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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 2 - Témoignages pour la séance du 25 avril 2001


OTTAWA, le mercredi 25 avril 2001

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi S-24, Loi visant à mettre en 9uvre l'entente conclue par les Mohawks de Kanesatake et Sa Majesté du chef du Canada concernant l'exercice de pouvoirsgouvernementaux par ceux-ci sur certaines terres et modifiant une loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 17 h 17 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je constate que nous avons quorum.

Je tiens à souhaiter la bienvenue à M. Robert Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Depuis des années que je m'intéresse à la question des revendications territoriales, je n'ai jamais vu un projet de loi comme celui-ci. Il s'agit d'une mesure très intéressante et unique en son genre. Comme l'a dit le sénateur Christensen, il a l'air simple en apparence, mais quand on y regarde de plus près, il est très compliqué.

Monsieur Nault, je tiens à remercier votre personnel pour l'excellente documentation qu'on nous a remise aujourd'hui. Je vous cède la parole.

L'honorable Robert Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien: Honorables sénateurs, c'est toujours un plaisir pour moi que de venir témoigner devant votre comité. J'ai un autre engagement immédiatement à 18 heures sur des questions touchant les pensionnats. J'espère que vous m'excuse rez aujourd'hui, je serai incapable de rester avec vous deux ou trois heures comme je l'ai fait la dernière fois. Je tiens simplement à vous dire à quel point j'aime me retrouver en votre compagnie. Je resterais avec vous une ou deux heures si je le pouvais, mais d'autres engagements m'attendent.

Les membres de mon personnel qui m'accompagnent sont tout à fait disposés à rester après mon départ. Je ne veux pas faire attendre le ministre des Finances, de la Justice et d'autres personnes qui, semble-t-il, seront là parce qu'ils veulent me parler. Il est agréable, et cela fait changement, que quelqu'un veuille s'entretenir avec le ministre des Affaires indiennes. Les membres de mon personnel sont tout à fait disposés à rester pour répondre à d'autres questions parce que je crois que le projet de loi est important. Même si, en apparence, il a l'air simple, certaines questions bien spécifiques portent sur les habitants de Kanesatake et les Mohawks. Si vous le permettez, j'aimerais faire quelques observations préliminaires, après quoi je resterai avec vous aussi longtemps que possible pour répondre aux questions.

Honorables sénateurs, je m'adresse aujourd'hui au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones au moment où il commence à étudier le projet S-24, Loi sur le gouvernement du territoire de Kanesatake. Mais avant de faire mes remarques officielles, je tiens à remercier les sénateurs de nous avoir permis de soumettre ce qui, à mon avis, constitue d'importantes mesures législatives, au Sénat d'abord, à la Chambre, ensuite. Ça ne s'est jamais vu, et je ne vois pas pourquoi nous ne l'avons jamais fait, parce que le processus est efficace. Je sais, pour avoir rencontré la plupart des honorables sénateurs ici personnellement, que le Sénat compte dans ses rangs des personnes ayant de l'expérience au sujet des questions autochtones. Sans vouloir être désobligeant à l'égard de mes propres collègues de la Chambre, peut-être que les choses iront mieux si on vous les présente ici d'abord. C'est peut-être une bonne tendance qui mériterait d'être poursuivie. Nous allons la mettre à l'essai pendant quelque temps. L'an prochain, d'autres projets de loi vous seront d'abord présentés, projets de loi au sujet desquels nous discuterons peut-être et ce, avec l'approbation des autorités de la Chambre.

C'est avec grand plaisir que j'aborde maintenant cette mesure législative et je me réjouis de la possibilité de discuter du projet de loi avec les honorables sénateurs. Le projet de loi vise à mettre en 9uvre une entente historique sur la gouvernance de certaines terres que les Mohawks de Kanesatake et le Canada ont conclue. Le projet de loi S-24 constitue une étape charnière dans un processus continu qui cherche à résoudre des griefs vieux d'un siècle et à rétablir de bonnes relations entre le Canada, les Mohawks de Kanesatake et les résidents non mohawks de la municipalité d'Oka, au Québec.

J'ai été le témoin privilégié de la signature de cette entente sur l'exercice des pouvoirs gouvernementaux sur les terres avec le grand chef des Mohawks de Kanesatake, le 21 juin de l'an dernier, lors de la première Journée nationale des Autochtones de ce siècle nouveau. Je ne peux imaginer meilleure occasion pour tenir une telle cérémonie, puisque l'entente en tant que telle marque un nouveau départ et promet un avenir meilleur aux Mohawks de Kanesatake, ainsi qu'aux collectivités de Kanesatake et d'Oka, qui étaient profondément divisées depuis un certain temps.

Les honorables sénateurs ne sont pas sans savoir qu'une décennie, voire plus, s'est déjà écoulée depuis la crise d'Oka. Depuis, d'importants progrès ont été accomplis. Or, nous ne pouvons pousser plus avant nos efforts en vue de régler les griefs laissés en suspens qu'avaient les Mohawks de Kanesatake sans avoir en main cette entente et la loi qui veillera à la mettre en vigueur.

Je sais qu'un certain nombre de sénateurs ici présents siégeaient au Sénat ou à la Chambre des communes lorsque la crise d'Oka a éclaté, et que d'autres n'y étaient pas. J'étais député de l'opposition, encore jeune à l'époque, et je siégeais au Comité permanent des affaires autochtones de la Chambre des communes qui a étudié la crise d'Oka. Ainsi, j'ai passablement d'expérience moi-même sur la question, pour avoir examiné cette crise et ce qui n'a pas fonctionné. C'est pourquoi il est important pour moi de vous dire que je perçois ce projet de loi comme le début d'une nouvelle relation après cet incident que nous regrettons tous.

Le temps est venu de reconnaître une assise territoriale provisoire aux Mohawks de Kanesatake et de conférer à la collectivité les pouvoirs de légiférer qu'ont les autres Premières nations depuis longtemps. Nous tentons de montrer de façon palpable que le gouvernement s'engage à régler les questions autochtones, comme le stipule «Rassembler nos forces: le plan d'action du Canada pour les questions autochtones», engagement qu'il a réitéré dans le dernier discours du Trône.

L'entente qu'il mettra en vigueur a été négociée de bonne foi par le Canada et les Mohawks de Kanesatake. Le gouvernement obtient également la faveur des représentants non mohawks et des résidents de la région d'Oka, dont certains vivent côte à côte avec les Mohawks.

Honorables sénateurs, il y a peut-être lieu ici de présenter certains faits historiques pour mettre ce projet de loi en perspective. J'ai déjà signalé que cette entente sur l'exercice des pouvoirs gouvernementaux sur les terres découle de la crise d'Oka de 1990, mais elle trouve ses racines dans des événements historiques beaucoup plus lointains. Au milieu du XVIIIe siècle, l'Ordre des prêtres sulpiciens recevait des droits fonciers de la Couronne de France sur des terres dans une région du Québec, à quelque 50 kilomètres à l'ouest de ce qui est maintenant la ville de Montréal. Ces terres, qui ont été éventuellement désignées sous le nom de la Seigneurie du Lac des Deux-Montagnes, ont aussi été revendiquées. Les Mohawks de Kanesatake continuent d'ailleurs de les réclamer.

En 1925, afin de régler les revendications des Mohawks à l'égard de cette région, le gouvernement du Canada a commencé à acquérir des terres réservées à l'usage et à l'occupation des Mohawks de Kanesatake. Je suis sûr que lors des séances d'information, les responsables vous ont montré toutes les terres disparates et précisé les motifs qui justifiaient de tels achats. Nous avons commencé en 1925, à une époque très différente, à acheter des terres.

Au fil des ans, cet exercice s'est traduit par une assise territoriale disparate, de sorte qu'aujourd'hui, même si des terres contiguës forment l'assise territoriale actuelle de Kanesatake, certaines terres sont tout de même intercalées de terres non mohawks à l'intérieur et autour du village d'Oka.

Par-dessus tout, le statut juridique de ces terres de la Couronne fédérale n'a jamais été défini. Une incertitude s'ensuit en ce qui a trait à l'application et au respect des lois sur les terres des Mohawks de Kanesatake. Cette incertitude a sérieusement compromis la capacité des Mohawks de Kanesatake de se gouverner eux-mêmes. Comme les terres des Mohawks de Kanesatake n'ont actuellement pas le statut de réserve, cela veut dire que les Mohawks de Kanesatake n'ont pu, par le passé, se prévaloir des dispositions concernant les terres de la Loi sur les Indiens, notamment celles donnant les pouvoirs d'élaborer des règlements en vertu de l'article 81.

Les honorables sénateurs doivent se rappeler que même si la collectivité, à toutes fins utiles, n'était pas assujettie à la Loi sur les Indiens et n'avait pas le statut de réserve, nous l'avons traitée comme telle aux fins de tous les programmes et services. Ça, il ne faut pas l'oublier. Bien sûr, nous avons toujours respecté nos obligations fiduciaires. Par conséquent, Kanesatake, contrairement aux autres Premières nations, n'a pas les instruments juridiques nécessaires pour avoir en main l'exploitation de sa propre assise territoriale ou pour empêcher une utilisation susceptible de nuire aux terres, comme une chose aussi simple que le dépôt de déchets.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la profonde frustration des Mohawks de Kanesatake a atteint son paroxysme en 1990. Certains d'entre vous au Sénat étaient présents pendant ces jours pénibles qu'ils se rappelleront très bien. Entre-temps, on a beaucoup parlé et écrit à propos de la crise d'Oka. Toutefois, nous ne sommes pas ici aujourd'hui pour ouvrir à nouveau le débat, et nous ne voulons pas rejeter la responsabilité de leurs frustrations à personne ou critiquer qui que ce soit. Nous sommes ici pour faire progresser un processus amorcé peu après la levée des barricades, visant à régler les griefs qui ont donné lieu à la crise d'Oka. La voie de la négociation et de la réconciliation constitue la meilleure solution que puissent choisir le Canada, les Mohawks de Kanesatake et les résidents non mohawks de la région.

Comme je l'ai déjà dit, l'entente qui sera mise en vigueur par le projet de loi S-24, connue officiellement sous le nom de Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake, représente une démarche essentielle dans ce processus continu. Même si elle semble plutôt de portée limitée, cette entente marque l'arrivée d'une nouvelle ère de précision juridique et de saine gouvernance à Kanesatake.

Ainsi, des conditions propices à une plus grande prospérité économique, à l'harmonie sociale et à une meilleure qualité de vie dans la région verront le jour.

Honorables sénateurs, j'aimerais prendre quelques minutes pour passer en revue les principales composantes de l'entente devant être mise en 9uvre par le projet de loi S-24 afin que vous puissiez saisir entièrement son importance pour les Mohawks deKanesatake, ainsi que ses avantages pour les non-Mohawks qui vivent à Oka et dans ses environs.

Comme son titre le laisse entendre, les deux principaux objectifs de l'entente sont l'assise territoriale et la gouvernance. Permettez-moi, tout d'abord, d'expliquer comment l'entente fait d'importants premiers pas vers le règlement des griefs associés aux terres des Mohawks de Kanesatake. Ensuite, je passerai à l'exposé des questions relatives à la gouvernance, questions dont vous m'avez probablement entendu parler à satiété, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Chambre des communes.

Pour la première fois, l'entente reconnaît officiellement une assise territoriale provisoire aux Mohawks de Kanesatake. Je dois insister sur le mot «provisoire» pour deux raisons. D'abord, d'autres terres pourraient être assujetties à l'entente dans l'avenir si les deux parties en cause y consentaient. De plus, en qualifiant l'assise territoriale de provisoire, il appert que cette entente ne représente aucunement le règlement définitif des griefs irrésolus entourant les terres de Kanesatake.

J'ai mentionné plus tôt que les terres des Mohawks de Kanesatake n'étaient pas considérées comme des terres de réserve en vertu de la Loi sur les Indiens. Ce sera toujours le cas.Selon les dispositions de l'entente sur l'exercice de pouvoirs gouvernementaux devant s'appliquer en vertu du projet de loi S-24, les terres des Mohawks de Kanesatake relèveront plutôt du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au gouvernement fédéral le pouvoir exclusif de légiférer sur les «Indiens et les terres réservées pour les Indiens».

Cette approche cherche à réaliser deux objectifs. En tout premier lieu, elle donne précisément un statut juridique à l'assise territoriale provisoire de Kanesatake, mettant ainsi un terme aux années d'incertitude en ce qui concerne l'application de la loi sur ces terres. En second lieu, elle empêche que ces terres soient assujetties à la Loi sur les Indiens. À l'instar de la plupart des Premières nations, les Mohawks de Kanesatake aimeraient se soustraire aux dispositions rigides de la Loi sur les Indiens et ne pas s'égarer davantage dans ses dédales.

Comme vous le savez tous, mesdames et messieurs les sénateurs, leur désir s'inscrit en droite ligne dans la position du gouvernement à ce chapitre. L'élimination de l'incertitude concernant le statut des terres de Kanesatake est une condition préalable essentielle à la réalisation du deuxième grand objectif de l'entente, notamment d'enchâsser les pouvoirs des Mohawks de Kanesatake de régir leurs terres. À cette fin, le projet de loi S-24 assurera aux Mohawks de Kanesatake des pouvoirs semblables à ceux qu'exercent d'autres Premières nations en vertu de la Loi sur les Indiens.

La collectivité autochtone de Kanesatake sera reconnue comme une entité légale ayant la capacité d'exercer toutes les fonctions d'un gouvernement des Premières nations et possédant le pouvoir d'adopter des lois associées aux terres dans des domaines comme la gestion des ressources, le zonage, le statut de résidant, la gestion des ordures, la santé et la qualité de vie des résidants, la construction et la sécurité incendie, ainsi que le pouvoir de faire respecter ces lois.

L'entente que doit mettre en application le projet de loi S-24 exige l'adoption d'un code sur la gouvernance des terres en vue de définir les paramètres de cet exercice. Le code établit les principes selon lesquels le Conseil des Mohawks de Kanesatake mènera ses activités. Il a pour but d'assurer une saine gouvernance ouverte et responsable, dans l'intérêt de la collectivi té, assortie d'une obligation de rendre des comptes sur le plan politique et financier.

Madame la présidente, je l'ai mentionné plus tôt, même si une grande proportion de l'assise territoriale provisoire se compose de terres contiguës situées à l'extérieur du village d'Oka, il reste un certain nombre de terres des Mohawks de Kanesatake qui s'intercalent entre celles des non-Mohawks dans ce village. Pour veiller à ce que les terres des Mohawks de Kanesatake et les propriétés des non-Mohawks dans le village d'Oka soient régies par des régimes juridiques compatibles, l'entente que doit appliquer le projet de loi S-24 exige l'harmonisation des lois de Kanesatake et des règlements d'Oka sur les terres adjacentes. J'ai le plaisir d'annoncer que les représentants des deux collectivités se sont déjà rencontrés pour négocier une entente d'harmonisation dans le village et pour discuter d'autres questions d'intérêt commun.

Jusqu'à ce qu'un accord d'harmonisation soit conclu, les projets de mise en valeur des terres des Mohawks de Kanesatake dans le village d'Oka se limiteront aux utilisations actuellement permises et le statu quo prévaudra. Cela étant dit, j'ai confiance que les parties en cause arriveront rapidement à un consensus, parce qu'il est manifestement dans l'intérêt de tous les résidants de la région que la mise en valeur future des terres adjacentes à Oka se fasse de manière cohérente et harmonieuse.

Le projet de loi S-24 prévoit aussi que Kanesatake pourra désigner ses propres juges de paix pour rendre des décisions sur les différends juridiques, une fois que la Première nation aura conclu une entente sur la relation de ces juges de paix avec le régime actuel du Québec. Les représentants du gouvernement du Québec, du Canada et de Kanesatake sont en voie de conclure une telle entente.

Madame la présidente, je tiens à rassurer les honorables sénateurs que l'entente devant être mise en vigueur par le projet de loi S-24 n'a aucune répercussion sur l'application constante des lois fédérales. Dans l'éventualité d'un conflit entre les lois de Kanesatake et les lois fédérales, ces dernières continueront d'avoir préséance. Les lois provinciales sur les terres des Mohawks de Kanesatake s'appliqueront selon les mêmes règles qui prévalent dans le cas de toutes les autres terres des Autochtones du Canada. En effet, elles auront une portée relativement limitée, car les lois de Kanesatake pourraient restreindre leur champ d'application.

Dans l'éventualité où il y aurait des lacunes dans les normes environnementales fédérales, l'entente stipule que les lois, les décisions et les politiques de Kanesatake se conformeront aux normes de protection environnementale en vigueur dans la province.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous êtes peut-être au courant qu'il y a eu une certaine opposition à l'Entente sur l'exercice des pouvoirs gouvernementaux par Kanesatake sur son assise territoriale provisoire. Par ailleurs, rappelez-vous que la majorité des membres de Kanesatake ont ratifié l'entente lors d'un scrutin en octobre dernier. Même si une faible majorité a ratifié l'entente, les membres de Kanesatake s'étaient prononcés par la voie d'un processus démocratique légitime. De surcroît, une étude juridique indépendante du processus de ratification et un recensement judiciaire des résultats du vote, tous deux réalisés par un ancien juge en chef respecté de la Cour supérieure duQuébec, ont confirmé que le processus s'est déroulé de manière transparente et équitable, et que les résultats devraientêtre considérés valides. Telle est la raison pour laquelle j'ai officiellement parafé sans restriction aucune l'entente au nom du gouvernement du Canada, le 21 décembre 2000.

On me demande constamment, surtout les médias nationaux, ce que je ferais en tant que ministre s'il y avait dissension ou désaccord dans une collectivité, comme si cela ne devait pas arriver dans une collectivité autochtone, comme si c'est seulement chez les non-Autochtones que nous avons de l'opposition. Je trouve curieux que les gens pensent qu'il ne devrait pas yavoir d'opposition dans une société démocratique, qu'elle soit traditionnelle ou non. Tous ceux d'entre vous qui se sont présentés à des élections ont, à l'occasion, eu des opposants. Le sénateur Sibbeston a déjà été premier ministre. Je suis certain que quelqu'un s'est présenté contre lui et qu'il n'a pas été nommé premier ministre.

Le sénateur Sibbeston: J'ai gagné par 17 voix.

M. Nault: Son élection n'en a pas été moins légitime. Les gouvernements légitimes sont formés grâce à un processus qui inclut parfois d'intenses débats internes, ce qui est une bonne chose. Il est bon pour une démocratie que toutes les parties expriment leur point de vue quant au développement des collectivités. Les gens devraient être encouragés à discuter de ces questions.

Maintenant, madame la présidente, il appartient au Sénat puis à la Chambre des communes de donner leur aval au projet de loi S-24, de façon à ce que cette entente historique s'applique. Agir autrement compromettrait sérieusement les efforts du Canada de rebâtir de bonnes relations avec les Mohawks de Kanesatake et mettrait en péril des progrès considérables accomplis pour restaurer la paix et la stabilité à Kanesatake et à Oka.

Lorsque j'ai visité Kanesatake, en juin dernier, pour assister à la cérémonie de signature de l'entente, j'ai été témoin de la volte-face qui s'est produite dans cette collectivité. Même s'il reste encore de nombreuses questions à régler, les gens envisagent l'avenir avec optimisme. Ils considèrent les réalisations récentes comme des preuves tangibles que le progrès est possible par la négociation et les compromis.

La création d'un service de police de Kanesatake pour le maintien de la paix, de l'ordre et de la sécurité publique sur le territoire de la collectivité autochtone compte au nombre de ces réalisations. Le service de l'ordre de Kanesatake fait un excellent travail, mesdames et messieurs les sénateurs, et l'application de cette entente facilitera son travail. En effet, en précisant l'application des lois, les lois à faire respecter seront donc bien définies.

Dans une collectivité, il est très difficile de savoir où on va quand on ne sait pas exactement quelle loi on essaie de faire respecter. La Police de Kanesatake et la Sûreté du Québec entretiennent une relation positive et elles ont travaillé ensemble dans le cadre d'opérations de grande envergure.

L'établissement en 1999 d'un centre d'accueil pour personnes âgées est aussi une autre grande source de fierté chez les Mohawks de Kanesatake. Ceux-ci ont désormais la mainmise sur l'administration de l'éducation, et une nouvelle école d'immer sion mohawk est en voie de construction. En outre, les travaux de planification sont amorcés en vue de créer un centre pour les jeunes de Kanesatake.

Le développement économique et les perspectives d'emploi s'améliorent à Kanesatake. Une société de développement des Mohawks assume maintenant la gestion des propriétés de la Couronne acquises pour l'usage et au profit des Mohawks de Kanesatake. En vertu d'une entente sur la gestion immobilière avec le Canada, la société loue ces terrains aux membres de la Première nation de Kanesatake. Tous les loyers recueillis selon les dispositions de cette entente sont réinvestis dans l'intérêt de l'ensemble de la collectivité. La société crée également d'autres possibilités de développement économique qui permettront de conserver l'argent au sein de la collectivité et d'y régler le taux de chômage élevé.

Plusieurs projets éventuels ont été cernés et nous attendons maintenant l'achèvement des plans détaillés et la participation d'autres partenaires. L'établissement de la société dedéveloppement ainsi que la conversion de l'une des propriétés fédérales en auberge, le centre d'accueil des personnes âgées et la mise sur pied du service de police des Mohawks de Kanesatake ont créé plus de deux douzaines d'emplois. D'autres emplois découleront de la construction du centre pour jeunes et de l'école d'immersion mohawk. Par ailleurs, les entrepreneurs autochtones locaux tireront des avantages directs de ces projets et d'autres à venir.

Nous sommes indubitablement engagés sur la bonne voie pour arriver à un règlement des griefs des Mohawks de Kanesatake qui avaient été laissés en suspens. Je ne saurais trop insister sur l'importance que revêt le projet de loi S-24 dans l'ensemble de ce processus, qui a débuté en 1991, peu après la levée des barricades.

Sans l'entente devant être mise en vigueur par la mesure législative proposée, les négociations futures sur un large éventail de questions seront sérieusement compromises. En ce qui a trait à ces négociations, je tiens à vous rassurer, mesdames et messieurs les sénateurs, que l'entente devant être mise en vigueur par le projet de loi S-24 ne porte ni atteinte aux droits ancestraux ou issus des traités des Mohawks de Kanesatake, ni aux griefs historiques de Kanesatake concernant la Seigneurie du Lac des Deux-Montagnes, ni à d'autres arrangements de plus grande envergure.

Il est important de savoir que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Je ne voudrais pas vous donner l'impression que tout est réglé. C'est le début d'une nouvelle relation.

J'aimerais préciser qu'il ne s'agit pas d'une entented'autonomie gouvernementale. Il s'agit d'une entente unique en matière de gouvernance qui tient compte des circonstances particulières à Kanesatake. Elle est conforme à l'engagement du gouvernement, tel qu'il est énoncé dans «Rassembler nos forces: le plan d'action du Canada pour les questions autochtones», de travailler en partenariat avec les collectivités autochtones pour améliorer leurs conditions économiques et sociales, en concluant des arrangements sur la gouvernance et l'obligation de rendre des comptes, ainsi qu'en renforçant les capacités de gouverner.

L'accord se conforme également à la reconnaissance, incluse dans le discours du Trône, que les collectivités autochtones doivent relever divers défis et ont des besoins bien précis. Il remplit l'engagement du Canada qui consiste à s'assurer que ses actions et ses programmes sont coordonnés en vue de trouver des solutions locales aux défis locaux.

Je tiens à informer le comité que la Municipalité d'Oka et son maire accordent leur appui à l'entente sur l'exercice de pouvoirs gouvernementaux. J'étais membre du comité de la Chambre en 1991 et à cette époque, le maire était très opposé à ce qui se passait. Les attitudes ont beaucoup changé depuis. De fait, les relations entre le Conseil municipal d'Oka et le grand chef ainsi que le Conseil des Mohawks de Kanesatake se sont considérable ment améliorées.

Les représentants provinciaux ont également été entièrement informés des détails de l'entente à plusieurs reprises et n'ont soulevé aucune objection à sa mise en 9uvre. Les deux ministères de la Justice intéressés leur ont fait connaître l'avant-projet de loi. J'ai communiqué avec le ministre Chevrette à ce sujet et il est fortement en faveur de cette entente signée entre nous et le peuple mohawk.

Honorables sénateurs, j'ai la ferme conviction que le geste de procurer les instruments dont a besoin une collectivité pour se gouverner elle-même, de manière transparente et responsable, est essentiel au renforcement de cette collectivité, tant sur le plan social qu'économique.

Tous les résidants de la région, les Mohawks et lesnon-Mohawks, bénéficieront d'un gouvernement muni de tels instruments à Kanesatake. De fait, l'entente que mettra en vigueur le projet de loi S-24 aura d'importantes répercussions sur la région tout entière. Elle élimine l'incertitude juridique qui nuit aux collectivités de Kanesatake et d'Oka depuis des années, jetant ainsi les bases du développement économique et social et d'une meilleure qualité de vie. Elle établit les paramètres en fonction desquels les collectivités voisines pourront vivre en harmonie. Elle favorisera et encouragera l'exercice d'une saine gouvernance et appuiera la primauté de la loi et de l'ordre.

Certains pourraient remettre en cause la décision de conclure une entente sur une assise territoriale considérée comme«provisoire» alors qu'il reste des questions importantes à régler en ce qui concerne la situation à Kanesatake. Cependant, le gouvernement fédéral et les Mohawks de Kanesatake croient qu'il est grand temps de préciser le statut juridique des terres de Kanesatake et d'établir une bonne assise juridique quant à l'administration de ces terres par les autorités de Kanesatake. Il n'y a aucune raison de priver les Mohawks de Kanesatake des outils juridiques dont d'autres Premières nations profitent depuis longtemps jusqu'à ce qu'on obtienne un règlement permanent de leurs griefs historiques. De plus, il n'y a aucune raison de priver les résidants de cette région de la chance de poursuivre aujourd'hui leur développement économique et social.

Il reste encore beaucoup de travail à accomplir, et notre gouvernement est prêt à se mettre à la tâche. Toutefois, nous devons d'abord mettre en 9uvre cette entente, essentielle à la consolidation des gains que nous avons obtenus jusqu'àmaintenant.

À la lumière de ces constatations, je vous incite fortement, mesdames et messieurs les sénateurs des deux côtés du Sénat, à appuyer ce projet de loi. Je vous souhaite la meilleure chance dans vos délibérations. Comme je vous le dis chaque fois que je comparais devant votre comité, si je peux faire quelque chose pour vous, notamment revenir ici pour défendre le projet de loi, je suis disposé à le faire. J'espère que cela ne sera pas nécessaire cette fois-ci, parce que je crois que l'intention du projet de loi est claire. Cependant, si vous le souhaitez, je me rendrai disponible. Vous pouvez compter sur mes fonctionnaires pour vous informer individuellement ou collectivement.

Le sénateur Rompkey: Monsieur le ministre, en ce qui concerne votre référence aux élections serrées, je vous rappelle qu'à l'instar du sénateur Sibbeston, l'actuel premier ministre de Terre-Neuve a remporté l'élection à la direction de son parti par 14 voix. Plus encore, Terre-Neuve est devenue une province du Canada par 52 voix contre 48. Mackenzie King, le premier ministre de l'époque, se demandait si la majorité était suffisante. Il a fait part de ses doutes à son adjoint, Jack Pickersgill. Pickersgill, qui était très assidu, a fait une recherche et a informé Mackenzie King que cette majorité était plus importante que toutes celles qu'il avait obtenues dans toutes ses élections.

Cela a convaincu Mackenzie King et nous sommes devenus une province du Canada. Les élections serrées ne sont donc pas nouvelles pour nous.

J'ai deux questions à poser. La première porte sur la gouvernance et les pouvoirs qu'auront les Mohawks. Vous avez parlé de ressources, de résidence et de sécurité. Y aura-t-il des droits sur les ressources des terres et entraîneront-ils des revenus afférents? Les Mohawks auront-ils des droits sur les ressources du sous-sol?

Auront-ils des droits comparables à ceux que les autres ont dans les accords sur les revendications territoriales qui ont déjà été négociés, par exemple, avec les Nisga'a ou au Yukon?

M. Nault: Je vais vous répondre en termes généraux et je pourrais peut-être ensuite demander au conseiller juridique de confirmer.

D'après ce que je comprends, ils n'ont aucun droit d'accès aux ressources du sous-sol, ou de droits miniers, si je peux m'exprimer ainsi. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'un accord complet sur des revendications territoriales. Ce n'est pas la même chose quepour les Nisga'a. Nous ne parlons pas de l'article 35 et d'enchâssement. Ces questions sont sous réserve des droits. Les questions que vous soulevez ne sont pas actuellement en cours de négociation. Il nous reste un peu de chemin à parcourir avant d'en arriver là.

Il s'agit également d'un milieu urbain et, en réalité, la majorité de ces terres sont dans une certaine mesure résidentielles. Les lois s'appliqueront davantage à l'harmonisation du zonage des municipalités elles-mêmes, plutôt que d'essayer de faire en sorte que le zonage soit industriel ou pour des assises manufacturières ou résidentielles. Je ne pense donc pas qu'elles iront aussi loin que l'accord des Nisga'a ou les revendications territoriales du Yukon, qui étaient beaucoup plus complets.

Le sénateur Rompkey: Je pense que c'est en partie pour cela qu'on qualifie cet accord de «provisoire», car, comme vous le dites, d'autres terres pourraient être ajoutées. Cependant, pensez- vous que les négociations pourraient éventuellement mener à un accord de revendications territoriales?

M. Nault: C'est possible. Cela dépend de toutes les parties et du déroulement des négociations. Je ne peux pas le prévoir. Bien sûr, nous sommes prêts à avancer dans le traitement des griefs et de certaines des revendications particulières qui sont déjà présentées par la collectivité elle-même. Le grand chef vous en parlera probablement quand il viendra témoigner. C'est une étape du cheminement vers une discussion élargie sur les relations entre le peuple Mohawk et nous.

Le sénateur Rompkey: En ce qui concerne la permanence, une fois que la Chambre des communes aura adopté ce projet de loi, il obtiendra force de loi. Je suppose qu'il aura alors la permanence de la loi, jusqu'à ce qu'elle soit changée. En ce sens, il sera permanent et enchâssé. Je suppose qu'il ne sera pas enchâssé dans la constitution, mais il aura force de loi et sera aussi permanent qu'il peut l'être pour l'instant. Est-ce exact?

M. Nault: Oui. En vertu du paragraphe 91(24), les terres seront visiblement considérées comme des terres indiennes. L'accord est provisoire parce qu'il y a des différends non réglés, mais l'intention est là, bien sûr.

En raison des questions soulevées dans la collectivité elle- même, il y a beaucoup de débats sur la participation à la table des négociations, et le fait de suggérer que cela serait une finalité dans les négociations causerait de nombreux problèmes internes dansla collectivité. Nous avons choisi de qualifier l'accord de «provisoire» parce qu'il envoie un message à la communauté et aux traditionalistes qui ne veulent pas que nous soyons à la table de cette façon, qu'il y a d'autres questions dont il faut s'occuper, et que nous ajouterons des terres, comme nous le faisons avec d'autres terres de réserve, que ce soit pour des raisons sociales, économiques ou d'accroissement de la population. Nous devons ajouter davantage de terres pour le développement des Premières nations.

J'espère que cela répond à la question. L'intention était d'envoyer un message clair que l'accord aura un fondement juridique, mais que nous prévoyons continuer à envisager l'ajout d'autres terres au fur et à mesure que nous avancerons dans le processus.

Le sénateur Cochrane: Je voudrais parler de l'assise territoriale. Cela implique qu'on envisage l'acquisition d'autres terres. Pouvez-vous nous donner un aperçu des plans d'expansion de l'assise territoriale de Kanesatake? Dans quelle mesure et où l'assise territoriale actuelle sera-t-elle étendue? Quand cela sera-t-il fait et quel en sera le coût?

M. Nault: Vous posez une question qui est très hypothétique à maints égards. D'abord, nous sommes loin d'avoir atteint cette étape dans nos discussions. Comme c'est toujours le cas dans les négociations sur les ajouts de terres, cela dépend beaucoup de la disponibilité des terres, des terres adjacentes, et de l'acceptabilité de l'ajout proposé des terres du point de vue du droit des tiers avoisinants. Par conséquent, je ne peux répondre à cette question car je sais que pour l'instant, nous n'envisageons pas l'ajout de nouvelles terres. À moins que les négociateurs ne puissent me dire le contraire.

M. Walter Walling, négociateur principal, Dossiersparticuliers, Affaires indiennes et du Nord Canada: Les Mohawks prétendent qu'ils ont un droit sur l'ancienne Seigneurie du Lac des Deux-Montagnes. Les parties ont convenu de procéder à des recherches historiques sur l'octroi de la seigneurie. Une fois que cela sera fait, le conseiller juridique des Mohawks et nos propres juristes les examineront.

Le gouvernement du Canada et les Mohawks se sont entendus sur les modalités des recherches. Nous nous sommes également entendus sur qui seraient les chercheurs indépendants. Les résultats seront présentés bientôt, et je pense que cela nous donnera un aperçu de la façon dont nous allons ou non nous agrandir.

M. Nault: Y a-t-il une carte de la seigneurie? L'avons-nous amenée?

M. Walling: Elle a 270 milles carrés.

M. Nault: Avez-vous une carte plus grande pour nous montrer où elle se trouve?

Mme Deborah Corber, négociatrice principale dugouvernement fédéral, Direction générale de l'autonomie gouvernementale, Affaires indiennes et du Nord Canada: Plusieurs cartes se trouvent dans le cahier d'information.

Le sénateur Cochrane: Comme il s'agit d'un rapport provisoire, cela veut dire que les choses ne sont pas finalisées. Vous avez dit que vous vouliez que ce projet de loi soit adopté immédiatement afin de consolider les gains que vous avez faits, que les négociations futures pourraient être en danger, entre autres choses. Le peuple Mohawk n'aimerait-il pas voir quelque chose de définitif?

M. Nault: Non, je pense que le grand chef, en tant que représentant de Kanesatake, indiquera qu'il aimerait voirles progrès confirmés. Les Autochtones aimeraient que le gouvernement du Canada soit de bonne foi. Vous savez peut-être que nous avons ce que nous appelons des accords «provisoires» dans d'autres régions du pays. En Colombie-Britannique, par exemple, nous avons signé des accords provisoires lorsque nous n'avons pas terminé les négociations des traités dans cette province avec un groupe particulier de Premières nations.

Nous appliquons des accords provisoires pour amenerimmédiatement la prospérité économique et sociale à lacollectivité, au lieu d'attendre peut-être cinq ou dix ans de négociation. Nous pouvons donc amener les résultats de nos travaux à ce point pour le bénéfice de ces gens sans compromettre ou remettre en question le travail que nous devons poursuivre au cours des prochaines années.

Nous avons découvert que cela était une bonne façon de démontrer la bonne foi du gouvernement du Canada, et que nous sommes résolus à résoudre nos différends et à construire des relations.

Une autre préoccupation - peut-être pas autant à Kanesatake qu'en d'autres endroits - est la frustration de s'asseoir à la table de négociation et de discuter de terres et de ressources pendant qu'elles disparaissent et que d'autres personnes en bénéficient. Nous tentons donc d'apporter des avantages à la communauté, et pas seulement dans les domaines où nous pouvons apporter de la certitude.

Dans cette parcelle de terre, vous constaterez que nous apportons la certitude de la loi et de l'ordre pour la collectivité et pour la région environnante pendant que nous nous occupons de certaines autres questions qui pourraient nous prendre un certain temps à résoudre.

C'est la véritable justification de notre stratégie de négociation et je suppose que la position du gouvernement est que les arrangements provisoires sont un processus très positif pour les deux parties.

Le sénateur Cochrane: L'article 19 du projet de loi prévoit que des terres peuvent être données à la bande par décret. Pourquoi ce pouvoir est-il donné au gouverneur en conseil au lieu de nécessiter l'approbation du Parlement?

M. Nault: Le même processus serait utilisé pour toutes les terres de réserve dans les ajouts de terres en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous procédons par décret et il n'y a en général pas de réexamen par le Parlement. La raison est que nous comptons plus de 600 Premières nations au Canada et que votre comité serait très occupé si je lui soumettais tous les «ajouts à la réserve». Parfois, c'est une petite parcelle, parfois une grande, mais nous avons une politique établie de conclusion d'ententes avec les tierces parties de la région avoisinante, de la municipalité et de la province. Quand ces négociations sont toutes terminées, nous soumettons l'accord à l'approbation du Cabinet. Par exemple, j'en ai présenté sept aujourd'hui.

Le sénateur Cochrane: Y a-t-il eu des précédents?

M. Nault: Oui. Nous procédons de cette façon depuis plusieurs années.

Le sénateur Sibbeston: Je félicite le ministre pour son engagement à aider les peuples autochtones de l'ensemble du pays. Quand je pense à Oka, l'image qui me vient à l'esprit est celle de Mohawks confrontant la police et de gens armés. J'avais de loin de la sympathie pour les Mohawks. J'étais très heureux que la question se soit finalement réglée. Aux États-Unis, ils tuent simplement les gens qui contestent le statu quo, comme on l'a vu à Waco, au Texas.

Je suis heureux que nous ayons ici, au Canada, des gens comme vous qui sont engagés à résoudre des problèmes parfois très difficiles.

J'aimerais savoir - et je suis conscient que des parcelles de terre importantes ont été achetées - combien cela coûte. Bien que ce soit une bonne chose que la question ait été résolue, j'aimerais quand même savoir combien cela nous a coûté.

M. Nault: M. Walling vous dira le montant exact.

Le sénateur Sibbeston: Probablement pas beaucoup?

M. Nault: Cela dépend de ce que vous considérez comme «beaucoup». Je considère que le règlement des différends et l'établissement de relations entre les Premières nations, les peuples autochtones et le Canada en valent bien le prix, quel qu'il soit. Notre pays s'est développé et a prospéré grâce à nos relations avec les peuples autochtones. Nos traités ont été les premiers documents qui ont permis le développement dans l'ensemble du pays.

Oui, cela coûte de l'argent, et cela coûte davantage dans les centres urbains que dans des endroits comme celui d'où je viens dans le nord de l'Ontario, où l'on peut acheter de très grands terrains relativement bon marché. Cela dépend où se trouve la collectivité et où se tient la négociation.

Pendant que M. Walling vérifie les chiffres, je vais vous donner un petit exemple. Nous sommes en train de négocier des traités urbains au centre-ville de Vancouver. Il faut penser que cela va nous coûter beaucoup plus cher d'acheter des terres au centre-ville de Vancouver qu'en banlieue de Kenora, en Ontario, où je vis et où on peut acheter des terres relativement bon marché. J'ai une belle propriété de trois acres au bord d'un lac magnifique, mais si je voulais acheter un terrain de cette taille à Vancouver, il faudrait que je sois multimillionnaire.

Monsieur Walling, combien cela a-t-il coûté jusqu'à mainte nant?

M. Walling: À la fin de l'année financière 2000, si l'on tient compte de l'acquisition des propriétés et des frais juridiques, Travaux Publics étant l'agent pour les Affaires indiennes, le coût s'élevait à 14 045 760,52 $.

Le sénateur Sibbeston: Prévoyez-vous des coûts additionnels importants qui pourraient découler des dispositions de l'entente sur la gouvernance?

M. Walling: La mise en 9uvre de la gouvernance elle-même coûtera 280 000 $. Cela comprend le processus de ratification et l'élaboration des lois. Ils ont besoin d'un plan de développement pour leur territoire et de déterminer comment ils établiront leurs institutions. De ce montant, il y aura un coût récurrent de 30 000 $, entièrement couvert par les budgets ordinaires des Affaires indiennes.

Le sénateur Christensen: L'administration des terres dans la collectivité d'Oka est expliquée dans vos documents, mais qu'en est-il des terres qui se trouvent à l'extérieur de la collectivité? Quelles sont les dispositions avec Kanesatake pour ces terres?

M. Nault: Vous parlez des terres qui se trouvent dans la collectivité de Kanesatake?

Le sénateur Christensen: Non, je parle des terres qui se trouvent à l'extérieur de la collectivité Mohawk.

M. Nault: Les 57 parcelles seront réunies une fois qu'une entente d'harmonisation des règlements sera conclue avec le Village d'Oka. Ils se sont entendus sur un processus pour s'assurer qu'aucune loi contradictoire ne touchera les terres adjacentes.

Le sénateur Christensen: N'y a-t-il pas des terrains qui sont à l'extérieur de la collectivité principale?

M. Nault: Tous les terrains font partie de la municipalité, mais une section en particulier constitue Kanesatake et certaines portions sont réparties dans la municipalité. Si le Parlement doit adopter le projet de loi, il ne serait quand même pas question des 57 terrains répartis dans la collectivité jusqu'à ce qu'il y ait entente d'harmonisation, d'après ce que je comprends. Ensuite, les autres seraient englobés immédiatement. N'est-ce pas?

Mme Corber: C'est exact. J'aimerais simplement ajouter une petite nuance en disant que les 57 terrains dans le village dont le ministre parle font partie de l'entente. Ils auront leur statut en vertu du paragraphe 91(24), mais le ministre a tout à fait raison. Les Mohawks ne peuvent adopter de loi visant l'exploitation de ces terrains tant qu'il n'y a pas d'entente d'harmonisation avec Oka.

Le sénateur Christensen: L'autre chose qui me préoccupe, c'est l'étroite majorité obtenue. Nous en avons discuté ici en long et en large. Est-ce que le processus de ratification établit clairement quelle est la majorité acceptable?

M. Nault: Oui.

Le sénateur Christensen: Ça a été établi. Êtes-vous à l'aise avec ce processus de vote démocratique, auquel nous sommes certainement très habitués ici, croyez-vous qu'il s'intègre aux façons traditionnelles qu'a la collectivité de décider de questions d'importance majeure?

M. Nault: Oui, sénateur, je dirais que je suis très à l'aise. Nous avons eu des discussions avec les autorités à maintes reprises sur ce qui est considéré comme acceptable, par tradition et par coutume.

Le sénateur Christensen: Je le demande parce que je sais que nous allons en entendre parler.

M. Nault: Cette décision a été prise à la fin d'une longue série de discussions entre le gouvernement du Canada et Kanesatake avant que nous décidions de nous asseoir à la table. Nous confirmons toujours dès le départ les détails du processus de ratification. Comme les sénateurs qui ont déjà occupé des postes de ministres le savent, je dois obtenir un mandat du Cabinet, notamment comment nous nous assurerons que la ratification sera faite équitablement, légalement et adéquatement, et je dois m'en tenir à cela. Nous prenons cette décision dès le début avant d'aller trop loin dans la négociation parce que je dois faire rapport au Cabinet que j'ai respecté le mandat qu'on m'a donné.

Le sénateur Christensen: Une autre question: Le Sénat ou l'autre endroit dispose-t-il d'une latitude quelconque pour proposer des amendements à ce projet de loi?

M. Nault: Non, honorables sénateurs, de toute évidence il s'agit d'une entente négociée. C'est comme l'entente des Nisga'a. Je sais que cela est toujours difficile pour les législateurs, mais nous avons négocié de bonne foi d'un côté comme de l'autre. Si ce projet de loi était amendé par vous, le gouvernement du Canada serait accusé de ne pas négocier de bonne foi. Il s'agit d'une entente qui est à prendre ou à laisser. C'est comme un traité, ou bien on l'accepte, ou bien on le refuse. Si vous décidez de ne pas l'accepter, alors je m'inclinerai et je devrai retourner à la table des négociations. De toute évidence, vous allez me dire pourquoi vous ne l'acceptez pas, mais malheureusement, en pareils cas, non je ne peux accepter d'amendements.

Le sénateur Fraser: Monsieur le ministre, je suis certain que vous le savez, un certain nombre de membres des deux Chambres sont préoccupés par la question des droits des femmes autochto nes et, dans ce contexte, les droits de résidence. Je crois savoir que la collectivité de Kanesatake a effectivement une politique inclusive sur la résidence et qu'en pratique, cela ne pose pas de problème. C'est là une nouvelle merveilleuse et excellente. Je suis sûre que nous sommes heureux de l'entendre.

Ce qui m'amène à me demander pourquoi, puisque nous traitons d'une situation qui est déjà réglée sur le terrain, nous n'aurions pas pu profiter de l'occasion pour établir certaines balises dans cet accord qui serviraient de précédent pour d'autres situations où l'on doit faire face à des difficultés plus grandes.

M. Nault: Honorables sénateurs, nous sommes sur la même longueur d'onde, c'est-à-dire que plus vite nous donnerons des assurances en ce qui concerne les droits des femmes autochtones dans la Loi sur les Indiens et les ententes, mieux cela vaudra pour nous tous. Nous n'en sommes pas encore là dans ces négocia tions, et si je ne perds pas espoir, je suppose, et si je pense que cela devrait faire partie de ces discussions, c'est que ces négociations visent essentiellement à nous faire atteindre un minimum, c'est-à-dire obtenir des dispositions semblables à celles prévues dans la Loi sur les Indiens.

Je vous ai dit à vous et à d'autres sénateurs de qui je suis proche que j'ai l'intention en tant que ministre de proposer une loi dans un avenir rapproché qui viendra modifier la Loi sur les Indiens pour régler la question des droits des femmes autochtones. J'ai l'intention d'établir cette loi comme une loi-cadre ou au moins comme un point de départ des négociations etdes discussions avec les groupes autochtones. Nous pourrions négocier des normes plus élevées pour celles qui ne sont pas assujetties à la Loi sur les Indiens, mais au moins nous aurions des minimums établis dans la Loi sur les Indiens qui n'existent pas aujourd'hui. Le processus dont nous discutons ne visait pas cet objectif parce qu'il est beaucoup plus restrictif.

Le sénateur Fraser: Compte tenu du fait que cette entente ne place pas spécifiquement les terres de Kanesatake sous le régime de la Loi sur les Indiens, en ce qui concerne au moins la résidence - oublions les autres questions des droits des femmes - il vous faudrait revenir et modifier le projet de loi également, n'est-ce pas?

M. Nault: Non, parce que les gens vont invoquer la Charte. Ainsi, je suppose qu'au cours des négociations avec ce groupe et d'autres, les questions de résidence et de droits des femmes seront assujetties à des lois fédérales. Même si cela n'est pas spécifiquement énoncé ici, parce que toutes les terres seront assujetties à la Charte canadienne des droits et libertés et devront être conformes à ses dispositions, nous pourrions soutenir que cela est préférable à la Loi sur les Indiens actuelle parce que les dispositions s'appliquent. Cependant, ce n'est pas spécifiquement ce qu'on dit parce que, comme vous le savez, la Loi sur les Indiens n'est pas assujettie à la Charte. C'est là où la protection des femmes ne tient plus.

Mme Sylvia Cox-Duquette, conseillère juridique, Section du droit des Autochtones, ministère de la Justice du Canada: Depuis l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne en regard de la Loi sur les Indiens, la Charte s'applique effectivement aux bandes assujetties à la Loi sur les Indiens. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux pouvoirs prévus par la Loi sur les Indiens. Fait intéressant à signaler, dans le projet de loi sur Kanesatake, qui n'est pas assujetti à la Loi sur les Indiens, il n'y a aucune exemption de prévue à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les lois sur la résidence ici sont assujetties à la Charte et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[Français]

Le sénateur Gill: J'aimerais féliciter le ministre et son équipe pour les résultats qu'ils ont obtenus. On connaît les difficultés qu'ont rencontrées Oka et Kanesatake pendant un certain temps. Ayant été impliqué dans l'administration de Kanesatake, je peux vous dire que vous avez réussi un coup de maître. Pendant un bon moment, les revendications de Kanesatake n'étaient pasentendues. En fait, l'argumentation voulait que Kanesatake n'était pas éligible aux revendications territoriales. Ceci démontre la situation dans laquelle se trouvaient les Autochtones.

Le territoire est morcelé entre Autochtones et non-Autochtones. De plus, il existe des pressions entre les clans. C'est pourquoi tous ceux qui ont participé aux négociations méritent vraiment de sincères félicitations parce que leur tâche n'était pas facile.

Vous êtes arrivés à un compromis. Il s'agit d'une organisation qui n'est pas parfaite, mais dans les circonstances, personne n'aurait pu faire mieux. Les Autochtones et les non-Autochtones sont condamnés à vivre ensemble, il nous faut l'accepter.

J'aimerais toutefois soulever un point. L'article 1 de la version anglaise du projet de loi S-24 est très clair car il mentionne le «Kanesatake Interim Land Base Governance Act». Cependant, ce n'est pas le cas dans la version française où on peut lire: «Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake». Cela ne veut pas dire la même chose.

[Traduction]

Nous parlons ici de terres assujetties à un régime provisoire; ça ne s'applique pas.

[Français]

Peut-être pourriez-vous étudier cela de plus près. Je comprends ce que vous voulez dire. Il est clair que c'est une loi temporaire sur une question de territoire. Mais en français, ce n'est pas ce qui est dit.

[Traduction]

M. Nault: Merci de votre compliment, sénateur. C'est toujours agréable pour les négociateurs surtout, et l'équipe, de savoir que quelqu'un reconnaît à quel point certaines de ces négociations peuvent être difficiles et complexes. Je pense que tout le monde peut, tout comme moi, se réjouir du fait que nous apprécions leur travail.

En ce qui concerne les différences entre le français et l'anglais, je peux vous dire que dans une vie antérieure, lorsque j'étais député d'arrière-ban, nous avons dû épurer le texte français à maintes reprises parce qu'il n'était pas rédigé correctement. Si c'est le cas, nous pouvons le faire, ce n'est pas un gros problème. Nous ne voulons pas compliquer les choses ou donner la mauvaise impression de ce que ça veut dire en français et en anglais. C'est tout à fait légitime. Je ne considérerais pas cela comme un amendement, mais comme une simple épuration du libellé. Nous allons devoir certainement nous pencher là-dessus. Les rédacteurs ne sont pas parfaits. Nous allons vous revenir là-dessus dans quelques jours.

La présidente: Je tiens à vous remercier tous énormément. Si le ministre Martin a quelque chose à dire, renvoyez-le-moi.

M. Nault: Je le ferai, madame la présidente, avec plaisir.

La présidente: Si les membres du comité veulent rester pour quelques minutes, je leur en saurais gré.

Cet après-midi, nous avons reçu une télécopie du grand chef James Gabriel. Je ne sais pas si vous avez tous une copie de cette communication. Je vais la lire pour le compte rendu:

Honorable sénateur,

Comme vous le savez, le projet de loi S-24, Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake, a été adopté en deuxième lecture au Sénat du Canada.

Ce projet de loi, qui met en vigueur au Parlement notre entente sur la gouvernance de terres des Mohawks de Kanesatake avec le gouvernement du Canada, est de la plus haute importance pour les Mohawks de Kanesatake. Nous espérons avoir votre appui pour cette importante mesure législative et nous serions très heureux de vous rencontrer pour en discuter avec vous.

Veuillez agréer, Honorable sénateur, mes salutations distinguées.

James Gabriel

Honorables sénateurs, souhaiteriez-vous le rencontrer mardi matin?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Fraser: Est-ce que nous savons quand nous entendrons les opposants au projet de loi de Kanesatake?

La présidente: Nous pourrions en discuter plus en détail mardi matin. Peut-être que nous aurons à ce moment-là des noms.

La séance est levée.

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