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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 2 - Témoignages du 29 mars 2001 (après-midi)


OTTAWA, le jeudi 29 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 14 heures pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous examinons aujourd'hui le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada. Nos témoins sont M. Claude Carrière, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et M. Terry Norman, du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire.

Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. Je crois savoir que vous ferez chacun une déclaration, après quoi nous vous poserons des questions.

M. Claude Carrière, directeur général, Direction générale de la politique commerciale I, négociateur en chef, Zone de libre-échange des Amériques: Honorables sénateurs, je vais d'abord esquisser le déroulement du Sommet des Amériques et le processus de négociation de la ZLEA, qui est une des composantes du Sommet, puis nous pourrons engager une discussion plus approfondie sur l'agriculture dans l'hémisphère.

Le Sommet des Amériques a été lancé à Miami en 1994, à l'instigation de l'ancien président Clinton, dans le but d'entamer un processus d'intégration de l'hémisphère, non seulement au niveau économique, mais aux niveaux politique et social. Le Sommet de Miami a été suivi du Sommet de Santiago, au Chili, en 1998 au cours duquel, entre autres choses, on s'est engagé dans les négociations de la Zone de libre-échange des Amériques.

Au Sommet de Québec, nous en serons à mi-chemin dans les négociations sur le libre-échange. Les ministres du Commerce se réuniront samedi prochain à Buenos Aires et feront rapport à leurs chefs sur les progrès accomplis depuis le début des négociations, notamment depuis les 18 derniers mois que celles-ci se déroulent sous la présidence de l'Argentine.

Le Sommet va bien au-delà des questions commerciales. Son objectif principal, comme je l'ai dit, est l'intégration à l'échelle de l'hémisphère dans le sens le plus large du terme, et sa priorité absolue est le renforcement de la démocratie dans les Amériques. La majeure partie des discussions qu'auront les dirigeants portera sur la démocratie et sur la façon de promouvoir et de renforcer ce régime au sein de l'hémisphère. Il y a 25 ans, on comptait 19 dictatures militaires dans l'hémisphère, et il n'y en a plus une seule aujourd'hui. Ce processus de changement s'est produit surtout à la fin des années 80 et au début des années 90, non seulement sur le plan politique mais économique. Ce changement se caractérise particulièrement par l'adoption d'un régime démocratique. Cela n'est pas parfait, il y a différents types de démocratie, mais les gens ont des choix.

Le Sommet doit accentuer cette tendance en raison des événements qui ont cours actuellement dans un certain nombre de pays. Vous êtes au courant de ce qui se passe au Pérou où, on espère, la situation se redressera. Cependant, les vieux démons ressurgissent toujours. L'objectif principal du Sommet est de renforcer ce passage vers la démocratie.

Pour la première fois à ce sommet, et je pense à tous les sommets, la première séance, qui portera sur la démocratie, sera télédiffusée en direct le samedi matin dans le but de faire preuve d'ouverture et de mettre l'accent sur l'objectif principal du Sommet, qui est de consolider la démocratie.

Les autres thèmes sont les suivants: créer la prospérité dans cette zone où le libre-échange des Amériques est la principale préoccupation; et mettre en valeur le potentiel humain par la réalisation de programmes sociaux qui vont des améliorations aux systèmes d'éducation et de santé à la promotion de la diversité culturelle et à d'autres avantages. Par conséquent, le Sommet portera principalement sur une vaste gamme de questions d'intérêt pour nos populations.

Pour ce qui est de la ZLEA, les ministres du Commerce ont peut-être été les plus en vue dans les nombreuses activités qui se déroulent dans l'hémisphère depuis plusieurs années. Ils étudieront les rapports de leurs négociateurs et examineront les progrès réalisés au cours des 18 derniers mois.

Il y a 18 mois, les négociateurs ont reçu leur mandat à la rencontre des ministres du Commerce tenue à Toronto et présidée par le ministre Pettigrew; on leur a demandé de commencer la rédaction d'ébauches de chapitres de la Zone de libre-échange des Amériques, portant notamment sur l'agriculture, question dont nous discuterons plus en détail tout à l'heure.

Les négociateurs informeront les ministres de leurs réalisations dans leur première tâche, qui était de produire des ébauches de chapitre. Nous demanderons d'autres directives pour l'étape suivante des négociations qui se dérouleront sous la présidence de l'Équateur à partir du 8 avril. Nous nous attendons à ce qu'on nous demande de réduire les divergences et de cerner diverses approches en vue de négocier l'accès aux marchés en agriculture, aux marchés gouvernementaux, notamment.

On examinera également un certain nombre d'autres questions qui ne touchent pas directement l'agriculture, mais qui ont des incidences majeures. La priorité du ministre Pettigrew sera de tenter de convaincre ses collègues d'accroître la transparence du processus de négociation en rendant public le texte de la ZLEA que les négociateurs auront présenté à leurs ministres, afin de démystifier notre travail.

Le ministre Pettigrew cherchera également à obtenir l'accord de ses collègues pour élargir le mandat du Comité sur la participation de la société civile, qui était une innovation de la ZLEA il y a trois ans. Ce comité a été mis en veilleuse par un certain nombre de pays qui se méfient du rôle que peut jouer la société civile à cet égard.

Nous croyons que nous devrions tous tenter d'améliorer l'information qui est communiquée à nos sociétés civiles, et d'amorcer un dialogue avec leurs représentants sur les avantages et les inconvénients des négociations commerciales et sur les ajustements qui doivent être consentis dans divers pays. Ce seront là nos grandes priorités.

Les autres enjeux qu'aborderont les ministres concernent les régimes économiques de moindre envergure, dont la majorité font partie des Antilles, ils sont au nombre de 14, ainsi que les modestes régimes économiques de l'Amérique centrale et de la communauté andine qui se demandent s'ils pourront s'adapter aux défis de la négociation d'une entente de libre-échange avec l'économie la plus puissante et la plus riche du monde, les États-Unis. Certaines petites îles des Antilles n'ont qu'un seul produit à offrir.

Ces pays sont inquiets, ils veulent être encouragés, et le Canada a souvent, tant au niveau bilatéral que lors de ces réunions, répété qu'il les aidera. C'est ce qu'il fait déjà en maintenant ce qu'on appelle les «mécanismes de négociation régionaux», en développant leur expertise en vue de ces négociations et des négociations avec l'OMC. Nous leur avons promis de les appuyer par le truchement d'institutions régionales et plus particulièrement de la Banque interaméricaine de développement. Le ministre Pettigrew a rencontré récemment le président Iglesias pour essentiellement confirmer que la Banque a l'intention d'adapter ses programmes aux besoins des régimes modestes, surtout pour les aider à relever les défis du libre-échange. Cela sera une question primordiale.

Enfin, les ministres aborderont la question du calendrier des négociations. Vous savez peut-être que le président Lagos a proposé l'année dernière que nous soyons plus précis, que nous devancions même un peu le calendrier des négociations qui doivent actuellement se terminer en 2005. Le président Lagos suggérerait de conclure les négociations un an plus tôt afin que nous puissions mettre la ZLEA en oeuvre en janvier 2005.

Cette proposition a provoqué une certaine résistance, surtout du Brésil et d'un certain nombre d'autres pays, qui voient davantage la nécessité de faire avancer la négociation en substance que de se concentrer sur le calendrier. Le Brésil estime également qu'il a dû faire considérablement d'ajustements depuis le début des années 90, lorsqu'il a commencé à ouvrir ses marchés, et ses industries s'inquiètent de ne pouvoir respecter les échéances si les négociations devaient être accélérées.

On craint également que les États-Unis soient moins ouverts à la négociation dans des secteurs qui les intéressent, plus particulièrement les mesures anti-dumping et l'agriculture. Plus récemment, le gouvernement Bush a signalé que contrairement à la position du gouvernement antérieur, il était disposé à négocier les questions d'anti-dumping et d'agriculture. Les signaux sont différents. Je crois que le président Cardoso rencontre aujourd'hui le président Bush à Washington et je suis sûr que la question sera abordée. Il est toujours possible qu'il y ait entente sur l'accélération des négociations, mais l'aspect le plus important qui peut en ressortir, c'est la volonté politique d'entreprendre ce projet et de réussir la négociation.

L'agriculture constitue l'un des neuf groupes de négociations. L'équipe canadienne est dirigée par M. Terry Norman, directeur, Division des politiques commerciales de l'hémisphère occidental au ministère de l'Agriculture. Ce groupe de négociation se réunit presque en même temps, sinon dans la foulée du groupe de négociation sur l'accès aux marchés qui examine les tarifs généraux et les mesures non tarifaires. Les positions sur l'accès aux marchés pour l'agriculture sont donc bien harmonisées avec notre position globale concernant l'accès aux marchés.

Je vais céder la parole à M. Norman qui fera brièvement le point sur les négociations en agriculture, avec votre permission.

M. Terry Norman, directeur, Division des politiques commerciales de l'hémisphère occidental, Direction des politiques de commerce international, Direction générale des services à l'industrie et aux marchés, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire: Je résumerai brièvement certaines questions actuellement discutées dans le groupe de négociation sur l'agriculture; je vous indiquerai également où nous en sommes dans la rédaction de ce qui deviendra éventuellement un chapitre sur l'agriculture encadré dans une entente visant à créer une zone de libre-échange des Amériques.

Je vais résumer le travail du groupe sur l'agriculture sous quatre rubriques: accès aux marchés, subventions à l'exportation, soutien national et mesures sanitaires et phytosanitaires. D'autres questions sont actuellement à l'étude et j'en parlerai à la fin.

Premièrement, notre point de départ sur l'accès aux marchés pour l'agriculture dans les négociations de la ZLEA est la position que nous avons défendue à l'Organisation mondiale du commerce. Tout ce que l'on décidera de faire dans la ZLEA doit être conforme à notre position de négociation multilatérale à l'OMC.

Nous espérons être en mesure de faire plus et plus rapidement pour ouvrir les marchés de la ZLEA qu'avec l'OMC, parce que nous prévoyons créer une zone de libre-échange où la plupart des tarifs, croit-on, seront ramenés à zéro au cours d'une certaine période d'échelonnement, alors qu'à l'OMC, il y aura certainement des réductions tarifaires, mais probablement pas élimination de ces mesures et peut-être sur une plus longue période. Nous pensons donner accès aux autres marchés de l'hémisphère plus rapidement que ce qui serait possible de faire dans le cadre de l'OMC.

Dans l'état actuel des négociations, nous n'avons pas vraiment discuté de tarifs spécifiques pour des produits spécifiques. Nous nous sommes plutôt penchés sur les «méthodes et modalités de négociations tarifaires», notamment sur des questions comme la base tarifaire à partir de laquelle on peut commencer à réduire les tarifs, le temps nécessaire pour que les statistiques commerciales puissent mesurer la valeur relative de certains postes tarifaires différents et leur réduction, les périodes d'échelonnement requises et les méthodes à utiliser pour déterminer les concessions. Il s'agit davantage de discussions sur les techniques de négociation sur les tarifs que de la négociation sur la réduction effective des tarifs.

Comme l'a dit M. Carrière, il existe une étroite collaboration sur toutes ces questions avec le groupe d'accès aux marchés qui examine les mêmes questions mais de façon plus générale.

L'une de nos positions fondamentales concernant l'accès aux marchés, qui est également notre position à l'OMC, est que nous permettrons toujours aux producteurs agricoles canadiens de choisir le système de commercialisation qu'ils veulent pour leurs produits, y compris les systèmes de commercialisation réguliers comme la gestion de l'offre et le système de commercialisation de la Commission canadienne du blé.

En ce qui concerne maintenant les subventions à l'exportation, les ministres du Commerce et les leaders du Sommet, lorsqu'ils ont convenu de lancer les négociations, ont également convenu que l'un des objectifs pour l'agriculture devrait être l'élimination des subventions à l'exportation pour les produits commerciaux et agricoles au sein de l'hémisphère. C'est déjà un objectif sur lequel on s'entend, et le groupe de négociation discute actuellement de la façon d'atteindre concrètement cet objectif. Nous avons déterminé l'objectif. Maintenant, nous discutons des moyens de l'atteindre.

Plusieurs membres du groupe diffèrent d'opinions sur la façon d'aborder la question de l'aide nationale. Le Canada, les États-Unis et le Mexique -- les trois pays signataires de l'ALENA -- et certains autres, sont d'avis que les questions touchant le soutien interne et les mesures disciplinaires pour réduire ce soutien constituent un problème multilatéral qui doit être réglé au sein de l'OMC et non dans une entente commerciale régionale ou bilatérale comme la ZLEA. D'autres pays pensent que ces mesures devraient être réglementées dans le cadre de la Zone de libre-échange des Amériques. Cette divergence fait l'objet de discussions au sein du groupe.

Il y a également différence d'opinions quant aux mesures sanitaires et phytosanitaires. Le Canada, les États-Unis et plusieurs autres pays pensent que l'accord actuel de l'OMC sur les mesures sanitaires et phytosanitaires offre un juste équilibre entre ce que les pays peuvent faire et les efforts qui leur sont demandés à cet article. Nous voulons qu'il y ait entente sur la mise en oeuvre complète de l'accord de l'OMC et sur certains moyens pratiques d'y parvenir.

D'autres pays qui participent aux négociations de la ZLEA veulent négocier des critères différents pour les questions sanitaires et phytosanitaires; les divergences font donc actuellement l'objet de discussions.

D'autres questions ont été soulevées dans les négociations. Certains pays veulent inclure des mesures disciplinaires sur les crédits à l'exportation, les garanties de crédit à l'exportation ainsi que la promotion et le développement des marchés à l'exportation dans le cadre de l'accord. D'autres, dont le Canada, pensent qu'il s'agit là de questions multilatérales qui devraient être réglées au sein de l'OMC.

Le Canada et les États-Unis diffèrent d'opinions sur une question particulière, les entreprises commerciales d'État, comme la Commission canadienne du blé. Les États-Unis ne manquent jamais une occasion de proposer de nouvelles mesures disciplinaires ou de dire que nous devrions abandonner les entreprises d'État comme la Commission canadienne du blé. Là encore, nous estimons que l'OMC a ses propres règles régissant l'exploitation des entreprises commerciales d'État, et que si elles ne leur conviennent pas, il faut en discuter au sein de l'OMC et non pas dans le cadre d'une entente commerciale régionale.

Mon dernier commentaire portera sur la version préliminaire que le groupe de négociation est en voie de rédiger. J'hésite même à qualifier de version préliminaire un amalgame de diverses propositions faites par différents pays. Il n'y a pas eu de tentative d'intégration de ces différentes propositions en un seul texte. Lorsque ce texte sera rendu public, je crois que les gens seront assez déçus parce qu'il y a des paragraphes et des phrases à la suite qui disent des choses très différentes sans la moindre volonté de s'entendre sur un texte commun qui pourrait constituer une entente.

Voilà l'état de la situation. Comme l'a mentionné M. Carrière, les ministres examineront cette question la semaine prochaine et décideront comment nous devrions entreprendre la prochaine phase des négociations.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Merci, messieurs.

Monsieur Norman, est-ce que nous avons fait des progrès depuis la signature de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis?

M. Norman: Si vous me demandez si nos relations commerciales avec les États-Unis se sont améliorées à la suite de la signature de l'Accord de libre-échange, je vous répondrai sans équivoque, oui. Au moment où nous avons conclu l'Accord de libre-échange, le Canada accusait un déficit commercial net avec les États-Unis en matière d'agriculture et de produits alimentaires d'une valeur de plus de 2 milliards de dollars par année. Nous affichons maintenant un excédent commercial d'environ 4 milliards de dollars en produits agricoles et agroalimentaires avec les États-Unis, c'est en expansion. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Les producteurs agricoles canadiens ont certainement bénéficié de l'Accord.

Le président: Les groupes d'agriculteurs qui comparaissent devant notre comité évoquent en général l'établissement des mêmes règles du jeu avec les États-Unis. Beaucoup sont d'avis, comme moi, que les Américains n'élimineront pas les subventions. On nous chante la même chanson depuis 15 ans.

Je vis à proximité de la frontière américaine et j'ai toujours des contacts avec les agriculteurs américains. En fait, notre canola traverse la frontière pour se rendre à Velva, au Dakota du Nord. Toutes les indications que j'ai au sujet des programmes qui sont mis en place montrent que c'est le contraire qui se produit. En fait, je crois savoir que les Américains ne subventionnent plus le blé durum, qui se trouve dans un goulot d'étranglement actuellement, mais qu'ils subventionnent maintenant le blé dur parce qu'on estime en général qu'il y aura un marché pour le blé vitreux roux du printemps. En fait, un agriculteur du Dakota du Nord m'a prévenu que je verrais du blé dans tous les champs du Dakota du Nord et du Sud. Cela m'incite à croire que les agriculteurs canadiens frôlent une situation de crise.

Quelles mesures avons-nous prises pour que les règles du jeu soient les mêmes pour nous et pour les Américains, ou est-ce là un objectif impossible à atteindre?

M. Norman: L'uniformisation des règles du jeu, c'est souvent subjectif. Tout le monde d'un côté de la frontière pense que les gens de l'autre côté ont la vie plus facile. Cette perception existera toujours, peu importe les règles du jeu.

Il ne fait aucun doute que depuis le milieu des années 90, les États-Unis ont augmenté considérablement l'aide versée aux producteurs agricoles. En même temps, le Canada a réduit considérablement son niveau de soutien aux producteurs agricoles à cause de problèmes budgétaires internes, notamment. Le niveau de soutien s'est élargi -- pour accroître aux États-Unis et diminuer au Canada -- au cours des cinq ou six dernières années. Je pense que personne ne peut le nier.

En réaction, il y a eu des annonces récentes d'augmentation de l'aide au Canada, j'espère que vous en êtes conscients. Certes, l'un de nos objectifs dans nos négociations de l'OMC sur l'agriculture est d'inciter tous les pays, mais surtout les États-Unis et l'Union européenne, qui sont de loin le pays et l'organisation qui subventionnent le plus les projets agricoles, à réduire davantage l'aide nationale et les subventions agricoles.

Nous croyons que l'OMC est l'organisme approprié pour régler ce problème à long terme, mais à court terme, nous devrons prendre d'autres mesures comme celles qui ont été annoncées dernièrement.

Le président: Vous dites que les règles du jeu, c'est une question subjective. Comme je l'ai dit, notre canola est transporté par camion à Velva, au Dakota du Nord. Les Américains obtiennent 7,50 $CAN le boisseau alors que nous obtenons un peu plus de 5 $ actuellement. Nous obtenons plus pour notre canola au Dakota du Nord qu'au Canada. Ce serait la même chose pour le blé durum si nous pouvions le vendre là-bas.

Plusieurs producteurs de blé durum du Manitoba et du sud-est de la Saskatchewan ont trouvé des repousses dans leur blé. Ils en ont présenté des échantillons aux acheteurs américains qui leur ont affirmé qu'ils leur en offriraient un bon prix, mais nous ne pouvons pas le vendre aux États-Unis.

Pour moi, le libre-échange c'est de traverser la frontière au bénéfice des producteurs. Franchement, je ne crois pas que l'on assistera au libre-échange tant que nous n'aurons pas un marché commun en Amérique du Nord semblable au marché commun de l'Europe. Si nous ne visons pas cet objectif, nous allons attendre encore longtemps.

Je vais m'arrêter là à ce sujet, parce que je suis sûr que d'autres sénateurs ont bien des questions à poser, mais je crois que notre gouvernement doit régler ce problème avant que nous puissions voir des changements majeurs, surtout dans le domaine des céréales et des oléagineux.

M. Carrière: Sénateur, j'ai passé pas mal d'années à convaincre les Américains de nous assurer un libre accès à leur marché de céréales et d'oléagineux. Nous avons effectivement un libre accès à ce marché. Il n'y a pas de barrières commerciales. Nos exportations de céréales et d'oléagineux aux États-Unis sont considérables.

La seule chose que nous n'avons pu modifier, c'est la perception qu'ont les Américains que les Canadiens sont des commerçants véreux. Ils ont des préjugés. Ils n'aiment pas la Commission canadienne du blé, tout ce qui vient du nord est mauvais.

Cependant, nous avons réussi à les empêcher d'imposer des restrictions. Nous avons réussi à éliminer un certain nombre d'irritants, comme les blocus par le gouverneur Janklow du Dakota du Sud, ainsi que d'autres mesures adoptées par divers États en 1998. Pas plus tard qu'il y a quelques mois, nous avons tenté de convaincre les membres de l'Assemblée législative du Dakota du Nord de ne pas adopter ce que j'appellerais -- je m'excuse d'utiliser cette expression -- des restrictions stupides sur le commerce interfrontalier des céréales et des oléagineux. Les cultivateurs des plaines du Nord-Ouest se plaignent encore, mais ça se limite là. Nous avons réussi à pénétrer ce marché.

Nous enregistrons un excédent commercial très important, non pas seulement au chapitre des céréales, mais des produits agroalimentaires. Nous avons créé un secteur à valeur ajoutée. Je tenais à le mentionner.

Le président: Une bonne partie de cet excédent commercial provient de l'industrie du bétail, n'est-ce pas?

M. Carrière: Je dirais que cela vient des céréales.

Le sénateur Fairbairn: Je vais adresser mes réflexions et mes questions à vous deux.

Monsieur Carrière, j'ai bien aimé vos commentaires d'ouverture sur les changements politiques qui se sont produits dans des petits pays récemment, et il ne fait aucun doute que la notion de libre-échange dans une grande région ne fait rien d'autre que renforcer ce processus.

J'espère que la poursuite de cet objectif de libre-échange ne signifie pas nécessairement la destruction possible d'industries dans notre propre pays. Je pense ici particulièrement au secteur du sucre. Je suis sûre que vous savez que dans le secteur du sucre raffiné l'anxiété est grande dans une région que je suis fière de représenter ici au Sénat, le sud-ouest de l'Alberta. Le secteur de la betterave à sucre dans les environs de la ville de Lethbridge est un secteur historique pour nous. Ce secteur a existé contre vents et marées et est toujours prospère. Les gens sont inquiets des discussions sur les accords commerciaux, surtout avec le Costa Rica, et du précédent que ces accords pourraient créer et mener à un affaissement très grave, sinon à la destruction de notre propre industrie.

Je ne m'acquitterais pas de ma tâche si je ne profitais pas de votre présence ici pour vous demander des renseignements que vous pouvez divulguer, pour vous demander de nous rassurer dans la mesure de vos moyens dans ce domaine. La betterave à sucre constitue une partie très importante de l'économie de ma région, mais c'est un problème qui menace tout le Canada. Commercialement, nous avons certainement beaucoup de difficulté avec notre voisin du sud à acheminer notre produit de l'autre côté de la frontière, si bien que ce secteur est encore plus menacé si on dresse d'autres frontières.

M. Carrière: Merci, sénateur. Je vais aborder un certain nombre de questions que vous avez soulevées.

Le sucre est un secteur plus complexe que je ne le croyais lorsque j'ai commencé à travailler sur ces dossiers. J'ai appris un certain nombre de choses. Je crois que l'usine de production est à Taber.

Le sénateur Fairbairn: C'est exact. Les fermes sont aux alentours.

M. Carrière: Taber bénéficie d'un marché naturel, de coûts de transport réduits. Cela a également l'inconvénient connexe, à savoir qu'exporter à l'extérieur de ce marché naturel devient plus difficile.

La production et la commercialisation de la betterave bénéficient toutes deux de la protection naturelle des montagnes et des coûts de transport.

Cependant, nous devrions également voir dans la ZLEA une possibilité d'éliminer certaines de ces restrictions qu'imposent les Américains au sucre. J'ai négocié une entente avec les États-Unis en 1997 qui nous donne une réserve de 10 000 tonnes métriques pour le contingent tarifaire sur le sucre raffiné en provenance du Sud de l'Alberta, de même que l'accès à la réserve, avec un total d'un an sur l'autre, d'environ 14 000 à 15 000 tonnes. Si nous pouvons utiliser la ZLEA pour éliminer le contingent tarifaire, Taber devrait alors être en mesure d'acheminer beaucoup plus de sucre vers le sud qu'avant. Nous pourrions ainsi trouver des marchés d'exportation pour ce sucre de betterave.

Les raffineries de l'Est n'ont pas de betterave et doivent importer la canne. Dans le contexte d'une zone de libre-échange des Amériques, nous pourrions importer la canne à sucre et utiliser notre compétitivité naturelle en matière de raffinage pour exporter du sucre aux États-Unis.

Il y a des possibilités de croissance. Nous pouvons également envisager la possibilité d'exporter dans certaines régions productrices de sucre à marché protégé, là où les contingents tarifaires sont de 150 p. 100. Les prix nationaux y sont considérablement plus élevés qu'au Canada, et se rapprochent passablement du prix mondial.

Nous sommes conscients des défis auxquels l'industrie fait face. Mais il y a aussi des possibilités. Nous continuerons de travailler avec eux pour tenter de réduire au minimum les inconvénients et de maximiser les avantages éventuels.

Le sénateur Fairbairn: Est-ce qu'il est prévu au Sommet des Amériques de conclure des ententes individuelles avec les pays qui participent?

M. Carrière: Vous parlez du Costa Rica?

Le sénateur Fairbairn: Oui.

M. Carrière: S'il y a entente, elle ne sera pas signée à Québec. Il n'y a aucune entente pour l'instant.

Le sénateur Fairbairn: Je vais m'arrêter ici. J'aimerais simplement vous répéter que dans un contexte plus large, dans une négociation s'étendant sur un territoire aussi vaste que celui-ci, la question que j'ai soulevée peut sembler de moindre importance, mais pas pour les raffineurs ni les producteurs, et le phénomène pourrait causer des pertes considérables aux personnes qui en subiraient les retombées négatives.

Le sénateur Stratton: J'aimerais revenir à la question du libre-échange agricole. Nous avons rencontré ce matin la Fédération canadienne de l'agriculture qui nous a informés de l'état de l'agriculture au Canada.

Nous avons discuté de l'Accord de libre-échange actuel. Trois questions ont été soulevées ce matin, notamment le fait que l'Union européenne et les États-Unis offrent considérablement plus de subventions agricoles que le Canada. Si c'est vert, c'est légal, et tout le reste.

L'autre préoccupation concernait ce qui se passe, par exemple, avec le problème de la pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard. Les États-Unis déclarent que ce problème interdit au Canada d'exporter des pommes de terre chez eux en dépit du fait qu'il est maintenant contrôlé selon tous les rapports des scientifiques des deux pays.

En vertu du libre-échange, le Canada jouit d'un droit de représailles, mais on l'a averti que toute la frontière lui serait fermée s'il adoptait cette mesure. Ce n'est peut-être que du ouï-dire, mais c'est ce qu'on nous a rapporté. Deuxièmement, l'accord sur le bois d'oeuvre expire samedi, et là encore nous devons subir l'intention des Américains de nous plier à leurs voeux, sinon niet. Et, bien sûr, ils imposent des quotas sur nos exportations de céréales à destination de leur pays.

D'une part, nous avons l'accord de libre-échange. Vous nous avez appris comment nous sommes passés d'un déficit de 2 milliards de dollars à un excédent de 3 à 4 milliards de dollars, ce qui est sans aucun doute remarquable. Cependant, nous craignons que les industries agricoles et forestières souffrent énormément de cette politique «de la porte arrière» qui consiste à contrôler les produits qui entrent aux États-Unis.

Cela dit, et comme les États-Unis sont l'éléphant et nous la souris, comment un autre pays des Amériques, dans ce contexte, peut-il entreprendre des négociations avec confiance? Arbitrairement, les États-Unis imposent des restrictions tarifaires ou d'autres mesures chaque fois que cela les arrange. Les autres pays sont pratiquement impuissants, face à cela. Cela me perturbe.

Je vous souhaite tout le succès, mais j'aimerais que vous expliquiez comment nous pouvons contourner ce problème majeur. Les membres du Sous-comité des forêts du Comité de l'agriculture se sont rendus sur la côte Ouest en octobre pour constater que les gens là-bas sont en difficulté.

M. Carrière: J'aimerais apporter une précision. Il n'y a pas de quotas ni de restrictions sur nos exportations de céréales à destination des États-Unis. Nous nous sommes entendus là-dessus pour un an en 1993.

Le sénateur Stratton: Mais la menace est toujours là.

M. Carrière: Je crois que nos producteurs de céréales savent qu'ils peuvent exporter. Ils l'ont fait avec succès. Nous nous occupons des plaintes du Dakota du Nord de ce que Washington n'a pas encore imposé les quotas. Il en est question, mais rien n'a été fait jusqu'à maintenant.

C'est difficile de faire du libre-échange avec les États-Unis et de bien gérer les relations commerciales avec eux. En général, ils ont tendance à l'introspection, et à considérer que si un autre pays agit différemment et réussit, c'est à leur détriment. Ils s'opposent à nos méthodes de gestion forestière, même si notre système est équitable et que nous voulons qu'il y ait libre-échange avec les Américains.

Nous avons effectivement la possibilité avec la ZLEA, non seulement de travailler avec les États-Unis pour améliorer notre accès respectif à d'autres pays, mais aussi de travailler avec des pays du tiers monde pour contrôler certaines mesures négatives de notre voisin du sud. Il est important pour un pays comme le Brésil, que les États-Unis acceptent de négocier des mesures anti-dumping. Les États-Unis le pratiquent à grande échelle et ont toujours refusé toute négociation à ce sujet depuis des années. En ce qui concerne cette question précise, les États-Unis faisaient face à 133 pays à Seattle il y a 18 mois. Nous pouvons nous rallier à quelques partenaires pour essayer d'améliorer les mesures disciplinaires à l'encontre de ces actions auxquelles les États-Unis ont amplement recours.

Le Brésil soulève aussi souvent la question de l'utilisation abusive des mesures sanitaires et phytosanitaires. Le Brésil souligne ses problèmes à exporter ses oranges aux États-Unis. À notre avis, il est préférable d'aborder la question des règles sanitaires et phytosanitaires à Genève et d'éviter d'élaborer des règles différentes sur des préoccupations aussi horizontales que les règles sanitaires. Et ce, parce que l'objectif fondamental consiste à déterminer si un produit ne menace pas la santé humaine, animale ou végétale. Par conséquent, ce n'est pas essentiellement une question de commerce bien que parfois, on y ait recours et on en abuse à ce titre.

La ZLEA offre des possibilités de travailler avec nos alliés, que ce soit le Mexique ou d'autres pays, pour que les États-Unis n'abusent pas des règles. Et nous continuerons d'agir ainsi.

J'espère avoir répondu à votre question, sénateur.

Le sénateur Stratton: Vous y avez répondu dans la mesure où vous estimez pouvoir négocier avec succès. Je suis relativement cynique pour la simple raison de mon expérience personnelle à ce sujet au cours des années.

Je ne veux pas comparer l'Île-du-Prince-Édouard à un pays des Antilles, mais supposons qu'elle en soit un et que tout à coup elle se retrouve avec un petit problème et ne trouve pas de solution. Son économie serait détruite. Ces pays sont certainement justifiés de s'inquiéter.

Cela m'amène à ma dernière question. À ma question du «délai», vous avez répondu que l'objectif initial était une entente prévue pour 2005. Ensuite, vous avez parlé d'une possibilité de la ramener à 2004, le Brésil n'étant pas d'accord, d'après ce que je comprends, pour en amorcer la mise en oeuvre en 2005. Croyez-vous que cela soit possible?

M. Carrière: Cela pourrait être possible si la volonté politique existait. Certains pays hésitent -- comme je l'ai mentionné, le Brésil et d'autres pays de la communauté andine et des Antilles. Par contre, les pays d'Amérique centrale sont fortement en faveur de devancer l'échéance. C'était le cas de l'Argentine et de l'Uruguay jusqu'à ce qu'ils négocient une entente avec le Brésil.

Il y a deux raisons pour lesquelles certains de ces pays veulent devancer le calendrier: ils auraient ainsi accès au marché le plus riche plus rapidement et leurs négociateurs investiraient moins de temps et d'efforts. Les mêmes considérations favoriseraient surtout leur secteur privé et d'autres parties intéressées. Il en résulterait donc une réduction des coûts et un accroissement des avantages. L'équation est évidente.

Les Antilles ont plusieurs raisons. Comme vous l'avez indiqué, ces pays dépendent parfois d'une économie à produit unique. Dans certains cas, les tarifs d'importation sont la principale source de recettes gouvernementales.

Comme je l'ai déjà dit, nous leur avons promis, tant au niveau bilatéral que par l'entremise d'institutions régionales, que nous sommes prêts à les aider. S'ils veulent avoir accès à d'autres sources de revenus, ils ont différentes options. Les Antilles peuvent choisir une date précise pour enclencher certains mécanismes, mais elles doivent décider si elles veulent moderniser leur système ou non. Que ce soit dans le contexte de la ZLEA, puis par la suite au sein de l'OMC, ou même dans le contexte de leurs relations avec l'Europe dans le cadre de leur accord préférentiel, ces pays vont devoir aborder la question tôt ou tard. Nous estimons qu'il serait préférable pour eux qu'ils le fassent plus tôt que plus tard et qu'ils planifient et adaptent ces mécanismes avec le temps. Mais la décision leur appartient. Nous ne pouvons que les assurer de notre appui quand ils prendront la décision, s'ils la prennent.

Personnellement, je pense que nous allons probablement nous entendre à la date même fixée par nos leaders il y a six ans, c'est-à-dire 2005, mais nous verrons.

M. Norman: J'aimerais répondre aux questions posées tout à l'heure au sujet des céréales et des pommes de terre. La situation des céréales fait ressortir l'avantage d'avoir un accord de libre-échange assorti de règles fermes parce que ce sont ces règles, tant au sein de l'OMC que de l'ALENA, qui ont empêché les États-Unis de restreindre les importations de céréales. En vertu du GATT, au moment où la restriction des exportations a été mise en place en 1993, les États-Unis avaient effectivement le droit de le faire vu la situation qui régnait à l'époque. C'est la raison pour laquelle nous avons accepté de limiter les exportations pour un an plutôt que de les voir nous imposer une restriction à cet égard. Toutefois, les règles du GATT ont changé cette année-là avec la création de l'OMC par suite de l'Uruguay Round, et les États-Unis ont perdu le droit d'adopter des mesures de restriction du commerce dans les circonstances. Depuis, nous avons refusé d'accepter quelque restriction des exportations que ce soit et je dois dire que c'est aussi la raison pour laquelle les États-Unis n'ont pas adopté de mesures de restriction des importations même s'ils subissent de très fortes pressions pour le faire. Il est clair, même pour les autorités américaines, qu'une telle mesure violerait les règles de l'ALENA et de l'OMC.

La situation des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard est un peu différente, en ce sens qu'il y a une différence de points de vue entre les scientifiques des deux pays quant à savoir ce que les États-Unis sont scientifiquement justifiés de faire. Nous croyons qu'il n'est pas scientifiquement justifié d'agir ainsi et que cela viole les règles sanitaires et phytosanitaires de l'ALENA et de l'OMC. Leurs scientifiques ne sont pas d'accord et prétendent qu'ils sont dans leur droit. C'est pourquoi ces accords commerciaux comportent des mécanismes de règlement des différends et le problème pourrait très bien trouver sa solution grâce à ces mécanismes. C'est l'existence de ces règles dans les accords commerciaux et les mécanismes efficaces de règlement des différends qui rétablissent un certain équilibre entre le Canada et les États-Unis, ce qui ne serait pas le cas autrement.

Le sénateur LeBreton: Vous avez énuméré quatre sujets importants à l'étude en matière d'agriculture, à savoir: l'accès aux marchés, les subventions à l'exportation, le soutien national et les mesures sanitaires. J'aimerais me concentrer sur les mesures sanitaires en ce qu'elles touchent la sécurité alimentaire et la confiance des consommateurs. Je considère les problèmes environnementaux comme étant également des questions de sécurité de la santé.

Comment abordez-vous ce genre de question dans des pays aussi diversifiés que ceux qui feront partie de la zone de libre-échange des Amériques? La question englobe le genre d'engrais qu'ils utilisent et la façon dont ils transforment et manutentionnent les aliments. Y a-t-il des pays qui utilisent encore des pesticides que nous n'utilisons pas? De quelle manière traitez-vous tel problème fondamental avec un groupe si diversifié de pays?

M. Norman: D'abord, en recourant aux ententes en cours au sein de l'OMC et à des dispositions semblables de l'ALENA portant sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. Ces dispositions visent à atteindre un équilibre entre le droit légitime des pays de protéger la santé humaine, animale et végétale contre des parasites et des maladies importés, et l'obligation de ne pas invoquer de telles mesures comme des barrières commerciales déguisées. La méthode de base consiste à concevoir des mesures disciplinaires qui doivent être appuyées scientifiquement. Premièrement, on doit disposer d'une base scientifique pour déterminer qu'il y a un risque. Ensuite, il faut concevoir une mesure de contrôle équivalente au degré de risque, justifiée sur le plan scientifique et susceptible d'évaluer la virulence d'une maladie ou d'un parasite et d'en empêcher l'importation dans un pays qui n'en a pas. C'est l'approche fondamentale.

Cela ne répond pas tout à fait à la deuxième partie de votre question au sujet des niveaux de résidus de pesticides et ce genre de choses. Dans ce cas, l'approche consiste à tenter d'harmoniser davantage les normes internationales afin que les exigences soient les mêmes dans les différents pays. Les échanges commerciaux entre des pays qui ont les mêmes exigences ne posent pas de problèmes. Il s'agit là d'un objectif à long terme et très difficile à atteindre. Nous essayons d'harmoniser certaines normes avec les États-Unis depuis plusieurs années et nous avons accompli des progrès notables. Le processus est long et lent, très technique et compliqué sur le plan scientifique, mais il est engagé dans la bonne direction.

Le sénateur LeBreton: On trouve actuellement dans nos supermarchés des fraises du Mexique. Lorsque les produits traversent de nombreuses frontières, qui est responsable du contrôle de la qualité? Est-ce le gouvernement, le producteur ou l'agence de distribution des produits alimentaires? Y a-t-il des contrôles intégrés, ou la question est-elle compliquée au point qu'elle ne se pose pas dans ce genre de négociation commerciale?

M. Carrière: Tous les intermédiaires que vous avez nommés ont une responsabilité. Nous veillons, dans les négociations commerciales, à ne pas empêcher les agences sanitaires de faire leur travail, comme M. Norman l'a mentionné.

Les normes établies qui s'appliquent aux fraises en ce qui concerne les résidus et des choses semblables sont établies par Santé Canada et appliquées par l'Agence canadienne d'inspection des aliments, soit au point de vente au Canada, soit à la frontière. Dans bien des cas, lorsque le produit transite par les États-Unis, il y a entente stipulant que les inspecteurs du département de l'Agriculture des États-Unis font l'inspection à leur frontière, selon les normes canadiennes, avant que le produit ne traverse, et il y a vérification au point de destination au Canada.

Essentiellement, le producteur dans le pays d'exportation a la responsabilité de veiller à ce que le produit satisfasse aux normes du pays vers lequel le produit est exporté. Les producteurs canadiens qui exportent aux États-Unis doivent respecter les normes américaines. Sinon, ils risquent de voir leurs produits détruits, ce qui arrive de temps en temps.

Nous devons savoir que les normes sanitaires au Canada, aux États-Unis et en Europe sont de plus en plus strictes et de plus en plus spécifiques. Nous devons également nous assurer que nombre des pays producteurs ont instauré des systèmes qui leur permettent de respecter nos normes et nos exigences en matière de contrôle de la qualité.

Dans le contexte de la ZLEA, nous avons créé un groupe ou un réseau de spécialistes sanitaires et phytosanitaires qui échangent des opinions sur les normes, les processus et les mesures de contrôle de la qualité et qui offrent une aide technique nécessaire à de nombreux pays en développement pour améliorer leurs normes de production, contrôler les méthodes d'entreposage, etc. Non seulement ces pays bénéficient d'un accroissement des échanges commerciaux, mais nous sommes mieux assurés que nos importations satisfont à nos exigences.

Nous essayons d'y parvenir hors du cadre formel de la négociation, cherchant plutôt à diffuser les connaissances et à établir des réseaux entre les spécialistes du domaine sanitaire et phytosanitaire.

Certains pays y résistent. Je ne sais pas pourquoi. J'espère que ce réseau sera créé au cours de l'an prochain et contribuera à améliorer les normes sanitaires dans tout l'hémisphère.

Le sénateur LeBreton: Je crois que cela est important à la fois pour la santé générale de l'économie et pour la confiance des consommateurs.

J'aimerais vous poser une dernière question, monsieur Carrière. Pour ma satisfaction personnelle, au moment où vous vous préparez pour le Sommet de Québec, est-ce que l'interdiction du boeuf en provenance du Brésil est réglée? Est-ce que cette situation a causé des difficultés dans vos préparatifs en vue des réunions de Québec?

M. Carrière: Le problème du boeuf est réglé. Nous avons levé la mesure d'importation.

Le sénateur LeBreton: Je le savais. Je me demandais s'il y avait des problèmes à long terme.

M. Carrière: La réaction a été très émotive au Brésil et il va falloir compter un certain temps avant que les choses ne reviennent à la normale.

Au début, les Brésiliens avaient déclaré qu'ils ne viendraient pas à Québec ou qu'ils n'assisteraient pas aux réunions de la ZLEA. Ces déclarations ont été démenties très rapidement parce que les réunions des ministres du Commerce à Québec et à Buenos Aires ne sont pas des réunions bilatérales mais multilatérales. Ce sont des réunions où les dirigeants et les ministres prendront des décisions. Le Brésil perdrait son influence décisionnelle s'il en était absent. Contrairement à la réaction initiale des Brésiliens, la dernière chose qu'ils feront sera de refuser de participer.

L'une des principales priorités de notre gouvernement sera de continuer de travailler avec le Brésil pour améliorer la compréhension mutuelle et pour élargir le dialogue que nous avons toujours eu dans le passé. Le Brésil est non seulement un pays important des Amériques, mais un des leaders des pays en développement au niveau mondial. Nous voulons mieux le comprendre et nous voulons qu'il nous comprenne mieux afin que si des problèmes concernant le boeuf ou d'autres questions devaient se poser, on réussira à les limiter, on les examinera à leur face même et on s'assurera qu'ils ne contaminent pas l'ensemble de nos relations mutuelles.

Le président: À ce sujet, un représentant de la Commission canadienne du blé m'a confié, lors d'une réunion de la SARM en Saskatchewan il y a une semaine, que la Commission avait négocié avec le Brésil sur le blé durum parce que le Brésil utilise beaucoup ce blé pour faire des pâtes, et que la Commission estimait avoir peut-être perdu la vente à cause de la controverse sur le boeuf.

[Français]

Le sénateur Gill: Vous avez mentionné au début de votre exposé des sujets susceptibles d'être discutés au Sommet des Amériques, entre autres, des questions sociales et culturelles. Ma question concerne les Autochtones. Vous savez que la carte politique dans les Amériques a bien changé depuis quelques certaines d'années. Il reste que du côté autochtone, des nations ont été divisées par les frontières. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais la question devra être traitée un jour ou l'autre si ce n'est pas au Sommet des Amériques à Québec, ce sera ailleurs.

Il y a quelques années, il y avait une trentaine de millions d'autochtones sur le continent. Les statistiques n'étaient probablement pas justes, j'imagine qu'il y a des Authoctones qui n'ont pas été inventoriés au Brésil, en Amazone et ailleurs.Connaissant cette situation, cette question est-elle abordée et, si oui, depuis combien de temps au Sommet des Amériques?

M. Carrière: Les aspects sociaux de l'inclusion des Autochtones dans nos sociétés, dans la thématique «réalisation du potentiel humain», sont à l'ordre du jour. Il y aura un sommet autochtone et des représentants rencontreront soit des chefs d'États ou de gouvernements ou des ministres des Affaires étrangères.

L'un des objectifs du Canada est d'assurer une meilleure place et d'assurer l'inclusion des peuples autochtones dans une société sur les plans économique, politique, social et culturel. C'est à l'ordre du jour du processus du Sommet et cela le restera.

[Traduction]

Le sénateur Tunney: C'est intéressant. Nous n'avons pas suffisamment de temps pour en discuter, sinon nous serions ici jusqu'à demain.

Je suis un agriculteur, je l'ai toujours été jusqu'à il y a trois semaines lorsque j'ai été nommé à mon poste actuel à court terme. Je suis un producteur laitier. Je pourrais peut-être vous dire -- et peu de personnes semblent le savoir -- que pendant des années et des années, le Mexique était notre meilleur acheteur de lait écrémé et de poudre de lait entier. Nous n'avons jamais eu de difficulté avec le Mexique, soit pour le crédit, soit pour la manutention du produit à destination. Une bonne partie de ce lait était utilisée dans les aliments pour bébés. Nous avions une usine à Belleville, en Ontario, qui fabriquait le lait pour bébés et d'autres produits avec notre poudre de lait écrémé.

Vous avez dit que les scientifiques ne sont pas toujours d'accord et que vous ne savez pas exactement pourquoi. Je pourrais vous donner une réponse: peut-être que la politique interfère.

La question sanitaire soulevée par le sénateur LeBreton me gêne. Les deux grands problèmes actuellement pour les agriculteurs en Amérique du Nord, et certainement au Canada, sont la maladie de la vache folle et la fièvre aphteuse. Il est intéressant de voir que la source première de ces problèmes a été découverte, comme je l'ai lu et entendu lors d'un bulletin de nouvelles récemment, au moins en ce qui concerne la deuxième maladie.

Pour ce qui est de la première, il ne fait aucun doute que c'est l'utilisation des carcasses de bétail des abattoirs, qui sont moulues, séchées et traitées avec des céréales par les grandes compagnies de farine afin d'élever le niveau de protéines à un coût minime.

On a découvert que c'est l'utilisation de déchets de restaurants qui a provoqué la fièvre aphteuse. En général, je pense que l'on mérite ce que l'on a si on permet ce genre de pratique. Ce n'est pas la transformation des carcasses de bétail, des os, des têtes, même des organes internes qui doit servir à la préparation de l'alimentation du bétail. Je me souviens qu'il y a quelques années un éleveur de porcs faisait le tour de ma ville, Cobourg, pour cueillir des barils de déchets auprès des hôtels, des hôpitaux et d'autres endroits de ce genre. Il les amenait chez lui, les faisait bouillir et les donnait à ses cochons.

Le sénateur LeBreton: On appelait ça de la «soupe». J'ai été élevée dans une ferme moi aussi.

Le sénateur Tunney: C'est exactement comme ça que ça s'appelait.

Cela devrait être une des grandes priorités dans les négociations commerciales, sinon les agriculteurs, les producteur de viande ou de produits animaux perdront leurs marchés parce que les consommateurs vont se tourner vers les légumes, les plantes, les fruits, etc. Il n'y aura plus de marché pour les produits de la viande si nous continuons d'agir ainsi. On retrouve maintenant du lait de soja et d'autres produits du soja sur le marché, qui remplaceront nos produits si nous continuons ce genre de pratiques déplorables.

Les honorables sénateurs savent peut-être que le Brésil est en voie de devenir le plus grand producteur de soja au monde. Il y a deux ans, j'ai vu 35 nouveaux combinés New Holland dans un seul champ du Brésil qui broyaient des fèves de soja; une machine derrière l'autre aussi loin qu'on pouvait voir. Le Brésil a la capacité de devenir le plus grand producteur de soja au monde, et il le deviendra. Les Américains perdent actuellement des marchés en Europe au profit du Brésil, qui commence à peine à explorer ce marché.

M. Norman: J'aimerais faire un bref commentaire sur plusieurs questions qu'a soulevées l'honorable sénateur. J'ai souligné la nécessité d'un bon équilibre entre le droit des autorités sanitaires d'adopter des mesures restrictives lorsqu'il y a une menace réelle, et leur obligation de le faire de façon à ne pas lever une barrière commerciale déguisée et inutile.

Le sénateur Tunney: Bien sûr, la production laitière me touche particulièrement, et je ne parle pas seulement de lait écrémé ou en poudre, mais de fromage et de tous les autres produits laitiers. Je ne sais pas ce que vous faites de ce sujet. Nous nous intéressons à tous ces produits.

M. Norman: Les détails techniques des questions que vous soulevez ne sont pas de la compétence ou de la responsabilité des ministères que nous représentons. Ce sont Santé Canada et l'Agence canadienne d'inspection des aliments qui doivent aborder ces problèmes. Je sais que l'Agence d'inspection des aliments et Santé Canada ont modifié certains règlements ces dernières années pour prévenir les risques de la maladie de la vache folle, de l'alimentation animale, et ainsi de suite.

Le président: En ce qui concerne l'équilibre des règles du jeu avec les États-Unis en particulier, de même que dans le monde, la faiblesse de notre dollar est un avantage certain lorsqu'on vend un boisseau de canola, ou un boisseau de blé, mais la valeur du dollar nous défavorise lourdement lorsqu'on vient pour acheter de la machinerie. Par exemple, on paie le prix américain lorsqu'on importe un produit John Deere. Cela fait augmenter les coûts considérablement.

Je ne sais pas si le ministère est au courant de la situation du prix des terres. Nous ne pouvons pas négliger des questions comme celles-là dans nos discussions. Je vais vous donner un exemple.

Un quart de section se vend 100 000 $US à Crosby, au Dakota du Nord. Une ferme immédiatement de l'autre côté de la frontière a vendu cinq quarts de section il y a à peine trois semaines pour 55 000 $CAN, ce qui équivaut à peu près à 30 000 $US. Au même moment, le gouvernement de la Saskatchewan songe à éliminer certaines restrictions à la propriété étrangère, et je suis d'accord dans une certaine mesure. Il fut un temps où je ne l'aurais pas été.

Ce que je veux dire, c'est que ces questions sont importantes pour la pérennité de l'agriculture et devraient revêtir une grande importance pour tous les Canadiens. On parle ici de la Saskatchewan. C'est différent en Alberta parce qu'on a maintenu le prix élevé des terres, et je crois que l'Ontario est dans la même situation. On a de bonnes terres en Saskatchewan et au Manitoba. Si les Américains convoitent le nord, ils pourraient venir acheter nos terres pour 25 000 $US le quart de section, et c'est ce qui va se produire.

Est-ce que le ministère est au courant des répercussions sur les individus? Comment suivez-vous l'impact de la faiblesse du dollar canadien, et de situations qui touchent tous les Canadiens et non pas seulement les agriculteurs?

M. Norman: Premièrement, le problème du taux de change est une arme à deux tranchants, comme vous l'avez expliqué. Un producteur de céréales américain frontalier m'a avoué qu'il avait acheté deux tracteurs John Deere neufs au Canada et économisé 10 000 $ sur chacun.

En ce qui concerne la valeur des terres, vous avez mis le doigt sur l'un des inconvénients des grandes subventions. Les terres aux États-Unis sont à ce point coûteuses parce que les producteurs obtiennent d'importantes subventions et peuvent se permettre de payer des prix élevés. Ces subventions sont capitalisées dans les intrants, surtout la terre, ce qui est l'une des principales raisons qui expliquent la différence dans le prix.

Je ne crois pas que les producteurs américains achètent de larges portions de la Saskatchewan s'ils sont restreints aux subventions canadiennes pour leur production locale.

Le président: Je ne suis pas certain, parce que la même terre dans la région de Torquay se vendait pour 100 000 $CAN le quart de section il y a à peine quatre ans. C'est dire à quel point la valeur s'est dépréciée à cause de l'état déplorable de l'économie agricole actuelle.

M. Norman: Cette terre valait plus cher alors parce que le prix des céréales était beaucoup plus élevé. La valeur des terres canadiennes a fluctué plus ou moins en rapport avec le prix des céréales. Les prix américains sont élevés parce que les importantes subventions élèvent artificiellement les revenus des producteurs.

Le président: En fait, la Fédération canadienne de l'agriculture nous a révélé aujourd'hui que les propriétaires peuvent vendre leurs fermes de deux façons. Ils peuvent les vendre moins cher tout en demeurant agriculteurs même s'ils ne cultivent pas eux-mêmes, et continuer à tirer un certain revenu des subventions.

M. Carrière: Puis-je répondre à un commentaire que vous avez fait, sénateur, sur la façon dont nous sommes sensibilisés à ce qui se passe sur le terrain?

Je vous ai dit que j'avais participé aux négociations sur le blocus du Dakota du Sud il y a quelques années, ce qui nous a amenés à négocier avec les États-Unis pendant plusieurs mois en 1998. Nous nous sommes entendus sur ce que nous appelons un «dossier de compréhension». Essentiellement, nous avons convenu de mesures communes pour améliorer l'accès aux marchés dans les deux sens. À l'époque, notre objectif prioritaire était de créer une institution coprésidée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et Agriculture Canada au Canada, et par le département de l'Agriculture et le représentant du Commerce aux États-Unis, pour aborder les problèmes d'ordre commercial canado-américains en matière d'agriculture. Tout ce qu'on a réussi à obtenir de mieux des Américains, c'est un comité consultatif formé de provinces et d'États où les gouvernements provinciaux, les ministères de l'Agriculture et dans certains cas, les gouverneurs et les premiers ministres se réuniraient régulièrement pour discuter de problèmes locaux et régionaux, et mettre en place des réseaux favorisant une compréhension mutuelle. L'objectif ne se limitait pas à régler des problèmes, on voulait examiner certaines possibilités communes. Ce comité informerait également Ottawa et Washington des problèmes existants et des moyens à prendre pour résoudre les questions essentielles au niveau local.

C'était là notre principale priorité dans ces négociations. Nous avons réussi à convaincre les Américains de le faire. J'étais très heureux d'apprendre il y a un mois que le nouveau gouvernement américain voulait poursuivre ce processus. C'est l'un des mécanismes nous permettant de nous assurer que nos interventions répondent aux besoins à l'échelle locale.

Le président: Je tiens à vous remercier au nom des sénateurs d'être venus comparaître devant nous aujourd'hui, surtout à si brève échéance. Les moments que nous vivons aujourd'hui sont particulièrement opportuns par rapport aux négociations qui se tiendront durant la semaine.

La séance est levée.


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