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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 21 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 20 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 15 h 34 afin d'examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.

[Traduction]

M. Daniel Charbonneau, greffier du comité: Honorables sénateurs, nous avons le quorum. J'ai le regret de vous informer que le président est absent. Nous allons maintenant tenir l'élection d'un président suppléant, conformément au Règlement du Sénat.

Le sénateur Tunney: Je propose la candidature de la sénateur Hubley au poste de présidente suppléante de la réunion.

M. Charbonneau: Nous avons une motion. Y a-t-il d'autres candidatures?

Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

M. Charbonneau: La motion est adoptée.

Le sénateur Elizabeth Hubley (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

La présidente suppléante: Nous recevons aujourd'hui l'ambassadrice Danièle Smadja, le premier secrétaire Phillippe Musquar et le conseiller principal Frederick Kingston. Madame Smadja, je vous cède la parole.

[Français]

Mme Danièle Smadja, ambassadeur et chef de la Délégation de la Commission européenne au Canada: Madame la présidente, je voudrais remercier chaleureusement le comité de m'avoir donné l'occasion de venir parmi vous aujourd'hui pour vous parler, notamment, d'un sujet un peu différent des sujets traditionnels qu'on aborde au Canada en matière de politique agricole commune. C'est un grand plaisir de vous parler de différents aspects, de différentes fonctions de l'agriculture en Europe. J'avoue qu'en général, avec les politiciens ou les fonctionnaires des administrations canadiennes ou même les représentants du secteur agricole, lorsqu'il s'agit d'agriculture entre le Canada et l'Union européenne, j'ai tendance à être mise un peu sur le gril surtout en matière commerciale. Après cette présentation, je serai ravie de répondre à des questions y compris sur les autres sujets. Je suis particulièrement heureuse d'avoir l'occasion de parler d'un autre aspect de la politique agricole commune de l'Union européenne. Un aspect pour lequel votre Sénat était particulièrement demandeur et un aspect sur lequel, où une fois n'est pas coutume en matière d'agriculture, l'exemple européen pourrait servir d'inspiration ou du moins certains des aspects de la politique que nous avons développée pourrait inspirer d'autres pays qui attachent une assez grande importance à leur agriculture.

Nous n'avons pas voulu vous envahir avec trop de documentation. Nous vous avons simplement préparé un recueil de tableaux qui vous aidera à suivre le fil de ma présentation. Toutefois, nous avons aussi donné au greffier un certain nombre de publications qui pourraient vous aider dans vos travaux futurs.

[Traduction]

Je vous ferai part d'un aspect important de la politique de l'Union européenne en matière d'agriculture qui reconnaît les agriculteurs non seulement comme des producteurs d'aliments, comme le disait l'invitation que j'ai reçue, mais comme les gardiens du territoire agricole.

Une grande partie du débat entourant la libéralisation du commerce sépare l'agriculture en tant qu'industrie du rôle que l'agriculture joue dans le développement socio-économique et durable des régions rurales. Tandis que les négociateurs commerciaux ont tendance à avoir cette notion, les responsables des orientations politiques qui doivent avoir une vue d'ensemble ont reconnu depuis plusieurs années déjà que ces rôles concernant l'agriculture ne sont pas distincts, mais intimement liés.

Au sein de l'Union européenne, nos négociateurs commerciaux sont au courant depuis longtemps des conséquences de ces liens, ce qui explique que des considérations autres que d'ordre commercial comme la protection de l'environnement et le développement rural occupent une partie si importante de notre mandat. C'est également pour cette raison que nous sommes heureux que ces considérations non commerciales soient une partie importante de l'Agenda de développement de Doha, qui a été conclu la semaine dernière.

Au Canada, tout comme au sein de l'Union européenne, personne ne peut contester que les agriculteurs aient des rôles nombreux et variés à jouer, rôles sur lesquels les politiques de développement rural et d'agriculture influeront. En plus de produire un éventail d'aliments sains et de grande qualité, les agriculteurs jouent un rôle important et croissant dans le développement des régions rurales, plus particulièrement la gestion des terres. Le public s'attend à ces services, que l'on qualifie parfois de services publics, et même l'exige. Cependant, il peut arriver que le fonctionnement du marché échoue.

Je vais vous donner quelques renseignements de base et présenter des comparaisons de base entre l'agriculture en Europe et en Amérique du Nord. Le deuxième tableau, que vous trouverez au bas de la première page, aide à mettre le secteur en perspective. Vous y verrez les différents éléments. Bien que les parts respectives de l'agriculture par rapport au PIB et à l'emploi dans les économies de l'Union européenne, du Canada et des États-Unis soient à peu près semblables, on note des différences frappantes lorsque l'on compare la taille moyenne de l'exploitation agricole. Il sera important que vous conserviez cette donnée de base à l'esprit car elle vous aidera à comprendre le contexte.

Les différences que vous constatez entre l'UE, les États-Unis et le Canada ont été encore plus accentuées après l'entrée dans l'Union européenne de 12 pays de l'Europe de l'Est, où la taille moyenne de l'exploitation agricole est inférieure à six hectares.

Notre situation dans l'Union européenne est très différente. Cette différence sera encore plus accentuée lorsque nous aurons terminé notre croissance et que d'autres pays se seront joints à l'union.

L'objectif de la politique agricole de l'Union européenne vise à moderniser la politique agricole et à favoriser l'agriculture fondée sur une exploitation agricole concurrentielle, durable et multifonctionnelle. Nous cherchons à promouvoir le développement économique, rural et environnemental des régions rurales sur tout le territoire de l'Union européenne, y compris les régions qui ont des problèmes précis en raison de l'éloignement, de la difficulté du relief ou du manque d'infrastructures. Il ne faudrait pas sous-évaluer la contribution éventuelle de l'activité agricole dans ces régions.

Trois caractéristiques de l'agriculture pratiquée dans l'Union européenne donnent lieu à des contraintes particulières en matière de politique. Tout d'abord, il y a une pression sur l'espace. C'est peut-être plus difficile à concevoir au Canada étant donné que vous avez tellement d'espace. Les mêmes superficies jouent de plus en plus des rôles, outre celui de servir à la production agricole. Par exemple, des villes, des villages et des régions utilisées à des fins récréatives sont intégrés aux terres agricoles. Étant donné que la construction d'habitations et de routes empiète sur les terres agricoles, la nécessité de protéger les grands espaces et de maintenir la valeur récréative du paysage agricole est une exigence sociétale croissante.

La deuxième caractéristique est que des siècles, voire des millénaires d'agriculture adaptée à des conditions propres à l'emplacement ont fait qu'une importante proportion de la diversité biologique dépend du maintien de certaines activités et de certains systèmes agricoles. En même temps, la concentration et la spécialisation de l'activité agricole dans des zones plus fertiles, en particulier si les techniques de production ne se sont pas adaptées aux conditions locales, ont fait augmenter les risques environnementaux tels que la pollution par les nitrites, l'érosion et la perte de biodiversité.

Le troisième facteur est que le paysage rural, y compris l'utilisation des terres, le tracé des labours, les éléments anthropiques, constitue le principal élément de la perception qu'a le citoyen des zones rurales. Bien que la plupart des paysages européens soient le produit de l'agriculture, les utilisations actuelles des terres agricoles peuvent y exercer une influence positive ou négative.

La politique en matière d'agriculture de l'Union européenne a évolué. L'Union européenne a dû réagir à des attentes publiques, qui continuent d'évoluer. Par exemple, par le passé, les agriculteurs n'étaient tenus de s'abstenir que de certaines activités, notamment cesser de polluer les ressources hydriques par l'emploi de nitrates, réduire l'usage des pesticides et limiter la construction sur des terres agricoles.

Cependant, les agriculteurs doivent maintenant faire des contributions positives. Par exemple, ils doivent gérer leur cheptel de façon à améliorer l'habitat herbager. Ils doivent protéger et gérer les limites des champs, quelle que soit l'inefficience économique des champs bigarrés. Les agriculteurs doivent prévoir leurs activités agricoles, non pas pour tenir compte de la température, mais pour éviter de déranger la nidification à la fin de la saison. Notre paysage terrestre est très différent.

L'agriculture peut également faire faux bond à la société. Grâce à la technologie, nous sommes beaucoup moins vulnérables aux récoltes perdues. Cependant, cette technologie a en partie produit des pressions négatives sur l'environnement. Évidemment, la mécanisation continue de l'agriculture a entraîné une diminution marquée du nombre d'agriculteurs qui vivent de la terre.

Au sein de l'Union européenne, nous constatons que l'agriculture procure un éventail de produits commercialisables et non commercialisables qui présentent un intérêt pour la société, grâce à ses trois grandes fonctions. La première est la production d'aliments, de carburants, de fourrages et de fibres.

La deuxième est la protection de l'environnement rural, notamment la biodiversité et le paysage. La troisième et dernière fonction est la contribution à la viabilité des régions rurales et à un développement équilibré du territoire.

À son origine, la politique commune en matière d'agriculture portait sur la première fonction, mais les fonctions environnementale et rurale ont pris de plus en plus d'importance. Elles sont devenues une partie des grandes préoccupations du débat actuel en Europe.

Quelques-unes des grandes préoccupations concernant la production alimentaire sont des approvisionnements adéquats à des prix raisonnables, ainsi que la salubrité des aliments et la qualité. Historiquement, l'approvisionnement a été garanti en raison de politiques de soutien des prix, tandis que la salubrité et la qualité résultaient du cadre de réglementation. Étant donné que la production alimentaire est principalement de nature privée, les forces du marché devraient jouer un rôle important. Cependant, nous avons dû nous rendre compte que les paiements directs pouvaient jouer un rôle crucial dans la période de transition vers une politique davantage axée sur le marché, et dans la réduction du soutien des prix.

Deux aspects de la deuxième fonction doivent être abordés. Tout d'abord, lorsque l'agriculture provoque des répercussions négatives, par exemple, de la pollution, on dispose de diverses politiques en matière de réglementation pour s'y attaquer, ou au moment du paiement des subventions, par le biais de l'observance intégrale, ou en rendant les paiements gouvernementaux conditionnels au respect de certaines exigences de nature environnementale. En deuxième lieu, l'agriculture, si elle est bien gérée, peut procurer des avantages environnementaux en fait de biodiversité accrue et de protection du paysage des terres cultivées.

Au cours des 10 à 15 dernières années, nous avons mis au point au sein de l'Union européenne un ensemble de moyens d'action pour relever les complexes défis sur le plan de l'environnement. Au premier niveau, nous nous attendons à ce que les agriculteurs emploient de saines pratiques agricoles, sans qu'un paiement précis leur soit fait.

Les saines pratiques comprennent le respect de la loi, notamment les règlements en matière d'environnement et les mesures obligatoires de conservation, de même que la norme de l'industrie ou les pratiques agricoles que les agriculteurs efficaces de la région suivent normalement. Cela veut dire que les agriculteurs doivent respecter cette norme à leurs frais.

Nous reconnaissons que de saines pratiques agricoles ne produiront pas un grand nombre des résultats environnementaux qu'exige la société. Par conséquent, au deuxième niveau, on a mis en place des programmes au sein de l'Union européenne à l'intention des agriculteurs pour qu'ils s'engagent volontairement à procurer des avantages environnementaux qui vont au-delà de l'application de saines pratiques agricoles. Étant donné que ce faisant l'agriculteur engage des frais ou subit des pertes de revenu, il est légitime de le rémunérer pour la prestation de ce service public. Nous n'avons décidé de déclarer que les agriculteurs sont bons pour l'environnement ni proposé un paiement général de sécurité au titre de la conservation pour ces avantages non précisés.

Aux termes de la politique de l'Union européenne, il faut répondre à trois questions. Est-ce que l'activité précise a un avantage pour l'environnement? Est-ce que l'agriculteur fait plus que de recourir à de saines pratiques agricoles pour procurer les avantages? Est-ce que l'agriculteur engage des frais ou subit une perte de revenu par rapport au niveau de référence des saines pratiques pour procurer l'avantage?

Depuis 1992, la politique agricole commune de l'Union européenne a inclus des programmes agroenvironnementaux qui couvrent toutes les facettes de l'agriculture. Dans de nombreux cas, les services environnementaux sont fournis en même temps que la production, bien que normalement à un niveau réduit. Les paiements couvrent uniquement les coûts de renonciation pour respecter les objectifs environnementaux, et tous les revenus découlant des activités du marché sont déduits.

Voici quelques exemples de mesures agroenvironnementales: transformation de terre arable très rentable en prairie non fertilisée; réduction de la densité du cheptel dans la prairie et gestion de ce dernier pour promouvoir la biodiversité; cessation de l'emploi d'engrais et de pesticides en bordure des champs ou sur des cultures complètes; protection et gestion des éléments paysagers tels que les rangées de haies dans le bocage de France ou de la Grande-Bretagne; et calendrier des activités agricoles, en particulier la coupe du foin et les récoltes, pour éviter de déranger la faune. Ces programmes agroenvironnementaux sont mis sur pied par le gouvernement, habituellement au niveau local, après consultation des parties intéressées, dans le cadre de la planification globale du développement rural des États membres.

Les mesures proposées dans un programme doivent être adaptées pour répondre aux besoins environnementaux précis, et parfois uniques, de la région en question. Ils doivent aller au-delà des saines pratiques agricoles. Les États membres de l'Union européenne présentent alors leurs propositions dans le cadre de leur plan de développement rural à la Commission européenne, qui est l'organe exécutif de l'Union européenne. Ce programme est présenté à des fins d'approbation et de financement. Une fois approuvé, le train de mesures peut être offert aux agriculteurs sur une base contractuelle d'au moins cinq ans. Les agriculteurs ne sont pas tenus d'y participer; c'est purement volontaire.

Les programmes sont assujettis à une évaluation et une surveillance scientifiques. Par exemple, en Irlande du Nord, trois types de programmes ont connu du succès. En l'espace de quelques années seulement, les programmes ont donné lieu à des améliorations de la diversité des espèces d'insectes et des espèces végétales; par exemple, des plantes résistantes au stress qui survivent dans des conditions d'agriculture intensives font place à des espèces plus rares, qui ne résistent pas au stress.

Dans l'actuel budget agricole, quelque 5 p. 100 du total, soit l'équivalent de 2 milliards, ou 2,85 milliards de dollars canadiens, est affecté à de telles mesures.

Il est important de maintenir des activités agricoles, en particulier dans les régions éloignées et périphériques. Dans l'ensemble, l'agriculture apporte une contribution importante à un grand nombre de ces régions rurales, à la fois sur le plan de l'activité économique et de l'emploi. Il y a peu d'autres possibilités d'emplois rémunérateurs dans ces régions rurales.

Les objectifs que vise l'approche de l'Union européenne sont de réduire les pressions pour la dépopulation et de garantir une présence bien équilibrée des activités humaines sur l'ensemble du territoire.

Les activités agricoles et la diversification à l'intérieur et à l'extérieur de l'exploitation agricole peuvent contribuer à la viabilité économique et sociale des régions rurales. Par le passé, le soutien relativement coûteux de l'agriculture a permis à des régions où les coûts de production étaient plus élevés de survivre. Cependant, compte tenu du changement dans la politique agricole résultant de réductions supplémentaires du soutien des prix, l'agriculture dans ces régions subit une pression accrue du marché.

D'autres formes de soutien, découplées du niveau de production, sont nécessaires, non pas pour augmenter la production, mais pour maintenir les services de développement environnemental et rural fournis par l'agriculture.

Voici deux exemples de programmes que nous avons au sein de l'Union européenne. Un programme est destiné aux régions plus défavorisées. En vertu de ce programme, on effectue des paiements découplés de la production pour mener des activités agricoles dans des régions où le relief ne s'y prête pas, comme des régions montagneuses.

Le deuxième programme est ce que l'on appelle le programme LEADER. Il s'agit d'un programme qui encourage les activités à l'extérieur de l'exploitation agricole et la diversification pour renforcer le revenu de base familial.

Dans le budget actuel, environ 4,5 milliards, soit environ 6,34 milliards de dollars canadiens, ont été affectés aux dépenses liées au développement rural pour chacune des six prochaines années. Une partie de ces sommes doit faire l'objet d'une contribution de contrepartie de la part de nos États membres.

Pour finir de dresser ce tableau, j'aimerais vous dire en quelques mots de là où nous en sommes dans la réforme actuelle de la politique agricole commune.

[Français]

Nous avons commencé cette réforme dans les années 1992, et nous la poursuivons de façon assidue et tout à fait cohérente. Depuis l'an 2000, et pour une période qui couvre 2000 à 2006, nos chefs d'État et de gouvernements ont adopté un document politique d'une extrême grande valeur et d'une grande importance dans ce domaine qui s'appelle «l'Agenda 2000» et qui contient tous les détails de la réforme de notre politique agricole entre 2000 et 2006.

[Traduction]

En vertu de la réforme actuelle, le soutien offert a délaissé les mesures de soutien du marché au profit de mesures de développement rural et agroalimentaire. La réforme vise à protéger et à améliorer le rôle de l'agriculture grâce aux mesures suivantes.

Tout d'abord, il devrait y avoir une plus grande orientation vers le marché grâce à un soutien moindre du prix pour encourager la compétitivité. Ensuite, il devrait y avoir un niveau de vie juste pour les familles du secteur agricole grâce à des paiements directs aux agriculteurs, paiements qui compensent en partie les répercussions négatives de la réforme sur le revenu. Troisièmement, il faudrait qu'il y ait intégration des objectifs environnementaux. À cette fin, nos États membres sont tenus de mettre en place les mesures environnementales qu'ils jugent appropriées, en tenant compte de facteurs tels que la situation des terres agricoles utilisées ou la préoccupation sur le plan de la production et les répercussions éventuelles sur l'environnement. La quatrième mesure concerne le développement durable dans les régions rurales en faisant du cadre de développement rural un deuxième pilier de la politique agricole commune.

En vertu du document politique intitulé «Agenda 2000», le soutien annuel à l'agriculture est plafonné à un peu plus de 40 milliards, soit l'équivalent de 57 milliards de dollars canadiens. Quatre-vingt pour cent de cette somme consistera en paiements directs plutôt qu'en soutien des prix ou de la production. Quelque 10,4 p. 100 de cette somme est affecté au développement rural seulement.

Tout cela fait partie d'une réforme plus vaste de l'Union européenne pour paver la voie au quasi doublement du nombre de nos membres au cours des prochaines années, alors que nous prenons de l'expansion vers l'Est. Nous entreprenons cette réforme non seulement parce qu'il y a des critiques de la part de nos partenaires commerciaux, dont le Canada, mais aussi parce que nous devons le faire. Nous devons remettre de l'ordre dans nos affaires avant de prendre de l'expansion, plus particulièrement avant que nous passions de 15 États membres à 27 ou 28. C'est un pas de géant pour lequel nous devons nous préparer.

Il se tenait une réunion très importante à Doha, au Qatar, visant à lancer une nouvelle ronde de négociations commerciales multilatérales après l'échec de la réunion de Seattle. En nous présentant à ces discussions avec l'OMC, nous, de l'Union européenne, savions que la libéralisation du commerce avait été perçue par une partie importante de la société civile comme une contradiction avec d'autres valeurs ou buts sociétaux. Nous avions déjà acquis une certaine expérience de la gestion de ces questions dans le cadre de notre politique nationale. Dans le but de garantir un soutien public et politique plus large pour l'OMC et la cause de la libéralisation du commerce, il était par conséquent essentiel de bien examiner ces enjeux non commerciaux, en particulier dans le domaine de l'agriculture.

L'Union européenne de même que d'autres pays dont le Japon, la Corée du Sud, la Suisse et la Norvège, ont entrepris d'établir un consensus sur la nécessité d'examiner les enjeux non commerciaux. Nous avons été les hôtes conjoints de quatre conférences internationales qui se sont tenues en Norvège et dans deux autres endroits avant la réunion de Doha.

En tout, quelque 40 membres de l'OMC, dont des pays développés et des pays en développement, ont montré clairement leur désir de voir les enjeux non commerciaux du nombre des points de négociation. Malgré l'opposition de certains pays qui voudraient que les négociations portent exclusivement sur le commerce, les enjeux non commerciaux font maintenant partie intégrante des négociations.

Ces enjeux comprennent diverses questions allant bien au-delà de l'environnement et du développement rural pour s'étendre à la sécurité, à la salubrité et à la qualité des aliments. Ils correspondent aux grandes préoccupations de divers pays membres de l'OMC. Nous sommes extrêmement heureux de voir désormais ces enjeux non commerciaux traités à la table de négociation.

Pour conclure, j'aimerais vous communiquer deux brefs messages. Le premier est de nature générale. L'Union européenne s'est engagée à long terme à renouveler sa politique agricole. L'étendue et la rapidité de cette réforme dépendront de la mesure dans laquelle le public en acceptera le principe.

Mon second message est que le déploiement d'instruments stratégiques pour reconnaître et accroître le rôle multifonctionnel de l'agriculture en Europe est l'une des clés de la réussite de cette réforme.

La présidente suppléante: Je vous remercie de nous avoir donné un aperçu aussi complet d'une question au sujet de laquelle nous avions très hâte de vous entendre.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez particulièrement piqué ma curiosité lorsque vous avez dit que l'Union européenne s'était engagée à renouveler sa politique agricole, à condition que les raisons politiques de ces réformes puissent être plus solides et mieux organisées.

Quelles sont, selon vous, les obstacles politiques à la diminution des subventions aux producteurs agricoles, particulièrement dans l'industrie céréalière d'Amérique du Nord? Quels sont les principaux obstacles à un commerce plus équitable et plus libéral?

Mme Smadja: Il y a plusieurs facteurs dont certains prévalent également ici et aux États-Unis. D'autres sont plus propres à l'Europe. Le premier obstacle, auquel sont confrontés tous les pays industrialisés, est que les agriculteurs ont beaucoup de poids politique et qu'ils savent se faire entendre. Les politiciens, quant à eux, veulent être réélus. Les agriculteurs européens sont bien organisés et jouent depuis très longtemps un rôle important sur la scène politique. C'est la même chose ici.

Parmi les facteurs plus particuliers à l'Europe, notons la taille des exploitations agricoles, leurs traditions et la façon dont elles sont organisées. Si vous jetez un coup d'oeil aux statistiques agricoles de base pour l'Europe, les États-Unis et le Canada, vous pouvez voir la taille moyenne des exploitations agricoles mesurées en hectares. En Europe, leur superficie s'élève à 18 hectares, contre 172 hectares aux États-Unis et 422 hectares au Canada.

Ajoutez à cela les données précédentes, soit le nombre d'exploitations agricoles, et vous constaterez combien il y a d'agriculteurs. En Europe, on dénombre 7,3 millions d'exploitations de 18 hectares en moyenne, contre 280 000 de 422 hectares en moyenne au Canada.

Il est important de connaître ces chiffres pour comprendre pourquoi il faut convaincre le public du bien-fondé de cette réforme. Le secteur agricole est confronté au mauvais temps, à la sécheresse, aux inondations et aux mauvaises récoltes, comme tous les agriculteurs du globe.

Le bétail européen a été gravement touché par la fièvre aphteuse, qui a été catastrophique pour les agriculteurs. Avant cela, il y a eu la présence de dioxines dans les aliments qui a rendu les gens très méfiants quant à la qualité de leurs aliments. Tous ces facteurs pèsent très lourd sur les relations entre les agriculteurs et l'opinion publique, de même qu'entre les agriculteurs et les élus.

L'agriculture est source de beaucoup de tensions, comme partout ailleurs. Le gouvernement sera moins généreux envers les agriculteurs après des désastres naturels ayant eu des répercussions sur la collectivité agricole. Les agriculteurs estimeront qu'ils ne reçoivent pas suffisamment d'aide. Il y a certaines similitudes entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Leurs principales différences sont la structure des exploitations agricoles et la façon dont l'agriculture s'organise autour d'elles.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce en raison des subventions qu'on peut se permettre d'avoir de petites fermes en Europe? Nous avons appris, dans la documentation que nous avons reçue sur le secteur de la culture céréalière, qu'on octroyait des subventions considérables pour la culture du blé et d'autres céréales. Le petit agriculteur n'a pas besoin d'avoir un rendement aussi élevé que les grands exploitants agricoles. Il a simplement besoin de survivre, parce qu'il a un revenu garanti. Une ferme de deux acres suffit pour survivre quand on a un revenu garanti.

Mme Smadja: Oui et non. Je conviens avec vous que c'est la raison pour laquelle nous changeons un peu de cap dans la réforme actuelle. Nous voulons maintenant favoriser l'appui direct aux agriculteurs plutôt qu'aux produits. Cependant, il y a une chose qui est très unique à l'Europe, en comparaison avec l'Amérique du Nord, soit le rôle historique de l'agriculture. La société européenne a une longue tradition d'agriculture.

Par exemple, si les agriculteurs canadiens se plaignent que M. Vanclief ne leur donne pas assez d'argent après une catastrophe naturelle, je ne suis pas sûre qu'ils reçoivent autant d'appui du reste de la population canadienne qu'ils en recevraient en Europe. Là-bas, lorsque les agriculteurs se plaignent de ne pas recevoir suffisamment d'appui du gouvernement, le reste de la population ne maugrée pas que les agriculteurs ne sont jamais contents.

La société européenne respecte les agriculteurs. C'est probablement à cause de leur rôle historique dans la société qu'ils sont si écoutés. Les agriculteurs ont l'appui du peuple, qui les voit probablement comme ses nourriciers. Les agriculteurs ont toujours été ceux qui fournissent les aliments et ils sont de plus en plus perçus comme les intendants des terres.

La population européenne déteste voir des terres inexploitées, abandonnées par les agriculteurs parce qu'ils n'arrivaient pas à y survivre, et de voir de petits villages désertés. Le reste de la société tient à ce que le mode de vie rural perdure. Les Européens font pression sur leurs gouvernements pour qu'ils aident les agriculteurs en les incitant par exemple à faire de l'exploitation touristique autant qu'agricole. Le tourisme écologique est très important dans les zones agricoles. Cela peut vous sembler anecdotique, mais loin de là, c'est une réalité fondamentale en Europe: le reste de la population appuie les agriculteurs.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez parlé de l'espace disponible et de la quantité d'argent consacrée à l'agriculture dans les pays de l'Union européenne. Si les gens demeurent à leur ferme, alors que la population des villes continue de croître, l'espace disponible pour le logement diminue de plus en plus.

Cela contribue-t-il aux coûts élevés du logement? Si l'on désigne une terre agricole et qu'on en maintient la valeur grâce à des programmes de subvention et de conservation, cela n'influence-t-il pas fortement le prix des terres? Cela ne contribue-t-il pas au fait que les gens ont de plus en plus de difficulté à se trouver un logement de qualité? N'avez-vous pas un problème d'espace?

Mme Smadja: Je veux être bien certaine de saisir le sens de votre question. Lorsque vous parlez de pressions exercées sur le prix du logement, faites-vous allusion à la construction résidentielle sur des terres agricoles?

Le sénateur Tkachuk: Vous dites que la population vous presse de protéger ces zones rurales. Or, si la population fait effectivement pression et que vous interdisez la construction résidentielle sur ces terres, le prix du logement doit forcément grimper. C'est sûrement l'un des coûts sociaux du programme. Je me demandais si c'était une des pièces du casse-tête?

Mme Smadja: Le problème du logement ne se pose pas en ces termes. Nous n'empêchons pas les gens de quitter la terre. Nous ne voulons pas non plus que les agriculteurs abandonnent trop facilement. Donc, nous les aidons, comme vous le faites. Ils ont un rôle à jouer en région rurale et pour la préservation des sols. Nous aidons les agriculteurs autant que possible, pour préserver non seulement le paysage, mais aussi leur rôle social, en termes d'emploi, notamment.

Le sénateur Tkachuk: Pouvez-vous préciser ce que vous avez dit tout à l'heure, soit que des sommes importantes sont investies en agriculture pour maintenir une forte vie rurale en raison de la taille de la population et du manque d'espace? Si vous manquez d'espace, mais que vous tenez à préserver les zones rurales, vous augmentez le prix des terres résidentielles accessibles aux populations urbaines, non? Tenez-vous compte de ces coûts dans vos efforts pour sauvegarder l'agriculture?

Mme Smadja: Le prix du logement ne dépendra pas nécessairement de ce paramètre. Il variera en fonction de l'activité économique. Pas d'activité économique, pas d'intérêt. Je demanderai tout de même à l'un des mes collègues d'ajouter un mot à ce sujet.

Le sénateur Tkachuk: Vous n'êtes pas à court d'espace, n'est-ce pas?

M. Fred Kingston, conseiller principal, Affaires économiques et commerciales, Délégation de la Commission européenne au Canada: Il y a effectivement des contraintes d'espace, mais celles-ci varient selon l'endroit. Par exemple, elles sont plus importantes autour de Londres qu'elles ne le sont dans le nord de la Norvège.

Le sénateur Tkachuk: La même différence existe entre les régions de Toronto et de Saskatoon. C'est vous qui avez soulevé la question. J'essaie de comprendre ce que vous vouliez dire par là.

M. Philippe Musquar, conseiller, Affaires économiques et commerciales, Délégation de la Commission européenne au Canada: Nous confondons ici deux idées et deux objectifs complètement différents de notre politique. D'une part, on pourrait, pour limiter l'étalement urbain, favoriser le maintien de l'agriculture dans ces zones et, malgré la densité de la population, maintenir un environnement viable et une certaine qualité de vie dans les zones urbaines.

D'autre part, et c'est un aspect complètement différent, on peut penser à certaines régions éloignées de l'Europe où le problème ne se pose pas. Dans ces régions, l'objectif consiste plutôt à maintenir une certaine activité économique et, ainsi, la population de villages. Nous ne disons pas que l'agriculture est le seul moyen d'arriver à cette fin, mais c'est un facteur important pour diverses raisons.

Les activités agricoles sont maintenues et parfois soutenues pour retenir la population et garder un niveau d'activité économique raisonnable dans ces régions d'Europe. Ce seront là deux objectifs et deux aspects totalement différents.

La présidente suppléante: Avant de passer à la prochaine question, j'aimerais vous présenter le président de notre comité, le sénateur Gustafson.

Le sénateur Tunney: Quel pourcentage de la population pratique l'agriculture? À combien, environ, s'élèvent les recettes nettes de vos exploitations agricoles?

Mme Smadja: Nous avons préparé des statistiques détaillées pour notre exposé, mais nous n'avons pas apporté de données précises à ce sujet. Nous vous reviendrons là-dessus, sénateur. Vous voulez connaître le pourcentage d'agriculteurs dans la population européenne. Quelle était votre seconde question?

Le sénateur Tunney: J'aimerais connaître les recettes nettes approximatives par exploitation agricole.

Mme Smadja: Je suis certaine que nous avons ces données dans notre documentation.

Le sénateur Tunney: Quelle part de vos recettes agricoles nettes provient de la commercialisation des produits comme telle et quelle part provient des subventions gouvernementales?

Mme Smadja: Plus vous vous avancez dans vos questions, plus je suis convaincue de ne pas pouvoir vous répondre tout de suite. Je devrai vous envoyer mes réponses plus tard.

Même si j'avais une idée de la réponse maintenant, je préférerais ne pas vous la donner tout de suite parce que la situation diffère beaucoup d'un pays européen à l'autre. Je ne voudrais pas vous donner, par exemple, le revenu moyen par agriculteur sans vous donner également le montant correspondant pour l'Italie ou l'Autriche, par exemple. L'agriculture varie d'un pays à l'autre et d'une région à l'autre.

Je préférerais vous donner une moyenne européenne accompagnée de données sur chaque pays et sur chaque région, sans quoi mes statistiques seraient trompeuses. Je m'occuperai d'obtenir ces informations pour vous.

Le sénateur Tunney: Dans les négociations de l'OMC, les subventions agricoles seront un point de discussion important.

Je suis producteur laitier au Canada, et j'ai pu profiter de subventions gouvernementales. Il n'y a pas si longtemps, les producteurs laitiers français tiraient 70 p. 100 de leurs revenus de subventions gouvernementales. Celles-ci étaient si élevées que le gouvernement n'a pu les maintenir. Il a donc procédé à des compressions radicales, à la suite de quoi les gens ont protesté en épandant du fumier dans les rues.

Pensez-vous qu'un jour, votre gouvernement réduira assez les subventions qu'il octroie aux exploitants ou aux exploitations agricoles pour que les agriculteurs canadiens puissent tirer un revenu décent des céréales et des graines oléagineuses qu'ils produisent?

Les subventions qu'accordent les États-Unis sont très élevées et celles de l'UE, encore plus. Au Canada, les subventions représentent moins du quart de celles des États-Unis ou de l'UE. Nous ne pouvons même pas, ni ne voulons, verser de telles subventions, qui découragent l'efficacité et la productivité. Nos exploitations agricoles sont de plus en plus grandes pour contrebalancer ce manque de soutien gouvernemental.

Mme Smadja: Nous n'avons pas peur d'entamer des négociations sur les subventions à l'exportation, qui seront un sujet de premier ordre. Nous y sommes préparés depuis longtemps. Nous avons entrepris notre réforme et tendons de plus en plus à réduire les budgets consacrés aux subventions. Ce n'est pas un problème.

Je suis étonnée de constater qu'après tant d'années à répéter que nous voulons sérieusement négocier, on continue de nous demander si nous sommes conscients que cette question sera à l'ordre du jour. Bien sûr que nous le savons, et nous sommes prêts. Nous avons établi un consensus, ce qui relève de l'exploit lorsqu'est mis en question le budget agricole dans l'Union européenne. Nous avons des bases solides. Nos 15 ministres de l'Agriculture sont déterminés à aller de l'avant.

La grande différence entre nous est peut-être que nous sommes prêts depuis longtemps à négocier ces questions, mais à deux conditions. La première est que l'on tienne compte de tous les types de subventions aux exportations. Par exemple, l'une des raisons pour lesquelles des personnes bien informées comme vous continuent de dire que les subventions européennes sont beaucoup plus élevées que les subventions américaines est que vous vous laissez tromper par les statistiques.

Vous avez été induits en erreur parce que, durant la première et dernière négociation de l'OMC à l'époque du GATT qui portait notamment sur l'agriculture, nous n'avons pas réussi à faire inclure tous les types de subventions aux exportations. Les seules dont il avait alors été question étaient celles de l'Union européenne. Lorsque vous faites vos calculs, vous arrivez à des résultats supérieurs pour l'Europe parce que vous tenez compte de tous nos produits, alors que vous en excluez certains pour les données sur les Américains. Vous ne tenez pas compte de tous les crédits à l'exportation. Moins il y a de pommes dans votre panier, moins le total sera élevé.

Notre seconde condition est qu'il s'agisse de véritables négociations, donc de compromis de part et d'autre. Nous ne serons pas les seuls à faire des concessions. Ce n'est pas ainsi que se déroulent des négociations dignes de ce mot. Il est clair que nous ne sommes pas prêts à nous lancer dans des négociations où nous serons les seules cibles, où l'on cherchera à nous dépouiller de tous nos moyens un à un.

Nous savons que la question des subventions à l'exportation est sur la table. Nous sommes prêts à en discuter tant que toutes les formes de subventions à l'exportation sont prises en considération et qu'il s'agit de vraies négociations selon le principe du donnant, donnant.

Vous verrez que nos dépenses en agriculture sont à la baisse. Nous tendons même à aller plus loin que ce que nous avions promis au Cycle d'Uruguay. Malheureusement, les subventions des Américains ont beaucoup augmenté pendant cette même période. J'ai quelques chiffres permettant de comparer nos dépenses en agriculture avec celles des Canadiens et des Américains.

M. Kingston: Nous estimons que l'aide publique nationale est passée, aux États-Unis, de 2 000 $US par agriculteur en 1996 à environ 12 000 $US en 2000, alors qu'elle tourne autour de 5 000 $US dans l'UE depuis 1996.

Au Canada, on observe également une tendance à la hausse de l'aide publique agricole depuis quelques années, du moins si l'on se fie aux budgets des gouvernements fédéral et provinciaux. Une partie de ces sommes ont été versées pour parer à des crises. Nous évaluons à 9 286 $ par exploitation agricole les dépenses engagées par le Canada en 2000 pour assurer la sécurité du revenu et l'aide en cas de catastrophe. Par ailleurs, la politique agricole commune a plafonné à 40 milliards d'euros environ. En termes de dépenses par exploitation par rapport à la production, le montant est inférieur aux dépenses du Canada, qui s'élèvent à 7 437 $ canadiens par exploitation.

Le sénateur Tunney: Cela est très révélateur de la superficie des exploitations agricoles. Cet agriculteur de l'Ouest, juste à côté de moi, exploite environ 40 quarts de section. Il reçoit autant que vous dites, soit 9 000 $, et il y a dans sa zone 10, 12 ou 15 exploitations agricoles qui reçoivent chacune l'aide dont vous venez de parler. Cela n'est pas représentatif. Ce serait autre chose si on parlait de revenus par hectare de terre agricole.

M. Kingston: Nous entrons là dans un débat sur la statistique. Or, il est clair que la statistique de l'Amérique du Nord est calculée en fonction de la production. Quand ces données proviennent de l'Europe, on obtient un montant très bas par établissement, en raison du nombre élevé d'agriculteurs et de l'aide accordée par exploitation.

Ces données agricoles de base sur l'agriculture nous donnent une idée. Il y a tellement plus d'agriculteurs en Europe qu'il est facile d'augmenter les chiffres à cet égard. Nous ne disons pas que les montants distribués au Canada que je viens de vous donner vont à l'encontre des règles de l'OMC.

Ces paiements demeurent conformes aux règles de l'OMC, que je sache. Cependant, le gouvernement canadien s'est engagé à investir au moins dans la sécurité du revenu des agriculteurs et dans les fonds d'aide qui leur sont destinés en cas de catastrophe. Ce sont des programmes universels.

Le sénateur Tunney: La plupart de nos programmes agricoles exigent la contribution de l'agriculteur, du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial. Les trois participent à des programmes qui sont en fait des filets de sécurité déployés en cas de chute des cours ou de mauvais temps compromettant les récoltes. Ces deux situations s'appliquent actuellement à l'ensemble du Canada. Par contre, nous ne recevons aucun paiement direct du Trésor fédéral, contrairement à d'autres pays.

Mme Smadja: C'est incroyable comment, chaque fois que nous parlons d'agriculture, nous avons tous nos petits arguments classiques. Nous nous créons une terminologie. Depuis mon entrée en fonction ici, j'ai appris ce que signifiait filet de sécurité. Grâce à ce concept, nous sommes les bons et les autres, les méchants. Nous passons tous par là.

Au Canada comme dans l'Union européenne, l'apport des agriculteurs à la société est considéré comme étant précieux, tant par la classe politique que par le reste de la population. Nous ne pouvons faire abstraction des difficultés auxquelles sont confrontés nos agriculteurs. Nous devons respecter nos engagements internationaux et, quand ils ne sont pas assez bien ou assez détaillés, nous devons collaborer pour mieux nous discipliner. Dans les négociations de l'OMC, il est fondamental, si nous continuons de subventionner les exportations, de réduire le plus possible, voire d'éliminer les effets de distorsion du commerce.

J'ai déjà dit que nous n'avions pas peur de négocier les subventions aux exportations parce que nous avons fait nos devoirs. Nous croyons que c'est bon pour nous. Nous ne pouvons continuer d'y consacrer une telle part de notre budget. Nous sommes aussi conscients qu'une course aux subventions ne mènerait nulle part. L'Union européenne pourrait aussi s'identifier davantage au Canada s'il reconnaissant les hausses absolument déloyales des subventions américaines, alors que les Européens tentent de respecter les règles. Nous avons entrepris notre réforme en 1992 et avions la ferme intention de la mener à bien. Parallèlement, les autres se mettaient à dépenser des sommes faramineuses. C'est frustrant.

Bien que le Canada soit membre du groupe de Cairns, nous trouvons parfois qu'il défend une position plus équilibrée que ses homologues. C'est de bon augure pour nos négociations.

Le sénateur Tunney: Je suis assez vieux pour me rappeler qu'après la Deuxième Guerre mondiale, les Européens juraient qu'ils ne manqueraient plus jamais de nourriture. Personne ne pouvait les en blâmer. Nous n'avons jamais eu de pénurie qui a entraîné la famine ou un véritable inconfort. Je peux comprendre cette attitude des Européens.

Mme Smadja: Les raisons historiques que j'ai évoquées comprennent effectivement les périodes de famine, qu'il s'agisse du Moyen Âge ou de la Deuxième Guerre mondiale. Elles sont symptomatiques des Européens, ce qui explique la grande sympathie de ceux-ci pour les agriculteurs. Certaines personnes ont personnellement vécu le traumatisme des pénuries de vivres ou ont entendu leurs parents ou leurs grands-parents en parler. L'approvisionnement alimentaire est toujours à l'avant-plan des préoccupations de la population. Cependant, ce n'est plus là la seule raison. Les deux autres facteurs dont j'ai parlé font également poids.

La présidente suppléante: L'agriculteur peut toucher une rémunération pour des pratiques agricoles exceptionnelles pouvant lui occasionner certains coûts. Ces dépassements de coûts sont-ils pris en considération dans le calcul de l'aide financière versée à l'exploitation? Existe-t-il un programme à cet égard?

Mme Smadja: Oui. Les chiffres fournis par M. Kingston tiennent compte de ces paramètres.

La présidente suppléante: Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Que ferait l'agriculteur pour favoriser des pratiques agricoles encore meilleures que la normale tout en se conformant aux lois environnementales et à tout le reste?

Mme Smadja: J'ai déjà donné quelques exemples. Ainsi, plutôt que de planifier ses activités agricoles en fonction uniquement de la saison des récoltes et de la coupe, il pourrait le faire de manière à tenir compte également du bien-être de la faune. Il pourrait par exemple attendre la fin de la nidification. Or, il perdrait probablement des revenus du même coup parce qu'au même moment, ses collègues d'autres exploitations, insoucieux de ces considérations, feraient leurs récoltes et pourraient livrer leurs produits sur le marché beaucoup plus tôt.

Un autre exemple serait l'agriculteur qui réduit le nombre de bêtes en pâturage dans les prés, de manière à gérer son bétail tout en préservant la biodiversité. Cet agriculteur pourrait produire des animaux plus petits qui lui rapporteront moins, voire rien en raison de leur petitesse. Son revenu s'en verrait diminué. Il recevrait donc une indemnité.

Dans quelques cas extrêmes, les agriculteurs choisissent de se convertir à l'agriculture biologique. Ils renoncent à épandre plusieurs pesticides et tout le reste. Ces exemples vont bien au-delà des règles de l'art, mais ils sont bien connus depuis le lancement de notre programme en 1992. C'est un programme très sérieux qui, petit à petit, contribue à changer les mentalités.

En théorie, c'est notre ministère de l'Agriculture qui met en oeuvre la politique agricole. Au fil des ans, notre ministère de l'Environnement a cherché à s'interposer. Au début, il se faisait constamment repousser. Maintenant, les programmes agroenvironnementaux sont un succès. Le personnel du ministère de l'Agriculture ne prend plus de décisions sans consulter celui de l'Environnement. On voit vraiment que les préoccupations environnementales ont été intégrées à l'agriculture. Chez les hauts fonctionnaires, on observe également un changement de mentalité.

Ce changement est aussi présent dans le secteur agricole, chez les consommateurs et, serais-je portée à dire, chez les touristes. Les touristes en voyage en Europe visitent des zones rurales, où ils discutent avec les agriculteurs et voient qu'ils participent à ce programme agroenvironnemental. Ils sont fascinés. C'est donc un autre moyen pour les agriculteurs de faire connaître leur contribution. Lorsque ces mêmes agriculteurs montent aux barricades parce qu'ils estiment ne pas recevoir suffisamment de subventions, ils ont la sympathie du public qui juge leur contribution à l'environnement admirable.

Le sénateur Gustafson: Notre comité est allé il y a deux ans et demi en Europe, où il a eu 25 rencontres dans quatre pays différents. De pareils échanges sont cruciaux parce que tous les agriculteurs du monde sont confrontés à des problèmes. Nous sommes aux prises avec un problème mondial. Nos gouvernements voudraient nous pousser parfois à blâmer les autres ou à taire leur mauvaise gestion de l'agriculture.

Nous nous faisions constamment dire: «Vous, les Américains, vous ne comprenez rien à l'importance des aliments» - on nous prenait souvent pour des Américains. Au Canada, nous tenons la sécurité des aliments pour acquise. Le sénateur Sparrow pourrait en discuter mieux que moi parce qu'il a étudié la conservation des sols, que nous tenons également pour acquise. Si les agriculteurs n'ont pas d'argent, ils ne peuvent pas s'occuper convenablement des sols.

Le grenier mondial contient très peu de stocks alimentaires actuellement. Je me rappelle la Deuxième Guerre mondiale, quand certaines familles d'agriculteurs ne pouvaient aller combattre parce qu'il fallait bien quelqu'un pour cultiver les champs, un service essentiel. Nous avons perdu de vue ce service essentiel et le mode de vie rural.

Je cultive des céréales et des oléagineux en Saskatchewan. La plupart des agriculteurs de là-bas vous confirmeront qu'au cours des trois dernières années, ils n'ont pas eu de revenu du tout. Ceux qui n'ont pas affiché de pertes sont très chanceux. Ce n'est pas que je veuille diminuer de quelque façon que ce soit l'agriculteur européen, voire américain. J'ai pu constater les problèmes là-bas, sur place. Il faut trouver une solution mondiale. Nous avons tous des exemples que nous pouvons donner. Nous pouvons tous fournir des chiffres pour prouver l'existence de problèmes. Si vous examinez la situation globale au Canada, par exemple, nos producteurs laitiers s'en sortent plutôt bien. Ils l'admettent eux-mêmes.

Mme Smadja: Nous en connaissons les raisons.

Le sénateur Gustafson: Nos offices de commercialisation du poulet et de la dinde brassent de bonnes affaires. Nos producteurs de grains par contre traînent de la patte. Je m'entretenais hier avec des agriculteurs qui passent aux 100 quarts de section, simplement pour pouvoir livrer concurrence et demeurer en affaires. La situation n'est pas reluisante.

Il importe de tenir ce genre de réunions. Nous nous dirigeons très rapidement vers une économie mondiale. Il est temps que les différents pays se concertent pour décider du genre de monde qu'ils veulent, du genre de pays qu'ils souhaitent et de l'importance qui sera accordée à la sécurité des aliments.

Mme Smadja: Vous avez mentionné votre visite en Europe, et plus particulièrement à Bruxelles. Nous nous en souvenons effectivement, car il s'agissait d'une importante visite qui a été fort bien accueillie chez nous. Si ma mémoire est bonne, vous avez rencontré notre commissaire, Franz Fischler, qui est lui-même agriculteur, de sorte qu'il sait ce dont il parle. Je sais qu'il a gardé un excellent souvenir de sa rencontre avec vous. Si vous souhaitez revenir, je me ferai un plaisir d'aider à organiser un autre voyage pour votre comité, car la situation évolue rapidement en Europe et il serait peut-être bon que vous observiez par vous-mêmes la nouvelle réalité.

Vous avez raison de dire que la façon dont l'agriculture est organisée dans chaque pays comporte bien des variantes. Je ne crois pas qu'il y ait un modèle idéal pour tous. Au début, quand j'ai parlé des multifonctions de la politique agricole au sein de l'Union européenne qui pourraient être sources d'inspiration, je voulais dire que tous ces programmes que nous élaborons par exemple sur une dimension environnementale et sur le front du développement rural sont d'excellents thèmes à propos desquels il pourrait y avoir un échange de vues de part et d'autre de l'Atlantique. Vous pourriez être une source d'inspiration pour nous et, réciproquement, nous pourrions l'être pour vous.

Nous tenons tous à conserver certains aspects ruraux de nos sociétés et nous souhaitons tous reconnaître le rôle d'intendance qu'ont assumé les agriculteurs. Je suis d'accord avec vous qu'il n'y a pas moyen de concevoir un seul modèle et de l'appliquer à tous. Par contre, l'échange de vues pourrait être intéressant dans certains cas. C'est le nouveau rôle que la société exige de l'agriculture. On s'attend que les agriculteurs vont réaliser les objectifs.

Mon impression de la conférence de Doha - et je n'en ai pas encore assimilé tous les résultats -, est qu'elle a certes contribué à faire progresser le dossier, particulièrement pour ce qui est de trouver une solution à long terme au problème mondial. Nous aussi, nous sommes conscients qu'il n'y a pas si longtemps, l'agriculture était tout à fait exclue du régime de commerce multilatéral.

Nous - c'est-à-dire tous les membres de l'OMC - avons parcouru beaucoup de chemin du Cycle de l'Uruguay à Qatar. Le résultat de Doha montre clairement que les gens ont accepté l'idée et qu'ils s'habitueront à l'agriculture assujettie à un régime de commerce multilatéral. Auparavant, il fallait décider de ce qui serait inclus, alors que maintenant, les gens sont habitués à ce que l'agriculture soit incluse. Ils ont une attitude beaucoup plus positive quant à la façon dont nous pourrions utiliser les négociations de l'OMC en matière agricole pour régler le problème mondial à long terme.

En dépit de ce que vous pensez de nous et de vos convictions profondes, vous devez garder à l'esprit certains faits. L'Union européenne est le plus grand importateur de biens. Je suis navrée que certains secteurs canadiens, comme celui du grain, éprouve des difficultés, mais à mon avis, ces difficultés ne sont pas forcément de notre faute. Nous sommes le plus grand importateur et, depuis l'an dernier, nous sommes également le plus important exportateur.

Le message que j'aimerais vous transmettre, c'est que nos marchés sont ouverts, sans quoi nous ne serions pas le plus important importateur. Cette impression désuète que nous sommes protectionnistes ne tient plus. Nous sommes également un exportateur, et un important exportateur, de sorte que nous nous intéressons à négocier l'ouverture des marchés. Nous souhaitons aussi négocier une réduction des tarifs. Nous y accordons de l'importance. Nous avons l'habitude de la négociation et du donnant, donnant. Si nous souhaitons voir les autres réduire leurs barrières et leurs tarifs, nous ferons notre part et réduirons les nôtres également.

Le sénateur Gustafson: Votre attitude est très protectrice quand vient le temps de discuter d'aliments transgéniques.

Mme Smadja: Je n'irai pas jusqu'à qualifier cela de protection. Nous sommes au beau milieu d'une importante crise politique et, malheureusement, nos partenaires commerciaux en sont les victimes. La confiance des Européens est sérieusement ébranlée. Nos consommateurs ne veulent tout simplement pas de produits transgéniques. C'est pourquoi, outre le fait que les consommateurs sont extrêmement bien organisés chez nous, les élus ont dû prendre certaines mesures. Certaines d'entre elles frisent l'illégalité, et nous sommes les premiers à le reconnaître.

Pour redonner confiance et rétablir le commerce, nous avons proposé une série de nouvelles lois. L'une d'entre elles a déjà été adoptée et devrait entrer en vigueur en octobre 2002. Elle concerne l'autorisation des OGM sur le marché. Quand elle a été adoptée, nous avons vu que certains de nos élus n'étaient pas tout à fait convaincus que les mesures prévues suffiraient pour réadmettre ces produits sur le marché. Par conséquent, nous leur avons demandé ce qu'ils souhaitaient. Ils ont réclamé un meilleur étiquetage. Nous proposons donc maintenant une nouvelle loi de l'étiquetage.

Nous avons mis beaucoup de mesures en branle, et nous espérons qu'elles seront jugées acceptables par les États membres et qu'elles rétabliront la confiance du public.

Pour en revenir au protectionnisme, j'ai dit que nous sommes le plus important importateur et exportateur. Si l'on se fie aux données statistiques, on constate que nous sommes les seuls à afficher un déficit commercial dans le secteur de l'agriculture, alors que le Canada et les États-Unis affichent un surplus.

Le sénateur Gustafson: Pour ce qui est des aliments transgéniques, on ne peut pas vendre ce que le consommateur refuse d'acheter. Par contre, tout rejeter d'emblée comporte peut-être un certain élément de risque. Tous les produits transgéniques ne se sont pas avérés bons. Si l'on veut que cette industrie ait un avenir, je parlerais plutôt d'«équilibre». La sécurité et la salubrité des aliments sont importantes, mais il est aussi très important d'avoir un équilibre.

Mme Smadja: Les responsables de l'Union européenne, par exemple le commissaire chargé de l'environnement, celui qui est chargé de la salubrité des aliments et de la protection des consommateurs, ne sont pas heureux de la situation actuelle. Il y avait un problème au départ, et il fallait revoir nos lois concernant les produits transgéniques qui étaient désuètes et donc critiquées. Nous les avons remises sur le métier, mais on continue d'avoir des réticences à l'idée d'autoriser à nouveau ces produits sur le marché.

Le problème est double. D'une part, certains des États membres de l'Union ont décidé de décréter un moratoire sur la présence des OGM sur le marché, bien qu'un certain nombre d'entre eux aient été autorisés. Par conséquent, il y a discrimination et paradoxe. Les OGM qui ont été adoptés sont sur le marché, et nul ne réclame leur retrait parce qu'ils ne portent pas l'étiquette. D'autre part, ils affirment ne pas vouloir approuver de nouveaux produits sur le marché tant que nous n'aurons pas en place une bonne loi de l'étiquetage. C'est un peu schizophrène comme réaction.

Le sénateur Gustafson: Quel impact auront les pays de l'Est qui ont demandé à faire partie du Marché commun européen et à quel rythme cet impact se fera-t-il sentir?

Mme Smadja: Vous parlez d'impact sur l'agriculture ou d'impact en général?

Le sénateur Gustafson: L'impact serait général, je crois.

Mme Smadja: Passer de 15 à 27 ou à 28 membres représente un bond énorme. Dans le passé, nous avons vécu de nombreux élargissements, mais ils n'engageaient jamais plus de trois membres à la fois. Voilà qu'en très peu de temps, l'Union va presque doubler. Il en va de même pour la population. L'Union européenne compte 7,3 millions d'agriculteurs. Quand tous les États membres auront accédé à l'Union, nous en aurons 10 millions de plus. Par conséquent, notre population d'agriculteurs aura plus que doublé durant la période visée par le budget. Que cela nous plaise ou pas, nous allons continuer de vouloir réduire le budget réservé au soutien de notre agriculture.

Cet élargissement de l'Union européenne est un événement historique, tant par son ampleur que par l'évolution politique ou économique des nouveaux venus. Sur le plan historique, il a un impact incroyable, car l'Union européenne en tant qu'entité politique ne coïncide pas avec la réalité géographique. Elle est toutefois appelée à le faire de plus en plus.

Cette nouvelle Europe, même si elle n'est composée que de 15 membres, est un important joueur sur la scène commerciale, sur la scène politique avec l'avènement d'une politique commune de sécurité et d'affaires étrangères et d'une politique européenne commune de sécurité et de défense. Elle n'aura pas d'armée, mais une force d'intervention rapide d'ici à 2003. Elle gagne non seulement en nombre, mais également en intensité, dans le nombre de politiques communes, voire uniques, qu'elle élabore, sans oublier, dans quelques jours, la monnaie unique. Il serait immodeste de ma part de dire que cet élargissement va changer le monde. Mais il changera effectivement le monde parce qu'on s'y est préparé et que les partenaires de la nouvelle Europe s'habituent sur la scène politique et commerciale à sa présence et qu'ils marchent en tandem avec elle.

L'élargissement placera l'Europe beaucoup plus au centre de nombreuses réalités. Les relations avec nos partenaires se feront beaucoup plus au niveau collectif qu'au niveau individuel. Par contre, les États membres devront toujours traiter de certaines questions individuellement. Par exemple, nous ne projetons pas d'adopter une politique commune de la culture. Par conséquent, le Canada continuera de passer des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni, la France, l'Espagne, l'Italie au sujet de certains aspects qui ne seront pas visés au niveau européen. Par ailleurs, chaque fois que l'Union européenne se dote d'une politique commune ou unique, nos partenaires devront traiter de plus en plus de cette question avec l'entité comme telle. Dans vos transactions avec l'Union européenne, vous allez réaliser des économies d'échelle.

Le marché unique sera plus grand. Il comptera un demi-milliard de consommateurs presque. Ce sera le plus grand marché au monde. Déjà, avec seulement 15 membres, le marché de l'Union européenne représente 370 millions de consommateurs. Il est déjà le plus grand marché unique. Avec l'élargissement, cette population grimpera à un demi-milliard. C'est tout de même impressionnant.

J'ignore quand cela se concrétisera. Dans le cadre du processus d'élargissement, nous avons prévu plusieurs critères rigoureux qui n'existaient pas lors des élargissements précédents et qui ont été dictés par le contexte économique et politique des pays demandeurs. Plusieurs critères ont rapport avec la démocratie, avec le respect des droits de l'homme, des droits des minorités et ainsi de suite, et ils concernent la capacité de ces pays à faire face à la concurrence au sein même de l'Union européenne. Nous voulons éviter que l'accession à l'Union ne provoque l'effondrement de ces pays. Cela ne servirait les intérêts de personne, y compris des nouveaux venus. Nous soutenons que la véritable accession aura lieu quand, tout d'abord, les négociations auront pris fin et que chaque demande d'accession aura été évaluée sur le fond.

Ce n'est un secret pour personne que certains des pays qui souhaitent accéder à l'Union européenne sont plus pressés que d'autres. Nous pouvons déjà repérer les premiers qui pourraient se trouver dans le Bloc de l'Est, des pays comme la Pologne, la Hongrie et peut-être la République tchèque. Ils pourraient accéder à l'UE dès 2004.

Le sénateur Gustafson: Un pays comme l'Ukraine a beaucoup de potentiel.

Le sénateur Smadja: Pour l'instant, l'Ukraine n'a pas présenté de demande. Nous sommes conscients que, lorsque nous conclurons les négociations sur l'accession avec 10 pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale, ainsi qu'avec Chypre, Malte et la Turquie peut-être, la composition géographique de l'Union pourrait poser problème. Si nous construisons cette zone de prospérité, de paix et de stabilité, en laissant de côté certains pays des Balkans, l'Ukraine et la Russie, il pourrait y avoir un problème. Nous avions écarté le Kosovo, entre autres. Pour l'instant, nous examinons le bloc géographique et, bien que nous n'ayons pas l'accession à l'esprit pour ces pays, bien qu'ils ne fassent pas partie de ceux que je viens de mentionner, nous avons décidé de leur proposer des rapports spéciaux pour qu'ils ne se sentent pas exclus. Ils ne feront pas partie de l'Union, mais ils seront admis dans le cercle intime de ses amis et partenaires. Par exemple, dans le cas de l'Ukraine, nous avons cherché et continuons de chercher à conclure un accord très spécial de partenariat qui prévoira, à la deuxième étape peut-être, un accord de libre-échange et qui, pour l'instant, est davantage axé sur des préférences commerciales, un dialogue politique et beaucoup d'assistance technique. Il en va de même pour la Russie avec laquelle on cherche à établir un partenariat très ferme et utile, de même qu'avec les Balkans.

Le sénateur Gustafson: À quel point le commerce entre les membres de l'Union européenne est-il strict?

Mme Smadja: Qu'entendez-vous par strict?

Le sénateur Gustafson: Quand un pays a quelque chose à vendre, les autres membres de l'Union européenne ont le premier choix, n'est-ce pas?

Le sénateur Smadja: Il existe un traitement préférentiel au sein de l'Union.

Le sénateur Gustafson: Vous projetez d'étendre ce privilège dans une certaine mesure à l'Ukraine, à la Pologne et à d'autres pays?

Mme Smadja: Ce ne sera pas tout à fait le même traitement, mais nous leur accorderons effectivement un traitement préférentiel. Le Canada souhaite avoir un régime de traitement préférentiel avec les Amériques. C'est normal puisque ce sont ces voisins. Il faut qu'il donne un petit quelque chose à ses voisins, mais peut-être moins que ce qu'il accorderait à un membre de la famille.

L'élargissement de l'Union européenne représente aussi une occasion en or pour le Canada, parce que vous entretenez déjà de nombreux rapports avec ces pays. Plusieurs d'entre eux ont aussi une communauté ethnique au Canada. Le gouvernement examine cet élargissement et cherche à anticiper certaines possibilités dont le Canada pourrait profiter. Il faudrait que vous le voyiez comme une occasion à saisir. Vous disposerez d'un plus grand marché, et j'espère que vous saurez en tirer avantage.

La présidente suppléante: Madame Smadja et messieurs Musquar et Kingston, je vous remercie. Le dialogue a certes été profitable.

La séance est levée.

 


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