Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 2 avril 2001
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 19 h 12 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, puisque nous avons quorum, je déclare ouverte la séance du Comité de l'agriculture et des forêts. Nous sommes heureux d'accueillir l'honorable Ralph Goodale, ministre responsable de la Commission canadienne du blé et ministre des Ressources naturelles.
Nous allons examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long terme pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada. C'est un vaste sujet, mais le ministre est responsable de la Commission canadienne du blé. Les représentants de la Commission seront ici demain, mais s'il y a des questions à ce sujet, je suis sûr que le ministre y répondra volontiers. Il fera une brève déclaration liminaire et ensuite, nous passerons aux questions.
L'honorable Ralph E. Goodale, ministre responsable de la Commission canadienne du blé et ministre des Ressources naturelles: Honorables sénateurs, merci. Je suis heureux de comparaître de nouveau devant un comité qui s'intéresse énormément à l'état de l'agriculture et des ressources naturelles du Canada.
J'apprécie l'occasion qui m'est donnée de commenter certains dossiers actuels du gouvernement, particulièrement ceux qui ont trait à mes responsabilités à l'égard de la Commission canadienne du blé.
Comme vous le savez, le gouvernement a adopté en 1998 une nouvelle loi qui avait pour but de moderniser et de démocratiser la structure de gouvernance de la Commission canadienne du blé et de la doter de nouveaux outils pour la rendre plus souple dans ses opérations. Un changement crucial, en fait le changement le plus important survenu à la Commission canadienne du blé depuis 60 ans, a été d'abandonner le système centralisé en vertu duquel trois à cinq commissionnaires nommés exclusivement par le gouvernement du Canada détenaient le pouvoir, pour passer à un conseil de direction moderne comptant 15 membres dont les deux tiers -- la majorité -- sont élus par les agriculteurs.
À la fin de 1998, plus de 65 000 agriculteurs de l'Ouest canadien ont participé à un scrutin postal pour élire les dix premiers administrateurs chargés de façonner l'orientation future de la Commission canadienne du blé. Cinq autres membres du milieu des affaires, et non du gouvernement, ont été nommés pour compléter ce nouveau conseil d'administration.
Dans l'ensemble, le premier scrutin tenu en 1998 s'est plutôt bien passé, puisqu'il n'y a eu que quelques accrocs logistiques auxquels on a promptement remédié. En décembre 2000, comme prévu, un deuxième scrutin a eu lieu dans la moitié des districts électoraux de la Commission. Celui-ci s'est déroulé encore plus harmonieusement que le premier, deux ans auparavant. Dans les deux cas, le processus a été administré par un coordonnateur électoral indépendant, dans le contexte d'une surveillance assurée par un grand nombre de producteurs indépendants.
Un autre objectif primordial des amendements de 1998, outre démocratiser davantage la Commission par le truchement d'un conseil d'administration dont la majorité des membres est élue, était de rendre cette entité plus transparente et plus responsable envers les agriculteurs qu'elle dessert. La nouvelle loi a réussi à concrétiser ce second objectif. Les membres du conseil ne sont pas simplement des conseillers; ce sont de véritables administrateurs dotés de responsabilités et de pouvoirs concrets.
Tous les administrateurs ont pleinement accès à l'ensemble des faits et des chiffres concernant les opérations de la Commission. Ils sont en mesure d'examiner les stratégies de marketing, le cours du blé, la bonification réalisée, l'ensemble des coûts d'exploitation et le rendement lié à ses activités.
En outre, la Commission canadienne du blé fait l'objet d'une vérification intégrale annuelle menée par la firme réputée bien connue Deloitte & Touche. Ce rapport de vérification n'est pas secret; il est intégré au rapport annuel de la Commission canadienne du blé et tout à fait accessible aux parlementaires et à la population.
En outre, les administrateurs collaborent présentement avec le vérificateur général du Canada à un examen spécial unique des affaires financières de la Commission. Si j'évoque ces exercices de vérification et de responsabilisation, monsieur le président, c'est afin de réfuter la notion voulant que les activités de la Commission canadienne du blé se déroulent dans le plus grand secret. Ce n'est pas le cas. En fait, cette entité est plus ouverte, plus responsable et plus sujette à examen que n'importe laquelle de ses homologues du secteur privé.
Le troisième objectif de la loi de 1998 était d'accorder une plus grande souplesse de fonctionnement à la Commission canadienne du blé, notamment dans sa façon de rémunérer les agriculteurs. Tirant parti de ces nouveaux outils, la Commission a annoncé récemment des améliorations à son programme Options de paiement des producteurs pour la campagne agricole 2001-2002. Celui-ci offre une multitude de nouvelles options en matière de prix pour aider les agriculteurs à répondre aux besoins particuliers de leur entreprise.
Je n'entrerai pas dans le détail, honorables sénateurs, car je sais que vous entendrez demain certains membres du conseil d'administration. Je suis sûr qu'ils sauront mieux que moi vous expliquer dans le détail ce programme de nouvelles options, son fonctionnement et la façon dont la Commission canadienne du blé entend tirer parti de cette nouvelle souplesse.
Permettez-moi de parler maintenant du système de transport et de manutention du grain de l'Ouest. En fait, je crois que c'est le sujet que nous avons abordé la dernière fois que j'ai comparu devant votre comité, en juin dernier, lorsque la mesure était à l'étude.
Bien que je ne sois pas entièrement satisfait des progrès réalisés jusqu'à maintenant dans l'adoption d'un système plus commercial et compétitif fondé sur des contrats plutôt que des règlements, je suis heureux de vous dire que les changements apportés l'année dernière ont eu une influence positive. Il y a eu des progrès, mais pas encore assez. En effet, nous souhaitons que les amendements apportés à la Loi sur les transports au Canada, associés à la nouvelle façon de fonctionner de la Commission canadienne du blé en vertu du nouveau système, créent un cadre d'exploitation moins complexe sur le plan administratif et moins coûteux pour l'agriculteur tout en étant plus responsable, transparent, efficient, concurrentiel et commercial.
Les principaux partenaires commerciaux -- les compagnies céréalières, les sociétés ferroviaires et la Commission canadienne du blé -- sont toujours en négociation pour cerner leurs rôles respectifs et leurs interrelations juridiques. Et il devrait en être ainsi. Leurs rôles et leurs responsabilités les uns vis-à-vis des autres ne sont pas définis et imposés par le gouvernement. Ils sont concrétisés dans des contrats commerciaux négociés par les parties elles-mêmes. Par conséquent, le gouvernement ne s'est pas imposé dans le processus de négociation.
Depuis Noël en particulier, on rapporte constamment des progrès satisfaisants dans la résolution de problèmes difficiles: abandonner 60 ans de contrôle réglementaire, se familiariser avec le nouvel environnement et atteindre une vitesse de croisière en tant que partenaires commerciaux matures et respectueux les uns des autres. Je les invite tous à poursuivre leurs efforts pour finaliser leurs arrangements contractuels et ainsi franchir la ligne d'arrivée.
Tous ces changements devraient déboucher sur des économies importantes. Tout d'abord, aux termes de la nouvelle mesure, comme vous le savez, les sociétés ferroviaires sont tenues cette année de réduire les revenus qu'elles tirent du transport du grain réglementé de 18 p. 100 en moyenne par rapport à ce qui aurait été le cas en l'absence du nouveau plafond de revenu. D'autres économies à l'échelle de tout le système, lequel est plus commercial, concurrentiel et contractuel, devraient s'ajouter à celles réalisées grâce au plafond.
En outre, parce qu'il reconnaît les changements survenus dans le domaine du transport et de la manutention des céréales ainsi que leur incidence sur les routes rurales, le gouvernement du Canada injectera 175 millions de dollars en nouveaux crédits dans les provinces de l'Ouest au cours des cinq prochaines années pour financer d'importants travaux d'infrastructure routière.
Monsieur le président, la Commission canadienne du blé vend le blé et l'orge de l'Ouest canadien dans plus de 70 pays. Venant au quatrième rang des organismes d'exportation pour la valeur en dollars de ses ventes à l'étranger, elle affiche des recettes de ventes brutes d'environ 4,5 milliards de dollars pour 1999-2000. La Commission est la principale génératrice de devises étrangères et la plus grande entreprise d'exportation de blé et d'orge dans le monde.
L'excellente réputation qu'elle s'est taillée auprès de ses clients pour la qualité, la fiabilité, l'exécution contractuelle, la propreté et la convivialité de son service fait l'envie de ses concurrents. C'est sans doute la raison pour laquelle les États-Unis et l'Union européenne souhaitent instaurer une nouvelle discipline commerciale internationale régissant le fonctionnement des organismes commerciaux d'État, connus sous le sigle OCE.
Les États-Unis avancent qu'étant donné qu'un OCE est différent d'un céréaliculteur américain typique, il lui faut nécessairement appliquer des pratiques commerciales déloyales. Ils font valoir que ses activités sont difficiles à surveiller. Entre autres choses, l'Union européenne a exigé l'abolition de la mise en commun des prix, qui est évidemment la pierre angulaire de la Commission canadienne du blé. La position du Canada est très simple. D'après les règles de l'Organisation mondiale du commerce, notre droit de créer et de maintenir des organismes commerciaux d'État est clair. L'existence d'un OCE n'implique pas automatiquement qu'il y a distorsion des échanges.
Comme je l'ai déjà dit à maintes reprises, le Canada est disposé à s'engager dans un dialogue factuel concernant tout problème commercial concret associé à la Commission canadienne du blé. Cependant, nous ne sommes pas prêts à participer à un débat théorique au sujet de différentes conceptions de la commercialisation.
Je répète constamment aux Américains depuis 1993 que s'il existe un problème, ils n'ont qu'à me communiquer les faits bruts, et non pas la dernière rumeur issue du café du coin à Minot, dans le Dakota du Nord. Après plus de sept ans, monsieur le président, j'attends toujours une réponse.
Toute décision concernant la commercialisation de notre blé ou de tout autre produit de base, a été et continuera d'être prise au Canada.
Comme vous le savez sans doute, monsieur le président, un autre différend commercial entre le Canada et les États-Unis touchant le grain se profile à l'horizon. L'automne dernier, la North Dakota Wheat Commission a déposé une demande d'enquête aux termes de l'article 301(b) de la U.S. Trade Act. Cette demande d'enquête concernait les politiques et les pratiques du commerce du blé au Canada, y compris celles de la Commission canadienne du blé. Cette initiative reflète le mécontentement de longue date des agriculteurs du Dakota du Nord à l'égard des importations de blé du Canada.
Je tiens à signaler que ces importations correspondent à une demande réelle et légitime de minotiers et de conditionneurs américains qui recherchent un produit canadien de haute qualité étant donné que périodiquement, les agriculteurs américains ne peuvent leur fournir un produit comparable. Les ventes de blé canadien font partie des échanges normaux entre nos deux pays. Il n'y a rien d'extraordinaire là-dedans: ni subvention, ni distorsion des échanges.
Par conséquent, cette plainte des États-Unis est tout à fait injustifiée tout comme l'étaient d'ailleurs les huit -- je répète -- huit plaintes précédentes. Depuis 1990, les pratiques de la Commission canadienne du blé ont été scrutées à la loupe par pratiquement toutes les agences américaines imaginables. Il a été confirmé à huit reprises que la Commission canadienne du blé respecte entièrement les règles du commerce international. Cela a été confirmé par la Commission américaine du commerce international en 1990 et en 1994, par le U.S. General Accounting Office en 1992, en 1996 et en 1998, par un groupe spécial binational; par une firme internationale de vérification indépendante, Arthur Andersen Inc., aux termes de l'Accord commercial canado-américain en 1993; et plus récemment, par le U.S. Department of Commerce en 1999.
Si l'on fait le total, monsieur le président, à l'issue de ces huit enquêtes, la marque est de huit à zéro en faveur du Canada. Maintenant, les États-Unis exercent des pressions pour qu'une neuvième enquête ait lieu.
L'administration américaine vient de changer, et nous ne savons pas encore vraiment quelle attitude elle adoptera face à cette nouvelle demande d'enquête aux termes de l'article 301. Cependant, voici ce que je sais: vendredi dernier, le représentant commercial américain a écrit à la Commission américaine du commerce international pour demander la tenue d'une enquête concernant les pratiques commerciales de la Commission canadienne du blé. Le représentant commercial américain a apparemment demandé que le comité d'enquête entende des acheteurs américains de blé canadien et des acheteurs présents sur les marchés d'un pays tiers, de même que des concurrents américains de la Commission. Le représentant commercial a aussi réclamé que l'enquête soit complétée et qu'un rapport soit rédigé d'ici la fin de septembre de cette année. Voilà apparemment où en sont les choses en ce moment, monsieur le président.
Quoi qu'il en soit, notre message aux États-Unis demeure conséquent et sans équivoque. Premièrement, le Canada n'envisagera aucune restriction commerciale au titre de ses exportations de blé vers le marché américain car il n'est absolument pas en faute. Deuxièmement, pour ce qui est de toute mesure que pourraient envisager de prendre à l'avenir les États-Unis à la suite de cette plainte aux termes de l'article 301, nous exigerons des Américains qu'ils respectent intégralement leurs engagements envers l'OMC et l'ALENA. Si les Américains prennent à notre égard des initiatives que nous jugeons illégitimes ou répréhensibles, nous réagirons pour défendre les agriculteurs canadiens.
Monsieur le président, il y a d'autres observations que je souhaite ardemment communiquer au comité au sujet des grands défis que doit relever l'agriculture canadienne. Je songe par exemple à l'objectif perpétuel d'accroître la diversification et la valeur ajoutée dans le secteur agricole. Le sénateur Gustafson et moi-même savons pertinemment que c'est un défi particulièrement corsé dans notre province natale de la Saskatchewan.
J'ai mené à ce sujet une réflexion que je partagerais volontiers avec les membres du comité, peut-être en réponse à des questions ce soir. Cependant, compte tenu de l'heure, je suis maintenant prêt à accueillir les questions. Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le comité.
Le sénateur Stratton: Je m'intéresse à la plainte déposée par les agriculteurs du Dakota du Nord. Comment faire pour empêcher que ce genre de choses se produise à l'avenir? Devrons-nous nous défendre continuellement -- comme nous le ferons à la suite de cette neuvième enquête des Américains? On croirait qu'ils se fatigueraient, mais cela ne semble pas les déranger d'être les perdants dans un «bon match de hockey», comme si c'était un jeu. On peut donc supposer qu'ils persisteront. Y a-t-il une autre avenue, autre que le recours à l'ALE, pour résoudre ce problème? C'est un exercice coûteux et fastidieux.
M. Goodale: Sénateur Stratton, en plus d'être coûteux et fastidieux, comme vous l'avez dit, c'est aussi exaspérant. Nous avons remporté notre cause, non seulement une fois ou deux, mais huit fois. Les enquêtes ont été sérieuses et exhaustives. Chaque fois, le Canada en est sorti vainqueur.
Nous avons pris des mesures dans le cadre de nos rapports bilatéraux avec les États-Unis pour essayer d'atténuer de tels sujets de discorde. Nous avons établi un processus de consultation régulière, non seulement au niveau ministériel, mais aussi au niveau des fonctionnaires. Par conséquent, nos rapports sont sans surprise; les faits et les chiffres sont partagés des deux côtés de la frontière.
Il y a deux ans environ, nous avons mis sur pied un programme de travail entre Agriculture et Agroalimentaire Canada et le ministère américain de l'Agriculture afin d'améliorer l'accès aux intrants agricoles des deux côtés de la frontière et de faciliter les échanges dans les deux directions. Par exemple, on croyait, à tort, que les céréales canadiennes étaient acheminées vers le sud, mais que les céréales américaines ne l'étaient pas vers le nord. Nous avons constaté avec surprise, une fois les chiffres en main, l'important volume d'orge américaine acheminée dans le sud de l'Alberta à l'intention de l'industrie des matières alimentaires ainsi que la pénétration du maïs américain sur le marché canadien. Cet exercice a contribué à améliorer le niveau de compréhension de nos interlocuteurs américains pendant une brève période.
De toute évidence, l'amélioration n'a pas été permanente, et nous avons pris des mesures pour accroître l'accès des Américains à certains éléments de notre infrastructure de transport et de manutention. Il y a un an ou deux, il y a eu un problème lié au transport transfrontalier de grain américain comportant une infection particulière; il s'agissait de certaines céréales en provenance du sud-ouest des États-Unis. À l'époque, nous avons pris les mesures appropriées pour faire en sorte que les céréales canadiennes soient entièrement protégées contre cette infection. En collaboration avec les autorités américaines, nous avons agi aussi vite que possible pour normaliser nos rapports afin de ne pas laisser s'installer des entraves artificielles à long terme. Aucune de ces actions n'est une solution aux problèmes. Nous devons continuer à être proactifs lorsque surviennent des sujets de discorde et les éliminer avant qu'ils ne prennent de l'ampleur et deviennent de sérieux problèmes.
Nous devons constamment prendre les devants avec les Américains et leur expliquer certaines des raisons pour lesquelles nos céréales pénètrent sur leur marché. Cela survient dans le contexte des fluctuations normales des marchés et des prix. Il n'y a pas de subventions. Il n'y a pas de distorsion. Il n'y a pas de pratiques commerciales cachées ou déloyales. Nous avons beaucoup à faire pour rehausser le niveau de compréhension des Américains et rallier nos alliés du côté américain -- car, nous avons des alliés.
Lorsque je m'entretiens avec les membres de la North American Millers' Association ou du Feed Grain Council ou des organismes représentant le secteur des pâtes, leurs commentaires sont très enthousiastes: ils apprécient énormément la qualité des céréales canadiennes. Ils veulent avoir accès à ces céréales, et il est dans l'intérêt national des Américains qu'ils y aient accès.
En bout de ligne, sénateur Stratton, il y a toujours un certain nombre de mécanismes que les États du Nord sont prêts à mettre en branle pour des raisons de politique locale, même si leur action est dénuée de tout fondement.
Le sénateur Stratton: Si je peux me le permettre, monsieur, vous nous avez donné une réponse très éloquente. Cependant, si l'on considère l'accord sur le bois d'oeuvre qui a expiré samedi soir et le cas des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard qui sont maintenant interdites d'exportation aux États-Unis pour un motif quelconque, il semble que les Américains inventent des raisons. Vous avez dit, et j'essaierai de vous citer aussi fidèlement que possible: «Si les Américains prennent quelque mesure que ce soit, nous réagirons.» Or, des agriculteurs de l'Île-du-Prince-Édouard nous ont dit que si le Canada réagissait en interdisant l'entrée des pommes de terre américaines sur son territoire, les États-Unis fermeraient la frontière. Je n'ai pas beaucoup d'espoir dans cette affaire. Je compare le Canada à la proverbiale souris à côté de l'éléphant. Cependant, c'est une souris généreuse, quelquefois.
Ce qui m'inquiète, c'est que pour une raison ou pour une autre, si la conjoncture empire, le nombre des poursuites augmentera. J'aimerais poser aussi une autre question, avec votre permission.
M. Bob Friesen, de la Fédération canadienne de l'agriculture, a comparu devant nous la semaine dernière. Il a affirmé que l'agriculture dans son ensemble représente environ 26 p. 100 du PIB, ce qui est une statistique stupéfiante.
Mon inquiétude -- et la vôtre également --, c'est qu'en agriculture, nous allons de l'état de crise à la catastrophe. Je signale que la petite ville de Souris, au Manitoba, où la population se chiffre à 1 800 habitants, a perdu entre 11 et 14 exploitations à la suite des inondations de l'année dernière. Leurs propriétaires n'ont pas été indemnisés comme il se doit.
On retrouve ces problèmes dans le secteur agricole à l'échelle nationale et ce qui se passe dans le Canada rural me fait vraiment peur. Vous êtes originaire de la Saskatchewan, monsieur Goodale, et vous savez ce qui se passe dans ces régions rurales. Ma question ne porte pas spécifiquement sur la Commission canadienne du blé, mais je me dois tout de même de la poser: comment pouvons-nous espérer que nos agriculteurs survivront dans ces conditions?
Si les États-Unis décident de fermer les frontières ou d'imposer des contingentements à nos produits, nous pouvons certes livrer bataille par le truchement de l'Accord de libre-échange ou de l'OMC, mais dans l'intervalle, nous serions paralysés. Quelles sont vos suggestions de solutions à court et à long terme à certains de ces problèmes majeurs?
M. Goodale: La grande majorité des échanges agricoles et agroalimentaires de part et d'autre du 49e parallèle se font sans problème. Ce sont des échanges commerciaux normaux.
À l'heure actuelle, nous sommes aux prises avec un certain nombre de problèmes en suspens que nous devons trouver le moyen de résoudre. Il y a cette enquête au sujet de la Commission canadienne du blé, dont j'ai parlé. C'est l'un des cas en question; celui de l'embargo sur les pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard en est un autre. Cependant, les rapports entre le Canada et les États-Unis couvrent une vaste palette et sont mutuellement avantageux. Ce sont des rapports que nous devons nous attacher à maintenir au beau. Nous devons profiter de toutes les occasions, à tous les niveaux -- fonctionnaires, ministres ou premier ministre-président -- pour faire comprendre aux Américains que les échanges se font dans les deux sens. Les Américains sont tenus de respecter les accords commerciaux, et nous nous attendons à ce qu'ils les respectent. Nous devons être vigilants à la frontière pour ce qui est de faire respecter nos droits commerciaux. Ce n'est pas toujours facile, mais nous ne pouvons pas céder de terrain sur une question de principe aussi importante que celle-là.
Une partie de la solution consiste à être vigilant et ferme en matière d'échanges transfrontaliers, tout en reconnaissant qu'en général, notre relation avec les États-Unis est en bon état, même s'il y a quelques pommes de discorde. Lorsque des différends surviennent, nous devons nous y attaquer, nous assurer que notre position est fondée solidement sur nos principes, et ne pas céder d'un pouce. Nous devons être prêts à livrer bataille, le cas échéant.
À propos des échanges en général et de votre question sur les revenus agricoles, il y a plusieurs éléments de solutions à ce problème compliqué. L'un d'eux consiste à veiller à ce que nos filets de protection soient aussi solides que possible.
Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a récemment accru sa contribution, et pratiquement toutes les provinces lui ont emboîté le pas, ce qui débouchera sur un meilleur système de protection pour l'année en cours seulement. Le système national pourra compter sur quelque 2,6 milliards de dollars. Il s'agit là d'une contribution substantielle pour aider les agriculteurs à traverser cette période extrêmement difficile. Nous continuons de surveiller les éléments du filet de protection et nous sommes prêts à y apporter des améliorations au besoin.
Les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux ont entrepris un examen de ces mécanismes de protection. L'argent a été versé dans les conditions actuelles. Cependant, les ministres passeront en revue les éléments du système pour glaner des renseignements dans divers secteurs en vue d'améliorations futures.
Un filet de protection est par définition un mécanisme d'appoint conçu pour amortir le coup lorsque les choses tournent mal. Nous devons adopter une démarche plus proactive et exhaustive pour renverser la vapeur de sorte qu'à long terme, les mesures de protection seront moins nécessaires qu'elles semblent l'être aujourd'hui.
Les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux travaillent à cette approche à long terme. Il y a aussi des organisations du secteur privé, comme la Saskatchewan Agrivision Corporation, qui font des efforts en ce sens. Il y a en outre les organismes correspondants qui s'y attachent au Manitoba et en Alberta. Récemment, le premier ministre a mis sur pied un groupe de travail chargé d'envisager la dimension à long terme. Nous devrons attendre les résultats de ces diverses réflexions afin d'identifier précisément quels éléments devraient faire partie d'un plan à long terme.
Si je pouvais me permettre une hypothèse quant à ces éléments aujourd'hui, un élément qui pourrait faire une différence est un meilleur accès à des formes de capitaux d'investissement taillés sur mesure pour les régions rurales. En effet, cela pourrait faciliter la transition vers une base économique à valeur ajoutée et plus diversifiée.
Certains des instruments financiers sont disponibles en ce moment, mais de nombreux habitants des régions rurales nous disent que la nature des capitaux aisément accessibles ne répond pas à leurs besoins. Nous devons trouver un moyen de combler cette pénurie de capitaux, de résoudre ce problème de structure du capital. Nous devons le faire d'une façon qui permette aux agriculteurs d'être des investisseurs et des bénéficiaires de cette structure, et non pas uniquement les fournisseurs d'intrants à coût modique.
Au cours de nombreuses discussions au sujet de la diversification et de la valeur ajoutée, les agriculteurs disent que c'est bien beau, mais que c'est l'affaire d'autres intervenants et que cela n'aide en rien les exploitants à la ferme. Dans nos efforts pour concevoir des solutions, comme des nouveaux instruments d'investissement, nous devons trouver un moyen de les rendre applicables à la réalité agricole, pour que les agriculteurs puissent profiter de la diversification et de la valeur ajoutée et qu'ils ne soient pas uniquement les témoins du succès d'autrui.
Nous devons être proactifs dans nos efforts pour amener de nouvelles entreprises dans les collectivités rurales. Je vous cite l'exemple du secteur de l'éthanol, que je connais bien en tant que ministre des Ressources naturelles. Dans nos plans concernant les changements climatiques, nous avons prévu tripler la production d'éthanol au Canada.
Un survol des expériences menées un peu partout au pays, notamment celles de la ville de Chatham, montre que l'on peut amener une nouvelle entreprise -- une entreprise à valeur ajoutée liée à une exploitation agricole -- et créer un nombre considérable d'emplois de qualité dans une région locale. Nous devons activement aiguiller ce genre d'entreprises vers le Canada rural.
Nous devons tenter d'améliorer l'infrastructure rurale, particulièrement là où l'absence d'infrastructure est un obstacle aux initiatives de diversification ou de valeur ajoutée. Cela est déjà en cours grâce à Travaux d'infrastructure Canada et le programme Prairie Grain Roads. C'est un exemple -- une cause-type, si vous voulez -- que ce programme du Manitoba; il montre ce que l'on peut accomplir. Après la modification de la structure du tarif de fret en 1995, certains agriculteurs de la région située au sud de Portage ont décidé que la conjoncture avait fondamentalement modifié leur perspective relativement au blé et à l'orge. Ils souhaitaient s'adonner à une activité comportant davantage de valeur ajoutée. Ils ont choisi la culture de la pomme de terre et, à la suite de leur initiative, les terres consacrées aux céréales ont été converties à la culture de pommes de terre. Une usine de transformation a été construite à Portage. D'après mes renseignements, l'usine approvisionne maintenant un important marché de pommes frites, aux États-Unis, incidemment. Au bout du compte, ces agriculteurs touchent, grâce à leur nouvelle entreprise, des revenus plusieurs fois supérieurs à ce qu'ils gagnaient auparavant avec l'ancienne production moins diversifiée et moins enrichie dans laquelle ils étaient engagés.
Le sénateur Stratton: Excusez-moi de vous interrompre, mais est-ce ce qu'on appelle maintenant «l'agriculture contractuelle»? Autrement dit, ces agriculteurs ont-ils un contrat avec McCain et produisent-ils leurs pommes de terre à un tarif établi par McCain?
M. Goodale: Il faudrait que vous leur demandiez quels sont leurs arrangements contractuels.
Cette diversification a été déclenchée, du moins en partie, par le gouvernement du Canada en collaboration avec le gouvernement du Manitoba et la ville de Portage, qui ont contribué à l'amélioration d'un certain nombre d'éléments d'infrastructure, notamment les systèmes d'eau et d'égout. C'est un petit exemple, mais tout de même un exemple d'une diversification qui peut être utile.
Il y a d'autres choses que nous pouvons faire, monsieur le président, au-delà de l'infrastructure. Nous devons promouvoir des pratiques plus judicieuses et plus avantageuses d'utilisation de l'eau et des terres, à la fois pour des raisons économiques et environnementales, mais aussi pour tenter de tirer le plus de revenus possible par acre de terres cultivables. Cela peut se faire, comme certaines organisations l'ont recommandé, en optant pour une culture fourragère ou peut-être pour l'agriforesterie, dans certaines régions des Prairies.
Nous devons aussi favoriser dans les régions rurales des options améliorées en matière de planification d'entreprises, de gestion financière et de formation qui vont au-delà des pratiques conventionnelles. Il nous faut en outre hausser la barre en ce qui a trait à la recherche, à la science et à la technologie.
Comme vous le savez, la Saskatchewan, par exemple, jouit de conditions agronomiques qui se prêtent particulièrement bien à la production de légumineuses. Ce sont peut-être les meilleures conditions agronomiques au monde pour ce genre de culture. Cependant, des retards au niveau de la recherche constituent une entrave.
Le sénateur Stratton: J'espère que les habitants de Souris, au Manitoba, ont trouvé une solution parmi vos suggestions.
Le président: Un groupe d'agriculteurs de Weyburn, en Saskatchewan, a essayé, par l'entremise de la Commission canadienne du blé, de mettre sur pied une usine de pâtes. Selon eux, ils n'ont bénéficié d'aucune coopération de la part de la Commission. Par conséquent, il semble qu'une usine de pâtes verra le jour au Dakota du Nord.
Il y a aussi l'exemple des hydrateurs, qui étaient des entreprises cruciales jusqu'à maintenant. Or, elles mettent maintenant à pied énormément de personnel. En fait, je crois savoir que même leurs bureaux ferment leurs portes dans certains cas. Nous avons emprunté cette avenue, et nos agriculteurs ont essayé d'ajouter de la valeur à leurs produits en des temps très difficiles.
Mes voisins sont passés de la simple culture du blé et du durum au colza canola et aux pois. Maintenant, certains d'entre eux préconisent la culture de la pastèque. C'est un énorme défi. Nous avons essayé cette solution auparavant, et dans certains cas, cela n'a pas fonctionné. Il y a eu des exceptions, comme cet agriculteur qui a eu la chance d'obtenir 600 $ l'acre pour une excellente récolte de pois. Cependant, je peux vous citer le cas d'un bien plus grand nombre d'agriculteurs qui se sont retrouvés avec un ou deux camions de pois qui ne leur ont pas rapporté un sou.
J'ai des doutes au sujet de cette idée de la valeur ajoutée, à moins que nous nous y mettions sérieusement.
M. Goodale: Honorables sénateurs, il est très urgent de s'engager dans cette discussion sur la façon d'assimiler ce concept pour qu'il puisse s'implanter, prendre racine et avoir un impact. Encore une fois, en dépit des efforts pratiquement héroïques consentis dans le passé pour changer les choses, la base économique de la Saskatchewan demeure simplement trop étroite et trop vulnérable à des circonstances malencontreuses sur lesquelles personne n'a de contrôle. À mon avis, le défi consiste à fournir une aide à court terme aussi généreuse que possible sur le plan humain, à poursuivre la bataille sur le front des échanges pour nous positionner aussi vigoureusement que faire se peut et à trouver les moyens d'élargir l'assise économique pour qu'elle ne soit pas aussi précaire à l'avenir qu'elle l'a été dans le passé. Ce n'est pas une mince affaire.
Le sénateur Fairbairn: Pratiquement aussi régulièrement que reviennent les saisons, la Commission canadienne du blé est soumise à une enquête et contestée aux États-Unis. Il semble que dans une certaine mesure, cela fasse désormais partie du folklore historique dans certaines régions des États-Unis. Voilà peut-être pourquoi nos efforts pour recueillir de l'information se heurtent souvent à un mur dans certaines régions des États du Nord.
À des fins d'information, j'aimerais savoir qui représente la Commission du blé lorsque ces questions sont soulevées encore et encore devant la Commission américaine du commerce international? Qui est en mesure de défendre la Commission canadienne du blé à ces audiences? Est-ce un représentant du gouvernement canadien? Les personnes que vous qualifiez de «nos alliés aux États-Unis» disposent-elles d'une tribune pour se faire entendre? S'agit-il d'une enquête administrative plutôt que d'une véritable audience? Je pose ces questions car on craint que cette affaire acquière une perspective différente avec l'arrivée en scène d'un nouveau gouvernement aux États-Unis. Chose certaine, on sent un intérêt renouvelé parmi les voix américaines du Nord-Ouest que j'ai l'habitude d'entendre au-delà de la frontière de l'Alberta.
Sommes-nous aussi confiants qu'auparavant que cette neuvième audience connaîtra la même issue que les autres?
M. Goodale: Sénateur Fairbairn, personne ne peut prédire ce qui se passera étant donné que nous sommes engagés dans une procédure qui est essentiellement régie par les lois d'un autre pays. Il est important pour l'intégrité et la crédibilité du système américain aux yeux du monde, que lorsqu'une organisation comme la Commission américaine du commerce international fait une enquête, qu'elle soit perçue, à l'examen, comme une tribune équitable et impartiale.
Il semble que la plainte actuelle sera examinée non pas par l'un des bureaux du Cabinet ou des départements du gouvernement aux États-Unis, mais par le CCI. Cela nous donne davantage confiance que les décisions seront impartiales et fondées sur les faits et non sur la rumeur, l'anecdote ou l'hyperbole.
La Commission canadienne du blé aura évidemment l'occasion de se faire entendre. D'après notre information, la Commission américaine du commerce international voudra aussi entendre les clients de la Commission canadienne du blé aux États-Unis ainsi que d'autres clients ailleurs dans le monde. Elle voudra certainement aussi entendre certains de ses concurrents.
Nous allons suivre cette affaire de très près afin d'évaluer le caractère juste et équitable de la procédure. Dans le passé, lorsque la Commission américaine du commerce international et le General Accounting Office ont été parties prenantes, la procédure a été raisonnable et équitable. Nous allons être vigilants pour nous assurer qu'il continue d'en être ainsi.
S'il y a une divulgation exhaustive et équitable des faits et une approche équilibrée et neutre débouchant ultimement sur un jugement honorable et juste, j'ai tout lieu de croire que la marque sera de neuf à zéro car les faits militent en faveur du Canada.
Le sénateur Fairbairn: J'espère que vous avez raison.
M. Goodale: Rien n'est acquis.
Le sénateur Fairbairn: Nous espérons tous que vous avez raison.
Dans le contexte de l'étude des changements législatifs que l'on envisageait d'apporter à la Commission canadienne du blé il y a plusieurs années, le comité s'était rendu dans l'Ouest du Canada et y avait tenu de longues audiences sur cette question. Les perspectives exprimées étaient différentes, selon l'endroit où se tenait l'audience. Certains points de vue étaient positifs et favorables à la Commission du blé. D'autres intervenants auraient préféré la commercialisation mixte, ce qui a suscité un débat vigoureux.
Le projet de loi a été présenté pour montrer aux agriculteurs de l'Ouest qu'ils pouvaient influencer l'orientation future de la Commission du blé en ayant l'occasion d'élire des membres du conseil d'administration. C'est ce qui s'est produit à deux reprises maintenant.
Selon votre perspective, le processus électoral, particulièrement le deuxième scrutin, s'est-il déroulé comme on l'avait espéré à l'époque? Accepte-t-on davantage que les agriculteurs aient voix au chapitre pour ce qui est du fonctionnement de la Commission, ou est-il trop tôt pour le dire?
M. Goodale: Il est probablement trop tôt pour le dire, sénateur Fairbairn. Cependant, je pense que l'on s'oriente dans cette direction. Au moment où la première élection a eu lieu, à la fin de 1998, on n'a peut-être pas perçu de distinctions marquée entre ce qui existait auparavant, soit un comité consultatif élu, et ce qui existe maintenant, un conseil d'administration. La différence est profonde.
Les conseillers prodiguaient des conseils et, compte tenu de la structure précédente, la Commission canadienne du blé pouvait accepter ou rejeter ces conseils. Ce n'étaient que des conseils. Ce n'est plus le cas. Les dix personnes élues par les producteurs -- cinq en tout temps, avec échelonnement des mandats -- sont des administrateurs dotés des pleins droits juridiques et des responsabilités que cela implique. La loi précise explicitement que tous les pouvoirs sont conférés aux administrateurs. Ils dirigent l'organisme. Ils assument les responsabilités courantes de n'importe quels autres administrateurs d'entreprise. Cette distinction devient plus apparente.
Les administrateurs font des efforts accrus pour offrir une reddition de comptes publique à leurs régions respectives. Les communications s'améliorent. Cependant, il faudra encore attendre avant que la transition soit entièrement réalisée et comprise.
Le sénateur Wiebe: J'ai trois questions, et j'essaierai de les poser dans un délai de dix minutes. La première est plus une observation qu'une question.
Deux sénateurs ont évoqué aujourd'hui -- tout comme vous -- les neuf plaintes déposées par le gouvernement américain contre la Commission canadienne du blé. Dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné les dates auxquelles on a réglé ces plaintes, et je constate que pour une raison quelconque, cela s'est toujours produit à deux ans d'intervalle. Personne n'a eu le courage de dire cela, et je ne vous demanderai pas de répondre, mais il me semble que cela coïncide de façon significative avec les élections au Sénat et à la Chambre des représentants aux États-Unis. Je suis convaincu que nous recevrons la plainte numéro 10 en 2003.
Je voudrais maintenant aborder la Loi sur les transports à laquelle vous, le ministre des Transports et le ministre de l'Agriculture et moi avons travaillé lorsqu'elle a été soumise au Sénat. Le ministère des Transports a récemment annoncé que si les sociétés ferroviaires dépassaient le plafond fixé par la loi, les sommes excédentaires seraient versées dans un fonds de recherche.
Pourquoi ne pas les verser dans les recettes générales de la Commission canadienne du blé?
M. Goodale: Sénateur Wiebe, vous avez raison en ce qui a trait aux dispositions des amendements à la Loi sur les transports. M. Collenette a rendu publiques des ébauches de règlements. Comme vous le savez, la loi prévoit un plafond, ce qui a amené la question de savoir ce qui se passerait si les sociétés ferroviaires le dépassaient. On s'attend à ce qu'elles demeurent dans les limites prescrites, mais qu'arrivera-t-il si elles ne le font pas?
M. Collenette a publié une ébauche de réglementation stipulant que si l'excédent est relativement mince, et par conséquent considéré comme fortuit, une certaine pénalité s'appliquera. S'il s'agit d'une somme considérable, qui semble par conséquent découler d'une violation plus délibérée des conditions fixées dans la loi, une pénalité plus rigoureuse s'appliquera. La question se pose: en cas de surplus, si une pénalité était appliquée, où irait l'argent?
Le problème consiste à déterminer d'abord d'où vient l'argent. Le grain expédié ne relèverait pas entièrement de la Commission canadienne du blé. Il ne serait pas possible de remonter la filière pour déterminer exactement à quel endroit il y aurait eu surcharge. Selon une formule, les sociétés ferroviaires peuvent transporter un niveau maximal de grain. Une partie de ce grain sera celui de la Commission canadienne du blé. Il y aura également du grain non canadien de la Commission du blé. Il est impossible de déterminer, après coup, quelle part est attribuable au transport du grain de la Commission et quelle part ne l'est pas.
M. Collenette tentait de faire en sorte que la somme recueillie serve un objectif raisonnable qui soit équitable pour tous les agriculteurs. Il serait difficile, a posteriori, de déterminer exactement où a eu lieu la surcharge. La loi ne s'applique pas selon le tarif ou le point de livraison. Il s'agit d'un plafond global sur l'ensemble des revenus.
Voilà le dilemme auquel nous étions confrontés. Lorsque l'on met en commun le grain de la Commission, le grain hors Commission et les cultures spécialisées, c'est un peu comme d'essayer de séparer les divers ingrédients d'une omelette que de retracer à qui l'argent devrait être rendu. De l'avis de M. Collenette, la Western Grains Research Foundation fait du bon travail au nom de l'ensemble des agriculteurs et ce serait là une organisation neutre, équilibrée et impartiale à laquelle on pourrait verser l'argent des amendes, le cas échéant. Cela pourrait être avantageux pour l'ensemble des agriculteurs.
Si des sénateurs ou des membres du public ont une meilleure suggestion, je suis sûr qu'elle serait bien accueillie. C'est un problème difficile à résoudre.
Le sénateur Wiebe: S'il y a au Canada une institution qui sert bien les agriculteurs et les producteurs agricoles, c'est certainement la Commission canadienne du blé.
Je pense que chaque agriculteur a un carnet de permis, qu'il vende des oléagineuses, du canola, du blé, du blé durum ou de l'orge. Si cet argent était versé directement à la Commission du blé, cela serait avantageux pour tous les agriculteurs de l'Ouest.
Je ne m'attends pas à ce que vous répondiez à cette observation. Cependant, j'apprécierais que vous communiquiez ce message au ministre en mon nom.
M. Goodale: J'attirerai son attention sur ce commentaire, sénateur Wiebe. Je vous signale que ces règlements font l'objet d'une publication préalable précisément pour que nous puissions recevoir les commentaires du public. Cette période de commentaires est en cours maintenant. Je vais m'assurer que le ministre Collenette est au courant de votre recommandation.
Le sénateur Wiebe: De nombreuses organisations agricoles du Canada semblent croire qu'il existe une guerre de subventions entre l'Union européenne, les États-Unis et le Canada. Elles pensent que tous les maux qui affligent les agriculteurs à l'heure actuelle disparaîtraient si cette guerre prenait fin.
Je ne suis pas de cet avis. Selon moi, si les subventions étaient interrompues immédiatement -- si le Canada, les États-Unis et les Européens ne subventionnaient pas leur agriculture -- le prix mondial des céréales risquerait de grimper d'environ trois cents le boisseau. L'élimination des subventions ne changerait pratiquement rien au prix du grain. Le problème est davantage un problème d'offre et de demande, n'est-ce pas?
M. Goodale: Nous sommes en présence d'une interrelation complexe, sénateur Wiebe. Il ne fait aucun doute que les pratiques de subvention des Européens et des Américains ont eu et continuent d'avoir un effet baissier sur le cours mondial des céréales. Il y a également un volet offre et demande, que vous signalez avec raison, qui rend la situation encore plus complexe et difficile pour nos agriculteurs.
La grande contradiction, c'est que d'après les experts, si la production céréalière mondiale devait s'arrêter aujourd'hui et si la distribution se faisait à partir de l'inventaire actuel, cet inventaire serait sans doute épuisé dans les 60 ou peut-être les 90 jours.
Même dans ce qui semble être un contexte d'offre excédentaire, la marge est plutôt mince. Cela me frustre énormément -- et je suis sûr que cela frustre aussi de nombreux agriculteurs -- de constater que même avec cette faible marge, les profits demeurent aussi faibles qu'ils le sont. À cela s'ajoute une douloureuse réalité humaine: au moment où nous siégeons ce soir, quelque 800 millions de personnes dans le monde vont aller au lit le ventre creux. D'une certaine façon, le système international n'est pas suffisamment efficace pour assurer la distribution de ce prétendu «surplus».
Nous avons un différend commercial avec les États-Unis au sujet du volume de blé canadien qui entre sur le marché américain. Relativement parlant, ce n'est rien. Nous envisageons de restreindre le flux des échanges entre deux voisins très riches alors qu'il y a dans le monde 800 millions de personnes qui n'ont pas suffisamment à manger.
Il existe une contradiction fondamentale entre le problème de la famine et le prétendu «problème de l'excédent». S'il y a une cause digne d'inspirer les plus brillants cerveaux de l'humanité, c'est la quête de la solution à cette contradiction. C'est une situation qui semble ridicule à bien des gens. Pourquoi nos agriculteurs ne peuvent-ils gagner leur vie décemment quand 800 millions de personnes n'ont pas de quoi manger? Il y a quelque chose qui cloche sérieusement dans cette équation.
Le président: Monsieur le ministre, je suis heureux de vous entendre dire cela. C'est un grave problème mondial. J'espère que le bon sens présidera à la réflexion des personnes qui, dans le monde entier, souhaitent régler ce problème.
Vous avez dit 800 millions de personnes. Les représentants d'une organisation m'ont dit il y a six semaines que d'après leurs chiffres, sur les six milliards d'habitants dans le monde, 1,5 milliard d'entre eux se couchent tous les soirs affamés. Vous savez ce qu'il en est des statistiques, mais il s'agit là d'un problème sérieux. Pourtant, des agriculteurs font faillite pour une seule et unique raison: ils sont trop productifs.
Nous savons pratiquement tout faire. Nous pouvons envoyer un homme sur la lune. Nous pouvons accomplir tous ces exploits fantastiques, mais nous ne pouvons distribuer la nourriture. C'est une dénonciation du monde occidental compte tenu du mode de vie et du confort dont nous jouissons au Canada.
Dans le discours du Trône que j'ai prononcé au Sénat, j'ai fait une déclaration concernant les pays pauvres. Mon fils m'a envoyé par télécopieur une description de la situation critique qui règne dans le monde émanant de la Banque de céréales vivrières du Canada. Les pays riches du monde s'approprient 700 milliards de dollars en exploitant les ressources des pays pauvres, comme le pétrole, comme on peut le voir au Soudan, les ressources minières, etc. Ces pays riches réinvestissent environ 70 milliards de dollars dans ces pays démunis. Nous ne nous attaquons pas au problème.
Je suis heureux de vous entendre dire cela, monsieur le ministre. C'est un grand défi pour nous et pour tous les Canadiens que d'agir pour changer la situation. L'alimentation, c'est important. Je n'avais pas l'intention de prononcer ce discours, mais je l'ai fait.
Le sénateur Tunney: Merci, monsieur le président. Bienvenue à cette séance. Je voudrais simplement rompre quelque peu la tension et le pessimisme. Vous vous demandiez quoi faire d'un minuscule surplus et à qui il devrait aller. Cela m'a rappelé l'époque où les Pères de la Confédération se demandaient comment s'y prendre pour créer le Sénat.
Il a été décidé que tout homme -- évidemment, sénateur Fairbairn, cela n'aurait pu être une femme à l'époque -- possédant un bien foncier d'une valeur d'au moins 4 000 $ serait admissible. Cependant, il fallait faire une exception pour les agriculteurs car il aurait été impensable que la propriété d'un agriculteur atteigne pareille richesse.
Je vis sur les rives d'un lac entre Kingston et Toronto, d'où je peux voir trois voies ferrées. Je n'ai jamais vu autant de wagons à céréales vides revenant vers l'Est que depuis les quatre ou cinq derniers mois. J'ai vu 180 wagons à céréales et six locomotives acheminant du grain de l'Ouest vers Montréal.
J'ai deux questions. Premièrement, le système de transport est-il vraiment supérieur à ce qu'il était il y a six ou sept ans? J'ai entendu dire qu'il y avait pénurie de wagons à céréales et que les céréales s'accumulaient. Deuxièmement, nos marchés étrangers, particulièrement la Russie et l'Ukraine, sont-ils en meilleure posture? La situation de nos comptes recevables s'est-elle améliorée?
M. Goodale: Sénateur, je vais d'abord répondre à votre première question, à savoir si notre système de transport et de manutention du grain est généralement meilleur aujourd'hui qu'il y a cinq ou six ans. La mesure législative que nous avons adoptée l'an dernier, l'accord que nous avons négocié avec la Commission canadienne du blé et les autres dispositions concernant l'argent versé pour les trajets céréaliers ainsi que l'instauration d'une surveillance peuvent améliorer la situation pour l'avenir. Cela sera particulièrement vrai, si les négociations actuelles entre la Commission du blé et les compagnies de céréales sont un succès.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration, il semble que l'on enregistre des progrès à cet égard. Des deux côtés, on parle de progrès, de bonne volonté et d'un meilleur climat. Je considère que c'est bon signe. Les négociations ne sont pas encore terminées. Il reste encore un bout de chemin à faire, mais il y a lieu d'être optimiste. La loi et les nouveaux arrangements concernant la Commission du blé, qui sont entrés en vigueur l'an dernier, ont marqué les premiers pas vers un système moins lourd sur le plan administratif, plus efficient, moins coûteux, plus commercial et plus concurrentiel, un système fondé sur des contrats négociés entre les parties.
La différence au niveau du mouvement des marchandises cette année correspond à ce que vous avez observé depuis votre fenêtre. Cela s'explique sans doute par deux choses. Dans l'ensemble, le volume d'expéditions cette année est plus léger qu'il y a cinq ou six ans. L'hiver a aussi été beaucoup plus favorable aux transports.
Nous avons eu une année terrible au début des années 90 lorsque le système a été pratiquement paralysé pendant un certain temps. Les conditions météorologiques étaient incroyablement mauvaises. Le système de transport a atteint ses limites précisément au moment où la température et les problèmes logistiques n'auraient pu être pires et le volume des expéditions était très élevé. Un certain nombre de facteurs ont conspiré pour rendre une situation déjà difficile pratiquement impossible.
Cette expérience a été le point de départ de toutes les études subséquentes. Nous commençons maintenant à voir les résultats de ces études. Cela dit, il n'est pas encore temps de crier victoire. Nous réalisons des progrès, mais il reste encore à faire. La différence matérielle que vous avez observée cette année est attribuable à l'ampleur des expéditions et au fait que les conditions météorologiques ont été relativement favorables au transport ferroviaire.
Je rappelle à toutes les parties prenantes au système, les sociétés ferroviaires, les compagnies de céréales ou la Commission du blé, qu'elles ont toutes l'obligation, à l'égard des agriculteurs et du secteur agricole, de fonctionner au maximum de leur capacité. Je sais qu'il y a des progrès, mais elles ne devraient pas ralentir leurs efforts. Assurons-nous de franchir le fil d'arrivée.
Le sénateur Tunney: Qu'en est-il de nos clients en Russie ou en Ukraine? Pouvez-vous faire un commentaire général à cet égard?
M. Goodale: La situation en Russie n'a guère changé depuis quelques années. Les Russes ont de la difficulté à être des joueurs importants sur le marché en raison de la crise des liquidités qu'ils connaissent.
Monsieur le président, je suis sûr que les représentants de la Commission canadienne du blé possèdent ce genre de renseignements et pourraient discuter de la situation en détail. Je ne suis pas au courant de changements récents en ce qui concerne le statut de la Russie. Ce pays n'a pas beaucoup acheté sur les marchés au cours des dernières années puisqu'il manque de liquidités pour payer.
Le sénateur Milne: Monsieur Goodale, ma question ne porte pas tellement sur la Commission du blé mais plutôt sur les mécanismes de diversification et sur la valeur ajoutée. Vous avez dit que l'éthanol était un succès là où on peut s'en procurer. Cependant, on ne trouve pas d'éthanol dans certaines des régions les plus densément peuplées du Canada. Je ne peux en trouver dans la région de Toronto et je doute qu'il y en ait à Ottawa. On peut s'en procurer dans certaines stations d'essence au nord de la vallée, mais pas dans l'agglomération. Il n'est pas facile de trouver des stations d'essence qui vendent de l'éthanol dans les villes. À mon avis, l'éthanol connaîtrait encore plus de succès s'il était plus disponible.
M. Goodale: Sénateur, c'est un excellent argument. Dans le contexte de notre programme relatif aux changements climatiques, notre objectif est de tripler la production d'éthanol au Canada. Et même là, ce ne serait que la pointe de l'iceberg en termes de potentiel. Il y a là d'intéressantes occasions d'affaires.
L'une des entraves à la pénétration du marché est le système de distribution au consommateur. De fait, il faut que l'éthanol devienne plus facilement accessible par l'entremise d'un plus grand nombre de stations-service.
Je ne veux pas me mettre à dos divers concurrents commerciaux, mais avec la permission du comité, je déposerai une liste des compagnies qui offrent de l'éthanol à 5 p. 100, 10 p. 100 ou 15 p. 100. Il s'agit de compagnies de la région de l'Outaouais et d'un peu partout au pays. Au-delà des 5, 10 ou 15 p. 100, qui permettent la consommation d'éthanol dans un véhicule conventionnel non modifié, le véritable défi est de porter ce pourcentage à 85 p. 100. À ce moment-là, des modifications au véhicule sont nécessaires. Il faut la coopération des fabricants d'automobiles.
Certains de ces véhicules sont sur la route à l'heure actuelle. La voiture dont je me sers ici sur la colline du Parlement consomme 85 p. 100 d'éthanol. J'ai mis les fabricants d'automobile au défi d'élargir la gamme des choix offerts aux consommateurs pour qu'il y ait davantage de véhicules offrant l'option E-85. Pour cela, il faut qu'ils soient dotés d'un système d'alimentation en carburant de type E-85.
Ce sont là deux questions importantes. Si nous triplons notre production, il nous faut aussi tripler notre capacité d'acheminer le produit dans le système de distribution commercial.
Le sénateur Milne: Voilà qui m'amène à parler du carburant diesel. Qu'en est-il du carburant diesel organique? Après tout, M. Diesel a bâti un moteur capable de fonctionner à l'huile végétale à l'origine.
M. Goodale: Un certain nombre d'entreprises ont fait des recherches et des essais technologiques dans ce domaine. Des percées très intéressantes ont été réalisées. Il faut pousser davantage les travaux scientifiques et les essais. Cependant, un carburant diesel à base de biomasse n'est pas hors de question.
Je ne veux pas m'ingérer dans des questions pouvant avoir des répercussions sur la concurrence, monsieur le président, mais je fournirai volontiers au comité une liste de certaines compagnies que vous pourriez inviter à venir vous rencontrer pour discuter de la question. Une firme d'innovation biotechnologique très intéressante, qui a pignon sur rue ici à Ottawa, aurait d'importantes choses à dire au sujet de l'éthanol.
La société Ensyn Group Inc. réalise des choses très intéressantes à Calgary. Il serait sans doute utile de consigner cela au compte rendu. Votre comité serait sans doute le mieux placé pour en entendre les représentants.
Le président: Nous accueillerons favorablement cette information.
Le sénateur Milne: Je vais maintenant aborder un autre projet de diversification qui m'intéresse particulièrement, le chanvre. À l'heure actuelle, les règlements régissant le chanvre sont répartis entre le ministère de la Santé, le ministère de l'Agriculture et les autorités policières. Lorsque la loi permettant de faire du chanvre une culture légale a été présentée, il était clair que l'on envisageait éventuellement de confier cette responsabilité au ministère de l'Agriculture. Y a-t-il eu du mouvement dans cette direction?
M. Goodale: Honnêtement, sénateur, je dois renvoyer cette question au ministre Vanclief et au ministre Rock. Ils sauraient quel est l'état d'avancement du dossier. Je sais qu'ils souhaitent tous deux faire des progrès dans le cadre juridique et scientifique opportun.
En toute franchise, c'est à l'un ou l'autre qu'il faudrait poser cette question. Je suis sûr qu'ils y répondraient volontiers. Je n'ai pas cette information ce soir.
Le sénateur Wiebe: En guise de question supplémentaire à celle de Le sénateur Milne, je sais que la Commission canadienne du blé n'a pas grand-chose à voir avec l'éthanol, mais le ministre semble connaître à fond le dossier. J'ai pratiquement épuisé mon budget de recherche. S'il ne connaît pas la réponse à ma question, peut-être que ses collaborateurs la connaîtront.
Je crois savoir que dans certains États du Midwest américain, il est obligatoire que toute l'essence vendue contienne un certain pourcentage d'éthanol. Si tel est le cas, ne pourrions-nous pas faire de même ici au Canada?
M. Goodale: Sénateur, permettez-moi de déposer auprès du président du comité des statistiques concernant l'expérience américaine. Certains États, en particulier dans le Midwest et la zone de maïs sont très avancés dans ce domaine. Cela nous indique deux choses. Nous sommes dans une course technologique et nous aurions intérêt à avancer plus vite. Deuxièmement, il est possible d'avancer plus vite. Nous sommes aiguillonnés en ce sens et nous pensons qu'il y a là une occasion à ne pas rater et que ce n'est pas un gaspillage de temps.
En théorie, il serait possible d'adopter un règlement en matière de contenu. Il nous faut sérieusement nous pencher sur le contenu de l'essence et la propreté atmosphérique. Il faut garder l'esprit ouvert quant à savoir si cela fonctionnerait dans le contexte canadien. Cependant, pour moi qui m'intéresse vivement à l'agriculture et qui suis toujours en quête d'occasions de diversification, je pense que l'éthanol est important. J'assume aussi certaines responsabilités dans le dossier du changement climatique et de la réduction des gaz à effet de serre. Je pense que dans les deux cas, l'éthanol est la solution gagnante.
Par conséquent, je suis très ouvert aux moyens qui permettraient à un produit comme l'éthanol de pénétrer avec succès les marchés de l'essence. Je serais certainement disposé à me pencher sérieusement sur la question de savoir si l'adoption de mesures réglementaires relativement au contenu de l'essence pourrait être un instrument efficace.
Le sénateur Stratton: Vous avez dit que la Commission canadienne du blé vend son blé partout dans le monde. Cela inclut-il le Moyen-Orient?
M. Goodale: Certaines régions du Moyen-Orient, oui.
Le sénateur Stratton: En Iraq?
M. Goodale: À l'heure actuelle, la situation en Iraq n'est pas claire compte tenu de certains messages officieux que nous avons reçus. La situation actuelle n'est pas vraiment claire, sénateur. Certes, nous avons effectué des ventes dans ce pays dans le passé.
Le sénateur Stratton: Y a-t-il eu des ventes aussi récemment qu'il y a un ou deux ans?
M. Goodale: Au cours de cette période, oui.
Le sénateur Stratton: En Libye?
M. Goodale: Il faudrait que vous posiez la question aux représentants de la Commission canadienne du blé. Si cette information n'est pas confidentielle, je suis sûr qu'ils en discuteront volontiers avec vous.
Le sénateur Fairbairn: Tout à l'heure, monsieur Goodale, vous avez dit qu'il était nécessaire de prendre des mesures proactives pour atténuer la tension et les pressions exercées sur le Canada rural ces dernières années. Vous avez dressé la liste de certaines suggestions relevant des politiques qu'il serait bon que nous discutions peut-être avec votre collègue, M. Mitchell, lorsqu'il comparaîtra devant le comité.
En tant que représentante de l'Ouest, je veux vous interroger au sujet du filet de protection et de l'élaboration de mesures en cas d'urgence. Je voudrais savoir si le gouvernement mène actuellement une réflexion à la suite des inondations qui sont survenues dans votre propre province de la Saskatchewan et au Manitoba au cours des deux dernières années.
À l'époque, on s'est demandé s'il n'y aurait pas lieu de modifier la Loi sur les mesures d'urgence face à pareille situation. Je pense particulièrement à ce qui attend une région comme la mienne -- et aussi celle du sénateur Chalifoux, dans la province de l'Alberta --, où l'on semble être sur le point de connaître l'une des pires sécheresses depuis les années 30. Je voudrais savoir si le gouvernement cherche une meilleure façon de réagir à ces situations pour lesquelles nous sommes parfois dans l'impossibilité de nous préparer. En l'occurrence, nous pouvons le faire.
M. Goodale: Sénateur, il existe un certain nombre de programmes du gouvernement du Canada qui entrent automatiquement en vigueur en cas de catastrophe, si celle-ci implique la destruction matérielle, disons, de biens municipaux, comme cela s'est produit l'année dernière et l'année précédente dans ma province et dans d'autres également. Les Accords d'aide financière en cas de catastrophe interviennent automatiquement et prévoient une forme de partage des coûts fédéral-provincial. Plus les dommages sont considérables, plus élevée est la part du gouvernement fédéral.
Si je ne m'abuse, c'est le printemps dernier qu'une tempête surprise a frappé au sud de Moose Jaw et de Swift Current. Le ruisseau a débordé et a inondé un vaste territoire là-bas. Les arrangements sont entrés en vigueur et ont permis d'atténuer l'incidence des dommages matériels.
Deuxièmement, il y a évidemment les dispositions de l'assurance-récolte. Les arrangements d'aide financière en cas de catastrophe ne sont pas conçus pour compenser la perte de revenus. Leur raison d'être est d'aider à la reconstruction matérielle de routes qui auraient été emportées, par exemple.
L'assurance-récolte vise à compenser le fardeau financier lié à la perte de récoltes. Cette composante du filet de protection est financée en partie par le gouvernement du Canada, par les provinces et par les producteurs eux-mêmes. Cependant, les critères du programme varient d'une province à l'autre.
Le rôle du gouvernement fédéral est d'assurer la viabilité actuarielle du plan provincial, quel qu'il soit. Les provinces ont une voix prépondérante pour ce qui est de façonner le plan d'assurance-récolte.
Il y a environ deux ans, étant donné que le sol était détrempé au début du printemps, certaines parties du sud du Manitoba et du sud de la Saskatchewan n'ont pas pu être ensemencées. Le programme d'assurance-récolte de la Saskatchewan prévoyait cette éventualité, contrairement à celui du Manitoba. Cela a causé un dilemme quant à savoir comment traiter les agriculteurs équitablement dans les circonstances.
Les ministres de l'Agriculture se sont engagés à examiner l'assurance-récolte dans le contexte de leurs travaux pour déterminer où des améliorations s'imposent pour l'avenir. Cependant, l'assurance-récolte est un pilier fondamental du régime de protection conçu pour faire face aux circonstances où il est impossible d'obtenir une récolte. C'est-à-dire dans les cas où il a été impossible de semer ou, si cela a été possible, lorsque des dommages matériels ont été causés, y compris par la sécheresse.
Il y a aussi les dispositions spéciales sur la sécheresse de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par exemple, les éleveurs peuvent être forcés de disperser leurs troupeaux, ce qui peut avoir pour eux des conséquences fiscales imprévues. En cas de sécheresse, le gouvernement peut déclencher l'application de certains articles de la Loi de l'impôt sur le revenu pour alléger le problème fiscal des éleveurs forcés de disperser leurs troupeaux.
Mais en général, je comprends que vous souhaitiez que nous offrions une meilleure protection contre ces éventualités à l'avenir. Dans la foulée des difficiles épreuves des deux dernières années, nous avons tous appris qu'il faut constamment et vigoureusement chercher des façons d'améliorer notre filet de protection.
Le sénateur Chalifoux: Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître devant nous. Il y a quelques semaines, nous avons eu une rencontre sérieuse avec de nombreux agriculteurs qui s'étaient rendus ici, à Ottawa. Plusieurs jeunes agriculteurs cultivés en informatique surveillaient l'évolution des marchés mondiaux à l'ordinateur. Ils étaient fort mécontents car à leur avis, la Commission canadienne du blé ne fixe pas le prix du blé comme elle le devrait. Les agriculteurs n'obtiennent pas une juste valeur marchande pour leurs produits.
Je sais qu'il y a eu une vive controverse entre les partisans de la Commission du blé et de la libre entreprise. Comment la Commission du blé réagit-elle dans ce dossier compte tenu du fait que la nouvelle technologie permet à nos agriculteurs de suivre l'évolution des prix?
M. Goodale: La Commission canadienne du blé a l'un des systèmes surveillance internationale les plus sophistiqués au monde pour ce qui est des conditions météorologiques, de l'état des marchés et des tendances en matière de prix. Elle s'efforce d'utiliser une technologie de pointe, tant à son siège social de Winnipeg que dans ses bureaux régionaux un peu partout dans le monde, pour être des mieux informée, sinon mieux informée que tous ses concurrents où qu'ils soient. Elle le fait afin de tirer parti des débouchés au sommet du cycle de prix.
La Commission canadienne du blé ne s'intéresse pas aux marchés en baisse ou au creux du cycle de prix. Elle recherche des marchés de qualité au sommet du cycle de prix quand c'est possible.
Il existe une étude qui fait autorité à ce sujet. Il s'agit de l'étude «KFT», d'après les initiales des trois économistes qui l'ont effectuée, MM. Kraft, Furtan et Tyrchniewicz. Cette étude a été publiée et vous voudrez peut-être interroger les représentants de la Commission canadienne du blé à ce sujet lorsqu'ils comparaîtront ici. On y affirme que sur les marchés mondiaux où elle est présente, la Commission réussit à obtenir une importante bonification qui ne serait pas accessible sans son travail acharné.
Les porte-parole de la Commission pourraient vous expliquer cela de façon plus détaillée. C'est une étude intéressante qui montre que la Commission obtient davantage d'argent pour le compte des agriculteurs canadiens que cela ne serait autrement le cas.
Je reconnais cependant qu'un nombre important de producteurs sont sincèrement et passionnément d'avis contraire. Voilà pourquoi le nouveau système électoral est tellement important. La Commission canadienne du blé n'est pas entre les mains de bureaucrates. Elle est dirigée par un conseil d'administration dont les membres sont aux deux tiers élus directement par les agriculteurs eux-mêmes. Les agriculteurs peuvent donc décider de l'orientation future de la commission.
Le sénateur Chalifoux: Êtes-vous en train de me dire que lorsque les agriculteurs nous soumettent des problèmes, nous devrions les renvoyer à leurs représentants?
M. Goodale: S'il s'agit d'une question relative au fonctionnement de la Commission canadienne du blé, oui. Ses administrateurs sont élus par les agriculteurs eux-mêmes.
Le sénateur Chalifoux: Ces agriculteurs affirmaient être en mesure d'obtenir 1 $ de plus le boisseau que n'obtient la Commission canadienne du blé s'ils étaient autorisés à vendre leurs produits sur le marché libre. Que devrions-nous faire, lorsqu'ils nous présentent la preuve que c'est possible?
M. Goodale: On me pose périodiquement cette question. Chaque fois qu'on me soumet un cas spécifique, je l'ai renvoyé à la Commission canadienne du blé pour obtenir une explication. Dans chaque cas, une explication m'a été fournie, accompagnée d'un argument convaincant. Encore là, c'est une question de démocratie, de responsabilisation et de transparence. Si les agriculteurs ne sont pas satisfaits de la façon dont fonctionne la Commission canadienne du blé, ils devraient le faire savoir sans ambages aux administrateurs élus qui ont la responsabilité de diriger l'organisation.
Le président: J'ai une ou deux questions. La première porte sur le blé génétiquement modifié. La Commission du blé s'intéresse au blé génétiquement modifié. Je crois savoir que ses experts seront en mesure de produire cette semence pour les agriculteurs d'ici trois ans.
J'ai assisté à un congrès des municipalités rurales à Saskatoon et de nombreux agriculteurs ont tenu à exprimer leur opinion à ce sujet. Je n'en ai pas rencontré un seul qui était en faveur de cette mesure. Ils craignaient de revivre la même expérience qu'ils avaient vécue en Europe avec le canola génétiquement modifié.
Je ne m'attends pas à ce que le ministre nous fournisse une réponse directe à ce sujet ce soir, mais je voulais soulever la question. Si notre roux du printemps se vend si bien, c'est que nous produisons le meilleur au monde. Il est fort possible qu'on puisse l'améliorer grâce à une modification génétique. Cependant, si les consommateurs du monde entier refusent de l'acheter, pourquoi envisager de se lancer dans cette entreprise?
M. Goodale: Monsieur le président, c'est évidemment là une question importante que la Commission canadienne du blé prend très au sérieux.
Le président: Je le reconnais.
M. Goodale: À l'heure actuelle, l'approbation de nouveaux produits destinés au marché agricole -- et je parle en l'occurrence de diverses cultures et céréales -- est fondée sur leur performance agronomique, leur résistance aux maladies et leur qualité d'utilisation finale, critères qui sont tous déterminés par des expériences scientifiques valables et vérifiables.
L'acceptation par le marché n'est pas un facteur qui est considéré. Un certain nombre de ministères fédéraux sont parties prenantes à ce dossier. Agriculture et Agroalimentaire Canada, la Commission canadienne des grains, l'Agence canadienne d'inspection des aliments et la Commission canadienne du blé se penchent sur ces questions complexes que vous et moi avons évoquées.
De nombreux éléments de cette analyse exigent une meilleure définition que celle que nous avons à l'heure actuelle. Il y a notamment le problème de l'acceptation par les producteurs et les consommateurs et celui de l'état de préparation du système. Pouvons-nous matériellement répondre à des exigences de ségrégation, par exemple? Il convient d'élaborer une politique globale en matière de biotechnologie et d'affaires réglementaires.
Vous avez raison: je ne peux vous fournir de réponse définitive ce soir, mais je pense que vous faites bien de signaler le problème, étant donné que les agriculteurs et la Commission canadienne du blé ont fait de même. C'est manifestement une préoccupation persistante à laquelle il faut répondre.
Ce qui est bien, c'est que c'est le moment opportun de faire ce travail consciencieusement et de prendre les décisions de politique appropriées pour l'avenir avant que l'un ou l'autre de ces produits existants ou potentiels s'intègre au système de production. Par conséquent, nous devrions tirer parti du temps dont nous disposons pour élaborer un cadre de politique avant que la science nous devance.
Le président: L'agriculteur de Saskatoon qui avait traîné en justice la société Monsanto a perdu sa cause. Monsanto a gagné. À la réflexion, compte tenu de la genèse de cette affaire et du temps que j'ai consacré à la Chambre des communes pour lutter en faveur des droits des phytogénéticiens, il me semble que nous avons maintenant cédé tous ces droits à de grandes sociétés comme Monsanto. Le petit céréaliculteur n'est plus un joueur sur l'échiquier. En tant qu'agriculteur, je m'oppose à ce qu'une compagnie comme Monsanto me dise ce que je peux faire pousser sur mon exploitation agricole pendant trois ans, et si je peux ou non planter mes propres semences. C'est un débat qui prend de l'ampleur parmi les agriculteurs. Il divise presque les collectivités. Certains agriculteurs vont faire pousser du canola génétiquement modifié alors que d'autres refuseront de le faire sur leurs exploitations pour les raisons précises que j'ai mentionnées.
Il s'agit là de questions complexes, monsieur le ministre, et je ne m'attends pas à ce que vous nous fournissiez de réponse définitive. Cependant, les Canadiens souhaitent que nous en fassions l'examen. Je ne serais pas étonné qu'un jour, un comité spécial réunissant des scientifiques indépendants du gouvernement et des grandes compagnies, soit créé pour se pencher sur certaines de ces questions.
D'ailleurs, une bonne partie de la correspondance que je reçois porte sur ce sujet.
M. Goodale: Monsieur le président, nous sommes en présence d'un nouveau domaine où tout évolue très rapidement. L'affaire Schmeiser a mis cela en relief plus que jamais auparavant. Cette affaire nous a sensibilisés aux conséquences pratiques de certaines de ces questions. C'est une chose que d'avoir une discussion philosophique au sujet des aliments et produits génétiquement modifiés. C'en est une autre de comprendre les conséquences que de telles cultures auront dans la pratique sur les exploitations agricoles, où qu'elles soient.
La biotechnologie offre des avantages énormes. Pour en revenir à notre conversation de tout à l'heure sur les moyens à prendre pour relever le défi de nourrir la population du monde entier, la biotechnologie est une science extrêmement puissante qui a le pouvoir d'apporter d'immenses bienfaits au genre humain.
Dans notre quête de ces bienfaits, nous devons être sûrs qu'il y a en place des mécanismes scientifiques, réglementaires, juridiques et de gestion capables de garantir que la recherche scientifique sera menée dans les règles et que ses fruits seront utilisés à bon escient. C'est tout un défi sur le plan de la politique.
On a pris certaines mesures, notamment réunir un certain nombre de groupes sélects d'experts indépendants dont les compétences en la matière sont impeccables. Ils fourniront des conseils au gouvernement. Il y a aussi un autre exemple que vous et moi connaissons en Saskatchewan. L'Université de la Saskatchewan a créé une chaire spéciale, financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et par le Conseil de recherches en sciences humaines, en vue d'examiner les questions d'éthique et de gestion entourant l'utilisation opportune de la biotechnologie. Il y a ailleurs un certain nombre d'initiatives analogues.
C'est un domaine crucial. Il s'agit d'une science puissante et extrêmement valable. Elle peut faire beaucoup de bien dans le monde, mais nous devons faire en sorte qu'un cadre juridique, réglementaire et éthique existe pour en assurer une gestion opportune.
Le président: Honorables sénateurs, je veux remercier le ministre d'avoir répondu à nos questions et d'avoir participé aux échanges que nous avons eus ce soir. Cela a été bénéfique. Nous savons qu'il n'existe pas de réponse définitive à toutes ces questions et que le secteur agricole est confronté à de nombreux problèmes. Par conséquent, nous apprécions votre collaboration. Merci, monsieur le ministre, d'avoir été parmi nous ce soir.
La séance est levée.