Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 19 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 7 mai 2002
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 20 pour examiner l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.
Le sénateur Janis G. Johnson (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente: Nous accueillons ce matin les représentants de l'Inuit Tapiriit Kanatami. Monsieur Buscemi, vous avez la parole.
M. Franco Sheatiapik Buscemi, National Inuit Youth Council, Inuit Tapiriit Kanatami: Honorables sénateurs, c'est un privilège d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant le comité à titre de représentants des jeunes Inuits. Je suis très heureux de pouvoir discuter avec vous de nos besoins, et surtout de ceux des jeunes Inuits vivant en milieu urbain. Je tiens d'ailleurs à préciser une chose, sénateurs: si les jeunes représentent l'avenir de notre pays, les jeunes Inuits ont la responsabilité additionnelle de protéger l'avenir d'une culture qu'ils jugent vitale.
En envisageant notre avenir, nous, les jeunes Inuits, ne pouvons nier l'évidence: nous sommes hantés par le passé. Nous vivons souvent notre vie dans l'ombre des torts qui nous ont été causés par les projets de dislocation des communautés avalisés par le gouvernement et ses tentatives d'assimilation. Les nombreux préjudices que nous avons subis au fil des générations — entre autres, des familles dysfonctionnelles, un problème généralisé d'abus des drogues et de l'alcool, la violence familiale, le chômage, et la pauvreté — ont fécondé le sol qui nourrit nos racines. Moi, un homme inuk fort et vigoureux, je me présente devant vous aujourd'hui pour vous dire que le respect est la clé de l'avenir des jeunes Inuits, et tout aussi sûrement, de la culture inuite, mais il faudra de l'espoir pour passer ce seuil.
Les jeunes Inuits s'installent dans les centres urbains pour diverses raisons, dont certaines qui sont indépendantes de leur volonté, et d'autres, non. Certains jeunes Inuits se dirigent vers le Sud parce que leurs parents y ont cherché du travail pour échapper au cycle de la pauvreté qui caractérise trop souvent les conditions de vie des peuples du Nord, alors que d'autres quittent l'Arctique pour échapper à la violence familiale ou accéder à des soins médicaux qu'il est impossible d'obtenir dans le Nord.
Il sera impossible de commencer à satisfaire les besoins des jeunes Inuits qui se sont installés dans le Sud pour une de ces raisons si l'on n'examine pas de près la nature de la crise qui caractérise bon nombre de nos collectivités d'origine. L'une des nombreuses difficultés qui compromettent l'avenir des jeunes Inuits dans le Nord est l'état déplorable des logements. Sénateurs, comment espérer bénéficier d'un peu d'intimité lorsque les membres de trois familles vivent les uns sur les autres dans une maison conçue pour abriter une seule famille? Le surpeuplement est un facteur de risque important chez les enfants et les jeunes Inuits pour la consommation abusive d'alcool et de drogues. Cette façon de vivre augmente la probabilité que les jeunes seront exposés à la violence qu'engendre souvent la frustration, et le fait est qu'il s'agit là d'un des plus importants obstacles à la réussite scolaire chez les jeunes Inuits.
Sans l'appui direct et réaliste du gouvernement canadien, il est très peu probable que la situation change dans un proche avenir, si bien qu'une autre génération de jeunes Inuits sera atteinte en raison de l'inaction des pouvoirs publics.
D'autres jeunes Inuits s'installent dans le Sud parce qu'ils considèrent les études secondaires comme une sorte d'engrais qui leur est nécessaire pour soutenir leur avenir et celui de leur peuple. Nous sommes d'ailleurs obligés, dans la grande majorité des cas, de quitter nos familles, nos communautés et notre culture pour faire des études postsecondaires, puisque les possibilités à cet égard sont extrêmement limitées dans le Nord.
Imaginez votre réaction si vous vous trouviez dans un kayak à la dérive au milieu de l'océan Arctique; vous comprendrez peut-être ce que c'est pour un Inuk d'arriver dans une université du Sud et de réaliser qu'elle compte plus d'étudiants que le nombre d'Inuits dans tout le Canada. Avoir à quitter une petite localité située dans un coin reculé de l'Arctique, le foyer de sa culture et de sa famille, pour fréquenter une grande école urbaine, où l'on risque d'être le seul Inuk, c'est une entreprise qui présente bien des dangers. Un territoire inconnu, des règles différentes et l'éloignement de sa culture et de sa famille constituent des défis de taille, notamment lorsque les étudiants inuits ne bénéficient d'aucun soutien qui leur faciliterait la réalisation de leurs objectifs. Le manque de mesures de soutien coordonnées à l'intention des étudiants inuits entraîne trop souvent des échecs qui s'accompagnent d'un sentiment de honte qui fait qu'ils se trouvent sur une mauvaise pente qui amène à une vie dans la rue, la prostitution, l'abus des drogues et de l'alcool, la dépression et, trop souvent, le suicide.
Les jeunes Inuits ont besoin de programmes de logement assortis de services de soutien et d'initiatives, dans les écoles des centres urbains, qui célèbrent la culture, sont coordonnées par des Inuits et aident les jeunes Inuits à entretenir leurs liens avec leurs collectivités et leurs familles. Rappelez-vous, sénateurs, que vous ne seriez pas seuls au milieu de l'océan Arctique si un seul de vos collègues vous accompagnait.
Il y a un manque généralisé de connaissances chez les Canadiens non inuits — et surtout les jeunes — qui favorise les malentendus et les préjugés et perpétuent des attitudes racistes à l'endroit des Inuits. Les effets du racisme sont clairs pour chacun d'entre vous. La vie des jeunes Inuits changerait à tout jamais si on communiquait à leurs homologues non inuits un minimum d'information sur l'histoire et la culture inuites dans nos écoles. En même temps, la vie des non-Inuits serait enrichie par ces connaissances. S'il est vrai que savoir, c'est pouvoir, la transmission de connaissances culturelles aux jeunes Canadiens ne peut que contribuer à la lutte contre le racisme au Canada.
J'aurais tort de vouloir essayer d'approfondir, dans les 10 minutes dont je dispose ce matin, la question de nos besoins en matière de soins médicaux ou des problèmes de santé qui nous touchent. J'estime néanmoins qu'il importe que vous vous rendiez compte que le sort des jeunes Inuits vivant en milieu urbain et les problèmes de santé qu'ils connaissent sont directement liés à l'absence permanente de soins médicaux de bonne qualité dans leur localité d'origine. Souvent l'information sanitaire n'est pas accessible aux jeunes Inuits et à leurs parents dans leur langue, si bien qu'il nous est guère possible de faire des choix éclairés en matière de santé, et encore moins de participer activement aux décisions touchant les soins de santé.
Les jeunes Inuits ont commencé à prendre des initiatives pour jouer un rôle important dans leurs collectivités en ce qui concerne l'éducation sanitaire, et ils ont vraiment joué un rôle de chef de file dans ce domaine. Nous avons prouvé notre capacité d'innovation et notre ingéniosité pour ce qui est d'échanger de l'information sanitaire entre nous et avec d'autres collectivités.
Au cours des trois dernières années, les jeunes Inuits ont commencé à participer de plus en plus aux activités de prévention et d'éducation concernant le VIH/sida. De jeunes Inuits ont eu l'occasion de participer à un projet visant à élaborer de l'information sur le VIH/sida à l'intention des jeunes Inuits et de leurs collectivités. Nous avons été à la hauteur de la tâche. Ainsi nous avons communiqué notre message de protection et de compassion à l'ensemble de nos collectivités pendant les fêtes communautaires, et partagé nos vues sur la question avec d'autres peuples autochtones du Panama, de la Nouvelle-Zélande et de la Dominique. Ce n'est qu'un exemple du rôle de direction que peuvent jouer les jeunes Autochtones, lorsqu'on leur en donne l'occasion.
Les jeunes Inuits représentent une proportion importante de la population inuite du Canada, et c'est donc dans l'intérêt de tous les Inuits que nous jouions un rôle utile dans les discussions sur les problèmes de santé qui nous touchent directement. Sénateurs, c'est souvent dans l'esprit et les yeux des jeunes que se trouve la vraie sagesse.
Sarah Anala, l'une des deux Aînés inuits qui assurent la liaison avec le Service correctionnel du Canada, a écrit un poème sur les Inuits qui se trouvent dans le système correctionnel fédéral. Je le garde toujours bien en vue dans mon bureau pour me rappeler la nécessité d'aider les autres à comprendre. Le poème de Sarah décrit de façon très poignante, la relation entre les détenus inuits et le système judiciaire non inuit. J'aimerais vous lire un petit extrait de son poème qui parle de l'impact de la culture et de la classe sur les jeunes Inuits qui ont des démêlés avec la justice. Je cite:
Vous ne me connaissez pas; vous me connaissez seulement sur papier. Comment pouvez-vous me connaître ou parler de moi puisque vous n'avez jamais vécu avec moi ni dans ma collectivité? Vous ne connaissez pas ma véritable histoire.
Kangissimak — Ce qui est passé
Tikkingituk — Ce qui n'est pas encore là
Mana — Ce qui est là maintenant, le présent
Je n'ai que le présent. Je ne peux prévoir le temps que parce que les signes sont là sur la terre, la mer, et dans le vent, les nuages et les neiges. Vous n'avez jamais pénétré dans mon esprit, mon corps, mon âme, et donc, vous ne me connaissez pas en réalité; vous me connaissez sur papier, voilà tout.
Plus de 45 000 Inuits vivent au Canada, et 55 p. 100 d'entre eux sont jeunes. Ils habitent 53 collectivités établies dans des lieux stratégiques pour permettre au Canada d'affirmer sa souveraineté dans l'Arctique. Le peuple inuit a sa propre culture et sa propre langue. En même temps, les Inuits paient leurs impôts comme les autres.
Cela me fait peur quand j'entends le mot «Autochtone» lorsqu'on discute de la situation des Inuits. Et ma crainte est fondée parce qu'il y a trop de Canadiens qui ne savent guère ce que signifie ce terme. Pour eux, le mot «Autochtone» désigne les Premières nations. Voilà justement le message répété sans arrêt par le gouvernement du Canada et tous ses ministères. Mais contrairement à ce que pensent généralement les gens, le peuple inuit n'est pas une tribu regroupant des membres de Premières nations.
Sénateurs, l'homogénéisation, c'est un procédé qui s'applique au lait, mais pas aux peuples, ou aux cultures. Trop souvent les jeunes Inuits participent à des programmes qui sont conçus par et pour les membres de Premières nations, sans tenir le moindrement compte de différences culturelles ou de besoins linguistiques, et encore moins des différences expérientielles qui nous séparent. Nous sommes un peuple distinct ayant des besoins distincts qui comprennent des objectifs et des désirs particuliers fortement influencés par les enseignements traditionnels qui doivent nous servir de guide durant notre parcours.
Lorsque le gouvernement du Canada cautionne la création de programmes à l'intention des «jeunes Autochtones», sans prévoir la participation directe, équitable et valable des jeunes Inuits, il cautionne la création de programmes discriminatoires entachés de préjugés qui ne font qu'aggraver le sentiment d'isolement que ressentent les jeunes Inuits vivant en milieu urbain.
Imaginez, si vous le pouvez, ce que doit ressentir un jeune Inuk cherchant de l'aide par l'entremise d'un programme destiné aux jeunes Autochtones qui découvre qu'il y est question uniquement des enseignements des Premières nations, comme le cercle d'influences. Bien que le cercle d'influences fasse partie intégrante des traditions des Premières nations, c'est un concept aussi étranger à l'expérience d'une jeune Inuk qu'une chasse à l'ours polaire le serait à celle d'un jeune non autochtone vivant au centre de Toronto. Des programmes de ce genre ne répondent aucunement à nos besoins culturels et nous communiquent un message d'effacement culturel. Ces messages sont tellement puissants qu'ils peuvent saper notre force, affaiblir notre esprit et nous dévaloriser en tant que peuple, et malheureusement, c'est souvent le résultat. Or les jeunes Inuits peuvent apporter une contribution très utile à l'ensemble des jeunes Canadiens, autochtones ou non. Nous sommes un fil essentiel du tissu social futur de ce pays.
Honorables sénateurs, nous avons besoin de politiques qui respectent et satisfont les besoins et traditions inuites qui sauront orienter l'élaboration de programmes qui favorisent une forte identification avec notre culture, nos terres et nos collectivités. Nous n'avons pas besoin de programmes qui nous encouragent à adopter la culture d'autres peuples autochtones.
En terminant, je formule le souhait que tout ce qui résultera de nos discussions de ce matin et du travail de votre comité s'appuiera sur le respect des jeunes Inuits — pas sur leurs problèmes ou leur sort, mais plutôt leur culture, leur histoire et le potentiel remarquable qui caractérise chacun d'entre nous.
La vice-présidente: C'était un excellent exposé qui venait vraiment du coeur.
Merci de nous avoir lu des extraits de ce très beau poème. Je dois dire que si un d'entre nous se trouvait seul dans un kayak au milieu de l'océan Arctique, il aurait certainement du mal à s'en sortir. Voilà donc une excellente métaphore pour encadrer les discussions de ce matin.
Avant de donner la parole à mes collègues pour poser leurs questions, pourriez-vous m'indiquer ce que vous faites depuis que vous vous êtes installé dans le Sud en tant que jeune Inuit? Comment votre vie s'est-elle déroulée pendant ce temps? Il sera utile, dans le cadre de notre étude, de connaître un peu vos expériences individuelles.
M. Buscemi: J'estime que j'ai eu de la chance, en quelque sorte, puisque j'ai quitté Iqaluit il y a sept ans, à l'âge de 13 ans. Mon prénom n'est pas difficile à prononcer. Ce n'est pas un nom inuit, mais plutôt italien, et j'ai l'air moins Inuit que bon nombre de mes amis. J'ai eu la chance de ne pas être physiquement différent et de ne pas me sentir différent des autres.
La vice-présidente: Est-ce que cela a pu avoir un impact en ce qui concerne vos expériences personnelles?
M. Buscemi: Oui. Je faisais énormément de sport à l'école et cela m'a permis d'éliminer les barrières. Mais à part cela, je me sentais seul. Après les séances d'entraînement et en dehors de l'école, j'étais toujours seul.
La vice-présidente: À votre avis, la plupart des jeunes Inuits qui s'installent dans le Sud ont-ils tendance à y rester? Moi, je suis de Winnipeg, qui compte une petite population de jeunes Inuits.
M. Buscemi: Oui. La proportion d'Inuits s'installant dans le Sud semble s'être accrue au cours des dernières années, surtout ici à Ottawa. Mais je ne connais que quelques personnes qui ont décidé de rester à Ottawa.
La vice-présidente: Donc, la plupart d'entre eux rentrent chez eux, ou vont-ils dans d'autres centres urbains?
M. Buscemi: Certains rentrent chez eux parce qu'ils trouvent ça trop difficile. Ma petite amie habite ici depuis deux ans. Elle a trouvé ça très difficile au départ, puisque c'était la première fois qu'elle quittait sa famille, et elle a donc beaucoup souffert.
J'ai eu de la chance, parce que j'ai déménagé avec mes parents. Mes parents se sont installés à Ottawa, et donc, comme je n'avais que 13 ans, je n'avais pas vraiment le choix. J'avais mes parents, et une soeur qui allait à l'école. J'ai donc eu la chance d'être entouré de ma famille.
La vice-présidente: Vous aviez donc un réseau de soutien. À votre avis, le centre communautaire Tungasuvvingat Inuit (TI) d'Ottawa a-t-il eu un impact positif au sein de la collectivité, et serait-il possible de suivre ce même modèle dans d'autres villes canadiennes? Il paraît que les Inuits de Montréal voudraient faire quelque chose de semblable, mais ils n'ont pas de locaux pour l'instant. Pensez-vous que l'Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) pourraient prendre ce genre d'initiative, et diriez-vous que ce centre-là a servi de maison de transition ou de lieu de rassemblement pour les jeunes Inuits qui se trouvent ici?
M. Buscemi: Je ne peux pas parler pour l'ITK. Personnellement, j'estime que le programme du centre TI est excellent. Cependant, il n'y a qu'un seul travailleur auprès des jeunes — c'est lui qui devait faire l'exposé de ce matin. Comme c'est la seule personne qui travaille auprès des jeunes, il n'a pas pu trouver le temps de venir ce matin. C'est un bon programme, mais il a besoin d'être élargi et de bénéficier de plus de soutien.
La vice-présidente: Parlez-moi de deux choses qu'il serait possible de faire dans le cadre de ce programme. Nous essayons de nous concentrer sur les jeunes en milieu urbain, Autochtones, membres de Premières nations, Inuits et Métis. Nous ne cherchons pas à rassembler tout le monde au sein d'un même programme qui toucherait l'ensemble des peuples autochtones. Nous vous avons entendu dire que vous ne voulez pas être obligés d'accéder aux services destinés à l'ensemble des peuples autochtones, et que vous, en tant qu'Inuit, préférez vous prévaloir des services ordinaires qui sont assurés à toute la population. C'est bien ça?
Mais en ce qui concerne les jeunes qui restent dans le Sud, êtes-vous d'avis que ces programmes leur apportent quelque chose?
M. Buscemi: Lesquels?
La vice-présidente: Ceux qui sont en place sur le terrain. Je ne sais pas combien il y en a. Je sais que celui d'Ottawa est l'un des plus importants.
M. Buscemi: Oui. Beaucoup de jeunes Inuits d'Ottawa participent à leurs programmes. Mais Montréal n'en a pas.
La vice-présidente: Oui, mais ils envisagent d'en créer un.
M. Buscemi: Oui. Bon nombre d'entre eux vont aux centres d'accueil, qui sont dirigés par les Premières nations.
La vice-présidente: Ils vont dans les centres d'accueil?
M. Buscemi: Oui, puisque c'est la seule ressource qui soit disponible. Mais cela ne les aide pas beaucoup parce qu'ils ne véhiculent pas leur culture et ce qu'on leur dit ne correspond pas à ce qu'ils ont appris.
Dans mon cas, avant de commencer à travailler chez Pauktuutit, l'Association des femmes inuites, je ne savais pas vraiment ce que signifiait le terme «Autochtone». Moi, aussi, je pensais que ça désignait les Premières nations.
La vice-présidente: Je vois. Et ce n'est plus le cas?
M. Buscemi: C'est-à-dire qu'à présent je comprends la différence.
La vice-présidente: Et cette différence vous semble importante?
M. Buscemi: Oui, beaucoup plus qu'avant. Quand on participait autrefois à un programme autochtone, on se retrouvait exclusivement entre membres des Premières nations. Je suppose que si l'on ne participe pas au travail politique dans les coulisses ou aux programmes proprement dits, c'est assez difficile.
La vice-présidente: Donc, pour maintenir vos liens avec votre patrimoine culturel quand vous n'êtes pas dans le Nord, vous avez besoin de programmes qui sont différents de ceux qui sont actuellement disponibles sous la rubrique «Services autochtones»?
M. Buscemi: Oui.
Le sénateur Sibbeston: Comme je suis des Territoires du Nord-Ouest, je connais bien l'Arctique de l'Est et les aspirations politiques du peuple inuit en ce qui concerne la création du territoire du Nunavut.
Vous dites que vous habitez Ottawa depuis sept ans. Avez-vous eu l'occasion de retourner dans l'Arctique? Avez- vous une idée de ce que ressentent maintenant les jeunes de la région depuis la création du Nunavut?
M. Buscemi: J'ai pu retourner à ma localité à plusieurs reprises. Ce n'était pas pour le travail; c'était pour voir ma famille.
Le sénateur Sibbeston: Les Inuits de l'Arctique estimaient que la création du Nunavut et le règlement de leurs revendications territoriales seraient enfin l'occasion de disposer librement d'eux-mêmes. J'aimerais donc savoir si la création du Nunavut a ressuscité l'espoir des jeunes dans leur avenir. Qu'en pensez-vous?
M. Buscemi: Oui, je pense qu'ils ont de l'espoir. Un exemple du domaine de l'éducation serait l'inauguration de l'école de droit à Iqaluit. Je pense qu'ils travaillent toujours pour défendre une bonne cause. Ils essaient de faire en sorte qu'il y ait autant d'options possibles pour les habitants de cette région. Je ne peux pas vraiment vous faire une analyse complète de la situation, étant donné que je ne travaille pas pour eux.
Le sénateur Sibbeston: Parlez-moi de vous-même et de jeunes Inuits comme vous qui habitez la ville. Est-ce que la plupart des jeunes vivant en milieu urbain viennent ici pour poursuivre leurs études? À votre avis, quelle est la situation actuelle des jeunes Inuits en ce qui concerne leur éducation?
M. Buscemi: Je peux vous faire part de mon avis personnel à cet égard. Mes amis du Sud ont la possibilité de rester chez leurs parents et de faire des études postsecondaires. Cependant, mes amis du Nord n'ont qu'une possibilité, c'est- à-dire quitter leur famille, leur localité et tout le reste pour faire des études postsecondaires. Pourriez-vous répéter la question?
Le sénateur Sibbeston: Je me demande simplement si les jeunes estiment qu'ils devraient recevoir une bonne éducation, qu'il est avantageux d'avoir fait des études et que s'ils comptent mener une vie utile dans le Nord à l'avenir, ils ont besoin de faire des études. L'éducation est-elle quelque chose qui motive et intéresse les Inuits?
M. Buscemi: À mon avis, oui. Il y a un programme à Ottawa qui s'appelle Nunavut Sivuniksavut qui aide les jeunes Inuits à se préparer à profiter des occasions qui sont créées grâce à l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. L'éducation est donc considérée par les jeunes Inuits comme un élément important de leur avenir.
Le sénateur Sibbeston: Je tiens à vous féliciter d'avoir accepté de comparaître devant le comité. Je sais que ça doit vous sembler difficile. Quand j'avais votre âge, je ne sais pas si j'aurais été prêt à faire ce genre de chose.
Le sénateur Hubley: Je suis de l'Île-du-Prince-Édouard. Je voudrais vous remercier de votre présence aujourd'hui. J'espère que vous allez vous sentir à l'aise, parce qu'il est très important que les membres du comité connaissent le point de vue des jeunes Inuits. Notre plan d'action va justement porter là-dessus.
Je sais maintenant que vous habitez Ottawa. Avez-vous des contacts avec d'autres groupes jeunesse dans le Nord? Cela fait-il partie de vos responsabilités?
M. Buscemi: Non. Je devrais peut-être vous expliquer un peu ce que je fais. Je travaille au Pauktuutit dans le cadre du projet VIH/sida. J'y travaille depuis deux ans. On m'a demandé d'assumer cette responsabilité, étant donné que j'ai représenté les jeunes Inuits à l'occasion du marcheton national du sida lorsque le président du National Inuit Youth Council (NIYC) n'a pas pu y participer. Le réseautage avec les groupes jeunesse du Nord ne fait pas partie de mes responsabilités. J'ai déjà assez de mal à rester en contact avec mes homologues du Nord dans le cadre de notre projet VIH/sida.
Le sénateur Hubley: Nous avons reçu les représentants d'autres groupes jeunesse. Ils nous ont dit que l'éducation et la formation sont des priorités. À votre avis, comment peut-on répondre à ce besoin chez les Inuits? Faut-il faire en sorte que les Inuits puissent poursuivre leurs études dans leurs localités? Faudrait-il de meilleurs programmes dans les universités du Sud? Est-ce quelque chose dont vous avez discuté dans votre groupe?
M. Buscemi: Je ne fais pas partie du comité du NIYC. Par contre, s'il était possible d'ouvrir un établissement dans le Nord, à mon avis, il devrait être situé à Iqaluit, qui compte une plus forte population que n'importe quelle autre localité. Je sais aussi que beaucoup d'habitants du Nunavut fréquentent l'université Trent. Je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être que l'université Trent et le Nunavut pourraient collaborer à la création d'un réseau de soutien culturel. Je vous ai dit tout à l'heure que les jeunes Inuits ont besoin d'aide pour rester en contact avec leurs familles. Il serait peut-être bon que les universités songent à créer des sortes de résidences pour les jeunes Inuits.
Le sénateur Hubley: Pour qu'ils puissent maintenir leur identité propre au sein du système universitaire et bénéficier de mesures de soutien?
M. Buscemi: Oui. Quand je me suis installé à Ottawa, bon nombre de mes amis avaient l'impression que tout était gratuit pour les Inuits. On faisait toujours des blagues là-dessus mais le fait est que j'ai dû leur expliquer que tout n'est pas gratuit pour nous. Quand je fréquentais l'école, je bénéficiais d'une aide financière du gouvernement du Nunavut et j'ai expliqué à mes amis que nous payons des impôts. Les jeunes Canadiens s'imaginent à tort que nous ne payons pas non plus d'impôts.
J'aimerais avoir l'occasion de mieux comprendre ma culture, étant donné que je n'y ai pas été beaucoup exposé pendant mon enfance. Je parlais la langue, mais je n'ai jamais participé aux traditions inuites, comme la chasse, le bivouac, et cetera. Je voudrais mieux connaître cet aspect-là de mon patrimoine culturel. Si on enseignait aux jeunes Canadiens l'histoire autochtone — c'est-à-dire celle des trois groupes, les Premières nations, les Métis et les Inuits — ce serait déjà un très bon début.
Le sénateur Carney: J'ai l'impression qu'on vous demande de répondre à toutes sortes de questions concernant des activités qui ne vous concernent pas directement. On vous demande essentiellement de représenter 20 000 et quelques jeunes Inuits, et ce n'est pas vraiment très juste.
Pourriez-vous donc me parler de votre programme? Vous dites que vous êtes l'un de ceux chargé du programme sur le VIH. Est-ce ça le travail que vous faites?
M. Buscemi: Oui.
Le sénateur Carney: Et pourquoi faites-vous ça? S'agit-il d'un problème grave chez les jeunes Inuits? Qu'est-ce qui vous a incité à faire ce genre de travail?
M. Buscemi: J'ai commencé à y travailler en tant qu'étudiant d'été il y a trois ans. Ma tante est morte du sida. C'est ainsi que j'ai commencé à m'intéresser à la question. J'estime qu'il s'agit d'une menace grave non seulement pour les jeunes Inuits, mais pour l'ensemble des collectivités du Nord.
Le principal message que nous essayons de communiquer aux gens, c'est que l'isolement des collectivités ne constitue pas une protection contre ce virus, étant donné la grande mobilité des gens dans cette région. Voilà le message que nous essayons de faire passer.
Le sénateur Carney: Et que faites-vous? Vous dites qu'il s'agit d'une menace importante. Nous entendons beaucoup parler de problèmes sociaux, tels que l'inhalation de solvants et l'alcoolisme. Mais je n'ai pas souvent entendu parler de la nécessité d'intensifier le travail du côté du VIH/sida. Mais vous êtes là aujourd'hui, et voilà justement ce que vous faites. J'aimerais savoir pourquoi c'est si important. Au lieu de vous interroger sur des activités qui ne relèvent pas de votre responsabilité, je préfère vous poser des questions sur les activités dont vous êtes responsable.
M. Buscemi: Oui, et c'est une question à laquelle je peux facilement répondre.
Le sénateur Carney: Je n'ai jamais entendu dire que le VIH posait problème chez les jeunes Autochtones.
M. Buscemi: Nous essayons de prévenir le problème. La fréquence des grossesses chez les adolescentes et des maladies transmises sexuellement est beaucoup plus élevée dans le Nord que dans le reste du Canada.
Le sénateur Carney: Les grossesses chez les adolescentes?
M. Buscemi: Oui, c'est dans le Nord que le taux est le plus élevé, ce qui signifie que les gens ont des rapports sexuels non protégés. Nous ne disons pas aux gens de ne plus avoir de rapports sexuels. Nous savons très bien que c'est inutile.
À l'occasion des Jeux d'hiver de l'Arctique, nous avons distribué des «passeports» contenant de l'information sur le VIH, l'hépatite C, l'inhalation de solvants et les agressions sexuelles. L'un des chefs de mission n'était pas d'accord pour qu'on distribue ces passeports aux athlètes. Il prétendait que nous faisions la promotion du sexe. C'est faut; nous ne faisions aucunement la promotion du sexe; nous ne faisons pas ça. Ce faisons plutôt la promotion des rapports sexuels protégés. Il n'est pas nécessaire de promouvoir le sexe; l'instinct est là pour ça.
Le VIH/sida ne pose pas encore problème, et on ne le considère pas non plus avec sérieux. La Pauktuutit Inuit Women's Association est le seul organisme à avoir établi un programme sur le VIH/sida et à distribuer de l'information à ce sujet dans notre langue.
Le sénateur Carney: Et quelle est la meilleure façon de communiquer avec les jeunes Inuits? Vous parlez-vous en anglais ou en inuktitut?
M. Buscemi: Toutes nos publications sont rédigées en anglais. Nous essayons aussi de les faire traduire dans autant de dialectes que possible. Normalement, on les fait traduire dans le dialecte le plus fréquemment utilisé dans la région concernée. Par conséquent, nous avons l'habitude de publier nos documents dans environ trois langues.
Le sénateur Carney: Et est-ce qu'on vous fait un bon accueil? Comme vous l'avez dit vous-même, bon nombre de jeunes Inuits vivent dans de petites localités situées d'un bout à l'autre du territoire du Nunavut. Comment faites-vous pour vous mettre en rapport avec eux? Utilisez-vous la radio? Si nous créions des programmes en vue de faciliter vos contacts avec les jeunes des petites localités quel moyen de communication faudrait-il employer? Quelle est la meilleure façon de rejoindre les jeunes?
M. Buscemi: Vu la taille des collectivités, des documents sur support papier sont avantageux. Malheureusement, le courrier électronique est moins accessible dans le Nord que dans le Sud.
Le sénateur Carney: Ce n'est pas non plus accessible sur la côte ouest de la Colombie-Britannique. C'est un moyen de communication qui est surtout utilisé en milieu urbain.
M. Buscemi: Nous avons l'habitude d'envoyer les documents par télécopieur. Nous avons rarement recours au courrier électronique à moins que les destinataires ne soient en milieu urbain, et bien souvent, cela retarde beaucoup les choses.
Le sénateur Carney: À votre avis, les Jeux d'hiver de l'Arctique et des initiatives de ce genre constituent-ils un bon moyen de rejoindre les jeunes et apportent-ils quelque chose aux jeunes?
M. Buscemi: Oui, ils sont excellents. Le plus jeune participant cette année avait 11 ans. À l'âge de 19 ans, j'étais déjà trop âgé pour y participer. Les jeunes athlètes qui participent aux Jeux doivent être âgés de 11 à 18 ans.
Le sénateur Carney: Et c'est quel sport qui vous intéressait?
M. Buscemi: Le hockey.
Le sénateur Carney: D'après la documentation préparée pour le comité, qui se penche actuellement sur les programmes destinés aux jeunes en milieu urbain, on dirait que la plupart des programmes à l'intention des jeunes Inuits sont à Ottawa ou à Winnipeg. Il ne semble pas y avoir beaucoup de programmes dans le Nord proprement dit.
Est-ce vrai? À votre connaissance, la plupart des programmes s'adressent-ils aux jeunes qui sont installés dans le Sud? Faut-il à votre avis plus de programmes de ce genre?
M. Buscemi: Vous parlez de programmes comme ceux qui existent dans le Nord ou dans le Sud?
Le sénateur Carney: Je ne sais pas vraiment si les programmes dont on discute ici sont destinés aux Inuits du Sud ou du Nord.
La vice-présidente: Excusez-moi de vous interrompre. M. Kusugak devrait arriver d'une minute à l'autre, et il serait mieux placé à mon avis pour répondre à ces questions-là.
Le sénateur Carney: Vos programmes sont-ils exécutés dans le Nord?
M. Buscemi: Oui, dans toutes les 53 localités du Nord.
Le sénateur Carney: Qu'avez-vous fait comme études? Vous nous disiez que vous avez été à l'école ici à Ottawa. Quel genre d'études avez-vous faites?
M. Buscemi: J'étudiais la gestion des affaires.
Le sénateur Carney: À l'Université Carleton?
M. Buscemi: Non, au Collège Algonquin. Vous voulez savoir ce que j'ai fait comme études qui seraient pertinentes pour mon travail au programme du VIH/sida?
Le sénateur Carney: Non, je vous parlais plutôt de vos programmes. Je ne sais pas au juste si l'objet est de rejoindre les jeunes Inuits du Nord ou de leur offrir des programmes dans le Sud.
Quelle est la finalité de ces programmes? Essayez-vous d'intégrer les Inuits du Sud ou plutôt de les préparer à retourner au Nunavut, s'ils décident de le faire?
Je ne comprends pas très bien à quoi doivent servir ces programmes. S'agit-il de programmes de transition? Je ne m'attends pas à ce que vous répondiez à toutes mes questions; disons simplement que je ne comprends pas très ce à quoi doivent servir certains de ces programmes.
M. Buscemi: Il s'agit de programmes de soutien. Les gens ne vont pas décider de rester en milieu urbain tout simplement à cause d'un programme de ce genre. Mais ces programmes doivent leur faciliter la transition pendant qu'ils sont à l'école ou en visite.
Beaucoup d'étudiants se sentent très seuls. J'en ai d'ailleurs discuté avec mon amie. Elle était prête à rentrer chez elle après trois mois parce qu'elle se sentait complètement seule, sans sa famille. Le seul soutien qu'elle avait venait de ses amis qui participaient au même programme qu'elle.
Le sénateur Carney: À votre avis, est-ce pour cela que les taux d'abandon sont si élevés?
M. Buscemi: Je pense que c'est un facteur très important, oui.
Le sénateur Carney: Donc, vous avez besoin de programmes qui facilitent la transition et permettent d'aider les jeunes à atteindre leur objectif, plutôt que d'abandonner leurs études et de se retirer du système?
M. Buscemi: Oui, mais il est très important que ce soutien soit assuré par quelqu'un qui comprend vraiment votre situation. J'ai eu la chance d'avoir mes parents, qui comprennent mes origines, et ma soeur, qui a grandi dans la même localité que moi.
Le sénateur Carney: Même en Colombie-Britannique, nous estimons que le mot «Autochtone» pose problème. Par exemple, le comité n'arrive pas à obtenir une définition de «Métis». Dans différentes régions du pays, ils utilisent des termes différents, si bien que nous avons du mal à définir ce qui est englobé par le terme «Autochtone».
Êtes-vous donc en train de nous dire que vous voulez conserver votre identité propre et ne pas être inclus dans les initiatives destinées aux Premières nations?
M. Buscemi: Oui, absolument. Je ne veux pas être considéré comme membre d'une Première nation. Je ne suis pas membre d'une Première nation. Par exemple, quand nous assistons aux conférences sur le VIH/sida, il y a souvent la cérémonie de purification — «smudging», en anglais — et je comprends très bien que c'est très important pour les membres des Premières nations.
Le sénateur Carney: Comment dites-vous?
M. Buscemi: Cette cérémonie est désignée par le nom «smudging». Bon nombre d'Inuits trouvent que l'odeur leur fait une drôle de sensation.
Le sénateur Carney: C'est vrai ce que vous dites. Nous avons tendance à penser que ce terme englobe tout le monde. Quand on ne sait pas quoi dire, on utilise le terme «Autochtone» — par exemple, les pêches autochtones, et cetera.
M. Buscemi: À mon avis, il conviendrait d'avoir des programmes qui soient destinés aux membres des Premières nations et d'autres programmes qui soient destinés aux Inuits. Il n'est pas nécessaire de regrouper tout le monde et d'essayer de faire en sorte que chacun respecte la culture de l'autre. Pour moi, c'est impossible.
La vice-présidente: C'est ce que nous essayons de faire dans le cadre de notre étude — c'est-à-dire d'examiner les besoins de ces trois groupes, soit les Inuits, les Premières nations ou les Autochtones, et les Métis.
[Français]
Le sénateur Gill: D'abord, j'aimerais vous féliciter pour votre exposé. J'ai apprécié la comparaison avec le kayak qui décrit bien la situation d'un Autochtone dans une mer non autochtone.
En français, on dit «Amérindiens» pour désigner les Premières nations et «Inuits» pour les Inuits. On utilise le mot «Autochtones» pour décrire les gens de souche présents avant l'arrivée des Européens parce que cela facilite probablement la bureaucratie gouvernementale. J'ai l'impression que cela inclut les Métis aussi.
Je suis un Innu Montagnais. Il y a 50 ans, je me trouvais un peu dans la même situation où vous vous trouvez maintenant. Mon physique n'avait pas l'air indien, j'aimais beaucoup les sports et j'étais très heureux lorsque je remportais une victoire. Cela m'a gardé à l'école. Il est clair qu'il n'est pas facile pour un jeune Inuit d'être en ville, surtout quand, à l'école, il n'est aucunement question de l'histoire des Inuits ou des Premières nations. Il semblerait que l'histoire commence avec l'arrivée des Européens. J'imagine que tout cela passe par la tête des jeunes qui viennent ici pour apprendre. Les choses importantes, il faut les apprendre. Quel sentiment avez-vous lorsque vous constatez que votre peuple ne fait pas partie de l'histoire de votre propre pays?
[Traduction]
M. Buscemi: Quand je suivais les cours obligatoires d'histoire à l'école secondaire, je dois dire que cela ne m'intéressait pas beaucoup. On ne remontait même pas aux origines du Canada. Je suppose qu'on considérait que c'était un cours d'histoire moderne, puisqu'il a été question de l'invention de l'automobile, et cetera.
Même en ce qui concerne la culture générale du Canada, on en parlait très peu — du moins, dans ma classe. Et ça ne m'intéressait pas beaucoup.
J'aurais certainement trouvé bien utile qu'on raconte l'histoire des Autochtones parce que je n'ai pas beaucoup d'occasions — d'ailleurs, je ne trouve même pas un seul exemple à vous citer — de me renseigner sur l'histoire culturelle de mon peuple, à moins de m'adresser à un Aîné, et pour cela, il faudrait que je retourne dans le Nord.
Si on avait la possibilité de suivre des cours d'histoire portant sur les origines des premiers peuples à habiter le Canada, ce serait vraiment intéressant, et ce serait bien enrichissant pour les jeunes Canadiens en général.
Je n'ai pas eu de problème de racisme, mais je peux très bien comprendre que ce ne soit pas agréable de se faire traiter de «mangeur de blanc de baleine». J'ai toujours pu me défendre. Je ne donnais pas l'impression d'être vulnérable, et donc, je ne faisais pas l'objet de brimades ou d'intimidation. Mais je ne peux pas en dire autant de ma petite amie. Elle a fait l'objet de comportements racistes quand elle s'est installée ici, et elle a l'air beaucoup plus fragile que moi. Je pense que j'avais l'avantage de ne pas avoir l'air d'être très vulnérable.
[Français]
Le sénateur Gill: Aimeriez-vous voir, dans l'histoire enseignée à tous — y compris les non-Inuits — plus de faits concernant les Inuits? Que l'existence des Inuits depuis des milliers d'années fasse partie de l'histoire et non de la préhistoire? Souhaiteriez-vous que quelqu'un travaille sur ce point?
[Traduction]
M. Buscemi: J'aimerais vraiment qu'on parle de ça — et surtout de la décision du gouvernement de créer des collectivités inuites à certains endroits pour protéger la souveraineté du Nord. J'ai trouvé ça surprenant. J'aimerais bien que quelqu'un prépare des modules qui présentent cette partie-là de notre histoire.
J'ai appris des choses au sujet de l'histoire inuite grâce à des collègues. C'est toujours très intéressant. Je lisais un article un jour qui indiquait que des artefacts inuits ont été trouvés en Saskatchewan. Cela veut donc dire que les Inuits migraient. J'aime bien apprendre des choses de ce genre, savoir comment les collectivités inuites ont été créées et pourquoi elles ont été créées. D'ailleurs, je pense que ce serait utile que tous les Canadiens sachent ça. Ça permettrait de dissiper bien d'idées fausses.
[Français]
Le sénateur Gill: Vous parliez de votre amie qui avait eu beaucoup de problèmes en retournant chez elle.
[Traduction]
À votre avis, les gens qui vont dans le Sud pour faire des études et doivent s'adapter autant que possible à leur nouvelle situation ont-ils des problèmes quand ils retournent dans le Nord parce qu'ils ne savent pas à qui s'adresser s'ils ont du mal à se réintégrer dans leur localité? Est-ce que ça se produit à votre avis?
M. Buscemi: Je me suis absenté sept ans. Quand je suis retourné dans le Nord, j'ai eu quelques petits problèmes au début. Pour bien des gens de cette région, le partage fait partie intégrante de la culture. Je n'avais pas l'habitude de ça parce que j'avais été absent depuis longtemps. Ici, dans cette partie du monde, l'attitude des gens, c'est «Ceci est à moi; cela est à vous». Ce n'est pas vraiment une question de cupidité; c'est tout simplement que les gens sont très possessifs.
J'ai eu quelques problèmes quand je suis retourné dans le Nord. Je suppose que d'autres seraient susceptibles de connaître les mêmes difficultés, à des degrés variables.
Le sénateur Léger: Je voudrais vous remercier pour cette poésie. Nous apprécions tous beaucoup l'art inuit.
La vice-présidente: Je vous présente M. Kusugak et je lui souhaite la bienvenue.
M. Buscemi a fait un excellent travail, mais il n'est pas en mesure de répondre à toutes les questions. Si vous voulez faire quelques remarques avant que nous ne poursuivions la période des questions, étant donné que vous êtes président de l'ITK, je vous cède la parole.
M. Jose Amaujaq Kusugak, président, Inuit Tapiriit Kanatami: Honorables sénateurs, j'aurais voulu être là pour vous présenter M. Buscemi et pour l'aider à répondre à vos questions.
La vice-présidente: M. Buscemi a fait un travail extraordinaire. C'est un jeune homme plein de talent qui fait honneur à votre communauté.
Monsieur Kusugak, la population de la communauté que vous représentez est concentrée dans les régions rurales du Canada, bien que 16 p. 100 habitent à présent les petites localités urbaines. Pour les fins de notre étude, pourriez-vous nous dire quels facteurs auraient incité les jeunes Inuits à quitter leurs collectivités pour s'installer dans de petites ou grandes localités urbaines?
M. Kusugak: Beaucoup d'étudiants font des études postsecondaires. Il y a aussi beaucoup de jeunes Inuits qui suivent leurs parents lorsqu'ils quittent la collectivité. Certains quittent la raison en raison de problèmes à la maison.
Une bonne proportion des Inuits qui sont établis à Ottawa ont quitté leurs collectivités pour chercher du travail. S'ils n'ont pas vraiment fait d'études, ils ne peuvent pas nécessairement se trouver un emploi, et par conséquent, ils finissent dans une ville qui n'a pas grand-chose à leur offrir. Très peu d'Inuits qui quittent leurs régions le font pour vivre seuls; certains d'entre eux ont fait des études et ensuite quitté l'école, et finissent par vivre en milieu urbain. Je sais qu'il y en a un certain nombre dans cette situation.
La vice-présidente: M. Buscemi nous a déjà parlé de ça. Je voulais simplement savoir ce que vous en pensez. Il nous a également dit que c'est la transition qui pose le plus problème de même que le manque de contact avec des gens qui ont la même culture dans le Sud.
En ce qui concerne notre étude, nous nous penchons sur toutes ces questions en vue de faire des recommandations sur ce qui peut être fait dans les différentes régions du pays. Nous sommes conscients des différences entre les Inuits, les Premières nations, les Autochtones et les Métis. Nous y sommes sensibles et nous comprenons très bien votre point de vue. M. Buscemi nous l'a très bien expliqué.
Pour ce qui est de l'ITK, le centre communautaire pour les Inuits d'Ottawa, et le soutien que vous assurez à ce centre, est-ce qu'on peut dire qu'il représente un modèle positif? Je sais qu'on envisage de l'adopter dans d'autres collectivités, notamment à Montréal. Convient-il de financer ce genre de centre? Remplit-il bien son rôle? Y a-t-il autre chose qu'on devrait faire dans ces centres? Est-ce le genre d'organisme que nous devrions recommander et sur lequel nous devrions nous concentrer dans le cadre de notre étude?
M. Kusugak: Je dirais que oui.
La vice-présidente: Je sais que les gens vont également dans les centres d'accueil; seulement, comme nous l'expliquait M. Buscemi, ils ne sont pas destinés aux Inuits.
M. Kusugak: C'est la seule possibilité en ce qui nous concerne. Pour avoir assisté aux réunions du conseil d'administration et avoir reçu les différents rapports qu'ils nous transmettent, je sais qu'ils organisent bon nombre d'activités pour les jeunes et d'autres Inuits à Ottawa. C'est un très bon organisme. Ils enseignent la musique, la culture, et cetera aux jeunes. Ce sont d'excellents ambassadeurs pour les Inuits. La semaine dernière, les maires du Nunavut étaient à Ottawa et ont pu assister à un de leurs spectacles.
C'est grâce à eux qu'on arrive à préserver la culture et la langue au sein de l'organisme. C'est un organisme très louable à bien des égards. Ils font beaucoup de choses avec très peu de ressources.
La vice-présidente: Je n'en doute pas.
Le sénateur Christensen: Merci à vous deux de votre présence. Monsieur Buscemi, je comprends que vous ayez été nerveux devant un groupe de vieilles personnes comme nous. Dites-vous simplement que nous sommes des aînés dont le rôle consiste à vous transmettre notre sagesse et de bénéficier de la vôtre.
La création du Nunavut a créé toutes sortes de possibilités intéressantes pour les Inuits. Constatez-vous des changements en ce qui concerne les gens qui quittent le Nunavut pour poursuivre leurs études dans le Sud? On a vraiment l'impression qu'il y a des débouchés intéressants chez eux et qu'ils peuvent trouver des emplois à leur retour. Par contre, les membres de Premières nations et les Métis qui sont originaires de localités rurales et de réserves, où les possibilités sont limitées, vont dans les centres urbains pour trouver un emploi et finissent souvent par y rester. Ils s'y installent, décident ensuite de laisser tomber leurs études, si bien qu'ils n'ont pas un niveau d'éducation très élevé. Constatez-vous un changement chez les jeunes qui reviennent maintenant, par opposition à il y a une quinzaine d'années? Est-ce qu'ils reviennent après avoir terminé leurs études, ou ont-ils plutôt tendance à rester dans le Sud?
M. Kusugak: Je dois dire que je constate une différence. Ce que j'essaie de dire à mes confrères inuits, c'est que lorsqu'on donne le choix à quelqu'un de faire des études, c'est pour qu'il puisse faire des choix. Il est vrai qu'il faut élargir les possibilités pour les gens vivant dans l'Arctique. Il n'y a pas que le Nunavut qui soit en cause. On parle du Nord du Labrador, du Nord du Québec, de la région de l'ouest des Territoires du Nord-Ouest, et du Nunavut. Il faut instruire nos jeunes et espérer qu'ils voudront rester dans leurs régions respectives. Par contre, il ne faut pas non plus les tenir en laisse.
Il faut plutôt leur apprendre à faire le choix d'aller dans le monde. Peu importe que ce soit le Sud, l'étranger ou une autre destination. En fait, chaque année, nous offrons l'occasion à 20 jeunes du Nunavut de poursuivre leurs études à Ottawa. Sur 100 demandeurs dans tout le territoire du Nunavut, nous en choisissons 20 que nous considérons comme les meilleurs et qui pourraient à notre avis apprendre à vivre dans le Sud. Quand ils sont sur place, on leur apprend les procédures parlementaires, par exemple. Ils apprennent à parler en public, à préparer un budget, à se charger de leurs opérations bancaires, et en même temps, on leur parle de leur culture inuit, et cetera. À la fin de leur séjour de neuf mois à Ottawa, nous leur donnons la possibilité de faire un voyage au pays de leur choix. Les étudiants de cette année sont actuellement au Costa Rica. L'année dernière, ils sont allés au Japon. L'année précédente, c'était l'Australie, et l'année d'avant celle-là, c'était la Nouvelle-Zélande.
Nous essayons de leur transmettre de véritables connaissances, encore une fois en espérant qu'ils vont décider de retourner vivre dans le Nord, même si nous n'insistons pas là-dessus. Moi-même je me sens attaché à cette ville, puisque j'y habite depuis plusieurs années. Je dis toujours aux hommes et femmes politiques de l'Arctique que si on veut que les gens retournent, il faut leur faire de la place, leur offrir des débouchés intéressants, et cetera.
À mon avis, il faut établir un bon équilibre. Si on les encourage à quitter leurs foyers ou leurs régions d'origine, bien sûr, ils resteront dans le Sud. Plusieurs étudiants ont décidé de rester. Je connais une jeune femme qui se trouve actuellement en Allemagne et qui n'a pas du tout l'intention de retourner dans l'Arctique.
Lorsque j'étais adolescent, j'ai fait mes études en Saskatchewan. C'était très dur. Heureusement, j'étais là avec mes deux frères. Mais beaucoup de jeunes vont dans le Sud tout seuls, sans la compagnie de gens de leur âge. Comme vous le disait M. Buscemi, il est très difficile de vivre tout seul. Cela m'a vraiment fait un choc quand je suis arrivé à Saskatoon pour la première fois. Au début de l'année scolaire, nous avons dû nous lever et saluer 600 autres étudiants lorsqu'on a présenté les «Esquimaux de l'Arctique». C'était au milieu des années 60. À l'heure actuelle, les gens savent qui sont les Esquimaux, ou plutôt les Inuits, et donc nous ne sommes plus considérés comme une nouveauté.
Notre philosophie consiste à aller dans le monde pour travailler, pas nécessairement pour être assimilés mais pour apprendre comment vivent les Blancs, et cetera. Je suis né dans un igloo et je pensais qu'il n'y avait que deux Blancs dans le monde: un prêtre catholique et un commerçant de fourrures à Repulse Bay. Depuis cette époque — il y a 52 ans et — et le moment présent, où je me retrouve devant vous pour faire un exposé, le monde a beaucoup évolué. Voilà donc ce que nous essayons d'encourager chez les jeunes.
Le sénateur Christensen: Monsieur Buscemi, peut-être que vous pourrez répondre à cette question. Comme vous nous l'avez si bien expliqué, les gens que vous connaissez qui sont venus poursuivre leurs études dans le Sud ne bénéficient pas de beaucoup de mesures de soutien. S'ils décident de décrocher, ont-ils tendance à rester, ou retournent- ils dans leurs régions? Je suppose qu'il y a toujours des exceptions.
M. Buscemi: C'est à peu près la même proportion de personnes qui font l'un ou l'autre. Ceux qui rentrent chez eux ont besoin d'être avec leurs amis et leurs familles. Personnellement, ce que j'ai trouvé particulièrement difficile, c'était d'avoir à quitter mes amis.
Ceux qui restent se rendent la vie plus difficile en quelque sorte. Ils ont besoin de soutien supplémentaire. De toute évidence, il y a quelque chose qui les incite à rester en milieu urbain, plutôt que de retourner dans leurs localités. Et s'ils ne sont pas disposés à retourner dans leurs localités pour demander de l'aide, ils ont besoin d'encore plus de soutien de la part de confrères inuits dans la collectivité où ils habitent. Donc, ça peut être les deux. Il est certain, cependant, que ceux qui restent sur place ont besoin d'encore plus d'aide.
Le sénateur Christensen: À votre avis, il s'agit à peu près de la même proportion?
M. Buscemi: Je ne suis pas au courant des statistiques.
M. Kusugak: C'est un problème qui touche les Inuits dans tout le Canada. Nous n'avons pas de statistiques sanitaires. Je sais que dans le discours du Trône, quand il était question des sommes qui seraient consacrées aux peuples autochtones, les montants en question étaient destinés exclusivement aux membres des Premières nations et aux Indiens. Il n'y avait absolument rien pour les Inuits.
En ce moment, nous demandons à l'Université McGill ou à l'Université Laval — l'une des deux — de nous aider à préparer des statistiques sur les Inuits vivant en milieu urbain dans tout le Canada; comme nos revendications territoriales sont maintenant réglées, nous essayons de déterminer qui sont des Inuits et quelles personnes doivent bénéficier du règlement, et cetera. Ils n'ont pas de chiffres exacts pour le moment. Nous pourrons donc vous fournir ce genre de statistiques à la fin de l'exercice qui est actuellement en cours. Nous savons, par exemple, qu'il y a environ 145 Inuits à Winnipeg, mais nous ne savons pas combien d'entre eux sont des jeunes, et combien sont des personnes âgées.
Nous affirmons souvent que le gouvernement fédéral devrait nous fournir des routes, parce que ce serait vraiment avantageux. Mais l'un des avantages à avoir peu de routes, c'est que les gens ne peuvent pas facilement quitter leurs collectivités pour s'installer dans une ville où ils pourraient décider de rester. Les déplacements coûtent horriblement cher, si bien que beaucoup de gens restent chez eux. Ils ne prennent pas de vacances, par exemple, parce qu'il est à peu près impossible de se payer un billet.
Donc, nous n'avons pas vraiment de bonnes statistiques sur le nombre de jeunes qui restent, mais nous avons pris des mesures pour les obtenir.
La vice-présidente: Oui, c'est bien important. Nous allons justement en parler dans nos recommandations.
Le sénateur Léger: Vous avez dit que l'établissement d'une nouvelle école de droit avait donné de l'espoir aux jeunes. En même temps, vous dites que la seule possibilité pour les Inuits, c'est de quitter leurs collectivités. Cependant, vous avez cette nouvelle école de droit. Donc, il y a de l'espoir. Est-ce que cela signifie qu'il y a également une école secondaire? Est-ce un nouveau début qui va vous permettre de dispenser vos propres programmes d'éducation et de formation de base?
M. Buscemi: Je pense que oui. À l'heure actuelle, si vous voulez faire des études dans le Nord, les seuls choix possibles sont les soins infirmiers et le droit. Si ces deux domaines ne vous intéressent pas, vous n'avez pas le choix: vous devez soit quitter votre localité, soit abandonner vos rêves.
Le sénateur Léger: Donc, c'est un début. On peut espérer qu'il y aura bientôt un troisième et un quatrième choix.
L'autre point que je voulais soulever concerne l'art inuit. Nous en sommes tous émerveillés. Nous admirons sa grande beauté. Dans votre exposé, vous avez commencé par évoquer l'image du kayak pour ensuite citer des extraits du poème que vous avez affiché dans votre bureau. Je crains que nous devenions blasés devant toute cette beauté et tout cet art merveilleux qui nous entoure. Nous en voulons tous dans nos bureaux, et si nous pouvons nous les payer, c'est une bonne chose pour vous.
Mais de plus en plus, je me dis qu'il nous faut des mots. Est-ce que ce poème a été publié? Avons-nous la possibilité de vous entendre? Peut-être sommes-nous sourds — cela ne m'étonnerait pas.
M. Buscemi: L'art inuit est quelque chose de moderne. Dans le passé, j'aurais difficilement imaginé qu'une personne qui essaie de vivre de la terre — ce qui est très difficile — décide de faire des sculptures juste pour le plaisir d'en faire. Je suis d'accord avec vous pour dire que les gens sont un peu trop émerveillés par ça.
Les Inuits ont tendance à s'exprimer par leur corps. Peut-être nous faut-il apprendre à comprendre leur langage corporel. Quand je suis arrivé ici, j'ai eu du mal. Par exemple, les Inuits disent oui en levant les sourcils, et non, en plissant le nez. À mon arrivée, j'ai eu des problèmes parce que je ne répondais pas verbalement aux questions qu'on me posait. Donc, je suis d'accord pour dire qu'il faut s'intéresser davantage à la question de la langue.
Le sénateur Léger: Je vous disais que nous sommes peut-être sourds. D'ailleurs, j'en suis sûre. À mon avis, ce n'est pas ça votre problème. J'aimais beaucoup ce que vous disiez. Il faut plutôt insister auprès des Blancs pour qu'ils apprennent, en leur donnant des cours sur le peuple et la culture inuits. Ce serait déjà une sorte d'ouverture.
Le gouvernement consacre beaucoup d'argent aux études, alors qu'il devrait essayer de renseigner les Blancs sur ce qui existe. Peut-être que nous serions alors à même de mieux vous entendre et de mieux vous voir.
La vice-présidente: Vous avez raison, sénateur. La semaine dernière, j'ai lu deux livres pour enfants à mes nièces, des récits inuits. Ce sont de très beaux récits. Nous devrions tous commencer par transmettre cet héritage aux enfants des deux cultures.
Pourriez-vous nous énumérer les programmes créés par l'ITK à l'intention des jeunes Inuits vivant en milieu urbain? Nous avons besoin de cette information pour notre étude.
M. Kusugak: Nous sommes un organisme qui représente d'autres organismes. Par exemple, nous représentons les bénéficiaires des différentes revendications territoriales au Canada. Tout l'argent que nous réussissons à obtenir — du gouvernement fédéral ou d'une autre source — est immédiatement renvoyé dans la région, dans la mesure du possible.
Il y a aussi le National Inuit Youth Council, dont M. Buscemi vous a certainement parlé. Nous avons un petit bureau où travaille une personne chargée des questions touchant la jeunesse au Canada. Cette jeune femme qui travaille à notre bureau répartit les fonds que nous recevons aux divers groupes jeunesse régionaux pour leur permettre d'exécuter des programmes.
Je voudrais répondre à la question du sénateur Léger concernant les autres possibilités qui existent. Nous avons l'école de droit, qui entame sa deuxième année d'opérations. Il s'agit d'un excellent programme.
Nous avons également le programme de formation du personnel enseignant. Voilà justement un secteur où nous déployons beaucoup d'efforts depuis bien longtemps. Nous avons obtenu d'excellents enseignants du Sud, mais pour une raison qui m'échappe, et ce depuis bien longtemps, ils semblent avoir des attentes moins élevées à l'égard des étudiants inuits. Il doit s'agir d'une manifestation de racisme qu'ils ignorent. Maintenant que nous avons réussi à former et accréditer des enseignants inuits, nous constatons que les attentes sont plus élevées.
À l'heure actuelle, à l'occasion des concerts organisés pour Noël, par exemple, on insiste beaucoup plus à présent sur la pompe et l'apparat qu'autrefois. C'est un grand avantage d'avoir nos propres enseignants. Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne sommes pas contents de profiter des services des excellents enseignants qui viennent du Sud.
En ce qui concerne les livres, j'ai vu la ministre Sheila Copps en discussion avec les maires du Nunavut l'autre jour. J'étais encouragé de l'entendre dire que nous devrions publier autant de livres inuits que possible. Plusieurs auteurs inuits ont écrit des livres pour enfants — entre autres, mon frère. Nous essayons d'encourager ce genre de choses.
De plus, nous tâchons d'élaborer un système d'écriture standard. Nous avons une langue, l'inuktitut, qui se parle au Groenland, en Alaska et au Canada. Bien sûr, il existe différents dialectes. Et le système d'écriture qu'utilisent les gens dépend de l'église qu'ils fréquentent. Nous essayons donc d'élaborer un système d'écriture standard pour que les gens qui habitent le Groenland ou l'Alaska puissent lire les mêmes livres.
Du côté des arts, certains estiment qu'il est difficile de créer un marché global, même si nous avons réussi à le faire jusqu'à un certain point à Ottawa, Winnipeg, et ailleurs. Cela nous a encouragés au point où nous essayons à présent de mettre au point un site virtuel à l'aide de l'ordinateur. Pour nous, c'est un monde tout à fait nouveau. Bon nombre de vos questions sont encourageantes, mais nous avons l'impression de commencer à peine. J'espère que nous prenons les bonnes mesures pour permettre de répondre à vos questions.
La vice-présidente: Monsieur Kusugak, c'est un monde tout à fait nouveau pour nous deux. Et quand on voit la collection d'art inuit à Winnipeg, sa beauté vous coupe le souffle.
Le sénateur Hubley: Je tiens à vous remercier de votre présence ce matin. J'étais bien contente que vous nous parliez des 20 étudiants du Nord que vous avez sélectionnés pour venir à Ottawa.
Ils ont quel niveau d'instruction au moment de venir à Ottawa? Ont-ils terminé la 12e année? Ont-ils terminé leurs études secondaires?
M. Kusugak: Oui. La plupart d'entre eux présentent une demande d'admission soit à l'Université d'Ottawa, soit à l'université Carleton. Je vais dans leurs localités pour leur parler de notre travail, et cetera. Ils nous disaient qu'ils ont dû obtenir quelques crédits dans leurs collectivités, l'un pour les mathématiques, et l'autre pour l'anglais, si je ne m'abuse. Il paraît qu'ils ont terminé leur 12e année, mais certains d'entre eux ont besoins de quelques crédits de plus pour être admis à l'université. Ils nous ont dit qu'ils retourneraient à l'école pour suivre les cours en question et qu'ils reviendraient plus tard.
Nous les encourageons également à demander l'admission à des universités à l'extérieur d'Ottawa.
Le sénateur Hubley: C'est un programme encourageant.
Quelle est votre opinion d'émissions comme North of 60, des prix d'excellence ou du fameux film que tout le monde a envie de voir intitulé Atanajurat: The Fast Runner? À votre avis, s'agit-il de réalisations positives pour les Inuits?
M. Buscemi: L'émission North of 60 raconte l'histoire des Dénés. Ce ne sont pas des Inuits.
Le sénateur Hubley: C'est le genre d'erreur qu'on commet fréquemment.
M. Kusugak: En fait, il y a plusieurs émissions. L'une, en inuktitut, s'adresse aux jeunes et est diffusée sur la chaîne APTN. L'inuktitut est une langue qui repose sur une tradition orale. Dans le passé, nous n'avions pas de système d'écriture. Tout était transmis d'une génération à l'autre de vive voix.
Par contre, les gens écoutent la radio et nombreux sont ceux qui regardent la télévision. On peut dire que dans le cas d'un film comme Atanajurat ou une émission sur APTN, les gens les regardent. Nous encourageons la lecture, bien entendu. Comme c'est le cas pour les jeunes de race blanche, même si on essaie de les encourager à lire, ils ont tendance à regarder beaucoup de télévision.
Le sénateur Hubley: Oui, en effet.
Le sénateur Sibbeston: Je suis très content de vous voir, monsieur Kusugak. Je me rappelle que dans les années 80, j'étais au gouvernement et vous travailliez pour CBC à Rankin Inlet. Nous avons tous les deux fait beaucoup de chemin depuis, n'est-ce pas?
Il y a eu de nombreux changements dans le Nord depuis cette époque. Les Inuits ont aspiré à l'autodétermination. Maintenant ils ont le territoire du Nunavut et leurs revendications territoriales sont réglées. J'ai toujours été impressionné par l'Arctique et le Nord en général. Les Inuits essaient de faire la transition d'une société traditionnelle à la vie dans les collectivités. Avec la nouvelle administration du Nunavut à Rankin Inlet et Iqaluit, je pense que beaucoup de Canadiens du Sud seraient très impressionnés de voir le degré d'évolution et de participation du peuple inuit.
J'aimerais connaître vos vues sur ce phénomène de transition chez les Inuits qui sont passés d'un mode de vie traditionnel consistant à vivre de la terre dans des igloos, à la vie dans les collectivités surtout depuis la création du Nunavut. Où en est la situation du point de vue du peuple inuit, et surtout les jeunes? J'aimerais bien savoir comment vous voyez l'avenir du peuple inuit dans le contexte des changements qui s'opèrent dans le Nord au sein de la société.
M. Kusugak: Vous me posez une excellente question. Quand nous avons commencé à travailler chez Inuit Tapiriit, l'organisme dont je suis actuellement président, c'était vers la fin des années 60 ou au début des années 70. J'avais 21 ans quand je suis arrivé ici pour la première fois. Il n'y avait pas de manuel expliquant la procédure à suivre pour négocier des revendications territoriales ou ce qu'il fallait faire pour diviser les territoires en deux. Sur le plan politique, les Inuits ont été bien obligés d'apprendre sur le tas.
En même temps, même si nous avons essayé de nous appuyer sur les connaissances traditionnelles des Inuits, nous avons dû aussi apprendre les façons de faire des qallunaat — les Blancs — et surtout leur façon de négocier, par exemple. Si nous disons que ce pot vaut 10 $ en inuktitut, les négociateurs qallunaat vont nous offrir 8 $. Mais en réalité, ce pot vaut 10 $. Donc, nous avons dû apprendre à mentir comme d'autres au Canada.
C'était tout un processus d'apprentissage. En même temps, après le règlement des revendications territoriales, nous voyions un nouveau monde s'ouvrir devant nous. Nous encourageons les gens à poursuivre leurs études et à continuer d'être des enfants pendant un certain temps. Quant à nous, nous avons dû grandir assez rapidement. Quand j'avais l'âge de M. Buscemi, je faisais un travail politique, puisque je négociais des revendications territoriales, et cetera. À présent j'ai des enfants qui ont terminé leur 12e année et se préparent à faire des études universitaires. J'encourage toujours les jeunes à rester à l'école. Tous mes amis qui ont fait leurs études à Churchill, Yellowknife ou Iqaluit encouragent aussi leurs enfants à rester à l'école. En tant que dirigeants inuits, nous déployons beaucoup d'efforts pour encourager les parents à faire en sorte que leurs enfants restent à l'école.
Il y a tellement de possibilités qui se présentent maintenant que les universités se battent entre elles pour attirer les jeunes Inuits et les gouvernements font la même chose en vue de les embaucher. D'autres établissements essaient aussi de les avoir. Il y a toute une rivalité. Donc, les possibilités sont nombreuses. Je sais pour avoir eu des contacts avec les comités jeunesse et ce genre de groupes que ces derniers peuvent effectivement les encourager à continuer de se comporter comme des jeunes pendant encore un certain temps.
L'une des erreurs que nous avons tendance à commettre est de dire aux jeunes qu'ils sont nos futurs dirigeants. Parfois quand on leur dit ça, on se rend compte que l'avenir n'arrive jamais. Il faut donc apprendre non seulement à parler de l'avenir aux jeunes mais aussi à bien comprendre le présent. Nous devons nous assurer que nos jeunes acquièrent maintenant les outils dont ils auront besoin pour bien mener leur vie future.
Je sais que nos délibérations seront diffusées sur CPAC, par exemple, et qu'il y a bien des gens qui vont voir l'émission. Par le biais de la télévision justement, nous essayons de communiquer sans arrêt le message qu'il faut élaborer maintenant les outils qui vont nous servir demain.
Il y a une autre revendication territoriale en voie de règlement au Labrador. Une fois que ce sera chose faite, il y aura toutes sortes de possibilités intéressantes pour nos jeunes. Dans une dizaine d'années, disons, il y aura de nombreux débouchés commerciaux et autres. Les grandes multinationales frapperont à notre porte pour demander à travailler en partenariat avec nous.
Le sénateur Carney: J'aimerais conclure cette discussion en se rappelant les propos très forts de M. Kusugak concernant ce qu'ils essaient de faire et l'évolution de leur monde, évolution qui sera, nous l'espérons, fort positive pour M. Buscemi.
Merci infiniment. Vous avez prouvé quelque chose qui a toujours correspondu à ma conviction profonde: le peuple inuit est un peuple autonome et autosuffisant. Vous ne demandez pas grand-chose. Vous réglez vos problèmes à votre façon. Vos réussites en tant que peuple le prouvent. Votre peuple a une influence très profonde sur notre pays.
M. Kusugak: Habitez-vous Yellowknife?
Le sénateur Carney: Oui. C'est à partir de Yellowknife que j'ai visité certaines de vos collectivités pour me faire une impression de votre peuple. Vous n'avez pas besoin de l'aide condescendante des gens d'Ottawa. Vous avez très bien réussi à les empêcher de s'immiscer dans vos affaires.
Le sénateur Gill: Vous avez maintenant un accord au Nunavut. Même chose dans le nord du Québec, au Nunavik. Au Labrador, vous allez bientôt conclure un accord. Est-ce que ça crée des problèmes pour l'organisme national, étant donné que tous ces accords sont différents?
M. Kusugak: Non. Quand j'ai travaillé au Nunavut Tunngavik, l'organisme chargé des revendications territoriales pour tout le territoire du Nunavut, j'ai fait exprès d'incorporer les objectifs de l'organisme chargé des revendications territoriales avec ceux de l'organisme national dont je suis maintenant président.
Les organismes qui sont responsables des revendications territoriales varient forcément, étant donné qu'ils négocient des choses différentes. Si vous êtes d'une région différente, votre façon de négocier est nécessairement différente. Mais en fin de compte, ce qu'il ressort de ce processus sont des traités modernes obtenus par la négociation.
Par contre, toutes sortes d'autres questions — la santé, l'éducation, les communications et les jeunes, entre autres — ne sont pas du tout visées par le processus de négociation des revendications territoriales. Et notre travail correspond justement à toutes ces questions qui ne sont pas visées par le processus de négociation des revendications territoriales.
Nous avons la possibilité de nous concentrer sur les questions qui intéressent plus particulièrement les jeunes. Bon nombre de groupes qui négocient des revendications territoriales se concentrent sur des enjeux comme les affaires, la faune, les parcs, et cetera. Mais nous sommes un organisme qui représente le peuple et par conséquent, nous nous intéressons à beaucoup plus que l'aspect revendications territoriales.
La vice-présidente: Monsieur Buscemi et monsieur Kusugak, merci infiniment de votre présence. Vos témoignages nous ont beaucoup éclairés. Nous admirons votre courage et nous sommes sensibles à tout ce que vous nous avez dit aujourd'hui.
J'espère que notre comité saura représenter votre situation de façon juste et dans le respect de votre culture du Nord et de vos racines. Nous nous efforcerons certainement d'être à la hauteur de la tâche, sachant que vous êtes confrontés à toutes sortes de nouveaux défis dans le Sud, comme ceux dont nous avons longuement parlé ce matin.
J'aurais aimé que nous disposions de plus de temps pour nos discussions. Mais je vous assure que nous ne sommes pas indifférents à ce que vous nous avez dit et qu'au contraire, nous sommes très contents d'avoir eu cette occasion de mieux vous connaître ainsi que votre jeune collègue inuit. Merci infiniment d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui.
Si vous souhaitez nous parler après, nous sommes à votre disposition.
M. Buscemi: Je tiens à vous remercier, ainsi que M. Kusugak, de l'occasion qui m'a été donnée ce matin. J'ai trouvé ça formidable.
La vice-présidente: Et vous vous êtes montré à la hauteur de la tâche. Continuez ce bon travail.
M. Kusugak: Merci infiniment de votre invitation. Notre travail auprès des jeunes commence à peine. Je suis d'ailleurs sûr que nous aurons d'autres occasions de vous fournir les statistiques qui vous intéressent. Bonne chance à vous tous.
La vice-présidente: Il est bon de savoir que nous avons vraiment bien choisi le moment de vous parler.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.