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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 28 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bienvenue devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nos témoins d'aujourd'hui représentent la Banque du Canada. Nous avons le plaisir d'accueillir M. David A. Dodge, gouverneur, et M. Malcolm Knight, premier sous-gouverneur de la Banque du Canada.

David A. Dodge, gouverneur, Banque du Canada: Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je me présente aujourd'hui devant votre comité pour la première fois depuis ma nomination au poste de gouverneur de la Banque du Canada. J'ai à mes côtés M. Malcolm Knight, premier sous-gouverneur de la Banque.

J'aimerais, pour l'occasion, parler de la contribution que la Banque apporte à la bonne tenue de l'économie, de l'importance que l'institution attache à l'ouverture et à la transparence ainsi que du rôle qu'elle joue dans la promotion de la stabilité financière à l'échelle nationale et internationale. Je me propose ensuite d'exposer le point de vue de la Banque sur la situation économique actuelle et de discuter avec vous de toute question que vous souhaiterez soulever.

La Banque du Canada a pris l'engagement de promouvoir le bien-être économique des Canadiens. À cette fin, elle mène la politique monétaire de façon à favoriser une expansion soutenue de l'économie, en créant des conditions propices à la croissance des investissements, de l'emploi et des revenus et en travaillant à rendre l'environnement macroéconomique plus stable.

La contribution toute particulière que la Banque peut faire consiste à préserver la confiance des Canadiens dans la valeur future de leur monnaie. Ceux-ci devraient pouvoir vaquer à leurs occupations en ayant la certitude que leur Banque centrale fera tout ce qu'il faut pour maintenir l'inflation future à un niveau bas, stable et prévisible.

[Français]

La pierre angulaire de notre approche en matière de politique monétaire est une cible explicite de maîtrise de l'inflation. La fourchette cible actuelle, qui va de un à 3 p. 100, a été établie par la Banque, de concert avec le gouvernement, en vertu d'une entente qui vient à terme à la fin de 2001. Une nouvelle entente pour les années suivantes sera rendue publique bien avant l'expiration de cette fourchette.

Dans un monde exposé à toutes sortes de choc, et où on assiste à une ouverture grandissante des marchés financiers, les mesures de politique monétaire peuvent être plus efficaces si elles sont prévisibles et mieux comprises par le public. C'est la raison pour laquelle la Banque insiste sur l'importance de la transparence et d'un dialogue efficace. À cet égard, j'aimerais rappeler notre plus récente initiative en matière de transparence. Je pense ici à notre nouveau système de huit dates préétablies par année, grâce auxquelles nous annonçons le taux officiel d'escompte, et expliquons les raisons de notre décision dans un communiqué.

Pour qu'une économie de marché comme la nôtre puisse afficher de bons résultats, il faut aussi que les institutions financières, les marchés financiers et l'infrastructure finacière du pays soient solides et efficients.Les particuliers et les entreprises doivent être convaincus que les créances financières peuvent être créées, détenues et transférées de manière fiable et efficiente. C'est pourquoi la Banque du Canada travaille étroitement avec des institutions fédérales et provinciales afin de promouvoir la stabilité financière.

La Banque s'occupe surtout des questions de stabilité qui touchent l'ensemble du système financier. Elle fournit des liquidités aux acteurs financiers, elle exerce une surveillance sur les grands systèmes de compensation et de règlement et elle donne des conseils stratégiques au gouvernement sur le cadre général du système financier. Elle collabore aux travaux d'autres organismes nationaux et internationaux qui s'intéressent à la stabilité financière.

Étant donné l'intégration des économies, nous devons travailler avec les autres membres de la communauté internationale afin de favoriser la mise en place d'un système financier national robuste, et d'atténuer les crises financières mondiales comme celle que nous avons traversée durant les années 90.

Le Canada possède un système financier dont la solidité et l'efficience sont reconnues mondialement. Pour que celui-ci demeure solide et efficient, nous devons évoluer au même rythme que les marchés financiers. La Banque continuera, par conséquent, à travailler étroitement avec ses partenaires canadiens et étrangers afin de renforcer la stabilité financière ici et ailleurs dans le monde.

[Traduction]

Permettez-moi maintenant, monsieur le président, de vous donner un bref aperçu de la conjoncture économique actuelle.

Depuis l'automne dernier, la plupart des prévisionnistes ont revu à la baisse leurs projections du taux de croissance de l'économie mondiale pour 2001, les ramenant d'un peu plus de 4 p. 100 à tout juste au-dessus de 3 p. 100. Sans être spectaculaire, une croissance de 3 p. 100 serait tout de même très respectable.

Aux États-Unis, l'évolution positive dans des domaines comme l'emploi et le logement laisse espérer la fin prochaine du ralentissement. La Banque continue de croire que le rythme d'expansion de l'économie américaine va se redresser au second semestre de 2001, grâce au repli sensible des taux d'intérêt, à la modération des prix de l'énergie et à l'achèvement du rajustement actuel des stocks. Le moment exact où se produira la reprise demeure toutefois inconnu et dépendra dans une large mesure de l'évolution de la confiance des consommateurs et des investissements des entreprises dans ce pays.

Au Canada, on avait prévu une décélération de la croissance en 2001, des pressions ayant commencé à s'exercer sur l'appareil de production. De fait, un ralentissement a été enregistré au quatrième trimestre de l'année dernière. Par ailleurs, à la lumière des révisions apportées aux chiffres des trois premiers trimestres, il apparaît que le niveau de l'activité économique n'était pas aussi élevé à la fin de 2000 que nous l'avions d'abord estimé. De plus, les indicateurs les plus récents donnent à penser que l'économie a progressé moins rapidement au premier trimestre de 2001 que durant les derniers mois de 2000.

Le ralentissement apparaît clairement dans le secteur de l'automobile, où il a fallu réduire la production à cause du recul de la demande aux États-Unis et de l'accumulation de stocks excédentaires. Les produits électroniques et les télécommunications sont deux secteurs où la production mondiale dépasse la demande et où l'activité - qui se situe à de très haut niveau - a aussi décéléré.

Ces trois industries de premier plan attirent naturellement beaucoup d'attention, en particulier dans les régions du Canada où elles sont fortement concentrées. L'activité reste également faible du côté des produits de base non énergétiques. Mais ramenons les choses à leur juste mesure: d'autres secteurs importants de notre économie affichent encore un dynamisme considérable. Les derniers chiffres indiquent que les investissements dans le domaine de l'énergie sont très vigoureux. Par ailleurs, le volume des ventes au détail autres que celles des voitures restent fermes, tout comme le niveau de l'activité dans les secteurs du logement et de la construction non résidentielle, ainsi que dans la plupart des autres industries de services.

Monsieur le président, lorsque nous avons examiné l'ensemble de ces données au début de mars, nous sommes arrivés à la conclusion que nous disposions, à court terme, d'une certaine latitude pour assouplir la politique monétaire sans provoquer de pressions sur la capacité et l'inflation. Nous avons donc abaissé le taux d'escompte de 50 points de base le 6 mars dernier, ce qui porte à 75 points de base la réduction totale depuis janvier. Les baisses des taux d'intérêt au pays et la hausse des revenus disponibles alimentée par les récentes réductions d'impôts devraient aider à soutenir l'expansion de la demande intérieure au second semestre de 2001.

L'impulsion additionnelle donnée à l'économie est compatible avec le maintien de l'inflation mesurée par l'indice de référence à près de 2 p. 100, soit le point médian de la fourchette de maîtrise visée par la Banque. Pour ce qui est du taux d'augmentation de l'IPC global, nous pensons qu'il baissera pour s'établir autour de 2 p. 100 au second semestre, si les cours mondiaux du pétrole demeurent à peu près aux niveaux actuels.

Tout compte fait, la Banque reste relativement optimiste quant aux perspectives économiques du Canada pour le reste de l'année et le début de 2002.

Sénateurs, la volatilité récente des taux de change, tant au Canada que dans un grand nombre d'autres pays, a fait l'objet de beaucoup de commentaires, et je voudrais moi aussi dire quelques mots à ce sujet. Ce qui est arrivé, c'est que le dollar américain s'est apprécié par rapport à toutes les grandes devises en dépit du tassement marqué de la progression de l'activité économique aux États-Unis. Le cours du dollar canadien étant un prix important dans notre économie, la Banque reconnaît que les variations qu'il subit peuvent représenter une source d'inquiétude pour les Canadiens. Aussi, je tiens à vous assurer que la Banque suit de près l'évolution des marchés et qu'elle évalue avec soin les effets des fluctuations du taux de change sur la demande globale et l'inflation au Canada.

Pour conclure, monsieur le président, j'aimerais insister sur deux points. Premièrement, des risques et des inquiétudes, découlant de l'évolution à l'échelle mondiale et particulièrement aux États-Unis, pèsent sur la situation économique de notre pays. Ces risques découlent principalement de la situation mondiale, et plus particulièrement de celle des États-Unis. Même si une modération de la demande américaine était à prévoir, je le répète, le ralentissement a été plus soudain que prévu. Nous nous attendons à ce que l'on enregistre à nouveau une croissance raisonnable au cours du second semestre de 2001, mais la question est maintenant de savoir à quelle vitesse pourront être opérés en Amérique du Nord les ajustements requis sur le plan de la production et des stocks.

Deuxièmement, les facteurs fondamentaux de l'économie canadienne sont solides; en fait, ils n'ont jamais été aussi robustes que depuis 30 ans. Le Canada continue de jouir d'un taux d'inflation bas, stable et prévisible. Nos administrations publiques réalisent des surplus budgétaires. L'excédent de la balance commerciale canadienne atteint des niveaux records. Les gouvernements fédéral et provinciaux sont en train de réduire le niveau de leur dette, et le Canada diminue son endettement net vis-à-vis de l'étranger. En outre, les investissements dans le matériel et la technologie, qui sont essentiels à l'amélioration de la productivité et des niveaux de vie, ont connu une forte poussée. Cette force des facteurs fondamentaux devrait être favorable au dollar canadien au fil du temps.

Bien que le fardeau de la dette des ménages se soit accru, les consommateurs sont maintenant mieux en mesure d'assurer le service de leur dette grâce à la hausse des revenus et à la réduction des taux d'intérêt. De plus, les bilans des entreprises sont excellents, les institutions financières sont en bonne santé, et les marchés de crédit fonctionnent bien.

Somme toute, monsieur le président, je crois que le Canada est en bonne posture pour traverser sans grande difficulté cette période d'ajustement économique. Étant donné les incertitudes, cependant, la Banque continuera de suivre de près l'évolution économique afin de préserver le bas niveau de l'inflation qui aide notre économie à atteindre son plein potentiel.

Le sénateur Oliver: Monsieur Dodge, je vous félicite de votre récente nomination à titre de gouverneur de la Banque du Canada. C'est un grand honneur et je sais que vous vous en acquitterez avec beaucoup de conviction et de bon sens.

En règle générale, lorsqu'on pense au gouverneur de la Banque du Canada, la première chose qui vient à l'esprit des Canadiens, c'est l'inflation. Quelles vont être les cibles en matière d'inflation, les taux d'intérêt vont-ils augmenter ou diminuer? Il n'en reste pas moins que lorsqu'on se penche sur le mandat de la Banque et sur vos fonctions, ces attributions sont bien plus larges. Vous exercez des responsabilités non seulement en matière d'inflation, mais aussi pour ce qui est du chômage, de la production, de la productivité et de la valeur du dollar. Tout cela relève de la politique monétaire.

Dans votre exposé d'aujourd'hui, vous n'avez mentionné la dette publique que pour dire que les provinces et le gouvernement fédéral réduisaient la leur. Je ne parlerai pas de l'inflation ni des taux d'intérêt; mes questions vont surtout porter sur les relations entre la dette et les politiques budgétaires et monétaires.

Vous pourriez peut-être nous expliquer, tout d'abord, comment vous coordonnez la politique monétaire avec les politiques budgétaires des provinces et du gouvernement fédéral. J'ai peur que nous n'en fassions pas assez pour réduire l'endettement massif du Canada, qui se monte à plus de 500 milliards de dollars. Quels sont les effets de cette situation sur notre politique monétaire? Vous n'ignorez pas que le taux d'endettement comparativement au PIB a baissé, passant d'un sommet de 72 p. 100 en 1995 à 53 ou 54 p. 100 aujourd'hui. Cela s'explique principalement par l'augmentation du PIB - en effet, on n'a remboursé jusqu'à présent qu'une trentaine de milliards de la dette. Ce n'est pas beaucoup. Le Canada n'attirerait-il pas davantage les investisseurs étrangers et ne vous serait-il pas plus facile de gérer la politique monétaire si nous réduisions davantage notre endettement?

M. Dodge: Je vous remercie, sénateur, de votre question. Je ne pourrai pas y répondre complètement, je vous l'ai dit, sur le plan monétaire et, comme vous ne manquerez pas de vous en apercevoir, je ne peux plus le faire sur le plan budgétaire.

Le sénateur Oliver: Vous venez de dire pourtant dans votre exposé d'aujourd'hui que vous étiez en relation avec les provinces et le gouvernement fédéral et que vous coordonniez votre action avec ceux-ci en matière de politique budgétaire.

M. Dodge: Bien sûr, nous le faisons. Je vais tout d'abord revenir un instant sur cette coordination, puis nous parlerons de l'avenir.

Certes, la conjoncture a été très dure pendant la plus grande partie des années 90, mais la population canadienne peut être fière de ce que nous avons réussi tous ensemble à obtenir au cours de cette période en réduisant les déficits, tant au niveau fédéral que provincial. Il faut bien voir qu'au début des années 90, le déficit fédéral combiné à celui des provinces était de près de 8 p. 100 du PIB. Nous avons désormais des excédents de l'ordre de 2 p. 100 et plus du PIB. Je souligne que cet effort a été mené, non seulement par le gouvernement fédéral, mais aussi par les gouvernements provinciaux. Nous nous sommes sortis de la situation délicate dans laquelle nous nous trouvions au début des années 90. Nous avons donc beaucoup progressé.

Quant aux relations que j'ai indiquées, je m'entretiens souvent, pas nécessairement toutes les semaines, mais au moins trois ou quatre fois par mois, avec le ministre des Finances. Depuis que je suis gouverneur, je suis entré en contact avec trois ministres provinciaux des Finances et, lorsque j'aurai la possibilité de me déplacer dans tout le Canada, je me mettrai en contact avec les autres.

Le personnel de la Banque reste étroitement en contact avec le ministère des Finances et, bien évidemment, avec les principaux ministères provinciaux. Nous entretenons des relations étroites puisqu'il est important, c'est bien certain, que chacun des responsables des politiques budgétaires et financières agisse en fonction de ce que font les autres. Ce dialogue a une immense importance et nous le poursuivons à tous les niveaux de la Banque.

Lorsqu'on regarde l'avenir, ce qui est important, dans 10 ou 15 ans, lorsque certains d'entre nous n'auront plus beaucoup de cheveux et ne feront plus partie de la population active, c'est que nous allons entrer dans une période pendant laquelle une plus grande part de notre population ne travaillera plus.

En prévision de cette période, il importe que tous les gouvernements règlent la question de l'endettement public que nous ont laissé les années 70 et 80, mais sans le faire nécessairement d'un seul coup. Il est important qu'au cours des 10 ans à venir les gouvernements, dans toute la mesure du possible, continuent à réduire leur niveau d'endettement. Bien évidemment, cela va alléger la tâche des responsables de la politique monétaire lorsqu'il s'agit de lutter contre l'inflation. Nous avons effectivement besoin de politiques concertées face à l'inflation. C'est la raison de l'entente passée entre le gouvernement et la Banque du Canada pour ce qui est des cibles retenues en matière d'inflation.

Le sénateur Oliver: Est-ce que la politique actuelle permet de réduire l'endettement de manière suffisamment rapide pour répondre à vos préoccupations concernant le contrôle de la politique monétaire?

M. Dodge: Sénateur Oliver, je pense qu'il est important que nous saisissions les possibilités qui s'offrent en période de forte croissance économique. Le gouvernement devrait en profiter pour continuer à accélérer la réduction de la dette. Cela ne veut pas dire que, chaque année, l'endettement doit être réduit exactement du même montant, mais il faut par contre que des progrès soient réalisés tout au long du cycle économique. Des progrès considérables ont d'ailleurs été faits lors du présent cycle. Je m'attends à ce que des progrès considérables soient faits à l'avenir.

Il n'y a pas de montant précis que l'on puisse assigner à la réduction de la dette. De toute évidence, la fiscalité et la structure des dépenses du gouvernement, dont je ne suis plus responsable, sont de la plus grande importance.

Le sénateur Oliver: À l'heure actuelle, nous consacrons autour de 42 milliards de dollars par an au seul remboursement des intérêts de la dette. Vous semblez vous disposer à réduire les taux d'intérêt. Si cette politique devait changer et si les taux d'intérêt devaient augmenter de 75 points de base, quelles seraient les conséquences sur le montant que nous devons rembourser annuellement au titre du service de cette dette, si nous ne la réduisons pas plus rapidement que nous le faisons actuellement?

M. Dodge: Il serait préférable, sénateur, que vous posiez cette question aux responsables de la politique budgétaire. Nous nous sommes efforcés, au cours des sept ou huit dernières années, d'allonger les échéances de nos remboursements.

Vous vous souviendrez qu'au début des années 90, nous avions une structure de prêts à court terme étant donné que nous venions de passer par une période de taux d'intérêt élevés et que nous ne voulions pas nous endetter à long terme. Nous avons rallongé considérablement ces périodes de remboursement au fil des années. Par conséquent, le gouvernement du Canada, et d'ailleurs les gouvernements de la plupart des provinces, ne sont pas aussi exposés qu'il y a sept ou huit ans à une augmentation des taux d'intérêt à court terme.

La volatilité de ces dépenses sur l'endettement public, qui était terriblement élevée à la fin des années 80 et au début des années 90, a été considérablement réduite. Chaque année, à la fin du document budgétaire, on fait état de cette sensibilité. Elle était de 2,5 milliards de dollars pour chaque point d'intérêt supplémentaire; elle est aujourd'hui de 0,8 milliard de dollars.

Je ne me porte pas garant de ces chiffres à la virgule près. Voilà quelle a été, toutefois, la stratégie. Comme vous le savez, on publie chaque année un rapport stratégique concernant l'endettement. C'est une bonne stratégie même si, compte tenu du fait que les taux d'intérêt sont faibles à l'heure actuelle, d'aucuns affirment qu'elle est peut-être superflue. Elle est toutefois d'une importance cruciale et elle signifie que nous sommes moins exposés.

Le sénateur Kroft: Monsieur Dodge, je vous souhaite moi aussi la bienvenue. En assumant votre poste, vous vous inscrivez dans une longue lignée d'éminents serviteurs de l'État. Je suis absolument convaincu que vous ne manquerez pas de suivre cette tradition avec bonheur.

Ma question porte, comme on pouvait s'y attendre, sur le taux de change avec le dollar des États-Unis. Différents spécialistes qui ont comparu récemment devant notre comité, et en particulier votre prédécesseur, ont eu tendance à rapprocher les fluctuations du dollar canadien des prix des matières premières, des taux d'intérêt relatifs et d'autres éléments dont on pouvait tirer une relation de cause à effet.

Nombre de ces éléments, notamment l'excellente santé de notre économie, auraient dû limiter ces répercussions et nous donner des raisons d'être plus optimistes au sujet du dollar canadien. Toutefois, la faiblesse chronique du dollar semble devoir se poursuivre. J'ai pris note de vos observations et je sais bien que nous parlons d'une faiblesse relative par rapport au dollar des États-Unis et non pas des devises des autres pays avec lesquels nous commerçons. Bien évidemment, l'économie américaine revêt une telle importance pour nous que sa devise a sur nous des conséquence qu'aucune autre devise ne peut avoir.

J'aimerais que vous nous parliez davantage de la faiblesse chronique du dollar canadien par rapport à celui des États-Unis. Compte tenu de l'énorme importance de cette question pour notre population ainsi que pour les entreprises canadiennes, est-ce que l'on peut s'attendre à ce que cette tendance se poursuive? Peut-on penser qu'elle va s'infléchir?

Pour ne pas avoir à intervenir à nouveau, je vais vous poser une deuxième question. Pouvez-vous nous dire quelles sont les répercussions de cette situation sur la productivité et l'économie canadienne et si l'industrie des services et les fabricants au Canada ne s'abritent pas derrière un dollar faible pour exporter?

M. Dodge: C'est un sujet terriblement important et, comme vous pouvez le penser, il occupe une bonne partie de mon temps et de celui de M. Knight, comme ce fut le cas aussi pour mes prédécesseurs.

J'ai revu tout d'abord le témoignage de Gordon Thiessen il y a un an. Je souscris tout à fait à ses déclarations. Les prix des matières premières, et notamment ceux des autres secteurs que celui de l'énergie, sont importants.

Lorsqu'on revient 30 ou 40 ans en arrière, on constate qu'il est tout à fait exact, que l'on examine les choses à vue d'oeil ou que l'on ait recours à des modèles économétriques, que les prix des matières premières, indépendamment de celui de l'énergie, ont joué un rôle important dans les fluctuations de la monnaie canadienne.

Certes, nous produisons et nous échangeons aujourd'hui davantage d'autres produits, mais le commerce des matières premières, le secteur énergétique y compris, est encore de l'ordre de 15 p. 100 du PIB. Cela reste un facteur. La faiblesse des prix de la pâte à papier, vous en êtes certainement bien conscient, sénateur, ne facilite pas la tâche de certaines régions de notre pays.

Nous avons fait de gros efforts au Canada, vous l'avez dit, pour nous placer dans une situation bien plus favorable. On aurait pu penser et espérer que, notre situation s'étant améliorée, la monnaie canadienne se serait appréciée vis-à-vis de celle des États-Unis.

Je ne peux pas totalement expliquer cette situation. Le principal facteur, cependant, c'est qu'en soi la devise des États-Unis, à une époque pleine de turbulences financières - depuis la crise du peso de 1995, à laquelle a suivi la crise asiatique de 1997 - a servi de refuge aux capitaux du monde entier, tout d'abord sur le marché des valeurs mobilières puis, lorsque les tensions se sont accentuées, sur les marchés à rendement fixe. Nous ne sommes pas les seuls à être touchés par ce phénomène, mais nous le ressentons davantage parce que nous sommes voisins des États-Unis. C'est ce facteur qui a probablement joué le plus grand rôle, du moins depuis 1995, pour expliquer cet état de choses.

Est-ce que cela va se poursuivre? Disons qu'à long terme, si notre inflation reste faible, si nous restons dans la fourchette fixée en matière d'inflation, si nous menons des politiques budgétaires sages et si notre population sait faire preuve d'énergie pour investir et bien travailler au sein des entreprises canadiennes, on peut s'attendre à ce que la devise du Canada s'apprécie par rapport à la devise américaine. Les marchés fluctuent et parfois dépassent le point d'équilibre. Nous en avons vu de nombreux exemples. On ne peut pas prévoir en toute certitude quand les investisseurs individuels vont déplacer leur argent de manière à ce que nous puissions entrevoir une appréciation, ou plutôt la baisse de la valeur relative de la devise américaine par rapport aux autres monnaies. Je n'essaierai pas de vous fixer une date à ce sujet, je me contenterai de vous dire que la loi des grands équilibres, dans la mesure où nous maintenons notre inflation à un faible niveau, nous laisse penser que le dollar canadien va s'apprécier vis-à-vis de celui des États-Unis.

Quant aux répercussions sur la productivité, la question est difficile parce qu'il faut se demander: «pour qui?» Il est évident que pour une personne comme Ted Rogers, qui doit importer l'équipement dont il se sert dans son entreprise ainsi qu'une partie du contenu de ses programmes, la montée du dollar des États-Unis comparativement au nôtre est une bien mauvaise nouvelle qui l'oblige absolument à devenir plus productif.

Dans d'autres secteurs, la baisse du dollar canadien peut parfois compenser la baisse des prix des produits en termes réels, notamment pour ce qui est des matières premières non énergétiques. Il faut bien voir, cependant, que les entreprises canadiennes font d'immenses efforts non seulement pour rester à flot, mais aussi pour saisir des parts de marché dans leur secteur et pour exercer leur concurrence dans le monde. C'est cette volonté de croissance et d'excellence qui est à la base des gains de productivité. Par conséquent, si le changement de valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain se répercute sur certaines pressions et sur certains prix relatifs qui s'exercent dans différents secteurs, c'est à la base la volonté des Canadiens d'exercer leur concurrence et d'être les meilleurs qui détermine les gains de productivité.

Malcolm Knight, premier sous-gouverneur, Banque du Canada: J'ajouterai une chose au sujet de la croissance de la productivité et de ses implications.

Pour différentes raisons, l'économise des États-Unis s'est rétablie plus rapidement que la nôtre à la suite de la récession du début des années 90. Avant le milieu des années 90, elle a enregistré de fortes augmentations du total des investissements, notamment dans le secteur des machines et de l'équipement. Cela s'est doublé de gros progrès technologiques et d'une croissance très rapide de la productivité, qui se sont poursuivis tout au long des quatre ou cinq dernières années aux États-Unis. Cette poussée a été très forte relativement à celle de tous les autres pays. Il en est résulté une forte progression des profits aux États-Unis, ce qui a amené les investisseurs du monde entier à vouloir investir leurs capitaux dans ce pays. C'est l'une des raisons pour lesquelles le dollar des États-Unis, vous l'avez dit vous-même, sénateur, s'est apprécié par rapport à toutes les autres monnaies. D'ailleurs, lors du quatrième trimestre de l'année dernière, alors même que la croissance de l'activité économique ralentissait nettement aux États-Unis, la croissance de la productivité était encore de plus de 2 p. 100 par an. Ce pays a enregistré de très forts gains de productivité.

Nous aussi, nous avons enregistré ces quatre ou cinq dernières années une très forte augmentation de nos investissements, y compris dans les machines et l'équipement. Comparativement à bien d'autres pays, nous considérons que nous sommes en bonne posture pour enregistrer à l'avenir de plus forts gains de productivité.

Ajoutez à cela le fait que l'économie des États-Unis enregistre à l'heure actuelle un fort déficit des comptes courants par rapport au PIB - de l'ordre de 4 p. 100 - alors que nous avons un excédent. Ces facteurs devraient être favorables au dollar canadien à long terme.

Le sénateur Angus: Je souhaite la bienvenue au gouverneur Dodge et au sous-gouverneur Knight et je les félicite de leur nomination. J'espère que vous viendrez souvent nous faire part de votre point de vue au sujet de la conjoncture économique délicate qui est la nôtre. Il semble qu'elle évolue d'heure en heure.

Gouverneur, j'aimerais que nous parlions de la confiance des consommateurs, à laquelle vous vous intéressez de très près, je crois.

Pourriez-vous nous préciser ce que l'on entend par «confiance du consommateur» et la définition qu'en donnent les économistes et les spécialistes de la question.

M. Dodge: Les consommateurs ont un pouvoir discrétionnaire considérable pour ce qui est de la part de leur revenu qu'ils vont dépenser chaque année. Ils en ont moins que nous ne le souhaiterions, mais ils restent néanmoins considérables.

D'un strict point de vue économique, lorsque leur confiance est élevée, les consommateurs seront davantage enclins à dépenser une part plus élevée de leur revenu lors de l'année en cours. Si cette confiance est faible, ils placeront plus volontiers leur argent sous leur matelas ou à la Banque en attendant des jours meilleurs. Alors que les foyers de consommateurs dépensent habituellement quelque 92 ou 93 cents et n'épargnent que sept ou huit cents sur chaque dollar qu'ils gagnent, ils vont peut-être dépenser 96 cents à partir du moment où leur confiance est élevée. S'ils perdent confiance en l'avenir, ils ne dépenseront peut-être plus que 89 cents sur chaque dollar gagné. Il en résulte au bout du compte de fortes fluctuations de la demande.

Le sénateur Angus: On entend beaucoup parler ces temps-ci de l'indice de confiance du consommateur. Nous avons pris connaissance hier de rapports assez optimistes - surprenants même - concernant l'indice de confiance des consommateurs aux États-Unis - avons-nous ici au Canada - je pense que c'est le cas - un indice de confiance des consommateurs? Dans l'affirmative, en quoi consiste-t-il?

M. Knight: Je vais répondre à cette question.

Les indices calculés au Canada et aux États-Unis sont similaires. Celui du Canada s'intitule «indice des attitudes des consommateurs». Il a été publié au début du mois.

Il résulte d'un sondage. On y pose des questions comme celles-ci: estimez-vous que cette période est propice à l'achat de gros équipements? Pensez-vous que votre situation financière va s'améliorer ou empirer au cours des six prochains mois? Nous posons aux consommateurs une série de questions précises et, à partir de là, nous établissons ce que l'on appelle un «indice de confiance du consommateur».

Il évolue rapidement d'un trimestre à l'autre au Canada. Aux États-Unis, cet indice est mensuel. Nous avons enregistré une légère baisse de l'indice du premier trimestre au Canada, qui a été publié il y a quelques semaines. L'indice de confiance des consommateurs publié hier aux États-Unis a enregistré une légère amélioration, mais très supérieure à ce que le marché pouvait laisser entendre.

Ce sont des indices très volatiles. Tous deux restent à un niveau relativement élevé. Je vous le répète, nous avons enregistré une légère baisse au Canada. Par contre, les ventes au détail au Canada sont restées fortes. La demande de logement est forte, de même que la construction non résidentielle.

Il y a en ce moment des incertitudes, ce que reflète la fluctuation de ces indices.

Le sénateur Angus: Je crois savoir que les responsables de la Banque du Canada suivent l'indice canadien de confiance des consommateurs.

M. Dodge: Nous ne l'établissons pas, mais nous le consultons.

Le sénateur Angus: C'est un indice important pour vous?

M. Knight: Oui, en effet.

Le sénateur Angus: À l'heure actuelle, est-il en baisse au Canada, à votre avis?

M. Knight: Voilà deux trimestres qu'il est en baisse - le quatrième trimestre de l'année dernière et le premier trimestre de cette année. Je vous le répète, il reste élevé. C'est environ cinq points de plus... il se situe aux environs de 109 à l'heure actuelle. Ces chiffres n'ont pas une grande signification, mais c'est un peu plus de cinq points de plus que le niveau enregistré lorsque le taux de confiance des consommateurs était bas à la fin de l'année 1998, par exemple.

Le sénateur Angus: Ce que vous nous avez dit jusqu'à présent nous est utile. Vous avez déclaré dans votre exposé que l'orientation générale et la santé de notre économie étaient des éléments clés de votre mandat. Vous devez contribuer à la santé économique du pays et j'interprète essentiellement la chose comme étant l'obligation de maintenir un taux de confiance aussi élevé que possible.

J'ai entendu mes collègues vous interroger notamment sur la baisse du dollar canadien, sur l'endettement des consommateurs et sur la production automobile. Vous avez répertorié un certain nombre de produits dont la valeur est en baisse au Canada, notamment pour ce qui est des matières premières ne relevant pas du secteur de l'énergie.

Le ton de votre exposé, monsieur Dodge, m'a paru très optimiste. J'avais l'impression d'être privilégié, en tant que Canadien, en vous écoutant. Laissez-moi vous lire trois ou quatre manchettes qui ont paru ces derniers jours dans les journaux. «Les économistes nous avertissent que la population de l'Amérique du Nord s'endort au volant et court tout droit à la catastrophe», nous dit The Ottawa Citizen. «La baisse mine les marchés, les investisseurs perdent des milliards du fait de la chute du TSE et des autres marchés», nous précise l'Hamilton Spectator. Voici une autre manchette: «C'est le moment de se réveiller. Il est fini le temps où l'on pouvait dépenser sans compter, nous dit un économiste.» Enfin, on pouvait lire hier dans le Globe and Mail la manchette suivante: «Le pessimisme s'accroît chez les économistes».

Est-ce que nous nous sommes endormis au volant et courons-nous tout droit à la catastrophe? Je me rends bien compte qu'en partie, votre rôle consiste non seulement à contribuer à maintenir la croissance, mais aussi à ne rien dire qui risque de la miner. Je ne voudrais certainement pas vous obliger à me donner ce genre de réponse. Ce que je veux vous dire, c'est que les Canadiens s'endettent de plus en plus, et plus vite que n'augmentent leurs revenus. Toutes les statistiques semblent l'indiquer.

Je me demande tout simplement si l'économie canadienne ne serait pas actuellement plus fragile qu'on ne l'indique. Est-ce que la croissance future est davantage menacée que vous ne le dites aux Canadiens?

M. Dodge: Sénateur, je pense qu'il nous faut être clair. Notre rôle, à la Banque, est de dire les choses comme elles sont, sans fard. Je ne pense pas que quelqu'un d'entre nous ait cherché à cacher le fait que le réajustement en cours, qui a pris naissance au quatrième trimestre de l'année dernière, est plus brutal que les réajustements antérieurs. Nous pourrions en évoquer les raisons.

Notre performance générale ne sera pas bonne au premier trimestre de cette année et probablement lors du deuxième. Certaines régions de notre pays, en particulier le sud de l'Ontario, où sont concentrées l'industrie de l'automobile et celle de la production de l'équipement électronique et de communications, vont en ressentir bien plus durement les effets que la Nouvelle-Écosse, le Québec, l'Alberta ou même la Colombie-Britannique.

Nous n'avons pas cherché à le cacher. La perte d'un seul emploi fait mal, mais il est indéniable qu'un certain nombre de personnes vont perdre leur emploi dans ces secteurs.

Nous restons convaincus qu'à partir de l'été et de l'automne, nous retrouverons un bon rythme de croissance. Ce ne seront pas les 5 p. 100 de l'été dernier. Ce sera toutefois plus conforme à notre capacité de croissance à long terme, soit éventuellement de l'ordre de 3 à 4 p. 100.

C'est notre point de vue. D'ailleurs, les statistiques que l'on voit apparaître ne nous ont pas amenés à le modifier ces trois derniers mois. Certaines données sont un peu plus favorables, d'autres un peu moins, mais pour l'essentiel elles sont conformes aux prévisions.

Rien n'est garanti dans ce monde. Il n'est pas question pour M. Knight ou pour moi-même de venir ici nous porter garants de l'avenir, parce qu'il y a des incertitudes. Voilà comment devrait selon nous se passer les choses. La conjoncture sera difficile lors du premier semestre et la croissance reprendra par la suite.

M. Knight: J'aimerais rajouter une chose. La consommation représentant une très large part de l'ensemble des dépenses effectuées au sein de l'économie, il est bien sûr très important de la suivre de près. Il est important aussi que les politiques suivies cherchent à maintenir la confiance du consommateur. Si l'on examine la période récente, on constate que jusqu'au quatrième trimestre la croissance de l'emploi et des revenus disponibles réels des ménages a été forte.

De plus, les allégements fiscaux mis en place au début de l'année se répercuteront sur les dépenses des consommateurs. Par ailleurs, la baisse des taux d'intérêt, tant au Canada qu'aux États-Unis, incitera les consommateurs à acheter des biens durables.

Tous ces facteurs, en dépit des incertitudes actuelles, devraient contribuer à favoriser les dépenses des consommateurs à l'avenir.

[Français]

Le sénateur Poulin: À mon tour, j'aimerais vous féliciter, monsieur Dodge, et je vous remercie de vous présenter devant notre Comité des banques et du commerce si tôt après votre arrivée à la Banque du Canada. Comme vous le savez, vos prédécesseurs ont entretenu avec notre comité une solide relation de travail. Nous savons que vous allez poursuivre dans le même sens.

Ce matin, dans le Globe and Mail, il y avait un article extrêmement intéressant sur le fait que l'endettement personnel avait augmenté beaucoup chez les Américains. Pourriez-vous nous donner les statistiques canadiennes et nous parler de l'impact de l'endettement personnel sur la situation financière du pays?

M. Knight: Il est vrai que le ratio de la dette des ménages a augmenté graduellement depuis le début des années 90. Il est très intéressant de remarquer que, pendant toute cette période, il y a eu une réduction du ratio du service de la dette des ménages par rapport à leur revenu disponible. Le montant en termes de stock est un peu plus grand qu'il était au début des années 90. Le service de la dette, parce que les taux d'intérêt sont plus faibles qu'auparavant, est moins élevé. C'est-à-dire que maintenant, je crois que le ratio du service de la dette par rapport au revenu disponible des ménages est d'environ 9 p. 100. Au début des années 90, je ne me souviens pas exactement du montant, mais il était au-dessus de 10 p. 100.

[Traduction]

Le sénateur Poulin: Ce qui me préoccupe surtout, depuis que j'ai été appelée à siéger au Sénat, c'est le fossé grandissant qui semble se creuser entre les campagnes et les villes au Canada. Selon les chiffres que m'ont fournis Statistique Canada et l'OCDE, on peut dire sans crainte de se tromper que 33 p. 100 des Canadiens habitent dans ce que l'on appelle une «région».

J'ai comparé les statistiques concernant le chômage, la productivité et l'accès aux biens et aux services. Est-ce que ce fossé se creuse? Quelles en sont les répercussions sur la marche globale des finances du pays et quel est le rôle que doit jouer selon vous la Banque pour le réduire?

M. Dodge: Pour répondre à votre première question, sénateur, je n'ai pas les chiffres devant moi. Nous avons pu constater, toutefois, non seulement au Canada mais dans le monde entier, que la nouvelle économie fondée sur le savoir a dans un premier temps favorisé les grandes régions urbaines. Il en est ainsi dans toute l'Amérique du Nord. C'est certainement vrai pour l'Europe et je pense que c'est vrai pour la plupart des pays.

Il est intéressant de se demander si cette tendance va se poursuivre. Les communications s'améliorant et leurs coûts baissant fortement, il est de plus en plus facile de décentraliser certaines de ces activités axées sur le savoir. Dans un premier temps, elles se sont concentrées dans les centres urbains, mais il est possible maintenant qu'elles s'en éloignent. Je ne suis pas sûr que cette dynamique implique nécessairement que le fossé va continuer à se creuser à long terme.

La Banque a pour mission de fixer la politique monétaire en pensant à tous les Canadiens et non pas à un groupe donné. Il en résulte parfois des tensions lorsqu'une région du pays enregistre une croissance très rapide alors que d'autres ne bougent pas. C'est le principe même d'une union monétaire - on élabore une politique pour tous.

Nous avons un tout petit rôle à jouer pour réduire ce fossé, disons, par l'entremise de la politique monétaire. En établissant cette politique, toutefois, nous sommes éminemment conscients des différents niveaux d'activités enregistrés dans le pays, que ce soit entre les villes et les campagnes ou selon différentes régions.

Le sénateur Tkachuk: Je veux évoquer le décalage entre le dollar américain et le dollar canadien.

Selon un article publié par le National Post le 21 mars, vous avez terminé votre discours ce jour-là, monsieur Dodge, en affirmant que la faiblesse de notre dollar était susceptible de donner un coup de fouet à la croissance. On pourrait en conclure que nous ne serons pas obligés d'agir autant sur les taux d'intérêt, étant donné que ces deux éléments fixent les conditions de la croissance économique.

Selon ce raisonnement, un dollar à 60 cents ne serait-il pas encore meilleur pour notre économie?

M. Dodge: La valeur du dollar canadien comparativement au dollar des États-Unis n'est qu'un prix de référence. Il n'y a pas de «juste prix», mais un prix qui permet d'équilibrer les transactions d'un côté et de l'autre des frontières nationales. Je confirme ce que j'ai dit à Montréal, mais cela ne signifie absolument pas que je considère qu'un dollar faible est une bonne chose et un dollar élevé une mauvaise. D'ailleurs, si la valeur du dollar canadien baisse relativement à celle du dollar des États-Unis, en réalité, comparativement à l'ensemble des devises du monde, cette baisse n'est pas aussi prononcée. Toutefois, si cette valeur change, il y aura effectivement des répercussions sur les prix des produits à la consommation ici même au Canada et, au bout du compte, sur l'indice global des prix.

Par conséquent, lorsque la valeur du dollar canadien baisse, étant donné notre politique, qui reste de maintenir l'augmentation des prix à la consommation dans une fourchette de l'ordre de 2 p. 100, il en résulte que nous avons éventuellement une marge de manoeuvre plus faible lorsqu'il s'agit de réduire les taux d'intérêt pour maintenir un niveau d'activité économique conforme à la capacité de croissance à long terme de notre pays. C'est ce que j'essayais de montrer. Je n'ai pas eu la possibilité, dans mon allocution de Montréal, de l'expliquer avec autant de détails qu'ici.

Le sénateur Tkachuk: Ce qui est inquiétant, c'est que ce n'est pas la première fois que les gouverneurs de la Banque du Canada viennent témoigner devant le Comité des banques et répondre aux questions des journalistes. Je ne devrais pas le dire, mais ces derniers en sont presque venus à penser que la situation, face au dollar américain, est sans remède. En fait, la valeur de notre dollar est en baisse depuis les années 70 comparativement au dollar américain, et même s'il y a eu quelques légères fluctuations à la hausse ou à la baisse, dans l'ensemble il a perdu du terrain. Le dollar américain est fort. Nous avons des frontières communes et c'est en fait une simple ligne qui sépare nos deux pays - le 49e parallèle. Nous partageons les mêmes ressources et nous avons en commun tellement de choses avec les Américains que l'on ne peut comparer notre situation à celle de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Bangladesh, etc. Quelles sont les politiques que peut adopter la Banque pour que notre dollar s'apprécie? Que peut faire la Banque si la situation de notre dollar vis-à-vis du dollar américain s'aggrave? Que pouvons-nous faire? Que peut faire la Banque?

M. Dodge: Selon les manuels économiques, sénateur, nous pourrions faire grimper les taux d'intérêt à un tel niveau que tous, partout dans le monde, chercheraient à acheter des biens libellés en dollars canadiens de façon à obtenir un rendement plus élevé.

Selon la théorie économique, il pourrait bien y avoir un effet à long terme. Cela s'est d'ailleurs déjà produit à l'occasion.

À la base, notre situation va s'améliorer avec le temps en raison de tous les efforts que nous faisons depuis des années. Nous devons contenir l'inflation, augmenter notre productivité et réaliser le plein emploi. Comme l'a fait remarquer le sénateur Oliver, nous avons certainement ramené notre endettement net vis-à-vis de l'étranger à un niveau qui n'est pas loin maintenant des faibles niveaux enregistrés au début des années 50.

Tout cela est de bon augure à long terme. À très court terme, les mouvements de capitaux font fluctuer toutes les monnaies. M. Knight a signalé tout à l'heure que les déplacements de capitaux, en provenance de tous les pays, qui ont été investis aux États-Unis, ont fait grimper la valeur du dollar américain vis-à-vis de l'étranger.

Toutes les devises ont fortement baissé par rapport au dollar des États-Unis depuis 1995. Je prends 1995 car c'est l'année de la crise du peso, et nous avons eu plusieurs crises internationales depuis lors. Notre devise vaut aujourd'hui quelque 64 cents des États-Unis. En 1995, le franc français valait 20 cents des États-Unis; il vaut 14 cents aujourd'hui. En 1995, il fallait 70 cents pour acheter un mark; il n'en faut plus que 45 aujourd'hui. Il fallait 85 cents pour acheter un franc suisse; il en faut 58 aujourd'hui. Il fallait 1,07 $ pour acheter cent yens japonais; il suffit de 82 cents des États-Unis aujourd'hui.

En réalité, notre monnaie a moins fluctué vis-à-vis du dollar des États-Unis et a moins baissé que les autres devises. Il est important de signaler que ce sont les placements de capitaux faits aux États-Unis qui ont créé cette situation.

Le sénateur Tkachuk: Je peux comprendre que l'on place son argent aux États-Unis plutôt qu'en France, évidemment plutôt qu'au Japon et bien sûr plutôt qu'en Allemagne de l'Ouest à l'heure actuelle, étant donné les difficultés économiques dues à la réunification avec l'Allemagne de l'Est. Vous nous dites que la Banque ne peut pas faire grand-chose. Y a-t-il quelque chose que le gouvernement du Canada puisse faire pour renforcer la valeur du dollar? Sommes-nous sans recours?

M. Dodge: L'exemple est très intéressant. Prenons le cas des pays que vous mentionnez. Lorsqu'en 1989, l'Allemagne de l'Ouest a pris en main la situation de l'Est, lors de cette période très difficile...

Le sénateur Tkachuk: Excusez-moi. Je ne dispose que de 10 minutes. Ce que je voulais savoir, c'est ce que le gouvernement du Canada peut faire pour soutenir le dollar canadien par rapport au dollar américain.

M. Dodge: À long terme, le gouvernement du Canada peut faire ce qu'il a fait jusqu'à présent, et il en va de même pour les gouvernements provinciaux. En l'occurrence, ces deux paliers de gouvernement peuvent essayer de renforcer le réseau de production de notre pays en agissant sur l'enseignement, en investissant comme il se doit dans nos infrastructures, etc. Ils peuvent y parvenir en s'assurant qu'à tous les niveaux, fédéral et provincial, nos finances publiques sont, comme l'a dit le sénateur Oliver, excédentaires. Il est très important d'enregistrer des excédents au cours des dix ans à venir. Les gouvernements peuvent renforcer la valeur du dollar en continuant à veiller, comme ils le font actuellement, à ce qu'il n'y ait pas de dérapage au niveau de la structure et du montant de nos impôts.

Nous sommes sur la bonne voie. Nous faisons ce qu'il faut, et je ne parle pas seulement du gouvernement fédéral. Tous les Canadiens et pratiquement tous leurs gouvernements ont uni leurs efforts pour remédier à la situation.

Le sénateur Setlakwe: Je vous félicite pour votre nomination. J'apprécie votre optimisme au sujet du dollar. J'ai entendu dire que nous pouvions faire ce que nous voulons, notre dollar continuera à baisser parce que nous n'attirons plus les investissements en capitaux.

M. Dodge: Je pense qu'on a entendu dire bien des choses, sénateur Setlakwe. La valeur du dollar canadien par rapport à celle du dollar des États-Unis est le résultat d'un équilibre.

M. Knight l'a dit tout à l'heure, ces cinq dernières années, nous avons été en présence, soit d'un marché très dynamique des valeurs mobilières aux États-Unis, soit d'une forte turbulence sur les marchés internationaux des devises. Les investisseurs se sont donc rabattus sur le dollar des États-Unis pour chercher à se protéger.

Franchement, je ne crois pas que ce que vous avez entendu soit une bonne explication des choses.

Le sénateur Setlakwe: Je suis heureux de l'entendre.

Le sénateur Kelleher: Je vais moi aussi vous féliciter. Je ne vous demande pas de commenter la chose, mais j'imagine que vous n'avez pas versé trop de larmes lorsque vous avez quitté votre ancien poste de sous-ministre au ministère de la Santé.

Il y a aussi un autre problème. À mesure que l'on avancera sur la liste des sénateurs appelés à vous interroger, vous allez être victime de ce que l'on appelle ici les «pêcheurs en eau trouble».

M. Dodge: Ce n'est pas votre cas, sénateur?

Le sénateur Kelleher: Il ne reste pas beaucoup de questions à poser. Je vais quelque peu m'éloigner des sujets traités jusqu'ici et passer à autre chose.

Depuis 1986, le gouvernement fédéral a pris l'habitude, et je pense qu'il n'y a pratiquement aucune exception, de présenter un budget en février, suivi du dépôt des prévisions de dépenses. Vous connaissez parfaitement la procédure. Les parlementaires et la population canadienne savaient donc combien on avait perçu d'impôts et comment l'argent allait être dépensé.

Cette année, nous n'avons pas de budget. Nous nous fions à un énoncé économique rédigé alors que notre économie tournait à pleine capacité, ou à peu près. Pouvez-vous nous préciser dans quelle mesure l'absence de budget et le fait de ne pas savoir quels sont nos engagements en matière de dépenses, s'il va y avoir un excédent ou un déficit, influent sur le rôle de la Banque?

M. Dodge: Sénateur Kelleher, le budget avait principalement pour but de faire état des mesures fiscales ou des engagements de dépenses supplémentaires qui allaient être pris lors de l'exercice à venir. Bien évidemment, la Banque fait de son côté ses propres estimations concernant les perspectives budgétaires, tant pour le Canada que pour les provinces, parce que c'est un facteur très important pour notre économie.

Le gouvernement a annoncé l'automne dernier le régime fiscal s'appliquant à l'année en cours.

Nous savons sur quelle base estimer nos recettes. Pour ce qui est des dépenses, nous nous en tenons aux estimations qui ont été publiées et aux nouvelles annonces qui peuvent être faites. Par conséquent, cela n'a pas beaucoup d'incidence sur notre capacité d'intervention.

Le sénateur Kelleher: Il a bien fallu cependant faire davantage d'hypothèses qu'en temps normal dans ce genre de situation. N'est-il pas préférable d'agir en ayant un maximum de certitude?

M. Dodge: C'est marginal, et je vous le dis en toute sincérité, sénateur. Nous disposons des principaux paramètres dont nous avons besoin pour accomplir notre tâche et, dans la mesure où rien ne change par la suite, nous pouvons parfaitement faire notre travail à partir du budget des dépenses et des énoncés d'octobre.

Le sénateur Kelleher: Quels sont les événements qui, selon vous, nous obligeraient à déposer un budget?

M. Dodge: Je crois que M. Martin a déclaré qu'il allait publier une mise à jour qui, dans une large mesure, aura un lien avec ce que nous faisons en permanence. Nous nous efforçons d'évaluer les incidences de l'évolution de l'économie sur la situation budgétaire du gouvernement, et de là l'influence qu'exerce à son tour le gouvernement sur les consommateurs et les autres agents de l'économie afin d'évaluer, notamment, ce qui risque de se passer au sujet de l'inflation.

Nous n'avons pas vraiment souffert de l'absence de «budget» en février. Enfin, il y a une grande vérité que je n'ignore pas, c'est que la politique budgétaire ne change pas du jour au lendemain, au niveau fédéral comme à celui des provinces. Nous sommes en présence d'un ralentissement relativement soudain et brutal, qui sera suivi par une reprise relativement rapide. Il est presque impossible qu'une politique budgétaire discrétionnaire ait des effets. C'est la structure des dépenses et de la fiscalité qui, à longue échéance, servira de cadre à l'amélioration de la productivité des Canadiens.

Le sénateur Banks: Le sénateur Tkachuk a manqué de temps alors qu'il vous demandait de citer les différentes mesures que pourrait prendre le gouvernement pour renforcer la valeur du dollar. Pourriez-vous faire son bonheur en rajoutant la rubrique «remboursement de la dette» à sa liste.

M. Dodge: J'ai dit au sénateur qu'il me paraît assez utile qu'au cours de la décennie nos gouvernements mettent en oeuvre un programme mesuré de remboursement de la dette publique. Toutefois, d'une année sur l'autre, il faut faire preuve d'une certaine prudence. Il n'y a pas de formule stricte qui ferait que tout va pour le mieux si l'on rembourse 10 milliards de dollars par an et que rien ne va plus si l'on ne rembourse que 8 milliards de dollars par an. La réalité est autre.

Les responsables de la politique monétaire et de la politique budgétaire cherchent à améliorer les conditions de vie et la situation économique des Canadiens. Le dollar est un des facteurs à prendre en compte à l'intérieur de ce système et ses effets sont très importants.

Les responsables de la Banque s'efforcent de maintenir la stabilité du pouvoir d'achat de ce dollar canadien en faisant en sorte que l'inflation reste faible et prévisible. Les responsables de la politique budgétaire doivent s'assurer que la structure des dépenses et de la fiscalité favorise une croissance de la productivité.

Le sénateur Banks: Vous avez déclaré dans votre exposé que pour que notre économie tourne bien, il faut que de manière générale les gens aient confiance dans notre monnaie et considèrent qu'elle va conserver sa valeur.

M. Dodge: Effectivement.

Le sénateur Banks: Pouvons-nous dire aujourd'hui aux Canadiens qu'ils devraient avoir confiance dans leur monnaie et que celle-ci va conserver sa valeur?

M. Dodge: Ils peuvent être tout à fait sûrs que d'une année sur l'autre, l'inflation va rester à la base de 2 p. 100 et qu'à long terme, l'IPC global va progresser de quelque 2 p. 100. Ils peuvent avoir absolument confiance sur ce point. C'est notre tâche. C'est l'engagement sur lequel se sont entendus le gouvernement canadien et la Banque du Canada et, comme je vous l'ai dit, il nous faut renouveler cet engagement.

Les détails précis de cet engagement seront définis bien avant la fin de l'année. C'est toutefois dans cette voie que nous nous sommes engagés et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour ne pas nous écarter de notre objectif.

Le sénateur Banks: Nous pouvons donc transmettre un message de confiance.

Je vais maintenant changer complètement de sujet. Vous avez évoqué les déplacements d'argent à l'échelle internationale. On ne peut qu'admirer tous ces gens qui gagnent de l'argent en spéculant sur les devises au niveau international. Il est arrivé cependant que des économies entières soient ruinées après avoir été ainsi attaquées.

Entre parenthèses, mais au cas où les spéculateurs s'en prendraient à la monnaie canadienne, que pensez-vous plus particulièrement du principe de la «taxe Toban» qui est une taxe, si je comprends bien, sur la spéculation s'appliquant aux monnaies à l'échelle internationale? Pensez-vous que si elle voyait le jour, le Canada devrait chercher à signer une telle convention internationale?

Le sénateur Meighen: Cette taxe n'a rien à voir avec Brian Tobin, n'est-ce pas?

Le sénateur Banks: Non, absolument pas. Ça s'écrit différemment.

M. Knight: Je vais répondre à cette question.

Depuis 1950, le Canada a eu le plus souvent des taux de change flexibles. L'évolution en faveur des taux de change flexibles nous a permis d'être pratiquement le premier pays, derrière les États-Unis, à supprimer les contrôles sur les flux de capitaux. Notre pays en a retiré un énorme profit.

Notre politique monétaire est claire et, comme l'a déclaré le gouverneur, elle vise à maintenir l'inflation à un niveau faible et stable, ce qui implique un taux de change flexible. Les pays qui sont en proie aux attaques des spéculateurs ont souvent des taux de change fixes et ils éprouvent des difficultés à maintenir la confiance dans ces taux. Plusieurs pays européens ont éprouvé ces problèmes au début des années 90. On les retrouve actuellement dans un ou deux pays d'Amérique latine. Comme vous l'avez indiqué, la Malaisie, l'Indonésie et d'autres pays les ont éprouvés en 1997 et en 1998.

Avec des capitaux aussi mobiles partout dans le monde, il n'est pas facile de maintenir un système de taux de change rigide. Ce n'est pas notre cas et nous considérons que notre système fonctionne bien pour cette raison même.

Le sénateur Banks: Vous nous déconseillez de souscrire à cette taxe? La taxe Toban n'interdit pas la spéculation sur les monnaies, elle ne fait que la taxer.

M. Knight: Si l'on en juge par le passé, à partir du moment où nous menons une politique monétaire nous permettant de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable, et où cette politique est crédible, il est peu probable que nous nous retrouvions dans la situation que vous indiquez et que notre monnaie soit la proie des attaques des spéculateurs.

Alors que notre production et nos finances sont en train de s'intégrer étroitement à l'économie de l'ensemble de l'Amérique du Nord, il ne paraît pas judicieux de mettre du sable dans les rouages financiers dont se servent les entreprises pour produire et échanger leurs marchandises.

Le sénateur Meighen: Pour faire suite à la question posée par le sénateur Angus, qui vous a demandé quelle était à la base votre définition de l'expression «confiance du consommateur», je vais vous demander comment vous définissez l'expression «réserve de valeur.» Je m'explique.

Dans le cours d'économie 101 à l'Université McGill, on m'a enseigné que le dollar servait de moyen d'échange et de réserve de valeur. Bien sûr, le dollar canadien est un moyen d'échange dans notre pays, mais nulle part ailleurs à ma connaissance.

Pouvez-vous me dire ce que signifie vraiment l'expression «réserve de valeur»? Si l'on considère simplement la valeur de notre dollar comparativement à celle de la devise de notre énorme partenaire commercial, cette valeur a eu tendance à baisser et non à augmenter ces dernières années, comme l'ont signalé un certain nombre de sénateurs. Est-ce que cette réserve de valeur est moindre aujourd'hui?

M. Dodge: Nous nous sommes engagés à maintenir le niveau de l'inflation à 2 p. 100, ce qui signifie qu'en tant que réserve de valeur, notre dollar d'aujourd'hui va nous permettre d'acheter 98 cents de biens et de services l'année prochaine. Ce sera environ 96 cents l'année suivante, et ainsi de suite.

Le sénateur Meighen: Est-ce au Canada?

M. Dodge: Je me réfère à l'ensemble des produits que consomment les Canadiens.

Le sénateur Meighen: Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre. Il faudrait que je dépense cet argent au Canada pour avoir ce pouvoir d'achat de 98 cents, n'est-ce pas? Si je cherchais à le dépenser aux États-Unis, ce ne serait plus 98 cents, c'est bien ça?

M. Dodge: Nous considérons l'ensemble des biens et des services qu'un Canadien consomme en moyenne au cours d'une année. C'est le panier des biens et des services qui nous sert à établir les prix.

Le sénateur Meighen: Le Globe and Mail du 19 mars a publié une observation de Peter Morici, je crois, de l'Institut de stratégie économique, qui se trouve à Washington. Selon cet intervenant, la réserve fédérale des États-Unis fait de gros efforts, mais la politique monétaire n'a qu'une marge limitée vers le haut et les responsables ont fait tout ce qu'ils pouvaient faire.

Au Canada, un conseiller du ministre des Finances, Paul Martin, a déclaré qu'à partir de maintenant, c'est la politique monétaire qui devait donner le ton. J'imagine que ces deux commentateurs laissent entendre que c'est à vous de jouer. Excusez-moi si je généralise trop, mais vous semblez nous dire qu'à partir du moment où c'est vous qui menez la barque, nous devons nous attendre à ce que l'inflation reste faible et que l'on poursuive la politique budgétaire de réduction de l'endettement. Autrement dit «ne changeons pas de cap» et, à moins de catastrophe, tout devrait bien se passer et la conjoncture devrait s'améliorer étant donné que notre situation est saine à la base. Ai-je raison de dire cela?

M. Dodge: Oui, vous avez certainement raison. En prenant l'inflation comme cible, nous pouvons mieux orienter notre politique monétaire. Lorsque nous commençons à tourner à pleine capacité ou lorsqu'il y a une poussée des prix au Canada, nous recevons alors le signal de durcir notre politique et d'essayer de maintenir la progression de la demande à un rythme que nous pouvons absorber. Cela nous permet d'éviter une explosion des prix.

Lorsque la demande augmente bien moins rapidement que la capacité de production, comme c'est le cas depuis le quatrième trimestre de l'année dernière, nous recevons un signal en conséquence, de manière à ce que le Canada puisse atteindre son objectif de 2 p. 100 en matière d'inflation. Il nous faut alors assouplir la politique monétaire afin de stimuler un peu plus la demande.

Par conséquent, le fait de cibler l'inflation permet effectivement à la Banque d'orienter sa politique monétaire. Lorsque la demande ne suit plus la capacité de production, nous comprenons qu'il nous faut abaisser les taux, et c'est pourquoi ils ont diminué de 75 points depuis les deux dernières fois où nous nous sommes réunis pour les fixer.

Le sénateur Meighen: Cela m'amène à la question suivante, qui aborde un domaine qui n'a pas encore été évoqué. Vous faites des gorges chaudes des gouvernements qui réduisent la dette publique. Est-ce bien raisonnable? Personne ne parle de mettre davantage d'argent dans la poche des consommateurs. Pour augmenter la demande, on peut réduire les taux d'intérêt, mais on peut aussi mettre davantage d'argent aux consommateurs.

Comme nous l'a dit le ministre des Finances, l'une des façons d'y parvenir est de réduire la fiscalité. N'êtes-vous pas d'accord pour que l'on réduise le niveau de la fiscalité pour que le consommateur ait davantage d'argent et que la demande augmente? Est-ce là une façon logique de procéder?

M. Dodge: Tout d'abord, la forte réduction d'impôts dont ont bénéficié les Canadiens à compter du 1er janvier 2001 ne pouvait tomber mieux. Elle arrive certainement à point.

De manière générale, que ce soit au niveau des dépenses ou des recettes, il est difficile de jouer sur les chiffres pour affiner les mesures visant à donner un coup de fouet à l'économie, que ce soit en ce qui concerne les investissements ou la consommation. En règle générale, les gouvernements se sont efforcés d'y parvenir en se dotant d'une structure appropriée de recettes et de dépenses favorisant la croissance à moyen terme. C'est d'une très grande importance.

Peter Morici a fait observer qu'il fallait éviter de trop jouer avec les chiffres à court terme. Si les responsables mènent une bonne politique monétaire, tout se remettra en place jusqu'à un certain point. Il faut se garder d'intervenir à court terme au moyen de la politique budgétaire.

Le sénateur Meighen: Je vous comprends. Toutefois, je vous ai aussi entendu dire tout à l'heure que les deux choses étaient liées - les politiques budgétaires et monétaires. Il est nécessaire de les coordonner.

M. Dodge: En effet.

Le sénateur Meighen: Nous avons tous apprécié que vous répondiez à nos questions avec franchise et sans faire de difficultés. Toutefois, votre bureau, passez-moi l'expression, a la réputation de «ne pas se mouiller» lorsqu'il fait une déclaration. Votre homologue des États-Unis ne prend pas tant de précautions.

M. Greenspan s'est lancé très franchement dans le débat. Ce n'est pas lui qui prend les décisions en droit, mais il a bien laissé entendre qu'à son avis il serait bon d'accorder des réductions d'impôts. Il a fait savoir qu'il était favorable à cette mesure.

Je ne cherche pas à vous piéger et à vous faire dire ce que vous ne voulez pas dire, mais ne pensez-vous pas que si jamais vous estimiez qu'une réduction d'impôts devait être une bonne chose pour l'économie de notre pays, vous auriez l'obligation de le faire savoir?

M. Dodge: Sénateur, je considère qu'il est de la plus haute importance que le gouverneur de la Banque centrale s'en tienne à ce qui est son métier. Nous sommes prêts à soutenir qu'il est important d'avoir une fiscalité favorisant l'efficacité et la croissance économiques. Je ne connais personne qui va s'opposer à cela.

Je vous le répète, les réductions d'impôts annoncées l'automne dernier et celles qui l'ont été depuis un certain temps par un certain nombre de provinces, facilitent énormément les choses. Bien évidemment, dans la mesure où les gouvernements parviendront à réduire le service de la dette au cours des dix ou quinze ans à venir, ils auront une plus grande marge de manoeuvre pour réduire les impôts et consentir des dépenses en faveur de ceux d'entre nous «grisonnants ou complètement chauves» qui vont représenter une plus grande part de la population. C'est d'une extrême importance. Cela donne confiance aux gens, qui ont le sentiment que tout est bien administré.

Je n'occupe plus mes fonctions antérieures et je ne viens pas vous parler ici de fiscalité. Nous avons d'ailleurs organisé un certain nombre de séances sur cette question autour d'une table comme celle-ci. Je m'occupe désormais de la politique monétaire et je m'en tiendrai à cela.

Le sénateur Meighen: C'est aussi le cas de M. Greenspan, et j'espère que vous suivrez son exemple.

Le président: Gouverneur, presque tout le monde a une autre question à poser. Si nous finissons à 18 heures, ça vous convient?

M. Dodge: Oui.

Le président: Je demanderai à chacun de ne poser qu'une seule question, parce qu'il faut cinq minutes par question, ce qui nous donne 45 minutes supplémentaires.

Vous n'êtes d'ailleurs pas obligés de poser une question.

Le sénateur Oliver: Ma question porte sur l'inflation. L'une des choses qui m'inquiète au sujet de votre intervention, c'est que vous nous dites pour l'essentiel que toute votre politique monétaire se ramène à la lutte contre l'inflation. Je trouve cela très surprenant.

Vous nous dites que les moyens de contrôle de l'inflation qui vont être au coeur de votre politique en tant que gouverneur sont les mêmes que ceux dont se servait le gouverneur précédent. Vous ajoutez que la politique actuelle se poursuivra jusqu'en 2001 et que bien avant la fin de l'année vous allez annoncer la teneur de la nouvelle entente pour la période qui s'étend au-delà de l'année 2001.

J'ai toujours eu le sentiment que les gouverneurs de la Banque du Canada étaient obsédés par l'inflation au détriment de bien d'autres paramètres importants de notre économie. Qui aurait-il de mal, par exemple, à ce qu'il y ait une inflation de 4 p. 100 dans l'économie canadienne? Qu'en résulterait-il pour l'emploi et le taux de chômage? Pourquoi êtes-vous si obnubilé par cette fourchette de 1 à 3 p. 100 concernant le taux d'inflation?

M. Dodge: Je vais commencer par vous répondre et mon collègue prendra la suite pendant que j'irai chercher une tasse de café, c'est le prix à payer pour que je reste jusqu'à 18 heures.

C'est l'ancrage de notre politique pour plusieurs raisons, sénateur. Tout d'abord, sur le long terme, pour que les marchés financiers, et en fait tous les marchés, jouent efficacement leur rôle de répartition des biens et des services et entraînent cette forme de croissance de la productivité qui débouche sur la croissance des revenus de chacun d'entre nous, il faut que l'on puisse utiliser avec confiance, pour reprendre la terminologie du sénateur Meighen, cette unité de compte, qui doit être effectivement un bon étalon de référence et non pas une mesure élastique. Nous avons pu observer par le passé et dans différents pays ce qui se passe lorsqu'on perd cette confiance. Ce n'est pas beau à voir. Nous n'avons d'ailleurs qu'à nous remémorer ce qui s'est passé dans notre propre pays au cours des années 70.

Le sénateur Oliver: Que reprochez-vous à un taux d'inflation de 4 p. 100?

Le président: Une seule question seulement.

M. Dodge: Quel est le chiffre que l'on doit retenir? Zéro, 2 p. 100, 4 p. 100, 22 p. 100?

Je vous répondrai que le chiffre le plus proche de zéro est probablement le meilleur. On peut toujours discuter pour savoir si par «très proche de zéro» on entend un, deux ou deux et demi pour cent. Ça peut toujours se discuter. Nous avons procédé à des études très précises sur la question. Nous rencontrerons très prochainement le gouvernement pour en discuter.

Il est évident par ailleurs que l'incertitude augmente lorsqu'au lieu de réduire l'inflation on se fixe des objectifs plus élevés. N'oubliez pas qu'au départ nous parlions «d'objectif de réduction de l'inflation». Un certain nombre d'autres pays qui avaient jusque-là des taux d'inflation élevés s'efforcent de les faire baisser. Ces taux élevés causent une grande incertitude.

Pour qu'il y ait le moins d'incertitude possible, il faut se fixer un objectif peu élevé et s'en tenir à cet objectif. Y a-t-il une grande différence entre un, un et demi, deux et deux et demi pour cent d'inflation pour ce qui est de la qualité des résultats et du fonctionnement des marchés? Il est probable que non. Lorsqu'on en arrive à des taux d'inflation un peu plus élevés, même s'ils sont encore loin d'être à deux chiffres, les résultats enregistrés dans le monde ne sont peut-être pas aussi favorables. Mon collègue est le spécialiste de la situation mondiale.

M. Knight: Je ne pense pas pouvoir ajouter grand-chose à ce que vient de dire le gouverneur. Je ferai une ou deux observations.

Il ne s'agit pas d'une obsession au sujet des prix. Nous n'avons qu'un seul instrument de politique et nous ne pouvons donc atteindre qu'un seul objectif à long terme à l'aide de notre politique monétaire. Nous sommes garants de la stabilité de notre monnaie vis-à-vis de la population canadienne.

Les familles moyennes font des projets d'économies à long terme. Elles doivent prévoir le coût des études de leurs enfants ainsi que leur retraite. Si elles n'ont pas confiance dans la valeur de l'argent ainsi économisé en prévision de l'avenir, il leur est difficile de faire ce genre de projets.

Une inflation faible et stable est la condition essentielle d'un bon rendement économique en termes réels. Il y a moins de confusion pour prendre les décisions économiques.

Comme l'a indiqué le gouverneur, il ne s'agit pas d'établir des distinctions entre différents taux d'inflation de faible niveau. Nous avons vu au Canada, au cours des années 70 et 80, que des taux d'inflation élevés avaient tendance à devenir instables. Je dois dire, après avoir travaillé dans un grand nombre de pays, que ceux qui ont des taux d'inflation élevés et instables enregistrent une faible croissance économique à long terme. Nous ne voulons pas de cette situation.

Le sénateur Kroft: Ma question s'adresse à la fois à MM. Dodge et Knight, en tant qu'économistes aussi bien qu'au titre des fonctions qu'ils occupent actuellement. Je suis étonné par les formules que vous employez. Le terme «soudain» revient souvent.

J'ai regardé pendant deux heures la comparution de M. Greenspan devant un comité du même type. Dans mon esprit, et souvent, je pense, dans l'esprit du public, «soudain» a une signification très proche de celle du mot «surprise». Je ne sais pas s'ils sont synonymes. C'est peut-être la façon pour un économiste d'indiquer sa surprise.

Ma question porte sur les méthodes. Étant donné la puissance de l'informatique et toutes les stratégies de recueil de l'information auxquelles nous recourons aujourd'hui, on pourrait penser que nous saurons mieux appréhender les événements. Nous devrions pouvoir mieux prévoir puisque nous savons recueillir, organiser et étudier les données.

Est-ce que nos modèles ont suffisamment progressé? Est-ce que vous pensez pouvoir faire de meilleures prévisions aujourd'hui par rapport à la situation qui régnait il y a cinq, dix ou vingt ans? Faisons-nous de meilleures prévisions? Si c'est le cas, les décisions que nous prenons en conséquence devraient être plus fiables.

J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

M. Dodge: Je vais commencer et je laisserai ensuite le plus dur à mon collègue.

Parlons tout d'abord du terme «soudain». Lors des précédents ralentissements, les changements enregistrés au niveau des ventes et des commandes ont pris un certain temps pour entraîner des changements de la production et de l'emploi. Au cours des années 70 et 80, ou lors de la récession du début des années 90, nous avons pu voir qu'en dépit de la chute des ventes et des commandes, les entreprises ont mis un, deux, trois ou quatre mois pour réagir et pour commencer à ajuster leur production. Il leur a fallu encore plus de temps pour ajuster leur niveau d'emploi. Lors d'un retournement de conjoncture, la baisse s'accompagnait de gros excédents de stocks qu'il fallait un certain temps pour résorber.

Les récessions avaient tendance, pour reprendre une formulation actuelle, à être en forme de «U» ou même de banane. Aujourd'hui, nous savons que les entreprises réagissent plus rapidement. Si le sénateur Angus ne rentre pas chez Wal-Mart pour acheter, cela se reflète immédiatement au niveau des commandes passées par Wal-Mart chez ses fournisseurs. Les fournisseurs, dès qu'ils s'aperçoivent d'une baisse de ces commandes, réagissent bien plus rapidement en réduisant les heures de travail de leurs employés ainsi que leurs stocks de pièces et de matières premières.

La période d'ajustement a été considérablement resserrée. Tout se passe très rapidement. Ces changements prennent très facilement les gens par surprise.

En second lieu, les grosses sociétés et les responsables des services financiers, de même que les petites entreprises, sont bien plus conscients aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 15 ou 20 ans de la nécessité d'un rajustement rapide pour maintenir les marges. D'ailleurs, nombre de nos collègues économistes qui agissent en qualité d'analystes sur le marché des valeurs mobilières punissent tout PDG ou tout chef des services financiers qui ne réagit pas avec une extraordinaire rapidité.

Nous pensions tous il y a 18 mois qu'un certain rajustement serait nécessaire. Lorsqu'un rajustement survient, il semble se faire très rapidement.

Je vais prendre l'exemple de l'automobile. Nous avons subi un net rajustement des stocks d'automobiles en janvier et en février 2001. On peut espérer, en fait, que le cycle de reconstitution des stocks sera considérablement plus court que par le passé.

Nous assistons pour les mêmes raisons à un rajustement pénible et rapide des fournisseurs de l'industrie des télécommunications. C'est ce que j'entends par «soudain».

Par contre, lorsque le sénateur Angus entre chez Wal-Mart pour faire ses achats, la commande est immédiatement transmise au fournisseur, qui augmente la production. Les effets se font immédiatement sentir tout au long de la chaîne, et c'est pourquoi nous sommes nombreux à dire que ce rajustement va vraisemblablement être en forme de V plutôt que de prendre la forme traditionnelle d'un U.

Nous parlons de rajustement «soudain» pour des raisons bien précises. Cela s'explique par ce que nous croyons être un phénomène nouveau au sein de l'économie.

Après avoir répondu à la question facile, je vais demander à mon collègue d'aborder la question plus difficile.

M. Knight: Je pense que le gouverneur vient de définir l'expression «réserve de valeur» comme étant le lieu où le sénateur Angus peut trouver une quantité de choses à acheter.

La question est excellente. Elle se pose à nous tous les jours. Nous considérons qu'en menant une politique de prix stables depuis 1991, nous avons contribué à rassurer les entreprises et les ménages canadiens au sujet de la stabilité de leur monnaie. Cela contribue à leur donner une plus grande certitude concernant leurs revenus et leurs biens à l'avenir. C'est un facteur qui permet d'être plus certain de l'avenir.

Parallèlement, le gouverneur l'a dit, nous vivons dans un monde où l'innovation est constante et très rapide, non seulement sur les marchés financiers et dans la haute technologie, mais même dans les secteurs qui sont traditionnellement considérés comme étant faiblement techniques. La gestion des stocks est devenue beaucoup plus efficace qu'il y a quelques années seulement.

Des incertitudes fondamentales en résultent, et les banques centrales doivent essayer d'en évaluer les conséquences. Nous devons évaluer les répercussions sur la demande, la production et l'emploi. La tâche n'est pas facile.

Nous disposons de nombreux modèles, que nous étudions avec soin. Ils nous aident, mais étant donné que la structure de l'économie change du fait de toutes ces innovations, les modèles ont du mal à suivre. Certes, l'objectif de la politique monétaire est clair, il nous permet effectivement d'avoir davantage de certitude et de prendre de meilleures décisions économiques, mais les mécanismes d'élaboration de la politique monétaire sont complexes. Ils le sont particulièrement dans une période comme la nôtre. Nous sommes passés par une période de croissance assez forte et régulière pendant quelques années. Aujourd'hui, il semble que la situation évolue et tout le monde doit en réinterpréter les conséquences.

Le sénateur Tkachuk: Gouverneur, je ne voulais pas vous couper la parole lorsque vous m'entreteniez de toutes ces autres questions, mais nous ne disposons que de 10 minutes et je tenais à ce que vous m'expliquiez ce que le gouvernement pouvait faire pour contrer la chute du dollar.

Les gouverneurs précédents de la Banque du Canada nous ont donné les mêmes explications - notre économie est solide et les grands équilibres sont bons - mais le dollar continue à baisser. Nos gouvernements font tout ce que vous préconisez, et pourtant notre dollar ne cesse de perdre de la valeur. J'ai mes propres explications, mais elles importent peu ici. Pendant tout ce temps, le dollar a baissé et la Banque du Canada s'est contentée de nous dire que nous avions de nombreuses questions à traiter et qu'il se rétablirait tôt ou tard.

Quand allez-vous commencer à vous inquiéter au sujet du dollar? Faudra-t-il qu'il tombe à 60 ou à 59 sous? Nous sommes habitués maintenant au seuil de 60 cents, auparavant c'était celui de 70 cents. Est-ce que la Banque va être obligée de prendre des mesures ou est-ce que vous vous dites que tout ce que l'on pouvait faire a été fait et qu'il faut le laisser descendre? Quand allez-vous vous inquiéter?

M. Dodge: Les États-Unis enregistrent un déficit des comptes courants de quelque 4 p. 100 du PIB, et bien des gens dans le monde s'en inquiètent. Leur endettement net vis-à-vis de l'étranger est passé à environ 13,7 p. 100 de leur PIB. S'ils continuent à ce rythme, ils vont atteindre un seuil au-delà duquel un certain nombre de pays, y compris le Canada, ont éprouvé de grandes difficultés. S'il n'y a pas de rétablissement dans ce secteur, nous craignons qu'à l'avenir se produise une rectification d'une telle ampleur du dollar des États-Unis que nous aurons tous bien du mal à l'absorber.

J'ai peur que le dollar des États-Unis prenne une telle valeur par rapport à la monnaie de tous ses partenaires commerciaux, Canada y compris, que les ajustements nécessaires aux États-Unis ne se fassent pas. De nombreuses pressions politiques pourraient en fait survenir aux États-Unis, qui seraient très préjudiciables à l'économie mondiale dans son ensemble. C'est pourquoi les producteurs des États-Unis ne sont plus concurrentiels sur les marchés mondiaux du fait de la valeur extrêmement élevée du dollar américain.

Je m'inquiète pour l'avenir de voir que la plus grande économie du monde enregistre un aussi gros déficit de ses comptes courants et soit aussi tributaire de l'afflux de capitaux en provenance de l'étranger sans procéder aux rajustements devant permettre aux producteurs des États-Unis de s'adapter en conséquence.

À l'échelle mondiale, et après tout nous sommes des citoyens du monde que nous le voulions ou non, nous n'avons pas peur que cette économie s'effondre du jour au lendemain. La situation pourrait toutefois être inquiétante en l'absence de rajustements.

Pour ce qui est de la politique nationale, il faut bien avouer que personne chez nous ne se plaignait de la position du Canada avant la crise du peso mexicain alors que nous étions à 73 ou 74 cents. La crise du peso nous a fait baisser d'un cran. La crise asiatique nous a fait baisser d'un autre cran et il nous faut bien dire que chaque fois la baisse est marquée. Tout cela n'a rien à voir en fait avec ce que ressentent et ce que vivent les Canadiens dans leur vie de tous les jours - la productivité individuelle, la satisfaction dans le travail, etc.

Nous n'avons certainement pas à nous réjouir de voir que pendant cette période de crises internationales, il semble que nous soyons restés «le bec dans l'eau» et que nous ne nous en soyons pas encore remis.

Il est absolument faux de penser que nous nous réjouissons de cette situation. Il y aurait un prix à payer si nous portions les taux d'intérêt à 12 ou 15 p. 100 pour faire affluer des capitaux à court terme. Il faudrait payer en termes d'emploi et de croissance économique, et je ne pense pas que nous soyons prêts à le faire. Je ne suis d'ailleurs même pas sûr que ça donnerait des résultats.

[Français]

Le sénateur Poulin: Ma question est plus personnelle, mais pas indiscrète. Un mot qui revient souvent dans la discussion d'aujourd'hui est «confiance». On peut comprendre, grâce à vos explications, la complexité du développement d'une bonne politique monétaire pour atteindre vos objectifs.

Vous avez été sous-ministre au ministère des Finances et au ministère de la Santé - ce sont des ministères qui soulèvent beaucoup de préoccupations chez les Canadiens et les Canadiennes -, vous occupez maintenant le poste de gouverneur de la Banque du Canada où il y a deux écoles de pensée concernant son autonomie. Nous savons bien que notre bateau vogue sur une mer moins calme qu'il y a une dizaine d'années. Nous vivons une situation moins facile et les Canadiens et les Canadiennes veulent avoir confiance, autant en la Banque du Canada qu'en notre gouvernement fédéral. Il y a un besoin et un désir. En tant que gouverneur, quelle sera votre relation de travail avec le gouvernement? Comment allez-vous diriger votre personnel pour travailler avec le gouvernement?

M. Dodge: Nous sommes tous interdépendants, que ce soit la Banque du Canada avec le gouvernement du Canada, avec les provinces du Canada et les autres banques centrales, avec les communautés des affaires, ici au Canada ou la communauté des affaires internationales. Il y a une vraie interdépendance et cela veut dire que nous devons avoir une liberté dans les échanges d'idées. Il est absolument nécessaire que je puisse dire franchement notre opinion et que mes collègues de la Banque du Canada puissent faire exactement la même chose.

Si on n'essaie pas de colorer les choses, et que nous avons une discussion franche et intensive, on peut arriver à une meilleure politique soit monétaire, fiscale, économique ou sociale. C'est de cette façon que j'espère procéder. Je suis absolument certain que mes collègues feront de même.

[Traduction]

Le sénateur Angus: Gouverneur, ma question se rapporte plus ou moins au problème de la confiance, et le sénateur Poulin en a elle aussi parlé. J'aimerais vous ramener un instant au monde de l'exubérance irrationnelle. Que vous le vouliez ou non et que vous soyez ou non d'accord avec vos prédécesseurs dans vos fonctions et ailleurs, il m'apparaît qu'il y a un lien très direct entre la politique monétaire et les marchés financiers. Jamais encore nous n'avions vu l'indice de confiance des consommateurs progresser, comme il l'a fait hier aux États-Unis, de huit points. Le Dow a grimpé de 260,3 points. La confiance des consommateurs-investisseurs était à son plus haut. Voilà qu'aujourd'hui, à midi, on a déjà reperdu plus que ce que l'on avait gagné hier.

Il y a de quoi avoir peur. Je suis sûr que je ne vous apprends rien de nouveau. Un fort pourcentage de Canadiens, bien supérieur à ce qu'il était avant, placent leur argent sur les marchés. Ils investissent dans les fonds communs de placement. Nous pouvons tous voir ce qui se passe.

Parlant de confiance et pour revenir à la politique monétaire que vous préconisez, quel est le lien aujourd'hui, à votre avis, entre les marchés et la politique monétaire? Y a-t-il quelque chose que vous pouvez faire pour nous épargner cette folle chevauchée?

On s'attendait à ce que les responsables de la politique monétaire baissent les taux de 50 points. M. Greenspan décrète une baisse de 50 points au lieu de 75 et le marché perd 300 points. Ça dépasse l'imagination. Des fortunes sont rayées d'un trait de plume et la population s'effraie.

M. Dodge: C'est une bonne question, sénateur Angus, et j'aimerais pouvoir moi aussi vous donner une bonne réponse. Tout ce que je peux vous dire, c'est que les banques centrales, les autorités monétaires et les responsables de la réglementation se posent tous la même question.

Ces 10 dernières années, il y a eu un développement considérable de nouveaux instruments financiers, une énorme réduction du coût des transactions sur les marchés et une multiplication de l'information mise en temps réel à la disposition d'un très grand nombre d'agents économiques. Les marchés, au niveau microéconomique, sont devenus bien plus efficients. Le coût des transactions a baissé et l'information est beaucoup plus disponible.

Nous pourrions renvoyer la balle aux professeurs du sénateur Meighen à McGill, et il n'est même pas sûr qu'à McGill on ait toutes les réponses. Nous avons toujours su que les marchés fonctionnaient mieux avec une meilleure information. Nous avons vu que l'amélioration de l'efficacité au niveau microéconomique se répercute en termes de volatilité au niveau macroéconomique. On a enregistré une plus grande volatilité d'un jour à l'autre, et d'une semaine à l'autre, tout au long de cette période.

C'est la première fois que nous voyons un gros marché, ayant une grande profondeur, comme celui de New York, progresser de 3 ou 4 p. 100 dans un sens un jour donné pour rétrocéder de 3 à 4 p. 100 le lendemain. Nous avions déjà enregistré auparavant des crashes de 3, 4 ou 10 p. 100. Jamais, cependant, nous n'avions été en présence d'une telle volatilité d'un jour à l'autre.

Je pense que de nombreux responsables, et M. Knight pourra répondre mieux que moi sur ce point, sont aux prises avec ce problème particulier. Ce n'est pas tout à fait l'exubérance irrationnelle dont vous parliez qui a poussé le NASDAQ à plus de 5 000. Toutefois, cette volatilité est assez déconcertante, vous l'avez dit.

La plupart des actions détenues par les Canadiens le sont indirectement dans le cadre de régimes d'épargne contractuels. La plupart des gens, pas tous, sont des épargnants. Ils mettent de l'argent de côté en prévision de l'avenir, soit d'un avenir proche pour acheter une maison, soit d'un avenir lointain pour prendre leur retraite. Ils ne sont pas vraiment inquiets de ce qui se passe d'un jour à l'autre. Si vous l'êtes, vous n'êtes probablement pas sur le bon marché. Nous avons d'ailleurs d'excellentes obligations d'épargne du Canada qui vous permettent d'éviter cette volatilité.

En grande partie, tout cela s'équilibre à long terme. Les dépenses de consommation des ménages sont restées relativement insensibles à cette situation en dépit de tout ce que peuvent dire nos amis de Wall Street et de Bay Street. Dans la vie réelle, les dépenses restent relativement insensibles à ces fluctuations.

Les dépenses sont sensibles aux attentes concernant l'emploi et les revenus. Dans la mesure où ces bouleversements des marchés se traduiront par de fortes baisses d'emploi ou de revenus, il y aura des conséquences.

Le sénateur Setlakwe: Vous avez bien évoqué, gouverneur, les crises monétaires ayant découlé de l'affaiblissement du peso et de ce qui s'est passé en Asie. Si une telle chose devait se reproduire, est-ce que nous réagirions comme nous l'avons fait les deux dernières fois ou est-ce que nous ferions quelque chose pour stabiliser notre monnaie à partir du moment où nous sommes touchés?

M. Dodge: Je vais laisser à mon collègue le soin de vous répondre plus particulièrement sur le Japon, parce que la relation entre le yen, le dollar U.S. et aujourd'hui l'euro, représenté jusqu'alors par le Deutschmark, est un peu différente de celle que l'on trouve entre des monnaies de deuxième niveau comme la nôtre ou comme le dollar australien, ou encore entre les devises des marchés émergents et le dollar américain. M. Knight connaît bien le problème et sera mieux à même de vous répondre.

M. Knight: Voilà dix ans que le secteur financier japonais éprouve de grosses difficultés structurelles. De nombreuses tentatives de restructuration ont avorté.

Au printemps et au cours de l'été 1999, le yen s'est très fortement apprécié par rapport au dollar américain et aux autres devises. Il ne semble pas vraiment y avoir eu d'effet de «domino» sur les autres pays. Au cours du dernier mois à peu près, le yen s'est fortement dévalué par rapport aux autres devises. C'est le reflet, à n'en pas douter, des incertitudes qui existent au sein de l'économie.

Dans ce cas précis, le problème vient en partie du fait que l'activité économique est faible depuis un certain temps. Voilà trois ans que le gouvernement s'efforce de stimuler l'économie avec de fortes incitations budgétaires. Le niveau d'endettement public est donc très élevé et cette stratégie semble avoir montré ses limites. La situation n'est pas facile pour ce qui est des politiques macroéconomiques susceptibles d'être mises en oeuvre. Des mesures structurelles sont nécessaires.

Dans nombre d'autres économies que vous avez mentionnées, les problèmes ont porté surtout sur les systèmes bancaires et financiers. Des analyses indépendantes effectuées, par exemple, par le Fonds monétaire international, ont montré que le Canada avait un système financier qui pouvait être considéré comme l'un des mieux réglementés et des meilleurs au monde. Les crises que vous évoquez ont tendance à affecter les pays ayant de gros problèmes structurels, notamment dans ce secteur.

Le sénateur Kelleher: Lorsque la croissance est négative pendant deux trimestres consécutifs, on parle traditionnellement de récession. Sommes-nous actuellement en récession, est-ce que nous nous approchons dangereusement d'une récession ou est-ce que les définitions «traditionnelles» de ce terme ne s'appliquent plus à une économie qui fluctue considérablement?

M. Dodge: Il s'agit d'une définition arbitraire que les économistes utilisent en fait déjà depuis longtemps. C'est une définition aussi bonne qu'une autre. Nous ne sommes pas en récession à l'heure actuelle.

Le sénateur Kelleher: Est-ce que nous risquons de tomber dans une récession?

M. Dodge: Le premier semestre de l'année va être difficile pour les Canadiens, mais nous ne pensons pas que la croissance sera négative. Je vous le répète, nous sommes plutôt optimistes pour le second semestre de l'année.

Nous avons enregistré un taux de croissance annuel relatif d'environ 2,5 p. 100 au quatrième trimestre. Nous ferons probablement un peu moins bien au premier trimestre de cette année, mais pas beaucoup moins. Nous nous situerons probablement dans cette fourchette et nous nous maintiendrons à partir de là.

On ne doit jamais dire «jamais» dans notre domaine. Toutefois, si vous nous demandez vraiment notre avis, nous devons vous répondre par la négative.

Le président: Je vais vous poser une question au nom du sénateur Banks.

Allan Greenspan était un bon joueur de saxophone professionnel. Gouverneur Dodge, est-ce que par hasard vous jouez du saxophone?

M. Dodge: Non, pas du tout. Ça ne serait pas beau à entendre.

Le sénateur Meighen: Gouverneur, ma question porte sur l'objectif fixé pour la lutte contre l'inflation. Je pense que vous avez parlé il y a un instant de devises du deuxième niveau. Comment définissez-vous une «devise de deuxième niveau»? Je n'ai pas bien compris.

M. Dodge: Il y avait trois grandes devises dans lesquelles s'exerçait une grande partie du commerce: le yen, le dollar des États-Unis et le Deutschmark, qui a désormais été remplacé par l'euro. Un certain nombre d'autres devises importantes ne se situent pas à ce premier niveau et l'on retrouve au sein de cette catégorie le dollar canadien et la livre britannique.

Le sénateur Meighen: J'ai une question à poser au sujet de la lutte contre l'inflation.

Le président: C'est une deuxième question.

Le sénateur Meighen: J'ai précisé que ma question portait sur l'objectif fixé en matière de lutte contre l'inflation. Gouverneur, quelles sont les conditions qui vous autoriseraient, ou qui vous inciteraient, à viser une fourchette plus proche de 3 p. 100 dans vos négociations avec le gouvernement? Autrement dit, de changer l'objectif médian actuel, qui se situe autour de 2 p. 100? Le sénateur Oliver vous a posé une question similaire. Qu'est-ce qui pourrait vous faire adopter cette position?

M. Dodge: C'est une question qui concerne les analystes. Vous savez que selon certaines analyses, il serait préférable de se fixer un objectif plus proche de 3 p. 100 alors que, selon d'autres, il conviendrait plutôt de se rapprocher d'un objectif de 1 p. 100. Un biais est toujours possible dans le calcul de l'indice des prix à la consommation, de sorte que cela correspond peut-être davantage en fait à un taux d'inflation égal à zéro. Nombre d'analystes vont d'ailleurs vous dire qu'effectivement, c'est zéro qu'il faut viser.

Ce sont là des questions techniques assez complexes. Il est bien normal que l'on engage un débat technique. Toutes les banques centrales cherchent à ne pas trop s'éloigner d'une inflation zéro. Lorsqu'on examine l'ensemble des objectifs qui ont été fixés, on peut voir qu'ils s'insèrent pour la plupart dans la fourchette de 1 à 3 p. 100. Par conséquent, un objectif de 2 p. 100 n'est pas une mauvaise solution. Un et demi pour cent, ça ne devrait pas être mauvais non plus mais, à partir de trois, je ne crois pas, si j'en crois d'abord notre expérience ainsi que les résultats des études techniques, que la solution soit là.

Le sénateur Angus: Gouverneur, est-ce que vous pensez que la mondialisation des marchés des biens et des capitaux, qui s'est accélérée et qui est bien réelle aujourd'hui, a eu d'importantes répercussions sur l'exercice de votre mandat. Nous avons vu que l'économie des États-Unis était particulièrement forte de ce point de vue et il apparaît qu'à l'échelle mondiale de nombreux pays sont susceptibles d'éviter une récession en raison de la force de l'économie américaine. La situation inverse m'inquiète, cependant - si cette récession tant redoutée se précise aux États-Unis, est-ce que cela va aussi plonger dans la même situation des pays comme le nôtre, qui ont une économie saine? Quelles sont les répercussions sur vos fonctions?

M. Dodge: La forte demande en provenance des États-Unis a bien aidé le Canada lorsque nous avons cherché à sortir des difficultés rencontrées au cours des années 90. Il est indéniable qu'elle a été particulièrement bénéfique pour un certain nombre d'économies asiatiques, pour le Mexique et pour certains pays de l'Amérique latine. Il n'est pas question de le nier. Si la demande intérieure des États-Unis ralentit, ce sera un facteur négatif.

Parallèlement, on ne peut s'attendre à ce que les États-Unis continuent à enregistrer des déficits de l'ordre de 4 p. 100 de leurs comptes courants. Ce n'est pas soutenable à long terme. La demande intérieure va-t-elle être suffisamment forte dans le reste du monde pour absorber la diminution relative, à mon avis indispensable, du rôle des États-Unis en tant que moteur de la croissance?

Nous considérons que nous avons fait le nécessaire au Canada pour être en mesure de l'absorber. En fait, de tous les pays ayant d'importantes relations commerciales avec les États-Unis, nous sommes probablement le mieux placé pour y parvenir. Nous entretenons d'étroites relations commerciales avec les États-Unis et, par conséquent, nous aurons éventuellement beaucoup de choses à faire.

La situation ne sera pas facile pour certains pays asiatiques qui produisent justement beaucoup de matériel: circuits imprimés, puces, etc. L'Europe est mieux protégée parce qu'une part relativement plus faible de son économie dépend de ses échanges avec les États-Unis.

Il est évident que nous sommes bien mieux en mesure aujourd'hui de faire face à un ralentissement de la demande des États-Unis qu'il y a seulement trois ou quatre ans. Toutefois, est-ce que cela va nous handicaper? Est-ce que cela va handicaper d'autres pays? Il n'y aurait pas de quoi se réjouir.

Le président: Je vous remercie. Au nom du comité, je tiens à remercier sincèrement le gouverneur du Canada et le premier sous-gouverneur de leur excellente prestation. Nous avons apprécié votre gentillesse et votre disponibilité et j'espère vous revoir très prochainement.

Le comité lève la séance.

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