Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 31 - Témoignages
TRURO, le jeudi 14 février 2002
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 9 heures pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long terme pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons ce matin M.Jean-Louis Daigle, directeur du Centre de conservation des sols et de l'eau de l'est du Canada.
Bienvenue, monsieur Daigle. Vous avez toute notre attention.
M.Jean-Louis Daigle, directeur, Centre de conservation des sols et de l'eau de Centre l'est du Canada: Monsieur le président, je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous.
Honorables sénateurs et représentants des médias, j'ai assisté aux audiences d'hier et la discussion m'a beaucoup intéressé. Je dois dire aussi que nous nous sommes tous retrouvés hier soir au même pub, ce qui m'a un peu surpris. Certaines choses arrivent sans qu'on les ait prévues et vous allez peut-être me poser aujourd'hui des questions très difficiles.
Je suis ingénieur de formation et je suis aussi un agronome professionnel. Je suis né sur une ferme productrice de pommes de terre dans la région de Drummond, au Nouveau-Brunswick, pas à Drummondville, au Québec.
[Français]
Je vais vous donner un petit aperçu de mon plan de présentation. D'abord, le rôle du Centre de conservation des sols: qu'est-ce que la conservation des sols et quels sont les enjeux environnementaux? En ce qui a trait aux instruments politiques, hier lors des séances vous avez demandé des solutions, des espoirs de solution: quels sont les outils à utiliser dans le cadre de l'agro-environnement pour un changement vers une agriculture durable?
Je vais aussi parler des besoins en recherche et développement, du dossier de la sécheresse, de la position du Centre de conservation des sol et les défis du Centre en terme de partenariats.
Grand-Sault — Grand Falls — au Nouveau-Brunswick est une région située en amont de la rivière Saint-Jean. Vous voyez la flèche avec l'inscription «Eastern Canada»? C'est là qu'on est localisés. Et Saint-André est en plein milieu d'une communauté rurale — ici, sur la photo — où il y a une production assez intensive de pommes de terre. Les sols sont assez Valloneux et assez minces. À l'arrière de la photo on voit aussi les terres du côté de l'État du Maine. C'est-à- dire qu'on est près de la frontière américaine et près du Québec. Comme Paul-Émile l'a dit hier: La République du Madawaska.
Au Nouveau-Brunswick, le haut de la vallée de la rivière Saint-Jean s'appelle «La vallée de la pomme de terre». L'établissement du Centre de conservation des sols a été identifié en réponse aux besoins des producteurs qui voulaient plus de renseignements et d'information sur la conservation des sols.
Le rapport sénatorial de nos sols dégradés rédigé en 1984 — et cela remonte à assez longtemps — était présidé par le sénateur Sparrow. Lors de son passage au Nouveau-Brunswick, laissez-moi vous dire que plusieurs organismes agricoles se sont prononcés à l'effet qu'ils avaient besoin de plus d'information; que ce n'était pas seulement une question d'argent, mais d'information.
Ils voulaient une conscientisation de la société. Par la suite, avec tous les efforts des organisations locales de la région de l'amont de la rivière Saint-Jean, un fonds de donation fut créé en 1991. Et puis, à partir de ce moment, un partenariat de 20 ans fut établi avec les partenaires suivants: l'Université de Moncton, le Campus Edmunston , le gouvernement du Canada à travers son ministère de l'Agriculture, et Canada Trust qui fait maintenant partie d'une entente tripartite. Nous fêtons notre vingtième anniversaire.
Le rôle que joue le Centre et ses services en est un de recueil d'information. On essaie de trouver les informations là où elles existent, que ce soit dans l'Est du Canada, aux États-Unis ou en Europe. L'autre rôle du Centre est l'éducation et la sensibilisation du public ainsi que des agriculteurs, à partir des ressources existantes.
On joue un rôle de réseautage et d'agent; un rôle de catalyseur auprès des intervenants et des ministères impliqués, et parfois cela prend un membre indépendant pour les amener à la table.
Quant à la question des transferts technologiques par la dissémination d'information, quand la recherche est plus disponible, on essaie de la disséminer par nos mécanismes; on donne un support d'expertise aux organisations agricoles et aussi au ministère de l'Agriculture et de l'Environnement vis-à-vis la conservation des sols et de l'eau. Dernièrement, on a commencé à regarder vers des partenariats.
Au niveau de nos moyens de communication, du au fait que l'on est un petit centre, et que l'on couvre l'Est du Canada, notre moyen de dissémination passe surtout par notre réseau Internet. Il faut dire aussi que notre site Internet, puisque que l'on relève de l'Université de Moncton, doit être bilingue autant que possible. On commence à avoir une visibilité nationale et internationale au niveau de notre site Internet.
Au niveau du réseautage, nous avons des demandes provenant d'autres pays. Et on est à développer des études de cas. Une partie de notre site traite des bonnes pratiques de gestion, et donne des exemples de conservation suite à l'expérience vécue des agriculteurs.
On a un projet de partenariat avec le Fonds de changements climatiques «Climate Change Action Fund». Un premier document a été publié sur le «Climate Times». Notre rôle est de recueillir le maximum d'information lors de conférences et d'ateliers .
Quant à nos clients, — si on regarde le prochain document — c'est d'abord le Nouveau-Brunswick d'où provient environ 50 p. 100 de la demande d'information. L'Atlantique représente 80 p. 100 de notre clientèle. Il y a une demande grandissante provenant d'autres provinces.
Qui est la clientèle? Avant, c'était principalement le secteur gouvernemental, au niveau des agents d'extensions — vulgarisateurs — et maintenant, c'est le secteur privé. C'est-à-dire que ce sont des organisations agricoles qui communiquent avec nous à travers leurs consultants ou leurs employés. Ces éléments d'information n'incluent pas les utilisations de sites Internet, les activités de réseautage ou de sites Web.
On organise beaucoup d'activités éducationnelles, et parfois on aide les partenaires à développer leurs projets comme, par exemple, des vidéos.
[Traduction]
Le problème de la conservation des sols et de l'eau, tout comme les problèmes environnementaux de manière générale, est un problème de première importance dans les provinces maritimes. Nous recevons beaucoup de pluie et nous avons donc beaucoup d'eau de ruissellement. J'y reviendrai dans quelques instants. La qualité de l'eau et les ressources en eau revêtent évidemment une importance considérable depuis Walkerton. Les municipalités tiennent à avoir de l'eau de qualité.
La pollution agricole non localisée sera toujours un défi important pour les agriculteurs. Nous pouvons faire face à la pollution localisée mais comment faire face à la pollution agricole non localisée?
En ce qui concerne les changements climatiques, il s'agit d'une question reliée à Kyoto. Quel sera l'effet des solutions de Kyoto sur nous? En outre, si l'agriculture est responsable de 20 p. 100 de la solution, et si nous sommes à l'origine de 10 p. 100 des gaz à effet de serre, comment ferons-nous?
En ce qui concerne la sécurité des produits alimentaires et la planification environnementale en agriculture, et les conflits entre les régions rurales et urbaines, vous avez entendu ce qu'ont dit les témoins d'hier.
À nos yeux, la dégradation des sols — et je n'irai pas aujourd'hui dans les détails mais, venant d'une région de pommes de terre et sachant ce que j'ai appris sur l'exploitation de mon père, je sais que c'est un problème grave. Il nous est arrivé parfois de souffrir de manque d'eau dans nos sols. On pense à l'irrigation mais avons-nous d'abord pris la peine de maîtriser l'érosion? Avons-nous capté l'eau de pluie pour réduire l'eau de ruissellement? En 1985, Agriculture Canada estimait que le coût de l'érosion pour les exploitations agricoles était d'environ 40millions de dollars par an. On n'a pas investi beaucoup d'argent pour atténuer ce problème, et ce chiffre ne tenait même pas compte des coûts assumés en dehors des exploitations agricoles.
Pour ce qui est de la conservation et de la gestion de l'eau, alors que nous faisons face à une période de sécheresse, la question est de savoir comment partager l'eau disponible. Nous savons ce que coûte le fait de ne pas la partager, comme l'ont indiqué les témoins d'hier. Si nous voulons produire des aliments, il faudra de l'eau. Nos ministères des pêches et des océans se préoccupent de l'habitat qu'ils ont le pouvoir de réglementer. Ils veulent préserver un approvisionnement minimum en eau. Nos agriculteurs veulent avoir accès à des ressources en eau. La qualité et la quantité de l'eau sont des questions connexes, et nous devrions tous être au courant de la situation. Comme l'agriculture a besoin d'eau, la question est de savoir si les agriculteurs auront accès à cette eau lorsque les municipalités voudront la réserver aux pêcheurs.
La désignation des puits et le programme de protection du bassin hydrologique au Nouveau-Brunswick sont à mon avis les deux mécanismes de réglementation les plus puissants à l'heure actuelle. Comment le système de classification des cours d'eau affectera-t-il nos agriculteurs et nos collectivités rurales? Qui établira les objectifs concernant la qualité de l'eau, alors que nous devons traiter avec Environnement Canada par le truchement des groupes locaux du bassin hydrologique qui font la promotion de normes plus élevées pour la qualité de l'eau? Les agriculteurs participeront-ils aux discussions? Probablement pas parce qu'ils ne sont pas au courant, à l'heure actuelle, de ce qui se fait à cet égard.
L'eau de ruissellement des exploitations agricoles et la pollution non localisée ont une incidence sur la qualité de l'eau. Je n'aborderai pas cette question car je pense que Rob Gordon en a très bien parlé hier. Toutefois, c'est manifestement une préoccupation. Si nous ne traitons pas notre sédiment, et si nous ne conservons pas nos sédiments sur nos exploitations agricoles, ils seront parfois porteurs de pesticides. L'Île-du-Prince-Édouard en a fait l'expérience. Je n'ai pas à vous rappeler les détails.
En ce qui concerne les changements climatiques et l'adaptation aux variations, j'ai eu la chance de faire partie de la table de l'agriculture sur les changements climatiques. J'ai beaucoup appris à ce sujet et je sais que nous devons maintenant faire une promotion beaucoup plus active de la conservation des sols. Nous devons vendre cette idée d'autres manières, peut-être en utilisant l'enveloppe du changement climatique et de l'adaptation. L'eau de ruissellement agricole posera des risques plus élevés dans les provinces maritimes à cause des eaux de pluie que nous obtenons et des fortes tempêtes. On ne connaît pas cela en Saskatchewan mais on connaît ça ici. On peut facilement avoir deux pouces d'eau de pluie en 25 minutes dans la région de la pomme de terre au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Oliver: Vouliez-vous faire quelques remarques sur ces photographies?
M.Daigle: Oui. Je voudrais parler de celle que vous voyez dans le coin en haut. Voyez-vous, ce cours d'eau est pratiquement à sec l'été. Et je parle ici de la période qui a suivi l'une de ces tempêtes qu'on connaît une fois tous les 25 ans à Saint-André. Autrefois, on avait une tempête de ce genre une fois tous les 25 ans; aujourd'hui, on en a une presque une tous les cinq ans, mais elle touche une région plus petite. On connaît parfois des problèmes d'érosion catastrophiques dans certaines régions très localisées. Cette photo vient de la communauté de Saint-André, à cinq kilomètres du Centre de conservation.
Si nous voulons nous attaquer sérieusement aux changements climatiques, avec ce type de problèmes d'eau de ruissellement, nous allons devoir être beaucoup plus actifs sur le plan de la conservation. C'est bien beau d'en parler mais il faut s'assurer que l'exploitant agricole agit vraiment et laisse des zones tampons.
Pour ce qui est du contrôle des inondations, dans la région de l'Atlantique, cela veut dire des inondations côtières. Qu'adviendra-t-il de notre infrastructure de barrages terrestres? Si le niveau des eaux doit monter, nos barrages pourront-ils résister? Les Hollandais sont peut-être prêts à faire face au problème mais le sommes-nous aussi? En ce qui concerne le stress cultural, nous aurons besoin de plus d'irrigation, mais pas du même type d'irrigation que dans l'Ouest. Nous aurons besoin d'irrigation supplémentaire, ce qui est différent. C'est une démarche différente, une gestion différente.
Nous devrons donc adapter nos régimes culturaux, et les agriculteurs devront aussi réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais s'il y a une chose dont nous devrons absolument nous occuper — et j'y reviendrai plus tard — c'est l'entreposage de l'eau, pour pouvoir donner des services d'irrigation à l'agriculture de manière durable et viable. Mon expérience personnelle, fondée sur mes rapports avec les agriculteurs de la collectivité de Drummond, de Grand Falls et de la région de la pomme de terre, et sur mes 15 années de travail avec les agriculteurs, plus mes années d'étudiant, plus les années où j'ai tenté de convaincre mon père à la table de la cuisine, me dit que les temps sont difficiles. Mon père me disait toujours de retourner à l'université parce que je ne savais pas grand-chose, jusqu'à ce que je fasse mes preuves. J'ai dû faire mes preuves, pas à pas, sur l'exploitation familiale.
Je montre sur ce diagramme des terres exploitées par mon cousin. Il s'agit de terres qui étaient cultivées de chaque côté de la colline. Les taux d'érosion étaient de 15, 20, 50 tonnes à l'acre par an. Nous parlons ici de pentes très fortes et très longues sur lesquelles on cultivait des pommes de terre, de chaque côté de la colline. Cela mine les sols et nous devrons mettre fin à ce genre d'activité qui contribue gravement à l'érosion des sols. Il a fallu presque une génération pour changer cette méthode, en exerçant de très fortes pressions sur les agriculteurs, presque en leur tordant le bras, pour qu'ils changent leurs méthodes et leurs attitudes. La réalité est que, dans le contexte des pressions du marché global, les producteurs doivent être des survivants; ils ont des banquiers qui leur disent qu'ils ne vendent pas assez de pommes de terre et ils essaient constamment d'en cultiver plus.
Pour ce qui est de l'efficience agricole et de l'épuisement des sols, si on commence à aménager des terrasses et des cours d'eau, on retirera 8 à 10 p. 100 de terres de la production. Cet élément devra être remplacé et les agriculteurs conviennent qu'ils doivent accepter un compromis. Toutefois, quand on regarde le prix des terres à Drummond, Grand Falls, au Nouveau-Brunswick, il tourne autour de 4000$ l'acre, et parfois même 5000$. Cette perte de 5000$ constitue un coût pour le producteur. En ce qui concerne l'accessibilité des terres et la propriété foncière, l'agriculteur qui loue ses terres sera-t-il intéressé à investir? Est-ce une responsabilité du propriétaire ou du locataire?
En ce qui concerne les paramètres économiques de la conservation des sols, ils n'ont pas encore été établis, alors que nous sommes en 2002; nous ne pouvons pas encore prouver aux agriculteurs qu'elle offre des avantages réels. Comment partager les avantages au sein de la société? En 1997, le Centre de conservation des sols a fait une analyse exhaustive des études concernant les instruments de la politique environnementale en agriculture. Nous avions alors probablement cinq ans d'avance parce qu'il n'y avait pas beaucoup de gens qui s'intéressaient à cette question à l'époque. Aujourd'hui, cependant, nous y sommes, avec la politique cadre en agriculture.
Pourquoi avons-nous fait ça? À cause du travail qui se faisait à l'Île-du-Prince-Édouard. Nous voulions aider l'Île- du-Prince-Édouard à formuler sa politique cadre et à mener ses consultations avec la table ronde. Cela implique beaucoup de choses différentes. Si nous voulons nous conformer aux politiques des autres pays de l'OCDE, nous devons établir un équilibre entre les politiques et la réglementation. Nous semblons avoir tendance à croire qu'il nous appartient de réglementer, parce que nous avons moins de ressources. N'oubliez pas cependant que la réglementation exige une surveillance et des mécanismes d'exécution. Sinon, elle risque de coûter cher à long terme. Autrement dit, préférons-nous assumer des coûts élevés maintenant ou avoir recours aux tribunaux?
Qu'en est-il des mesures volontaires? En Europe, ils consacrent de l'argent à l'approche volontaire et amicale, c'est- à-dire qu'ils aident les agriculteurs en faisant la promotion des meilleures pratiques de gestion, de la planification environnementale, de services techniques et d'extension, toutes choses que nous n'avons pas encore assez étudiées. Nous avons besoin de politiques pour aider nos propres agriculteurs à faire la même chose car cela ne peut pas se faire tout seul. Il faut envisager à nouveau des avantages fiscaux et des programmes d'incitation. En ce qui concerne les instruments de politique, il faut offrir des incitatifs économiques. Voilà ce que nous essayons de promouvoir, et j'ajoute que ce rapport est actuellement disponible sur notre site Web. Je vous en ai apporté un exemplaire. Nos programmes manquent de perspective à long terme et de continuité. Nous avions autrefois des ententes fédérales-provinciales qui permettaient aux agriculteurs de dresser des plans. Aujourd'hui, ils ne le peuvent plus. Nous ne savons pas si nous aurons encore un programme l'an prochain, et il nous est donc impossible de dresser des plans pour l'avenir. Peut-être devrions-nous envisager un mécanisme de crédits d'impôt pour la mise en oeuvre des meilleures pratiques de gestion. Les autres pays ont adopté toutes sortes de méthodes que votre groupe aurait peut-être intérêt à examiner. J'ai entendu dire hier soir que vous iriez peut-être en Europe. Si tel est le cas, vous pourriez en profiter pour examiner de très près toute cette situation car nous avons des choses à apprendre des vieux pays. Le Canada est encore jeune.
Le chapitre suivant est consacré au «Soutien d'infrastructures communes ou sur les exploitations». Je reviendrai là- dessus dans le contexte des problèmes d'irrigation et de sécheresse mais, si Environnement Canada adopte des programmes pour aider les municipalités à améliorer leurs systèmes d'approvisionnement en eau, que faisons-nous pour nos agriculteurs? Quelle serait la bonne démarche équilibrée? Devrions-nous les aider pour l'irrigation, l'approvisionnement en eau ou l'entreposage du lisier? Y a-t-il des programmes à ce sujet? Dans certaines provinces, oui, dans d'autres, non.
Nous devons concevoir des programmes spécialement destinés aux zones particulièrement sensibles du bassin hydrologique et des puits municipaux. Il y a des règlements au Nouveau-Brunswick, touchant la région d'Edmundston, et Paul-Émile vous en déjà parlé un peu, mais il y a là un gros défi à relever. Avons-nous l'intention d'abandonner l'agriculture, en oubliant que nous pourrions vouloir planter des arbres partout, pour avoir ainsi de l'eau de qualité pour la municipalité? Comment cette ressource est-elle partagée? Quels sont les incitatifs au partage?
L'éducation publique sera importante pour les services techniques ainsi que pour la recherche. Voulons-nous tout concentrer sur la recherche mais ne pas transférer l'information? Diffuser cette information devrait être l'un de vos objectifs, car le service technique est important. La conservation des sols et la gestion des terres ne peuvent se faire sans aide. Je parle ici d'aide technique et de formation professionnelle. Je suis passé par là, personnellement, au cours de ma carrière. Quand j'ai démarré, certains agriculteurs me disaient de ne pas remettre les pieds sur leur terre, mais j'ai insisté en allant discuter chez eux, dans leurs cuisines, autour d'une tasse de café, jusqu'à ce qu'ils se décident à changer et à adopter le concept. Nous avons besoin de stratégies de développement durable à long terme si nous voulons savoir où nous allons. Nous devons définir le rôle des parties prenantes.
En ce qui concerne l'établissement de partenariats, du point de vue du Centre de conservation, nous sommes tout à fait favorables à une approche volontaire et participative, impulsée par le secteur lui-même. La planification agricole environnementale est l'un des outils de sensibilisation. Pour ce qui est du soutien organisationnel, nous devrions peut- être aider les agriculteurs au moyen d'un mécanisme quelconque, que ce soit par des clubs de conservation ou des conseils agri-environnementaux, pour leur permettre de s'organiser car, à l'heure actuelle, ils ne sont pas organisés pour relever efficacement les nouveaux défis de l'environnement. Il faut que les agriculteurs assument la responsabilité dans ce domaine. Tel est d'ailleurs le message de cette bande vidéo sur les meilleures pratiques de gestion touchant les changements climatiques, qui a été produite par le Conseil de conservation des sols du Canada. Il s'agit essentiellement de conservation des sols et de l'eau. Nous devons redéfinir ces notions dans le contexte des changements climatiques et de l'adaptation. Il n'est pas nécessaire de réinventer le fil à couper le beurre car les agriculteurs seraient alors totalement perdus. Je le sais, de par mon expérience personnelle.
Nous avons besoin de bons outils de gestion. La planification environnementale agricole en est un, mais ce n'est pas suffisant. C'est un outil de sensibilisation. Il a été conçu à cette fin, ici même, dans l'Est, et nous aurons besoin d'un plan de conservation des sols et de l'eau pour les cultivateurs de pommes de terre de la région. Nous avons besoin de soutien technique et professionnel pour veiller à ce que les structures soient mises en oeuvre correctement. C'est-à-dire, qu'elles soient mises en oeuvre et qu'elles soient entretenues pour devenir permanentes.
Nous devons faire la promotion des MPG, les meilleures pratiques de gestion. Je parle ici de gestion des nutriments. Toutefois, la gestion des nutriments n'est pas la solution ultime s'il y a un problème d'érosion. Lorsqu'un agriculteur exploite des terrains en pente ou des collines, le meilleur plan de gestion des nutriments ne peut lui suffire car toute sa production risque d'être lessivée. Il faut donc mettre en place un système de suivi, et il faut que les agriculteurs adoptent cette pratique. Les gaz à effet de serre feront aussi partie de cette stratégie de gestion, tout comme la gestion intégrée des ravageurs et la sécurité des produits alimentaires.
Nous avons organisé un atelier national sur la planification agricole environnementale pour faire la promotion de cette notion dans la région des Maritimes, par le truchement du Conseil des agriculteurs de l'Atlantique, lorsque nous avions constaté que certains agriculteurs de certaines provinces étaient en avance par rapport aux autres. En fait, nous avons demandé à tout le monde de venir à la même table, en mars dernier. Nous avons publié un compte rendu de cet atelier, en français et en anglais, et je vous en ai apporté un exemplaire. Vous pouvez aussi le trouver sur notre site Web.
Ce que ce processus de deux jours nous a appris, c'est que les agriculteurs disent avoir besoin d'autres programmes d'éducation et de sensibilisation. Nous avons besoin d'un mécanisme permettant aux agriculteurs et aux producteurs d'établir leurs priorités de recherche de façon à ce que ces MPG, lorsqu'elles seront élaborées, soient pertinentes pour les producteurs eux-mêmes. Il y a aussi un ratio coûts-bénéfices. Nous avons besoin d'un processus volontaire.
Si nous définissons ces MPG en termes de langage, il nous faut les meilleures pratiques de gestion pour être conformes à toutes ces catégories de la loi et de la politique cadre. On peut bien avoir les meilleures pratiques de gestion pour assurer la qualité de l'eau mais elles ne seront pas adéquates pour les sols ou pour l'atmosphère, et il nous faut donc envisager des MPG qui soient vraiment efficaces. C'est tout un défi pour l'agriculture.
Pourquoi ai-je inclus là-dedans la sécurité des produits alimentaires? C'est nous qui produisons les aliments. Les fruits viennent de l'arbre mais les pommes de terre viennent du sol et c'est la qualité du sol qui détermine la qualité de la récolte. Je parle ici de la qualité des pommes de terre que mon frère vendra aux usines McCain. C'est ça qui compte. Ce n'est pas la quantité, c'est la qualité, plus la prime que celle-ci lui rapporte.
En ce qui concerne les meilleures pratiques de gestion, le Centre de conservation a fourni une définition de cette expression, et je pense que c'est important:
Les meilleures pratiques de gestion intègrent des principes de production favorisant la durabilité économique et environnementale à long terme de l'agriculture.
Voilà la définition du Centre, et nous tenons à souligner que ces pratiques doivent aussi être durables sur le plan économique.
Le président: Est-ce que cette photo représente la même ferme que précédemment?
M.Daigle: Oui.
Le président: Mais elle a changé?
M.Daigle: Oui. C'est aussi un site de référence d'Agriculture Canada. Après 10 années de recherches préliminaires, nous avons finalement démontré que les systèmes en terrasses et les voies d'eau gazonnées sont efficaces pour contrôler les eaux de ruissellement et pour retenir plus d'eau de pluie, par rapport à un autre site de référence exploité en colline. Autrement dit, pour préserver l'humidité du sol et réduire le risque d'inondation en aval. Nous devons adopter d'autres pratiques de ce genre. Nous avons publié à ce sujet une étude, avec des gens d'Agriculture Canada de Fredericton. Je pense que nous sommes probablement les premiers au Canada à avoir fait ce type d'étude sur le contrôle de l'érosion, en utilisant l'un de nos meilleurs agriculteurs dans ce domaine, à Drummond.
Passons maintenant à la R-D — j'essaie de conclure parce que je crois avoir déjà beaucoup parlé. Je tiens cependant à faire quelques remarques à ce sujet car je pense qu'il intéresse certainement votre groupe, et j'aimerais en parler en prenant la perspective du Centre. Comme nous sommes un organisme non gouvernemental, je pense que nous avons des choses intéressantes à vous dire à ce sujet. Il faut que le secteur agricole fasse de la R-D. Il faut qu'il soit représenté à la table. Il faut un mécanisme pour qu'il puisse appuyer la recherche de manière plus active.
Je me rends souvent dans l'État du Maine où se trouve le Service d'extension coopératif de l'Université du Maine. Il adresse chaque année un rapport aux exploitants agricoles et il les remercie de leur appui. Pensez-vous que nous allons dans la bonne voie? Faisons-nous ça au Canada? Je ne le sais pas.
Nous devons calculer les avantages économiques des MPG. L'agriculteur a besoin de savoir s'il devra dépenser son argent, ses propres ressources, pour élaborer les meilleures pratiques de gestion — mais dans l'intérêt de qui? Faire de la recherche à long terme dans des domaines tels que la conservation des sols, les changements climatiques et la qualité de l'eau, sur une période de moins de trois ans, n'a quasiment aucun sens. On doit faire ça sur au moins cinq ans, voire 10 ans. Si l'on envisage sérieusement de ratifier Kyoto en tenant compte de la séquestration du carbone, nous devons planifier des recherches sur au moins 10 ans, et peut-être plus, pour qu'elles soient vraiment efficaces, car étudier les changements climatiques avec une variabilité de trois ans pourrait dire qu'on a deux années de sécheresse et une année de pluie dans un climat maritime. L'agriculteur se demande toujours: à quoi ça sert? Quand la recherche a-t-elle été faite et quelles étaient les caractéristiques climatiques à ce moment-là? Était-ce une année de pluie? Nous sommes dans les Maritimes, où le climat change beaucoup, nous ne sommes pas en Saskatchewan.
Il faut qu'il y ait du transfert de technologie. Nous devons avoir accès aux résultats de la R-D. Si nous voulons disposer d'outils de décision pour formuler des politiques, nous devons avoir accès à ce type d'informations sans être obligés d'attendre qu'elles soient publiées, ce qui peut prendre jusqu'à cinq ans.
La position du Centre sur le problème de la sécheresse est que nous devrons probablement accroître nos activités d'irrigation dans les provinces de l'Est. Nous allons devoir l'envisager sérieusement car certaines récoltes auront besoin d'eau. Nous devrons voir au-delà du filet de sécurité actuel. Ce que nous lisons dans les journaux, c'est comment les agriculteurs font pour produire leur récolte suivante et payer les factures de leur banquier, ce qui est normal, mais il va falloir envisager les choses à une échéance beaucoup plus longue. Si une province enregistre une perte de 10millions de dollars, pourrions-nous au moins consacrer 1 million à l'infrastructure d'irrigation?
En ce qui concerne le programme d'incitation pour l'approvisionnement en eau et l'infrastructure, je suis ingénieur et je sais que nous avons déjà été confrontés à ce problème dans le passé. Il faut passer à l'action. Nous ne pouvons pas continuer à tirer l'eau des rivières ou des cours d'eau car cela crée des conflits avec les autres utilisations. L'irrigation ne devrait pas remplacer des pratiques fondamentales de gestion des sols et de l'eau. Je crois qu'on l'a mentionné plusieurs fois hier lors du débat.
Nous devons faire la promotion des meilleures pratiques de gestion et de technologies d'irrigation efficaces. Cela pourrait être efficient si nous voulons faire accepter cela du point de vue environnemental.
Nous devons mener des études de faisabilité sur les méthodes d'irrigation de façon à prouver aux agriculteurs que ce sera rentable. Mon expérience au Nouveau-Brunswick m'a montré qu'on peut amener les gens à changer d'avis. Au début, ils disent non, qu'ils ne changeront pas leur système de rotation. Qu'ils n'investiront pas dans des pompes et du matériel. Qu'ils feront les choses différemment.
Nous avons besoin d'un meilleur mécanisme de coordination. Le Centre a une vision quant à l'avenir de l'agriculture. Nous sommes un très petit Centre pour l'Est du Canada et nous essayons d'aider les organisations à faire la promotion de la durabilité agricole. Nous avons de gros défis à relever, sur le plan financier, mais nous pensons que la croissance résultera du leadership. Nous pensons pouvoir offrir ce leadership, dans l'est du Canada, ou au moins dans la région de l'Atlantique, en établissant de meilleurs partenariats avec les organismes existants et en obtenant des ressources adéquates. Cela pourrait se faire à tous les niveaux dans tout le Canada.
Il faut faire l'éducation du public et des producteurs. Quelqu'un doit s'en charger. Il faut mettre plus l'accent sur la durabilité des collectivités rurales. Nous venons d'une collectivité rurale, à Saint-André, et nous savons les défis qu'il faut relever du point de vue de la désignation des puits, de l'érosion et des quantités d'azote dans les puits. Le transfert technologique vers les exploitations agricoles doit faire partie de la solution. Si nous ne pouvons pas avoir accès aux résultats de la recherche, nous devrons peut-être effectuer des recherches appliquées pour reconcevoir les systèmes de manière à ce qu'ils soient économiquement acceptables par l'agriculteur, pour que celui-ci comprenne mieux la nécessité de la conservation. Comme je viens du monde agricole, je sais que l'on manque parfois d'arguments solides ou de recherches pratiques pour convaincre les producteurs qu'ils doivent contribuer aux programmes de conservation.
L'initiative du changement climatique est une nouvelle opportunité et notre Centre devrait faire partie des Centres d'expertise et disposer de fonds suffisants.
La planification agricole environnementale exhaustive fait partie de la politique cadre de l'agriculture. J'ai commencé à travailler à Drummond dans les années 70. J'ai passé plus de 27ans à essayer de convaincre les agriculteurs d'adopter les systèmes de conservation des sols et de l'eau que vous avez vus au site de recherche sur les MPG.
Nous avons les meilleurs coopérateurs et peut-être la meilleure vitrine de l'Est canadien et, probablement, de tout le Canada. Nous accueillons des délégations de Chine et d'autres pays qui viennent voir comment nous faisons le transfert technologique et l'adaptation des méthodes.
Au Centre, nous pensons que la conservation des sols et de l'eau devrait être un volet essentiel de toute politique cadre sur l'agriculture, pour assurer la durabilité agricole et environnementale. Il est difficile de répondre à ces deux exigences. Si nous voulons avoir des approvisionnements alimentaires sains tout en fonctionnant dans un milieu compétitif, nous savons que les agriculteurs devront être compétitifs.
Le président: Ce seront vos meilleurs porte-parole.
Lors d'une visite que nous avons effectuée plus tôt cette semaine, quelqu'un nous a dit que, si l'on commence à pomper de l'eau des soubassements de l'Île-du-Prince-Édouard, l'eau de mer arrivera et nous aurons un sérieux problème. Que pensez-vous de ça? C'est vrai?
M.Daigle: En tant qu'ingénieur de conservation des sols, je travaille avec des géologues. Je ne connais pas la situation de l'Île-du-Prince-Édouard mais c'est certainement un problème dont il faut tenir compte. Il faut faire très attention à la quantité d'eau que l'on peut extraire. Il convient donc d'étudier cette situation — et je crois que c'est ce qui manque — pour mesurer la capacité de nos ressources hydrologiques. Grâce à une étude effectuée par Jacques Whitford Environment Limited au début des années1990, nous savons quelle est la situation pour la haute vallée de la rivière Saint-Jean du Nouveau-Brunswick. Je faisais partie du comité directeur de l'étude et nous avons constaté à cette occasion que l'eau du bassin hydrologique n'était pas vraiment accessible dans la région étudiée, sauf si l'on était à proximité d'une rivière ou d'un gros bassin aquifère. Cependant, si tel était le cas, il y aurait fort probablement aussi une municipalité dans la région. Autrement dit, il y aurait concurrence pour l'utilisation de la ressource.
Je pense qu'il faut faire preuve de bon sens. L'Île-du-Prince-Édouard est probablement aujourd'hui la seule province qui se soit dotée d'une politique agricole pour faire face à l'irrigation. La politique porte sur les eaux de surface et les eaux souterraines, mais les éléments concernant les eaux souterraines devraient être révisés au moyen d'une étude de faisabilité, de tests complémentaires et d'une planification plus intégrée des ressources en eau.
Le président: En Arizona, le niveau de l'eau a baissé de 40 pieds à cause des pratiques d'irrigation.
M.Daigle: Si vous me permettez de faire une autre remarque, nous avons beaucoup d'eau de ruissellement dans les Maritimes grâce à la fonte des neiges. Nous devons cependant lutter contre l'érosion et disposer de bassins de contrôle des sédiments pour capturer ces eaux de ruissellement de façon à assurer la propreté de nos cours d'eau, et ce serait une situation gagnant-gagnant.
Le sénateur Wiebe: En règle générale, quand des témoins font des exposés, il y a des choses que j'approuve et d'autres que je désapprouve mais, dans votre cas, je dois dire que je vous approuve à 100 p. 100. J'ai eu l'occasion de discuter avec vous, lors de notre visite d'hier soir, et je vous avais promis de ne pas vous poser de questions difficiles aujourd'hui, mais j'ai changé d'avis. Je vais vous poser une question difficile.
M.Daigle: Ça ne fait rien.
Le sénateur Wiebe: Nous parlons des pressions exercées sur nos agriculteurs par les banquiers et par les marchés mondiaux. Les gouvernements, provinciaux et fédéral, leur disent de diversifier leurs activités, de faire de l'agriculture mixte et d'élever du bétail, de faire ci, de faire ça. Les agriculteurs le font, mais ils le font pour des raisons strictement économiques et non pas environnementales, parce qu'on les a poussés à le faire. Comment pourrions-nous les convaincre qu'ils devraient gérer l'environnement et les sols correctement?
Ceci n'a rien de nouveau. Voyez la situation actuelle en Saskatchewan, avec la sécheresse. L'Alberta a ça depuis deux ans et l'année dernière a été notre première année de sécheresse. Nous en sommes maintenant à la deuxième année. Nous transportons déjà du foin d'un bout à l'autre de notre province pour élever le bétail, mais on savait cela depuis des années.
Quand j'étais petit, mon grand-père me disait: «Tu vois, nous faisons de la culture dans le triangle de Palliser». Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas le triangle de Palliser, c'est une zone désertique entre Winnipeg, Calgary et Saskatoon. Il me disait: «Si tu veux élever du bétail dans ce secteur, tu devras faire deux choses: premièrement, creuser un puits profond et, deuxièmement, avoir trois ans de réserve de foin ou de grains de provende».
Les éleveurs de cette partie du Canada qui ont suivi ce conseil ne connaissent maintenant aucune difficulté. Ils ne s'adressent pas au gouvernement pour demander une aide financière pour l'élevage du bétail ou le transport du foin. Ils ne sont pas obligés de vendre leur bétail à vil prix. Leur bétail ne dévore pas l'herbe à un point tel que le sol n'est plus protégé contre l'érosion. Par contre, si nous avons une année supplémentaire de sécheresse, l'érosion des sols dans les Prairies sera catastrophique.
Comment peut-on transférer le savoir relatif à la nouvelle technologie aux agriculteurs et aux éleveurs?
M.Daigle: C'est une question complexe. Je viens du monde agricole et j'ai vu des agriculteurs perdre leur chemise, des cousins dont le père n'avait pas voulu s'occuper de conservation à temps. Il avait trop attendu. Quand ils ont repris sa ferme, ils l'ont perdue parce que le banquier leur a dit qu'ils devraient faire une culture plus intensive. Il nous faut donc éduquer non seulement les agriculteurs mais aussi les banquiers et les institutions financières. Il faut avoir une vue d'ensemble. Voilà pourquoi je dis que nous avons besoin d'une politique cadre pour que nos banquiers et nos institutions financières comprennent les questions d'érosion et de dégradation des sols. Nous épuisons nos sols, comme le disait le sénateur Sparrow. Au fond, c'est comme revenir à 1985. Il faut commencer à discuter et à organiser plus de conférences et d'ateliers pour nous adresser au grand public parce qu'il ne comprend pas.
Nous n'avons pas effectué les recherches nécessaires pour démontrer aux agriculteurs ce qu'exige la transition pour quelqu'un qui fait face à l'érosion depuis 20 ans. Si un agriculteur a été confronté à l'érosion de ses terres pendant 20 ans, au rythme de 15 à 20 tonnes l'acre, que lui reste-t-il? Il lui faudra peut-être 10 à 15 ans, ou une autre génération, pour reconstruire son sol.
Mon frère tire aujourd'hui profit de ce que mon père avait fait sur sa ferme. C'est l'un des 10 premiers fournisseurs de McCain's. Il a une très petite exploitation mais elle est très efficiente grâce à d'excellentes pratiques de gestion et à une meilleure rotation.
Je pense qu'il faut tenir compte de la compétitivité mais que nous avons aussi besoin de la technologie, du transfert et de l'adaptation. Nous devons fournir de vraies réponses car nous ne pouvons pas dire aux agriculteurs qu'ils doivent faire ça tout seuls.
Le sénateur Oliver: Qu'a fait votre frère pour préserver les sols et l'eau?
M.Daigle: C'est mon père qui a fait ce travail, alors que j'étais encore à l'université. Il a aménagé des terrasses parce que nous exploitions des sols sur des pentes de 5 p. 100 à 15 p. 100. Chaque année, après chaque tempête, nous constations une grave érosion de nos terres. Pour vous en donner un exemple, il m'arrivait certains automnes de pouvoir me cacher entre les rangs de pommes de terre tellement le sol s'était creusé. L'érosion n'a pas été aussi sévère à l'Île-du-Prince-Édouard parce que les pentes ne sont pas aussi fortes ni aussi longues qu'au Nouveau-Brunswick.
Je le répète, nous devons changer nos méthodes. Nous faisons face à un changement de propriété et nous devons consolider les terres. Nous devons éliminer les barrières pour pouvoir changer les méthodes.
Il faut que les agriculteurs s'entendent sur les sources d'approvisionnement en eau. Quand je parle d'infrastructure commune, je veux dire que nous avons parfois besoin d'un droit de passage pour pouvoir amener l'eau là où on en a besoin. C'est compliqué mais j'estime que la génération actuelle tire maintenant profit de ce que mon père a fait à son époque.
Toutefois, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les agriculteurs paient la facture complète à ce sujet. Comment pourrait-on la partager? J'ai parle de 40 millions de dollars par an de coût pour les agriculteurs. Je parle d'utilisation d'engrais. De même, nous devons nous pencher sur les coûts hors exploitation concernant les sédiments, les pesticides et tous les autres organismes qui peuvent se retrouver dans les cours d'eau. Si l'on commence à chiffrer tout ça, ça veut dire que la société devra savoir combien elle devrait investir dans des programmes.
Le sénateur Hubley: Je voudrais d'abord vous poser une question sur la rotation culturale parce que vous avez une rotation de 2,2 ans, alors que l'Île-du-Prince-Édouard envisage d'imposer une rotation de trois ans, par voie législative. Pourriez-vous nous parler de l'importance de la rotation culturale?
Deuxièmement, j'aimerais connaître votre avis sur la manière dont les agriculteurs réagiraient à une législation environnementale.
M.Daigle: Je sais que l'Île-du-Prince-Édouard a adopté cette approche. Il serait très difficile d'imposer une rotation de trois ans autour de Grand Falls, par exemple. Je pense qu'il faudra sans doute prévoir des méthodes différentes dans le texte de loi car il y a toutes sortes de méthodes de rotation pour rebâtir la matière organique, tout dépendant du sol de surface et de la gestion des cultures du point de vue de la conservation. Il nous faut élaborer des outils qui nous permettront de juger les diverses méthodes de rotation. Du point de vue de l'équation universelle des pertes en terre, l'USLE, il y a un outil qu'on appelle le facteur C que les États-Unis utilisent depuis de nombreuses années. Le facteur C permet de juger une méthode de rotation par rapport à une autre. C'est ce qu'on appelle la méthode de conservation culturale. Un autre volet de l'équation concerne la culture en terrasses ou la culture en bandes et c'est le facteur P. Le facteur C et le facteur P de l'équation constituent un mécanisme de contrôle dont dispose l'agriculteur. C'est le facteur C qui permet de juger les méthodes de rotation.
On déploie actuellement certains efforts à l'Île-du-Prince-Édouard pour juger une rotation équivalente à une rotation de trois ans parce que personne ne peut assumer les frais de la transition tant qu'il n'y aura pas un certain type de jugement. Il faut que l'on comprenne bien comment on va s'attaquer au problème. Il sera difficile de convaincre les producteurs de changer parce que les bienfaits ne seront pas immédiats. À Grand Falls, nous avons constaté que passer d'une rotation de pommes de terre aux céréales sur un an ou deux ans à une rotation d'un an à trois ans pourrait exiger une période de transition de plus de trois ans. Nous constaterons une différence non seulement dans la quantité mais aussi dans la qualité du produit parce que c'est ce que veut le consommateur des frites McCain's. Je sais qu'il y a un gros débat là-dessus à l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Oliver: Ma question sera brève parce que le président a déjà posé la question qui m'intéressait sur le bassin hydrologique.
J'ai des soeurs qui vivent aux Bermudes où elles doivent capturer l'eau de pluie pour leurs usages domestiques. Elles ont un système de citerne. La pluie tombe sur le toit et elle s'écoule dans une vaste citerne qui se trouve dans le sous-sol de la maison. C'est comme ça qu'elles s'approvisionnent en eau et ça semble bien marcher.
Comment pourrions-nous faire meilleur usage de l'eau de pluie sur nos fermes? Devrions-nous utiliser des citernes? Dans des régions comme l'Île-du-Prince-Édouard, où l'on est entouré d'eau salée, les agriculteurs devraient-ils s'équiper de matériel de dessalement pour transformer l'eau de mer en eau douce? Avez-vous fait des recherches là- dessus?
M.Daigle: Notre Centre ne fait pas de recherche. Notre rôle est d'examiner les études. Nous savons que les informations disponibles sur les ressources hydrologiques sont très limitées. Terry Hennigar est l'un des experts en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Oliver: Je crois qu'il s'adressera demain à notre comité.
M.Daigle: J'ai entendu une partie de son exposé sur ce qui se fait dans la Vallée. Ils disposent de certains résultats préliminaires mais ils n'ont pas encore de données sur la nappe souterraine. Il faut investir dans ce domaine pour obtenir des réponses scientifiques. Comme je suis ingénieur, je sais qu'il y a toujours une réponse mais il faut en payer le prix.
La première chose à faire est de nous pencher sur la répartition de l'eau. En 1995, je faisais partie d'une équipe du Nouveau-Brunswick qui a participé à des consultations à ce sujet. Nous encouragions l'entreposage de surface et des bassins de dérivation. Toutefois, c'était dans des situations ponctuelles. Cela dépend en grande mesure de la nature des sols, de la géographie, de la topographie et de la géologie, mais je suis prêt à dire qu'essayer de capturer l'eau de ruissellement du printemps serait peut-être la méthode la plus durable étant donné le climat des Maritimes.
Les agriculteurs de Grand Falls ont mis au point un système pour pomper l'eau de la rivière. Ils en retiennent déjà assez grâce à l'écoulement naturel pour deux ou trois irrigations des terres, mais ils doivent aussi en pomper pour obtenir le complément. Je dirais que la même chose vaut pour l'eau souterraine. Nous devons mettre au point un système avec un taux de pompage moins élevé. L'irrigation exige un taux plus élevé, une plus grande capacité, et nous avons donc besoin d'un système combinant un réservoir d'entreposage très bien scellé avec un taux de pompage moins élevé, tout en continuant de capturer le plus possible d'eau de ruissellement. C'est la méthode que je recommanderais, en tant qu'ingénieur.
Le sénateur Tunney: Je ne pense pas que vous ayez parlé de la gestion des sols, c'est-à-dire de la structuration des sols de manière à leur permettre de capturer l'eau de pluie plutôt que l'eau de ruissellement. Je parle de deux choses. La première est la rotation culturale, par laquelle on plante des herbes ou de la luzerne, à racines profondes pour prévenir l'érosion, et la deuxième est la pénétration dans le sol. Comme vous le savez, avec la culture minimale, l'eau doit s'écouler car elle ne peut pénétrer dans le sol. Le sol de surface devient très dur parce qu'on utilise des machines lourdes qui le compactent. Il peut aussi y avoir un manque d'humus dans le sol, ce qui est nécessaire pour préserver sa qualité.
Par exemple, j'ai de l'argile lourde sur ma ferme et le sol est quasiment aussi plat que ce plancher. Si je ne laboure pas pendant une année, pour casser ce sol, et si nous avons une période de sécheresse, mon maïs va flétrir. Voilà pourquoi je travaille le sol, je casse la couche dure, ce qui fait que je n'ai jamais de flétrissure, même en période de sécheresse prononcée.
M.Daigle: Je ne peux faire de commentaire à ce sujet parce que je parlais plus du point de vue global. Je n'ai pas été dans les détails. Il y a toutes sortes de solutions à ce problème. Un ingénieur du ministère de l'Agriculture de l'Île-du- Prince-Édouard, M.Ron DeHaan, a étudié les questions de gestion des résidus, de paillage et de culture de conservation. Cultiver des pommes de terre sans labourer est tout un défi, et ce n'est probablement pas encore une solution réaliste du point de vue économique. Toutefois, je conviens que nous devons tenir compte du compactage, à cause des machines lourdes que nous utilisons, comme les moissonneuses-batteuses, qui exercent une pression de plusieurs tonnes au pied carré. Cela crée un système de vide comme un vibrateur ou un compacteur. Oui, nous avons un problème de compactage.
Nous devons revoir les méthodes culturales. Nous devrions étudier les systèmes permettant de laisser le résidu sur le sol. Nous devons aussi envisager de meilleurs systèmes de rotation. Il y a plusieurs options envisageables à ce sujet et c'est toujours l'agriculteur qui doit prendre la décision. Nous devons avoir la contribution de personnes ayant obtenu une excellente formation dans ce domaine. Nous manquons de personnes formées dans les provinces de l'Est. Ils sortent de l'université, ce qui était aussi mon cas, mais il faut aussi apprendre sur le terrain. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut apprendre dans les livres. Ça ne s'apprend pas au collège.
Le président: À ce sujet, cela se produit naturellement dans les Prairies. Nous avons un temps tellement sec qu'on pourrait fort bien glisser des clés à molette Crescent dans les fissures du sol, tellement elles sont larges. Quand il pleut, l'eau s'écoule directement dans les fissures. En outre, dans les années pluvieuses, le sol gèle à six pieds de profondeur ce qui provoque sa rupture. Ensuite, l'eau s'écoule dans les fissures.
Je ne connais qu'un seul petit secteur où on a utilisé des méthodes de pénétration en profondeur derrière un Caterpillar qui creuse à environ trois pieds de profondeur pour briser la croûte. Ce n'est généralement pas un problème pour nous, à cause de notre climat. Comme nous ne recevons qu'environ 12 pouces de pluie par an en moyenne, c'est une situation très différente.
M.Daigle: Nous recevons parfois ça en 24 heures.
Le président: Oui.
Le sénateur Day: Merci beaucoup d'avoir montré des photographies de la belle vallée de la rivière Saint-Jean. J'espère que mes collègues auront l'occasion de visiter cette région. Nous sommes partis de Fredericton et nous sommes allés au sud, ce qui est également une très belle région.
Hier, nous avons entendu M.Soucy, qui est de la région d'Edmundston où il y a eu ce terrible accident d'automobile. Je suis certain que vous partagez mon opinion sur la question du transport.
En ce qui concerne vos photographies, il est dommage que vous n'ayez pas pu les présenter côte à côte pour montrer la situation avant et après l'aménagement de terrasses.
M.Daigle: C'est ce que j'avais l'intention de faire mais j'y ai renoncé pour cette fois.
Le sénateur Day: Je pense que ce serait très parlant.
M.Daigle: C'est ce que j'avais fait lors de ma rencontre de 1995 avec le sénateur Sparrow, à la conférence de Grand Falls. Il y avait là trois groupes de journalistes, des Français, des Anglais et un Américain. Je leur ai montré la situation avant et après. Cependant, pour faire ça, il nous faudrait deux systèmes de projection.
Le sénateur Day: Pour revenir à la question du sénateur Oliver, concernant la retenue des eaux de surface, pourriez- vous nous envoyer un exemple montant comment cela se fait dans le monde réel? Est-ce que les bassins que l'on voit aujourd'hui sur de nombreuses fermes font partie de ce système?
M.Daigle: J'en ai quelques exemples dans mon ordinateur, que j'avais utilisés lors d'un autre exposé, il y a deux ans.
Le sénateur Day: Il serait bon que nous puissions voir ça.
Ma dernière question concerne encore une fois les photographies et le fait que votre frère a succédé à votre père. Nous savons que McCain's a deux grosses usines dans cette région. Avez-vous constaté que de grandes entreprises rachètent les terres agricoles dans la région? Y a-t-il encore des successions familiales? Reste-t-il beaucoup d'exploitations familiales dans la région?
M.Daigle: Il y a une vingtaine d'années, McCain's a essayé de racheter des terres mais je ne pense pas qu'ils en aient acheté d'autres au cours des 10 dernières années. McCain's a changé son système de rotation, au moins dans la région de Grand Falls. Je n'ai pas constaté d'augmentation importante des terres appartenant aux grandes entreprises. Je sais par contre que nous avons de moins en moins d'exploitants et que les exploitations sont de plus en plus grosses. Mon frère est resté un petit exploitant. Il ne pouvait tout simplement pas s'agrandir à Drummond sans avoir accès aux terres de la société Irving, qui sont de bonnes terres de classe 2. Il y a aussi quelques terres de la Couronne auxquelles il pourrait avoir accès.
Il faut adopter une multitude d'approches. La politique cadre doit prévoir différentes approches adaptées aux besoins de chaque région. Chaque production de pommes de terre, chaque système cultural est différent. Ayant travaillé 15 ans dans ce domaine, j'ai dû adapter mes idées et mes formules pour comprendre les réalités des agriculteurs. Il faut que ceux-ci adhèrent à nos objectifs. Ce ne sont pas mes terrasses ni mes cours d'eau. C'est l'agriculteur qui doit les entretenir. Il doit comprendre que c'est lui le propriétaire, pas moi.
Le sénateur Wiebe: Vous avez répondu en partie à ma question en répondant au sénateur Tunney. Nous avons beaucoup de travail à faire pour éduquer les gens. Je pense que beaucoup ne veulent pas accepter les nouvelles idées parce qu'elles viennent de quelqu'un d'autre.
Au nom du comité, je vous remercie sincèrement de votre excellent exposé d'aujourd'hui. J'ai pris votre carte de visite, avec votre numéro de téléphone, et j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je m'en sers de temps à autre.
M.Daigle: C'est pour ça que le Centre existe.
Je voudrais dire en conclusion que nous devrions considérer le changement climatique comme une occasion à saisir. Si nous devons parler de puits de carbone et de séquestration, nous devrons parler aussi de conservation des sols et de l'eau. Nous essayons de prêcher la bonne parole en matière de conservation mais nous n'avons pas toujours le succès voulu.
Nous attendrons votre rapport avec beaucoup d'intérêt. Je me souviens que le rapport du sénateur Sparrow avait rehaussé les attentes des producteurs. Nous l'avons invité à revenir après le dépôt de son rapport et il y avait tellement de monde qu'il n'y avait pas assez de chaises dans la salle, à Grand Falls. Les gens se tenaient debout dans le couloir. Il y avait toute une série de journalistes qui voulaient avoir des entrevues avec lui. Son rapport a eu un impact. Je tenais à ce que vous le sachiez.
Le sénateur Wiebe: Je pense que votre suggestion au sujet du changement climatique, du réchauffement global et de notre sécurité future est excellente. J'espère que les membres du comité envisageront d'en faire leur prochain projet.
Le président: Nous communiquerons vos compliments au sénateur Sparrow.
Le président: Je souhaite maintenant la bienvenue à M.Paul Vautour, directeur général de la Fédération agricole du Nouveau-Brunswick. Nous passerons aux questions après votre exposé.
M. Paul Vautour, directeur-exécutif, Fédération d'agriculture du Nouveau-Brunswick: Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Comme nous sommes la plus grande organisation agricole générale du Nouveau- Brunswick, nous sommes fiers de nous adresser à vous au nom de notre industrie diversifiée, représentant tous les types de production et de nombreux types de structures et de tailles d'exploitations agricoles. Bien sûr, nous servons nos membres dans les deux langues officielles.
Du point de vue national, il peut être tentant de considérer que le Nouveau-Brunswick n'est qu'une toute petite partie de l'agriculture canadienne. Du point de vue de notre population et de l'économie de notre province, toutefois, l'agriculture est extrêmement importante. Le secteur agroalimentaire représente plus de 300 millions de dollars de recettes annuelles pour les exploitants agricoles, et 1,4 milliard de dollars de valeur ajoutée par la transformation. Un tiers environ des emplois du secteur primaire de la province sont des emplois agricoles, auxquels il faut ajouter 5000 emplois dans la transformation alimentaire. Pour une province qui n'a que 750000 habitants, l'agriculture revêt une importance beaucoup plus importante qu'on ne le pense généralement. De plus, l'agriculture du Nouveau-Brunswick n'a pas encore atteint son potentiel. Nous savons qu'il existe chez nous des possibilités considérables d'accroissement de la production par la diversification et la valeur ajoutée. Nous sommes donc déterminés à appuyer la croissance de notre secteur de manière socialement et environnementalement responsable. C'est d'ailleurs pour cela que nous faisons la promotion d'un plan cohérent comprenant des investissements stratégiques, de bonnes communications et une approche équilibrée en matière de développement responsable. À titre de représentants de l'agriculture, nous tenons à collaborer avec nos partenaires gouvernementaux.
Voyons maintenant quel doit être, selon nous, le rôle du gouvernement fédéral dans l'agriculture canadienne. Bien que l'agriculture soit une responsabilité partagée des gouvernements fédéral et provinciaux, nous pensons qu'Ottawa doit s'occuper d'équité, de perspective nationale, de représentation internationale, et d'activités de réglementation et de surveillance dans l'intérêt bien compris de la population et de tout le secteur de l'agriculture.
Nous attendons aussi du gouvernement fédéral qu'il fasse preuve de leadership pour assurer la stabilité du secteur à longue échéance. L'agriculture moderne exige de lourds investissements que l'on ne peut effectuer que si l'on a l'assurance de politiques de développement et de réglementation cohérentes et prévisibles. Comme les ressources naturelles disponibles et les autres facteurs qui assurent la viabilité des exploitations agricoles, ces fonctions constituent un volet essentiel du contexte général de l'agriculture et, de ce fait, un aspect crucial de nos relations avec le gouvernement.
Je vais maintenant vous dire ce que nous pensons de l'Accord de Whitehorse et de la révision de la politique agricole. Les cinq priorités énoncées dans l'Accord de Whitehorse correspondent bien à la manière dont la Fédération agricole du Nouveau-Brunswick envisage le développement du secteur. Peut-être devrais-je commencer en évoquant chacun de ces éléments.
Notre industrie dépend de la science. Une stratégie de recherche efficace doit donc tenir compte de facteurs d'équité et d'opportunité, et aussi de facteurs de pertinence pour toutes les juridictions concernées. Ici encore, nous pensons que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle équilibré pour mettre en oeuvre une stratégie conforme au bien commun. Certes, l'industrie elle-même doit contribuer au financement de la recherche, mais il est clair que cette recherche doit être axée sur des objectifs de nature différente que la recherche financée à même les deniers publics.
Nous avons grand besoin d'une stratégie de recherche publique. Les défis à relever comprennent le changement climatique et son impact sur la disponibilité de la ressource, sur l'évolution des maladies végétales et des ravageurs, et la recherche sur les cultivars. Il faut explorer les nouvelles possibilités dans des secteurs tels que les biocarburants, les neutraceutiques et les produits pharmaceutiques qui pourraient être des champs de recherche extrêmement positifs.
L'idée d'une Fondation de recherche agricole du Nouveau-Brunswick semble intéressante. Son mandat pourrait être de guider et d'appuyer la recherche agricole eu égard aux besoins de notre industrie. Son conseil d'administration pourrait comprendre des représentants d'agriculteurs et de transformateurs. Une telle organisation appuyée par le gouvernement serait une méthode efficiente pour obtenir une contribution directe des utilisateurs mêmes des résultats de la recherche.
La clé de succès de toute stratégie de recherche sera la diffusion des résultats et l'accès de l'industrie à un large éventail de données.
Le but d'une stratégie de gestion du risque devrait être d'assurer la santé, la durabilité et la stabilité à long terme de l'industrie. Veuillez noter que nous parlons ici de «gestion du risque» plutôt que de «filets de sécurité», pour bien souligner la nécessité d'une stratégie de gestion du risque de large portée. On trouve un aspect de cette stratégie dans le concept de gestion plus fine et plus intensive de tous les aspects de l'agriculture comme avantage compétitif essentiel. Les programmes de filet de sécurité ou de stabilité des recettes en sont un élément. À cet égard, bon nombre de producteurs réclament une approche exhaustive, par exploitation agricole, pour les divers programmes.
Un programme exhaustif de gestion du risque devrait fournir les outils nécessaires pour réduire le besoin d'interventions ponctuelles du gouvernement.
En ce qui concerne la sécurité alimentaire, on ne saurait trop insister sur l'importance de mécanismes totalement indépendants d'inspection des produits alimentaires et de réglementation des produits. C'est un élément clé de l'image de sécurité et de fiabilité dont jouit l'agriculture canadienne. C'est l'assise même de la confiance du public envers notre industrie.
L'appui et le financement continus du gouvernement dépendent dans une certaine mesure de l'appui du public, du moins au niveau politique. Voilà donc une bonne raison de mettre l'accent sur une campagne exhaustive d'éducation du public sur le système de sécurité des produits alimentaires. De plus, tout avantage international qu'offrent nos systèmes d'inspection et de réglementation, du point de vue commercial, devrait être bien compris et maximisé. C'est un secteur dans lequel les avantages économiques de notre approche peuvent être rendus tangibles aux yeux de l'électorat. Sur une question connexe, les agriculteurs et les consommateurs éclairés signalent souvent que les importations devraient naturellement être assujetties aux mêmes normes de sécurité que nos propres produits.
Les outils modernes de sécurité des produits alimentaires, comme les analyses de danger, les points de contrôle critiques, les normes ISO, et cetera, sont un nouveau secteur de l'activité agricole. L'amélioration des techniques de gestion des exploitations, qui est destinée à accroître les niveaux de documentation, d'obtention et d'analyse de données, mérite d'être financée par l'État. En effet, c'est la société dans son ensemble qui en bénéficie, et on y trouve des avantages à long terme du point de vue du développement des ressources humaines.
Les questions environnementales sont un aspect important de l'agriculture d'aujourd'hui. Nous savons que le public s'y intéresse de plus en plus et que la manière dont les terres sont exploitées connaît aussi des changements. Bon nombre des activités que les agriculteurs devront entreprendre du point de vue environnemental répondent à l'intérêt ultime de la société, et certaines sont en fait justifiées par la compétition d'activités non agricoles. Des ajustements s'imposent donc à mesure que change le contexte de l'exploitation agricole. Dans ces circonstances, il est normal que, dans certains cas, le gouvernement adopte des programmes pour aider l'agriculteur à mettre en oeuvre certains types de mesures environnementales. Cela pourrait prendre la forme d'incitatifs financiers, comme des crédits d'impôt pour certaines activités.
En ce qui concerne les émissions de CO2 et de méthane, il importe de mieux comprendre et de mieux communiquer le rôle de l'agriculture. Ici encore, des crédits d'impôt seraient possibles car il ne s'agit pas seulement d'assurer une bonne gestion de l'environnement mais aussi de faire participer directement les producteurs à un meilleur positionnement du Canada sur le plan du commerce international.
On a déjà consacré beaucoup de travail aux questions environnementales dans le secteur agricole et, je le répète, c'est la société dans son ensemble qui en bénéficie. Nous avons tout lieu d'être fiers de ce que nous avons fait à cet égard car nous faisons partie des secteurs les plus responsables du point de vue des pratiques environnementales. Cela devrait faire partie du message communiqué par le gouvernement au sujet de l'agriculture canadienne.
Le concept de polyvalence de l'agriculture, et de ses bienfaits pour la société, est parfaitement reconnu en Europe. Dans ce paradigme, l'exploitation agricole n'est pas considérée seulement comme un système de production alimentaire mais aussi comme une ressource touristique et récréative, un habitat faunique, un puits d'ozone et une usine de production d'oxygène. Voilà un autre élément du message que nous devons communiquer à la société pour exprimer vraiment qui nous sommes.
En ce qui concerne le renouveau, son sens est peut-être différent dans le contexte du Nouveau-Brunswick que dans d'autres juridictions. Comme nous l'avons déjà dit, nous sommes en mesure de développer et de diversifier notre industrie. Nous sommes constamment à la recherche d'innovations en matière de production, de transformation et de marketing pour favoriser cette croissance. Quand nous parlons de renouveau, nous devons parler de la prochaine génération d'agriculteurs et de ses besoins en éducation et en compétences professionnelles. Nous devons penser aussi à l'utilisation des sols et des ressources en eau pour répondre aux besoins de l'agriculture. Finalement, nous devons penser à notre place dans le paysage rural, dans les collectivités rurales et dans le système de gouvernance.
Le renouveau signifie aussi repenser nos habitudes de travail et de pensée. Nous devons chercher et maximiser des avantages que nous aurions pu laisser de côté à cause de la politique ou de l'histoire. Par exemple, nous avons peut-être négligé les opportunités offertes par le marché de la Nouvelle-Angleterre. Y en a-t-il d'autres que nous aurions laissées de côté?
Outre les cinq chapitres de la politique cadre sur le renouveau, il y en a deux autres sur lesquels nous voulons attirer votre attention.
Je commence par les ententes de financement fédérales-provinciales-territoriales. Les formules de répartition des fonds disponibles sont un élément constant du discours politique au Canada et cela nous oblige à y revenir aujourd'hui. Du point de vue du financement du développement agricole, les programmes devraient tenir compte du potentiel et des opportunités plutôt que de la taille, la population et les recettes historiques, par exemple. Fonder la philosophie de développement du Nouveau-Brunswick sur le passé plutôt que sur l'avenir reviendrait à renoncer à certaines opportunités. Nous sommes prêts à discuter de cette question en détail dans le cadre de notre révision actuelle des politiques.
En ce qui concerne l'élaboration et l'administration de programmes particuliers, l'objectif doit être d'assurer une structure équitable, avec une certaine flexibilité interne, pour permettre aux diverses juridictions de les adapter à leurs besoins particuliers.
Nous avons aussi besoin d'informations sur les autres programmes, dont certains ne touchent pas particulièrement l'agriculture en soi mais répondent quand même aux besoins des exploitants, comme des programmes de gestion des petites entreprises, d'innovation, de technologie de l'information, et cetera. Agriculture Canada pourrait effectuer des recherches, communiquer et offrir des conseils, à très peu de frais.
Pour ce qui est de la manière dont l'opinion publique voit l'agriculture, le gouvernement a un rôle crucial à jouer en expliquant la nature du système de production alimentaire et sa place dans la vie canadienne. Communiquer avec le public a déjà été mentionné à plusieurs reprises pendant cet exposé. Nous pensons qu'il nous serait extrêmement utile d'avoir un meilleur programme expliquant la nature de notre industrie, les avantages qu'elle offre au Canadien moyen et la manière dont elle influe sur notre avenir collectif. Nous constatons que le public connaît de plus en plus mal notre secteur et, ce qui est peut-être encore plus inquiétant, qu'il existe une certaine atmosphère de complaisance et d'apathie à l'égard du système canadien de production alimentaire. Si nous voulons atteindre notre potentiel, nous avons besoin de l'appui du public, des politiciens, de nos partenaires industriels et des branches administratives du gouvernement. Nous devons leur faire comprendre pourquoi c'est important, pourquoi c'est mérité et pourquoi c'est un investissement de sagesse.
Je vous remercie beaucoup de m'avoir permis de m'adresser à vous aujourd'hui. Si vous le souhaitez, nous pourrons communiquer à nouveau avec vous plus tard pour vous donner d'autres détails sur toutes ces questions.
Sur une note personnelle, je mentionne que Bruce Oliver est notre analyste de politique et que son numéro figure au bas de la première page de notre mémoire. J'étais avec notre conseil d'administration, la semaine dernière, lorsque nous préparions ce mémoire, et je ne suis qu'un petit producteur. Mon secteur de production est très petit.
J'attire cependant votre attention sur le deuxième paragraphe de ce mémoire, disant que «Du point de vue national, il est peut-être tentant de considérer l'agriculture du Nouveau-Brunswick comme une toute petite partie de l'agriculture canadienne». Dans mon rôle de directeur de la Fédération du Nouveau-Brunswick, je suis souvent appelé à rencontrer des représentants de groupes de production beaucoup plus importants qui peuvent s'enorgueillir d'occuper une place beaucoup plus vaste dans l'économie provinciale. Quand cela arrive, je ne manque pas de leur rappeler qu'un très petit secteur, comme l'apiculture, est tout aussi important dans le contexte global de l'agriculture. Quand nous avons des réunions générales, je ne manque pas de leur raconter ce que j'ai appris à l'école, en 3e année. J'avais alors appris une chansonnette racontant qu'un être humain voyageait dans un pays étranger où il rencontrait un groupe de pygmées; comme il se moquait de l'un d'entre eux, celui-ci lui répondit: «Je suis bien assez gros pour moi, tout comme vous êtes bien assez gros pour vous».
Le président: Dans votre excellent exposé, vous avez dit qu'il est important que le public comprenne bien ce qu'est l'agriculture et qu'il semble y avoir un décalage important entre ce que nous faisons à ce sujet, au Canada, et ce que font les Américains. Les Américains sont parfaitement conscients de l'importance de leur agriculture. Le public américain appuie constamment son agriculture, et c'est ce qui permet au gouvernement d'agir. Comment pourrions- nous faire la même chose au Canada?
M.Vautour: Vous avez parfaitement raison. MmeKaren Davidge est présidente de notre comité de sensibilisation à l'agriculture, qui a des grands projets. Nous avions aussi des grands projets l'année passée mais, à cause de la crise de la fièvre aphteuse, nous n'avons pas pu les mettre en oeuvre. L'année d'avant, nous avions organisé, avec un succès considérable, une journée portes ouvertes dans les exploitations agricoles de tout le Nouveau-Brunswick. La participation avait été considérable.
Le président: Il se peut fort bien que les agriculteurs et leurs associations doivent accepter une part de responsabilité dans cette mésinformation. Quand je présidais le Groupe de travail sur la sécheresse, dans l'Ouest canadien, des journalistes du Toronto Star m'avaient demandé comment ils pouvaient nous aider. Nous ne tirons peut-être pas assez parti des possibilités de communication dans les médias.
M.Vautour: Je pense que vous avez tout à fait raison, et nous essayons de corriger ce problème. Je suis aussi président du Conseil agricole du Nouveau-Brunswick qui gère le fonds FCADR. Karen vient de lancer un projet de sensibilisation à l'agriculture, mais les choses n'avancent pas assez vite à ses yeux. De fait, elle m'a communiqué sa frustration la semaine dernière, à la sortie de la réunion du conseil d'administration. Son comité est très actif à ce sujet.
Le sénateur Wiebe: J'ai eu l'occasion de passer un peu de temps à Terre-Neuve, cet été, et j'ai constaté que le ministère fédéral de l'Agriculture, par le truchement de sa station de recherche, dépense beaucoup d'argent pour chercher une méthode de culture de l'orge dans cette province. Les exploitants agricoles de la province veulent cultiver de l'orge pour nourrir leurs vaches laitières. Notre gouvernement provincial a quant à lui dépensé beaucoup d'argent pour chercher des méthodes de culture de la pomme de terre en Saskatchewan. D'après vous, est-il sage de dépenser des deniers publics de cette manière, pour qu'un producteur provincial acquière des connaissances qui l'amèneront à faire concurrence au producteur d'une autre province? L'Île-du-Prince-Édouard fait un travail exceptionnel dans la culture des pommes de terre. Si nous commençons à cultiver des pommes de terre en Saskatchewan, nous allons mordre sur les marchés de l'Île-du-Prince-Édouard, n'est-ce pas?
Vous avez dit qu'il faut effectuer certaines recherches mais croyez-vous que le gouvernement doive vraiment continuer dans cette voie?
M.Vautour: Notre organisation procède actuellement à sa restructuration. Comme j'ai eu la chance d'en faire partie depuis le début, j'ai pu rencontrer tous les groupes de production agricole du Nouveau-Brunswick et je peux vous dire que ce problème a souvent été mentionné. Nous serions très mécontents de voir apparaître de la diversification dans nos domaines, mais il y a le libre-échange. Il est choquant d'entendre le gouvernement fédéral dire qu'il est prêt à appuyer la production de pommes de terre à un point tel que cela risque de tuer la production du Nouveau-Brunswick. Il y a une limite à la consommation mondiale de pommes de terre et notre production locale est déjà excellente.
Je représente bénévolement un groupe de production agricole au sein du conseil d'administration de la Fédération agricole du Nouveau-Brunswick. En règle générale, nous avons des réunions de tout le groupe. Nous sommes 12 au sein du conseil d'administration et nous discutons de toutes ces choses. J'ai une connaissance intime de l'apiculture mais, quand je me trouve avec des représentants d'autres denrées, je sais que j'ai toujours beaucoup à apprendre. Je peux cependant vous dire que ces autres groupes ont exprimé la crainte que la diversification dans d'autres régions ne nuise à leur propre production.
Le sénateur Wiebe: Vous n'avez certainement pas à vous excuser d'être un petit producteur car tout le monde a son rôle à jouer. Nous entendons d'ailleurs beaucoup trop souvent les représentants des gros groupes de pression et pas assez ceux des petits producteurs. Si nous nous mettions un peu plus à l'écoute des petits producteurs, nous aurions peut-être une idée beaucoup plus exacte de ce qu'est vraiment l'agriculture de notre pays.
M.Vautour: Notre organisation change de manière spectaculaire. Nous devons constamment nous moderniser. Beaucoup de gens tiennent à pouvoir s'exprimer. Il n'y a que des agriculteurs au sein de notre organisation mais nous avons modifié notre structure pour permettre à d'autres groupes de denrées d'y être représentés. Nous pensons que notre conseil d'administration va passer de 12 membres à 40 ou 45, je suppose, mais tout le monde pourra se faire entendre, et pas seulement les représentants des grandes denrées.
Les femmes du Nouveau-Brunswick ont organisé un groupe d'amies des agriculteurs et elles aussi pourront être représentées dans notre conseil d'administration. Nous voulons permettre à tout le monde de s'exprimer, dans l'espoir d'avoir des idées encore meilleures pour l'avenir. Nous essayons de nous autofinancer.
Le sénateur Oliver: Ma première question portera sur les abeilles. Depuis trois jours, nous avons beaucoup entendu parler de l'industrie des bleuets de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick et de ses succès, avec Oxford Frozen Foods. Faites-vous l'élevage d'abeilles pour l'industrie des bleuets?
M.Vautour: Je suis heureux que vous me posiez cette question. Voilà quelque chose que je connais bien. Je rentre tout juste d'une conférence nationale, car j'assume beaucoup de fonctions différentes. Je suis en effet le délégué des Maritimes au Conseil canadien du miel. Je suis aussi membre de l'Association canadienne des apiculteurs professionnels, qui vient de se réunir à Banff. Je précise que je suis aussi l'inspecteur apicole en chef pour la province du Nouveau-Brunswick. Je suis un petit apiculteur commercial et j'ai énormément de mal à développer mon entreprise. Pour les organismes de prêt, l'apiculture n'est pas une activité particulièrement importante. Ils disent qu'il est trop risqué de nous prêter de l'argent. Si j'étais un éleveur de bétail qui commençait à avoir des difficultés, ils emmèneraient sans doute immédiatement mon bétail à l'abattoir pour récupérer leur argent. Ils ne veulent pas entendre parler d'abeilles.
Nous faisons de la pollinisation de bleuets sauvages. Notre secteur connaît actuellement quelques difficultés et nous essayons de nous en sortir. Nous devons rencontrer notre ministre mardi prochain. Nous avons des questions très sérieuses à lui poser. Nous avons aussi des solutions à suggérer, et ce sont des solutions qui ne doivent pas coûter cher, ce dont nous sommes très fiers.
Nos abeilles sont touchées par un insecte appelé la mite varroa, qui est un parasite minuscule dont les larves causent la maladie des abeilles. À terme, c'est toute la ruche qui s'effondre. Nous avons appris à traiter ce parasite avec succès, au cours des années mais, l'automne dernier, nous avons constaté une résistance au produit que nous utilisons pour tuer cette mite. Celle-ci est minuscule mais, pour une abeille, c'est comme si elle avait la taille d'un ballon de football. Nous voulons donc aujourd'hui obtenir l'approbation d'urgence, par l'organisme de réglementation pertinent, d'un nouveau produit qu'on utilise aux États-Unis. C'est un produit qu'il ne faut utiliser qu'une seule fois pour tuer la mite. Ensuite, nous pourrons passer à un système de gestion intégrée des insectes.
Au printemps dernier, nous avons perdu 60 p. 100 de nos abeilles et les producteurs de bleuets ne cessaient d'en réclamer. Je ne me souviens pas de la valeur exacte des bleuets sauvages mais je crois que, pour chaque dollar investi par un producteur de bleuets pour des abeilles, il obtient 240$ de gain de productivité. C'est donc fort important. Comme je le disais, mon secteur est très petit mais son incidence est importante.
Hélas, avec les pratiques agricoles d'aujourd'hui, quand un champ de trèfle se met à fleurir, on le coupe, alors que c'est là que se trouvent les abeilles. Nous sommes donc sujets à toutes sortes d'obstacles, de tous côtés. Les abeilles ont du mal à survivre à tout cela, mais elles y arrivent quand même encore.
Pour ce qui est des champs de bleuets eux-mêmes, quand on les défriche, on détruit l'habitat des pollinisateurs sauvages et il faut donc trouver ces pollinisateurs gérés, les abeilles, en guise de compensation. Chaque fois qu'on place une ruche sur une acre de bleuets, on augmente la production de 1000 livres, ce qui est considérable.
Les producteurs de bleuets sont aussi inquiets que nous. Nous allons cependant essayer de résoudre le problème. Après tout, les abeilles sont sur la planète depuis 12 millions d'années.
Le sénateur Oliver: Quand amenez-vous une ruche dans un champ de bleuets, et quand l'emportez-vous?
M.Vautour: Les abeilles sont des animaux très particuliers qui ne sont fidèles qu'à une seule fleur. Une fois qu'elles ont commencé à butiner une fleur, elles n'en changent pas. Ainsi, si vous allez dans un verger et que vous y voyez des pissenlits autour desquels tournent les abeilles, celles-ci n'iront pas sur les fleurs des arbres fruitiers. Pour qu'elles aillent sur ces fleurs, vous allez devoir couper tous les pissenlits.
Les bleuets n'offrent pas un taux de nectar élevé pour les abeilles et ils ne sont pas très attrayants. Nous devons attendre une floraison d'environ 25 p. 100 des champs pour apporter nos abeilles, et c'est alors qu'elles iront se poser automatiquement sur les fleurs des bleuets. Elles y resteront et elles ne polliniseront rien d'autre que les bleuets. Elles n'iront sur aucune autre fleur.
Un autre problème des champs, bien sûr, est qu'il y a aussi de juteux cerisiers autour des champs de bleuets, et que les abeilles les préfèrent.
Le sénateur Day: MonsieurVautour, nous avez-vous dit où se trouve votre exploitation, au New Brunswick?
M.Vautour: Je suis légèrement au nord de Moncton, dans une communauté qui s'appelle St. Phillip. Je n'ai pas d'exploitation agricole en soi. Je vis là-bas mais ce n'est pas là que je conserve mes abeilles car mes voisins n'en seraient pas très heureux. L'un de nos problèmes est d'ailleurs la réaction du public aux abeilles. Les agriculteurs de la région m'autorisent à placer mes ruches dans leurs champs lorsque je les ramène de la pollinisation des bleuets. Cependant, nous ne pouvons placer plus d'une trentaine d'abeilles par endroit, à une distance de deux milles entre chaque ruche, parce qu'il n'y a pas assez de fleurs pour toutes. Nous devons donc les disperser.
Le sénateur Day: Le sénateur Wiebe disait tout à l'heure que l'Île-du-Prince-Édouard a une réputation d'excellence dans la culture des pommes de terre, et vous avez ajouté que c'est aussi le cas du Nouveau-Brunswick.
Hier, quelqu'un nous disait que l'on fait venir des abeilles de la Saskatchewan. Je ne me souviens plus du nom exact, nous avons eu des difficultés, en anglais et en français, avec le mot «leafcutter».
M.Vautour: Il s'agit de la mégachile de la luzerne. C'est une variété d'abeille différente. Elle travaille dans les champs de bleuets mais elle a un problème particulier dans la mesure où elle reste inactive à basse température, contrairement aux abeilles mellifères. De fait, c'est le bourdon qui est le meilleur pollinisateur, mais il est très rare au printemps. La mégachile de la luzerne commence à apparaître. Elle a des caractéristiques différentes. Je ne l'ai pas étudiée en détail mais je crois comprendre qu'elle ne s'éloigne pas à plus de 300 pieds de son nid. Elle ne va pas très loin.
Le sénateur Day: Nous avons visité cette semaine la Forêt modèle de Fundy, à Sussex, qui est axée sur des petites exploitations forestières. Dans votre rapport, vous parlez de la notion de polyvalence. Évidemment, cela désigne de nombreuses activités différentes, outre l'exploitation des arbres pour le bois. La Forêt modèle de Fundy correspond cependant au type de polyvalence dont vous parliez, au sens où les petits exploitants forestiers sont souvent aussi des agriculteurs mixtes. Y a-t-il, au Nouveau-Brunswick, quelque chose de similaire à la Forêt modèle de Fundy?
M.Vautour: Rien ne me vient à l'esprit en ce moment. Nous essayons d'intégrer les petits exploitants forestiers dans notre organisation. C'est un autre aspect de notre évolution.
Le sénateur Day: C'est une bonne idée parce que ce sont des gens qui sont déjà polyvalents, comme nous l'a prouvé le réseau de la Forêt modèle de Fundy. Vous devriez étudier cela de plus près.
Le sénateur Hubley: J'adore les abeilles. Je pense qu'il y a d'excellentes opportunités pour les apiculteurs dans notre région.
Vous avez parlé de sensibiliser le public aux défis auxquels sont confrontés les agriculteurs. Avez-vous des suggestions à faire à ce sujet? Organisez-vous encore des foires et des expositions, participez-vous à des émissions de radio ou produisez-vous des bulletins de nouvelles, comme on le faisait autrefois?
M.Vautour: Oui. Nous essayons d'être le plus présent possible dans les médias. Nous ne ratons jamais une occasion de parler de notre industrie dans les médias. Personnellement, je m'occupe des journaux, notamment du Times & Transcript de Moncton, qui a publié une page complète à mon sujet et sur mon exploitation apicole. Je participe aussi à des foires avec ma ruche d'observation. Il y a une ruche d'observation que je peux utiliser à Fredericton et je participe donc aux diverses foires qui sont organisées dans la région. Je vais aussi faire des démonstrations dans les écoles. Lorsque cela arrive, les enseignants disent aux enfants que la reine vient leur rendre visite, qu'ils vont avoir une visite royale. Cela dure pendant à peu près une semaine avant mon arrivée, et les enfants sont extrêmement intéressés.
Quand je fais ça, je viens avec mon équipement et un voile, et je leur montre ce qu'est l'apiculture. Ensuite, je dévoile la ruche d'observation et ils reculent tous d'effroi mais, au bout de cinq minutes, ils sont tous revenus autour et ils essaient de faire sortir les abeilles. Ce genre d'activité permet donc de changer la manière dont les gens perçoivent l'apiculture. C'est du travail de relations publiques. Nous essayons d'en faire le plus possible. D'ailleurs, si vous avez des idées à nous proposer à cet égard, nous en serions très heureux. Si nous avons des idées, Karen Davidge, la responsable dans notre organisation, vous les communiquera.
Le sénateur Hubley: Pensez-vous que les médias, comme la télévision, parlent assez de l'agriculture?
M.Vautour: Hélas, quand ils le font, c'est du sensationnalisme. Si quelqu'un aux États-Unis meurt d'une piqûre d'abeille, on va en parler. Je précise entre parenthèses que les morts par piqûre d'abeille ne représentent probablement que 1 p. 100 des morts causées par la foudre. C'est extrêmement rare. C'est tout à fait exceptionnel. Les abeilles ne sont pas comme ça. Quand je fais des démonstrations devant des producteurs, je le fais sans voile, manches remontées. Démonter une ruche et la remonter est une affaire de rien. Je leur montre qu'ils ne doivent pas avoir peur. En règle générale, ils me demandent si les ruches sont solides et si c'est rentable.
Le sénateur Hubley: Il y a eu une crise dans le monde des abeilles. C'était une histoire de pesticides qu'on utilisait sur les pommes de terre.
M.Vautour: Oui, c'est l'imidaclopride, qui est pulvérisé sur les pommes de terre à intervalles réguliers ou pendant toute l'année. Une étude a été faite à ce sujet à l'Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick par Dick Rogers et Jim Kempt, de l'UPEI. Ils n'ont pu trouver aucune preuve que les abeilles pouvaient le consommer, ce qui nous a rassurés. Nous pensions que c'était à l'origine du problème. Ce pesticide endommage le système nerveux des abeilles. Si elles le mettent dans le pollen, dans le miel, la plante l'absorbe, les pucerons le consomment et cela les désoriente. Le problème est apparu en France. Quand on a commencé à utiliser ce produit sur les plants de tournesol, les gens ont constaté que leurs abeilles étaient désorientées et qu'elles ne retrouvaient pas le chemin de leur ruche. Nous pensions que ce problème était circonscrit à l'Île-du-Prince-Édouard mais nous l'avons ensuite constaté au Nouveau-Brunswick. Il s'agissait seulement d'observations, pas d'étude scientifique. Aujourd'hui, les données scientifiques semblent montrer que ce n'est pas ça le problème.
Le président: La question que je veux poser s'adresse probablement plus à la Fédération de l'agriculture, puisqu'elle concerne les filets de sécurité. Il est difficile au gouvernement fédéral de concevoir des programmes pouvant s'appliquer dans toutes les provinces. Vous-même avez dit que les solutions générales ne sont pas les meilleures.
M.Vautour: Non.
Le président: Toutefois, dans un pays comme le nôtre, une sécheresse dans le sud-ouest de la Saskatchewan et à l'est de la province signifie que la récolte sera très moyenne. Comment le gouvernement peut-il réagir s'il ne peut pas intervenir de manière ponctuelle? Je comprends que les programmes nationaux sont importants, par exemple pour l'assurance-récolte, mais ils sont très difficiles à mettre en oeuvre. On essayait déjà de faire ça à l'époque de John Wise, il y a 22 ans, et ça n'a jamais marché.
Le sénateur Wiebe fait partie d'un groupe de travail mis sur pied par le premier ministre et je sais que l'un des gros problèmes auxquels il est confronté est celui de l'extrême diversité régionale du pays. Vos problèmes, dans les provinces de l'Est, sont différents des nôtres. On nous a dit que seulement 30 p. 100 de vos agriculteurs participent au programme d'assurance-récolte.
M.Vautour: C'est tout à fait vrai. Notre organisation a beaucoup discuté de cette question avec les autres producteurs de denrées. Si vous pensez qu'il y a de la diversité au Canada, vous devriez assister à certaines de nos réunions. Les producteurs de lait ne veulent pas entendre parler de ce que réclament les cultivateurs de pommes de terre, et ces derniers se moquent complètement de ce que réclament les producteurs d'oeufs.
Le président: Je vous comprends. Le dernier témoin disait que les États-Unis divisent leur pays par régions et divisent les gens en groupes. Il ne fait aucun doute que le gouvernement américain appuie ses agriculteurs.
C'est un problème complexe. La prochaine fois que vous rencontrerez vos confrères de la Fédération de l'agriculture à l'échelle nationale, vous pourriez peut-être leur demander de préparer quelque chose à l'intention des gouvernements. Quand je faisais partie du gouvernement Mulroney, cela nous causait autant de difficultés qu'aujourd'hui. Je ne pense pas que l'on puisse faire quoi que ce soit d'utile si votre fédération ne peut rien y faire non plus.
M.Vautour: C'est pour cela que nous essayons de nous regrouper. Nous essayons de réunir tous les types de denrées de façon à pouvoir exprimer un message unique au nom de toute l'agriculture de cette province.
Nous pensons que nos députés fédéraux font l'objet de pressions considérables de la part du public.
Vous avez probablement entendu parler de la ferme Metz, du Nouveau-Brunswick, où on élève des porcs. Un groupe de manifestants vient justement de s'y intéresser. Ce sont ce que mes collègues de Terre-Neuve appelleraient probablement des «townies», c'est-à-dire des urbains qui vont s'installer à la campagne mais qui n'aiment pas l'odeur du fumier. Ces éleveurs de porcs font tout leur possible pour protéger l'environnement et leur exploitation n'a eu aucun impact environnemental. Malgré cela, ce groupe de manifestants exerce des pressions considérables sur notre gouvernement et sur nos politiciens. En outre, c'est un groupe qui bénéficie de fonds publics, ce qui n'est pas juste à l'égard des agriculteurs.
Le sénateur Tunney: Il y a des fédérations de l'agriculture dans tout le pays, et il y aussi la FCA. En faites-vous partie?
M.Vautour: Nous faisons partie de la FCA et nous devons d'ailleurs nous réunir à Halifax le 3 mars. Nous allons envoyer toute notre délégation à cette conférence.
Le sénateur Tunney: Lyle Vanclief, le ministre de l'Agriculture, parle d'intégrer tous les filets de sécurité dans un seul programme. Êtes-vous au courant?
M.Vautour: Oui, j'ai lu quelque chose là-dessus. J'ai aussi entendu dire que M.Rock ferait une annonce à ce sujet. Je peux vous dire que je n'ai pas touché terre depuis deux semaines. J'ai passé une semaine à Banff, en Alberta, pour toutes sortes de réunions, puis je suis revenu hier à Fredericton, pour prendre ce mémoire, et je me trouve aujourd'hui devant vous. Je n'ai donc pas eu la possibilité de répondre aux articles de presse de ces derniers jours.
Le sénateur Tunney: L'un de nos problèmes est ce que notre président appelle la «régionalité», c'est-à-dire le fait que les besoins sont différents dans les différentes régions du pays. Le ministre de l'Agriculture parle d'intégrer tous les filets de sécurité et tous les programmes d'urgence dans un seul programme. Ainsi, si un agriculteur ne souscrit pas au programme global, il ne recevra aucune indemnité en cas de perte quelconque ou de manque à gagner, que la cause soit le climat, les insectes ou quoi que ce soit d'autre. Je mentionne cela non pas pour vous demander une réponse mais plutôt pour vous prévenir. À mon avis, vous devriez surveiller ça de près et en parler à vos collègues des autres provinces.
M.Vautour: Je n'y manquerai pas.
Le président: Je vous remercie, votre témoignage était très intéressant.
J'accueille maintenant M.Andrew McCurdy, de la Soil and Crop Improvement Association de la Nouvelle-Écosse.
M.Andrew McCurdy, président, Soil and Crop Improvement Association of Nova Scotia: Je suis très heureux de pouvoir participer aux débats de votre comité, monsieur le président.
L'état actuel de l'agriculture en Nouvelle-Écosse est une source à la fois d'optimisme et de pessimisme. Nous devons nous concentrer sur l'optimisme de façon à pouvoir réaliser les changements dont ont besoin nos exploitations agricoles et notre état d'esprit.
Depuis quelques années, le climat est un facteur très important pour l'agriculture. Il est très variable, d'une région à l'autre, et même à l'intérieur de la Nouvelle-Écosse. En 1997, l'exploitation que j'exploite avec mon frère et mon père a été durement touchée. L'été suivant, nos voisins de la province et des autres régions ont été affectés aussi durement. Toutefois, c'est la vallée d'Annapolis qui est le plus régulièrement touchée depuis plusieurs années.
En tant qu'agriculteurs de la Nouvelle-Écosse, nous bénéficions de vastes terres agricoles d'une grande beauté. Nous ne sommes pas particulièrement sujets aux pressions de l'urbanisation. Certes, le problème se pose de temps à autre mais ce n'est pas un problème quotidien pour nous. Nous pratiquons surtout la culture fourragère car elle a assez de résistance pour bien produire dans le climat des Maritimes. Je pense que nous produisons les meilleures cultures fourragères au monde. Nous en sommes très fiers.
La croissance nous intéresse évidemment et, après y avoir réfléchi, je dois me demander si les marchés s'accroissent aussi. Pourquoi vouloir la croissance? Est-ce pour cannibaliser les fermes de nos voisins? Mon père et mon frère ont une exploitation laitière et sont donc assujettis à la gestion de l'offre. Je suis pour ma part un cultivateur, mais ce n'est pas mon activité centrale. C'est l'exploitation laitière qui est mon activité centrale.
Il y a quelque temps, un spécialiste de la gestion agricole me demandait: «Si vous voulez agrandir votre exploitation, vous devez vous demander quelle serait la taille optimale par rapport à sa taille actuelle». Pour répondre à ce genre de question, il faut aussi tenir compte des plans de gestion des nutriments. Possédons-nous assez d'unités foncières pour les unités animales que nous avons dans la province? Voilà des questions auxquelles il faut répondre.
Cela dit, notre ferme est en pleine expansion. Nous nous attendons à connaître une expansion lente mais soutenue. Je soupçonne que cette expansion se fait dans une certaine mesure aux dépens de nos voisins, quels qu'ils soient. C'est là la réalité de l'agriculture. Les exploitations grandissent et les petites se font absorber par les grandes.
Les autres problèmes que nous connaissons en Nouvelle-Écosse concernent le manque de capital et les questions de succession. Le nombre de fermes qui doivent être transmises d'une génération à l'autre constitue un problème sérieux. Notre famille y est confrontée en ce moment même. Exploiter une ferme exige certaines compétences qu'il n'est pas facile d'acquérir quand on n'a pas l'habitude de ce type de production, mais ce sont des choses qu'il faut faire.
Je vais parler plus de production laitière que d'autres types de production étant donné que c'est le secteur que je connais le mieux. Au cours des années, les gains de productivité ont permis à une unité de main-d'oeuvre de produire de plus en plus de lait et de récolter de plus en plus de culture pour chaque heure de travail. C'est cela qui a fait monter la production agricole. Les améliorations scientifiques ont accru notre capacité de production, ce qui veut dire que nos fermes produisent plus par unité de main-d'oeuvre, par unité de terre et par vache. Nous devrions essayer d'obtenir une croissance lente mais soutenue, et c'est ce que nous essayons de faire.
Cette croissance produit-elle suffisamment de revenu pour assurer la succession? La jeune génération a-t-elle les moyens d'acheter les biens nécessaires pour se lancer dans l'agriculture? À mon avis, les marges bénéficiaires de la production laitière ne sont pas suffisantes pour couvrir les coûts en capital, les frais d'exploitation et les dépenses quotidiennes d'une famille. La génération précédente, avec l'agrandissement progressif des exploitations, a fixé des prix pour les quotas et pour les terres. Voilà les biens réels que nous devons acheter.
Nos amis producteurs de machines agricoles, comme Case, John Deere et Alpha, veulent maintenant une part plus grande du gâteau. À terme, tout cela s'ajoute.
Le prix de nos fermes peut être exprimé de nombreuses manières différentes. La valeur de liquidation est bien différente de la valeur d'exploitation. Si vous examinez le modèle de succession et ce que vaut un quota laitier en Nouvelle-Écosse aujourd'hui, et ce qu'il permet de financer, vous verrez que les chiffres sont complètement différents. Pour que la succession soit possible et que la jeune génération gagne sa vie, la génération âgée doit normalement lui faire don d'une bonne partie de ses biens agricoles.
Il existe dans notre province des programmes pour aider les nouveaux arrivants. C'est un pas dans la bonne direction mais, ce qu'il nous faut vraiment, ce sont des marges bénéficiaires beaucoup plus élevées. Les agriculteurs ont du mal à fixer leurs prix. Nous sommes dans un secteur de faibles marges bénéficiaires. Notre marché est celui des consommateurs, et nous en avons peu. Ce sont généralement les Sobeys et les Hostesses de la planète. Étant donné le regroupement du marché de détail, nous sommes devenus aujourd'hui des preneurs de prix plutôt que des donneurs de prix, ce qui n'est pas normal.
Le concept de marché agricole est bon mais il suppose un modèle d'expansion limité parce qu'il ne fonctionne que dans le cadre des relations familiales. Je vous vends mes produits parce que je vous connais bien, mais les clients des marchés agricoles ont aussi besoin des épiceries. Je pense que les marchés agricoles constituent un créneau merveilleux mais ils ne sauraient constituer une solution unique pour la vente des produits agricoles.
Les ressources humaines de la Nouvelle-Écosse sont de la plus haute qualité possible. Les professionnels de l'agriculture de notre province qui sont au service de nos producteurs primaires n'ont rien à envier à personne. Nos producteurs primaires sont bien éduqués, sont bien formés et sont des gens d'affaires avisés. Toutefois, le problème concerne la quantité de main-d'oeuvre qualifiée dans notre industrie, et je pense qu'elle est reliée à nos faibles marges bénéficiaires. Si nous pouvions offrir de meilleurs salaires aux bons employés, nous pourrions rapidement trouver plus de personnel qualifié.
Notre industrie fait également face à un problème de leadership au sein de l'organisation agricole. Nos meilleurs exploitants sont à la maison en train de cultiver leur ferme, et on ne peut pas le leur reprocher parce que c'est leur gagne-pain. Collectivement, cependant, nous devons faire face à ce problème parce que notre leadership a besoin d'argent et de temps pour pouvoir se consacrer à la communauté agricole.
Nos climatologues nous disent que la Nouvelle-Écosse traverse une période de sécheresse depuis cinq ans. Lors d'une réunion régionale de notre association, hier, quelqu'un a dit que nous aurions dans 10 ou 15 ans 200 à 300 unités thermiques de maïs supplémentaires par rapport à aujourd'hui. Malgré cette augmentation, nous aurons toujours les mêmes précipitations qu'aujourd'hui. Un changement climatique de cette ampleur est tout à fait effrayant. Je me demande si nos fermes pourront gérer la situation. Il faudra peut-être changer complètement de type d'exploitations agricoles pour que celles-ci restent viables. C'est un vrai problème. Les changements nécessaires seront énormes et coûteront cher.
Il faut que nos fermes soient très solides, sur le plan financier, pour pouvoir faire les changements stratégiques imposés par les changements climatiques. Notre association établit actuellement des relations pour la recherche. Il est difficile au producteur primaire d'engager un dialogue avec les chercheurs, mais c'est absolument indispensable. Sinon, les sommes que nous consacrons à la recherche, même si elles sont limitées, pour promouvoir une meilleure production agricole et améliorer notre qualité de vie, n'auront servi à rien.
L'une des principales préoccupations de notre association figure sur notre liste de recommandations. Il s'agit de la liste des quatre récoltes dont nous nous occupons, à savoir le maïs, les cultures fourragères, les céréales et le soja. Nos membres nous ont donné le mandat de préserver cette liste, et c'est ce que nous nous efforçons de faire. Cette recherche touche 75 p. 100 du matériel génétique qui entre dans la province avant que les agriculteurs l'obtiennent, ce qui nous fait économiser beaucoup de temps et d'effort pour trouver les variétés hybrides que nous devrions cultiver. Nous coordonnons ce projet avec le NSAC et l'Institut de développement agricole.
Le financement de la recherche peut jouer un rôle important en Nouvelle-Écosse. Certaines de nos associations agricoles, dont la nôtre, Horticulture Nova Scotia et d'autres organisations à moindre budget, aimeraient avoir la possibilité de consacrer les dépenses administratives des projets de recherche au financement de l'organisation, de façon à pouvoir tenir des réunions annuelles et régionales avec les producteurs. Aujourd'hui, avec le système de financement fédéral, c'est prohibitif. On a décidé que ce ne serait pas un bon usage des deniers publics. À mon avis, ce serait un excellent usage car, si nos organisations agricoles disparaissent, nous perdrons notre cohésion et notre aptitude à réagir rationnellement à ces changements.
Le plan d'action national sur la sécurité alimentaire, l'innovation et la protection de l'environnement est fort bien en théorie mais j'ai la ferme conviction que nous avons déjà des produits alimentaires parfaitement sûrs. Nos exploitants utilisent des méthodes respectant l'environnement. Les producteurs primaires et les transformateurs associés font preuve d'innovation, même si l'on peut toujours faire mieux. Est-il préférable de se concentrer sur ces trois domaines? Nos organisations agricoles et nos dirigeants savent qu'il importe de préserver et d'accroître la confiance de nos marchés, mais nos clients exigent déjà la durabilité environnementale et la sécurité totale des produits alimentaires, et ils le mentionnent dans les contrats pour nos produits agricoles.
Je serais très déçu si cela devenait une initiative gouvernementale. J'espère en effet que l'industrie agricole, par le truchement de ses organisations, fera preuve de leadership dans ce domaine et fera le nécessaire. Il n'est pas nécessaire que cela devienne un cauchemar bureaucratique pour nos exploitants. Si ceux-ci sont obligés de faire toute la paperasserie nécessaire pour se protéger et pour que les choses avancent, ils n'auront pas le temps ni l'ambition nécessaire pour innover.
Pour ce qui est du commerce international, comme je suis un producteur laitier, je vote en faveur de la gestion de l'offre. Je ne me désintéresse pas des autres denrées produites au Canada mais je n'en sais pas assez à leur sujet pour en parler intelligemment. Je n'ai donc pas d'opinion à leur sujet. Pour ce qui nous concerne, la gestion de l'offre nous donne un revenu stable et elle relie la production et l'offre à la demande réelle.
Le meilleur argument que j'aie entendu en faveur de la gestion de l'offre est que le fait qu'une exploitation agricole individuelle ralentisse sa production pendant une saison n'aura strictement aucune incidence sur le prix de sa production. La gestion de l'offre surmonte cette réalité économique en permettant à l'agriculteur d'exercer un contrôle raisonnable sur le prix de son produit. Une solide base agricole débouchera sur une infrastructure agricole qui aidera tous les secteurs à durer et à rester viables à l'intérieur d'une région.
Notre secteur agricole se compose de producteurs primaires solides et déterminés. Aidez-les en fournissant les ressources dont ils ont besoin. Favorisez la coopération de toutes les parties prenantes et mettez-vous à l'écoute des dirigeants du monde agricole. Ce sont eux qui vous indiqueront la voie à suivre pour notre industrie.
Le président: Il est très encourageant de voir un jeune agriculteur enthousiaste se présenter devant le comité car nous voulons évidemment tenir compte des besoins de la prochaine génération.
Vous parliez de transfert de génération à génération. Vous savez que notre régime fiscal place le père en situation difficile s'il a besoin de conserver un gagne-pain. Toutefois, un nouveau projet de loi a été adopté pour permettre au gouvernement d'accorder des prêts aux agriculteurs, et nous avons appuyé ce projet de loi. Il permettra de mettre certaines sommes à la disposition de l'agriculteur pour qu'il puisse toucher un revenu de sa ferme à la retraite et continuer à exploiter sa ferme. Bien sûr, le transfert entre générations est très important. Vous pouvez transférer les machines et les terres, mais vous ne pouvez pas transférer les produits qui sont cultivés. Toutefois, l'une des priorités est de veiller à ce que l'agriculteur qui veut transférer sa ferme puisse continuer à gagner sa vie.
Je pense que nous avons besoin d'études plus poussées sur la mondialisation. Je constate que les offices de commercialisation vous en protègent, mais cela ne vaut pas pour les céréales et les oléagineux. Nous sommes à l'ère de la mondialisation. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les Américains et les Européens l'ont accepté, ce qui nous laisse dans une sorte de situation intermédiaire, avec l'Australie et, probablement, la Nouvelle-Zélande. Les grands acteurs détermineront l'avenir. Que pensez-vous de la mondialisation?
M.McCurdy: Vous avez raison, notre système de gestion de l'offre nous protège du point de vue de la mondialisation.
Le président: Mais pour combien de temps?
Le sénateur Tunney: Pour toujours.
M.McCurdy: La question est de savoir si c'est bon pour nous.
Le président: Il ne fait aucun doute que c'est bon pour les producteurs laitiers.
M.McCurdy: Mais est-ce bon pour le consommateur de produits laitiers?
Le président: C'est sans doute là que le bât blesse.
M.McCurdy: Si nous mondialisons la production de notre industrie de la volaille et de notre industrie laitière, aurons-nous accès à des produits moins chers? Est-ce l'objectif visé? L'objectif n'est-il pas plutôt de préserver les collectivités rurales, avec une agriculture dynamique? Est-il meilleur marché de produire le lait au Vermont et dans l'État de New York pour le transporter en Nouvelle-Écosse, ou de préserver une exploitation laitière en Nouvelle- Écosse, qui aura besoin d'un négociant de machinerie agricole, d'un négociant en grains de provende et, au fond, d'une économie générale? Si nos fermes laitières se trouvent dans l'État de New York, vous distribuerez des chèques de bien- être social en Nouvelle-Écosse.
Le président: Je suis d'accord avec vous là-dessus. Je ne veux rien enlever aux producteurs laitiers du Canada. Ils ont été isolés alors que les autres secteurs de l'agriculture ne l'ont pas été, notamment les céréales et les oléagineux. Je ne veux pas leur retirer cette protection mais la première chose que vous diront les Américains, pas tellement les agriculteurs mais plutôt les représentants du gouvernement, c'est que le Canada devra abolir ses offices de commercialisation pour qu'ils ouvrent leurs frontières. C'est ce qu'ils nous disent.
M.McCurdy: C'est ce qu'ils veulent parce que cela leur donnera un marché libre.
Le sénateur Tkachuk: Qu'y a-t-il de mal à cela? La Saskatchewan aussi a une industrie laitière.
M.McCurdy: C'est parce que nous sommes liés aux marchés.
Je suis également un petit producteur de graines pour les oiseaux et je me suis assuré d'avoir un marché avant de me lancer dans cette production. En revanche, je connais des gens, dans la province, qui vont planter du blé ou de l'orge en espérant être capables de le vendre à l'automne. Je ne pense pas que ce soit une bonne technique sur le plan commercial. Il faut avoir des contrats signés avant de commencer. Nos offices de commercialisation nous donnent des contrats signés. Quand je m'assieds avec les membres de ma famille ou avec mon banquier, je sais que je vais pouvoir expédier une certaine quantité de lait et que je recevrai un certain nombre de dollars.
Les producteurs céréaliers de l'Ouest n'ont pas cette assurance.
Le sénateur Tkachuk: C'est parce que nous produisons des excédents.
M.McCurdy: Est-il sage de produire des excédents?
Le sénateur Tkachuk: Je parle des excédents destinés au commerce international. Les viticulteurs ont employé exactement le même argument que vous. Ils ont dit à Brian Mulroney que, s'il faisait ça, leur industrie ne survivrait pas et qu'ils ne seraient pas capables de résister à la concurrence. Je me souviens fort bien de tous leurs arguments. En réalité, ils se sont révélés être des concurrents redoutables et leurs ventes ont considérablement augmenté depuis le libre-échange car, comme vous le savez, ils produisent un sacré bon vin.
M.McCurdy: La consommation de vin a-t-elle augmenté ou ont-ils pris des marchés à d'autres régions de production?
Le sénateur Tkachuk: Il ne m'appartient pas de le dire. Tout ce que je peux dire, c'est qu'ils survivent. En fait, ils survivent fort bien. Toutefois, vous dites que nous ne devrions décider de produire que si nous avons un contrat signé. Si tel était le cas, le premier téléviseur n'aurait jamais été fabriqué.
M.McCurdy: Les téléviseurs ne sont pas des produits agricoles.
Le sénateur Tkachuk: Ce sont des produits.
M.McCurdy: Ils ne sont pas périssables.
Le sénateur Tkachuk: Ce sont des produits et ils sont périssables dans la mesure où de nouveaux modèles arrivent constamment sur le marché. Les technologies changent et certains téléviseurs deviennent invendables.
Vous, vous avez un contrat garanti, avec des quotas restrictifs. Il est difficile à de nouveaux producteurs d'entrer sur le marché parce que les quotas coûtent cher. Combien vaut votre quota?
M.McCurdy: Environ 30000$ par vache.
Le sénateur Tkachuk: Ça vaut probablement plus que vos terres.
M.McCurdy: Oui, c'est un bien que je peux donner à la banque.
Le sénateur Tkachuk: C'est précisément ce que je dis.
M.McCurdy: Les gens disent que le quota est un bien mais je crois que c'est un marché.
Le sénateur Tkachuk: En tant que consommateur, je ne peux pas m'adresser au fermier du coin et lui acheter du lait parce que vous avez un quota.
M.McCurdy: Si je vous vendais du lait à même la citerne, il ne serait peut-être pas tout à fait sain.
Le sénateur Tkachuk: Non, mais je pourrais passer un contrat avec le producteur.
M.McCurdy: Dans ce cas, vous m'auriez pris une part de marché.
Le sénateur Tkachuk: J'aimerais bien avoir un marché garanti.
Le président: Je me demande si nous aurions dû ouvrir ce débat.
Le sénateur Tkachuk: C'est un bon débat. Il faut en parler.
Le président: La mondialisation est une réalité. Les Nations Unies, les grands pays, comprennent que nous avons une population mondiale à nourrir. Je pense que les Américains et les Européens sont parvenus à la conclusion qu'il est politiquement plus acceptable d'appuyer les agriculteurs, de leur donner de bons prix pour leurs céréales, que de faire don de celles-ci au Tiers monde pour le nourrir. Il faut que quelqu'un fasse ça. Nous avons une responsabilité. Les Canadiens et les habitants du monde occidental ont beaucoup de chance. Toutefois, nous ne représentons que 10 p. 100 environ de la population mondiale. Les Nations Unies essaient de trouver une solution à ce problème. À une époque, les banques mondiales étaient très actives à ce sujet mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Je discutais récemment avec le ministre de l'Agriculture du Nigeria, lors d'un petit déjeuner-prière, et je peux vous dire que c'est un monde tout à fait différent, là-bas. Que pouvons-nous y faire?
Le sénateur Wiebe: Je voudrais dire quelques mots sur les deux exposés précédents. Les offices de commercialisation fonctionnent parce qu'ils tiennent compte de la demande à l'intérieur du pays. C'est cela qui explique leur succès au Canada. Par exemple, ils gèrent l'offre de lait à l'intérieur du pays et le producteur bénéficie d'un prix garanti. S'il produit trop, l'excédent est disponible pour l'exportation mais l'agriculteur n'a pas de prix garanti pour cette partie-là. Il touche ce que le marché veut bien payer. Il serait difficile d'appliquer un système d'office de commercialisation au blé et aux céréales parce que nous avons toujours été exportateurs à ce sujet. Dès qu'on est exportateur, on dépend du marché mondial et on ne peut pas contrôler le prix.
Vous avez la chance de pouvoir contrôler le prix du lait, des oeufs et de la volaille. C'est un marché intérieur. Je suis fermement en faveur des offices de commercialisation pour les oeufs, la volaille et le lait. Ils font un excellent travail pour assurer la survie d'un plus grand nombre d'exploitants agricoles que ce ne serait le cas s'ils n'existaient pas.
Ce que vous disiez au début de votre exposé m'a rappelé ma propre situation quand j'ai débuté dans l'agriculture. J'avais débuté avec trois quartiers de terre. En Saskatchewan, ce serait une goutte d'eau dans l'océan mais, ici, ce serait une propriété assez vaste.
Vous avez dit que votre espoir, et votre intention, est d'agrandir votre exploitation. Bien sûr, vous savez que certains agriculteurs sont laissés sur le carreau. Moi aussi, j'avais dit à l'époque que j'agrandirais mon exploitation.
Les politiciens ne cessent de dire qu'ils veulent voir plus d'agriculteurs dans les campagnes, pour préserver les collectivités rurales, mais il faut se demander ce qu'en pensent les agriculteurs eux-mêmes.
Je lisais l'autre jour un ouvrage consacré à l'agriculture où on disait que la dépopulation rurale a commencé avec l'invention du tracteur. Ça remonte donc à longtemps. L'agriculteur a eu plus de temps à sa disposition et, grâce au tracteur, il a pu cultiver de plus grandes surfaces. En conséquence, son horizon s'est élargi et il a voulu agrandir sa ferme.
Mon grand-père est venu du Kansas en Saskatchewan en 1905 parce qu'il n'y avait plus de terres agricoles à exploiter dans son État. Les fermes étaient toutes de grande taille, ce qui est parfaitement naturel.
Est-ce que nous nous tapons la tête sur les murs, je parle des gouvernements et des politiciens, ou est-ce que nous racontons des histoires aux agriculteurs et au grand public en disant que nous voulons repeupler les fermes alors que les gens qui en exploitent actuellement trouvent qu'elles ne sont déjà pas assez grandes? Que pensez-vous de mon analyse?
M.McCurdy: Je pense que vous avez raison. Je crois que nous pouvons classer nos fermes dans deux catégories. Il y a les grosses entreprises agricoles, qui sont des fermes exploitées comme des fermes-entreprises familiales. Elles produiront l'essentiel du blé, du lait, de la volaille, du boeuf, du porc, et cetera. Ce sont des fermes spécialisées. Et il y a à côté les petites fermes qui ont besoin d'un revenu hors exploitation important pour pouvoir survivre.
Je pense que le gouvernement fait des efforts pour créer des économies rurales prospères. Les organisations agricoles font face au même dilemme parce que nous avons un vaste groupe d'agriculteurs très focalisés, qui veulent aller dans un sens, et un autre groupe important de gens qui veulent préserver un certain mode de vie associé à leurs petites exploitations agricoles, qu'ils soutiennent en gagnant un revenu additionnel ailleurs.
Le sénateur Wiebe: Vous faites une suggestion intéressante quand vous parlez de l'évolution vers les fermes- entreprises. J'aimerais inclure dans cette catégorie les fermes coopératives. À mon avis, c'est un secteur que les agriculteurs devraient examiner attentivement du point de vue des transferts entre générations. Il est beaucoup plus facile de transférer une participation dans une ferme qu'une ferme complète, et il devrait donc être possible de mettre sur pied des sociétés agricoles ou des structures permettant aux agriculteurs âgés de transférer une partie de leur propriété à leurs enfants sans que cela constitue pour eux un fardeau insupportable.
Le sénateur Oliver: Nous avons entendu ce matin Jean-Louis Daigle, du Centre de conservation des sols et de l'eau de l'Est du Canada.
Or, je constate que votre mémoire est imprimé sur du papier à en-tête de la Soil & Crop Improvement Association of Nova Scotia. Avez-vous des relations quelconques avec le Centre que nous avons accueilli ce matin?
M.McCurdy: Nous avons certainement des contacts réguliers. Ils viennent faire des exposés à nos réunions annuelles, entre autres choses. C'est pour nous une ressource très utile si nous avons besoin de recherches précises dans certains domaines. Ce mois-ci, Canards Illimités viendra s'adresser à un groupe d'agriculteurs au sujet d'un club de conservation. Certains de nos contacts ont été pris par le truchement du Centre.
Le sénateur Oliver: Votre organisation aide-t-elle les agriculteurs de la Nouvelle-Écosse avec leurs problèmes d'érosion des sols et de qualité des sols?
M.McCurdy: Oui, cela fait certainement partie de notre mandat, mais il y a d'autres choses.
Le sénateur Oliver: Qui finance votre organisation? Est-ce une organisation provinciale?
M.McCurdy: C'est une organisation provinciale.
Le sénateur Oliver: C'est le gouvernement provincial qui vous finance?
M.McCurdy: J'aimerais bien.
Le sénateur Oliver: Ça allait bien, jusque-là.
M.McCurdy: On peut comparer avec nos homologues du Nouveau-Brunswick, l'Association pour l'amélioration des sols et cultures du Nouveau-Brunswick. C'est une organisation active et dynamique qui exécute et dirige pour 900000$ de recherche. Elle perçoit des frais administratifs pour se financer. Une partie de ces 900000$ vient du FCADR, c'est-à-dire de l'argent que reçoit chaque province. Les règles au Nouveau-Brunswick permettent à l'organisation de percevoir des frais administratifs. En Nouvelle-Écosse, ce n'est pas permis. Le représentant provincial qui nous supervise nous a dit que la règle fédérale ne nous autorise pas à percevoir de droits administratifs. Voilà pourquoi j'ai soulevé cette question dans mon mémoire.
Gérer notre organisation, avec la structure la plus sommaire possible, nous coûte environ 6000$ à 10000$ par an. Cette année, nous aurons un déficit de 600000$. Notre dernière conférence nous a rapporté 12000$. Nous espérons continuer à organiser des conférences et à en tirer de bons revenus mais cela doit nous financer pendant deux ans. Vous conviendrez que c'est une tâche extrêmement difficile.
Le sénateur Oliver: Comme le ministre doit venir cet après-midi, vous devriez peut-être rester et lui en toucher un mot. Vous pourrez lui expliquer ce qui se passe au Nouveau-Brunswick.
M.McCurdy: Il y a beaucoup choses dont je veux parler au ministre.
Le sénateur Oliver: Je suis Néo-Écossais et je dois vous dire que je suis ravi de votre exposé. Il est merveilleux de voir un jeune agriculteur s'exprime avec autant d'optimisme.
Le sénateur Tunney: En écoutant votre conversation, je suis parvenu à la conclusion que l'agriculture canadienne a besoin de beaucoup plus de jeunes qui pensent clairement, comme vous. L'agriculture ne réussira que si vous parvenez un jour à devenir ministre de l'Agriculture ou à exercer une influence sur le ministre.
Vous avez eu une discussion intéressante avec un membre du comité qui n'est pas un partisan particulièrement chaleureux de la gestion de l'offre. Certains Canadiens estiment que la gestion de l'offre va à l'encontre du bien général. Vous, et j'espère que vous n'êtes pas le seul, savez bien que la gestion de l'offre en agriculture fonctionne mieux pour certains produits que pour d'autres et qu'elle ne peut pas s'appliquer à tout.
Les producteurs laitiers font faillite parce que les producteurs laitiers des États-Unis ne partagent pas les profits de l'industrie laitière. Les transformateurs, distributeurs et détaillants font d'excellents profits. Le régime canadien exige que le producteur obtienne sa part, et cela nous permet de produire à un coût moins élevé et de vendre à un prix moins élevé qu'aux États-Unis. Toutefois, les producteurs laitiers sont en très mauvaise situation malgré les énormes subventions qu'ils reçoivent.
M.McCurdy: Certains articles des revues spécialisées aux États-Unis indiquent que les producteurs laitiers américains aimeraient avoir un système de gestion de l'offre.
Le sénateur Tunney: Oui, environ 90 p. 100 d'entre eux.
M.McCurdy: Par contre, le gouvernement américain y est complètement opposé.
Le sénateur Tunney: Beaucoup de producteurs laitiers parlent d'expansion. En Ontario, les producteurs les plus rentables exploitent entre 55 et 60 vaches. Je ne pense pas que nous aurons jamais de difficulté avec l'OMC, tant que nous n'évoluerons pas vers de grosses exploitations-entreprises attirant les foudres de l'OMC. Si tel était le cas, ce serait une bataille à mort entre les grandes exploitations agricoles, étant donné l'influence considérable qu'elles peuvent exercer. J'espère que nous pourrons préserver nos exploitations familiales de façon à ne pas être confrontés à un conflit entre nous et la mondialisation.
M.McCurdy: Il est intéressant de vous entendre dire que l'exploitation la plus rentable en Ontario possède entre 50 et 60 vaches laitières. Si vous examinez attentivement ces chiffres, vous voyez que cela s'explique par l'efficience de la main-d'oeuvre, et que l'efficience de la main-d'oeuvre pour une exploitation laitière de 50 à 60 vaches représente probablement une famille par unité. Pour atteindre cette efficience de la main-d'oeuvre, il faut avoir 800 à 1000 vaches avec le bon nombre d'employés. Nous n'avons pas l'efficience de la main-d'oeuvre d'un troupeau de 50 à 60 vaches. L'échelle est complètement différente si nous voulons obtenir des revenus, mais nous n'avons pas l'efficience de la main-d'oeuvre.
Nos homologues des États-Unis qui souhaiteraient un système de gestion de l'offre n'arrivent pas à faire accepter ce concept par leur gouvernement. Les producteurs laitiers du Canada pourraient peut-être essayer de les aider, avec prudence. Si les Américains avaient un système de gestion de l'offre dans ce secteur, cela changerait considérablement les pourparlers sur la mondialisation et le commerce mondial. Ce serait une bonne méthode à suivre pour protéger notre économie agricole de la mondialisation. Nous ne devrions pas lutter avec les négociateurs mais attaquer le problème à l'intérieur des autres pays et mettre en place un système qui soit juste, équitable et cohérent pour ces autres pays.
Le sénateur Day: Je m'inquiète cependant de ce que vous avez dit au sujet des faibles marges bénéficiaires.
Vous semblez être convaincu que le changement climatique va durer longtemps. Votre dernier commentaire était que ce problème est très réel, que des changements seront nécessaires et qu'ils seront énormes et coûteront cher. Vous parliez d'une augmentation de 200 à 300 unités thermiques, et vous disiez que vous deviez commencer à planifier des stratégies de production dès maintenant pour faire face à ce changement. Vous ai-je bien interprété?
M.McCurdy: Oui. Si la situation des cinq dernières années se maintient, la production agricole en Nouvelle-Écosse changera. Sur notre propre exploitation familiale, nous avons déjà changé la manière dont nous produisons du foin pour nos vaches laitières. Autrefois, nous prenions une grosse première coupe, une grosse deuxième coupe, et une petite troisième coupe. Nous avons changé ça. Aujourd'hui, nous prenons une énorme première coupe parce que la deuxième coupe risque de ne pas arriver. Une fois que nous savons que notre première coupe est engrangée, et que la deuxième commence à pousser, nous savons que nous pourrons survivre jusqu'à la prochaine saison.
Si notre unité thermique passe de 2400 à 2800 dans la même eau, pouvons-nous nous adapter assez vite? Je ne connais pas la réponse à cette question. Posez-la-moi dans 20 ans.
Le sénateur Oliver: L'irrigation n'est-elle pas un élément de solution?
M.McCurdy: Je me demande si l'irrigation vaut la peine pour des cultures de faible valeur comme les cultures de grande production. Est-ce durable? Ce sont des questions très réelles. C'est peut-être un élément de solution.
Le sénateur Day: Il faut de l'argent pour s'adapter ou changer. Vous dites que les agriculteurs ont de faibles marges bénéficiaires. Si c'est vrai, ils ne pourront pas s'adapter.
M.McCurdy: Ce n'est pas vrai. Si votre plus gros effort aujourd'hui consiste à trouver de quoi nourrir votre famille demain, serez-vous capable de changer assez pour pouvoir produire dans trois ans? Je pense que certains de nos producteurs agricoles réfléchissent maintenant de cette manière.
Le sénateur Day: Pensez-vous que c'est le plus gros défi à relever à court et à moyen terme, pour l'agriculture?
M.McCurdy: Je n'en suis pas sûr car il y a tellement de facteurs différents à prendre en compte, comme la gestion des nutriments, la durabilité environnementale et la production. J'ai assez lu sur ces questions pour savoir aussi que les experts ne sont pas unanimes sur le changement climatique.
Le sénateur Day: Vous n'êtes donc pas totalement d'accord avec l'idée que les températures augmentent peu à peu dans cette région. Il y a eu un changement climatique et il y a moins d'eau aujourd'hui qu'autrefois, moins de précipitations, n'est-ce pas?
M.McCurdy: Ma ferme n'a pas été terriblement touchée et je ne peux donc pas vous parler de cela du point de vue de mon expérience personnelle.
Le sénateur Day: Si ce que je dis est vrai, vous conviendrez que le problème est grave. Mais vous n'en êtes pas sûr, si je comprends bien?
M.McCurdy: C'est cela. La récolte de 2001 a été fabuleuse. Nous avons dû construire de nouveaux silos pour tout engranger.
Le sénateur Day: C'est excellent, mais cela n'a pas été le cas pour tout le monde.
Le président: Je vous remercie, votre exposé était extrêmement intéressant.
M.McCurdy: Merci beaucoup.
Le président: Honorables sénateurs, nous allons maintenant accueillir M.John Vissers, représentant les Dairy Farmers of Nova Scotia. Nous vous souhaitons la bienvenue et vous avez toute notre attention. Nous avons environ une demi-heure.
M.John C.H. Vissers, président, Dairy Farmers of Nova Scotia: Merci, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis très heureux de m'adresser à vous au nom des producteurs laitiers de la Nouvelle-Écosse et je vais d'abord vous donner un aperçu de notre organisation.
Dairy Farmers of Nova Scotia est un office de commercialisation du lait qui a été créé le 1er avril 2001 en vertu de la Dairy Industry Act de la Nouvelle-Écosse et qui est financé par les 350 producteurs laitiers de la province. La gestion quotidienne des Dairy Farmers of Nova Scotia est assurée par un conseil d'administration de neuf membres élus par les producteurs.
Les 350 producteurs de la province commercialisent environ 170millions de litres de lait par an. Dairy Farmers of Nova Scotia vend ce lait à un total de sept transformateurs établis ici même, dans la province. Les producteurs de la province participent également au pool du lait des six provinces, communément appelé le P-6, et ils participent aussi activement au Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait, qui gère le plan national de commercialisation du lait.
L'industrie laitière est la plus grosse composante de l'agriculture néo-écossaise, ce qui lui vaut souvent le qualificatif d'épine dorsale de l'agriculture provinciale. À ce titre, elle joue un rôle clé en appuyant bon nombre d'entreprises de service qui sont essentielles pour les autres secteurs de l'industrie agricole. Les producteurs laitiers sont des clients importants des vétérinaires, des fournisseurs de grains de provende, des négociants de machinerie agricole, et cetera. La gestion de l'offre, tout comme elle a permis à l'industrie laitière de prospérer dans l'ensemble du pays, dans toutes les provinces, a permis à la Nouvelle-Écosse d'avoir une production laitière partout dans la province en fournissant un appui à tout le réseau.
Je voudrais parler un peu du système de gestion de l'offre qui est un élément tellement crucial pour l'industrie laitière. Le système de marketing «made in Canada» existe depuis une trentaine d'années et continue d'offrir des avantages considérables au pays dans son ensemble, pas seulement aux producteurs laitiers. La stabilité des prix résultant de la gestion de l'offre permet aux exploitants de fermes laitières bien gérées de planifier leurs affaires et d'être prospères. Plus important encore, elle élimine le besoin d'intervention du gouvernement pour faire face aux fluctuations de prix à court terme. De fait, récemment encore, c'est-à-dire le 1er février 2002, la subvention fédérale sur la production laitière était complètement éliminée, ce qui veut dire que les producteurs laitiers du pays tirent aujourd'hui la majeure partie de leurs revenus du marché.
La survie du système de gestion de l'offre dépend du soutien du gouvernement. Le message fondamental que nous tenons à vous communiquer est que nous nous attendons à ce que le gouvernement fédéral continue d'appuyer vigoureusement ce système pour permettre aux producteurs laitiers canadiens de gérer leurs affaires et d'offrir à leurs concitoyens du lait de qualité à un prix équitable.
Dans l'invitation que vous nous avez envoyée pour cette audience, vous disiez vouloir recueillir des informations sur la réaction des parties prenantes au plan d'action national visant à faire du Canada un chef de file mondial en matière de sécurité alimentaire, d'innovation et de protection environnementale. Dairy Farmers of Nova Scotia partage ces objectifs. De fait, nous procédons actuellement à la mise en oeuvre du Programme canadien de lait de qualité dans notre province. Ce programme, formulé par notre organisation, vise à faire de la Nouvelle-Écosse un chef de file mondial en matière de sécurité des produits sortant de la ferme. De fait, nos membres sont déjà nombreux à avoir formulé des plans agricoles environnementaux, et nous continuerons de promouvoir cette démarche proactive pour protéger notre environnement. À notre avis, cependant, la mise en oeuvre de ce plan serait bénéfique à tous les Canadiens, alors que ce sont les producteurs agricoles qui vont assumer la responsabilité des nombreuses activités nécessaires. De ce fait, nous pensons que les coûts devraient être répartis de manière équitable entre tous les bénéficiaires.
Vous souhaitez aussi connaître notre avis sur l'impact de la sécheresse de 2001. Dans notre province, 2001 n'a été qu'une année de plus dans la série d'années où les pluies ont été sensiblement inférieures à la norme. On semble assister actuellement à un changement profond de notre régime climatique, ce qui a une incidence considérable sur notre secteur. Les températures d'été élevées, conjuguées à des pluies moins abondantes, ont sensiblement réduit le rendement des cultures fourragères et céréalières ces dernières années. Les producteurs réagissent à ce changement et adaptent leurs programmes culturaux en conséquence.
Dans l'ensemble, la production de plantes de grande culture qui sous-tend la production laitière de la province ne se prête pas à l'irrigation. Le défi sera donc de tirer les avantages maximums des pluies limitées que la nature veut bien nous accorder. Nous aurons besoin d'information sur les régimes culturaux, sur les variétés, et cetera, pour nous adapter à cette baisse de pluviosité. À cet égard, nous aurons besoin d'un système d'évaluation des cultivars pour vérifier que nous avons bien choisi les variétés les mieux adaptées au climat de cette partie du monde. Ces activités sont considérées comme des «programmes verts» dans le cadre de l'OMC. Nous craignons que l'on ait tendance à réduire le financement de ce type d'activités, lesquelles sont pourtant très utiles aux producteurs agricoles et sont manifestement autorisées par l'OMC.
Dairy Farmers of Nova Scotia appuie les efforts du gouvernement fédéral visant à défendre notre système de gestion de l'offre contre sa contestation la plus récente par les États-Unis et la Nouvelle-Zélande. Certes, les exportations ne représentent pas un gros volume de notre production mais elles aident nos producteurs et transformateurs à prendre pied sur les marchés étrangers et à acquérir une certaine expertise en la matière.
Pour ce qui est des nouvelles négociations de l'OMC, l'objectif essentiel des Dairy Farmers of Nova Scotia est la préservation des tarifs douaniers qui nous permettent de préserver notre système de gestion de l'offre. Étant donné que le marché laitier a atteint sa maturité, nous ne pensons pas qu'une part croissante de ce marché puisse être approvisionnée par les importations. Les tarifs douaniers doivent être maintenus à un niveau permettant aux producteurs laitiers efficients d'exploiter leur entreprise et de continuer à offrir aux Néo-Écossais et aux Canadiens du lait et des produits laitiers de grande qualité.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Je vous remercie de votre exposé. Nous venons tout juste d'avoir un débat très intéressant sur la production laitière avec le témoin qui vous a précédé.
M.Vissers: Oui, j'ai entendu la discussion.
Le président: Il est clair que vous êtes un ferme partisan des offices de commercialisation. Votre province produit-elle plus de lait qu'elle n'en consomme?
M.Vissers: Oui mais, en contrepartie, notre part du quota national est inférieure à ce que justifierait notre population. Si l'on se fondait sur notre pourcentage de la population nationale, nous aurions environ 4 p. 100 du quota national. Or, la part de la province dans le QMM national est plus proche de 1,5 p. 100. Elle est donc beaucoup moins élevée.
Le président: Votre quota est inférieur à votre population?
M.Vissers: Le Québec, par exemple, a près de 50 p. 100 du quota.
Le président: Quarante-neuf pour cent.
M.Vissers: Quarante-neuf pour cent? Mais la province n'a que 25 p. 100 de la population. Nous produisons plus dans notre province mais, pour ce qui est du quota, nous sommes très proche de l'objectif. L'an dernier, nous étions légèrement en dessous du pourcentage.
Le président: À ce sujet, la Saskatchewan se demande pourquoi elle ne détient pas une proportion plus juste du quota. Et c'est la même chose pour la Colombie-Britannique, l'Alberta, le Manitoba, et cetera, car le système donne un avantage considérable à la moitié est du pays, et aussi un avantage politique, je dois le dire, puisque je viens de passer une vingtaine d'années au gouvernement et au Sénat. Je rappelle simplement une évidence.
Loin de moi l'idée de critiquer les producteurs laitiers ou le système. Je pense que le système actuel a bien fonctionné, mais je crois qu'il conviendrait de tenir un peu plus compte du reste du Canada. En revanche, il est évident que cette région se prête particulièrement bien à l'élevage laitier. Si je comprends bien, et vous me corrigerez si je me trompe, votre problème est essentiellement d'acheminer des provendes dans les Maritimes. Évidemment, cela n'est pas un problème pour la Saskatchewan qui est exportatrice de céréales et d'oléagineux. Je voulais juste faire cette remarque.
Le sénateur Oliver: J'aimerais poser une question sur un sujet un peu différent. L'une des choses qui nous intéressent beaucoup dans ces audiences est ce qu'on appelle la valeur ajoutée. Dans le secteur laitier, l'un des produits à valeur ajoutée est le fromage. Pourriez-vous me dire pourquoi la Nouvelle-Écosse ne produit pas plus de fromage et si des mesures sont prises pour accroître cette production et pour lancer d'autres produits?
M.Vissers: Je crois comprendre qu'il y a trois transformateurs qui produisent du formage dans la province, le principal étant établi à Truro, qui est plus un producteur de dernier recours. Il produit essentiellement du fromage cheddar, soit une variété plus courante qui ne prend pas beaucoup de temps à fabriquer, comme c'est le cas aussi dans les autres provinces lorsqu'il y a un excédent de production difficile à écouler. Il y a aussi deux autres transformateurs, très petits. L'un se trouve dans la région de Parrsboro et fabrique du fromage à l'ancienne. C'est un Hollandais et son défi est d'être compétitif sur le marché car son exploitation est tellement petite. Il produit cependant un bon fromage. Il a commencé à fabriquer d'autres variétés. Il vend ainsi un fromage bleu dans des petits conteneurs qui est extrêmement rentable pour lui. Cependant, c'est un fromage très riche, qui n'est pas du goût de tout le monde. Il faut qu'il trouve le bon marché.
Il y a un autre fabricant de fromage dans la Vallée, qui fabrique un fromage de type différent, essentiellement destiné au marché de Montréal. Je ne peux vous dire de quoi il s'agit, c'est un fromage qu'il vend en seaux. Voilà, c'est tout pour notre production fromagère. La raison pour laquelle elle n'est pas plus élevée est sans doute que l'industrie n'a jamais été un très gros secteur dans notre province et que l'on na donc peut-être jamais attaché beaucoup d'importance à chercher des marchés. En revanche, nous sommes peut-être deuxièmes, derrière l'Ontario, pour la production de crème glacée. Nous avons deux transformateurs qui sont de gros producteurs de crème glacée, et leur défi a toujours été d'obtenir assez de crème pour couvrir leurs besoins.
Le sénateur Oliver: Et le yogourt?
M.Vissers: Il y a un transformateur qui fabrique du yogourt mais il a beaucoup de difficulté à faire concurrence aux producteurs du Canada central, dont le volume est beaucoup plus gros. Cela dit, les deux producteurs de crème glacée ont investi des sommes assez élevées ces dernières années pour essayer de développer ce marché.
Le sénateur Oliver: Votre organisation cherche-t-elle d'autres méthodes pour améliorer sa rentabilité par la valeur ajoutée?
M.Vissers: Absolument. Nous appuyons certaines recherches effectuées au collège local au sujet de nouveaux créneaux pour les produits laitiers. L'un des projets porte sur les ALC du lait. Dans les régions de la province où il y a encore beaucoup de bétail en pâturage, on tente de voir si les taux d'ALC de ces vaches sont plus élevés lorsqu'elles sont dehors qu'à d'autres périodes. Si tel est le cas, on fait le lien avec les herbes consommées pour voir si ce sont elles qui sont à l'origine de ce phénomène. Il y a peut-être de nouveaux créneaux à exploiter à cet égard car les ALC influent sur la santé humaine. Toutefois, ce travail est très difficile. C'est une chose d'identifier les créneaux, c'en est une autre de trouver les marchés. En outre, même si les recherches aboutissent, comment séparer le lait? À l'heure actuelle, tout le lait est ramassé dans les fermes et acheminé dans les usines laitières. Comme on parle d'un petit marché, il faudrait faire un ramassage et un entreposage séparés de ce lait.
Le sénateur Oliver: Exactement.
M.Vissers: Ce n'est pas évident.
Le sénateur Wiebe: Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit au sujet du changement climatique. Le sénateur Day avait demandé à un témoin précédent quels étaient les effets du changement climatique sur son exploitation et il avait répondu que cela ne lui causait pas de problème. Sa production est plus élevée que jamais. Dans votre mémoire, vous dites que la pluviosité a sérieusement baissé ces dernières années et, plus loin, que «les producteurs réagissent à ce changement et ont adapté leurs programmes culturaux en conséquence». Comment?
M.Vissers: Je pense que le plus gros changement dans notre région, la région de Stewiacke, concerne le nombre de producteurs qui recommencent à cultiver du maïs pour l'ensilage. Il y a 25 ans, beaucoup de gens cultivaient du maïs d'ensilage mais, après quelques années très humides, les champs n'ont pu être labourés à temps et il a été difficile de procéder à l'ensilage à l'automne. Bon nombre de producteurs ont donc cessé de produire du maïs et ont cultivé essentiellement des herbages. Comme nous avons connu quelques années de sécheresse, l'ensilage de maïs a été d'un très grand secours.
Le sénateur Wiebe: Il est encourageant de voir que les pratiques agricoles ont beaucoup changé au cours des années et qu'elles continueront peut-être de changer. En Saskatchewan, par exemple, bon nombre de régions ont aujourd'hui beaucoup moins d'humidité que pendant les périodes les plus sèches des années 30. Évidemment, vous êtes trop jeune pour vous souvenir de cette époque mais vous en avez entendu parler et les agriculteurs réussissaient quand même à produire des récoltes assez moyennes. Maintenant, il est évident qu'il y a une sécheresse, même si elle n'a pas nécessairement touché toute la province. Certaines régions ont quand même reçu plus de pluie que d'autres. Je suis cependant heureux de voir que les agriculteurs savent s'adapter. Merci.
Le sénateur Hubley: Ma question porte sur le changement climatique. Beaucoup de témoins nous ont dit que cela influe considérablement sur la production céréalière. Qu'en est-il du bétail? A-t-on effectué des études pour voir si ce phénomène a une incidence quelconque sur le bétail?
M.Vissers: Le plus gros problème, pour notre propre exploitation agricole, est de fournir assez d'eau au bétail l'été, lorsque le temps est sec, et en automne. Nous avons une rivière à marées qui traverse nos terres et, il y a des années, la marée ne montait que jusqu'à la grange, après quoi c'était toujours de l'eau douce qui arrivait. Depuis quelques années, avec la sécheresse, la marée monte beaucoup plus haut et il a tellement de boue dans la rivière qu'on ne peut plus utiliser l'eau. Nous devons donc creuser des puits. Cependant, nous sommes sur un platin et nous ne pouvons pas creuser à plus de 20pieds de profondeur parce que le sol ne cesse de s'effondrer. Nous en sommes donc au point où nous avons dû forer certains puits avec des écrans de sable qui descendent jusqu'à 30 ou 40pieds pour avoir accès à l'eau. Nous avons aussi essayé de forer jusqu'à 120 pieds, jusqu'à atteindre la roche, mais nous avons alors eu de l'eau salée. La situation est donc difficile. Nos voisins n'ont même pas cette chance parce qu'il y a beaucoup de gypse de l'autre côté de la rivière, là où ils se trouvent, et ils doivent donc dépendre essentiellement de bassins de rétention. Le problème est qu'il faut aménager des bassins assez vastes pour retenir suffisamment d'eau l'été afin de durer jusqu'à l'automne. Avec l'agrandissement des exploitations agricoles, l'approvisionnement en eau pour le bétail devient un gros défi. C'est un gros problème pour les cultures mais c'en est un aussi pour le bétail.
Le sénateur Hubley: Est-ce que les agriculteurs réagissent? Est-ce qu'ils font des changements et aménagent des bassins de rétention? Est-ce qu'ils aménagent de nouveaux bassins ou se contentent des bassins existants?
M.Vissers: Rétrospectivement, je crois pouvoir dire que ce facteur n'a pas été assez bien pris en considération lorsque certaines exploitations se sont agrandies. De fait, le gouvernement fédéral a annoncé l'automne dernier qu'il dépenserait 300000$ dans la province pour faire des études sur l'eau. Certains de ses représentants étaient ici il y a quelques mois. Je crois comprendre qu'ils étaient venus voir où l'argent serait dépensé et qu'ils ont décidé de s'intéresser essentiellement à la Vallée, qui est quasiment asséchée l'été. Toutefois, même dans ma région, certains agriculteurs disent qu'ils n'ont pas eu assez d'eau pour passer l'automne et qu'il y a donc des travaux à faire. Les experts disent que le problème n'est pas de trouver des points d'eau mais d'apprendre à les exploiter, car il y a des ruisseaux et des cours d'eau au printemps. Il s'agit simplement de retenir l'eau là où on en a besoin et d'aménager des bassins assez vastes pour en avoir jusqu'à l'automne. Le vrai problème est de prendre l'initiative des travaux, et je crois comprendre que certains projets commenceront au printemps.
Le sénateur Tunney: John, je sais que l'industrie laitière est très dynamique dans votre province et qu'elle ne cesse de s'améliorer, mais que cela exige aussi beaucoup d'effort et de gestion professionnelle.
Quelqu'un demandait tout à l'heure comment il se fait que la Nouvelle-Écosse ou la Saskatchewan n'ont pas une part plus élevée du quota national, et que la part du Québec soit si grande. Je rappelle que le quota a été établi à l'échelle nationale en fonction des rendements historiques. La part du Québec s'explique par le fait que les producteurs de la province sont prêts à produire du lait à plus bas prix qui est transformé en poudre pour le marché mondial. C'est ce qu'ils ont toujours fait alors que vos propres producteurs, et ceux de la Saskatchewan, obtiennent un prix beaucoup plus élevé pour leur lait car une beaucoup plus grande proportion se compose de lait liquide plutôt que de lait industriel.
J'espère que vous continuerez à appuyer la gestion de l'offre. Comme président du conseil d'administration de votre organisation, vous pouvez parler directement aux gens qui nous représenteront à Qatar lors de la prochaine ronde de négociations.
M.Vissers: Pour revenir brièvement sur les quotas, la Nouvelle-Écosse avait eu l'occasion, il y a 20 ans, de recevoir un peu plus de quotas industriels. Je pense que c'était même avant la péréquation. Les quotas étaient fondés plus sur le régime des transformateurs et ceux-ci ne souhaitaient pas produire du lait de moindre qualité. C'est le lait liquide qui les intéressait. Depuis cinq ans, je pense, soit depuis l'accord P-6 de 1995 et 1996, nous partageons les marchés au sein du P-5, ce qui veut dire que, même s'il y a plus de lait industriel au Québec, nous partageons les recettes avec les membres du P-5. En conséquence, j'obtiens pour tout mon lait le même prix qu'un producteur de l'Ontario ou du Québec. Le but de ce régime était d'offrir un régime d'assurance plus solide pour l'ensemble du groupe de façon à ce que les difficultés que pourrait connaître une partie de la province, ou un transformateur, ce qui nous empêcherait de vendre tout notre lait, seraient partagées par tout le groupe. Nous espérons toujours arriver à terme à un régime national. À l'heure actuelle, dans l'Est et dans l'Ouest, c'est essentiellement un P-4 ou un P-5 ou P-6.
Je voudrais faire une autre remarque. J'ai une tante qui vivait autrefois en Angleterre et qui est maintenant revenue en Nouvelle-Écosse. Elle a aussi passé beaucoup d'années en Ontario, où elle était infirmière. Elle était retournée en Angleterre il y a une quinzaine d'années avec un ami. Considérant les problèmes qu'a connu ce pays ces dernières années, avec l'EBS et la fièvre aphteuse, l'hiver dernier, nous pouvons nous féliciter des systèmes de contrôle de la qualité de Santé Canada. Après être retournée en Angleterre, ma tante ne pouvait plus manger de viande. C'est seulement quand elle venait nous rendre visite qu'elle pouvait en manger. Pour elle, c'était un grand plaisir. Je veux dire par là qu'il est toujours très facile de croire que tout est garanti et que nous ne courons aucun risque. Nous nous plaignons parfois que les produits alimentaires coûtent cher mais nous en avons en abondance.
Je suis un très grand partisan de la gestion de l'offre. En Angleterre, où on a déréglementé les offices de commercialisation, qui ne peuvent plus fixer les prix, on pensait que les prix payés par les consommateurs baisseraient mais, tout ce que cela a fait, c'est que ce sont les prix à la ferme qui ont baissé. Rien d'autre n'a baissé. Et je pense qu'on a constaté la même chose en Australie lorsqu'on a déréglementé la gestion de l'offre. On pensait que cela ferait baisser les prix à la consommation. Les prix payés aux agriculteurs ont baissé de 30 p. 100 à 40 p. 100 mais ceux payés par les consommateurs ont baissé d'à peine 5cents le litre. L'un des défis de notre pays est que le commerce de détail est très puissant. Nous avons essentiellement deux grands détaillants qui représentent près de 49 p. 100 de toutes les ventes de produits laitiers. Les transformateurs sont quasiment à leur merci car ils ne veulent pas risquer de perdre leur clientèle. Le plus gros avantage de la gestion de l'offre, pour les producteurs, est qu'elle nous donne un minimum de protection. Si elle disparaissait, est-ce que cela garantirait des prix plus bas au consommateur? Je ne le crois pas.
Le sénateur Wiebe: J'ai une dernière question à poser au sujet du changement climatique et de la hausse des températures, l'été. J'aurais dû demander cela aux témoins précédents. Où vous situez-vous par rapport au niveau de la mer?
M.Vissers: Je ne sais pas.
Le sénateur Wiebe: Je demande cela parce que vous êtes dans une province côtière. J'aurais sans doute dû poser la question au Nouveau-Brunswick mais j'ai entendu dire que le rythme de fonte de la calotte polaire risque de nous faire perdre beaucoup de terres côtières, par la montée des mers. Est-ce un sujet de discussion en Nouvelle-Écosse?
M.Vissers: Je ne le pense pas. Nous sommes ici sur du platin et il y a des marées. Mon père est venu de Hollande il y a bien longtemps et la première chose que nous ayons faite, lorsque nous sommes arrivés en 1967, a été de construire un barrage sur la rivière. Il avait demandé à l'agriculteur qui lui avait vendu sa ferme s'il avait déjà eu des problèmes d'inondation et celui-ci lui avait dit que non. Toutefois, un hiver, les glaces se sont rompues, parce qu'il y a généralement un dégel en janvier, et elles sont passées au-dessus du barrage. L'année suivante, le barrage avait monté.
Le président: Je vous remercie d'être venu témoigner. Votre exposé était très intéressant. J'accueille maintenant le DrDavid Percival, du Collège agricole de la Nouvelle-Écosse. Je crois comprendre qu'il s'intéresse aux bleuets.
M. David Percival, professeur responsable de la recherche, Département des sciences de l'environnement, Nova Scotia Agricultural College: J'espère que les experts techniques pourront nous aider. Je viens de passer une matinée difficile. J'ai eu des problèmes d'ordinateur, des problèmes d'imprimante, et maintenant des problèmes de projecteur. Il est temps de passer à autre chose. J'ai participé à des réunions avec plusieurs organisations de producteurs de bleuets sauvages de la région de l'Atlantique et je voudrais donc vous parler un peu du programme auquel je participe et de certains des défis que nous allons devoir relever au cours des cinq à 10 prochaines années.
L'industrie du bleuet sauvage est tout à fait particulière, à l'échelle aussi bien nationale qu'internationale. Il s'agit d'une récolte sauvage. Autrement dit, nous essayons de gérer une végétation qui est tout à fait naturelle et qui produit les bleuets sauvages. Le paradoxe est que les régions où poussent ces plantes sont jugées inaptes à d'autres récoltes. Or, nous avons vu que cette récolte a pris une importance économique considérable dans la région.
Nous avons aujourd'hui une récolte de 200 millions de livres qui provient essentiellement du Maine et des provinces maritimes, ainsi que du Québec. Normalement, 40 p. 100 à 50 p. 100 des bleuets sauvages viennent du Maine, 40 p. 100, de la Nouvelle-Écosse et du Québec, et le reste du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve.
L'un des problèmes que connaît aujourd'hui ce secteur est la surproduction. Il y a 10 ou 15 ans, la production totale de bleuets sauvages étaient de l'ordre de 130 millions de livres. Le chiffre est passé à environ 160 millions il y a quatre ans et, aujourd'hui, la production est de 200 millions de livres.
La raison pour laquelle la production a tellement augmenté est que les pratiques de gestion se sont améliorées, comme vous pourrez le voir si notre projecteur finit par fonctionner. En outre, la superficie consacrée à cette production ne cesse d'augmenter. L'augmentation est relativement lente dans l'État du Maine mais, en Nouvelle- Écosse, à cause de programmes destinés à faciliter l'établissement de terres à bleuets, la superficie réellement exploitée a augmenté de manière tout à fait spectaculaire. Nous sommes donc maintenant obligés de chercher des marchés et des utilisations pour ces récoltes.
Si vous vous demandez quel est mon rôle dans tout ça, je dois vous dire que je suis le professeur qui fait de la recherche sur le bleuet sauvage au Collège agricole de la Nouvelle-Écosse. Mon poste est financé par des organisations de producteurs comme la Wild Blueberry Producers Association of Nova Scotia. Nous bénéficions aussi du soutien financier du Nouveau-Brunswick et de l'Île-du-Prince-Édouard, ainsi que de firmes telles que Oxford Frozen Foods et Bragg Lumber Company.
Voilà donc comment le programme de recherche est financé. Le mandat global est d'accroître le rendement potentiel, croyez-le ou non, ainsi que la durabilité à long terme de la récolte, étant donné que le changement climatique préoccupe les producteurs. Nous venons d'avoir deux années très sèches sur trois. L'été dernier est le plus sec que nous ayons eu depuis longtemps. Nous avions estimé que la production atteindrait 45 à 50 millions de livres, en juillet, alors que la moyenne sur cinq ans pour la province est d'environ 30 millions de livres. En juin, la récolte s'annonçait tout à fait excellente mais, début juillet, elle s'est à toutes fins pratiques asséchée.
En conséquence, une de nos fonctions au cours des cinq à 10 prochaines années consistera à étudier de meilleures pratiques d'irrigation pour le bleuet sauvage. À l'heure actuelle, l'irrigation est déjà très pratiquée dans le Maine. Nous essayons aussi d'améliorer les pratiques de gestion sur les terres non irriguées pour tenter d'accroître la tolérance de la récolte à la sécheresse.
Tels sont les défis que nous devons relever. Certes, ce fruit produit aussi des bienfaits sur le plan de la santé. Au cours des cinq à 10 dernières années, nous avons réussi à améliorer la manière dont ce fruit est perçu par la population et à en faire connaître les bienfaits du point de vue de la santé.
Des recherches ont montré des caractéristiques similaires à l'effet des canneberges sur les problèmes du tractus urinaire. Nous avons aussi constaté avec les bleuets une amélioration de la mémoire immédiate et de la vision. Des travaux se poursuivent actuellement à l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard sur la prévention des maladies cardiaques et du cancer. Ce fruit offre des caractéristiques très intéressantes du point de vue du contenu en flavonoïde et cela n'est pas sans conséquence pour l'industrie.
Mes activités de recherche sont destinées à améliorer la récolte elle-même, du point de vue du rendement, de la qualité et de l'aspect.
J'aimerais maintenant évoquer deux préoccupations des producteurs de bleuets sauvages.
La première concerne l'enregistrement des nouveaux intrants, notamment des nouveaux pesticides. Nous faisons partie d'un groupe d'horticulteurs qualifiés de «mineurs», ce qui veut dire que nous devons passer par le processus d'enregistrement pour les usages mineurs.
Aux États-Unis, l'an dernier, 1200 nouveaux produits ont été enregistrés pour l'utilisation dans le secteur agroalimentaire. Au Canada, il n'y en a eu que 18. Nous commençons vraiment à prendre du retard quant à l'utilisation de nouveaux produits pour protéger les récoltes. Les producteurs m'ont donc demandé de vous communiquer cette préoccupation car cela a une incidence directe sur l'efficience de l'industrie agroalimentaire et, j'irais même plus loin, sur notre aptitude à nous écarter de l'utilisation de produits tels que les organophosphates. Nous essayons de rattraper notre retard à ce sujet car il y a des produits manifestement plus conviviaux et plus respectueux de l'environnement.
À l'heure actuelle, un seul chercheur filtre les nouveaux pesticides utilisés dans la région, un certain DrKlaus Jensen, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Les entreprises craignent cependant que son expertise disparaisse lorsqu'il prendra sa retraite, dans un an et demi ou deux. L'impact sur l'industrie sera considérable et je tenais à ce que vous le sachiez.
Pour vous donner un peu plus d'informations générales, j'ai dit que l'industrie produit actuellement 200 millions de livres de fruits. C'est la récolte la plus importante de la Nouvelle-Écosse du point de vue des ventes à l'exportation, de la valeur totale et de la superficie exploitée, pour ce qui est des cultures pérennes. C'est un produit extrêmement précieux pour l'économie néo-écossaise.
On l'utilise essentiellement sous forme de fruits à congélation éclair individuelle, ce qui représente probablement plus de 90 p. 100 du marché. On peut acheter les fruits sous cette forme dans les épiceries, le reste étant généralement mis sur des palettes et envoyé à l'étranger. L'industrie tente actuellement de mettre au point de nouveaux produits à valeur ajoutée. Certaines des idées envisagées au cours des cinq dernières années comprennent des extraits en poudre et certains fruits semi-humides sous forme de biscuits gommes. Les bleuets sont placés dans une solution osmotique, ce qui en extrait l'eau, et on les utilise ensuite dans des céréales, des barres céréalières et d'autres produits de cette nature.
Nous procédons également à la mise au point de bleuets congelés à sec et utilisables au micro-ondes, au moyen d'une technique préservant la forme du fruit lui-même. C'est simplement son humidité qui en est extraite. L'avantage de produits de ce genre est qu'il n'y a pas la même dégradation des substances flavonoïdes qu'avec les autres procédés.
On essaie de mettre au point de meilleurs produits à valeur ajoutée, dans l'espoir que cela permettra au secteur de continuer sa croissance.
Le sénateur Hubley: Quel est le pourcentage de bleuets qui sont consacrés à la vinification?
M. Percival: Il y a trois sociétés vinicoles dans la région mais ce sont de toutes petites opérations locales. À mon avis, c'est moins de 0,01 p. 100. Pour vous donner une idée de la manière dont les choses ont évolué dans ce secteur, le magazine Time a publié l'an dernier un article indiquant que les bleuets sont l'un des10 premiers groupes de fruits pour la consommation humaine. Les bienfaits du point de vue de la santé sont incontestables.
Nous espérons que cela va continuer; en fait, on s'efforce actuellement de réserver l'étiquette «bleu» aux bleuets. On fait beaucoup de travail de marketing à ce sujet avec la coopération de l'Association des bleuets sauvages d'Amérique du Nord. Les aspects promotionnels de cette récolte sont assumés par cette organisation, établie dans le Maine.
Le sénateur David Tkachuk (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le sénateur Oliver: Vous parliez de pesticides. En arboriculture, les Américains peuvent utiliser beaucoup de pesticides qui nous sont interdits, et cela vaut aussi pour les bleuets. En plus du problème des pucerons, il y a un gros problèmes avec les daims. Je vis dans le comté de Queen's où les daims sont de gros consommateurs de tout ce que nous essayons de cultiver, y compris des bleuets. Que faites-vous à ce sujet?
M. Percival: En fait, ce sont probablement les ours qui posent le plus de problèmes car les ruches d'abeilles ne les repoussent pas et nous dépendons beaucoup de la pollinisation croisée. En ce qui concerne les daims, on installe des clôtures électriques pour leur interdire l'accès aux champs. On fait aussi des recherches sur ce que j'appellerais des systèmes de dissuasion, dont certains ont été conçus en Europe pour l'industrie vinicole. En bref, on cherche des méthodes plus subtiles pour les persuader d'aller ailleurs.
Le sénateur Oliver: Qu'en est-il des autres ravageurs?
M. Percival: Celui qui nous cause le plus de difficulté, du point de vue du marketing, c'est ce qu'on appelle le ver du bleuet, qui est en fait un ver minuscule. La mouche dépose ses oeufs dans le fruit et, quand celui-ci se développe, on voit quelque chose de très semblable à ce qu'on voit dans les pommes. On se retrouve avec des fruits mangés aux vers. Cela préoccupe beaucoup les producteurs de la région car il y a des normes très rigoureuses à cet égard. À l'heure actuelle, la région est confrontée à des obstacles commerciaux qui ont été imposés à cause de la présence de ce ver. Il nous est déjà arrivé de ne pas pouvoir expédier de produits frais en Ontario parce qu'on craignait la diffusion de ce ver.
Le sénateur Oliver: Mais la congélation le tue, cependant?
M. Percival: Oui, mais nous avons quand même un problème sur les marchés de niveau supérieur. Par exemple, les normes sont très basses pour tous les produits frais expédiés au Japon. Cela confirme qu'il est très important de continuer à étudier attentivement l'utilisation des nouveaux produits, surtout depuis cette rétraction de l'utilisation des organophosphates.
Le sénateur Day: Pourriez-vous nous parler un peu plus du marketing des nouveaux produits? J'ai bien compris le rôle que vous jouez pour l'industrie mais qu'en est-il du marketing? Vous dites que le Maine est la principale région de production mais, quand nous empruntons la route, nous pouvons voir un panneau indiquant que c'est dans le comté d'Oxford qu'on trouve les meilleurs bleuets.
M. Percival: Il y a des raisons pour lesquelles Oxford est devenue «La Mecque» du bleuet sauvage, si je puis m'exprimer ainsi. La première est l'accès aux marchés internationaux. Il est très pratique de rassembler les fruits ici, de les mettre dans un conteneur à Halifax et de les envoyer sur les marchés étrangers. Le comté est particulièrement bien placé de ce point de vue.
Deuxièmement, il y a la main-d'oeuvre disponible. Il est de plus en plus difficile de trouver de la main-d'oeuvre dans les régions productrices de bleuets du Maine, qui constituaient le coeur de l'industrie il y a 30 ou 40 ans.
Troisièmement, ce qui facilite vraiment la présence de l'industrie en Nouvelle-Écosse, ce sont les tarifs attrayants de l'électricité par rapport à l'État du Maine. On peut exploiter les usines de transformation à moindre coût ici.
En ce qui concerne le panneau que vous voyez sur la transcanadienne, il désigne le fait que la plus grande usine de Oxford Frozen Foods se trouve dans la municipalité d'Oxford. Elle peut traiter plus de 100000 livres de bleuets à l'heure. La société dispose d'une autre usine dans la région et elle en a ouvert une nouvelle l'an dernier. Elle a deux autres usines en Nouvelle-Écosse, une à Half-Way River, vers Parrsboro, et une dans la vallée d'Annapolis. Il y a aussi les deux sociétés soeurs de l'État du Maine, ce qui fait que nous parlons ici d'une très grande organisation internationale.
Le sénateur Day: Pourriez-vous nous donner une ventilation de la production? J'ai noté 40 p. 100 pour le Québec et la Nouvelle-Écosse. Est-ce à peu près 20 et 20?
M. Percival: Oui, bien que la Nouvelle-Écosse soit une région à gestion plus intensive. Autrement dit, nous avons des champs qui sont réservés à la production de bleuets sauvages. Au Québec, la situation est légèrement différente. Une bonne partie de la production provient essentiellement des forêts de la région du Lac Saint-Jean, bien qu'il y ait maintenant aussi là-bas des champs commerciaux assez vastes.
En Nouvelle-Écosse, comme je l'ai dit, un moyenne typique sur cinq ans serait d'environ 30 millions de livres. Au Québec, l'opinion générale est que la production est un peu plus basse, de l'ordre de 15 à 25 millions de livres. Comme la province est située un peu plus au nord, elle est plus sujette au gel de printemps qui a un effet catastrophique sur la récolte à l'époque de la floraison. C'est ce qui est arrivé il y a quelques années, quand la production a chuté à environ 5 millions de livres. En Nouvelle-Écosse, le climat est un peu plus modéré, bien que certaines régions soient aussi susceptibles au gel.
L'an dernier a été l'exception à la règle. Vous savez, on ne peut jamais prévoir ce qui va arriver dans l'industrie du bleuet sauvage tant qu'on n'a pas été dans les champs mêmes, car il y a toujours des rumeurs. Le Québec a produit 55 millions de livres, et le marché a donc été inondé. En 1996, quand je suis arrivé pour occuper mon poste au Collège, on a vu d'un seul coup 30 millions de livres de myrtilles, c'est le bleuet européen, arriver de Russie. Cela nous a posé de vrais problèmes de marketing.
Ailleurs dans la région de l'Atlantique, tout comme au Maine, le rendement a légèrement baissé cette année. La semaine dernière, l'Association du bleuet sauvage d'Amérique du Nord prévoyait un report de 40 à 50 millions de livres de cette saison, ce qui veut dire qu'il y a encore une grosse quantité à mettre en marché.
Le sénateur Oliver: Malgré la sécheresse.
M. Percival: Exactement.
Le sénateur Hubley: Quelles mesures l'industrie du bleuet prend-elle pour faire face au changement climatique? Si l'absence d'humidité dure encore longtemps, est-ce que ce sera un problème pour vous?
M. Percival: Oui. Pour replacer les choses dans leur contexte, sachez qu'on pratique beaucoup l'irrigation dans le Maine, surtout dans la région de Machias.
Le sénateur Hubley: Quel type d'irrigation?
M. Percival: On utilise les deux méthodes, soit l'irrigation de surface — avec un système de petits gicleurs —et l'irrigation souterraine — avec des systèmes plus grands de canons d'irrigation. Jasper Wyman, grande société de transformation du Maine, préfère les gicleurs de surface, alors que Cherryfields, qui fait partie du Groupe Oxford, utilise actuellement les canons d'irrigation. Les deux sociétés ont des équipes qui travaillent 24 heures sur 24 pour irriguer les champs dès que possible.
Les sols de la Nouvelle-Écosse ont tendance à être légèrement plus lourds que ceux des régions de bleuets du Maine, ce qui veut dire que leur capacité de rétention de l'eau est aussi un peu plus élevée. En outre, les températures ne sont pas aussi élevées que dans l'intérieur du Maine et, par conséquent, je ne m'attends pas à ce que la demande réelle de la récolte soit aussi grande.
Le bleuet sauvage a une capacité phénoménale de résistance à la sécheresse. À l'Institut du bleuet sauvage de la Nouvelle-Écosse, à une quinzaine de milles d'ici, nous avons effectué des essais avec moins de 5 p. 100 d'eau disponible dans le sol et cela n'a pas empêché la plante de s'épanouir, du point de vue physiologique et du point de vue de la croissance. C'est donc une plante qui tolère fort bien la sécheresse. Cela dit, on peut quand même avoir des problèmes, comme l'an dernier, lorsque nous n'avons quasiment pas eu de pluie entre la mi-juin et la fin de la récolte. Dans ce cas, la récolte peut facilement baisser de40p.100.
L'attitude générale de l'industrie, à l'heure actuelle, suite à des études d'irrigation qui ont été faites au début et au milieu des années 90, est que l'irrigation n'est efficace pour le bleuet qu'une année sur 10. En conséquence, je pense que la plupart des producteurs n'y auront pas recours.
En outre, comme le disait le témoin précédent, trouver de l'eau d'irrigation est un vrai problème dans beaucoup de ces régions parce qu'il y a du sel dans les puits que l'on creuse, et qu'il est difficile de tirer l'eau des rivières. Globalement, je ne m'attends pas à ce qu'on ait autant besoin d'irrigation pour le bleuet que pour d'autres cultures. Toutefois, l'eau est importante pour les vendeurs de bleuets frais, par exemple ceux qui emballent les produits sous vide pour les expédier à Halifax, parce que l'humidité préserve la taille du fruit et sa qualité générale.
Le président suppléant: Pourrez-vous envoyer votre mémoire par courriel au greffier du comité? De cette manière, nous pourrons le distribuer à tous les membres.
M. Percival: Certainement.
Le sénateur Hubley: Je voudrais poser une brève question sur le marketing. Je me demande si le muffin aux bleuets de Tim Hortons a été inventé par l'industrie ou par Tim Hortons?
M. Percival: Je pense que c'est Tim Hortons qui a fait le premier pas mais il est certain que l'Association du bleuet sauvage de l'Amérique du Nord contribue au marketing, avec les transformateurs. Quand on examine la consommation de bleuets sauvages en Amérique du Nord, on constate que deux utilisateurs représentent environ la moitié du marché. Il s'agit de Tim Hortons et des fabricants de tartes. Il est surprenant de voir l'impact que peut avoir une promotion comme celle-là, bien que je ne qualifierais pas vraiment ce muffin de muffin aux bleuets sauvages étant donné que le concentré utilisé pour la confiture est en fait de la viorne trilobée, mais nous travaillons là-dessus aussi.
L'autre exemple est celui de la société qui fabrique des tartes pour McDonald's. Pour faire des essais, elle a utilisé 20millions de livres. Tout ce qu'il faut, c'est quelques succès. L'une des autres utilisations, du point de vue des bienfaits pour la santé, consiste à inclure une base de bleuets dans certains des produits du soja, comme le tofou.
Considérant la nature inhérente du tofou, qui n'a pas vraiment de goût, le bleuet peut combler ce manque de goût et on a alors un produit très sain.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
Le président: Le témoin suivant est la Dre Kirsti Rouvinen-Watt, du Collège agricole de la Nouvelle-Écosse.
Mme Kirsti Rouvinen-Watt, professeure responsable de la recherche, Département des sciences végétales et animales, Collège agricole de Nouvelle-Écosse: Honorables membres du comité sénatorial, j'aimerais aborder avec vous aujourd'hui la situation actuelle du secteur de l'élevage des animaux à fourrure au Canada et en Nouvelle-Écosse, ainsi que le programme du Collège agricole de la Nouvelle-Écosse concernant ce secteur.
Le secteur de l'élevage des animaux à fourrure est relativement plus jeune que celui de l'agriculture. Ainsi, l'élevage du renard argenté, comme le disait il y a quelques instants un membre du comité, a démarré à l'Île-du-Prince-Édouard dans les années 90 et constitue un volet très important du secteur général de l'élevage. Les Maritimes ont eu un rôle important à jouer dans ce secteur. Le renard argenté est une catégorie de l'espèce commune des renards roux qui constitue un petit segment des renards d'élevage. La principale espèce d'élevage est le renard arctique.
Si vous examinez le graphique de droite, représentant la production mondiale, vous verrez que celle-ci est passée de 4,6 millions de peaux par an à 4,7 millions entre 1996 et 1998. C'est la Finlande qui en produit la grande majorité.
L'élevage du vison d'Amérique du Nord a commencé aux États-Unis dans les années 1770 et son élément le plus important, pour les Maritimes, a été la naissance du vison Mullen Jet Black dans le compté de Digby, en Nouvelle- Écosse, dans les années 60. Nous élevons du vison de très haute qualité génétique dans la région, notamment du vison de couleur noire.
Avec près de 41 p. 100 de tout le vison au monde, le Danemark est le chef de file du marché mondial. Sa part du marché mondial représente environ 25 à 29 millions de peaux par an. Cette année, ce sera 27 millions de peaux, dont 11 millions de peaux de type B.
Au Canada, nous produisons environ 1,4 million de peaux de vison. Nous sommes un peu en retard par rapport aux États-Unis, qui en produisent environ 2,2 millions. En revanche, la part de la Nouvelle-Écosse dans la production nationale représente environ 45 à 50 p. 100, soit environ 600000 peaux par an. L'an dernier, c'était 560000. Comme le montre ce graphique sur la production depuis 1987, la production de la province ne cesse d'augmenter depuis 1993.
Le sénateur Hubley: Puis-je vous poser une question sur le graphique? Peut-on y constater le moment où la résistance de la population aux fourrures animales est devenue un problème? Cela ressort-il du graphique?
Mme Rouvinen-Watt: Ce phénomène s'est manifesté à la fin des années 80 et au début des années 90. C'est évidemment un aspect important de la situation globale, et j'y reviendrai dans un instant. Quand on examine les chiffres de production des peaux de renards, on constate que ce secteur a été important en Nouvelle-Écosse à la fin des années 80 mais que les années suivantes ont été une période de déclin. L'une des principales raisons en est que la demande de fourrures à poils longs par l'industrie de la mode a baissé, alors que la demande de peaux de vison est restée plus stable. Divers indices montrent que cette situation commence à changer et que la demande actuelle de l'industrie du vêtement est un peu plus variée.
L'un des aspects positifs de l'industrie du vison en Nouvelle-Écosse est que bon nombre des élevages sont dans la même famille depuis 60 à 70 ans. Nous voyons actuellement de jeunes éleveurs entrer dans ce secteur, ce qui n'est pas le cas du reste du pays, et l'avenir de l'élevage du vison semble donc excellent pour la Nouvelle-Écosse. Selon les estimations, ce secteur emploie 400 personnes à temps plein, chiffre qui monte à 1200 pendant les périodes de pointe que sont les saisons d'élevage et d'écorchage.
Les exportations totales du Canada dans ce secteur représentent environ 290millions de dollars, soit 150millions de peaux brutes, dont 80 à 85 millions de peaux d'animaux d'élevage. Près de 98 p. 100 de toutes les fourrures produites au Canada sont exportées, les principaux marchés étant actuellement la Russie, la Chine et la Corée. On s'attend à ce que cette tendance reste très forte, notamment parce que la Russie est actuellement l'une des économies connaissant la plus forte expansion. La fourrure a toujours été un élément très important de l'industrie russe du vêtement.
Pour ce qui est de l'élevage du vison en Nouvelle-Écosse, les prix des peaux sont actuellement très fermes. L'an dernier, le prix moyen se situait autour de 49$. Cette année, toute la production n'a pas encore été vendue et tout permet de penser que le prix moyen pourrait monter jusqu'à 60$, voire 62$. Les ventes aux enchères pour l'Amérique du Nord commencent la semaine prochaine à Toronto et nous verrons alors si cette prévision se réalise.
Si l'on compare les recettes des éleveurs aux chiffres de production, on constate que la tendance n'est pas tout à fait la même, car le prix varie chaque année. Il n'y a pas de prix fixe pour ce produit. Tout dépend de la loi de l'offre et de la demande, exprimée lors des enchères, et les producteurs n'ont pas vraiment de garantie de revenu d'une année à l'autre. Il s'agit donc d'un secteur où l'éleveur est preneur de risques — ou d'un secteur exigeant une excellente gestion financière. Cela dit, le chiffre d'affaires réalisé par les éleveurs l'an dernier tournait autour de 28 millions de dollars, et l'on estime qu'il pourrait atteindre 36 millions cette année. Cela veut dire que l'élevage des animaux à fourrure a dépassé l'élevage du porc, l'an dernier, en Nouvelle-Écosse. Le chiffre d'affaires que je viens de mentionner n'est pas négligeable, surtout pour une très petite partie de la province puisque 85 p. 100 de toute la production vient du seul compté de Digby. Cette région offre très peu d'autres possibilités d'élevage animal étant donné qu'elle a moins de 0,5 p. 100 de toutes les terres arables de la province. Les animaux à fourrure représentent donc un volet très important de l'agriculture animale non alimentaire en Nouvelle-Écosse.
Je vais maintenant aborder les trois défis actuels de l'industrie, le premier étant la biosécurité et la santé animale. L'industrie est actuellement en butte à un problème de santé, la maladie aléoutienne du vison, maladie virale pour laquelle il n'existe actuellement aucun vaccin et dont le seul traitement efficace exige l'exécution de tests. Notre ministère de l'Agriculture et des Pêches applique un test de contre-immunofluorescence pour cette maladie et la seule solution, quand un élevage est infecté, consiste à le dépeupler pour le repeupler ensuite d'animaux reproducteurs sains.
Un autre problème est la maladie de Carré, maladie virale présente chez beaucoup d'animaux sauvages. Par exemple, si des ratons laveurs, qui en sont porteurs, accèdent à un élevage, ils peuvent contaminer les animaux d'élevage.
Je devrais aussi mentionner la sécurité des élevages, étant donné que c'est devenu un problème ces dernières années suite au militantisme croissant des organismes de protection des droits des animaux. Les producteurs s'inquiètent de la sécurité de leurs animaux, de leurs biens et, en fin de compte, de leur gagne-pain.
Le défi suivant que je veux mentionner concerne la gestion de l'environnement et des animaux. Il s'agit ici de problèmes de gestion de l'environnement à la fois sur le site, pendant le cycle de production des animaux, et en dehors des sites, lorsque le fumier est retiré des enclos. Cette catégorie englobe aussi la gestion des carcasses. Je tiens à souligner que les usines de recyclage du fumier ont actuellement des difficultés à accepter les carcasses d'animaux carnivores du fait de préoccupations touchant, par exemple, les maladies du prion comme l'encéphalopathie. On étudie actuellement les possibilités de compostage des carcasses, tout comme on le fait dans les secteurs de la volaille et du porc.
L'hébergement des animaux est une question de plus en plus importante pour les producteurs qui sont à la recherche de méthodes plus modernes et technologiquement plus avancées pour élever et gérer leurs animaux.
Le dernier problème que je veux mentionner est celui du coût de production. L'alimentation revêt une importance particulière à cet égard, étant donné qu'elle représente le poste de dépense le plus élevé, et la disponibilité et le prix des aliments sont donc cruciaux. Le secteur fait usage des déchets et sous-produits des industries d'abattage d'animaux, de la pêche et de la transformation alimentaire. Toutefois, il peut arriver que le secteur des aliments pour animaux domestiques accepte de payer des prix plus élevés pour les mêmes produits, et la concurrence devient alors très vive. Les coûts de la main-d'oeuvre sont également un facteur pertinent par rapport aux coûts de la technologie. Dans certains cas, il est préférable d'avoir recours à des technologies avancées pour pouvoir fonctionner avec une main-d'oeuvre réduite.
Les producteurs de la Nouvelle-Écosse ont déjà pris des mesures pour créer des coopératives. Ainsi, une coopérative d'écorchage créée il y a quelques années traite aujourd'hui plus de la moitié des peaux de la province, ce qui permet de commercialiser un produit de très grande qualité. La prochaine étape naturelle serait de mettre sur pied une coopérative de production d'aliments pour les animaux.
Je mentionne également l'infrastructure de l'industrie dans mon mémoire, c'est-à-dire surtout l'accès à un équipement et à des services très spécialisés. Bon nombre d'éleveurs nord-américains dépendent de la technologie européenne, qui peut parfois être très dispendieuse.
Je voudrais parler maintenant du programme de recherche sur les animaux à fourrure du Collège agricole de la Nouvelle-Écosse. Il a été mis sur pied en 1994, sous forme d'un chaire de recherche sur les animaux, en partenariat avec l'industrie. Le Collège mène des recherches sur les animaux à fourrure en collaboration avec l'Institut de la fourrure de la Nouvelle-Écosse, organisation de coordination réunissant le ministère de l'Agriculture et des Pêches de la Nouvelle- Écosse, le Collège agricole, l'Association des éleveurs de vison de la Nouvelle-Écosse et l'Association des éleveurs de renard de la Nouvelle-Écosse. Le groupe se réunit une fois tous les trimestres pour discuter de ses priorités et de recherches, et aussi des préoccupations particulières à l'industrie.
Nous avons au CANE un département de la fourrure qui est sur le point de devenir le Centre canadien de recherche sur les animaux à fourrure, avec l'appui de la Fondation canadienne pour l'innovation. Au Canada, nous sommes le seul organisme de recherche spécialisé sur les animaux à fourrure. Il y en a quelques-uns aux États-Unis, qui ne sont cependant pas spécialisés uniquement dans ce secteur et qui sont de plus petite taille. De ce fait, notre programme répond à un mandat vraiment national et nord-américain. Je vais vous donner un bref aperçu des recherches appliquées que nous exécutons ainsi que des recherches plus fondamentales.
Nos travaux ont jusqu'à présent été axés sur l'alimentation des animaux à fourrure, l'identification et la mise à l'essai de produits d'alimentation, notamment issus des industries des déchets et des sous-produits de la pêche et de l'agroalimentaire. Nous exploitons aussi un programme d'élevage de la martre américaine, qui a récemment été désignée espèce en danger en Nouvelle-Écosse. Nous étudions la reproduction du renard argenté, notamment la relation entre le tempérament et l'instinct maternel de la femelle et sa productivité. Nous avons sur le campus un troupeau très prolifique. Nos litières moyennes d'animaux sevrés sont de 4,5 à 5 têtes, alors que la moyenne de l'industrie est de 2,9.
L'avenir de notre programme de recherche appliquée concerne le traitement sur site des poules épuisées, c'est-à-dire des poules pondeuses en fin de cycle. Nous étudions la technologie qui permettrait de traiter les carcasses directement sur l'exploitation de façon à préparer un aliment acide ou un produit déshydraté pour l'alimentation du vison. Nous travaillons sur ce projet depuis 1998 et nous sommes sur le point d'entreprendre un projet pilote. Jusqu'à présent, les travaux se faisaient uniquement en laboratoire.
Nous étudions également la possibilité de financer un guide d'alimentation appliquée. En effet, l'industrie a besoin d'un guide d'alimentation très concret sur la conception des rations, et d'un répertoire de tous les aliments disponibles, avec leur valeur nutritive.
La recherche fondamentale porte sur deux aspects différents. Sous le leadership du Dr Farid, le volet élevage et génétique a mis au point des techniques d'identification par l'ADN du vison, ainsi que des marqueurs microsatellites, qui sont de brèves répétitions d'ADN pouvant être utilisées comme marqueurs génétiques.
Pour ce qui est du volet nutrition et physiologie, que je dirige, il porte sur la physiologie digestive et le métabolisme des nutriments, ainsi que sur la thermorégulation — par exemple, l'hypothermie du vison néo-natal — et l'histologie de la peau et du poil. Autrement dit, nous étudions la qualité des peaux au niveau microscopique.
L'orientation future de ces deux programmes comprend la cartographie du génome du vison, projet extrêmement ambitieux consistant à cartographier le QTL, ou locus quantitatif, conjuguée à la définition des caractères. Le but de cette recherche est de mettre au point des marqueurs génétiques qui pourront être reliés à telle ou telle caractéristique économiquement importante, afin de l'utiliser dans l'élevage. Il s'agit là d'un projet à échéance de 10 à 15 ans, c'est-à- dire à très long terme.
Pour ce qui est de la recherche sur place en nutrition et en physiologie, nous allons nous pencher sur une maladie appelée le trouble d'élevage du vison. Nous avons de fortes indications que ce trouble du métabolisme des lipides et du glucose est très similaire au syndrome du diabète d'obésité de type 2. C'est un syndrome acquis de type résistant à l'insuline, et l'étude pourrait nous donner un modèle très intéressant pour comprendre la régulation du métabolisme des lipides et du glucose, ce qui pourrait déboucher sur un projet plus vaste pouvant avoir des retombées sur le plan de la santé humaine.
J'ai classé les défis de notre programme de recherche en deux catégories qui sont toutefois reliés sur le plan du financement — financement d'infrastructure et financement d'exploitation. L'infrastructure au CANE comprend le Département des animaux à fourrure, qui deviendra le Centre canadien de recherche sur les animaux à fourrure quand la nouvelle infrastructure aura été mise en place. Le financement provient essentiellement de la Fondation canadienne pour l'innovation, suite à un concours national de 1999, et nous avons obtenu une contribution de contrepartie au titre de l'Entente de coopération entre le Canada et la Nouvelle-Écosse concernant la diversification économique. J'ajoute que nous bénéficions aussi d'un appui financier de l'industrie, laquelle nous fait également don des animaux reproducteurs dont le nouveau centre a besoin.
L'industrie a beaucoup de mal à trouver des fonds pour financer ce type de projets et la plupart des programmes de financement nationaux et provinciaux exigent aujourd'hui une participation industrielle de 20 à 25 p. 100. C'est là un très lourd fardeau qui est imposé au secteur et il nous appartient donc de faire tous les efforts possibles pour trouver d'autres sources de financement.
Une fois que l'infrastructure aura été mise en place, nous aurons naturellement besoin de crédits pour financer les soins aux animaux, et c'est le Département des animaux à fourrure du CANE qui s'en chargera, dans le cadre de son budget institutionnel, alors que toutes les recherches exécutées par le Centre devront être autofinancées. Cela veut dire qu'il appartiendra aux chercheurs de trouver les sommes nécessaires pour rémunérer les étudiants et financer tous les travaux de laboratoire.
Nous avons déjà reçu un soutien financier du Programme de développement technologique du ministère de l'Agriculture et des Pêches de la Nouvelle-Écosse, et nous avons également soumis d'autres demandes de soutien. Le ministère offre un appui très encourageant à la recherche sur les animaux à fourrure effectuée par le CANE. Divers autres conseils et organismes nous appuient pour la préparation d'aliments pour les animaux à partir de carcasses de poules — la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve contribuent à ce projet. L'Association des éleveurs de vison du Canada paie 25 p. 100 des coûts mensuels de mon poste, mais mon salaire provient directement de l'industrie. Les agences nationales de subventionnement auprès desquelles nous sollicitons des fonds comprennent le Conseil national de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Fonds d'innovation de l'Atlantique, géré localement par l'APECA.
Je suis prête à répondre à vos questions.
Le sénateur Tunney: J'ai été surpris d'apprendre que la Russie est l'un de nos clients pour les fourrures d'élevage. J'ai vu beaucoup d'élevages de vison en Russie et je peux vous dire que les conditions y sont horribles. Je me suis laissé dire qu'ils ont beaucoup de problèmes de maladies et que beaucoup de visons meurent rapidement. Je pense qu'il s'agit avant tout d'un manque d'hygiène.
La Russie est le premier producteur de fourrures sauvages au monde, et elle produit probablement les meilleures peaux à cause de son climat. Croyez-vous que nous sommes capables de produire ici des fourrures de meilleure qualité, grâce à notre climat très froid donnant des fourrures aux poils naturellement plus longs et plus épais? Avez-vous constaté une différence entre les hivers très froids et ceux qui le sont moins?
Mme Rouvinen-Watt: Vous posez d'un seul coup plusieurs questions en même temps. Tout d'abord, je n'ai pas eu le privilège de visiter les élevages russes et je ne peux donc faire aucune remarque à ce sujet. Toutefois, avec l'effondrement de l'infrastructure économique du pays, on peut s'attendre à ce que le bien-être des animaux se détériore de la même manière que celui des êtres humains.
Pour ce qui est de la production de vison de grande qualité, je pense qu'un hiver plus modéré est plus bénéfique à l'animal qu'un hiver très rigoureux, et il n'y a donc pas de hasard si le comté de Digby, en Nouvelle-Écosse, est devenu une région productrice de vison. Les hivers ont tendance à y être moins rigoureux qu'ailleurs, ce qui signifie que les animaux peuvent continuer à se nourrir, ce qui contribue à la croissance de leur fourrure, de leur peau et des follicules cutanés.
Du point de vue physiologique, la croissance de la fourrure dépend plus des variations du cycle lumière/noirceur, c'est-à-dire de la photopériode, que des températures elles-mêmes. En conséquence, un climat vraiment très froid serait un obstacle parce que les aliments gèleraient. Comme le régime alimentaire est à base de sous-produits, l'animal n'aurait pas accès à ses aliments et ne pourrait pas rester en aussi bonne santé que dans un climat plus doux.
Le sénateur Tunney: Comment se vendent les fourrures? Aux enchères?
Mme Rouvinen-Watt: Oui, aux enchères. Les animaux sont abattus sur le ranch lui-même ou dans un établissement d'écorchage central que plusieurs producteurs utilisent en coopérative. Les peaux sont ensuite nettoyées, traitées et séchées. À cette étape, ce sont encore des peaux brutes, déshydratées et non travaillées. Elles sont rassemblées dans des centres d'expédition régionaux — il y en a un ici même, à Truro — où chacune se voit apposer une étiquette avec un code-barres identifiant le producteur. Chaque producteur de fourrures d'élevage doit avoir un permis de production ainsi qu'un permis d'exportation. En outre, les chasseurs d'animaux sauvages ont aussi besoin d'un permis de piégeage et d'un permis d'exportation. Le produit quitte la province à titre de produit d'exportation.
Toutes ces fourrures arrivent dans un centre de tri ou un entrepôt comme celui que possède North American Fur Auctions, à Toronto. Là-bas, elles sont appariées par type, couleur, longueur et qualité, c'est-à-dire selon la texture ou le soyeux de la fourrure. On tient compte de la couleur, de la densité, et cetera. Ensuite, les fourrures sont réunies par lot d'une trentaine à une cinquantaine, ce qui est le nombre nécessaire pour produire un vêtement. L'objectif est d'offrir au fourreur ou au designer des peaux brutes ayant des caractéristiques identiques.
Après cette étape, on prépare des lots d'exposition, c'est-à-dire des lots de milliers de fourrures de qualité identique qui sont présentés aux acheteurs potentiels. Ceux-ci examinent les peaux en fonction de ce que leur fourreur ou designer souhaite pour la prochaine saison. Finalement, ils font leurs offres pendant les enchères, étant entendu qu'ils ont probablement en tête le prix maximum qu'ils sont prêts à payer. Pour ce qui est de l'encanteur, il a probablement fixé un prix minimum en deçà duquel il n'est pas prêt à vendre. Lorsqu'on met aux enchères un produit particulièrement désirable, la lutte peut être féroce.
Le sénateur Hubley: Je pensais la même chose que le sénateur Tunney au sujet du climat. J'ai toujours cru que, plus le climat est froid, meilleures sont les peaux. J'avais l'impression qu'il y a toujours des ventes de renard argenté à l'Île- du-Prince-Édouard, notamment à la Compagnie de la Baie d'Hudson. Quelle est son rôle à cet égard? Il me semblait qu'elle venait acheter des fourrures sur l'Île-du-Prince-Édouard et qu'elle les emportait ensuite à Toronto. Est-ce que cela se fait encore?
Mme Rouvinen-Watt: Oui. La Compagnie de la Baie d'Hudson fait aujourd'hui partie de North American Fur Auctions. Autrefois, elle achetait plus des fourrures d'animaux sauvages que d'animaux d'élevage.
Le sénateur Hubley: Vous occupez-vous aussi de peaux de phoques ou est-ce juste un phénomène terre-neuvien? Quelles autres espèces y a-t-il dans les Maritimes? Nous n'avons pas de castor à poils ras, n'est-ce pas?
Mme Rouvinen-Watt: L'industrie de la fourrure traite aussi des peaux de castor, de ragondin, de loutre, de lynx et de coyote. Ce sont les principales espèces du point de vue de la production. L'industrie du phoque n'est pas vraiment reliée à l'industrie des animaux d'élevage ou sauvages. Je crois comprendre que cela relève toujours du ministère des Pêches de Terre-Neuve.
Le sénateur Hubley: Les deux principales espèces sont donc le renard, argenté ou roux, et le vison?
Mme Rouvinen-Watt: Oui.
Le sénateur Tkachuk: J'ai deux questions à vous poser. Tout d'abord, vous avez dit que la plupart des peaux sont exportées. N'y a-t-il pas de fabricants de manteaux à fourrure au Canada, puisqu'on parle toujours de valeur ajoutée? Quel pourcentage de la production est transformé ici?
Deuxièmement, vous disiez que vous alliez nous parler un peu des organismes de protection des droits des animaux et de leur incidence sur cette industrie. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la situation actuelle, à l'échelle mondiale?
Mme Rouvinen-Watt: Certainement. Tout d'abord, en ce qui concerne la fabrication des vêtements, il existe en effet une industrie non négligeable du vêtement au Canada, qui se trouve essentiellement au Québec, à Montréal. Montréal est un centre de commerce des peaux depuis le début du XVIIe siècle. J'ai dit tout à l'heure que le total des exportations de fourrures atteignait 290 millions de dollars, dont 150 millions de dollars de peaux brutes. La différence représente la valeur des vêtements.
Le sénateur Tkachuk: C'est-à-dire l'industrie locale?
Mme Rouvinen-Watt: Oui. La raison pour laquelle les peaux brutes sont considérées comme faisant partie d'un marché d'exportation est que toutes les enchères sont internationales. Certaines peaux peuvent aboutir plus tard dans les mains de designers canadiens mais elles auront quand même été vendues à un acheteur international. C'est comme cela que fonctionne le système. La consommation et la production du commerce de la fourrure sont très stables en Amérique du Nord. Près de 12 p. 100 de la production mondiale et 12 p. 100 de la consommation de peaux se font en Amérique du Nord. Au fond, il s'agit là à toutes fins pratiques d'un marché intérieur, mais on estime quand même que c'est un marché d'exportation international.
Le sénateur Tkachuk: Parlez-nous maintenant des militants des droits des animaux.
Mme Rouvinen-Watt: Oui. Il y a eu une certaine activité contre l'industrie de la fourrure au cours des années, et ce que j'appellerais des attaques terroristes contre cette forme d'élevage d'animaux au Canada. Nous n'avons pas connu de tels incidents en Nouvelle-Écosse mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en aura jamais. Le mouvement est plus actif en Europe. Je crois qu'il y a eu quelques incidents au Danemark et en Hollande, où des animaux ont été libérés des fermes d'élevage. En règle générale, aucun tort n'est causé directement aux animaux mais, une fois qu'on les laisse sortir des fermes d'élevage, il est probable qu'ils se feront écraser sur les routes. Il y a eu des incidents similaires en Colombie- Britannique, par exemple, où des militants se sont attaqués à un élevage de vison et ont relâché les animaux.
Y a-t-il d'autres aspects de cette question qui vous intéressent?
Le sénateur Tkachuk: Je sais que ce mouvement a beaucoup fait parler de lui à ses débuts, à la fin des années 80 et au début des années 90, et je pensais que cela avait causé un tort considérable à l'industrie de la fourrure. Est-ce le cas? Je constate que les chiffres sont constamment à la hausse.
Mme Rouvinen-Watt: Je pense qu'il existe un effet superficiel, dans la mesure où les gens en sont conscients, mais je ne crois pas que cela ait eu un impact sur la demande mondiale de fourrures. La consommation mondiale de vison reste très stable, autour de 25 à 27 millions de peaux par an, malgré ce militantisme.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce parce qu'elle a monté en Russie alors qu'elle aurait baissé en Europe?
Mme Rouvinen-Watt: Probablement. C'est peut-être un facteur. Les marchés traditionnels d'Europe en consomment peut-être moins mais ceux d'Asie et de Russie en consomment plus, ce qui veut dire que le solde est resté sensiblement le même. Mon opinion personnelle est qu'une bonne partie de la publicité négative ne reposait pas sur des informations factuelles et qu'il serait préférable que le consommateur prenne des décisions parfaitement éclairées. L'industrie a certainement beaucoup de travail à faire pour informer le consommateur et contrer les informations erronées.
Le président: Il y a 10 ans, ce n'était pas très bien vu de porter un manteau de fourrure mais il semble que les pressions exercées contre les femmes se soient maintenant atténuées. Notre comité a beaucoup entendu parler d'agriculteurs et d'autres producteurs qui font de la publicité et qui cherchent des produits à valeur ajoutée. Avez-vous pensé à faire de la publicité?
Mme Rouvinen-Watt: Sur notre programme?
Le président: Oui.
Mme Rouvinen-Watt: Il est certainement important d'être présent aux yeux du public et d'utiliser les médias. Notre Collège a toujours appliqué une politique de porte ouverte à cet égard. Nous invitons constamment des gens à venir visiter nos installations et à voir notre programme de recherche. Nous sommes également présents sur Internet. Mon sentiment est que nous avons des informations positives à communiquer. D'ailleurs, nous voyons aujourd'hui des jeunes qui font des études dans ce domaine, du niveau de la maîtrise ou du doctorat, ce qui me dit qu'il y a un avenir pour l'industrie.
Le président: Votre reproduction moyenne est de quatre?
Mme Rouvinen-Watt: C'est cela, en gros, pour le vison.
Le président: Autour de quatre, entre quatre et cinq?
Mme Rouvinen-Watt: Oui.
Le président: Votre prix moyen est entre 40$ et 60$?
Mme Rouvinen-Watt: Oui.
Le président: Ce qui veut dire une production d'environ 200$ par vison. Combien de visons un producteur doit-il avoir pour être rentable?
Mme Rouvinen-Watt: Tout dépend du prix des peaux. Je ne me souviens plus du chiffre exact. Ça dépend aussi du rendement des animaux de reproduction, comme vous l'avez dit, car il faut tenir compte des sommes investies dans les reproducteurs. Plus le rendement de la reproduction est élevé, moins on a besoin de tirer d'argent de chaque peau pour joindre les deux bouts. J'attire à ce sujet votre attention sur le projet d'analyse de la gestion agricole, auquel participent plusieurs producteurs de la Nouvelle-Écosse. Je crois me souvenir qu'il y a environ 580 femelles par équivalent- personne par ferme d'élevage, et que le revenu net moyen tournait autour de 150000$ l'an dernier. Ces informations sont disponibles si vous les souhaitez.
Le sénateur Day: Votre remarque sur les jeunes qui font des études dans ce domaine m'a rappelé une question que je voulais poser. Au début de votre exposé, vous avez dit qu'il y a des jeunes qui se lancent dans ce type d'activité, dans des fermes familiales. Vous vous souvenez de ça? Je me suis demandé à ce moment-là si c'était, comme autrefois, un complément à d'autres types d'activités agricoles ou si c'est leur activité principale?
Mme Rouvinen-Watt: L'élevage du vison a tendance à être une activité à temps plein. C'est en tout cas mon impression. Il y a quelques producteurs qui exercent d'autres activités parallèles mais leur revenu primaire vient de l'élevage du vison.
Le sénateur Day: Et l'élevage du renard? À une époque, les agriculteurs élevaient tous des renards, vous le savez sans doute.
Mme Rouvinen-Watt: Il y a une grande différence entre ces deux secteurs. Dans l'ensemble, l'élevage du renard est une activité à temps partiel fondée sur l'achat de granulés secs à une compagnie d'aliments pour animaux, et il s'agit plus en fait d'une activité accessoire. En revanche, l'élevage du vison est une profession à temps plein, et le fait que nous ayons plus de 100 détenteurs de permis mais seulement une soixantaine de fermes d'élevage vous indique qu'il y a des pères qui exploitent leur ferme avec leurs fils.
Le sénateur Day: Donc, ce que vous disiez sur les jeunes qui se lancent dans ce secteur concernait essentiellement l'élevage du vison?
Mme Rouvinen-Watt: Oui.
Le président: Je vous remercie d'être venue témoigner aujourd'hui devant notre comité. Nous allons maintenant accueillir l'honorable Ernest Fage, ministre de l'Agriculture et des Pêches.
L'honorable Ernest Fage, ministre de l'Agriculture et des Pêches, gouvernement de la Nouvelle-Écosse: Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous, honorables sénateurs.
Je commencerais mon exposé sur une touche de nostalgie. L'établissement où nous nous trouvons est l'un des joyaux de la province et de la région de l'Atlantique du point de vue de la recherche agricole, de la formation et de l'enseignement. Comme j'y ai fait des études, je me souvenais en arrivant ici en voiture que j'y ai obtenu mon diplôme en 1973, à l'âge de 19 ans, et que le ministre de l'Agriculture de l'époque, Eugene Whalen y était venu comme conférencier invité pour inaugurer l'établissement — ce qui fut la première des nombreuses rencontres que nous avons eues ensuite. Et j'ai d'ailleurs l'impression que les problèmes qu'il avait évoqués à l'époque sont toujours pertinents. En effet, il avait parlé de stabilisation du revenu agricole et de préservation des exploitations familiales. C'est peu après que nous avons vu apparaître le système de gestion de l'offre. Aujourd'hui, l'objectif fondamental que nous visons tous, en tant qu'élus, est d'assurer la stabilisation des collectivités rurales de tout le pays. L'ancien ministre s'était fait le champion de cet objectif et, incontestablement, de tout le monde agricole. Les problèmes auxquels il s'était attaqué sont encore importants aujourd'hui, même si les caractéristiques de l'industrie et les participants ont évidemment changé. Et ce sont les problèmes auxquels vous vous attaquez, en même temps que d'autres comités et gouvernements.
Je n'ai pas eu la possibilité d'examiner les exposés des autres témoins et je vais donc vous présenter un bref aperçu du secteur agricole de la province, dans le cadre des questions que vous nous avez adressées. Tout d'abord, je peux vous dire que le secteur agroalimentaire a une valeur totale d'environ 1milliard de dollars par an pour notre économie, ce qui est évidemment considérable pour une province comme la nôtre. L'an dernier, le revenu agricole réel des producteurs s'est élevé à 420millions de dollars, et le ministère fédéral prévoit environ le même niveau cette année, avec quelques variations dans différents secteurs causées par la sécheresse de l'an dernier.
Le secteur emploie environ 15000 personnes dans la province. On trouve en Nouvelle-Écosse le plus grand nombre d'exploitants agricoles par habitant possédant un diplôme du secondaire en sciences agricoles, ce dont nous sommes très fiers. Évidement, l'établissement où nous nous trouvons a beaucoup à voir avec cela.
Comme la gestion de l'offre représente environ 55 p. 100 de la production de la province, bon nombre des produits locaux sont destinés à la consommation intérieure et non pas à l'exportation. Toutefois, nous avons quand même certains secteurs agroalimentaires qui sont tournés vers l'exportation et qui constituent une source intéressante d'opportunités. Notre taux de croissance annuel depuis 1994 est d'environ 12 p. 100 et les exportations ont une valeur actuelle d'environ 175 millions de dollars.
Certaines de nos industries sont des chefs de file non seulement en Amérique du Nord mais à l'échelle mondiale, comme celle du bleuet sauvage. L'an dernier, Oxford Frozen Foods a procédé à une expansion de 70 millions de dollars, et il s'agit d'un groupe d'entreprises qui sont très axées sur l'exportation mondiale. Les bleuets sauvages sont une industrie très importante, pas seulement au Canada mais aussi aux États-Unis. Oxford a une présence importante dans la province et nous sommes très satisfaits de son expansion qui veut dire qu'une partie de sa production sera transformée ici même, en Nouvelle-Écosse, et non pas aux États-Unis. Nous pensons que cette industrie offre des possibilités importantes de croissance et de valeur ajoutée.
Apple Valley Foods est également un gros fournisseur de tartes aux fruits et il existe beaucoup d'autres opportunités. Cette société offre des possibilités d'expansion de la production agricole mais, ce qui est important, du point de vue de l'emploi et de la stabilité des collectivités rurales, c'est qu'elle est implantée ici.
Pour ce qui est de la compétitivité globale, nous avons des défis à relever du point de vue de la technologie. Les marges bénéficiaires ne cessent de baisser, phénomène qui caractérise tout le secteur agricole du pays. Aujourd'hui, bon nombre de technologies agricoles sont spécialisées sur le plan régional. Répondre aux besoins du secteur agricole exigera de plus en plus d'expertise.
Pour la première fois en 40 ans, la province est sur le point d'équilibrer son budget cette année, ce qui a obligé notre gouvernement, depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans, à faire preuve d'innovation pour répondre aux besoins de la population et des divers ministères. Cela a aussi touché l'agriculture.
Nous avons recours à des modes différents de prestation des services et, jusqu'à présent, le secteur privé réagit positivement en assumant bon nombre de services de manière indépendante. Un conseil d'administration dont la plupart des membres sont des représentants d'associations agricoles et au sein duquel le Collège est représenté se charge actuellement du recrutement des spécialistes agricoles dans la province. Il effectue la recherche des spécialistes dont on a besoin dans tel ou tel secteur et pour telle ou telle période, de façon à répondre de manière opportune aux situations particulières, au lieu d'avoir recours à des généralistes qui ne sont pas nécessairement aptes à répondre aux besoins. Voilà certains des défis et certaines des solutions dont nous tenons compte dans le cadre de notre enveloppe budgétaire.
L'autre problème est que la dette agricole augmente. Cela s'explique par une foule de facteurs mais, considérant la composition de l'industrie et l'existence du système de gestion de l'offre, le secteur laitier exige des précautions très particulières du point de vue de la sécurité alimentaire. Il y a d'autres facteurs, comme le coût élevé de la construction et le fait qu'une partie de la dette a été encourue pour assurer le renouveau du secteur. Dans l'ensemble, cependant, la dette agricole globale continue d'augmenter, ce qui est préoccupant.
Vous nous aviez également posé une question sur la sécheresse de 2001 mais je serai très bref à ce sujet car je préférerais répondre à vos questions là-dessus. Il est vrai que la province connaît depuis quatre ou cinq ans une sécheresse tout à fait anormale. Les experts agricoles ont toujours investi beaucoup d'argent pour permettre aux eaux de surface de s'écouler, en aménageant des champs de drainage et en creusant des fossés. Or, nous nous trouvons aujourd'hui dans la situation contraire, notamment depuis l'été dernier, parce que les pluies sont largement insuffisantes. Qu'il s'agisse là d'un problème à court terme ou à long terme, nous y réagissons en formulant une stratégie sur l'approvisionnement en eau.
M.Lyle Vanclief a accepté certains des arguments que nous avons avancés ces dernières années à ce sujet et, pour la première fois, nous avons obtenu l'automne dernier des crédits au titre de l'ARAP. Nous sommes très heureux que le gouvernement fédéral commence à collaborer avec nous sur une stratégie globale d'approvisionnement en eau pour faire face à ce genre de problèmes.
Pour ce qui est du plan national d'action agricole, le gouvernement provincial et l'industrie estiment qu'il est tout à fait légitime et viable. Ce plan repose sur cinq principes qui sont le renouveau, l'environnement agricole, la sécurité alimentaire, la recherche scientifique, et la gestion du risque ou les filets de sécurité. Nous sommes parfaitement d'accord avec l'idée de formuler une politique nationale, d'établir des normes entre les provinces et d'assurer un partage équitable des responsabilités entre les gouvernements fédéral et provinciaux sur ces questions, mais nous pensons qu'il faut aussi accroître les opportunités générales pour les exploitants agricoles de cette province.
Votre quatrième question portait sur l'état de la recherche et je ne doute pas que des représentants du Collège agricole vous en aient déjà parlé aujourd'hui. Pour ma part, j'aborderai brièvement le fait qu'un certain nombre de chaires nationales sont établies ici dans des domaines comme l'agriculture organique, l'environnement et toutes sortes de domaines plus particuliers au secteur. C'est à nos yeux une occasion exceptionnelle de fournir des services de R-D au secteur agricole de façon à rehausser la compétitivité de nos produits et services. Cela nous offre la possibilité d'adapter les résultats aux besoins de la Nouvelle-Écosse et des provinces maritimes. Dans le secteur agricole, en effet, la recherche doit être adaptée aux besoins régionaux, par exemple à cause des différences de fuseaux horaires.
La dernière chose dont je voudrais parler est une question qui me semble importante non seulement pour la Nouvelle-Écosse mais pour l'ensemble du pays. La gestion du risque et les autres outils ont traditionnellement été fondés sur la production, ce qui convient aux exploitations commerciales à temps plein. Toutefois, la Nouvelle-Écosse a tendance à avoir beaucoup plus d'exploitations mixtes que des exploitations de monoculture, ce qui veut dire qu'une approche axée sur l'exploitation globale ne permet pas toujours de bien traiter les problèmes de cultures différentes et diversifiées. Si nous en devenons trop tributaires, cela oblige ces exploitations à se tourner vers la monoculture, ce qui accroît le risque et n'est pas le but que nous visons.
En Nouvelle-Écosse, 15 p. 100 de la production agricole provient de 85 p. 100 de la population, et la réciproque est tout aussi vraie, c'est-à-dire que 15 p. 100 des producteurs fournissent 85 p. 100 de sa production. Cette moyenne est très similaire dans la plupart des autres provinces.
Comme l'âge moyen de l'agriculteur néo-écossais tourne autour de la cinquantaine, il devient urgent, non seulement dans la province mais aussi dans l'ensemble du Canada, de se pencher sérieusement sur ces 85 p. 100 qui sont à l'origine de 15 p. 100 de la production. Ce sont eux en effet qui préservent l'infrastructure rurale de la province, qui contribuent à préserver son environnement et qui offrent un soutien considérable à des industries accessoires comme le tourisme. Il faut donc bien admettre qu'un système fondé sur la production ne répond pas aux besoins de soutien du revenu de ces 85 p. 100 d'agriculteurs de la province, et cela vaut également pour les autres provinces. Je pense que tel est notre défi pour l'avenir.
Nous possédons de bonnes opérations commerciales à temps plein. Je pense qu'il faut revoir ces 85 p. 100 qui sont peut-être totalement basés sur la production. Les programmes de gestion du risque ou de stabilisation du revenu ne leur conviennent pas ou ne leur permettent pas de poursuivre leurs activités à l'avenir.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Le président: Je vous remercie de cet exposé. Comme vous l'avez dit, vos problèmes en agriculture ressemblent beaucoup à ceux du reste du Canada. Je sais que seulement 30 p. 100 de vos agriculteurs souscrivent à l'assurance- récolte. En Saskatchewan, je crois que c'est 55 p. 100, ou un tout petit peu plus. Évidemment, le problème en Saskatchewan est que l'assurance-récolte ne couvre pas les intrants, entre autres choses. Les moyennes pour lesquelles nous sommes assurés sont beaucoup trop faibles et, bien sûr, cela indique bien où en est tout ce secteur. Nous avons plus d'agriculteurs âgés de 70 à 75 ans que de 20 à 25 ans, ce qui est également très révélateur.
Quelle est la solution?
M.Fage: Eh, mesdames et messieurs, comme vous êtes beaucoup plus éclairés que moi, j'espérais que vous pourriez nous proposer des réponses à la fin de vos audiences. Quand on examine la structure de l'industrie et les problèmes de ces producteurs particuliers, je suis sûr que chaque province connaît à peu près la même variation pour ce qui est de l'assurance-récolte.
Chez nous, 50 p. 100 de la prime — et nous assurons chaque récolte — sont versés par les gouvernements fédéral et provincial, l'autre moitié étant assumée par le producteur. Cela se fait sur la base de statistiques actuarielles et, comme vous l'avez dit, on se retrouve en fin de compte avec une couverture limitée ou avec 60 p. 100 des producteurs plutôt que les 85 p. 100. Ceux qui souscrivent à une assurance améliorent généralement leur moyenne de cinq ans et de 10 ans, ce qui leur permet d'obtenir une couverture plus élevée à un coût moindre.
Je pense que des ajustements aux exploitations mixtes de la province seraient utiles. Nous ne sommes pas une province céréalière mais une province herbagère. Si l'on apportait des modifications aux dérivés, pour pouvoir s'assurer contre des risques particuliers, cela amènerait peut-être un plus grand nombre de producteurs à s'assurer. Comme pour les risques climatiques, ils prendraient une assurance pour chaque acre de terre herbagère plutôt que seulement pour la norme. En Saskatchewan, vous avez des terres herbagères qui n'ont pas été labourées depuis plus de 30 ans. Il y a beaucoup de pâturage naturel. Quand les producteurs ont une combinaison de terres anciennes et de terres nouvelles qui ont été ensemencées cette année ou l'an dernier, ils ont tendance à penser que l'assurance ne leur servira à rien car ils n'auront aucune chance de toucher de l'argent. Si l'on veut maîtriser les coûts, il faut les amener à participer dans les catégories assurables supérieures. Évidemment, il faudra alors imposer aussi certaines conditions, notamment l'acceptation d'accroître la production.
Le sénateur Wiebe: Puis-je vous poser une question difficile?
M.Fage: Je réponds à toutes les questions. Quant à savoir si mes réponses sont bonnes, c'est autre chose.
Le sénateur Wiebe: J'ai posé cette question aux ministres de l'Agriculture du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta. Vous savez que nous cherchons des méthodes pour assurer la viabilité de nos fermes, surtout avec les 80 p. 100 dont nous venons de parler. Nos agriculteurs s'adaptent très rapidement et nous les avons invités à se diversifier, mais il leur est aujourd'hui très difficile de savoir comment se diversifier. Il suffit qu'ils trouvent un créneau et qu'ils commencent à y faire de l'argent pour que leurs voisins s'y précipitent, ce qui signifie que plus personne, à terme, ne gagne rien.
Aux États-Unis, certains États, une douzaine, je crois, exigent que 5 à 10 p. 100 des carburants consommés contiennent de l'éthanol. Je crois comprendre par ailleurs que l'éthanol de la pomme de terre est très efficient. Votre gouvernement s'est-il penché sur cette possibilité pour offrir un autre marché à ses producteurs?
M.Fage: C'est une excellente question car elle soulève l'autre aspect de la problématique. La seule solution réaliste, en dernière analyse, est d'arriver à fournir un produit pouvant être commercialisé à meilleur prix, surtout avec la taille du secteur agricole dans notre province. Vous savez très certainement qu'avec les céréales, et même avec toute culture qui finit par devenir une denrée, la seule possibilité est d'ajouter de la valeur car les cours des denrées ne cessent de baisser, historiquement, du fait de la technologie et des volumes de production. Donc, quiconque n'est pas en mesure d'ajouter de la valeur sera confronté à des problèmes chroniques de revenu.
Pour prendre un exemple qui relève également de ma responsabilité, je dirais que le saumon de l'Atlantique est maintenant une denrée. Nos éleveurs doivent donc y ajouter de la valeur pour obtenir un prix plus élevé, que ce soit en le fumant ou en le transformant. Pour ce qui est du marketing, nous avons prévu il y a un an un budget pour effectuer des études spécifiques du marché américain.
La vraie chance qui s'offre à cette province, si nous voulons devenir des libre-échangistes, c'est qu'il y a dans le corridor Boston-New York 40 à 60 millions d'habitants avec une monnaie forte. Nos stratégies, qu'il s'agisse du pétrole et du gaz naturel ou de l'agriculture, devront donc viser à écouler notre production, qui représente peut-être quelque chose d'important ici mais seulement 1, 2, 3 ou 4p.100 de ce marché-là, sur le marché américain. Pour réussir, qu'il s'agisse d'un produit organique cultivé en Nouvelle-Écosse ou dans les Maritimes ou d'un produit de marque spécialisé comme les pommes de la vallée d'Annapolis ou du porc élevé organiquement, nous devons absolument effectuer cette étude du marché américain. À nos yeux, c'est absolument essentiel pour l'agriculture.
Je tiens à ajouter une autre remarque. Pour ceux que cela intéresse, je suis sûr que les exploitants agricoles pourraient aussi profiter de nouvelles opportunités dans le secteur touristique — vacances à la ferme, chambres d'hôtes — pour stabiliser leurs opérations. Bon nombre ont la taille voulue pour ce faire car, qu'il s'agisse de capital, de gestion ou de marché, il faut être réaliste quant à leurs possibilités d'accroître leurs exploitations quand leur âge moyen est de 55ans.
Le sénateur Wiebe: Ce que je voudrais, c'est que nos gouvernements fédéral et provinciaux cherchent des méthodes pour nous permettre de commercialiser notre production. Nous produisons des produits alimentaires sur nos fermes, ce ne sont pas des subventions. Le problème vient en partie du fait que nous surproduisons. Ce que nous faisons, nous le faisons trop bien. Si toutes les subventions étaient éliminées, que deviendrait l'agriculteur? L'agriculteur européen continuera de planter du canola si c'est ce qu'il a planté l'an dernier. L'agriculteur américain continuera de planter du blé dur car il doit bien faire quelque chose de ses terres. Voilà pourquoi je vous posais cette question sur l'éthanol, car le nombre de pays pouvant acheter notre produit est certainement limité. Ce que nous faisons actuellement, c'est que nous fournissons des produits alimentaires bon marché à des pays comme le Japon qui n'ont pas assez de terres pour subvenir à leurs besoins. Autrement dit, au lieu que nos agriculteurs se fassent concurrence entre eux, ne devrions-nous pas les amener à faire concurrence aux compagnies pétrolières ou à d'autres secteurs, en trouvant des usages non alimentaires à la production agricole?
C'est un témoin que j'ai entendu l'an dernier qui m'a fait penser à ça. Il disait qu'il n'y a rien que l'on puisse faire avec un baril de pétrole qui ne puisse être aussi produit sur une ferme. Peut-être devrions-nous donc envisager d'investir plus dans la recherche, dans nos universités et nos fermes expérimentales, pour trouver de nouveaux usages à notre production agricole. Nous pourrions peut-être connaître plus de succès à long terme de cette manière car nous pourrions à ce moment-là développer des marchés aux États-Unis. Nous mettons un peu de cire sur notre pomme pour la faire briller un peu plus, nous y apposons une étiquette différente et nous l'envoyons sur le marché. Mais il ne faut pas longtemps au producteur de la Colombie-Britannique pour utiliser la même cire et coller la même étiquette. À terme, nous avons deux producteurs canadiens qui se font concurrence sur le même marché.
Voyez ce qui arrive avec les pommes de terre. Terre-Neuve, comme me le rappelait ce matin le sénateur Day, produit d'excellentes pommes de terre, tout comme l'Île-du-Prince-Édouard. Toutefois, nous commençons d'un seul coup à voir apparaître des champs de pommes de terre, à grande échelle, en Saskatchewan. Les producteurs de la Saskatchewan font maintenant concurrence aux producteurs des Maritimes, et je ne pense pas que ce soit bon pour les uns et les autres. Nous demandons à nos agriculteurs de se diversifier mais cela ne fait en réalité que les mettre en concurrence les uns contre les autres. Au lieu de dépenser de l'argent pour que les gens continuent toujours à faire la même chose, peut-être serait-il temps d'essayer de faire avec nos produits alimentaires autre chose que les manger.
M.Fage: Je suis parfaitement d'accord avec vous. Nous devrions faire beaucoup plus de recherche sur les sciences de la vie et les usages pharmaceutiques. Les résultats de ces recherches pourraient être transmis aux producteurs ayant l'expertise voulue pour en tirer parti.
Nous devons penser à long terme quand nous parlons de recherche sur l'éthanol ou sur d'autres utilisations car, en dernière analyse, il faut évidemment que ce soit justifié sur le plan économique. Nous faisons face à une concurrence mondiale et nous voulons donc baisser nos coûts dans le cadre d'une structure qui soit réaliste. J'ai un certain nombre de responsabilités gouvernementales. En effet, je suis aussi ministre de l'Énergie et, quand j'examine les usages énergétiques à long terme, les nouveaux types de fenêtres, j'y vois des opportunités. Les cellules à hydrogène et d'autres formes d'énergie commencent à apparaître, à un horizon de 40 à 60 ans. La production de combustible fossile a certainement atteint son zénith et nous travaillons maintenant avec des réserves. Je pense que nous devrions inclure toutes ces choses dans nos stratégies de recherche à long terme. À court terme, je pense que cela est cohérent sur le plan économique et qu'il y a des opportunités à exploiter.
La deuxième partie de vos remarques me ramène à ce que disait l'honorable Eugene Whalen sur les systèmes de commercialisation. Quelle stratégie l'agriculteur emploie-t-il? Parfois, ses objectifs vont à l'encontre de ceux du gouvernement ou d'autres secteurs. La seule manière de contrôler le prix est de contrôler l'offre. Les régimes de commercialisation qui donnent le pouvoir aux producteurs, que ce soit par des coopératives ou autrement, leur donnent le pouvoir de négocier leurs prix car ils détiennent le contrôle de l'offre. C'est un équilibre très difficile à atteindre.
Le sénateur Wiebe: Je suis fortement en faveur du système de commercialisation. Toutefois, il ne vaut que pour les produits alimentaires que nous pouvons vendre à l'intérieur du pays. Dès que nous commençons à exporter, nous ne pouvons plus garantir le prix, et c'est pourquoi le système se prête mieux au lait, aux oeufs et à la volaille. Dans l'Ouest, où nous produisons du blé, il serait tout simplement impossible d'agir de cette manière.
Pour être tout à fait franc avec vous, je devrais sans doute vous donner les réponses que j'ai obtenues des trois autres ministres. Elles sont en effet très similaires. Chacun m'a dit penser qu'il y a beaucoup d'avenir pour l'éthanol et avoir l'intention de faire tout son possible pour en favoriser le développement dans sa province, mais aucun n'était prêt à l'imposer.
Le sénateur Hubley: Nous avons abordé beaucoup de questions différentes aujourd'hui mais vous en avez soulevé une autre, la dette agricole. Tous les témoins nous ont dit que les producteurs primaires ne peuvent obtenir de revenu raisonnable pour certaines denrées, du fait des coûts de production, et il n'est pas étonnant que les agriculteurs soient endettés. D'après vous, que devraient faire les gouvernements pour les aider?
M.Fage: Évidemment, il est normal d'assumer une certaine dette structurelle pour financer ses opérations. Cela a toujours été le cas et ce le sera toujours. Le gouvernement a certainement un rôle à jouer dans les secteurs où s'imposent des critères touchant la sécurité alimentaire, la protection de l'environnement et la qualité de l'eau. Les préoccupations des gouvernements, des contribuables et des citoyens à cet égard sont parfaitement légitimes et il est normal d'adopter des lois pour y faire face. À mon avis, cependant, les gouvernements doivent chercher le moyen d'aider les producteurs primaires qui travaillent sur un marché mondial libre. Il est extrêmement difficile de recouvrer les coûts supplémentaires que l'on doit assumer pour rester le premier pays au monde en matière de sécurité des produits alimentaires quand on doit vendre ses produits 1 p. 100 moins cher que les autres. Évidemment, j'ai la conviction que les gouvernements doivent protéger l'environnement. La contrepartie est que gouvernements et citoyens qui exigent cela dans le contexte d'un régime commercial déséquilibré ont aussi le devoir d'aider ceux qui sont touchés par les règlements internationaux ou de l'OMC. Les gouvernements provinciaux et fédéral pourraient donc consacrer une partie de leurs recettes générales à la prestation de cette aide. Ces investissements font monter les coûts au-delà des coûts structurels en capital et ils seront donc très difficiles à recouvrer étant donné la concurrence exercée par d'autres pays qui ne sont pas obligés d'assumer ces coûts.
Le sénateur Hubley: Je ne connais pas en détail le plan de subventionnement de l'Union européenne mais je sais, d'après nos discussions, qu'il couvre les coûts environnementaux des exploitants agricoles. Je sais aussi que nos agriculteurs ont le dos au mur dans la mesure où ils ne peuvent plus assumer de coûts supplémentaires pour répondre aux exigences de protection de l'environnement. J'ajoute d'ailleurs que nos agriculteurs sont des gens très positifs et merveilleux, qui semblent cependant être confrontés à de très gros problèmes ces jours-ci. J'estime qu'il appartient aux gouvernements de les défendre. Je ne dis pas qu'il faut leur verser des subventions mais je pense que les gouvernements devraient collaborer avec les agriculteurs pour essayer de surmonter certaines de ces préoccupations qui sont apparues ces derniers temps.
M.Fage: Vos remarques sont tout à fait justifiées. Nos exploitants agricoles ont tout ce qu'il faut pour être compétitifs à l'échelle mondiale. Les accords commerciaux que nous avons signés et, de mon point de vue, si nous voulons aller de l'avant — et je ne vois aucune raison pourquoi on ne le ferait pas — exigent que nous ayons des équivalents douaniers. Je ne m'attends pas à ce que les droits montent à chaque ronde de l'OMC. Je m'attends plutôt à ce qu'ils baissent. Si nous avons les mesures les plus rigoureuses de protection de l'environnement et de sécurité alimentaire, ce qui est parfaitement normal et ce dont nous devons être fiers, nous devrions avoir un certain investissement pour en compenser le prix.
Le sénateur Tunney: Monsieur le ministre, vous avez parlé deux ou trois fois d'Eugene Whalen, un ami commun. C'était quelqu'un qui avait des qualités exceptionnelles. C'était le plus ardent défenseur et protecteur de l'agriculture et des agriculteurs, et tout le monde l'admirait quand il prenait la parole. Un soir, à Winnipeg, quelqu'un est intervenu pour critiquer le prix de je ne sais plus quoi, et il lui a répondu: «Vous n'avez qu'une seule alternative, vous les consommateurs: ou vous acceptez de payer le prix de votre alimentation ou vous apprenez à vous en passer». Je dois reconnaître qu'il n'avait pas totalement réussi cette fois-là car, dans bien des cas, les agriculteurs ne reçoivent toujours pas leur juste part de ce que paie le consommateur en sortant du supermarché. Évidemment, comme vous le savez, c'est la force de la gestion de l'offre.
Il suffit d'analyser les états financiers des transformateurs et des détaillants pour constater qu'ils réussissent fort bien. Le problème, c'est qu'ils ne veulent pas partager les profits avec les producteurs. Le producteur d'un sac de pommes de terre dispose d'un certain contrôle quand il décide de garder ses pommes de terre pendant l'hiver pour les replanter et en tirer une nouvelle récolte. Le détaillant, quant à lui, ne veut pas avoir ça dans son magasin pendant plus de 48 heures. Évidemment, il en tirera plus de profit que le producteur ne pourra jamais en espérer. Je pense que nous avons un problème quand 41000 exploitants de terrains forestiers privés du Nouveau-Brunswick reçoivent 70 p. 100 du prix que les transformateurs sont prêts à payer aux grands opérateurs. Vraiment, les agriculteurs ne reçoivent pas leur juste part. Tout ce que je puis faire, c'est vous souhaiter bonne chance dans vos efforts pour renverser cette situation.
M.Fage: Vos commentaires sont tout à fait justes. Je conviens que le défi est précisément celui que vous venez d'exposer. Les provinces maritimes bénéficient du panier alimentaire le moins cher de tout le pays, au niveau du détail. Nous avons ici deux grands détaillants qui se font une concurrence féroce. À toutes fins pratiques, les autres distributeurs sont en déclin ou ont disparu. Les deux possèdent plus de 85 p. 100 du marché. Cela montre qu'il s'agit encore de stratégies de marketing et d'organisation. Le vrai défi, pour nos producteurs horticoles, nos producteurs fruitiers, c'est de s'implanter sur un marché régional, non pas provincial, avec ces détaillants voulant leur faire signer des contrats de douze mois. Nous avons un certain nombre de stratégies de marketing pour aider ces producteurs à survivre. Ils ont créé des coopératives ou des sociétés à responsabilité limitée. Le plus gros défi est sans doute d'obtenir de la place sur les étagères des épiceries. Il nous faut trouver le moyen d'assurer au producteur primaire une part équitable de l'argent payé par le consommateur, peut-être au moyen d'une formule indiquant que ce sera un tiers, un tiers et un tiers, par exemple. Je sais que cette question fera l'objet de débats longs et difficiles au sein des gouvernements et chez les producteurs car, quand j'ai rencontré des producteurs de la province non assujettis à la gestion de l'offre, ils se sont fait l'écho des sentiments que vous venez d'exprimer. Comment pouvons-nous travailler avec le gouvernement, les fournisseurs et les détaillants, disent-ils, pour répartir cet argent un peu plus équitablement? Je n'ai pas la réponse à cette question mais votre exposé du problème est parfaitement limpide.
Le président: La solution ne procède-t-elle pas du politique? Je ne parle pas ici des libéraux, des conservateurs, du NPD ou de qui que ce soit d'autre. Je parle du fait que le Canada rural a une population en déclin. Nos villes deviennent de plus en plus grandes. Les régions rurales ne possèdent plus la majorité électorale. De ce fait, pourquoi le gouvernement hésiterait-il à prêter de l'argent sur les ressources de la pêche, du bois, du pétrole, du gaz, de l'agriculture, de la potasse, des minerais et de tout ce qui sort du Canada rural? Tout cela est rural mais tout l'argent est envoyé dans les centres urbains. Je sais bien qu'ils ont des problèmes mais, tôt ou tard, il y aura un prix à payer.
En Saskatchewan, par exemple, les chiffres montrent que les agriculteurs font très peu de profit, voire aucun, depuis plusieurs années, ce qui ne saurait durer. Il faudra une solution politique.
Quand je me suis lancé en politique, Alvin Hamilton, que tout le monde connaît, m'a dit: «Len, il y a une guerre ouverte entre les centres urbains et le monde rural». Et il avait ajouté: «C'est très grave». Voilà à peu près où nous en sommes. Pourtant, comment voulez-vous que quelqu'un qui doit se faire élire au centre-ville de Toronto, de Montréal, d'Edmonton, de Calgary ou de Vancouver y comprenne quoi que ce soit? Voilà pourquoi nous faisons face à une crise nationale, et je pense que quelqu'un devra en payer le prix.
Il se trouve que les États-Unis et l'Europe ont parfaitement compris cette problématique, pour des raisons que j'ignore, et ont décidé de protéger leur monde rural.
Notre comité est allé en Europe il y a trois ans et demi, où on lui a dit: «Voyez-vous, vous en Amérique du Nord, vous ne savez pas ce que c'est que de ne pas avoir de produits alimentaires. Vous n'avez aucun respect pour l'alimentation. Nous, nous avons fait face à la famine deux ou trois fois et nous avons décidé que ça ne recommencerait jamais». D'un point de vue politique, ça ne recommencera pas.
Notre ministre actuel de l'Agriculture se demande s'il serait possible d'intégrer tous les programmes en un seul qui serait rendu suffisamment efficace pour accorder un minimum de sécurité aux agriculteurs. Je ne sais pas si ce serait possible. Il y a 20 ans, on a tenté d'amener les gouvernements provinciaux à collaborer avec le gouvernement fédéral pour élaborer un programme. Que s'est-il passé? Je pense que l'Alberta a été la première à renoncer, puis ça été le tour de l'Ontario et le programme n'a jamais vu le jour. Nous ferons face à ce genre de choses tant que nous n'aurons pas décidé qu'il faut trouver une solution. Nous continuerons à tenir des réunions mais la situation est très grave, monsieur le ministre, je sais que vous en êtes conscient.
M.Fage: Je suis allé récemment à Saskatoon et j'ai loué une voiture pour me rendre à Regina. Croyez-moi, j'ai vu ce que c'est que le dépeuplement. Bien que notre province ne soit pas aussi vaste, je conviens avec vous que chacune fait plus ou moins face au même type de problèmes. Cinquante pour cent de notre population provinciale, soit près d'un demi-million de gens, vivent dans la région de Halifax. Sans compter Sydney, à l'autre bout de la province, on se retrouve avec de grandes villes comme celle-ci et comme Amherst et Bridgewater. Cela vous donne une idée de la petite taille de la population rurale. Depuis deux ou trois ans, tous les gouvernements provinciaux mettent sur pied des programmes de partage des coûts, et je pense que c'est la nécessité financière qui les y pousse, pas un choix politique fondamental. C'est déjà ça, direz-vous. Cela dit, s'ils ne veulent pas contribuer à contrôler le marché, il est très difficile de fournir une police d'assurance du côté de la production. Les deux extrémités n'ont pas été reliées.
Le sénateur Day: Y a-t-il dans votre province des terres de la Couronne exploitées sous permis et cultivées?
M.Fage: Les arrangements existant dans notre province pour les terres de la Couronne concernent généralement des choses comme le bleuet mais ils sont rares. Les terres de la Couronne ne représentent ici que 20 p. 100 du total et il y a toujours de vives pressions de tous les usagers possibles, allant des loisirs jusqu'aux aménagements industriels. Si un producteur identifie une terre de la Couronne qui pourrait se prêter à un certain type d'activité agricole, il se peut que nous la lui vendions mais, normalement, nous lui demanderons plutôt d'acheter un autre terrain dans une autre zone de la Couronne ou dans une zone écologiquement fragile, pour faire un échange.
Le sénateur Day: Nous avons entendu parler de fermes mises hors production. Nous avons entendu dire que, dans certains cas, on y plante des arbres. Cela veut dire qu'il y a quelqu'un qui les achète et qui plante ces arbres. Avez-vous des programmes quelconques pour décourager ou encourager ce type d'activité?
M.Fage: Depuis plusieurs années, les terrains productifs de classe 2 et 3 sont généralement restés dans le secteur de la production agricole. Toutefois, l'industrie des arbres de Noël a pris de l'ampleur et certaines terres marginales sont retournées à ce type d'exploitation intensive. Mais nous n'avons pas de programme explicitement destiné à transformer des terres agricoles en forêts.
Comme je suis un peu un historien amateur, je peux vous dire que le dépeuplement de la Nouvelle-Écosse rurale s'est essentiellement produit entre la fin de la Première Guerre mondiale et 1950. Les registres montrent qu'un tiers de ces terres ont probablement été abandonnées pendant cette période. Si le sol était suffisamment acide, on y a entrepris l'exploitation du bleuet, mais la grande majorité sont retournées à la culture et on y trouve aujourd'hui des exploitations culturales ou forestières privées et commerciales.
Le président: Nous tenons à vous remercier, monsieur le ministre, d'être venu témoigner devant le comité. Nous remercions aussi sincèrement le Collège de nous avoir accueillis avec tant de gentillesse. J'en profite pour vous dire que, s'il vous reste de l'argent pour la recherche, n'oubliez pas le Collège. Je crois qu'il est très important de commencer à envoyer des fonds dans l'agriculture, dans le Canada rural et dans des institutions comme celle-ci. Tant que les Canadiens n'en comprendront pas l'importance, les choses ne changeront pas beaucoup.
M.Fage: Je vous remercie beaucoup de votre gentillesse. Nous sommes en effet très fiers de cette institution. Évidemment, j'espère que votre comité sera notre allié dans cette discussion sur la manière dont l'argent doit être réparti à tous les paliers de gouvernement. Plus précisément, des audiences comme celles-ci nous offrent la possibilité de faire participer les Canadiens à un large débat public et de les sensibiliser aux problèmes de l'agriculture. Ça permet aussi de pousser les gouvernements à agir.
La séance est levée.