Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 7 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 29 mars 2001
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-17, Loi modifiant la Loi sur les brevets, se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous entendrons aujourd'hui des témoignages sur le projet de loi S-17,Loi modifiant la Loi sur les brevets. Notre premier témoin sera M. McGlynn, du Régime d'assurance des enseignantes et des enseignants de l'Ontario.
M. Randy B. McGlynn, président-directeur général, Régi me d'assurance des enseignantes et des enseignants de l'Ontario: Je tiens à remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant lui aujourd'hui pour exprimer la position du Régime d'assurance des enseignantes et des ensei gnants de l'Ontario au sujet du projet de loi S-17.
Fondé en 1977 par cinq groupes affiliés qui représentent les enseignantes et les enseignants de l'Ontario, l'OTIP/RAEO s'adresse exclusivement aux employés provinciaux du secteur de l'enseignement. Nous offrons tout un éventail de prestations, de produits d'assurance et de services financiers spécifiquement destinés à répondre aux besoins des plus de 110 000 employés de l'enseignement en Ontario, actifs ou retraités.
Nous craignons que le projet de loi S-17 ne contribue à l'augmentation en flèche du coût des médicaments d'ordonnance, que doivent assumer les patients, les gouvernements provinciaux et les régimes d'assurance comme l'OTIP/RAEO, à cause de la prolongation des brevets visant les médicaments d'origine et de l'ajournement du régime de concurrence à la suite de l'abrogation des dispositions d'exception concernant l'emmagasinage.
Il y a deux semaines, l'Institut canadien d'information sur la santé signalait que les dépenses en médicaments d'ordonnance avaient presque quintuplé au Canada au cours des 15 dernières années, et qu'on évalue à 11,4 milliards de dollars les sommes dépensées par les Canadiens en médicaments prescrits en 2000, alors qu'ils n'en dépensaient que 2,6 milliards en 1985.
Il est évident qu'il faut faire quelque chose pour maîtriser ces coûts. Nous sommes conscients que ce projet de loi a pour objet de donner suite à deux décisions de l'OMC. Nous reconnaissons que le gouvernement du Canada doit se conformer à ses obligations de commerce international. Nous sommes simplement venus vous demander de profiter de la modification de la Loi sur les brevets pour apporter d'autres changements afin de contrer les effets des ces amendements sur le coût des médicaments.
Le prix astronomique des médicaments d'ordonnance est en train de provoquer des iniquités sociales dans le système de soins de santé au Canada. Il est connu que six millions de Canadiens n'ont pas d'assurance adaptée pour rembourser les médicaments délivrés sur ordonnance. En permettant ce genre de chose, le gouvernement ne reconnaît pas l'importance thérapeutique des médicaments de prescription dans le traitement et la prévention des maladies. Il est évident que la modification de ce texte de loi est l'occasion de mettre davantage d'argent à la disposition des Canadiens et des Canadiennes pour acheter des médicaments,sans qu'il en coûte plus au gouvernement. Le rôle des pharmacothérapies dans le système de soins de santé est très important pour limiter le recours aux médecins et aux hôpitaux financés par le gouvernement.
Il convient de réfléchir aux répercussions de l'augmentation en flèche du prix des médicaments sur les entreprises privées canadiennes. On s'attend à ce que le coût de l'assurance médicaments offerte aux employés dans le cadre de leurs régimes négociés d'avantages sociaux augmente de 80 p. 100 au cours des cinq prochaines années. Les salaires, eux, ne devraient progresser que de 10 à 12 p. 100. Les employeurs vont-ils continuer de financer ces programmes ou vont-ils en répercuter les coûts sur les employés, sous la forme d'une réduction de la couverture d'assurance médicaments ou d'une augmentationdes franchises ou encore par l'imposition d'un système de coassurance? Pire encore, les gens pourraient ne plus être en moyen de se payer les médicaments de prescription dont ils ont besoin. Je soutiens qu'aucune de ces solutions ne serait bonne ni pour les travailleurs, ni pour leurs familles.
Nous craignons que le projet de loi S-17 ne s'inscrive dans le prolongement d'un mouvement juridique et réglementaire amorcé au cours des 15 dernières années, qui a contribué à l'escalade des prix des médicaments délivrés sur ordonnance au Canada. Certains d'entre vous auront peut-être lu l'article paru dans le Globe and Mail samedi dernier, au sujet de ces audiences. Je pense que la situation y est fort bien résumée. D'ailleurs, j'en ai joint une photocopie à mon mémoire pour que vous puissiez le lire.
Le Règlement sur les médicaments brevetés, adopté en 1993, accordait automatiquement aux fabricants de médicamentsd'origine le droit d'empêcher Santé Canada d'approuver des médicaments génériques moins coûteux, pendant une période de deux ans suivant le dépôt du brevet. Les sociétés productrices de médicaments de marque ont abusé de cette injonction automati que et lancé de nombreuses procédures juridiques en vertu de ce règlement, même si leur cause n'était pas fondée. Il est vrai que deux années supplémentaires sans concurrence, si ce n'est plus, peuvent se traduire par des millions de dollars de bénéfices additionnels. J'attire votre attention sur le fait que ces bénéfices supplémentaires proviennent essentiellement de la poche des Canadiennes et des Canadiens qui travaillent dur pour gagner leur vie. N'oublions surtout pas les familles canadiennes qui ne peuvent se permettre d'acheter les médicaments dont elles ont besoin pour se soigner.
L'Association canadienne des fabricants de produits pharma ceutiques, qui représente l'industrie du médicament générique au Canada, est venue déclarer à votre comité, la semaine dernière, qu'il y a maintenant plus de 200 causes devant les tribunaux en vertu du règlement, et que les retards occasionnés par ces causes ont coûté plus de 300 millions de dollars en frais de médicaments supplémentaires aux Canadiens. Pire encore, il arrive que des laboratoires empêchent les médicaments génériques de pénétrer sur le marché en vertu des dispositions relatives à l'amélioration continue des produits, même s'il ne s'agit que de modifications minimes.
À cause de ce règlement, l'arrivée de médicaments moins chers sur le marché est maintenant synonyme de procédures juridiques longues et coûteuses, dont le seul objet est de prolonger le monopole des grands laboratoires, après expiration des délais de protection conférés par les brevets. Certains d'entre vous étaient peut-être à la Chambre des communes quand ce règlement a été adopté. J'ai du mal à croire que le Parlement ait eu pour intention de permettre le dépôt de plusieurs brevets pour un seul médicament.
Au nom du RAEO et des plus de 110 000 enseignants et enseignantes que nous assurons ainsi que leurs familles, je recommande que ce projet de loi soit modifié pour abroger le règlement qui permet une injonction automatique de 24 mois. Les compagnies pharmaceutiques n'ont pas besoin d'être protégées par des règles particulières dans le cas de différends concernant les brevets, surtout si elles doivent en abuser et que les Canadiens doivent payer la facture à cause de cela. Il convient de limiter la portée des brevets à un seul médicament. Nous ne devons pas permettre aux grandes marques de ramener constamment le compteur à zéro par le biais de manoeuvres juridiques.
Au RAEO, nous ne remettons pas en question le fait qu'il faille assurer une protection par le biais des brevets et que le Canada doive se conformer à ses obligations internationales. Mais, après expiration du délai normal de protection accordé par les brevets, il faut permettre le jeu de la concurrence pour que les Canadiens puissent avoir accès à des médicaments moins chers.
Le sénateur Lynch-Staunton: Où êtes-vous allé chercher vos chiffres pour ce qui est des dépenses en médicaments vendus sur ordonnance? Pourquoi limitez-vous vos coûts à ces seuls médicaments? N'avez-vous pas un tableau complet de la situation, c'est-à-dire incluant les médicaments brevetés, les médicaments de prescription, l'ensemble des médicaments? Pourquoi n'est-il question que des médicaments vendus sur ordonnance et d'où viennent ces chiffres?
M. McGlynn: Ces chiffres nous viennent de l'Institut canadien d'information sur la santé et ils ne comprennent pas les médicaments en vente libre. Le prix de ces médicaments a simplement doublé depuis 1985 et on aurait pu interpréter différemment les chiffres. Vous auriez pu dire qu'il faut augmenter le nombre de médicaments en vente libre, parce qu'ils coûtent moins que les autres, et qu'on pourrait ainsi réduire cette vaste mobilisation de capitaux. Ce serait une autre façon d'aborder le problème.
Le sénateur Lynch-Staunton: On ne cesse de nous parler des coûts qui grimpent en flèche, mais personne ne nous en a vraiment fait la preuve. Quel est le forum dont vous venez de parler? De qui s'agit-il? J'aimerais voir les chiffres de Statistique Canada ou d'un organisme impartial à ce sujet.
M. McGlynn: Peut-être que les fonctionnaires de Santé Canada pourront vous répondre.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ils sont venus ici pour autre chose. C'est vous qui avez soulevé la question et j'aimerais que vous y répondiez.
M. McGlynn: Est-ce que vous voulez connaître la source de nos données ou est-ce que vous voulez savoir pourquoi il ne s'agit pas des chiffres de Statistique Canada?
Le sénateur Lynch-Staunton: Je veux savoir quelle est votre source.
M. McGlynn: Il s'agit de l'Institut canadien d'information sur la santé.
Le sénateur Lynch-Staunton: De qui s'agit-il?
M. McGlynn: C'est un organisme sans but lucratif qui surveille les coûts de la santé au Canada.
Le sénateur Lynch-Staunton: À la page 2 de votre mémoire, vous parlez des régimes d'assurance médicaments. Cela concerne bien les médicaments, n'est-ce pas?
M. McGlynn: Oui, tous les médicaments d'ordonnance.
Le sénateur Lynch-Staunton: Et uniquement ceux-là?
M. McGlynn: Oui, parce que les régimes d'assurance ne couvrent pas les médicaments en vente libre.
Le sénateur Lynch-Staunton: Très bien. Je voulais tout simplement me faire une meilleure idée de votre présentation. Je ne remets pas vos conclusions en question. Beaucoup d'entre nous ont des problèmes à cause de cette prolongation technique des brevets - ce n'est pas une suspension légale, mais une prolongation de fait. L'idée directrice de votre document est bonne, mais certains de vos chiffres ne sont pas étayés. Peut-être pourrons-nous obtenir cette information d'une autre façon.
Le sénateur Meighen: À la page 1 de votre mémoire, vous dites que les dépenses en médicaments de prescription ont presque quintuplé au cours des 15 dernières années au Canada.
A-t-on une idée de la raison de cette augmentation en flèche? Est-ce à cause du vieillissement de la population ou d'une utilisation accrue des médicaments délivrés sur ordonnance? Dans quelle mesure la flambée des coûts est-elle attribuable à une augmentation du prix des médicaments?
M. McGlynn: La figure 2 de mon mémoire répond à votre question. Près de 30 p. 100 des augmentations sont dues àun accroissement du volume, qui dépend de la pousséedémographique; 25 p. 100 sont attribuables à une hausse des prix et 45 p. 100 à l'introduction de nouveaux produits ou à l'amélioration de produits existants.
Si vous examinez les chiffres à partir de 1985, vous constaterez que 13 p. 100 seulement des médicaments prescrits aujourd'hui par les médecins existaient déjà à cette époque. Le reste est composé de nouveaux médicaments, et cette tendance se confirmera compte tenu des recherches en cours.
Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai travaillé au ministère de la Santé du Québec jusqu'en 1978. Cette année-là, on parlait d'un milliard de dollars pour le Québec. Ainsi, s'il s'agissait d'un milliard de dollars à l'époque, 10 ans plus tard il n'est pas possible qu'on en soit simplement à 2,6 milliards de dollars. Si tel est le cas, c'est que les coûts n'ont pas quintuplé.
J'étais au cabinet du ministre et je me rappelle très bien comment nous approuvions les médicaments. Pour ce qui est des tranquillisants seulement, nous avons dépensé 250 millions de dollars à l'époque, sur un budget total d'un milliard de dollars.
M. McGlynn: Je serais très heureux de faire parvenir mes données au comité.
Le sénateur Meighen: Il n'y a pas grand-chose que nous puissions faire à propos des véritables innovations, mais je prends note de ce que vous avez dit au sujet de l'amélioration continue des médicaments.
M. McGlynn: Nous serions très heureux qu'il y ait de véritables innovations.
Le sénateur Meighen: Et les véritables innovations font partie des 45 p. 100, n'est-ce pas?
M. McGlynn: C'est cela!
Le sénateur Meighen: Il n'y a pas grand-chose non plus que nous puissions faire à propos du vieillissement de la population et du fait que nous prenons de plus n plus de médicaments prescrits. D'après votre mémoire, il semble que la seule chose sur laquelle nous puissions agir, ce soit les coûts.
M. McGlynn: Il faut examiner les coûts et les répercussions en cascade. C'est très facile, à chaque palier, de dire «Nous avons fait du bon travail, nous sommes soumis à des contraintes budgétaires et nous ne pouvons pas faire plus». Mais à partir de là, on arrive au niveau de l'employeur qui doit assumer 15 p. 100 des coûts, plus les augmentations associées aux régimes d'avantages sociaux des employés. Les employeurs diront «C'est assez!» Beaucoup l'ont déjà fait. Ils estiment qu'après eux, il ne reste qu'un palier, celui de l'employé et du retraité. Le problème est facile à régler dans le cas du retraité. Il suffit de dire: «En vertu de la nouvelle loi, nous ne pouvons plus financer ce programme et nous allons donc l'arrêter». Il ne restera plus à ces personnes qu'à faire la manche. Nombre de ces retraités ont moins de 65 ans. En Ontario, par exemple, ils ne peuvent pas bénéficier du régime d'assurance médicaments de la province, si bien qu'il y a un vide à combler.
Le sénateur Meighen: Comment la situation des Canadiens se compare-t-elle à celle des résidents d'autres pays? J'entends dire que des personnes âgées américaines viennent par autobus complets au Canada pour y acheter des médicaments. Vous avez employé le terme «prix astronomiques». Mais alors, les prix américains doivent être astronomiques au carré.
Le sénateur Angus: C'est à cause de la valeur du dollar canadien.
M. McGlynn: Nous payons environ 40 p. 100 de plus qu'aux États-Unis. Nous sommes les deuxièmes dans le monde pour ce qui est du prix des médicaments prescrits et nous ne risquons pas d'être pris d'assaut par les Européens.
Le sénateur Angus: Certainement pas par autobus complets.
M. McGlynn: Non. Voilà où l'on se situe par rapport aux autres.
Le sénateur Meighen: À en juger à ce que vous avez dit sur la question de l'amélioration des médicaments, on dirait qu'il est injuste d'apporter des modifications mineures. Pensez-vous qu'il soit possible de définir ce qui est mineur et ce qui ne l'est pas? On pourrait penser qu'après une véritable amélioration le médicament n'a pas les mêmes effets secondaires que sa version originelle.
M. McGlynn: C'est la principale revendication des laboratoi res. Ils prétendent, par exemple, que le reconditionnement d'un médicament réduit les effets secondaires sur l'estomac. Est-ce majeur, est-ce mineur comme amélioration? Moi, j'aimerais que votre comité dise à ces gens là «Chers amis, vous avez un brevet, vous avez une chance de l'exploiter, mais au bout de 20 ans, il tombe dans le domaine public».
M. McGlynn: C'est ce que je pense.
Le sénateur Angus: Une publicité a paru dans le Hill Times du 12 mars 2001 sous le titre «la prolongation des brevets et le coût des médicaments - lettre ouverte aux députés libéraux». Moi, je suis sénateur conservateur et j'ai l'impression d'être laissé de côté. Si cela ne vous dérange pas, je vais lire la lettre en question où apparaît toute une liste de noms d'organismes, dont le Régime d'assurance des enseignantes et des enseignants de l'Ontario.
M. McGlynn: C'est exact.
Le sénateur Angus: Votre organisation a contribué à payer cette publicité, c'est exact?
M. McGlynn: Oui.
Le sénateur Angus: Quel est le rapport entre les neuf organisations dont les noms apparaissent ici?
M. McGlynn: Nous avons une préoccupation commune, qui touche à l'accessibilité des médicaments délivrés sur ordonnance, pour les employés actifs et pour les retraités.
Le sénateur Angus: Est-ce que le régime d'assurance que vous représentez est membre de l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques?
M. McGlynn: Non.
Le sénateur Angus: Les neuf organisations dont les noms apparaissent ici constituent-elles une coalition présente dans tout le pays? Appartenez-vous tous à une même organisationparapluie?
M. McGlynn: Non.
Le sénateur Angus: Dans cette publicité, vous avez tout à fait raison d'affirmer que le projet de loi du gouvernement, le projet de loi S-17, déposé le 20 février dernier, va permettre au Canada de s'aligner sur les exigences de l'OMC, d'augmenter les brevets et ainsi de suite. A priori, c'est à cela que ce projet de loi est destiné. Puis, vous dites qu'il faudra apporter des modifications concomitantes à la Loi sur les brevets.
Nous avons examiné cette question la semaine dernière, et de nouveau cette semaine avec le ministre. Vous avez parlé de l'article qui a paru dans le Globe and Mail de samedi, et d'après ce que le ministre a déclaré - et j'ai même vérifié dans le procès-verbal - il est très ouvert. Il a dit qu'il se pencherait sur cette question à l'automne.
Alors, voilà ma question: pourquoi voulez-vous essayer de rouvrir un débat que nous avons déjà eu au début des années 90? Nous avons ici une mesure législative qui doit permettre au Canada de se conformer à ses obligations internationales. Le ministre nous dit: «Nous comprenons votre position, mais il y a un autre problème à régler. Pour le reste, nous y reviendrons à l'automne». Cela ne vous suffit pas pour l'instant?
M. McGlynn: Non.
Le sénateur Angus: Pourquoi donc?
M. McGlynn: Il y a bien des choses qui pourront se passer à l'automne. Un échéancier a été fixé pour ce projet de loi, d'après les exigences de l'OMC. Si les gens le voulaient vraiment, il serait possible de le modifier et de se confirmer tout de même à ces exigences, avant expiration du délai.
Si la loi est acceptée, une fois le délai passé, nous devrons tenir une autre série d'audiences à l'automne. À ce moment-là, vous verrez les fabricants de médicaments d'origine sortir leur argent et se mettre à faire du lobbying et, selon moi, nous entrerons alors dans un long processus qui n'apportera aucune réponse.
Le sénateur Angus: Mais vous allez faire partie du lobbying, et vous aurez une tribune où vous exprimer. Ne sommes-nous pas ici au Sénat pour étudier cette mesure législative et, je l'espère, pour formuler des recommandations raisonnables et intelligentes au gouvernement? Quand l'opposition que nous sommes se rend compte qu'il y a des choses illogiques ou auxquelles il convient de s'opposer en toute légitimité, nous essayons de le faire de manière efficace.
Cela prend beaucoup de temps. Le gouvernement a un délai à respecter. Le ministre a reconnu la valeur des autres points qui lui ont été présentés. Moi, j'ai l'impression que vous essayez de profiter du processus actuel pour défendre une autre cause.
En droit, on parle d'abus de procédure. Je ne dirais pas que c'est ce que vous faites, mais je pense que votre intervention est déplacée et je ne crois pas que le moment soit venu d'en débattre. Nous sommes toujours prêts à écouter, et nous l'avons fait. Notre dirigeant sans peur et sans reproche fait l'objet de cet article de fond dans le Globe and Mail et nous écoutons. C'est tout ce que je veux dire.
J'ai entendu votre réponse et elle ne me satisfait pas. Quoi qu'il en soit, je pense que le ministre a confiance de pouvoir faire cela.
M. McGlynn: Nous serions heureux que vous vous penchiez sur la question de l'amélioration des médicaments.
[Français]
Le sénateur Poulin: Vous soulevé la question coûts, qui semblent augmenter rapidement pour les prescriptions et pour tous les médicaments, et qui semblent extrêmement élevés. Je vous assurer que nous partageons votre inquiétude. Ce n'est peut-être pas le temps idéal pour aborder toute cette question.Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que nous essayons de rendre la législation conforme aux ententes internationales.
J'ai vraiment un problème avec les chiffres que vous avez avancés. Compte tenu de l'intérêt que suscite cette législation, j'ai vérifié, auprès de plusieurs sources d'information la finde semaine dernière, le coût des médicaments au Canada comparativement à d'autres pays. J'ai fait cette vérificationauprès de personnes n'ayant pas d'intérêt dans ce domaine,et leur version est différente de la vôtre. Certaines personnesont mentionné que le coût des médicaments au Canadaétait 11 p. 100 moins cher que dans l'ensemble des autres pays. J'aimerais que vous commentiez mes remarques.
[Traduction]
M. McGlynn: Vous pouvez toujours interpréter les statistiques comme vous le voulez. Si vous partez d'une augmentation de 40 p. 100 sur une population de 250 millions d'habitants et que vous appliquez cela à d'autres groupes dans le monde, par exemple à la Communauté européenne, vous parviendrez sans doute à une différence statistique de 11 p. 100. Je n'ai pas fait le calcul. J'ai l'impression que vos conseillers sautent sur les statistiques pour faire ressortir une différence favorable. D'après ce que je sais, le Canada est le deuxième pays dans le monde quant au prix des médicaments, juste derrière les États-Unis. C'est l'information dont je dispose. Mais à la façon dont vous avez présenté la chose, sénateur, on peut effectivement en conclure autrement.
Le président: Merci beaucoup, monsieur.
Nos prochains témoins sont de Santé Canada, je suis heureux d'accueillir David Lee, Anne Bowes et Barbara Ouellet. On me dit que vous n'avez pas d'exposé et que vous êtes simplement ici pour répondre à nos questions.
M. David K. Lee, agent des brevets, Contentieux, Division des produits thérapeutiques, Santé Canada: Monsieur le président, nous avions pensé commencer par vous donner un aperçu de cinq minutes de notre administration, pour vous aider à vous situer.
Le président: Allez-y.
M. Lee: Monsieur le président, l'administration du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est décritedans le document intitulé: «Ligne directrice à l'intention de l'industrie - Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).» La Ligne directrice en question est entrée en vigueur le 10 mai 2000. Nous vous recommandons de consulter ce document, qui décrit en détail comment Santé Canada administre le règlement. Comme il s'agit d'un document volumineux, nous allons essayer d'en dégager les points saillants.
Les principales responsabilités de Santé Canada en ce qui concerne ce règlement consiste à tenir un registre public des brevets présentés et à veiller à ce que les deuxièmes fabricants de médicaments, parfois appelés «fabricants de produits génériques», visent l'information contenue dans le registre lorsqu'ils deman dent l'approbation d'un médicament.
Le registre des brevets est constitué d'un ensemble de reliures à anneaux. Quand on les voit pour la première fois, ils n'ont rien d'impressionnants. Ces classeurs contiennent des listes de brevets, que nous appelons «formulaire IV». Vous trouverez un exemple de ce genre de formulaire à la fin de notre Ligne directrice. Le fabricant innovateur - que nous appelons la première personne dans notre règlement - décrit la drogue qu'il veut protéger et les brevets qu'il veut faire enregistrer pour assurer cette protection.
L'article 4 du règlement précise quels brevets la première personne peut faire ajouter au registre des brevets, et à quel moment. Le règlement explique, par ailleurs, que les brevets de médicaments octroyés par l'Office de la protection intellectuelle du Canada, d'Industrie Canada, ne peuvent pas nécessairement tous être inscrits au registre. Seuls les brevets qui contiennent une «réclamation» visant le médicament lui-même ou son utilisation sont admissibles.
Les exigences concernant le moment où la première personne doit présenter la liste de brevets sont très précises et supposent une certaine connaissance du processus de présentation d'une drogue, tel qu'il est prévu dans le Règlement sur les aliments et drogues. Lorsqu'un fabricant veut approuver un médicament, il doit, selon ce règlement, déposer une «présentation de drogue nouvelle». Il s'agit des soumissions les plus importantes, qui concernent notamment les essais cliniques. Nous avons d'ailleurs un quaide déchargement, à Santé Canada où on nous emmène les médicaments par palettes complètes... il s'agit donc desoumissions très volumineuses.
Il existe d'autres types de présentations. Par exemple, si le fabricant veut apporter un changement substantiel à unmédicament déjà approuvé, il doit soumettre une «présentation supplémentaire de drogue nouvelle». Dans les deux cas, si les exigences du Règlement sur les aliments et drogue sont respectées, un avis de conformité est délivré pour le médicament. Il s'agit là d'une approbation qui permet de commercialiser un médicament modifié.
En vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), la première personne doit présenter une liste de brevets lorsqu'elle dépose sa demande d'avis de conformité. En général, le formulaire est joint au dossier de présentation et nous l'en retirons pour le traiter. Il y a une seule exception, prévue par le Règlement sur les médicaments breveté (avis de conformité): si la première personne a déposé une demande de brevet auprès de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada mais que le brevet n'est pas octroyé avant le dépôt de la présentation de drogue, la première personne dépose la présentation de drogue à ce moment-là. Ensuite, quand le brevet est octroyé, elle a 30 jours pour soumettre la liste de brevets.
Quand nous recevons une liste de brevets, nous effectuons ce que nous appelons une vérification de brevet pour vérifier la conformité aux exigences du règlement concernant le moment de présentation et l'admissibilité. S'il y a conformité, nous ajoutons la liste de brevets au registre des brevets après avoir délivré l'avis de conformité à la première personne pour la présentation de drogue. Nous n'allons pas plus loin à ce stade. Nous versons la liste dans le classeur quand l'innovateur, soit le fabricant du médicament d'origine, obtient l'avis de conformité. C'est à ce moment-là que nous versons officiellement la liste dans le classeur.
Le fabricant du produit générique appelé «deuxième personne» doit, lui aussi, déposer une présentation de drogue. Celle-ci diffère de celle de celle du fabricant innovateur. Appelé «présentation de drogue abrégée», elle est beaucoup plus courte, car elledoit simplement montrer que le médicament générique est bioéquivalent à un médicament innovateur.
En vertu de l'article 5 du règlement, lorsqu'une deuxième personne fait des comparaisons ou des renvois à un médicament qui a été présenté par une première personne, et pour lequel un brevet a été ajouté au registre des brevets, elle doit viser toutes les listes de brevets qui ont été présentées pour le médicament qu'elle veut copier. La deuxième personne doit déclarer qu'elle attendra l'expiration de tous les brevets ou qu'elle va signifier une allégation à la première personne, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui rapporte.
Le règlement autorise la formulation de plusieurs allégations. Si la deuxième personne choisit la contestation, la première dispose de 45 jours pour présenter un avis de requête à la cour fédérale. C'est dans cette période de 45 jours que l'avis de requête doit être déposé.
La demande porte sur la délivrance d'une ordonnance visant à interdire à Santé Canada de délivrer un avis de conformité pour le médicament présenté par la deuxième personne, tant que les brevets n'auront pas expiré. Précisons que c'est la cour et non Santé Canada qui décidera s'il y a ou non contrefaçon de médicament ou si la question de validité se pose relativement à la requête. Toutes ces questions relèvent de la décision de la cour fédérale et se situent au coeur même de ce que nous appelons les requêtes d'interdiction.
C'est là qu'intervient la suspension légale de 24 mois. Nous retenons comme date celle du sceau apposé par les greffes du tribunal sur l'avis de requête. Généralement, cette période coïncide avec l'examen de la présentation de drogue abrégée. Nos scientifiques examinent cette présentation de drogue abrégée pour s'assurer que les critères relatifs aux aliments et drogues sont respectés pendant que la cour se penche sur la requête d'interdiction. L'avis de conformité est délivré à peu près en même temps que le tribunal rend son verdict et que les scientifiques terminent l'examen du dossier.
Le sénateur Lynch-Staunton: Merci pour votre exposé qui nous a très bien expliqué la façon dont vous fonctionnez. Cependant, pouvez-vous me dire pourquoi l'industriepharmaceutique est la seule à bénéficier de ce délai de grâce de 24 mois?
M. Lee: Vous voudrez bien m'excuser, sénateur, mais je vais laisser le soin à mes homologues d'Industrie Canada de répondre à cette question, mais je ne voudrais pas que cela devienne une habitude.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je comprends bien. La semaine dernière, nous avons posé une question aux collaborateurs de M. Tobin au sujet du rôle de Santé Canada vis-à-vis de ce règlement et je crois les avoir entendu dire que vous avez un accord entre vos deux ministères.
M. Lee: Il est vrai que nous travaillons en étroite collaboration. Nous, nous intervenons sur un plan plutôt technique. Nous essayons de préciser les choses dans le règlement et sur le plan de l'administration de ce dossier quand des conflits apparaissent.
Le président: Nous avons dans la salle des fonctionnaires du ministère de l'Industrie qui sont prêts à s'installer à la table.
Le sénateur Lynch-Staunton: La question qui a été posée est celle-ci: pourquoi l'industrie pharmaceutique est-elle la seule à bénéficier d'un sursis de 24 mois? Nous avions posé cette question aux gens d'Industrie Canada et nous n'avons pas fait beaucoup de chemin, peut-être parce que nous ne savions pas vraiment ce qui se passe. Mais après les audiences, après avoir lu les documents et entendu votre excellente explication, cette question est encore plus valable. Est-il vrai qu'un brevet qui est censé expirer après 17 ou 20 ans est automatiquement prolongé de deux ans, et qu'il suffit pour cela d'en faire la demande à un tribunal?
M. Lee: Nous avons vu des cas où, en fonction du déclenchement du sursis statutaire, il peut y avoir un décalage entre le moment où la cause arrive en cour et le moment où débute la prolongation. On a déjà assisté à ce genre de chose.
Le sénateur Oliver: Donc, la suspension peut être supérieure à 24 mois.
M. Lee: Elle n'est que de 24 mois à partir du moment où la suspension statutaire est décrétée. Les listes de brevets sont dans le registre quand la deuxième personne vient pour copier le médicament. Elle nous remet le formulaire V, dont on dit qu'il tient compte du brevet de la première personne. Le formulaire indique quel médicament va être copié et quel fabricant est concerné, puis quel brevet va faire l'objet d'une comparution devant le tribunal. Nous recevons ensuite les avis d'allégations relatives aux innovations. Nous essayons d'assurer un suivi à cet égard. Il nous faut une preuve de signification. Le demandeur va en cour et, habituellement, il dépose une réclamation pour tous les brevets faisant l'objet de la même interdiction. C'est là que les choses se règlent. Ce n'est que lorsqu'une deuxième liste de brevets est produite après l'amorce des procédures en cour que les choses ne fonctionnent plus, parce qu'on a nécessairement affaire au déclenchement d'une autre suspension.
Je dois vous dire que, dans une certaine mesure le règlement prévoit que des brevets seront soumis par la suite. Je songe ici aux paragraphes 4(5) et 4(4). Si un innovateur n'a pas de brevet au moment où il dépose son formulaire de présentation de médicaments, celui-ci peut être accordé par la suite et la personne dispose d'un délai de 30 jours pour se représenter. Cela peut être dû au fait que j'aurais eu les autres brevets en registre à ce moment-là, auquel cas j'ouvrirais une autre liste de brevets.
L'article 5 du règlement précise bien que, dans ce cas, la deuxième personne doit modifier la façon dont elle tient compte des brevets de la première personne; dès lors, il lui faut modifier son formulaire V et tout recommencer.
Il arrive donc que cela se produise.
Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que Santé Canada participe aux procédures judiciaires en cours, dès le début? Devez-vous aller devant le tribunal et témoigner pour un côté ou pour l'autre?
M. Lee: Pas dans le cas des demandes d'interdiction. Nous sommes toujours partie à la cause, parce que nous sommes liés par l'ordonnance qui sera rendue. Il est très rare que nous soyons partie aux différends à l'étape de la demande d'interdiction, quand il est, par exemple, question de contrefaçon, et nous ne nous présentons en cour que pour nous tenir au courant, pour voir ce qu'il advient des brevets et pour essayer de deviner l'issue du litige. Nous n'avons pris part à de telles procédures que quand il s'agissait d'examens judiciaires.
Le sénateur Lynch-Staunton: Savez-vous combien de causes de ce genre ont été intentées, combien il y en a en cours actuellement, combien ont été réglées et combien ont été rejetées?
M. Lee: Nous en avons une petite idée. Comme vous pouvez vous en douter, c'est là quelque chose de très dynamique et nos chiffres varient très rapidement. Pour ce qui est des demandes d'interdiction, je vais demander à ma collègue, Mme Bowes, de vous répondre.
Mme Anne Bowes, agente des brevets - Sciences, Division des produits thérapeutiques, Santé Canada: Nous avons enregistré quelque 208 causes d'interdiction depuis 1993. Si je ne m'abuse, il y en a 48 qui sont actives, soit en première instance, soit en appel. Comme M. Lee l'a indiqué, nous ne participons pas vraiment à ces causes. Nous en surveillons simplement l'issue. Malheureusement, je ne dispose pas de statistiques sur les décisions rendues.
Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que ces causes peuvent faire l'objet d'un appel en instance supérieure?
M. Lee: Une cour d'appel a récemment rendu une décision à cet égard. Je crois savoir que diverses jurisprudences intervien nent et je vous demanderais de bien vouloir de ne pas me demander d'entrer trop dans le détail à cet égard.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois que nous allons laisses le soin aux fonctionnaires de Santé Canada de répondre à cette question.
Ce qui est troublant c'est que ce genre de prolongation, accordée pour une raison ou pour une autre, c'est-à-dire quand on permet le maintien d'un brevet pendant plusieurs mois, voire des années, coûte davantage aux gouvernements et aux particuliers que si on se limitait aux 20 années décrétées par le législateur.
Je sais que cela dépasse le mandat qu'on vous a donné aujourd'hui, mais est-ce que Santé Canada n'est pas, comme nous, préoccupé par cette question de prolongation automatique des brevets et des coûts que cela entraîne pour le ministère? Vous préférez peut-être ne pas vous engager maintenant sur ce terrain?
Mme Barbara Ouellet, directrice, Soins à domicile et produits pharmaceutiques, Santé Canada: Vous voulez savoir ce que ces questions de contentieux coûtent au ministère?
Le sénateur Lynch-Staunton: Le représentant du Régime d'assurance des enseignantes et des enseignants de l'Ontario et le porte-parole des produits génériques nous ont déclaré que, depuis son adoption, le règlement a coûté plus de 300 millions de dollars aux consommateurs canadiens à cause de prix plus élevés des médicaments, sur la base des données de l'ACFPF. Ces coûtssont essentiellement assumés par les gouvernements fédéral et provinciaux. Votre ministère n'est-il pas préoccupé par le fait que ces interdictions coûtent aux Canadiennes et aux Canadiens beaucoup plus que ce ne serait le cas si - et je crois que ça arrivera un jour - le règlement précisait que 20 ans c'est 20 ans? C'est un peu comme l'inventeur de nouveaux pneus neige ou d'autres produits qui obtient une protection pour un certain nombre d'années. Dans ce cas, cette exonération ou cet ajout au règlement favorise l'industrie du médicament par rapport aux autres. C'est ce que nous en concluons.
Mme Ouellet: De façon générale, l'escalade des coûts des médicaments nous préoccupe, dans le réseau de santé. C'est le secteur de coûts qui a connu la plus forte croissance. Pour répondre à votre question, il nous faudrait avoir une idée de la valeur économique de la prolongation de deux ans dans les cas auxquels vous faites allusion. Il est évident que tous les médicaments n'ont pas la même valeur ni la même incidence sur le plan économique. Je n'ai pas les chiffres et je ne suis pas certaine que mes collègues les ont non plus, mais nous pourrions essayer de nous les procurer pour vous afin de savoir quels médicaments ont fait l'objet de telles dispositions et quelles incidences financières ils ont pu avoir sur le marché. Personnelle ment, j'ai l'impression qu'étant donné le volume de produits pharmaceutiques au Canada, soit une dépense globale de 8,9 milliards de dollars, ces prolongations ne devraient pas avoir une forte incidence. Malheureusement, je n'ai pas de données à vous fournir à ce sujet aujourd'hui.
Le sénateur Banks: Vous en revenez à la même chose. Aujourd'hui, on nous a dit qu'à cause des suspensions légales de 24 mois, il en coûtait 300 millions de dollars dans ce domaine. Tout à l'heure, j'ai cru vous entendre parler de dépenses de 9 milliards de dollars?
Mme Ouellet: Oui.
Le sénateur Banks: Et pensez-vous qu'un coût supplémentaire de 300 millions de dollars soit un chiffre raisonnable?
Mme Ouellet: Ça me paraît très élevé. Je ne sais pas sur quoi on s'est appuyé pour parvenir à ce chiffre. Nous devrions examiner le volume de médicaments disponibles sur le marché et le comparer aux 208 nouveaux produits, si je me souviens bien de ce qu'a dit mon collègue, apparus depuis 1993. J'ai l'impression que seule une petite quantité de tous les médicaments disponibles sur le marché est visée par ces dispositions et il faudrait savoir ce qu'il en coûte pour les deux années de prolongation. Il faut parfois du temps pour pénétrer un marché avec un médicament. Cela étant, j'aurais tendance à remettre ces chiffres en question.
Le président: Merci beaucoup pour votre présence.
Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le président, serait-il possible d'obtenir une réponse des représentants de Santé Canada quant au bien-fondé de cette mesure qui consiste à accorder à une industrie en particulier - celle du médicament dans le cas qui nous concerne - ce qui semble être un avantage dont aucun autre secteur ne dispose au Canada, du moins pas à ce que je sache. S'agit-il bien d'un avantage? Il y a peut-être d'autres raisons à cela, mais pour l'instant, cette disposition semble simplement permettre la prolongation d'un brevet. Il y a peut-être une raison valable, que j'ignore. Je suis certain que ceux qui ont conçu ces règlements ne l'ont pas fait de façon capricieuse. Il nous reste encore à savoir pourquoi on a consenti ce genre de disposition à une industrie en particulier.
Mme Ouellet: Comme mes collègues vous l'ont déjà dit, pour ce qui est des produits pharmaceutiques, Santé Canada a pour mission de garantir la santé et l'efficacité des médicaments sur le marché. Comme les questions concernant le traitement des brevets sont de nature industrielle, je crois devoir m'en remettre à nos collègues d'Industrie Canada à ce sujet.
Le président: Pourrais-je inviter les gens d'Industrie Canada à s'avancer?
Merci de vous être rendus à notre invitation. Est-ce qu'Industrie Canada veut essayer de répondre à cette question?
Le sénateur Lynch-Staunton: Je suis certain que vous avez entendu ma question ad nauseam. Pourquoi le ministère de l'Industrie estime-t-il juste que le règlement accorde au secteur pharmaceutique ce que j'appelle un avantage, bien que ce ne soit peut-être pas le cas mais faute d'un meilleur terme je parlerais d'avantage dont ne disposent pas les autres industries au Canada, du moins pas à ce que je sache?
Mme Susan Bincoletto, directrice par intérim, Direction des projets spéciaux, Direction générale de la régie d'entreprise, Industrie Canada: Je vais commencer après quoi je laisserai la parole à Me Sutherland-Brown.
Il faut appréhender le règlement dans un contexte plus vaste, qui découle du projet de loi C-91. Outre qu'il a supprimé les licences obligatoires, celui-ci contenait une disposition dite d'exception relative à la fabrication anticipée. En fait, cette disposition faisait partie de la contestation de notre régime des brevets par l'Union européenne. Nous avons combattu l'exception relative à la fabrication anticipée avec beaucoup d'énergie, parce qu'elle constitue un élément fondamental de notre régime équilibré. Elle permet en effet à des tierces parties de travailler sur un brevet même durant la période où il est protégé. Mais le travail sur le brevet ne doit être destiné qu'à obtenir une approbation réglementaire. Le ministre en a parlé devant le comité.
L'exception relative à la fabrication anticipée estparticulièrement importante pour l'industrie pharmaceutique. En effet, en permettant à des fabricants de produits génériques de travailler sur un brevet, ce qu'ils ne pourraient normalement pas faire sans se faire accuser de contrefaçon, ils gagnent plusieurs années dans le processus d'approbation réglementaire de Santé Canada. En échange, ou du moins pour rester équitable, nous nous sommes dit - quand le projet de loi C-91 a été présenté - qu'il fallait adopter un mécanisme s'adressant aux fabricants de produits génériques qui se prévalent des exceptions relatives à la fabrication anticipée. Par ailleurs, nous avons mis des recours à la disposition des innovateurs en cas de contrefaçon. Sinon, les fabricants de produits génériques auraient pu obtenir des avis de conformité et le médicament générique aurait pu être mis en marché sans que l'innovateur, c'est-à-dire le fabricant de médicaments d'origine dans ce cas, soit d'abord mis au courant. Sans cette exception relative à la fabrication anticipée, il se serait agi d'un cas de contrefaçon.
Il faut considérer que cette exception relative à la fabrication anticipée et l'avis de conformité associé au règlement forment un bloc. Si on les prend séparément, on peut alors s'interroger, comme vous l'avez fait, sur la raison d'être d'une telle disposition qui favorise une industrie plutôt qu'une autre.
Un autre élément intéressant survient dans le cas de l'industrie pharmaceutique, celui du délai nécessaire à la R-D. La recherche sur un produit peut nécessiter 8 à 12 ans et il serait donc injuste de ne pas disposer d'un mécanisme susceptible de permettre aux innovateurs de récupérer leur investissement.
Le président: Cela me dépasse un peu. Je n'ai pas l'impression que vous avez répondu à la question.
Le sénateur Angus: Moi, j'ai trouvé que c'était une très bonne réponse.
Le sénateur Lynch-Staunton: Selon vous, la conformité avait pour objet de permettre aux innovateurs de récupérer leur investissement? Vous avez dit qu'il faudrait 10 à 12 ans pour cela. Mais je ne vois pas pourquoi vous en faites un facteur dans votre évaluation. Ça, c'est leur problème, pas le vôtre.
Me Rob Sutherland-Brown, avocat-conseil principal,Division du droit commercial, Industrie Canada: La Loi sur les brevets part du principe voulant que la société veut encourager l'innovation. Pour cela, nous garantissons une périoded'exclusivité commerciale à l'inventeur titulaire d'un brevet. En théorie, les droits de commercialisation exclusive signifient que l'innovateur est le seul à pouvoir commercialiser son produit afin d'obtenir les recettes dont il a besoin, à la fois pour rembourser les dépenses associées à une invention en particulier et pour pouvoir financer d'autres inventions dans l'avenir.
Dans l'industrie pharmaceutique, les gens peuvent obtenir un brevet la première année, mais il leur faut 8 à 12 ans pourles essais cliniques et autres, nécessaires à l'obtention de l'approbation par le ministère de la Santé, qui doit autoriser la commercialisation du médicament en question au Canada. Le ministre de la Santé, quant à lui, s'intéresse à la santé et à l'efficacité du médicament, en regard des prétentions du fabricant. Or, tout ce processus vient gruger sur la vie du brevet, parce que le médicament ne peut pas encore être vendu. L'invention peut avoir été reconnue, le médicament peut avoir été fabriqué, mais il ne peut pas être commercialisé tant que l'avis de conformité n'a pas été émis. Ainsi, la période de protection de 17 ou 20 ans est réduite du temps nécessaire aux procédures d'obtention de l'approbation par le ministère de la Santé.
Les dispositions relatives à la fabrication anticipée permettent au fabricant de produits génériques, c'est-à-dire à la deuxième personne, d'utiliser le brevet pendant le restant de sa vie pratique pour formuler une demande d'approbation de commercialisation auprès du ministère de la Santé. Si la demande est déposée assez tôt durant la période de validité du brevet et que le ministre de la Santé l'accepte, celui-ci émet un avis de conformité de produit générique. Dès cet instant, le produit générique peut être commercialisé. Le règlement essaie de corriger l'avantage conféré au producteur de médicaments génériques, qui est exonéré de tout risque de poursuite pour contrefaçon tant que le brevet est valable, en fournissant au fabricant de produits génériques la possibilité de démontrer qu'il ne contrefait pas un brevet valable et que ce brevet conserve toute sa validité. S'il remporte sa cause, s'il gagne la procédure d'interdiction, son produit peut être écoulé sur le marché et la suspension de 24 mois tombe automatiquement. Même chose quand le brevet arrive à expiration.
Il est simplement question d'essayer de protéger les intérêts des uns et des autres afin que les produits génériques arrivent le plus vite possible sur le marché, sans pour autant constituer une contrefaçon.
Le sénateur Lynch-Staunton: Trouve-t-on le même genre de disposition dans un règlement, ailleurs dans le monde?
Me Sutherland-Brown: Les États-Unis ont la même chose, mais je crois que leur régime est plus coûteux que le nôtre.
Le sénateur Lynch-Staunton: Et l'Union européenne?
Me Sutherland-Brown: Ce genre de régime ne s'applique que dans les pays qui accordent une exemption de contrefaçon au deuxième fabricant. Autrement dit, elle n'existe que dans les pays qui essaient d'établir un équilibre entre les différents intervenants de l'industrie.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous utilisez un vocabulaire que je maîtrise mal. Je ne veux pas retarder nos travaux, mais tout à l'heure vous avez parlé de fabrication anticipée. Pouvez-vous m'expliquer ce dont il retourne au juste?
Me Sutherland-Brown: Eh bien, si j'ai un brevet, je peux empêcher qui que ce soit d'utiliser mon invention. Or, le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets précise:
Il n'y a pas contrefaçon de brevet lorsque l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d'une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d'information qu'oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente d'un produit.
C'est cette disposition qui permet à un fabricant de produits génériques de s'appuyer sur un brevet déposé par un innovateur pour préparer les informations avec lesquelles il va essayer de convaincre le ministre de la Santé que sa version du produit breveté est sûre et efficace, en regard de ses revendications.
Le sénateur Lynch-Staunton: Mais cela, c'est particulier à l'industrie pharmaceutique. Est-ce que cette disposition relative à la fabrication anticipée existe dans d'autres industries?
Me Sutherland-Brown: S'il existe une exigence réglementai re, effectivement tout le monde peut se prévaloir de cette disposition. Il doit exister une disposition juridique quelconque réglementant l'écoulement sur le marché du produit visé.
Le sénateur Angus: Qu'est-ce que c'est cette question de remplacement automatique? J'ai entendu cette expression.S'agit-il de lois provinciales qui, dans le cas d'un produit générique ayant reçu une approbation dès le premier jour après expiration du délai de protection de 20 ans, selon laquelle le produit générique en question peut être distribué dans les pharmacies et remplacer automatiquement les médicaments d'origine?
Me Sutherland-Brown: Il y a effectivement des provinces qui disposent de règles de substitution automatique, selon lesquelles on remplace les médicaments d'origine par des versionsgénériques moins chères.
Le sénateur Angus: Et comment cela fonctionne-t-il?
M. Douglas Clark, analyste de la politique, Industrie Canada: En général, dans la plupart des provinces les fabricants de produits génériques doivent attendre l'émission d'un avis de conformité. Ils ne peuvent pas demander à ce que leurs produits viennent simplement remplacer le médicament d'origine dans le codex provincial, tant qu'ils ne disposent pas d'un avis de conformité. De plus, ils doivent démontrer qu'ils peuvent produire le médicament générique en quantités industrielles. Ils doivent aussi respecter d'autres variables. Pour cela, il peut leur falloir plusieurs mois après l'expiration du certificat de conformité. Le délai peut être très différent d'une situation à l'autre. En général, il faut un an, mais on a déjà vu d'importantes exceptions.
Une fois le médicament générique listé, si un médecin rédige une prescription recommandant un médicament d'origine mais que le produit générique est un substitut accepté au codex, le pharmacien est légalement tenu de l'offrir à la place de l'autre. Il doit consulter le patient dans la plupart des cas et celui-ci peut insister pour qu'on lui remette le médicament de marque. C'est ainsi que les parts de marché des grands laboratoires sont grugées aussi facilement et aussi rapidement.
Le sénateur Meighen: Personnellement, j'ai l'impression que tout cela est une question de temps. Si je me prévaux assez tôt de l'exception relative à la fabrication anticipée et que je fasse approuver mon produit, le jour où le brevet de 20 ans arrive à expiration, j'ai une approbation automatique du ministre. À expiration du délai de protection du brevet de 20 ans, mon produit se retrouvera sur les tablettes des pharmacies. N'est-ce pas?
M. Clark: Vous pourrez demander que votre médicament générique soit couché sur la liste des produits de substitution du médicament d'origine, dès que vous aurez obtenu votre certificat de conformité. Certaines provinces s'intéressent aux médicaments d'origine même quand le certificat de conformité n'a pas encore été émis. C'est parce qu'elles savent qu'il va l'être.
Le sénateur Meighen: Si j'ai le certificat en main ou si je suis sur le point de le recevoir, le fabricant du médicament d'origine peut-il aller devant un tribunal pour m'empêcher de commerciali ser mon produit?
M. Clark: Excusez-moi, je ne comprends pas votre question.
Le sénateur Meighen: J'ai obtenu l'approbation. Oublions le cas des certificats qui n'ont pas encore été émis.
M. Clark: Le règlement sur les certificats de conformité n'empêche pas les actions au civil. Si un fabricant de médicament d'origine demande à un tribunal d'émettre une ordonnance d'interdiction après avoir constaté que son médicament est copié par un laboratoire générique, qui réclame une approbation réglementaire, mais qu'il perd à ce palier, il peut toujours intenter une action au civil pour contrefaçon, contre le fabricant du produit générique, quand celui-ci essaiera d'écouler son produit sur le marché.
Le sénateur Meighen: Mais cela ne force pas le retrait commercial du produit. N'est-ce pas?
M. Clark: Non. Il lui faudrait obtenir un redressement interlocutoire, qui n'existe pas vraiment en jurisprudencecanadienne dans ce genre de situation.
Le sénateur Meighen: Des gens comme M. McGlynn et d'autres n'arrêtent pas de nous dire que le simple fait de remplir une déclaration de contrefaçon, dans certaines situations, peut donner lieu à une prolongation du brevet. Mais pour cela, il faudrait que le fabricant du produit générique ne soit pas arrivé au terme de la procédure d'exception relative à la fabrication anticipée et qu'il n'ait pas encore obtenu l'approbation. Il faudrait que la procédure soit en cours.
D'après ce que je crois comprendre, un fois la procédure d'exception relative à la fabrication anticipée terminée et une fois l'approbation nécessaire en main, le fabricant du produit générique peut lancer son produit sur le marché le jour même où expire le brevet de 20 ans et...
Le sénateur Angus: Cela remplace automatiquement l'autre brevet.
Le sénateur Meighen: Eh oui, le brevet antérieur est automatiquement remplacé. Le fabricant du produit d'origine pourra toujours lancer une poursuite devant les tribunaux, mais il est fort peu probable qu'il obtienne une injonction pour faire retirer l'autre produit. Ainsi, le médicament générique peut dès lors occuper le marché.
Si j'ai bien compris la position de M. McGlynn, le fabricant du produit d'origine peut remplir une demande empêchant le fabricant du produit générique de commercialiser sonmédicament. D'après ce que vous venez de dire, je conclus que cela ne peut arriver que si ce fabricant générique n'est pas arrivé au terme de la procédure d'exception relative à la fabrication anticipée et n'a pas reçu d'approbation.
Me Sutherland-Brown: Mesdames et messieurs, toutcommence par l'expiration du brevet originel. Ce règlement ne s'applique pas si le brevet est encore valable. Tout le processus réglementaire prend place pendant la durée de validité du brevet concerné. Dès que celui-ci expire, le titulaire du brevet n'a plus aucun motif d'invoquer la non-conformité du règlement.
Le sénateur Meighen: Je suis complètement perdu. Je pensais qu'il y avait la suspension légale de 24 mois.
Le sénateur Banks: Est-ce que l'injonction automatique de24 mois, dont on nous a parlé, intervient pendant la durée de validité du brevet?
Me Sutherland-Brown: Tout à fait.
Le sénateur Banks: C'est une injonction qui intervient à l'étape de la mise au point et de la fabrication du produit générique, et pas à celle de la commercialisation. N'est-ce pas?
Me Sutherland-Brown: Vous pouvez toujours commencer à travailler sur le brevet en vue d'obtenir plus tard l'approbation du ministre de la Santé. C'est à cela que sert l'exonération de contrefaçon. Évidemment, cela se produit pendant la durée de validité du brevet. Si vous faites ce genre de demande, dans la huitième année de validité d'un brevet valable 12 ans par exemple, il faudra deux ans au ministre de la Santé pour examiner la demande de médicament générique. Cela vous amènera donc à la dixième année. Si le certificat de conformité est émis la dixième année, le produit générique pourra se retrouver sur le marché alors que le brevet d'origine ne sera vieux que de dix ans.
Le régime réglementaire donne aux deux parties la possibilité de se pouvoir en justice pour savoir si le produit générique en question constitue ou non une contrefaçon, et elles peuvent le faire tant que le certificat de conformité n'est pas émis. Si le tribunal décide qu'il s'agit effectivement d'une contrefaçon, l'interdiction demeure jusqu'à l'expiration du brevet. Si, en revanche, il est déterminé que le produit générique n'est pas une contrefaçon, dès lors, le certificat de conformité peut être émis et le médicament générique peut être mis en marché.
Le sénateur Banks: Autrement dit, cette suspension légale de 24 mois ne se trouve pas à prolonger le brevet.
Me Sutherland-Brown: Effectivement pas.
Le sénateur Furey: Vous allez peut-être nous permettre de tirer cela au clair. Supposons qu'une compagnie pharmaceutique qui travaille sur la nouvelle version d'un médicament A demande un brevet pour protéger cette variante. Au moment où une compagnie générique va se mettre à produire le médicament A, le fabricant du médicament d'origine demande une suspension de 24 mois pour l'en empêcher, sous prétexte qu'il s'agit d'une contrefaçon de la variante du médicament A. C'est ce qui se passe quant il y a amélioration d'un médicament et que la protection est étendue à plus d'un médicament.
Me Sutherland-Brown: Il peut y avoir plus d'une invention qui entre en jeu.
Le sénateur Furey: D'après ce qu'on nous dit, dans ce cas, le fabricant du produit générique ne peut rien faire pendant 24 mois. Peu importe qu'il y ait contrefaçon ou pas. Cela correspond à l'application d'une injonction automatique de 24 mois.
Le président: Mais on nous dit aussi qu'il pourrait poursuivre le plaignant en l'accusant d'avoir entrepris une action frivole.
Le sénateur Furey: Mais cela n'empêche tout de même pas l'application de la suspension de 24 mois.
Le président: Effectivement pas.
Le sénateur Angus: Mais ça, c'est vrai pour les nouveaux produits. Les variantes d'un produit d'origine...
Me Sutherland-Brown: Il s'agirait alors d'une nouvelle invention, d'un nouveau brevet.
Le sénateur Furey: Qui empêcherait le producteur du médicament générique de se servir d'un brevet expiré. C'est là le problème.
Me Sutherland-Brown: Je ne suis pas certain que tel soit le cas.
Le sénateur Furey: On nous dit «Si l'on prend le brevet expiré, si c'est ce qu'on utilise...»
Le sénateur Angus: Et qu'on ajoute deux ans.
Le sénateur Furey: La société productrice du médicament de marque aura déjà déposé un brevet différent, pour un médicament qui est une simple variante du premier. Dès lors, l'utilisation du brevet expiré devient une contrefaçon du nouveau. D'où la suspension de 24 mois.
Le sénateur Angus: C'est cela.
Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai un peu réfléchi et je commence à m'y retrouver. Quand le fabricant d'un produit générique décide de copier un produit breveté, doit-il informer quelqu'un qu'il fait des travaux sur ce plan? Je parle ici de ce qui se passe pendant la période de validité du brevet.
Me Sutherland-Brown: Il y a secret commercial tant que le fabricant en question ne se présente pas devant le ministre de la Santé.
Le sénateur Lynch-Staunton: Et à ce moment-là, est-ce que ça devient public?
Me Sutherland-Brown: Non. Le fabricant du produitgénérique demande un certificat de conformité au ministre de la Santé et il doit se plier aux dispositions réglementaires. Autrement dit, s'il s'agit d'un brevet déjà déposé auprès du ministre de la Santé, la deuxième personne doit aviser le titulaire de ce brevet du fait qu'elle dépose une demande. C'est à ce moment-là que le règlement accorde un délai de 45 jours au titulaire du brevet pour prendre une décision: le fabricant de produits génériques a-t-il raison de prétendre qu'il ne s'agit pas d'une contrefaçon ou, au contraire, est-ce une contrefaçon? Dans la plupart des cas, quand il y a avis d'allégation, les titulaires de brevets ne font pas de demande d'interdiction.
Le sénateur Lynch-Staunton: Eh bien c'est plus clair. Vos collègues de Santé Canada nous ont dit que 208 causes ont été portées devant les tribunaux depuis l'entrée en vigueur du règlement.
Me Sutherland-Brown: Je crois que ça se situe dans ces eaux-là.
Le sénateur Lynch-Staunton: Avez-vous une idée du résultat de ces procédures. Ont-elles été confirmées, rejetées ou ont-elles fait l'objet d'un appel?
Me Sutherland-Brown: Je n'ai pas de statistiques précises pour l'instant, mais il s'agit de décisions publiques.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je me demandais simplement si vous étiez au courant. Savez-vous si l'industrie pharmaceutique se lance dans ce genre de contestation uniquement pour gagner du temps ou s'il s'agit d'objections fondées auxquels cas les fabricants de produits génériques ont échoué dans leursdémonstrations et ont vu leurs demandes rejetées? Comment obtenir ce genre d'information? Je ne suis pas plus en faveur d'un côté que de l'autre, mais j'aimerais avoir la certitude que les choses sont équilibrées et je dois dire, d'ailleurs, que vous nous avez bien présenté cela. J'aimerais savoir comment ces causes se sont terminées et si les fabricants des produits génériques ont raison d'affirmer que le règlement permet de prolongerautomatiquement les brevets, bien que cette prolongation ne soit pas une disposition légale. Comment les choses se passent-elles?
Me Sutherland-Brown: Les suspensions ne sont pas des brevets. Il s'agit d'une réalité commerciale.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je sais bien que les suspensions ne sont pas des brevets, mais elles permettent de prolonger l'exclusivité accordée à un certain produit.
Me Sutherland-Brown: Ça peut effectivement être le cas. Comme chaque fois qu'on a affaire à des règles, les gens poussent à la limite. C'est vrai pour les deux côtés de l'industrie. Personne dans cette salle ne niera qu'on essaye toujours de tirer le maximum des règles qu'on nous impose. Je ne sais pas à quoi cela tient vraiment. J'entends dire, à l'occasion, que tel côté ou tel autre abuse du régime. Mais, dans l'ensemble, j'ai l'impression que le régime fonctionne, puisqu'il permet un certain équilibre entre la possibilité d'invoquer la contrefaçon et la possibilité de mettre un produit assez tôt sur le marché, dès l'expiration du brevet.
Quand les Européens ont contesté cette disposition, ils voulaient imposer une prolongation automatique du brevet, parce que les compagnies pharmaceutiques voulaient bénéficier d'une approbation garantie par les autorités sanitaires des divers pays où elles sont présentes. Les Européens soutenaient qu'il s'agissait là d'un droit acquis pour le titulaire du brevet, autrement dit que celui-ci devait automatiquement bénéficier de ce genre de prolongation de la protection à l'occasion de l'examen de l'approbation réglementaire. Sur ce point, nous avons gagné.
Le sénateur Meighen: Est-ce que vous pouvez nous mettre en contexte les 208 causes judiciaires? Si une objection devait être déposée dans tous les cas, combien de causes se retrouveraient devant les tribunaux. Vous dites qu'il y en a eu 208, mais si une objection était déposée dans chaque cas, à combien de causes arriverions-nous?
Suis-je clair? Est-ce une goutte d'eau dans l'océan? S'agit-il de 208 causes sur une possibilité de 2 millions ou de 2 000?
Me Sutherland-Brown: Quand le gouvernement a examiné le fonctionnement de ce règlement en 1997 et en 1998, on a constaté que près de 40 p. 100 de tous les avis d'allégation ne faisaient pas l'objet de contestations.
Le sénateur Meighen: Mais vous n'êtes pas en mesure de me dire combien de cas, depuis l'adoption du règlement, auraient pu donner lieu à un dépôt d'avis d'allégation? Jusqu'ici, il y en a eu 208, n'est-ce pas?
Le président: Vous voulez savoir combien de médicaments il y a et combien de brevets ont expiré au cours des 10 dernières années?
Le sénateur Meighen: Oui. Les 208 représentent-ils 1 p. 100 ou 20 p. 100?
Le sénateur Lynch-Staunton: Les fabricants génériques ne copient que les médicaments qui sont rentables. Ils ne s'attaquent qu'à une fraction du marché global. C'est exact?
Me Sutherland-Brown: Oui, d'après ce que je croiscomprendre.
Le président: C'est important. Il est un fait qu'il existe des milliers de médicaments, mais les fabricants de produitsgénériques ne tiennent pas à copier ceux qui ne se vendent qu'à raison de 10 flacons par semaine. C'est là un élément crucial.
Le sénateur Meighen: On nous dit qu'il y a abus du droit au recours judiciaire. Peut-être que l'expression est trop forte. Pensez-vous que tel soit le cas?
Le président: Par qui?
Le sénateur Meighen: Les fabricants de produits génériques nous disent que les fabricants de médicaments d'origine se livrent à des recours abusifs. On nous parle d'une loi équilibrée. Pensez-vous que nous sommes en présence d'un emploi abusif de procédures?
Le sénateur Angus: Ils viennent de vous dire que ça marche bien.
M. Robert Main, directeur, Direction des affairesréglementaires et de la politique des normes, Direction générale de la régie d'entreprise, Industrie Canada: Nous constatons que tout le monde essaie d'étirer les règles au maximum dans cette situation.
Le président: Bien des analystes vous diront que certaines entreprises sont spécialisées du contentieux. Merci pour votre exposé.
Chers collègues, nous avons un détail administratif à régler avant de terminer. Quand Rx&D, les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada, se sont présentées devant nousle 21 mars 2001, elles ont ouvert le ban par ce qui ressemblait à une vaste publicité. Je leur ai dit d'aller droit au but et d'écourter leur exposé. À présent, elles nous demandent de bien vouloir joindre leur mémoire au procès-verbal.
Est-on d'accord?
Des voix: D'accord.
(Pour le texte des documents, voir l'annexe, p. 7A:1)
Le président: Très bien. Dans notre ordre de renvoi, nous n'avons pas indiqué que nous passerions à l'étude article par article. Je vous demande donc une motion pour passer à cette étude, après quoi vous pourrez présenter les modifications que vous voulez.
Le sénateur Furey: Je propose que nous passions à l'étude du projet de loi article par article.
Le sénateur Kelleher: Mais d'abord, nous devrions être saisis d'un avis de motion.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'était pas prévu.
Le président: Voilà pourquoi nous avons besoin d'une motion.
Le sénateur Lynch-Staunton: Nous n'allons pas bloquer ce projet de loi. Nous avons été d'accord avec les versions antérieures et nous sommes satisfaits de celle-ci.
Si vous êtes d'accord, chers collègues, je vous propose de remettre cela à la semaine prochaine. Entre-temps, nous pourrions formuler certaines remarques à propos du règlement pour les inclure dans le rapport. Vous aurez la possibilité de les accepter ou non à ce moment-là, mais je préférerais qu'il s'agisse de remarques du comité et non de remarques minoritaires. Ce dossier est politiquement neutre.
Le président: Je pensais que vous aviez déjà ces observations.
Le sénateur Lynch-Staunton: J'en ai une ébauche, mais avant de la terminer je voulais d'abord entendre ce que les gens de Santé Canada voulaient nous dire. L'exposé du premier témoin a été excellent, mais il était tellement technique que je ne l'ai pas compris. J'ai besoin de lire la retranscription pour le comprendre.
Le sénateur Angus: Je crois que c'est une excellente remarque. Nous avons besoin de plus de données.
Le président: Nous n'allons nous disputer sans arrêt avec vous. Sommes-nous d'accord pour nous retrouver mercredi et pour préciser dans l'ordre de renvoi que nous passerons à l'étude article par article du projet de loi? Si vous voulez annexer des remarques, nous déciderons alors si c'est ce que nous voulons faire. Dans tous les cas, nous en ferons rapport unanimement ou pas.
Le sénateur Angus: Je vous ferai remettre les ébauches.
Le sénateur Lynch-Staunton: Merci.
Le président: Nous allons donc envoyer l'ordre de renvoi pour mercredi.
Le sénateur Angus: Je croyais l'avoir entendu dire qu'il voulait que les remarques fassent l'objet d'un rapport unanime.
Le sénateur Meighen: Nous avons intérêt à vous les faire parvenir le plus tôt possible.
Le président: Allez-vous faire distribuer vos remarques?
Le sénateur Lynch-Staunton: Nous le ferons lundi après-midi au plus tard.
Le président: Mais lundi, ce sera l'étude article par article. Est-on d'accord pour poursuivre la réunion une heure de plus, si c'est nécessaire?
Le sénateur Lynch-Staunton: Très certainement. Sachez que j'apprécie votre courtoisie, chers collègues. Nous terminerons tout cela la semaine prochaine.
La séance est levée.