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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 8 mai 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 32 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.

[Traduction]

M. Daniel Charbonneau, greffier du comité: Honorables sénateurs, je dois vous informer de l'absence du président et du vice-président ce soir. Nous avons le quorum et nous allons élire un président suppléant pour cette séance.

Le sénateur Fairbairn: Je propose que le sénateur Chalifoux soit notre présidente suppléante pour la séance de ce soir.

M. Charbonneau: Plaît-il au comité d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

M. Charbonneau: Adoptée.

J'invite le sénateur Chalifoux à prendre place au fauteuil

L'hon. Thelma J. Chalifoux (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

La présidente suppléante: Je vous remercie de votre indulgence pendant que nous procédions à cette petite formalité.

Je vous souhaite la bienvenue à tous à cette importante réunion. Canards Illimités est à mon avis l'une des organisations les plus intéressantes au Canada. En tant que membre de l'Association de pêche et de chasse de Morinville, en Alberta, je m'occupe de la surveillance des sites de nidification et des marécages.

Je vous cède la parole.

M. Brian Gray, directeur des programmes de conservation, Canards Illimités Canada: Honorables sénateurs, je travaille à Canards Illimités depuis cinq ans. Je suis actuellement chargé de tous les programmes de conservation de l'organisation, ce qui comprend notre division de la recherche, nos programmes traditionnels que vous connaissez bien dans les Prairies, ainsi que notre programme de relations gouvernementales et d'élaboration des politiques.

Canards Illimités a ouvert un bureau à Ottawa il y a 18 mois. À cette occasion, nous avions annoncé que nous étions ici pour aider à élaborer des solutions aux problèmes difficiles auxquels nous sommes confrontés dans le domaine de la conservation. C'est dans cet esprit que nous comparaissons devant vous ce soir.

M. J. Barry Turner, directeur des relations gouverne- mentales, Canards Illimités Canada: Le sénateur Fairbairn et moi-même avons participé il y a quelques instants sur la colline du Parlement - peut-être que certains d'entre vous étaient là aussi - à une magnifique cérémonie rendant hommage à l'ancien premier ministre John Turner alors que l'on dévoilait son portrait.

J'ai deux titres dans cette magnifique ville. Je suis un ancien député, mais je suis aussi président de l'Association canadienne des ex-parlementaires. C'est à ce titre que j'assistais au dévoilement de ce portrait: je représentais les anciens parlementaires - des deux chambres du Parlement, je le précise.

La présidente suppléante: Nous avons dû rester pour maintenir le quorum, afin que le sénateur Fairbairn puisse y aller.

M. Turner: Quand vous atteindrez l'âge magique de la retraite sénatoriale, vous pourrez devenir membres de notre association.

M. Gray et moi-même allons vous présenter ce qui nous semble être un ensemble assez opportun et assez novateur de recommandations, de suggestions et d'autres éléments de réflexion sur une façon différente de gérer le paysage agricole de notre pays.

Nous avons été invités à témoigner par votre président; je crois savoir qu'il est occupé cette semaine à faire les semailles sur sa ferme. Peut-être aurons-nous l'occasion un autre jour d'exprimer notre point de vue avec le sénateur Gustafson et certains de vos collègues qui sont absents ce soir.

M. Gray nous fera une présentation qui est en PowerPoint et qui durera environ 22 ou 23 minutes, après quoi nous aurons amplement de temps pour répondre aux questions et participer à la discussion.

M. Gray: Comme vous le savez tous, l'agriculture est un élément très important de la vie au Canada, puisqu'elle représente plus de 12 p. 100 de la population active et 8 p. 100 du PIB.

Les tendances observées au cours des quelque dix dernières années sont les suivantes: intensification de l'utilisation des terres, déclin démographique des collectivités rurales et amalgamation des fermes. Nous avons donc des fermes moins nombreuses, mais plus grandes. Nous avons aussi été témoins d'une dégradation assez poussée de l'environnement.

Cette évolution est associée en partie, mais pas entièrement, au problème actuel du prix des céréales et des oléagineux dans les Prairies, et nous assistons à une dégradation partout au Canada. À l'origine, notre information était en grande partie tirée des Prairies, mais c'est un problème d'envergure tout à fait nationale auquel nous tentons maintenant de remédier.

Cependant, il n'y a pas que de mauvaises nouvelles. En fait, à entendre le personnel d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, il est question de lancer une nouvelle révolution dans l'agriculture. Il est question d'une révolution des sciences de la vie. Ce qu'on vise, c'est d'implanter cette révolution des sciences de la vie dans les exploitations agricoles familiales au Canada d'ici dix ans. Nous avons donc dix ans pour le faire, mais comment nous y prendre?

Il y a convergence entre nos objectifs et ceux d'Agriculture et Agroalimentaire Canada dans le domaine de l'intendance environnementale. Rien de ce que nous allons proposer ici n'est à mon avis contradictoire avec l'orientation choisie par Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Pourquoi sommes-nous ici? Quels sont les problèmes? Essentiellement, depuis 50 ans, les progrès technologiques et le déclin des marges bénéficiaires ont entraîné des activités agricoles qui ont une incidence négative sur le paysage. Les principales pratiques que nous dénonçons sont la mise en culture de terres marginales et de sols très vulnérables à l'érosion. Ce sont des sols qui, d'après l'Inventaire des terres du Canada, l'ITC, sont rangés dans la catégorie IV et les catégories plus élevées. D'après la plupart des agronomes pédologues, ces sols ne devraient pas être mis en culture.

Il y a aussi l'assèchement des marécages, le surpâturage et le pâturage dans les aires riveraines. Les aires riveraines sont des bandes de végétation le long des cours d'eau et en bordure des lacs. Nous assistons aussi à l'enlèvement des zones tampons de végétation le long des cours d'eau et en bordure des champs, et il y a surutilisation des engrais et des pesticides.

Nous allons examiner chacun des cinq principaux points. La culture des sols peu fertiles n'est pas soutenable ni sur le plan économique ni sur le plan écologique. Si ce n'est pas une pratique écologiquement durable, ce n'est assurément pas une pratique agraire durable. Cette pratique fait augmenter les charges de nutriments et de dépôts solides dans les cours d'eau adjacents et, dans les secteurs salins, fait accroître la salinisation des hautes terres adjacentes.

Le deuxième problème clé est la perte des marécages. Quand on assèche ou remplit des marécages, nous perdons la protection contre les inondations qu'offraient ces marécages, la possibilité d'alimentation de la nappe d'eau souterraine, et les fonctions de filtration et de purification de l'eau, et aussi les avantages associés pour les poissons, la faune et les humains.

Le troisième point clé est la perte des zones tampons riveraines. Les activités agricoles qui réduisent ou altèrent cette zone tampon le long des cours d'eau et en bordure des lacs nuisent directement aux poissons et à l'habitat faunique. C'est évident. La charge de sédiments et de nutriments dans les cours d'eau adjacents, et surtout les taux d'écoulement de surface, sont directement touchés. On compare souvent les marécages à des éponges qui aident à atténuer les inondations, mais les zones tampons riveraines en sont également.

Toutes ces fonctions influent sur la qualité et la quantité de l'eau. Au cours de la dernière année, nous avons pris vivement conscience de l'importance de la qualité de l'eau au Canada.

Le quatrième point clé est la perte de biodiversité. La disparition de communautés de plantes indigènes dans les zones tampons en bordure des champs et des marécages nous fait perdre sur le plan de la biodiversité et augmente le nombre d'espèces en péril dans les paysages agricoles.

Le cinquième point clé est le budget du Canada pour contrer les gaz à effet de serre. La conversion des prairies indigènes en terres cultivées, le labour excessif des terres peu fertiles et l'assèchement des marais influent non seulement sur notre climat, mais aussi sur notre environnement par l'entremise de l'effet de serre.

Il y a des solutions. Nous voulons lancer des idées et donner matière à réflexion. Nous n'avons pas encore une argumentation solide sur le plan financier, mais nous sommes en train d'en élaborer une. Nous recommandons des programmes gouvernementaux pour récompenser financièrement les producteurs qui apportent au public canadien des biens et des services respectueux de l'environnement. Au lieu de donner des subventions ou de mettre sur pied des programmes de sauvetage qui récompensent les gens pour faire ce qu'ils ne devraient pas faire, nous suggérons de récompenser plutôt les producteurs qui font ce qu'il faut faire. À l'heure actuelle, il n'existe aucun encouragement de ce genre dans les programmes gouvernementaux.

Plus précisément, nous proposons d'encourager la plantation et la mise en jachère et la création d'un couvert végétal, la protection et le rétablissement des pâturages indigènes, des zones tampons riveraines et en bordure des champs, des marécages et des estuaires. Ces programmes auront des conséquences considérables non seulement sur le plan de l'intégrité écologique des paysages agricoles, mais aussi pour la viabilité à long terme de l'agriculture et la santé des Canadiens.

Plus précisément, les avantages de ces programmes seraient: la réduction de la perte des sols, la réduction de l'apport de produits chimiques et des pertes associées aux eaux d'écoulement et la réduction des inondations, à la fois en termes de fréquence et d'ampleur des inondations et l'amélioration de la qualité de l'eau et de la santé humaine. Cela permettrait d'atténuer le changement climatique et aurait aussi des avantages sur le plan de l'habitat faunique et du poisson.

Je voudrais maintenant citer quelques déclarations qui ont été faites au cours de la dernière année. La première est de Stuart Smith, qui est le président de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie. Prenant la parole à la réunion de la table ronde consacrée au programme de planification de la protection de la nature, il a déclaré que la protection doit aussi viser les terres privées, essentiellement par l'entremise de programmes d'encouragement des propriétaires fonciers.

Dans le discours du Trône, on lisait ce passage:

Le gouvernement appuiera le secteur agricole pour qu'il aille au-delà de la simple gestion de crise. Cela entraînera une plus grande diversification et une croissance fondée sur la valeur ajoutée, une multiplication des investissements et des emplois, une meilleure utilisation des sols ainsi que des normes élevées en matière de protection de l'environnement et de sécurité alimentaire.

Ce que nous proposons est dans la droite ligne de cesdeux citations.

En réfléchissant à la question, nous sommes tombés sur des problèmes de compétence relativement aux paysages agricoles canadiens. Les citadins jettent un coup d'oeil sur le Canada et ils voient un pays dont 93 p. 100 du territoire est essentiellement intact. Ils disent: «Comme l'agriculture touche seulement 7 p. 100 du pays, pourquoi devrions-nous nous en soucier?» Mon argument est que 96 p. 100 de la population du Canada habite à moins d'un kilomètre de ces terres agricoles ou même dans un secteur totalement enclavé dans des terres agricoles. Par conséquent, en tant qu'êtres humains vivant au Canada, nous devrions nous soucier du sort de nos terres agricoles.

Comme nous le savons tous, les terres privées relèvent du pouvoir de réglementation des autorités provinciales et municipales. Toutefois, aux termes de la Constitution, l'agriculture relève à la fois des gouvernements fédéral et provinciaux.

Les responsabilités et initiatives actuelles fédérales-provinciales touchent l'intendance de la qualité de l'eau et de l'air, de l'habitat du poisson et de la faune, la conservation des sols et la séquestration du carbone. Nous avons examiné les répercussions internationales de cette proposition, notamment aux termes du Protocole de Kyoto, et il s'agit de réduire la quantité de combustibles fossiles utilisés en réduisant la superficie des terres cultivées. De plus, les puits de carbone permettraient de séquestrer une quantité considérable de carbone.

Aux termes du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, qui a été signé par les États-Unis, le Canada et le Mexique en 1986, Canards Illimités Canada reçoit une proportion considérable de son budget de fonctionnement chaque année du gouvernement fédéral des États-Unis, dans le cadre d'un transfert aux termes de la loi nord-américaine. Notre budget actuel est de 80 millions de dollars cette année. Quatre-vingt-cinq pour cent de ce montant est consacré à nos programmes de conservation. Le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine a été couronné de succès au Canada, mais je soutiens que tous les succès que nous avons remportés nous ont probablement permis de faire du surplace, tout au mieux, pour ce qui est des habitats dans les paysages agricoles. Nous protégeons et nous faisons du rétablissement, mais en même temps nous perdons du terrain à l'autre bout.

Enfin, je voudrais vous parler de la convention internationale sur la biodiversité. Notre programme appuie les idéaux énoncés dans cette convention.

Il ne s'agit pas de réinventer la roue. Il y a d'excellentes études de cas qui nous ont été fournies par les États-Unis. Le Conservation Reserve Program, ou CRP, a été créé dans le cadre du projet de loi de 1985 sur l'agriculture et a résisté à trois lois agricoles subséquentes. Il figure encore en bonne place dans le projet de loi agricole de 2002 qui est actuellement en cours d'élaboration.

À l'heure actuelle, quelque 33,5 millions d'acres de terres qui étaient auparavant cultivées aux États-Unis ont été mises en jachère ou ont été rétablies dans leur état original de prairie, boisés ou savanes arbustives, et sont donc inutilisées. Cela se fait sur une base annuelle avec un investissement de 1,7 milliard de dollars par année. Le Wetland Reserve Program, qui est un programme relativement restreint en comparaison du CRP, a rétabli un million d'acres de marécages aux États-Unis.

Nous avons l'occasion et le plaisir de nous entretenir avec M. Robert Stephenson, qui est responsable du Conservation Reserve Program aux États-Unis. Ce programme a été très riche de leçons. Au début, c'était un programme de réduction de la production de denrées, ciblant surtout les sols fortement érodables. Il a évolué et est devenu un véritable programme de conservation. Pour s'inscrire à ce programme, il faut respecter des critères environnementaux et la concurrence est féroce. En fait, le nombre de candidats à ce programme est d'environ 1,5 à 1,6 fois le nombre de places disponibles. C'est un programme qui a un immense succès. Le ministère de l'Agriculture des États-Unis n'a aucunement l'intention de s'en débarrasser. Cependant, ses avantages se situent maintenant essentiellement du côté des biens et services environnementaux.

Au Canada, la Loi sur les pêches protège l'habitat du poisson. Nous avons aussi une politique sur la conservation des marécages, mais ce n'est pas une loi, simplement une politique.

Il y a beaucoup de lois et politiques provinciales, mais la plupart ciblent les terres domaniales. Elles ne visent pas les terres de propriété privée. Plusieurs encouragent en fait l'assèchement ou la mise en culture des marais. À cet égard, la Loi sur le drainage de l'Ontario, le Programme fédéral-provincial d'assurance-récolte, et les activités de drainage qui se poursuivent sur une grande échelle en Saskatchewan sont des exemples de politiques qui sont incompatibles avec la conservation des marécages ou des hautes terres.

Vous avez ici une représentation de la région de Churchbridge, en Saskatchewan. C'est le cours supérieur de la rivière Assiniboine. Cette rivière arrose Portage-la-Prairie, au Manitoba, et se jette ensuite dans la rivière Rouge à Winnipeg. Voici à quoi ressemblait le paysage en 1956. C'est une région où il y a une forte densité de marécages que nous appelons des «potholes». Il peut y avoir jusqu'à 100 de ces potholes par mille carré. Entre les marais, on trouve des prairies-parcs parsemées de bosquets d'arbres. Ce sont des terres marginales selon la plupart des définitions qu'on trouve dans l'Inventaire des terres du Canada, l'ITC. Si l'on compare le paysage de 1956 et ce qu'il est devenu en 1997, on voit que ce paysage fournit très peu de biens et services environnementaux non agricoles. Je soutiens que cela contribue aussi à aggraver le problème d'inondation de la rivière Assiniboine. Chaque année, le gouvernement du Manitoba doit investir dans le canal de dérivation Portage, qui détourne l'eau de la rivière Assiniboine vers le lac Manitoba. On dirait bien que les deux niveaux de gouvernement travaillent à contre-courant.

Nous estimons que les principaux intervenants dans les mesures que nous proposons seront certainement les producteurs et les propriétaires terriens. Cependant, à l'heure actuelle, il y a très peu de mesures qui encouragent l'aménagement du territoire agricole. Ce que nous proposons, c'est d'offrir des encouragements. Les coûts élevés et les profits bas rendent impossible l'autofinancement des activités. L'été dernier, Canards Illimités a commandé un sondage réalisé par Environics.

Nous avons sondé un échantillon de 600 producteurs en Ontario et 1 000 autres dans le reste du pays. Les producteurs nous ont dit catégoriquement qu'ils voudraient s'occuper de l'intendance du territoire. Ils veulent protéger les ressources naturelles. Ils ne peuvent pas le faire actuellement pour des raisons financières.

Ils se perçoivent comme des intendants de leurs propres terres et ils en sont très fiers, mais ils n'en ont tout simplement pas la capacité financière. Toutefois, ce n'est pas la bonne volonté qui manque. Ce n'est pas quelque chose qu'ils refuseraient d'envisager.

Qui, au gouvernement fédéral, devrait s'en occuper? Agriculture et Agroalimentaire Canada devrait évidemment être présent dans ce dossier, depuis l'«adaptation», quoiqu'on n'utilise plus tellement ce terme, puisque l'on parle plutôt maintenant de «transition» vers une exploitation agricole multifonctionnelle. Ressources naturelles Canada devrait s'intéresser à ce programme en ce qui concerne la séquestration du carbone et nos engagements pris à Kyoto. Environnement Canada devrait s'y intéresser aussi, non seulement pour la biodiversité, mais également pour l'intendance des espèces en péril et des espèces menacées de disparition.

Le projet de loi C-5 traite de la bonne intendance des terres privées. Le ministère des Pêches et des Océans s'intéresse beaucoup à ce dossier du point de vue de l'habitat du poisson et des possibilités en termes de ressources halieutiques. Santé Canada s'y intéresse aussi.

Au cours de l'année dernière, nous avons été en mesure de nous entretenir avec quatre de ces cinq ministères. Nous avons présenté plus ou moins les mêmes arguments à chacun d'eux. En tant qu'organisations non gouvernementales, nous sommes quelque peu frustrés de constater que ces piliers du gouvernement ne semblent pas se parler trop souvent entre eux. Chacun d'eux, indépendamment les uns des autres, trouve peut-être que c'est une bonne idée, mais il est difficile de les amener à se concerter.

Je pourrais pressentir Ressources naturelles Canada et ce ministère pourrait probablement invoquer un argument économique et justifier, aux termes de son mandat, des dépenses de 5 $ l'acre. Je pourrais pressentir le MPO et invoquer les mêmes arguments auprès des spécialistes des finances de ce ministère. On pourrait trouver ainsi beaucoup d'argent, mais la somme serait éparpillée. Les ministères ne se concerteraient jamais pour aider à mettre en oeuvre ce programme.

C'est là que nous intervenons. Il faut un partenariat fédéral-provincial. Je vais vous montrer dans quelques instants une diapo qui illustre ce besoin.

Comme je l'ai dit, nous avons eu des entretiens avec quatre des cinq piliers. C'est ce que l'on appelle les cinq RN du gouvernement fédéral, c'est-à-dire les cinq organisations qui s'intéressent aux ressources naturelles. M. Turner et moi-même avons discuté à plusieurs reprises avec les hauts dirigeants de ces ministères. Je répète qu'il leur est très difficile de communiquer entre eux. Ils sont très ouverts mais, en fin de compte, les budgets sont sacro-saints. Il est fort difficile d'envisager de transférer un gros montant d'argent d'un poste budgétaire à un autre.

Notre argument est qu'ils sont tous intéressés, mais que nous devons servir de point de convergence. C'est une question qui intéresse le gouvernement du Canada. C'est pourquoi nous soulevons la question à ce niveau. Toutes ces organisations, toutes ces institutions sont probablement convaincues qu'elles produisent des biens et services environnementaux. Nous disons que, collectivement, c'est le gouvernement du Canada qui devrait prendre en main le dossier. Agriculture et Agroalimentaire Canada est tout désigné pour être le maître d'oeuvre et il est déjà positionné pour ce faire. Je m'empresse toutefois d'ajouter que je ne m'attends pas à ce que le budget de ce ministère soit le seul mis à contribution. C'est un dossier qui intéresse tous les secteurs des ressources naturelles.

Quelles sont les principales ONG qui sont en cause? Canards Illimités en est une. Nous avons présenté cette proposition à la Coalition pour un budget vert, qui est un groupe de 14 ONG. La coalition est très favorable à cause de la vaste portée du programme proposé et de l'éventail d'intervenants qui sont visés.

Sur le plan de la réforme fiscale écologique, comme je l'ai dit tout à l'heure, la révolution des sciences de la vie qu'envisage Agriculture et Agroalimentaire Canada met en cause une bonne intendance environnementale. Agriculture et Agroalimentaire Canada est en fait un élément essentiel de l'avènement de cette révolution des sciences de la vie.

Nous devons toutefois tenir compte aussi des marchés étrangers. L'agriculture devra peut-être certifier l'intégrité écologique de ces programmes pour être concurrentielle dans ces marchés.

Vous savez peut-être que le programme du Sceau de la qualité appliquée en Suède n'est pas un programme gouvernemental. Il relève d'un groupe de 500 producteurs. Je vous encourage à jeter un coup d'oeil à son site Web dont l'adresse est www.swedishseal.com. Un groupe de 500 producteurs se sont réunis et ont établi leurs propres critères pour l'intendance environnementale. Ce faisant, ces producteurs ont créé une plus-value pour leurs céréales, leurs oléagineux et autres produits. Ils vendent leurs produits plus cher sur le marché européen à cause de la façon dont ils les produisent. C'est essentiellement comme le processus de certification que nous avons en Amérique du Nord pour le bois de feuillus. Leurs produits sont très en demande sur le marché.

Je soutiens que l'agriculture va adopter les méthodes des producteurs de bois d'oeuvre. Si nous ne montons pas à bord du train très bientôt, nous l'aurons manqué et nous ne pourrons pas monter en marche. Avant longtemps, ce train va nous écrabouiller.

Pour être compétitif sur le marché mondial, le Canada devra se targuer de pratiquer une agriculture respectueuse de l'environnement. Je soutiens que la plupart des cadres supérieurs d'Agriculture et Agroalimentaire Canada partagent cette vision des choses.

Nous avons fait faire une analyse préliminaire par le Centre d'études en agriculture, en droit et en environnement de l'Université de la Saskatchewan, et il ressort qu'il en coûterait beaucoup moins cher pour les gouvernements de payer les producteurs pour fournir ces services environnementaux qu'il n'en coûte actuellement pour maintenir le statu quo en soutenant tout simplement le revenu agricole. C'était notre hypothèse au départ. Nous avons retenu les services du centre pour faire une brève analyse préliminaire afin de savoir si nous sommes sur la bonne voie. Ils se sont limités à la province de Saskatchewan. Les conclusions préliminaires du centre indiquent que si l'on reboisait ou laissait en jachère les terres marginales, il pourrait en résulter un avantage net de 66 millions de dollars par année en Saskatchewan seulement. Nous en avons conclu que nous étions sur la bonne voie.

Les 12 et 13 février, M. Turner et moi-même avons présenté ces résultats à la table ronde, qui examine la question d'une réforme fiscale écologique. Nous avons présenté cette proposition à un groupe consultatif d'experts, qui a choisi cette proposition comme étant l'une des initiatives qu'il voudrait étudier de façon plus approfondie dans le cadre d'une réforme fiscale écologique. Il a créé le groupe de travail appelé «Groupe de travail sur le paysage agricole et la réforme fiscale écologique».

Ce dossier ne représente pas la plus grande partie de la charge de travail du groupe. Il examine les répercussions de toutes les activités écologiques et économiques sur le paysage agricole. Notre proposition n'est que l'un des nombreux éléments de ce dossier. L'objectif de ce groupe de travail est de rédiger un rapport préliminaire. Nous aurons ce rapport en octobre prochain.

D'après des discussions préliminaires entre Canards Illimités et des ministres et cadres supérieurs de l'agriculture et des ressources naturelles de certaines provinces, il existe des appuis pour insérer ce concept dans le programme des affaires publiques. Nous avons envoyé à ces six gouvernements le même document dequatre pages que vous avez reçu. Nous avons l'appui, auniveau des principes, des ministres de l'Agriculture de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan. Notre personnel rencontre cette semaine le ministre de l'Agriculture du Manitoba. Nous essayons d'organiser une rencontre en Ontario.

Je sais aussi que le personnel de l'Environnement de l'Alberta, qui envisage des mécanismes de changement, s'est montré très favorable jusqu'à maintenant, mais nous n'avons pas rencontré les gens de l'agriculture. Nous essaierons de le faire cet été.

De façon générale, le concept que nous proposons bénéficie d'un appui généralisé dans les six provinces où nous avons eu des entretiens.

En conclusion, nous croyons que des paiements aux producteurs, financés par les contribuables, pour assurer une bonne intendance environnementale seront à l'avantage de tous les Canadiens, garantiront la viabilité à long terme de l'agriculture et permettront aux contribuables d'économiser de l'argent, en comparaison du statu quo.

Voilà qui met fin à notre exposé. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente suppléante: Merci beaucoup. C'était très intéressant et éclairant.

Le sénateur Fairbairn: C'est un sujet fascinant et c'est aussi une question d'actualité dans les régions d'où viennent bon nombre d'entre nous. Je sais que beaucoup de gens ont énormément d'inquiétudes à ce sujet dans mon coin du sud-ouest de l'Alberta.

Quand j'étais petite, les marécages n'avaient pas de secret pour moi. En fait, toute la région était le rendez-vous des amateurs de chasse aux canards du monde entier parce que c'était l'un des plus beaux endroits, l'un des plus prolifiques. Ce n'est plus le cas. Il ne reste presque plus rien.

Les enfants qui grandissent aujourd'hui n'ont pas la moindre idée de ce dont on parle quand on évoque l'histoire de notre pays, parce qu'ils n'en voient pas la trace. Vous pouvez compter sur mon appui non seulement pour la protection, mais aussi pour des projets de remise en état et de rétablissement.

J'ai écouté votre exposé et pris connaissance de votre document et il m'est venu deux ou trois questions à l'esprit. Votre document indique qu'il a été rédigé cette année, en consultation avec Environnement Canada. Cela semble encourageant.

Vous avez dit que les ministères gouvernementaux avaient énormément de difficulté à jeter des ponts entre eux et même entre leurs propres composantes. C'est malheureusement la réalité. Dans le cadre de vos efforts, y compris les plus récents, avez-vous eu le sentiment de voir apparaître de nouveaux partenariats avec le gouvernement du Canada, par l'entremise du ministère de l'Environnement et d'autres, ou bien ce projet est-il encore tout à fait à l'étape du projet sur papier?

M. Gray: Il est encore à l'étape de projet sur papier, mais il suscite beaucoup d'intérêt. Le ministre Anderson est venu à notre bureau à Winnipeg la semaine dernière. Notre administration centrale se trouve dans un marais. Il voulait voir le centre d'interprétation du marais de Oak Hammock, parce qu'il n'y était jamais allé. Nous avons eu l'occasion d'avoir un entretien et le ministre est certainement au courant de ce projet et il y est très favorable. Nous témoignerons la semaine prochaine au sujet du projet de loi C-5 et nous joindrons ce document en annexe.

Il est trop tôt pour dire si des fonds seront disponibles d'un ministère quelconque. Personne ne prend l'initiative de dire qu'il financera cette affaire, mais tous appuient le concept. J'ai dit que le budget de Canards Illimités est de 80 millions de dollars. Nous sommes prêts à être partenaires, non seulement en mettant à la disposition du projet nos 450 employés d'un bout à l'autre du pays, mais aussi en injectant de l'argent. Le niveau et l'intensité de notre contribution à ce projet, en partenariat avec le gouvernement, seront directement proportionnels à la valeur du projet pour notre mission. Je suis directeur de nos programmes de conservation. Ce sont des millions de dollars qui sont en jeu. Nous sommes disposés à injecter de l'argent en contrepartie des sommes injectées par les gouvernements fédéral et provinciaux, jusqu'à un certain point.

L'Administration du rétablissement agricole des Prairies, l'ARAP, est un excellent mécanisme de mise en oeuvre dans les Prairies. L'organisation est déjà en place et pourrait se charger de ce programme. Là encore, je parle à titre de profane. Je ne connais pas parfaitement le dossier, mais je connais un peu le fonctionnement de l'ARAP et je dirais qu'elle est capable de se charger de ce dossier. La question est de savoir quoi faire dans le reste du pays, où il n'y a pas de mécanisme semblable à l'ARAP. Nous avons des bureaux dans toutes les provinces et nous avons déjà laissé savoir que nous sommes disposés à aider à mettre au point ce projet et à le mettre en oeuvre dans les régions où le gouvernement fédéral a besoin d'aide. En plus d'avoir le personnel et le savoir-faire voulus, nous pouvons aussi fournir des fonds, au besoin.

M. Turner: Sénateur Fairbairn, vous avez raison de dire que nous avons beaucoup perdu au cours des dernières décennies. Vous vous rappelez encore le paysage que l'on pouvait voir aux alentours de Lethbridge durant votre enfance. Au cours du dernier siècle, la moitié des marécages du monde ont disparu. Au Canada, par exemple, 75 p. 100 des marécages du sud de l'Ontario ont disparu. Les gens se demandent pourquoi leurs puits sont à sec. Les gens se demandent pourquoi il y a tant de problèmes dans le domaine de l'eau: inondations, érosion des sols et dégradation de l'environnement. Nous disons que les marécages sont les reins de la terre. Si les forêts sont les poumons de la terre, les marécages en sont les reins.

Canards Illimités existe depuis 1938 et est maintenant la compagnie de conservation qui a les plus grands succès dans le monde entier.

M. Gray n'a pas mentionné le fait que nous avons eu il y a environ cinq semaines une excellente rencontre avec des gens du ministère des Finances. En fin de compte, si cette initiative est adoptée à l'échelle nationale, comme M. Gray l'a expliqué, les cinq ministères de RN communiqueront et travailleront ensemble, en collaboration avec Canards Illimités, avec les provinces et avec l'ensemble des intendants de la terre, notamment la communauté agricole. Nous avons présenté ce projet au ministère des Finances à l'occasion d'une rencontre privée avec des employés du bureau du ministre Martin, avec le ministre Peterson et des gens de son bureau. Ils se sont montrés enthousiastes. Ils étaient impressionnés et ont dit que notre vision en est une d'avenir.

Il est important que d'autres ministères, le Sénat et la Chambre des communes, le moment venu, puissent partager cette vision et que les ministères collaborent avec le ministère des Finances. Nous avons pensé qu'il était important de pressentir précocement ce ministère afin qu'il soit au courant de ce qui s'en vient. Dans cette ville, comme nous le savons tous, il y a beaucoup de rumeurs, de malentendus, de désinformation et il y a des choses qui se perdent dans le brouhaha. Cependant, le ministère des Finances comprend nos objectifs. Il en perçoit les avantages, non seulement en termes de revenu agricole, mais aussi pour l'environnement et la santé globale de notre pays.

Le sénateur Fairbairn a raison de dire que les marécages de Lethbridge n'existent plus que dans son souvenir, car ils ont disparu.

Le sénateur Fairbairn: Avez-vous une idée approximative du montant qu'il faudra pour réaliser le programme que vous décrivez, pour récompenser au lieu de punir? Quelle part chercheriez-vous à obtenir du gouvernement fédéral? Chercheriez-vous à aller au-delà des gouvernements pour obtenir l'appui du secteur privé pour lancer cette initiative?

M. Gray: C'est une excellente question. Nous sommes actuellement en train de faire une analyse financière. Essentiellement, nous devons déterminer combien d'argent il y a, combien cela coûtera et combien d'économies pourront être réalisées. Nous n'avons pas encore de réponse à ces questions. Quant à la superficie des terres visées, d'après une estimation approximative, elle se situerait entre quatre et huit millions d'acres.

Il existe des possibilités extraordinaires pour ce qui est d'obtenir l'adhésion du secteur industriel ou privé. En termes d'échange de carbone, si jamais les puits de carbone sont autorisés en application des accords de Kyoto ou bien si notre gouvernement prend l'initiative et déclare qu'il le fera de toute façon parce que c'est la chose à faire, il y a des entreprises qui peuvent acheter des puits. Par conséquent, l'industrie pourrait contribuer à financer ce projet.

Il y a des possibilités de permis échangeables dans le cours supérieur de la rivière Assiniboine. Si la ville de Winnipeg, la ville de Portage-la-Prairie et la province du Manitoba étudiaient sérieusement l'hydrologie de ce bassin et comprenaient ce qui s'y passe, il est évident qu'elles n'hésiteraient pas à débloquer les fonds nécessaires. Les autorités devraient protéger le bassin supérieur de l'Assiniboine. À cause de l'assèchement des marécages, qui se poursuit à un rythme inquiétant, l'eau s'écoule dans la plaine et vient détruire nos villes. Il y a possibilité de financement par le secteur privé ou par le secteur public.

Le sénateur Fairbairn: Si j'ai posé cette question, c'est parce qu'en vous écoutant, je songeais au travail qui a été accompli dans le nord de l'Alberta par Syncrude. Il y a de nombreuses années, quand on allait là-bas, on avait sous les yeux un paysage désolé. Cette compagnie a fait beaucoup de remise en état au fil des années. Le sénateur Chalifoux sait qu'elle a assaini et reboisé beaucoup de terres. Elle possède même un troupeau de bisons là-haut. Elle a fait un travail remarquable. Je songeais à tout cela et à la possibilité d'en faire autant ailleurs au Canada pour tenter de récupérer en partie ce qui a été perdu.

M. Gray: Tout dépend de la quantité d'encouragements financiers qui est nécessaire. Cela dépend de la région, du type d'agriculture, selon qu'il s'agit d'un secteur riverain en Ontario ou de prairies dans le sud de la Saskatchewan. Il n'y a pas une seule solution universelle, d'où l'importance d'obtenir l'adhésion des gouvernements provinciaux et municipaux.

M. Turner: L'une des bonnes mesures prises par le gouvernement l'année dernière a été de réduire l'impôt sur le gain en capital réalisé sur le don de propriétés écologiquement sensibles. Cet impôt était à 75 p. 100 en février 2000. Il a été abaissé à 33,3 p. 100 et, dans l'exposé économique d'octobre dernier, a été réduit à 25 p. 100. C'est un magnifique encouragement pour les Canadiens qui ont des terres sensibles à donner.

Il y a un arriéré de plusieurs milliers d'acres qui attendent l'approbation du gouvernement dans le cadre de cette nouvelle initiative. C'était une bonne mesure.

M. Gray: Cela ne s'applique pas tellement aux agriculteurs en activité. Ils disposent déjà d'une exemption d'un demi-million de dollars. Pour bénéficier de ce crédit d'impôt, il faut des revenus. Il faut réaliser un profit pour pouvoir en déduire ce montant. De nos jours, la plupart des agriculteurs ne font pas de profits, de sorte que ce crédit d'impôt ne leur est d'aucune utilité. Il y aurait peut-être des possibilités du côté de la planification successorale, et nous étudions la question, mais même en l'absence de gains de capital, je pense que cela n'aiderait pas la plupart des propriétaires terriens qui exploitent actuellement leurs terres à des fins agricoles.

Le sénateur Banks: Je ne suis pas agriculteur, mais il y en a dans ma famille et je sais donc que ce que vous venez de dire est vrai. J'ai bien du mal à comprendre que, d'après vous, il serait plus efficace sur le plan écologique et aussi plus efficient et moins cher d'aider les agriculteurs en lançant un programme de crédit-bail ou quelque chose du genre que de recourir à des subventions agricoles. Autrement dit, ce que vous préconisez, c'est de retirer des terres de l'exploitation agricole, de ne plus les mettre en culture.

M. Gray: Oui.

Le sénateur Banks: J'ai une question à plusieurs facettes. Si les agriculteurs disent qu'actuellement, il leur en coûte plus cher d'ensemencer, de labourer et de récolter que l'argent qu'ils peuvent obtenir pour leur récolte, ce n'est pas une situation saine, un bon point de départ.

J'ai beaucoup de mal à comprendre comment, sur le moyen ou le long terme, vous pourriez me convaincre que, si j'étais agriculteur, je trouverais plus avantageux de me tourner vers un quelconque programme de subventions que le pays pourrait se permettre de payer. S'agirait-il de paiements, pour racheter carrément la terre, ou du versement d'une sorte de loyer? Il est question d'environ huit millions d'acres. J'ignore quel est le coût moyen des terres agricoles, mais cela fait beaucoup d'argent. Vous devez y avoir réfléchi, alors voudriez-vous m'expliquer comment un tel programme fonctionnerait, selon votre scénario idéal?

Mais avant que vous le fassiez, pourriez-vous me dire combien d'argent vous recevez du gouvernement canadien? Vous nous avez dit, je crois, toucher 30 millions de dollars des Américains.

M. Gray: Grâce au taux de change, nous avons actuellement un transfert très favorable. L'année dernière, nous avons obtenu15 millions de dollars américains du gouvernement des États-Unis, et un montant égal de Canards Illimités. Aux termes de la Loi sur la conservation des terres humides d'Amérique du Nord que George Bush a signée en 1989, de l'argent est versé au Canada pourvu qu'un montant égal soit versé par une organisation non fédérale, qui peut être un État ou une ONG comme Canards Illimités. Le plafond est fixé à 15 millions de dollars. Canards Illimités a versé la même somme; nous avons donc touché30 millions de dollars américains, ce qui représente environ45 millions de dollars canadiens.

Le montant varie d'une année à l'autre, mais je crois que le montant que nous touchons en partenariat direct, en excluant l'argent que nous avons reçu dans le cadre des projets du millénaire, du gouvernement canadien et de nos partenaires du Service canadien de la faune, se situe probablement entre un et trois millions de dollars par année au total.

Le sénateur Banks: Merci pour cette précision. Comment le programme fonctionnerait-t-il?

M. Gray: Il y a deux façons d'envisager l'affaire. Si vous examinez le programme d'aide aux agriculteurs de cette année, ou ceux de l'année dernière ou de l'année d'avant, en fait tous les programmes que nous avons mis en place depuis que nous nous sommes débarrassés des subventions permanentes reposent sur un paiement à l'acre dans les Prairies. Un cultivateur cherche donc à avoir le plus de terres possible en culture pour toucher le versement. Le seul chiffre que je connais est celui que m'a communiqué ma source au ministère de l'Environnement de l'Alberta; c'est un économiste et il dit que les agriculteurs ont touché 14 $ l'acre d'aide agricole pour les semailles en 1999. Pour 1 000 acres, le paiement était donc de 14 000 $. C'était fondé sur la superficie des terres en culture. Il est probable qu'une grande partie des terres visées ne sont pas des terres très productives. S'il s'agit de terres classées IV, V ou VI selon l'ITC, elles ne sont pas ensemencées en céréales ou en oléagineux de toute façon. Le système récompense l'agriculteur pour mettre en culture des terres marginales sur le plan économique ou environnemental.

Si le paiement moyen était de 14 $ et qu'il s'agissait de bonnes terres, le cultivateur a probablement fait de l'argent, mais les autres terres qui sont marginales pourraient être soustraites à l'agriculture. On peut soutenir qu'il en coûterait au gouvernement 30 $ l'acre de subventions par année.

Voilà le scénario que nous envisageons: soustraire la terre à l'agriculture, payer l'agriculteur pour ce faire, et le coût demeure inférieur. Il s'agit d'examiner l'aspect financier de l'agriculture.

Le sénateur Banks: Comment 30 $ l'acre peut-il être moins que 14 $ l'acre? Vous venez tout juste de dire qu'il en coûterait peut-être 30 $ l'acre pour retirer une terre de la production agricole. Nous la subventionnons actuellement à hauteur de14 $ l'acre et vous avez dit il y a un instant qu'il en coûterait moins cher de cette manière.

M. Gray: Si le paiement moyen pour toutes les terres cultivées en Alberta était de 14 $ l'acre et si certaines terres visées sont de bonnes terres tandis que d'autres sont de mauvaises terres, ce sont les mauvaises terres qui font en réalité perdre de l'argent aux agriculteurs. Personne n'a les chiffres. Si c'est 14 $ l'acre en moyenne, les cultivateurs perdent probablement 60 $ l'acre ou 40 $ l'acre sur les terres marginales, tandis qu'ils font de l'argent sur certaines bonnes parcelles de terre. Si l'on soustrait ces mauvaises terres de l'agriculture, alors on pourrait faire économiser au gouvernement autour de 60 $ l'acre ou 40 $ l'acre. Nous essayons d'obtenir ces données. Ce chiffre est valable pour la subvention seulement.

Le sénateur Stratton: Si j'étais agriculteur, je sentirais venir une occasion très juteuse. Si l'on donne de l'argent et si je possède une terre qui n'a pas un très bon rendement, qu'est-ce qui m'empêcherait de vous donner tout le bazar et d'empocher l'argent? Comment décidez-vous ce qui est marginal et ce qui est productif? Est-ce que l'agriculteur se présente et dit: «Vous voyez cette terre, eh bien, vous pouvez l'avoir»? Qui décide?

M. Gray: La décision serait prise par Agriculture et Agroalimentaire Canada. Le ministère possède une cartographie complète des sols selon leur potentiel au Canada. Au niveau macro, il en a déjà une bonne idée.

J'ai fait allusion à la loi agricole des États-Unis et au Conservation Reserve Program, appelé CRP. Les détails et la «plomberie» du CRP aux États-Unis sont tels que l'on limite la superficie de terre d'une municipalité ou d'un comté pouvant être admise au programme. Le plafond est fixé à 25 p. 100 des terres agricoles en culture dans une municipalité rurale, un comté ou une paroisse.

Dans un monde idéal, la préférence serait de limiter le pourcentage des terres d'un producteur donné qui est admissible au programme et, pour l'inscription en 2002, il y a des indices environnementaux très précis. Ce n'est pas tout le monde qui est admissible. Il faut posséder des zones riveraines. Il faut posséder des sols marginaux. Le gouvernement ne permettra pas que l'on inscrive au programme des terres productives. Dans votre exemple, le fonctionnement du système serait tel que ce ne serait pas autorisé.

Le sénateur Stratton: Autour de Brandon, toutes les terres agricoles, section après section, sont de bonnes terres arables. Les terres de la région dite entre les lacs, au nord de Winnipeg, autour de Selkirk, sont très marginales. Les agriculteurs continuent de les cultiver. Au printemps, une bonne partie des terres sont inondées. Il peut y avoir une municipalité où les terres marginales représentent de 60 à 70 p. 100 de toute la superficie de la municipalité. C'est un chiffre approximatif que je vous lance. Ailleurs, ce pourrait être 10 p. 100. Ne serait-il pas préférable de remettre les terres marginales dans la région entre les lacs, qui était auparavant une magnifique région où l'on trouvait exactement ce que vous décrivez, dans leur état d'origine, au lieu de limiter la quantité à un chiffre arbitraire comme 25 p. 100? En fait, il faudrait créer plus de marécages, à mon avis, dans certains secteurs qui étaient autrefois dans cet état.

M. Gray: C'est juste. Je voudrais apporter une précision. Ce ne sont pas seulement les marécages qui sont en cause, mais tous les types de paysages. Nous nous occupons du paysage, globalement. Auparavant, notre compagnie s'occupait exclusivement des marécages, mais nous nous sommes transformés et nous nous occupons maintenant de tous les paysages.

J'insiste sur le fait que Canards Illimités lance cette initiative. Nous devons obtenir l'adhésion des groupes de producteurs, des gouvernements provinciaux, municipaux et fédéral et des cinq RN pour mettre au point tous les détails d'un tel programme. Nous avons d'excellents modèles au sud de chez nous, où trois lois agricoles distinctes ont été adoptées.

Autre bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire: lesdeux premières lois agricoles américaines ont créé le programme de réserve de conservation pour protéger les sols très érodables. Les législateurs avaient toutefois oublié d'ajouter des clauses de protection. Il y avait une réserve: il fallait que la terre soit en production depuis trois ans. Beaucoup de producteurs du Dakota du Nord et du Sud ont essayé de cultiver la prairie vierge. Ils ont tenté de cultiver ces terres pendant trois ans, sachant qu'ils ne feraient pas un sou, mais qu'ils pourraient ensuite obtenir un contrat de 10 ou 15 ans, ce qui a aggravé le problème. On a remédié à cette lacune, mais nous pouvons tirer des leçons de leurs erreurs.

Le sénateur Stratton: J'ai entendu parler de cette situation. C'est pourquoi j'ai soulevé la question, parce que l'on peut sentir une bonne affaire. Les agriculteurs, par nécessité, peuvent faire preuve de beaucoup de créativité.

Le sénateur Tunney: Seulement les agriculteurs?

Le sénateur Stratton: Dans ce cas précis, oui. On ne peut pas les blâmer, si la porte est ouverte, d'en profiter.

Ma dernière question est celle-ci: si une grande partie des terres d'un cultivateur sont marginales, c'est-à-dire qu'elles devraient être soustraites à l'agriculture, qu'est-ce que ce cultivateur est censé faire? Il essaie de gagner sa vie en cultivant cette terre. S'il vous en remet la plus grande partie, il ferait tout aussi bien de vous donner toute l'affaire.

Lorsque vous demandez à un agriculteur de subsistance établi de longue date de soustraire subitement une grande partie de ses terres à la culture, il vous répondra peut-être que tant qu'à prendre cette terre, vous feriez aussi bien de tout prendre. Avez-vous réfléchi à cela?

M. Gray: Il y a plusieurs façons d'aborder cette question. Là encore, il n'y a pas de solution toute faite, du moins je n'en ai pas encore trouvé.

Nous avons présenté ce scénario aux gens des finances et leur réaction, après avoir examiné le modèle américain, a été de demander pourquoi nous voulons louer la terre, parce qu'après10 ans, elle aura été payée, et après 20 ans, elle aura été payée deux fois. Ils ont demandé pourquoi, dans le cas de terres vraiment marginales sur le plan économique du point de vue de la production, mais qui sont importantes sur le plan écologique, pourquoi ne pas protéger cette terre à perpétuité en la payant d'un seul coup? M. Turner et moi-même avons été pris par surprise, et nous avons répondu: «Nous avions envisagé de vous le proposer, mais nous ne pensions pas que vous trouveriez cela acceptable».

Il y a beaucoup de problèmes de sécurité - le besoin de protéger la ferme et tout le reste - mais nous n'envisageons pas des superficies immenses, il s'agirait plutôt de petites parcelles de terre, une mosaïque du paysage. Il y aura des secteurs où, à moins que l'agriculture change du tout au tout, comme ce pourrait être le cas avec les organismes modifiés génétiquement, la meilleure utilisation, la plus intensive serait de fournir des biens et services environnementaux. Toutefois, il y a encore d'autres aspects. Il y a des secteurs qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada envisage de soustraire à la culture pour les consacrer au fourrage, soit sous forme de pâturage, soit pour y cultiver du foin. Ce sont des activités agricoles rentables et, à l'heure actuelle, l'industrie du boeuf est florissante dans l'ouest du Canada.

Nous ne disons pas qu'il faut tout clôturer et retourner à l'état sauvage, mais nous avons un service qui obtiendra les chiffres et qui calculera exactement quelle est la superficie visée, combien cela va coûter et quelles économies pourront être réalisées.

[Français]

Le sénateur Gill: Je vois dans la documentation que Canards Illimités est un organisme qui existe depuis plusieurs décennies. Personnellement, j'ai participé à une campagne de financement qui se tenait dans mon coin, un coin isolé du Québec.

On n'entend plus tellement parler de Canards Illimités, si ce n'est lorsqu'on reçoit des lettres nous demandant de contribuer financièrement.

Je comprends que vous avez approché six gouvernements au Canada et que vous ne l'avez pas encore fait au Québec. Je comprends également que vous avez pour mandat la conservation de l'habitat, la collecte de fonds, la recherche et l'éducation. Votre mission est-elle toujours la même depuis l'existence de Canards Illimités?

Le travail que vous faites au niveau de la conservation des habitats au pays est exceptionnel et je pense que vous tentez d'atteindre des objectifs que d'autres aussi essaient d'atteindre.

Mon autre question concerne l'affiliation. J'aimerais savoir si vous êtes en partenariat avec l'Association des agriculteurs, avec les Autochtones ou avec d'autres organisations gouvernementales?

[Traduction]

M. Gray: Nous faisons des campagnes de financement. C'est une partie de ce que nous faisons. Nous amassons de l'argent et nous dépensons de l'argent pour faire de la conservation. Nous avons un assez bon partenariat avec le Service de la faune du ministère de l'Environnement du Québec. L'un de nos employés a été prêté au gouvernement provincial, où sa tâche consiste à étudier les politiques agricoles et environnementales existantes dans l'optique de la conservation des terres humides et des terres hautes.

Nous avons une présence limitée là-bas. Notre budget de fonctionnement au Québec est probablement de l'ordre de quatre à cinq millions de dollars par année. Nous avons un nouveau projet tout près de Montebello. On passe à côté en allant d'Ottawa à Montréal. Le long de la rivière des Outaouais et du fleuve Saint-Laurent, entre ici et Montréal, nous avons probablement cinq ou six projets qui sont visibles de la route.

Pour ce qui est des Premières nations, j'ai essayé il y a trois ans d'élaborer un protocole d'entente avec l'Assemblée des premières nations. Ils n'acceptent pas les protocoles d'entente. Ils ont dit: «Si vous voulez établir des relations nationales avec nous, rédigez un projet de résolution que nous pourrions proposer à notre assemblée générale annuelle». Nous avons travaillé avec de nombreuses Premières nations d'un bout à l'autre du pays au cours de nos 60 ans d'histoire et nous avons consacré quelque18 millions de dollars aux terres des Premières nations, travaillant avec les programmes d'intendance, les programmes de pâturage en alternance, pour les aider à transformer des terres cultivées marginales qu'elles avaient acquises récemment dans le cadre de règlements de revendication territoriale ou en les achetant, pour les aider donc à remettre ces terres en pâturage.

Il serait utile, au niveau national, d'établir des relations de travail avec l'Assemblée des Premières nations, parce qu'elle possède beaucoup de terres et continue d'en acheter. J'ai pensé qu'elle pourrait profiter d'un appui scientifique non traditionnel qui viendrait renforcer ou compléter ses connaissances traditionnelles. Les deux fonctionnent très bien ensemble. L'Assemblée n'a pas beaucoup de scientifiques traditionnels qui travaillent avec elle. Pour l'essentiel, elle ne fait pas confiance au gouvernement. Nous pourrions être une organisation non gouvernementale à laquelle elle ferait confiance.

Malheureusement, notre résolution n'a jamais abouti dans deux assemblées générales annuelles successives. Les parrains de notre résolution ne se sont pas présentés ou bien ont décidé de ne pas proposer la motion. Je ne sais pas trop quel en aurait été le résultat au niveau national. Nous continuons de travailler avec les Premières nations, prises individuellement, quand elles sont visées par nos programmes. En fait, dans le cadre de notre Initiative pour la forêt boréale, nous travaillons avec plusieurs Premières nations au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.

[Français]

M. Turner: L'année passée, nous avons mis sur pied un grand projet à Montebello, sur la rive nord de la rivière des Outaouais. Une somme de 2,2 millions de dollars, partagée entre le gouvernement du Québec et Canards Illimités Canada, y fut investie. Ce fut un grand projet pour nous au Québec. Nous vous invitons à visiter ce projet.

J'ai une question pour le sénateur Gill. Avez-vous acheté quelque chose lors du dîner?

Le sénateur Gill: Cela m'a coûté pas mal cher.

[Traduction]

La présidente suppléante: Je sais que si vous approchez la nation métisse de l'Alberta, vous aurez beaucoup d'appui. Dans sa grande sagesse, le gouvernement provincial de l'Alberta de cette époque avait donné aux Métis des terres marginales. Il serait très avantageux pour vous de communiquer avec le Conseil général métis et la nation métisse de l'Alberta.

Le sénateur Tunney: Bonsoir. Je suis un cultivateur. Quand je suis à la maison, je m'occupe de ma ferme. J'habite à trois heures de route d'ici, sur la rive du lac Ontario.

Vous avez un bureau à Kingston, n'est-ce pas?

M. Gray: Oui, nous en avons un.

Le sénateur Tunney: J'ai fait affaire avec ce bureau à quelques reprises. Vous avez parlé tout à l'heure de «potholes». Est-ce que c'est ce que j'appelle un «slough»?

M. Gray: Un pothole est une formation géologique.

Le sénateur Tunney: C'est une petite mare dans la prairie?

M. Gray: Oui. Il y en a quelques-unes dans la plaine calcaire de l'Ontario. Nous venons d'établir un projet dans le secteur du marécage d'Alfred. Entre le marécage et la rivière, il y a une plaine calcaire. Nous venons d'en acheter 1 000 acres.

Le sénateur Tunney: Canards Illimités est-elle une compagnie?

M. Gray: Oui. Nous sommes une compagnie depuis 63 ans.

Le sénateur Tunney: Je n'avais jamais compris que c'était une entreprise commerciale. Considérez-vous que c'est une entreprise commerciale?

M. Gray: Nous sommes une organisation enregistrée à but non lucratif.

Le sénateur Tunney: Cela répond à ma question.

M. Gray: Nous fonctionnons toutefois comme une entreprise à but lucratif. Nous avons le sens des affaires et nous prenons très au sérieux chaque dollar que nous avons en banque. Nous considérons nos membres comme des actionnaires.

Le sénateur Tunney: Je m'étonne du grand nombre de coupures de journaux dans votre documentation qui recommandent l'abolition des subventions. Si vous essayez de convaincre les agriculteurs, vous comprendrez quelle sera leur réaction s'ils s'imaginent que vous préconisez aussi l'abolition des subventions. De nos jours, pour beaucoup d'agriculteurs, la subvention représente plus que la totalité de leur profit net et englobe même une portion de leur perte nette. Je ne comprends tout simplement pas cet argument.

M. Gray: À titre de précision, nous n'avions pas l'intention de mettre ces coupures de journaux dans ce dossier. Ce dossier est une trousse d'information pour expliquer en quoi consiste Canards Illimités. Les coupures de journaux sont à part, ou en tout cas elles étaient censées l'être, et elles sont pertinentes à ce dont nous parlons aujourd'hui. Ce sont simplement des articles de journaux qui ont un rapport avec cette question et vous êtes le seul groupe à qui nous les avons communiqués puisque c'est seulement aujourd'hui que nous avons réalisé cette synthèse. Ce sont seulement quelques réflexions publiées dans la presse sur le fléau des subventions.

Je voudrais dire, pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, que Canards Illimités croit en l'agriculture et en la ferme familiale. Nous sommes tout à fait en faveur de la poursuite de l'exploitation agricole. Nous avons de très bons partenariats avec des propriétaires fonciers. Nous sommes probablement l'organisme qui a acquis le plus d'expérience avec les propriétaires fonciers que n'importe quel autre groupe au pays, exception faite du gouvernement fédéral.

Nous avons une centaine d'employés en Saskatchewan et probablement que 70 d'entre eux sont des agriculteurs actifs ou tout au moins aident leur famille à faire les travaux agricoles la fin de semaine. Nous sommes de fervents partisans de la ferme familiale et de l'exploitation agricole. Cela fait partie intégrante de notre culture au Canada.

Notre approche consiste à mettre au point un mécanisme pour récompenser les gens afin de les inciter à faire ce qu'il faut faire, au lieu de les subventionner pour faire ce qu'il ne faut pas faire. Nous sommes sérieux quand nous disons qu'il faut axer la commercialisation de l'agriculture canadienne sur le reste de l'environnement. À l'étranger, les gens placent le Canada et la Suède sur le même pied quant à la façon dont nous traitons l'environnement. Il y a là possibilité de créer une image de marque et de favoriser nos exportations.

Pour ce qui est des exportations aux États-Unis, nous cultivons en Saskatchewan des céréales qui sont bonnes pour les canards et il y a probablement beaucoup de gens aux États-Unis qui achèteraient du pain fabriqué avec des céréales cultivées en Saskatchewan.

Le sénateur Tunney: J'ai sur ma terre un très grand marécage. Votre bureau de Kingston a fait de très bonnes recommandations à ce sujet et voulait y implanter un projet au coût de milliers de dollars. Je n'étais pas intéressé. J'ai fait les travaux qu'ils ont recommandés, mais je ne voulais pas de votre argent.

Si je faisais un drainage par tuyaux pour assécher la hauteur de l'autre côté du marécage, et si je fertilisais le sol avec de l'azote et que je faisais ensuite un drainage en direction de ce plan d'eau, cela tuerait le poisson et les grenouilles dans l'eau. Voilà ce qui m'inquiète. Je n'ai jamais permis que cela arrive, mais je suis certain que vous devez avoir beaucoup de problèmes de ce genre.

M. Gray: Le drainage par tuyaux est un problème particulier et difficile. Toutefois, pour le drainage en surface ou d'écoulement, des bandes tampons herbeuses de 50 pieds de large, adjacentes aux aires riveraines, permettent dans certains secteurs de capter 99 p. 100 de tout engrais ou pesticide présent dans les eaux d'écoulement. En l'absence de ces bandes tampons, ces produits se déversent directement dans le ruisseau ou la rivière et aboutissent dans notre eau potable.

Je connais très bien le drainage par tuyau parce que ma terre se trouve à l'emplacement du lac glaciaire Agassiz, dans la région de la rivière Rouge. C'est très plat et c'est entièrement cultivé. Ces tuyaux se déversent directement dans des fossés de drainage qui se déversent à leur tour dans la rivière Assiniboine et la rivière Rouge. La charge de nutriments est très forte dans ces rivières. Ces produits ne tuent pas tous les poissons. Ces cours d'eau ne sont probablement pas en trop mauvais état, c'est seulement un milieu très riche en nutriments. Dans le cas d'un ruisseau à truites ou d'une pêcherie en eau froide, c'est très nuisible, mais il s'agit là d'une pêcherie en eau tiède et c'est donc moins problématique.

Le sénateur Tkachuk: Je tiens à vous féliciter de votre très bon exposé.

J'ai jeté un coup d'oeil aux articles qui accompagnent votre texte. Le problème des subventions, c'est que l'entité qui les distribue s'attend souvent à un certain comportement qui ne se matérialise finalement jamais.

N'y a-t-il pas des agriculteurs qui ne touchent pas aux terres que vous avez identifiées à des fins de conservation? Quand on roule dans les Prairies, on voit qu'il y a des agriculteurs qui assèchent les potholes tandis que d'autres les laissent tels quels et plantent tout autour. Comment cela fonctionnerait-il? Vous intéresseriez-vous aux habitats naturels qui ont été conservés, ou bien tenteriez-vous de faire des projets de remise en état?

M. Gray: Les deux. Nous voulons créer un système qui récompense les gens qui ont déjà fait ce qu'il faut faire. La pire chose serait de mettre au point un système qui récompense seulement les gens dont la terre doit être remise en état. Ceux qui ont fait une bonne intendance pendant de longues années se sentiraient lésés.

La plupart des gens ne retourneraient pas tout simplement la terre. Le système doit récompenser les agriculteurs qui agissent déjà comme il se doit.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez parlé de produits économiques, mais vous n'avez pas donné de détails. Tous ces efforts de conservation ont une valeur. La conservation a une valeur économique.

Nous avons des problèmes d'eau parce que l'eau est gratuite. Les gens abusent de ce qui est gratuit. Les derniers problèmes que nous avons malheureusement éprouvés en Ontario nous ont appris que rien n'est gratuit.

L'eau elle-même dans les terres marécageuses a une valeur économique. Cette valeur réside dans la faune, les canards, la chasse, les entreprises qui en découleraient, et aussi la beauté naturelle qui est un bien pour les collectivités.

Pourriez-vous nous en parler un peu plus longuement dans un document de suivi? C'est un aspect tout aussi important; il est vrai que l'on achète de la terre pour en tirer quelque chose, mais il y a aussi une valeur économique qui bénéficie à la collectivité et au pays tout entier.

M. Gray: Vous trouverez dans les coupures de journaux que j'ai remises au comité permanent des articles sur l'environnement et les biens et services environnementaux associés au tourisme et aux loisirs. Dans les Prairies, nous avons déjà des gîtes touristiques qui apparaissent en grand nombre dans les fermes familiales. Certains soutiendraient qu'il y a beaucoup plus de possibilités de ce côté-là. Je pense que c'est vrai. Il y a 20 millions d'habitants en Californie. Dans 50 ans, il y en aura 60 millions. Où iront-ils passer leurs vacances?

Il y a beaucoup de possibilités de ce côté. Il y a la valeur récréative directe de la chasse et de la pêche. La moitié des chasseurs et des pêcheurs qui arrivent en Saskatchewan à l'automne viennent des États-Unis, et ils prolongent leur séjour chez nous.

Oui, nos économistes examinent ces chiffres. C'est quelque chose de plus tangible que de savoir combien quelqu'un paierait pour aller faire de l'observation d'oiseaux. Ces chiffres sont davantage conjecturels.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez évoqué l'accord de Kyoto. Je ne suis pas un fervent partisan de ce qui a été fait à Kyoto. Néanmoins, nous sommes signataires du protocole.

Vous avez évoqué un accord sur la réduction des terres mises en culture pour respecter des normes établies quelque part. Je n'en ai pas entendu parler. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Gray: Il n'a pas été accepté à Kyoto, mais il était question de puits et du concept des compensations. Les accords de Kyoto visent à réduire la quantité d'émissions atmosphériques. Parallèlement, il y a un groupe de scientifiques, de spécialistes de l'environnement et de représentants de l'industrie qui ont convenu que c'était important, mais qui ont fait remarquer que l'on peut aussi séquestrer le carbone. On peut prendre le carbone qui est dans l'air et le stocker dans les racines ou dans la biomasse des êtres vivants ou des plantes mortes. L'idée est que l'on prendrait une terre cultivée qui est un producteur net de carbone ou de méthane. On mettrait ces sous-produits dans de l'herbe ou des arbres qui, chaque année, séquestreraient des tonnes et des tonnes de carbone pour chaque hectare ou chaque acre de terre.

Si j'exploitais une grande usine alimentée au charbon, qu'il s'agisse d'une entreprise de fabrication ou d'une centrale électrique, et si je venais juste de réaliser des immobilisations il y a cinq ans, l'accord de Kyoto me ferait peur. Je me demanderais bien ce que je dirais à mes actionnaires, parce que l'amortissement de mon capital est soudainement reporté de 20 ans.

Les puits constitueraient l'un des mécanismes de transition. On ne pourrait pas supprimer totalement les émissions d'ici dix ans sans faire faillite. Par contre, on pourrait réaliser des compensations en achetant ou en louant des terres pour y séquestrer du carbone puisé dans l'atmosphère. Le différentiel net serait à peu près le même.

Le sénateur Tkachuk: Certains scientifiques disent que plus on plante d'arbres, plus il fera chaud. On ne sait jamais, n'est-ce pas?

M. Gray: Je ne suis pas expert du changement climatique. Quarante-neuf des 50 principaux modèles sur le changement climatique pointent tous à peu près dans la même direction. La question ne se pose plus. En fait, le Harvard Business Review a laissé entendre que tous les PDG des États-Unis devraient cesser d'en parler. C'est la réalité. Les données scientifiques sont incontournables. Le temps est venu de tourner la page et de passer à l'action.

Le sénateur Tkachuk: Je n'ai pas dit que j'étais en faveur du réchauffement planétaire. J'ai dit que je ne suis pas un fervent partisan de Kyoto.

M. Gray: Les marécages séquestrent du carbone. Ils sont des puits nets, surtout les arbres et les buissons qui se trouvent dans les aires riveraines en bordure des marécages.

Le sénateur Hubley: Je suis de l'Île-du-Prince-Édouard. En suivant votre présentation, j'essayais de faire le lien entre une exploitation agricole immense et un écosystème plus restreint.

Dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, comment identifieriez- vous les terres les plus productives, par opposition aux terres marginales ou moins productives - dans l'Île-du-Prince-Édouard ou d'autres régions plus réduites?

M. Gray: Nous avons acquis beaucoup d'expérience dans l'Île-du-Prince-Édouard. Nous avons travaillé à ce dossier avec l'honorable ministre Mitch Murphy.

J'ai ait quelques vagues observations sur les estuaires et les fruits de mer dans mon exposé. Nous songions plus particulièrement aux provinces Maritimes. Il y a deux ans, nous avons eu une pluie diluvienne et une grande quantité de limons a été emportée dans la mer. Les sols, chargés de beaucoup de nutriments, ont tué beaucoup de fruits de mer, de truites de mer, et cetera. C'est une industrie importante chez nous. Nous avons travaillé là-dessus. Il y aurait lieu de créer une bande tampon le long des ruisseaux et des canaux dans l'Île-du-Prince-Édouard. Il y a aussi un point, autour de sept ou neuf degrés de pente, à partir duquel la pluie peut devenir problématique et causer la perte de la couche superficielle du sol, qui s'écoule dans les ruisseaux.

Nous avons travaillé avec des gens du ministère pour examiner la possibilité de créer un programme de couvert végétal. Ils ont déjà des plans de conservation des terres agricoles. C'est l'une des provinces qui a été un chef de file dans ce dossier. Il faudrait implanter ces bandes tampons non seulement en bordure des champs pour arrêter l'écoulement, mais aussi dans les pentes abruptes qui sont cultivées. Si la pente est de 12 degrés, bien des gens diraient que cette terre doit être soustraite à la culture. La décision ne serait peut-être pas automatique. On pourrait choisir l'alternance, en plantant des pommes de terre une année sur cinq, et en mettant un couvert permanent quelconque le reste du temps.

Le sénateur Banks: Je voudrais vous inviter à réfléchir tout haut quelques instants. Vous avez fait un éloquent plaidoyer en disant que vous croyez en la ferme familiale. Nous acceptons tous que, de temps à autre, l'agriculture nécessite des subventions du secteur public.

Il y a deux points de vue sur les subventions agricoles. Je voudrais savoir lequel de ces points de vue votre organisation juge le plus sage. Une approche consiste à subventionner la ferme familiale à titre de secteur industriel, c'est-à-dire que c'est une industrie que nous devons subventionner. L'autre approche, c'est de considérer l'agriculture comme un mode de vie. Cesdeux approches ne sont pas mutuellement exclusives. Si l'on décide de subventionner les entreprises agricoles familiales, devrions-nous les considérer comme mode de vie que nous voulons préserver ou d'industries que nous voulons conserver?

M. Gray: Officiellement, nous n'avons jamais fait part publiquement de nos réflexions sur cette question. Je ne me sens pas à l'aise de parler au nom de la compagnie sur cette question.

Je peux parler en mon nom personnel, si vous me le permettez. Je me prononce en faveur de la deuxième approche. Je peux comprendre que le mot «subventionner» ait des connotations négatives. Toutefois, si nous devons subventionner, mon argument est que subventionner un mode de vie sera jugé acceptable. C'est plus que des aliments et des fibres. Cela fait partie de notre culture, de notre patrimoine et de notre paysage.

Nous produisons. Quelle proportion de nos denrées agricoles sont exportées?

Il me semble qu'il y a un aspect culturel, surtout pour les gens qui habitent dans les petites localités rurales. Si l'agriculture disparaît, les localités rurales disparaîtront aussi. Il y a de petites collectivités rurales qui essaient d'investir dans la relève. Elles donnent des bourses pour étudier à l'université, étant entendu que les jeunes gens reviendront ensuite dans la localité.

J'en profite encore pour vanter les mérites de Canards Illimités: nous employons beaucoup de gens qui viennent de petites localités: North Battleford, Melford, Brandon, Killarney, Camrose, East St. Paul, Amherst et une petite localité près de Lethbridge, et cetera. Nous sommes intégrés dans la collectivité. Ces localités existent grâce à l'agriculture.

Le sénateur Banks: Compte tenu de ce que le gouvernement du Canada et les provinces font ensemble en termes d'investissement dans la ferme familiale, envisager ces fermes comme un mode de vie, c'est davantage compatible avec votre vision des choses et avec l'avenir que vous entrevoyez pour les fermes familiales, n'est-ce pas?

M. Gray: Oui, c'est mon opinion.

La présidente suppléante: Je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Soyez assuré que les délibérations de cette séance ont été enregistrées et que le président et le vice-président en recevront le compte rendu. L'information que vous nous avez transmise est précieuse.

Je vous invite à discuter avec les Métis. Ils seront peut-être un peu plus ouverts à vos idées. La majorité des gens qui habitent dans la zone du Canada central, où se trouvent les marécages, sont des Métis. Ils habitent dans des localités isolées et il serait sage que vous ayez un entretien avec eux.

De plus, Canards Illimités devrait aller dans l'Île-du-Prince-Édouard pour s'y entretenir avec le sénateur Hubley. Notre environnement est tellement important.

M. Gray: Je vais téléphoner au ministre Murphy demain pour lui parler d'une autre affaire connexe.

La séance est levée.

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