Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 18 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 1er novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 30 afin d'examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous sommes heureux ce matin d'accueillir Jacques Proulx, président de Solidarité rurale, et Mme Marie Anne Rainville, directrice des Affaires publiques. C'est avec plaisir que nous entendrons votre exposé et ensuite les sénateurs vous poseront leurs questions.
Je vous en prie, monsieur Proulx.
[Français]
M. Jacques Proulx, président, Solidarité rurale du Québec: Monsieur le président, je voudrais vous remercier de nous donner l'occasion de pouvoir partager avec vous l'expertise que nous avons développée depuis quelques années sur le plan de la ruralité et essayer de répondre le plus adéquatement possible à vos questions. Nous savons que le comité a beaucoup de préoccupations.
D'entrée de jeu, je tiens à préciser que nous n'avons pas préparé une présentation orthodoxe comme vous avez pu le constater, qui aurait inclue la rédaction d'un mémoire. Nous avons plutôt choisi d'améliorer, d'adapter le discours que je livre depuis quelque temps un peu partout au Québec et à différents endroits au Canada. Particulièrement la fin de semaine dernière, j'ai fais des rencontres avec des organismes à Winnipeg.
Je suis invité à m'adresser aux gens des milieux ruraux. Également, il me faut spécifier que notre coalition oeuvre sur le territoire du Québec. Nous avons occasionnellement des échanges avec des organismes ou des personnes d'autres provinces canadiennes. Néanmoins, l'organisme que je préside entretient des relations régulières avec le Secrétariat rural canadien en plus d'avoir participé très activement au partenariat rural.
Ces précisions faites, nous pourrions déjà convenir que les problèmes, comme des défis qui confrontent les communautés rurales, sont identiques dans tous les pays du G8. Si le Canada ni aucune de ces régions ne fait pas exception, les différences entre les pays seraient plutôt sur le plan des solutions et des actions entreprises. J'y reviendrai plus loin dans ma présentation, mais en matière de développement rural, l'Europe industrialisée fait école.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais prendre quelques secondes pour présenter la coalition que je préside. Solidarité rurale du Québec est l'organisme chargé du suivi des États généraux du monde rural qui ont eus lieu en 1991 et auxquels participaient 1 200 ruraux venus de tous les horizons.
Notre coalition est hybride avec un effectif composé de 23 grands organismes nationaux tels l'Assemblée des évêques, les grandes organisations syndicales dont l'Union des producteurs agricoles, le Mouvement Desjardins, la Fédération de l'âge d'or, les centres locaux de développement, l'Association des régions ou la Fédération des municipalités et ainsi de suite. Bref un sommet économique permanent auquel se greffent des organismes régionaux, des groupes en lien avec nous et même des membres individuels.
Depuis 1997, Solidarité rurale du Québec est également l'instance conseil du gouvernement du Québec en matière de développement rural. Nous sommes donc simultanément un groupe conseil, un lobby, un centre de formation, un centre de documentation, un lieu de recherche, une petite maison d'édition avec notamment une publication à l'intention des urbains qui se nomme Village, qui paraît au rythme des saisons, c'est-à-dire quatre par année, une station de radio Internet car nous préparons hebdomadairement une émission de 30 minutes diffusée sur Internet et par neuf stations de radio communautaire qui rejoignent l'ensemble des dizaines de milliers de ruraux. Tout cela avec une vaillante équipe de dix personnes. Notre site Internet mérite d'être visité. J'insiste pour vous dire qu'il est mis à jour presque quotidiennement.
Volontairement, depuis quelque temps, j'intitule toutes mes conférences «Vivre heureux en campagne». D'abord, c'est une manière claire d'affirmer que je ne suis pas malheureux d'être un rural. Également, cela suppose qu'il y a des conditions au bonheur des ruraux. Enfin, je lutte par ce seul titre contre la morosité ambiante et palpable certains jours et peut- être d'une façon particulière depuis le 11 septembre dernier.
Si vous le voulez, revenons pour le moment au bonheur parce qu'on a très peu souvent la chance d'en parler. D'ailleurs, à notre avis, c'est pour cette raison que cela va plus ou moins bien en politique dans nos États démocratiques; on parle de tout, on mesure tout, sauf le bonheur. Depuis déjà plusieurs années, je propose souvent de substituer au PIB, le BNB, le Bonheur National Brut. Pour moi, cette nouvelle échelle permettrait de faire le bonheur, d'être soucieux du bien commun des populations plutôt que celui des grandes entreprises. Au fond, le bien commun, le bonheur, voilà ce dont voulaient parler les manifestants de Québec, de Seattle ou les femmes, lors de la marche mondiale, même si parfois, c'est fait d'une façon un peu brutale.
À Solidarité rurale du Québec nous travaillons en ne croyant aucunement dans les miracles de la spécialisation industrielle, manufacturière ou agricole. Personnellement, en bon paysan, je me dis que la spécialisation de l'économie, du commerce ou de l'esprit entraîne une perversité. Une ville, une économie ou une personne, c'est bien plus qu'une seule affaire et lorsque que ce n'est qu'une seule chose, par définition, cette ville, cette région ou cette personne est prisonnière au moins d'elle-même. Un certain nombre d'entre vous se rappelleront avec nostalgie leur cours classique. On y formait des hommes grâce aux humanités. On ne formait pas seulement des travailleurs et des travailleuses spécialisées.
Si ce que je viens de vous dire peut paraître simple ou évident, je dirais que c'est le coeur du problème. En effet, tant dans les officines gouvernementales que dans trop de nos instances locales et régionales, on cantonne le monde rural à n'être qu'une seule chose, appuyée généralement sur un seul secteur économique. Bref c'est l'arbre qui cache la forêt. Renouveler notre regard, voir les choses autrement, les imaginer différentes, voilà pour nous le passage obligé pour toute personne intéressée par le développement de son village, de sa communauté.
Voilà aussi pourquoi le développement régional n'est pas le développement rural. Si le développement rural est par nature complexe et multiple, le développement régional peut être spécialisé et concentré autour d'une agglomération urbaine.
En fait, je dis qu'à l'heure de la mondialisation, du commerce, de l'économie, de la culture et des communications, l'enjeu le plus important, surtout pour les pays riches, est celui de la propriété collective des territoires, afin qu'ils soient au service du bien commun. Le territoire n'est pas seulement un outil de production, mais aussi un ensemble de terroirs définis par une nature et une culture particulières à chacun.
Encore une fois, à Solidarité rurale du Québec, nous croyons qu'il est crucial de développer un modèle économique rural, une nouvelle économie rurale. D'ailleurs, nous en parlons beaucoup dans l'avis que nous avons remis au ministre des Régions du Québec au début de l'année 1999. Nous écrivions ce qui suit:
[...] le monde rural québécois est peut- être mieux placé que bien d'autres pour faire face aux grandes tendances et aux soubresauts de l'économie mondiale. Sa diversité et sa fragmentation, deux caractéristiques souvent dénoncées car elles induisent sa complexité, sont ses avantages stratégiques. Elles lui permettent une meilleure modulation et le rendent moins fragile aux variations sectorielles de l'économie.
En d'autres termes:
[...] le monde rural n'a pas mis tous ses 9ufs dans le même panier.
Il reste donc, à notre avis, aux pouvoirs publics et aux entreprises, à miser sur ces avantages plutôt que d'adopter une stratégie simplificatrice qui consiste à investir principalement dans le renouvellement de l'économie urbaine et à faire la même chose que tout le monde. La différence, et le monde rural est différent, c'est le contraire de l'uniformité.
J'ajouterai qu'à l'aube de nouvelles négociations de l'Organisation mondiale du commerce sur l'agriculture, nous estimons que l'économie des terroirs, l'économie rurale recèle des défis aussi stimulants, et éventuellement payants, que ceux des marchés de masse et de grand volume.
Les économies des pays développés traduiront, dans le prochain siècle, des préoccupations écologiques des dernières décennies en biens de consommation. L'authenticité, la qualité, l'exclusivité, la pérennité, la certification, la «traçabilité», l'originalité des biens de consommation, toutes deviendront des valeurs commercialisables et incontournables. Je vous dirai qu'on disait cela bien avant la crise de la vache folle qui a tant ébranlé la population l'automne dernier en Europe. J'ai défendu à plusieurs occasions ce point de vue qui, à notre avis, contient beaucoup d'avenir.
En ce qui concerne le Québec, les terroirs sont toutes les ressources, mais c'est aussi valable un peu partout au Canada et ailleurs en Amérique. Les terroirs, ce sont toutes les ressources tangibles et intangibles, indéracinables, dont l'agriculture, les mines, la forêt, l'eau, les paysages, le savoir-faire , le tourisme, et ainsi de suite.
Il faut alors bien se dire qu'en terme de produit intérieur brut, c'est beaucoup plus d'argent que les nouvelles technologies, ces dragées miraculeuses qui nous ont été vendues avec beaucoup de pression au cours des dernières décennies. La mondialisation est l'antithèse des terroirs parce que c'est un perpétuel nomadisme industriel. D'ailleurs, M. Valaskakis, dans une série de papiers publiés il y a deux ans dans La Presse, a écrit:
La menace constante de déménagement d'entreprises milite pour un nivellement par le bas.
La poète a souvent dit:
Qui ne cultive pas la terre/ Prend la récolte et fait la guerre.
En somme, je pense comme John Saul, le philosophe, qui dit:
J'adore le marché. Je ne suis cependant pas assez stupide pour confondre ces mécanismes nécessaires et importants, certes, mais étroits, avec une force ample, solide et consciente pour mener la société.
En somme, comme l'a écrit Peter Brown de l'Université McGill,
Le régime actuel vise à stimuler la croissance économique par la libération des échanges commerciaux et la réduction du rôle des gouvernements.
Face à tout cela et, je dirais, fort de cette compréhension pour le monde rural, tant du point de vue culturel qu'économique, ce paradigme des terroirs - à défaut d'avoir pour l'instant un autre mot - perce l'horizon bouché depuis trop d'années, en induisant la multiplicité de sens et de nature, propre à ces espaces peu habités où le temps s'écoule autrement, où règne encore une culture paysanne désormais plus mythique que réelle. Mais de surcroît, et je crois que c'est très important pour le Canada car nous ne sommes pas des Européens, mais bien des Américains, ce modèle, celui des terroirs, a l'avantage de ne pas réduire le monde rural à sa seule fonction de beauté au service des urbains.
De plus, le terroir s'appuie sur le réel du pays et se commerce par Internet. D'ailleurs, comme l'a dit Ségéla: «Je suis de la planète et de mon village». Un slogan qui ouvre la voie aux terroirs. Je pousserai même l'audace jusqu'à dire que le terroir est l'antidote de l'extraction pure et simple des ressources naturelles. Le monde rural doit cesser d'être l'Arabie des usines multinationales de transformation.
D'ailleurs, à ce propos, M. Daniel Paillé, ancien ministre du gouvernement et le père des plans Paillé, et qui, aujourd'hui, est vice-président de la Société générale de financement du Québec a dit, lors de notre neuvième conférence nationale, que ne sont pas les plus gros qui gagnent, mais les plus vites. Aussi, M. Mario Pezzini de l'OCDE, lui, dit que les États occidentaux sont condamnés à l'innovation, et pour innover, il faut être vite et voir le monde autrement.
Il faudra donc voir les villages autrement, et je crois que ce regard neuf est plus accessible aux urbains, car ils n'ont pas nécessairement la vue voilée par aucune vieille manière de voir.
Voilà ce qui explique que dans un village près du mien, en Estrie, un man9uvre a vu dans une souche un tambour. Depuis, il en fabrique dans son atelier. Non seulement il contribue au développement du village, mais il en vit. Il fait vivre quelques artisans et il s'est fait une réputation mondiale. Je peux vous dire qu'il expédie beaucoup et qu'il n'y a pas un grand artiste partout dans le monde qui ne fait pas affaires avec lui. Il a développé une industrie assez extraordinaire. Comprenez- moi bien. Je ne dis pas que le monde rural doit être fondé sur l'artisanat, mais je vous dirai que l'artisanat doit avoir les mêmes opportunités que toutes les autres formes de l'économie.
Je ne saurais me taire sans vous dire combien je crois que le gouvernement fait fausse route avec son Secrétariat rural placé sous l'autorité du ministre de l'Agriculture. Cet état de fait illustre l'incompréhension de l'État à l'égard de la réalité rurale. Le Parlement fait aussi fausse route en confiant le budget de développement rural à des Agences régionales. Les résultats nets de ces deux mauvaises décisions est que le Secrétariat d'État à la ruralité n'a ni vrai pouvoir ni portefeuille. Tout pour exaspérer les ruraux, d'Est en Ouest. Et le simple dialogue Canada n'y changera rien! Au fond, l'État canadien fait fausse route en confondant monde rural et monde agricole.
À l'instar des autres pays membres du G8, le Canada devrait convenir que le monde rural canadien n'est que très peu agricole, que le monde rural est en mutation et qu'il est du rôle de l'État d'accompagner cette mutation. Il faudrait, avec la même énergie que celle déployée au cours des dernières décennies pour soutenir la mutation des villes comme Toronto et Montréal, soutenir les communautés rurales. Il faudra faire une chose extrêmement difficile pour les bureaucraties: envisager que l'infiniment petit existe.
Or les gouvernements sont peu aptes à travailler pour des villages ou des micro-entreprises et la lentille rurale, malgré des années d'existence, n'a absolument rien changé à tout cela. Pourtant, définir les villages adaptés au XXIe siècle me semble un défi à la hauteur des plus belles aspirations politiques.
Je vous remercie de votre attention et je fais place à vos questions et à nos échanges qui, je suis persuadé, seront très fructueux.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Proulx. Voilà un exposé des plus encourageant, ce qui n'est pas souvent le cas au comité de l'agriculture.
Quel pourcentage des Québécois vivent en région rurale au Québec?
[Français]
Mme Marie Anne Rainville, directrice, affaires publiques, Solidarité rurale du Québec: Je peux vous donner les statistiques pour le Québec, mais ce sont les mêmes pour le Canada et pour toute l'Europe occidentale. Actuellement, on estime à moins de 2 p. 100 les populations occupées à gagner leur vie à temps plein en agriculture dans les pays membres du G7.
Sur le plan de la population rurale, il est difficile de définir la statistique canadienne parce que Statistiques Canada définit le monde rural ou l'on retrouve les petits villages à 50 000 et moins de population. Tout est confondu et on utilise souvent les statistiques liées à ce qu'on appelle les agglomérations de recensement. Il n'existe pas de définition claire, précise et évidente de ce qu'est un village au Canada. Alors c'est tout ce qui n'est pas Toronto.
[Traduction]
Le président: Je comprends que votre mandat est beaucoup plus vaste que la simple question de l'agriculture en milieu rural au Québec. Toutefois, vous pouvez peut-être répondre à cette question. Quel pourcentage de vos agriculteurs sont assujettis à la gestion de l'offre?
[Français]
Mme Rainville: Je ne me rappelle plus de ces informations. Je suis sûre que plusieurs sénateurs ici savent que M. Proulx est l'ancien président de l'Union des producteurs agricoles du Québec et qu'il avait été vice-président de la Fédération canadienne de l'agriculture. J'ai aussi travaillé à ses côtés. À l'époque où j'étais à l'UPA et que M. Proulx y était aussi, je me rappelais exactement le pourcentage d'agriculteurs qui dépendaient de la gestion de l'offre. Actuellement, au Québec, je dirais que c'est essentiellement toujours les quatre même productions. En termes de volume d'argent, c'est à peu près 50 p. 100 de l'agriculture québécoise, entre 50 et 60 p. 100 du volume d'affaires de l'agriculture et probablement à peu près la moitié des agriculteurs du Québec. Actuellement au Québec, on a 20 à 22 000 agriculteurs à temps plein et de ceux-là, il y en a à peu près 10 000 qui sont sous gestion de l'offre. Ce genre de statistiques serait plus sûr en discutant avec l'Union des producteurs agricoles qu'avec Solidarité rurale.
M. Proulx: Dans le monde rural d'aujourd'hui, il y a une personne sur dix - et on est généreux quand on dit cela - au Québec, - et c'est la même chose dans tout le Canada - qui travaille en agriculture ou vit de l'agriculture. C'est très différent d'il y a 30 ou 40 ans. Il reste donc neuf personnes sur dix qui font autre chose dans l'espace rural. Une autre statistique: sept personnes sur dix ne travaillent pas dans le milieu rural, dans le village où elles résident. Toutes ces données nous donnent un portrait totalement différent du passé.
Mme Rainville: En somme, l'agriculture n'est plus et ne sera plus jamais l'économie de soutien. L'agriculture, la forêt et dans d'autres régions du Canada, on pourrait inclure les pêches, mais l'exploitation des ressources naturelles ne fait plus vivre le monde rural comme autrefois. Le monde rural vit essentiellement sur l'économie de service comme les villes.
M. Proulx: L'agriculture et la forêt demeurent des locomotives du développement économique des milieux ruraux. Sur ce plan, la productivité, la valeur monétaire n'a fait que croître. C'est la diminution de ceux et celles qui le font et c'est la concentration de la transformation vers les milieux urbains qui fait qu'il reste une personne sur dix. Toutefois, cela ne vient pas dénigrer l'importance de l'agriculture, de la forêt dans le milieu rural. C'est la locomotive du train de la future prospérité.
[Traduction]
Le président: Les membres de notre comité se sont rendus aux États-Unis. Les Américains mettent en place des programmes afin de sauvegarder les terres agricoles. Si vous vous rendez dans une région telle que la Géorgie, il y a des milliers et des milliers de petites fermes d'une quinzaine d'âcres où des citadins s'installent pour vivre à la campagne, garder quelques chevaux. Toutefois, les terres agricoles des États-Unis disparaissent à cause de cette expansion tentaculaire. Est-ce que la même chose se produit au Québec?
[Français]
Mme Rainville: Ce n'est pas spécifique au Québec, cela se produit partout au Canada. Actuellement, on n'a plus besoin de mettre toutes les terres en production pour obtenir le même rendement sur le plan de l'agriculture. C'est une première chose qui fait qu'on peut être propriétaire de la terre sans l'exploiter. On n'a pas besoin de ce qu'elle pourrait donner.
Deuxièmement, - et cela est aussi très important - on assiste actuellement à un engouement des urbains pour le monde rural et c'était avant les événements du 11 septembre. Actuellement, ce dont je vous parle, est beaucoup mieux documenté en Europe qu'ici, mais on peut dire que depuis une dizaine d'année, c'est aussi vrai aux Etats-Unis. Il y a un retour à la terre par les urbains et c'est beaucoup plus dépendant de ce qu'on appelle le mal-être urbain que le bien- être de vivre en milieu rural. En fait, nos études nous démontrent que l'engouement pour le monde rural au Québec s'appuie d'abord sur une seule chose: les gens qui veulent le plus déménager sont des jeunes familles, aux environs de la trentaine avec de jeunes enfants qui cherchent des communautés de vie à dimension humaine où il y a une forte vie communautaire. En fait, les gens veulent fuir les appréhensions qu'ils ont de la ville, le bruit, la pollution, la violence et je dois le dire, la multiplicité ethnique.
M. Proulx: Pour compléter votre question parce que vous avez parlé de protection des terres agricoles, c'est vrai qu'il y a un envahissement à l'heure actuelle. En même temps, il faut être prudent. Il ne faut pas penser que c'est généralisé partout. Oui, il y a des endroits, des territoires qui ont un envahissement très fort. Au Québec, on a la Loi sur la protection de territoires agricoles. Il est donc extrêmement difficile de pouvoir faire autre chose que de cultiver et c'est bien. En même temps, il faut être capable d'aménager et de faire produire. On ne créera pas la prospérité en protégeant des terres qui ne produiront pas.
À notre avis, le phénomène en Georgie ou ailleurs existe bel et bien. Il est réel. Il faut pousser le raisonnement plus loin et aller voir pourquoi on ne préfère pas cultiver, pourquoi on ne protège pas les terres adéquatement? On vit un peu le même phénomène au Québec même avec une Loi sur la protection des territoires agricoles. L'envahissement a malheureusement eu lieu dans les plus belles terres malgré cette Loi sur la protection des territoires agricoles pendant fort longtemps. C'est la Montérégie, la plaine du Saint-Laurent qui a continué à être dézonée et qui a continué à bâtir. On a qu'à regarder l'envahissement dans les banlieues. Ils ne sont pas allés faire cela dans ma région natale, l'Estrie, autour de mon village.
L'habitation se construit là où les services sont les moins dispendieux. Oui, je pense qu'il faut bien protéger les terres agricoles, que cela est fondamental, mais en même temps il faut faire quelque chose avec ces terres. On ne protège pas des terres agricoles comme on protège des choses dans un musée. Cela ne servirait à rien et il vaudrait mieux développer d'autres activités.
À ce niveau, il y a beaucoup d'incompréhension quant à la façon d'interpréter la protection des choses. Aujourd'hui, il ne faudrait pas penser que c'est uniquement en adoptant une loi qu'on exercera une véritable protection.
[Traduction]
Le sénateur Stratton: Merci de votre présence ici devant le comité ce matin. Votre exposé a été des plus intéressant.
Nous avons accueilli il y a quelque temps des représentants de Canards Illimités Canada. Ils se sont dits préoccupés du fait que les progrès en agriculture ces 50 dernières années, associés à la réduction des marges de profit sur les récoltes, ont entraîné des activités qui ont eu des conséquences négatives pour l'eau, le sol, le poisson et la faune en milieu rural.
Le labour de sols marginaux ou de sols érodables, l'assèchement des terres humides, le surpâturage des prairies et des terrains riverains, l'élimination des zones tampons de végétation le long des cours d'eau et des bordures des champs, une trop grande dépendance sur les engrais et les insecticides ont principalement contribué à la dégradation de l'intégrité écologique du paysage agricole.
Comment concilier la nécessité de gagner de l'argent et l'incidence de l'activité des agriculteurs sur le paysage agricole? Nous nous préoccupons tous, de plus en plus, du fait que, par nécessité, nous avons une incidence négative sur l'avenir de certaines de nos terres agricoles. Cela devient une préoccupation. C'est une grande préoccupation en Europe. Lorsque nous nous y sommes rendus il y a quelques années, c'était une grave préoccupation, surtout parce qu'on y fait un usage énorme d'engrais.
Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet?
[Français]
M. Proulx: Évidemment, la situation est assez inquiétante pour l'avenir et elle l'est sous différentes formes. Il y a tout d'abord l'aspect environnemental au sens étroit et large du mot et il y a également cette façon que l'on a aujourd'hui de gaspiller les ressources qui sont à notre portée.
Depuis l'industrialisation du début des années 60, nous n'avons développé qu'un seul modèle, nous n'avons valorisé qu'une seule façon de faire les choses. Maintenant on parle d'urbanisation de la planète avec l'idée qu'il faut produire avec de moins en moins de demande et un marché qui doit être le meilleur possible.
On s'est cantonnés dans des façons de faire étroites, avec une difficulté à se projeter dans l'avenir, à se donner les moyens de mesurer «quotidiennement» où nous menaient ces façons de faire. En fait, une personne portant le moindre intérêt pour l'avenir se rend bien compte que la situation est inquiétante.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, on s'acharne à essayer d'améliorer un modèle de développement urbain qui ne convient d'aucune façon à nos espaces ruraux. Telle est l'incompréhension du bureaucrate, du politicien de haut niveau qui ne se donne jamais la possibilité de voir les choses autrement. Tant qu'on ne verra pas les choses autrement, cela ne fonctionnera pas.
En disant cela, je ne condamne absolument pas l'économie urbaine parce que personne ne peut nier la façon dont la technologie a facilité nos vies. Les possibilités sont beaucoup plus nombreuses aujourd'hui qu'il y a 50 ans, sauf qu'il faut arrêter de croire que la super-spécialisation, c'est la seule façon de faire les choses. Voilà où se situe le problème.
Le législateur devrait commencer par reconnaître qu'il existe un espace rural qui diffère complètement de l'espace urbain. Nous, on considère que c'est la première chose à faire. Ensuite, face à cette reconnaissance, il faut changer la gouvernance et mener les choses différemment.
On ne peut pas appliquer les règles édictées pour un modèle urbain dans un village de 500 habitants parce qu'à partir de là, mon village ne répond à aucun critère. De cette façon, tous les villages de 500, 100 et même 5 000 habitants qui sont situés sur vos territoires ne répondent plus aux normes scolaires et aux normes relatives à la santé et au transport. Ils n'ont plus accès aux politiques et sont donc exclus.
Le monde rural est différent et l'État doit le reconnaître. C'est fondamental. Si on ne reconnaît pas cette différence, on peut continuer à développer une multitude de politiques, on peut continuer à investir des millions et même des milliards dans le milieu rural. On n'y changera rien. Spontanément, cela créera peut-être quelques emplois, mais il n'y aura pas de pérennité.
Vous connaissez autant d'exemples que moi à cet égard. Parmi les régions les plus mal en point à l'heure actuelle, certaines ont reçu des milliards de dollars d'investissement. Au Québec, en Ontario, dans les provinces de l'Ouest et même dans les Maritimes, on retrouve des exemples extraordinaires d'investissement et il n'y a pas de pérennité autour de cela.
C'est toujours à recommencer et le contribuable finit toujours par en faire les frais parce qu'on n'a pas répondu au fondement même de cet espace dit rural, peu habité et plein de ressources, et qui fait, dans beaucoup de cas, la prospérité de nos petites métropoles régionales.
Mme Rainville: J'aimerais aussi répondre à cette question cruciale. Vous savez aussi bien que moi que le Canada est le plus grand pays au monde, le plus riche en eau douce, et qui possède une réserve faunique unique. On pourrait demander à l'UNESCO de reconnaître le Canada comme territoire à protéger aux fins des réserves pour l'humanité. Le Canada a beaucoup reçu, il devrait aussi donner beaucoup.
Les idées sont de tous azimuts. Tout d'abord, la plus grande pollution agricole est générée par le transport des aliments. Manger des kiwis cultivés en Nouvelle-Zélande peut être formidable, mais la production de ces kiwis a probablement demandé l'usage de pesticides et de fongicides et exigé un très court délai de transport aérien. Le transport international des aliments est actuellement l'une des plus grandes sources de pollution agricole et on ne fait jamais mention de cela.
Par ailleurs, nos amis et concurrents européens bénéficient tous ensemble de la seule politique communautaire qu'on appelle la politique agricole commune. Cette politique compte pour 50 p. 100 du budget de l'Europe et permet largement à l'Europe de soutenir les prix. Les instances agricoles canadiennes ne sont pas suffisamment étudiées par le Canada. Depuis près de six mois, suite à la maladie de la vache folle et aux autres misères qu'a connues l'Europe, il y a tout un mouvement pour transférer la moitié du budget de la politique agricole commune vers le développement de nouvelles économies dans le monde rural. Il nous faut des mesures de soutien au revenu et des mesures de développement du monde rural. Actuellement, le pari européen est de dire que si on investit maintenant, dans 25 ans on aura des communautés rurales où l'on aura développé de nouveaux secteurs économiques vivants et vivifiés. En plus, toutes les régions qui demandent de l'appui de la décertification des États nationaux, sont des mesures vertes de négociations du commerce international. Il y a un double jeu. Les Européens appellent cela la «multifonctionnalité» de l'agriculture, et cela est extrêmement encouragé.
Au printemps, on a rencontré le président de la Commission rurale européenne, un Allemand, qui nous disait en privé qu'il était près d'une victoire. C'est l'Allemagne qui est le grand leader parce que les impacts environnementaux de l'agriculture sont trop larges.
Deuxièmement, depuis que les gouvernements occidentaux s'intéressent à l'agriculture, depuis la moitié du XIXe siècle, on a toujours regardé la question agricole sur le plan de la production. Toute notre conception de l'agriculture part du paradigme de la production. À notre avis, il serait plus juste, en ce début de XXIe siècle, de regarder la question agricole sur la plan de la consommation, et de l'alimentation. Le leader, le personnage le plus important en matière d'agriculture, ce n'est plus l'agriculteur, c'est le consommateur et pour deux raisons principales: les impacts environnementaux de l'agriculture; et en Occident, le consommateur payeur de taxes est responsable des 50 p. 100 des coûts inhérents à la production agricole, soit par les subsides directs à l'agriculture, à la protection de l'environnement ou d'autres questions. C'est ce que subissent actuellement les Européens: les consommateurs disent que s'ils payent, ils décident et s'ils décident, ils décident que le produit soit sans pesticide, sans fongicide et sans impact environnemental. Le consommateur n'est plus un joueur neutre dans la longue chaîne de la terre à la table.
Finalement, il n'y aura pas de protection de l'environnement dans les communautés rurales, au Canada ou en Europe, sans villages. La plus belle preuve que je peux vous donner est celle de la magnifique histoire de Giono intitulée: L'homme qui plantait des arbres.
[Traduction]
Le sénateur Stratton: Nous connaissons tous l'expression «agriculture à contrat». Est-ce que cela se fait beaucoup dans votre province? Est-ce que l'agriculture à contrat a une incidence négative sur la vie rurale, sur l'ensemble de l'infrastructure, y compris les villages, les villes et les habitants qui y vivent, au fur et à mesure que ce phénomène prend de l'ampleur?
[Français]
M. Proulx: C'est très négatif parce qu'on a l'avantage, à l'heure actuelle. Peu de production se fait sous contrat et sous intégration. La production de porcines prend de l'ampleur partout au Canada, ce qui est négatif pour les villages. C'est un des plus beaux exemples et ce, pour deux raisons.
L'agriculteur, l'homme ou la personne de la terre se veut indépendant. Quand il devient agriculteur, il le devient avec tout ce que cela comporte. Il a une vie différente. C'est ce qu'on devient avec l'intégration et on la condamne parce qu'on perd notre autorité sur les futures décisions de la gestion.
L'autre partie est toute aussi négative. Cela devient une industrie dans le sens le plus strict du mot, et en bon québécois, «une shop de viande», où l'on produit de la viande, où on n'emploie plus personne et fait porter aux communautés les effets négatifs de la pollution et des employés qui viennent d'ailleurs parce qu'ils sont payés au salaire minimum. Non seulement cela n'apporte rien au village, cela lui crée des problèmes complémentaires.
[Traduction]
Le président: Vous avez raison. En Saskatchewan, nous avons 40 p. 100 du sol arable au Canada et pourtant nous perdons notre population. Le sénateur Wiebe peut peut-être m'aider en me rappelant le nombre de personnes qui ont quitté la Saskatchewan l'an dernier. Ils sont assez nombreux, car cela est devenu une question politique en Saskatchewan.
Le sénateur Wiebe: Je n'ai pas le nombre exact.
Le président: C'est intéressant et vous en avez parlé. C'est au Canada rural que l'on trouve le pétrole, le gaz, le bois, les céréales, l'eau et les aliments, et je pourrais continuer. Toutefois, la partie rurale du pays touche un petit pourcentage des revenus. Tommy Douglas, il y a 20 ans, disait que la Saskatchewan était promise à un grand avenir car on y trouvait 40 p. 100 du sol arable, on y trouvait des engrais, du pétrole et du gaz, etc. Si nous pouvions retourner en arrière à il y a 20 ans en Saskatchewan, ce serait formidable. Le contraire s'est produit.
Je vais en rester là, sauf pour dire que nous devons examiner sous un nouvel oeil ce qui se passe en agriculture en région rurale, la vie rurale, et ce qui arrive à nos ressources fondamentales au Canada. Nous avons une base formidable de ressources.
Lorsque les membres du comité se sont rendus aux États-Unis, on parlait de bois d'oeuvre, de cet embargo sur le bois d'oeuvre. J'ai eu l'audace de leur demander ce qui leur arriverait si nous coupions le gaz. Tout à coup, les Américains ont commencé à réfléchir. Voilà où nous en sommes au Canada. Nous n'accordons pas à nos ressources la valeur qui leur revient vraiment pour nous en servir à l'avantage des Canadiens.
Le sénateur Hubley: J'aimerais vous interroger au sujet de la production biologique parce que vous avez fait allusion au nombre croissant de consommateurs qui sont prêts à payer presque le prix de production pour obtenir un produit plus propre, plus pur et plus sûr.
Avez-vous constaté une augmentation de l'agriculture biologique au Québec? J'aimerais également savoir si vous avez des producteurs qui produisent pour un créneau et donc qui se spécialisent tout particulièrement dans une récolte?
[Français]
M. Proulx: Je demanderais à Mme Rainville de vous répondre puisque c'est son dossier et qu'elle le chérit autant que si c'était son bébé. Je peux simplement vous dire qu'il y a beaucoup de travail qui se fait autour de cela.
Mme Rainville: C'est un dossier que je chéris plus par amour de la table que par connaissance. Je ne suis pas agronome, je suis une spécialiste des communications. À Solidarité rurale, on travaille beaucoup sur les produits de niche et on s'est intéressé plus particulièrement sur ce que les Européens appellent - et il n'y a pas vraiment de traduction en anglais - les produits du terroir. Les plus connus sont notamment la filière viticole européenne. Ce sont des produits qui ont une histoire et qui sont rattachés à des régions spécifiques. Au Québec et au Canada, on a de tels produits, par exemple le caviar d'esturgeon ou le caviar de corégone au Témiscamingue. Il y a des produits qu'on développe actuellement au Canada qui sont inspirés de ce qu'on pourrait appeler la tradition des terroirs, par exemple le vin de glace en Ontario. Je crois profondément que le boeuf de l'Ouest au Canada est aussi un produit de niche qui n'a jamais été exploité dans ce sens, mais quiconque a mangé du boeuf de l'Ouest ne veut plus jamais manger d'autre boeuf. J'ai une petite anecdote à ce sujet. Avec M. Proulx, je suis allée visiter des agriculteurs français qui nous ont emmenés manger du boeuf qui est sous appellation contrôlée - je ne vous donnerai pas le nom pour que jamais vous ne vous en rappeliez - et on a eu beaucoup de misère à passer à travers le repas. Cela n'avait rien à voir avec ce qu'on mange ici au Canada. On a beaucoup ri parce qu'on est sorti de là en disant que la meilleure chose dans l'assiette, c'était les champignons dans la sauce.
Ce sont donc des marchés importants qu'on utilise très mal au Canada. Comme vous le savez, la prospérité agricole, c'est une stratégie de marketing qu'on utilise mal au Canada. Les stratégies de développement de l'agriculture qui ont été rentables, tant pour l'industrie que pour la production, étaient basées sur l'uniformité de la production. C'est ce qui nous a permis de faire de la vente de volume. On sait fort bien que c'est l'uniformité et l'organisation de la production à travers les caractéristiques de standardisation qui ont amené, entre autres, les agriculteurs canadiens à sortir de la petite misère quotidienne, alors que la production des terroirs s'appuie sur la spécificité du savoir-faire qui appartient soit à une famille ou à quelques familles. C'est donc un développement complètement inverse.
Les travaux de l'OCDE sur ces questions sont de plus en plus intéressants. On sait très bien que les grands pays riches au nombre desquels nous sommes, sont voués au marketing de niche parce que nos concurrents mondiaux en matière agricole, tels l'Argentine, le Chili et l'Inde par exemple, peuvent produire. Pour les productions fruitières, tous les pays du Sud peuvent produire à des coûts tellement inférieurs parce qu'ils ont des bassins de population pouvant travailler à des salaires inférieurs. On n'est plus concurrentiel.
On ouvre ici, en travaillant avec les produits du terroir, des potentiels intéressants. L'agriculture biologique voyage beaucoup moins bien, donc cela enracine le développement économique. Tout cela est extrêmement intéressant pour le développement rural, mais il faut se dire que c'est une agriculture de riches. Elle est plus coûteuse à produire et se loge sur des marchés où le consommateur est capable de payer. Il reste une donnée fondamentale et les gens ici le savent très bien. Il y a tout un volet de la population canadienne qui ne pourra jamais se payer des produits de l'agriculture biologique, des fromages fins ou encore du vin de glace. Cela ne résout pas le problème de l'accessibilité à la nourriture.
[Traduction]
Le sénateur Hubley: J'aimerais maintenant vous interroger au sujet des créneaux et de l'idée que la production biologique, c'est pour les riches. L'opinion des gens a changé à ce sujet. On a mené avec succès des campagnes de sensibilisation pour que les gens sachent ce qu'il en coûte pour produire les aliments. Les milieux agricoles ont profité de ces efforts. Même certains des plus jeunes sont maintenant conscients de ce fait. L'innocuité des aliments est une question importante et il se pourrait fort bien que les gens qui ont maintenant une idée des coûts de production seront plus disposés à payer pour obtenir un produit de qualité.
Vous disiez que la production biologique, c'est pour les riches, mais au moins on est au courant du produit. Même si on choisit de ne pas l'acheter, on sait que ce genre d'aliment a été produit d'une façon différente. Je pense que le fait que les gens se préoccupent de leurs familles et de la santé de leurs familles va favoriser cette production.
[Français]
Mme Rainville: Je suis d'accord avec ce que vous dites. Vous avez donné un mot clé: l'éducation. Ce que vous dites suppose également une éducation sur deux aspects de la question. Premièrement, si on ne veut pas que la production agricole soit polluante, elle devra coûter plus cher au consommateur. Et deuxièmement, on observe en général que lorsque les gens changent leur façon de s'alimenter, en bout de ligne, leur panier d'épicerie hebdomadaire ne coûte pas nécessairement plus cher parce qu'ils substituent, entre autres, des viandes par autre chose. Je ne dis pas que c'est impossible de le faire - le Canada n'est quand même pas un pays pauvre - mais il y a une tranche de la population canadienne qui vit des problèmes alimentaires graves et qui visite les banques alimentaires. Le pays compte un nombre important de bénéficiaires de l'aide sociale. Vous le savez tous, la pauvreté n'est pas juste une question de portefeuille, c'est également une question d'éducation.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Tout ce que vous avez dit au sujet de la vie rurale et cette citation d'un proverbe africain qui veut qu'il faut tout un village pour élever un enfant m'ont tout particulièrement intéressé. Mme Rainville a parlé du village vivant. J'habite une ferme et j'aime beaucoup la beauté du Canada rural.
Toutefois, je parlais à un agriculteur en fin de semaine des préoccupations environnementales des producteurs. Une de ses principales préoccupations vient du fait qu'une exploitation agricole élève par exemple 5 000 truies dans une petite région rurale alors que les autres exploitations ne font presque rien. Toutes les fermes devraient être en production dans une région de façon à ce que toute la collectivité participe à la production, pas seulement un grand groupe qui produit de vastes quantités de fumier et de déchets au détriment de la qualité de l'eau.
Qu'en pensez-vous, faut-il abandonner les grandes exploitations pour les petites fermes où chacun fait sa part et où la nature semble se maintenir en meilleur équilibre?
[Français]
Mme Rainville: Si je suis compétente sur les questions de terroir et de marketing de niche, M. Proulx est bien meilleur que moi en matière de production agricole.
M. Proulx: Je suis parfaitement d'accord avec le raisonnement de votre voisin. On a soulevé la question tout à l'heure. On devrait valoriser de la même façon une production équilibrée d'une ferme familiale et une ferme super spécialisée qui ne cesse de grossir. Il faut tenir compte des coûts inhérents à la superproduction. Le matin où il faudra payer le véritable coût de production d'une truie ou de 5 000 truies - pas seulement le coût de l'alimentation, mais également celui rattaché à tout ce qui concerne la production comme par exemple le coût de pollution - cela va changer.
Cela ne donne rien d'interdire que ce soit gros parce qu'on est dans un pays démocratique où tout le monde peut décider. Ce n'est pas mon choix de vie. Mon choix de vie, c'est d'avoir une entreprise que je suis capable de gérer, de contrôler et d'y travailler. Pour d'autres, cela peut être autre chose. Je ne conteste pas ce choix. Tout ce que je conteste, c'est qu'on ne lui fait pas payer les coûts inhérents à ses décisions. Plus que cela, de plus en plus un peu partout au Canada, on dévalorise le choix que je fais, que vous faites possiblement et que votre voisin fait de continuer à avoir une entreprise qui progresse, qui utilise la haute technologie qui se modernise, mais dont il ne veut pas perdre le contrôle. Partout dans le monde, mais on va parler pour notre pays, on devrait être très sévère à ce sujet parce qu'on est à hauts risques. C'est déjà un exploit extraordinaire de faire de la production agricole au Canada. On est au nord. Le nord du Nord. On a réussi à développer une production concurrentielle et diversifiée. C'est notre succès. On l'a fait à partir d'hommes et de femmes qui ont eu le plein contrôle. Aujourd'hui, on est en train de laisser aller cela à des transnationales qui n'ont pas l'intérêt de faire de la culture, mais de vendre d'autres produits, leurs succédanés et ainsi de suite. C'est intolérable. En plus, cela ne crée pas de dynamisme dans les communautés.
Il faudrait bien comprendre qu'on ne fera pas d'agriculture dans un désert. On ne fera pas d'agriculture où il n'y aura personne, aussi moderne qu'on puisse être. Il faut se rappeler de cela particulièrement au Canada.
Tout à l'heure, j'ai dit que nous étions des Américains, pas des États-uniens. Nous sommes des Canadiens. Nous ne sommes pas des Européens, mais nous sommes des Nord-Américains. On a développé une culture qu'on néglige énormément de ce côté des choses, le côté culturel, dans le sens large du mot. Le savoir qu'on a développé. En fait, faire un développement territorial. L'intégration, le grossissement perpétuel ne tient plus compte à un certain moment du territoire. Pour la ruralité, il faut faire un développement fortement enraciné sur le territoire. Il faut utiliser à l'optimum les ressources que nous avons. Le Québec se bat très fort et commence à avoir des victoires. Qu'il y ait un retour aux communautés sur les ressources, mais que cela ne soit pas uniquement puiser les ressources pour les emmener ailleurs. Même dans les productions agricoles d'aujourd'hui, on transporte du lait sur des centaines de kilomètres pour le transformer. Il faut revenir à un équilibre: la productivité, l'efficacité, une capacité de concurrencer. On est dans la mondialisation, mais il faut compter tous les coûts pour faire cela; ce qu'on ne fait pas actuellement. Alors, je vous dirai que votre voisin est un homme sage.
Mme Rainville: C'est un homme beaucoup plus sage que les politiques gouvernementales en agriculture. Actuellement, on ne peut pas ignorer que dans le développement d'une agriculture largement industrialisée, le gouvernement est un joueur qui favorise ce type de développement, notamment notre parti politique.
Je connais moins bien les politiques canadiennes dans leur raffinement mais on peut dire que le budget du gouvernement du Québec en matière d'agriculture est de presque 50 p. 100 de l'argent de transfert. C'est comme cela dans toutes les provinces, ce n'est pas spécifique au Québec. Il faut comprendre que ce sont des vieux ministères. La juridiction agricole est partagée et cela fait partie des plus vieux ministères de nos gouvernements. À l'époque, la population était largement occupée à faire de l'agriculture. Actuellement les politiques agricoles, provinciales ou fédérales, tendent toutes à favoriser de façon insidieuse le grossissement des fermes. Cela se fait via les programmes de prêt, via les conseils des agronomes et cetera. Tout le modèle est basé sur la notion d'économie d'échelle. On n'inclut jamais les effets collatéraux environnementaux ou autres. On ne calcule jamais cela.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Madame Rainville, vous avez dit une chose avec laquelle je suis en désaccord, mais c'est peut-être que j'ai mal compris. Vous parliez de la chaîne agricole et vous avez dit que la personne la plus importante dans cette chaîne n'est plus l'agriculteur ou le producteur, mais plutôt le consommateur. Je ne partage pas cet avis, car à mon avis la crise en agriculture aujourd'hui vient en partie du fait que le consommateur ne se rend pas compte de ce que l'agriculteur contribue à ce qui est consommé par le consommateur. Aussi longtemps que ce sera le cas, nous verrons le secteur agricole se détériorer. Je ne conviens pas que le consommateur est plus important. Il faut remettre l'accent sur le producteur et obtenir de meilleurs prix à la production.
Vous pourriez peut-être nous expliquer davantage.
[Français]
Mme Rainville: Je me suis mal exprimée. Je suis d'accord avec tout ce que vous venez de dire. Je voulais dire qu'actuellement, auprès des gouvernements, les producteurs ne sont pas les seules «king pins». De plus en plus, les consommateurs se sentent concernés par ce qu'ils mangent et veulent avoir un mot à dire.
Ce que je disais était plus dans une perspective gouvernementale où je crois que le gouvernement ne pourra plus longtemps être seulement en discussion avec soit la production, soit la transformation en agriculture agroalimentaire pour gérer son secteur agricole. Il devra tenir compte d'un nouveau joueur qui est le payeur de taxes.
[Traduction]
Le sénateur Tunney: Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Oliver. Je veux parler des grandes entreprises agricoles, qui sont principalement des méga-porcheries, mais il peut s'agir également de très grandes exploitations avicoles. Ces deux types d'entreprises ne produisent pas leurs propres provendes. Elles doivent en faire l'achat. Elles préfèrent ne pas avoir de grandes superficies. Elles dépendent de fermes et d'entreprises environnantes pour se débarrasser de leur fumier. Elles espèrent que le fumier pourra se vendre, mais dans le contexte économique actuel où il y a des excédents de céréales, ce n'est pas toujours possible.
Ma famille a toujours exploité une ferme et quand j'étais très jeune, nous transportions tous les jours le fumier, dans une voiture tirée par des chevaux, et nous l'entassions en prévision d'un épandage au printemps. Le tas de fumier pouvait rester là pendant plusieurs années et rien ne poussait sur la parcelle de terrain où il se trouvait. À la longue, des mauvaises herbes et des légumineuses pouvaient y pousser, mais pas de l'herbe.
Nous savons qu'il y a eu de la pollution par le fumier en Hollande, où la superficie agricole est limitée et où le bétail est nombreux. C'est la même situation dans certaines parties de l'Angleterre. Je pense que vous avez dit, monsieur Proulx, qu'on ne pouvait pas empêcher ce genre de choses dans une démocratie. Il y a une limite à ce que peut tolérer l'environnement. Une société pétrolière qui pollue, même accidentellement, peut être traduite devant les tribunaux, condamnée et mise à l'amende.
J'aimerais savoir si vous pensez que les mêmes règles devraient s'appliquer dans le domaine de l'agriculture, étant donné la tendance vers de grandes entreprises concentrées qui font l'élevage du bétail et de la volaille?
[Français]
M. Proulx: Je vous dirai qu'il est urgent qu'on fasse la même chose. Qu'on choisisse de devenir un industriel en agriculture ou d'être un industriel dans le pétrole, il n'y a aucune différence quant au traitement qu'il doit y avoir. Il y a une équité à observer.
Tout à l'heure, quand j'ai dit qu'on ne pouvait pas empêcher que les gens aient de grosses fermes, je n'ai pas dit qu'on ne devrait pas, par exemple, mettre de véritables coûts autour de cela. Voilà la différence. Je serais de ceux qui ne seraient pas offusqués qu'on limite la grosseur des fermes, mais je sais que cela n'arrivera pas.
Je suis donc plus réaliste lorsque je propose d'y aller d'abord par le fait que tu portes le poids et le coût de tes décisions. Je crois qu'on peut limiter ce coût sur le plan des subventions. Si on accordait l'aide en fonction d'une structure quelconque, personne ne pourrait crier à l'injustice.
Les fermes qui grossissent le font toujours sous le prétexte des économies d'échelle, croyant que plus elles produisent, plus elles économisent. Alors pourquoi leur accorder les mêmes subventions que moi qui n'est pas supposé, selon leur dire? Leur raisonnement ne tient pas.
S'il y a des économies d'échelle, je n'ai pas à demander aux contribuables et aux consommateurs de payer pour augmenter les profits. C'est ce sur quoi il faut jouer et c'est là que l'intervention sera très forte et très efficace le matin ou l'on va dégrader les interventions selon que cela dépasse un choix de société.
Je termine en disant qu'au Québec, sur certaines politiques de stabilisation, il y a des producteurs qui reçoivent de 5 à 7 millions de dollars par année. Pour la production porcine, au-delà de 80 p. 100 de la production est faite et contrôlée par trois familles. Pourquoi accorder quelque 80 p. 100 des subventions à trois familles? C'est sur ce plan que l'État doit intervenir.
[Traduction]
Le président: J'ai entendu dire qu'en Arkansas, il y a un producteur de poulets qui produit plus de poulets qu'on en produit dans tout le Canada. Cela aura-t-il des répercussions sur le Canada? Je crois que oui. Je pense que cela pourrait entraîner la disparition du concept des offices de commercialisation au Canada. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, car je sais que vous avez beaucoup d'expérience dans ce domaine.
[Français]
Mme Rainville: En termes de volume, on n'a aucune chance de concurrencer ces fermes. C'est la même chose pour la production des oeufs. Aux États-Unis, une ferme située près de la frontière casse l'équivalent de la production québécoise en 9ufs. Cela correspond aux 9ufs cassés à l'emballage. On ne peut donc pas concurrencer cela.
La seule façon qu'on a de concurrencer, c'est avec les produit de niche et avec la qualité. Ce que nous avons au Canada et qu'ils n'ont pas aux États-Unis, c'est du poulet exempt de salmonelle. Le coût de production de ce poulet est différent.
M. Proulx: Quand on vous parle de produits de niche, de produits du terroir et de produits biologiques, on ne vient pas parler contre certaines productions de masse où on a développé une expertise. Vous avez parlé de la Saskatchewan tout à l'heure. Il va falloir développer d'autres voies et je crois que l'augmentation du potentiel agricole du Canada ne proviendra pas d'un marché de masse, mais d'un marché de créneau, d'un marché plus spécifique.
Laissons les États-Unis dégrader leurs terres et ainsi de suite, c'est ce qu'ils ont choisi, mais arrêtons de vouloir les concurrencer. Arrêtons de vouloir concurrencer les Européens. Les Européens et les Américains se confrontent continuellement à savoir qui sera le plus puissant et qui nourrira la planète. Soyons discrets et faufilons-nous au-travers de cela avec des produit plus spécifiques, plus payants et des produits qu'on exportera de plus en plus.
On ne fera pas d'exportation bas de gamme, mais bien de l'exportation de qualité. Arrêtons de vouloir imiter les autres, on n'est pas capable de concurrencer les autres, c'est impossible.
Mme Rainville: J'aimerais ajouter quelque chose qui choque les Canadiens lorsqu'on parle de diversification agricole. Je le répète, le Canada possède la plus grande réserve d'eau douce au monde et on s'obstine à produire des productions céréalières et animalières alors que la salade est faite à base d'eau.
On peut en faire la production en serre à des coûts extrêmement bas, notamment au Québec parce qu'on a beaucoup d'hydro-électricité. On devrait probablement virer notre production agricole vers les productions maraîchères qui seront en très grande demande dans un avenir rapproché.
Tout le monde sait qu'aux États-Unis il manque déjà d'eau et que la Californie ne peut pas tenir. Pour produire ce genre de produit, il faut changer toute la vision de l'agriculture qu'on a dans les officines gouvernementales. C'est extrêmement compliqué parce qu'il faut voir le monde autrement comme le disait M. Proulx tantôt.
[Traduction]
Le sénateur Chalifoux: Je viens d'une région rurale du Canada, dans le centre-nord de l'Alberta. On y fait de la commercialisation par créneaux depuis plusieurs années. L'une des plus grandes exploitations maraîchères intensives de l'ouest du Canada se trouve à St. Albert. C'est notre plus grande collectivité. Elle est entourée de plusieurs quartiers dortoirs. Ces marchés sont devenus tellement populaires qu'on les tient même à l'intérieur en hiver. J'ai constaté que la culture organique continue de devenir de plus en plus populaire. Je n'achète plus mes oeufs au magasin, j'attends au samedi pour aller au marché, car la différence est incroyable.
Il y a également dans la région des potagers libre-service, où les gens peuvent aller cueillir des baies et des légumes. Ils deviennent populaires, parce que les familles en font une sortie pour la journée. C'est une expérience d'apprentissage et c'est très lucratif pour les jardiniers. Nous avons aussi des lots qui sont loués à des familles afin qu'elles puissent y faire pousser leurs propres légumes.
Fait-on quelque chose de semblable dans les régions rurales du Québec?
[Français]
Mme Rainville: Ce genre d'activité existe à plusieurs endroits au Québec et on assiste actuellement à une recrudescence de tous les marchés publics. On fait de l'autocueillette de petits fruits et de pommes. Depuis au moins 25 ans, on retrouve aussi ce genre d'activité pour certains légumes. C'est presque devenu une tradition familiale d'aller faire la cueillette de fruits et de légumes.
Tout doucement, on est en train de convaincre le ministère de l'Agriculture afin qu'il mette en place des politiques actives et proactives destinées à la production des produits de niche, du terroir ou biologiques.
Récemment, Solidarité rurale a participé à une rencontre avec les décideurs de l'agriculture et de l'agro-alimentaire et on peut conclure que nous avons fait des pas de géants. Actuellement, la Financière agricole est un organisme qui prête de l'argent à ceux qui veulent produire ou transformer ce genre de produits. Une somme de 24 millions est libérée annuellement en guise de prêts agricoles.
Une équipe travaille présentement à la rédaction du premier système d'étiquetage au Québec, où les mots voudraient dire quelque chose. Par exemple, des mots comme «produits fermiers» ou «produits biologiques», mais également «produits du terroir». On s'en va donc vers l'élaboration d'un système d'étiquetage inspiré de ce qu'on voit actuellement dans la communauté européenne.
[Traduction]
Le sénateur Chalifoux: J'ai une question à poser au sujet des herbes, des fleurs, des savons et de toutes les essences qu'on en tire. Cela représente un véritable marché à créneaux dans les régions rurales du Canada. Qu'est-ce qui se fait chez vous? Obtenez-vous de l'aide financière pour ceux qui veulent produire des choses de cette nature au Québec?
[Français]
Mme Rainville: Je ne suis pas au courant des aides qui pourraient être disponibles, parce que nous ne sommes plus en agriculture, mais je peux vous dire que tout le domaine de l'horticulture est un secteur agricole qui a été multiplié par 700 au cours des 15 dernières années.
M. Proulx: Je suis parfaitement d'accord avec ce que vous dites, mais j'y met quand même certaines réserves. Il ne faudrait pas penser que l'économie rurale doit dépendre entièrement de cela. C'est un potentiel qu'il faut développer pour venir compléter parce que l'économie rurale ne doit pas être l'économie des pauvres. Il ne faudrait pas en venir à cela. Il ne faudrait pas gagner avec une reconnaissance d'économie des pauvres. Pour moi, l'économie est globale.
Je comprends très bien que ce n'est pas cela que vous voulez dire, mais il faut arrêter de compartimenter les économies. Au Québec, on a beaucoup compartimenté l'économie sociale, mais l'économie sociale est dans l'économie. Il ne faut pas que ce soit des économies à part, parce que ce serait alors un recul si on arrivait avec des législations qui compartimentent ces économies.
Le gros problème de l'espace rural dans la production agricole est que cela a plutôt été ratatiné à faire de la production primaire, et c'est la question de la transformation, que ce soit une première ou une deuxième transformation. C'est à partir de là qu'on va générer et ajouter les créneaux et les spécialités que vous avez soulevés.
[Traduction]
Le sénateur Wiebe: Vous avez mentionné que les législateurs devraient s'occuper plus de la situation dans les régions rurales. L'un des facteurs les plus marquants dans la vie rurale au Canada a été l'invention du tracteur, car au lieu de dépendre de la terre, les agriculteurs dépendaient dorénavant de la possibilité d'obtenir des pièces et du carburant pour cette machine. Cela a eu donc des répercussions énormes. Les agriculteurs peuvent maintenant cultiver plus de terre et les fermes sont devenues de plus en plus grandes.
J'ai rencontré cet été à l'Île-du-Prince-Édouard des agriculteurs biologiques. Ils sont très enthousiasmés par le fait que les consommateurs, en particulier en Europe, se préoccupent sérieusement de la qualité des aliments qu'ils consomment. Ils sont très enthousiasmés parce que cela pourra aider le petit producteur biologique dans ces provinces. Ce jour-là, nous avons eu l'occasion de visiter une usine de fabrication de croustilles appartenant à des producteurs et nous en avons visité une autre qui appartient à une grande entreprise. En ce qui concerne l'agriculture biologique, on s'est dit préoccupé du fait qu'il faut seulement trois ans pour passer de l'agriculture normale à l'agriculture biologique. Si la tendance en Europe s'étend à l'échelle du monde, les produits biologiques deviendront très populaires et susciteront une grande demande. En trois ans, une grande entreprise privée pourrait tout de suite passer àl'agriculture biologique.
Des pressions s'exerceraient donc sur le petit producteur même dans le nouveau secteur de l'agriculture biologique. La province de l'Île-du-Prince-Édouard a adopté une mesure législative limitant la taille des fermes à 300 acres par personne ou par entreprise. Malheureusement, un agriculteur a constitué une société qui a acheté 300 acres et ensuite, ce même agriculteur a constitué une autre société et il a ainsi pu acheter encore 300 acres. Un agriculteur dirige maintenant environ cinq sociétés. Les législateurs ont beaucoup de difficulté à élaborer des mesures législatives pour protéger le mode de vie rurale que nous chérissons.
Avez-vous des suggestions à faire pour préserver ce mode de vie rurale?
[Français]
M. Proulx: Vous savez, les législations sont faites pour être contournées, alors il n'y a pas de solution miracle. Quand vous adoptez une loi, je m'acharne à vouloir savoir comment je vais passer à côté et nous sommes tous de même. Je suis certain que les sénateurs sont de même. Je pense que cela ne donne rien d'adopter loi par-dessus loi pour limiter la grosseur des entreprises. On doit aller par le biais des subventions, par le biais des soutiens directs et indirects.
Par exemple, dans le cas où une production porcine est stabilisée, je pense que le modèle pourrait stabiliser une ferme modèle, mais dépassé cela, vous pourriez racheter tant que vous voudrez des 300 acres, ce sera décroissant. Les 300 prochains acres vont avoir droit à moins et ainsi de suite.
Lorsqu'on aura considéré qu'une unité doit être X, les compensations interviennent dans ce X, mais dès que cela dépasse ce X, les interventions décroissent à 50 p. 100, à 25 p. 100 et à 0 p. 100. Et comme l'argument massue de ces gens est de dire qu'il y a des économies d'échelle alors ils sont obligés de concurrencer les Américains, les Européens et les autres.
Par exemple, si vous avez des économies d'échelle, je ne vois pas pourquoi, comme société, je devrais vous donner un plus pour cela. Vous faites des économies d'échelle, vous faites donc plus d'argent avec votre production. Bravo! Et nous vous traitons comme tout citoyen, équitablement.
C'est la seule façon parce que pour toute autre législation qui pourrait être adoptée, les gens voudront passer à côté. Cela se fait au Québec, cela se fait partout. Ils achètent au nom de A, de B, de C, mais au bout c'est la même chose. Quand je vous ai dit tout à l'heure qu'au-delà de 80 p. 100 de la production porcine au Québec est contrôlée par trois familles, il n'y a rien à faire contre cela parce que nous ne sommes pas une dictature. Et même si on l'était, nous ne serions pas en mesure d'empêcher cela.
Le sénateur Day: J'aimerais remercier Mme Rainville et M. Proulx. Je viens du Nouveau-Brunswick et je comprends bien ce que vous avez dit.
J'aimerais entendre vos idées concernant les services sociaux, comme par exemple le transport, l'éducation et la santé. Pensez-vous que les gens qui décident de suivre un mode de vie rural en demeurant à la campagne pensent qu'ils ont le droit d'avoir le même niveau de services sociaux? D'autre part, est-ce que la société en général a l'obligation de maintenir au même niveau les services urbains et ruraux, même si cela coûte plus cher?
M. Proulx: Je vous répondrai qu'on a l'obligation de fournir les services. L'obligation n'est pas dans la façon qui peut être parfois différente, mais dans l'accessibilité du service. Il faut revendiquer très fortement que tout citoyen et toute citoyenne, en quelque endroit qu'il soit, a le droit d'être traité équitablement. Je tiens à le répéter, peut- être d'une façon différente, avec des modèles un peu différents. Il ne faut jamais oublier l'importance d'occuper le territoire. Un pays qui se respecte se donne tous les moyens et les outils pour que son territoire soit occupé. Cela ne peut pas être tout concentré. Il ne peut pas occuper l'ensemble du territoire comme Montréal, Québec, Toronto, Ottawa, Winnipeg et ainsi de suite. On est 30 millions sur un territoire immense et il y a des concentrations alors il faut penser qu'il y a des espaces. Quand on n'occupe pas notre territoire, l'histoire nous enseigne qu'on le perd. On a des exemples un peu partout dans le monde. D'ailleurs à l'heure actuelle, on vit des guerres depuis des années, une multitude de conflits causés pour des questions territoriales. Ce n'est pas parce que cela ne nous arrive pas que cela ne nous arrivera pas. Il faut investir dans l'occupation de territoire et cela ne veut pas dire uniquement une présence, il faut qu'il y ait un dynamisme dans cette occupation. C'est une question d'État, de citoyenneté, une question de démocratie. C'est fondamental. Il faut l'appliquer d'une façon différente. Il faut avoir deux formes de développement d'occupation du territoire et d'occupation dynamique: urbain et rural.
Mme Rainville: Lorsque M. Proulx dit que c'est une question de citoyenneté et de démocratie, c'est le point de vue profond de Solidarité rurale. On dit que les services doivent être accessibles, mais peuvent être différents. Si l'on prend par exemple des secteurs de législation provinciale comme l'éducation ou la santé, on est absolument conscient qu'il n'y a aucune communauté rurale au Québec qui demande à avoir un centre de traumatologie à Val d'Espoir au bout de la péninsule gaspésienne. Les gens demandent un service minimum qui les sécurise au plan de la santé donc qu'on ait des accessibilités, notamment en cas d'urgence, pour nous amener vers les ressources. La même chose en éducation.
Monsieur Proulx fait souvent un commentaire que je trouve d'une rare richesse. Il dit qu'à l'époque où on était beaucoup plus pauvre au Canada, on avait des écoles et des infirmières dans tous les villages et que les femmes accouchaient avec des infirmières et/ou des sages-femmes. Aujourd'hui, au Canada, beaucoup de femmes doivent se déplacer quelque temps avant leur accouchement vers des hôpitaux parce qu'elles n'ont pas accès à des services minimum. Évidemment, toutes les femmes accouchent à l'hôpital si elles le veulent. A-t-on vraiment gagné quelque chose?
[Traduction]
Le président: Sénateur Day, j'aimerais ajouter quelque chose en réponse à votre question.
Je ne suis pas d'accord pour dire que la vie urbaine est meilleure que la vie rurale. Si mes petits-enfants veulent jouer au hockey, ils peuvent jouer au hockey. Ce n'est peut-être pas le cas à Montréal ou à Toronto. Cela coûte peut-être trop cher. Un enfant pauvre ne pourra peut-être pas jouer au hockey dans une grande ville. Il pourra le faire dans une région rurale du Canada. Je n'ai pas besoin de faire la queue à l'épicerie. Je vais au magasin, j'achète mon épicerie et je rentre chez moi. Je n'ai pas besoin de mettre de l'argent dans un parcomètre. Je n'ai encore jamais dû le faire dans une région rurale du Canada. C'est la raison pour laquelle des citadins décident d'aller vivre à la campagne.
Le grand problème dans le secteur rural du Canada vient du fait qu'étant donné le coût des intrants nécessaires à la production des aliments, nous n'obtenons pas une juste part pour le producteur primaire. Je viens de voir des statistiques - et comme le sénateur Wiebe l'a signalé l'autre jour, on peut faire dire presque n'importe quoi aux statistiques - indiquant que les transformateurs obtiennent jusqu'à 14 p. 100 de rendement sur leur investissement, tandis que les agriculteurs obtiennent très peu. Je crois que c'est maintenant seulement 1 à 2 p. 100. L'agriculteur reçoit très peu parce que l'on veut maintenir une politique de produits alimentaires bon marché au Canada. Il faudrait faire quelque chose pour remédier à cette situation, comme notre témoin l'a fait remarquer.
[Français]
Le sénateur Biron: J'ai trouvé votre présentation très intéressante. Vous êtes originaire de Baieville, n'est-ce pas?
M. Proulx: Il y a beaucoup de Proulx à Baieville, mais je viens de Saint-Camille, dans les Cantons-de-l'Est.
Le sénateur Biron: Il y a une compagnie de téléphone à Baieville comptant 500 lignes d'accès et on fournit le service urbain en milieu rural et ce, depuis les années 1980. Ce que Bell Canada ne fait pas à l'extérieur, dans d'autres milieux ruraux.
Le ministère des Régions du Québec s'occupe du développement économique et industriel, s'occupe-t-il aussi du développement rural et agricole ou laisse-t-il ce secteur au ministère de l'Agriculture? Y a-t-il une collaboration entre les deux ministères ?
M. Proulx: Je ne suis pas dans le secret des Dieux, mais je pense que la collaboration est bien ordinaire, si on veut. Il y a un ministère de l'Agriculture au Québec qui s'occupe entièrement de l'agriculture et il est très jaloux de son territoire. Il voudrait bien administrer le rural, mais il y a une opposition assez systématique parce que pour nous, ce serait catastrophique. Il s'occupe un peu de ruralité mais je dirais qu'on se bat depuis plusieurs années pour avoir une véritable politique rurale qui sera gérée et administrée par le ministère des Régions. On est en attente d'une première politique rurale dans quelques semaines. D'ailleurs dans le budget qui sera déposé aujourd'hui, on s'attend à ce qu'il y ait des sommes d'argent pour cela. L'agriculture est entièrement sous la responsabilité du ministère de l'Agriculture et ce n'est pas facile d'aller toucher à cela.
[Traduction]
Le président: Je vous remercie de nous avoir fait passer un avant-midi intéressant. La province de Québec peut donner de bonnes leçons au monde agricole du reste du Canada. Je suis impressionné par le fait que votre organisation représente au moins une vingtaine de groupements agricoles qui travaillent ensemble. Je crois que vous parveniez mieux que ceux d'autres parties du Canada à vous faire entendre par les gouvernements, tant au palier provincial que fédéral.
Honorables sénateurs, nous tiendrons tout à l'heure une brève réunion pour régler certaines questions administratives.
[Français]
M. Proulx: À mon tour, j'aimerais vous remercier de nous avoir écoutés et d'avoir posé des questions. Je voudrais simplement apporter cette petite correction. Je vous ai dit plus tôt que trois familles au Québec, et non deux, contrôlent au-delà de 80 p. 100 de la production porcine.
Je vous dirais également qu'au Québec, on a beaucoup investi au niveau de la ruralité au cours des dernières années. On ne demande pas mieux que de partager cette expertise avec d'autres organismes au Canada. Ce n'est pas uniquement par générosité. On ne peut pas s'isoler et faire les choses seul. Plus cela va aller, plus on aura besoin que l'ensemble du pays se mobilise sur la question rurale, laquelle est fondamentale pour l'avenir. Si seulement deux ou trois provinces au Canada s'impliquent, cela ne fonctionnera pas, même si elles investissent beaucoup d'argent. Il s'agit d'une question canadienne, d'une question de territoire et il faut l'étudier ensemble. Je tiens à le répéter encore une fois, c'est toujours avec grand plaisir qu'on débat de cette question parce que cela nous confronte et nous permet d'apporter des changements positifs. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, passons maintenant au point suivant à l'ordre du jour.
Le sénateur Tunney: Honorables sénateurs, je veux présenter la motion suivante:
Que le Comité charge le président d'écrire une lettre d'excuses au ministre de l'Agriculture pour lui exprimer nos regrets pour l'embarras dans lequel notre comité a pu le mettre à cause de son cinquième rapport, dans lequel on accusait à tort le ministre d'avoir annulé sa comparution au comité le 18 octobre;
Et qu'une copie de cette lettre soit adressée à Barrie Wilson, du Western Producer, et à tous les membres du comité.
Le président: Je permettrai une discussion là-dessus avant que vous présentiez la situation, qui est complètement fausse.
Le comité de direction, dont font partie le sénateur Wiebe et le sénateur Fairbairn, s'est réuni le 29 août. Le comité de direction a décidé que nous convoquerions les trois ministres, le ministre de l'Agriculture, Ralph Goodale, et le ministre du Commerce, parce que c'était prioritaire.
Je ne veux pas mettre le greffier du comité sur la sellette, mais pendant certains appels téléphoniques, il a affirmé que nos efforts auprès des ministres ne donnaient pas beaucoup de résultats. J'en ai parlé avec le président, hier soir, et je lui ai demandé si je devrais donner quelques coups de fil, surtout au ministère du Commerce, ce que j'ai fait, puisque nous avions essuyé trois refus déjà. Nous essuyions toujours des refus de la part des ministères. J'en ai reparlé au président hier soir, ainsi qu'au greffier, et constaté que ce n'était rien d'inhabituel. Il est parfois très difficile d'obtenir des ministres qu'ils comparaissent devant un comité.
Toutefois, deux mois ont passé et nous étions encore au même point. Nos demandes n'étaient jamais acceptées. À titre de président, je ne suis pas partie à ce qui est arrivé et j'ai été aussi étonné que les autres quand la motion a été présentée. Je crois que cette motion n'est pas recevable et qu'elle n'aidera en rien la situation de l'agriculture. Si l'agriculture n'est pas en crise aujourd'hui, et si le Sénat n'a pas la responsabilité de s'en occuper, j'ai dû manquer quelque chose.
Le sénateur Wiebe: C'est le 29 août que le comité de direction a décidé d'inviter le ministre Vanclief. Le greffier était à une autre réunion parlementaire et n'a pas pu appeler le Bureau des affaires parlementaires d'Agriculture Canada. Il importe de signaler que le greffier ne peut pas parler directement au ministre ni au ministère de l'Agriculture; il doit passer par cet intermédiaire. Il a fait l'appel le 12 septembre. Le 4 octobre, le greffier a présenté un calendrier pour le mois d'octobre. Sur ce calendrier, on disait clairement que la date du 18 octobre n'était pas confirmée. Le lendemain, le greffier a appris que le 18 octobre ne convenait pas.
Si certains membres du comité ont pensé à ce moment-là que le ministre avait annulé sa visite, pourquoi n'a-t-on pas soulevé la question, par une motion semblable à celle-ci, à la réunion suivante du comité? Comment se fait-il que cela s'est produit lorsque le sénateur Tkachuk était là? Comment cela a-t-il pu se produire le matin où - disons les choses franchement - nous n'avions pas suffisamment de membres pour défaire la motion?
La première motion négative à l'endroit du ministre de l'Agriculture a été adoptée parce qu'on nous a pris au dépourvu, et tant pis. Je félicite le sénateur Tkachuk d'avoir agi ainsi, parce qu'à sa place, j'aurais probablement fait la même chose. Mais, honorables sénateurs, quand un sénateur profite d'une telle situation et décide, après avoir fait valoir ses arguments, qu'il va tourner le fer dans la plaie des membres de mon caucus, prétextant qu'ils n'étaient pas en nombre suffisant, je ne l'accepte pas. J'ai dit au président du comité, par la suite, que ma relation avec ce comité était excellente, depuis des années. Les seuls moments difficiles semblent coïncider avec la présence du sénateur Tkachuk. J'ai dit au président que s'il voulait que je joue à des petits jeux politiques comme l'a fait le sénateur Tkachuk, je suis prêt à le faire. Ce n'est toutefois pas la méthode que je préfère.
À cause de ces jeux purement politiques, le comité a présenté un faux rapport à la Chambre. Notre comité a fait très mal paraître le ministre de l'Agriculture. En outre, Barry Wilson, qui a écrit un article sur le sujet, est hors de lui. Il dit qu'il a été trompé par le Comité de l'agriculture, lorsqu'il a écrit son article pour le Western Producer. La seule façon de corriger la situation, c'est d'appuyer cette motion et de présenter des excuses au ministre de l'Agriculture.
Ce que je n'ai pas dit dans mes observations au Sénat, hier soir, c'est que le ministre de l'Agriculture a confirmé à notre greffier, à 15 heures hier, que les négociations vont bon train pour une rencontre avec notre comité.
Je rappelle aussi aux membres du comité que nous n'avons offert au ministre de l'Agriculture, et au ministère, que deux dates. Les deux étaient des jeudis. Revenons à la dernière comparution du ministre devant le comité: c'était le 4 avril. Ce n'était pas un jeudi, mais un mercredi. À l'époque, nous avions du mal à trouver un moment qui conviendrait à la fois au comité et au ministre de l'Agriculture. Comme nous l'avons fait par le passé, on s'est entendu sur cette date, en présumant qu'on obtiendrait la permission spéciale de rencontrer le ministre de l'Agriculture un mercredi. Nous n'avons pas offert cette possibilité au ministère. Après le 18 octobre, le greffier a téléphoné au ministère de l'Agriculture, pour dire que notre comité pouvait rencontrer le ministre n'importe quand, n'importe où, entre 9 heures et 22 heures. C'est avec ce genre de réponse qu'il a pu obtenir un appel, hier, pour trouver un moment où le ministre pourrait comparaître devant le comité.
Le ministre est venu témoigner devant le comité trois fois au cours des 18 derniers mois. La dernière fois, c'était le 4 avril. Il nous a très bien fait comprendre qu'il était prêt à revenir. Je crois que nous avons vexé le ministre de l'Agriculture en mêlant la politique à cette question très grave, soit celle des agriculteurs du pays. Je crois que les membres du comité, quel que soit leur parti, ont beaucoup de sympathie pour les agriculteurs du pays. Nous pouvons faire le travail que nous a confié le Sénat.
Je n'ai vraiment pas aimé qu'on se tourne vers le Sénat, comme on l'a fait l'autre jour, pour présenter nos demandes. J'encourage certainement tous les membres du comité à appuyer cette résolution. Cette question sera réglée et nous pourrons revenir à nos moutons, soit les préoccupations des agriculteurs du pays.
Le président: J'aimerais parler de ce sujet, si vous permettez.
Le sénateur Tunney: Je parlerai après vous.
Le président: Pour commencer, sénateur Wiebe, c'est votre responsabilité de vous assurer de la présence de vos membres ici, pas la nôtre.
Le sénateur Wiebe: Je vous l'ai déjà dit, j'en conviens.
Le président: Que voulez-vous? Vous avez les deux tiers des membres du Sénat, actuellement. Vous avez presque un parti unique au Canada et vous avec les coudées franches pour faire ce que vous voulez, envers et contre tous, et vous ne vous privez pas.
Le sénateur Wiebe: Je crois que c'est la responsabilité du comité.
Le président: Oui, en effet. C'est aussi votre responsabilité de veiller à ce que la démocratie fonctionne. J'habite en Saskatchewan, où les agriculteurs ne cessent d'appeler pour demander la démission du ministre. C'est moi qui l'ai défendu. Je l'ai défendu dans mon discours hier soir en disant que toute la responsabilité de la négligence du secteur de l'agriculture revenait non pas seulement au ministre, mais aussi au gouvernement.
Si je vous emmène en Saskatchewan, quand vous voulez, pour un débat ou un forum sur le sujet, vous sortirez de la salle sous les huées.
Le sénateur Chalifoux: Il n'est pas nécessaire d'en venir là.
Le président: Je dois le faire, parce que je dois défendre des choses importantes.
Le sénateur Chalifoux: Vous pouvez défendre la motion.
Le président: Mais ce n'est que de la politique! De la petite politique pure.
Le sénateur LeBreton: J'ai dû m'absenter du comité à quelques reprises, parce que je siège aussi au comité qui étudie les soins de santé, et qui m'occupe beaucoup.
Je ne vois pas pourquoi on présenterait une motion de ce genre au comité. En tant que sénateurs, nous avons un travail à faire. Les ministres sont responsables devant le Parlement. Actuellement, le gouvernement n'est jamais tenu responsable. On en a vu un exemple, hier, pour le projet de loi C-11, quand les gens n'ont clairement pas voté comme ils l'auraient voulu. C'est contraire à notre travail de sénateurs de penser qu'un comité parlementaire serait obligé, par motion ou autrement, de présenter ses excuses à un ministre. C'est comme si nous n'avions pas droit à nos opinions, comme si on n'avait pas de principes à respecter. Je crois qu'il est très malsain qu'un comité fasse une déclaration pour présenter des excuses à un ministre. Je n'étais pas là au moment où la motion a été adoptée, mais j'en ai entendu parler. En approuvant cette motion, je crois que nous commençons une chose que nous voudrions plutôt éviter. Je ne l'accepte pas. Je crois que cela ne fera qu'aggraver la situation, puisqu'on dira, publiquement, que le ministère a un tel contrôle que les comités parlementaires s'excusent chaque fois qu'un ministère est plongé dans l'embarras.
Le sénateur Wiebe: Honorables sénateurs, pour revenir aux commentaires formulés par notre président, il est vrai qu'il y a une crise dans le secteur de l'agriculture. Mais je crois fermement que la fin ne justifie pas les moyens. À cause de la crise dans l'agriculture, faudrait-il que nous défendions un mensonge fait à la Chambre, pour que le ministre le défende? C'est ce qui s'est produit.
Le sénateur LeBreton: Quel mensonge?
Le sénateur Wiebe: On a menti en prétendant que le ministre de l'Agriculture avait annulé sa rencontre du 18 octobre avec le comité. Dans les faits, le ministre n'avait jamais dit qu'il rencontrerait le comité le 18 octobre; ni qu'il annulait sa rencontre du 18 octobre. C'est ce qu'on a dit au Sénat et c'est ce dont parle cette motion. Si l'on commence à faire comme si la fin justifiait les moyens, mesdames et messieurs, nous sommes devenus un groupe bien difficile.
Nous pouvons en discuter pendant des heures. Le comité est saisi d'une motion. Votons, décidons de ce que pensent les membres du comité et vivons avec cette décision.
Le sénateur Oliver: Vous avez eu la parole trois fois alors que certains d'entre nous n'ont pas eu la chance de glisser un mot encore.
Le sénateur Wiebe: Ne vous gênez pas. Je serais ravi d'entendre ce que vous avez à dire.
Le sénateur Oliver: Pour commencer, je suis de l'est du pays et la motion, de même que le sénateur Wiebe, parlent d'un périodique intitulé le Western Producer, que je ne reçois pas; je n'ai donc pas lu l'article. On en traite dans la motion et le sénateur Wiebe en a amplement parlé; on devrait au moins me permettre de lire cet article, afin que je puisse déterminer ce qu'on y dit au sujet du ministre et de la crise agricole.
Deuxièmement, comme le sénateur LeBreton, j'estime que c'est le genre de question dont devrait traiter le comité de direction et que trois personnes, c'est-à-dire deux libéraux et un conservateur, le sénateur Fairbairn, le sénateur Wiebe et notre président, devraient en discuter et prendre une décision. Peut-être décideront-ils d'aller voir le ministre, je n'en sais rien, mais c'est ainsi qu'il convient de régler ce genre de problème, et non avec une motion.
Le sénateur Wiebe: J'ai l'article du Western Producer, écrit par Barrie Wilson le 25 octobre, si mon honorable collègue veut le lire.
Le sénateur Oliver: Oui, j'aimerais le lire.
Le sénateur Tunney: Si notre ministre de l'Agriculture avait refusé de comparaître devant le comité, ce qu'il n'a jamais fait, ou s'il avait annulé une date fixée et confirmée, je le critiquerais tout autant que n'importe qui assis au tour de cette table. Ce qui m'inquiète, c'est la fausse impression que l'on donne, à savoir qu'il ne comparaîtra pas, qu'il a refusé de comparaître devant le comité. Je sais que ce n'est pas vrai.
Quand j'ai entendu cette fausse rumeur, je me suis adressé directement au ministre. Je lui ai dit qu'il avait refusé de comparaître devant le comité. Il s'est récrié. Je savais qu'il n'avait jamais refusé de comparaître mais je voulais l'entendre de sa bouche. Je lui ai dit qu'il avait annulé sa comparution le 18 octobre. Il a dit que ce n'était pas vrai. Je savais que ce n'était pas vrai. Je voulais, toutefois, connaître sa réaction. Par conséquent, je dépose une motion devant le comité.
Le président: Depuis trois ans, nous demandons au ministre du Commerce de comparaître devant le comité et il a refusé à trois reprises. Libre à vous de lui parler. Quand j'ai appelé le bureau du ministre, à la suggestion du greffier, sa secrétaire m'a demandé ce que le ministre du Commerce avait à voir avec l'agriculture. Cela m'a étonné parce que 25 p. 100 de tous nos produits exportés sont des produits agricoles.
Nous voilà devant une situation grave et insensée. Est-ce la première fois que le caucus libéral perd une joute? N'est-il pas capable de faire face à la situation? Pour nous c'est monnaie courante. Nous y faisons face depuis des années.
Le sénateur Tunney: Si nous n'avons pas assez de membres présents, nous méritons de perdre une manche aussi.
Le président: Votre leader à la Chambre m'a dit la même chose.
Le sénateur LeBreton: Je voudrais poser une question concernant l'article qui vient d'être distribué. Cet article est une attaque virulente contre le ministre de l'Agriculture, mais cela n'a rien à voir avec le comité. Il n'y a qu'un paragraphe à la fin.
Le président: Lisez ce paragraphe
Le sénateur LeBreton: Le comité n'a absolument pas attaqué le ministre. Nous ne sommes concernés que par le dernier paragraphe. Ce n'est pas le comité qui a adressé les autres critiques au ministre.
Le sénateur Wiebe: Permettez-moi de le lire et nous passerons ensuite au vote. Le dernier paragraphe dit et je cite:
Vanclief devait comparaître devant le Comité de l'agriculture, le 18 octobre, mais il a annulé.
Le président: C'est tout.
Le sénateur LeBreton: Ce n'est pas une critique.
Le sénateur Oliver: Ce n'est pas sur cela que l'article porte essentiellement.
Le président: Je ne pense qu'il obtiendrait gain de cause au tribunal, en présence de tous les faits. Nous ne pouvons rien y faire mais je tiens à exprimer ma position sur la situation. Si le sénateur Wiebe souhaite poursuivre, d'accord, libre à lui.
Le sénateur Wiebe: Je pense que vous avez maille à partir avec le sénateur Tkachuk, pas avec nous.
Le président: Vous avez alors maille à partir avec lui.
Le sénateur Wiebe: Il s'agit du comité en entier. Monsieur le président, on a demandé de mettre la question aux voix.
Le sénateur LeBreton: Monsieur le président, je vous exhorte de ne pas forcer la main au comité là-dessus.
Le président: Y a-t-il des questions?
Quels sont ceux qui sont pour la motion?
Le sénateur LeBreton: Personne n'a appuyé cette motion.
Le sénateur Wiebe: Ce n'est pas nécessaire.
Le sénateur LeBreton: Je me garderai bien de participer à une telle parodie.
Le sénateur Chalifoux: Nous avions les mêmes sentiments l'autre jour et toutefois, nous avons tenu bon.
Le président: Le greffier me dit que l'article cité par le sénateur Wiebe devrait être annexé au compte rendu du comité.
Le sénateur Wiebe: Je vais le déposer.
Le président: Les avis contraires?
Tout le monde est en faveur de la motion. Ce doit être une bonne motion.
Le sénateur Wiebe: Je propose que le comité lève la séance.
Le président: Je pense qu'il faut que je propose que le comité lève la séance. Je propose que la séance soit levée. Merci.
La séance est levée.