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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 18 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 36 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, je constate que nous avons le quorum. Nous allons d'abord entendre nos témoins du Manitoba. Je les inviterais maintenant à faire leurs exposés, après quoi nous passerons à une période de questions.

M. Murray Downing: Je vous remercie de nous donner de nouveau l'occasion de venir discuter avec vous d'agriculture. C'est un secteur important, le pivot de notre pays et de son monde rural.

Nous sommes ici cette semaine pour vous faire savoir que nous avons besoin d'aide. Nous avons besoin d'un programme à long terme, et non plus de programmes ponctuels. Le mot «revenu» semble avoir toujours sa place dans le gagne-pain d'une personne. Dans les années 60, on a institué l'assurance-récolte. C'est un programme qui repose sur le nombre de boisseaux produits. Nos fermes peuvent produire des boisseaux, mais sans garantie de prix. Depuis deux ans, notre objectif est d'obtenir la mise en oeuvre d'un programme de protection du revenu afin que, lorsqu'il se produit une situation comme celle que connaît cette année la Saskatchewan, on puisse rapidement venir à notre rescousse. Avec un tel programme, un agriculteur ne risquerait pas, comme c'est actuellement le cas avec le PCRA, de se faire dire, après avoir rempli sa demande d'indemnité, qu'il n'est pas admissible parce qu'il n'a pas eu de bonnes années précédentes.

Il y a peut-être moyen de faire quelque chose en ce sens. Nous faisons valoir nos revendications plus énergiquement cette fois-ci, mais nous ne croyons pas pour autant que ce que nous proposons serait une panacée. Nous sommes à même de constater que, malgré les programmes qui nous sont offerts actuellement, nous sommes à la merci des sociétés céréalières en ce qui touche l'accès au crédit. Les institutions financières semblent délaisser l'industrie agricole à un rythme alarmant.

Certains agriculteurs disent qu'on leur avance assez facilement les 50 000 $ initiaux - l'avance n'était que de 20 000 $ jusqu'à l'an dernier -, mais le problème, c'est le plafond. Nous aimerions que celui-ci soit fixé en fonction de la taille de l'entreprise agricole. L'une des mesures que nous préconisons pour l'instant, c'est qu'on nous accorde un montant représentant 70 ou 80 p. 100 d'un certain chiffre. Ne plafonnez pas ce montant. Dans la formule que nous proposons, quiconque aurait une terre agricole de 1 000 acres obtiendrait le même montant par acre que son voisin qui en a une de 3 000 acres.

Ce que nous demandons, c'est qu'on nous accorde au printemps, dans le cadre d'un programme de soutien du revenu, un crédit qui aurait pour effet de nous maintenir à hauteur de 70 p. 100 de notre revenu moyen. Nous savons que nous ne l'obtiendrons pas. Le message qu'on nous a servi ici cette fois est très clair. On nous dit qu'il n'y aura pas de nouveau programme agricole pour la saison qui s'en vient. Nous sommes en mode de survie.

Ce que je me suis toujours dit, c'est que ceux qui survivront auront éventuellement droit à de meilleurs programmes. J'ignore combien d'entre nous seront encore là pour pouvoir en profiter. C'étaient là certaines de nos principales préoccupations.

M. Andrew Denis: Je m'appelle Andrew Denis, et je pratique l'agriculture à Brookdale, au Manitoba, près de Carberry, dans la région de Neepawa. M. Downing a raison. Nous sommes au bord du désespoir. La colère gronde chez les agriculteurs, qui réclament de meilleurs programmes agricoles ou une amélioration de ceux qui existent déjà, mais il semble que ça ira à plus tard.

J'ai parlé avec quelques-uns de mes voisins ces derniers jours, depuis le début de mon séjour à Ottawa, mais je constate qu'on entretient aujourd'hui moins d'espoir qu'au moment de mon arrivée ici.

Quand on dit aux gens qu'il n'y aura peut-être rien de changé l'an prochain, mais que les choses devraient s'améliorer par la suite, on nous répond qu'on craint de ne pas pouvoir se rendre jusque-là. Devant une personne qui réagit de la sorte, on peut se demander si ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle vende sa ferme aux enchères. Cette situation entraînera un effondrement de l'agriculture. Il nous faut un programme à court terme pour nous permettre de tenir le coup jusqu'à l'instauration d'un programme adéquat. Nous examinons la question depuis longtemps déjà. D'autres comités sont censés se pencher sur la situation. Certains membres de ces comités estiment n'avoir pas besoin d'aller voir sur place, parce qu'ils connaissent le problème. Ils préfèrent passer immédiatement à l'action.

Quand nous venons à Ottawa, ce que les membres du comité nous disent, c'est que nous parlons à des gens déjà convertis qui savent ce qu'il en est, mais que ce sont les instances supérieures qui doivent prendre les mesures qui s'imposent. Nous connaissons le problème sous tous ses aspects. Il nous faut des mesures qui nous permettront de tenir le coup jusqu'à l'instauration d'un éventuel nouveau programme.

Le printemps prochain, nous aurons désespérément besoin d'aide. Les programmes actuels ne répondent pas à nos besoins. Ils se chevauchent. Tout le monde en convient d'ailleurs. Quand on en parle avec des élus ou des fonctionnaires qui sont au fait de ces programmes, tous reconnaissent qu'il y a beaucoup de chevauchements.

M. Vanclief va se lever et nommer certains programmes, par exemple le CSRN, l'assurance-récolte et le PCRA. On a annoncé l'injection de 500 millions de dollars au Manitoba. Dans notre province, ce programme se nomme le Programme Canada-Manitoba de protection du revenu agricole. L'agriculteur reçoit 10 000 $, qui s'ajoutent à son revenu et qui sont ensuite récupérés à même le PCRA. Tous ces programmes ne font que nous permettre d'atteindre les 70 p. 100. Au-delà de ce pourcentage, on ne fait rien pour nous, alors que nous sommes dans une industrie où la marge bénéficiaire - nous avons vu les chiffres au ministère des Finances - n'est que de 2 ou 3 p. 100. Il nous faut dégringoler de 30 p. 100 avant de toucher le premier dollar. Par exemple, pour un agriculteur dont le chiffre d'affaires se situe entre 400 000 $ et 500 000 $, le manque à gagner, à raison de 30 p. 100, sera de plus ou moins 150 000 $, sans qu'on fasse rien pour lui venir en aide. C'est là que ça fait mal. Nous avons une marge de 2 ou 3 p. 100. Les familles se demandent où elles obtiendront les 150 000 $ qui leur manquent. Pourtant, ces gens-là permettent à la population d'avoir de quoi se nourrir à bon marché, et ils créent de nombreux emplois.

Dans mon cas, cela fait cinq ans que j'inscris zéro sur mon formulaire du PCRA à l'endroit où l'on nous demande d'indiquer notre revenu net. En réalité, mon revenu net est inférieur à zéro, mais c'est zéro qu'il me faut inscrire aux fins du PCRA, et quiconque a un revenu doit remplir un tel formulaire.

L'an dernier, mes ventes brutes se sont élevées à 465 000 $. Il faut une bonne somme d'efforts pour produire pour 465 000 $ dans notre domaine. Il y a de quoi vous occuper presque toute l'année. L'ensemble du pays ne peut qu'en profiter. Étant donné que les agriculteurs utilisent d'énormes quantités de fertilisants et de produits chimiques, ils créent des emplois dans ce domaine, de même que dans les ports de mer. Si on force des agriculteurs à abandonner la partie, ça n'arrangera rien dans ces secteurs. Il en résultera des milliers de pertes d'emplois. C'est toute l'économie de l'Ouest du Canada qui s'effondrera, ce qui ne pourra que toucher une foule d'autres secteurs de l'économie.

Nous ne pouvons nous en tenir à de tels programmes. Il faut en corriger les failles. Il faut qu'on fasse en sorte que nous puissions tenir le coup jusqu'à ce qu'on trouve une solution définitive. J'ignore si vous avez pris connaissance de certaines des statistiques pertinentes. Dans le cas de la Saskatchewan, je crois qu'on prévoit pour l'an prochain un revenu agricole net de 213 millions de dollars. En 1978, il était de 958 millions dollars. C'est donc dire que nous en sommes rendus à un point où le revenu agricole net en Saskatchewan représente le quart de ce qu'il était en 1978, il y a de cela 23 ans. C'est ce qu'on prévoit pour 2002. C'est plutôt sombre, n'est-ce pas? Je ne sais pas comment on s'y prendra pour résoudre le problème. Ces agriculteurs continuent de produire, d'utiliser des fertilisants et toutes sortes de substances. Ils créent de l'activité économique. Leurs produits sont acheminés vers des ports, ce qui donne du travail à des débardeurs. Ces agriculteurs contribuent au bon fonctionnement du système. Dans une large mesure, la cause de leurs problèmes, c'est que les agriculteurs américains et européens sont largement subventionnés. Pour nous venir en aide, il faudra que quelqu'un frappe un grand coup en ce sens.

Les agriculteurs font leur part. Personnellement, pour avoir réussi à produire pour un montant brut de 465 000 $, je crois bien avoir fait la mienne. Il m'a fallu emprunter beaucoup d'argent et travailler très fort, et j'ai fait du bon travail. Au cours des cinq dernières années, j'ai produit à hauteur de 110 à 115 p. 100 par rapport à la moyenne des agriculteurs de ma région. Je ne crois pas pouvoir faire beaucoup mieux. J'ai eu la chance de ne pas connaître de sécheresse. Quiconque affronte une sécheresse sans être protégé par un programme de soutien du revenu se retrouve dans une situation passablement désespérée.

Nous sommes ici aujourd'hui pour attirer l'attention d'un autre groupe de personnes sur la gravité de la situation, pour que vous compreniez mieux ce qui se passe à cet égard dans la réalité. Nous ne sommes pas ici pour faire de la rhétorique, mais pour parler de la vraie vie. Allez voir un peu les gens sur place, et vous serez à même de constater que nombre d'entre eux songent à abandonner cette industrie et à amener tous leurs enfants avec eux. Nous oeuvrons dans un domaine où 2 p. 100 de la population se chargent de produire tout ce qu'il nous faut pour nous nourrir. C'est dire que nous ne pouvons compter que sur les enfants de 2 p. 100 de notre population pour assurer la relève dans cette industrie. Ce n'est pas comme la relève dans des professions comme la médecine ou le droit, où les recrues peuvent se trouver parmi les enfants de n'importe quel segment de la population. Seulement 2 p. 100 des enfants appartiennent à des familles d'agriculteurs. Si les agriculteurs qui sont dans trentaine ou la quarantaine quittent la ferme avec leurs enfants, nous allons voir le train dérailler d'ici 20 ans. Où prendrons-nous la prochaine génération d'agriculteurs? Quand on manque d'infirmières, de médecins ou d'avocats, on a le choix. On ne l'a pas dans ce cas-ci. Quand des agriculteurs s'en vont avec leurs enfants, on crée un problème permanent, car on ne saurait recruter des enfants sur la rue dans les villes pour assurer la relève agricole. Ce n'est pas impossible, mais les chances de succès sont très minces. Au mieux, ils s'y aventureront, pourvu que tout leur soit donné tout cuit dans la bouche.

C'est une situation pénible, voire désespérée. Il y a beaucoup de problèmes importants qui se posent actuellement dans le monde, mais celui-ci se retrouvera inévitablement au premier plan des actualités une fois que les problèmes auxquels nous faisons face dans l'immédiat auront été résolus. Je vous demande donc de garder cela à l'esprit et de chercher des moyens de nous venir un peu en aide.

M. Daryl Knight: Je m'appelle Daryl Knight. Cela fait quelques fois que nous venons à Ottawa. Je reconnais certains visages, et je suis heureux de vous revenir. Je ne raffole pas de parler des vieux problèmes. Nous savons tous que la situation est problématique dans le secteur agricole. Il nous faudra franchir cette étape pour passer à la suivante.

De nos jours, la sécurité est un important sujet de préoccupation. C'est ce que nous faisons valoir depuis quelques années. Notre sécurité n'est qu'un petit peu différente de la sécurité qui nous préoccupe tous ces temps-ci. Les deux sont très importantes. Il faudrait trouver le moyen de concilier tout ça. J'aimerais bien que chacun puisse avoir droit à une certaine sécurité alimentaire, moi, mes enfants, et, espérons-le, mes petits-enfants. Ceux parmi vous qui ont des petits-enfants savent quel bonheur ceux-ci peuvent nous apporter. Ils font partie de ce qui fait notre fierté.

Notre souci concernant la sécurité devrait englober les réalités que nous vivons à l'intérieur de nos frontières. L'égalité est un autre principe que j'aimerais voir appliqué. On nous a tous prévenus qu'il y aurait des répercussions en agriculture. Déjà, il y a des agriculteurs qui ont du mal à tenir le coup.

Ces temps-ci, de la façon dont les choses évoluent, d'aucuns estiment que certains segments de notre secteur seront forcément appelés à être sacrifiés. Je ne partage pas cette vision. Nous vivons dans une société où nous devrions tous pouvoir faire des choix. Le problème ne tient pas au fait qu'on soit petit, moyen ou gros. Il y a des lacunes quelque part. Il nous faut les trouver et y remédier, mais gardons-nous de nous en prendre au gros ou au petit.

Je suis ici dans l'espoir d'aider l'agriculture, ce qui, du même coup, aiderait ma famille et moi-même. Je ne demande pas qu'on m'aide personnellement. Nous avons formulé des propositions qui devraient être examinées. Je puis entrevoir qu'au bout du compte, si on aide mon industrie, on aidera ma famille. C'est pourquoi je me suis dit que je ferais bien de faire valoir cet aspect. Nous ne venons pas ici seulement pour demander qu'on aide des gens. Nous ne sommes pas ici pour demander qu'on vienne en aide à un secteur ou à une province en particulier.

J'ai de la chance d'avoir eu une piètre récolte, car, en Saskatchewan, les agriculteurs n'en ont pas eu du tout. C'est aussi bête que cela. J'ai de la veine d'avoir eu une piètre récolte au Manitoba, car je suis dans une meilleure position que ces gens-là. Je m'en vais vers la faillite, mais, heureusement pour moi, j'y vais lentement. C'est là l'attitude qu'on observe chez les agriculteurs: ils se consolent d'être en mauvaise posture en songeant à d'autres qui sont encore plus mal pris qu'eux. C'est ce que vous allez être à même de constater en vous entretenant avec les agriculteurs. Ils se montrent sympathiques les uns envers les autres et envers le reste de la population. Nous espérons en retour avoir droit à la même considération.

D'un autre côté, il y a un manque sur le plan de l'éducation. Nous n'avons rien contre les urbains, car ils ont un rôle à jouer et nous avons besoin d'eux. J'espère toutefois qu'ils reconnaissent qu'eux aussi ont besoin de nous. C'est mal vu qu'on nous donne ceci ou cela. Pourtant, bien souvent, on ne nous donne rien. Nous donnons aux consommateurs la chance de pouvoir se procurer des aliments à bon marché. Nombre de consommateurs n'ont plus les moyens de se nourrir convenablement.

Pour faire en sorte que le panier d'épicerie soit offert à un prix abordable, il suffirait qu'on nous consente un peu d'argent pour nous permettre de surnager. Pour ce qui est de l'hypothèse de s'en remettre aux grandes sociétés et aux grandes entreprises de production agricole, je vous rappelle que, comme l'a souligné M. Denis, toutes les statistiques montrent que nous nous contentons d'une marge de 2 p. 100 pour vivre. La dernière fois que j'ai pris connaissance de rapports administratifs où l'on mentionnait que des entreprises agroalimentaires réalisaient des profits records, j'ai constaté que ces entreprises ne se contentaient pas d'une marge de 2 p. 100. Si leur marge bénéficiaire se situe quelque part entre 10 et 30 p. 100, notre facture d'épicerie va grimper, car nous, nous n'obtenons qu'un pour cent du prix de vente au détail. Ces entreprises n'accepteront pas d'être traitées de la sorte. Ce n'est là qu'un autre problème qui se pose.

J'aimerais qu'on nous donne une chance de progresser, qu'on mette sur pied de nouveaux programmes. Nous voudrions également avoir voix au chapitre dans l'élaboration de tout nouveau programme, avant même qu'on en couche sur papier les modalités. Plutôt que de nous forcer à nous lamenter une fois que le programme aura été instauré, qu'on nous donne la possibilité de nous prononcer en temps opportun sur les problèmes qui pourraient se poser. Peut-être ferons-nous des erreurs comme d'autres en ont fait dans le passé, nous n'en savons rien, mais nous aimerions qu'on nous offre au moins cette possibilité et qu'on demande à d'autres personnes de se pencher sur le programme envisagé afin qu'on en corrige les failles avant qu'il soit mis en oeuvre et que l'ensemble du pays en subisse les conséquences.

Le président: Une chose est sûre, nous sommes confrontés à un grave problème dans les Prairies. Je crois qu'il s'agit là d'une catastrophe nationale. Vous avez parlé d'agriculteurs qui abandonnent leur ferme.

Les jeunes agriculteurs s'en vont, et j'aimerais que vous vous étendiez sur ce sujet. De nos jours, il n'est pas question de recruter des opérateurs de machinerie agricole dans la rue. Vers quoi, selon vous, nous dirigeons-nous si nous perdons cette génération de travailleurs agricoles?

M. Denis: Vous avez bien raison. Ils sont légion ceux qui quittent l'industrie. De nombreux agriculteurs se préparent à abandonner leur ferme si on ne prend pas de mesures draconiennes pour améliorer leur sort. J'en connais qui ont vendu leur exploitation laitière et leurs quotas pour pouvoir couvrir leurs pertes dans les céréales et les oléagineux. Ce sont ces secteurs qui sont frappés actuellement, à cause des subventions. Les agriculteurs qui oeuvrent dans ces secteurs font tout ce qu'ils peuvent pour éviter le naufrage. S'ils avaient un REER, il s'est envolé. S'ils avaient de l'argent investi dans des fonds communs de placement, ou encore dans le CSRN pour les mauvais jours, ces gens ont déjà encaissé ces montants. D'aucuns se sont recyclés dans l'élevage pour diversifier leur revenu. Ils vendent leurs bêtes prématurément pour obtenir des liquidités à court terme. À longue échéance, tout cela ne pourra qu'empirer leur sort. Certains d'entre eux se préparent à abandonner carrément l'agriculture. D'autres se croisent les doigts. Ils ont de moins en moins de machinerie, n'ayant pas les moyens de la renouveler. Ils se préparent à tirer leur révérence. Ils sont nombreux à l'avoir déjà fait. D'après ce qu'on lit, 11 000 agriculteurs auraient abandonné leur ferme en Saskatchewan en 1999.

Certains agriculteurs amateurs négligent leur ferme pour travailler davantage à la ville. J'ignore dans quelle mesure les statistiques reflètent fidèlement la réalité et tiennent compte de la façon dont les choses évoluent. Il n'en demeure pas moins que c'est un nombre énorme pour une seule année. Sauf erreur, c'est 22 p. 100 des agriculteurs du Canada qui ont quitté la ferme en 1999.

À compter de 1935 ou 1940, ce nombre s'accroissait d'environ 3 p. 100 par année. Tout le monde était de plus en plus prospère. C'était ça l'évolution dans l'agriculture. Puis, le nombre d'agriculteurs a diminué de 22 p. 100 en une seule année, et la situation n'a pas beaucoup changé depuis. Il y a beaucoup de ventes aux enchères. La machinerie ne vaut plus rien. Les terres perdent de leur valeur en raison de l'exode massif des agriculteurs. Tous ceux qui étaient en bonne posture ont vu leur bilan s'effondrer. On assiste à une réaction en chaîne.

Certains petits segments de l'industrie se tirent mieux d'affaire que d'autres, mais il y en a peu qui se portent vraiment bien. Les secteurs des céréales et des oléagineux sont particulièrement durement frappés en raison des subventions. Ce n'est pas juste. Nous ne pouvons nous passer de ces secteurs. Nous ne saurions nous permettre de ne pas intervenir, car il sera bientôt trop tard.

Il nous faut venir en aide à nos agriculteurs pour qu'ils connaissent des jours meilleurs. Selon le ministère du Commerce, les secteurs des céréales et des oléagineux sont parmi les plus importants de notre industrie au regard du tonnage exporté et des emplois créés. Nous ne pouvons laisser tomber ces secteurs. Il faut faire quelque chose.

De nombreux agriculteurs abandonnent. Ce sera dur. Aucun montant d'argent ne ramènera un agriculteur qui a baissé les bras. Vous pourrez toujours sauver ceux qui s'apprêtent à quitter le navire si vous leur arrivez avec de bonnes nouvelles. Mais une fois qu'un d'entre eux a jeté l'éponge, il en garde un goût amer. Il a perdu la ferme de son grand-père, la ferme de son père, et, pour lui, c'est comme si un membre de sa famille était décédé. La perte d'une exploitation agricole, c'est autrement plus éprouvant que la perte d'un magasin de chaussures. Dans ce dernier cas, vous pouvez toujours en ouvrir un autre un peu plus loin. Une exploitation agricole, ce n'est pas une entreprise comme une autre. Il y a des sentiments et des attaches qui accompagnent la propriété d'une terre agricole.

Le président: Dans ma région de la Saskatchewan, il y a des gens, de vieux agriculteurs, qui cèdent leur terre à contrat pour 4 000 $ le quart de section. Le printemps dernier, ils en ont été réduits à céder leur ferme à des agriculteurs qui ont pris rapidement de l'expansion, à crédit, à 1 000 $ le quart de section, voire moins, et dans certains cas, pour le montant des taxes impayées. Je pourrais vous donner au moins quatre exemples d'exploitants agricoles qui ont dû céder ainsi au-delà de 100 quarts de section. Ces terres agricoles ne reviendront jamais à leur propriétaire. Leur sort en est jeté. J'ignore si ce phénomène est aussi courant au Manitoba ou en Alberta qu'en Saskatchewan, mais je crois que chez nous c'est là où nous en sommes.

Le sénateur Spivak: À qui cèdent-ils ces terres à contrat?

Le sénateur Oliver: À des Américains?

Le président: Non, à des Canadiens. J'ai essayé de découvrir le fond de cette affaire auprès des responsables du PCRA. Quand les représentants de ce programme en Saskatchewan, le PSRA, ont comparu devant notre comité, ils nous ont dit que la même chose se produisait ici.

Aux termes du PCRA, si vous n'êtes pas vous-même agriculteur, on vous accorde un montant basé sur la moyenne. Une entreprise agricole appartenant à une société privée comptant au moins quatre associés peut toucher, aux termes du PCRA, 600 000 $ la première année et 400 000 $ la deuxième. Je n'arrive pas à obtenir de réponse du ministère. Je me suis rendu à Winnipeg; on m'a dit qu'on me donnerait des nouvelles, mais on ne l'a jamais fait.

J'ai vérifié ce qu'il en était auprès des responsables du PSRA. On m'a renseigné en privé. Le gouvernement de la Saskatchewan, à Regina, m'a confirmé que telle était la réalité. Une fois qu'une société privée a mis ainsi la main sur une terre agricole, celle-ci est à tout jamais perdue pour l'industrie.

Le sénateur Spivak: De quel genre de sociétés s'agit-il? De sociétés céréalières? Qui rachète ces terres?

Le président: Dans certains cas, ce sont des intérêts pétroliers qui achètent ces terres avec des pétrodollars. Il s'agit d'un type tout différent d'exploitation. J'aimerais savoir si cela se produit aussi au Manitoba?

M. Downing: Ça c'est déjà fait.

Le sénateur Tkachuk: J'ai une question supplémentaire. Je vous ai rencontrés, messieurs, à deux ou trois occasions au bureau du sénateur Gustafson.

Nous n'avons jamais avancé à rien. C'est très difficile.

Monsieur le président, j'aimerais présenter une motion. Je propose:

Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts condamne le gouvernement libéral fédéral pour son inaction face à la crise agricole dans l'Ouest canadien.

J'aimerais proposer cette motion dès maintenant, monsieur le président.

Le président: La motion est accueillie. Sommes-nous tous en faveur de cette motion?

Le sénateur Chalifoux: La motion doit être appuyée.

Le sénateur Spivak: Quel est l'objet de la motion? J'y suis favorable, mais quel en est l'objet?

Le président: Elle tient à notre situation politique.

Passons à la mise aux voix. Quels sont ceux qui sont en faveur de la motion? Quels sont ceux qui s'y opposent? La motion est adoptée.

M. Downing: Permettez-moi de vous donner quelques explications. Ma municipalité régionale compte 432 sections de terre et moins d'une centaine d'agriculteurs actifs. Telle est la situation actuelle dans notre municipalité. Elle est encore pire dans les municipalités avoisinantes.

Les jeunes sont déjà partis. Pour ceux qui restent, nous devons nous engager à faire quelque chose immédiatement pour les retenir sur place. Ils ne voient plus l'intérêt qu'il y aurait pour eux à racheter la ferme familiale. Les jeunes nous disent que, si rien ne change l'an prochain, ils s'en iront.

Il n'en reste plus qu'un très petit nombre qui ne sont pas encore partis. Nous sommes venus ici pour faire part de cette situation au gouvernement fédéral. Je ne crois pas que les responsables gouvernementaux se rendent compte de l'ampleur du problème. Je me demande pourquoi ce message ne leur parvient pas.

Nous avons participé à certaines démarches en ce sens et nous avons saisi les fonctionnaires et les autorités politiques de cette question, et on nous a dit qu'on n'en avait jamais entendu parler auparavant. Je tiens à vous faire part de la situation de cette façon, et j'espère réussir cette fois-ci à passer la rampe.

Nous nous sommes fiés aux associations agricoles pour qu'elles viennent vous saisir du problème. Ça ne s'est pas fait. Vous devez mener ce combat et présenter vous-même la situation telle qu'elle est. Les associations agricoles ne le font pas. À maintes occasions, nous avons participé à des réunions où les représentants de ces associations disaient que nous exagérions sans doute, puisqu'ils n'avaient jamais été mis au courant d'un tel état de choses auparavant.

C'est pourtant bel et bien la réalité que nous décrivons. Ce que nous en disons est exact.

Le sénateur Wiebe: Ma première question s'adresse à M. Denis. Vous avez mentionné que, pour les trois dernières années, votre production agricole avait représenté environ 115 p. 100 de ce que les agriculteurs de votre région produisent en moyenne.

Êtes-vous parvenu à vendre tout ce que vous avez produit? Avec cette moyenne sur trois ans, que pouvez-vous obtenir aux termes de l'ACRA? Le fait que votre production ait été supérieure à la moyenne vous aidera-t-il à obtenir davantage aux termes de l'ACRA? Avez-vous reçu un chèque au cours de ces trois années?

M. Denis: Oui, j'ai pu vendre toute ma production. Le marché des céréales est en réalité meilleur que bien des gens ne le croient. On lit souvent que nous n'avons pas besoin de ce produit et que nous sommes en train d'inonder le marché. Si le sol du monde entier gelait subitement, nous aurions des réserves de blé pour quelque part entre 21 et 45 jours. Si le sol se mettait à ne plus produire du tout, ce serait à peu près ce que nous aurions comme réserve.

Une telle situation est alarmante. Nous ne saurions nous passer des producteurs de blé. Ce qui se mange le plus dans le monde, c'est le riz; le blé vient immédiatement après. Le blé est l'une des denrées les plus essentielles.

Avec une production représentant de 110 à 115 p. 100 de la moyenne et les prix que j'ai réussi à obtenir, j'ai décroché d'assez bonnes conditions aux termes du PCRA et de l'ACRA. Cela m'amène à 70 p. 100 d'une moyenne de cinq ans où mon revenu net a été nul. Il me fallait trouver 30 p. 100 de 465 000 $ pour maintenir mon entreprise agricole à flot.

Il est intéressant de voir comment j'y suis parvenu. J'ai augmenté mes emprunts pour les faire passer de 80 000 $ à 150 000 $ par an. Vous pouvez voir où cet argent s'en va.

J'ai une entreprise de pulvérisation à façon, que j'exploite nuit et jour quand j'en ai la possibilité. Les affaires sont relativement bonnes pour autant qu'il reste encore des agriculteurs dans ma région. Cette entreprise repose sur l'agriculture. Quand mes voisins agriculteurs auront tout perdu, je ne serai plus en mesure de renflouer ma propre exploitation agricole. Certains agriculteurs conduisent des autobus d'écoliers, mais quand il n'y aura plus de familles avec enfants, il n'y aura plus d'autobus d'écoliers. Le jour où il n'y aura plus rien à pulvériser, je ne pourrai plus exercer cette activité.

Quand tout s'effondrera, nous allons tous sombrer en même temps. Ceux parmi nous qui se seront trouvé quelque chose d'autre pour se tenir à flot à court terme ne feront alors pas mieux que les autres. Nous sommes tous dans la même galère et nous allons tous couler.

Ces solutions à court terme nous permettent de tenir le coup provisoirement, mais on ne pourra pas en demeurer là bien longtemps, c'est évident.

Le sénateur Wiebe: Vous avez mentionné que la réserve mondiale de céréales était d'environ 21 jours. J'ai toujours pensé que toutes ces choses étaient fonction de l'offre et de la demande. Il s'agit là d'un pourcentage dramatiquement faible. Pourquoi les prix n'ont-ils pas augmenté en conséquence? Qui est coupable d'une telle situation? Pourquoi le marché ne réagit-il pas?

M. Denis: Nous avons un marché dont les règles sont directement faussées par les énormes subventions qu'accordent à leurs agriculteurs les Américains et les Européens.

Le sénateur Spivak: Il n'y a pas que cela.

Le sénateur Wiebe: J'en suis conscient. Les subventions que les Européens et les Américains versent à leurs agriculteurs sont très élevées par rapport à celles qu'obtiennent les nôtres.

Pourquoi les prix ne montent-ils pas si l'offre est si faible? Normalement, la rareté crée la demande, ce qui entraîne automatiquement une hausse des prix, indépendamment de l'importance des subventions. Qui, selon vous, est coupable de bloquer le jeu de l'offre et de la demande?

M. Knight: Le coupable, c'est le fait que le consommateur ne peut se permettre de dépenser plus que tel montant pour son alimentation. C'est lui qui dicte le prix de notre produit final. Les intermédiaires entre la ferme et le consommateur exigent au minimum une marge bénéficiaire de 30 p. 100. Le dernier de la chaîne ne peut payer que tel montant, de sorte qu'il est facile de faire le calcul. Il n'est pas difficile de faire l'addition et de trouver la bonne réponse.

Dans notre société, nous obtenons la réponse et nous retournons en arrière pour voir quel prix devrait être fixé au départ. Si le consommateur peut payer 10 $ et que neuf intermédiaires prennent 1 $ chacun, il nous reste seulement 1 $. Nous avons là un des coupables.

Le sénateur Wiebe: Je pratique l'agriculture depuis 40 ans, et ce qui me déçoit le plus, c'est de voir que les agriculteurs sont incapables de parler d'une seule voix. Vous êtes trois particuliers ici aujourd'hui, mais vous n'appartenez à aucune association. Pourquoi les agriculteurs ne peuvent-ils pas parler d'une seule voix? Notre comité vient tout juste de passer une semaine à Washington, où nous avons rencontré les représentants de deux associations nationales d'agriculteurs. L'une d'elles compte quelque 2,5 millions de membres et l'autre, environ 3 millions. Il faut dire que ces associations s'occupent davantage d'assurance que de questions agricoles proprement dites.

L'association qui compte 2,5 millions de membres a un splendide édifice bourré de personnel. Les droits d'adhésion qu'on fait payer aux agriculteurs sont très modiques, et, en retour, ceux-ci ont énormément de poids auprès des autorités gouvernementales. Même si le montant de la cotisation qu'elle perçoit de chacun de ses membres est peu élevé, cette association a pu se permettre de retenir les services d'attachés de recherche et de présenter divers mémoires au gouvernement.

Récemment, nous sommes allés dans l'Ouest pour y participer aux audiences d'un groupe de travail. Nous y avons rencontré des représentants de 17 différentes associations d'agriculteurs, et il n'y en avait pas deux qui partageaient le même point de vue. Je puis comprendre pourquoi les agriculteurs américains ont pu jouer dur avec le gouvernement. Qu'est-ce qui nous empêche de faire de même au Canada?

M. Downing: Avec le temps, les associations d'agriculteurs évoluent comme tout autre groupe politique. Nous avons eu le plaisir de faire part de notre point de vue à ce groupe de travail quand il est venu au Manitoba. Le même soir, nous nous sommes rendus à une autre rencontre en compagnie de 12 agriculteurs. Notre message était clair. Nous avons assisté le même soir à une autre réunion où nous avons entendu: «Je m'appelle un tel et je suis membre du syndicat du blé de la Saskatchewan, et je m'appelle un tel et un tel de telle ou telle autre association». J'étais désolé pour les membres du comité, car les agriculteurs ne savaient pas ce qu'ils voulaient. Chacun avait l'air de s'être amené là avec pour mission de bien faire paraître son groupe, tout comme s'il s'était agi de deux équipes de hockey qui patinent dans des directions opposées.

Le sénateur Wiebe: Faudra-t-il que l'industrie agricole canadienne disparaisse pour que les agriculteurs se rendent compte de ce problème?

M. Downing: La Fédération canadienne de l'agriculture (FCA) existe depuis 1935. Elle n'est donc pas nouvelle dans le paysage. Pas plus tard qu'hier, nous avons eu une rencontre avec les représentants de cette association et nous leur avons demandé pourquoi ils ne participaient pas directement à l'élaboration du programme. Nous leur avons demandé pourquoi ils permettaient aux gens de l'édifice Sir John Carling d'élaborer les programmes et d'en faire eux-mêmes l'examen critique. Nous avons nos propres critiques. Nous élisons ces gens. Pourquoi n'entrent-ils pas dans le jeu pour élaborer eux-mêmes un programme?

Nous sommes retournés à la rencontre avec le groupe de travail au Manitoba, et nous avons vu l'exposé que la FCA a présenté au groupe de travail. Celui-ci n'a eu droit à aucune proposition de solution, même s'il était là précisément pour chercher des solutions. On ne lui a soumis aucune hypothèse de solution.

Je me demande pourquoi les agriculteurs ont cette attitude, qui m'apparaît incompréhensible. Voilà pourquoi nous nous sommes impliqués et avons reçu l'appui dont nous jouissons de particuliers qui sont sur le terrain pour témoigner de la situation telle qu'elle est.

Le président: Je vous recommande de lire un article que j'ai en main et dont les auteurs soutiennent que des députés ont affirmé que le gouvernement cache les résultats d'un sondage national qui a été effectué pour le compte d'Agriculture Canada auprès des agriculteurs du pays. D'après un sondage qu'on a mené depuis Saskatoon, 71 p. 100 des Canadiens sont favorables à ce qu'on apporte une aide aux agriculteurs aux prises avec ce problème national. Vous voudrez peut-être lire cet article pour ce qu'il vaut, quoique vous allez peut-être juger qu'il a un caractère trop politique.

L'autre remarque que j'aimerais formuler à cet égard, c'est que, pendant que nous étions aux États-Unis, on y a proposé un projet de loi prévoyant l'octroi de 171 milliards de dollars supplémentaires d'aide agricole sur 10 ans. Or, les agriculteurs ont reçu un coup terrible pour eux quand le président Bush a annoncé qu'il aimerait qu'on ampute 19 milliards de dollars de ce montant pour soutenir le monde rural, ce qui laissait quand même 151 milliards de dollars sur 10 ans. Ils sont partis en guerre contre cette coupe de 19 milliards sur les 171 milliards escomptés, même si le montant retranché allait être alloué de toute façon au milieu rural des États-Unis.

Je ne sais tout simplement pas ce qui nous arrive ici. Il y a vraiment de quoi être au désespoir devant une telle catastrophe nationale. Nous avons pour politique de fournir aux gens des aliments à bon marché; les votes sont dans les milieux urbains, et l'agriculteur ne touche rien pour son produit.

Je suis bien placé pour vous dire combien nos agriculteurs travaillent fort. J'ai trois fils. L'un d'eux vient de décider de retourner à l'université, à Brandon, parce qu'il en a assez de l'agriculture; son cadet travaille depuis un an pour une société pétrolière, et mon autre fils et moi-même essayons de compenser l'absence de mes deux autres fils. Nous avons travaillé de très longues heures sur cette ferme. Notre situation n'est pas différente de celle des autres agriculteurs de tout le pays. C'est déprimant. Nous avons sur les bras une catastrophe nationale, pour je ne sais quelle raison. Je suis presque prêt à voter libéral.

Le sénateur Chalifoux: Je viens d'une région rurale du centre-nord de l'Alberta. Ma famille a toujours été en agriculture. Chaque fois que j'écoute des gens dans une réunion comme celle-ci, je note que jamais quelqu'un ne propose de solution. Nous sommes tous au fait de la situation et nous en entendons parler chaque semaine dans nos caucus respectifs. Où que nous soyons, on nous fait état de la situation, mais jamais les agriculteurs ne nous proposent des solutions. C'est très important.

Non seulement cela, mais on nous a mentionné - et nous en sommes tous conscients - qu'à cause du changement climatique, le sol s'est considérablement appauvri dans le sud de l'Alberta. Nous en sommes à nous demander comment nous allons faire pour le régénérer, car il est en si piètre état. En Colombie-Britannique, il y a des fructiculteurs qui sont plongés dans une terrible situation. C'est ce qu'on peut observer aux quatre coins du pays. Je n'ai encore vu personne venir ici nous proposer une solution que nous pourrions transmettre au gouvernement. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Le sénateur Oliver: C'est d'argent dont il s'agit.

Le sénateur Chalifoux: Non, ce n'est pas une question d'argent. Nous devrions nous attendre à ce qu'on nous propose quelque chose d'autre comme solution.

M. Downing: C'est la quatrième fois que nous nous amenons ici. Nous avons soumis une proposition au gouvernement. Nous avons déposé une proposition sur le bureau des fonctionnaires. Vous avez entendu leurs témoignages; il nous faut un programme axé sur le revenu. C'est ce dont vous avez besoin en Alberta, c'est ce qu'il faut aux fructiculteurs de la Colombie-Britannique, car nous parlons tous de revenu - qu'il s'agisse de pommes, de blé ou de bétail, c'est toujours une question de revenu. Ce programme a été proposé ici.

Nous avions fini par croire que ce projet de programme avait été noyé pour toujours, mais il a refait surface ces derniers mois. Il n'est pas parfait, mais nous espérions que la FCA ou une autre association d'agriculteurs le proposerait et le défendrait. À une des premières rencontres que nous avons eues avec le comité sénatorial, quelqu'un a dit: «Dieu merci, on nous arrive enfin avec une solution!» Nous nous étions donc présentés ici avec une solution.

Quand nous retournons auprès de notre association d'agriculteurs et que nous essayons de travailler ensemble dans la province, notre propre association s'oppose à notre démarche et dit que nous ne pouvons pas faire ceci pour telle raison. Ce n'est pas son rôle. Son rôle, c'est d'obtenir quelque chose. Laissons les gens de l'édifice Sir John Carling nous dire ce pourquoi nous ne pouvons pas le faire. On s'attendrait à autre chose d'une association d'agriculteurs. Nous avons essayé de faire accepter notre proposition, mais nous n'avons abouti nulle part. Voilà pourquoi nous nous retrouvons ici aujourd'hui.

Le sénateur Chalifoux: Le sénateur Wiebe a bien raison. J'étais moi aussi de la partie à cette visite à Washington. J'ai été étonnée du soutien qu'apportaient les associations d'agriculteurs et les groupes de pression dans ce pays. Vous dites que vous vous amenez avec une proposition de solution, et vos propres syndicats et associations mènent le combat contre vous.

M. Knight: Nous ne croyons pas qu'il y ait quatre roues sous le chariot.

Le sénateur Chalifoux: En voilà une idée!

M. Knight: Il n'a qu'une roue. Permettons à quelqu'un d'autre d'y ajouter quelque chose. Nous avons mis notre proposition sur la table pour faire démarrer les choses. Sans roue, le chariot n'ira nulle part. Avec une seule roue, au moins peut-on prendre le départ.

M. Downing: Nous nous sommes rendus à plus de 50 réunions dans diverses localités pour y parler de notre proposition. Quand vous dites «élaboré par les agriculteurs pour les agriculteurs», c'est précisément de cette façon que nous avons procédé. Nous tenions une réunion, et quelqu'un se levait dans l'assistance et disait: «Je n'aime pas le programme parce qu'il ne fonctionnera pas». Nous y avons conséquemment apporté de nombreux changements.

Nous en sommes venus à un point où aucun autre changement n'était proposé. Nous avons alors couché le tout sur papier et décidé de présenter notre proposition quelque part. C'est notre cinquième visite à Ottawa pour exercer des pressions afin qu'on vienne en aide aux agriculteurs. Si vous m'aviez dit que les choses se passeraient ainsi, je n'en aurais rien cru. Nous voici donc de nouveau. Je suis joliment déterminé. Je ne suis pas du genre à lâcher prise facilement. J'aime mon industrie. Les agriculteurs l'aiment aussi.

J'ignore pourquoi les associations d'agriculteurs ont échoué, mais c'est ce qui s'est produit. Je n'accuse personne, mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Nous nous sommes fiés à ces gens, et on a abouti à un vrai gâchis. Nous nous efforçons de récupérer le projet après qu'on l'ait laissé tomber au fond du puits, mais nous avons tout un défi à relever.

Le sénateur Chalifoux: Monsieur le président, avons-nous des copies de cette proposition de solution?

M. Downing: Nous en avons quelques-unes ici.

Le sénateur Chalifoux: J'aimerais en avoir une.

Le président: Croyez-vous qu'on pourrait remédier à cette situation sans injection de fonds publics?

M. Downing: Non.

Le sénateur Chalifoux: C'est la solution classique. Naturellement, on a besoin d'argent. Examinons la solution proposée et voyons ce que nous pourrions faire pour qu'elle soit étudiée.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur le président, je propose:

Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts signale au Sénat cet après-midi que le ministre de l'Agriculture s'est décommandé alors qu'il devait comparaître devant notre comité aujourd'hui et que, par conséquent, le comité recommande que le Sénat se constitue en comité plénier à la première occasion pour entendre le ministre de l'Agriculture et tous les autres groupes reconnus d'agriculteurs, y compris ceux qui ont comparu devant nous aujourd'hui, à propos de la crise dans laquelle sont plongés les agriculteurs du Manitoba et du reste de l'Ouest canadien.

Le président: Vous avez tous entendu la motion.

Le sénateur Wiebe: J'aurais un amendement à proposer. Le sénateur Tkachuk a mentionné qu'une association d'agriculteurs a comparu devant nous aujourd'hui. Sauf erreur, ces messieurs sont ici à titre personnel et non comme représentants d'une association d'agriculteurs. S'ils représentent une association, je me demande laquelle. C'est peut-être le cas, mais cette mention devrait être retranchée de la motion.

Le sénateur Tkachuk: Ils sont libres de comparaître. S'ils ne désirent pas le faire, rien ne s'y oppose. Pour les sénateurs qui ne font pas partie du Comité de l'agriculture, ce serait une occasion de se renseigner sur la situation dans ce secteur. Ces témoins n'ont pas été forcés de comparaître.

Le sénateur Oliver: Je demande le vote.

Le président: S'il n'y a pas d'autre discussion avant que nous mettions la question aux voix, je vous demande, chers collègues, si vous voulez adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Chalifoux: Avec dissidence.

Le président: La motion est adoptée avec dissidence.

Le sénateur Spivak: Monsieur le président, nous avons eu un débat d'urgence au Sénat sur cette question. Cette situation est bien connue. Nous savons tous que tout le monde sauf le producteur fait de l'argent en agriculture. Il n'y a pas de mystère là-dedans; ce n'est un secret pour personne. Peu importe que les associations d'agriculteurs ne soient pas d'accord. Nous avons un gouvernement. C'est à lui de prendre l'initiative.

Il y a des gens qui avancent l'hypothèse qu'il s'agirait là d'une orientation politique délibérée, à savoir qu'on souhaiterait qu'un plus grand nombre d'agriculteurs abandonnent leur ferme pour qu'on puisse se diriger vers une industrie agricole contrôlée par de grandes sociétés. Je vois mal que ça puisse être le cas. Je n'arriverais pas à croire que notre propre gouvernement ait cela à l'esprit. Ce que je voudrais faire valoir, c'est que notre comité devrait se montrer plus actif. Il ne s'agit pas là d'une question à saveur politique. Les faits sont bien connus.

De deux choses l'une: Ou bien il s'agit là d'une orientation politique voulue, ou bien les programmes que nous avons ne fonctionnent pas ou sont entachés de corruption - en ce sens qu'il s'y commettrait des abus - comme dans la situation que notre président a décrite.

Nous nous sommes penchés sur le programme ACRA et nous l'avons jugé inadéquat. Je ne suis pas à jour, monsieur le président, car je n'étais pas membre de ce comité auparavant. Cependant, on dépense des milliards de dollars dans le cadre de ce programme. Nous pourrions certes instituer une procédure d'urgence qui nous permettrait de prendre cet argent et de le donner à ceux qui en ont le plus besoin.

Il y a trois ans, nous avons eu un débat d'urgence sur cette question. Peu importe l'attitude des associations d'agriculteurs, tout le monde sait que les faits sont là. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à prendre connaissance des rapports relatifs au cas de la Saskatchewan.

Le sénateur Johnson: Ça ne ferait pas de tort de rafraîchir la mémoire des gens. Il y a trois ans de cela.

Le sénateur Spivak: Il serait souhaitable qu'on ait un débat sur ce sujet au Parlement. Je ne suis pas contre. Ce que je dis, c'est que nous devrions faire en sorte que notre comité propose quelques solutions appropriées. Nous avons quelqu'un qui s'y connaît, le sénateur Wiebe; il fait partie du groupe de travail. Il n'appartient pas uniquement aux agriculteurs de proposer des solutions; il incombe également au gouvernement, aux élus, de le faire.

Le président: Madame le sénateur Spivak, vous avez suggéré que le comité se montre plus actif. Je tiens à vous faire savoir ce qui se produit à notre comité. Cela fait deux mois que nous invitons le ministre de l'Agriculture à comparaître devant nous, et nous n'avons encore obtenu aucune réponse.

Nous avons demandé à trois reprises au ministre du Commerce international, M. Pettigrew, de comparaître ici, et il a décliné notre invitation.

Le sénateur Johnson: Comment expliquer cela, monsieur le président?

Le président: Je n'ai pas la réponse à cette question. La semaine dernière, j'ai téléphoné au bureau du ministre Pettigrew et j'ai fait savoir à ses fonctionnaires que j'étais vexé du fait que, par trois fois, le ministre ait décliné notre invitation. La secrétaire du ministre m'a demandé pourquoi il devrait comparaître, et je lui ai répondu qu'étant donné que 25 p. 100 des exportations canadiennes dépendaient de l'agriculture et du commerce, c'était certes très important.

Le sénateur Johnson: Le défaut des ministres de comparaître devrait être mentionné au compte rendu, monsieur le président.

Le président: Si vous doutez de ce que je vous en dis, vous pouvez toujours demander à notre greffier ce qu'il en est, car il a essayé lui-même d'obtenir que ces personnes comparaissent. Le comité directeur est intervenu pour leur demander de comparaître.

Le sénateur Spivak: Monsieur le président, en disant que notre comité devrait se montrer plus actif, je ne demandais pas vraiment que les ministres comparaissent. Je voulais parler de la nécessité d'élaborer un programme, de le soumettre au gouvernement en lui disant: «Voici le programme que le Comité sénatorial de l'agriculture aimerait qu'on mette en oeuvre». C'est cela que je veux dire. Peut-être que ce que je dis là n'est pas très à propos, car je ne faisais pas partie du comité et je ne sais pas précisément où on en est.

Le président: Je tenais à vous mettre au courant de ce que le comité a essayé de faire à ce sujet. Nous n'avons pas été capables d'obtenir que les ministres comparaissent devant nous lors de nos dernières séances.

Est-ce que d'autres membres du comité aimeraient s'exprimer ou poser des questions? Sénateur Tunney?

Le sénateur Tunney: J'ai une question brève et peut-être une suggestion. Avez-vous envisagé sérieusement de vous recycler dans d'autres cultures?

Le sénateur Tkachuk: Je propose l'ajournement de la séance, monsieur le président. Cette motion ne peut faire l'objet d'un débat.

Le sénateur Chalifoux: Pourquoi?

Le sénateur Tkachuk: Je propose l'ajournement de notre séance, monsieur le président. Ma motion ne peut faire l'objet d'un débat.

Le sénateur Chalifoux: Qu'est-ce qui ne peut être débattu?

Le président: La motion.

Êtes-vous d'accord pour que nous ajournions la séance, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Des voix: Avec dissidence.

Le président: La motion est adoptée avec dissidence.

La séance est levée.


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