Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 8 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 17 mai 2001
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 33 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.
Le sénateur Jack Wiebe (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: Nous avons le quorum. Notre premier témoin est M. Jack Hayden, membre, conseil d'administration national, Fédération canadienne des municipalités. M. Hayden vient de l'Alberta.
M. Jack Hayden, membre, conseil d'administration national, Fédération canadienne des municipalités: D'entrée de jeu, je remercie les membres du comité de l'occasion qu'ils nous donnent de comparaître devant eux et de leur faire part de certains de nos points de vue au sujet de la crise agricole que connaît le pays.
La Fédération canadienne des municipalités représente plus de 1 000 municipalités du Canada. Bon nombre de ces municipalités entretiennent de solides liens avec le secteur agricole. Chacune des municipalités du Canada est touchée par la crise agricole à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés. L'agriculture représente donc un enjeu important pour la Fédération canadienne des municipalités.
De toute évidence, il s'agit d'un enjeu qui me tient à coeur puisque, en plus d'être un membre du conseil d'administration de la Fédération canadienne des municipalités, je préside l'Alberta Association of Municipal Districts and Counties. Je suiségalement le conseiller local élu du comté de Stettler, en Alberta. Enfin, je représente la quatrième génération d'une lignée d'agriculteurs.
On m'a demandé de venir vous présenter le point de vue des municipalités sur la situation agricole actuelle, et je dois d'emblée vous confier que la tâche m'apparaît difficile. La question revêt une extrême importance pour les administrations municipales et les collectivités, mais elle ne s'arrête pas là. Il s'agit d'un véritable enjeu national qui exige l'attention du pays tout entier et l'adoption d'un plan d'action national.
Fait probablement plus important encore, il s'agit d'un problème qui a trait aux gens. Il s'agit non pas seulement de récoltes, du bétail ou de statistiques, mais aussi de Canadiens.
Les problèmes auxquels les producteurs canadiens font aujourd'hui face ne concernent pas que les producteurs eux-mêmes, même si nous devons examiner de près cette question. Ces problèmes affectent en réalité les collectivités rurales et toutes les collectivités du Canada. Même dans le monde de la technologie moderne, on a besoin de viande, et nous ne devons pas perdre cela de vue.
Vous avez devant vous certains documents que j'ai fait distribuer. Je ne vais donc pas vous rebattre les oreilles avec des statistiques qui illustrent les difficultés financières qu'éprouvent les agriculteurs canadiens. Vous avez déjà reçu quelques témoins qui ont fait état de la situation, et vous trouverez un certain nombre d'autres chiffres à ce sujet dans notre mémoire. Je tiens plutôt à souligner l'importance que revêt l'agriculture pour l'économie canadienne.
Le secteur agroalimentaire est l'une des cinq plus importantes industries du Canada. Avec quelque 1,9 million de travailleurs canadiens, elle est l'un des plus importants employeurs au pays. Sa contribution correspond à environ 8,5 p. 100 du produit intérieur brut du pays. À titre d'exemple de l'importance que revêt le secteur en Alberta, je précise qu'un emploi sur trois dans la province est lié, directement ou indirectement, à l'industrie agricole. À la lumière de notre industrie pétrolière, bon nombre de personnes considèrent ce fait comme intéressant.
Les aliments et boissons comptent parmi les plus importants secteurs de l'industrie manufacturière: ce secteur emploie, en effet, 18 p. 100 des travailleurs.
Au niveau local, l'importance de l'agriculture est parfois encore plus prononcée. La majorité des résidents de la plupart des municipalités rurales s'adonne toujours à des activités agricoles ou travaille dans des domaines directement liés à l'agriculture. La communauté agricole constitue la clientèle principale de la plupart des villes et villages.
En milieu urbain, bon nombre d'emplois dépendent directe ment de la transformation de produits agricoles primaires. À titre d'exemple, le Conference Board du Canada a évoqué cette question au moment de l'inondation qu'a connue le Manitoba en 1999.
Les inondations printanières qui ont empêché les agriculteurs d'ensemencer de vastes territoires se sont traduites par un déclin marqué de la production agricole. Cette situation a par la suite frappé de plein fouet le secteur manufacturier, les ventes de matériel agricole accusant un important recul.
Les effets de cette situation se sont répercutés partout au pays. À l'Île-du-Prince-Édouard, l'impact sur la collectivité locale des restrictions imposées récemment sur les pommes de terre produites par la province a été tout aussi marqué. Les recettes agricoles ont atteint leur plus bas niveau en huit ans; on estime à environ 30 millions de dollars les pertes de revenu totales. Selon un de mes collègues de l'Île-du-Prince-Édouard, les ventes des entreprises locales sont en baisse de 80 p. 100. Une petite entreprise de camionnage de la province fait état de pertes de 10 000 $ par mois. Même Toronto n'est pas épargné. Dans la région du Grand Toronto, en effet, l'activité économique du secteur agricole se chiffre à environ 1,3 milliard de dollars. Le nombre d'emplois liés au secteur agricole s'établit à 1,6 p. 100.
Naturellement, les effets ne se limitent pas qu'aux économies locales. Les agriculteurs canadiens ont toujours apporté une contribution cruciale au bien-être social des collectivités rurales et continuent de le faire. La forte activité bénévole de lacommunauté agricole est essentielle à la viabilité de bon nombre de groupes ruraux du Canada. Le maintien de niveauxd'inscription suffisants dans les écoles rurales des quatre coins du Canada dépend en grande partie des familles agricoles.
Tandis que l'évolution de l'économie agricole se poursuivait, la société canadienne s'est urbanisée. On a été témoin d'importantes diminutions de la population, en particulier chez les jeunes. De 1972 à 1996, Statistique Canada fait état d'une diminution du nombre de jeunes dans les collectivités rurales des provinces. Ces chiffres, qui s'appliquent à toutes les provinces, montrent que ce sont la Saskatchewan et les provinces de l'Atlantique qui ont subi les pertes les plus importantes.
En Alberta, où l'agriculture est plus diversifiée, les débouchés à l'extérieur de la ferme sont plus nombreux en raison de l'industrie pétrolière. Cependant, nous mettrons tout en oeuvre pour mettre à la disposition des jeunes de véritables occasions de demeurer dans les collectivités rurales et d'y prospérer.
Avec la diminution du nombre de jeunes, une tendance affligeante déferle partout au pays, à savoir la fermeture des écoles rurales. La perte d'une école rurale porte un coup dur à la santé et à l'âme d'une collectivité.
Par ailleurs, de nombreux impacts humains se font sentir sur les familles et, en particulier, les jeunes qui restent derrière. Je vis moi-même une telle situation. Tous les matins, mes enfants partent pour l'école à bord d'autobus scolaires. Chaque jour, ils mettent plus de trois heures à se rendre à l'école et à en revenir. Nous nous inquiétons de nos enfants et de la sécurité routière. En effet, bon nombre de routes qu'ils empruntent ne sont pas ce que la majorité des Canadiens considérerait comme des routes sûres et de bonne qualité. C'est sans parler du temps qu'ils perdent.
Le financement de l'éducation dans les régions rurales, en particulier en Alberta, est lié au nombre d'élèves. Les conseils scolaires se livrent donc concurrence pour élargir leurs rangs. En raison de cette concurrence, les conseils scolaires mettent des services de transport à la disposition des enfants. À titre d'exemple, mon aîné a commencé sa première année dans une classe de 13 élèves. Lorsqu'il a reçu son diplôme, ils n'étaient plus que trois. Les autres prenaient l'autobus pour aller étudier ailleurs. Il a fait ses études secondaires par l'entremise du téléenseignement, grâce à des lignes téléphoniques et à des satellites. Il s'est bien tiré d'affaire, et je suis heureux de souligner qu'il a réussi à l'université. Cependant, finir sa douzième année dans une classe ne comptant que trois élèves n'a pas été facile. Dans l'esprit de bénévolat et de camaraderie qui nous caractérise, 285 élèves ont toutefois participé au bal des finissants.
Le système a disparu, et il n'y avait donc plus de possibilité de cette nature. Voilà pourquoi mes deux autres enfants passent plus de trois heures par jour dans l'autobus. Cette situation prive les jeunes de la possibilité de s'adonner à des activités parascolaires. Ces déplacements les fatiguent au plus haut point. Habituelle ment, les parents travaillent à l'extérieur pour assurer la survie de l'exploitation agricole. Ils ne sont donc absolument pas en mesure d'aller chercher leurs enfants. Ce sont de véritables tragédies. Certains élèves ne sont même pas en mesure de profiter des trois heures de déplacement pour effectuer leurs devoirs: s'ils tentent de lire dans un véhicule en mouvement, ils ont la nausée. Ce sont donc trois heures perdues.
Les Canadiens, qu'ils vivent en milieu rural ou urbain, ont tous à coeur l'environnement naturel du pays. Cet environnement dépend au plus haut point de l'intendance sage et responsable des personnes qui travaillent la terre. Les agriculteurs canadiens assument la responsabilité de l'entretien au jour le jour d'un énorme pourcentage du patrimoine naturel du Canada. Parce que leur réussite à titre de producteur dépend de la santé du sol, ils se considèrent comme d'excellents gardiens de la terre et de l'environnement. Qu'il s'agisse de la préservation de la pureté de nos précieuses réserves d'eau, de notre air ou de nos espèces en danger de disparition, la participation et le soutien actif de la communauté agricole canadienne sont essentiels à la réalisation des buts du pays.
Dans une très large mesure, les agriculteurs canadiens ont pavé la voie à la gestion responsable des ressources environnementales. Cependant, les agriculteurs ne pourront poursuivre leur intendance que s'ils se sentent financièrement sûrs d'eux-mêmes. Les pressions financières de plus en plus grandes auxquelles les agriculteurs ont fait face au cours des dernières décennies se sont traduites par des pratiques insoutenables.
La sélection des cultures sur des terres marginales à laquelle se livrent les agriculteurs dans le seul but de demeurer en vie n'est bonne ni pour l'environnement ni pour le Canada. C'est en raison de la situation dans laquelle ils se sont trouvés que certains ont pris ce genre de décisions. Quand on se demande si les exploitations agricoles existeront toujours le printemps suivant, il est très difficile pour l'industrie de se concentrer sur les engagements à long terme qu'elle sait nécessaires. C'est partout la situation à laquelle la plupart des producteurs du pays sont aujourd'hui confrontés.
Nous devons examiner attentivement le rôle des producteurs agricoles non seulement du point de vue économique ou social, mais aussi du point de vue de la durabilité de l'environnement au Canada.
À titre de d'information, je précise que le Royaume-Uni entame maintenant un débat sur ce genre de questions dans le sillage de l'épidémie de fièvre aphteuse qu'elle a connue. On dit que le ministre de l'Agriculture de ce pays, Nick Brown, aurait accepté que, dans les programmes, on mette l'accent sur l'intendance du sol plutôt que sur la production. Le pays ne va pas réduire son financement. Il va plutôt le réorienter. Ce qu'évoque le ministre, c'est, naturellement, le maintien des niveaux actuels definancement et la réorientation des fonds qui serviront à dédommager les agriculteurs britanniques qui assurent l'intendan ce du territoire rural.
Nous n'avons pas nécessairement à appuyer une telle démar che, mais il est intéressant de constater que les États-Unis étudient la possibilité d'assujettir les allocations de fonds à la même pratique. Nous devons trouver des moyens de reconnaître et derécompenser les contributions des agriculteurs canadiens. Nous devons faire en sorte qu'il soit payant pour l'agriculture de continuer à exploiter la terre. Si nous la laissons disparaître, la communauté agricole nous fera cruellement défaut, c'est certain.
Comme je l'ai indiqué, la crise n'a pas trait qu'au prix des produits, à la sécheresse, à l'impact économique ni aux recettes. Il s'agit d'une crise humaine, et cette question fait partie de ce dont vous souhaitiez que je vous entretienne aujourd'hui. Il s'agit d'un problème personnel puisqu'il touche nos voisins, nos frères, nos soeurs, nos cousins et nos amis. Il frappe des personnes qui continuent d'être des producteurs de classe mondiale et de faire preuve d'une efficience de classe mondiale. Pourtant, ils sont en train de perdre le combat, non pas en raison de ce qu'ils produisent, mais bien parce qu'ils doivent faire la lutte aux trésors des États-Unis et de l'Union européenne. C'est là le fond de l'affaire.
Les agriculteurs continuent d'effectuer de longues heures de travail pour une pitance. Ils ont également du mal à accepter que les médias des villes les assimilent à des parasites, comme c'est parfois le cas. Rien n'est plus faux. La communauté agricole n'est pas un parasite. Pourtant, on laisse entendre à bon nombre de ses représentants qu'ils n'ont plus d'importance.
Il semble que les politiciens et les contribuables ne soient plus disposés à soutenir les producteurs et à créer des règles du jeu égales. On leur recommande de diversifier leurs activités en trouvant un revenu et un emploi à l'extérieur de la ferme, puis Revenu Canada vient frapper à leur porte et les récompense en les coiffant du titre d'agriculteurs amateurs, ce qui entraîne une modification de leur statut.
On leur dit de s'adapter au nouveau monde de la concurrence. Ainsi, la productivité agricole a augmenté de 300 p. 100 au cours des 50 dernières années et de 900 p. 100 au cours du siècle dernier. Chaque année, chacun des quelque 300 000 agriculteurs que compte le Canada produit en moyenne assez d'aliments pour nourrir environ 120 personnes. Fait intéressant, toute personne du secteur de l'alimentation produisant à ce niveau s'assurerait un train de vie enviable. Cependant, la personne qui nourrit ses contemporains n'en a pas la possibilité.
Il y a cent ans, une agriculture ne nourrissait que 12 personnes. Nous avons donc parcouru beaucoup de chemin.
Il est pratiquement impossible de gagner sa vie dans le domaine de l'agriculture en raison des subventions massives dontbénéficient nos concurrents mondiaux. Les agriculteurs améri cains et européens touchent plus de 2 $ pour tout dollar que le gouvernement canadien verse en appui aux agriculteurs du pays. Nous devons reconnaître l'importance que revêt un secteur environnemental sain.
Les agriculteurs canadiens sont fiers. Les municipalités rurales le sont aussi. Nous préférerions ne pas nous engager dans une guerre de subventions avec les Américains et les Européens. Par ailleurs, nous sacrifions nos agriculteurs sur l'autel de la pureté commerciale. Cette situation doit cesser.
La Fédération canadienne des municipalités est consciente du fait que les collectivités agricoles sont, à maints égards, le fer de lance de notre pays. Les agriculteurs continuent de travailler d'arrache-pied. Ils contribuent au bien-être économique et social de leurs collectivités, mais ils éprouvent de graves difficultés. Ils ont besoin de votre aide. Le gouvernement du Canada doit reconnaître les problèmes auxquels ils sont confrontés. On doit rappeler à nos voisins des villes le rôle critique que l'agriculture joue au pays. Par-dessus tout, les agriculteurs ont, dès aujourd'hui, besoin d'un soutien financier significatif.
Il y a un certain nombre de mesures que le gouvernement fédéral pourrait prendre pour venir en aide aux agriculteurs et aux collectivités rurales. On devrait consolider les programmes en place et en introduire de nouveaux pour favoriser l'emploi en milieu rural. Le gouvernement devrait majorer l'aide à la recherche agricole et entreprendre des initiatives de mise en marché qui aident les agriculteurs canadiens à vendre leurs produits de façon plus efficace sur le marché international.
Bon nombre de personnes ignorent que les agriculteurs doivent avoir accès aux services de première nécessité. Dans les régions rurales, l'absence de tels services pose un problème de taille. Je fais ici référence à des services aussi fondamentaux que le téléphone. Dans de nombreuses régions rurales, de tels services brillent par leur absence. Les régions rurales doivent avoir accès à Internet. Nous avons également besoin de services de santé et d'éducation adéquats pour nos familles.
À l'instar de bien d'autres, notre fédération effectue une bonne part de son travail par voie électronique. Quand je suis à la maison, je mets parfois trois heures à télécharger de l'information. En ville, je n'ai qu'à brancher mon ordinateur portatif pour véritablement télécharger des données. C'est un pur plaisir. Ce problème, nous devons l'éliminer. Les agriculteurs doivent être en mesure de communiquer dans le monde électronique.
Nous devons également poursuivre les négociations pour que les États-Unis et l'Union européenne mettent un terme à leurs pratiques actuelles en matière de subventions. La seule façon efficace d'assurer la viabilité de nos collectivités rurales consiste à mettre un frein au phénomène du dépeuplement rural. Nous devons conserver les jeunes dans nos collectivités. Nous devons faire de l'agriculture une activité payante. Si nous y parvenons, les jeunes resteront au Canada rural. Les collectivités ne demeureront viables que si les familles peuvent contribuer aux recettes des entreprises locales. Nous tenons à ce que nos collectivités survivent.
Je conclurai sur une citation que m'a fournie William Jennings Bryant. Elle résume le message que je voulais vous faire passer aujourd'hui.
Incendiez vos villes sans toucher à nos fermes, et vos villes renaîtront comme par magie; détruisez nos fermes en revanche, et l'herbe poussera dans les rues de toutes les villes du pays.
Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Le vice-président: Vous avez dit que l'agriculteur canadien reçoit 1 $ pour chaque tranche de 2 $ que les Européens versent à leurs agriculteurs. Si tel était le cas, nos agriculteurs seraient ravis. Pour chaque dollar que les Européens versent ensubvention, les Américains accordent 54 cents, et les Canadiens, entre 9 et 13 cents.
M. Hayden: Pour les pays européens et les États-Unis, le rapport est de 2 $ par tranche de 1 $.
Le vice-président: Une bonne partie des propos que vous avez tenus donne à coup sûr une bonne idée de la situation de l'agriculture canadienne d'aujourd'hui. Nous avons nous-mêmes soulevé bon nombre de ces problèmes dans le rapport que nous avons présenté à la fin de l'année dernière.
On a fait paraître un article dans Western Producer. Vous y avez indirectement fait allusion. Dans l'article, on affirme que bon nombre de politiciens et d'organismes agricoles sont d'avis - sans le crier sur les toits - que nous devrions trouver d'autres utilisations pour notre territoire agricole. C'est ce que pensent la totalité des organismes agricoles et certains politiciens, mais ils n'ont pas le courage politique de le dire, par crainte de la réaction négative du grand public. La définition donnée par le ministre de l'Agriculture de l'Angleterre m'a plutôt fait plaisir. Il a déclaré:
Aux termes des réformes globales envisagées, lesagriculteurs seront payés pour être les gardiens du territoire plutôt que des producteurs d'aliments. On créera un nouveau ministère des Affaires rurales. Les subventions ou le soutien des prix des produits seront réduits ou progressivement éliminés.
On commence à comprendre que les agriculteurs, au lieu de produire des aliments à bon marché excédentaires, devraient être récompensés pour assurer la préservation du paysage traditionnel.
Le phénomène s'explique peut-être en partie par la tendance vers l'agriculture biologique observée en Europe. Il est certain qu'on peut produire à une échelle plus petite. Comment votre organisme réagirait-il si notre pays adoptait une approche analogue?
M. Hayden: La Fédération canadienne des municipalités compte parmi les figures de proue dans le secteur despréoccupations environnementales. Nous distribuons les fonds municipaux pour la nature, et nous consacrons des efforts à de nombreuses infrastructures pour tenter d'améliorer l'environne ment. Je suis certain que la Fédération serait favorable à l'étude de ce genre d'agriculture.
Je ne pense pas que les producteurs s'y opposeraient non plus. Nous avons la réputation de produire des aliments de qualité. À Ottawa, je vois sur les menus l'expression «Boeuf de l'Alberta». Pourquoi les restaurants font-ils ce genre de publicité? Parce que le boeuf de l'Alberta est synonyme de qualité, tout comme les pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard sont synonymes de qualité. Quand, en septembre, je viens en Ontario, je me régale du maïs local. C'est le meilleur du monde. Les céréales que nous produisons dans les Prairies sont celles qui se prêtent le mieux à la fabrication des pâtes alimentaires, tous pays confondus.
Les produits canadiens sont de bonne qualité, ce qui s'explique par les méthodes agricoles respectueuses de l'environnement que nous avons utilisées. Nous avons exploité le sol comme il se doit, et les industries ont adopté des pratiques adéquates. Les terres sont adaptées. Lorsque nous dévions de cette route, des problèmes se posent.
En Ontario et en Alberta, les activités intensives auxquelles vous avez fait allusion font naître d'énormes préoccupations. En Alberta, des capitaux venus de partout ont commencé à affluer pour la création d'un gigantesque élevage de bétail. Dans le sud de la province, les parcs d'engraissement du bétail ont déjà fait l'objet d'une âpre lutte. L'industrie porcine a fait son entrée en Alberta. Les Albertains s'inquiètent de l'impact environnemental de la venue d'une telle industrie. La pollution oul'appauvrissement des eaux souterraines préoccupent. Ce genre de production entraîne un certain nombre de problèmes. Lorsque le vent souffle du mauvais côté, vivre près d'une porcherie renfermant 5 000 bêtes n'est guère plaisant.
À mon avis, des initiatives visant la protection del'environnement et l'intendance du sol pourraient être une solution, à condition qu'elles permettent aux agriculteurs de gagner leur vie sur la ferme.
Le sénateur Oliver: Vos propos m'amènent à poser deux questions séparées et distinctes. Vous avez dit deux choses à propos des finances et de l'agriculture. D'abord, vous avez dit que les agriculteurs doivent jouir d'une certaine sécurité financière pour continuer de produire. À la fin de vos propos, vous avez ajouté qu'on doit faire de l'agriculture une activité payante.
Quelles mesures recommanderiez-vous au gouvernement de prendre pour assurer la sécurité financière des agriculteurs? Quelles mesures devrions-nous prendre pour faire de l'agriculture une activité payante?
Notre président vous a lancé un défi au sujet de l'avenir de l'agriculture au pays. Les derniers témoins que le comité a entendus représentaient Canards Illimités. Ils ont tenu des propos critiques au sujet des effets de l'agriculture sur l'environnement. Ils ont laissé entendre que les percées technologiques réalisées au cours des 50 dernières années, conjuguées à la réduction des marges de profit associées aux récoltes, ont fait en sorte que les activités agricoles ont eu un impact négatif sur l'eau, le sol, les poissons, la faune et les territoires agricoles. L'exploitation de terres marginales ou très érodables, l'assèchement des marécages, l'élimination de zones maraîchères tampons, la surutilisation des pâturages naturels et des secteurs riverains sont autant d'effets négatifs imputés à l'agriculture.
Que peut-on faire pour préserver les techniques agricoles traditionnelles et, en même temps, protéger l'environnement?
M. Hayden: En ce qui concerne la question de l'activité payante, la réponse est si simple que je me demande pourquoi le pays continue de tâtonner.
Le sénateur Oliver: Plus d'argent à la ferme.
M. Hayden: Exactement. Au sein de l'Union européenne, un producteur céréalier reçoit plus en subventions que ce que touche l'agriculteur canadien pour un boisseau de céréales. Voilà le problème. Face à une telle situation, impossible de produire. Si les producteurs européens peuvent produire, c'est grâce auxsubventions.
En ce qui concerne l'élimination des subventions, nous avons fait figure de héros. Nos concurrents, cependant, ne nous ont pas emboîté le pas. C'est là que le bât blesse. Les producteurs canadiens se réjouiraient de la disparition des subventions. Nous pourrions alors soutenir la concurrence mondiale en vertu de règles du jeu égales. Notre pays a décidé que nous devions aller de l'avant et servir d'exemple au reste du monde en supprimant les subventions. Cependant, ces mesures ont pour effet d'affamer nos agriculteurs. Telle a été la conséquence. Faire de l'agriculture une activité payante suppose l'octroi aux producteurs canadiens d'une aide comparable à celle que nos concurrents accordent à leurs producteurs jusqu'à ce que nous ayons réussi à nous débarrasser des subventions. Pour ma part, je suis prêt à défendre l'élimination des subventions, mais nous ne sommes pas fondés à affamer les représentants du secteur agricole. Voilà qui répond à la partie de votre question portant sur l'activité payante.
La description faite par Canards Illimités du sort qui a été réservé à une bonne partie du territoire et des marécages naturels est exacte. On exploite des terres agricoles marginales et on effectue des sélections de récolte sur la foi de besoinséconomiques et non de bonnes pratiques environnementales. Cette situation est dangereuse pour nous tous. Si les agriculteurs agissent ainsi, c'est pour gagner leur vie.
La première vague de faillites agricoles qu'a connues le pays a été colossale. De nombreuses personnes ont été acculées à la faillite à cette occasion. Certaines d'entre elles n'avaient sans doute pas le sens des affaires. Certains, en particulier les jeunes et les nouveaux agriculteurs, étaient peut-être surendettés. C'est ce qu'on a appelé la première vague.
Dans la deuxième vague, dont nous sommes aujourd'hui témoins, les chiffres ont diminué. Certains excellents producteurs en font partie. Ces personnes font appel à la technologie de pointe et produisent en quantité supérieure. Cependant, la technologie a raison de leur avoir propre, ce qui les accule à la faillite. Les producteurs ont le choix de se retirer pendant qu'ils ont encore quelque chose à vendre ou tenir le coup dans l'espoir qu'on corrigera la situation. Dans ce contexte financier, ils prennent des décisions qui ne sont pas nécessairement bonnes pour la terre.
J'ai beaucoup de respect pour Canards Illimités. J'ai participé à leurs campagnes de souscription, j'ai assisté à leur venteaux enchères et j'ai même utilisé le capot d'un vieux Chevrolet 1942 pour traîner des balles de foin dans des marécages pour que les oies aient un endroit où nicher. Depuis quelques années, je n'appuie plus l'organisme avec autant d'enthousiasme que par le passé parce qu'on a affaire ici à quelques demi-vérités. En ce qui concerne l'état de l'environnement et des mesures à prendre, l'organisme a raison. À l'examen, vous constaterez cependant que près de 90 p. 100 de ses fonds proviennent des chasseurs sportifs américains. Face à cet organisme, nous devons faire preuve de réalisme. Il fait un excellent travail, je n'en disconviens pas, mais il s'est donné pour tâche de produire des canards à l'intention des chasseurs sportifs américains. J'ai moi-même coopéré avec l'organisme. Je suis favorable à son action, mais je dis que nous devons examiner les interventions avec prudence. Pour de tels organismes, la meilleure solution serait que le pays tout entier se transforme en marécage. Je n'y vois pas d'inconvénients, à condition qu'on soit prêt à en payer le prix.
Le sénateur Hubley: J'ai été heureuse d'apprendre que la Fédération canadienne des municipalités allait comparaître devant nous aujourd'hui. C'est là une étape importante. Il est clair que l'ordre de gouvernement que vous représentez est en proie aux problèmes qu'éprouve aujourd'hui le secteur agricole. Je viens d'une collectivité agricole de l'Île-du-Prince-Édouard.L'Île-du-Prince-Édouard est synonyme d'agriculture. C'est notre industrie principale, et les difficultés que rencontre l'industrie agricole dans certains domaines touchent tous les secteurs, sans exception.
Hormis l'étape décisive que vous avez franchie en faisantune présentation devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture, quelles autres stratégies avez-vous mises en place pour lutter contre les problèmes agricoles dans vos collectivités? Les municipalités discutent-elles avec le milieu des affaires et de la finance des idées mises de l'avant par l'association? Je crois savoir que les agriculteurs ont le sentiment, lorsqu'ils traversent des moments difficiles, d'être abandonnés à eux-mêmes. Je me demande si vous avez adopté d'autres stratégies.
M. Hayden: Les activités de la fédération passent par l'adoption de résolutions. Nous sommes disposés à faire part au comité des résolutions adoptées aux quatre coins du pays relativement à la communauté agricole.
Je peux vous donner un très bon exemple du rapport que le gouvernement fédéral entretient avec les municipalités. La plupart des programmes qui voient aujourd'hui le jour sont des programmes de partenariat. Ces programmes sont établis entre une province et une municipalité ou entre le gouvernement fédéral et la province et la municipalité. Environ le tiers de mes municipalités sont considérées comme étant dans le besoin. Cette situation surprendra les personnes qui habitent dans l'est du Canada, convaincues qu'elles sont que l'Alberta est en plein essor. Si ces municipalités sont considérées comme étant dans le besoin, c'est parce qu'elles dépendent des taxes sur les propriétés agricoles pour la prestation de services municipaux de base. Parce qu'il s'agit d'habitants des régions conscients de la précarité de la situation, on a différé les augmentations de taxes et tenté de comprimer les dépenses autant que possible. Je suis au courant de la situation à laquelle nous sommes confrontés. La vaste majorité du tiers de mes membres dont j'ai parlé n'a toujours pas été mêlée à un programme de partenariat avec le gouvernement fédéral.
Lorsque Ottawa annonce son intention d'investir unesomme x dans un programme destiné à l'infrastructure en décrépitude, n'allez surtout pas tenir pour acquis que les sommes en question seront utilisées là où on en a le plus besoin. Elles iront plutôt dans les municipalités capables d'avancer le tiers du montant.
C'est l'un des aspects que nous nous efforçons de corriger. Nous nous berçons de l'illusion que ces programmes ont été créés pour régler les problèmes auxquels nous faisons face. Cependant, rien n'est réglé si les intéressés n'ont pas d'argent à investir. Peut-être ces programmes ne devraient-ils pas être conditionnels.
En Alberta, le taux par mille municipal moyen est d'environ 8 millièmes de dollars pour les propriétés. La propriété de quelques-uns de mes membres est assujettie à un taux se situant entre 20 et 30 millièmes de dollars. Ces taux par mille, qui sont deux ou trois fois supérieurs à la moyenne, sont imposés à la communauté agricole. Même avec un tel taux par mille, les municipalités ne peuvent fournir que les services les plus essentiels.
Le sénateur Hubley: Nous allons devoir nous intéresser de plus près à l'agriculture biologique. On peut imaginer qu'elle connaîtra une prospérité plus grande dans les collectivités rurales. Dans les petites collectivités, on apprécie ce genre de services. Il est intéressant que les agriculteurs biologiques touchent le prix dont ils ont besoin pour récupérer leurs coûts de production.Ce n'est pas le cas dans bon nombre d'autres secteurs de l'agriculture.
Les petites exploitations n'ont pas droit aux mêmes services que les plus grandes, peut-être même en ce qui concerne l'assurance-récolte, mais je n'en suis pas certaine. Si elles bénéficiaient de bon nombre des garanties dont profitent les exploitations de plus grande taille, m'a-t-on déjà dit, les petites exploitations jouiraient à coup sûr d'un niveau d'aisance plus grand.
Les agriculteurs biologiques semblent déterminés à faire pousser ou à récolter des produits respectueux de l'environne ment. Cette situation avantageuse semble ne faire que des gagnants, mais les agriculteurs en question auront besoin de l'appui des municipalités. Dans nos petites collectivités, nous sommes sans cesse en quête de solutions de rechange à la culture de la pomme de terre parce que, après un certain temps, le sol s'épuise. Nous produisons toujours, mais nous nous demandons à quel prix.
Il serait intéressant d'en venir à un point d'équilibre, ce à quoi l'agriculture biologique permettrait peut-être d'arriver. Lejardinage biologique produit d'autres avantages communautaires, par exemple le tourisme et les jardins maraîchers.
J'aimerais que la fédération soutienne l'agriculture biologique et, peut-être, encourage ses membres à soutenir d'autres formes d'agriculture dont les résultats semblent prometteurs.
M. Hayden: Je ne connais pas bien le secteur auquel vous faites allusion ni les mesures prises par les municipalités dans le domaine de l'agriculture biologique. Dans de nombreuses régions du pays, cependant, les municipalités accordent au secteur un soutien très net. On a recours à des règlements et à des mesures discrétionnaires portant sur l'aménagement du territoire. Les municipalités font beaucoup pour s'assurer que les fossés ne sont pas arrosés et éviter toute activité chimique à proximité d'une exploitation biologique.
L'agriculture biologique est une bonne idée, et il est clair qu'il existe un marché pour ses produits. Cependant, nous devons faire preuve de réalisme. Le marché est limité parce qu'il s'agit d'une activité à fort coefficient de main-d'oeuvre, incompatible avec une exploitation à grande échelle. L'agriculture biologique exige la présence d'un grand nombre de personnes. C'est pourquoi les produits sont coûteux. Or, le nombre de personnes disposées à payer jusqu'à deux fois plus pour les produits est malgré tout limité.
En ce qui concerne les producteurs de céréales et de fèves oléagineuses, on doit savoir qu'une moissonneuse-batteuse coûte 250 000 $. C'est une grosse entreprise.
Le sénateur Hubley: C'est une entreprise différente.
M. Hayden: Oui, très différente.
Le sénateur Tunney: Je suis moi aussi un agriculteur actif. Je suis un vieil agriculteur et un nouveau sénateur. Je veux soulever un certain nombre de questions auprès de vous. La première a trait à l'économie agricole dans votre région de l'Alberta.Deuxièmement, j'aimerais avoir votre opinion au sujet de l'utilité du Bureau d'examen de l'endettement agricole. Troisièmement, j'aimerais que vous compariez pour nous les prix actuels des engrais par rapport à ceux des dernières années. Quatrièmement, j'aimerais savoir comment vous vous y prenez pour faire face à la situation, au vu du prix actuel des céréales. Enfin, j'aimerais connaître votre opinion au sujet de la rotation des cultures et des méga-exploitations agricoles.
Je vais également faire un commentaire au sujet d'une brève discussion que nous avons eue auparavant. Je suis moi aussi abonné au magazine The Western Producer que je lis du début à la fin. Mes propos concernent la situation que connaissentl'Angleterre et le Pays de Galles, plus que l'Irlande et l'Écosse, parce qu'on retrouve dans les premiers une concertationdémographique plus grande. Après avoir effectué à l'étranger quelques voyages à vocation agricole, je comprends que la terre agricole est, en Angleterre, si surutilisée qu'il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on songe à la laisser en jachère et à lui permettre de reprendre son état originel.
Nous pouvons comparer avec la situation en vigueur au Canada. Nous bénéficions toujours de terre agricole absolument parfaite. Nous avons intérêt à faire preuve de prévoyance et à la conserver dans cet état. Je m'inquiète de la présence des méga-exploitations agricoles comme celles que nous avons en Ontario. De nombreux projets sont à l'étude. Nous éprouvons également des problèmes d'eau. Ce sont des enjeux à long terme, et c'est aujourd'hui qu'il faut s'y attaquer, et non cent ans après que nous aurons tous disparu. On nous reprochera alors de ne pas avoir fait ce qu'il fallait. J'aimerais entendre vos commentaires.
M. Hayden: Je vais faire deux ou trois commentaires. Vous serez peut-être intéressés d'apprendre que, depuis août dernier, nous avons reçu 0,4 pouce de pluie. L'année dernière, nous avons également fait face à une sécheresse. À titre de producteur de bétail, j'ai, cette année, acheté la majeure partie des aliments mangés par les animaux. Les prix du bétail sont bons, mais les effets sont annulés par l'obligation que nous avons d'acheter les aliments. À titre de producteur laitier de l'Ontario, vous comprenez assurément ce que je veux dire.
Dans de nombreuses régions du Canada, les conditions de sol et les taux d'humidité sont tels qu'on peut produire trois récoltes de foin par année. L'année dernière, j'ai coupé la moitié de mes récoltes pour un rendement de 30 balles rondes par 50 acres. Les 50 premières acres que j'ai coupées m'ont donné un rendement inférieur au quart de celui que peuvent attendre les agriculteurs du reste du pays pour une superficie identique.
Dans les Prairies, nous faisons face à un grave problème de sécheresse. Ce problème ne se limite pas à l'Alberta. Il s'étend à l'Alberta, à la Saskatchewan et au Manitoba. Pour que les producteurs fassent leurs frais, tout doit bien fonctionner.
Cette année, le coût de certains engrais a augmenté de 300 p. 100. Le phénomène est imputable à l'augmentation du coût du gaz naturel, de nombreux engrais étant des produits dérivés de l'industrie de la pétrochimie.
Les prix des intrants continuent d'augmenter, tandis que ceux des produits vont dans le sens inverse. Il n'y a pas que les engrais. La situation s'applique également aux carburants. Le ministre de l'Agriculture de l'Alberta demande au gouvernement fédéral d'étudier la taxe sur le carburant que les producteurs agricoles paient au niveau fédéral. En Alberta, les producteurs agricoles ne paient pas de taxes sur le carburant, mais il y a une taxe fédérale établie en pourcentage. Le pourcentage augmente au fur et à mesure que les prix augmentent.
J'ai déjà déclaré que l'industrie bénéficie d'un traitement différent des autres. En Alberta, nous déréglementonsl'industrie de l'électricité. Les responsables del'approvisionnement en électricité ont, au terme d'une réflexion, décidé que 9,5 p. 100 constituent aujourd'hui un rendement raisonnable. Si vous accordiez aux producteurs agricoles un rendement de l'investissement de 9,5 p. 100, vous n'entendriez parler d'eux qu'une fois par année, c'est-à-dire à Noël, quand ils vous feraient parvenir des mots de remerciement!
Je sais qu'il y a des méga-exploitations agricoles en Ontario, et je sais que la situation suscite de vives inquiétudes. Les grandes sociétés des secteurs des céréales et des fèves oléagineuses n'aiment pas contourner les arbres ni les marécages. Elles préfèrent tout aplanir, ce qui n'est pas bon pour l'environnement. On retrouve ce genre de pratique dans les Prairies, où de nombreuses régions sont aux prises avec la sécheresse.
Ce printemps, nous avons été témoins de situations telles que nous en avons connu dans les années 30, c'est-à-dire que la couche arable a pris le chemin des États-Unis. Le vent a un effet néfaste sur le sol. Bon nombre d'agriculteurs s'efforcent de pratiquer la rotation des cultures et de faire les choses comme il se doit, mais le matériel exigé par la rotation des cultures est coûteux. Il est difficile de se montrer responsable quand on ne bénéficie pas d'un bon rendement de l'investissement.
On note aux quatre coins du pays certains signes encoura geants. J'ai eu une bonne discussion avec mon homologue de l'Ontario. Il élève des porcs. Lorsqu'il a débuté dans le secteur, les «substances nutritives», expression polie que je vais utiliser pour désigner ce que les cochons laissent derrière eux, suscitaient de vives préoccupations. Il a dû pour sa part garantir qu'il avait des terres où étendre ces substances nutritives. Au départ, les craintes étaient nombreuses. Après, certains lui ont demandé s'ils pouvaient avoir une part de ces substances nutritives. En raison du coût des engrais, on est désormais prêt à payer pour en avoir. Cette question en soulève une autre à propos de la rotation des cultures.
J'en viens donc à une autre question que vous avez posée à propos de la rotation des cultures. On peut épandre des substances nutritives d'origine porcine sur le sol du sud de l'Ontario, planter du maïs la première année, du canola, la seconde, et du blé, la troisième, puis épandre de nouveau des substances nutritives. De cette façon, on évite d'acheter des engrais d'origine pétrochimi que coûteux et on enrichit le sol à l'aide de substances nutritives naturelles. Ce type d'innovation donne de bons résultats.
Je ne connais pas assez bien le Bureau d'examen de l'endettement agricole pour me prononcer à son sujet. Je peux cependant dire un mot de l'endettement agricole parce que j'ai vu bon nombre de mes amis renoncer à l'agriculture non pas parce qu'ils étaient de mauvais producteurs, mais bien plutôt parce qu'ils n'étaient pas en mesure de rembourser leurs dettes.
Il y a un certain temps, j'ai eu une discussion avec un conseiller municipal de l'Alberta. La conversation en question a été plutôt émotive. Cet homme et son frère cultivent la terre ensemble. Leur production et la qualité de leurs produits sont, m'ont-ils dit, supérieures à celles de toutes les générations qui les ont précédés. Ils travaillent plus fort que tous ceux qui les ont précédés, et ils sont pourtant à deux années de perdre leur exploitation. Sur le plan psychologique, il s'agit d'une situation difficile.
Dans votre province, monsieur le président, il y a un service d'aide téléphonique à l'intention des agriculteurs qui songent à se suicider.
Je pense avoir répondu à la plupart des aspects soulevés dans vos questions. Pour assurer la pureté du territoire, les méga-exploitants agricoles ne sont pas nécessairement la solution.
Le sénateur Tunney: C'est très intéressant. Ce qui est triste à propos de l'agriculture, c'est qu'il s'agit d'une industrie à laquelle ne s'intéressent pas ceux qui ont le pouvoir de changer des choses. Le gouvernement fait comme si elle n'existait pas. Lesagriculteurs sont parfois une nuisance, même pour le ministre de l'Agriculture.
M. Hayden: Les agriculteurs comptent pour un petitpourcentage de la population canadienne, ce qui pose parfois des problèmes.
Je me permets de soulever un point intéressant en rapport avec ma situation personnelle en Alberta. L'Alberta, qui constitue manifestement une région rurale, renferme 67 comtés et67 directeurs municipaux. Nous comptons pour 93 p. 100 du territoire de la province. Pour la prestation des services plus essentiels, nous dépendons tous entièrement du secteur agricole.
Le vice-président: Monsieur Hayden, merci d'avoir comparu devant nous ce matin.
Le sénateur Sparrow: Vous avez fait allusion au petit nombre de producteurs, mais l'industrie agricole ne se résume pas au seul nombre d'agriculteurs. En fait, cette industrie génère de nombreux emplois et compte pour une bonne part du produit intérieur brut du pays. Devrions-nous entendre d'autres voix représentant les autres aspects de l'industrie agricole?
Plus l'industrie agricole s'étiolera, et plus des emplois seront perdus. Dans certaines provinces, 3 ou 4 p. 100 seulement des habitants travaillent dans l'industrie agricole. Cependant, cette industrie représente 25 ou 30 p. 100 du produit intérieur brut. Nous l'oublions sans cesse. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Hayden: Vous soulevez un point valable. À mon avis, ces personnes devraient comparaître devant vous. Avant, vous devriez cependant leur demander d'envisager un monde d'où les producteurs primaires et leur production au Canada seraient absents. Leur production dépend de la nôtre, ou ils ajoutent de la valeur aux produits que nous leur fournissons. Demandez-leur à quoi leur monde ressemblerait sans produits cultivés sur place.
Pour chaque véritable producteur agricole, on dénombre au moins quatre emplois dérivés. Je demande à mes membres d'en tenir compte au moment de la préparation de leur budget. De quoi la province de l'Alberta aurait-elle l'air sans le pétrole? De quoi votre budget a-t-il l'air? Quelle serait, dans ce contexte, l'importance de l'agriculture?
Voici un exercice intéressant: la prochaine fois que vous laisserez un pourboire à la personne qui vous a servi au restaurant, dites-vous qu'elle vient de recevoir plus que ce qu'a touché le producteur pour tous les aliments qu'il y avait dans votre assiette. Monsieur le président, je vous laisse sur cette réflexion.
Le vice-président: Je vous remercie d'avoir comparu devant nous ce matin. Nous vous en sommes reconnaissants. Je profite de l'occasion pour vous souhaiter une très bonne semaine à l'occasion de votre conférence.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à la deuxième portion de l'audience de ce matin.
Nous accueillons M. Anthony Chu, du ministère de la Santé du Canada, et le Dr John Wootton, conseiller spécial en santé rurale.
Soyez les bienvenus. On me dit que vous aimeriez faire une présentation en PowerPoint.
D.r John Wootton, conseiller spécial en santé rurale, Santé Canada: Monsieur le président, je vais m'inspirer de la version sur support papier d'une présentation en PowerPoint qui vous a été remise. Je vais tenter d'être bref pour laisser du temps à la discussion.
Je suis un médecin de campagne. Depuis deux ans et demi, j'occupe le poste de directeur général du Bureau de la santé rurale, qui a été créé en septembre 1998.
J'exerce ma profession en milieu rural depuis près de 17 ans. Je me fie à l'âge de mes enfants, qui ont tous grandi dans le Québec rural. J'espère vous donner une idée de ce que j'ai pu apporter à Santé Canada et de ce que sont, à mon avis, les enjeux. J'espère vous donner une idée de ce que le Bureau de la santé rurale a tenté de faire pour structurer sa réflexion sur la question et des mesures que nous entendons prendre pour donner une perspective fédérale à cette question. Mon collègue, M. Chu, vous entretiendra des aspects technologiques de certaines de ces solutions.
Le Canada rural dont nous parlons représente 30 p. 100 de la population. Les statistiques suscitent de nombreux débats et de nombreuses interprétations de la part des spécialistes. Si, de façon générale, nous avons affaire à des collectivités de 10 000 âmes ou moins, ce qui correspond habituellement à la taille des collectivités du Canada rural, nous avons affaire à une collectivité globale représentant environ 9 millions de personnes. Ces personnes ont exprimé de nombreuses préoccupations au sujet de leur santé et des services de santé auxquels ils ont droit.
À mon arrivée à Santé Canada, les compétences sont le principal problème auquel j'ai été confronté. Le gouvernement fédéral fournit aux provinces des fonds grâce auxquels elles assurent les services directs qui relèvent de leur compétence. Si ces problèmes se sont posés, c'est notamment parce qu'aucune province n'a encore réglé le problème de la prestation des services. Le pays est tout simplement trop vaste et la population trop clairsemée pour que le régime fonctionne.
Il m'est apparu clairement que nous avons là affaire à un problème national. On a demandé à bon nombre de députés du caucus rural ce que le gouvernement fédéral fait pour régler le problème. Nombreux sont ceux qui se sont demandé le rôle qu'ils pouvaient jouer. La création du Bureau de la santé rurale a été une des réponses.
Bien entendu, la définition du problème n'est que lecommencement. L'une des choses que nous avons rapidement comprises, c'est qu'il s'agit d'un problème extrêmementcomplexe, à multiples facettes. Il ne se résume pas à l'accès aux services. En fait, il soulève toute la question de l'état de santé. Le problème de l'état de santé se pose avec une acuité toute particulière dans les communautés autochtones du Nord, où nous nous familiarisons mieux avec les effets de bon nombre de facteurs qui sont au-delà des services de santé. Par conséquent, la question de la santé en milieu rural est très vaste et comporte de nombreux aspects. En réalité, un très grand nombre d'intervenants ont un rôle à jouer à cet égard. En outre, de formidables possibilités s'offrent à ceux d'entre nous qui souhaitent avoir un effet positif sur la vie des personnes qui vivent dans des régions rurales.
On doit se demander pourquoi ces questions sont aujourd'hui venues à l'avant-plan. À ce sujet, j'aimerais vous faire part de certaines réflexions personnelles. Ainsi, la situation commence à faire sentir ses effets sur les collectivités plus grandes. En particulier, le problème de la pénurie de ressources humaines n'est plus l'apanage du Canada rural. Il s'étend aujourd'hui à des villes aussi importantes que Windsor en Ontario. Plus le nombre de personnes touchées est important, plus le problème occupe de place et plus nous y consacrons d'attention. Il est heureux qu'on ait commencé à s'intéresser à ce problème parce que des associations, des organisations professionnelles et desgouvernements ont commencé à réagir. Ainsi, les problèmes auxquels le Canada rural fait face depuis des années ont enfin été soulevés sur la place publique. Le moment est aujourd'hui venu de régler un certain nombre d'entre eux.
Deuxièmement, on a assisté, au cours des 20 dernières années, à une amélioration continue et soutenue des communications. Aujourd'hui, les collectivités rurales et leurs dirigeants sont en mesure de communiquer de façon beaucoup plus efficace. Un portrait beaucoup plus cohérent se dégage, et les intervenants prennent conscience du fait que les problèmes sont communs à toutes les régions du pays.
La question a pris une envergure nationale du fait de la seule amélioration des communications. Dès lors, on est en mesure d'adopter des stratégies plus cohérentes. Par ailleurs, des voix peuvent se faire entendre, au moment même où on s'affaire à la préparation de solutions. Les politiciens et d'autres évoquent l'«intégration» et l'accès de tous les Canadiens, où qu'ils vivent. Ces derniers bénéficient d'une reconnaissance beaucoup plus grande et font l'objet de mesures beaucoup mieux concertées.
La troisième explication vaut non seulement pour le Canada, mais aussi pour le reste du monde. À la suite d'une période où l'économie a connu des ratés relativement importants, les économies du monde ont profité de l'occasion pour se former. Le choix du mot «réforme» est parfois malheureux puisque tout ce qui existait auparavant n'était pas forcément mauvais et n'avait pas nécessairement besoin d'être réformé. Cependant, il est clair qu'il s'agit d'une occasion de modifier l'organisation des choses. Au Royaume-Uni, en Australie, aux États-Unis, au Canada et dans toutes les provinces canadiennes, on a déployé des efforts considérables pour comprendre les problèmes et tenter d'y trouver des solutions.
Plus récemment, il y a eu la commission Fyke enSaskatchewan et la commission Clair au Québec. Bon nombre de ces commissions et d'autres qui les ont précédées s'orientent dans une seule et même direction. Pour préserver l'accès à un régime public de services de santé, aspect cher aux Canadiens, on doit procéder à une réorganisation fondamentale, c'est-à-dire à ce qu'on appelle le plus souvent une réforme des soins primaires.
La situation et l'état d'avancement de la réorganisation varient d'une province à l'autre. L'un des rôles du Bureau de la santé rurale consiste à définir l'application de ces réformes et deces initiatives au Canada rural. En outre, quelles sont les caractéristiques particulières du Canada rural qui font que des types de solution différents s'imposent? Que pouvons-nous faire pour aider les intervenants à collaborer à la mise au point d'un plan d'action raisonnable?
Le dossier de la ruralité est probablement moins avancé au Canada que dans certaines autres collectivités. Je n'entrerai pas dans le détail, mais une bonne part de ce que nous savons vient de l'Australie et de régions des États-Unis. Nous devons tirer des leçons de l'expérience d'autrui et assurer une vaste diffusion des résultats de l'examen.
Le Bureau de la santé rurale a mis tout particulièrement l'accent sur les questions de compétence qui représentaient des irritants majeurs. Le problème était si manifestement commun à tous qu'on s'est entendu pour dire que les solutions étaientrelativement difficiles et exigeantes. Notre bureau et les ministres provinciaux et territoriaux de la Santé ont beaucoup collaboré et coopéré pour définir des activités préliminaires propices à l'établissement d'ordres de priorité locaux. Nous avons mis au point un mécanisme relativement efficace d'organisation de nos activités.
Qu'avons-nous fait exactement? Comme je l'ai indiqué, le bureau a vu le jour en septembre 1998. Au départ, nous avions un effectif limité. Nous sommes partis de rien. Dans son budget de février 1999, le gouvernement fédéral a affecté 50 million de dollars aux innovations rurales et communautaires. Je profite de l'occasion pour souligner que d'autres secteurs de Santé Canada s'intéressent à certains des problèmes généraux auxquels font face le réseau médico-hospitalier et les services de santé du Canada. Le Bureau de la santé rurale travaille en collaboration avec Santé Canada. Dans le cadre de cette initiative de santé rurale et communautaire d'une valeur de 50 millions de dollars,11 millions de dollars ont été versés en subventions etcontributions. En collaboration avec les provinces, nous avons mené à bien un exercice de définition d'activités et de projets. Ces projets et activités, aujourd'hui en cours, feront l'objet de rapports d'ici 18 mois.
Une somme de 11 millions de dollars paraissait rondelette. Au moment où nous avons pris conscience de l'ampleur du problème, nous avons toutefois compris qu'elle ne nous permettait pas de faire face aux problèmes auxquels nous étions confrontés. Compte tenu du nombre de secteurs à propos desquels nous ne disposions que de données préliminaires et du fait que la somme de 11 millions de dollars devait être divisée entre 13 provinces et territoires, nous avons compris que nous en étions au début d'un processus, bien loin d'une réponse finale. Cependant, nous avons pris un bon départ.
Nous avons défini les principaux enjeux, notamment ceux qui ont trait à l'état de santé. J'entends par là les enjeux qui ont une incidence sur des groupes démographiques reconnaissables, par exemple les enfants et les aînés. Nous avons également défini des moyens de préserver la santé des habitants des collectivités. Nous avons montré que les dangers associés à la vie en milieu rural et les accidents reliés au travail de la ferme étaient des domaines sur lesquels nous pouvions avoir un impact. Relativement à certains problèmes liés aux services de santé, nous étudions la structuredu réseau, l'organisation la mieux adaptée aux besoins des collectivités rurales et la façon dont ces collectivités devraient interagir avec les collectivités plus grandes. Ce sont là des questions complexes qui reposent sur un certain nombre d'enjeux fondamentaux liés à la santé, aux ressources humaines, à l'infrastructure et à la technologie.
Nous avons eu la chance, je crois, d'amorcer cette démarche à une époque où un certain travail préalable avait déjà été accompli. J'ai fait allusion à deux initiatives en particulier, dont le Fonds pour l'adaptation des services de santé, qui commence maintenant à rendre compte de certains de ses résultats. Parmi les projets,27 ont un impact direct sur les régions rurales. Le Partenariat rural canadien donne à Santé Canada la possibilité de participer à une démarche gouvernementale visant à corriger les problèmes du milieu rural à titre de champion des questions liées à la santé en milieu rural.
Au moment même où les projets à caractère rural étaient lancés, le Bureau de la santé et l'inforoute a reçu d'un comité un rapport assorti de nombreuses recommandations. En même temps, on a organisé une initiative technologique parallèle appelée leprogramme de partenariats pour l'infostructure de la santé (PPICS). On procède actuellement à l'annonce de ces projets.
Je vais maintenant demander à M. Chu de vous en dire un mot parce que les outils technologiques dont nous avons besoin pour surmonter les problèmes posés par la géographie comptent parmi les solutions au problème soulevé par l'organisation de services et les ressources humaines en santé dans les régions rurales.
M. Anthony Chu, directeur, Division de l'innovation et des investissements, Bureau de la santé et l'inforoute, Direction générale de l'information, de l'analyse et de la connectivité: Monsieur le président, permettez-moi de présenter au comité un mémoire portant sur deux programmes incitatifs soutenus par le Bureau de la santé et l'inforoute. Ces deux programmes, le Programme de partenariats pour l'infostructure de la santé (PPICS) et le programme de soutien à l'infostructure de la santé (PSIS), ont des impacts importants sur la santé en milieu rural.
Le Bureau de la santé et l'inforoute a été créé en 1997 pour coordonner les activités de Santé Canada dans le domaine de l'informatique de la santé. De plus en plus de données laissent croire que l'application novatrice de la technologie del'information moderne peut améliorer l'accessibilité et la qualité des soins de santé. Elle peut également favoriser l'efficience et la viabilité à long terme de notre système de soins de santé. Je vais donner un bref exemple. Une des applications novatrices de la technologie de l'information moderne a trait à la télésanté, c'est-à-dire à la prestation de services de santé parl'intermédiaire de dispositifs électroniques comme les réseaux de télécommunication à courte et à longue distance. Grâce à la télésanté, les Canadiens qui vivent dans des régions rurales et éloignées, y compris les communautés des Premières nations et des Inuits, recevront des soins spécialisés et des services de santé dans des domaines comme la cardiologie, la dermatologie et la radiologie, sans avoir à parcourir de longues distances pour se rendre dans les hôpitaux des centres urbains.
Un réseau de télésanté permet de plus de favoriser l'éducation permanente des professionnels de la santé, notamment ceux qui vivent en milieu rural, ce qui contribue à la rétention et au recrutement de fournisseurs de services de santé et deprofessionnels de la santé dans les régions rurales.
Comme vous le savez, le PPICS est un programme incitatif d'une valeur de 80 millions de dollars répartis sur deux ans. Le programme soutiendra les collaborations, les innovations et le renouvellement dans la prestation des soins de santé grâce à l'utilisation de la technologie moderne. Le mot «partenariat» est en effet un des thèmes majeurs du PPICS. Par le truchement de partenariats, nous pouvons réduire les dédoublements et les chevauchements tout en favorisant l'intégration de soins de santé dans le continuum de soins, des médecins de famille aux hôpitaux en passant par les centres de santé communautaires et ainsi de suite.
Dans le cadre du programme, nous soutiendrons des projets de télésanté dans l'ensemble des provinces et des territoires du pays. Selon nos estimations, nous croyons que 48 millions des80 millions de dollars dont dispose le programme seront affectés à des projets qui auront un impact sur la santé en milieu rural.
Le PPICS est un programme a frais partagés, et notre participation se chiffre à 50 p. 100 du coût total. Par conséquent, l'impact sera probablement deux fois supérieur à l'investissement de 48 millions de dollars, à savoir près de 100 millions de dollars. Je ne suis pas encore en mesure de vous fournir des détails concernant les projets que nous appuierons parce que nous nous affairons toujours à la conclusion de protocoles d'entente avec les projets concernés.
Pour vous donner une idée du type de projets que nous soutenons, je précise cependant que nous travaillons avec le gouvernement du Nunavut à l'établissement de services de télésanté dans les communautés isolées du territoire. Ce réseau sera également relié aux principaux hôpitaux ou aux centres régionaux du Manitoba, de l'Alberta et des Territoires du Nord-Ouest.
Le PSIS, programme qui a précédé le PPICS, est le deuxième programme que nous ayons soutenu. Il s'agit d'un programme d'une valeur de 10 millions de dollars qui soutient des projets pilotes et des projets de démonstration. Étant donné sa nature expérimentale, le PSIS n'est pas aussi ciblé que le PPICS. Nous estimons à environ 1,3 million de dollars la part du financement de 10 millions de dollars qui a été affectée à des projets ayant des impacts sur la santé en milieu rural.
Permettez-moi de vous donner deux ou trois exemples. À l'Île-du-Prince-Édouard, nous avons travaillé avec la West Prince Health Authority à l'établissement d'un projet de téléhospice en vertu duquel les infirmières fournissent des soins palliatifs à des patients à domicile. Les patients n'ont pas besoin de se rendre dans des centres de santé communautaire, et les infirmières n'ont pas à se rendre au domicile des patients pour leur prodiguer des soins. De cette façon, les infirmières sont en mesure d'assurer des soins à un plus grand nombre de patients.
À titre d'exemple, je souligne également un projet que nous avons appuyé en Alberta. Dans les régions sanitaires de Keeweetinok dans le nord de l'Alberta, nous avons collaboré avec la régie régionale de la santé à l'établissement de services de télésanté offrant des services de télééchographie aux résidents des régions du nord de l'Alberta. Auparavant, les patients devaient effectuer des déplacements de centaines de kilomètres qui leur prenaient cinq ou six heures pour aller passer une échographie à Edmonton. Grâce aux services de télééchographie, ils peuvent rester dans la région et recevoir des soins spécialisés. Ce ne sont là que certains exemples d'un projet qu'a soutenu le PSIS.
Je vais m'arrêter ici. Le Dr Wootton a une dernière diapositive à vous présenter.
Dr Wootton: La technologie est un outil. Pour situer la technologie en contexte, nous devons comprendre le rôle des ressources humaines en santé qui ont charge de la soutenir. Conserver l'infrastructure et les ressources humaines en santé: telle est la principale revendication des collectivités rurales.
La technologie a pour rôle principal d'assurer aux patients des services plus rapprochés de chez eux et d'améliorer la qualité des services en question. Seulement, elle ne peut en aucun cas remplacer les ressources humaines en santé nécessaires. En fait, dans certains cas, elle en accentue même le besoin.
À titre de médecin de campagne capable d'assurer le maintien à domicile d'une personne malade grâce à la télésanté et aux consultations spécialisées à distance, je suis malgré tout sur place, au même titre que le patient. Il en résulte une situation de confiance en vertu de laquelle le patient et son médecin restent en contact en cas de complications.
De nombreuses activités sont actuellement en cours. Le gouvernement fédéral a annoncé qu'il affectait un milliard de dollars au matériel médical, 500 millions de dollars pour une société technologique, c'est-à-dire essentiellement l'étape qui fait suite au PPICS, et 800 millions de dollars pour la réforme des soins primaires. On doit examiner ces investissements à la lumière de la situation du Canada rural pour établir comment les services sont structurés dans les régions rurales et ce qui doit être fait de façon différente. La principale différence tient aux distances en jeu. Les fournisseurs de soins de santé, qu'il s'agisse des médecins, des infirmières, des physiothérapeutes ou d'autres thérapeutes, ont tous une pratique plus étendue. Ils veillent sur les patients plus mal en point. Ils assurent à leurs patients un éventail de services plus grand que leurs homologues qui pratiquent en ville.
On doit former ces professionnels de la santé pour leur permettre d'assumer ces responsabilités plus vastes. On doit les soutenir pour leur permettre de jouer ce rôle. La technologie est l'un des outils importants dont on dispose à cette fin, mais on doit en même temps reconnaître le travail des intéressés.
Il est admis que, en raison des pénuries de main-d'oeuvre qui frappent les régions rurales, le travail d'équipe est devenu la norme. Le travail d'équipe est présenté comme une solution de rechange au reste du réseau. Dans le Canada rural, les infirmières ont toujours travaillé en étroite collaboration avec les médecins.
Il n'y a pas de mouvement d'opposition souterrain de la part des médecins à l'encontre des infirmières praticiennes. Nous souhaiterions qu'elles soient plus nombreuses. Nous sommes conscients du fait que les régions rurales peuvent faire la preuve de la réussite du travail d'équipe et de l'intégration au reste du pays. Les régions rurales ont dû s'organiser ainsi. Pour un certain nombre de raisons, les ressources humaines en santé se sont appauvries au point où, dans certaines régions, on n'a pas le temps de sortir la solution technologique de l'armoire. C'est pour ce genre de raisons que bon nombre d'initiatives prometteuses n'ont jamais vu le jour.
La situation est favorable au Canada rural. Il a l'oreille d'importantes structures canadiennes. Je sais qu'un autre comité du Sénat entendra le point de vue du milieu rural. Dans les plus hautes sphères de la direction de Santé Canada, il est clair qu'on comprend la différence des collectivités rurales. Ces dernières doivent être organisées différemment. Les intéressés sont à la recherche de solutions réalistes.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le vice-président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Chu et docteur Wootton.
Le sénateur LeBreton: Hier, au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, nous avons siégé de 15 h 30 à plus de 21 heures. Nous étudiions les pénuries de ressources humaines. Tout au long de leur témoigna ge, les médecins, les infirmières et les techniciens ont fait allusion à l'impact de ces pénuries sur les collectivités rurales et éloignées. Vous auriez intérêt à obtenir une transcription des débats. Il y a aussi été question de la télésanté et de bon nombre d'autres innovations.
Docteur Wootton, j'aimerais poser une question au sujet du mandat du Bureau de la santé rurale. Au moment où nous tentons de déterminer les moyens d'assurer des services de meilleure qualité aux citoyens qui vivent en milieu rural, le traitement et le diagnostic des personnes malades dans leur collectivité, de préférence à leur transport dans des centres urbains, retiennent beaucoup l'attention.
J'ai pour ma part été élevée au Canada rural. Je suis consciente de certains des dangers qui s'y présentent. Accorde-t-on une attention suffisante aux mesures de prévention? Les accidents de la ferme représentent un grave problème. Parmi les autres enjeux, citons les problèmes respiratoires à la ferme, lesquels sont associés à l'ensemencement, à l'engraissement et à la récolte. Accorde-t-on une attention particulière à la sensibilisation de la population rurale à la prévention des risques présents à la ferme? On ne semble pas y consacrer beaucoup d'argent.
Dr Wootton: Peu après mon arrivée à Santé Canada, le Dr McMurtry, sous-ministre adjoint de notre direction générale, a présenté une conférence intitulée «Le système d'assurance-maladie et le mieux-être: un drôle de couple». La façon dont on aborde la prévention revêt une grande importance pour le Canada rural. Des études réalisées aux quatre coins du monde montrent que la prévention est plus rentable que le règlement du problème une fois qu'il se pose.
L'un des défis que doit relever le Canada rural tient toutefois au fait que l'infrastructure des ressources humaines en santé est limitée. Il est difficile d'imaginer l'établissement d'un réseau parallèle, c'est-à-dire d'un réseau capable de s'occuper de la prévention et, en même temps, de la prestation de services. Nous continuons de faire face au problème des blessures en les guérissant, sans perdre de vue l'aspect important de la prévention.
Le Canada rural pourrait faire office de chef de file dans l'intégration de ces deux domaines. Au Québec rural, d'où je viens, on retrouve un hôpital en milieu rural, un établissement de soins de longue durée et des services communautaires, soit le CLSC, qui offre des programmes de prévention à l'intention des jeunes et des mères, de même que des services de santé mentale et des travailleurs sociaux. Il s'agit de services intégrés regroupés sous une seule et même administration. Si les responsables du volet curatif notent une augmentation marquée du nombre d'admissions à l'hôpital imputables à des bronchites chroniques, ils en discutent avec des travailleurs sociaux pour tenter de déterminer ce qui ne va pas au sein de l'environnement. C'est ainsi qu'on doit procéder.
La division artificielle entre une brigade axée sur la prévention et une autre axée sur la guérison ne fonctionne pas. Elle peut peut-être donner de bons résultats dans des régions urbaines où les populations et les ressources sont plus grandes, mais dans les collectivités rurales, on doit préconiser l'intégration. Sinon, un des deux aspects sera négligé. Malheureusement, la prévention est habituellement laissée pour compte parce que la collectivité semble accorder la priorité aux services de guérison.
Il faut investir davantage, mais les investissements doivent être intégrés aux services existants. C'est le langage que devraient tenir tous les intervenants. Je peux vous donner l'assurance que personne ne veut s'occuper des patients malades.
Le sénateur LeBreton: C'est dans l'esprit de l'intégration que j'ai posé la question.
Le sénateur Hubley: La télésanté est un domaine nouveau pour bon nombre d'entre nous.
Vous avez fait état devant nous de deux exemples de télésanté. Vous avez cité le cas de la West Prince Health Authority de l'Île-du-Prince-Édouard et de son projet de téléhospice. Vous nous avez aussi parlé du projet de télééchographie en Alberta. Ces activités répondent-elles aux besoins de la collectivité rurale? Le système qui fournit les services de téléhospice est-il également en mesure de fournir les services de télééchographie?
M. Chu: Ce que nous constatons, c'est que la survie à long terme des modes novateurs de prestation de soins de santé, comme la télésanté, passe par la satisfaction des besoins de la collectivité. Dans la sélection de projet et dans la collaboration avec les projets que nous soutenons, nous mettons donc toujours l'accent sur l'importance des besoins communautaires.
Le solide réseau de télésanté sur lequel nous misons nous permet de plus en plus d'offrir plus d'un service spécialisé à la fois. L'idéal serait que la même infrastructure puisse se prêter à la prestation de nombreux services spécialisés différents aux Canadiens qui vivent en milieu rural. C'est la façon rationnelle d'agir.
Un des problèmes qui se posent en ce qui a trait à la télésanté, c'est que, dans de nombreux cas, le volume n'est pas élevé, si bien qu'on met parfois en doute l'efficience des services. Si, en revanche, nous étions en mesure d'offrir plus d'un service à l'intérieur de la même infrastructure, le problème de l'efficience se poserait avec moins d'acuité.
Une autre façon d'optimiser l'utilisation de l'infrastructure de la télésanté a trait à l'éducation continue des professionnels de la santé. Comme le Dr Whotton l'a mentionné plus tôt, une telle mesure ferait beaucoup pour réduire le sentiment d'isolement professionnel qu'éprouvent peut-être les professionnels de la santé en milieu rural. Par conséquent, on pourra ainsi contribuer à la rétention et au recrutement de professionnels dans ces régions.
Dr Wootton: Dans les déplacements que j'ai effectués pour le compte du Bureau de la santé rurale, je me suis rendu dans bon nombre d'établissements où divers types de télésanté sont en place. Bon nombre reposent sur une technologie pouvant servir à de multiples usagers. La vidéoconférence est probablement le meilleur exemple. Si vous vivez à Kirkland Lake et que vous devez vous faire remplacer la hanche, vous devrez vous rendre à Sudbury. Pour ce faire, vous devrez d'abord prendre l'avion jusqu'à Toronto pour ensuite revenir à Sudbury. C'est là un autre caprice de la vie au Canada rural. Il est probable que Kirkland Lake ne disposera jamais de l'infrastructure ni des spécialités orthopédiques nécessaires à de telles procédures. Les résidents de la ville ne s'y attendent pas nécessairement non plus.
Après l'intervention chirurgicale, vous devrez probablement vous rendre à une consultation postopératoire de quinze minutes avec votre spécialiste, qui vérifiera si tout va bien. Vous devrez peut-être effectuer ce périple à deux reprises au cours d'une période de deux ou trois mois. Ces déplacements peuvent devenir un problème important pour votre famille et vous.
Or, une vidéoconférence peut très bien tenir lieu de visite postopératoire. À Kirkland Lake, on forme une infirmière à la gestion de ce processus à l'intention du patient. Le patient peut être examiné par ce moyen. On utilise la même technique aux fins de la dermatologie, de l'éducation permanente et de la santé mentale. Dans le cadre de nombreux projets pilotes, on offre des services psychiatriques. De même, les adolescents sont à l'aise avec les télévisions et l'utilisation de ce genre de médium.
Il existe des types de télésanté essentiels qui seront les premiers à être acceptés. À l'autre extrémité du spectre, le Fonds pour l'adaptation des services de santé a soutenu un projet efficace de télénéphrologie au Nouveau-Brunswick. Le service vient en aide aux personnes qui ont besoin d'une dialyse deux ou trois fois la semaine. Je me souviens de m'être retrouvé coincé par une tempête de neige sur la route 148. C'est quand on a fermé la route que je me suis retrouvé pris au piège. Sur la route, il y avait aussi un homme qui se rendait à Hull pour obtenir une dialyse. Il se demandait pourquoi il devait effectuer le trajet trois fois par semaine.
Au Nouveau-Brunswick, on utilise les télécommunications pour offrir des cliniques de néphrologie par satellite. Parfois, la dialyse produit des résultats supérieurs à ceux dont le client aurait bénéficié en se rendant à la clinique de Fredericton. Ce sont des solutions: il suffit maintenant de les faire connaître au plus grand nombre possible et de bien les évaluer.
Le sénateur Hubley: Ma question va dans le sens des commentaires du sénateur LeBreton. Au pays, il y a probablement un grand nombre de maladies et de problèmes de santé qui se ressemblent. On nous dit que les résidents des régions plus agricoles du pays sont sujets à des maladies ou à des affections précises. Dans vos déplacements, docteur Wootton, avez-vous rencontré de telles affections, ou le phénomène ne se vérifie-t-il plus?
Dr Wootton: C'est probablement dans les régions très éloignées, en particulier les communautés des Premières nations qu'on retrouve l'indicateur le plus spectaculaire. Nous sommes au courant de l'écart de dix ans observé dans l'espérance de vie des Inuits et des membres des Premières nations. Je suis un peu mal à l'aise à l'idée de ranger ces groupes parmi les résidents du milieu rural parce que je crois qu'il s'agit d'un problème en soi. À Santé Canada, j'ai de nombreux collègues qui s'occupent de cette question.
En ce qui concerne les communautés agricoles que j'ai visitées, je dirais que le lien le plus généralisé qu'on observe dans ces populations a trait au fait qu'elles sont plus âgées que celles des collectivités urbaines, même si on retrouve ici et là des poches de maladies très précises. Ce fait a probablement un impact plus grand sur le genre de préoccupations que les personnes éprouvent au fur et à mesure qu'elles vieillissent, presque plus que les maladies professionnelles.
Lorsqu'on a affaire à des maladies professionnelles, elles sont toutefois extrêmement spectaculaires. Les blessures et les décès en présentent un témoignage éloquent. Le ministère de l'Agricul ture et le Programme canadien de surveillance des traumatismes à la ferme s'occupe de ces statistiques. Lorsqu'un accident survient à la ferme, par exemple lorsqu'un tracteur se renverse et blesse un agriculteur, la collectivité se réveille et se demande ce qui aurait pu être fait pour prévenir l'accident et le genre de services qu'il convient de mettre en place pour faire face aux conséquences. Il s'agit véritablement d'accidents professionnels spectaculaires, mais, en général, la dynamique tient plutôt au fait que les habitants des collectivités rurales sont plus âgés.
Le vice-président: La mission ou le travail que vous avez est pratiquement impossible. Vous avez fait des commentaires importants au sujet du recrutement. Cependant, il est encore plus important de retenir les personnes qui ont été recrutées.
Jusqu'à l'âge de la retraite, j'ai passé toute ma vie dans une petite collectivité. Comme je viens de la Saskatchewan, j'ai pris une part très active à des tentatives de recrutement de médecins et de professionnels de la santé dans la province. Nous avons fait face à de très grandes difficultés.
Soit dit en passant, mon frère est médecin. Après avoir exercé sa profession dans une petite collectivité, il a opté pour un centre plus grand. Je lui ai demandé pourquoi il était si difficile d'attirer des médecins dans les régions rurales. En ce qui concerne le salaire, il m'a répondu que les médecins peuvent gagner autant dans une petite collectivité qu'à la ville. Du point de vue de la charge de travail, cependant, les médecins des villes travaillent moins fort que les médecins de campagne, ce qui montre bien l'existence d'un besoin.
La clé du problème - laquelle, selon lui, s'applique non seulement au médecin, mais aussi aux autres personnes qui vivent en milieu rural -, c'est que les villes offrent des possibilités culturelles absentes des centres plus petits. Il y a l'opéra, l'orchestre symphonique, les théâtres, les écoles, des activités et des compétitions sportives plus poussées pour les jeunes, la proximité des universités et la proximité des services. Une fois qu'ils ont des enfants, les médecins tendent à décider de se diriger vers les centres plus grands où ils peuvent gagner autant d'argent tout en accumulant moins d'heures de travail.
La tendance est-elle en voie de changer? Y a-t-il aujourd'hui un plus grand nombre de personnes qui disent vouloir opter pour le mode de vie rural, en dépit des défis et de l'absence des possibilités culturelles et autres offertes par les villes?
Dr Wootton: Je ne crois pas que la situation soit en voie de changer. Nous devrions probablement poser la question aux médecins qui travaillent un milieu rural. La rétention est probablement plus importante que le recrutement. Lorsque nous effectuons des sondages auprès des professionnels de la santé, nous constatons que leur milieu de travail leur plaît. Il est relativement intéressant. Adressez-vous à des agents de la GRC, à des enseignants et à d'autres professionnels, et vous aboutirez à la même litanie de problèmes. Tous ces professionnels éprouvent un sentiment d'isolement et ont l'impression d'être déconnectés. Souvent, ils ont l'impression de ne pas avoir reçu la formation voulue pour l'environnement dans lequel ils se retrouvent. En offrant à nos professionnels de la santé un large éventail de possibilités, nous leur proposons une carrière exigeante et enrichissante.
Si les étudiants n'effectuent pas toute leur formation à Toronto, mais qu'ils passent un certain temps dans une collectivité rurale, ils auront l'occasion de constater ce que le milieu rural a à offrir. S'ils restent à Toronto, qu'ils y rencontrent leur futur conjoint et qu'ils s'y enracinent, on aura, dans ce cas, du mal à obtenir d'eux qu'ils s'établissent dans une région rurale s'ils doivent pour ce faire, quitter leur famille, etc. Si, en revanche, un étudiant est enraciné dans une collectivité rurale, le fait d'y exercer sa profession s'inscrira pour lui dans une progression naturelle. Dans les collectivités rurales, il n'y a peut-être pas d'opéra, etc., mais certaines personnes préfèrent explorer l'environnement naturel plutôt que de vivre dans une région urbaine.
Pour obtenir que le personnel existant demeure en place, nous devons cependant examiner l'organisation locale et déterminer ce que nous pouvons faire pour soutenir les ressources humaines en santé.
Je ne crois pas que les gens apprécient les engorgements et d'autres phénomènes communément associés aux grandes villes. Je pense que de nombreuses personnes souhaitent s'éloigner de ce genre de problèmes urbains. À mes yeux, le problème ne tient pas nécessairement aux services sociaux. En fait, il s'agit d'effectuer une bonne planification pour les infirmières. Faisons-les venir dans les collectivités de façon que les collectivités et elles s'apprivoisent mutuellement, puis elles prendront leurs décisions.
Je crois que la situation est en voie de changer. On a une bien meilleure idée des possibilités.
Le sénateur Hubley: Je veux poser une question au sujet de la prestation de services dans des langues différentes. Je m'inquiète également du pourcentage de Canadiens qui ignorent tout de l'usage ou de la convivialité du service.
Dr Wootton: À l'occasion d'une réunion à laquelle j'ai participé au Nouveau-Brunswick, j'ai rencontré un certain nombre de représentants des collectivités francophones de l'Alberta. Ils m'ont dit faire face à de doubles obstacles. Non seulement éprouvent-ils des difficultés à trouver des ressources humaines en santé, mais en plus ils doivent déployer des efforts considérables pour trouver des personnes capables de parler la langue de leur choix.
Dans le financement de projets pilotes menés dans le cadre de ce que nous appelons Innovations dans le domaine de la santé, nous avons tenté de mettre l'accent sur cette question. Malgré son titre quelque peu encombrant, l'initiative est responsable de programmes de subventions et de contributions d'une valeur de 11 millions de dollars. Au Nouveau-Brunswick, on a réalisé, avec des établissements d'enseignement du Québec, des progrès considérables dans la formation d'un groupe bilingue ou linguistique approprié. Nous sommes conscients du problème, que nous tentons de surmonter.
Nous devons aborder le problème de l'alphabétisation de l'intérieur de la structure communautaire. Dans les régions rurales, les travailleurs sociaux et les personnes qui travaillent auprès des familles au niveau local sont au courant. Ils connaissent les personnes et en viennent à se familiariser avec les programmes offerts. Dans le contexte de l'intégration, on a tout au moins la possibilité de définir les problèmes. À titre d'exemple, il peut parfois être difficile d'offrir un programme d'orthophonie. L'un des projets que nous menons à l'Île-du-Prince-Édouard a trait aux enfants et au langage.
M. Chu: Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, nous constatons, dans le cadre du projet de télésanté que nous soutenons, que la formation est extrêmement importante au regard de l'information et de la sensibilisation. Je suis d'accord pour dire qu'il s'agit d'un enjeu extrêmement important.
Le vice-président: Messieurs, je vous remercie. Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi le comité, qui étudie l'avenir de l'agriculture au pays, vous a demandé de comparaître. À la lumière des nombreuses questions qui vous ont été posées, vous avez cependant compris que votre témoignage a été bien accueilli et qu'on en tiendra sincèrement compte au moment de la rédaction du rapport final.
La séance est levée.