au cours des dernières semaines et des derniers mois. Ces critères ne devraient être inscrits dans le projet de loi qu'après un débat parlementaire complet et la consultation des Canadiens. Votre comité peut aider à favoriser ce débat. Il est essentiel que votre comité donne au gouvernement son opinion au sujet de ces critères pour qu'il ait une base sur laquelle appuyer sa décision définitive, quand il approuvera ou rejettera une proposition des actionnaires.

Une foule de promesses ont été faites aux travailleurs des lignes aériennes et aux Canadiens au cours des derniers mois et des dernières semaines. Certaines d'entre elles ont pris la forme d'engagements sans grande substance. Le ministre fédéral des Transports a pris cinq engagements. Des sociétés ont pris d'autres engagements et ont fait d'autres promesses. Certaines étaient meilleures que les autres. Il faudra fixer et rendre précis les engagements pris à l'égard des employés par les sociétés et par le ministre des Transports avant de les inclure dans un projet de loi.

J'aimerais maintenant passer à ce que devraient être ces critères. Le premier a rapport aux protections actuellement offertes aux travailleurs, notamment pas de mises en disponibilité ou de réinstallations involontaires, des incitatifs bonifiés à la retraite anticipée et des indemnités de départ involontaire en vue de mitiger les pertes d'emploi. Le deuxième critère concerne l'équité salariale et la protection des salaires. Le troisième engage la protection des surplus de la caisse de retraite et leur utilisation pour le bénéfice des employés des transporteurs aériens. Le quatrième critère est la protection des emplois futurs des Canadiens en empêchant la fuite des emplois à l'étranger, une menace très réelle dans certains scénarios. Le cinquième critère est la protection des droits existants des agents de bord et des autres employés des lignes aériennes. Il faut par ailleurs qu'ils aient le droit d'être traités avec respect et dignité dans leur milieu de travail. Le sixième critère est la protection des transporteurs régionaux et des compagnies de charters qui assurent une liaison dans le Nord ou à destination de celui-ci. Le septième critère est le maintien du service dans toutes les collectivités canadiennes, particulièrement dans le Nord et dans les petites localités. Le huitième est le maintien de tarifs aériens raisonnables et du service dans les deux langues officielles.

Il faut exiger le respect de ces critères de manière exécutoire dans le processus d'approbation des sociétés que le conseil des ministres affirme vouloir suivre. Il faut aussi que le respect de ces engagements soit surveillé et que des peines soient imposées à ceux qui ne les respectent pas.

Nous répétons ce que nous avons dit au ministre des Transports Collenette lorsque nous l'avons rencontré, il y a plusieurs semaines. Un vague énoncé de politique ne suffira pas. Il faudra l'étoffer. Nous avons besoin de critères concrets, et il faut pouvoir les faire respecter. De plus, il faut que le gouvernement fédéral fournisse de l'aide aux travailleurs qui seront touchés par la restructuration de l'industrie, y compris une aide financière et une allocation de recyclage. On a certes offert des ressources financières considérables pour le recyclage et la réadaptation des travailleurs quand l'industrie du chemin de fer s'est restructurée. Nous estimons que les travailleurs du transport aérien ont droit aux mêmes égards.

À plus long terme, nous croyons qu'une convention des actionnaires approuvée par le gouvernement sera sans effet si des mesures ne sont pas prises pour assurer la viabilité à long terme de l'industrie canadienne. Par là, il faut entendre que nous cherchons à obtenir de la part du ministre des Transports et du gouvernement du Canada l'engagement qu'ils mettront en place une nouvelle orientation et un nouveau cadre fiscal et réglementaire qui favoriseront la viabilité de l'industrie du transport aérien au Canada.

La première chose à faire -- à nouveau, vous en trouverez une description dans un document qui a été présenté il y a quelques années -- consiste à mettre fin aux politiques du gouvernement qui minent la compétitivité des transporteurs aériens canadiens sur certaines plans comme les taxes sur le carburant, les frais d'utilisation, les loyers et l'impôt. Vous en trouverez une description dans notre document intitulé «La tête dans le sable».

La deuxième étape consiste, pour le gouvernement fédéral, à commencer à élaborer des stratégies efficaces en vue de promouvoir une industrie du transport aérien bien administrée et viable, des stratégies qui favorisent un transport aérien fiable et sûr grâce à une concurrence encadrée plutôt que destructive. Je souligne l'expression «concurrence encadrée» parce que la concurrence que nous avons vécue jusqu'ici est représentée essentiellement par deux grands transporteurs qui se partagent le marché. Ce que nous avons vu au cours des dernières années est une concurrence destructive qui n'a profité à personne, surtout pas au consommateur, au public voyageur et aux employés des transporteurs aériens.

Il faut aussi que ces stratégies comprennent le maintien d'un contrôle canadien efficace sur tout réseau de transport restructuré. Il faut que les stratégies maximisent des emplois syndiqués décemment rémunérés dans l'industrie du transport aérien. Ce serait à l'avantage non seulement des employés, mais également des collectivités. Il faut empêcher l'exode des emplois et des contrats à l'étranger et il faut protéger les droits des employés des transporteurs aériens -- particulièrement, dans le cas qui nous préoccupe, des agents de bord.

Comme je l'ai mentionné au départ, ces mesures sont décrites dans les recommandations faites par le Congrès du travail du Canada dans un document de novembre 1997 intitulé «La tête dans le sable», dont vous avez reçu un exemplaire aujourd'hui.

Ces recommandations prônent la réglementation nationale de la capacité, des routes, des tarifs, de la santé financière et de la viabilité commerciale des transporteurs aériens ainsi que des droits des travailleurs. Nous avons l'intime conviction qu'il faut que le gouvernement se concentre sur des changements de longue durée à ces règles de base de la réglementation s'il veut prendre des mesures efficaces, sans quoi nous serons constamment entre deux crises. Nos membres ont constaté par eux-mêmes que les solutions volontaires proposées par les sociétés sont incompatibles avec ces règles de base et seront incapables, par définition, de promouvoir l'intérêt public dans le transport aérien. Manifestement, les sociétés ont montré, depuis la déréglementation du transport aérien, qu'elles étaient incapables de gérer le transport aérien dans l'intérêt des Canadiens.

En guise de conclusion, j'aimerais simplement dire, comme nous l'avons très clairement fait ressortir dans une publicité qui est parue aujourd'hui dans le Globe and Mail et dans La Presse, que le temps des excuses est révolu. Il faut offrir une aide à court terme à Canadien, si elle le demande. Il faut adopter des critères qui feront l'objet d'un débat public et qui seront applicables dans le cadre de toute convention des actionnaires approuvée par le gouvernement et il faut aussi adopter des solutions législatives et réglementaires à plus long terme.

Nous exhortons le gouvernement du Canada à cesser de se soustraire à ses responsabilités et à énoncer une politique du transport aérien musclée. Nous vous demandons en outre de faire pression en ce sens sur le gouvernement du Canada. Par là, il faut entendre que l'industrie a besoin d'une concurrence encadrée, d'une protection des travailleurs des transporteurs aériens, du maintien du service aux collectivités et de la réglementation de l'industrie dans l'intérêt des Canadiens.

Le sénateur Forrestall: À combien s'élève votre budget de publicité?

Mme Darcy: L'annonce à laquelle j'ai fait allusion est en réalité la première, sénateur, mais je puis vous affirmer que ce genre d'annonces coûte très cher. C'est la seule annonce que nous avons fait paraître.

Le sénateur Forrestall: On a émis beaucoup de conjectures, chez les transporteurs aériens, au sujet de l'avenir du syndicat selon différents scénarios. Puis-je vous décrire le scénario actuel? Combien de membres de votre syndicat travaillent dans l'industrie du transport aérien actuellement?

Mme Darcy: Nous représentons 9 500 membres. Parlez-vous des agents de bord?

Le sénateur Forrestall: Pouvez-vous vous limiter aux travailleurs d'Air Canada et de Canadien?

Mme Darcy: Des employés de l'industrie du transport aérien en général?

Le sénateur Forrestall: Non. Seulement d'Air Canada et de Canadien.

Mme Denise Hill, présidente, Division des services aériens: À eux deux, Air Canada et Canadien emploient approximativement 8 000 agents de bord, et approximativement 800 autres sont employés par des transporteurs régionaux affiliés à Air Canada et à Canadien.

Mme Darcy: Il faut les inclure parce qu'ils en font partie.

Le sénateur Forrestall: Donc, il y en a à peu près 9 000?

Mme Darcy: Oui.

Le sénateur Forrestall: Dans un an, si l'offre d'Air Canada est acceptée par les actionnaires de Canadien, pouvez-vous nous dire combien d'employés vous pensez représenter? Je cherche à savoir combien de membres vous perdrez.

Mme Hill: Malheureusement, Air Canada ne nous a pas fourni de détails. Comme elle n'a pas fait d'offre officielle à Canadien, il n'existe pas de circulaire qui nous permettrait de nous faire une idée de ce que nous réserve l'avenir. Nous ne disposons pas des chiffres, de sorte que nous ne savons pas quelle sera la situation dans un an.

Le sénateur Forrestall: Ne vous en faites pas. Air Canada refuse de nous les communiquer, à nous aussi.

C'est dommage. Un bon matin, vous allez vous réveiller en vous demandant quelles seront les conséquences pour vos membres.

Mme Darcy: Voilà une question que devrait leur poser le comité et qui devrait faire partie des critères du gouvernement.

Le sénateur Forrestall: Je suis sûr que vous y avez réfléchi. Qu'arrivera-t-il s'ils ne prennent pas votre annonce au sérieux, s'ils n'agissent pas rapidement, que Canadien fait faillite et met à pied tous ses employés?

Mme Darcy: Si Canadien fait faillite, 16 000 emplois environ seront perdus, et je ne crois pas que le Canada puisse se permettre de ne rien faire.

Le sénateur Forrestall: Combien de vos membres cela inclurait-il?

Mme Hill: Trois mille environ.

Le sénateur Forrestall: Un grand nombre de familles seraient affectées. Il n'y a là rien de rassurant pour elles, n'est-ce pas?

Mme Hill: Pas dans la situation actuelle. Comme nous l'avons dit, nous n'avons pas vu d'offre officielle d'Air Canada nous permettant de nous faire une idée du sort que connaîtra Canadien. Quand j'ai pris l'avion ce matin pour venir ici, j'ai croisé beaucoup de travailleurs de Canadien et ils ont le moral assez bas.

Le sénateur Forrestall: Je n'en doute pas. Pour ce qui est de la reréglementation ou de la gestion de certains aspects de l'industrie, en excluez-vous les nouveaux venus, faudrait-il laisser un vide juridique? Quelle est votre attitude par rapport à la protection des emplois et à ces autres domaines dont vous êtes responsable? Votre approche serait-elle différente, la prochaine fois?

Mme Hill: En ce qui concerne les nouveaux transporteurs, nous avons toujours soutenu que le gouvernement ne peut pas continuer à émettre de nouveaux permis si la population d'une ville ou du pays ne justifie pas l'ajout de plus de sièges. Nous avons dit qu'il faut effectuer une meilleure étude pour savoir s'il est logique d'autoriser de nouveaux venus sur le marché. On a pu voir ce qui s'est produit. On a mentionné ce matin Intair et Greyhound. Ils ont fait faillite parce qu'il n'y avait pas suffisamment de passagers. Malheureusement, dans ces cas-là, la plupart des emplois n'étaient pas syndiqués. Leurs employés étaient sans protection. Ils ont donc été licenciés sans protection.

Il faut que le gouvernement évalue la demande avant d'autoriser l'entrée de nouveaux venus sur le marché. Il ne l'a pas fait par le passé. C'était l'anarchie. Cela a entraîné une surcapacité, un des problèmes avec lesquels nous sommes aux prises aujourd'hui.

Le sénateur Forrestall: Vous aimeriez que l'on exige plus que d'être simplement apte, disposé et capable.

Mme Hill: Oui.

Le sénateur Kirby: Jusqu'à votre tout dernier commentaire, j'étais d'accord avec une bonne partie de ce que vous avez dit. Par contre, votre dernière observation, soit qu'essentiellement il faudrait que le gouvernement empêche les nouveaux de pénétrer le marché, car ils pourraient y laisser leur chemise, me cause beaucoup de difficultés. Toute l'économie de marché s'appuie sur la notion que l'entreprise peut échouer. On peut affirmer que, parce qu'une entreprise a échoué, de nombreuses personnes perdent leur emploi, mais on peut aussi affirmer que, si ces emplois n'avaient pas été créés, les gens ne les auraient pas eus au départ. Je ne suis pas sûr lequel des deux est pire.

À mon avis, la reréglementation du secteur n'est tout simplement pas une option réaliste. Toutefois, l'idée d'élaborer une politique à long terme l'est. Le gouvernement s'est d'ailleurs engagé à le faire.

Par ailleurs, vous avez dit que vous souhaitez que le gouvernement approuve toute entente conclue par les actionnaires. Or, cela dépendra de la question de savoir si l'entente est conforme à la politique établie. Si elle ne l'est pas, je ne crois pas que le gouvernement lui donnera son appui.

Mme Darcy: C'est le ministre des Transports, M. Collenette, qui a dit ça.

Le sénateur Kirby: Ce qu'il voulait, à mon avis, c'est que l'entente doit être conforme à la politique établie, et je suis tout à fait d'accord avec cela. Je ne crois pas non plus que nous devrions fermer la porte à tout nouveau joueur, parce que c'est de là que vient la concurrence. Certaines entreprises réussissent, d'autres pas.

Mme Hill: Nous ne disons pas qu'il faudrait fermer la porte à tout nouveau joueur, mais qu'il faudrait établir des critères afin de s'assurer que la population va utiliser les services offerts.

Le sénateur Kirby: Si nous ne le faisons pas dans d'autres secteurs, pourquoi le ferions-nous dans celui-ci?

Mme Hill: Autrement, nous continuerons d'avoir une industrie aux prises avec des difficultés financières. L'arrivée sur le marché d'un transporteur à faible prix de revient a un impact sur tous les autres transporteurs.

Le sénateur Kirby: Cela fait partie des règles du jeu.

Mme Hill: Mais ça ne fonctionne pas.

Le sénateur Finestone: Je voudrais vous remercier pour votre exposé clair et précis. Votre conversation avec le sénateur Kirby était fort intéressante. C'est une des choses importantes que nous devons apprendre. Nous souhaitons protéger les intérêts des employés du secteur public en leur versant un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Mme Darcy: Nous avons à ce sujet un cas en instance.

Le sénateur Finestone: Nous souhaitons assurer le bien-être des employés, parce qu'ils font partie intégrante de la politique de transport aérien. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il est question d'une entreprise du secteur privé. Nous devons, dans leur intérêt, adopter de bonnes politiques, mais non pas empêcher la concurrence. Cela n'est ni le but ni le rôle du secteur privé.

Vous avez défini ce rôle très clairement, sauf que vous avez dit que cette responsabilité relève entièrement du gouvernement. Tout est lié à la réglementation, à la reréglementation, au régime de réglementation: la sécurité, la fiabilité, les emplois, les mises à pied, l'équité salariale, les services assurés aux collectivités du Nord, la concurrence, tout. Or, ces responsabilités relèvent du secteur privé. Elles sont assujetties à la réglementation du Bureau de la concurrence et de Transports Canada.

J'aimerais savoir pourquoi vous pensez être en mesure de mieux atteindre vos objectifs au moyen d'un cadre réglementaire plutôt que par le biais de contrats conclus en bonne et due forme entre parties contractantes dans chacun de ces cas.

Mme Darcy: Le gouvernement a mis sa politique de transport aérien sur la glace au cours des trois derniers mois. Les compagnies se sont livré bataille alors qu'il n'y avait aucune règle en place. Il n'y a pas de politique pour l'instant. Ce sont les tribunaux qui ont fini par juger qu'Onex ne pouvait faire ce qu'elle essayait de faire avec la règle de 10 p. 100.

Il faudrait qu'on établisse des règles claires afin que tout le monde sache à quoi s'attendre. Nous avons fait de notre mieux et nous allons poursuivre nos efforts en vue de parvenir à une entente. Nous avions des engagements de la part d'Onex et d'Air Canada. Toutefois, nous ne savons pas dans quelle mesure ces engagements auraient été respectés, et nous ne savons pas non plus quels critères utilisera le gouvernement pour décider que telle ou telle proposition est acceptable.

Le sénateur Finestone: Il est vrai que la situation a été chaotique. Il y a eu beaucoup de confusion, d'agitation, d'hostilité entre les parties. Toutefois, si le ministre des Transports n'avait pas soumis l'entente d'Onex et d'Air Canada à un débat public, la population n'aurait pas été aussi bien informée qu'elle l'est aujourd'hui, et elle n'aurait pas non plus pris connaissance des liens qui existent entre les créneaux, de l'entente unissant American et Canadien, des questions touchant les vols internationaux, des problèmes concernant les transporteurs internationaux, régionaux et internationaux, et des possibilités qu'offre la concurrence entre entreprises.

Ce débat a été fort utile. Vous avez dit qu'il n'y avait pas de règles, de lignes directrices. Or, les circonstances chaotiques et malheureuses avec lesquelles nous avons dû composer vont justement nous permettre d'établir ces règles. La situation est loin d'être encourageante pour les employés, surtout ceux de Canadien. Nous en sommes tous conscients.

Toutefois, je tiens à dire que la réglementation n'est pas la seule option qui s'offre à nous.

Mme Hill: Vous avez raison. Nous sommes toujours prêts à prendre part à un débat. Toutefois, le problème dans ce cas-ci, c'est qu'il n'y avait pas de règles claires pour orienter le débat. Prenons l'exemple de la crise qui a frappé les Lignes aériennes Canadien en 1996. À la suite de cette crise, le ministre des Transports de l'époque, David Anderson, a accepté de mettre sur pied un comité consultatif sur l'industrie du transport. Nous lui avons dit à l'époque que l'industrie traverserait une autre crise si le problème n'était pas réglé. Personne n'a tenu compte de ce que nous avons dit.

Le sénateur Finestone: Et quel était ce problème?

Mme Hill: Nous avons, par exemple, abordé le problème de la capacité et des liaisons. Pendant un an, le comité a tenu des audiences et entendu des représentants d'Air Canada, de Canadien, des affréteurs aériens, des aéroports, et leur réponse était, «Que Canadien, Air Canada ou une autre compagnie survive ou non, nous nous en moquons, car quelqu'un d'autre viendra prendre la relève et nous serons payés.»

Le sénateur Finestone: Ce que vous dites là est très dur et injuste.

Mme Hill: C'est vrai. C'est ce qu'il a dit. Nous avons essayé, avec le comité, de cerner les problèmes et de trouver des solutions. Nous avons proposé des solutions au ministre qui, malheureusement, n'a même pas voulu nous rencontrer pour discuter des mesures que nous pourrions prendre pour éviter une autre crise. Or, nous voilà en 1999 avec une autre crise sur les bras.

Vous avez raison de dire que les débats sont utiles. On a entendu dire bien des choses au sujet des créneaux et autres sujets de préoccupation. Malheureusement, il n'existe pas de règles précises qui nous servent de cadre. M. Collenette a parlé de critères, mais comment va-t-il les appliquer?

Le sénateur Finestone: Nous allons voir, au fur et à mesure de la situation, si nos préoccupations sont fondées ou non. Je suis heureuse que vous ayez comparu devant nous aujourd'hui.

Le sénateur Fairbairn: Vous avez beaucoup insisté sur la situation confuse dans laquelle se trouvent vos employés et sur les inquiétudes que vous avez à leur égard. Ceux qui voyagent beaucoup sont conscients des difficultés que connaît l'industrie aérienne. Toutefois, à mon avis, celles-ci ne sont pas aussi graves, à ce stade des discussions, que les problèmes auxquels font face les employés. Nous avons entendu le point de vue des dirigeants des deux compagnies aériennes et de M. Hargrove, et nous avons lu aussi ce que les médias ont écrit à ce sujet. Je ne vous demande pas de me fournir des garanties, mais de m'exposer votre point de vue. Est-ce que le désaccord qui existe entre les employés des deux compagnies aériennes, à cause des offres concurrentes et des discussions avec les représentants syndicaux, est aussi profond que le laissent entendre les médias? Est-il bien réel? Est-il possible de rapprocher les parties, ou est-ce que cela risque d'être très compliqué?

Mme Darcy: Le désaccord entre les deux groupes est très profond, et ce n'est pas la première fois que nous avons l'occasion de le constater. La même chose s'est produite en 1992-1993. À ce moment-là, on utilisait comme slogan «Better dead than red», ou mieux vaut être mort que rouge. Or, ce slogan, qui a été souvent utilisé, prend un tout autre sens dans le contexte aérien. Toutefois, le désaccord est très profond, et cela m'inquiète beaucoup, car nous essayons de défendre les intérêts de tous les employés des compagnies aériennes et de l'industrie. Ces intérêts, à notre avis, ne sont pas incompatibles. Voilà pourquoi nous attachons beaucoup d'importance à l'intérêt public. Nous devrions tous nous y intéresser. Il est question ici d'employés qui vont travailler côte à côte dans les aéroports, les créneaux, et peut-être même à bord des avions.

Pour revenir à ce que le sénateur Finestone a dit plus tôt, à savoir que ce débat a été utile, je ne saurais trop insister là-dessus. Les débats publics sont fort utiles. J'aurais aimé que le gouvernement du Canada entame le processus en disant: «Nous proposons que ces nouveaux règlements, politiques ou critères, appelez-les comme vous voulez, régissent l'industrie du transport aérien. Engageons le débat là-dessus. Invitons tous les intervenants à participer aux discussions.» Nous aurions été fort heureux de prendre part à un tel débat. En fait, c'est ce que nous avons essayé de faire, il y a trois ans, à Vancouver, quand Canadien s'est trouvé en situation de crise. Elle survient toujours à ce temps-ci de l'année, et pour une raison bien évidente, si l'on tient compte des habitudes du public voyageur, ainsi de suite. Nous avons dit, à ce moment-là, «Il faut élaborer une politique à long terme, et nous voulons prendre part à ce processus. Il faut déréglementer l'industrie, mais invitons les intervenants et les Canadiens à participer au débat.» Nous n'avons pas eu à vivre l'expérience des derniers mois. Cette situation a suscité beaucoup d'angoisse et elle aura des répercussions à long terme sur le moral des employés de l'industrie. Il n'y a aucun doute là-dessus. Les employés sont déchirés, leurs familles aussi.

Le sénateur Fairbairn: Nous avons la possibilité de proposer des changements à la loi pour que les choses se fassent différemment à l'avenir. Je comprends votre point de vue. J'ai beaucoup d'admiration pour les employés, surtout pour les agents de bord.

Mme Darcy: Oui. Ils sont obligés d'avoir le sourire aux lèvres tous les jours.

Le sénateur Fairbairn: C'est vrai. Ils doivent cacher leurs véritables sentiments vingt-quatre heures sur vingt-quatre quand ils font affaire avec le public.

Est-ce que les garanties qui ont été données vous rassurent? Nous avons entendu le point de vue des deux compagnies aériennes. Hier soir, nous avons eu l'occasion d'entendre celui d'un de vos dirigeants syndicaux. Croyez-vous, d'après ce que disent les deux compagnies aériennes, que vos préoccupations sont prises au sérieux, et qu'elles seront prises en compte par la nouvelle entité qui verra le jour?

Mme Darcy: Pas du tout. Voilà pourquoi nous croyons que le gouvernement doit faire en sorte que les engagements pris seront respectés. Cela devrait faire partie des critères qui devront être remplis avant d'obtenir l'approbation du cabinet ou du gouvernement.

La présidente: Madame Darcy, allez-vous nous envoyer une copie de votre mémoire? Je pense que les sénateurs aimeraient bien le relire. Je vous remercie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.

Nous allons maintenant entendre le groupe Star Alliance.

M. Rono J. Dutta, président, United Airlines, au nom du groupe Star Alliance: J'ai préparé un mémoire, que j'aimerais déposer aux fins du compte rendu. La situation a beaucoup changé depuis que nous l'avons rédigé. Par conséquent, certains de nos commentaires portent sur l'entente d'Onex qui, à ce stade-ci, est plutôt redondante.

J'aimerais, avant de commencer, dire quelques mots en français. Je fais appel à votre indulgence, car mon français n'est pas très bon.

[Français]

Heureusement, cela s'est soldé par une tentative infructueuse de la prise de contrôle, compte tenu des développements de la fin de semaine dernière ainsi que de la décision de la Cour supérieure du Québec.

[Traduction]

Je compte surtout vous parler du trafic international. Il y a dix ans, la plupart des liaisons s'effectuaient entre les grands centres économiques, soit de New York à Los Angeles ou de Los Angeles à Londres. Toutefois, les liaisons qui affichent le taux de croissance le plus élevé sont celles qui s'effectuent entre les villes de taille moyenne, par exemple entre Edmonton et Milan, ou entre Calgary et Sao Paulo.

Certes, la concurrence intérieure est importante, mais il faut aussi que les compagnies aériennes canadiennes soient en mesure de soutenir la concurrence à l'échelle internationale. Car, au bout du compte, si toutes les liaisons internationales sont assurées par United, Lufthansa, American ou British Airways, l'économie canadienne va en souffrir. Je vais surtout insister sur ce point dans mon exposé.

La première diapositive indique que les tendances mondiales font de l'aviation un moteur clé de la compétitivité internationale. On assiste manifestement à un accroissement fulgurant du commerce mondial. Les nombreux obstacles, qu'il s'agisse de l'information, du commerce ou des devises, sont en train d'être éliminés. L'aviation est à l'avant-garde de ces tendances. On peut, à certains égards, comparer cela à la construction de grandes autoroutes. Les villes et les localités situées près de ces autoroutes ont connu un essor économique, tandis que celles situées plus à l'écart ont vu leur activité économique diminuer. De la même façon, il est très important que les villes canadiennes situées le long de ces routes aériennes soient bien structurées, et que le Canada puisse, dans ces décisions touchant le transport aérien, s'appuyer sur une industrie solide.

Je compte également, dans mon exposé, vous parler des réseaux en étoile. Je vais donc, encore une fois, faire appel à votre indulgence pendant quelques minutes, car j'aimerais que tout le monde comprenne bien ce que j'entends par cela. Le service entre points fixes ne s'appuie pas sur un réseau en étoile. Disons qu'il y a huit villes, et que la demande de trafic entre celles-ci est de 50 passagers par jour. Donc, entre le point A à C ou G à B, la demande de trafic est de 50 passagers par jour. Disons, toujours de façon hypothétique, que le seuil de rentabilité d'un avion comme le 737, par exemple, est fixé à 80 passagers. Dans ces circonstances, malgré cette demande potentielle, l'avion ne peut être utilisé de façon rentable car le nombre de passagers ne justifie pas le maintien d'un service aérien.

Voyons maintenant ce qui se produit quand ce même trafic passe par un réseau en étoile. Au lieu d'assurer la liaison d'un point à l'autre, toutes les villes sont reliées à un réseau en étoile. Les 50 passagers qui se rendaient du point A à B, du point A à C, ainsi de suite, sont tous regroupés, ce qui fait que la demande totale atteint 400 passagers. Utilisant encore une fois un chiffre hypothétique de 80 passagers, on peut maintenant justifier l'existence de cinq vols entre les villes. C'est plus pratique. Vous avez cinq vols au lieu d'un seul. Plus important encore, les coûts diminuent car, comme nous le savons, les gros transporteurs ont des coûts unitaires moins élevés.

Par conséquent, quand on jette un coup d'oeil sur la santé financière d'une compagnie aérienne, il est important de tenir compte de l'importance de ces réseaux en étoile. La compagnie aérienne qui affiche toute la motivation et la bonne volonté du monde ne pourra soutenir la concurrence que ce soit à l'échelle nationale ou internationale si elle ne dispose pas d'un bon réseau en étoile. C'est un des problèmes auxquels fait face aujourd'hui Canadien. Or, c'est également une des options que présente le groupe Star Alliance.

Le groupe Star Alliance prend les réseaux de chaque transporteur et les regroupe ensemble dans un système. Ainsi, une personne peut maintenant aller de Calgary à Istanbul en passant par le réseau qui relie Toronto et Francfort. Comme je l'ai déjà mentionné, cette croissance du trafic est alimentée par le commerce mondial, et c'est ce que permet de faire le groupe Star. En reliant les réseaux existant entre Calgary et Denver par exemple, on permet à Winnipeg d'être reliée à toutes les villes situées au sud de Denver, et cela entraîne une hausse du trafic.

Avec les années, Star Alliance s'est imposée dans tous les grands centres économiques du globe, que ce soit Tokyo, Sidney, Sao Paulo, Toronto, Londres ou Francfort, et les a réunis sur son autoroute planétaire. C'est ce qui alimente le flux des passagers sur tout le globe.

Les lignes aériennes positionnées sur des plaques tournantes fragiles ou au sein de réseaux faibles ne peuvent pas concurrencer les autres efficacement. Air Canada s'est plutôt bien débrouillée ces dernières années parce qu'elle a adhéré à ce réseau, à cette structure de plaques tournantes, ce qui lui permet de concurrencer efficacement les autres. Canadien International, par contre, n'a malheureusement pas pu en faire autant, loin de là. Il est clair qu'une structure de plaque tournante ne suffit pas. Il faut aussi de la sécurité, un bon produit et de bons services. L'éventail de nos compagnies témoigne de la qualité de nos produits. Comme vous le voyez, nous avons Singapore Airlines, United, Lufthansa, Thai -- tous des noms très connus dans le monde entier. Nous sommes fiers d'ajouter la feuille d'érable à notre gamme planétaire.

Cet examen des alliances n'est pas qu'une démarche interne. D'autres aussi s'y intéressent de l'extérieur. De nombreuses études ont été effectuées dans le but de comparer la tenue de ces alliances face les unes aux autres. Il y a quatre autoroutes aériennes mondiales en voie de construction. Ce sont Star; Wings, qui est l'alliance KLM-Northwest; oneworld, qui est l'alliance American Airlines-British Airways; et il y l'alliance Delta-Air France. De toutes, Star est nettement le leader reconnu. Là encore, c'est l'un des avantages que présente Air Canada dans la création de ces alliances.

L'un des problèmes que connaît oneworld, c'est que ses routes se chevauchent plutôt que de se compléter. Lorsque British Airways et American Airlines ont proposé de se joindre l'une à l'autre, les gouvernements des deux côtés de l'Atlantique, celui de l'Union européenne et de celui des États-Unis, y ont vu un gros problème. Leurs structures se chevauchaient plutôt que de se rejoindre de la manière que nous avons démontrée entre Toronto et Francfort. Si Air Canada était intégrée à oneworld, le même genre de problème se poserait, parce que vos plus destinations les plus importantes sont Londres et Hong Kong. Si Air Canada et oneworld ne font plus qu'un, il n'y aura plus aucune concurrence. Par exemple, la liaison Londres-Toronto serait offerte par British Airways et Air Canada, qui feraient partie de la même alliance si Air Canada était intégrée à oneworld. De même, il n'y aurait plus aucune compétition entre les compagnies Hong Kong, Singapore et Cathay. Fort heureusement, ce dilemme ne pose plus puisque Air Canada est fermement établie avec Star.

Le sénateur Finestone: Je ne comprends pas très bien ce graphique là. Pourriez-vous expliquer encore comment oneworld et Star se chevaucheraient?

M. Dutta: Prenons l'exemple de United et Lufthansa. United est bien établie de Chicago vers l'ouest, et Lufthansa est solide de Francfort vers l'est. Si vous mettez les deux plaques tournantes ensemble, en fait, vous établissez un lien entre toutes les villes qui se trouvent à l'ouest de Chicago -- San Diego, San Francisco, Denver et cetera -- et toutes les villes se trouvant à l'est de Francfort -- Istanbul, Bombay et cetera --, c'est ce que nous appelons une structure de plaque tournante complémentaire.

Cependant, si British Airways et American Airlines sont les seuls transporteurs à faire la liaison entre New York et Londres et qu'ils s'unissent en une alliance quelconque, ce n'est pas une alliance complémentaire. Il n'y a plus de concurrence sur les liaisons principales. Lorsque British Airways et American Airlines proposaient de constituer une alliance, le gouvernement a déterminé qu'American mettait dans la balance 12 ou 13 villes qui n'étaient pas desservies par British ou par les membres de l'alliance. Par conséquent, vous n'ouvrez pas de nouvelles destinations. Vous ne faites que vous chevaucher sur les liaisons existantes. Ce serait le même problème si Air Canada s'était joint à British à Cathay, qui sont membres de oneworld, parce que sur les liaisons internationales principales, tous les compétiteurs auraient été membres de la même alliance. Est-ce que c'est clair?

Le sénateur Finestone: Merci.

M. Dutta: Il est important de se rappeler qu'il est essentiel pour l'économie du Canada, pour la compétitivité du Canada, d'avoir une compagnie aérienne solide qui peut faire concurrence efficacement à British Airways, à American Airlines, à United Airways, à Continental et aux Northwest du monde entier.

La question qui se pose est quelle structure de compagnie aérienne peut faire de l'aviation canadienne qu'elle soit la plus solide? C'est clair qu'il faut une compagnie aérienne qui peut vous soutenir le mieux possible sur les marchés qui vous tiennent à coeur.

La raison pour laquelle Canadien International n'a pas réussi à créer une alliance avec American Airlines est qu'American Airlines ferait très peu pour consolider Canadien International sur le marché où il devrait s'imposer. Canadien devrait avoir des vols vers les États-Unis, le long de la côte ouest, dans des villes comme San Francisco, Los Angeles, Portland et Seattle parce que ce sont des routes très payantes. Comme American Airlines est très faible dans ces villes, elle ne peut pas y soutenir Canadien International. Par conséquent, alors que toutes les compagnies aériennes multipliaient leurs vols transfrontaliers entre les États-Unis et le Canada -- et c'est d'ailleurs l'un des marchés les plus payants en ce moment -- Canadien a été incapable de s'imposer sur ces marchés clés.

Air Canada, d'un autre côté, renforcée par la vigueur de United Airlines le long de la frontière, a très bien tiré parti des marchés transfrontaliers.

La force d'American Airlines, dans l'ensemble, semble résider dans les villes du Sud, comme Austin et San Antonio, qui n'ont pas d'attrait particulier pour l'aviation canadienne. United, surtout, est solide aux abords de la frontière, suivie par Northwest, puis par Alaskan. American Airlines n'est pas très forte sur ces marchés. C'est l'une des principales raisons qui font que Canadien International a de la difficulté à créer une alliance avec American Airlines et que cela ait du sens. Star, d'un autre côté, pourrait beaucoup pour consolider Canadien et lui offrir des opportunités.

Il est aussi important de comprendre les théories sous-jacentes et les principes fondamentaux de Star comparativement à ceux d'autres alliances. United tire grand orgueil de ses compétences fondamentales à établir des relations à long terme, qui sont fondées sur la maximisation des avantages mutuels et à long terme pour toutes les parties. Elle défend un principe d'égalité de collaboration.

Star a neuf ou dix membres, dont certains, comme Ansett, British Midland et Austrian Airlines, sont de taille relativement petite. La plupart avaient auparavant des liens avec d'autres alliances. La raison pour laquelle elles décident toutes d'elles même de se joindre à Star est qu'elles comprennent qu'elles y ont une place égale aux autres. Deuxièmement, elles sont motivées par la recherche d'avantages concurrentiels et non par le contrôle des transporteurs. Ansett, Austrian, British Midland, Singapore et Thaï sont venues à nous d'elles-mêmes. Nous ne les forçons pas à se joindre à nous en nous immisçant dans leur structure de capitaux.

Air Canada, en particulier, a fait de nombreuses analyses pour déterminer à quelle alliance il valait mieux qu'elle se joigne. À maintes reprises, elle a tiré la même conclusion: Star est la plus avantageuse pour Air Canada. Elle vient d'elle-même après avoir tenu un débat raisonné et fait un examen interne pour trouver la meilleure solution.

J'aurais souhaité qu'il en soit de même pour Canadien International, qu'elle serait libre de choisir l'alliance qui convient le mieux à ses besoins. Aucun contrat de service de Star ne vise de transfert caché des avantages. Chaque participant gère son propre système de réservations et son propre programme pour grands voyageurs. Il n'y a pas de transfert caché de capitaux entre compagnies aériennes, fondé sur des contrats de service inférieurs aux taux du marché.

Tous les nouveaux venus, comme je le disais -- Austrian, par exemple -- ont délaissé d'autres relations d'affaires pour se joindre à nous parce qu'ils voient les avantages de Star, particulièrement dans ses pratiques démocratiques d'égalité. Nous fondons toutes nos relations sur le principe des avantages réciproques et sur le long terme. Nous ne sommes pas là pour gagner sur une transaction à la fois. Nous pouvons perdre une transaction, mais nous visons à ce que les deux parties soient gagnantes à long terme.

Enfin, nous devançons oneworld dans le développement et l'intégration à l'échelle mondiale. Autrement dit, avec le partage des codes et l'immunité juridique face à la législation antitrust et ses programmes de grands voyageurs, Star devance oneworld, surtout.

Le Canada a une occasion unique de déterminer ses politiques à long terme en matière d'aviation. Il a la chance de pouvoir trouver une solution à long terme au problème que pose Canadien International. Il serait bien dommage de viser le court terme, de tenter de conclure une autre transaction, et de ne pas intégrer Canadien à Air Canada. À long terme, le problème ne serait pas résolu. Le problème de Canadien réside dans la faiblesse de son réseau, de sa structure de plaque tournante. La compagnie ne fait pas partie d'une alliance solide. Par conséquent, il lui est difficile de survivre économiquement parlant.

À long terme, la solution est d'intégrer Canadien à Air Canada, puis de l'incorporer à Star Alliance. L'aviation canadienne serait alors dotée d'un compétiteur capable de faire face à la concurrence à l'échelle mondiale.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Roberge: Je crois que le 19 octobre 1999, vous avez signé une entente sur 10 ans avec Air Canada au nom de Star Alliance. Est-ce qu'il y a, dans ce contrat, des stipulations particulières sur la fréquence, et peut-être les créneaux, aux aéroports de Chicago et de Francfort?

M. Dutta: Absolument aucune. Notre contrat vise surtout à nous protéger à long terme. Il spécifie que pendant 10 ans, Air Canada continuera à partager des codes avec nous. Pour ce qui est des destinations d'Air Canada, de la fréquence de ses vols et de son équipement, nous n'avons aucune influence là-dessus.

Le sénateur Kirby: Je voudrais avoir une simple précision, puisque vous portez deux chapeaux -- United et Star. Vous avez utilisé le pronom «nous» à quelques reprises. Est-ce que ce «nous» signifie United Airlines ou Star?

M. Dutta: Dans ce cas-ci en particulier, il s'agit de Star.

Le sénateur Roberge: À votre avis, qu'adviendra-t-il du cabotage en Amérique du Nord, d'ici quelques années?

M. Dutta: J'aimerais laisser Mme Longmuir répondre à cette question.

Mme Shelley A. Longmuir, première vice-présidente, Affaires internationales, réglementaires et gouvernementales, Star Alliance: Pour ce qui est du cabotage au Canada...

Le sénateur Roberge: Je parle de l'Amérique du Nord.

Mme Longmuir: Donc, des États-Unis.

Le sénateur Roberge: Et du Canada.

Mme Longmuir: En ce qui concerne le cabotage au sein des frontières du Canada, nous laisserions au gouvernement canadien le soin de résoudre cela au mieux. Nous n'aurions aucune influence en la matière. Pour ce qui est du cabotage aux États-Unis, comme vous le savez peut-être, United Air Airlines est une compagnie appartenant aux employés, et cette question fait actuellement l'objet de discussions et de débats au sein de notre compagnie. Pour le moment, nous tenons à avoir l'agrément de tous nos membres, ce qui englobe les pilotes, en particulier, sur la question de soutenir ou non le cabotage aux États-Unis.

Le sénateur Roberge: Le cabotage est le centre de beaucoup d'intérêt sur la scène internationale. Peut-être que les compagnies aériennes des États-Unis ont déjà entamé des pourparlers sur la question.

M. Dutta: Nous n'avons pas adopté de position officielle là-dessus. De toute évidence, c'est quelque chose dont il faut discuter. Avec tous les enjeux que cela englobe, nous n'avons pas encore réussi à nous entendre clairement sur la position à adopter.

[Français]

Le sénateur Poulin: Les partenariats, avec la mondialisation, sont de plus en plus nécessaires pour l'évolution des compagnies. Pourriez-vous nous expliquer, dans la pratique de la gestion d'une entreprise comme la vôtre, ce que veut dire exactement une alliance entre des compagnies comme Star Alliance, United Airlines et d'autres compagnies canadiennes?

[Traduction]

M. Dutta: Permettez-moi de bien me faire comprendre. L'alliance Star entre United et Air Canada signifie que nous offrons des liaisons entre diverses plaques tournantes, soit Chicago, Denver, Washington, San Francisco et Los Angeles, et diverses villes du Canada.

Air Canada fait des liaisons entre ses plaques tournantes et diverses villes américaines. Nous avons une pratique, que nous appelons le «partage des codes», qui signifie que lorsque Air Canada fait une liaison entre Toronto et Washington, le vol est affiché comme un vol d'Air Canada et un vol de United. Cela permet aux compagnies aériennes de coordonner leurs horaires de vol. Si quelqu'un va de Toronto à Winnipeg, puis ensuite à Washington et puis prend une correspondance sur un vol de United vers une autre ville, nous nous soucions de faire en sorte que toute l'expérience soit le moins pénible possible pour le client. Nous essayons de rapprocher nos terminaux. Nous permettons l'enregistrement à guichet unique. Nous reconnaissons les points des programmes grands voyageurs. Et ce qui est le plus important, nous essayons d'aménager nos horaires au mieux pour notre clientèle. Lorsqu'un client réserve une place, il est évident pour lui que l'alliance permet que ses bagages, son itinéraire et tout son voyage soient organisés de la façon la plus conviviale possible pour lui.

Le sénateur Poulin: Dans les démarches visant à rendre possibles ces alliances, quelles ont été les principales difficultés?

M. Dutta: Les principales difficultés, en réalité, résident dans les systèmes d'information. Les systèmes d'information des compagnies aériennes sont assez complexes. C'est un défi de taille que de s'assurer que deux systèmes puissent communiquer. Sur le plan structurel, ça été le plus difficile.

Également, lorsque vous avez neuf ou dix compagnies qui ont leur propre stratégie et leur propre culture, il peut être difficile d'avoir l'unanimité sur les questions comme le marquage et les budgets de marketing et de publicité. Encore là, nous nous sommes sciemment efforcés d'accorder le même poids au vote de tous les participants, quelle que soit leur taille.

Le sénateur Spivak: Vous parlez d'avantages réciproques pour tous les participants. En ce qui concerne l'entente entre American Airlines et Canadien International, de toute évidence, l'arrangement représente pour American Airlines des centaines de millions de dollars, si on parle liaisons et partage de codes.

Vous avez expliqué les avantages pour Air Canada. Quels sont-ils pour United? Et pour Star Alliance? Où sont les «avantages» pour eux?

M. Dutta: Les avantages sont mutuels. Air Canada prend plus de place dans les villes des États-Unis et de l'Australie grâce à Star Alliance. Elle prend de l'ampleur au Japon grâce à ANA. Par contre, chacun des partenaires de Star, que ce soit ANA ou Ansett, gagne une plus grande présence au Canada.

Les échanges mondiaux alimentent ces alliances. Star Alliance génère des revenus différentiels de plus de 200 millions de dollars. Là-dessus, la part d'Air Canada monte à environ 30 millions de dollars annuellement. Il y a des avantages pour tout le monde, mais le plus grand avantage est en réalité de pouvoir offrir aux clients la possibilité de voyager dans le monde entier au moyen de ces infrastructures combinées.

Le sénateur Spivak: Vous ne faites pas cela que par souci de votre santé, tout de même. Le service à la clientèle génère des profits.

M. Dutta: Bien sûr.

Le sénateur Spivak: Vous avez dit que le développement et l'intégration de Star Alliance est beaucoup plus avancé que oneworld. Dans le monde entier il y a d'énormes fusions dans de nombreux secteurs de l'industrie. Si je comprends bien, cette alliance n'est pas exactement une fusion.

Envisagez-vous d'autres intégrations dans l'avenir? Qu'est-ce que cela signifie pour la concurrence, pour les liaisons internationales et pour les transporteurs indépendants? Nous venons d'entendre les Lignes Aériennes Canada 3000 nous exposer certaines des injustices qu'elles subissent. Il y en a qui demandent que des modifications soient apportées aux règles qui semblent être contraires à la concurrence loyale. Quelles répercussions prévoyez-vous que cela aura?

M. Dutta: Je vais répondre d'abord à la dernière question. Quelles sont les répercussions des alliances sur la concurrence? Il y a quatre grandes alliances en plein essor. Elles se font concurrence entre elles. Chacun de ces quatre structures en devenir s'efforcera d'amener des passagers d'une ville à l'autre. La question qui se pose est la suivante: qui peut faire mieux, à une plus grande fréquence et avec le réseau le plus rapide? Ce sont des facteurs qui compteront.

Le sénateur Spivak: Est-ce que la taille compte?

M. Dutta: Est-ce que la taille dans les plus grandes villes? Bien sûr. Elle compte dans tout secteur d'activité, particulièrement en ce qui concerne quelles villes sont desservies et à quelle fréquence.

Est-ce qu'il y aura encore de la concurrence? Oui, il y en aura entre les quatre grandes alliances. Dans son étude qui visait à déterminer si les alliances sont anticoncurrentielles ou favorables à la concurrence, le ministère de la Justice des États-Unis a conclu que les alliances sont favorables à la concurrence. Dans les pays où naissent de solides alliances, les tarifs chutent. Je suis sûr que le ministère de la Justice américain a fait une analyse approfondie avant de tirer cette conclusion.

Vous voulez aussi savoir quel sera l'avenir de ces alliances -- c'est une question à laquelle, j'en suis sûr, chaque alliance donnerait une réponse différente. La réponse de Star Alliance est qu'on ne sait rien de l'avenir. Nous avancerons à petits pas vers l'horizon. Nous le ferons de notre plein gré, et d'un accord général. Aucune alliance ne sera propriétaire des autres membres qui la composent; chaque membre aura voix au chapitre. Nous commencerons tout doucement. Surtout, nous nous concentrerons sur le client. Nous laisserons le client nous dire ce qui est important.

Le sénateur Spivak: Il semble qu'American Airlines ait pratiquement un droit de veto sur toutes les décisions de gestion et d'affaires importantes de Canadien International. Elle exige de Canadien des frais annuels assez élevés. Même M. Schwartz a admis que ces frais pouvaient avoir été exagérés un moment donné.

On a demandé à M. Milton quel genre de contrôle Lufthansa et United pouvaient exercer sur la gestion d'Air Canada. Il a répondu qu'elles n'en exerçaient aucun.

Je vous pose la même question. Ces accords seront-ils transparents? Seront-ils rendus publics? Serons-nous en mesure de prendre connaissance des dispositions des accords ou des contrats conclus entre Air Canada et Star Alliance et ses membres? Pourrons-nous les examiner?

M. Dutta: Il conviendrait d'expliquer les principales conditions de notre entente. C'est ce que M. Brace va faire.

M. Frederic F. Brace, premier vice-président, Finances, United Airlines, Star Alliance: Air Canada est un de nos partenaires de longue date. La compagnie est venue nous demander de l'aide. Comme M. Milton l'a déclaré, Star Alliance, en collaboration avec la CIBC, a consenti une valeur de 500 millions de dollars à Air Canada et l'a aidée à réagir à l'offre d'Onex.

Nous avons aussi conclu un accord de partage des codes de travail de dix ans avec la compagnie, comme l'a fait Lufthansa. Dans le cadre de cet accord, se dissocier de Star Alliance coûterait à Air Canada 250 millions de dollars en dommages-intérêts fixés à l'avance. Comme vous l'avez dit, cette opération ne vise pas à améliorer notre situation. En collaboration avec la CIBC, nous avons consenti 500 millions de dollars.

Là-dessus, nous avons fait des investissements. Nous avons acheté des actions privilégiées, nous avons effectué des transactions de crédit-bail avec la compagnie et nous lui avons fourni un mécanisme de financement bancaire. Ces transactions ne nous accordent aucun droit de régie particulier; nous ne siégeons pas au conseil d'administration et nous n'avons pas de droit de vote spécial. Nos actions privilégiées équivalent à environ 7 p. 100 des actions sans droit de vote d'Air Canada. Par conséquent, nous n'exerçons aucune influence ni aucun contrôle particulier sur Air Canada. Elle fait partie de notre alliance, c'est un de nos partenaires, comme M. Dutta l'a dit.

Le sénateur Spivak: L'accord de partage des codes de travail de dix ans vaut-il 500 millions de dollars ou plus? Ensuite, si la participation des actionnaires n'était plus plafonnée et que quelqu'un voulait acheter Air Canada, auriez-vous votre mot à dire dans la décision?

M. Brace: Non. C'est le conseil d'administration d'Air Canada qui a décidé comment réagir à l'offre d'Onex. Nous avons aidé la compagnie financièrement parce qu'elle nous l'a demandé et qu'elle est notre partenaire.

Quant à la valeur de l'accord de partage des codes de travail, elle est considérable. Notre part est de 300 millions de dollars et celle de la CIBC de 200 millions de dollars. Nous avons investi cette somme parce que nous pensons en obtenir autant.

Le sénateur Roberge: En plus des 500 millions de dollars, je crois comprendre que United et Lufthansa ont conclu un partenariat et ont prêté de l'argent pour des actions privilégiées convertibles.

M. Brace: Je vais reprendre cela plus lentement. Mes propos ont peut-être porté à confusion.

Le sénateur Kirby: Puis-je vous demander de préciser ce que vous entendez par «nous». Je vous suivais jusqu'à ce que vous employiez le mot «nous». Au début, je crois que vous parliez seulement de United et, ensuite, à la fois de United et de Lufthansa.

M. Brace: Nous, c'est-à-dire United et Lufthansa, avons conclu une entente et nous avons toutes les deux investi en partenariat. L'investissement s'est concrétisé par l'achat de titres privilégiés d'Air Canada qui peuvent être convertis en actions sans droit de vote d'Air Canada, ce qui revient à environ à 7 p. 100 après dilution totale. Nous, c'est-à-dire United, avons aussi négocié une entente de crédit-bail pour trois aéronefs A-330, dont un d'entre eux a déjà été reçu, je crois, et les deux autres seront reçus bientôt. Nous avons offert des conditions très favorables à Air Canada, ce qui lui assure une valeur. Nous, c'est-à-dire United et Lufthansa, avons accepté de garantir un mécanisme de financement bancaire de 310 millions de dollars. Si j'additionne bien tous ces chiffres, j'arrive à la somme d'environ 730 millions de dollars.

Le sénateur Finestone: La satisfaction des clients est un aspect qui nous préoccupe. J'imagine que c'est un élément qui préoccupe aussi Star Alliance, n'est-ce pas?

M. Dutta: Tout à fait.

Le sénateur Finestone: Diriez-vous que des clients mécontents, que ce soit de la nourriture, du mauvais service à la porte d'embarquement, de la distance de marche ou de la manutention des bagages, vont décider de ne plus jamais faire affaire avec cette compagnie?

M. Dutta: Oui.

Le sénateur Finestone: Les gens plus vieux, qui sont de grands voyageurs, ne sont pas bien servis par la structure actuelle, que ce soit Air Canada, Star Alliance, oneworld ou une autre compagnie. Avez-vous mis en place un mécanisme qui vous permet d'étudier ces problèmes et d'en discuter avec vos partenaires?

M. Dutta: Il est très important pour nous que tous les aspects du service à la clientèle de nos partenaires soient comparables. L'aspect le plus important est bien sûr la sécurité. Comme vous le savez, à la suite de tragédies comme l'écrasement de l'avion de Korean Air Lines, tous les gouvernements du monde, et particulièrement le gouvernement américain, sont devenus très sensibles à ce problème.

Nous nous occupons en particulier d'effectuer un examen interne complet des normes de sécurité. Nous évaluons aussi, quoique de façon moins approfondie, les normes de qualité -- comme le service à la clientèle dont vous avez parlé. Star Alliance ne choisirait jamais comme partenaire une compagnie aérienne qui, de façon réelle ou apparente, rabaisserait son niveau de service.

Le sénateur Finestone: Vous seriez surpris d'entendre ce qui se raconte pendant les parties de bridge ou au 19e trou des terrains de golf. Certains peuvent se plaindre des consommations servies ou de la saveur des menthes distribuées aux passagers, d'autres du fait qu'ils ont à marcher longtemps pour aller prendre une correspondance. Ce sont des points importants pour les voyageurs.

J'aimerais maintenant parler de la question des créneaux. Y a-t-il des partenaires de Star Alliance qui fréquentent les aéroports canadiens?

M. Dutta: Nous en fréquentons un certain nombre.

Le sénateur Finestone: Avez-vous déjà eu du mal à obtenir des droits d'escale, un créneau, par exemple?

M. Dutta: Particulièrement dans le cas d'Air Canada à destination des États-Unis, l'accord Ciels ouverts conclu entre nos deux pays a beaucoup favorisé la croissance des activités dans nos deux pays. En fait, le trafic transfrontalier s'est considérablement accru au cours des dernières années.

Je ne me rappelle pas qu'on n'ait pas réussi à obtenir de créneau. Il y a peut-être eu un cas à Toronto, mais on ne l'a pas porté à mon attention.

Nous avons ajouté des vols à destination de Calgary et Vancouver. Ces liaisons sont très rentables et nous projetons de continuer à accroître nos activités au Canada.

Le sénateur Kirby: Monsieur Dutta, votre exposé sur l'Alliance a été très utile. Après la séance de deux heures et demie de ce matin, c'est agréable de rencontrer un témoin qui répond à nos questions.

Je veux m'assurer de bien comprendre les chiffres. D'abord, si Air Canada décidait de briser le contrat de 10 ans, elle devrait verser une pénalité que vous avez évaluée à 250 millions de dollars en fonction de ce que vous et Lufthansa perdriez, grosso modo, dans l'opération, c'est bien cela?

M. Brace: C'est un montant négocié.

Le sénateur Kirby: Il y a trois volets à votre aide financière. Le premier est le crédit-bail et le second, la garantie du mécanisme de financement bancaire qui, d'après ce que dit votre communiqué de presse, correspond à 160 millions de dollars sur les 310 millions, n'est-ce-pas?

M. Brace: Il s'agit de 310 millions de dollars pour Lufthansa et nous.

Le sénateur Kirby: Chacun?

M. Brace: Non, 310 millions de dollars pour les deux.

Le sénateur Kirby: Votre part est de 160 millions de dollars?

M. Brace: Oui.

Le sénateur Kirby: Qu'obtenez-vous en retour? Vous n'êtes pas une oeuvre de charité; vous n'agiriez donc pas ainsi si vous n'y trouviez pas votre compte. Qu'en retirez-vous?

M. Brace: La garantie que nous offrons nous procure des honoraires. Si la compagnie emprunte sur la garantie, nous obtenons des honoraires fixés en fonction de la différence entre notre position de solvabilité et celle d'Air Canada.

Le sénateur Kirby: Vous êtes essentiellement un banquier, alors?

M. Brace: En quelque sorte. Soyons clairs. La compagnie emprunte de la banque, sur la garantie que nous lui fournissons, et la banque lui accorde de notre position de solvabilité plutôt que la sienne.

Le sénateur Kirby: Je trouve que c'est assez inhabituel pour une grande entreprise d'agir ainsi à l'égard d'une autre entreprise. Les garanties ne sont habituellement pas alignées de cette façon. Il doit y avoir une raison sous-jacente à ce geste, et je ne veux pas dire qu'elle soit louche. Je suis curieux et j'aimerais essayer de comprendre ce que c'est.

M. Dutta: Vous parlez de ce qui a incité United à agir d'un point de vue stratégique?

Le sénateur Kirby: Oui, exactement.

M. Dutta: Je dois parler au nom des membres de l'Alliance. Disons que quelqu'un de Nagoya veut venir faire des affaires au Canada. Si aucune compagnie ne fait partie de Star Alliance au Canada, il va voyager à bord d'un avion de JAL. En revanche, si une grande compagnie aérienne canadienne est membre de Star Alliance, la personne qui se rend à Toronto, Winnipeg ou Calgary en provenance du Japon a des chances de voyager à bord d'un avion de ANA, qui est un membre de Star Alliance. C'est fondamentalement ce que Star Alliance essaie de protéger. Voilà ce qui nous intéresse.

Aujourd'hui, cela vaut 30 millions de dollars. Ce montant peut augmenter ou non, mais nous pensons qu'il va augmenter avec les échanges internationaux. Cependant, nous voulons nous assurer que la principale compagnie aérienne du Canada est membre de Star Alliance. C'est important pour tous nos membres. C'est aussi important pour les voyageurs de chacun de ces pays.

Le sénateur Kirby: Vous nous avez dit tout à l'heure que Star Alliance représentait à peu près 200 millions de dollars pour United et 30 millions de dollars pour Air Canada. Comment calculez-vous cela? Je suis curieux de savoir comment vous déterminez les voyageurs que vous procure Air Canada et ceux que vous auriez eus comme clients de toute façon.

M. Dutta: En fait, avec beaucoup de mal.

Le sénateur Kirby: Vous devez faire un certain nombre d'hypothèses.

M. Dutta: Oui. Nous comparons le trafic des années antérieures à celui d'aujourd'hui. Nous vérifions notre place sur l'écran des agences de voyages. Comme je l'ai déjà expliqué, avec l'alliance, un vol d'Air Canada apparaît comme un vol de United. Cela présente un certain avantage pour les agences de voyages. Je dirais que notre marge d'erreur est peut-être de 10 p. 100, mais pas de 100 p. 100.

Le sénateur Kirby: Apparemment, vous utilisez la même formule pour tous vos partenaires.

M. Dutta: Oui.

Le sénateur Kirby: Les actions privilégiées convertibles garantissent-elles des dividendes?

M. Brace: Non. Il n'y a pas de dividendes rattachés à ces actions.

Le sénateur Kirby: Elles sont simplement convertibles, c'est tout.

M. Brace: Oui.

Le sénateur Kirby: Sont-elles facilement négociables? Pouvez-vous les vendre?

M. Brace: Nous pourrions les vendre ou les échanger et vendre les titres ainsi obtenus. Le prix de conversion se situera entre 24 $ et 28 $ l'action. Je dis que nous et Lufthansa obtenons 7 p. 100 en présumant que les actions sont échangées pour un montant se situant entre 24 $ et 28 $.

Le sénateur Kirby: J'ai deux autres questions à poser au sujet des propositions formulées par le Bureau de la concurrence. Ce bureau est l'équivalent des services antitrust de votre département de la Justice. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces propositions, en tant que président de United.

Deux propositions précises ont été déposées. Je veux dire par là qu'elles ont été proposées par le Bureau de la concurrence dans l'éventualité où il y aurait une compagnie aérienne dominante au Canada, que cette compagnie le soit à la suite de la faillite de Canadien ou de la fusion de nos deux compagnies.

Je qualifie la première proposition de proposition de «quasi-cabotage». Prenons, par exemple, le cas d'un vol partant d'ici à destination de Calgary via Chicago, ce qui est possible. Qu'en pensez-vous? Pour vous, ces vols existent déjà. La seule différence serait que vous pourriez offrir un tarif direct plutôt que deux tarifs distincts comme vous devez le faire actuellement.

Ai-je raison de penser que, d'un point de vue commercial, vous offririez ces vols si vous le pouviez?

M. Dutta: C'est un peu plus compliqué que cela, parce qu'il faut penser à la réciprocité. Par exemple, quelqu'un pourrait facilement partir de Boston pour se rendre à San Francisco en faisant une correspondance à Toronto.

Le sénateur Kirby: Cela présume qu'il y a une entente de réciprocité entre le Canada et les États-Unis, ce qui serait difficile à réaliser, je pense. Oublions la réciprocité pour un instant. Présumons qu'il n'y en a pas. Il me semble que vous n'avez aucune raison de ne pas profiter de la situation.

M. Dutta: Dans l'entente unilatérale dont vous parlez, c'est exact.

Le sénateur Kirby: D'après moi, cela ressemble à une entente unilatérale. Cependant, si, dans l'intérêt public, et non pour les affaires internationales, la concurrence nationale est prise en considération, on voudra peut-être trouver un moyen de se rendre du point A, au Canada, au point B sans faire de cabotage. Le danger du cabotage, c'est qu'il permet aux grandes compagnies américaines comme la vôtre de n'engager que des coûts marginaux, pas des coûts moyens. Il me semble que vous devez pouvoir agir de façon à favoriser la concurrence au Canada sans abuser de la situation.

M. Dutta: Vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Kirby: Je pense que la réponse à ma question est oui, les vols de ce genre vous intéresseraient si vous pouviez les offrir.

M. Dutta: Tout à fait.

Le sénateur Kirby: Cela dit, sans vous engager à ce qu'il y ait réciprocité.

M. Dutta: C'est exact.

Le sénateur Kirby: Selon la deuxième proposition présentée, une compagnie aérienne nationale au Canada, appartenant à 100 p. 100 à des intérêts étrangers, ne pourrait desservir que des villes canadiennes. Elle ne pourrait effectuer de trafic transfrontalier. Ainsi, par exemple, la compagnie «United Canada», qui serait pour vous une compagnie régionale canadienne, dont la région serait le pays, ne pourrait se rendre à l'étranger. Pour le Bureau de la concurrence, cette proposition est valable parce que, si la compagnie aérienne doit limiter ses activités au Canada, il n'est pas important de savoir à qui elle appartient? Pourquoi s'en inquiéter? Les choses se compliquent seulement quand on traverse la frontière. Seriez-vous intéressé à être propriétaire d'une compagnie régionale comme celle-là? Rappelez-vous que la région désigne le Canada.

M. Dutta: De prime abord, non. Je reviens à la structure des plaques-tournantes. Ce qui est important pour nous c'est le trafic qui alimente le réseau. Par conséquent, le trafic qui ne l'alimente pas a très peu de valeur pour nous. Le trafic canadien est important pour Star Alliance dans la mesure où il est dirigé vers Toronto et Vancouver et des destinations étrangères.

Si une compagnie aérienne établie dans les Antilles confine ses activités dans cette région, il vaudrait mieux pour nous nous lancer dans l'hôtellerie ou la location d'automobiles. Cela n'apporte rien à nos activités courantes.

Le sénateur Kirby: C'est pourquoi je dis que la proposition de «quasi-cabotage», avec d'escale dans une plaque-tournante américaine, est beaucoup plus attrayante pour vous, sur le plan des affaires, que la deuxième proposition.

M. Dutta: C'est exact.

Le sénateur Finestone: Pour répondre à la question du sénateur Kirby sur la valeur de votre entreprise, vous avez dit que vous l'évalueriez en déterminant s'il y a augmentation ou réduction du public voyageur. Je voudrais savoir ce qu'il en est de la protection des renseignements personnels. Que feriez-vous avec mon nom? Qui vous a autorisé à utiliser cette information pour évaluer votre situation? Me donnez-vous un numéro? Supprimez-vous mon nom, mon adresse et mon numéro de téléphone? Supprimez-vous ma destination? Que faites-vous avec cette information? Comment est-elle protégée?

M. Dutta: L'analyse à laquelle vous faites référence est strictement interne.

Le sénateur Finestone: Autrement dit, personne, sauf United, ne peut en prendre connaissance?

M. Dutta: C'est exact.

Le sénateur Finestone: Dites-vous que personne, sauf les gens d'United, ne verrait cela si je voyageais sur Air Canada et ensuite sur United?

M. Dutta: Si vous voyagiez par plus d'une ligne aérienne, il est évident que chacune d'elle verrait cela.

Le sénateur Finestone: M'a-t-on déjà demandé si je voulais que mon nom soit ajouté sur vos tableaux?

M. Dutta: Il s'agit d'une question relative à la réglementation gouvernementale. Je ne peux faire de commentaires là-dessus. C'est un domaine qui relève de la compétence du gouvernement.

Le sénateur Finestone: Pour l'instant, vous avez les coudées franches pour faire cela.

M. Dutta: D'après la réglementation gouvernementale, oui.

Le sénateur Finestone: Quels règlements du gouvernement vous autorisent à agir ainsi?

M. Brace: M. Dutta répond sans doute à une question différente de celle que vous posez. Nous essayons de déterminer d'où proviennent nos recettes supplémentaires. Cela ne suppose pas que nous sachions le nom de qui que ce soit. Cela donne lieu à des calculs effectués strictement en fonction d'un billet. Mon ministère effectue certains de ces calculs et il ne dresse pas de grands tableaux remplis de noms de voyageurs. Évidemment, leurs noms sont dans les dossiers étant donné qu'ils figurent sur les billets, mais cela n'entre pas du tout dans les calculs auxquels vous faites référence, madame le sénateur.

Le sénateur Finestone: Si je suis un grand voyageur et que je me rends fréquemment de Montréal à Palm Beach, mon nom ne figurera pas très souvent sur la liste Delta ou sur la liste de n'importe quelle autre ligne aérienne qui dessert Miami, l'Arizona ou la Californie. J'essaye de savoir pourquoi vous m'envoyez constamment des documents fondés sur les endroits où je suis allée ou ceux où je souhaite aller. Où avez-vous pris mon nom, mon adresse et mon numéro de téléphone?

M. Dutta: Aucun d'entre nous n'est un expert à ce sujet.

Le sénateur Finestone: Je vous invite à examiner cela car j'aimerais obtenir une réponse, si cela ne vous fait rien.

Mme Longmuir: J'y veillerai volontiers.

Le sénateur Fairbairn: Toute cette saga des derniers mois a sensibilisé les Canadiens à un nouvel élément. Je ne suis pas certaine qu'ils aient été sensibles à ces questions d'alliance jusqu'au moment où, soudainement, elles ont pris une grande importance dans cette nouvelle équation. C'est à un point tel qu'elles semblent plus importantes, en termes de pouvoir et d'influence, que les lignes aériennes individuelles qui les composent.

Dans la perspective des Lignes aériennes Canadien, il semblerait, dans le contexte de la bataille qui a eu lieu, qu'il était extrêmement important pour Air Canada d'obtenir cette entente de 10 ans. Après vous avoir écouté aujourd'hui, j'en déduis que cela n'était pas simplement une expression de bonne volonté à sens unique. De toute évidence, vous étiez d'avis que dans l'intérêt du pays, il était très important que l'alliance mette la main sur cette entente de 10 ans. Est-ce juste?

M. Dutta: C'était manifestement une offre d'aide à Air Canada. Nous ne voulions pas offrir cette aide pour constater ensuite qu'Air Canada s'était précipitée dans les bras de oneworld avec tous les avantages que nous leur avions donnés. Par conséquent, c'était pour nous une question de réciprocité. Nous avons offert une contribution et nous souhaitions en retour une relation à long terme.

Le sénateur Fairbairn: Ce matin, nous avons entendu le témoignage de M. Milton, qui a dit que lors des discussions qui ont eu lieu il y a quelques mois avec American Airlines ou avec AMR et les Lignes aériennes Canadien, il a été question de OneWorld. Il nous a dit qu'effectivement, si cela avait été dans le meilleur intérêt de ses actionnaires, c'est l'option qui aurait pu être retenue.

M. Dutta: Voilà l'un des arguments clé que je voulais apporter au sujet de Star. Nous faisons continuellement une analyse pour savoir qui est notre meilleur partenaire. Nous ne venons pas de conclure une entente avec Lufthansa à la suite de pressions externes. Nous avons mûrement réfléchi et nous avons examiné les possibilités qui existaient avec British Airways et Air France et nous avons conclu que tant du point de vue d'un réseau que d'une culture, notre meilleure alliance serait avec Lufthansa. Air Canada effectue une telle analyse constamment de son propre chef. On a rapporté dans les journaux qu'Air Canada avait envisagé oneworld. Bien sûr, que ses dirigeants ont envisagé cela; c'est obligé. Ils doivent effectuer cette analyse en permanence.

Ce qui est important, toutefois, c'est qu'ils ont librement et délibérément conclu qu'il était dans leur intérêt, et dans celui de l'aviation canadienne, de s'allier avec Star.

Le sénateur Kirby: Pour revenir sur ce qu'a dit M. Dutta, vous affirmez ne pas vouloir vous retrouver dans une situation où, après avoir offert toute cette aide à Air Canada, ce dernier opte pour une autre alliance. Faut-il en conclure que si la proposition d'Onex avait été acceptée et qu'Air Canada avait en fait opté pour oneworld, il lui aurait fallu absorber la pénalité de 250 millions dont nous avons parlé tout à l'heure, mais en sus, votre société et la Lufthansa aurait réclamé immédiatement leur argent? Est-ce une interprétation juste de vos propos?

M. Brace: En bref, oui.

Le sénateur Kirby: Ce qui signifie -- et c'est théorique puisque la proposition d'Onex n'est pas sur la table -- que si cette proposition avait été retenue, les nouveaux propriétaires d'Air Canada auraient dû absorber non seulement cette pénalité de 250 millions, mais aussi payer le reste des 700 millions. Autrement dit, cela aurait été plus près du milliard. Je n'emploie que des chiffres approximatifs.

Le sénateur Spivak: Je croyais que ce n'était qu'une garantie.

M. Brace: C'est exact. Il aurait fallu rembourser les 730 millions de dollars. Cependant, une grande partie de cet argent représentait un financement fondé sur le marché de sorte que nous aurions dû, bien entendu, reprendre notre aide financière. En effet, nous n'aurions pas voulu financer l'achat d'Air Canada par quelqu'un d'autre. Cet argent nous aurait été rendu, et les dirigeants d'Air Canada auraient dû le remplacer à même leurs propres fonds. Je n'aurais pas décrit la situation dans les mêmes termes que vous, mais l'argent nous aurait effectivement été rendu.

Le sénateur Spivak: J'aimerais apporter une précision. Il ne s'agissait pas véritablement d'argent. Ce n'était qu'une garantie à la banque. En tant que partie d'Onex, Air Canada aurait dû trouver une autre source de financement.

M. Brace: Oui.

Le sénateur Spivak: Mais il n'y aurait pas eu de pénalité pour cela.

M. Brace: Non. Il leur aurait fallu remplacer le financement que nous leur avions offert.

Le sénateur Fairbairn: Supposons qu'une entente est conclue et que les partenaires fondateurs sont intacts, avec peut-être une autre ligne aérienne qui s'y ajouterait, ce qui ouvrirait des possibilités concurrentielles à d'autres au Canada. À propos de lignes aériennes nationales, auriez-vous un seul compagnon dans un pays? Est-il possible que vous choisissiez une autre ligne aérienne pour votre alliance dans un pays donné?

M. Dutta: Voilà qui nous ramène à la notion de complémentarité par opposition au problème du chevauchement. Nous sommes soucieux de bâtir des réseaux complémentaires, qui ne se chevauchent pas. Par conséquent, rien ne nous inciterait à nous orienter en ce sens. Spontanément, je ne peux vous nommer aucun pays où nous avons deux partenaires.

Le sénateur Finestone: Au sujet de la proposition d'Air Canada, on parle d'un duopole. La société va diriger une ligne aérienne nationale et deux lignes internationales, Canadien et Air Canada. Que faites-vous en pareil cas? Air Canada sera entièrement propriétaire de cette entité, mais va-t-on conserver le nom ou le changer? Que se passerait-il si les dirigeants conservaient le nom et qu'à l'ouest du Canada, on ait Canadien et à l'est et au nord Air Canada?

La présidente: Ce n'est pas ce qu'a dit M. Milton ce matin.

Le sénateur Finestone: Qu'il l'ait dit ou non, je veux savoir si c'est une possibilité.

M. Dutta: Il appartient à Air Canada de choisir la structure qu'elle souhaite adopter.

Le sénateur Finestone: La décision appartient à Air Canada?

M. Dutta: Star n'aurait pas son mot à dire à ce sujet.

La présidente: Merci de votre exposé.

Nos prochains témoins sont les représentants de l'Association des pilotes d'Air Canada. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Oakley. Vous avez la parole.

[Français]

M. John Oakley, président de l'Association des pilotes d'Air Canada: Madame la présidente, je parle aujourd'hui au nom de l'Association des pilotes d'Air Canada. L'APAC représente environ 2 200 pilotes d'Air Canada. Fondée en novembre 1995, l'APAC compte le plus grand nombre de pilotes transporteurs aériens en provenance du Canada.

[Traduction]

En tant que pilotes du plus important transporteur canadien, nous observons les soubresauts de l'industrie à partir du cockpit. C'est une façon de dire que tout en jouant un rôle actif dans le volet commercial de l'équation, nous avons aussi une fenêtre directe sur les opérations quotidiennes d'une ligne aérienne.

Bon nombre d'entre nous, comme moi, avons piloté dans l'armée et pour différents transporteurs, ce qui ajoute à notre perspective de l'industrie. Cependant, notre mission première consiste à s'assurer que la sécurité de nos passagers demeure l'ultime priorité. En somme, nous croyons avoir une vision unique du secteur.

Un ancien proverbe chinois, qui est aussi une malédiction dit: «Puissiez-vous vivre à une époque intéressante». Chose certaine, c'est le cas à l'heure actuelle pour les employés des lignes aériennes. En effet, les événements se succèdent à un tel rythme qu'il faut vraiment accrocher solidement sa ceinture.

[Français]

Les pilotes d'Air Canada croient fermement en une industrie canadienne d'aéronautique saine, en pleine croissance et compétitive. Nous sommes d'avis que le gouvernement a été bien inspiré lorsque, il y a plusieurs années, il a privatisé l'industrie qui devait laisser les forces du marché libre de réglementer le marché aujourd'hui.

[Traduction]

Depuis la mi-août, la situation de l'industrie aérienne au Canada a été vivement débattue. Au cours de cette période, la discussion a été en grande partie façonnée par l'opinion de la société Onex, exprimée par son chef de direction, M. Gerald Schwartz, par le biais d'une campagne coûteuse et sophistiquée de relations publiques et gouvernementales. Tout l'argument d'Onex est fondé sur l'existence d'une crise dans le secteur aérien. Il était présumé que la seule solution serait l'inévitable émergence d'un transporteur aérien dominant ou monopolistique.

Les pilotes d'Air Canada ne voient pas la situation actuelle et future de l'industrie à travers un prisme aussi sombre et pessimiste. L'industrie aérienne au Canada n'est pas en crise. D'ailleurs, nous ne partageons pas l'opinion selon laquelle un seul transporteur aérien dominant doit nécessairement émerger de la situation actuelle.

L'industrie dans son ensemble n'est pas en péril. Il y a environ huit grands transporteurs au Canada, plus quatre réseaux régionaux bien établis. Parmi ceux-ci, une seule compagnie est en crise, les Lignes aériennes Canadien International. Les problèmes de cette société ne sont pas nouveaux. Depuis 10 ans, des difficultés fondamentales ont à maintes reprises atteint un point de non-retour -- situation causée à l'origine par des fusions ambitieuses et une expansion financée par un gonflement insoutenable de la dette.

Mise à part cette société, les lignes aériennes canadiennes sont en bonne santé. Notre compagnie, Air Canada, et les autres lignes aériennes du Canada sont en pleine croissance et connaissent la prospérité. À notre avis, le gouvernement fédéral ne devrait pas céder à la pression et prendre des décisions stratégiques hâtives et potentiellement désastreuses, fondées sur la fausse impression de crise délibérément alimentée par Onex pour rallier des appuis dans l'opinion et parmi les instances réglementaires en faveur de leur offre publique d'achat hostile et ratée.

À notre avis, c'est à Canadien même qu'il appartient de résoudre les problèmes des Lignes aériennes Canadien. Premièrement, il convient d'examiner comment cette société s'est retrouvée en difficultés financières.

Les problèmes de Canadien ont commencé dans les années 80, lorsque la Société Pacific Western Airlines a conclu des ententes de fusion avec Canadien Pacific, Wardair, Eastern Provincial Airlines et Nordair. Afin de faciliter la formation d'une nouvelle entité, les dirigeants de la compagnie ont joué la carte du parasitisme auprès des divers syndicats d'employés de sorte que la rationalisation et l'harmonisation qui découlent normalement d'une restructuration ne se sont pas produites.

Voici un exemple qui illustre cela. Selon les normes nord-américaines, une ligne américaine moyenne compte environ 110 employés par appareil. Air Canada en emploie environ 120. À l'opposé, les Lignes aériennes Canadien emploient environ 187 employés par appareil, soit près de 70 de plus par appareil qu'Air Canada et près de 80 de plus que la norme dans le secteur.

Le deuxième facteur tient au fait que les Lignes aériennes Canadien n'ont jamais été capables d'atteindre une rentabilité intéressante sur ses routes internationales en comparaison d'Air Canada. C'est bien simple, cette société ne génère pas suffisamment de trafic-voyageurs à partir de ses lignes intérieures ou de ses partenaires d'alliance sur ces routes importantes. Nous affirmons que dans le cas d'un partenaire d'alliance de Canadien, nommément American Airlines Corporation, un plan systématique a été ourdi afin d'empêcher Canadien de transporter davantage de passagers.

Le troisième facteur -- et le plus important -- qui nuit au potentiel de gains de Canadiens est le fait qu'American Airlines draine des centaines de millions de dollars par an qu'elle envoie à Dallas. La Société AMR a vu en Canadien une société en crise et a agi rapidement pour l'enfermer de façon permanente dans son orbite en consentant à la maintenir à flots en échange de ce que nous savons maintenant être des concessions étouffantes.

Sous la contrainte, Canadien a accepté des contrats au prix fort, payables en dollars américains, pour les services et l'entretien; il a adopté le système de réservations Sabre contrôlé par AMR et déménagé des emplois canadiens au sud de la frontière. Ainsi, les dirigeants ont cédé une importante marge de contrôle financier et de gestion aux Américains. Ils se sont assujettis à la prérogative américaine dans le marché des routes transfrontières éminemment profitables, qui représentent la clé de toute rentabilité future pour Canadien.

À ce sujet, il a récemment été révélé que dans le cadre de la convention collective actuelle signée entre AMR et ses pilotes, American a convenu d'assumer la responsabilité des routes transfrontières canadiennes avec ses partenaires d'Alliance lorsque les revenus atteignent un certain seuil, soit le seuil de la rentabilité.

Avec la permission du comité, je laisserai au greffier les principales dispositions de l'entente entre AMR et ses pilotes à la fin de notre exposé.

Au cours des trois dernières années, les Lignes aériennes Canadien ont perdu près d'un milliard de dollars. Pendant cette période, on calcule que Canadien a versé près de 1,05 milliard ou près de 350 millions de dollars par an à American Airlines. Il n'est pas nécessaire d'être ministre des Finances pour constater que si American Airlines n'avait pas figuré dans l'équation, les problèmes de Canadien auraient été beaucoup moindres.

L'Association des pilotes d'Air Canada estime que les Lignes aériennes Canadien peuvent être rentables. Nous pensons qu'une solution pour résoudre le problème consisterait à permettre à Canadien de se restructurer en invoquant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ou la Company's Creditor Arrangement Act, la CCAA, pour se protéger de ses créanciers. C'est une solution fondée sur le marché pour répondre à un problème fondé sur le marché, tout en étant conforme à la politique du gouvernement. À notre avis, cela permettrait à Canadien de restructurer sa dette de façon à la rendre gérable et de résoudre les problèmes fondamentaux liés à ses relations avec American Airlines.

[Français]

Nous croyons que votre comité à pour mandat d'étudier les sérieux enjeux de la politique gouvernementale et qu'en faisant des recommendations, il exercera une grande influence sur l'avenir de l'industrie aéronautique de ce pays.

Les pilotes d'Air Canada demandent respectueusement qu'en arrivant à ses conclusions votre comité soit guidé par les facteurs suivants.

[Traduction]

À notre avis, compte tenu des avantages que Canadien offre à la corporation AMR, il est peu probable que Canadien soit mis en faillite. Il incombe donc aux Lignes aériennes Canadien International Limitée de rationaliser sa structure de manière à l'alléger et à accroître son efficacité. L'Association des pilotes d'Air Canada appuie le principe d'une concurrence réelle sur les routes intérieures et transfrontalières. En effet, la concurrence sert les meilleurs intérêts du public en incitant les autres transporteurs à offrir aux consommateurs le service qu'ils exigent et qu'ils méritent et ce, à des prix justes.

Notre pays ne peut faire vivre qu'une compagnie nationale canadienne assez puissante pour concurrencer les transporteurs étrangers sur les routes internationales. À cet égard, la plupart des autres pays n'ont qu'une compagnies nationale desservant les routes internationales. Au Canada, il est toujours dans l'intérêt national de veiller à maintenir une industrie des transports aériens qui réponde à nos besoins particuliers et respecte nos politiques nationales. En conséquence, la direction et le contrôle opérationnel des principales composantes de l'industrie du transport aérien devraient rester entre les mains d'intérêts canadiens. L'APAC appuie la volonté du ministre des Transports de conserver la règle essentielle limitant à 25 p. 100 la propriété étrangère dans nos lignes aériennes.

Nous invitons le gouvernement à prendre le temps qu'il faut pour évaluer toutes les options possibles et réaliser les consultations nécessaires. Les questions qui sont débattues à l'heure actuelle auront des répercussions importantes sur la santé future et l'orientation de l'industrie aérienne canadienne. Il ne serait pas opportun d'adopter une nouvelle politique ou de prendre une décision de façon hâtive.

L'Association des pilotes d'Air Canada met le gouvernement en garde contre l'idée de réglementer à nouveau l'industrie aérienne. Chez Air Canada, nous avons pu apprécier les avantages que l'on pouvait tirer des occasions découlant de la déréglementation et de l'accord «Ciels ouverts» intervenu avec les États-Unis. Au souvenir de cette époque où la réglementation poussée s'est soldée par une industrie du transport aérien moribonde et coûteuse, nous craignons que des contrôles accrus étouffent la vitalité et l'innovation qui caractérisent aujourd'hui notre secteur.

Le ministre des Transports, M. Collenette, a demandé aux Comités des transports de la Chambre des communes et du Sénat de se prononcer sur les six questions abordées dans sa politique-cadre. Nous souhaitons commenter deux de ces questions.

Notre association s'oppose à l'assouplissement de la règle des 10 p. 100 de propriété des actions d'Air Canada. Le transport aérien revêt une importance vitale dans le cadre du mieux-être économique de ce pays et cette règle vise à assurer qu'Air Canada demeure une société à grand nombre d'actionnaires. Ce motif est toujours valable et comme toute modification de la loi signifierait une modification importante de la politique gouvernementale, toute proposition en ce sens devrait d'abord faire l'objet d'un débat approfondi et éclairé au Parlement.

Advenant que l'option d'une ligne aérienne dominante soit retenue, l'Association des pilotes d'Air Canada veut s'assurer que le comité comprenne bien toutes les complications qui pourraient surgir à la suite de la fusion des effectifs des deux transporteurs. Notre association a déjà été mêlée à une bataille prolongée avec un autre groupe de pilotes qui voulaient fusionner leur liste d'ancienneté avec celle des pilotes d'Air Canada. Cette bataille, après quatre ans, n'est toujours pas réglée devant les tribunaux du travail. Si un transporteur devait devenir prépondérant, les pilotes de notre association, mais aussi ceux des deux compagnies parties à une éventuelle fusion pourraient avoir à défendre leurs perspectives de carrière à la suite de demandes de déclaration d'employeur unique présentées par les pilotes des compagnies régionales affiliées.

En conclusion, les pilotes d'Air Canada ne considèrent pas qu'il y a une crise dans l'industrie aérienne au Canada. Les Lignes aériennes Canadien sont aux prises avec un problème d'envergure qui doit être résolu sur le marché au moyen d'une restructuration et de réaménagement des rapports fondamentalement malsains entre Canadien et American Airlines. Nous pensons que Canadien peut se restructurer et devenir un transporteur aérien intérieur et transfrontière, sain, rentable et concurrentiel au Canada. Cette solution sert au mieux les intérêts des consommateurs en encourageant la concurrence sur le marché canadien. À notre avis, la solution privilégiée pour le moment, c'est-à-dire l'émergence d'un unique transporteur dominant, ne permet pas d'atteindre ces objectifs.

Je répondrai volontiers aux questions, bien que j'avoue être beaucoup plus à l'aise à 39 000 pieds d'altitude.

[Français]

Le sénateur Poulin: Comme vous le constatez, même si le Parlement ne siège pas cette semaine, le comité sénatorial des transports et des communications est au travail. Toute la question de l'industrie aérienne est une grande priorité pour les Canadiens et les Canadiennes. Lorsqu'on vient du Nord de l'Ontario, par exemple, on se rend compte que c'est encore plus important à cause des distances que l'on doit franchir dans nos relations commerciales et humaines.

[Traduction]

Monsieur Oakley, vous êtes l'un des rares qui estiment qu'il n'est pas nécessaire que nous fassions un examen de l'organisation de l'industrie aérienne, et j'en suis assez étonné. Pourriez-vous nous expliquer encore une fois pourquoi vous estimez qu'un tel examen n'est pas nécessaire? Je répugne à employer le mot «crise». Veuillez noter que je me suis abstenu de l'employer.

M. Oakley: Le gouvernement devrait peut-être examiner la politique aérienne, ce qui n'a pas été fait depuis 1988. Je ne dis pas qu'il ne faut pas se pencher sur la politique globale de l'industrie aérienne. Si vous n'étiez pas assis ici, peut-être considéreriez-vous cela une perte de temps. Cependant, notre solution au problème -- et non à la crise -- va sans doute à l'encontre de ce que vous avez entendu depuis les derniers jours, en ce sens que nous ne croyons pas à la théorie du transporteur dominant. Il y a, au Canada, les assises permettant de conserver deux sociétés aériennes concurrentielles et de fournir ainsi la concurrence que les consommateurs exigent du gouvernement, en fait. Nous pensons que cette solution est toujours viable.

Le sénateur Poulin: Lorsque le chef de direction des Lignes aériennes Canadien a comparu devant nous, il a dit le contraire. Comment vous sentiriez-vous à sa place?

M. Oakley: Au sujet de la crise?

Le sénateur Poulin: Oui.

M. Oakley: À mon avis, il est confronté à la triste fin d'une ligne aérienne ayant eu une glorieuse et longue tradition. Il semble avoir accepté la prémisse de M. Schwartz. Peut-être est-il forcé de faire certaines choses en raison de ses rapports avec ses créanciers. Nous ne pensons pas que les dirigeants de la société ont pris la situation très au sérieux en regroupant ensemble tous leurs créanciers. Depuis trois ans, ils ont refinancé la société à trois reprises, mais avec qui? Selon nous, ils ont simplement eu des pourparlers avec leurs principaux créanciers, peut-être American Airlines ou Royal Trust, et ils n'ont pas regroupé tous leurs créanciers pour leur présenter une option viable. Je pense que le chef de direction de Canadien est menotté par ses options. Lorsqu'un preux chevalier s'est présenté, par un acte de foi, il a cru que c'était la seule solution.

Le sénateur Poulin: En tant que représentant de vos collègues, quel objectif poursuivez-vous en affirmant qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la structure de l'industrie aérienne?

M. Oakley: C'est une question difficile. Le rôle d'un syndicat est de protéger ses membres, plus précisément leur niveau de vie et leurs emplois.

Le sénateur Poulin: Pensez-vous que votre emploi et ceux de vos collègues sont en péril?

M. Oakley: Pour le moment, non. Nous avions de réelles inquiétudes au sujet de la proposition d'Onex, bien sûr, et une fusion directe aurait de toute évidence donné lieu à des excédents. C'est tout à fait à l'opposé du point de vue que nous défendons. Une fusion n'est pas nécessaire dans ce pays. Nous n'avons pas à nous livrer à cet exercice pénible. Si vous acceptez ma prémisse selon laquelle un transporteur international est la norme, je crois alors que M. Milton a expliqué ce matin, très éloquemment, la croissance potentielle dans l'industrie et la demande comprimée pour les voyages internationaux qui verraient une industrie croître plutôt que de battre en retraite. Nous sommes très positifs quant à l'issue de cette affaire, mais nous n'avons pas trop confiance. Nous nous inquiétons énormément de nos collègues de Lignes aériennes Canadien International. La compagnie n'a pas eu la tâche facile au cours des 10 dernières années. Nous appuierions toute solution qui garantirait les 16 000 emplois à Canadien.

Le sénateur Poulin: Nous devons avoir confiance lorsque vous êtes assis dans cette cabine de pilotage, parce nous comptons sur vous. Merci, monsieur Oakley.

Le sénateur Kirby: J'ai deux questions. Vous êtes les seuls qui sont comparus devant nous, relativement à tous les aspects de cette question, qui ne pensent pas que Lignes aériennes Canadien International ont de sérieux problèmes et que, peu importe la solution que vous trouverez, vous vous retrouverez avec un seul transporteur aérien dominant. Que savez-vous que personne d'autre ne sait?

M. Oakley: C'est une question difficile. Le débat a été très focalisé au cours des deux derniers mois par deux parties intéressées, qui s'opposent.

Le sénateur Kirby: Les deux parties, le gouvernement et quelques tiers neutres qui ont comparu devant nous s'entendent sur l'avenir financier de Lignes aériennes Canadien International, si rien n'est fait et sur les conséquences, qu'il s'agisse d'une faillite, d'une fusion ou de que sais-je encore. On se retrouvera avec un transporteur aérien dominant. Pourtant vous avez dit à trois ou quatre reprises tant dans votre déclaration que dans votre réponse au sénateur Poulin, que cela ne produira pas. Est-ce seulement d'espoir ou savez-vous quelque chose que nous ignorons?

M. Oakley: C'est seulement de l'espoir, mais je crois que qu'il n'y a que le ministre qui a adopté le point de vue selon lequel nous nous retrouverons avec une compagnie aérienne dominante.

Le sénateur Kirby: Tous les autres témoins pour ainsi dire ont adopté ce point de vue, comme l'a fait M. Milton ce matin.

M. Oakley: Un monopole, c'est une affaire extrêmement rentable. Les principaux intervenants seraient favorables à un transporteur dominant. Les pilotes d'Air Canada ne se rangent pas dans cette catégorie. Nous exagérons peut-être un peu trop en disant que la solution ne doit pas être un transporteur dominant. D'autres options s'offrent. Nous prêchons peut-être dans le désert sénateur, mais personne d'autre n'a exposé le même point de vue que nous. Je n'ai aucune information privilégiée.

Le sénateur Kirby: Pourquoi vous opposez-vous à ce qu'on modifie la règle du 10 p. 100? Pourquoi voulez-vous conserver cette règle, alors qu'aucun autre pays industrialisé ne l'a adoptée?

M. Oakley: Nous écoutons le débat en gardant l'esprit ouvert à cet égard. De notre point de vue, le gouvernement a longuement réfléchi avant de légiférer. Nous croyons que c'est dans le meilleur intérêt du pays que les actions d'Air Canada soient détenues par un grand nombre d'actionnaires. Tant que les faits nous donnent raison, nous ne pouvons adopter la position des actionnaires. Je ne sais pas ce que cela signifie pour eux.

Le sénateur Kirby: Je ne devrais pas dire cela, mais je vais le faire, étant donné ce que vous avez dit au sujet du meilleur intérêt du pays et du grand public. Je comprends cette préoccupation. Votre désir de faire préciser dans votre contrat avec Air Canada que les avions de transport régional à réaction ne soient pas utilisés par les compagnies régionales ne correspond absolument pas avec ce que je crois être l'intérêt public. Quiconque dessert, comme c'est le cas de beaucoup de monde autour de cette table, de très petites collectivités dans ce pays, est de toute évidence pénalisé étant donné la nature de votre convention collective avec Air Canada en ce qui a trait à limiter l'utilisation des jets par les compagnies régionales d'Air Canada. En toute franchise, un grand nombre d'entre nous renoncent à leur itinéraire habituel pour prendre des avions des compagnies régionales de Canadien parce que ces appareils sont beaucoup plus convenables que les petits avions d'Air Canada. Nous n'avons découvert que tout récemment que cela se trouvait dans l'entente que vous avez négociée avec Air Canada.

M. Oakley: Dans nos grandes cabines de pilotage, nous ne sommes pas isolés du reste de l'industrie. Nous comprenons que, au plus bas niveau, les consommateurs réclament des jets et qu'ils les obtiendront. Air Canada les veut dans les plus brefs délais. Notre position n'est pas irrévocable, sénateur.

Nous avons dit à M. Milton, à un certain nombre de reprises, que nous savons ce qu'il veut et qu'il devrait nous faire une offre. Il a dit publiquement qu'il remplacera le gros jet des pilotes d'Air Canada par un petit si ces appareils servent sur les lignes d'alimentation. Ce n'est pas ce qu'il nous a dit dans le cadre des négociations. Il n'a pas fait cette offre par écrit et nous sommes plus que désireux d'aborder cette question. Nous savons qu'il faut le faire.

Sénateur Kirby: Si j'ai soulevé cette question, c'est uniquement parce que toutes vos observations au sujet de votre préoccupation pour le public voyageur ne cadrent pas avec cette clause de votre contrat actuel.

M. Oakley: Il s'agit d'un article assez court qui a été ajouté il y a un certain nombre d'années. C'est un document évolutif comme le sont toutes les conventions collectives. Nous pouvons y apporter des améliorations. Nous amorcerons les négociations cet automne et nous savons que l'employeur placera probablement cette question en troisième place dans l'ordre des priorités. Nous avons exprimé notre désir de négocier à cet égard.

Le sénateur Fairbairn: Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous voyez la survie de Lignes aériennes Canadien International en tant qu'entité distincte. Vous avez dit sans équivoque que, selon vous l'un des principaux problèmes avec lesquels est aux prises de la compagnie, c'est American Airlines et que Canadien devrait prendre ses distances ou mettre fin à cette relation. J'ai de la difficulté à voir comment le fait de se mettre sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ou de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ne mettrait pas immédiatement fin à cette alliance, étant donné surtout que les créanciers pourraient alors ne voir d'autre solution que de retirer leurs appareils de la piste, ce qui signifierait pour ainsi dire la fin le Lignes aériennes Canadien International.

Croyez-vous qu'il faudrait opter pour cette solution de toute évidence axée sur les forces du marché plutôt que d'essayer de conserver cette compagnie aérienne, sous quelque forme que ce soit, à l'intérieur d'une plus grande entité de manière à conserver certains de ses avantages très positifs. Cela empêcherait également de mettre à pied 16 000 personnes, ce qui serait certainement le résultat de la faillite.

M. Oakley: Nous croyons que Lignes aériennes Canadien International dispose de l'infrastructure, des ressources et du personnel qui lui permettront d'être rentable. Pour revenir aux opérations internationales de Canadien, l'offre d'Air Canada pour ces lignes internationales englobait les employés et les avions qui allaient avec ses itinéraires internationaux. Dans ce cas nous ne parlerions plus de 16 000 employés, mais d'un transporteur national et transfrontalier.

Selon le bilan financier d'Air Canada, leurs itinéraires intérieurs et transfrontaliers sont très rentables. Nous ne voyons donc pas pourquoi le grand public doit accepter la théorie d'un transporteur dominant.

Je crois que le premier ministre a dit que les lignes régionales où les transporteurs aériens à services de frètement prendraient de l'expansion pour rétablir l'équilibre. Nous croyons qu'il n'y a pas d'équilibre à rétablir. Tout est déjà en place pour garantir un service national transfrontalier très rentable.

Nous n'avons pas entendu de représentants de Canadien venir dire aux gens de ce pays que d'autres options devraient être étudiées. La compagnie a dit que c'était soit perdre 16 000 emplois soit accepter l'offre de M. Schwartz sinon s'en remettre à Air Canada. Il faut examiner d'autres options. J'ose espérer que si ce débat a cours c'est en partie pour prouver que d'autres possibilités s'offrent à nous.

Le sénateur Fairbairn: Vous en avez à coup sûr mis une sur la table et je vous en remercie.

La présidente: Merci de votre exposé, monsieur Oakley.

La séance est levée.


Haut de page