Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE CANADA, LA RUSSIE ET L'UKRAINE : ÉTABLIR DE NOUVELLES RELATIONS

Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères 

Président: L'honorable Peter Stollery
Vice-présidente: L'honorable Raynell Andreychuk

Seizième rapport

Juin 2002


LA SÉCURITÉ ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE EN RUSSIE

Les affaires militaires et la politique étrangère de la Russie n’ont été le sujet que d’une faible partie des témoignages entendus par le Comité. Cela dit, l’évolution récente liée à l’OTAN et à la guerre contre le terrorisme engagée après les événements du 11 septembre a ramené la sécurité et la politique étrangère à l’avant-scène.

A La situation militaire

Le Comité a reçu des témoignages selon lesquels la force militaire russe ne représente pas la même menace à la sécurité de l’Ouest que la force soviétique. L’infrastructure militaire russe est gravement sous-financée et les forces armées sont dans une situation lamentable. Pour citer Larry Black : « Pour être tout à fait franc, je dois dire que la Russie ne dispose pas d’une armée qui lui permette de se défendre contre qui que ce soit. » Le drame interminable du naufrage et de la remontée du Koursk est devenu pour beaucoup de Russes le symbole du déclin de leurs forces militaires.

Selon les estimations, l’entretien de l’armée soviétique absorbait près de 25 p. 100 du PIB soviétique. Moins forte, l’économie russe dispose d’encore moins de ressources. Alors que les États-Unis ont un budget militaire de quelque 396 milliards de dollars américains, les dépenses estimatives de la Russie pour 2002 sont de 60 milliards de dollars américains[57].

Le Comité a appris que sur les ressources allouées à la défense, il arrive que seulement quelque 50 p. 100 du total soit débloqué. D’après les déclarations que de hauts gradés russes ont faites en 1994, on estime que les effectifs réels se situent entre 40 et 50 p. 100 du chiffre sur papier. Environ 60 p. 100 du matériel a été mis aux rebuts, les heures de vol ont été réduites du quart de ce qui était prévu auparavant (de 30 à 35 par année) et il a fallu annuler 70 p. 100 des exercices d’entraînement au combat. Les escadrons de combat paient leur carburant en emmenant de riches occidentaux faire des balades de 5 000 $. D’après Dale Herspring (professeur à l’Université du Kansas), des déclarations plus récentes sur les forces navales et les bataillons de chars font écho au même message.

Des témoins ont aussi déclaré au Comité que les soldats russes sont mal payés et mal entraînés. Comme l’ont signalé Dale Herspring et Murray Feshbach, l’armée de conscrits a du mal à trouver des recrues en bonne santé et en forme[58]. Le moral a été miné par une discipline intransigeante et le bizutage, d’après Fiona Hill. À cause des problèmes de rémunération, les sous-officiers (qui sont l’armature de toute armée) se livrent souvent au marché noir, par nécessité. Les histoires qu’on raconte au sujet de soldats russes qui vendent du matériel militaire ont peut-être le plus souvent un fond de vérité.

Malgré toutes ces observations négatives, l’industrie russe de la défense demeure rentable. Elle est même un concurrent de calibre mondial. Chose curieuse, signale Dale Herspring, les ventes militaires sont réalisées à l’étranger pour obtenir des devises alors que l’armée russe n’a pas les moyens d’acheter des armes russes.

L’état des armes nucléaires et des autres armes de destruction de masse russes ainsi que de leurs systèmes de commande et de contrôle est fort préoccupant. Il est possible que des explosions nucléaires soient déclenchées à cause d’un piètre entretien ou que des cibles soient mal identifiées. Des armes nucléaires mal entretenues peuvent causer de graves dommages à l’environnement. L’une des grandes craintes, dans le naufrage du Koursk, concerne les dommages que son réacteur nucléaire a pu causer dans les eaux de l’Arctique et sur les côtes septentrionales.

Le Canada joue depuis des décennies le rôle d’un chef de file en ce qui concerne la dénonciation des dangers que représente la prolifération des armes de destruction massive. Dans un monde désormais préoccupé par la menace que posent les activités terroristes, l’une des plus grandes peurs en Occident s’est intensifiée, à savoir la migration d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques, avec l’expertise requise pour s’en servir, à l’organisation terroriste la plus offrante.

 

B. Les politiques militaire et étrangère et la politique sur la sécurité

Le Président semble être conscient de la nécessité de réorganiser les forces militaires russes. Il faut faire plus avec moins, selon Dale Herspring, et régler les différends et définir les priorités dans l’état-major général. C’est dans cette optique que le Comité s’est intéressé aux nouvelles doctrines militaires et de la sécurité de la Russie.

Patrick Armstrong a avancé l’idée que l’actuelle doctrine militaire serait bientôt remplacée. En effet, elle va à l’encontre du Concept de sécurité nationale publié (voir plus loin), notamment parce qu’elle préconise la préservation de l’armée russe comme élément le plus important dans la planification de la sécurité. De plus, il y a eu des divergences de vues publiques entre les hautes autorités pour savoir quelles seraient les composantes des forces russes – stratégiques ou classiques – prioritaires lorsque viendraient les coupes inévitables. Larry Black et Patrick Armstrong s’entendent pour prévoir des forces militaires classiques plus modestes et plus souples et des coupes importantes dans les forces stratégiques. La défense militaire dépendra donc plus des forces stratégiques que d’une grande armée permanente. Si tel devait être le cas, les problèmes relatifs au système de défense contre les missiles balistiques risquent de faire problème aux stratèges russes.

Le Comité a appris que la doctrine militaire est bien plus un document de planification pour la Russie qu’elle ne l’est en Occident et que six doctrines militaires se sont succédé au cours des dix dernières années. Habituellement, ce sont les militaires qui amorcent la planification et il appartient ensuite aux pouvoirs politiques de fournir les ressources nécessaires. Le Président Poutine a bouleversé l’ordre des choses en plaçant la planification sous contrôle civil, notamment par la nomination de M. Sergei Ivanov (ancien collègue du Président au FSB/KGB) au ministère de la Défense et celle, moins remarquée, d’un nouveau sous-ministre de la Défense chargé des finances. Le ministre Ivanov a été nommé peu après avoir terminé un examen de la planification militaire pour le Conseil de sécurité de la Russie, organe national de planification militaro-politique au niveau du Cabinet. Dale Herspring a souligné que cette décision occasionnerait des frictions entre les civils et les militaires et rendrait difficile l’adaptation de la mentalité de l’appareil militaire russe.

Patrick Armstrong et Larry Black ont tous deux signalé au Comité le nouveau Concept de sécurité nationale proposé en 2001. Il s’agit de la principale expression de la conception du monde que se font la Russie et le Président Poutine. Son premier élément est la reconnaissance du fait que la principale inquiétude pour la sécurité de la Russie vient de la faiblesse de l’économie. Voici ce qu’on lit en première page du document : « Les intérêts nationaux de la Russie ne peuvent être garantis que grâce à un développement économique durable. Par conséquent, les intérêts nationaux de la Russie en matière d’économie sont de la plus grande importance. »

En ce qui concerne les menaces précises, la Russie a toujours quelques grandes priorités. La première est la lutte contre le terrorisme international[59]. La deuxième est l’amélioration de la stabilité aux frontières russes. La troisième est la recherche d’une autre solution que le monde « unipolaire », mot code pour parler des craintes qu’inspire la domination américaine sur les affaires internationales. Patrick Armstrong a avancé l’idée que les Russes s’opposent à la domination américaine en partie parce qu’ils croient que l’équilibre entre les grandes puissances est une situation plus saine et en partie parce qu’elle entame le prestige international de la Russie.

 

C. La politique étrangère et l’opinion russe

Stephen Grant a dit au Comité que les Russes croient en l’importance de leur rôle dans le monde. Cette importance illustre une grande énigme de la politique russe : la Russie est-elle un pays occidental ou doit-elle tracer sa propre voie dans le monde? Une écrasante majorité de Russes estiment qu’eux et leur État constituent un cas unique. Ils ne perçoivent pas l’Ouest comme un ennemi hostile, mais ils ne considèrent pas non plus les intérêts de l’Occident comme les leurs.

Les opinions sur l’Ouest sont aussi inextricablement liées aux transformations intérieures. Des éléments de l’entité politique russe voient dans la transformation en un État libéral-démocratique une trahison de l’identité russe. D’autres identifient les difficultés de la transition à une stratégie occidentale visant à affaiblir la Russie. Comme nous l’avons déjà dit, beaucoup d’autres établissent un lien entre les difficultés personnelles éprouvées par tant de Russes pendant la transition actuelle à des politiques occidentales ou attribuent à la démocratie la situation politique et l’état actuels de la Russie. De nombreux témoins ont fait comprendre au Comité que ce facteur de la situation intérieure était une contrainte cruciale qui empêche la Russie de s’aligner sur l’Ouest. Si c’est vrai, la possibilité que la Russie devienne un solide pilier de l’ordre international libéral-démocratique à la façon de l’Allemagne ou du Japon ne saurait se matérialiser qu’à long terme.

Emil Payin a signalé dans son témoignage le risque d’un ressac nationaliste contre l’Ouest. Il a expliqué que de nombreux Russes estiment que leur pays a changé et est maintenant du côté des « bons ». D’après ce courant de pensée, l’Occident doit en prendre acte. Par conséquent, pour beaucoup de Russes, les critiques occidentales des pratiques russes traduisent l’incapacité de l’Ouest de faire évoluer son attitude à l’égard de la Russie.

Pour le Président Poutine, la politique étrangère constitue à la fois un défi à relever et une occasion à saisir[60]. Pour se maintenir à long terme comme une grande puissance, la Russie doit collaborer avec l’Ouest. Pourtant, sa popularité personnelle pourrait reposer en grande partie sur le rétablissement du prestige de la Russie et l’acceptation par rapport aux intérêts de la politique occidentale. Les mesures prises à l’intérieur de la Russie qui jettent des doutes sur la crédibilité du pays comme État démocratique minent les efforts déployés par le Président pour nouer des liens plus étroits avec l’Ouest. Par contre, un engagement ou une coopération plus étroits avec l’Ouest, particulièrement dans des domaines associés aux réformes intérieures comme la politique sociale, sapent sa position sur le plan intérieur. Ces contradictions inhérentes sont un paradoxe et entravent la capacité du Président Poutine, pour peu que ce soit son intention, d’amener la Russie dans le giron occidental.


D. Les mesures générales de la politique étrangère

Le pragmatisme caractérise donc l’orientation générale de la politique russe. Comme l’a fait observer Gene Fischel, Vladimir Poutine est un pragmatique. La Russie du Président Poutine a cherché des ouvertures de bien des côtés, y compris en renouant les relations autrefois tièdes avec l’Asie de l’Est. Par exemple, elle a conclu un nouveau traité avec la Chine et il y a eu un réchauffement des relations avec le Japon, notamment au sujet de l’épineuse question des îles Kouriles[61]. La Russie s’est également efforcée de renouer des liens avec les principaux interlocuteurs de l’ère soviétique.

La Russie a quelque peu maintenu l’approche de la « sphère d’influence » dans ses relations avec les républiques qui constituaient l’ancienne Union soviétique. Les témoins ont reconnu que la Russie cherchait à promouvoir des solutions régionales au sein de la Communauté des États indépendants (CEI)[62].

Larry Black a fait remarquer que la CEI était une priorité pour la Russie. Au sein de la CEI, la Russie et les quatre membres qui sont les plus proches d’elle sur le plan politique (l’Ukraine, la Moldavie, le Kazakhstan et le Bélarus) ont évolué depuis l’union de cinq pays vers une communauté économique conséquente. Il y a aussi l’initiative du Groupe de Shanghai, en Extrême-Orient, avec des États de la partie orientale de l’Asie centrale et la Chine[63]. La Russie a également continué à renforcer les relations qu’elle a toujours entretenues avec l’Inde et l’Iran. Ces deux pays sont stratégiquement importants et représentent d’éventuels partenaires commerciaux d’une importance prometteuse. Sergei Plekhanov a signalé au Comité que la stabilité de la Russie était importante pour l’Eurasie et, donc, pour l’Ouest. Le Comité croit que le Canada a un rôle à jouer pour ce qui est d’encourager des relations stables entre la Russie et ses voisins. Par ailleurs, nous ne devons pas perdre de vue les propos de Fergal O’Reilly, qui a affirmé que la Russie peut accueillir favorablement la participation et les partenariats de l’Ouest avec elle dans la région, mais qu’elle souhaite limiter la participation occidentale à des mesures à court terme et peu importantes.

E. L’OTAN

Lorsque le Comité a entrepris son étude, la Russie s’était distanciée de sa coopération plus étroite avec l’OTAN des années 1990. Elle avait décroché de certains aspects du programme Partenariat pour la paix (PPP) et elle désapprouvait les politiques de l’OTAN dans les Balkans, en particulier les opérations de celle-ci au Kosovo. L’extension de l’OTAN inquiétait aussi la Russie, puisque l’adhésion des États d’Europe centrale et d’Europe orientale allait amener l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Dans son rapport d’avril 2000 La « nouvelle » OTAN et l’évolution du maintien de la paix : conséquences pour le Canada, le Comité écrivait : « Il n’est toutefois pas évident pour (tous les membres du Comité) qu’une place suffisante est faite à la Russie. »

Depuis lors, il semble que bien des choses ont changé. Un des catalyseurs manifestes du changement, c’est le réchauffement des relations entre la Russie et l’OTAN grâce aux offres d’aide faites par le Président Poutine immédiatement après les attentats du 11 septembre contre le World Trade Center[64]. Il y a pourtant eu certaines indications que, même avant les attentats, la Russie avait comme politique de rechercher une coopération plus pratique avec l’OTAN. Le professeur Larry Black a dit, à l’automne de 1991, que les Russes « revenaient » vers l’OTAN, mais timidement. D’après lui, ils parlaient (à ce moment-là) de coopération plutôt que de partenariat.

Aussi à ce moment-là, l’adhésion des républiques baltes (l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie), qui devait être étudiée par l’OTAN en 2002, était problématique pour la Russie, puisque l’intégration de l’ancien territoire soviétique à l’OTAN allait porter un dur coup à la fierté russe. De plus, les États baltes amènent stratégiquement l’OTAN aux portes mêmes de la Russie européenne. Le plus préoccupant pour cette dernière, c’est que l’OTAN encercle entièrement la base militaire russe vitale de Kaliningrad.

Pourtant, dernièrement, ces problèmes semblent être passés à l’arrière-plan de la politique russe qui privilégie maintenant l’objectif primordial d’assurer la coopération avec l’Occident, au sens que lui donne le Concept de sécurité nationale. La sympathie entre l’OTAN et la Russie a atteint un sommet lorsque, le 14 mai 2002, on a annoncé un « nouveau partenariat » pour former le Conseil OTAN-Russie qui va établir une politique conjointe sur des sujets précis, notamment lutte au terrorisme, prolifération des armes chimiques, biologiques et nucléaires, défense antimissile, maintien de la paix et gestion des crises régionales, recherche et sauvetage en mer, promotion de la coopération militaire, et contrôle des armements. La Déclaration a été signée le 28 mai 2002 mais les détails et modalités ne sont pas encore établis.

Toutefois, les Russes ne sont pas tous favorables à une coopération plus étroite avec l’OTAN. Les dirigeants politiques russes en voient les avantages, mais l’opinion publique russe n’a pas l’air de suivre. Dans un sondage présenté la semaine où la création du Conseil OTAN-Russie a été annoncée le 14 mai 2002, une légère majorité de Russes répondaient qu’ils se méfiaient de l’OTAN.

 

F. Les relations entre la Russie et les États-Unis et les effets du 11 septembre

On a fait savoir au Comité avant le 11 septembre 2002 que l’état des relations entre les États-Unis et la Russie sous le nouveau Président, George W. Bush, constituait un élément primordial de la politique étrangère russe. Lorsqu’il s’est rendu à Washington, le Comité a constaté d’après de nombreux faits que la politique étrangère des États-Unis, après les tout premiers mois au pouvoir de l’administration Bush, n’était pas encore très arrêtée à l’égard de la Russie. La plupart des témoins entendus à Washington convenaient avec Keith Bush que la politique étrangère américaine n’était pas encore définie dans le cas de la Russie. On a aussi remarqué que les frictions et une délimitation peu claire des pouvoirs au sein du Cabinet du Président Bush ont peut-être joué un grand rôle à cet égard.

Un dossier qui a dominé les relations russo-américaines pendant les premiers mois au pouvoir du Président Bush était la détermination du président américain à implanter le système de défense contre les missiles balistiques. Pour les Russes, c’est là le symbole des problèmes que pose le monde unipolaire. Il serait juste de dire que la Russie ne considère pas le système proposé comme une menace directe[65]. Ce qui inspire des angoisses, c’est plutôt le fait que les États-Unis puissent agir unilatéralement. Larry Black a appris au Comité que l’annonce de ce système de défense avait « paralysé » la planification militaire russe, tandis que Dale Herspring a affirmé que la question avait créé des difficultés juste au moment où les Russes pensaient avoir adapté leurs forces à la nouvelle situation.

Il semblerait que l’attitude des Américains n’ait pas contribué à faciliter les échanges dans ce dossier non plus. Le système de défense est très important, sur le plan des symboles, dans les relations entre Russes et Américains. Comme l’a dit Sergei Plekhanov, la façon dont le Président Bush a géré la situation en dit long. La Russie n’a pas été traitée non comme un égal dans ce dossier.

Cette attitude est peut-être à l’origine des vues de la Russie à propos de la renonciation au Traité sur les missiles antibalistiques (ABM). La position russe a toujours été que le traité garantissait mieux la stabilité qu’un système de défense contre les missiles balistiques. Le débat public pourrait porter davantage sur la façon dont la Russie perçoit sa position et son influence dans l’ordre mondial que sur les détails techniques concrets d’un système de défense. Cela dit, la plupart des témoins ont convenu que, au bout du compte, les Russes accepteront un compromis et en profiteront pour négocier ferme sur d’autres questions de politique étrangère et d’aide technique[66].

Cependant, des comptes rendus récents semblent maintenant montrer que la politique étrangère des États-Unis à l’égard de la Russie, qui pouvait être qualifiée d’indifférente avant les attentats, a évolué à la faveur d’un réchauffement des relations officielles et personnelles entre les deux pays et leurs dirigeants. Le Président Bush a exprimé son appréciation de la manière dont le Président Poutine a promis sans hésitation aux États-Unis l’aide de la Russie. Le Président Poutine est le premier chef d’État étranger qui a communiqué avec le Président Bush après les attaques. De plus, la Russie a fourni des rapports de renseignement et autorisé l’utilisation des bases aériennes eurasiatiques dans la campagne menée contre les talibans en Afghanistan. Outre le grand avantage que procure le réchauffement des relations russo-américaines, l’attitude du Président Poutine et la coopération de la Russie dans cette affaire ont rappelé aux États-Unis que la Russie continue de jouer un rôle important et que la politique américaine ne saurait se passer de sa coopération et sa bonne volonté dans certains secteurs. Essentiellement, la Russie est revenue, pour l’instant, au premier plan dans la politique étrangère des États-Unis[67].

Pour la Russie, les attentats ont confirmé la priorité accordée à la lutte contre le terrorisme, telle qu’énoncée dans son Concept de sécurité nationale. Ils ont été une passerelle vers l’Ouest et le Président Poutine a saisi l’occasion pour élargir, sur le plan intérieur, l’espace politique favorable à un rapprochement avec l’Occident.

Il importe néanmoins de signaler que toute la Russie ne suit pas le Président Poutine. Des éléments non négligeables de la société, des médias et du gouvernement russes semblent mécontents de ce qu’ils considèrent comme un acquiescement à la puissance américaine. À la veille du sommet Bush-Poutine, à la mi-novembre 2001, les politiques russes et les commentateurs politiques ont averti le Président Poutine qu’il ne devait pas sacrifier les intérêts de la Russie au nom de l’amitié. Dernièrement, la presse occidentale a fait entendre des mises en garde au sujet de l’avenir de la Russie. Il a notamment été question de l’« alignement » de la Russie sur l’Ouest et de l’avenir des réformes de Poutine[68]. On a critiqué dans certains médias russes la présence des forces américaines, canadiennes, australiennes et alliées en Asie centrale. Certaines de ces critiques visaient cependant plutôt à discréditer les forces alliées, en évoquant davantage leurs incidences locales et leurs conséquences sur les habitudes que leur présence stratégique.

Le fragile équilibre que le Président Poutine doit chercher à préserver dans les relations de la Russie avec l’Ouest est mis à dure épreuve par la campagne actuelle contre le terrorisme. Le Président Poutine devait sa popularité en partie à la guerre qu’il avait faite à la Tchétchénie. Les États occidentaux se sont déjà dit inquiets des actions de la Russie en Tchétchénie. Les organisations intergouvernementales et interparlementaires ont censuré ou suspendu leurs membres ou homologues russes. Fiona Hill a souligné le fait que la Russie s’est assurée de présenter la situation comme un problème de sécession et non pas une campagne anti-islamiste[69]. Des pays clés comme la Chine et l’Iran semblent accepter cette explication.

Les représentants russes ont déjà affirmé que la coopération américaine contre le terrorisme était souhaitable, et des témoins ont indiqué au Comité que tout résultat tangible de cette coopération pourrait évidemment soutenir le Président Poutine dans son combat pour débarrasser la Russie du terrorisme. Cependant, les États-Unis ont récemment décidé de placer des conseillers militaires en Géorgie, à quelques kilomètres de la frontière tchétchène, ce qui inquiète certains Russes parce que c’est un geste unilatéral qui met en action des soldats américains dans la « sphère d’intérêt de la Russie ».

Les récents différends économiques avec les États-Unis à propos des tarifs douaniers sur l’acier et la volaille risquent d’envenimer l’affaire de la Géorgie dans les relations américano-russes[70]. Les mesures antidumping américaines pourraient coûter à la Russie environ 2,2 milliards de dollars américains. Les Russes pourraient croire que de telles mesures prises maintenant sont au mieux inconsidérées et, au pire, délibérées.

En ce qui concerne la démocratie et l’identité russe, la coopération de la Russie avec l’Occident en ce qui concerne le terrorisme donne prise à ceux qui considèrent la démocratisation comme une menace pour la Russie en tant que grande puissance, et la démocratie comme un concept imposé par l’étranger dans le but d’affaiblir la Russie. Dans l’ensemble, les analystes politiques dans les médias et les milieux universitaires craignent que les forces antiréformes ne profitent de la « guerre contre le terrorisme » pour se regrouper en une puissante opposition contre les politiques réformistes du Président.

Dans un mémoire écrit envoyé au Comité, Patrick Armstrong définit deux écoles de pensée russes sur ce que la Russie devrait être dans le monde. Selon la première, la Russie est une grande puissance dont le pouvoir est détenu par ceux qui ont profité du régime communiste. Or, ces bénéficiaires du legs soviétique ont fait beaucoup de bruit depuis dix ans autour de certaines questions comme encourager la Russie à former son propre « pôle d’attraction », renouer les relations avec d’anciens alliés tels que l’Iraq et Cuba, et, dernièrement, s’opposer à la présence militaire américaine en Géorgie et en Asie centrale.

Selon M. Armstrong, ces voix dénotent une vision fausse de la réalité. Elles sont assez nombreuses mais elles n’ont pas vraiment de programme. Elles professent des opinions empreintes de nostalgie qui ne sont d’aucune utilité pour arriver à faire contrepoids aux États-Unis. Par exemple, le commerce avec l’Iraq ne saurait aider la Russie à redresser son économie et lui coûterait probablement cher sur le plan diplomatique.

L’autre école de pensée définie par M. Armstrong est celle de « l’intégration » à l’Occident. C’est le courant auquel souscrit le Président Poutine et c’est celui, croit-on, qui l’emportera pour les mêmes raisons que professent ceux qui veulent rétablir la grande puissance de la Russie, à savoir des raisons stratégiques d’intérêt national.

M. Armstrong souligne aussi que les résultats de la stratégie du Président Poutine ont commencé à se matérialiser ou le feront bientôt. La Russie a meilleure réputation en Occident et les réformes du Président Poutine sont enfin reconnues. Il y a un mouvement en faveur de l’adhésion de la Russie à l’OMC et l’administration Bush fait pression pour l’abrogation de « l’amendement Jackson-Vanik », un vestige de la guerre froide[71]. En outre, l’Allemagne et la Russie ont conclu un accord sur la part de la dette soviétique assumée par la Russie et les relations entre la Russie et l’UE progressent. Enfin, une relation nouvelle est en train de s’établir entre la Russie et l’OTAN.

Tout ce qui précède est le fruit de la politique occidentaliste stratégique et pragmatique du Président Poutine. C’est une politique qui mise sur les intérêts communs et non pas sur l’expression de valeurs communes[72]. Comme l’a écrit M. Armstrong : « Nous sommes donc à même de constater combien il est faux de dire que Poutine a changé d’attitude pour devenir occidentaliste. Il l’est en fait de longue date. C’est nous qui avons changé. »


L’ENGAGEMENT DU CANADA EN RUSSIE

Il existe des liens de longue date entre le Canada et la Russie. Nous partageons une passion pour un sport, le hockey, une passion qui est peut-être unique entre deux pays et dont l’histoire et les documents rappellent des moments forts de la culture populaire de l’un et l’autre pays. Nous avons la même conception des questions qui intéressent le Nord et de l’exploitation des ressources naturelles, ainsi que de ce que cela signifie de gérer les deux plus grands pays du monde. Il y a en outre des liens de longue date dans les domaines de l’agriculture et de l’aide agricole. Enfin, les Russes ont l’impression que les Canadiens les ont toujours considérés avec une compréhension nuancée.

Comme la Russie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, elle représente de nouveaux défis et possibilités pour le Canada. Les témoins qui ont comparu devant nous ont donné des suggestions et des exemples réfléchis de ce que pourrait être la politique canadienne à l’égard de la Russie. Leurs propos reposent sur le bon sens et montrent la voie à emprunter pour que les relations soient bénéfiques aux deux pays.

Le Comité a rapporté de sa mission d’information à Washington l’expression « engagement patient ». Le Comité croit par-dessus tout que le Canada doit adopter une perspective à long terme de ses relations avec la Russie.

Le Canada a également été exhorté à accorder moins d’attention à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Le conseil que les témoins experts donnent au Canada, c’est que la Russie ne se résume pas à Moscou, à Saint-Pétersbourg et à quelques autres centres industriels. Lorne Cutler a fait remarquer que, tandis que Moscou accueille les sièges sociaux de sociétés internationales, constitue le grand centre bancaire et commercial du pays et a une variété et un nombre de boutiques rivalisant avec les plus grandes villes de la planète, le reste de la Russie[73] est à des lieues de la richesse dans laquelle baigne la capitale. D’ailleurs, de nombreux observateurs ont négligé la majeure partie de la Russie à cause de l’extrême centralisation de certains pouvoirs au Kremlin et de l’intérêt bien naturel que suscite le nouveau Président.

En ce qui concerne toute offre du Canada pour aider la Russie, notre pays a l’avantage d’être considéré par la Russie comme un État relativement neutre. Peter Daniel a fait remarquer que les conseils du Canada sont considérés comme techniques plutôt qu’idéologiques ou politiques. En outre, de signaler Sergei Plekhanov, le Canada est toujours bien considéré par la population russe elle-même. Néanmoins, le Comité a également appris que le Canada devrait s’affirmer davantage en Russie. En dehors du hockey, la plupart des Russes entendent peu parler du Canada et n’ont pas d’idées précises à son sujet. On pourrait faire plus à cet égard.

A. L’aide aux réformes

Depuis la création de la Fédération russe, en 1991, les deux pays ont coopéré et ont eu des échanges à tous les niveaux : intergouvernemental, parlementaire, culturel, universitaire et dans le secteur privé. Le Canada s’est efforcé de promouvoir les réformes économiques en Russie, en grande partie au moyen du vaste programme de coopération technique qu’y applique l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

Jusqu’à maintenant, le Canada a consacré plus de 130 millions de dollars à plus de 250 projets de coopération technique en Russie. Au cours du seul exercice 2001-2002, on prévoyait dépenser 22 millions de dollars répartis entre une cinquantaine de projets d’aide bilatérale. On peut ajouter à ce montant le financement fourni par des programmes régionaux.

Cet effort de coopération a porté surtout sur deux domaines économiques principaux : l’aide à la transition vers une économie de marché et la facilitation des liens du Canada avec la Russie en matière de commerce et d’investissement. Au cours des premières années du programme d’aide bilatérale, l’objectif premier était de soutenir le processus de réforme en place et de tenter d’assurer une transition rapide. Plus récemment, l’aide a visé à promouvoir les réformes du code fiscal russe, des procédures de règlement des différends et d’exécution des contrats et à élaborer une politique cadre sur la mise en valeur des ressources.

Sur ce dernier point, l’ACDI a contribué à donner des conseils sur la politique énergétique de la Russie. Neil McIlveen (directeur de la Division de l’analyse et de la modélisation, Ressources naturelles Canada) et Janet Keeping ont présenté aux membres du Comité une description détaillée de l’initiative législative et réglementaire à laquelle ils ont participé (Neil McIlveen) ou participent maintenant (Janet Keeping). L’objectif essentiel de ce projet de coopération technique est d’aider la Russie dans ses efforts pour réformer son régime de gestion du pétrole et du gaz.

Malgré ces importantes contributions, plusieurs témoins ont dit que le Canada pourrait faire plus pour épauler la Russie dans ses efforts de réforme. Des fonctionnaires du MAECI, à leur première comparution devant le Comité, en 2000, ont avancé l’idée qu’une coopération technique plus poussée pourrait être offerte dans les secteurs fiscal, bancaire et foncier et pour des réformes sectorielles. James Gillies a soutenu que presque toutes les ressources de l’ACDI destinées à la Russie devraient être réaffectées à la réforme des institutions et aux modifications structurelles, étant donné que l’application de réformes est un travail de longue haleine. Cette opinion est partagée par Sergei Plekhanov, selon qui le Canada devrait mettre à profit sa riche expérience et ses pratiques d’édification du pays pour aider les Russes à rebâtir leur État. Il a préconisé une politique d’« engagement stratégique » avec la Russie, soutenant que le pire qui puisse arriver à ce pays serait de retomber dans l’isolement ou dans un semi-isolement.

Après dix ans d’aide technique à la Russie, l’ACDI a conclu qu’il était préférable de se retirer des projets à court terme. Elle a pris conscience de la nécessité de revoir sa stratégie à l’égard de la Russie. Peter Daniel a expliqué au Comité qu’elle tentait d’élaborer un nouveau cadre de programme de pays, mieux ciblé[74], qui serait mieux coordonné avec les programmes d’autres donateurs et dont les principaux objectifs seraient de renforcer la gouvernance et la société civile. Ce qu’il faut, essentiellement, selon lui, c’est « la patience et un engagement à long terme pour susciter une réforme durable dans le fonctionnement du gouvernement et le développement d’une économie de marché et une société civile active qui est un participant à part entière dans le processus démocratique ». Convaincu du bien-fondé de ces suggestions, le Comité recommande :

Recommandation no 1

Que le gouvernement du Canada adopte comme principe directeur de son engagement auprès de la Russie une vision uniforme, continue, cohérente et à long terme (c.-à-d. cinq à dix ans) de la transformation politique et économique de celle-ci et qu’il modifie en conséquence la politique de l’Agence canadienne de développement international pour a) respecter ce principe et b) accroître considérablement l’aide technique à la Russie, dont le montant s’élève actuellement à 22 millions de dollars.

La gouvernance pourrait être améliorée de deux manières. Tout d’abord, il faudrait aider à créer un cadre propice à une économie de marché en soutenant les systèmes financier, juridique et judiciaire du pays. Le deuxième moyen consiste à s’intéresser à un certain nombre d’éléments clés comme le fédéralisme, la régie des sociétés, la restructuration du secteur public et l’intégration de la Russie au système économique mondial.

D’après des fonctionnaires du MAECI qui ont comparu devant le Comité, il est important que le Canada se donne des stratégies pour promouvoir la primauté du droit en Russie. Un certain nombre de témoins, notamment Aurel Braun, Peter Solomon et James Gillies, ont exhorté le Canada à fournir un plus grand soutien technique pour aider les Russes à réformer leur système judiciaire. Cette aide devrait s’ajouter au partenariat canado-russe en matière judiciaire qui relève de l’ACDI et qui procure une assistance aux trois catégories de tribunaux de l’appareil judiciaire russe (les tribunaux d’arbitrage qui jugent les différends commerciaux, le tribunal constitutionnel et les tribunaux de juridiction générale y compris la cour d’appel). Un projet mené avec le concours de l’Université McGill vise à soutenir les efforts de la Russie pour réformer son code civil. Peter Solomon a préconisé une aide juridique canadienne pour contribuer à améliorer le fonctionnement du régime fédéral russe, notamment en harmonisant les lois nationales et régionales. Il a mentionné la possibilité d’offrir une formation et une éducation à des avocats russes au Canada. James Gillies a estimé que « la meilleure façon de dépenser de l’argent en Russie actuellement, c’est certainement de le consacrer à la réforme du système judiciaire ». Enfin, Bohdan Harasymiv (professeur au département des sciences politiques à l’Université de Calgary et universitaire invité au Kennan Institute, à Washington) a expliqué au Comité, à Washington, D.C., que le Canada devrait soutenir les efforts de la Russie pour rédiger des lois plus précises contre le crime, en insistant beaucoup sur l’application de la loi. Souscrivant à beaucoup de ces propositions, le Comité recommande :

Recommandation no 2

Que le gouvernement fédéral intensifie ses efforts afin de soutenir la réforme des systèmes juridique et judiciaire russes, en subventionnant l’éducation et la formation d’avocats et de juges russes et, le cas échéant, en coopérant à la rédaction des lois.

De nombreux témoins ont parlé de la valeur que pouvaient présenter les échanges d’étudiants. Un bon exemple qui a été donné au Comité est le Corporate Governance Program de James Gillies, à l’Université York, permettant de former des étudiants russes qui pourraient devenir des dirigeants d’entreprise. Il aidera à fournir aux entreprises russes la transparence et les saines pratiques exigés pour l’investissement et la participation aux affaires internationales. Il faut aussi rappeler le souhait de Peter Solomon qui voudrait former des juristes russes au Canada.

Angus Smith a signalé qu’un élément important des activités de la GRC était le programme d’observation, qui offre de la formation sur la gestion, l’analyse et les principes des services policiers. Nos relations ont porté surtout sur la formation, notre programme international d’observation, grâce auquel des policiers russes vont dans différentes divisions de la GRC. Des programmes de formation pour les régions (de l’Europe de l’Est à l’Asie centrale) sont également en préparation.

Comme l’a déclaré Larry Black, si une génération de Russes peut bénéficier des expériences constructives que le Canada a à leur offrir, les deux pays y gagneront. Patrick Armstrong a rappelé au Comité que le futur Président de la Russie qu’il sera donné au Canada de connaître fait aujourd’hui ses études. Cependant, ces échanges doivent être décidés et suivis avec soin, pour que les meilleurs candidats soient choisis en toute objectivité. Nous devons aussi constituer un noyau d’experts canadiens bien formés qui parlent couramment le russe. Il est important d’avoir des Canadiens engagés en Russie de façon permanente, comme Larry Black l’a fait remarquer.

Sur le plan de l’éducation, Piotr Dutkiewizc a donné des exemples pour montrer comment le Canada pourrait être efficace. Il a parlé de la fourniture de 100 000 manuels de base qui se sont aussitôt envolés, car les manuels russes équivalents peuvent être rares. Mais le Canada pourrait faire plus pour améliorer les ressources pédagogiques en Russie.

La Russie est sans conteste bien pourvue en matière d’enseignement scientifique et, jusqu’à un certain point, de formation technique. Dans d’autres domaines, toutefois, la pénurie de professionnels instruits est manifeste. Soucieux d’améliorer cet état de choses et conscient de la haute importance accordée à l’envoi d’étudiants russes au Canada, le Comité recommande :

 

 

Recommandation no 3

Que le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de l’Agence canadienne de développement international, élargisse son programme de parrainage d’étudiants russes de toutes les disciplines désireux de venir étudier au Canada. L’ACDI devrait réaffecter ses fonds de manière à octroyer plus de bourses d’études à ces étudiants et à incorporer les pratiques exemplaires appropriées d’autres programmes canadiens d’éducation internationale. Que le gouvernement du Canada se serve en outre des programmes d’éducation internationale actuels pour préparer un bassin de spécialistes canadiens sur la Russie.

Deux témoins ont proposé des moyens que le Canada pourrait employer pour aider la Russie à améliorer son industrie agricole. Le sénateur Tunney est profondément convaincu que l’ACDI devrait fournir des fonds pour étudier la faisabilité de l’établissement en Russie d’une ferme laitière moderne, à la canadienne, qui servirait de centre de formation pour les jeunes agriculteurs russes. Il estime nécessaire également d’établir des offices de commercialisation semblables à ceux du Canada. Ils constitueraient une entité de commercialisation et de distribution des produits alimentaires. Quant à lui, Larry Black a préconisé que le Canada coopère davantage en agriculture, en fournissant aux agriculteurs russes la technologie et le matériel qu’ils ne peuvent se procurer ailleurs.

On a aussi présenté un autre point de vue au Comité en ce qui a trait à certaines formes d’aide canadienne au secteur agricole russe. L’ACDI est d’avis qu’il est peu judicieux d’investir dans des projets de développement tels que la ferme modèle mentionnée plus haut en l’absence des éléments de base d’une économie de marché. Peter Daniel l’a fait remarquer, les politiques agricoles fondamentales sont inexistantes. Aucun système de privatisation et de cadastrage des terres n’est en place et les agriculteurs n’ont pas la possibilité d’emprunter en mettant leurs terres en garantie ni de trouver des capitaux pour améliorer leur exploitation agricole et leurs troupeaux. Une ferme modèle serait inutile tant que les autres éléments ne sont pas en place ». Ayant entendu les points de vue de plusieurs spécialistes sur l’importance de soutenir financièrement le secteur agricole, le Comité recommande :

Recommandation no 4

Que le Canada appuie vigoureusement la Russie dans la réforme de ses politiques agricoles et fournisse de la technologie, de l’expertise et de l’information aux agriculteurs russes.

De nombreux analystes de l’économie russe ont réclamé des mesures visant à lutter contre ce qui leur semble être une dégradation de l’infrastructure. Témoignant devant le Comité, Larry Black a exhorté le gouvernement du Canada à aider la Russie à reconstruire son infrastructure, ses routes et ses chemins de fer. Le Comité ne peut toutefois pas appuyer cette suggestion, car les fonds disponibles sont limités. Cela étant, il serait plus judicieux, semble-t-il, de continuer à concentrer nos ressources sur l’aide technique et l’éducation.

De plus, des témoins du Kennedy Centre ont exhorté l’Ouest à se retirer du travail d’édification des partis politiques et des institutions politiques. Cette politique s’est avérée inefficace, voire contreproductive si on considère de nombreux acteurs du régime politique russe actuel. Les politiques des dix dernières années sont lourdement influencées par les liens avec les élites russes actuelles.

Les témoins préconisent plutôt un engagement direct avec les ONG et les collectivités. Cette idée a trouvé un écho chez John Young, qui a également avancé l’idée d’une approche directe entre localités et entre régions. Des collectivités et régions particulières de la Russie et du Canada, notamment dans le Nord, ont peut-être beaucoup à mettre en commun. D’après M. Young, le développement de la démocratie par les administrations locales ne devrait sans doute pas être laissé aux représentants fédéraux canadiens ou russes.

Cette observation va quelque peu à l’encontre des idées reçues concernant les domaines où le Canada peut être efficace. L’ACDI et plusieurs témoins ont également attiré l’attention sur l’expertise canadienne en matière de fédéralisme qui peut répondre naturellement aux besoins des Russes. Le Comité est d’accord et trouve encourageant que le Canada ait plusieurs projets liés au développement du fédéralisme en Russie. Cependant, il n’est pas évident que le fédéralisme russe cadre parfaitement avec le modèle canadien, puisque rétablir le pouvoir verticalement est l’antithèse de la division des compétences qui existe au Canada. Le Comité n’en est pas moins saisi par l’importance de la contribution que le Canada fait en aidant la Russie à réformer son appareil fédéral. Il faut toutefois faire plus. Le Comité recommande :

Recommandation no 5

Que le Canada fasse profiter la Russie de son expérience du partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et régionaux. En consultation avec le gouvernement russe, le Canada devrait fournir à la Russie une aide technique à l’égard de son droit et de ses usages constitutionnels, en matière de fédéralisme et dans l’établissement des rôles des divers paliers des pouvoirs publics. Il devrait de plus offrir des programmes de coopération destinés à aider à la formation des édiles municipaux et à transmettre l’expérience du Canada en matière de méthodes comptables, d’administration des affaires municipales et de gouvernement provincial.

 

B.  Le renforcement des relations économiques entre le Canada et la Russie

Ce n’est pas un secret que les relations économiques entre le Canada et la Russie ne se sont pas développées selon leur plein potentiel. D’après des hauts fonctionnaires du MAECI, les entreprises canadiennes ont réduit leurs exportations et leurs investissements à cause de la crise financière russe de 1998[75], de l’absence de progrès dans le secteur bancaire[76] et de la dégradation du climat des investissements. Parmi les entraves au commerce et à l’investissement, on remarque la grande lourdeur de la bureaucratie, qui entraîne de la corruption, et la perception globale négative du marché russe. En revanche, la Russie est en train d’apporter les réformes structurelles nécessaires, susceptibles d’attirer et de garder des investissements et des échanges commerciaux canadiens supplémentaires.

Les exportations canadiennes à destination de la Russie restent à leur niveau d’avant 1998. Nos exportations ont même beaucoup diminué à cause de la crise dont il a déjà été question (passant de 379 millions de dollars en 1997 à 180 millions de dollars en 1999) avant de remonter à 200 millions de dollars en 2000. Les principales exportations du Canada, en 2000, ont été les matériaux de construction, le matériel pétrolier et gazier, le tabac et le porc.

En 2001, la situation a été beaucoup plus favorable car les expectations se sont élevés à 290 millions de dollars.  Il faudrait ajouter de 25 à 30 p. 100 à ce montant pour tenir compte des exportations qui transitent par des marchés tiers comme les États-Unis, la Finlande, la Lettonie et d’autres pays d’Europe. Enfin, le secteur canadien des services (p. ex. infrastructure, énergie, forêts, droit, mines) a également trouvé un marché en Russie, mais il s’est avéré difficile d’obtenir des données à ce sujet.

Par ailleurs, les importations de marchandises en provenance de la Russie ont totalisé 666 millions de dollars en 2000, en progression de près de 10 p. 100 sur les 607 millions de dollars de 1999. Les matières premières (p. ex. pétrole brut, métaux précieux, poisson congelé, acier) représentent le gros de ces ventes sur le marché canadien. Les chiffres du milieu de 2001 révèlent une diminution marquée de ces importations à un niveau de 360 millions de dollars.

De 1997 à 2000, la Russie a amassé un excédent commercial cumulatif avec le Canada de plus de 1,6 milliard de dollars. Sans aucun doute, il reste beaucoup de place pour apporter des améliorations en matière d’exportation. La Russie a toujours une économie fondée sur les ressources qui est considérée comme complémentaire de l’économie canadienne et un bon marché cible pour les secteurs canadiens de l’extraction des ressources, de l’agroalimentaire et du logement et des matériaux de construction.

Le gouvernement fédéral tente de faciliter l’accès au marché russe par trois moyens : les activités de la Commission économique intergouvernementale (CEI)[77], les négociations sur l’adhésion de la Russie à l’OMC et la négociation d’un nouvel accord sur la protection des investissements étrangers (APIE). Pourtant, comme Vladimir Popov l’a soutenu au Comité, la présence commerciale du Canada reste bien en deçà de son potentiel, et il faudrait faire encore plus pour améliorer les relations commerciales bilatérales.

Pour ce qui est des investissements, la valeur estimative des investissements canadiens directs en Russie totalisait quelque 423 millions de dollars (en 2000) concentrés surtout dans les secteurs minier, pétrolier et gazier, mais il y en aussi dans d’autres secteurs comme la restauration et la haute technologie. S’il est vrai que le marché russe conserve un potentiel économique considérable et que le gouvernement russe affirme que la promotion de l’investissement étranger est une priorité, des inquiétudes subsistent au sujet de l’absence de garanties pour protéger les investissements canadiens en Russie, ce qui a pour conséquence de maintenir la valeur totale de l’investissement bien en deçà de son potentiel.

Plus précisément, les préoccupations du Canada portent notamment sur la gestion médiocre des sociétés, la complexité et l’incertitude des lois intérieures, et l’absence de recours efficaces au système judiciaire pour régler les différends en matière d’investissement. Sur ce dernier point, il subsiste une grande incertitude sur la mesure dans laquelle les parties et entités russes, notamment les organismes gouvernementaux, respectent les droits contractuels et autres des investisseurs non russes. Il vaut la peine de réitérer qu’il est urgent d’instaurer en Russie un climat stable et attrayant pour les investissements.

Plusieurs entreprises canadiennes, actives surtout dans le secteur des richesses naturelles, sont mêlées à d’importants litiges coûteux avec des sociétés russes qui entretiennent des liens avec le gouvernement russe ou des gouvernements régionaux. Ainsi, Norex Petroleum allègue avoir été privée de sa participation de 98 p. 100 dans la pétrolière russe Yugraneft lors d’une assemblée contestée des actionnaires à laquelle ont assisté des hommes armés envoyés par l’actionnaire minoritaire, Tyumen Oil Co., pour éjecter l’équipe de direction étrangère. L’affaire ne constitue pas un différend entre gouvernements, mais elle a été politisée et, d’après la société russe en cause, elle devrait être réglée par des moyens juridiques.

À la suite d’un différend sur des questions de propriété en 2000, la Pan American Silver Corp. a radié 38 millions de dollars américains sur la valeur de son investissement dans une mine quand elle a abandonné le projet. Ces exemples, parmi d’autres, montrent bien l’absence de protection des investisseurs étrangers en Russie, tant du point de vue de la valeur de la gestion des sociétés que de celui de la primauté du droit.

Un certain nombre d’idées importantes et plus précises ont été proposées au Comité pour améliorer les relations bilatérales. Sur la question cruciale de la protection des investissements, le Comité a été informé de la nécessité de moderniser l’accord sur la protection de l’investissement étranger (APIE) avec la Russie, en y incorporant, entre autres, des mécanismes d’exécution efficaces. L’accord existant sur l’investissement, signé en 1989, donne une protection limitée aux investisseurs canadiens, si on le compare à des accords plus récents qui ressemblent aux dispositions de l’ALENA. Les discussions sur l’élaboration d’un meilleur accord bilatéral sur la promotion et la protection de l’investissement étranger se poursuivent. Déçu de la lenteur des progrès réalisés dans ce dossier, le Comité recommande :

Recommandation no 6

Que le gouvernement du Canada intensifie ses efforts afin de hâter la conclusion avec la Russie d’un accord modernisé sur la protection des investissements étrangers. Cet accord devrait comporter des mécanismes d’exécution efficaces et transparents, notamment une protection contre l’expropriation arbitraire ou l’expropriation sans indemnisation raisonnable, la garantie des titres, la caution des permis et le libre transfert transfrontalier des fonds.

Deuxièmement, une primauté du droit mieux assurée en Russie se traduirait par un meilleur accès au marché pour les entreprises canadiennes et un accroissement des investissements de nos sociétés. Le crime organisé, qui a un racket de protection sous la menace, a été un problème pour les entreprises canadiennes. Le gouvernement du Canada a déployé beaucoup d’efforts pour régler les différends sur l’investissement : des entreprises canadiennes n’ont pas été indemnisées pour des expropriations, pour l’ambiguïté de la réglementation ni pour des actes carrément criminels. Heureusement, il y a espoir que des améliorations seront apportées. Pour lutter contre le crime et ainsi protéger nos intérêts commerciaux à l’étranger, des fonctionnaires du MAECI ont exhorté le gouvernement fédéral à accorder des ressources supplémentaires à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et au Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) pour s’occuper de cas, en Russie, où des activités criminelles ont eu des conséquences pour nos intérêts commerciaux.

Troisièmement, Ron Denom a exhorté le gouvernement fédéral à mettre sur pied une institution de financement du développement, qui serait peut-être une filiale d’Exportation et développement Canada (EDC) et non une société d’État distincte, pour combler les lacunes dans le financement existant, au début de l’élaboration de grands projets. Pareille institution pourrait fournir du financement et le soutien connexe, sur une base commerciale, aux entreprises du secteur privé dans les économies en développement. Elle pourrait fournir des capitaux d’amorçage aux entreprises canadiennes, capitaux qu’elles ne peuvent obtenir ni de l’ACDI, ni d’EDC, pour couvrir la période qui va de la fin de l’étude de faisabilité à la conclusion du financement. Ces organismes tendent à intervenir plus tard dans le cycle de développement. Comme M. Denom l’a expliqué, la nouvelle institution financière aurait pour rôle de « consentir des prêts, du capital, des garanties et également de fournir des services administratifs et des conseils aux étapes initiales des projets dans ces économies naissantes et en transition. Autrement dit, il s’agit pour elle d’intervenir pendant les premières étapes d’un projet, et de participer à l’investissement initial ».

À l’heure actuelle, le Canada est le seul pays du G8 à ne pas avoir ce type d’institution; il en existe en tout 17 dans les pays industrialisés. Afin de combler cette lacune, le gouvernement fédéral élabore des plans en vue de créer une nouvelle institution financière qui appartiendrait à l’État et aiderait les PME à exporter dans les pays en développement. Si ces plans se réalisent, un capital initial de 300 millions de dollars pourrait être débloqué pour ces prêts et investissements à haut risque. La nouvelle institution pourrait être indépendante ou relever d’EDC[78] ou de l’ACDI.

EDC reste prudente, même si elle continue de s’intéresser au marché russe et de faire un examen approfondi de l’économie russe. Néanmoins, elle a rouvert son guichet de prêt au gouvernement russe et envisage d’accorder des prêts à de grandes sociétés rentables, surtout dans le secteur des ressources naturelles, qui affiche des gains favorables provenant de l’exportation.

Les fonctionnaires du MAECI et Ron Denom ont souhaité un plus grand engagement d’EDC en Russie. Cependant, comme EDC travaille directement avec les banques, il faudrait peut-être attendre d’observer d’abord une amélioration dans le système bancaire. L’organisme s’inquiète vivement de l’absence de réformes dans ce secteur et n’envisage de traiter qu’avec certaines banques d’État et celles qui appartiennent majoritairement à des banques occidentales.

Une autre préoccupation importante d’EDC dont il a été fait part au Comité est le niveau élevé de risque rattaché à l’investissement étranger en Russie. L’organisme considère de plus en plus que le pays comprend deux marchés distincts : un marché à risque relativement faible pour les exportations canadiennes et un marché des investissements dont les risques sont plus élevés. Pour atténuer ces risques, il est réputé acceptable que les sociétés étrangères investissent seules. Cette approche élimine la possibilité que les partenaires d’investissement russes tentent de mettre la main sur l’investissement étranger.

Pour améliorer la représentation commerciale dans l’Extrême-Orient russe, fort important mais souvent négligé, Aurel Braun a dit qu’il fallait ouvrir un nouveau consulat à Vladivostok pour servir les intérêts de l’ouest du Canada dans la Russie du Pacifique. Les fonctionnaires du MAECI qui ont comparu comme témoins sont d’accord pour qu’on ouvre plus de consulats dans les régions périphériques. L’idée de nommer des consuls honoraires dans diverses régions du vaste territoire russe a également été abordée au Comité. Un consulat honoraire est déjà en place à Vladivostok. Il fait de l’excellent travail à peu de frais. Vladivostok, porte d’accès naturelle au Pacifique et à l’Extrême Orient russe, est directement liée par la voie des airs au Nord-Ouest du Pacifique. Le consulat honoraire, aussi bûcheur soit-il, a un champ d’activité restreint (p. ex. il ne peut pas émettre de visas). Malgré leur proximité, les Canadiens de l’ouest et les Russes de l’est doivent se fier aux services gouvernementaux fournis par Moscou, qui se trouve à dix fuseaux horaires plus loin.

Favorable aux suggestions visant à accroître la représentation commerciale du Canada dans les diverses régions de la Russie, mais surtout dans celles qui longent le Pacifique, le Comité recommande :

Recommandation n° 7

Que le Canada accroisse sa représentation diplomatique dans les différentes régions de la Russie en y ouvrant d’autres consulats. Plus particulièrement, le consulat à Vladivostok devrait pouvoir exercer tous les pouvoirs d’un consulat, ce qui lui permettrait de défendre les intérêts économiques et autres des Canadiens faisant affaires dans les régions de la Russie longeant le Pacifique et dans l’Extrême-Orient russe.

Enfin, on a aussi proposé au Comité d’autres mesures que le Canada pourrait prendre et qui pourraient faire l’objet de recommandations. En voici la liste, avec, entre parenthèses, le nom du témoin qui en est l’auteur :

·                    Fournir aux Russes les outils nécessaires pour se renseigner sur l’économie de marché (Sergei Plekhanov) et une formation en techniques de gestion des affaires (Patrick Armstrong et Amy Knight).

·                    Aider à faciliter l’adhésion de la Russie à l’OMC (Larry Black).

·                    Faciliter le rééchelonnement de la dette considérable de la Russie (Larry Black).

·                    Hésiter avant d’imposer des mesures antidumping contre la Russie (Larry Black).

·                    Veiller à ce que l’ACDI, qui met actuellement l’accent sur la société civile et l’environnement, maintienne les contacts avec l’entreprise (Alex Rotzang).

Toutes ces suggestions sont valables, et la plupart d’entre elles sont à l’étude ou en application ou ont été incorporées aux recommandations déjà faites dans le présent rapport. Il y aurait lieu d’ajouter à la liste le rôle précieux joué par les organisations commerciales et les contacts inter-entreprises. On a fait remarquer au Comité, lors de son séjour à Washington, la valeur d’organisations comme la Chambre de commerce russo-américaine. Au Canada, il y a le Forum des entreprises russo-canadiennes à Toronto ainsi que d’autres associations semblables à Calgary et Vancouver. En Russie, il y a l’Association des entreprises canadiennes de Russie (AECR) dont le siège social se trouve à Moscou. Reconnaissant que le développement du commerce entre la Russie et le Canada doit éventuellement être moins tributaire du gouvernement russe et plus de l’industrie, le Comité recommande :

Recommandation no 8

Que le gouvernement du Canada encourage les organisations inter-entreprises canadiennes et russo-canadiennes à élaborer des mécanismes efficaces, visibles et actifs en vue de promouvoir leurs entreprises. De plus, conjointement aux sentiments exprimés dans la recommandation 3 (sur l’éducation), le gouvernement du Canada devrait promouvoir le jumelage d’écoles de commerce entre le Canada et la Russie.

 

C. Questions liées à la sécurité

Trois questions d’importance en matière de sécurité ont été soulevées au cours des audiences du Comité : la défense contre les missiles balistiques (BMD), l’OTAN et la Tchétchénie. La Russie reconnaît les liens historiques importants du Canada avec les États-Unis de même que l’importance du Canada comme acteur multilatéral.

La participation du Canada au système de défense est essentielle à la planification de défense américaine. Officiellement, notre pays attend des propositions américaines officielles sur le système de défense antimissiles balistiques et c’est seulement alors qu’il pourra commenter la question. En essence, le gouvernement est prêt à considérer ce que les Américains proposeront et à évaluer le bien-fondé de ces propositions. Néanmoins, le Canada est un important partisan du multilatéralisme et des traités internationaux qui encadrent le contrôle de l’utilisation et de la prolifération des armes nucléaires. Nous sommes membres de l’OTAN, de l’ONU, de la Francophonie, du Commonwealth et du Sommet des Amériques. Quant à la Russie, elle demande au Canada de comprendre la position russe sur le traité ABM et sur d’autres questions, et elle demande la même chose à de nombreux autres pays avec lesquels le Canada est engagé.

Rien n’a été recommandé au Comité au sujet des épineux dossiers de la Tchétchénie et de l’expansion de l’OTAN. Le Comité a déjà exprimé son opinion sur cette organisation dans son rapport sur l’OTAN. La nouvelle Déclaration OTAN-Russie de mai 2002 est accueillie avec joie par le Comité car elle va dans le sens de notre vœu que l’OTAN s’engage davantage auprès de la Russie.

Quant à la Tchétchénie, comme ailleurs dans le monde, la politique canadienne consiste à maintenir l’équilibre entre le respect de la souveraineté des États en ce qui concerne leurs affaires intérieures et la nécessité d’affirmer les valeurs universelles que sont la dignité et la sécurité humaines. La politique canadienne au sujet de la Tchétchénie est connue et a été réitérée au sein d’organismes multilatéraux tels que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Larry Black et Sergei Plekhanov ont tous deux insisté sur la nécessité d’un engagement énergique avec la Russie au sujet de ses activités de politique étrangère et intérieure. La sécurité et la stabilité de la Russie ont une valeur intrinsèque mais, comme tout autre pays, la Russie doit mettre en équilibre la nécessité de veiller à sa sécurité et les droits de la population à l’intérieur de ses frontières. Le Canada a la capacité de jouer un rôle en encourageant la Russie à atteindre cet équilibre et à le maintenir, contribuant ainsi à l’intégration de la Russie dans un partenariat de démocraties.

 

D. Le développement du Nord

Les questions nordiques font partie des relations russo-canadiennes depuis longtemps. Ayant une région arctique et une géographie en commun, le Canada et la Russie ont une longue collaboration d’initiatives et de programmes internationaux, multilatéraux et bilatéraux. Les positions russe et canadienne sur des questions allant des peuples autochtones à l’environnement, à la garde de régions particulières dans le monde sont bien connues, mais il faut générer et soutenir une sensibilisation à la question du profil des problèmes relatifs à l’Arctique et au Nord.

Soulignons que Larry Black a rappelé au Comité les perspectives d’avenir qui ont été tuées dans l’œuf il y a de longues années. Au moment de la révolution russe de 1917, un représentant du Canadien Pacifique se trouvait à Saint-Pétersbourg pour signer un traité qui aurait relié les réseaux ferroviaire et télégraphique de la Russie à ceux du Canada, ce qui aurait permis de tisser autour du globe un réseau intégré de transport et de communication. La possibilité d’un partenariat de cette nature dans le Nord subsiste.

Par conséquent le Comité recommande :

Recommandation no 9

Que le gouvernement du Canada prenne les moyens en vue d’accorder davantage priorité aux questions communes touchant le développement du Nord de la Russie et du Canada et qu’il accorde également une plus grande attention au profil public de ces questions.

 

E. Immigration

Des témoins ont par ailleurs fait savoir au Comité que les missions diplomatiques du Canada en Russie doivent accroître les ressources qu’elles affectent au traitement des demandes d’immigration. Vladimir Popov a suggéré que l’ambassade du Canada à Moscou affecte deux agents d’immigration de plus à cette tâche. Plusieurs témoins ont également indiqué que la délivrance des visas et le traitement des demande de visa constituaient un obstacle aux investissements et aux transactions commerciales avec leurs homologues russes. D’autres témoins ont affirmé que, dans le sillage de la visite d’Équipe Canada en Russie à l’hiver 2002, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour améliorer la situation (p. ex. en augmentant les ressources et en simplifiant les formalités).

Le Comité est également conscient des difficultés entourant les voyages internationaux et le déplacement des personnes au lendemain de l’attaque contre le World Trade Centre, ainsi que des défis que posent ces questions au gouvernement fédéral. Toutefois, compte tenu de l’importance accordée à la question des visas et de l’immigration, le Comité recommande :

Recommandation no 10

Que le gouvernement du Canada s’assure que les mesures et modalités nécessaires soient prises afin d’accélérer, dans ses missions en Russie, le traitement des demandes d’immigration et de visa vers le Canada.


PARTIE 2 – L’UKRAINE

INTRODUCTION

Le Comité a décidé de se pencher sur l’Ukraine en plus de la Russie pour un savant mélange de motifs. Pour la première fois, l’Ukraine est un État en plus d’être une nation. Avant, elle a constitué un élément capital de l’Union soviétique et des Empires austro-hongrois et russe. L’Ukraine était le moteur de l’agriculture et le bassin industriel des économies russe et soviétique.

L’intégration sans faille de l’infrastructure qu’avait réussi le régime soviétique dans les deux pays subsiste, tout comme le mouvement des biens de production. À bien des égards, on ne saurait songer à discuter de la Russie sans parler de l’Ukraine. Les deux pays sont indissociables.

Avec l’effondrement de l’Union soviétique, l’éclatement des infrastructures, des institutions et des systèmes politiques qui étaient intenses et extrêmement intégrés en Russie et en Ukraine soulève de nombreuses questions. Quelle sera la place de l’Ukraine dans l’Europe agrandie? Comment la Russie va-t-elle traiter l’Ukraine et comment l’influencera-t-elle? Comment évoluera la politique étrangère de l’Ukraine à l’égard de la Russie?

Ce sont toutes des questions importantes que le Comité doit se poser pour évaluer l’Ukraine et les relations entre le Canada et l’Ukraine. Le Comité reconnaît qu’il n’y a pas vraiment de précédent aux transitions qu’effectuent l’Ukraine et d’autres pays autrefois soviétiques. La transition correspond difficilement aux stratégies acceptées de développement ou d’adaptation. Comme Orest Subtelny l’a rappelé au Comité, l’Ukraine est déjà un pays moderne; mais elle s’est modernisée autrement. L’Ukraine apprend comment faire face à la transition et le Canada apprend à réagir correctement et à apporter son aide pour faire avancer les deux pays.  

L’Ukraine continue également d’occuper une position géopolitique importante, située comme elle est entre la Russie et ses voisins européens. Sa relation avec l’OTAN, tout comme celle de la Russie, mérite l’attention du Comité.  

Enfin, l’Ukraine a des liens familiaux étroits avec le Canada. Les liens entre le Canada et l’Ukraine datent de l’époque où le Canada est allé recruter des immigrants ukrainiens pour habiter et coloniser l’Ouest. Depuis les années 1890, ces immigrants ont considérablement contribué au développement du Canada. La place qu’occupent au Canada plus de 1 million de Canadiens-Ukrainiens justifie amplement qu’une étude de la région porte aussi sur l’Ukraine.



LA POLITIQUE EN UKRAINE

Le Comité a recueilli des témoignages sur deux domaines importants de la politique intérieure en Ukraine : la culture, l’histoire et la citoyenneté; et l’évolution de la situation politique.  

A. La culture, l’histoire et la citoyenneté

Des témoins ont indiqué au Comité qu’une préoccupation centrale du nouvel État ukrainien a été l’édification de la nation. Non seulement l’Ukraine s’est engagée dans une transition économique et politique, mais elle édifie aussi pour la première fois un État-nation. L’identité ukrainienne existe depuis des siècles, mais l’Ukraine postsoviétique est la première vraie tentative de l’Ukraine pour devenir une nation, un État industrialisé moderne[79]. Les témoins ont précisément souligné qu’à son accession à l’indépendance, l’Ukraine était privée des composantes de tout État souverain parce que, à l’époque soviétique, tous ces éléments, y compris le personnel, étaient centralisés ou créés à Moscou. Pendant la majeure partie de son histoire récente, l’Ukraine a été divisée entre la Pologne (puis l’Autriche-Hongrie) et la Russie, le Dniepr étant la ligne de démarcation entre l’est (et le sud) et l’ouest du pays.

Des témoins ont expliqué au Comité que l’Ukraine occidentale – la Galicie[80] – avait des traditions « européennes », restes de son appartenance à l’empire austro-hongrois. Comme Paul Magosci l’a expliqué au Comité, il y avait une représentation ukrainienne à l’Assemblée législative austro-hongroise, et il y avait des écoles et des facultés universitaires ukrainiennes. Tous ces éléments ont fait la promotion du nationalisme ukrainien dans le moule libéral du XIXe siècle.

L’Est de l’Ukraine d’aujourd’hui a été intégrée à l’Empire russe, qui refusait de reconnaître l’Ukraine comme une entité, une culture ou une nation distinctes, puis par l’Union soviétique pour qui le nationalisme était synonyme d’idéologie soviétique[81]. À cette réalité s’ajoutaient les legs politiques tsariste et soviétique qui n’étaient pas précisément favorables au développement d’une expression politique indépendante ou démocratique. Le développement industriel de l’est et du sud de l’Ukraine, aux XIXe et XXe siècles a entraîné la migration d’une importante population russe dans cette région. Le Premier Ministre soviétique Khrouchtchev a rendu encore plus complexe le casse-tête ukrainien. Il a « donné » la Crimée, qui était russe de nom, à la République d’Ukraine (RSS d’Ukraine) de l’Union soviétique.

Bohdan Klid a fait remarquer que, si on la compare à d’autres États postsoviétiques, l’Ukraine a fort bien géré les tensions ethniques et régionales. En outre, comme David Marples et Bohdan Harsymiv l’ont dit au Comité, le racisme et les tensions entre l’Est et l’Ouest, entre les Russes ethniques et les Ukrainiens, ne se sont pour ainsi dire pas manifestés. Les Russes ethniques présents en Ukraine se définissent comme des citoyens ukrainiens. D’après M. Magosci, cela tient en partie au fait qu’ils sont implantés dans la région depuis au moins une centaine d’années. La Crimée, tout en posant quelques problèmes concernant la flotte de la mer Noire et en exigeant une forme d’autonomie, a joué la carte régionale plutôt que la carte ethnique.

 

B.  La situation politique actuelle

L’Ukraine, comme plus d’un témoin l’ont fait remarquer, est en train de traverser une triple transition difficile. Comme elle n’avait jamais vraiment été un État indépendant avant 1991, elle s’affaire actuellement à bâtir un État tout en subissant les réformes politiques et économiques postsoviétiques. La plupart de ses institutions ne possédaient ni les structures ni les ressources nécessaires pour agir efficacement en 1991. D’après James Jacuta (directeur des études ukrainiennes, Institut canadien des études ukrainiennes, Université de l’Alberta, lorsque les nouvelles assemblées législatives indépendantes ont commencé à siéger, elles étaient dépourvues de la procédure, de l’usage et des précédents utiles.

Orest Subtelny (professeur d’histoire, Université York) a signalé qu’il faut absolument savoir qu’une élite ukrainienne qui est « nouvelle sans être tout à fait neuve » dirige actuellement l’Ukraine. Malgré son optimisme, il pense que les membres de cette nouvelle élite ont profité de la position qu’ils occupaient dans l’ancien régime pour privatiser l’Ukraine à leur profit. L’État ukrainien est par conséquent perçu par certains Ukrainiens non pas comme un mécanisme au service de la société, mais comme un instrument dont se sert l’élite pour passer d’un régime à l’autre. En politique ukrainienne, cette attitude a malheureusement créé chez l’électorat une mentalité de rivalité entre l’élite et lui.

Le Comité craint l’évolution politique en Ukraine : à un moment donné, les comparaisons relatives avec les autres anciens États soviétiques dont la démocratisation se passe plus mal doivent englober la reconnaissance du fait que la transparence et la responsabilisation sont essentielles pour bâtir une démocratie. Ceci dit, le Comité a aussi entendu des témoignages sur le dynamisme et l’attitude positive de la société civile ukrainienne. Le Comité a entendu des témoignages au sujet de l’action de nombreux Ukrainiens ordinaires en faveur de la démocratie et du progrès, ainsi que le désir de la grande majorité de la population ukrainienne d’arriver à une démocratie libérale normale. Des témoins ont affirmé que l’Ukraine a vraiment ce qu’il faut pour devenir une bonne démocratie populaire reposant sur une classe moyenne qui a son propre éventail d’intérêts et qui veut demander au gouvernement de rendre compte de ses actions.

Depuis 1999, l’Ukraine est en pleine fluctuation politique et incertitude économique. Certains témoins ont affirmé que l’Ukraine offrait bel et bien des débouchés aux entreprises canadiennes, tandis que d’autres n’envisageaient pas d’y faire beaucoup d’affaires dans l’immédiat.

On ne saurait sous-estimer la complexité de la politique en Ukraine. Le Parlement – le Verkhovna Rada – accuse des clivages économiques, idéologiques et régionaux. Le Comité a appris que le Président Kouchma a tenté d’instaurer un équilibre délicat : une orientation vers l’Ouest qui n’irriterait pas la Russie et une réforme de l’économie qui ne lui aliénerait pas les importants secteurs de l’énergie et de l’industrie lourde qui forment sa base politique.

Il reste encore beaucoup à faire sur le plan du développement des partis politiques, et certains politiques et bureaucrates ont été impliqués dans des agissements tels que conflits d’intérêts, copinage, corruption et crime organisé. Selon certains témoins et les médias, le crime organisé et la corruption atteignent les plus hauts échelons de la politique en Ukraine. En outre, comme Peter Solomon l’a fait remarquer, l’Ukraine est loin derrière la Russie dans la réforme de son système juridique et l’élaboration de ses lois.

La piètre performance économique de l’Ukraine a contribué à la création, au Rada en 1999, d’une formation de centre-droite assez lâche, dirigée par Viktor Youchenko et avec l’appui du Président Kouchma. Cependant, des différends ont surgi entre le Président et des membres du Cabinet. Le Président a repoussé les tentatives de réforme des secteurs de l’énergie et de l’industrie lourde, situés à Dniepropetrovsk, son fief politique[82]. Yulia Timochenko[83], la Vice-Première Ministre chargée de l’énergie, a été arrêtée en février 2001[84].

En janvier 2000, le Président Kouchma a proposé et remporté un référendum tendant à limiter les pouvoirs du Rada à l’avantage de la présidence. Visiblement, il s’agissait de permettre au Président de faire adopter des réformes économiques pour insuffler une nouvelle vigueur à l’économie ukrainienne. Cependant, une crise politique a commencé par un référendum controversé en avril 2001, qui a donné au Président le pouvoir de dissoudre le Parlement. Le référendum n’a pas été ratifié par l’assemblée législative.

Le Premier Ministre Youchenko a été évincé par une nouvelle coalition constituée de communistes et de personnes bénéficiant de l’appui d’oligarques. Aucun des groupes politiques ne souhaite de réforme dans l’est de l’Ukraine, bien que leurs motifs soient différents[85]. Le gouvernement du Premier Ministre Youchenko a également perdu le soutien de l’Ukraine rurale avec la réforme de l’agriculture. Le Comité s’est également fait dire que les oligarques ukrainiens souhaitent maintenant des liens plus étroits avec leurs pendants russes au lieu de se tourner vers l’Ouest, et que le développement économique de l’Ukraine sera étroitement lié à la Russie[86].

Les observateurs de la politique ukrainienne s’inquiètent du rôle de l’affaire Gongadze dans tout cela. L’État exerce un contrôle de plus en plus étroit des médias : harcèlement des rédacteurs, fermeture des journaux d’opposition et persécution de personnes qui se sont élevées contre le gouvernement.

Le Président Kouchma et le gouvernement se sont faits passer au crible et ont été la cible de critiques à la suite de la disparition du journaliste ukrainien Georgi[87] Gongadze, probablement assassiné, en septembre 2000[88]. Gongadze faisait enquête sur des incidents de corruption impliquant le Président. L’enquête sur le meurtre de Gongadze a progressé, lentement, un peu au petit bonheur et de façon contradictoire, selon certains.

On peut tirer quelques conclusions des deux dernières années de la vie politique en Ukraine. Tout d’abord, l’émergence de la coalition de 2001 en mesure de faire obstacle aux réformes pourrait ne laisser présager rien de bon pour l’avenir des réformes économiques dans la partie est, industrielle, de l’Ukraine, ni pour desserrer l’étreinte apparente de la politique de Dniepropetrovsk sur la politique nationale. Cela a peut-être aussi compromis les possibilités et les projets de développement économique des investisseurs étrangers occidentaux en raison de la présence accrue d’investisseurs russes. Par contre, cela semble aussi indiquer l’absence de volonté de ramener l’Ukraine à une économie dirigée par l’État. En outre, la coalition de centre-droite a été galvanisée par l’affaire Gongadze et le soutien politique dans les rues. D’après David Marples, la coalition est temporaire, négative.

Deuxièmement, il faut signaler que le Verhovna Rada conserve un certain pouvoir. Comme David Marples l’a expliqué au Comité, on peut douter qu’une autre assemblée législative de l’ère postsoviétique, exception faite des États baltes, ait pu évincer le premier ministre. L’équilibre entre le Rada et la présidence demeure intact[89].

Troisièmement, les ambitions du Président Kouchma, qui souhaite concilier l’est et l’ouest de l’Ukraine, ont peut-être été gravement compromises. Comme les oligarques ont la haute main, leurs intérêts pour les relations avec leurs homologues russes semblent forts. Il pourrait y avoir des conséquences pour la politique étrangère de l’Ukraine. D’autres font toutefois remarquer que la politique étrangère de l’Ukraine, guidée par les besoins en carburant, se tourne immanquablement vers l’Est l’hiver pour revenir vers l’Ouest au printemps.


C. Post-scriptum : Élections de mars 2002 au Verkhovna Rada

Au cours de notre étude, les témoignages sur l’état de la démocratie en Ukraine ont préoccupé le Comité. Les dernières élections parlementaires ont été assombries par la dynamique difficile qui subsiste entre la présidence et le parlement. Elles ont été suivies de près par des observateurs étrangers parce que les élections parlementaires et présidentielles précédentes (en 1998 et 1999 respectivement) ne respectaient pas les engagements internationaux ni les normes de l’OSCE.

Le Rada et le Président ont approuvé une nouvelle loi électorale en octobre 2001 après de vives querelles et cinq vetos présidentiels. Cette loi a comme disposition clé la création de commissions de district (circonscriptions) et de commissions électorales de bureaux de scrutin, avec répartition proportionnelle des postes de direction entre les partis en présence[90]. Des témoins ont fait devant le Comité des commentaires favorables sur l’accessibilité des partis politiques à ces commissions, créant en fait 3 500 scrutateurs alors qu’il n’y en avait aucun auparavant. Chaque scrutateur a bien les intérêts de son parti mais surveille ce que tous les autres font.

Malheureusement, des problèmes ont entaché les élections. Les accrocs qui avaient le plus grandement préoccupé le Comité au cours de ses audiences se sont reproduits : atteintes à la liberté d’information – en particulier à la liberté de presse – et abus de l’administration. La nouvelle loi n’a pas permis de dissiper plusieurs incompatibilités entre les anciens codes ou les lois connexes; elle n’a pas modifié non plus le Code administratif. Par conséquent, les violations des droits électoraux – abus de ressources administratives, distribution de biens gratuits et ingérence d’agents de l’État dans la campagne électorale – n’ont pu être réprimées efficacement[91].

La Mission internationale d’observation des élections (MIOE) a constaté un « climat général de méfiance » découlant des faits rapportés ci-dessus. La campagne a aussi été ternie par le manque de débat sur les vrais enjeux pour l’Ukraine, par l’ingérence illégale de certains pouvoirs publics dans le processus électoral, par le meurtre, la veille du scrutin, d’un candidat éminent, par d’autres incidents violents isolés, par des actes d’intimidation et de harcèlement dont auraient été victimes des candidats, des militants et des électeurs de l’opposition[92].

Orest Subtleny a toutefois souligné un aspect positif de cette campagne : un effort beaucoup plus concerté des partis politiques pour convaincre les électeurs de voter. Les candidats se sont servis de la télévision et des relations publiques et l’opposition a obtenu un accès, quoique minimal dans certaines régions, à la télévision, ce qui est essentiel à la visibilité des candidats.

Voici le résultat des élections :

Résultats des élections parlementaires de mars 2002

 

(p. 100 des votes)

 

 

 

Notre Ukraine

23,6

Parti communiste ukrainien

20,0

Pour une Ukraine unie

11,8

Coalition Yulia Tymoshenko

7,3

Parti socialiste d’Ukraine

6,9

Parti social-démocrate d’Ukraine (uni)

6,3

Coalition Natalia Vitrenko

 3,2

Femmes pour l’avenir

 2,1

Parti des verts d’Ukraine

2,0

 

 

Source : Commission électorale centrale de l’Ukraine.

 

 

Les implications des élections ne sont pas encore connues au moment d’aller sous presse, puisque les coalitions des partis sont en train de se former au Rada. Toutefois, selon le Economist Intelligence Unit (EIU), quelques observations peuvent déjà être faites. C’est la première chute brutale du nombre de députés de la gauche au Rada depuis l’accession à l’indépendance de l’Ukraine. La proportion de l’électorat en faveur du parti Notre Ukraine, mené par l’ancien Premier Ministre Victor Youchenko, constitue un vote considérable pour la stabilité et la réforme en Ukraine. Par contre, la quasi-égalité des voix pour les partis réformistes et proprésidentiels se répercutera sur la stabilité du nouveau Rada. La représentation importante des intérêts commerciaux des oligarques de Donetsk et de Dniepropetrovsk devrait, selon l’EIU, mettre le Président Kuchma à l’abri des tentatives de destitution, laissant ainsi certains aspects de la politique ukrainienne dans l’impasse.



L’ÉCONOMIE DE L’UKRAINE : LA SITUATION ACTUELLE ET LA LUTTE POUR LA RÉFORME  

A. La situation économique existante

L’Ukraine possède un certain nombre d’avantages par rapport à d’autres pays. Sa population est instruite et elle excelle dans des domaines comme les mathématiques, les sciences et des secteurs techniques Ses ressources minières sont abondantes, mais elle n’a pas assez de produits énergétiques importants comme le pétrole, le gaz et le charbon. Elle doit importer ces facteurs de production essentiels pour ses industries lourdes, en grande partie de la Russie. L’Ukraine possède aussi de superbes terres agricoles. Malheureusement, étant donné ses 50 années d’agriculture communale, elle n’est pas outillée pour tirer profit de cette ressource dans l’économie mondiale parce que ses machines sont dépassées et qu’elle ne dispose pas de bons réseaux de transport et de distribution.

Dans l’ensemble, le pays continue d’afficher un potentiel économique à long terme qui est considérable. Cependant, ce potentiel demeure, pour la majeure partie, inexploité. L’Ukraine a vu son économie officielle se contracter d’environ les deux tiers depuis son accession à l’indépendance, et la lenteur des réformes structurelles et des politiques médiocres ont contribué à faire baisser le niveau de vie. Le revenu par habitant a diminué considérablement depuis 1991, si bien qu’une grande proportion de la population est désormais plongée dans la pauvreté.

Malgré des indicateurs économiques globaux négatifs, depuis l’accession à l’indépendance, la performance économique de l’Ukraine s’est améliorée depuis 1999. En 2001, la croissance réelle du PIB aurait été de 9,0 p. 100, et le taux annuel d’inflation aurait baissé à 6,1 p. 100. Deux autres faits encourageants ont été remarqués en 2001 : l’élargissement de la croissance industrielle, en dehors du secteur des principaux métaux (bien que la reprise soit loin d’être chose faite dans l’industrie lourde et les secteurs industriels énergivores) et la forte récolte de grain enregistrée en juillet et août.

Il est donc manifeste que la croissance économique de l’Ukraine est nettement meilleure et c’est presque entièrement grâce à l’activation d’un potentiel économique inexploité et non à la restructuration micro-économique majeure qui s’impose. Il sera plus facile de soutenir la relance si on peut trouver des solutions à une foule de problèmes sous-jacents du pays. Notons par exemple l’absence de système juridique capable de faire respecter les contrats, la nécessité de règles justes et transparentes, les lacunes du secteur bancaire ukrainien, un régime fiscal injuste et imprévisible, l’existence d’obstacles bureaucratiques et une attitude qui est loin d’être optimale, face à l’investissement étranger.

La section qui suit traitera d’un certain nombre de ces lacunes. À propos de l’investissement étranger, cependant, des fonctionnaires du MAECI ont informé le Comité en juin 2000 que l’Ukraine n’avait pu attirer qu’environ 2,5 milliards de dollars américains depuis 1991. Récemment, le pays a toutefois connu une poussée d’investissements directs qui sont le fait d’entreprises russes désireuses d’acheter les actifs de sociétés nouvellement privatisées. Cet apport de capitaux, qui vient après d’autres mesures prises par les dirigeants du pays en vue d’une réintégration avec la Russie, a suscité des inquiétudes au sujet de la souveraineté de l’Ukraine.

Les entreprises restent très concentrées, un petit nombre d’oligarques ukrainiens (chevaliers d’industrie) exerçant leur influence dans les couloirs du pouvoir et étant très habiles à investir leur fortune ailleurs.

De plus, l’Ukraine se classe au 83e dans la liste des 91 pays les plus corrompus dressée par Transparency International. La corruption coûte cher au pays. Par exemple, c’est certainement un important obstacle à la réforme juridique et à l’investissement. On espère que l’amélioration systémique de la structure économique du pays aidera à atténuer le problème.

En outre, le pays a beaucoup emprunté, accumulant, en un peu plus de dix ans seulement, une dette totale de quelque 12 milliards de dollars américains. La volonté des créanciers étrangers de continuer à renflouer le pays a déjà été mise à l’épreuve, et les défauts de remboursement ont été évités de justesse. Le Fonds monétaire international n’a décidé que récemment de recommencer à accorder des prêts.

Un dernier point à souligner est que l’évolution de la politique commerciale de l’Ukraine, comme les augmentations arbitraires des droits tarifaires, le traitement discriminatoire de certaines importations et les restrictions quantitatives imposées sur des importations clés, a ulcéré les partenaires commerciaux du pays. Ces préoccupations ont été présentées aux représentants ukrainiens dans le cadre des négociations sur l’adhésion du pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).


B. La mise en œuvre des réformes : Combattre l’inertie politique

Une grande partie du succès à venir de l’Ukraine dépendra de l’établissement d’un cadre économique, juridique et institutionnel approprié et efficace pour assurer le développement. Un besoin fondamental de l’Ukraine est de renforcer les bases institutionnelles du pays comme la démocratie et la suprématie du droit.

Cependant, les réformes structurelles ont été lentes à se concrétiser. Même dans les cas où l’État a légiféré, les lois et leurs règlements d’application ont rarement été appliqués. Des hauts fonctionnaires du MAECI ont dit au Comité que la communauté internationale était mal à l’aise devant le rythme des réformes en Ukraine.

Si le Président Leonid Kouchma s’est engagé dès 1994 à entreprendre des réformes, il s’est heurté à l’opposition du Parlement national et aux intérêts de l’agriculture et des secteurs industriels appartenant à l’État. L’incapacité du gouvernement de l’Ukraine (parfois son manque de détermination) à entreprendre des réformes économiques sérieuses cadre mal avec sa volonté de participer au processus d’intégration de l’Europe.

De profondes réformes s’imposent effectivement dans un certain nombre de secteurs clés. Par exemple, il est généralement reconnu qu’un système juridique et judiciaire réformé ferait beaucoup pour stimuler le développement économique du pays et attirer les investissements étrangers dont il a besoin. Dans le cas de l’Ukraine, le système juridique et judiciaire a dû être bâti à partir de rien. 

Le Comité souhaite faire remarquer que, même si la réforme judiciaire sera un long processus, les changements récents en Ukraine pourraient avoir de grandes conséquences sur les tribunaux du pays et donc sur la création d’un appareil judiciaire indépendant et efficace. Premièrement, on a travaillé à un Code civil, à un Code pénal et à des Codes de procédures. De plus, l’adoption de la Loi sur les tribunaux en mars 2002 devrait permettre l’organisation des tribunaux, la création d’un organisme d’administration des tribunaux d’État, d’une académie des magistrats d’Ukraine et la création d’un organe d’autoréglementation de la magistrature. Ces mesures sont essentielles pour mettre en place un appareil judiciaire indépendant. Aucun effort ne devrait être épargné pour s’assurer qu’il y aura des suites à ces grandes initiatives, car elles contribueront grandement à instaurer un sain climat juridique en Ukraine.  

Deuxièmement, le rythme des réformes fiscales a été lent, au mieux, le projet de loi fiscale traînant en longueur au Parlement. On estime qu’il est important de faire avancer davantage la réforme fiscale pour assainir le climat des affaires et limiter la taille de l’économie au noir de l’Ukraine. On a demandé également la réforme de l’Administration fiscale de l’État de façon à favoriser la transparence et à atténuer l’agressivité dont font preuve les percepteurs et inspecteurs. Cette administration semble être la moins appréciée des institutions de l’Ukraine.

Troisièmement, la bureaucratie du gouvernement ukrainien continue de fonctionner à peu près de la même façon qu’à l’époque soviétique. Il faut notamment prendre des mesures pour abaisser le nombre de fonctionnaires qui doivent intervenir pour l’enregistrement et l’exploitation d’une entreprise.

Quatrièmement, un important défi pour les décideurs consiste à diversifier l’économie en dehors de l’industrie lourde. Malheureusement, la restructuration de l’industrie demeure limitée à cause des intérêts bureaucratiques et économiques acquis et de l’incapacité des dirigeants politiques et du monde des affaires de dégager un consensus sur la nécessité de changements.

Cinquièmement, le système bancaire de l’Ukraine en reste à un state à peu près embryonnaire. Il est sous-capitalisé et faible, et il ne répond pas aux besoins même les plus élémentaires des Ukrainiens. Les faiblesses du système tendent à entraver la recherche de nouveaux capitaux d’investissement, à ralentir la privatisation et à restreindre l’investissement étranger. Il faut de toute urgence une loi efficace pour permettre à la banque centrale de régler le cas des banques problèmes et d’appliquer les plans de redressement.

Enfin, l’Ukraine possède un sol incroyablement riche pour la production agricole et elle a des agriculteurs qui, généralement, ont beaucoup d’expérience. Un problème clé, en dehors du tarissement de certains marchés d’exportation et de pénuries de carburant, d’équipement et d’engrais, est que les réformes agricole ont été à peu près totalement absentes. Le gouvernement de l’Ukraine commence seulement à réformer son secteur agricole. Il entend réformer le régime foncier, améliorer la distribution des titres fonciers et mettre en place des institutions pour encadrer le marché.



LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ DE L’UKRAINE

La meilleure description qu’on puisse donner de la politique étrangère est de dire qu’elle est tournée vers l’Ouest, mais dirigée vers l’Est. De fortes influences attirent l’Ukraine vers l’Ouest. Il s’agit du sentiment national ukrainien, allié à la crainte d’une domination russe, du patrimoine galicien d’Ukraine, de l’importante diaspora ukrainienne – plus particulièrement dans les États du nouveau monde, soit le Canada, les États-Unis et l’Australie, et de la volonté d’attirer des investissements occidentaux et de se joindre à ses voisins européens.

En ce qui concerne les facteurs de l’attrait vers l’Est, il faut mentionner les liens entre l’est de l’Ukraine et l’infrastructure économique de la Russie. Les deux pays ont eu une seule économie intégrée pendant de nombreuses années et des liens économiques étroits subsistent encore de nos jours.

Il y a eu à quelques reprises des déclarations soulignant les difficultés et les défis qui attendent l’Ukraine, soit sa position géopolitique par rapport à la Russie, sa grande voisine sur son flanc est; la Moldovie et le Bélarus, ses deux voisins incertains; et ses voisins européens. Tout en gérant sa politique intérieure, sa restructuration et son identité, l’Ukraine choisit prudemment l’orientation de sa politique extérieure. En deux mots, l’Ukraine avance prudemment entre ces intérêts, parfois contradictoires. Le Comité souligne les observations d’Andrew Witer qui, faisant allusion à une déclaration du Président Kouchma sur l’orientation de la politique étrangère de l’Ukraine, nous a déclaré : « L’orientation stratégique de l’Ukraine est déterminée par sa situation géopolitique ainsi que par ses traditions historiques et culturelles, qui définissent de toute évidence notre État comme un État européen. »  

Une annonce faite par l’Ukraine en mai 2002 au sujet de ses relations futures avec l’OTAN mérite aussi d’être soulignée. Après avoir quelques années de collaboration et de partenariat avec l’OTAN, le Conseil national de défense et de la sécurité de l’Ukraine (présidé par le Président Kouchma) a annoncé l’intention du pays d’élaborer une stratégie à long terme pour adhérer à l’OTAN. C’était la première fois que le Président Kouchma faisait une déclaration aussi définitive au sujet de l’OTAN et de la sécurité de l’Ukraine. Cela faisait certainement suite à l’annonce du Conseil OTAN-Russie et à l’attitude de coopération de la Russie envers l’OTAN. Il est encore trop tôt pour voir comment tout ceci va se jouer, mais cette déclaration semble indiquer une légère réorientation vers l’Ouest de la politique étrangère et de la sécurité de l’Ukraine.

 

A.  Les relations entre l’Ukraine et la Russie

Dans la politique étrangère générale et les questions de sécurité, l’Ukraine et la Russie ont eu récemment des relations pragmatiques fructueuses. L’Ukraine a renoncé à son arsenal nucléaire contre des garanties de la Russie en matière de sécurité. En outre, les problèmes de la Crimée et de la flotte de la mer Noire n’empoisonnent plus les relations comme autrefois. Les Présidents Kravtchouk et Kouchma ont eu de bonnes relations officielles et personnelles avec Boris Eltsine, ce qui a donné le ton aux relations qui existent maintenant entre les Présidents Kouchma et Poutine. Comme on l’a signalé plus haut à propos de la politique étrangère russe dans la région, l’intégration soviétique a également forcé la Russie postsoviétique à jouer un rôle de premier plan dans la gestion des affaires de la CEI.

Le Président Poutine a cherché à resserrer les relations avec Kiev, notamment lors d’un sommet qui a réuni les deux dirigeants en février 2001[93]. Fait important, une grande partie de la réunion a porté sur le rétablissement de liens entre les structures économiques des deux pays. Les dirigeants ont pris l’engagement d’une coopération économique et technique plus étroite, comprenant notamment une production conjointe dans les secteurs de l’aérospatiale, de l’armement et de l’énergie. L’Ukraine a également accepté de se rebrancher sur le réseau énergétique de la Russie.

L’énergie est un facteur clé. En effet, l’Ukraine dépend largement voire complètement de l’énergie russe – notamment le gaz naturel – tant pour les besoins des consommateurs que pour ceux de l’industrie. On ne saurait sous-estimer le rôle de l’Ukraine en ce qui concerne l’acheminement et l’achat de l’énergie russe. D’après Larry Black, l’Ukraine achète l’énergie de la Russie, que celle-ci voudrait exporter vers l’Ouest aux prix mondiaux. Lorne Cutler a dit que l’Ukraine n’avait pas payé une partie importante de ses factures de gaz[94]. Comme il lui est possible de contourner l’Ukraine et de passer par la Pologne, la Russie a une position de négociation très solide, selon Sergei Plekhanov.

Le Comité a appris que les oligarques russes et ukrainiens se respectent mutuellement dans les relations bilatérales. Des entreprises russes investissent massivement dans les secteurs énergétique et industriel de l’Ukraine. La nomination de Viktor Tchernomyrdine au poste d’ambassadeur en Ukraine symbolise la nature, l’importance et le sérieux des relations. L’ambassadeur Tchernomyrdine est président de Gazprom – le monopole russe géant du gaz – et ancien Premier Ministre de la Russie.

Les témoins ne s’entendent pas du tout sur les objectifs ultimes de la Russie concernant l’Ukraine. Selon Bohdan Klid, la Russie souhaite faire de l’Ukraine un État client, comme solution à court terme. Les politiques ukrainiens se fieraient par conséquent à Moscou pour faire approuver leurs politiques, la perspective à long terme étant une nouvelle union entre les deux pays. Chose certaine, pour un État qui est enfin parvenu à son indépendance, la perspective de perdre une partie importante de sa souveraineté au profit d’un puissant voisin a de quoi inquiéter.

Dans les deux pays, des éléments envisagent un regroupement des territoires slaves, une réunification des républiques slaves de l’Union soviétique : Russie, Ukraine, Moldavie, Bélarus et peut-être le Kazakhstan. Toutefois, ce n’est l’opinion majoritaire ni dans les élites ni dans les masses, sauf peut-être au Bélarus, et, comme Larry Black l’a signalé, ceux qui sont en faveur du panslavisme ne sont pas connus pour leur grande logique. L’idée a acquis un du crédit de temps à autre, lorsque certains politiques ont utilisé des structures panslaves pour s’isoler des politiques intérieures[95].

Gene Fischel, du Département d’État américain, a fait écho à certaines de ces préoccupations. Il a notamment signalé que la nomination de M. Tchernomyrdine trahissait probablement la volonté de la Russie de contrôler l’Ukraine. D’autres témoins ont une interprétation moins radicale des intentions de la Russie. David Marples a dit au Comité que l’attitude de la Russie à l’égard de l’Ukraine n’était pas celle d’un prédateur. L’intérêt de la Russie à l’égard de l’Ukraine est normal, vu les réalités de la sécurité et de l’économie et la dynamique interne de la politique contemporaine russe. Fergal O’Reilly estime que les intérêts de la Russie découlent d’un calcul fondé sur des intérêts commerciaux.

Enfin, d’après Plekhanov, ce ne sont pas tant la profondeur ni la vigueur des relations qui comptent que ses assises :

Si la Russie et l’Ukraine se rapprochent sur les bases d’une politique autoritaire, ce ne sera pas une bonne chose. Il faut que les deux grandes nations slaves soient des démocraties amies. Des relations plus étroites entre la Russie et l’Ukraine vont-elles amener le développement de la démocratie et d’une économie de marché plus forte? Cela reste à voir. C’est possible.

Il n’est pas bon que le Président ukrainien, aux abois ces derniers mois, ait pu trouver refuge dans les bras du Kremlin. De nombreuses forces démocratiques ukrainiennes n’ont pas apprécié de voir la Russie venir en aide à un dirigeant ayant apparemment commis de graves erreurs. Ce type de situation devrait nous inquiéter.

 

B. L’Ukraine et l’Ouest

En matière de sécurité, l’Ukraine a signé le Partenariat pour la paix (PPP) avec l’OTAN et les deux ont également une charte de partenariat distinct. Le Canada joue un rôle de premier plan dans ce partenariat pour tous les secteurs et conseils de l’OTAN. Bien que l’opinion publique ukrainienne ne soit pas immuable et qu’elle se détourne parfois de l’OTAN pour favoriser une plus grande coopération avec la Russie et la CEI, l’attitude de l’Ukraine avec l’OTAN a changé radicalement.

Reste à voir comment cela influera tant sur l’opinion publique ukrainienne que sur les accords de sécurité à long terme que l’Ukraine privilégiera. Qu’il nous suffise de dire que les besoins militaires officiels de l’Ukraine sont relativement modestes pour l’instant, comme nous l’a appris David Marples. Effectivement, les craintes de l’Ukraine pour sa sécurité militaire sont minimes à l’ère de l’après-Guerre froide.

L’Ukraine a plutôt contribué à l’effort multilatéral en envoyant des casques bleus, en participant à des manœuvres militaires de l’OTAN et en adhérant au programme Partenariat pour la paix. Elle continue de coopérer avec la Russie pour les affaires de défense d’intérêt commun. Certes, les événements du 11 septembre 2001, la nécessité de coopérer aux stratégies contre le terrorisme, le coup de barre donné par la Russie à sa politique de défense et l’expansion prévue de l’OTAN vers l’Est semblent fournir à l’Ukraine de nouvelles occasions de se doter d’une politique de défense et de sécurité plus stable et cohérente. Ce serait le moment opportun pour le Canada de faire le nécessaire afin que l’OTAN, qui semble prête à s’étendre et à établir de nouvelles relations avec la Russie, prenne en considération la situation géopolitique de l’Ukraine.  Compte tenu de la relation particulière entre le Canada et l’Ukraine pour l’exécution du programme Partenariat pour la paix, le Comité recommande :

Les Ukrainiens ont toujours été ambivalents au sujet de l’OTAN, mais ils semblent avoir une perception constamment plus favorable du rôle de l’Europe et de ses rapports avec l’Ukraine. Cependant, l’Union européenne (UE) s’est aliénée l’Ukraine, notamment en décidant d’adopter un calendrier et des règles internes qui ne laissent aucune souplesse pour répondre aux besoins des Ukrainiens. Pour accéder au marché européen, sans même parler de l’adhésion à l’acquis communautaire, il faut permettre l’entrée des importations concurrentielles de l’Europe et s’adapter à la complexité de la réglementation européenne et des exportations subventionnées. Entre temps, les travailleurs ukrainiens migrants et le commerce de l’Ukraine avec d’autres États de l’Europe centrale qui sont ou deviendront membres de l’UE ont été touchés. Quant aux droits de la personne, Bohdan Klid estime que l’Ukraine considère l’Union européenne et le Conseil de l’Europe comme hypocrites, car ils traitent l’Ukraine beaucoup plus durement que d’autres États postsoviétiques.  

C. L’autre option de l’Ukraine : Le GUOAM

L’Ukraine a tenter de mettre ses intérêts en équilibre. Elle a déjà consenti des efforts considérables dans le Groupe GUOAM (Géorgie, Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan et Moldavie). Au cœur de cette initiative se trouve le développement de la coopération régionale par des couloirs de transport – c’est-à-dire des oléoducs. Le Groupe a proposé un projet de gazoduc qui transporterait le gaz naturel par l’Ukraine et la Pologne jusqu’en Europe de l’Ouest. Il aspire à bâtir une région qui serait liée à l’Europe et à l’Asie et en ferait partie intégrante, au lieu que cette région devienne une zone oubliée.

Ce que recherche l’Ukraine, ce n’est pas seulement le développement économique et l’infrastructure régionale, mais aussi de devenir le lien européen avec l’Eurasie. Bohdan Klid a soutenu que l’Ukraine était pour l’Europe centrale et l’Europe de l’Est la meilleure solution en ce qui concerne le pétrole et le gaz naturel. L’Ukraine a achevé en 1999 un important oléoduc qui pourrait rejoindre l’Asie centrale en passant par la Géorgie. Selon lui, l’Ouest devrait appuyer cette option, de préférence à un itinéraire qui passerait par la Turquie et la mer Noire. L’Ukraine a négocié avec la Pologne pour devenir un point de passage vers l’Europe pour le gaz naturel également. D’autres témoins ont signalé le potentiel du GUOAM pour répondre aux besoins en énergie de l’Ouest.



LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADA  


Il existe une relation de longue date fondée sur des points communs et des liens familiaux entre le Canada et l’Ukraine. L’Ouest canadien et l’Ukraine ont tous deux été les greniers du monde. Cet élément commun est demeuré une constante tout au long de l’ère soviétique, lorsque l’aide et les relations du Canada dans le domaine agricole s’adressaient principalement à la République socialiste soviétique d’Ukraine. Après l’effondrement de l’Union soviétique, ce secteur continue de receler un énorme potentiel. Un autre point commun, encore plus marqué aujourd’hui, est que nous devons chacun traiter avec un puissant voisin à l’échelle mondiale. Cette situation peut générer une vision commune des relations entre États au sein d’un système international fondé sur des règles et dans le cadre de négociations et structures bilatérales et multilatérales. Enfin, nous partageons des liens familiaux : il y a un million de Canadiens d’ascendance ukrainienne. Pour de nombreux Canadiens, l’Ukraine est une patrie : les Ukrainiens sont des cousins, des oncles et des tantes, des grands-parents, des sœurs et des frères. Bon nombre de nos politiques témoignent de la volonté du Canada de veiller à ce que les familles ne soient pas désunies par les affaires de l’État.

En 1991, alors que le Canada célébrait le 100e anniversaire de l’arrivée des colons ukrainiens au Canada, le gouvernement fédéral a été le premier pays occidental à reconnaître officiellement l’Ukraine comme un État indépendant. Depuis, comme l’a dit M. Eugene Czolij, président du Congrès des Ukrainiens canadiens, le Canada a eu pour politique d’encourager et de soutenir les attitudes réformistes en faveur d’un nouvel État démocratique, notamment en signant, le 5 décembre 2001, une déclaration conjointe sur le maintien et le renforcement des relations spéciales qui existent entre le Canada et l’Ukraine. Un passage de cette déclaration stipule « que la garantie de l’existence et de l’intégrité territoriale d’une Ukraine indépendante, prospère et souveraine est dans l’intérêt fondamental du Canada et de la communauté internationale tout entière ».

M. Czolij a ensuite déclaré que le Sénat devait réaffirmer son appui de principe et que « cette déclaration n’est pas une simple affirmation de principe, elle vise à souligner une fois de plus tous les avantages que les Canadiens tirent du rôle joué par le Canada au plan international. Votre comité a en fait ici l’occasion d’expliquer à la population canadienne que l’aide apportée au Canada par l’Ukraine ne doit pas être perçue comme une aumône mais plutôt comme un investissement stratégique en vue de l’avenir. »

Le Comité estime que cette approche stratégique pour aider l’Ukraine intéresse fondamentalement le Canada, puisque la stabilité et la sécurité de l’Ukraine contribueraient non seulement à la paix et à la stabilité dans le monde, mais créeraient un climat propice au commerce et à l’investissement. Cette approche est conforme à la politique étrangère déclarée du Canada. En conséquence, le Comité recommande :

            Recommandation n° 12 

Que le Canada continue de soutenir les efforts pour créer une Ukraine indépendante, prospère, souveraine, démocratique et axée sur les réformes, en agissant à la fois multilatéralement, bilatéralement et à l’OTAN.

 

A. Aider à l’effort de réforme

Le Canada continue de soutenir le développement de l’Ukraine. Depuis l’accession à l’indépendance de celle-ci, en 1991, le Canada a fourni une aide technique d’une valeur de 228 millions de dollars pour appuyer la transition du pays vers une économie de marché, promouvoir le développement de la démocratie et du bon gouvernement et accroître les échanges commerciaux et les investissements bilatéraux. Cette année, le Canada a engagé 19 millions de dollars dans le financement de l’aide technique assurée par l’Agence canadienne de développement international (ACDI). Ce niveau de soutien est le plus important de tous les programmes prévus pour l’Europe centrale et l’Europe de l’Est.

Le Comité a entendu bien des témoins au sujet de la manière d’optimiser l’engagement du Canada en Ukraine. James Jacuta a exposé plusieurs priorités pour le développement de l’Ukraine : amélioration de l’efficience et de la gouvernance de l’administration publique, fusion des structures bureaucratiques et administratives à tous les niveaux, modernisation du cadre juridique sans compromettre la stabilité actuelle, garantie du droit de propriété, encouragement de la participation des citoyens par l’entremise des ONG et mise en place de mécanismes ouverts et transparents pour la société civile.

Bohdan Klid a expliqué au Comité que le Canada devrait employer une stratégie d’assistance cohérente et bien coordonnée, prévoyant des engagements à long terme. Cette stratégie devrait être axée sur la réforme économique et l’aide aux efforts d’édification de la nation et de l’État.

L’ACDI soutiendrait probablement qu’elle s’est déjà engagée dans cette voie. M. Daniel a informé le Comité que l’ACDI mettait nettement l’accent sur un certain nombre d’éléments clés du processus de réforme : la poursuite de la transition entre une économie dirigée et une économie de marché, la mise en place d’institutions politiques efficaces et l’émergence d’une solide société civile. L’Agence est particulièrement active dans ses efforts en vue de combattre la corruption, d’améliorer l’administration publique, de réformer le judiciaire et d’établir un cadre propice à l’émergence d’une économie de marché.

Quelques témoins ont toutefois signalé qu’ils s’inquiétaient de la constance des programmes de l’ACDI. D’après Ostep Hawaleshka, la modification de la structure des programmes et des priorités de gestion de l’ACDI a entraîné des interruptions à répétition des projets devant être réalisés en Ukraine. Il a nommé à ce propos un programme qui, selon lui, est le projet phare par excellence, celui visant le Centre des sciences et de la technologie de l’Ukraine. M. Hawaleshka croit que, comme il s’agit d’un projet multilatéral dont le Canada n’est que l’un des partenaires, même s’il y joue un rôle clef, ce projet n’a pas subi les modifications unilatérales des décisions administratives, ce qui lui a permis de réussir.

Le Canada a montré sa capacité et son désir l’aider l’Ukraine dans sa transition. En continuant de jeter des bases solides de confiance et d’influence réciproque, le Canada doit saisir toutes les occasions de développer des possibilités de contribuer à la réforme de l’Ukraine. Cela dit, il faut reconnaître que cet appui doit être fourni à long terme et de manière cohérence. Le Comité recommande donc :

Recommandation No 13

Que le gouvernement du Canada applique pour l’Ukraine une stratégie d’assistance cohérente et bien coordonnée qui comprendrait des engagements à long terme focalisant sur la réforme économique de même que sur l’établissement d’un État et d’une nation ukrainiens.

Le Canada participe à un important programme de lutte contre la corruption chez les fonctionnaires ukrainiens. Des fonctionnaires du MAECI ont informé le Comité que l’ACDI avait joint ses efforts à ceux de la Banque mondiale pour réaliser un projet de 2 millions de dollars qui vise à améliorer la qualité globale de la gestion publique. On nous a dit également qu’on pouvait accomplir beaucoup dans ce domaine grâce au processus d’accession à l’OMC, pour élaborer un cadre législatif.

Parmi les autres contributions importantes, notons une aide aux scientifiques ainsi qu’une assistance et des conseils dans le domaine de l’agriculture. Ainsi, des gens d’affaires canadiens ont tenté de promouvoir les pratiques agricoles canadiennes en Ukraine et d’y encourager la privatisation de ce secteur. Vu les témoignages entendus au Comité sur le rôle important que joue le secteur scientifique en Ukraine et sur les opportunités vitales que l’Ukraine offre au Canada sur le plan de la coopération scientifique et technologique, le Comité recommande :

Recommandation No 15

Que le Canada étoffe le rôle qu’il joue en fournissant à l’Ukraine une assistance technique, en accordant plus d’importance aux partenariats bilatéraux à long terme qui exploitent le potentiel scientifique et technologique ukrainien.

Enfin, le soutien dans les domaines de l’énergie, de l’environnement et de la sécurité nucléaire a été un élément central de l’aide canadienne. Le plus important, c’est que le Canada a été, au sein du G8, l’un des principaux instigateurs du projet de renforcement du sarcophage qui entoure les restes de l’unité 4, détruite, à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Ce « plan d’investissement pour le sarcophage de Tchernobyl » est administré par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, et il est financé par des donateurs du G8 et d’autres pays qui n’en sont pas membres. Le Canada a promis 50 millions de dollars pour ce projet, qui devrait s’achever d’ici 2008.

 

B. Les liens économiques entre le Canada et l’Ukraine

Les relations économiques entre le Canada et l’Ukraine peuvent sans doute être qualifiées de marginales, si on les compare à l’énormité du potentiel. En 2001, le commerce bilatéral entre les deux pays n’a totalisé que 81 millions de dollars, une baisse par rapport aux 148 millions de dollars de l’année précédente. L’Ukraine a certainement enregistré un excédent commercial, elle qui exporte surtout de l’acier au Canada. Les entreprises canadiennes n’envisagent qu’avec prudence, on peut le comprendre, d’exploiter les débouchés commerciaux sur le marché ukrainien.

En 2000, les investissements du Canada en Ukraine s’élevaient à 80 millions de dollars, et ils étaient concentrés dans les secteurs du pétrole, du gaz et du verre. Parmi les sociétés en cause, notons la Northland Power, qui participe au projet Darnitsia, et Nadra Resources, qui met en valeur le potentiel pétrolier et gazier de l’Ukraine. Il serait possible de faire plus, si le climat s’améliorait pour les investissements étrangers et si on mettait en place un système juridique plus efficace pour faire respecter les contrats commerciaux.

Roman Petryshyn a rappelé au Comité qu’en dépit de ses problèmes, l’Ukraine demeure à l’avant-plan dans des domaines technologiques de pointe : l’aérospatiale et la céramique par exemple. L’Ukraine est une mine de ressources humaines et d’infrastructures qui pourrait aisément être exploitée au profit des deux pays.

Le gouvernement du Canada tente d’améliorer l’accès au marché ukrainien et d’élargir les relations économiques bilatérales à la faveur des négociations sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OMC et au moyen de la Commission économique intergouvernementale Canada-Ukraine (CEI). Comme il est membre du groupe de travail de l’OMC sur la demande d’adhésion de l’Ukraine, le Canada continue de travailler sur un certain nombre de questions pertinentes : accès au marché; procédures douanières; normes et autres obstacles techniques au commerce; protection de la propriété intellectuelle. Le but visé est de cerner les politiques gouvernementales de l’Ukraine dont la suppression pourrait stimuler les échanges commerciaux et les investissements bilatéraux. Le Canada continuera également de réclamer une plus grande transparence dans l’élaboration des politiques ukrainiennes, grâce au processus d’adhésion à l’OMC.

La procédure de l’OMC comprend également des négociations bilatérales sur l’accès aux marchés. Dans ces négociations, le Canada cherche à obtenir des droits tarifaires plus faibles et l’élimination de barrières non tarifaires sur des produits dont les perspectives d’exportation sont bonnes. Le Canada veut également des engagements de l’Ukraine dans des domaines clés du secteur des services, comme les télécommunications et les services financiers.

Pour sa part, la CEI est conçue pour permettre au gouvernement fédéral et aux gens d’affaires canadiens de déceler les mesures concrètes du gouvernement ukrainien qui entravent les relations économiques et de faire part des préoccupations du Canada aux ministres ukrainiens haut placés et aux représentants du monde des affaires ukrainien. Parmi les principaux problèmes à étudier, notons la fiscalité, les normes et l’application discrétionnaire des règlements.

Enfin, malgré tous ses efforts et une ligne de crédit de 20 millions de dollars américains, Exportation et développement Canada (EDC) n’a pas été en mesure d’accorder des prêts au cours des cinq dernières années. Ce sont les procédures internes de l’Ukraine pour utiliser le crédit qui semblent faire obstacle.

            Recommandation n° 16

Que le gouvernement du Canada entame immédiatement des pourparlers avec le gouvernement de l’Ukraine pour connaître les obstacles précis à l’utilisation par l’Ukraine de la ligne de crédit d’Exportation et développement Canada et qu’il établisse ensuite un mécanisme permettant de les surmonter.

 

C. Le Canada et l’Ukraine : Le lien spécial

Au cours des travaux du Comité sur l’Ukraine, quelques témoins ont évoqué un « lien spécial ». Ce lien spécial qui unit le Canada et l’Ukraine tient à beaucoup de choses. Premièrement, l’immigration des Ukrainiens au Canada à partir du début des années 1890 a formé au pays une communauté qui compte environ un million de Canadiens d’origine ukrainienne. Les contacts avec l’Ukraine demeurent importants. D’après les témoignages, l’ambassade d’Ukraine a délivré de 40 000 à 50 000 visas à des Canadiens en 2001.

Les deux sociétés ont eu des affinités particulières et des contacts privilégiés, même à l’ère soviétique, à cause de la place que l’agriculture occupait chez elles. La réputation du Canada et le rôle qu’il a joué dans l’édification d’une nouvelle société incorporant de nombreuses cultures sont connus en Ukraine. Enfin, les Ukrainiens savent pertinemment que le Canada est un des protagonistes sur la scène internationale.

Le Comité a demandé à des représentants de la communauté canado-ukrainienne de définir ce lien bilatéral. Un aspect crucial de ce lien, c’est le rôle joué par une foule de contacts officieux, en dehors des gouvernements, nés des interactions entre des groupes de la société civile – par exemple des agriculteurs –, des réunions de familles et des investissements des PME. Lorsque des Ukrainiens rencontrent des Canadiens d’origine ukrainienne, ils retiennent surtout l’image de la réussite.

Aujourd’hui, lorsque les visiteurs venus d’Ukraine arrivent au Canada, ils sont royalement accueillis. Ils constatent le degré de réussite. Tout le monde est mieux instruit. Les enfants peuvent aller à l’université. Ils ont leur place au sein du gouvernement dans un pays comme le Canada. Il y a des Ukrainiens au Sénat et dans les autres institutions gouvernementales. Il y a des premiers ministres provinciaux. C’est une source d’inspiration pour les Ukrainiens restés en Ukraine. (Walter Makowecki)

La deuxième facette de ce lien, comme l’a fait remarquer Andrew Witer, c’est que les Ukrainiens font confiance aux Canadiens. Cette confiance se traduit par la capacité des Canadiens à donner un coup de main, à concevoir et à réaliser des projets utiles. Une telle efficacité ressort particulièrement dans les secteurs prioritaires de l’éducation, de l’administration publique et de l’assistance technique : la « corbeille » gouvernance et société civile des programmes canadiens. Les Ukrainiens sont instruits et fiers, nous a-t-on dit, et il est plus facile d’accepter les conseils de quelqu’un dont on se sent plus proche :

Toutes les sociétés ont un certain nombre de valeurs qu’elles chérissent. L’un des grands idéaux de l’Ukraine, c’est la connaissance. (…) (L’éducation,) c’est profondément enraciné dans les mentalités ukrainiennes. Des possibilités de formation de ce type peuvent être offertes aux Ukrainiens par le Canada et ce n’est pas toujours facile parce que les Ukrainiens sont un peuple très fier. Les Américains ont des difficultés sur ce plan, mais pas les Canadiens. (Andrew Witer)

Comme les Ukrainiens attachent énormément d’importance à l’éducation et à son rôle dans la société et dans le développement, que le Canada a un accès privilégié et un rôle particulier à jouer pour aider l’Ukraine à bâtir ses programmes éducatifs, que l’éducation joue un rôle important dans les priorités déjà établies telles l’édification d’une nation et les sciences et la technologie, le Comité recommande :

Recommandation no 17

Que le Canada prenne l’initiative d’un programme de transfert des connaissances comportant des échanges d’étudiants, des bourses et des programmes de travail.

La troisième facette de ce lien, c’est la possibilité qu’il ajoute un élément susceptible de fausser les calculs officiels. En effet, il se pourrait que des investissements et des interactions considérables entre le Canada et l’Ukraine ne figurent pas dans les chiffres officiels :

On mesure les gros investissements effectués au sein des grandes entreprises à concurrence de montants élevés, mais on oublie les millions de dollars que déversent en Ukraine les familles ukrainiennes installées dans le monde entier. Il ne s’agit pas ensuite de ressortir de l’argent. Il s’agit ici de personnes qui montent une quincaillerie, une usine de fabrication de crème glacée, une confiserie, etc. Il y a finalement des milliers d’entreprises de ce genre qui démarrent et qui sont financées par des Ukrainiens habitant au Canada, aux États-Unis, en Europe et dans d’autres parties du monde. Ce type d’investissement n’est pas comptabilisé. C’est peut-être la raison pour laquelle on a enregistré en Ukraine une augmentation de 13 p. 100 des petites entreprises alors que l’année dernière, en Russie, le nombre de créations de petites entreprises a diminué de 2 p. 100. Cela s’explique peut-être par le fait que ces investissements ne sont pas comptabilisés. (Andrew Witer)

Ces dimensions de la relation entre le Canada et l’Ukraine peuvent se répercuter sur le suivi et le développement des programmes pour l’Ukraine. C’est pourquoi des Canadiens-Ukrainiens et sans doute d’autres qui s’occupent des affaires canado-ukrainiennes ont demandé des informations nécessaires à la coordination et au ciblage des programmes, ainsi qu’à l’exploitation des contacts actuels et des expériences antérieures. C’est pourquoi le Comité recommande :

Recommandation no 18

Que trois bases de données soient créées et placées sur Internet, à la disposition de toute personne intéressée

·                    Une base de données de l’expertise canado-ukrainienne apte à influer sur l’aide canadienne à l’Ukraine.

·                    Une base de données de tous les projets d’aide en cours de réalisation entre le Canada et l’Ukraine, qu’ils soient menés par des gouvernements, des ONG, des organisations privées ou de simples citoyens.

·                    Une base de données des organisations canado-ukrainiennes qui pourraient participer à des projets d’aide en Ukraine.

 

On a fait grand cas des avantages que l’Ukraine tire de ce lien spécial, mais on a beaucoup moins parlé du bénéfice direct qu’en retire le Canada. Les témoins ont certainement laissé entendre que la situation privilégiée du Canada devrait aider les personnes physiques et morales du Canada qui cherchent à faire des affaires avec l’Ukraine. Toutefois, des témoins ont aussi expliqué au Comité que bien d’autres pays (européens par exemple) avaient en Ukraine une foule de ressortissants qui mettent d’autres avantages sur le tapis, notamment l’adhésion à l’UE ou une somme considérable en aide monétaire et en investissement (Ostap Hawaleshka). Nous en avons conclu que la bienveillance canadienne doit se doubler d’atouts plus tangibles.

En apportant une aide efficace au programme technique, le Canada sert ses priorités pour l’Ukraine : la démocratisation et la réforme économique. Cela nous profite indirectement en aidant à stabiliser l’Ukraine qui est une région stratégique de la planète et un voisin à la fois de la Russie et de l’OTAN.

Un autre facteur qui mérite l’attention du Comité est l’immigration. Des témoins et d’autres sources ont indiqué que le Canada devrait réexaminer ses pratiques actuelles en matière d’immigration et de visa à l’égard de l’Ukraine.  

Les observations faites ci-dessus au sujet de la politique d’immigration canadienne dans le chapitre sur la Russie s’appliquent également à l’Ukraine. Avec une forte concentration de Canadiens d’ascendance ukrainienne qui ont été privés de la réunification de leur famille ou qui n’ont pas eu accès à l’Ukraine durant la période soviétique, il semblerait opportun et souhaitable que ce groupe de la population canadienne ait les mêmes possibilités et le même accès que d’autres ont eu au Canada. Par conséquent, le Comité recommande :

 

    Recommandation n° 19

Que le gouvernement fédéral prenne les mesures nécessaires pour qu’une capacité efficace soit établie en Ukraine afin de répondre rapidement aux demandes d’immigration et de visa. Une attention particulière devrait être consacrée à la réunification des familles.

Pourtant, certains membres du Comité indiquent que l’ensemble des relations canado-ukrainiennes ne devrait pas se fonder uniquement sur le nombre de Canadiens d’ascendance ukrainienne. Pour arriver vraiment à une relation pleine et entière avec l’Ukraine, celle-ci doit être basée, comme l’ont fait remarquer quelques témoins, sur une Ukraine qui a réalisé son potentiel de puissance moyenne, un État ayant des intérêts communs dans les forums multilatéraux et bilatéraux, et dans les institutions internationales telles que les Nations Unies, l’OTAN, l’OMC et le Conseil de l’Europe. En conséquence, le Comité recommande :

            Recommandation n° 20

Que, tout en notant que le lien spécial entre le Canada et l’Ukraine reste important, le Canada élargisse sa politique étrangère à l’endroit de l’Ukraine afin de tenir compte de toutes les facettes et de tout le potentiel de ce pays.


[57]            Center for Defense Information (www.cdi.org). Les dépenses militaires comparées sont extrêmement difficiles à évaluer parce que les pays n’utilisent pas tous les mêmes méthodes comptables. Par exemple, le CDI établit à 7,7 milliards de dollars américains les dépenses du Canada en 2001.

[58]            Dans une déclaration faite le 18 avril 2002, le Président Poutine a réitéré sa promesse de transformer graduellement l’armée de conscrits en une force volontaire, mais il a admis ignorer combien de temps au juste la réforme prendrait. Selon les estimations des représentants de la défense russe, la transition coûtera 5,7 milliards de dollars américains et sera terminée en 2010, mais Poutine demande une réalisation plus rapide parce que la démographie et la mauvaise santé des Russes entraîneront une réduction de moitié des conscrits d’ici 2005.

[59]          Il importe de rappeler que le Concept a été publié avant les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Centre et Washington. Dans le contexte russe à l’époque, cela peut être considéré comme un mot code pour les activités en Tchétchénie.

[60]          Le défi consiste à transformer l’intérêt stratégique et pragmatique à coopérer avec l’Occident en un engagement et un partenariat à long terme que les Russes vont accepter.

[61]             L’Union soviétique a déclaré la guerre au Japon le 8 août 1945, après le lancement de la première bombe atomique. Les troupes soviétiques ont occupé ces îles, connues au Japon sous le nom de Territoires du Nord, le 28 août 1945. Le Japon considère non valide leur intégration à l’Union soviétique et leur situation actuelle au sein de la Russie.

[62]          La Communauté des États indépendants (CEI) regroupe 12 républiques postsoviétiques. Les États baltes ne s’y sont pas joints. L’économie russe a été conçue avec des apports provenant des 15 anciennes républiques. Le coton de l’Ouzbékistan a été planté pour alimenter les usines de textile russes. Le nord industriel du Kazakhstan a une population presque entièrement russe. De plus, les frontières externes de la Russie étaient des frontières internes, à l’époque de l’Union soviétique. En 1991, la frontière internationale entre l’Ukraine et la Russie, ou entre la Russie et le Tadjikistan, avait la même infrastructure que celle qui sépare le Manitoba et la Saskatchewan. La plupart des postes frontaliers de la Russie étaient situés sur les frontières externes de ses voisins. Il y a aussi une zone virtuelle du rouble. Les annonces économiques des États de la CEI, au début des années 1990, ont exercé de fortes pressions sur le rouble. La Russie est aussi l’État le plus important et le plus riche de la CEI, car elle a les ressources et le leadership qui font défaut aux autres.

[63]             Les cinq membres de ce groupe sont la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan.

[64]             Voir la section sur les effets du 11 septembre 2001.

               

[65]          Dans une déclaration, le 13 décembre 2001, le Président Poutine a qualifié l’annonce faite le 12 décembre par les États-Unis de leur retrait du traité ABM, d’« erreur » mais non de menace pour la sécurité nationale de la Russie.

[66]          Il y a eu tout récemment des indications que la Russie pourrait s’engager soit à remplacer soit à renouveler ses systèmes antimissiles actuels – les premières défenses antimissiles placées autour de Moscou et de Saint-Pétersbourg avant la signature du traité ABM. Toutefois, ces indications ont peut-être plus à voir avec les débats internes entre les diverses branches des forces armées qui sont en quête de financement et de pertinence pendant leur réorganisation.

[67]             Les événements très récents semblent confirmer la tendance vers des liens plus étroits entre la Russie et les États-Unis et entre la Russie et l’Occident. Deux annonces importantes ont été faites durant la semaine du 14 mai 2002. La première concernait l’engagement d’entretenir un partenariat beaucoup plus étroit et coordonné entre la Russie et l’OTAN (voir plus haut la section sur l’OTAN). La seconde concernait une entente entre les États-Unis et la Russie en vue de réduire considérablement le déploiement des arsenaux stratégiques des deux pays. Les commentateurs politiques ont fait valoir que l’importance politique et symbolique de ces deux annonces l’emportait sur les gains matériels immédiats.

[68]             Martin Sieff, « Experts Fear For Russia’s Future », UPI Newswire, Washington, 21 mars 2002.

[69]             L’islam est une religion officielle en Russie.

[70]             L’ironie, qui échappe sans doute à la population russe, c’est qu’en réponse à un journaliste qui lui demandait en 1991 comment il imaginait l’avenir des relations entre la Russie et l’Occident, le premier ministre des Affaires étrangères de Russie, Andrei Kozyrev, occidentaliste, avait annoncé qu’il ambitionnait de placer la Russie dans une position où elle pourrait faire la guerre commerciale plutôt que militaire aux États-Unis.

[71]                L’amendement Jackson-Vanik a été apporté à la US Trade Act de 1974 pour empêcher des relations commerciales normales et sans condition avec certains pays, dont la Russie, qui n’avaient pas une économie de marché et qui restreignaient le droit à l’immigration. L’abrogation de cet amendement permettrait aux États-Unis d’accorder à la Russie la qualité de nation la plus favorisée (NPF).

[72]             Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des valeurs communes.

[73]                 Naturellement, Saint-Pétersbourg est une exception. Tout en demeurant la deuxième ville en importance de la Russie et étant relativement prospère, M. Cutler ne l’a pas moins décrite comme étant un cran au-dessous de Moscou.

[74]             L’ACDI reconnaît que ses ressources sont trop éparpillées en Russie.

[75]             Le pouvoir d’achat des Russes a diminué, comme conséquence directe de la dévaluation du rouble.

[76]             Le manque de transparence a rendu moins disponible le financement des transactions commerciales pour la Russie.

[77]             La CEI est une instance bilatérale qui vise à favoriser le commerce, l’investissement et le transfert de technologie entre le Canada et la Russie, à promouvoir des projets conjoints importants et à abattre les obstacles à la coopération économique. Certains des obstacles au commerce sur lesquels butent les entreprises canadiennes sur le marché russe comprennent les exigences réglementaires contradictoires, la difficulté de se renseigner sur ces exigences, l’application incohérente des procédures douanières et le manque de transparence au sujet des changements dans les droits, les règles, les droits d’exportation et les permis. Le Canada a également eu recours à la CEI pour préconiser des réformes dans le code fiscal russe, les procédures de règlement des différends et d’exécution des contrats et des politiques cadres sur la mise en valeur des ressources.

[78]             Dans l’état actuel des choses, EDC s’intéresse plutôt aux exportations vers des pays industrialisés qui présentent moins de risques.

[79]             Il y a eu un éphémère État ukrainien indépendant en 1917, après le Traité de Brest-Litovsk. L’Armée rouge a fini par intégrer l’Ukraine à l’Union soviétique en 1920.

[80]             La plupart des Ukrainiens qui immigré au Canada au tournant du XXe siècle étaient des Galiciens.

[81]             Les Russes des générations soviétiques ont toujours du mal à reconnaître l’Ukraine comme une culture distincte, d’après Larry Black.

[82]                 L’Ukraine a hérité du même ensemble postsoviétique de politiques, d’hommes d’affaires et d’administrateurs que les autres anciennes républiques soviétiques. Le Président, Léonide Kouchma, vient de Dniepropetrovsk, dans l’est de l’Ukraine. Cette ville est le centre politique et économique du vieux secteur industriel de l’ère soviétique en Ukraine. C’est également là que Léonide Brejnev a développé sa version bien à lui de la politique soviétique de la Nomenklatura.

D’après les renseignements communiqués au Comité, l’héritage de la bureaucratie soviétique est très important à Dniepropetrovsk. Les élites industrielles et politiques – oligarques et appareil gouvernemental – contrôlent comme s’il s’agissait de leur intérêt privé ce qui est essentiellement les secteurs non réformés de l’énergie et de l’industrie lourde de l’économie ukrainienne. Le Président Kouchma a hésité à se lancer dans de vastes réformes politiques et économiques qui auraient pu compromettre leur position et l’emploi (et donc les appuis électoraux) dans ce secteur non réformé. Bref, l’économie politique ukrainienne est dominée par un groupe ayant une base de pouvoir à caractère géographique et qui est associé à des élites de l’ère soviétique.

[83]                Timochenko est arrivée à l’avant-scène grâce à ses liens avec l’industrie du gaz, où elle a fait beaucoup d’argent. Elle a eu un différend personnel avec Kouchma et s’est jointe à l’opposition.

[84]             La Cour suprême de l’Ukraine a lavé Timochenko des accusations qui pesaient sur elle après deux appels.

[85]             Les communistes souhaitent nationaliser de nouveau l’industrie; les dirigeants de l’industrie lourde (c.-à-d. les oligarques) préféraient l’état des choses antérieur aux réformes imaginées par Yushenko.

[86]             Voir également les sections consacrées à la politique économique et à la politique étrangère.

[87]                Gongadze est né en Géorgie. En ukrainien, son nom s’écrit Heorhiy Gongadze.

[88]                 Gongadze a disparu le 16 septembre 2000. Un cadavre décapité qu’on croit généralement être le sien a été découvert en novembre 2000.

[89]             David Marples a également pris soin de signaler que le Président ukrainien avait encore trop de pouvoirs sur l’assemblée législative.

[90]                 Constatations et conclusions préliminaires, Missions internationales d’observation des élections, Les élections législatives ukrainiennes de 2002, p. 4 (ci-après les Constatations de la MIOE). La MIOE est une initiative commune de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE (AP OSCE), de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et du Parlement européen. Le Canada est un membre actif et visible de toutes ces organisations sauf le Parlement européen.

[91]                 Constatations de la MIOE, p. 4-5.

[92]                Constatations de la MIOE, p. 2.

[93]             Le sommet a eu lieu à Dniepropetrovsk, apparemment par crainte de protestations dans les rues, s’il avait eu lieu à Kiev.

[94]             Au départ, les relations russo-ukrainiennes ont été tendues pour cette raison. Au début des années 1990, la Russie s’est servie de la dépendance énergétique de l’Ukraine d’une manière qui peut s’interpréter comme une contrainte, dans les désaccords entre les deux pays. L’alignement des prix de l’énergie sur les cours mondiaux a aggravé le problème : la Russie réclamaient le paiement des produits énergétiques à des prix que l’Ukraine ne voulait ni ne pouvait payer. Malheureusement, cela a établi le ton du débat sur ce que la Russie attend de l’Ukraine.

[95]                L’exemple le plus évident est l’union politique du Bélarus et de la Russie qu’ont signée les Présidents Lukashenko et Eltsine. C’est un secret de polichinelle que le Président Lukashenko aspire à faire carrière dans la politique russe et souhaite une union avec la Russie. Eltsine cherchait probablement à se trouver un lieu où il pouvait se mettre à l’abri des risques de destitution. David Marples a expliqué au Comité que Vladimir Poutine s’intéressait probablement plus au Bélarus qu’à l’Ukraine en ce moment.


Haut de page