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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 25 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 4 décembre 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour étudier le commerceinternational des produits agricoles et agroalimentaires ainsi que les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et de l'industrie agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.

Le sénateur Jack Wiebe (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Nous allons commencer la séance. Je dois demander à nos témoins de nous excuser; nous sommes un peu en retard ce soir.

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts est chargé d'étudier le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires ainsi que les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et de l'industrie agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.

Deux témoins vont paraître devant nous ce soir; ils représentent le Réseau canadien des agricultrices, dont la présidente est venue nous parler, et Statistique Canada.

Madame Brown, vous pouvez commencer votre exposé. Ensuite, je suis sûr que plusieurs sénateurs aimeraient vous poser des questions.

Mme Judy Brown, présidente, Réseau canadien desagricultrices: Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs. Je m'appelle Judy Brown et de suis la présidente du Réseau ontarien des agricultrices, qui est affilié au Réseau canadien.

Je tiens sincèrement à remercier le Comité sénatorial d'avoir donné à notre organisation la possibilité de lui présenter ses vues sur la situation des collectivités rurales du Canada. Je veux aussi remercier M. Charbonneau, le greffier du comité, pour l'encoura gement et l'aide qu'il nous a donnés en vue de la préparation de cet exposé.

Les collectivités rurales du Canada sont actuellement assujetties à des règlements fédéraux, provinciaux, municipaux et sectoriels que l'agriculteur canadien moyen est incapable de contrôler. L'agriculture a changé; elle est devenue une industrie rurale dont l'influence économique est dynamique. Le temps des visites nostalgiques à la ferme des grands-parents est largement révolu; de nos jours, avec les progrès technologiques modernes, l'industrie rurale a besoin d'immobilisations toujours croissantes qui dépassent sa capacité de remboursement, et le nombre de femmes qui gèrent des fermes a augmenté, lui aussi.

La concurrence internationale et le commerce mondial ont influé sur notre industrie en rendant le marché hostile aux petits agriculteurs canadiens moyens. Les économies du tiers monde se servent maintenant de la technologie et des produits nord-américains pour produire des céréales en quantités qui influent directement sur la structure de prix dictée par les grandes entreprises multinationales.

Les agriculteurs qui commercialisent leurs propres produits ne devraient pas être contraints à avoir recours à des offices de commercialisation et à leur verser des droits s'ils vendent leurs propres produits chez eux.

Les industries agricoles canadiennes ont besoin qu'on établisse efficacement un contexte financier stable pour soutenir leur croissance en cette période de changement. La gestion des nutriments et la responsabilisation environnementale sont des mesures légitimes, quoique coûteuses à mettre en 9uvre et à maintenir. Des règlements conçus pour créer une industrie de la production de nourriture plus sûre et plus responsabilisée ont imposé à la collectivité agricole des immobilisations qui ont résulté en des coûts d'intrants excédant la viabilité financière des fermes. Quand ces deux facteurs singuliers se combinent, seules les grandes exploitations agricoles peuvent survivre, grâce aux avantages fiscaux dont elles bénéficient. La difficulté inhérente à cette situation, c'est que l'agriculture canadienne a traditionnelle ment été basée sur des fermes familiales où l'on se succédait de génération en génération.

Quand de jeunes agriculteurs tentent de se lancer dans l'agriculture, c'est l'éclatement des familles qui les menace s'ils font partie d'une grande exploitation; quand ils sont livrés à eux-mêmes, ils doivent rivaliser avec d'autres membres de leur famille pour acquérir la ferme qu'ils veulent.

Les coûts additionnels des salaires versés pour tenir la comptabilité de ces entreprises agricoles ne sont pas souvent recouvrés dans l'exploitation. Il faut que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour faire en sorte que les jeunes de notre pays puissent continuer dans l'agriculture sans craindre que Revenu Canada et les institutions financières ne les obligent à quitter leur ferme parce que leur bilan aurait été examiné par des comptables qui ne comprennent pas l'agriculture.

Aujourd'hui, nos jeunes, dynamiques et instruits, sont cons cients des difficultés et des défis de l'agriculture; ils s'interrogent sur son avenir. Avec leur instruction, ils savent additionner et soustraire. Ils n'arrivent pas à obtenir une réponse qui soit favorable à l'agriculture et veulent la quitter. Clairement, en notre qualité de parents, nous avons la responsabilité de trouver des solutions afin de corriger cette situation non seulement pour nos enfants, mais aussi pour les autres jeunes qui ont de l'ambition et désirent devenir agriculteurs. Il faudrait créer des stimulants fiscaux pour encourager les jeunes agriculteurs qui se lancent dans l'agriculture avec l'engagement nécessaire pour être dans le secteur.

L'éducation et la formation nécessaires aux jeunes qui deviennent agriculteurs aujourd'hui devraient être considérées autant comme un investissement dans l'agriculture que n'importe quel autre coût d'exploitation. Ça m'a coûté 10 000 $ par année pour envoyer mes fils à l'Université de Guelph et c'était de l'argent bien dépensé, à mon avis. Ils ont maintenant ce qu'il faut pour avoir accès à l'information et à la technologie et pour s'en servir, alors que bien d'autres agriculteurs plus âgés n'ont jamais été capables de se tenir à jour. Il est vraiment de l'intérêt des collectivités rurales du Canada d'encourager la jeunesse agricole de notre grand pays.

Pour que nous puissions être compétitifs comme nation sur le marché planétaire, nous devons être informés et prêts à affronter les changements et les situations que l'avenir nous réserve afin de conserver notre viabilité en tant qu'agriculteurs. La structure de prix mondiale d'aujourd'hui sape l'esprit d'entrepreneuriat néces saire à l'innovation et à la croissance. Les pays aussi bien que les grandes entreprises trafiquent les prix et ont recours au dumping pour éliminer la concurrence. Les Canadiens doivent envisager des incitations à acheter canadien. Le système scolaire canadien devrait offrir un meilleur enseignement dans le domaine de l'agriculture et de la production de nourriture. Nous avons la nourriture la plus saine du monde, mais nous devons appuyer notre industrie.

Les effets à court terme de l'importation de produits alimentaires qui ne sont pas assujettis au même contrôle et aux mêmes lignes directrices rigoureuses que nos produits canadiens équivalents nous permettent certainement d'avoir une source de produits stable, mais, à long terme, cette approche est défavorable aux agriculteurs canadiens, en raison des coûts d'intrants et des coûts d'immobilisation nécessaires pour être un producteur agricole au Canada. On peut le constater maintes fois dans les secteurs de la production porcine, fruitière, légumière et céréaliè re.

Les programmes fédéraux et provinciaux créés pour venir en aide à la communauté agricole sont difficiles d'accès pour les agriculteurs canadiens. Les programmes existants sont souvent enterrés sous des masses de lignes directrices bureaucratiques qui créent de véritables cauchemars comptables. Nous devons vraiment nous efforcer de simplifier le système insatisfaisant de communication de l'information à l'agriculteur canadien et aux comptables responsables de l'administration et de l'utilisation de ces programmes.

La fermeture des bureaux du ministère ontarien de l'Agricultu re, de l'Alimentation et des Affaires rurales, l'OMAFRA, a créé un vide dans l'industrie. Ces bureaux faisaient le lien entre le gouvernement et les agriculteurs. Avec leur fermeture, l'informa tion et les services traditionnellement gérés par ce ministère ont été retirés du jour au lendemain aux collectivités rurales. Par conséquent, les agriculteurs âgés ne savaient plus très bien vers qui se tourner. Les jeunes agriculteurs, eux, sont disposés à aller plus loin pour trouver les réponses. Ils ont besoin d'un endroit où aller chercher des conseils et de l'aide sur des questions précises et pratiques.

J'ai récemment rencontré un producteur de porcs local du comté de Middlesex qui avait essayé d'avoir accès à l'aide financière du Programme d'aide agroglobale de l'Ontario. Il avait été incapable de trouver un comptable qui connaisse assez bien l'information requise pour pouvoir déterminer s'il était admissible au programme et comment il pouvait se qualifier pour en bénéficier. Il faut de toute évidence mieux informer les comptables en ce qui concerne les entreprises agricoles.

Les administrations fédérales et provinciales ont déjà un mécanisme qui pourrait gérer de façon efficiente les programmes d'aide financière. La création d'une nouvelle entité n'est pas nécessaire. Le Compte de stabilisation du revenu net - le CSRN - et AgriCorp sont des organismes bien connus en Ontario qui disposent déjà des statistiques agricoles et des renseignements pertinents nécessaires à une administration efficace des program mes gouvernementaux.

Ces programmes devraient être appuyés dans tout le pays, pas juste en Ontario. Le programme du CSRN, à titre de programme de stabilisation du revenu, a déjà l'information et les budgets d'aide financière nécessaires. Logiquement, avant que les agriculteurs puissent avoir accès à d'autres deniers publics, il faudrait qu'ils aient déjà épuisé les crédits que le gouvernement a alloués à leurs comptes. Cette approche contribuerait à empêcher les agriculteurs prospères et les exploitants de grosses entreprises agricoles d'obtenir de l'aide à plus d'une source et d'avoir de gros comptes au CSRN, grâce aux services de comptables compétents.

L'administration d'AgriCorp, en sa qualité d'organisme respon sable de l'assurance-récolte et du revenu du marché, a l'informa tion nécessaire pour administrer et contrôler efficacement les programmes gouvernementaux afin d'assurer une répartition équitable de l'aide financière de l'État. L'assurance-récolte et le revenu du marché sont des mesures d'aide distinctes qu'il ne faudrait ni saper, ni éliminer en mettant en 9uvre des programmes à court terme d'aide d'urgence. Des agriculteurs qui décident de ne pas avoir recours aux programmes d'aide seraient plus enclins à y participer si l'aide financière était répartie équitablement.

Tous ceux qui ont 9uvré dans le secteur agricole ces dernières années se rappelleront le dilemme du comté de Huron, qui était aux prises avec les conséquences agricoles et géopolitiques de la propriété des fermes par de grandes entreprises. Des municipalités entières de ce comté ont souffert quand famille après famille a été détruite et que des familles entières d'agriculteurs ont été déplacées. Les grandes entreprises agricoles ne font pas bon ménage avec les municipalités rurales en santé; elles risquent d'ailleurs de quitter la région aussi rapidement qu'elles s'y sont installées, pour peu que leurs avantages économiques changent.

À la Conférence du Réseau ontarien des agricultrices,l'allocution d'Helene Cummins, qui enseigne à l'Université Western Ontario, m'a fait enfin comprendre le lien émotionnel des agriculteurs avec leurs terres, ce lien qui fait supporter de grandes difficultés financières aux familles pour garder leur ferme. Ce serait impossible dans le monde des grandes entreprises. Les familles agricoles stabilisent leur collectivité par la participation communautaire, car un des conjoints travaille localement pour exploiter d'autres entreprises agricoles afin d'accroître le revenu familial et de contribuer à payer les coûts de fonctionnement, l'hypothèque ou les prêts d'achat d'équipement.

Pour aider les agriculteurs, vous pouvez offrir de la formation aux femmes ou aux hommes qui veulent travailler hors de la ferme. Les agricultrices ne sont pas les seules à avoir des emplois à l'extérieur. Parfois, ce sont les hommes qui travaillent ailleurs pendant que les femmes exploitent la ferme. En général, les agriculteurs sont indépendants et compétitifs. Traditionnellement, au moins du point de vue commercial de leur exploitation, ils préfèrent rester indépendants.

Quand on privilégie la sécurité d'un secteur de l'agriculture, on sacrifie les autres. Par exemple, les producteurs laitiers bénéficient d'un système de contingents bien défini et d'une stabilité relative de leurs revenus tandis que les producteurs de cultures commer ciales perdent leurs terres en raison des prix mondiaux des aliments et des conditions météorologiques imprévisibles. Cela dit, il est tout aussi vrai que les exigences écologiques qu'on impose à l'industrie laitière font chuter les revenus de ses producteurs. Il faut donc éviter de transposer une politique d'aide quelconque en gros versements d'argent dans l'immédiat, en étalant plutôt les versements de façon à aider les agriculteurs à gérer leurs dépenses.

Les agriculteurs qui ont bénéficié de la stabilité économique d'un système de contingents sont maintenant dans une situation plus favorable que leurs collègues d'autres secteurs agricoles comme les producteurs de b9uf, de fruits et de cultures commerciales. Ceux dont le revenu est stable achètent d'autres fermes en se servant de cette superficie accrue pour acquérir de plus gros contingents. Bien sûr, ceux qui ont cette sécurité financière ont tous hérité de leurs contingents ou les ont achetés très tôt; ce ne sont pas les jeunes agriculteurs qui ont dû les acheter.

Nous savons aussi que de jeunes agriculteurs de l'étranger viennent s'établir ici et reçoivent de l'argent de l'extérieur du pays. Il est difficile pour nos jeunes agriculteurs canadiens de rivaliser avec eux. Quand elles n'ont plus d'argent, nous avons eu de nombreux cas, dans notre région, où ces exploitations ont fait faillite.

J'espère sincèrement que nous n'allons pas encore laisser les industries agricoles devenir des dangers pour l'environnement en ne contrôlant ni leur croissance, ni le respect de leurs responsabi lités avant que le dommage ne soit fait. Les agriculteurs qui ont un lien émotionnel avec la terre où ils élèvent leur famille deviennent de bons gardiens du sol et respectent l'environnement. Tout ce qu'un agriculteur veut, c'est gagner assez d'argent grâce à ses produits pour vivre et pour subvenir aux besoins de sa famille. En tant que Canadiens, nous nous devons de préserver et de protéger notre secteur agricole.

L'empiétement urbain constant dans des zones de terres agricoles en culture de première qualité a mené à l'intrusion du mode de vie urbain dans les localités rurales. Des exploitations naguère en production servent maintenant de lieu de résidence. Les granges sont détruites et la terre est louée pour arrondir les revenus des propriétaires. La ferme familiale a dû vendre sa terre, parce que les charges fiscales toujours croissantes et la baisse des revenus ont entraîné l'urbanisation des zones rurales. La valeur accrue des terres en fonction de leur proximité du secteur aménagé d'une agglomération urbaine quelconque a rendu difficilement rentable l'exploitation d'une ferme dans ces régions. Dans certaines villes, les charges fiscales ont augmenté de 100 p. 100 en raison des évaluations à la valeur marchande et non des taux d'imposition: on évalue des résidences agricoles et on les impose au taux des résidences urbaines, ce qui constitue un autre abus fiscal des villes. Les citadins aiment la campagne, mais ils détruisent souvent les fermes familiales en faisant supporter des frais judiciaires à des agriculteurs qui cherchent à cultiver la terre, puisqu'ils intentent des poursuites contre eux.

Le Ontario Farm Women's Network administre actuellement un service qu'il appelle la Ligne de la ferme et qui reçoit 60 p. 100 de ses appels d'hommes et 40 p. 100 de femmes. Les hommes réclament en priorité des renseignements financiers, tandis que les femmes veulent de l'aide pour bien gérer en raison de l'éclatement de la cellule familiale précipité par la maladie résultant du stress. Ces gens-là perdent leurs conjoints à la maison. Le secteur agricole est actuellement en équilibre instable. De piètres récoltes saisonnières coup sur coup et les bas prix des denrées de base ont poussé des fermes familiales habituellement stables au bord du gouffre. Le fardeau des prêts de fonctionne ment s'alourdit après des années successives de règlements de plus en plus contraignants et de bas prix.

Les agriculteurs ont besoin d'allégements fiscaux. Les effets d'un simple allégement fiscal sont multiples. Les agriculteurs qui ont de l'argent le dépensent, et les dollars dépensés stimulent l'économie; l'économie stimulée croît et génère des dollars pour le fisc. À mon humble avis, le temps est venu d'autoriser des crédits d'impôt intégraux pour les dépenses consacrées à des choses comme les études collégiales des jeunes agriculteurs et le remboursement des prêts étudiants de ceux qui 9uvrent dans le secteur agricole. Faites-les rembourser, mais donnez-leur un crédit d'impôt à ce titre. Il faut créer des incitatifs. Les abris fiscaux, comme l'élimination des taxes d'homologation des testaments d'agriculteurs, protégeraient les successeurs qui ont décidé de reprendre la ferme familiale, d'élever des enfants et d'assurer la survie de l'industrie. Les dégrèvements de taxes de vente provinciale et de TPS dans le secteur agricole pendant une période de cinq ans généreraient des milliards de dollars pour une croissance soutenue.

La création d'une carte d'identité agricole distribuée par les fédérations provinciales de l'agriculture rendrait possible le suivi d'une telle carte à peu près exactement comme une carte bancaire; ce serait avantageux pour les agriculteurs. Un mécanisme comme celui-là permettrait au gouvernement et aux agriculteurs de gagner bien des heures et d'économiser les montagnes de papier qu'on utilise actuellement pour administrer les programmes et les dégrèvements fiscaux. Pour le gouvernement, l'avantage serait de pouvoir obtenir des données en profondeur en compilant les dépenses agricoles sur cette période de cinq ans.

Les allégements fiscaux seraient très avantageux pour la santé du secteur agricole. Réduire de 15 p. 100 la charge fiscale de tous les agriculteurs rendrait très alléchante l'idée d'exploiter une ferme viable. Les agriculteurs actuellement inscrits et ceux qui leur succéderaient seraient encouragés à s'inscrire et, partant, à appuyer leurs fédérations.

Enfin, j'aimerais vous parler de quelque chose par où nous passerons tous à un moment ou l'autre, la retraite. L'agriculteur traditionnel travaille jusqu'à ce qu'il meure. Sa pension, c'est sa terre. Comme je le disais tout à l'heure en parlant de nos jeunes qui veulent continuer à travailler dans l'agriculture et que je parlais d'une exemption des droits d'homologation pour les successeurs, il faut qu'on cesse de devoir emprunter des sommes énormes pour hériter d'une ferme familiale. Ceux et celles d'entre nous qui sont disposés à consacrer les longues heures de dur travail - et je dirais même de travail sale - qu'il faut pour être agriculteurs sont de plus en plus rares. On devrait éliminer les droits d'homologation des testaments dans le cas des fermes léguées à des successeurs, pourvu que le légataire continue à exploiter la terre pendant une période prédéterminée.

En conclusion, je répète qu'il faut assurer la stabilité du revenu pour que ceux qui veulent devenir agriculteurs puissent avoir les moyens de supporter un endettement excessif. Les jeunes Canadiens doivent être encouragés à rester dans l'agriculture grâce à des incitatifs ou à des programmes conçus à cette fin. L'éducation de nos jeunes est primordiale pour assurer le progrès et la stabilité du secteur agricole.

Les consommateurs canadiens doivent être sensibilisés et encouragés à acheter canadien. Le gouvernement doit s'efforcer davantage de rendre ses programmes plus accessibles et plus conviviaux pour l'agriculteur moyen. Le recours aux programmes gouvernementaux existants devrait simplifier et permettre de gérer efficacement l'aide financière de demain. L'utilisation d'une carte agricole rendrait possible un suivi efficace des dépenses agricoles pour une période donnée, en étant associée à des allégements fiscaux. Les structures de droits de succession et de droits d'homologation devraient être éliminées pour ceux qui continuent à exploiter les fermes dont ils héritent.

Je remercie encore votre Comité d'avoir pris le temps d'entendre mon point de vue et de m'avoir invitée à partager mes réflexions avec vous en tant que représentante du Réseau des agricultrices.

Le sénateur Hubley: Vous êtes la bienvenue chez nous, madame Brown. Je dois dire que vous avez présenté un très bon rapport. Vous avez traité de nombreuses questions avec lesquelles les familles agricoles et les agriculteurs doivent composer aujourd'hui.

Pouvez-vous nous parler un peu du Réseau des agricultrices? Est-il représenté dans chacune de nos provinces?

Mme Brown: Quand nous avons notre conférence canadienne, il y a des participantes de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan - je ne me rappelle pas qui est la déléguée du Manitoba, mais il y en a une - de l'Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle- Écosse et de Terre-Neuve. Le Réseau couvre à peu près tout le pays.

Le sénateur Hubley: C'est merveilleux. Je viens del'Île-du-Prince-Édouard, et j'étais à peu près sûre que nous avions un Réseau des agricultrices. Nous avons aussi l'Institut féminin. Je pense que c'est une organisation s9ur.

Mme Brown: Oui.

Le sénateur Hubley: Vos observations sur l'éducation et sur les mesures que nous devrions prendre pour encourager les jeunes à rester dans l'agriculture m'ont intéressée. Vous avez parlé d'allégements fiscaux et de mesures du genre.

Est-ce qu'une grande partie de l'information que vous nous avez présentée aujourd'hui l'a été aussi à vos rencontres annuelles dans tout le pays? Est-ce le cas?

Mme Brown: Avec notre conseil d'administration, nous avons présenté cette information au gouvernement de l'Ontario. Nous avons aussi présenté des questions qui avaient été soulevées à notre conférence canadienne.

Le sénateur Hubley: Depuis quand votre organisationexiste-t-elle?

Mme Brown: Elle a commencé en 1981.

Le sénateur Hubley: Elle a environ 20 ans. Avez-vous constaté de nombreux changements dans l'agriculture? Quel est le problème le plus pressant? Serait-ce d'obtenir un prix équitable pour ce qu'on produit à la ferme? Est-ce tout le changement de ce qu'est une ferme, aussi bien sa taille que le travail très dur qu'il faut faire pour la conserver? Qu'est-ce que les agricultrices considèrent comme le problème le plus pressant?

Mme Brown: Le plus gros problème, c'est de garder les jeunes dans l'agriculture. Bien des agriculteurs vieillissants veulent que leurs enfants ou d'autres jeunes reprennent leur ferme, mais ils ne savent pas comment s'y prendre.

Le sénateur Hubley: Avez-vous dans d'autres parties du pays des organisations comme les cercles 4-H?

Mme Brown: Nos membres siègent à des comités decercles 4-H et des Instituts féminins. Toutefois, nous exigeons que nos membres soient des agricultrices travaillant dans une ferme. Les Instituts féminins regroupent bien plus de femmes.

Le sénateur Hubley: Je m'intéresse à savoir comment les organisations de jeunes s'en tirent. Les jeunes participent-ils aux activités de ces organisations en grandissant?

Mme Brown: Ces groupes perdent des membres. Les Jeunes agriculteurs marchaient très fort quand j'étais jeune - il y a des années -, mais maintenant, ils ont du mal à garder leurs membres. L'Université de Guelph enseigne à beaucoup d'étu diants en agronomie, et elle affirme que la majorité d'entre eux vont travailler dans l'agriculture. Pourtant, quand je parle à des parents, beaucoup d'entre eux me disent que leur fils ou leur fille reviennent de là dans l'intention de cultiver la terre, mais que quand ils font leurs calculs et se rendent compte que ce n'est pas payant, ils s'en vont.

Le vice-président: Vous avez parlé dans votre mémoire de la Ligne de la ferme où les agriculteurs peuvent obtenir des conseils de gestion. Cette Ligne est-elle financée par le gouvernement de l'Ontario?

Mme Brown: C'est le Réseau ontarien des agricultrices qui gère la ligne; c'est une organisation de bénévoles. Pour trouver des fonds, nous réalisons des projets. Nous avons habituellement de l'aide financière du gouvernement provincial pour nos projets agricoles. La Fédération de l'agriculture de l'Ontario, la FAO, nous a donné un peu d'argent, et la Société du crédit agricole nous en a donné aussi. Nous présentons des demandes d'aide financière.

Le vice-président: Avez-vous un service de counselling pour aider ceux qui souffrent de stress, et ainsi de suite?

Mme Brown: Nous avons un psychologue de service. Nous avons quelqu'un qui répond au téléphone, au bureau du psychologue.

Le vice-président: Dans ma province, la Saskatchewan, le gouvernement provincial exploite ce qu'on appelle la Farm Stress Line.

Mme Brown: Oui, c'est le même principe.

Le vice-président: Avez-vous des statistiques sur la fréquence des appels? Est-elle à la hausse ou à la baisse? Combien d'appels avez-vous où il est question de suicide, d'éclatement du noyau familial ou de mauvais traitements du conjoint?

Mme Brown: Notre ligne ne fonctionne que depuis un an. Dans 62 cas, nos correspondants nous ont appelés plus d'une fois. Les appels dits de counselling sont classés selon leur nature. À notre dernière réunion du conseil, on a dit qu'il y avait eu plus d'appels de femmes dont les conjoints souffraient de maladies mentales ou liées au stress et les laissaient mener l'exploitation toutes seules. Elles étaient en partenariat et ne savaient pas comment gérer l'autre moitié du partenariat. Elles avaient des problèmes de gestion et c'est pour ça qu'elles demandaient de l'aide.

Le ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales de l'Ontario, l'OMAFRA, avait dans le passé un programme merveilleux qu'on appelait le programme agricole des conseillers familiaux. Je sais que des gens ont eu de l'aide de ce programme qui n'existe plus. Nous avons perdu de bons programmes. La situation a été difficile pour certains agriculteurs, mais ils s'adaptent maintenant. Ils peuvent être obligés d'aller plus loin, et les agriculteurs n'aiment pas beaucoup se rendre en ville.

Le vice-président: Vous ne pourrez peut-être pas répondre à cette question, mais quelle serait la taille moyenne des fermes de vos membres?

Mme Brown: Nous n'avons pas beaucoup de membres en bonne et due forme dans notre conseil ou dans le Réseau des agricultrices. Nous coiffons toutes les petites organisations communautaires ou de comté. Nos membres viennent de ces petits groupes-là. Les gens qui appartiennent à ces petits groupes n'appartiennent pas nécessairement à notre réseau, mais nous les coiffons. Ils peuvent venir nous demander de l'aide. À l'occasion, c'est nous qui allons les voir.

Le vice-président: Vous avez déclaré que les agriculteurs doivent payer des droits aux offices de commercialisation s'ils vendent leurs produits chez eux. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Mme Brown: Quand on produit du blé ou des fèves soja, l'office de commercialisation perçoit des droits au moment de la récolte. Même ceux qui veulent vendre leur récolte à titre privé paient des droits à raison de tant par boisseau. Je n'ai pas les chiffres sous la main.

Le vice-président: Les modalités de commercialisation sont gérées par l'office. C'est bien ça? Vous lui payez des droits pour s'occuper de l'opération.

Mme Brown: C'est exact.

Le vice-président: Vous envoie-t-il un chèque ou recevez-vous un chèque de l'acheteur?

Mme Brown: C'est l'office de commercialisation qui émet le chèque.

Le vice-président: La démarche ressemble assez à celle de notre Office canadien du blé et au système de la côte Ouest.

Mme Brown: Oui. Cette année a été assez bonne pour le blé en Ontario. Toutefois, quand nous avions du blé très humide atteint par le fusarium, une grande partie était impropre à la consommation humaine. Dans certaines régions, comme aux alentours du comté de Peterborough, il y avait du blé d'excellente qualité. Ces agriculteurs-là n'ont pas touché un cent de plus pour leur blé que ceux qui avaient du mauvais blé. Ce n'est tout simplement pas juste. Dès qu'on a recours à un office de commercialisation, on perd le choix de commercialiser son produit et de fixer soi-même son prix. Les offices de commerciali sations sont merveilleux quand on veut vendre ses produits à l'étranger, parce que l'agriculteur moyen ne peut pas faire cette démarche-là. D'une façon ou d'une autre, c'est l'agriculteur qui devrait avoir le contrôle de sa récolte.

Le vice-président: Parlez-vous des offices de commercialisa tion qui s'occupent des grandes cultures? Vous ne parlez pas de l'Office de commercialisation du lait ou des offices de commer cialisation du poulet ou des 9ufs.

Mme Brown: Vous parlez des offices qui fonctionnent avec des contingents?

Le vice-président: Oui.

Mme Brown: J'ai passé de nombreuses heures à interroger des agriculteurs de différentes régions, parce que je ne suis plus dans la production laitière. J'ai grandi dans une ferme de vaches laitières que mon père a vendue quand le système de contingents a été instauré. C'était son choix. J'en avais eu assez et je ne voulais pas travailler dans le domaine. Maintenant, je sais que de jeunes agriculteurs aimeraient donner de l'expansion à la ferme laitière de leurs parents, mais ils ne peuvent pas se payer les contingents, alors que leurs parents ont beaucoup d'argent. S'ils avaient le contingent d'emblée sans être obligés de l'acheter, tout irait bien. Pourtant, beaucoup d'entre eux ont dû emprunter pour acheter un plus gros contingent et ça leur cause des difficultés financières aussi. Je ne sais pas quelle est la solution. Au moins, les calculs comptables leur rapportent un peu d'argent, parce que ça doit entrer en ligne de compte dans le montant qu'ils touchent. Nous devons être équitables pour tous les secteurs agricoles. D'une façon ou d'une autre, nous devons assurer la stabilité des autres secteurs pour que la concurrence dans le secteur agricole reste équitable.

Mon frère dit que les producteurs de cultures commerciales ne travaillent pas tout le temps. Je fais des cultures commerciales et je suis allée aux études pour essayer d'apprendre tout ce qu'on savait sur les nouveaux produits, les nouvelles formules de pulvérisation, les nouvelles semences, la nouvelle technologie. Quand on veut rester au courant de tout ça, il faut quitter l'exploitation pour en avoir le temps.

Le vice-président: Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Johnson: Pourriez-vous me dire si des femmes autochtones sont membres du Réseau canadien des agricultrices?

Mme Brown: Je n'en suis pas sûre parce que je ne demande pas à mes membres s'ils sont Autochtones.

Le sénateur Johnson: Il y a beaucoup de femmes autochtones dans les régions rurales du Canada. Je me demande si elles participent aux activités générales de votre réseau.

Le sénateur Tkachuk: Il n'y en a pas dans l'agriculture.

Le sénateur Johnson: Elles ne sont pas dans l'agriculture rurale, mais elles habitent dans les régions rurales du Canada.

Mme Brown: Pour être honnête, je dois dire que je ne le sais vraiment pas, mais je vais essayer d'obtenir ce renseignement pour vous.

Le sénateur Tunney: Je vous remercie d'être venue nous parler et je vous remercie aussi pour le travail que vous avez consacré à votre rapport.

Le Réseau canadien des agricultrices a commencé en 1981. Vous rappelez-vous quand les taux d'intérêt sont passés de 6 p. 100 à environ 22 p. 100? Pour les cultivateurs qui n'avaient pas de taux d'intérêt gelé, c'était horrible. C'est ce qui a mené à la création du Réseau des agricultrices.

C'est cette situation-là aussi qui a mené au programme de conseils à la famille agricole. Ce programme n'existe plus, mais il a été repris par un programme fédéral qu'on appelait le Bureau d'examen de l'endettement agricole. Vous devriez en savoir davantage sur ce service, parce qu'il était extrêmement utile. On l'appelle maintenant le Service de médiation en matière d'endet tement agricole.

Mme Brown: J'ai parlé avec quelqu'un du Bureau à ce sujet.

Le sénateur Tunney: Il y a un bureau de ce service dans chaque province, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique. Il a eu un grand succès en aidant des agriculteurs voués à la destruction. Il a eu du succès aussi en aidant des agriculteurs à sortir de l'agriculture, quand c'est la meilleure solution pour eux.

J'ai travaillé à ce Bureau pendant quelques années, et c'est pour cette raison que j'y suis si favorable. Ce serait extraordinaire si vous aviez quelqu'un qui pourrait se familiariser davantage avec le Bureau. Incidemment, de nombreux agriculteurs, banquiers et conseillers financiers ne savent pas qu'il existe. C'est un de ses défauts. On n'y fait pas assez souvent appel et il n'est pas suffisamment connu.

Votre rapport est passablement déprimant. Je sais qu'il y a beaucoup de mauvaises nouvelles, mais il y en a des bonnes aussi.

Vous savez peut-être que 80 p. 100 de la nourriture produite au Canada l'est par 20 p. 100 des agriculteurs. Bien d'autres agriculteurs produisent moins de nourriture, mais ils sont beaucoup plus nombreux, c'est certain. Quand 20 p. 100 des agriculteurs produisent 80 p. 100 de notre nourriture, il faut qu'il y ait bien d'autres agriculteurs qui en produisent en petites quantités. Leurs fermes ne sont pas viables, mais c'est peut-être parce que ces gens-là ont choisi un tel mode de vie et qu'ils ont peut-être une autre source de revenus.

Pensez-vous que votre organisation va grandir, devenir plus petite ou rester de la même taille? Est-elle aussi active que vous aimeriez qu'elle le soit?

Mme Brown: J'aimerais qu'elle grandisse, bien sûr.

Avant d'ajouter autre chose, je tiens à vous dire que nous avons fait 38 renvois au Service de consultation agricole, avec 13 autres au Service de médiation en matière d'endettement agricole et 36 au centre de ressources d'OMAFRA, pour des gens qui avaient besoin d'aide. Nous connaissons bien ces organisations.

Le sénateur Tunney: Ces renvois sont pour l'ensemble du Canada?

Mme Brown: Non, pour l'Ontario seulement, parce que je n'ai pas de statistiques sur les autres lignes d'aide. Je viens juste de recevoir ces données.

Quant à votre question sur notre organisation, nous sommes des bénévoles et notre capacité d'action est limitée. Notre travail nous dicte souvent quand nous pouvons être là. L'Ontario est une grande province où les distances sont longues, mais nous avons des représentants dans toute la province et dans tous les secteurs de l'agriculture. Les questions qui nous intéressent correspondent essentiellement aux problèmes des familles agricoles. Ce sont des familles agricoles que nous nous occupons. Actuellement, nous considérons que nos jeunes sont indispensables pour aider les fermes à continuer. Les jeunes ont besoin d'un programme d'aide conçu pour eux.

Le sénateur Tunney: Certains de nos jeunes les plus brillants et les plus travailleurs viennent d'établissements d'enseignement à Guelph, à Kemptville et à New Liskeard. La plupart d'entre eux seront de bons agriculteurs.

Le vice-président: Madame Brown, je vous remercie beau coup d'avoir accepté de comparaître devant nous ce soir. Nous vous en sommes sincèrement reconnaissants. Je tiens à faire écho à l'observation du sénateur Tunney en disant que vous avez certainement consacré beaucoup de travail à votre exposé et à votre mémoire. Nous vous remercions beaucoup.

Notre prochain témoin est de Statistique Canada. Il a bien des chiffres pour nous. Monsieur Bollman, je vous souhaite la bienvenue à notre comité.

M. Ray Bollman, chef, Section de la recherche et de l'analyse, Statistique Canada: Je suis heureux d'être ici et je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter de l'information sur le Canada rural.

Mon exposé est basé sur un autre que j'ai donné en juillet 2001 à l'Institut agricole du Canada, où l'on m'a proposé de prendre le pouls du Canada rural en partant de ses forces. J'espère que vous comprendrez que je n'ai pas préparé toute cette documentation moi-même. Certains de mes collègues de Statistique Canada sont avec moi pour veiller à ce que j'interprète correctement leurs données.

Je suis heureux aussi que ma fille soit présente. Elle remarquera si je réponds aux questions ou pas.

C'est un défi de prendre la parole après Mme Brown. J'ai grandi sur une ferme que j'ai heureusement quittée avant qu'on n'invente ces énormes moissonneuses-lieuses. Je n'ai jamais pu découvrir comment soulever ces grosses balles de foin, que ce soit par les jours les plus chauds de l'été ou les plus froids de l'hiver. Comme je travaille actuellement dans une région rurale de la Saskatchewan, je suis de retour en milieu rural.

Mon exposé est structuré en fonction des forces. Le Canada rural passe d'une force d'expansion démographique et d'une force fondée sur les secteurs des ressources ainsi que sur une force manufacturière à une force manufacturière aussi, à une force fondée sur l'identité autochtone, à une force de ruralité et à une force de cohésion communautaire.

Je vais commencer par la force d'expansion démographique. Avant la Confédération, 80 p. 100 de la population du Canada vivait dans des localités de moins de 1 000 habitants. Ce n'est pas ma définition préférée de ce qu'on entend par «rural». C'est une définition qui vient de notre histoire. Avec le temps, les deux populations, la rurale et l'urbaine, ont augmenté. Vers 1966, la population rurale a baissé un peu, mais elle a augmenté encore en 1976. Si l'on entend par «rural» l'idée d'une région ou de localités comptant moins de 1 000 habitants, nous avons 6 millions de Canadiens ruraux, ce qui revient à dire que 22 p. 100 de notre population est rurale.

La contrepartie, c'est que 78 p. 100 de notre population est urbaine. Si jamais on m'invitait à présenter un exposé dans une localité rurale, voici le graphique dont je me servirais pour souligner que le marché de vente des produits et services des régions rurales est un marché urbain, et j'ajouterais que c'est un marché en expansion. Sa richesse s'accroît, et il est diversifié.

En vue du développement rural, il serait possible d'encourager les entrepreneurs locaux et les collectivités locales à déterminer quels sont leurs créneaux et à investir dans la recherche sur ce genre de marchés. Nos collectivités doivent trouver quelque chose de nouveau à exporter.

Pour exporter les données classiques - du blé, des colombes, de la morue et du doré, nous avons besoin de moins en moins de gens. Si nous voulons stabiliser la population de nos localités rurales, nous devons trouver quelque chose de nouveau à exporter. Il y a de vraies possibilités de développement dans ce contexte.

Le Canada rural est en train de perdre sa force d'expansion démographique. Nous avions 6 millions d'habitants au Canada rural avant la Deuxième Guerre mondiale, de sorte que, relativement parlant, notre population rurale baisse. En Saskatche wan et à Terre-Neuve, la baisse de la population rurale depuis la guerre est absolue.

Les deux tiers de cette population rurale de 6 millions d'avant la guerre faisaient partie de familles agricoles. Quand on établissait la politique agricole à l'époque, on touchait les deux tiers de la population rurale, de sorte que la politique agricole était essentiellement synonyme de politique rurale. Au fil des années, la population agricole a baissé et la population non agricole des régions rurales a augmenté au point que, de nos jours, seulement 13 p. 100 de la population rurale vit dans une ferme de recensement.

Le sénateur citait des chiffres sur le grand nombre de petites fermes. Une ferme de recensement, c'est n'importe quel producteur ayant des produits à vendre. Le quart - 25 p. 100 - de nos fermes de recensement avaient des revenus bruts inférieurs à 10 000 $ et 50 p. 100 avaient un revenu brut inférieur à 50 000 $.

Statistique Canada veut avoir des données sur toutes ces fermes et compter leurs inventaires. Si une vache est vendue, nous voulons le savoir pour connaître la production totale de bétail. Il n'est pas évident que nous voudrons toujours compter ces fermes. Si 50 p. 100 d'entre elles avaient des revenus bruts de moins de 50 000 $, peut-être 6,5 p. 100 seulement bénéficient-elles d'une politique rurale pour l'agriculture.

Ce que j'ai remarqué, c'est que plus la ferme est grosse, plus la politique agricole s'y applique. J'ai constaté que 13 p. 100 de la population rurale habite dans une ferme et que 30 p. 100 ou 50 p. 100 seulement des fermes sont assez grosses pour bénéficier d'une politique agricole quelconque. Il y a peut-être 40 p. 100 des 13 p. 100 de la population rurale qui bénéficient d'une politique rurale par l'intermédiaire d'un ministère de l'Agriculture. Il s'ensuit que la politique agricole n'est peut-être plus la politique rurale.

Je vais passer à la force suivante que les régions rurales ont délaissée, celle du secteur des ressources. Les livraisons de charbon, de blé, de bétail et de morue augmentent; elles ne baissent pas, mais on les produit avec de moins en moins de main-d'9uvre. Il y a moins de travailleurs, de moins en moins de gens dans ces secteurs des ressources. À mon avis, ce n'est plus une force favorable au développement rural parce qu'elle n'emploie pas assez de gens. Néanmoins, c'est certainement une force pour le secteur des exportations et pour notre balance commerciale.

Vous connaissez tous l'histoire du prix du blé. Il est plus élevé maintenant qu'il ne l'a jamais été, en chiffres absolus, mais quand on tient compte de l'inflation, la tendance à long terme est à la baisse. Par définition, le prix de toutes les denrées de base baisse, mais l'importance du changement ne compte pas, car il n'aura aucune répercussion sur le développement rural parce que les gens vont acheter de plus grosses fermes et de plus gros tracteurs, ce qui signifie qu'il y aura moins de monde dans l'agriculture et que moins d'enfants iront à l'école. La population agricole va continuer à baisser.

Le prix de la main-d'9uvre augmente davantage que celui des machines; c'est la cause de ce déclin. Quand une moissonneuse- batteuse coûte 150 000 $, il est difficile de prétendre qu'elle est bon marché, mais il aurait coûté plus cher encore d'embaucher de la main-d'9uvre. Avec le temps, le prix de la main-d'9uvre augmente davantage que celui du capital, relativement parlant, et c'est une bonne chose parce que nous en profitons tous.

Les gens s'en tirent mieux, mais cela signifie qu'il y a toujours une incitation à substituer le capital à la main-d'9uvre. C'est une constante quel que soit le prix du blé, des colombes ou du nickel. Il y aura toujours une incitation à substituer le capital à la main-d'9uvre. Les collectivités qui dépendent du secteur des ressources auront toujours de moins en moins de travailleurs dans ce secteur. Le prix de la main-d'9uvre va augmenter comparati vement à celui du capital. On se servira de plus grosses machines pour remplacer les agriculteurs, quelle que soit la tendance du prix des denrées de base. Les fermes vont devenir plus grosses, et les localités agricoles et minières compteront moins de familles de mineurs ou d'agriculteurs.

Cette carte-ci nous montre où l'agriculture est relativement importante. La partie vert foncé correspond à celle où au moins 15 p. 100 de la main-d'9uvre était dans l'agriculture, en 1996.

Vous voyez ici l'influence de l'agriculture sur les changements démographiques. Voici les divisions de recensement. Dans l'Ouest, ce ne sont pas des comtés, mais c'est équivalent. Vous voyez que leur population allait de 0 p. 100 à 50 p. 100 dans l'agriculture en 1981. Nous pouvons voir que certains endroits ont perdu 20 p. 100 de leur population sur ces 15 ans, tandis que d'autres en ont gagné 45 p. 100 sur la même période. La ligne est négative, ce qui signifie que, lorsqu'on commence avec une grosse part de la population dans l'agriculture, l'augmentation de la population est moindre. En fait, huit divisions de recensement des Prairies ont commencé avec plus de 38 p. 100 de leur main-d'9uvre dans l'agriculture et elles ont toutes perdu une partie de leur population sur cette période de 15 ans. Les localités de ces régions ont eu un gros défi à relever, puisqu'elles devaient trouver quelque chose de nouveau à exporter pour compenser la perte de main-d'9uvre dans le secteur agricole.

Voici la division de recensement qui a commencé avec 30 p. 100 de sa main-d'9uvre dans l'agriculture et qui a perdu 15 p. 100 de sa population. Là, on avait commencé avec le même pourcentage de la main-d'9uvre dans l'agriculture - 30 p. 100 -, mais la population a augmenté de 10 à 12 p. 100. On peut espérer. Il y a toutes sortes de résultats ici; tous ne sont pas menacés. La situation n'est pas entièrement désespérée.

La production agricole est en hausse, le travail agricole est en baisse. On a besoin de moins de main-d'9uvre dans l'agriculture. Cette tendance se maintient quels que soient les prix à la production agricole. Par conséquent, je pense que le défi, pour les collectivités rurales, consiste à trouver quelque chose de nouveau à exporter pour maintenir leur population de base. Je reviens donc à l'idée de la recherche sur les marchés créneaux; ce n'est qu'une option parmi les nombreuses possibilités en vue d'atteindre cet objectif.

Si nous passons maintenant à l'industrie manufacturière, comme vous le savez, elle était implantée partout dans les régions rurales de l'Ontario et du Québec. Partout où l'on trouvait une chute, on construisait une usine. À une certaine époque, toute l'industrie manufacturière québécoise et ontarienne était rurale; c'est par la suite qu'elle s'est vraiment urbanisée. Nous parlons ici d'un des plus gros secteurs d'activité dans les régions rurales et les petites villes du Canada. Si je devais combiner l'ensemble du secteur des services, ce serait le plus gros secteur, mais ici, je l'ai ventilé pour qu'on voie mieux l'importance des industries manufacturières. Vous voyez que le commerce de détail et de gros emploie 426 000 personnes, comparativement à 425 000 pour les industries manufacturières et à 401 000 pour le secteur primaire, le tout au Canada rural. Le secteur primaire comprend l'agricultu re, la foresterie, les pêches, les mines, le gaz et le pétrole.

En 1976, dans l'industrie manufacturière, il y avait 85 p. 100 autant d'emplois au Canada rural que dans l'ensemble du Canada. De nos jours, cette tendance se maintient en 2000-2001. L'activité manufacturière au Canada rural correspond à la ligne noire, qui représente l'emploi dans le secteur manufacturier au Canada. Le Canada rural devient de plus en plus compétitif dans le secteur manufacturier parce que l'emploi y augmente, comparativement à ce qui se passe dans l'ensemble du Canada. C'est une possibilité sur laquelle les Canadiens ruraux pourraient se concentrer.

Nous passons maintenant à un tableau dans lequel les industries manufacturières classiques sont plus importantes, avec des gains de plus de 15 p. 100, dans les poissonneries de la baie de Bona Vista, du littoral de la Nouvelle-Écosse et du sud-est du Québec. Presque tout le Québec est vert pâle ou vert foncé, avec plus de 5 p. 100 d'emplois dans les industries manufacturières classi ques, le vert foncé correspondant largement aux produits forestiers, aux pâtes et papiers et à la fabrication de meubles. Il y a vraiment beaucoup d'emplois dans ces domaines dans cette partie-là du Québec. Nous ne voyons pas beaucoup de vert dans le sud de l'Ontario ou dans les Prairies.

Passons maintenant aux industries manufacturières complexes, plus technologiquement avancées. Cette fois-là aussi, remarquez que, dans le sud du Québec, plus de 5 p. 100 de la main-d'9uvre travaille dans l'industrie manufacturière complexe, tout comme dans le sud de l'Ontario. Dans ce cas-là aussi, les Prairies brillent par leur absence. L'emploi dans ce secteur dépasse 15 p. 100 dans le sud du Québec. Autour d'Oshawa et de la 401, il y a aussi beaucoup d'emplois dans l'industrie manufacturière complexe.

Qu'est-ce que cela signifie pour l'expansion démographique des régions rurales? Je trouve ce graphique-ci intéressant. Il ressemble à ceux qu'on peut établir pour d'autres pays. Voici les divisions de recensement, de 0 p. 100 de ruralité à 100 p. 100 de ruralité, avec une division de recensement qui a perdu 35 p. 100 de sa population sur cinq ans, de 1991 à 1996; une mine a été fermée. La population de certaines localités a augmenté de 35 p. 100 sur cette période de cinq ans.

L'absence de pente est significative. Quel que soit le degré de ruralité, nous constatons le même éparpillement et les mêmes résultats pour la croissance démographique, quel que soit le degré de ruralité, je le répète. De ce point de vue, nous pourrions dire que la ruralité n'est pas un obstacle. Ce n'est pas un avantage, mais ce n'est pas non plus un obstacle à l'expansion démographi que rurale. Par exemple, vous voyez ici une localité qui a commencé avec 55 p. 100 et qui a perdu 5 p. 100 de sa population. Celle-ci a commencé à peu près au même degré de ruralité; sa population s'est accrue de 20 p. 100.

En Europe et au Canada, les chercheurs s'emploient à déterminer si une région qui tire de l'arrière statistiquement peut apprendre de celles qui affichent des statistiques encourageantes. Voici quelques-unes de ces régions de tête et de queue. Le vert correspond à la croissance de l'emploi au-dessus de la moyenne nationale dans trois périodes sur trois, 1981-1986, 1986-1991 et 1991-1996.

La croissance de l'emploi a été supérieure à la moyenne nationale dans le Nord en raison du boom autochtone. Il y avait plus de monde dans la partie, grâce à l'explosion démographique des Autochtones.

Pouvez-vous faire l'aller-retour pour aller travailler à Calgary ou à Thompson? À Winnipeg? À Toronto? À Ottawa? À Montréal? À Moncton? Le comté dans lequel l'aéroport d'Halifax est situé est le seul de la Nouvelle-Écosse à avoir eu une croissance démographique supérieure à la moyenne nationale dans trois périodes sur trois. Vous voyez sur ce graphique que les centres urbains et l'accès aux centres urbains peuvent expliquer une grande partie de cette croissance démographique supérieure à la moyenne nationale.

Nous passons maintenant à une analyse de la force de l'identité autochtone. À cet égard, il faudra reconnaître que l'écart socioéconomique entre les régions rurales et urbaines est virtuellement identique. L'écart entre les Autochtones et les non-Autochtones est le même dans les régions tant urbaines que rurales. C'est le contraire: comme il y a plus d'Autochtones dans les régions rurales, en raison de leur poids démographique dans ces régions; il s'agirait plutôt d'une question rurale, selon moi.

Ce graphique représente la pyramide de la population des Autochtones dans l'ensemble du Canada. Vous savez comment interpréter ces graphiques. Les Autochtones de 15 à 19 ans représentent 4,8 p. 100 de l'ensemble de la population canadien ne, ceux de 10 à 14 ans, 5,5 p. 100, et ceux de 5 à 9 ans, plus de 6 p. 100 de cette même population canadienne. Dans le groupe des 4 ans et moins, la proportion des Autochtones est plus importante encore. Plus le groupe est jeune, plus le pourcentage des Autochtones est important. C'est une explosion de population.

Voici la pyramide de la population de l'ensemble de la population canadienne. Pour chaque tranche de 5 ans d'âge, on constate que les effectifs sont à peu près identiques jusqu'à l'âge de 30 ans. Voici la pyramide de la population rurale du Canada. Vous voyez que les jeunes sont partis pour la ville. Chaque fois qu'on regarde ce graphique, quelle que soit l'année de recense ment - 1971, 1981 ou 1991 - il y a toujours ce creuxentre 20 et 30 ans. Ces gens-là sont partis en ville. Certains d'entre eux sont revenus, mais ils ne reviennent pas tous. Le creux se maintient toujours.

C'est ce que la pression démographique signifie. Vous pouvez voir du côté droit qu'au Manitoba rural, 6 ou 7 p. 100 des Manitobains ruraux relativement âgés sont des Autochtones. Pour les Manitobains ruraux de moins de 5 ans, on compte 37 p. 100 d'Autochtones. Pour tous les groupes d'âge en deçà de 35 ans, plus du quart des Manitobains sont des Autochtones.

Dans les Territoires, on compte 85 p. 100 d'Autochtones parmi les enfants de moins de 5 ans. Au Manitoba, on en compte 30 p. 100 et en Saskatchewan, juste un peu plus du tiers. Dans les régions rurales de l'Alberta, environ 18 p. 100 des moinsde 5 ans sont des Autochtones. Le pourcentage correspondant n'est pas très élevé dans les régions rurales de l'Ontario, mais elles sont très vastes, de sorte que c'est là qu'on trouve le plus d'enfants autochtones, en chiffres absolus.

Les écarts socioéconomiques sont les mêmes quel que soit le secteur géographique. Les régions rurales ont des taux de chômage plus élevés que les autres. Les Autochtones accusent un taux de chômage plus élevé que les autres Canadiens. Ils représentent aussi un plus fort pourcentage des décrocheurs du secondaire, mais leur représentation à ce titre est la même quel que soit le secteur géographique. Les Autochtones ont aussi des revenus inférieurs à ceux des non-Autochtones, et, là encore, cette tendance se maintient dans tous les secteurs géographiques.

L'écart est le même dans toutes les régions rurales et urbaines. Ce que cela signifie, c'est que les pressions démographiques se font sentir dans les régions rurales pour qu'elles s'adaptent à la situation des Autochtones et qu'elles recherchent des possibilités de développement rural. En termes de possibilités, je proposerais qu'on cible les possibilités un et deux sur les communautés autochtones.

Passons maintenant à la force de la ruralité. Ce graphique-ci nous montre où les gens s'en vont. En moyenne, de 1971 à 1991, pour chaque période de cinq ans, de 20 à 24 régions rurales ont perdu 12 p. 100 de leurs jeunes. La région rurale moyenne a perdu 12 p. 100 de ses jeunes sur une période de cinq ans au cours de ces 20 années. Pour certains, 12 p. 100, c'est terrible. Mme Brown a déclaré qu'il est terrible que nous perdions nos jeunes. Je pense moi aussi que c'est terrible, 12 p. 100, mais en fait, ce devrait être 100 p. 100, parce que personne dans ces régions-là n'a accès à l'enseignement postsecondaire. Je dirais que 100 p. 100 des jeunes devraient partir pour aller s'instruire, puis qu'on devrait attirer les meilleurs pour les faire revenir, en leur offrant des possibilités intéressantes. Je ne suis pas sûr que le verre est à moitié plein ou à moitié vide. Nous avons une perte nette de jeunes, c'est indiscutable.

Nous constatons aussi une perte de personnes âgées retraitées, les plus de 70 ans. Les régions rurales peuvent rivaliser avec les autres pour attirer les 25 à 70 ans, particulièrement les jeunes adultes de 25 à 35 ans et les jeunes retraités. Où les jeunes adultes vont-ils s'installer? Ils vont n'importe où en Colombie-Britannique. Certains font l'aller-retour pour travailler à Calgary ou à Edmonton. Très peu vont s'installer en Saskatchewan. D'autres font l'aller-retour pour travailler à Winnipeg, sans toutefois s'installer à Winnipeg même. En Ontario, ils vont s'établir n'importe où au nord de Toronto, mais pas à Toronto même, et c'est la même chose dans la grande banlieue d'Ottawa, pas à Ottawa; dans la région de Montréal, les gens s'établissent au nord de la ville; d'autres s'installent à Sherbrooke, à Sorel, à Québec et dans certaines villes de l'Est.

Où les retraités vont-ils? Nous avons constaté que 20 p. 100 des 55 à 70 ans ont déménagé au cours des cinq dernières années. Cette tendance s'est manifestée dans quatre recensements. Ces gens-là vont s'établir dans les vallées ensoleillées du sud de la Colombie-Britannique et dans la région de Kananaskis, mais personne ne va en Saskatchewan; quelques-uns seulement s'installent au Manitoba, tandis que d'autres vont dans la région de villégiature de Muskoka et dans les Laurentides, au nord de Montréal, ainsi qu'aux alentours de North Hatley, dans les Cantons-de-l'Est.

Les jeunes adultes se déplacent pour profiter de la ruralité de la campagne en restant assez près des villes pour faire l'aller-retour chaque jour. C'est une des forces des régions rurales. Les retraités s'en vont profiter de la ruralité des régions de villégiature. Ça aussi, c'est une force des régions rurales.

Je m'interroge sur la nature du développement et je me demande où il commence. Il vaut la peine de réfléchir à ce que Robert Reich disait dans son ouvrage intitulé The Work of Nations, en soutenant que le capital financier et la compétence technologique sont bien difficiles à garder à la campagne. Néanmoins, à la campagne, la main-d'9uvre est moins mobile: la ressource la plus fixe, c'est la population. Nous appelons cela capital humain ou capacité humaine. Nous voulons exploiter les connaissances, la capacité et les aptitudes de notre population. Ce sont les actifs qui nous permettront de développer nos forces.

Reich a soutenu que les gens qui avaient le plus de capacités de développement étaient les «analystes de symboles», ceux qui jouent à déplacer des symboles sur des écrans. Ce sont eux qui créent réellement la nouvelle richesse. Il y a deux façons d'attirer des analystes de symboles dans une collectivité: leur donner facilement accès à une ville ou à une région de villégiature, à défaut de quoi il faut les cultiver localement. Les analystes des symboles travaillent avec des symboles à l'ordinateur; ils peuvent vendre leurs produits sur l'Internet. Si vous avez une localité où un analyste de symboles veut habiter, il peut y travailler via l'Internet.

Où le développement commence-t-il? Dans un article de Time, Reich a fait valoir que la capacité de composer avec tous ce chaos est vraiment acquise chez l'enfant entre le début de la grossesse et trois ans. On le sait depuis des décennies. Il existe de nombreux ouvrages sur l'évaluation des enfants de moins de trois ans. Des recherches récentes comme celles qu'a réalisées l'Institut cana dien des recherches avancées de Toronto ont révélé que plus on stimule le jeune cerveau humain, plus on y crée de synapses et plus il se développe. Les plus grandes possibilités de développe ment du cerveau humain se situent entre le début de la grossesse et l'âge de trois ans. Les possibilités de développement importantes sont très faibles après trois ans révolus.

Si notre objectif est le développement rural, je dirais que notre premier effort de développement devrait être axé sur l'alimenta tion et l'éducation des enfants du début de la grossesse à l'âge de trois ans. Si nous délaissons le développement rural, les derniers programmes à abandonner devraient être ceux qui sont consacrés à la petite enfance.

De toutes les découvertes des laboratoires neuroscientifiques, la plus renversante est celle que l'activité électrique modifie la structure physique du cerveau. Le cerveau n'est pas un ordinateur. La nature ne l'a pas improvisé avant de l'actionner. Elle l'a construit et perfectionné. Dans une vie, l'année la plus importante est la première. À trois ans, l'enfant négligé porte des marques virtuellement ineffaçables. Les bébés naissants ne sont pas des automates génétiquement préprogrammés. Les philosophes peu vent discuter pour savoir si c'est la nature ou l'éducation qui est déterminante, mais ce débat n'a aucun intérêt pour le moment, parce que les gènes et l'environnement ont des interactions. Ce n'est pas une rivalité, c'est une danse. La danse commence autour de la troisième semaine de la grossesse. La nature est dominante, mais l'éducation joue un rôle vital. C'est l'investissement clé dans un programme de développement rural.

Ce graphique nous montre les localités rurales dans lesquelles plus de 20 p. 100 des enfants vivent dans des familles monoparentales. Ces enfants risquent de ne pas avoir toute l'alimentation et toute l'éducation dont ils ont besoin. Leur groupe représente 25 p. 100 de tous les enfants des régions rurales, et la proportion va croissant. C'est un problème plus critique dans les régions rurales qu'ailleurs. Dans les localités où plus de 20 p. 100 des enfants vivent dans des familles monoparentales, nous constatons que 34 p. 100 sont dans des familles à faibles revenus. Ils risquent donc davantage de ne pas avoir l'alimenta tion ni l'éducation nécessaires. Dans les régions urbaines, la proportion est à peu près la même.

Dans certaines localités, plus de 60 p. 100 des enfants vivent dans des familles dont les deux parents travaillent. C'est peut-être une bonne chose. Peut-être reçoivent-ils beaucoup d'attention. Peut-être ces familles ont-elles beaucoup d'argent pour se payer des services de garderie, mais peut-être aussi les enfants n'ont-ils pas l'attention qu'il leur faut. C'est 25 p. 100 de tous les enfants des régions rurales. La situation est plutôt rurale qu'urbaine.

Il peut y avoir une possibilité de développement rural qui exploiterait la cohésion sociale des communautés rurales dont nous avons tous entendu parler. Si la communauté devait s'unir pour aider, pour encourager et pour éduquer les enfants et leurs mères, eh bien, dans cinq ans, les enseignants et enseignantes de première année feront la queue à la porte de l'école où ils seront inscrits pour enseigner là. Les jeunes parents vont vouloir aller s'installer là aussi parce que ce sera une localité si accueillante.

Le développement rural peut prendre jusqu'à 20 ans. Ces enfants-là seront prêts dans 16 ans ou 18 ans à stimuler leur collectivité. Ils voudront y rester. Ils seront capables de s'adapter à toutes ces idées et de vivre avec le chaos et le changement qui s'en viennent.

La possibilité numéro 2, c'est d'investir dans la recherche sur les marchés créneaux et la troisième, de cibler les deux premières possibilités sur les communautés autochtones. Voilà ce que j'avais à vous dire.

Le vice-président: Monsieur Bollman, c'était un excellent exposé. Vous nous avez certainement donné beaucoup à penser. Je vais maintenant laisser mes collègues vous poser des questions.

Le sénateur Tkachuk: J'ai quelques questions. Je vous ai suivi jusqu'à ce que vous parliez d'éducation, parce que c'est ce que le pays devrait faire. Nous devrions avoir une politique publique de renforcement de la cellule familiale. Le gouvernement devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour s'assurer qu'il y a un homme et une femme qui vivent à la maison, qui sont mariés, qui sont stables et aimants, et tout le reste. Je ne souscris pas à l'argument que les gens qui ont de l'argent ont des enfants plus sains. Je n'en ai pas vu la moindre preuve.

La Crise a produit de merveilleux enfants travailleurs qui ont participé à la Deuxième Guerre mondiale. C'est probablement la plus belle génération que nous ayons eue au XXe siècle.

J'ai aimé tout ce que vous avez dit d'autre.

Si mes collègues me le permettent, je vais m'étendre un peu. J'ai grandi dans une région rurale. La technologie a changé les fermes près de la ville où j'habitais. De toute évidence, avec l'automobile, il n'est pas nécessaire que les villes soient à cinq milles l'une de l'autre. Il est plus logique qu'elles soient distantes de 30, voire de 100 milles. La taille des fermes s'est accrue en raison des moyens de transport. La technologie a changé les choses. Quand j'ai grandi, une ferme d'une section était énorme. Leurs propriétaires étaient les conducteurs de Buick par qui mon père, qui vendait de l'essence au détail, essayait de se faire payer. Peut-être la technologie qui transforme le Canada rural d'aujourd'hui est-elle moins facile à comprendre, et c'est peut-être pourquoi il nous est plus difficile de nous y adapter. Vous avez soulevé plusieurs questions.

Quel que soit le prix du produit, il y aura moins de monde dans l'agriculture. Je le crois aussi.

Pour notre comité comme pour tous les politiciens et pour la société, le défi consiste à comprendre ce qui se passe, ce que nous pouvons faire à cet égard et s'il y a quelque chose que nous pouvons faire pour l'empêcher. En d'autres termes, pourquoi gaspillerions-nous un tas d'argent pour éviter quelque chose qui va arriver de toute façon... Je pense que nous réagissons souvent de cette manière.

Voilà ce que j'avais à vous dire; je vais laisser la parole aux autres.

Le vice-président: Monsieur Bollman, avant que vous répon diez, je m'en voudrais de ne pas préciser que j'ai la réputation de faire un long préambule avant de poser une question. Le sénateur Tkachuk demande parfois si ce que je disais était un exposé ou une question. Je suis donc heureux de vous demander, monsieur le sénateur Tkachuk, était-ce un exposé ou une question?

Le sénateur Tkachuk: Je n'ai même pas posé de question.

Le vice-président: Monsieur Bollman, pourriez-vous répon dre, s'il vous plaît.

M. Bollman: Je suis heureux de répondre.

Je souscris à l'idée qu'avoir de l'argent ne fait pas de bons parents. J'ai des collègues à Statistique Canada qui ont fait d'excellentes recherches; ils s'intéressent à l'enquête nationale longitudinale sur les enfants et sur la jeunesse. Ils ont des mesures - je n'ai pas lu les rapports, mais seulement les résumés - des résultats qu'obtiennent de bons parents; il n'y a pas de corrélation étroite entre le fait d'être de bons parents et le revenu. Je pourrais vous obtenir d'autres renseignements, si vous aimeriez pousser votre démarche à ce sujet.

Je reconnais que, si les agriculteurs continuent à produire des denrées, ils seront de moins en moins nombreux à le faire. S'ils trouvent des créneaux spécialisés, peut-être pourrait-on renverser en partie cette tendance. Je ne sais pas ce qui serait un bon créneau. Les autruches étaient excellentes à un certain moment, mais elles ont foiré. Il pourrait y avoir des créneaux pour que les familles d'agriculteurs puissent produire à l'intention de marchés spécialisés. Par contre, tant que les agriculteurs produiront des denrées de base, ils auront de la difficulté.

Existe-t-il une nouvelle technologie que nos agriculteurs pourraient utiliser? Tout le monde vante l'Internet. Bien sûr, les détaillants du Canada rural faisaient de très bonnes affaires jusqu'à ce qu'ils aient un bureau de poste dans leur localité et que Timothy Eaton commence à vendre par correspondance; il était beaucoup moins cher. Les détaillants ont quand même continué à faire de bonnes affaires jusqu'à ce qu'on asphalte les routes; il est alors parti plus de monde qu'il n'en arrivait. On se débrouillait bien au Canada rural jusqu'à l'arrivée de l'Internet. Maintenant, il y a des guichets automatiques, mais pas de banques. La population rurale peut acheter sur l'Internet.

J'ai rencontré quelqu'un qui a vendu une motoneige Arctic Cat au Nunavut même si son magasin est à Yorkton: il s'est emparé d'une partie du marché du détaillant du Nunavut en vendant sur l'Internet. Autrement dit, les régions rurales rivalisent entre elles. Je reconnais que cela se produirait de toute façon. L'autre côté de la médaille consiste à déterminer comment la population rurale peut se servir de la technologie de l'Internet pour améliorer son accès et accroître sa capacité de vendre des produits et des services. C'est une bonne question. Je ne connais pas la réponse.

Le sénateur Tkachuk: J'ai des parents dans de nombreuses familles agricoles, et notamment un cousin particulièrement fascinant qui achète de vieilles machines. Il les démonte, nettoie toutes les pièces, écoule le métal de trop et vend sur l'Internet toutes ces pièces de toutes sortes de machines agricoles. Si je connaissais son adresse Internet, je la ferais circuler. Son entreprise est très rentable. C'est un type ingénieux qui fait de très bonnes affaires. La population rurale trouve des solutions par elle-même. Notre génie consisterait non pas à nous immiscer dans leur démarche, mais plutôt à trouver des moyens de l'encourager.

Le sénateur Hubley: Je vous remercie pour votre exposé. Je dois admettre que je ne suis pas tout à fait sûre de quoi penser au sujet de certains de vos graphiques. Je ne veux pas vous décourager. Votre deuxième graphique est intitulé «Tendances démographiques: Minorité rurale au Canada en 1931». Il nous amène jusqu'en 1991, je pense. On nous a dit que 20 p. 100 des agriculteurs produisent 80 p. 100 de notre nourriture. Votre graphique reflète-t-il ce phénomène?

M. Bollman: Non. Ce graphique nous permet de visualiser qui habite à la campagne plutôt qu'en ville. Quand j'ai parlé du graphique suivant, j'ai dit que 13 p. 100 de la population rurale habite dans une ferme. Ensuite, j'ai dit que seulement 40 p. 100 ou 50 p. 100 de ces gens-là ont une ferme assez grande pour subvenir à leurs besoins. Le fait est que 13 p. 100 des agriculteurs vendent 80 p. 100 des produits agricoles. Il y a 13 p. 100 de toute la population rurale qui habite dans une ferme et seulement 20 p. 100 de ces 13 p. 100 ont besoin d'une politique agricole. Les autres produisent tous un peu de denrées, mais ils n'en produisent pas assez pour que la politique agricole s'applique à eux.

Le sénateur Hubley: Est-ce qu'un de vos graphiques nous montre le nombre d'agriculteurs qui ont les moyens d'embaucher des travailleurs d'expérience hors de la ferme? Avez-vous des statistiques là-dessus? Vous avez parlé des machines comparative ment à la main-d'9uvre requise. Est-ce parce que les agriculteurs ont besoin d'embaucher quelqu'un pour se servir d'une nouvelle machine? Y a-t-il des retombées, dans ce contexte, pour les travailleurs de l'extérieur de la ferme? Quelles sont les possibilités d'emploi dans le secteur rural?

M. Bollman: Vous demandez si plus d'agriculteurs embau chent des travailleurs.

Le sénateur Hubley: Oui.

M. Bollman: Je pense qu'ils préfèrent acheter une machine plutôt que d'embaucher de la main-d'9uvre.

Le sénateur Hubley: Ne sont-ils pas capables de trouver des travailleurs agricoles d'expérience?

M. Bollman: Je ne sais que ce que je lis dans les journaux. Je n'ai pas de données à ce sujet. Je pourrais peut-être en trouver et vous les communiquer. Il est certain qu'un des problèmes d'aujourd'hui, c'est que de nombreux agriculteurs, particulière ment les producteurs de céréales, n'ont pas besoin de travailleurs toute l'année. Les porcheries, elles, peuvent avoir du personnel l'année durant. Il faut recruter une main-d'9uvre permanente, former ses employés, et ainsi de suite. Le caractère saisonnier de l'agriculture est un facteur à considérer.

Le sénateur Hubley: L'autre point intéressant que vous avez fait valoir, c'est que la production agricole est à la hausse. Cela signifie que nous produisons plus dans le secteur agricole. Par contre, la main-d'9uvre agricole est à la baisse. Nous utilisons donc plus de machines pour faire le travail qu'à une autre époque, quand nous devions embaucher des gens pour le faire. C'est la tendance que nous constatons.

M. Bollman: Oui.

Le sénateur Hubley: Vous avez parlé de deux sortes d'industries manufacturières. Pourriez-vous m'expliquer un peu ce que vous vouliez dire?

M. Bollman: Ce n'est probablement pas dans mon mémoire. L'industrie manufacturière classique est une activité de haute technologie pour la transformation des aliments, la production de boissons, le conditionnement du tabac, comme les industries du caoutchouc et des matières plastiques, du cuir, des produits textiles primaires, de la production de vêtements, du bois, de la fabrication de meubles, et ainsi de suite, des activités assez voisines du secteur primaire.

L'industrie manufacturière complexe fait appel à une technolo gie un peu plus poussée. C'est le cas de l'imprimerie, de la production de métaux et de la fabrication d'objets métalliques, de la production de machines, des usines d'automobiles, d'équipe ment de transport, de matériel électrique et électronique, des raffineries - c'est un peu plus technologique. Toutes les activités manufacturières de cet ordre sont soit classiques, soit complexes. C'est une zone grise. Nous avons juste tracé une ligne là pour distinguer ces deux types d'industries manufacturières.

Le sénateur Day: J'ai été fasciné par une de vos diapositives, quand vous avez parlé de l'alimentation et de l'éducation des enfants depuis le début de la grossesse. Qu'est-ce que ça suppose, l'alimentation et l'éducation dès le début de la grossesse?

M. Bollman: Nous lisons de temps en temps dans le journal que, si un f9tus entend jouer du Mozart, il se développera mieux que les enfants qui ne l'ont pas entendu dans le sein maternel. Il est certain que le style de vie de la mère et ce qu'elle mange et boit influent grandement sur le développement du f9tus, et c'est pourquoi on dit aux femmes enceintes d'écouter du Mozart et de bien manger.

Le sénateur Day: En fait, certaines mères enceintes font de la musique. Pouvez-vous nous parler de l'activité électrique des neurones et de ce qui stimule cette activité électrique? Pourquoi devrions-nous partir du principe qu'une bonne alimentation et une éducation judicieuse devraient stimuler l'activité électrique des neurones et non l'inhiber?

M. Bollman: Je devrais me reporter aux articles. Je peux répéter ce que j'ai lu, mais ce sont des notions neurologiques assez complexes. Je ne sais pas. Il est certain que l'existence d'une interaction et la stimulation font une grande différence comparativement à ce qui arrive quand il n'y a ni interaction, ni stimulation. C'est l'aspect facile de la question. Ensuite, il faut se demander s'il est préférable pour l'enfant d'être gardé par une grand-mère ou une mère aimantes plutôt que dans une garderie. Les articles deviennent un peu plus complexes à ce moment-là. Il est évident qu'il s'agit de stimulation constante, du fait que le cerveau fonctionne tout le temps. Il semble que, si le cerveau fonctionne tout le temps, le jeu des synapses et l'activité électrique accroissent la capacité cérébrale. Je me souviens d'avoir lu des articles dans les journaux quand le Rideau de fer est tombé, au sujet de gens qui étaient allés visiter des orphelinats en Roumanie où ils avaient vu des enfants dont le développement accusait un retard, parce qu'ils avaient manqué de stimulation. Ils vivaient dans une situation très stérile. C'est le pire scénario. Le meilleur, c'est que la recherche nous révèle que la stimulation intensive dans les toutes premières phases de la vie a des effets marqués des années plus tard.

Le sénateur Day: Vous avez parlé de transport, de technologie et d'améliorations des routes, en soulignant leur effet sur la taille des fermes et sur le développement rural ou l'absence de développement rural dans le contexte agricole. On vous a posé une question tout à l'heure sur l'industrie des services ruraux pour la communauté agricole. Vous avez donné la population totale et j'imagine que vous y incluez non seulement les agriculteurs et les employés des services ruraux, mais aussi les travailleurs urbains qui habitent dans les régions rurales grâce à cette nouvelle technologie et à l'amélioration des moyens de transport. Pensez- vous qu'ils contribuent à la vie communautaire rurale en habitant là le soir et en injectant leurs dollars urbains dans la communauté rurale où ils habitent en fin de semaine et en soirée?

M. Bollman: Je n'ai pas de données précises là-dessus. D'emblée, je dois vous répondre que je ne sais pas. Dans certains articles, on peut lire que ces gens-là dépensent la plus grande partie de leur argent en ville, de sorte qu'ils ne contribuent pas financièrement aux localités rurales. Dans d'autres articles, j'ai lu qu'ils n'offrent pas leurs services comme bénévoles à la communauté locale. Toutefois, je pense que leurs enfants fréquentent les écoles locales. C'est ce genre de contribution. Je ne suis pas sûr si le verre est à moitié plein ou à moitié vide. Vous avez raison. Ce n'est pas la même chose que de vivre et de travailler dans la collectivité. Le simple fait d'habiter là n'est pas la même chose que d'y vivre et d'y travailler.

Le sénateur Day: Vous n'avez pas beaucoup parlé de cette collectivité qui, d'après mon expérience, est la partie en expansion de la population rurale.

M. Bollman: C'est exact. La population en croissance dans la plupart de ces graphiques est celle des côtés. C'est un problème que la plus grande partie de la Saskatchewan rurale aimerait avoir. Vous avez raison. Autour des grandes villes, c'est un problème.

Le vice-président: Nous parlons des statistiques de 1996. Nous venons d'avoir notre nouveau recensement en mai 2001. Quand aurons-nous accès aux statistiques concernant la population des régions rurales? Combien de temps cela prendra-t-il?

M. Bollman: Les statistiques du recensement de la population seront publiées en avril 2002. Pour certains de ces graphiques, Statistique Canada a des estimations annuelles de la population par division de recensement.

Le vice-président: Ce sont des «estimations hypothétiques», toutefois.

M. Bollman: Elles sont tout près des statistiques du recense ment. Quand les données du recensement seront publiées, elles ne changeront à peu près pas. Vous avez raison. C'est une estimation. Nous savons dans quelle division de recensement les gens sont nés. Nous savon dans quelle division de recensement ils sont morts. Les gens se déplacent; nous recueillons des données sur la mobilité. Nous avons accès aux dossiers du revenu à Statistique Canada, quand nous connaissons la nouvelle adresse. Nous avons toutes les données sur la migration à partir des déclarations de revenu. Nous avons une estimation très fiable de la population dans chaque division de recensement pour chaque année. Si vous voulez, j'ai quelques cartes présentées de façon différente que je pourrais vous montrer plus tard.

Le vice-président: Pourriez-vous nous communiquer ces renseignements en deux ou trois pages dès maintenant? Seraient- ils à jour? Pourriez-vous les faire parvenir à notre greffier?

M. Bollman: Oui.

Le vice-président: Beaucoup des diapositives que vous nous avez montrées ce soir ne figuraient pas dans le mémoire que vous nous avez remis.

M. Bollman: C'est vrai. J'ai mes principales conclusions dans les deux langues, mais les cartes étaient dans le gros document que j'ai remis au greffier.

Le vice-président: Pouvons-nous demander à notre greffier de mettre ce document à la disposition de chacun des membres du Comité?

M. Bollman: Oui, c'est du domaine public.

Le sénateur Tkachuk: Pourrions-nous l'avoir sur disquette?

M. Bollman: Je peux vous envoyer le tout dans un courriel.

Le vice-président: Puis-je déduire de ce que vous nous avez dit ce soir que, dans les provinces où la population rurale a augmenté, l'augmentation est localisée dans les régions rurales situées dans un rayon de 50 milles d'une grande ville? C'est bien ça?

M. Bollman: C'est généralement dans un rayon de 50 milles. Toutefois, la population du Nord augmente en raison de l'explosion démographique autochtone. Ce n'est pas une question d'impact urbain. Une partie de cette augmentation de la population est située dans la région de Muskoka. Canmore et Kananaskis sont à plus de 50 milles de Calgary, mais ce sont des régions recherchées par les retraités. Saint-Georges-de-Beauce, près de la frontière du Maine, a une population de peut-être 20 000 habitants. C'est une grande ville qui s'efforce de maintenir sa population même si la ville de Québec en attire certains, mais sa population s'accroît.

En général, la réponse est oui, mais, dans certains cas, la population s'accroît même dans des régions situées à plusde 50 ou 60 milles d'une grande ville.

Le vice-président: Vous avez déclaré que la Saskatchewan est la province dans laquelle la population rurale a le plus baissé. Vous n'avez pas pu répondre à cette question en citant des statistiques - veuillez me pardonner cette petite réflexion préliminaire. Quand nous avons étudié les paiements d'Aide au revenu agricole d'urgence (ARAU) versés au cours des deux dernières années, nous avons constaté que les agriculteurs de l'Alberta et du Manitoba avaient touché en moyenne une somme plus élevée que ceux de la Saskatchewan. Quand j'ai demandé pourquoi au ministère de l'Agriculture, on m'a dit que c'était en partie parce que, lorsqu'on a éliminé la subvention du Pas-du- Nid-de-Corbeau, les agriculteurs de l'Alberta et du Manitoba ont décidé de diversifier leur exploitation et de commencer à produire du bétail, tandis que ceux de la Saskatchewan se sont diversifiés en produisant aussi des légumineuses, et ainsi de suite. Le seuil à partir duquel les paiements d'ARAU commencent était plus élevé dans les deux autres provinces.

Le déclin rural est-il plus lent dans les provinces ou l'unité agricole fait de la polyculture plutôt que de produire exclusive ment des céréales? La polyculture crée-t-elle plus d'agriculteurs que la production céréalière?

M. Bollman: Pour vous répondre rapidement, je dois dire que je ne le sais pas. Cette carte nous montre les changements de population de 1986 à 2000. La zone vert foncé autour de Toronto correspond aux endroits où la population a augmenté pendant 14 années d'affilée. Humboldt, une localité industrielle jadis très prospère, est brun foncé. Sa population a constamment baissé pendant 14 ans. C'est une région - de foncé à noir - de terres noires et de polycultures. L'augmentation de l'emploi dans l'industrie manufacturière n'a pas pu compenser l'abandon des fermes et la perte de main-d'9uvre agricole. C'est mon interprétation de cette situation de Yorkton à Humboldt. J'aime rais croire que la polyculture peut avoir un effet sur le secteur agricole, sur l'ensemble de la main-d'9uvre et sur toute la population, comme facteur de stabilité, mais je ne sais pas. Ici, la population a peut-être baissé avant, et maintenant, le déclin que nous voyons là va se manifester plus tard. Pour les 14 dernières années, dans cette région de sols noirs, la population a constamment baissé à chaque année.

Le vice-président: D'après les tendances que vous avez constatées au cours des 15 dernières années, pensez-vous que l'agriculture est la clé de la survie de nos collectivités rurales?

M. Bollman: Je vis dans une petite localité rurale de la Saskatchewan, de sorte qu'il m'est difficile de vous donner une réponse objective.

La production de denrées de base va se maintenir avec une main-d'9uvre de plus en plus réduite. Si nous voulons que l'agriculture soit un des facteurs de la survie des collectivités rurales, il faut que ce soit une production ciblée sur un créneau spécialisé. La production d'autruches n'a pas porté fruit, mais peut-être pourrait-on penser à des fermes café-couette ou encore à des fermes productrices de bourrache ou de velours de wapiti. Je ne sais pas, mais s'il faut que ce soit l'agriculture qui maintienne la population des collectivités rurales, je pense qu'il faudra qu'elle se spécialise dans des créneaux exigeant une main-d'9uvre abondante.

Le vice-président: M'accorderiez-vous la possibilité de donner un petit exposé? Votre dernière réponse m'y incite. On a dit que la population des régions rurales a commencé à baisser avec l'invention du tracteur. Souscrivez-vous à cette idée?

M. Bollman: Je pense qu'elle avait commencé avant dans d'autres endroits, mais le tracteur peut en avoir été la cause, oui.

Le vice-président: Ce que vous avez dit au sujet des marchés spécialisés m'a intrigué. Quel créneau faut-il adopter et dans quel créneau peut-on se lancer sans craindre que quelqu'un d'autre ne nous imite? Vous auriez là le même problème que celui que nous avons actuellement avec nos céréales, la surproduction.

Quelqu'un a aussi déclaré qu'il n'y a rien dans un baril de pétrole qui ne puisse être cultivé sur une ferme. Plutôt que de rivaliser avec d'autres agriculteurs, nous devrions rivaliser avec les producteurs de pétrole des pays arabes, par exemple. Nous avons du diesel organique et de l'éthanol. Nous avons aussi un grand projet de recherche sur la production de caoutchouc à partir du tournesol. C'est un domaine dans lequel nous n'aurions sûrement pas de surproduction. Voilà pour ma déclaration. Je ne sais pas si vous voulez nous parler de cela ou pas.

M. Bollman: Je reconnais que, s'il y a trop de gens dans le même créneau spécialisé, ce n'est plus un créneau. Pourrions- nous avoir deux personnes qui achètent de vieilles machines pour revendre les pièces? Peut-être n'y a-t-il un marché que pour une seule personne. Si j'étais dans une localité rurale, je dirais qu'il y a suffisamment de créneaux dans les marchés urbains du monde, un pour chaque collectivité rurale. Si deux collectivités essayaient d'occuper le même créneau, je ne suis pas sûr que ce serait un créneau; c'est là que la concurrence commence. Quant à savoir quel est le créneau, je ne le sais pas. Je pense que chaque collectivité va devoir le trouver elle-même.

Le sénateur Tunney: Je vous remercie beaucoup d'être venu.

J'aimerais répondre à la question que vous avez posée il y a une seconde, à savoir s'il y a trop de marchands de tracteurs et de machines agricoles usagées maintenant. La réponse est non, il n'y en a pas trop. Au moins en Ontario, nous n'en avons pas assez. Nous sommes loin d'en avoir assez. Un de nos problèmes, c'est que les Américains achètent toutes nos machines agricoles usagées, particulièrement les antiquités, avec des dollars à 0,62 $. Les marchands de machines agricoles ontariens - je ne sais pas ce qui en est dans les autres provinces - n'arrivent pas à répondre à la demande. En fait, il n'y en a que deux en Ontario. Ils disent qu'ils devraient être plusieurs fois plus gros qu'ils le sont. Ils n'arrivent tout simplement pas à répondre à la demande. En somme, c'est à la fois une réponse et une réaction.

Vous savez peut-être que l'industrie de la production alimentai re est la première en importance du secteur manufacturier dans sept de nos dix provinces; dans les trois autres, elle se classe au deuxième rang. C'est une partie énorme de notre économie. Un tiers de l'excédent de notre balance commerciale est attribuable à nos exportations de nourriture.

Je vais vous poser une question quelque peu différente sur vos travaux statistiques. J'espère que vous ne faites pas d'études statistiques juste pour nous amuser, et qu'on se sert d'une façon ou d'une autre de vos données pour la croissance de notre économie, pour accroître la richesse. J'imagine que les économis tes étudient vos statistiques une fois qu'elles sont établies. Ils conseillent probablement les investisseurs et les entrepreneurs. Vous recueillez toutes sortes de renseignements et les statistiques que vous établissez servent à orienter notre économie dans les diverses étapes du développement. J'espère que vous ne faites pas beaucoup d'erreurs. Nous pensons parfois que vous en faites, parce que je dirais que Statistique Canada ne sait pas exactement de quoi il retourne. Nous le saurions peut-être mieux, voyez-vous, en notre qualité d'agriculteurs quelque part dans l'arrière-pays.

Nous avons une dure lutte à livrer dans le secteur agricole. C'est la raison d'être de notre comité. La lutte que nous livrons n'est pas dans nos frontières et ne nous oppose même pas tellement à d'autres pays. Nous vendons de la nourriture. Nous exportons dans 190 pays du monde. Notre gros problème, c'est l'OMC et les règles qui nous sont imposées par des gens que nous voyons jamais.

Hier, le tribunal de l'OMC a rendu une décision. Nous pensions que nous avions perdu cette bataille-là. Nous sommes venus bien près de perdre. Je n'aimerais pas que notre industrie laitière et notre industrie de la volaille retournent au point où elles étaient avant qu'il y ait des offices de commercialisation et de gestion de l'offre, avant qu'on n'y injecte du bon sens. Je préférerais que les autres secteurs de l'agriculture soient élevés jusqu'au niveau de la production laitière. Tout ce qu'il faut, c'est du bon sens et de la détermination.

J'ai été un peu choqué quand notre premier témoin a dit qu'elle n'aimait pas l'idée de devoir payer des droits pour vendre des denrées de base sur le marché intérieur. Je lui dirais que si elle n'aime pas ça, elle aimerait encore moins ce qui arriverait s'il n'y avait pas d'offices de ce genre.

Prévoyez-vous pousser vos études statistiques afin de définir de façon plus précise ce que nous devrions faire, pour mieux nous conseiller? En notre qualité d'agriculteurs dans la communauté agricole, nous avons besoin de conseils. Nous avons besoin d'études et de bonnes politiques judicieuses.

M. Bollman: C'est difficile.

Le sénateur Tkachuk: Quelle était la question?

M. Bollman: J'ai interprété la question en me disant qu'elle revenait à demander si Statistique Canada a la solution. Pour répondre rapidement, je dois dire que non. Aujourd'hui même, à Ottawa, la Division de l'agriculture tenait la rencontre annuelle du Comité consultatif de la statistique agricole. Des représentants des entreprises agricoles et des professeurs d'agronomie ont dit à la Division, en se fondant sur la statistique agricole, comment on devrait s'y prendre pour établir de meilleures statistiques. Cette conversation a lieu tous les ans depuis des années.

Statistique Canada s'efforce toujours de donner des renseigne ments utiles aux gens pour les aider à prendre des décisions. Nos statistiques sont inutiles à moins qu'elles n'influent sur une décision. Quand une décision fondée sur nos statistiques est prise et que l'expérience prouve que c'était la bonne décision, nos statistiques ont beaucoup d'influence.

Nous voulons toujours vous fournir des statistiques utiles. Le statisticien en chef doit décider deux ans à l'avance quel ensemble de données choisir, quelles enquêtes mener et quelles questions poser. Nous ne pouvons pas simplement appuyer sur un bouton pour obtenir des chiffres. Statistique Canada existe pour fournir des données utiles, mais nous devons savoir de quelle information la collectivité a besoin pour aller de l'avant. De quelle information le secteur agricole a-t-il besoin pour aller de l'avant?

Quel sera le prix du blé la semaine prochaine? Ça, ce n'est pas notre affaire. Nous pouvons vous donner beaucoup d'information contextuelle pour aider les analystes, les consultants et les conseillers du gouvernement à faire ces recommandations. Vous ai-je assez bien répondu?

Le sénateur Tunney: Vous avez donné une très bonne réponse.

Le sénateur Hubley: Ma question porte sur la collecte des données. Comment sont-elles recueillies et qui décide quelles questions poser? Pourrions-nous avoir ces questions?

M. Bollman: Les priorités relatives à la statistique agricole sont établies à plusieurs endroits. Les Comptes nationaux sont un des principaux endroits à Statistique Canada. Si les données présentent de l'intérêt pour les Comptes nationaux, elles doivent être recueillies. Une grande partie des données sur les revenus et les dépenses que nous demandons aux agriculteurs de présenter sous forme de tableau sont indispensables à la production de ces comptes.

Le comité consultatif s'est réuni aujourd'hui. C'est une autre source.

Trois ans environ avant le recensement de l'agriculture, nous organisons des consultations dans tout le pays. Il est arrivé une fois que le Réseau canadien des agricultrices ait une représentante à chacune de ces rencontres afin de nous encourager, en insistant pour que nous posions des questions sur le rôle des agricultrices comme exploitantes, et ainsi de suite. Ces consultations ont lieu avant chaque recensement.

À Agriculture Canada, le ministre fédéral de l'Agriculture et ses homologues provinciaux se réunissent chaque année pour dialoguer avec les statisticiens agricoles, en précisant les changements qui s'imposent.

Les budgets sont limités et il n'est pas facile de faire de grands changements quand ils le sont. Une importante partie du budget de la statistique agricole provient d'Agriculture et Agroalimentai re Canada, qui veut obtenir l'information dont il a besoin pour concevoir les programmes de son filet de sécurité. Nous avons besoin de beaucoup plus de données sur la taille des fermes et sur les sources des revenus des fermes que celles qu'il nous faudrait simplement pour les Comptes nationaux.

Le vice-président: Mme Brown voudrait poser une question au témoin. Les règles du comité ne permettent pas que d'autres personnes que les membres du comité posent des questions, mais ils permettent à un témoin de faire une observation sur l'exposé d'un autre témoin. Je vais donc l'autoriser à le faire.

Mme Brown: Vous avez donné des statistiques sur la population des régions rurales autour des centres urbains. Ce phénomène influe grandement sur l'agriculture dans ces centres. Vous dites que, oui, les agriculteurs de ces régions ont un marché, mais je dis, moi, que leurs capacités d'agriculteurs en souffrent. Une grande partie des agriculteurs qui habitent dans ces régions-là doivent renoncer à l'agriculture à cause des gens de la ville ou des gens qui ne sont pas agriculteurs qui habitent dans les régions rurales. Je sais qu'il y a eu de nombreuses poursuites intentées par des gens qui viennent s'installer à la campagne parce qu'il fait bon vivre là, mais qui n'aiment pas l'atmosphère de la ferme à certaines périodes de l'année.

Le vice-président: Merci, madame Brown. MonsieurBollman, aimeriez-vous dire quelque chose au sujet de cette observation?

M. Bollman: Je reconnais que c'est vrai, même si je n'ai pas de statistiques à ce sujet. J'ai certainement lu là-dessus dans le journal. Je souscris aussi à la remarque que l'Université de Guelph a une école d'aménagement et de développement rural. Dans le sud de l'Ontario, l'aménagement est plus important que le développement.

Le vice-président: Monsieur Bollman, je vous remercie pour votre exposé.

La séance est levée.


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