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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 22 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 11 heures, pour étudier le projet deloi S-17, Loi modifiant la Loi sur les brevets.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Aujourd'hui, nous entendrons de nouveaux témoignages concernant le projet de loi S-17, Loi modifiant la Loi sur les brevets. Nos premiers témoins représentent l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques. Il s'agit de M. Jim Keon, de Mme Julie Tam, directrice des affaires professionnelles et scientifiques et de M. Ed Hore, conseiller juridique.

Je vous demanderais de bien vouloir limiter vos commentaires au projet de loi.

M. Jim Keon, président, Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques: Merci de l'occasion que vous me donnez de comparaître devant vous aujourd'hui et de vous faire part de la position de l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (ACFPP) sur le projet de loi S-17.

M. Jack Kay, président de l'ACFPP et président d'Apotex, m'a chargé de vous exprimer ses regrets car il n'a pu arriver à temps en raison du mauvais temps.

L'ACFPP représente l'ensemble des fabricants de produits chimiques fins et de médicaments génériques au Canada. Les médicaments génériques sont des versions sans nom et à faible coût de médicaments d'ordonnance brevetés. En moyenne, les médicaments génériques coûtent 50 p. 100 de moins que leurs équivalents brevetés et jouent un rôle vital dans le maintien de coûts de médicaments d'ordonnance abordables au Canada.

En ce qui concerne le projet de loi C-17, l'ACFPP reconnaît pleinement que le gouvernement du Canada doit apporter des modifications législatives à la Loi sur les brevets pour se conformer à ses obligations internationales en matière de commerce. Cependant, nous ne pouvons appuyer ce projet de loi dans sa forme actuelle pour deux raisons fondamentales. Premièrement, le projet de loi S-17 contribue à la dégradation continue du cadre législatif et réglementaire régissant les médicaments génériques au Canada. Deuxièmement, fait d'autant plus important de votre point de vue de législateurs, le coût des médicaments augmente de façon nettement plus rapide que les autres coûts de soins de santé au Canada.

Conjuguées à l'interdiction de stockage de médicaments, les prorogations de brevets prévues par le projet de loi S-17 ne font qu'empirer le problème de la flambée des coûts de médicaments que doivent payer les patients, les employeurs, dans le cadre de leur régime d'assurance-médicaments, et les gouvernements provinciaux.

Pour comprendre pleinement l'incidence du projet deloi S-17, il faut examiner les changements spectaculaires qu'a connus la politique pharmaceutique canadienne depuis 14 an. Depuis 1987, sous les fortes pressions exercées par les grandes sociétés pharmaceutiques, les gouvernements canadiens ont sans cesse accru la protection accorde aux médicaments brevetés fabriqués par les grandes multinationales pharmaceutiques.

En 1987, et nombre d'entre vous s'en souviennent assurément, le gouvernement a voté le projet de loi C-22 qui a eu pour effet de limiter considérablement l'homologation de licences pour la fabrication de médicaments brevetés. En 1993, le gouvernement est allé encore plus loin en déposant le projet de loi C-91 qui allait abolir complètement l'homologation obligatoire de licences au Canada. La même année, il a pris à la hâte des règlements sur les avis de conformité relatifs aux médicaments brevetés qui ont été de loin la mesure la plus préjudiciable aux fabricants de médicaments génériques.

À cause de ces règlements, l'industrie pharmaceutique est devenue la seule industrie au Canada régie par ses propres règles en matière de différends sur des brevets. En 1998 et en 1999, on a modifié ces règlements, lesquels sont devenus encore plus astreignants pour les fabricants de médicaments génériques. En bref, les règlements donnent aux fabricants de produits brevetés le droit systématique d'empêcher Santé Canada de donner son approbation à un médicament générique, et ce, pendant au moins deux ans, simplement en alléguant qu'il y a eu contrefaçon de brevet. Bien entendu, il y a va de l'intérêt financier des multinationales de prétendre qu'il y a eu contrefaçon de brevet et d'entamer des poursuites judiciaires, comme le permettent les règlements, qu'importe le bien-fondé de leur allégation. Une protection supplémentaire de deux années sur le marché signifie, pour les multinationales, des millions de dollars de profits supplémentaires.

Le simple fait que, depuis l'introduction des plus récentes modifications en 1998, les fabricants de médicaments génériques ont gagné plus de 80 p. 100 des poursuites engagées contre eux en vertu des règlements, prouve que les multinationalespharmaceutiques exploitent abusivement le système.

Même quand les fabricants de médicaments génériques gagnent leurs causes devant les tribunaux, il reste qu'ils sont exclus du marché pendant des mois, sinon des années. La Cour suprême du Canada a décrit les règlements comme ayant un effet draconien sur l'industrie des médicaments génériques. À cause de ces règlements, nous estimons que les Canadiens dépensent plus de 300 millions de dollars de plus en médicaments.

Les modifications proposées à la Loi sur les brevets dans le projet de loi S-17 maintiennent cette tendance négative. Si l'on adoptait le projet de loi tel qu'il est proposé actuellement, Industrie Canada estime que la protection par brevet d'au moins 30 produits pharmaceutiques sera accrue.

Le projet de loi S-17 supprime également l'exception de stockage autorisé par la Loi sur les brevets. Le stockage permet aux fabricants génériques de commencer la fabrication d'un médicament avant l'expiration du brevet pour que le public puisse avoir accès à des équivalents génériques bon marché, et ce, immédiatement à l'expiration dudit brevet. Sans cette exemption, le public devra continuer de payer des prix de monopole pendant plusieurs semaines sinon plusieurs mois après l'expiration du brevet.

Le grand gagnant des propositions faites dans le projet deloi S-17 seront, une fois de plus, les multinationalespharmaceutiques qui fabriquent des médicaments brevetés. Les perdants, par contre, seront les fabricants de médicaments génériques et les Canadiens.

[Français]

C'est au sujet, d'ailleurs, du public canadien que je suis venu vous parler des répercussions du projet de loi sur nous tous. Les coûts hors de contrôle constituent la plus grande menace pour le système de santé financé à même les fonds publics du Canada. Le coût des médicaments est celui qui, parmi tous les soins de santé, augmente le plus rapidement.

Pas plus tard que la semaine dernière, l'Institut canadien d'information sur la santé a publié des données qui montrent que les dépenses en médicaments d'ordonnance ont presque quintuplé au cours des 15 dernières années. Le rapport indique que les Canadiens ont dépensé quelque 11,4 milliards de dollars en médicaments d'ordonnance l'an dernier alors qu'en 1985, ces dépenses s'élèvent à 2,6 milliards de dollars. D'après les estimations, les dépenses totales en médicaments représenteront, en l'an 2000, quelque 15,5 p. 100 de toutes les dépenses en soins de santé au Canada.

Les médicaments arrivent au deuxième rang après les hôpitaux pour ce qui est des dépenses globales en santé. En fait, les Canadiens dépensent maintenant davantage pour les médicaments que pour les services de médecins.

De nombreux Canadiens, en particulier les personnes âgées et les personnes à revenu fixe, doivent payer des quotes-parts et des franchises de plus en plus élevées qui minent leur capacité de se procurer des médicaments d'ordonnance. Les membres du comité savent que le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés est un organisme gouvernemental chargé de surveiller le prix des médicaments brevetés au Canada.

Dans son rapport le plus récent, le Conseil a constatéque les ventes de médicament brevetés ont augmentéde 27 p. 100 en 1999 par rapport à 1998. Ils ont augmentéde 27 p. 100 l'année passée.

L'accroissement constant de la part du marché des sociétés de produits d'origine, selon le Conseil, peut être partiellement attribuable aux retombées à long terme de la prolongation de la protection conférée aux brevets résultant des projets deloi C-22 en 1987, et C-91 en 1993.

Pendant ce temps, la part du marché des médicaments génériques stagne ou diminue.

[Traduction]

Nous pensons que le régime de brevets canadiens doit être rééquilibré. Le gouvernement fédéral a sans cesse maintenu que notre régime de brevets réussit à concilier les intérêts des fabricants de médicaments brevetés et à maintenir le coût des médicaments abordable. Compte tenu des récentes décisions de l'OMC et du recours abusif par les fabricants de médicaments génériques à l'injonction systématique de 24 mois autorisée par les règlements concernant les avis de conformité aux brevets, il est clair que la balance penche désormais du côté des multinatio nales pharmaceutiques.

Que devrait-on faire? L'ACFPP croit sincèrement que le projet de loi S-17 devrait être modifié de deux façons. Premièrement, il faudrait amender l'article 45 pour que la protection de 20 ans commence à partir du dépôt de la demande de brevet. Si le Canada doit prolonger la protection de certains brevets pour se conformer à la récente décision de l'OMC, il devrait également raccourcir la durée des brevets qui dépassent cette exigence. Dans notre mémoire, nous donnons des exemples de brevets qui dépassent de plusieurs années la période de 20 ans.

Deuxièmement, nous recommandons au comité d'éliminer le paragraphe 55.2(4) qui est modifié dans ce projet de loi pour que l'on se débarrasse des règlements autorisant un injonction systématique de 24 mois. Les différends en matière de brevets qui surviennent dans l'industrie des produits pharmaceutiquesdevraient être résolus en suivant la procédure judiciaire normale, comme le font les autres industries canadiennes. Rien ne justifie que les riches multinationales aient leurs propres mécanismes de règlement des différends en matière de brevets, notamment quand ces mécanismes sont utilisés de manière systématique et abusive pour élargir des monopoles et forcer les Canadiens à payer le prix fort pour des médicaments, et ce, pour des périodes prolongées.

Si le Sénat estime qu'il n'est pas nécessaire d'abroger les règlements, nous vous demanderons alors de les modifier, notamment le paragraphe 55.2(4) pour limiter à un ou au maximum deux le nombre de brevets pouvant figurer sur la liste de brevets qui jouissent de cet avantage extraordinaire sur les autres concurrents, avantage que procure cette injonctionsystématique.

Quand on a pris ces règlements, les parlementaires pensaient que la notion d'expiration d'un brevet était assez simple. Si vous lisez le procès-verbal des débats du Sénat et de la Chambrede 1992, vous constaterez que les gens considéraient que, une fois que le brevet d'un composé principal arrivait à expiration, d'autres fabricants seraient libres de pénétrer le marché. Or, les fabricants de médicaments brevetés demandent constamment des injonctions en déposant des demandes de brevets multiples grâce à de nouvelles formules, de nouveaux codes, de nouvelles méthodes de fabrication ou des variantes différentes de médica ments existants. L'injonction systématique peut être redéclenchée chaque fois que le fabricant dépose une nouvelle demande de brevet. Ainsi, les fabricants de médicaments brevetés peuvent imposer leurmonopole pendant des années après l'expiration du brevet original de 20 ans. Là encore, vous trouverez dans notre mémoire plusieurs pages d'exemples où cela s'est produit.

Les brevets n'arrivent pas à expiration comme le Parlement l'avait envisagé en 1993. En effet, l'expiration des brevets est échelonnée stratégiquement par les fabricants de médicaments brevetés. Les règlements sont devenus une sorte de recettes pour des procès compliqués, laborieux et, disons-le franchement, frivoles. Il faut y mettre un terme.

En conclusion, nous vous rappelons que les modifications que nous proposons permettront au Canada de se conformerpleinement à ses obligations en matière de commerceinternational, et les fabricants de médicaments brevetéscontinueront d'avoir un recours juridique total pour protéger leurs brevets pendant 20 ans. En plus de permettre au Canada de remplir ces obligations commerciales, les modifications proposées par l'ACFPP permettront au Canada de rétablir un équilibre dans sa politique pharmaceutique et de juguler la flambée des coûts des médicaments au Canada.

Le sénateur Tkachuk: Je suis sûr que vous êtes au courant de la déposition faite hier par les fabricants de médicaments brevetés et par des représentants du gouvernement. Ce sujet ne cesse de se compliquer. Vous avez invoqué des termes tels que demande, certification, protection de 20 ans et tacite reconduction. La plupart d'entre nous n'ont pas une formation médicale, quoique certains membres du comité sont des avocats. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste les éléments d'injonction? Il me semble qu'il s'agit ici d'une disposition spéciale qui est prévue dans la loi qui nous intéresse et qui n'est pas la norme à laquelle les avocats ou autres juristes sont habitués.

Supposons qu'un médicament est commercialisé depuis 20 ans. Après une période de 20 ans, on s'attendrait à ce que les fabricants de médicaments génériques puissent avoir accès à ce médicament. Il me semble que les autres fabricants demédicaments auraient intérêt à retarder cet accès le plus possible. Pourriez-vous nous expliquer votre point de vue sur cette question? Comment les autres fabricants peuvent-ils prolonger la durée du brevet?

M. Keon: Permettez-moi de vous donner l'exemple d'un médicament générique dont la commercialisation a été retardée d'environ huit mois après l'expiration du brevet original.

Il s'agit notamment de Pravacol, ce médicament fabriqué par Bristol-Myers Squibb qui a été en cause dans le différend dans lequel l'Organisation mondiale du commerce a tranché. Le brevet original de Pravacol est arrivé à expiration en juillet 2000. Un fabricant générique indépendant a soumis une demanded'approbation à Santé Canada. Une fois cette demande faite, on s'est rendu compte que le brevet original n'était pas le seul à figurer sur la liste de brevets; d'autres brevets apparaissaient sur la liste. Par conséquent, on a dû reporter systématiquement l'approbation du médicament générique de deux années. Il a fallu lancer un procès, qui a commencé avant juillet 2000, mais qui s'est poursuivi jusqu'en février 2001, quand le tribunal a décidé que le fabricant générique devait obtenir un avis de conformité de Santé Canada et qu'il pouvait commercialiser le médicament en question.

Dans ce cas-ci, le brevet original avait expiré, mais la commercialisation du médicament générique a dû être retardée de huit mois par un brevet accessoire. En fin de compte, on a jugé qu'il n'y avait pas de contrefaçon de brevet. Les fabricants de médicaments brevetés peuvent manipuler les règlements pour opposer une suspension systématique à l'approbation dumédicament générique. Autrement dit, qu'importe s'il y a eu contrefaçon de brevet ou non, les fabricants de médicaments brevetés n'ont pas à prouver le bien-fondé de leurs allégations. En tant que titulaires du brevet, ils n'ont qu'à se présenter devant un tribunal, qui leur accordera automatiquement, en vertu de ce régime, une injonction de suspendre l'approbation du médicament générique pendant deux ans.

Voilà comment les choses se passent. Comme je l'ai indiqué, nous avons plusieurs pages d'exemples dans notre mémoire.

Le sénateur Tkachuk: Chaque fois qu'il s'agit d'unmédicament qui se vend bien, les fabricants de médicaments brevetés ont intérêt à se prévaloir immédiatement d'une injonction systématique. Que devez-vous faire alors? C'est vous qui assumez le fardeau. Que devez-vous faire pour lever cette injonction, comme vous l'avez fait après cette période de huit mois ou qu'importe la période en fait?

M. Keon: Mon collègue, M. Hore, répondra à cette question. Il s'occupe de plusieurs cas de ce genre.

M. Ed Hore, conseiller juridique, Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques: Très brièvement, le fabricant générique doit alléguer qu'il n'enfreint pas un brevet existant ou que le brevet n'est plus valide. À partir de là, le fabricant de médicaments brevetés a le droit d'entamer des poursuites judiciaires. On tient alors une audience pour déterminer si l'allégation du fabricant générique est justifiée. Voilà ce que disposent les règlements. Il incombe au tribunal de juger si le brevet a été contrefait, s'il est valide ou peu importe la question dont il est saisi, et de faire une évaluation préliminaire du dossier.

Si le fabricant générique réussit à obtenir une audience, il parviendra, à terme, à faire lever l'injonction. Toutefois, comme vous l'avez signalé, c'est le fabricant générique qui doit assumer le fardeau, car en attendant la date d'audience, ce qui prend souvent beaucoup de temps, le médicament générique ne peut être commercialisé. On ne peut simplement pas le vendre sur le marché.

Le sénateur Tkachuk: Normalement en droit, ce serait plutôt l'inverse. En principe, c'est l'entreprise qui demande l'injonction qui doit prouver que l'autre entreprise enfreint son brevet en fabricant le médicament breveté, n'est-ce pas?

M. Hore: C'est cela. Dans n'importe quelle autre industrie, quand vous détenez un brevet, si vous pensez que votre concurrent est coupable de contrefaçon, vous pouvez le poursui vre et le tribunal vous accordera la compensation qu'il juge justifiée. S'il y a en contrefaçon, des dommages peuvent être accordés. Le tribunal peut également vous accorder une injonction permanente, c'est d'ailleurs probable en cas de contrefaçon. En fait, l'injonction peut même intervenir dès le début des poursuites, mais c'est assez rare car à ce stade, on ne sait pas encore qui a tort et qui a raison. Les tribunaux hésitent beaucoup à prendre ce genre de décision.

Le président: Si le fabricant du médicament breveté prétend que le médicament a un effet autre ou différent et demande un autre brevet, et si le tribunal considère que cela n'est pas justifié, est-ce qu'il arrive que des dommages-intérêts soient accordés?

M. Hore: Des dommages ont été prévus lorsque les règlements ont été modifiés en 1998. Jusque-là, aucun fabricant de médicaments génériques n'a réussi à obtenir des dommages car il aurait fallu faire des poursuites à part. Il est extraordinairement coûteux d'invoquer cette disposition de la loi. Des poursuites ont été intentées il y a tout juste quelques semaines aux termes de cette disposition, mais le problème, c'est qu'on vous accorde des dommages-intérêts, mais en même temps, vous vendez un produit qui ne coûte pas cher et vos concurrents sont nombreux. Par conséquent, l'avantage que retirera le fabricant du médicament breveté en déclenchant la suspension de l'approbation va être bien plus important puisqu'il a un monopole et vend à un prix élevé.

Le sénateur Furey: Monsieur Keon, vous avez dit dans votre déclaration d'ouverture qu'une des principales raisons pour lesquelles vous étiez contre le projet de loi, c'était que le coût des médicaments risquait d'augmenter. Dans l'un de vos mémoires, vous avez dit que le projet de loi C-22 avait provoqué une augmentation très forte du prix des médicaments. Hier, les gens du ministère nous ont donné l'impression que ce n'était pas le cas. J'aimerais que vous commentiez cela. D'autre part, vous avezdit que le déficit commercial du Canada dans le domaine pharmaceutique augmentait également très rapidement.Pouvez-vous vous parler de cet aspect également?

M. Keon: À propos du coût croissant des médicaments, dans nos observations ce matin, nous avons mentionné que dansson rapport publié la semaine dernière, l'Institut canadien d'information sur la santé avait déclaré que l'augmentation du coût des médicaments était la principale cause de l'augmentation des dépenses dans le secteur de la santé. À l'heure actuelle, on dépense plus au Canada en médicaments que pour les services de médecins.

Au cours de la dernière année, le coût des médicaments a augmenté de 15 p. 100, une tendance courante d'une année sur l'autre. Selon le ministère, d'après le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, le prix des médicaments n'a pas augmenté plus que le taux de l'inflation, si l'on considère l'indice des prix à la consommation. C'est exact, mais par contre, le prix des médicaments augmente de 15 p. 100. Cette augmentation a deux causes: premièrement, la consommation des médicaments augmente et, deuxièmement, on remplace les médicaments qui existent déjà et dont les coûts ne sont pas élevés par de nouveaux médicaments beaucoup plus chers, sans toujours procurer un avantage thérapeutique. Ainsi, on remplace un vieux médicament par un nouveau médicament qui peut parfois coûter quatre fois plus cher. Le CEPMB mesure cela et déclare: «Nous allons vous autoriser à vendre votre médicament sur le marché à un prix qui correspond à la médiane du prix international de sept pays.» Voilà comment le conseil le mesure. Il déclare ensuite: «À partir de maintenant, vous pourrez augmenter vos prix, mais sans jamais dépasser le taux d'inflation.»

Lorsque le conseil mesure les augmentations de prix, là encore, il prend comme point de départ ce prix extrêmement élevé. Rien ne lui permet de déterminer que la capsule que vous payiezjadis 20 c. vous coûte aujourd'hui 1 $. Rien ne lui permet de mesurer cet aspect de l'augmentation du prix. Toutefois, si vous êtes un administrateur de programme de médicaments dans une province comme Terre-Neuve, vous constatez d'année en année que vos coûts augmentent de 15 p. 100, et c'est tout ce qui vous intéresse.

Les deux aspects de cette question ont une certaine valeur. L'industrie des médicaments génériques a l'avantage d'offrir des économies de coûts ou une certaine marge de manoeuvre. S'il est impossible d'économiser sur les anciens médicaments, comment fera-t-on pour payer les nouveaux médicaments?

La difficulté qu'entraîne ce système, c'est que la réglementa tion a donné lieu à un système juridique complexe qui, dans bien des cas, rend plus lucratif, pour le fabricant de médicaments brevetés, de consacrer du temps et des ressources à ériger des obstacles juridiques ou de réglementation pour empêcher l'arrivée d'un médicament générique. Il est plus rentable pour ce fabricant de faire cela que d'investir de l'argent dans la recherche de nouveaux médicaments. C'est le problème qu'entraîne la régle mentation.

Le sénateur Furey: Pouvez-vous dire au comité comment cela se compare aux augmentations de prix aux États-Unis, par exemple?

M. Keon: Nous avons entendu diverses personnes dire hier que les prix des médicaments sont plus élevés aux États-Unis qu'au Canada d'environ 30 à 40 p. 100. Nous savons qu'il y a des gens qui traversent la frontière. Les États-Unis ont deux problèmes. Tout d'abord, ils n'ont pas d'assurance-maladie pour beaucoup de leurs personnes âgées et, deuxièmement, ils ont, et de loin, les prix de médicaments les plus élevés au monde. Dans la plupart des pays d'Europe ainsi qu'au Canada, il existe certaines formes de réglementation des prix des médicaments. Les prix canadiens correspondent à la médiane des prix européens. Ils sont en deçà des prix américains mais, comparativement au reste du monde, ils sont encore très élevés. Nous avons des prix de classe mondiale.

Nous signalons dans notre mémoire que le déficit commercial du Canada est en hausse. Ces statistiques proviennent de Statistique Canada, mais en réalité elles proviennent du site Web d'Industrie Canada. Ce sont donc les chiffres d'Industrie Canada. En 2000, le déficit commercial s'inscrit à 4 milliards de dollars par année. En 1993, il était de 1,5 milliard de dollars. Nous importons au Canada pour 5,8 milliards de dollars de médica ments tous les ans et la valeur du marché canadien des médicaments d'ordonnance est d'environ 11 milliards de dollars. Le coût des importations a simplement monté en flèche.

Je le répète, nous sommes principalement ici pour parler du coût des médicaments, mais nous ne sommes pas sûrs que les avantages industriels se soient concrétisés. En effet, de plus en plus, l'industrie met fin à la fabrication en territoire canadien et importe les produits pour les vendre au Canada.

Je suis tout disposé à déposer ces chiffres auprès du greffier.

Le sénateur Angus: Comme vous l'avez dit au début, monsieur Keon, il s'agit essentiellement d'un projet de loi technique, visant simplement à permettre au Canada de se conformer à ses obligations relativement à l'OMC. Il me semble que vous tâchez de rouvrir un débat qui a eu lieu lorsque le projet de loi C-22 a été présenté. Cette question a été résolue à ce moment-là. Vous essayez maintenant, profitant des circonstances qui ont amené le gouvernement à présenter ces dispositions techniques, de soulever de nombreuses autres questions qui ne relèvent pas du fond de ce projet de loi. Souhaitez-vous répondre à cette déclaration?

M. Keon: Oui. L'industrie des médicaments génériques n'a pas réclamé ce projet de loi. Nous ne voulions pas du tout de ce projet de loi. Ce sont les démarches des fabricants multinationaux de produits pharmaceutiques brevetés d'Europe et des États-Unis qui ont convaincu les gouvernements de ces pays d'adresser des plaintes à l'OMC contre le Canada. Le gouvernement canadien s'est battu pendant deux à trois ans contre ces attaques à l'OMC. Nous trouvons curieux qu'il se soit si vigoureusement défendu, qu'il ait perdu une cause et qu'il ait connu un insuccès partiel pour l'autre, et qu'ensuite il déclare: «Bon, c'était vraiment sans importance, ce sont simplement des amendements techniques».

Nous ne partageons pas ce point de vue. Nous croyons que cela fait partie d'une tendance bien ancrée et constante, qui vise à accroître la protection des médicaments brevetés. Comme vous le dites, le gouvernement croyait avoir réglé le problème de la Loi sur les brevets du Canada. La loi a été révisée en 1997 et, pour l'essentiel, on n'y a apporté que de très légères modifications. Mais qui, ensuite, a exercé des pressions contre le Canada? Ce n'était pas les fabricants de médicaments génériques, ce sont les multinationales pharmaceutiques, les fabricants de produitsbrevetés, qui ont fait des démarches auprès de leursgouvernements pour accroître la protection accordée auxmédicaments brevetés. C'est pourquoi vous êtes saisis de ce projet de loi.

Le sénateur Angus: Monsieur, je comprends ce que vous dites. Par ailleurs, ce projet de loi ne porte pas sur les lois canadiennes touchant les brevets. Cela se fera à un autre moment. En lisant la transcription des délibérations d'hier, j'ai trouvé qu'elles se sont écartées du sujet. Dans le cas de ce projet de loi-ci, nous ne sommes pas ici pour réviser ou modifier les principes de nos lois touchant les brevets. Cela se fera une autre fois. Cela m'a sérieusement dérangé.

J'imagine que vous pouvez comprendre que, de ce côté, nous ne sommes pas normalement très favorables à M. Tobin et à ses alliés. Cependant, il semble avoir avalé le remède de cheval qui lui a été administré et avoir dit que, par respect pour la communauté internationale, nous devions respecter nosobligations envers nos partenaires commerciaux. Il a décidé d'agir dignement. J'ai trouvé qu'il était inhabituel qu'il s'agisse ainsi, mais il a bien fait.

M. Keon: Sénateur, nous avons proposé deux modifications au projet de loi. Nous ne pensons pas rouvrir tout le débat sur les médicaments brevetés. Nos propositions maintiendraient au Canada les brevets de 20 ans qui figuraient dans le projet de loi C-91. Elles maintiendraient le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, pour protéger les prix des médicaments. Elles laisseraient aux fabricants de médicaments brevetés tous les droits juridiques nécessaires pour protéger leurs brevets.

Nous proposons deux choses. Tout d'abord, si l'on augmente la durée du brevet pour certains produits, pourquoi ne pas la réduire pour d'autres? Si la durée du brevet est de 20 ans, que le délai d'expiration soit de 20 ans pour tout. On augmente la durée de certains brevets sans réduire les autres. Je le répète,nous signalons, dans notre mémoire, que certains médicaments bénéficient, au Canada, de brevets à très longue durée. Le médicament pour troubles cardiaques, Vasotec, est maintenant vendu sous forme générique aux États-Unis, alors qu'il jouit de six années encore de protection de brevet au Canada. Pourquoi ne pas faire ce que nous demandons?

Deuxièmement, le paragraphe 55.2(4), disposition habilitante de la réglementation, existe déjà. Or, on supprime une partie de ce qui justifiait son existence. On y dit que, si l'on tire avantage du travail anticipé et du stockage, le gouvernement instaurera des mesures pour protéger encore plus les médicaments brevetés contre toute contrefaçon. Une partie de cette justification disparaît, puisque l'on supprime le stockage. Nous poussons plus loin et déclarons qu'il y a des choses qui se produisent et qui n'étaient prévues. Dans aucun des débats parlementaires, on n'a parlé d'inscrire huit ou dix brevets sur une liste et d'empêcher les médicaments génériques d'accéder au marché. La politique sur les brevets pharmaceutiques n'a été remise en cause que bien peu de fois. Nous pensons que nos propositions sont modestes et conformes à l'esprit du projet de loi.

Le sénateur Angus: Autrement dit, vos arguments et les modifications que vous proposez modifient en fait la politique sur les brevets, qui n'est pas remise en question dans ce projet de loi-ci.

Parlons d'autres choses. Je crois comprendre que, de tous les médicaments produits et mis au point par les fabricants de produits brevetés, seul un petit pourcentage donne lieu à la création de produits génériques que fabriquent les membres de votre association. Est-ce exact? Dans l'affirmative, quel est le pourcentage?

M. Keon: Lorsqu'il s'agit de choisir les médicaments à produire, les fabricants de médicaments génériques choisissent les médicaments qui se vendent le plus. Plusieurs choses sont prises en considération, dont la capacité technique à produire un médicament donné et la popularité de ce médicament. Il faut se rappeler que, s'il s'agit d'un petit médicament et que l'on veut pénétrer le marché, on va réduire le prix et diviser le marché. Il n'est peut-être donc pas rentable de faire cela.

Il y a autre chose à prendre en compte: Si l'on créeun médicament générique pour un médicament quivaut 200 milliards de dollars par année et qu'on réduit le prixde 40 millions de dollars, on économise au régime de soins de santé 80 millions de dollars. Si on crée un médicament générique pour un médicament breveté dont le marché est de 5 millions de dollars, et qu'on réduit le prix de 40 p. 100, on n'économiseque 2 millions de dollars.

Alors, oui, il est dans l'intérêt de nos membres de choisir les médicaments les plus répandus et il est certainement dans l'intérêt du régime de soins de santé que cela se fasse ainsi.

Le sénateur Angus: Quel pourcentage cela représente-t-il? Est-ce 2 p. 100?

M. Keon: Nous vous communiquerons cela ultérieurement.

Le sénateur Angus: Est-ce que 5 p. 100 vous paraitraisonnable?

M. Keon: C'est certainement beaucoup plus que cela. Il va falloir que nous vous donnions ce renseignement plus tard. Je n'ai pas le chiffre exact. Certaines entreprises ont 600 produits différents; elles sont donc de taille plutôt imposante, contraire ment aux fabricants de produits brevetés, qui se concentrent sur un petit nombre de médicaments. Les grandes entreprises de médicaments génériques ont plusieurs centaines de produits.

Le sénateur Angus: Vous vous êtes servi du mot «rentabilité» un peu plus tôt. Comparativement aux grandes entreprises pharmaceutiques, quelle peut être la rentabilité des plus petits fabricants de ces médicaments? Il y a un ratio.

M. Keon: Le magazine Fortune a inscrit l'industrie des médicaments brevetés en tête de liste des entreprises mondiales pour ce qui est de la rentabilité, quel que soit le critère retenu, qu'il s'agisse du rendement sur recettes, du rendement de l'actif ou de l'avoir des actionnaires. J'ai également cet article si les honorables sénateurs en veulent une copie.

L'industrie des médicaments génériques, depuis lesmodifications apportées par le projet de loi C-91, est devenue beaucoup moins rentable au Canada et, en fait, s'est beaucoup affaiblie. En 1991, nous étions ici et nous avons parlé de l'industrie des médicaments génériques appartenant à desfabricants canadiens. Plusieurs de nos entreprises ont été affaiblies, notamment par la réglementation. Elles ne peuvent pas mettre de nouveaux produits sur le marché, et ont en fait été vendues à des prix considérablement réduits. Apotex est une entreprise privée. Je ne connais pas son niveau de rentabilité. Dans les faits, c'est le dernier grand fabricant canadien de produits génériques.

Rappelons que, lorsqu'il s'agit d'un produit quivaut 100 millions de dollars par année, au moment où le produit générique arrive sur le marché, les prix ont diminuéd'environ 40 p. 100. La compagnie qui détient le brevet met habituellement en marché son propre médicament générique, un pseudo-générique. On partage donc un marché qui, au lieu de valoir 100 millions de dollars, en vaut 60. S'il y a trois fabricants, vous en avez peut-être un tiers. Vos ventes sont de 20 millions de dollars. Les bénéfices concernant un médicament donné sont de beaucoup inférieurs à ce qu'ils étaient pour les fabricants de produits brevetés.

Toujours au sujet de la rentabilité des fabricants de produits brevetés au Canada, je sais qu'ils respectent leur engagement politique et consacrent 10 p. 100 de leur chiffre d'affaires à la recherche, d'après le CEPMD. Environ 98 p. 100 desmédicaments en vente au Canada sont élaborés ailleurs et importés au Canada. Le travail le plus important consiste à obtenir l'approbation réglementaire et à les commercialiser. Au Canada, l'industrie des médicaments brevetés est extrêmement rentable.

Le sénateur Angus: Pour en revenir à ma question, je crois vous avoir entendu dire que l'environnement ici est de plus en plus sombre pour vos membres, pour les fabricants de produits génériques. Pourtant, d'après ce que me révèle ma propre recherche, le Canada offre le milieu le plus accueillant au monde pour les fabricants de produits génériques. Suis-je mal informé?

M. Keon: Nous avons collaboré très fort avec le gouvernement pour répondre à la plainte de l'Union européenne, afin de protéger ce que nous appelons le travail anticipé, qui permet à nos entreprises d'élaborer un produit pendant que le brevet est en vigueur. C'est une condition favorable que nous offre le Canada. Sans cela, notre industrie étoufferait et, au bout du compte, c'est ce que l'industrie des médicaments brevetés souhaite. Nous bénéficions de cette disposition. Elle existe aux États-Unis et il y en a une variante en Australie, mais pas en Europe.

Nous irions jusqu'à dire que la législation touchant les brevets au Canada pourrait être considérée comme équitable pour les fabricants de produits génériques si ce n'était de ces injonctions systématiques. C'est celui qui permet à la stratégie de tacite reconduction d'être si efficace et qui empêche les médicaments génériques de pénétrer le marché même après que les brevets de base aient expiré. Si nous pouvions éliminer ces injonctions, je dirais que la législation touchant les brevets est équitable à l'endroit des fabricants de produits génériques.

Le sénateur Angus: Puisque vous revenez à la question des brevets, je vais laisser cela de côté. Je crois comprendre, et je pense que vous l'avez confirmé, mais je tiens à en être sûr, que les fabricants de produits génériques canadiens peuvent vendre plus cher que les fabricants de produits génériques d'autres pays.

M. Keon: Je n'ai certainement pas dit cela. Non, je ne pense pas que ce soit vrai. Dans certains pays, il y a des limites, imposées par réglementation, aux prix que l'on peut demander. Dans d'autres pays, tels que les États-Unis, c'est la règle du libre marché et les prix sont fonction du jeu de la concurrence. Au Canada, il existe des règles au niveau provincial. Au Canada, l'Ontario établit plus ou moins le prix pour le reste du pays. Or, il y a une règle dans cette province, selon laquelle aucun produit générique ne peut être mis en vente tant que son prix n'est pas inférieur d'au moins 30 p. 100 à celui du produit breveté et qu'un deuxième produit générique ne peut être inscrit dans le formulaire ontarien tant que son prix n'est pas inférieur d'aumoins 37 p. 100 au prix du médicament breveté. Il y a donc ces maximums. Normalement, à mesure que les produits génériques se multiplient sur le marché, la concurrence augmente et les prix tombent encore plus.

Le sénateur Angus: Je ne sais pas si je me trompe mais un des principaux motifs de votre opposition au projet de loi est le coût des médicaments. Nous souhaitons tous que le prix des médicaments baisse. La population est vieillissante, et nous comprenons que les personnes âgées aujourd'hui recourent de plus en plus aux médicaments. Je prétends que si les membres de votre association avaient davantage recours aux médicamentsgénériques plutôt qu'aux médicaments brevetés comme c'est le cas actuellement, et je ne parle pas ici uniquement des grandes marques, ce qui leur permettrait de réaliser quand même des bénéfices mais peut-être des bénéfices moindres, le coût des médicaments au Canada pourrait être bien plus bas. Vous n'avez pas d'énormes coûts de recherche.

M. Keon: Je prétends précisément que si ces règlements n'existaient pas, plusieurs douzaines de médicaments génériques seraient introduits immédiatement sur le marché. Chaquetrimestre, Santé Canada publie une liste des médicaments ayant reçu l'avis de conformité mais en attente. Il s'agit des médicaments qui ont été approuvés, des médicaments génériques qui respectent tous les aspects réglementaires de santé et de sécurité, mais qui sont retenus à cause des règles sur les brevets. Si nous pouvions les commercialiser, les prix baisseraient.

Je voudrais ajouter que le secteur des médicaments génériques n'est pas aussi concurrentiel qu'il pourrait l'être au Canada. Pourquoi? Essentiellement à cause des règlements. À titre d'exemple, une compagnie de Montréal, Technilab, qui compte parmi les membres de notre association. Elle est installée à Mirabel. Son chiffre d'affaires est de 80 à 100 millions de dollars par année. Elle doit décider de produire ou non un médicament générique. Elle veut être la première sur le marché. Toutes les compagnies veulent l'être. Il faut que le produit soit élaboré, qu'on en atteste la source, qu'on fasse les essais, les essais cliniques, et que le tout soit présenté à Santé Canada. Ensuite, la compagnie s'adressera à son agent ou son avocat spécialisé dans les brevets pour s'enquérir de la situation du brevet. Elle découvrira sans doute qu'il y a huit brevets sur la liste et une recherche au Bureau des brevets révélera qu'il y en a 80 autres en instance. Cet exemple est tout à fait conforme à la réalité. Ensuite on dit à la compagnie que si elle persévère dans son entreprise, elle s'expose à une injonction de deux ans. Elle peut être assurée de devoir aller au tribunal faire face aux meilleurs cabinets d'avocats du Canada et un grand nombre des meilleurs avocats que ce cabinet pourra retenir. On dira à la société que ces avocats-là vont réfuter ces arguments, sa revendication de brevet et qu'ils vont faire tout en leur possible pour exclure la société du marché. On lui dira qu'il faudra investir beaucoup d'argent pour l'élaboration du produit et pour ester en justice. Que faire? Elle s'abstient. La plus grosse société membre de notre association s'occupe de 75 p. 100 des procès. Il ne reste guère plus qu'une seule société qui ait les moyens de le faire.

Si vous voulez que le secteur des médicaments génériques soit concurrentiel, le meilleur moyen d'y parvenir est de limiter les dégâts causés par ces règlements car les PME ne sont jamais les premières à produire un médicament générique. Ce n'est pas intéressant pour elles sur le plan financier. Il y a un effet de douche froide dans le système.

Le sénateur Angus: Récemment, à la télévision, l'ex-candidat à la présidence des États-Unis a parlé de sa petite amie bleue. Y a-t-il y des compagnies membres de votre association qui pourrait faire le nécessaire pour que nous puissions l'obtenir au Canada.

M. Keon: Je crois que le médicament dont vous parlez est encore breveté au Canada.

Le sénateur Angus: Il n'y a pas de production ici.

M. Keon: Ce médicament est sur le marché mais il est breveté, de sorte que nous ne pouvons pas encore le produire.

Le sénateur Wiebe: Je voudrais un complément d'information à la réponse donnée à la question du sénateur Tkachuk concernant les huit mois d'attente imposés aux fabricants de médicaments génériques parce qu'ils ne peuvent pas obtenir de licence à l'expiration du brevet. Y a-t-il des contraintes de temps imposées pour la demande de cette licence? Je ne le pense pas. Si un fabricant de médicaments génériques veut obtenir une licence pour produire un certain médicament générique et qu'il prévoit une bagarre avec les compagnies pharmaceutiques, il pourrait faire la demande de licence bien à l'avance pour garantir que tout est en ordre dès que le brevet expire. Est-ce que je me trompe?

M. Keon: Étant donné les dispositions concernant le travail anticipé, il n'y a aucune limitation, sur le plan juridique, en ce qui concerne le moment où vous pouvez commencer à élaborer le produit. En pratique, les fabricants s'adressent à leurs avocats ou à leurs agents spécialisés dans les brevets pour découvrir quand certains brevets expirent. Si un brevet doit expirer en 2001, on n'a pas intérêt à commencer le processus en 1995, car une fois la technologie au point, il faut attendre quatre ou cinq ans. Cela implique des coûts que l'on ne peut pas éponger. En outre, on ne sait pas quel sera l'avenir du médicament, qui peut cesser d'être en demande cinq ans plus tard. D'habitude, les compagnies essaient d'accorder leur période d'élaboration du médicament avec la date d'expiration des brevets pour pouvoir procéder tout de suite à la commercialisation. Nous constatons qu'avec la reconduction tacite et le système de réglementation, il y aura de grandes incidences dans le système. Une compagnie pourra être en suspension d'approbation pendant deux ans, ou en instance, quand les nouveaux brevets vont être inscrits sur la liste. Cela signifiera qu'elle devra recommencer à zéro. Cela occasionne des retards au-delà de l'expiration du brevet d'origine.

Le sénateur Wiebe: Voulez-vous dire que j'ai bien compris, alors?

M. Keon: Il n'y a pas de limite législative au moment où vous pouvez faire démarrer le processus mais, du point de vue des affaires de l'entreprise, il n'est pas intéressant de commencer plusieurs années à l'avance.

Le sénateur Wiebe: Je ne veux pas avoir l'air de défendre les compagnies pharmaceutiques mais les discours qu'on entend sur un certain sujet m'inquiètent toujours. Parce que vous appartenez à un bord, vous choisirez les outils qui vous permettront de faire valoir votre cause, mais quand vous êtes de l'autre bord, vous utilisez ce que vous pouvez pour contrer l'argument. Celaveut dire qu'en l'absence de l'intervention des compagnies pharmaceutiques qui fabriquent le médicament, vous pourriez commercialiser ce médicament huit mois plus tôt. Si vous aviez fait la demande de licence huit mois plus tôt, le médicament aurait pu être sur le marché d'autant plus vite.

M. Hore: Le problème est qu'on ne sait pas quels brevets figureront sur la liste. On ne peut pas entreprendre une procédure pour un brevet tant qu'il n'est pas inscrit au registre. On ne peut pas faire cela plus tôt. On ne peut commencer que dès que le brevet paraît sur la liste, de sorte qu'il y a assez de latitude pour prendre des initiatives stratégiques quand les nouveaux brevets paraissent.

Par exemple, Omeprazole est fabriqué par Losec. C'est un médicament contre les ulcères, qui se vend très bien au Canada, mais qui fait l'objet de toute une ribambelle de brevets. Un procès est en cours. La demande, c'est-à-dire la demande d'approbation de santé et d'innocuité, a été entreprise il y a bien des années, mais vendredi dernier, un nouveau brevet a été déposé. Un autre avait été déposé l'automne dernier. C'est comme sauter un obstacle qui ne cesse de fuir devant vous.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne peux pas songer à un autre secteur industriel au Canada dont les membres aient des interprétations si diamétralement opposées sur le principefondamental qui les guide, c'est-à-dire la raison d'être de la protection par brevet. Je limiterai mes questions à cet aspect-là.

Vous nous dites que les fabricants de médicaments ont la possibilité de reconduire les brevets en tripatouillant le produit original ou en lui apportant une modification mineure - et l'expression est de moi - pour créer un nouveau produit qui est finalement identique au précédent. Le résultat: l'ancien produit fait l'objet d'une reconduction de brevet, parce qu'il a été déguisé en un nouveau produit. Cela peut être répété à l'infini.

Les compagnies pharmaceutiques nous disent qu'une fois que le brevet concernant les ingrédients actifs originaux est expiré, un fabricant de médicaments génériques est libre de commercialiser un produit contenant ces ingrédients.

Il s'agit de deux interprétations diamétralement opposées de ce que représente une protection de 20 ans. Quelqu'un quelque part doit avoir tort. Une fois que 20 années se sont écoulées, et qu'un autre brevet est déposé pour le produit original, qui a été un peu modifié mais en effet demeure le même, pourquoi alors ne pourriez-vous pas copier le produit original, ne pas vous inquiéter du nouveau, puisque vous dites qu'il est identique à l'ancien?

M. Keon: M. Hore répondra à cette question. Prenons l'exemple de Losec, le médicament le plus vendu au Canada, rapportant 350 millions de dollars par an. Il s'agit d'un médicament pour le traitement des ulcères pour lequel le brevet principal a expiré en juillet 1999. M. Hore pourrait peut-être vous expliquer pourquoi il n'y a toujours pas de médicaments génériques sur le marché, alors qu'il devrait normalement y en avoir.

M. Hore: Cela s'explique par divers facteurs. Premièrement, c'est que des brevets supplémentaires sont ajoutés au registre pharmaceutique pour la version originale. Ainsi, les brevets se succèdent au fil des ans, et leur nombre varie, mais il y en a généralement environ cinq ou six. Au fur et à mesure qu'ils expirent, ou qu'ils sont éliminés par le ministre, de nouveaux brevets sont ajoutés. Ainsi, je crois qu'il y a actuellement six brevets qui figurent au registre pour la version originale d'Omeprazole, le plus récent ayant été ajouté l'automne dernier. Un de nos fabricants a déjà remporté une poursuite à l'égard de ce médicament, mais d'autres brevets y ont été ajoutés, si bien qu'il doit contester ces nouveaux brevets, et il n'y a pas de fin à cela.

Il y a aussi une autre version du même médicament, à savoir le magnésium Omeprazole, qui est essentiellement identique, mais c'est maintenant cette version qui est sur le marché parce que le fabricant espère compliquer autant que possible le processus de mise en marché d'un équivalent générique. Il est donc passé à une version légèrement différente du médicament et il y a ajouté des brevets, si bien que je crois que ce médicament est maintenant protégé par huit brevets.

Je le répète, il n'y a pas de fin à cela. Dès qu'un brevet expire, après la durée de 20 ans, la vente d'un équivalent générique est autorisée s'il n'y a pas d'autres brevets qui figurent au registre. En réalité, s'il s'agit d'un médicament qui rapporte beaucoup, il sera le plus souvent protégé par d'autres brevets.

M. Keon: Ce médicament représente à lui seul 350 millions de dollars de ventes par an. Nous aimerions bien pouvoir vendre Losec. Nous avons quatre fabricants qui sont engagés dans des poursuites.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par des brevets supplémentaires qui s'ajoutent au brevet initial. En quoi le deuxième brevet a-t-il un effet sur le premier? Il me semble que les deux devraient être distincts.

M. Hore: Ils le sont.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ainsi, il y a deux produits distincts, chacun protégé par un brevet qui lui est propre.

M. Hore: Il peut s'agir, par exemple, d'un brevet sur la molécule, qui est l'ingrédient actif. C'est le brevet que demande le fabricant pour que personne d'autre ne puisse fabriquer le produit. Il y a peut-être aussi un brevet qui s'applique à l'enrobage, c'est-à-dire à la molécule vendue sous forme de comprimé enrobé d'une substance particulière. Ce serait donc là un deuxième brevet. Il pourrait aussi y avoir un brevet qui s'applique au procédé de fabrication du comprimé. Le procédé est alors considéré comme formant un tout avec le produit. Il pourrait aussi y avoir un brevet qui s'appliquerait à la version à libération prolongée. Il pourrait y avoir une foule de brevets.

Le sénateur Lynch-Staunton: Qu'est-ce qui vous empêcherait de copier le produit original, protégé par le premier brevet, et de vous servir d'un enrobage différent de celui qui se trouve protégé par le deuxième brevet?

M. Hore: Même si le fabricant soutient que son produit n'est pas une contrefaçon du brevet qui s'applique à l'enrobage, une suspension d'approbation s'ensuivra parce que c'est automatique. Il n'y a procès que si l'on prétend qu'il n'y a pas contrefaçon du brevet. La difficulté fondamentale - et c'est là ce que nous voulons vous faire comprendre - c'est que, même si son produit n'est pas une contrefaçon du brevet, le fabricant se heurte néanmoins à une suspension d'approbation. Cela nous paraît inacceptable.

Le sénateur Lynch-Staunton: D'après ce que vous dites, les fabricants de médicaments brevetés ont donc tort de déclarer, dans un document de fond intitulé «Evergreening Does Not Exist» (la reconduction tacite n'existe pas), qu'à l'expiration dubrevet protégeant le composé actif original, les fabricants de médicaments génériques ont tout loisir pour mettre sur le marché des médicaments contenant ce composé. Cette affirmation est-elle inexacte?

M. Hore: Elle est inexacte s'il y a d'autres brevets qui figurent sur le registre, comme c'est souvent le cas.

Le sénateur Oliver: Elle est exacte en tant que telle.

M. Hore: En tant que telle.

M. Keon: C'est justement ce que nous avons voulu faire comprendre dans notre exposé. Le débat qui a précédé l'adoption du projet de loi C-91 portait uniquement sur la durée de protection de 20 ans qu'assurait l'obtention d'un brevet, mais la réalité est tout autre car, en fait, le même produit peut être protégé par des brevets multiples.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ces querelles constantes ne servent guère ni votre intérêt ni celui des fabricants de médicaments brevetés. Comment pouvons-nous réconcilier les deux dans la loi, et plus particulièrement dans la réglementation, quand le torchon ne cesse de brûler entre les deux parties. Ils soutiennent également que, contrairement à ce qui se fait dans bien des pays du monde, la durée de la protection découlant d'un brevet canadien ne peut, en aucune circonstance, être prolongée.

En lisant cela, je me dis que les fabricants de médicaments génériques ont tort. Vous me dites par contre que c'est eux qui ont tort.

M. Keon: Cette affirmation est exacte. Au Canada, la durée de la protection découlant d'un brevet est de 20 ans. Elle ne peut pas être prolongée. Nous disons qu'ils obtiennent d'autres brevets pour le même produit, si bien que le brevet initial expire, mais qu'il y a d'autres brevets qui interviennent et que, étant donné l'injonction qui leur est systématiquement accordée, il faut engager des poursuites à l'égard de ces autres brevets qui s'appliquent au même produit. Par conséquent, nous ne pouvons pas mettre notre produit sur le marché.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce l'injonction automatique qui est prévue dans la réglementation qui, d'après vous, prolonge la durée de la protection que le législateur croit accorder, et qui ne doit pas dépasser 20 ans?

M. Keon: C'est bien cela. Nous sommes fermementd'avis que les règlements qui peuvent être pris en vertu du paragraphe 55.2(4) n'ont pas l'effet que le Parlement voulait qu'ils aient ou croyait qu'ils auraient.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous ne pouvons pas régler ce problème ici, car comme le président l'a souligné à juste titre, cette question dépasse les paramètres du projet de loi comme tel. Le ministre a toutefois donné à entendre hier qu'il reverrait les règlements. Êtes-vous au courant de discussions qui seraient en cours entre ses services et l'industrie? Je crois qu'il a laissé entendre qu'il pourrait réexaminer toute cette question de la réglementation l'automne prochain.

M. Keon: Nous croyons que le ministre est sincère et qu'il veut effectivement examiner la réglementation, mais le fait est que le paragraphe habilitant, le paragraphe 55.2(4), se trouve à être modifié par le projet de loi à l'étude. Il sera soumis à des restrictions en vertu de ce projet de loi. Nous soutenons que le moment est venu d'examiner toute cette question. Il y a maintenant huit ans que le Parlement n'a pas été saisi de la politique sur les médicaments brevetés. Je crois que le dernier projet de loi à cet égard remonte à 1993. Si nous attendons encore huit ans, il va y avoir une flambée des prix des médicaments.On restera captifs des médicaments originaux, sans que les médicaments génériques ne puissent faire baisser le prix. Nous sommes d'avis, sénateur, que c'est maintenant qu'il faut s'attaquer à cette question.

Le sénateur Lynch-Staunton: Hier, nous avons demandé au ministre si Santé Canada avait un rôle à jouer dans l'élaboration et la rédaction des règlements. Je ne me souviens pas des termes exacts qu'il a utilisés, mais il a répondu qu'il avait l'appui de Santé Canada. J'ai eu du mal à comprendre que Santé Canada, qui est à même d'apprécier la hausse des prix des médicaments, ne serait pas plutôt de votre côté simplement parce que vous offrez un produit meilleur marché. Êtes-vous au courant de ce que Santé Canada a dit sur le sujet? Nous pourrions peut-être inviter les fonctionnaires du ministère à venir en discuter avec le comité. Il s'agit d'une question de brevets, mais à la différence d'autres produits protégés par des brevets, elle a des répercussions sur le coût des soins de santé au Canada.

M. Keon: Santé Canada n'était pas là hier, mais nous sommes bien conscients du fait que c'est ce ministère qui applique les règlements. Aussi, il est très conscient du problème que pose la reconduction tacite. On se trouve à ajouter des brevets qui ne devraient sans doute même pas figurer sur la liste, malgré la grande latitude des règles actuelles.

Santé Canada semble en fait avoir décidé de prendre le taureau par les cornes et d'éliminer certains brevets de la liste. Ainsi, nous savons qu'au cours des quatre derniers mois, neuf poursuites environ ont été engagées contre Santé Canada par les fabricants de médicaments brevetés, en raison des ordres qu'a donnés le ministère. À leur dire, il n'entre pas dans les attributions de Santé Canada d'éliminer des brevets de la liste. Santé Canada se trouve ici entre le marteau et l'enclume. Le ministère tente de s'acquitter d'une fonction qui ne relève pas de sa compétence, mais qui donne plutôt lieu à un procès ou à l'interprétation relative au brevet. Le rôle de Santé Canada devrait se limiter à juger de l'innocuité de ces médicaments et de leurs effets sur la santé.

Selon nous, Santé Canada ne devrait pas se mêler de cela. Nous avons effectivement des différends qui nous opposent aux fabricants de produits brevetés, si cela peut vous rassurer, pas seulement au Canada, mais dans le monde entier. Santé Canada ne devrait pas s'en mêler. Il devrait plutôt laisser fabricants de produits génériques et de produits brevetés débattre des brevets devant les tribunaux. Quand un breveté estime avoir affaire à une contrefaçon, il est parfaitement dans son droit d'engager des poursuites. C'est ce que nous souhaiterions qu'il fasse.

Je peux compatir à la situation difficile de Santé Canada, qui se trouve pris entre le marteau et l'enclume et qui doit également appliquer des règlements élaborés par Industrie Canada. Le ministre de l'Industrie a beau consulté Santé Canada, c'est tout de même lui qui a la responsabilité d'élaborer les règlements.

Le sénateur Lynch-Staunton: Quand on décide qu'un brevet devrait être éliminé du registre, continue-t-il à y figurer jusqu'à ce que la contestation ait été réglée?

M. Hore: Parfois oui, parfois non. Parfois, il continue à figurer au registre parce que le ministre en a décidé ainsi ou parce qu'il a décidé de l'y maintenir de façon temporaire. Parfois, le brevet est éliminé du registre, et des poursuites sont engagées pour décider s'il y a lieu de l'y remettre. Dans certains cas, le brevet a été éliminé; dans d'autres, il a été maintenu.

Le sénateur Lynch-Staunton: Quelles sont les raisons qui permettent de prendre une décision dans un sens ou dans l'autre? Si la réponse est trop technique, nous pourrions réserver la question.

M. Hore: Il semble que ce soit une décision que prend le ministre en fonction de facteurs connus du ministre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-il déjà arrivé que le ministère perde et, dans l'affirmative, a-t-il dû payer des dommages-intérêts?

M. Hore: Les affaires se trouvent toujours devant les tribunaux. Je crois qu'il n'y en a qu'une qui ait été entendue jusqu'à maintenant. Le ministre a eu gain de cause dans cette affaire-là. Il semble que les poursuites se multiplient.

M. Keon: La démarche interventionniste du ministre, pour ce qui est d'épurer la liste des brevets, est assez récente, même si c'est quelque chose que nous avions demandé il y a bien des années parce que ces brevets n'avaient manifestement aucune pertinence selon nous. Il semble toutefois que ce nouvel interventionnisme lui vaut maintenant d'être poursuivi par les fabricants de produits brevetés.

Le sénateur Lynch-Staunton: Merci. Vous nous avez été très utile.

Le président: J'aurais un service à vous demander pour que nous soyons bien au fait de la situation le moment venu. Nous serons de nouveau saisis de toute cette question des brevets d'ici un an, d'après ce qu'on me dit. C'est le sénateur Angus qui en a parlé, et nous avons pu le lire également dans les journaux de ce matin. Nous aurons une nouvelle discussion approfondie sur le sujet, quand nous serons autorisés à le faire. Il semble que le Congrès américain soit saisi d'un projet de loi qui limiterait le nombre de brevets à deux, ce qui permettrait dans une certaine mesure de remédier à la situation dont vous vous plaignez. Il nous serait utile que vous examiniez le projet de loi américain et que vous nous envoyiez un mémoire sur le sujet pour que nous puissions nous préparer en vue de cette prochaine série d'audiences.

Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.

M. Keon: Nous serons heureux de donner suite à votre demande, sénateur.

Le sénateur Tkachuk: Avant de poursuivre, pourrions-nous demander que les fonctionnaires du ministère de la Santé témoignent devant le comité? Je crois savoir que nousdevons nous réunir jeudi prochain. Nous pourrions inviter les fonctionnaires du ministère de la Santé à cette réunion-là.

Le président: Tout à fait. C'est une excellente suggestion.

Le sénateur Tkachuk: Je suis sûr que nos autres témoins auront d'autres propositions à nous faire.

Le président: Le témoin suivant représente la Coalition canadienne de la santé. Il s'agit de M. Daniel Benedict.

M. Daniel Benedict, Coalition canadienne de la santé: Permettez-moi tout d'abord de vous dire comme nous vous sommes reconnaissants de nous donner l'occasion de vous parler de nos préoccupations relativement au contexte et au contenu du projet de loi S-17, visant les brevets relatifs aux médicaments d'ordonnance.

La Coalition canadienne de la santé, dont je me fais le porte-parole ici ce matin, est une tribune qui permet aux centaines de milliers de membres des coalitions locales et provinciales de la santé de tout le Canada, d'organisations communautaires, de groupes ethniques, linguistiques et culturels, de personnes âgées, de professionnels de la santé, de syndicats et d'autres groupes d'intérêt public de faire connaître leurs points de vue sur les soins de santé.

L'accès universel à des soins de santé efficaces et dispensé avec compassion fait partie intégrante de notre identité canadienne. Toutes les études et enquêtes sur le sujet montrent que c'est quelque chose qui tient énormément à coeur à la majorité des Canadiens, qui croient en l'importance de ces soins pour eux-mêmes, pour leur famille et pour leur collectivité, même si, trop souvent peut-être, ils les tiennent pour acquis. Le régime de soins de santé entraîne toutefois des coûts.

Même si le coût est encore loin d'atteindre celui du régime de nos voisins du sud, certaines de ses composantes coûtent de plus en plus cher et le rythme de croissance des coûts dépasse souvent celui du taux d'inflation général. Est-il vrai qu'il n'y a pas d'autre solution? Il existe des solutions, à condition de ne pas baisser les bras et sombrer dans le désespoir de ceux qui estiment que la bataille est perdue d'avance. Il existe des solutions de remplace ment qui cadrent tout à fait avec le sujet dont vous êtes saisis. Nous vous invitons à des examiner avec nous.

Chacun sait que, pendant un certain temps, les dépenses relatives aux soins de santé ont augmenté plus rapidement que le taux d'inflation, que ce soit au Canada ou à l'étranger. La situation a toutefois changé en 1992, quand les compressions budgétaires généralisées et le recours accru au ticket modérateur ont fait baisser le montant réel en dollars constants de 1986 des dépenses publiques à ce chapitre, comme l'atteste l'étude réalisée par l'Institut canadien d'information sur la santé en 1998. C'est l'année suivante qu'on a renversé la vapeur pour ce qui est du montant total des sommes consacrées à la santé en tant que pourcentage du produit intérieur brut du Canada. Après avoir atteint 10 p. 100 du produit intérieur brut en 1992, les dépenses liées à la santé étaient retombées à environ 9 p. 100 à la fin de la décennie.

Fait qui s'insère encore plus étroitement dans les paramètres de la consultation d'aujourd'hui, pendant la période de neuf ansde 1987 à 1996, les prix des médicaments d'ordonnance ont augmenté de 93 p. 100, comparativement à la hausse des prix à la consommation qui a été d'environ 23 p. 100, soit quatre fois plus. Cependant, peu importe que les dépenses totales liées à la santé - publique, privée ou individuelle - augmentent ou diminuent les dépenses relatives aux produits pharmaceutiques ont connu une hausse vertigineuse.

Les prix des médicaments d'ordonnance, sous l'impulsion des multinationales du secteur privé qui fabriquent les médicaments brevetés, continuent à générer des bénéfices de plus en plus considérables. En 1985, le montant total des sommes consacrées aux médicaments d'ordonnance atteignait environ 2,5 milliards de dollars, tandis que les médicaments en vente libre représentaient un peu plus de 1 milliard de dollars. En l'an 2000, les montants respectifs étaient passés à 11,34 milliards de dollars età 3,34 milliards de dollars.

Tout récemment, c'est-à-dire de 1998 à 2000, la tendancedes 15 dernières années s'est maintenue, les dépenses liéesaux médicaments ayant augmenté de 16 p. 100 encorecomparativement à 4 p. 100 environ pour l'Indice des prix à la consommation, soit quatre fois plus que l'IPC. On ne sera donc pas surpris d'apprendre que les sommes consacrées auxmédicaments dépassent maintenant les dépenses découlant des soins dispensés par les médecins, quels qu'ils soient, et que les médicaments représentaient 15,5 p. 100 du total des dépenses liées à la santé en 2000, venant au deuxième rang aussitôt après les dépenses hospitalières.

En outre, en même temps que les coûts des médicaments augmentaient, le caractère public de la protection assurée s'est affaibli en plus en plus à la suite de diverses mesures, notamment de la part des gouvernements provinciaux, qui ont surtout touché les personnes à faible revenu.

De 1984 à 1990, celles qui avaient un revenu annuel inférieurà 14 400 $ en 1986 ont en fait consacré une tranche sept fois plus grande de leur revenu aux dépenses liées aux soins de santé que les personnes à revenu élevé, le terme «élevé» étant relatif, puisqu'il désigne les personnes gagnant plus de 49 400 $ par an. Non seulement la part de leur revenu qu'elles y consacrent est plus élevée, mais le montant absolu aussi: 61,20 $ pour les pauvres et 43,08 $ pour les nantis.

Aux compressions budgétaires qui ont touché notamment les hôpitaux, les soins infirmiers et les soins dispensés par les autres professionnels de la santé, sont venus d'ajouter depuis des frais modérateurs plus élevés qui touchent notamment les groupes à faible revenu, comme les aînés et les assistés sociaux, qui étaient auparavant protégés. Malheureusement, les années 90 ont marqué un recul par rapport aux progrès sociaux réalisés jusqu'alors au Canada.

L'adoption en 1993 du projet de loi C-91 a eu pour effet d'éliminer l'homologation obligatoire, qui avait jusque-là servi en quelque sorte de rempart contre les prix excessifs pratiqués par les fabricants de médicaments brevetés. La nouvelle loi a fait passer de 17 à 20 ans la durée de la protection des médicaments nouvellement brevetés. Les fabricants en ont bien sûr profité au maximum. Après tout, c'était ceux-là mêmes qui s'étaient opposés farouchement à toute mesure visant à limiter les prix faramineux qu'ils exigeaient pour leurs médicaments de lutte contre le sida et le VIH en Afrique et au Brésil, alors même que des millions de personnes mouraient de ces maladies. C'est seulement sous la pression intense de l'opinion publique internationale que certains fabricants - deux fabricants d'après ce que j'ai lu dans les journaux - ont changé leur fusil d'épaule. Ils ont accepté, il y a quelques jours, d'abaisser leurs prix dans l'espoir d'empêcher ces pays exaspérés de produire des médica ments génériques moins coûteux. Notre monde a peut-être une leçon à tirer de cela.

Pour ceux qui doivent recourir aux soins de santé, commec'est le cas de beaucoup d'entre nous, l'injustice accrue que représentent les prix exigés pour les médicaments d'ordonnance est un coup de semonce visant les soins de santé. Les gros fabricants de médicaments brevetés sont déterminés à aller chercher des montants de plus en plus élevés qui représentent une part de plus en plus importante de nos dépenses au titre des soins de santé au XXIe siècle.

Des études réalisées par des auteurs et des organisations représentant des points de vue très divers, notamment le Conference Board du Canada et l'Organisation pour lacoopération et le développement économique qui a son siège à Paris, montrent que les régimes d'assurance publics peuvent faire baisser les coûts comparativement aux régimes privés ou individuels, grâce à des mesures qui ne nuisent pas à ceux qui ont besoin de protection. Les régimes publics font plus souvent appel aux médicaments génériques moins coûteux que les régimes privés. Les régimes publics sont un atout dont les gouvernements peuvent se servir efficacement pour négocier des réductions de prix avec les fabricants de produits tant génériques que brevetés. Les régimes publics ont un effet plus modérateur sur les frais d'ordonnance. Il suffit de voir que le coût de ces frais est moins élevé d'un cinquième dans les régimes publics, lesquels, à cause en partie de leur taille, consacrent beaucoup moins à leurs dépenses administratives, soit environ 2 p. 100 en Ontario et au Québec, comparativement à 8 p. 100 pour l'ensemble des régimes privés.

En outre, l'enquête nationale sur la santé que Santé Canada a réalisée en 1996 et en 1997 révèle que les aînés sont les plus durement touchés par les tendances récentes. D'après cetteétude, 40 p. 100 des aînés n'ont pas d'assurance-médicamentset 88 p. 100 de ceux qui ont plus de 80 ans, moi y compris, puisque j'en ai 83, consomment des médicaments d'ordonnance. Dans leur cas, la justice est encore plus prononcée.

Que peut-on faire? Au Canada, certains gouvernements ayant pris conscience de la surconsommation de médicamentsd'ordonnance et du coût excessif de ces médicaments, cherchent à sensibiliser la population, notamment les retraités, aux périls qu'ils représentent. On a même inclus des clauses à cet égard dans des nombreuses conventions collectives. Pour compléter ce travail de sensibilisation, les fournisseurs de soins de santé préconisent des mesures immédiates sur plusieurs fronts. Tout d'abord, ils recommandent de faire appliquer l'interdiction de la publicité destinée aux consommateurs qui fait augmenter le prix des médicaments et qui stimule la demande de produits plus coûteux et qui, dans bien des cas, ne conviennent pas. Deuxièmement, ils encouragent la mise en oeuvre de lignes directrices à l'intention des médecins, des pharmaciens et des assureurs publics et privés sur l'utilisation à bon escient des médicaments d'ordonnance afin d'éviter la surprescription et l'abus des médicaments. Troisième ment, ils demandent le retrait des règlements sur les médicaments brevetés qui découlent de la Loi fédérale sur les brevets, afin d'empêcher les fabricants de produits pharmaceutiques d'intenter des poursuites pour retarder l'introduction de produits génériques meilleur marché. Étant donné la situation actuelle, il faut faire quelque chose pour contrer l'abus systématique des règlements concernant l'avis de conformité dont les fabricants se servent pour prolonger leur monopole au-delà de la durée de protection déjà trop longue que leur accordent leurs brevets.

La protection maximale de 20 ans est en voie de devenir une protection minimale. Il faudrait que ce soit effectivement une protection maximale de 20 ans, sous réserve que la souveraineté nationale pourrait être invoquée pour raccourcir la durée de protection à des fins humanitaires ou sociales ou pour quelque autre raison qu'un gouvernement quelconque jugerait valable. À l'heure actuelle, le fabricant de médicaments brevetés n'a qu'à accuser quelqu'un de contrefaçon pour avoir automatiquement droit à une suspension d'approbation qui prolonge son monopole de deux ans. Il faudrait mettre un terme à ces pratiques. En éliminant ce règlement, le gouvernement du Canada pourrait commencer à corriger l'injustice accrue qui découle des efforts pour se conformer aveuglément à la récente campagne de l'Organisation mondiale du commerce en vue de consolider la mainmise des multinationales sur les soins de santé.

Il faudrait également modifier la loi et les règlements afin que les personnes qui en ont besoin puissent avoir plus facilement accès aux médicaments génériques moins coûteux dès l'expiration du délai, déjà trop long, imposé par les membres non élus de l'Organisation mondiale du commerce. Il ne devrait pas y avoir d'injonction pour empêcher la fabrication de médicaments génériques et le stockage de ces médicaments en prévision de l'expiration de la période de monopole. Le projet deloi S-17 pourrait jouer un rôle plus utile s'il était modifié en ce sens.

Votre comité a une obligation à l'égard des Canadiens. Nous sommes à votre disposition pour vous aider à vous acquitter de cette tâche. Je vous remercie encore une fois de nous avoir donné l'occasion de vous faire part de nos préoccupations.

Le sénateur Angus: Cela vous intéresserait peut-être de savoir, monsieur, que nous avons un autre comité sénatorial qui s'occupe de questions sociales et qui est présidé par le sénateur Kirby. Ce comité a entrepris de se pencher sur les lacunes de notre régime de soins de santé. Il me semble qu'il vaudrait peut-être mieux que vous fassiez part de vos préoccupations à ce comité-là, puisque, comme vous l'avez entendu dire tout à l'heure, le projet deloi S-17 vise, non pas à modifier les règles régissant les brevets, mais à les rendre conformes à nos obligations internationales.

M. Benedict: Si vous me permettez de répondre à votre intervention, j'ai un bon ami à moi qui a un oeil de verre et qui aime bien raconter l'histoire du banquier qui avait un oeil de verre. Certains d'entre vous l'ont peut-être déjà entendue. Les gens savaient tout de suite lequel était son oeil de verre. C'était celui qui était plus compatissant, plus gentil.

Le sénateur Angus: Sans viser qui que ce soit.

M. Benedict: Je vous remercie par ailleurs de m'avoir conseillé d'aller témoigner devant le comité du sénateur Kirby. Je le ferai.

Le sénateur Angus: Si je comprends bien, vous êtes contre le projet de loi à l'étude?

M. Benedict: Je crains également que ce projet de loi apporte de l'eau au moulin de ceux pour qui les soins de santé sont des produits comme les autres. Or, les soins de santé ne sont pas simplement quelque chose qu'on vend ou qu'on achète, ils font partie intégrante de nos vies. Nous ne sommes pas simplement des clients. Nous sommes des êtres humains. Je vous saurais gré de bien vouloir vous en rappeler.

Le président: Merci d'être venu nous parler. Nous apprécions tous ce que vous faites.

Les témoins suivants sont Mme Gerda Kaegi, de laCorporation nationale des retraités canadiens intéressés, et M. Don Wackley, de l'Ontario Society (Coalition) of Senior Citizens' Organizations.

Vous allez nous présenter un exposé conjoint?

Mme Gerda Kaegi, présidente, Corporation nationale des retraités canadiens intéressés: Je vais présenter un exposé au nom des deux organisations. Je vous ai envoyé le texte de mon exposé par messager lundi soir, et je viens d'apprendre que vous ne l'avez pas reçu.

Le président: Je crois que nous l'avons ici.

Mme Kaegi: Vous venez de le recevoir. C'est pourquoi je ne vous réponds pas directement. Veuillez m'excuser. Mon intention était, non pas de le lire, mais de vous en présenter les points saillants.

Le président: C'est une excellente idée. J'ai parcouru le document et, à vrai dire, la plupart des points qui y sont abordés ont déjà été soulevés par d'autres témoins. Je vous invite à nous en faire un résumé et à nous présenter vos observations.

Mme Kaegi: Je voudrais vous expliquer un peu qui nous sommes. Vous trouverez ces détails dans le mémoire. Je suis présidente de la section ontarienne de la Corporation nationale des retraités canadiens intéressés. Le mari de notre présidente nationale est à l'hôpital où il doit être opéré pour le coeur, alors elle n'a pas pu être des nôtres. Je vous adresse donc la parole au nom de l'organisation nationale et de la section ontarienne de la corporation.

Dans notre mémoire, nous avons essayé d'expliquer, dans l'aperçu général, la perception que nous avons de la question. Nous y parlons du rôle que la Loi sur les brevets a joué dans la fabrication et le coût des médicaments d'ordonnance au Canada. Nous établissons un lien entre le coût des médicaments et ce que nous appelons le régime national d'assurance médicale créé en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Nous expliquons que, selon nous, les accords commerciaux auxquels nous sommes partie ne nous obligent pas à faire en sorte que la réglementation d'application de la Loi sur les brevets limite sévèrement l'accès des Canadiens à des médicaments génériques meilleur marché et de qualité élevée, qui ne présentent aucun danger.

Nous faisons également remarquer que l'homologationobligatoire est depuis longtemps une réalité au Canada,puisqu'elle remonte, d'après mes recherches, à 1923 au moins, et qu'elle nous a bien servis par le passé. Nous nous intéressons en priorité aux besoins réels des Canadiens pour ce qui est des médicaments d'ordonnance et aux coûts croissants qu'entraînent ces besoins dans le contexte du régime actuel de brevets et du régime proposé. Le projet de loi S-17 se trouve en fait à permettre l'obtention de brevets pour des médicaments qui n'étaient pas auparavant visés par la durée de protection de 20 ans.

Puis, nous traitons des coûts croissants liés aux médicaments. Nous nous reportons à diverses sources pour montrer la hausse faramineuse des coûts des médicaments au Canada. C'est un problème qui est attesté par beaucoup de documents qui ont été rendus publics dernièrement. Un des plus récents est l'étude réalisée par l'Institut canadien d'information sur la santé qui a été rendue publique la semaine dernière et qui s'intitule «Drug Expenditures in Canada». J'espère que les honorables sénateurs auront l'occasion d'examiner cette étude car j'estime qu'elle permet de mieux comprendre l'argument sur lequel nous nous fondons.

Ce qu'il y a de particulièrement inquiétant dans les chiffres, c'est qu'une proportion importante des coûts est payée par les particuliers, surtout ceux qui n'ont pas d'assurance-médicaments ou dont la protection est insuffisante.

J'ai reçu hier une étude du Dr Joel Lexchin, publiée ce mois-ci, qui fait état également de la crise qui existe actuellement au Canada au niveau des prix des médicaments d'ordonnance. Personne ne contestera l'augmentation particulièrement rapide du prix des médicaments au Canada. Nous savons que le prix des médicaments est une menace pour notre régime de santé publique, pour nos régimes privés et, ce qui est plus grave encore, pour les gens à faible et moyen revenu qui n'ont pas d'assurance publique ou privée, ou dont l'assurance est insuffisante. Nous pensons que les règlements devraient changer pour soulager ces gens-là.

Nous considérons ensuite le prix des médicaments pour les personnes à faible revenu, car en effet, c'est au coeur même de notre argument. On a souvent tendance à oublier la réalité dans laquelle les gens à faible revenu vivent. Récemment, un court passage d'une étude effectuée par Statistique Canada a fait les manchettes, cela portait sur les actifs et les dettes des Canadiens, mais cela n'a pas duré, et dès le lendemain, cette préoccupation était oubliée et on ne parlait plus que des problèmes de la Bourse. Nous attirons votre attention sur la dure réalité qui confronte des milliers de Canadiens: Est-ce que je choisis de manger ou bien de prendre mes médicaments? Est-ce que je choisis de payer le loyer ou bien est-ce que j'essaye d'acheter mes médicaments? Certains médecins nous ont dit que leurs patients leur disaient ce genre de chose. Dans les Profils de la pauvreté du Conseil national du bien-être, l'étude du Dr Lexchin et l'étude de l'ICIS et dans toutes ces études, on soulève le problème du revenu et de la capacité de payer. Là encore, cela nous ramène à la discussion sur le projet de loi S-7 et, en particulier, les règlements.

Les programmes d'assurance-médicaments varient énormément d'une province à l'autre. Je comprends le problème des provinces, étant donné que les coûts de la santé augmentent sans cesse et les coûts des médicaments encore plus que les autres coûts.Dans notre mémoire, nous mentionnons les stratégies que les gouvernements provinciaux utilisent pour régler ce problème grave, et en même temps, nous en déplorons les résultats. L'injustice est généralisée. En fait, selon la province où vous vivez, votre niveau de protection varie énormément, et c'estdans les provinces les plus pauvres que les gens payent la proportion la plus élevée des coûts. D'après l'étude duDr Lexchin, 12 p. 100 des Canadiens, c'est-à-dire 3,5 millions de personnes, n'ont absolument aucune assurance-médicaments. Là encore, cela nous ramène au projet de loi S-17.

Nous nous sommes penchés également sur l'Organisation mondiale de la santé et sur l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et sur l'industrie pharmaceutique internationale. Ce sont des arguments que vous avez déjà entendus, je ne les répéterai donc pas. Nous ne sommes pas des avocats, nous ne sommes pas des chercheurs dans le domaine médical, mais nous savons lire un rapport. Nous lisons toutes ces opinions divergentes et nous en tirons des conclusions.

Le projet de loi S-17 reprend la même démarche que le projet de loi C-91, et cela pose certains problèmes. Cette législation donne la priorité aux détenteurs de brevets, aux grosses compagnies pharmaceutiques internationales, et cela, aux dépens des droits des citoyens. Nous considérons que ce projet de loi continue à défendre les intérêts financiers des sociétés aux dépens de la santé publique.

Le témoin qui m'a précédé vous a parlé de l'Afrique. C'est loin d'être une question superficielle. La situation est la même en Afrique et en Asie. Dans ces régions, les pays luttent parce qu'ils ont besoin de médicaments à des prix abordables et qu'ils sont prêts à accepter des médicaments génériques. Pendant ce temps, les grosses compagnies pharmaceutiques font tout ce qu'elles peuvent pour les en empêcher. Cela se produit au Canada également. Nous n'avons pas les moyens de payer desmédicaments brevetés, surtout avec les augmentations de prix auxquelles on assiste actuellement. Individuellement, les particu liers n'ont pas les moyens de payer leurs médicaments.

Nous savons bien qu'il faut protéger le droit des détenteurs de brevets. Nous reconnaissons cette réalité. La question est de savoir si on va aller au-delà de la norme dans une industrie donnée? C'est un autre problème. Nous ne nous sommes pas les seuls à réclamer un régime différent pour les médicaments au Canada, qu'il s'agisse de médicaments brevetés ou de médica ments génériques.

Nous savons que vous refuserez de prendre en considération notre première recommandation, mais nous croyons qu'elle devrait être incluse: il s'agit de revenir à un régime deconcession de licence obligatoire au bout de 17 ans et de prier instamment le gouvernement d'adopter un régime national d'assurance-médicaments dans lequel la distribution desmédicaments serait supervisée par des organismesgouvernementaux fédéral ou provinciaux. Cela établit un lien entre les recommandations numéro un et numéro six. Lors des consultations que nous avons tenues en 1997, des juristes nous ont dit que si le Canada avait choisi cette option, il serait couvert par les règles de l'ADPIC. Là encore, je lis simplement les arguments qui ont été présentés, je ne suis pas avocat moi-même, mais je tiens à vous rappeler ces faits.

Notre seconde recommandation est de fixer la durée des brevets sur les médicaments à 20 ans, 20 ans étant une limite absolue, comme d'autres vous l'ont dit. Nous avons examiné cette question. Nous avons parlé à des médecins et à des fabricants, et l'ampleur des variations nous renverse. Cette limite de 20 ans devrait commencer à partir de la date de la demande de brevet. Autrement dit, la pendule commence à tourner dès le moment où vous présentez une demande.

Comme le premier intervenant vous l'a dit, et je pense que le second l'a mentionné également, nous vous prions instamment d'abroger les règlements spéciaux dont profite l'industriepharmaceutique. Un minimum absolu serait d'abroger lesrèglements qui autorisent des injonctions automatiques et la constitution de stocks de médicaments génériques. On a confirmé que les compagnies pharmaceutiques internationales tiennent à ces stratégies. Quand la période de licence était plus courte, elles se sont battues contre le Canada, et la bataille continue. C'est un problème qu'il faut régler et il importe de trouver un point d'équilibre entre l'intérêt public et l'intérêt privé des sociétés.

Nous pensons qu'il faut limiter le nombre des brevets qui s'appliquent à un seul médicament.

Le président: Excellent exposé. Merci beaucoup.

Le sénateur Tkachuk: J'aurais tendance à me ranger à votre opinion en ce qui concerne le brevet de 20 ans. Plusieurs intervenants nous ont dit à juste raison que lorsque les deux lois ont été adoptées dans les années 80 et au début desannées 90, l'intention était d'accorder une protection de 20 ans et non d'exacerber le problème et de continuer à faire augmenter le prix des médicaments.

Peut-être pourrez-vous m'aider; nous avons prolongé les brevets qui sont passés de 17 à 20 ans. Évidemment, c'est une épée à double tranchant. On nous a dit que le prix des médicaments qui existent n'a pas tellement augmenté, mais que ce sont les nouveaux médicaments qui arrivent sur le marché dont le prix augmente. À mon avis, en prolongeant la période des brevets de 17 à 20 ans, nous avons encouragé l'arrivée de nouveaux médicaments sur le marché, ce qui a eu pour effet d'augmenter l'offre pour faire face à une demande qui existait déjà mais qui n'était pas satisfaite. Aujourd'hui, lorsqu'un nouveau médicament arrive sur le marché, par exemple contre le cancer, ce nouveau médicament n'existerait peut-être pas sans la protection du régime de brevet actuel. Les prix n'ont pas augmenté, mais il y a tellement de médicaments nouveaux sur le marché que cela a fait augmenter les prix. En effet, nous traitons plus de gens, nous traitons plus de maladies et nous traitons plus de symptômes. C'est un problème qui est difficile à résoudre car tout cela est très souhaitable, mais évidemment, il faut en payer le prix. Il serait difficile de revenir en arrière. Cela risquerait de faire diminuer le nombre des nouveaux médicaments sur le marché, et cela, aux dépens de la santé publique.

Mme Kaegi: Merci. Je comprends votre argument, mais je ne suis pas d'accord avec vous. Sur l'ancien régime, on développait des médicaments et de nouveaux traitements étaient offerts. Notre argument, c'est que la recherche est déjà financée par le secteur public dans une large mesure, par l'entremise des universités, grâce à des subventions des gouvernements, et également avec le régime de brevet.

Je suis convaincue que même sans des brevets de 20 ans, de nouveaux médicaments arriveraient sur le marché. Lorsque les brevets duraient 17 ans, nous avions de nouveaux médicaments. Je sais bien qu'à l'Organisation mondiale du commerce, le gouvernement s'est engagé clairement à conserver la duréede 20 ans. Toutefois, je ne pense pas qu'il convienne d'accorder une protection supplémentaire. À mon avis, il faut donner suite aux intentions du Parlement. Je ne vois pas pourquoi on protégerait plus l'industrie pharmaceutique internationale que les autres industries.

C'est de problèmes humais réels dont il est question. Il ne s'agit pas d'un nouveau moteur, comme je l'ai dit de façon cavalière dans mon mémoire, d'ouvre-boîtes.

Parmi les documents que j'aurais dû lire plus soigneusement avant de venir ici, il y a une déclaration que l'on trouve dans une étude réalisée par M. Lexchin. Il dit dans cette étudequ'en 1993, je crois, les médicaments en Australiecoûtaient 30 p. 100 moins cher qu'au Canada. Ce pays avait une politique nationale des produits pharmaceutiques qui lui permet tait de réduire le coût des médicaments grâce à une stratégie de négociations des achats avec les sociétés pharmaceutiques. Quand j'ai lu cela, j'ai téléphoné à un employé de la Direction de l'assurance-médicaments de l'Ontario et je lui ai demandé: «Qu'est-ce qui se produit lorsque vous acceptez un médicament?» On m'a répondu: «Eh bien, nous discutons du prix.»

J'ai l'impression que les médicaments existeraient. Nous en avons les avantages. Les sociétés pharmaceutiques souhaitent que les provinces acceptent leurs médicaments. Pour elles, c'est un marché confirmé. Je ne crois pas que cela empêcherait la mise au point de nouveaux médicaments. J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Tkachuk: Oui, vous avez répondu à ma question et davantage. Merci beaucoup.

Le sénateur Oliver: Le témoin pourrait-il nous fournir une copie du document du Dr Lexchin?

Mme Kaegi: Je l'enverrai à votre greffier.

Le président: Merci. Il nous le distribuera.

M. Don Wackley, coprésident, Ontario Society (Coalition) of Senior Citizens' Organizations: Honorables sénateurs, puis-je faire une petite observation? L'idée que toutes les personnes âgées sont riches est un mythe. Ce n'est pas vrai.

Le président: Nous ne le croyons pas non plus.

M. Wackley: C'est toutefois l'impression que les gens ont. Cette impression est plus particulièrement fausse en ce qui a trait aux femmes âgées, puisque pendant leur jeunesse, elles sont restées chez elles pour s'occuper de leur famille, elles n'ont pas eu d'emplois et n'ont pas cotisé dans des régimes de pension. Ces gens nous téléphonent maintenant pour nous dire qu'elles ont des besoins criants et qu'elles risquent même de perdre leur maison à cause du coût des médicaments.

J'exhorte les honorables sénateurs à accorder une attention spéciale aux personnes âgées qui risquent de perdre leur maison.

Le président: Merci de cette observation.

La séance est levée.


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