Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 23 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15 h 50 pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international ainsi que le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur l'expansion des exportations et d'autres lois en conséquence.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous nous réunissons cet après-midi pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international, dans le contexte notamment de questions concernant la frontière Canada-États-Unis.
Nous accueillons cet après-midi M. Serge Charette, président national de l'Union Douanes Accise.
Puisque nous avons devant nous, une longue série d'audiences, je me permets de vous signaler que même si tout ce qui concerne notre frontière nous intéresse, notre mandat est surtout d'ordre économique. Les sénateurs peuvent évidemment poser toutes les questions qu'ils voudront, mais j'espère que ces dernières porteront principalement sur les répercussions économiques du goulot d'étranglement à la frontière, car tel est notre véritable mandat.
Donc, parler du fait de savoir s'il faut construire plus de tours de contrôle, sans être tout à fait hors du sujet, dépasse le mandat du comité, à mon avis. Mais les honorables sénateurs peuvent être en désaccord avec moi, et poseront bien évidemment les questions qui leur semblent pertinentes.
J'espère néanmoins que nous saurons nous en tenir à notre mandat de façon à rédiger un rapport utile et pertinent qui démontrera à quel point la situation actuelle nous fait du tort.
Cela dit, j'invite M. Charette à nous faire son exposé.
M. Serge Charette, président national, Union Douanes Accise: Honorables sénateurs, nous savons que les États-Unis sont très préoccupés par les questions de sécurité nationale en ce moment. L'Administration estime que la sécurité des Américains, leur mode de vie et la vie même de leurs citoyens sont en danger. Ainsi on dépense des milliards de dollars à l'heure actuelle pour renforcer les mesures de protection. Pour les Américains, c'est une affaire très sérieuse et ils comptent s'y attaquer de façon sérieuse.
Vu les événements du 11 septembre, il n'est guère étonnant qu'ils cherchent maintenant à repérer les faiblesses de leurs mesures de sécurité. On ne peut pas leur reprocher de vouloir combler les lacunes qu'ils auront réussi à dépister. Depuis le 11 septembre, les médias canadiens communiquent tous les jours de nouvelles informations sur le laxisme canadien au niveau de l'administration des questions et procédures touchant les réfugiés et l'immigration, sur le fait qu'il y a 27 000 personnes au Canada qui sont recherchées par les autorités pour fin d'extradition mais qu'on n'arrive pas à trouver, et sur les graves lacunes de notre système de protection des frontières.
Le SCRS a récemment publié un rapport qui indiquait que le Canada est un refuge pour les terroristes. Il y a même un député qui s'est exprimé à la Chambre des communes pour dire publiquement que le Canada est comme un immense avion rempli de partisans de la jihad qui menacent de s'abattre sur les États-Unis. De même, un sénateur américain a déclaré que la sécurité à la frontière canadienne, après 22 heures du soir - et ce, à plus de 60 points d'entrée aux États-Unis - se limitait au placement de quelques balises orange en caoutchouc. De nombreuses autres histoires de ce genre circulent en ce moment.
De plus, des articles publiés dans le Globe and Mail et dans le National Post du 23 octobre 2001 attribuaient à M. James Ziglar, commissaire responsable du Service américain de l'immigration et de la naturalisation, des propos selon lesquels ce dernier déclarait son intention de mettre en oeuvre un système permettant de faire inscrire le nom de tous ceux qui entrent aux États-Unis et qui les quittent aux aéroports et aux ports, d'ici 2003, et aux 50 points d'entrée frontaliers les plus importants, d'ici 2004.
Les Américains n'avaient guère besoin d'autres indications pour être convaincus qu'au mieux, la sécurité à la frontière canado-américaine était peu fiable, et carrément insuffisante par moment, et que leurs mesures de sécurité étaient gravement inadéquates et qu'il fallait donc y apporter certaines améliorations.
Il n'est pas surprenant que les Américains considèrent la sécurité à la frontière comme problématique - elle est problématique, sénateurs. Ça, c'est un fait. Nous ne faisons pas le travail que nous devrions faire, nous n'avons pas le personnel dont nous aurions besoin, nous n'en avons pas assez, et les employés ne sont pas bien formés. Ils ne sont pas non plus bien équipés. Bon nombre d'entre eux ne jouissent pas non plus des bons pouvoirs d'application. Presque la moitié n'ont pas accès à un ordinateur, alors que d'autres n'ont pas accès en temps réel aux avis de signalement et à d'autres renseignements.
Honorables sénateurs, pour les Américains, nous sommes de vrais amateurs en matière d'exécution. Nous avons de très jeunes agents qui ont tout juste assez de formation pour jouer le rôle de douanier. Nous devons donc prendre des mesures qui convaincront les autorités américaines que nous assurons des services professionnels de premier ordre en matière d'application. Nous sommes le plus important partenaire commercial des États-Unis. Nous partageons la plus longue frontière non défendue du monde. Nous sommes fiers d'être la porte d'entrée aux États-Unis, et ce qui leur fait peur, c'est la possibilité que nous considérions l'application des mesures douanières comme étant plutôt enquiquinante, au lieu de nous dire que c'est notre première ligne de défense.
Les autorités américaines inspectent les personnes et les marchandises qui entrent aux États-Unis. Nous n'exerçons aucun contrôle sur ces inspections, et c'est tout à fait normal. Cependant, toutes les marchandises qui arrivent aux États-Unis ne viennent par forcément du Canada. Bon nombre de ces marchandises et des personnes qui entrent aux États-Unis du Canada sont en transit depuis un autre pays. Donc, même si nous n'intervenons aucunement dans leurs procédures à tort ou à raison, les Américains ne nous font plus confiance. Si nous voulons que les autorités américaines soient moins sévères à la frontière, nous devons passer de la parole aux actes et faire correspondre nos actions en matière d'exécution à nos déclarations. Il faut donc qu'on leur montre que nos procédures sont aussi sophistiquées et rigoureuses qu'elles doivent l'être.
Ministre après ministre nous ont dit qu'il n'est pas souhaitable d'avoir une force policière à la frontière et que nos douaniers ne doivent pas jouer ce rôle. Honorables sénateurs, étant donné que nos uniformes et notre comportement sont analogues à ceux des policiers et que nous sommes habilités à faire appliquer le Code criminel et 70 autres lois, il faut tout simplement accepter que nous sommes essentiellement des policiers.
Pourquoi les Américains appliquent-ils des mesures de sécurité plus rigoureuses le long de la frontière que nous partageons? Eh bien, parce qu'ils ne nous font pas confiance pour accomplir le travail correctement. Par conséquent, nos homologues américains font désormais plus d'inspections et posent plus de questions. Malheureusement, cela entraîne des retards. Les Américains cherchent à relever le niveau de sécurité à la frontière. Voilà pourquoi ils joignent le geste à la parole en matière d'exécution, alors que de notre côté, nous nous demandons pourquoi la facilitation ne semble plus être de mise.
À l'heure actuelle, les ministres, l'un après l'autre, vont aux États-Unis pour parler aux Américains et leur demander, en toute humilité, d'alléger un peu leurs mesures de sécurité pour faire place à notre bonne vieille politique de la facilitation. Au lieu de supplier les Américains de nous faire à nouveau confiance, il faut leur montrer qu'ils peuvent - et doivent - nous faire confiance et que nous assumons nos responsabilités avec autant de rigueur qu'eux. Une fois qu'ils en seront convaincus, des mesures suivront qui faciliteront la vie aux entreprises canadiennes. Mais nous n'avons encore rien fait pour convaincre nos amis que la sécurité nous tient à coeur. Nous n'avons rien fait pour les rassurer suffisamment pour qu'ils puissent à nouveau nous faire confiance.
Nous leur avons jeté quelques miettes - 130 douaniers aux aéroports et aux ports de mer - alors que les Américains proposent de recruter 3 546 nouveaux agents. Le Canada a affecté 6 millions de dollars à l'acquisition de nouveaux équipements, alors que les autorités américaines engageront la somme de 304 millions de dollars US, soit 495 millions de dollars CAN, pour équiper leurs agents.
Le Parlement a récemment adopté le projet de loi S-23, une mesure législative visant essentiellement à faciliter les procédures douanières mais comportant peu de mécanismes d'exécution musclés.
Le ministre des Finances a parlé de l'engagement de 500 millions de dollars CAN pour l'infrastructure, l'expansion des autoroutes et de plus grands ponts vers les États-Unis, et cetera. Mais est-ce que les Américains font de même? Voudront-ils investir de l'argent dans leurs autoroutes et leurs ponts? Rien n'a vraiment été fait pour renforcer notre sécurité à la frontière.
Les États-Unis n'ouvrent pas leurs portes à nos citoyens et à nos marchandises pour qu'ils puissent passer à la douane plus rapidement. Par contre, les autorités américaines vont dépenser plus de 1 milliard de dollars CAN pour ériger des barricades qui rendront plus difficile l'accès aux États-Unis. Leurs procédures nous empêchent d'assurer aux fabricants américains la livraison de produits juste à temps. Comment pourrons-nous convaincre les États-Unis que ce que nous enverrons vers le Sud est vraiment sécuritaire?
Honorables sénateurs, depuis plus d'une centaine d'années, les douanes mènent leurs opérations en fonction d'un modèle de contrôle qu'on appelle «transaction par transaction», c'est-à-dire que nous contrôlons individuellement les produits et les personnes avant leur arrivée au Canada. De plus en plus, les Douanes canadiennes procèdent à de tels contrôles après coup. Cela veut donc dire que la direction des Douanes canadiennes préconise le principe de l'observation volontaire, de l'autoévaluation, de l'autodéclaration et privilégie donc un modèle de vérification douanière postérieure qui correspond à la norme qu'on applique en comptabilité. Mais nous n'avons même pas assez de personnel pour faire des vérifications douanières postérieures. Par exemple, au port de Vancouver, du 1er avril au 31 octobre 2001, nous avons eu 134 760 arrivages. Sur ce nombre, grâce à nos renseignements, nous avons déterminé que 3 p. 100, soit 4 749 envois, devaient faire l'objet de contrôle. Malheureusement, comme nous manquons de personnel, 1 640 envois - soit 35 p. 100 de ce nombre - n'ont jamais été inspectés; ils ont donc été dédouanés sans vérification. En quoi le fait de vérifier les documents longtemps après le dédouanement des marchandises nous permettra-t-il de mieux appliquer les mesures douanières?
Les procédures comptables n'empêcheront jamais un criminel ou un terroriste qui veut traverser la frontière ou expédier des marchandises vers les États-Unis d'arriver à ses fins. Les Américains le savent très bien. Sinon, qu'est-ce qui les aurait motivés à tripler leur effectif de gardes-frontière? Il n'est pas possible de croire, vu le monde dans lequel nous vivons présentement, que les gens et les marchandises passeront la douane sans difficulté et dans le respect des mesures douanières et que les cas de non-respect seront repérés grâce à la vérification douanière qui se fera après coup. Depuis le 11 septembre, les Américains ont complètement mis de côté les bons vieux systèmes d'évaluation des risques. À présent tout est plus risqué, et par conséquent, il y a des ralentissements à la frontière.
Les Douanes doivent s'organiser de manière à assurer l'application des lois, plutôt que de se comporter comme une organisation comptable. Cessons donc de rêver de facilitation et de croire qu'il suffira de jeter quelques miettes aux autorités américaines pour les rassurer au sujet de nos mesures de sécurité. Il nous faut démontrer concrètement aux Américains que la sécurité nous tient à coeur. Si nous voulons aider les entreprises canadiennes, faisons en sorte qu'il soit plus simple et plus facile aux autorités américaines d'inspecter tout ce qui est à destination des États-Unis.
Dans le pire des scénarios - c'est-à-dire, si rien ne permettait de convaincre les Américains que nos mesures douanières et de sécurité nationale sont suffisantes et appropriées - nous devrions chercher à les rassurer au sujet des envois commerciaux que nous voulons et que nous devons expédier vers les États-Unis.
Honorables sénateurs, construisons donc de grandes installations d'inspection commerciales sur notre territoire, à quelques kilomètres de la frontière américaine, de manière à inviter les autorités américaines à y installer des douaniers américains qui seraient chargés d'inspecter les envois canadiens, de les dédouaner, de les sceller et de les mettre sous caution pour qu'ils puissent ensuite rapidement passer la frontière américaine.
Je suis très heureux de pouvoir informer les honorables sénateurs que le gouvernement de l'Ontario a annoncé aujourd'hui qu'il est prêt à délivrer des certificats de port d'armes aux douaniers américains pour leur permettre de venir en Ontario pour assurer le prédédouanement des envois commerciaux. C'est une idée tellement simple que l'on doit nécessairement trouver étonnant, alors que nous expédions plus de 600 milliards de dollars de marchandises canadiennes aux États-Unis chaque année, que ce système ne soit pas déjà en place.
Merci infiniment de m'avoir donné l'occasion de vous faire cet exposé. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le sénateur Tkachuk: Il est clair que les événements du 11 septembre ont aggravé certains des problèmes que vous décrivez. Pourriez-vous expliquer aux membres du comité quelles étaient les principales difficultés que vous rencontriez avant le 11 septembre, ce qui a été fait après le 11 septembre, et pourquoi la situation s'est détériorée?
M. Charette: À notre avis, l'une des grandes difficultés était une série de décisions prises au fil des ans qui consistait à donner la priorité à la facilitation plutôt qu'à l'application des mesures douanières. Pendant les années 1990, notamment, les autorités douanières canadiennes estimaient que puisqu'on n'avait qu'un certain nombre d'agents à la frontière, pour améliorer soit la facilitation, soit l'application des mesures douanières, il fallait être prêt à sacrifier l'un ou l'autre.
Ainsi pendant plusieurs années, nous avons sacrifié l'application des mesures pour faire place à la facilitation. Il s'agit là d'une de nos grandes préoccupations. Le résultat d'une telle démarche a été que nos agents ont bénéficié de moins de formation, étant donné qu'il n'y avait pas assez de personnel pour remplacer éventuellement ceux et celles qui devaient suivre un cours de formation sur telle ou telle loi. Il a donc fallu recourir davantage aux services des étudiants - étudiants qui ne reçoivent que deux semaines de formation. Nous ne sommes pas du tout convaincus que les étudiants ont les connaissances requises pour assurer l'application efficace des 70 lois pour lesquelles nous sommes les premiers agents d'exécution à la frontière.
Les honorables sénateurs ont sans doute reçu une lettre de ma part en juin qui concernait le recrutement d'étudiants. Vous vous souviendrez qu'à ce moment-là, nous trouvions préoccupant que ces personnes bénéficient d'une formation limitée et qu'on leur permette d'assumer la responsabilité d'une ligne d'inspection avec un minimum de surveillance. À l'heure actuelle, selon la procédure normale, si un étudiant a accès à un téléphone pour pouvoir demander conseil à un autre agent, on considère qu'il est supervisé. Ça, c'est quelque chose qui nous préoccupe beaucoup.
Depuis le 11 septembre, toutes ces difficultés ont pris des proportions considérables. Et nous sommes maintenant plus convaincus que jamais que non seulement les étudiants mais nos membres ont besoin de formation supplémentaire.
Les événements du 11 septembre ont également mis en relief les inquiétudes des autorités américaines relativement aux lacunes de notre système. Pour contrer ces lacunes, les Américains ont décidé d'augmenter leur effectif à la frontière canado-américaine. Ceci entraîne beaucoup de retards qui ne devraient pas se produire. Nous devrions être en mesure de faire notre travail efficacement et de les convaincre que nous sommes aussi rigoureux qu'eux.
Le sénateur Tkachuk: Avant les événements du 11 septembre, nous inspections moins de marchandises pour accélérer le passage de la douane des marchandises à destination des États-Unis. C'est bien cela?
M. Charette: Oui, exactement.
Le sénateur Tkachuk: Vu les événements du 11 septembre, les gens sont d'avis qu'il faut accélérer le passage et la circulation des produits, mais je suppose que nous devons contrôler au moins autant que nous le faisions avant le 11 septembre, n'est-ce pas?
M. Charette: C'est exact.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que les Américains faisaient la même chose? Étaient-ils convaincus qu'il fallait contrôler moins et accélérer le trafic à la frontière, ou disaient-ils de plus d'agents, si bien qu'il aurait été possible d'accélérer le trafic?
M. Charette: Des deux côtés de la frontière, c'est la facilitation qui était le mot d'ordre, vu l'Accord de libre- échange, et cetera. L'économie tournait à plein régime et on se préoccupait peu de questions de sécurité. Après le 11 septembre, étant donné que la sécurité constitue maintenant la principale préoccupation des Américains, les autorités américaines ont tout de suite pris des mesures pour améliorer les ratios d'application en posant plus de questions, et cetera. Nous avons fait quelque chose de semblable au Canada, mais en faisant faire plus d'heures supplémentaires plutôt que de recruter d'autres agents. Les Américains ont immédiatement décidé qu'il leur fallait un effectif plus important, et ils ont donc recruté de nouveaux agents. Notre réaction a été de nous dire qu'il s'agissait d'une simple anicroche qui disparaîtrait assez rapidement. Nous avons donc décidé d'assumer la charge de travail additionnelle en demandant aux agents de faire beaucoup plus d'heures supplémentaires.
Par conséquent, bon nombre de nos agents sont complètement épuisés à l'heure actuelle. Ils ne peuvent plus faire autant d'heures supplémentaires, si bien que le nombre d'heures a baissé. L'interrogation et le contrôle des biens, et cetera, ont également été réduits. Par conséquent, notre approche est encore plus axée sur la facilitation maintenant qu'elle ne l'était le 11 septembre. Ça, c'est certain.
Le sénateur Fitzpatrick: J'ai besoin d'éclaircissements, car je ne comprends pas certains aspects de votre exposé.
On parle du passage à la douane des marchandises canadiennes à destination des États-Unis - marchandises qui doivent être dédouanées par les douanes américaines; lorsqu'il s'agit de gens qui veulent être admis aux États-Unis, il s'agit à ce moment-là des formalités du Service américain de l'immigration.
Dans la première partie de votre exposé, vous avez parlé du fait que nos agents ne sont pas à la hauteur. Mais je vois mal en quoi ça touche les autorités américaines. Plus tard, vous avez dit qu'il serait possible d'améliorer les choses si on recourait aux services d'agents américains armés sur notre territoire. Mais je ne vois pas non plus en quoi cela peut nous permettre d'accélérer le passage des marchandises à la frontière. À mon avis, il convient plutôt de mettre l'accent sur le processus dans son ensemble - c'est-à-dire le type de matériel d'inspection que nous employons actuellement et d'autres procédures, afin que les deux pays harmonisent leurs procédures.
Vous m'excuserez cette question, mais j'ai du mal à comprendre vos propos à cet égard. Peut-être pourriez-vous me les expliquer.
M. Charette: Notre interprétation de la situation ou de la problématique actuelle est celle-ci: étant donné que nos procédures d'application ne sont pas semblables aux leurs, ou ne sont pas considérées comme étant semblables aux leurs, leur réaction a été de poser plus de questions.
Rappelez-vous que bon nombre des marchandises à destination des États-Unis arrivent au Canada depuis un autre pays. Elles peuvent être déchargées à Halifax, à Montréal, à Toronto ou à Vancouver et ensuite expédiées aux États-Unis par camion, par train ou par un autre mode de transport.
Les autorités américaines savent aussi que bon nombre de visiteurs s'arrêtent d'abord au Canada et vont ensuite aux États-Unis. Comme les Américains estiment que nous n'appliquons pas les mesures aussi efficacement ou aussi rigoureusement qu'ils le font, ils posent plus de questions, et ils font plus de contrôle à la frontière. Souvent ils inspectent des choses que nous n'avons même pas inspectées.
Le président: Je ne comprends plus. Vous avez parlé de biens et de visiteurs. Est-ce la même chose en ce qui vous concerne?
M. Charette: C'est-à-dire que nos préoccupations sont les mêmes dans chaque cas, mais on parle surtout de marchandises commerciales.
Le président: Les questions d'immigration ne concernent pas le comité et ne cadrent pas du tout avec son mandat. C'est bien de s'informer, mais en réalité, nous avons besoin d'un autre type d'information.
M. Charette: Je vais donc vous parler surtout du passage des marchandises commerciales à la frontière. Pour ce qui est des marchandises commerciales qui arrivent au Canada d'un autre pays, et sont ensuite acheminées vers les États-Unis, il va sans dire que les autorités américaines ne peuvent pas connaître le point d'origine d'un envoi simplement en le voyant. Par conséquent, elles veulent examiner la documentation, poser des questions au camionneur, et cetera.
Le sénateur Fitzpatrick: Parlez-vous des marchandises qui arrivent au Canada sous caution? Si c'est le cas, il appartient évidemment aux autorités américaines de dédouaner tout ce qui arrive sous caution. Nous n'avons pas la responsabilité de contrôler les marchandises sous douane. Je ne comprends donc pas pourquoi on critique les procédures américaines, puisqu'il s'agit de marchandises sous douane.
Je suis d'accord avec le président pour dire que ce qui nous intéresse surtout c'est la circulation des biens, et nous voulons donc savoir ce qu'on peut faire pour accélérer la circulation de ces biens. À mon avis, nous devrions surtout essayer de trouver de bonnes solutions à présenter aux Américains, plutôt que de critiquer ce qui se fait de l'autre côté de la frontière.
Les Américains ont peut-être des plaintes à formuler au sujet de nos agents et des formalités douanières qui touchent les marchandises américaines qui arrivent au Canada, mais si je vous ai bien compris, votre position sur la question n'y est pas du tout liée.
M. Charette: C'est-à-dire que les marchandises canadiennes à destination des États-Unis doivent être contrôlées ou inspectées par des douaniers américains. Nous proposons donc qu'une demi-douzaine d'installations soient construites près des ports à plus fort volume de trafic et que nous les administrions conjointement avec les Américains. Cela permettrait de démontrer aux autorités américaines que nos procédures sont semblables aux leurs. Cela leur prouverait également que nous, aussi, nous inspectons ce genre de marchandises, et en même temps, elles auraient la possibilité de contrôler les marchandises avant qu'elles arrivent à la frontière. Il s'agirait d'installations modernes, dotées de tous les équipements nécessaires permettant de décharger et de recharger les camions, les conteneurs, et cetera.
Sans le bon équipement, il peut être très difficile de décharger et de recharger les conteneurs. Les boîtes ou paquets sont tellement tassés à l'intérieur qu'on ne peut même pas ouvrir la porte et commencer à examiner les marchandises sans les décharger un peu.
Le sénateur Fitzpatrick: Je crois savoir que des installations d'administration mixte sont en voie de construction à la frontière. Je sais que c'est le cas en Colombie-Britannique. Vous nous suggérez d'en construire d'autres, et donc de mettre sur pied un service mixte où l'on pourrait traiter les marchandises à destination des deux pays.
Le sénateur Oliver: Ma question fait suite à celle du sénateur Fitzpatrick. Monsieur Charette, vous vous demandiez dans votre exposé ce que nous devons faire au Canada pour que les Américains sachent que les marchandises que nous acheminons vers le Sud sont sécuritaires. Vous avez dit que certaines de nos procédures ne sont pas sécuritaires, et ensuite vous avez parlé de la nécessité de construire toute une série d'installations d'inspection commerciale. Vous avez aussi affirmé que les journaux annonçaient que le ministre des Finances compte prévoir une affectation de 500 millions de dollars pour de telles installations. D'après ce que vous avez pu comprendre, la majeure partie de cette somme servira-t-elle à construire le genre d'installations que vous recommandez?
M. Charette: D'après ce que j'ai pu comprendre, non. Je crois plutôt savoir que les 500 millions de dollars serviront à construire des autoroutes qui permettront d'accélérer le transport des marchandises. Je ne sais pas encore combien de ces 500 millions de dollars serviront à améliorer les procédures douanières ou les installations d'application des mesures douanières. Il n'y a pas encore eu d'annonce à ce sujet.
Avant de nous engager à faire de grands travaux, comme la construction de ponts et d'autoroutes, nous devrions d'abord nous assurer que les Américains comptent en faire autant. C'est bien beau de construire une autoroute à quatre voies au Canada pour faciliter et accélérer l'accès à la frontière, mais si, du côté américain, il n'y a qu'un chemin de terre, la situation ne changera guère.
Voilà pourquoi nous estimons qu'il faut une entente entre les deux pays pour que les Américains prennent des mesures si nous, du côté canadien, nous engageons à en prendre. Les deux pays devraient convenir d'une telle démarche. Sinon, l'argent sera mal investi, et surtout dans des projets qui ne cadrent pas avec nos priorités.
Le sénateur Oliver: Ce sur quoi vous insistez le plus dans votre exposé, me semble-t-il, c'est la nécessité de construire davantage de grandes installations commerciales. Le sénateur Fitzpatrick vient d'indiquer que de telles installations existent déjà en Colombie-Britannique. Est-ce qu'il y en a en Ontario ou au Québec?
M. Charette: Que je sache, Windsor est la seule localité à disposer d'une installation de traitement qui ne soit pas située à la frontière même. J'ai appris son existence tout récemment, d'ailleurs. Je ne savais pas qu'il en existait en Colombie- Britannique, mais je peux certainement vérifier cette information.
Le sénateur Oliver: Donc, si l'on construisait des installations de ce type au Québec et en Ontario, près de la frontière - le genre qui permettrait à votre avis de faciliter les échanges - cela coûterait combien?
M. Charette: Les bâtiments eux-mêmes ne coûteraient pas cher; et les terrains ne coûteraient pas trop cher non plus, étant donné qu'il s'agirait de terrains vagues situés près de la frontière. Pour ce qui est de l'installation elle-même, il suffit d'avoir une structure de base, pour protéger les gens contre les éléments.
Le sénateur Oliver: Mais qu'en est-il de l'équipement moderne et de la technologie?
M. Charette: Acheter de l'équipement moderne pourrait coûter plus cher. Il faut surtout envisager d'acheter des appareils à rayons X, comme ceux qu'ils ont dans six ou sept localités aux États-Unis. Grâce à ce genre d'appareil, on peut inspecter aux rayons X tout un camion d'un seul coup. Ces appareils permettent de beaucoup accélérer le processus, mais ils coûteraient cher. Je ne sais pas exactement combien, mais je sais que nous n'en avons pas du tout au Canada.
Le sénateur Fitzpatrick: Je voulais simplement préciser que je parlais tout à l'heure d'une installation portuaire mixte en voie de construction à Osoyoos qui abritera des agents à la fois canadiens et américains. C'est-à-dire que les autorités des deux pays se serviront de cette installation et de toute l'infrastructure.
Cette initiative est prise dans le cadre du programme T-21 annoncé aux États-Unis qui vise à créer un corridor nord-sud pour l'acheminement des marchandises entre le Canada et les États-Unis. Le budget prévu est de 281 milliards de dollars. Il s'agit d'une autoroute, mais le projet comprend la construction d'installations douanières pour accélérer l'acheminement des marchandises depuis le Mexique aux États-Unis et au Canada. C'est étonnant, mais la loi américaine prévoit que les autorités pourront engager des dépenses au Canada pour ce genre d'installations, à condition qu'elles soient situées à 50 kilomètres de la frontière.
Il va sans dire que celles-ci devront également répondre à nos besoins, mais je trouve vraiment étonnant que les Américains envisagent, dans le cadre de cette initiative, d'engager des dépenses pour construire des installations au Canada à condition qu'elles soient situées à 50 kilomètres ou moins de la frontière canadienne.
Le sénateur Kroft: Je voudrais être sûr de bien comprendre la nature du groupe que vous représentez. En quoi consiste le travail de vos membres?
M. Charette: Nous représentons l'ensemble des inspecteurs des douanes au Canada. Nous représentons également quelques agents de l'accise et quelques personnes qui travaillent du côté de l'impôt. Aujourd'hui nous présentons les préoccupations et propositions de nos membres en insistant sur l'aspect douanier, puisque ces derniers sont surtout des inspecteurs des douanes.
Le sénateur Kroft: Donc, votre préoccupation concerne surtout l'entrée des marchandises au Canada, n'est-ce pas? Les personnes que vous représentez contrôlent les marchandises qui arrivent au Canada. Nous ne procédons absolument pas au contrôle des marchandises qui quittent le pays, n'est-ce pas?
M. Charette: Non, nous n'avons pas le droit d'examiner les marchandises qui quittent le pays, à moins de soupçonner qu'elles sont frappées d'une interdiction d'exportation vers certains pays.
Le sénateur Kroft: Vous souhaitez surtout - comme le comité, d'ailleurs - vous assurer qu'il n'y a pas d'obstacles à l'entrée des marchandises au Canada? C'est surtout ça notre problème au niveau des échanges. Les Américains font ce qu'ils croient être obligés de faire par rapport aux marchandises qui quittent le Canada à destination des États-Unis
Donc, pour vous, ce qui compte, c'est tout ce qui arrive au Canada. Est-ce que je me trompe?
M. Charette: Oui, notre plus grande préoccupation touche les marchandises qui arrivent au Canada.
Le sénateur Kroft: Je voudrais revenir sur ce qui a été mentionné par le sénateur Oliver. Lorsque j'étais dans un aéroport américain hier, on m'a ouvert mon sac de vol et les agents ont examiné en détail son contenu; mais lors du vol de retour, on n'a jamais ouvert mon sac. On l'a mis sur un tapis transporteur, il est passé dans un appareil et on me l'a remis à l'autre bout. On peut supposer que l'opérateur de l'appareil à rayons X estimait avoir assez vu le contenu de mon sac de vol pour ne pas avoir à l'ouvrir et l'inspecter.
Mais j'aimerais savoir quelles sont les solutions, en ce qui vous concerne, du point de vue de l'investissement à faire dans la technologie car un tel investissement semble approprié, même si vous avez surtout insisté sur les personnes qui effectuent le travail d'inspection.
À mon sens, nous n'arriverons jamais à régler ce problème de circulation des marchandises ou des gens simplement en recruter de nouveaux agents. Il y a certainement des solutions techno- logiques qui permettront d'accélérer grandement le processus et qu'il faudrait envisager, au lieu de se contenter de recruter d'autres agents. Pourriez-vous donc nous dire ce que vous pensez du rôle de la technologie dans tout cela?
M. Charette: Eh bien, le projet de loi S-23 prévoit un recours beaucoup plus important à la technologie. Nous espérons que cela permettra d'équiper tous nos bureaux des douanes d'ordinateurs et de les raccorder tous aux réseaux policiers. Il y a aussi la question des avis de signalement.
Au port de Victoria, en Colombie-Britannique, les opérations ne sont pas informatisées, alors qu'un million de personnes prennent le bac à ce port pour quitter le Canada.
Donc, nous serions ravis d'obtenir des équipements additionnels - et notamment les nouveaux appareils qui sont proposés, tels que les scanners et les lecteurs d'empreintes palmaires.
Rappelez-vous que cet équipement permettra de recueillir énormément d'information et de données, qui devront ensuite être analysées et interprétées, pour que les inspecteurs des douanes puissent s'en servir.
Nous savons fort bien que les nouvelles technologies nous seront très utiles dans tous ces domaines, et notamment pour ce qui est de l'inspection des marchandises commerciales. Par exemple, il serait possible de nous fournir l'information sur un envoi commercial par voie électronique, et donc d'examiner toutes les données avant l'arrivée des marchandises au Canada. Cela voudrait dire que lorsque les marchandises arrivent à la frontière, la décision de les inspecter ou de les dédouaner aurait déjà été prise.
Cela ne voudrait pas dire que le travail de contrôle ne se ferait plus. Mais les agents pourraient faire un travail plus exhaustif puisqu'ils auraient accès à un plus grand nombre de sources d'information.
Alors, je suis d'accord avec vous pour dire que l'une des solutions envisagées consiste à recourir davantage aux technologies. Lorsque j'ai comparu devant le comité qui était saisi du projet de loi S-23, j'ai déclaré que nous accueillons à bras ouverts toutes les nouvelles technologies et que nous espérons pouvoir mieux accomplir notre travail grâce à elles. Mais il ne s'ensuit pas nécessairement que parce que vous employez plus de technologie, vous avez besoin de moins de personnel ou que vous pouvez vous contenter de garder l'effectif actuel.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Le projet de loi S-23 oblige les compagnies aériennes à communiquer leurs manifestes de passagers. Ça, c'est bien beau, mais il faut que quelqu'un analyse cette information, repère les erreurs, et cetera. Il peut vous arriver d'appuyer sur la mauvaise touche quand vous entrez le numéro de passeport, si bien que l'information doit toujours être vérifiée.
Les nouvelles technologies nous donnent des outils fantastiques, mais elles ne pourront remplacer les inspecteurs des douanes. En fait, nous aurons besoin à mon avis de plus d'inspecteurs pour recueillir et interpréter l'information qui sera générée par ces nouveaux systèmes.
Le président: On a l'impression qu'après le 11 septembre, la situation s'est beaucoup détériorée; mais comme nous le signalait le sénateur Tkachuk, ça n'allait pas si bien avant le 11 septembre non plus. Mais pourquoi la situation s'est-elle à ce point détériorée? Est-ce parce que les agents examinent de plus près les marchandises qui traversent la frontière?
M. Charette: Ce qui est arrivé, c'est que nous avons immédiatement appliqué ce que nous appelons une alerte de niveau un. L'instruction donnée à nos membres et aux douaniers américains était de vérifier autant de marchandises et de personnes que possible. Par conséquent, on a commencé à poser plus de questions-
Le président: Ne parlons pas des gens; tenons-nous en aux marchandises.
M. Charette: Toutes les marchandises étaient donc examinées, et les chauffeurs de camion étaient longuement interrogés.
Le président: Je commence à comprendre. Pourriez-vous donc nous aider à répondre à la question que voici: au cours du prochain mois ou des deux prochains mois, si nous voulons chercher à quantifier la détérioration de la situation, où pourrions-nous obtenir de telles données? Les douanes américaines seraient-elles en mesure de nous les fournir? Autrement dit, par rapport à des envois d'une valeur de 600 millions de dollars par an, les volumes traités chaque mois l'année dernière par rapport aux volumes des marchandises traitées chaque mois cette année? Je ne sais pas comment on établit de telles comparaisons. Quelle serait la meilleure source de ce genre d'information?
M. Charette: Vous parlez du volume des marchandises traitées ou des délais réels de traitement? Pour ce qui est des délais de traitement réels des marchandises canadiennes à destination des États-Unis, la meilleure source d'information serait probablement les douanes américaines.
Le président: Et pour les volumes de marchandises?
M. Charette: Pour ce qui est des volumes, l'Agence établit chaque mois ce qu'elle appelle un rapport G-11.
Le président: Quelle agence?
M. Charette: L'Agence des douanes et du revenu du Canada. Les rapports G-11 sont des rapports statistiques que nous communiquons aux Américains. Selon l'accord conclu avec ces derniers, au lieu de tenir nos propres statistiques sur les exportations, nous leur communiquons nos statistiques sur nos importations, et eux font de même. Je suis à peu près sûr que vous pourriez obtenir cette information en vous adressant aux autorités américaines.
Le président: Merci infiniment pour vos conseils et pour votre présence aujourd'hui. Nous avons trouvé cela fort instructif. Bonne fin d'après-midi.
M. Charette: Merci.
Le président: Nous passons maintenant à la deuxième partie de notre ordre du jour, soit le projet de loi C-31. J'invite maintenant les fonctionnaires du ministère et les autres témoins à venir témoigner. J'ignore le nombre exact de témoins, mais j'espère que chaque groupe désignera une personne qui prendra en premier la parole.
La seule autre consigne que je désire donner aux témoins est celle-ci: nous sommes très heureux de pouvoir entendre vos vues, mais je vous arrêterai si je constate que vous revenez sur les mêmes points que le premier témoin. Il nous est déjà arrivé assez souvent de nous rendre compte que les ONG ou certains groupes d'intérêt se répètent, et cela ne nous avance pas beaucoup. Par contre, si quelqu'un a quelque chose de nouveau à nous dire, nous sommes toujours heureux de l'entendre.
Nous accueillons cet après-midi M. Pat O'Brien, secrétaire parlementaire du ministre du Commerce international; Mme Marie-Lucie Morin et M. Martin H. Jensen, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international; et M. Peter Cameron, du ministère des Finances.
M. Pat O'Brien, secrétaire parlementaire du ministre du Commerce international: Honorables sénateurs, je suis très heureux de comparaître cet après-midi pour représenter mon collègue, le ministre du Commerce international, en ma qualité de secrétaire parlementaire. Les fonctionnaires qui m'accompagnent possèdent toute l'expertise technique voulue, et se feront un plaisir de répondre éventuellement à vos questions.
Le projet de loi C-31 est le fruit du processus d'examen législatif obligatoire prévu en 1993, lors de la précédente modification de la Loi sur l'expansion des exportations. Les modifications apportées à la Loi en 1993 renforçaient ensiblement les pouvoirs de la SEE en matière de commerce, et le Parlement a estimé qu'il était important d'assurer le suivi en ce qui a trait à la manière dont ces modifications étaient mises en oeuvre dans la pratique. L'examen législatif a été lancé au moment opportun en 1998. Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, de même que votre comité, bien entendu, y ont pris part tous les deux. Nous avons reçu les rapports de ces comités et effectué un important travail interministériel sur la base des recommandations formulées.
Récemment, en mai dernier, les ministres ont approuvé un certain nombre de modifications législatives et de politiques découlant de l'examen de la SEE par le Parlement et du travail accompli par les fonctionnaires. Le résultat législatif est le projet C-31. Ce projet de loi est lié à un certain nombre d'initiatives stratégiques, dont l'importance mérite d'être signalée, mais qui ne se reflètent pas directement dans l'actuelle législation. Je voudrais donc consacrer quelques minutes à chacun de ces deux points.
Sur le plan législatif, la SEE va changer de nom et s'appellera dorénavant Export Development Canada en anglais et Exportation et développement Canada, en français. Ce changement de nom permettra d'utiliser la marque commerciale bien connue «EDC» dans les deux langues officielles. Il identifiera davantage la SEE au Canada, ici comme à l'étranger. En outre, il devrait faciliter la promotion de la Société, tout particulièrement auprès des petits exportateurs du Canada.
Deux des modifications visent la régie de la Société. La première permettra au conseil d'administration de la SEE de déléguer certains pouvoirs à des sous-comités composés de directeurs ayant des connaissances spécialisées dans un domaine précis. De tels comités spécialisés existent déjà au sein du conseil d'administration de la SEE, et cette modification ne fait que donner un effet juridique à ce qui est déjà une pratique courante dans les conseils d'administration de sociétés bien gérées.
La seconde modification touchant la régie de la Société confirmera la capacité du conseil d'administration d'adopter des règlements régissant l'administration de son nouveau régime de pension. Ce régime est entré en vigueur en avril 2000, assorti de toutes les autorisations appropriées, et il est conforme à la politique du Conseil du Trésor sur les régimes de pension des sociétés d'État.
Si vous jetez un coup d'oeil sur le mandat de l'étude préparée par le cabinet Gowling's - qui était la première étape de l'examen législatif - vous constaterez qu'un accent particulier a été mis sur les opérations commerciales de la SEE et la mesure dans laquelle ces opérations répondaient aux besoins des exportateurs canadiens. Il est apparu évident, au cours de l'examen, que la Société était bien gérée et jouait un rôle important dans le commerce d'exportation du Canada. Un grand nombre des recommandations formulées dans le rapport Gowling ont été adoptées par le comité de la Chambre qui les étudiées en profondeur; d'autres ont été considérées comme moins pertinentes, compte tenu de la remarquable performance de la SEE en matière d'aide à l'exportation. Dans certains cas, le principe de certaines recommandations a été approuvé, même si la recommandation n'a pas été acceptée dans son intégralité, car on estimait que le gouvernement ne devrait pas limiter la capacité de la Société à servir les exportateurs canadiens.
D'autre part, on a considéré que la SEE pouvait faire davantage pour s'assurer - et pour le démontrer publiquement - que ses activités étaient conformes aux normes sociales et environnementales que les Canadiens s'attendent à ce qu'elles soient respectées par un organisme de leur gouvernement. Les principales modifications proposées dans le projet de loi C-31 répondent à cette préoccupation.
En premier lieu, aux termes de ces modifications, la SEE est tenue légalement d'effectuer les examens environnementaux des projets pour lesquels on sollicite son appui. La SEE satisfait déjà à cette exigence, mais en vertu de l'actuelle modification, il s'agirait d'une obligation juridique. En second lieu, le vérificateur général devra procéder à l'examen périodique du cadre d'examen environnemental d'EDC. Ces examens auront lieu au moins une fois tous les cinq ans et donneront lieu à un rapport qui sera présenté au Parlement. La SEE a déjà fait l'objet d'un tel examen et se fonde sur les conclusions du vérificateur général pour réviser son cadre actuel.
Je m'écarte du texte de mon exposé pour vous faire remarquer que l'actuel ministre du Commerce international a cherché activement à s'assurer que l'on tienne compte régulièrement des recommandations du vérificateur général, et à mon sens, c'est un progrès très positif.
Le cadre juridique envisagé par le projet de loi C-31 établit un mandat général en matière d'environnement tout en laissant la mise en oeuvre détaillée au soin du conseil d'administration de la SEE. C'est l'approche suivie actuellement par l'un de nos principaux concurrents internationaux, les États-Unis.
Après avoir analysé un certain nombre de modèles, c'est cette approche que la Chambre des communes et Gowling's ont approuvée. L'approche que nous avons retenue est conforme à la pratique émergente dans la communauté internationale et à nos travaux dans ce domaine au sein de l'OCDE. Elle établira un processus uniforme pour les projets de la SEE et permettra une adaptation rapide à un environnement concurrentiel et technique en constante évolution. La surveillance du vérificateur général fera en sorte que ce système demeurera adéquat, tant dans sa conception que dans son fonctionnement.
Il y a un certain nombre de recommandations qui n'apparaissent pas dans le projet de loi C-31, mais auxquelles le gouvernement et la SEE ont donné suite par d'autres moyens - par exemple, les pratiques de la SEE en matière de divulgation et l'attention accordée aux questions de droit de la personne dans les pays avec lesquels la Société fait affaire. La SEE a récemment élaboré une politique de divulgation de l'information qui renseignera sur ses activités commerciales ainsi que sur les incidences environnementales et sociales de ses projets. En ce qui a trait à la question des droits de la personne, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international s'emploie, de concert avec la Société, à mettre au point des mécanismes d'échange permanent d'information sur les droits de la personne dans un certain nombre de pays.
L'une des recommandations faites par votre comité concernait la mise en place d'un programme de garantie pour les banques commerciales. Cette recommandation a fait l'objet d'un examen attentif par le gouvernement, bien qu'aucune modification législative n'ait été proposée pour l'instant.
Toutefois, suite à votre recommandation, les représentants du gouvernement ont examiné cette possibilité avec des banques canadiennes et étrangères et des spécialistes du commerce international. Il est possible que soient proposées certaines mesures visant à trouver une solution à la question du manque de capacité qui a été soulevée par le comité, mais cela devrait se faire sans porter atteinte aux programmes actuels de la SEE. Au moment opportun, les fonctionnaires proposeront à leurs ministres d'adopter des recommandations sur cette importante question.
Monsieur, il y a une autre question sur laquelle je voudrais attirer votre attention. Elle n'est pas traitée dans le texte qui vous a été distribué aujourd'hui, car nous venons tout juste de prendre connaissance de cette information.
Un article publié dans les journaux hier prétendait qu'un article du projet de loi criminalise la libre expression puisqu'il prévoit des sanctions pour l'utilisation non autorisée du nom de la Société. Sans vouloir contredire l'auteur de l'article en question, je vous affirme qu'il s'agit là d'une interprétation tout à fait erronée de l'objet de l'article en question. Il s'agit en réalité d'une disposition type de la législation financière fédérale. Elle vise les comportements axés sur la fraude, plutôt que la liberté d'expression. La Loi sur la Banque de développement du Canada comporte un article semblable, de même que de nombreuses autres lois.
De plus, pour ce qui est des affaires criminelles, l'application de l'article en question relèverait de la responsabilité du procureur général du Canada. Permettez-moi donc de répéter qu'il s'agit d'une disposition anti-fraude pure et simple. Elle ne vise donc aucunement à enfreindre les débats libres sur d'importantes politiques gouvernementales.
En faisant le dépôt du projet de loi C-31 devant le Parlement, le ministre du Commerce international a opté pour une approche équilibrée de réforme stratégique à la SEE. D'une part, ce projet de loi confère à EDC d'importantes responsabilités pour l'élaboration de politiques environnementales et sociales crédibles et efficaces. D'autre part, il prévoit la surveillance du gouvernement et la reddition de comptes au public en rapport avec ces politiques, par l'entremise de consultations publiques régulières et du Bureau du vérificateur général.
Je vous remercie de m'avoir écouté et j'encourage tous les sénateurs à soutenir ce projet de loi.
Le président: Je vous invite maintenant à nous présenter vos collègues, et ensuite nous ouvrirons la période des questions.
M. O'Brien: Je suis accompagné aujourd'hui de Marie-Lucie Morin, de Martin Jensen et de Peter Cameron.
Le sénateur Oliver: Vous avez parlé d'études faites par le comité de la Chambre des communes et de ce comité, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous avons effectivement mené une étude en profondeur de la Banque pour l'expansion des exportations. Nous avons fait des recommandations, qui ont été examinées par le gouvernement de même que celles du comité de la Chambre des communes.
Ce comité a donc consacré pas mal de temps à examiner des préoccupations environnementales que ce projet de loi ne semble pas traiter directement. Nous avons aussi consacré beaucoup de temps à ce qu'on appelle la régie de la Société, dont il est question dans ce projet de loi, mais pas en termes aussi précis que certains d'entre nous le souhaiteraient peut-être.
Dans un premier temps, je voudrais aborder avec vous la question de la régie de la Société. Vous avez dit dans votre exposé que les détails en matière de mise en oeuvre seraient laissés au soin du conseil d'administration de l'EDC, c'est-à-dire que ce dernier envisage d'élaborer un mandat général d'ordre environnemental. Le problème que pose une telle démarche c'est que si vous confiez cette responsabilité au conseil d'administration exclusivement, sans que ce soit précisé dans une loi ou un règlement, le conseil d'administration pourra se raviser de jour en jour. Un jour telle politique s'appliquerait, un autre jour, ce serait une politique différente.
Qui est protégé? Le conseil dira qu'il assume ses obligations fiduciaires en prenant de telles mesures. Mais qu'en est-il du pauvre exportateur et du pauvre Canadien?
J'estime que l'on devrait préciser dans la loi que cela doit se faire, étant donné que le pauvre Canadien ne pourra pas faire de vérification en passant par la Loi sur l'accès à l'information, étant donné que vous n'êtes pas visé par cette législation. Voilà justement l'une des grandes lacunes de ce projet de loi, j'aimerais donc vous entendre là-dessus.
M. O'Brien: Comme vous pouvez vous l'imaginer, je ne suis pas l'expert technique sur le projet de loi. Je vais donc demander à M. Jensen de vous répondre.
M. Martin H. Jensen, agent du financement à l'exportation, direction du financement à l'exportation, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Merci pour votre question. Il est vrai que le projet de loi donne un pouvoir discrétionnaire assez considérable au conseil d'administration de la SEE, mais ce pouvoir discrétionnaire n'est pas absolu.
Le sénateur Oliver: À mon avis, si.
M. Jensen: Sur le plan juridique peut-être, mais dans la pratique, non. Par exemple, ce projet de loi prévoit que le vérificateur général du Canada procédera à des examens réguliers, périodiques et publics du cadre du point de vue de sa définition et de sa mise en oeuvre. En mai de cette année, et vous en avez une copie dans votre cahier d'information, le vérificateur général en a fait une vérification exhaustive.
Le sénateur Oliver: Oui, je l'ai lu et j'en ai présenté une analyse hier dans mon discours.
M. Jensen: Ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'il s'agit là d'un aspect important du contrôle. Le projet de loi prévoit effectivement que cinq ans après l'adoption d'un nouveau cadre par la SEE, le vérificateur général procédera à une autre vérification. En fait, mon ministre a demandé au vérificateur général de procéder à cette vérification après un délai de deux ans.
Et que fera le vérificateur général en examinant ce cadre du point de vue de sa conception et de sa mise en oeuvre? Eh bien, le vérificateur général a eu recours à plusieurs critères pour évaluer la façon dont la SEE aurait conçu et mis en oeuvre son cadre. Les critères qu'il a employés sont tirés d'une étude d'autres institutions financières internationales. Il existe effectivement certaines pratiques en matière d'évaluation environnementale qui s'appuient sur des procédures rationnelles et des normes internationales qui sont généralement reconnues. Voilà donc les critères qu'utilisera désormais le vérificateur général pour toute vérification future. C'est une attente raisonnable à notre avis, étant donné que c'est cela qui a été fait précédemment.
Et pour assurer une certaine cohérence, en supposant qu'ils appliquent des critères semblables, ils tiendront compte, en examinant publiquement les pratiques de la SEE, l'état actuel des pratiques d'évaluation environnementale dans les institutions financières internationales. Voilà donc un mécanisme très réel de contrôle de qualité qui visera la SEE, du point de vue non seulement de la conception mais de la mise en oeuvre du cadre.
Le sénateur Oliver: En ce qui concerne la mise en oeuvre, si l'EDC fournissait une aide financière sous forme de prêt et que le projet qui avait bénéficié de ce prêt posait de graves dommages environnementaux dans le pays récipiendaire, quelle protection aurions-nous en tant que Canadiens? Et comment cela cadre-t-il avec d'autres règlements environnementaux canadiens auxquels les entreprises canadiennes doivent se conformer? Pourquoi ferait-on une exception pour la SEE?
M. Jensen: La SEE ne ferait pas exception. En fait, les entreprises canadiennes qui mènent des activités à l'étranger ne seront pas visées par le cadre mis en place par la SEE, étant donné qu'elles n'ont pas recours aux services offerts par la SEE. Elles peuvent être visées par la législation du pays d'accueil, et cette législation peut être bonne ou mauvaise, tout comme elle peut être appliquée rigoureusement ou non.
Il faut se rappeler qu'une autre politique très importante qui complétera le nouveau cadre mis en place par la SEE sera sa politique sur la divulgation de l'information, qui prévoira que des avis soient donnés et que des rapports assez détaillés d'ordre social et environnemental soient établis pour tout projet pouvant avoir des répercussions environnementales. Ainsi, les Canadiens seront informés de façon à pouvoir prendre leurs propres décisions.
Le sénateur Oliver: Est-ce que des rapports seront établis sur des évaluations environnementales auxquels les Canadiens auraient accès avant que la SEE ne prenne un engagement?
M. Jensen: La SEE propose d'appliquer une politique en matière de divulgation qui prévoirait un délai de préavis de 45 jours pour de tels projets avant qu'ils ne soient approuvés. Donc, la réponse est oui.
Le président: Je trouve votre discussion intéressante, mais il me semble pertinent de préciser que la SEE ne mène pas ses activités au Canada. Toutes ses activités se déroulent à l'étranger.
Il est vrai que quelqu'un qui importe un produit n'a pas nécessairement besoin de l'appui de la SEE et n'est donc visé que par les lois du pays d'accueil. Nos lois environnementales ne sont pas exportées dans les autres pays. Or, vos questions laissent entendre que nous imposons nos normes environnementales à d'autres pays. Ce serait peut-être une bonne idée, mais ce n'est pas à moi de dire si c'est une bonne idée ou une mauvaise idée. Donc, cela ne concerne qu'un organisme gouvernemental, et non pas des exportateurs privés.
Le sénateur Bolduc: Bonjour, monsieur O'Brien. Hier, M. O'Brien a comparu devant le Comité des affaires étrangères. À cette occasion-là, il demandait uniquement des pouvoirs discrétionnaires; aujourd'hui, je remarque qu'il demande non seulement des pouvoirs discrétionnaires pour le gouvernement, mais pour les sociétés aussi. Monsieur O'Brien, ça va de mieux en mieux.
Ma question s'adresse à M. Jensen. Vous conférez des pouvoirs discrétionnaires au conseil d'administration pour le règlement de ce genre de question environnementale. Est-ce parce que vous voulez protéger les pouvoirs du ministère des Affaires étrangères dans le contexte de négociations commerciales où il peut y avoir d'importantes considérations environnementales? Est-ce le désir de protéger le ministre qui vous motive?
M. Jensen: C'est-à-dire que tel pourrait être l'effet de cette disposition, même si nous n'avons pas abordé explicitement ce point dans l'analyse qui a conduit à la rédaction de ce projet de loi. Mais il est vrai que le Canada participe à l'élaboration de lignes directrices environnementales internationales sous l'égide de l'OCDE. L'OCDE procède actuellement à la création d'un accord cadre qui établira des normes et procédures minimales. Si cet accord est conclu et entre en vigueur, on s'attendra à ce que tous les organismes de crédit à l'exportation des pays membres de l'OCDE respectent les critères minimums qui seront définis dans ce cadre.
Certains organismes de crédit à l'exportation iront plus loin. L'EDC dépassera les normes qu'imposera l'accord de l'OCDE. Il en va de même pour les États-Unis. Le Royaume-Uni révise actuellement ses procédures et il est donc fort probable qu'il dépasse, lui aussi, les exigences minimales. En fait, grâce au travail de l'OCDE et aux pressions politiques nationales qui s'exercent sur les pays de l'OCDE, des progrès considérables ont été accomplis sur le plan multilatéral. Il faut que tout organisme de crédit à l'exportation, y compris le nôtre, puisse, pour des raisons à la fois techniques et concurrentielles, modifier rapidement ses politiques, plutôt que d'avoir à se conformer à des critères explicités dans une loi qui peuvent être très longs à faire modifier.
Si cela vous semble déraisonnable, je me permets de vous signaler que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale prévoit surtout des normes procédurales concernant la tenue d'audiences justes et équitables et la prise en compte de facteurs environnementaux, et cetera; par contre, cette loi ne prescrit pas des critères environnementaux inflexibles.
De fait, l'un des articles de la loi en question porte que le ministre de l'Environnement, par le biais de lignes directrices, peut prêter assistance aux personnes qui doivent appliquer les dispositions de la loi en les aidant à déterminer quels facteurs doivent être pris en compte. Comme ils ne sont pas explicités dans la loi, il existe une certaine latitude.
Le sénateur Banks: Si l'on se contentait de donner un titre aux lois, sans prévoir la moindre disposition, c'est sûr qu'il y aurait énormément de latitude.
Votre point concernant les questions environnementales a déjà été soulevé devant le comité par le vérificateur général. Je ne me rappelle plus dans quel article, mais la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit que les organismes gouvernementaux doivent faire l'objet d'un «examen spécial». La SEE fera-t-elle l'objet d'un tel examen spécial?
M. Jensen: Oui.
Le sénateur Banks: On sait ce que signifie normalement le terme «vérification», mais si le vérificateur général voulait examiner des questions liées à la régie ou à la responsabilité environnementale, on peut supposer qu'il aurait accès à l'information sur les opérations, les pratiques et les politiques d'EDC en vue de préparer son rapport, n'est-ce pas?
M. Jensen: Je pense que oui, mais je n'ai pas d'expertise dans le domaine des examens spéciaux que prévoit la LGFP. Je ne le sais pas.
Le sénateur Banks: Dans ce cas-là, êtes-vous sûr que votre première réponse est exacte - à savoir que la SEE fera l'objet d'examens spéciaux?
M. Jensen: Oui, j'en suis sûr, puisque j'en ai déjà vu des résumés.
Le sénateur Banks: Cela peut se faire de deux façons: d'abord, si l'organisme gouvernemental n'est pas visé par les exclusions que prévoit la LGFP, auquel cas les examens spéciaux se feraient au bon gré du vérificateur général, sans doute tous les trois ou quatre ans. L'autre possibilité, c'est qu'on invite l'organisme en question à faire l'objet d'un tel examen, comme c'est le cas de temps à autre pour les Conseils des arts qui n'est pas inclus dans la catégorie des organismes qui doivent automatiquement faire l'objet d'examens spéciaux aux termes de la LGFP. Parfois ces organismes, pour leurs propres fins, invitent le vérificateur à procéder à ce genre d'examen spécial. À quelle catégorie appartiendrait la SEE? Pourrait-elle inviter le vérificateur à procéder à ce genre d'examen spécial, ou est-ce qu'il appartiendrait au vérificateur de déterminer quand ces examens seraient faits?
M. Jensen: La réponse que je vais vous faire reposera sur mes connaissances du domaine, mais je crois que l'information que je vais vous fournir est exacte. Les représentants de la SEE qui vont suivre pourront vous donner une réponse définitive à cette question. Je crois savoir que la SEE est visé par l'obligation légale selon laquelle un examen spécial doit être fait tous les cinq ans.
Le sénateur Banks: Dans le même ordre d'idées que la question posée par le président, j'aimerais vous présenter une situation hypothétique: supposons que je sois un fabricant canadien et que j'arrive à bénéficier de l'aide et des crédits de la SEE après approbation de ma demande; si j'exportais un produit vers un pays dont la législation en matière de protection environnementale était plutôt faible, aurais-je le droit de fabriquer au Canada et d'exporter vers d'autres pays un produit qui se conformait aux faibles exigences de cette législation mais contrevenait aux lois canadiennes?
M. Jensen: Oui, aux termes de la loi actuelle, je crois que vous avez le droit de le faire.
Le sénateur Banks: Donc, nous n'exportons pas nos lois environnementales. Dans ce cas, il est possible que des deniers publics soient utilisés pour faciliter l'exportation de produits qui peuvent être dangereux.
M. O'Brien: Permettez-moi d'intervenir. Je suppose que ce que vous avez dit est exact. Ce que nous ne pouvons pas faire - et nous résistons aux tentatives d'autres pays pour nous le faire - c'est leur imposer nos lois - l'extraterritorialité autrement dit. Nous savons, par exemple, que certains cadres et sociétés canadiens ont été assujettis à des lois de façon tout à fait déraisonnable par des pays se trouvant près du nôtre. À mon avis, nous ne voulons pas agir de même.
Le sénateur Banks: Non, absolument pas. La question qui se pose est celle-ci: comment nous orientons-nous, vers un renforcement ou plutôt un affaiblissement des normes? Je me demande simplement s'il serait possible, en théorie, que quelqu'un fabrique au Canada un produit qui ne serait pas conforme aux lois canadiennes en vue de l'exporter vers un autre pays.
M. Jensen: Je vais demander l'avis de mon collègue qui se spécialise dans les finances pour répondre à cette question. Le cadre d'examen environnemental de la SEE - c'est-à-dire le cadre actuel et celui qu'il est proposé de réviser - vise les projets menés dans des pays étrangers. Si vous parlez de produits tels que les déchets dangereux ou les armements, eh bien, ces derniers sont visés par le régime des permis à l'exportation. Ce n'est pas non plus mon domaine d'expertise. Je sais, cependant, que ce régime tend à contrôler ce genre de choses. Cependant, le cadre d'examen environnemental que propose ce projet de loi, et qu'appliquera Exportation et développement Canada, concerne plutôt la participation d'entreprises canadiennes à divers projets et vise donc, non pas à examiner les propriétés du produit lui-même mais les caractéristiques du projet auquel sont fournis les biens et services. Il s'appuie donc sur une série beaucoup plus large de considérations. Il est possible que de bons produits canadiens, qui sont conformes à l'ensemble des lois canadiennes, bénéficient donc de soutien de la part de la SEE dans le cadre d'un projet qui lui-même a des répercussions environnementales négatives.
Le sénateur Banks: Si je fabrique des transformateurs électriques, au Canada, ma capacité d'utiliser les BPC est limitée. Est-il possible que la compagnie A ait une chaîne de fabrication pour les produits qui s'utilisent au Canada et une autre chaîne de fabrication pour des produits qui s'utilisent à l'étranger, et qui ressemblent tout à fait aux autres sauf qu'ils ont une concentration de BPC qui ne serait pas autorisée au Canada; est-ce possible que cette compagnie fabrique de tels produits ici au Canada et les exporte ensuite à d'autres pays? Est-ce vraiment possible?
M. Jensen: J'ai deux réponses à vous faire, mais je vous signale que vous mettez à l'épreuve mes connaissances du droit dans ce domaine. Pour ce qui est des produits dangereux, je pense que vous auriez beaucoup de mal à faire ce que vous décrivez en raison du règlement sur les licences d'exportation. Je n'en suis pas tout à fait sûr, mais je pense que vous auriez du mal à respecter les exigences de ce règlement.
Je vous dirais aussi que dans la pratique, les produits canadiens sont fabriqués selon des normes très élevées, si bien qu'ils ne pourraient pas être jugés non conformes.
Le sénateur Oliver: Monsieur O'Brien, vous avez dit tout à l'heure dans votre exposé que le comité de la Chambre des communes et notre Comité sénatorial des banques ont fait une étude de la SEE et que le gouvernement du Canada a fait certaines déclarations au sujet des rapports déposés par ces deux comités.
S'agissant du traitement de la question des évaluations environnementales dans le rapport du comité de la Chambre des communes, le gouvernement du Canada a déclaré - et là je paraphrase - qu'en tant que société de la Couronne, la SEE est censée refléter les valeurs canadiennes en matière environnementale dans ses activités à l'étranger.
Voilà ce qu'a déclaré le gouvernement du Canada.
M. O'Brien: C'est exact.
Le sénateur Oliver: Dans ce cas-là, si certaines compagnies fabriquent des produits qui peuvent être jugés nuisibles et qui seraient même interdits au Canada, on peut s'attendre à ce que la SEE n'accorde pas de financement à une compagnie de ce genre qui compte vendre ses produits à l'étranger. Voilà la politique qu'a énoncée le gouvernement dans ce domaine. De tels produits sont interdits.
M. O'Brien: Merci pour cette précision, sénateur Oliver. Nous osons croire que les citoyens canadiens seraient d'accord avec les principes que vous venez de citer. Il va sans dire qu'on voudrait suivre à la lettre les principes de notre politique que vous avez si bien cités.
Le sénateur Fitzpatrick: Je crois savoir que l'examen environnemental est obligatoire aux termes de la loi. Cependant, il n'est pas nécessaire que cet examen soit fait de façon indépendante. Ai-je raison? Qui se charge de faire cet examen? Est-ce la société ou un cabinet d'experts-conseils indépendant?
M. Jensen: Généralement, cet examen serait fait par la société elle-même. Elle compte un effectif important d'ingénieurs, et notamment des ingénieurs qui ont une spécialisation environnementale; je crois savoir aussi - mais je ne sais pas si un communiqué de presse a été publié à cet égard - que récemment, la société a aussi engagé un expert international. C'est un Canadien, d'après ce que j'ai pu comprendre, mais il est doyen des études internationales en matière d'évaluation environnementale. Il est coauteur du livre de la Banque mondiale sur l'évaluation environnementale dans un contexte international. Il est coauteur d'études internationales - qui, à mon avis, seront publiées à un moment donné - qu'a utilisé le vérificateur général pour en arriver aux critères qu'elle a appliqués à la vérification du cadre de la SEE. À notre avis, EDC sera donc bien conseillé dans ce domaine.
Le sénateur Fitzpatrick: De façon générale, même si les personnes concernées ont une grande expertise, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une étude interne, et si ce rapport est négatif, d'après le texte de ce projet de loi, le conseil d'administration pourra toujours décider de ne pas en tenir compte. Le conseil d'administration jouit d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de ne pas s'y conformer, et donc de consentir un prêt malgré l'existence d'un rapport environnemental négatif ou même inacceptable. Est-ce que je me trompe?
M. Jensen: C'est vrai si l'on s'en tient au texte du projet de loi, mais il faut tout de même savoir en fonction de quels critères un projet est accepté. Quand on parle d'évaluation environnementale, il faut comprendre qu'il ne s'agit pas de se rendre compte qu'il y a des répercussions négatives et de prétendre ensuite qu'il ne se passera rien car si c'était le cas, cette ville n'existerait pas.
Le sénateur Fitzpatrick: Il y a toujours les mesures d'atténuation. À ce moment-là, il s'agit de savoir si ces mesures sont acceptables ou non. Dans cet ordre d'idées, ce qui me semble un peu préoccupant, c'est que le public ne saura pas nécessairement tout là-dessus. Là aussi, la société ou le conseil d'administration de cette dernière jouit d'un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, ce processus ne me semble pas très transparent.
M. Jensen: Le cadre de divulgation de l'information qui est proposé, et qui serait indispensable pour mettre en oeuvre le cadre d'examen environnemental d'EDC, prévoit la divulgation d'information détaillée concernant les aspects environnementaux des projets qui bénéficient du soutien de la société - y compris, dans certains cas, la divulgation au préalable de certains renseignements, lorsqu'il s'agit de projets particulièrement délicats.
Le sénateur Fitzpatrick: Prévoit-il la communication du rapport intégral préparé par la société à l'interne, ou plutôt que le conseil d'administration de la société fasse rapport sur les conclusions, qui pourraient à ce moment-là être interprétées de façon totalement différente? Je suis conscient du fait que le conseil d'administration de la société est excellent à l'heure actuelle, mais cela pourrait tout de même poser problème.
M. Jensen: Je ne peux vraiment pas répondre à votre question, car cette politique n'est pas encore en vigueur, et je demanderais donc aux représentants de la SEE qui sont présents aujourd'hui de vous répondre.
Le sénateur Fitzpatrick: Mais quelles sont les responsabilités des administrateurs de la société? Si vous êtes administrateur d'une société canadienne qui est active au Canada mais qui ne respecte pas des exigences et critères très stricts en matière environnementale, vous pouvez justement faire l'objet de poursuites, et il est possible que l'assurance de responsabilité civile touchant les administrateurs ne vous protège pas. Est-il possible, dans un pays où une installation a été construite grâce au financement de la SEE, que les autorités arrivent à contourner les mesures de protection pour poursuivre directement les administrateurs de la SEE?
M. Jensen: Je pense que oui, mais je ne suis pas expert en la matière. À mon avis, ce serait exécutoire en droit par suite d'actions en justice.
Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Oliver a dit que la SEE, en tant que société de la Couronne, est censée refléter les valeurs canadiennes en matière d'environnement dans le cadre de ses activités à l'étranger, mais ce n'est pas forcément le cas. Comme le mentionnait le sénateur Banks, il est possible de faire financer des produits qui cadrent avec la législation environnementale du pays auquel vous les vendez, mais pas nécessairement avec les normes environnementales canadiennes.
M. Jensen: Je disais tout à l'heure qu'à mon avis, ce problème serait réglé par le biais du régime canadien des licences d'exportation. Nous appliquons des contrôles assez stricts en matière de déchets et de matériaux dangereux, par exemple - même si je ne prétends pas être un expert en la matière. Là, je suppose que vous parlez de l'exportation des produits.
Le sénateur Tkachuk: Je vais une distinction entre une société de la Couronne qui reçoit des deniers publics et une entreprise comme General Motors qui fabrique des automobiles au Canada et y installe des ceintures de sécurité parce que c'est ça que prévoie la législation canadienne. Par contre, si elle exporte ces automobiles vers un pays où les ceintures de sécurité ne sont pas obligatoires, elle peut les enlever ou ne pas les y installer. Elle se sert de fonds privés, mais en même temps, c'est une société cotée en bourse, si bien qu'elle est beaucoup plus exposée qu'une société de la Couronne. Dans une société ouverte, tout est vérifié; en même temps, il se produit sans arrêt des choses qui les rendent plus vulnérables. Leurs administrateurs peuvent faire l'objet de poursuites intentées dans d'autres pays, comme ce fut le cas pour Firestone et Ford.
Par contre, puisque vous êtes société de la Couronne, vous pourriez faire cela sans qu'on le sache jamais. Vous dites que vous faites l'objet de vérifications, et que vous êtes obligés de faire ceci et cela, mais rappelons-nous que vous êtes une société de la Couronne; vous n'êtes donc pas obligés de tenir des réunions d'actionnaires ou les citoyens se réunissent chaque année pour vous interroger. Nous, nous sommes obligés de faire ça. Là où j'essaie en venir, c'est que la SEE peut justement faire ce genre de choses, n'est-ce pas?
M. O'Brien: Voilà la réponse que je vous fais: nous espérons que le Sénat adoptera ce projet de loi et qu'il finira par entrer en vigueur. Le gouvernement estime qu'EDC sera tenu d'appliquer des normes aussi élevées que n'importe quelle autre société du monde. Mais rappelons-nous que nous sommes en situation de concurrence; nous ne voulons pas limiter la marge de manoeuvre de la SEE à un point tel qu'elle serait défavorisée sur le plan concurrentiel - comme les exportateurs canadiens, d'ailleurs - et que des emplois canadiens pourraient être menacés.
Cela dit, la déclaration paraphrasée par le sénateur Oliver était tout à fait à propos: nos attentes sont très élevées, et dans notre société, quand on parle d'attentes, on ne parle pas uniquement d'attentes sur le plan juridique; ces attentes concernent aussi les politiques et l'opinion publique. Le ministre et le gouvernement sont convaincus que la SEE sera sensibilisée à ces réalités grâce à ce processus. Nombreux seront ceux qui suivront de près sa performance, y compris le ministre, le public et le gouvernement en général.
Le sénateur Tkachuk: Monsieur O'Brien, vous avez fait mention du point soulevé dans l'article du National Post au sujet de l'utilisation du nom d'EDC par Richard Owens, qui va comparaître tout à l'heure. Je voudrais connaître votre avis là-dessus. J'ai l'intention de poser la même question aux représentants de la SEE et de Probe aussi.
Dans cet article, on dit que Probe International, un organisme à but non lucratif respecté qui s'intéresse aux questions touchant les échanges avec le Tiers monde et l'aide extérieure, critique la SEE depuis une vingtaine d'années déjà. L'auteur de l'article poursuit en disant qu'en diffusant ses opinions sur les politiques, Probe se sert du nom et du logo de la société sur son site Web mais qu'évidemment, Probe International ne se sert pas du nom et du logo de la SEE à des fins commerciales, mais plutôt pour attirer l'attention des citoyens sur les critiques qu'il formule à l'endroit des politiques gouvernementales qui soutiennent la SEE. Malgré tout, cet organisme a reçu une lettre des conseillers juridiques de la SEE qui lui demandaient de cesser complètement d'utiliser ses marques de commerce, y compris sa raison sociale, soit la société pour l'expansion des exportations, puisqu'il s'agirait d'une violation de la marque de commerce et du droit d'auteur de la SEE.
Puisque vous en avez parlé, je présume que vous connaissez tous les faits; est-ce bien cela qui s'est produit?
M. O'Brien: Je ne suis pas au courant de tous les détails car, comme je l'ai indiqué dans mon exposé, nous avons pris connaissance de cette information hier seulement. J'essayais simplement de vous faire comprendre que nous ne cherchons aucunement à imposer des limites à la liberté d'expression au Canada. Par contre, nous devons nous attaquer aux actes qui constituent de la fraude. Je demanderais à M. Jensen d'intervenir également sur la question.
M. Jensen: Je n'ai pas vu ce qui était diffusé à l'origine sur le site, mais je crois savoir - et je suis sûr que les représentants de la SEE pourront me corriger si je me trompe - que le logo de la société avait été trafiqué. Ils ont demandé à M. Owens de l'enlever, et cela a été fait. Le nom de la Société pour l'expansion des exportations continue d'être utilisé sur le site Web du groupe en question. Maintenant le mot «Stop» est surimposé sur le sigle «SEE» et on l'y retrouve toujours. Il n'y a pas eu d'autres plaintes depuis.
Le sénateur Tkachuk: Merci.
Le président: Nous accueillons maintenant notre prochain groupe de témoins, qui sont de la Société pour l'expansion des exportations. Monsieur Siegel, vous avez la parole.
[Français]
M. Eric Siegel, vice-président directeur, Services financiers à moyen et à long terme, Société pour l'expansion des exportations: Monsieur le président, je vous remercie de donner l'occasion à la SEE de se présenter à nouveau devant votre comité. Le processus d'examen lancé il y a plus de trois ans et demi touche à sa fin. Vous vous souvenez sans doute que la SEE s'est présentée devant vous pour la dernière fois en février 2000.
[Traduction]
À ce moment-là, le comité avait fait remarquer qu'il était important que la SEE continue à renforcer ses pratiques en matière de responsabilité sociale des entreprises. Voilà justement ce que nous avons fait. La SEE a créé ainsi l'une des politiques de divulgation les plus complètes parmi celles des organismes de crédit à l'exportation du monde entier. La consultation publique constitue désormais le fondement de tout changement de politique de la SEE, qu'il s'agisse de la façon dont nous divulguons l'information, ou des processus utilisés pour les évaluations environnementales. La SEE a fait appel à des représentants éminents du milieu des affaires, du milieu universitaire et d'organisations non gouvernementales pour former un conseil consultatif.
Ce conseil, composé de membres d'organisations très respectées, telles que Transparency International Canada, le Programme des Nations Unies pour l'environnement et la Chambre de commerce du Canada, nous conseillera sur les pratiques exemplaires touchant tous les aspects de la responsabilité sociale des entreprises.
La SEE travaille aujourd'hui pour le Canada de demain grâce à sa stratégie Éducation et Emploi Jeunesse (EYE). Nous créons des possibilités d'apprentissage et d'emploi pour les jeunes et nous avons établi un fonds de bourses d'études d'un million de dollars destinées à des étudiants en commerce international, afin de renforcer la culture d'exportation pour l'avenir du pays. La SEE est très engagée dans les négociations de l'OCDE avec les organismes de crédit à l'exportation du monde entier. Au nom du Canada, nous négocions la mise en place de pratiques environnementales communes plus fortes, ce qui est essentiel pour que les Canadiens soient sur un pied d'égalité avec leurs concurrents étrangers.
En 1999, la SEE a établi un Cadre de référence pour l'examen des questions environnementales, et elle a récemment tenu des consultations publiques dans tout le pays en vue de le renforcer. Avec l'aide de Stratus, cabinet d'experts reconnus dans le domaine des pratiques de gestion environnementale, nous comptons mettre en place en 2002 un cadre de référence renforcé. La SEE a d'ailleurs lancé en 2000 l'Initiative à l'appui des exportateurs de produits et services environnementaux, qui élargit les possibilités pour un secteur clé dans lequel le Canada jouit d'une grande expertise: les technologies et les solutions environnementales.
Outre le volet responsabilité sociale des entreprises, le comité avait aussi noté que, si le rôle de la SEE est essentiel, elle ne peut pas le jouer seule. La SEE a donc suivi ce conseil et, en collaboration avec les banques et les institutions financières de tout le Canada, elle a créé des initiatives qui permettent d'augmenter la capacité financière mise à la disposition des entreprises canadiennes.
[Français]
Une liste complexe de ces ententes réussies vous a été distribuée. Je ne vous en citerai donc qu'un certain nombre.
[Traduction]
La SEE assure des prêts à moyen terme que Northstar Financement du commerce international inc. accorde à ses PME clientes. Northstar appartient à plusieurs banques canadiennes, au gouvernement de la Colombie-Britannique et à son fondateur. L'alliance de la SEE avec la London Garantie pour l'assurance comptes-clients offre une assurance-crédit complète, puisqu'elle permet d'assurer à la fois les transactions à l'exportation et celles sur le marché canadien. La Garantie générale sur les créances permet aux PME ayant un chiffre d'affaires inférieur à 10 millions de dollars d'obtenir des neuf banques participantes un fonds de roulement supplémentaire. Les garanties de partage des risques avec la CIBC sur le fonds de roulement sont des mécanismes de partage des risques qui permettent de fournir un fonds de roulement aux PME exportatrices des industries fondées sur le savoir.
Au total, la SEE a créé chaque année par effet de levier entre 4 et 5 milliards de dollars en financement auprès des banques des Annexes 1 et 2. Elle a d'autre part procuré un appui particulier, évalué à 10 milliards de dollars, à ces banques par l'intermédiaire de divers programmes d'assurance et de garanties. Ses activités de trésorerie lui font d'autre part faire des affaires supérieures à 100 milliards de dollars avec les banques.
[Français]
La société croit que ce genre de partenariat peut être élargi.
[Traduction]
Voici donc un résumé des modifications que propose le projet de loi dont vous êtes actuellement saisis: des mesures pour assurer la durabilité des pratiques environnementales de la SEE; la possibilité pour la SEE de renforcer son image de marque sur le marché; et enfin, quelques modifications techniques touchant la régie du conseil d'administration.
Si vous me permettez, je voudrais parler brièvement de l'article paru hier dans le National Post qui critiquait un article du projet de loi qui assure la protection de la marque de commerce de la SEE. Il s'agit là d'une disposition type qu'on retrouve dans toute la législation touchant les institutions financières, telles que les banques et les compagnies d'assurances. Cependant, les sociétés d'État ayant un mandat financier, comme la SEE et la Banque de développement du Canada, ne sont pas visées par ces mêmes dispositions. Il est tout à fait logique qu'une protection semblable soit inscrite dans la loi pour empêcher l'usage frauduleux des raisons sociales. La SEE n'a aucunement l'intention d'attaquer la liberté d'expression des groupes qui souhaitent exprimer leur opposition aux activités de la Société.
Il a déjà été question d'un cas concret: Le logo trafiqué de la SEE figurait sur le site Web d'un organisme en particulier, et nous avons donc demandé qu'il soit supprimé. Il a été remplacé, comme vous venez de l'entendre, par les lettres SEE auxquelles on a surimposé la mention en grosses lettres rouges «stop». La SEE était d'avis que cette réaction était acceptable.
Permettez-moi de vous parler d'un autre cas concret: L'en-tête d'un organisme qui avait comme nom «Le Groupe de travail de la SEE» était à l'origine de malentendus et de confusion chez nos clients qui recevaient des lettres de l'organisme en question. Lorsque nous lui avons fait part de nos préoccupations à cet égard, ce dernier a décidé d'adopter comme nom «Le Groupe de travail des ONG sur la Société pour l'expansion des exportations», solution qui nous semblait tout à fait satisfaisante.
La SEE continue de travailler avec de tels groupes, et nous avons même lancé une série d'initiatives visant à démontrer que nous sommes résolus à encourager un dialogue et un processus de consultation ouvert et transparent.
Je me permets de répéter que de telles dispositions visent à enrayer la fraude, plutôt que la liberté d'expression. Comme on le disait tout à l'heure, si une action en justice devait être intentée - même si cela semble peu probable - c'est le procureur général du Canada qui serait l'autorité responsable des poursuites, et non la SEE.
[Français]
En conclusion, j'aimerais vous faire remarquer que le mandat de la SEE est aujourd'hui plus vital que jamais. Les entreprises canadiennes font face non seulement au ralentissement économique, mais à des risques politiques plus grands. La SEE s'engage à offrir les services d'assurance et de financement de commerce extérieur qui permettront au Canada de maintenir un commerce florissant et de conserver des emplois.
[Traduction]
À un moment où la confiance des entreprises et des consommateurs vacille, les services de gestion des risques de la SEE sont un outil essentiel que nous mettons à la disposition des entreprises de toute taille - particulièrement les petites entreprises. Le processus d'examen, y compris celui de votre comité, a confirmé la solidité de l'orientation stratégique de la SEE. En suivant cette orientation, nous prenons les mesures qui s'imposent pour répondre aux besoins de toutes les entreprises canadiennes, non seulement grâce à nos propres services, mais aussi en créant des partenariats avec les banques et les institutions financières canadiennes.
Le sénateur Oliver: M. Siegel était présent lorsque nous avons interrogé les témoins précédents, et je n'ai donc pas l'intention de lui poser les mêmes questions. Je voudrais cependant vous lire cinq ou six lignes d'un article qui formule certaines critiques à l'égard de la Société et vous demander d'y réagir ensuite. Cela concerne la régie de la société de la Couronne: «Le conseil d'administration de la SEE jouirait d'un pouvoir discrétionnaire absolu pour déterminer le contenu de la directive environnementale, y compris les définitions qui seraient étudiées, les critères qu'appliquerait la société pour prendre une décision, et les exceptions qui permettraient de soustraire le conseil d'administration à l'obligation de prendre une décision sur des questions environnementales. Par conséquent, la SEE pourra élaborer son propre mandat, et le conseil d'administration aura la possibilité de soustraire la société à l'obligation de prendre une décision touchant les questions environnementales dans le cadre d'une transaction donnée».
Donc, le conseil d'administration pourra essentiellement établir ses propres règles et décider quand il ne sera pas tenu de les suivre.
Pourriez-vous donc me dire si vous estimez qu'il s'agit là de bons principes à retenir pour la régie d'une grande société moderne?
M. Siegel: Avec plaisir, et je vais aussi demander à mon collègue, M. Ross, de compléter ma réponse. Le cadre de régie qui vise la société est critique pour que l'on ait pleinement confiance en ce régime que nous proposons et c'est pour cela qu'il est si important de bien comprendre ce cadre.
D'abord, je précise que la SEE n'est pas en train d'élaborer un cadre d'examen environnemental. Nous en avons déjà un. Nous l'avons mis en place volontairement en 1999.
Deuxièmement, ce cadre a été examiné par une tierce partie indépendante, qui l'a comparé à celui de bon nombre d'autres établissements qui ne sont pas nécessairement des organismes de crédit à l'exportation. Notre cadre a ainsi été comparé à celui d'institutions financières internationales, comme la Banque mondiale, la SFI et la BERD.
En ce qui concerne les résultats de son examen du cadre et de sa conception, le vérificateur général a conclu que la plupart de ses éléments indiquent que le cadre est bien conçu. Le vérificateur général a aussi déclaré que c'est un cadre orienteur et que la SEE a fait ses preuves de leadership en de l'instaurer. En même temps, nous avions très bien compris que c'était un secteur en pleine évolution et qu'il faudrait le revoir et y apporter certains changements par la suite. Le vérificateur général a, lui aussi, recommandé un certain nombre de changements.
Qu'avons nous fait depuis? Eh bien, nous avons tenu des consultations dans tout le Canada. Nous nous sommes adressés à plus de 300 intéressés, y compris des ONG, des universitaires et des partenaires commerciaux; plus de 70 personnes ont participé à une série de consultations organisées dans toutes les régions du pays. Ensuite, ce cadre, le Rapport du vérificateur général, les conseils que nous avons reçus du MAECI, et l'accord de l'OCDE, dont le projet fait actuellement l'objet de discussions au sein de la communauté internationale, ont tous été mis sur le tapis et nous avons lancé une discussion en profondeur au sein de la SEE pour savoir quels devraient être les éléments de notre cadre d'examen environnemental.
Nous avons maintenant les résultats de l'examen fait par cette tierce partie indépendante, soit Stratus, dont l'expertise dans ce domaine est bien connue. Toutes ces recommandations seront prises en compte au moment d'élaborer un cadre d'examen environnemental - ou devrais-je dire, de réviser le cadre actuel pour répondre aux préoccupations qui ont été exprimées et y apporter les changements qui s'imposent.
En ce qui concerne la régie de la société, rappelez-vous que puisque la SEE est une société de la Couronne, le conseil d'administration est nommé par le gouvernement. La SEE est également visée par la Loi sur la gestion des finances publiques. Elle doit déposer un plan d'entreprise, et le gouvernement doit approuver ce plan d'entreprise pour que la SEE poursuive ses opérations d'année en année. De plus, il a déjà été mentionné que d'après ce que propose ce projet de loi, le vérificateur général serait tenu de réexaminer le cadre d'examen environnemental de la SEE et d'exprimer ses vues sur l'opportunité de son application. Même si le projet de loi prévoit que cet examen se fera tous les cinq ans, le ministre a déjà invité le vérificateur général à le revoir dans deux ans.
Enfin, ce qui est proposé est parfaitement conforme au régime du seul autre organisme de crédit à l'exportation qui soit légalement tenu de le faire - soit la U.S. Ex-Im Bank, où c'est le conseil d'administration qui élabore le cadre par voie de directives. Monsieur Ross, voudriez-vous ajouter quelque chose?
M. Gilles Ross, premier vice-président des Services juridiques et secrétaire, Société pour l'expansion des exportations: Honorables sénateurs, je me permets d'ajouter que, comme nous l'avons vu plus tôt, la société devra également faire l'objet d'un examen spécial par le vérificateur général tous les cinq ans, en plus de la vérification du cadre d'examen environnemental que nous avons l'habitude de désigner par le sigle CEE. Donc, ça c'est une obligation prévue dans la loi. Il s'agira de l'examen spécial le plus rigoureux qu'aura jamais mené le BVG.
Enfin, aux termes de la Loi sur l'expansion des exportations, le gouverneur en conseil est habilité à réglementer certaines activités de la société par voie réglementaire. Donc, il existe toute une série d'outils permettant de contrôler la société, à la fois dans la loi qui nous régit directement et aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques.
Le sénateur Oliver: Le conseil d'administration a-t-il défini certaines lignes directrices pour les évaluations environnementales qui sont déjà disponibles? Je crois savoir que vous avez une politique là-dessus.
M. Siegel: Oui, en effet.
Le sénateur Oliver: Est-ce qu'elle existe sous forme de directives? Pouvez-vous nous dire comment les directives sont élaborées et mises à l'épreuve? Sont-elles disponibles?
M. Siegel: Nous disposons actuellement d'un cadre qui a été approuvé par notre conseil d'administration avant que nous le mettions en oeuvre. Le régime actuel de la société - ce n'est pas une obligation légale, mais le conseil a adopté comme politique d'exiger que la SEE procède à un examen environnemental dès lors que ses services sont sollicités dans le cadre d'un projet. Mais il s'agira bientôt d'une obligation pour la société, obligation qui sera définie par voie de directives.
Le cadre actuel correspond à notre politique, et c'est cette politique et les procédures afférentes que le vérificateur général a évaluées au moment d'examiner l'opportunité de sa conception. Comme je vous l'ai déjà dit, l'opinion du vérificateur général était favorable à cet égard.
Le sénateur Fitzpatrick: Je voudrais revenir sur la question de l'examen environnemental. La SEE offre des assurances et du financement de soutien. Je présume donc que, quand vous parlez de votre examen environnemental, en réalité, vous vous appuyez sur les résultats de l'examen environnemental mené par le principal fournisseur.
Par exemple, s'il s'agissait de procéder à un examen environnemental dans le contexte de l'installation d'une usine et de certains équipements pour une mine au Chili, la société minière serait tenue d'effectuer un examen environnemental exhaustif. Je présume donc que vous demanderiez à recevoir les résultats de cet examen-là pour vous assurer que tout est conforme aux exigences du pays d'accueil et que la SEE ne pourrait être accusée de non-conformité en acceptant de donner des assurances à la compagnie en question.
Ai-je bien expliqué la procédure que vous suivez chez vous?
M. Siegel: Oui, c'est tout à fait ça. Je précise, toutefois, que la SEE se réserve le droit, dans le cadre de son processus d'examen environnemental, de déterminer ce qui est acceptable sur le plan environnemental et ce qui ne l'est pas; autrement dit, il n'appartient pas à un pays étranger de faire cette détermination à la place de la société. Si les conditions proposées ne satisfont pas la SEE, il importe peu qu'elles soient conformes ou non aux pratiques et aux lois du pays d'accueil. Nous nous réservons le droit de porter notre propre jugement sur la question et de refuser toute transaction qui n'est pas conforme aux normes que nous jugeons acceptables.
Pour des raisons d'efficacité, cependant, nous demandons d'abord aux promoteurs du projet de faire leur propre analyse du risque, ce qu'ils sont obligés de faire. Nous leur demandons ensuite de nous soumettre leur évaluation des incidences environnementales. Cette dernière devient à ce moment-là le point de départ de notre examen, si bien que nous ne nous limitons pas forcément aux résultats de leur évaluation. Nous avons la possibilité de faire nos propres analyses ou d'en faire faire par une tierce partie pour compléter l'évaluation des promoteurs.
C'est à la société de déterminer quelles normes s'appliqueront. Il arrive souvent que les projets proposés ne soient pas conformes aux lois du pays d'accueil et aux normes internationales qui sont généralement acceptées - c'est-à-dire celles de la Banque mondiale, de l'USAPA, les normes canadiennes ou une sélection. L'industrie minière serait un bon exemple. Il est évident que les parrains d'un projet n'ont pas intérêt à opter pour des transactions qui s'appuient sur des normes arbitrairement faibles qui risquent de leur causer des problèmes.
L'analyse elle-même s'appuiera sur des normes jugées appropriées et réalisables selon les conditions et le type de projet, et cetera. C'est tout ce qui compte pour la SEE.
Le sénateur Fitzpatrick: Je pense que vous étiez présent lors de l'exposé des derniers témoins. Je leur ai posé la question que voici: Faites-vous faire un examen indépendant? Voilà ce qu'ils m'ont dit: Non, il ne s'agit pas d'un examen; ce travail se fait à l'interne. Donc, pour revenir sur l'exemple de la mine, si c'est le principal fournisseur ou entrepreneur qui fait l'installation, on peut supposer que ce dernier serait tenu de faire faire un examen indépendant dans bien des pays.
M. Siegel: En ce qui concerne les prêts de la Société, il arrive fréquemment que nous ne soyons pas le seul prêteur; c'est-à-dire que nous consentons un prêt en collaboration avec un groupe de banques. Les banques imposent comme condition qu'on fasse appel à une tierce partie indépendante pour examiner l'évaluation environnementale faite par les promoteurs du projet qui puisse ensuite conseiller les banques sur l'opportunité et l'exactitude de cette évaluation. Ensuite nous procédons à notre propre analyse. Nous nous réservons le droit de faire notre propre analyse pour des raisons d'efficacité, évidemment. Nous souhaitons éviter tout double emploi, mais lorsque nous le jugeons approprié, nous nous réservons le droit de solliciter les conseils d'une tierce partie indépendante, nous aussi.
Cela concerne non seulement la première évaluation mais le suivi du projet qui est fait en permanence. Dans le cadre de projets de ce genre, le prêteur bénéficie normalement des conseils d'un consultant indépendant ayant une expertise environnementale qui l'aide à suivre le projet pour s'assurer du respect des normes et de la mise en oeuvre de l'ensemble des mesures d'atténuation prévues à l'étape de la conception.
Le sénateur Fitzpatrick: Est-il juste de dire que dans la plupart des cas, le processus d'examen environnemental se déroulera à plusieurs niveaux - celui de l'exploitant, de la banque et ensuite de la SEE - pour convaincre tous les intéressés que les analyses en question sont suffisantes? Il serait possible de faire le travail à l'interne ou de solliciter l'aide d'un groupe indépendant, si vous aviez certaines inquiétudes.
M. Siegel: Tout à fait. Il faut aussi préciser que l'exhaustivité de l'analyse dépendra des risques pour l'environnement ou de la possibilité de dommages environnementaux. Il ne s'agit pas d'uniformiser le modèle, de sorte que le degré d'exhaustivité de l'évaluation soit toujours le même, qu'il s'agisse de gros projets ayant un potentiel plus élevé de dommages environnementaux ou de projets relativement anodins.
Les consultations que nous avons tenues dans tout le Canada nous ont permis de constater que les entreprises, les universitaires et les ONG estiment de façon générale qu'il faut surtout accorder la priorité aux situations où les risques sont les plus graves, et éviter de créer un processus trop fortement hiérarchisé. Ce serait lourd et inutile et les entreprises concernées seraient défavorisées sur le plan concurrentiel.
Le sénateur Fitzpatrick: J'ai posé une question aux témoins précédents concernant la responsabilité des administrateurs dans le contexte de prêts et de soutien des entreprises et les préoccupations que cela peut susciter. Je sais que puisque vous êtes une société de la Couronne, votre situation est certainement différente. Pourriez-vous donc me donner votre avis sur le degré de vulnérabilité de vos administrateurs?
M. Ross: C'est assez difficile à faire en l'absence d'une situation ou d'un scénario précis. Mais si la société décidait de financer ou de soutenir un projet qui causait des dommages à l'environnement d'un pays étranger, s'il était possible de prouver que la société savait ou aurait dû savoir que le projet aurait de telles incidences, et si la SEE était la seule institution de crédit à prendre part au projet, il est possible que la société elle-même soit responsable. Le fait que la SEE soit une société de la Couronne ne signifie pas qu'elle ne peut faire l'objet de poursuites judiciaires dans des pays étrangers. Elle n'est pas forcément soustraite aux actions en justice intentées dans des pays étrangers. Le conseil d'administration pourrait également être responsable, selon la situation, la mesure dans laquelle il avait participé au processus décisionnel, la diligence raisonnable dont il avait fait preuve, et cetera. Selon les situations, il n'est pas impossible que cela se produise.
Le sénateur Angus: L'article - et je crois savoir qu'il a déjà suscité plusieurs questions - paru dans le National Post d'hier, à la page FP-15, et qui correspond, d'après ce que j'ai pu voir, au texte du mémoire préparé à l'intention du comité par le prochain témoin, constitue un excellent exemple de ce qu'on peut faire avec peu de moyens pour faire parler de soi et de sa cause. Vous avez eu l'occasion de réfuter leurs affirmations dans votre déclaration liminaire. À mon avis, c'est de bonne guerre.
Pour ce qui est du témoin de Probe International, je ne crois pas que vous aurez l'occasion de réfuter les affirmations de Mme Adams. Peut-être pourrais-je donc vous poser quelques questions à ce sujet et vous donner, par anticipation, l'occasion de le faire.
Il est très clair, par exemple, que Probe International ne vous aime pas beaucoup. Je dis ça en connaissance de cause, puisqu'à ma façon très rudimentaire, j'ai consulté Internet pour me renseigner sur ce groupe. Sur leur site Web, ils ont inscrit en grosses lettres le mot «stop» par-dessus le sigle EDC. Ils disent que vous êtes des gens malfaisants et qu'il faut vous empêcher de continuer à faire toutes ces choses atroces et à commettre des erreurs que vous cherchez à dissimuler par la suite, et que finalement, à cause de vous, les efforts d'autres organismes canadiens sont voués à l'échec.
Voilà donc leur discours. Mais qu'est-ce qui a donné lieu à ce discours? Qu'est-ce que vous leur avez fait?
M. Siegel: J'espère que nous n'avons rien fait à Probe International.
L'année dernière, au nom d'entreprises canadiennes, nous avons été présents dans plus de 200 pays du monde, et cette année, nous mènerons nos activités dans 165 pays différents. Bon nombre d'entre eux sont des pays en développement. Ils sont en pleine évolution et ont besoin de capitaux pour stimuler leur croissance. Un grand nombre d'études internationales indiquent que plus vite les pays peuvent faire monter leur PIB, mieux ils réussissent à réduire la pauvreté et les taux de mortalité et à améliorer le niveau d'instruction et le bien-être général de leurs citoyens. Les entreprises canadiennes jouent un rôle de chef de file pour investir dans ces pays et favoriser ce développement.
En même temps, certains de ces pays sont aux prises avec des problèmes liés aux droits de la personne. En cherchant à évoluer, ils se trouvent aux prises avec des industries totalement dépassées qui n'appliquent pas les mêmes normes que le Canada, l'Amérique du Nord ou l'Europe. Mais ils ont besoin de ce développement pour relever leurs normes, pour évaluer et pour se hisser à un niveau supérieur.
Il ne fait aucun doute que nous, en tant qu'institution financière qui prêtons ces capitaux de développement, nous trouvons à prendre part à des projets qui suscitent parfois des controverses.
Le sénateur Angus: Sans vouloir vous interrompre, est-ce que le problème n'est pas plutôt un problème de transparence, malgré ce que j'ai dit dans mon introduction? N'est-il pas vrai que les représentants de Probe vous accusent surtout de mener trop de vos activités en secret, pour reprendre leur terme, et de vouloir à présent vous soustraire à l'application de la Loi sur l'accès à l'information, et cetera, en faisant adopter ce projet de loi? J'essaie de bien comprendre la nature de leurs préoccupations.
M. Siegel: Merci de mettre le doigt là-dessus. Je voudrais faire quelques observations, et je vais demander ensuite à Mme Grover-LeBlanc d'intervenir.
Le sénateur Angus: C'est une critique importante, et je suppose que vous avez une bonne réponse.
M. Siegel: On accuse la SEE d'être «secrète», accusation que je trouve intéressante étant donné la quantité d'information que la Société communique au public et que nous avons élargi nos pratiques en matière de divulgation d'information et continuons à le faire.
D'abord, en tant que société de la Couronne, nous sommes tenus de déposer des rapports annuels qui présentent énormément de détails au sujet de nos activités, le lieu où nous menons nos activités, notre encours, par pays, par industrie, et cetera. Nous avons reçu les félicitations du vérificateur général pour l'excellence de nos rapports, non pas une fois, mais quatre fois au cours des sept dernières années, et nous avons aussi reçu des commentaires très positifs dans chacune des autres années.
La SEE élargit aussi ses pratiques en matière de divulgation de l'information. Au 1er octobre de cette année, à la suite de consultations exhaustives auprès de parties intéressées externes, nous avons mis en place une nouvelle politique en matière de divulgation d'information. Cette politique prévoit désormais la communication de données plus détaillées encore sur l'ensemble de nos opérations, les assurances et le financement, les pays où nous menons nos activités, et le type de concentration sectorielle. Pour ce qui est de nos programmes de financement, en vertu de cette politique, la SEE énumérera désormais chacune des transactions financières qui la concerne. Si nous assurons des risques politiques relativement à un prêt ou un projet de souscription au capital-actions, nous énumérons toutes ces transactions en fournissant des détails de base tels que l'exportateur, le pays concerné, le projet et l'ampleur ou le montant de notre participation. Ainsi le public peut savoir dans quels pays du monde la SEE offre ses services. Cette information est communiquée au fur et à mesure que nous concluons une autre transaction.
De plus, pour ce qui est des projets environnementaux particulièrement délicats, la SEE s'est engagée à insister auprès des promoteurs de ces projets pour qu'ils nous remettent les résultats de leur évaluation des incidences environnementales avant que la société ne prenne une décision et pour que cette information soit communiquée au public par les promoteurs, afin que les parties intéressées puissent nous faire part de leurs préoccupations et de leurs vues sur la question.
De plus, nous avons créé quelques postes de responsables de la conformité au sein de l'organisation, pour permettre aux intéressés de s'adresser à un responsable de la SEE pour lui faire part de leurs préoccupations concernant la divulgation de certaines informations ou pour savoir si elles sont prises en compte.
Nous avons également commencé, dans le cadre de nos réunions régulières avec des intéressés comme Probe, à prévoir une consultation précise sur divers projets pour nous permettre de prendre connaissance de leurs préoccupations. Peut-être que Mme Grover-LeBlanc pourrait compléter ma réponse en parlant de cette initiative et du conseil consultatif.
Mme Mary Grover-LeBlanc, vice-présidente, Réputation de la Société et relations extérieures Société pour l'expansion des exportations (SEE): À la SEE, nous avons consacré beaucoup d'efforts ces dernières années au dossier de la responsabilité sociale. L'un des principaux éléments de notre stratégie consiste à dialoguer avec les intéressés, tels que les ONG. Nous avons donc recruté un conseiller en matière de responsabilité sociale qui est surtout chargé de rester en contact avec les ONG - entre autres, Probe International - parfois même sur une base quotidienne pour répondre à leurs questions. Ce conseiller les rencontre aussi régulièrement s'ils souhaitent lui faire part de leurs préoccupations concernant un projet particulier pour que nos ingénieurs en environnement leur expliquent éventuellement la procédure que nous avons suivie pour faire preuve de diligence raisonnable en examinant ces projets.
Ce processus nous permet d'être ouverts et transparents. Demain nous en rencontrons un certain nombre pour discuter de nos activités à l'appui des technologies environnementales. Nous avons toujours fait preuve d'une grande transparence dans nos rapports avec les ONG.
Mais il y a un équilibre à établir qui peut être délicat. Il reste que certaines informations touchant des transactions peuvent être confidentielles et personne qui traite avec des institutions financières voudrait que ce type d'information soit divulgué.
Le sénateur Angus: Vous semblez prendre de bonnes initiatives. Il y a donc eu une certaine évolution à la SEE en ce qui concerne la divulgation d'information et la transparence. Étant donné ce que vous avez dit tous les deux, avez-vous besoin de cette disposition très large qui vous soustrait à l'application de la Loi sur l'accès à l'information et qui permet donc à certains organismes gouvernementaux, comme vous le savez, de garder certains renseignements secrets?
Mme Grover-LeBlanc: La Loi sur l'accès à l'information ne leur permettrait pas de toute façon d'accéder au genre de renseignements qui les intéressent. Tout ce qui concerne les transactions serait biffé sur l'information communiquée au demandeur. Notre politique de divulgation de l'information, qui est la plus complète de tous les organismes de crédit à l'exportation, va beaucoup plus loin que ce à quoi l'on pourrait avoir accès par le biais de la Loi sur l'accès à l'information. La SEE estime qu'elle doit jouer un rôle de chef de file dans ce domaine et elle est donc résolue à continuer à progresser et donc à divulguer plus d'information qu'on ne pourrait jamais obtenir en passant par la Loi sur l'accès à l'information.
Le sénateur Angus: Donc, cela ne vous dérangerait pas qu'on élimine l'exemption que prévoient ces dispositions?
M. Siegel: Non, cela nous dérangerait beaucoup. Si la société a été soustraite à l'application de la Loi sur l'accès à l'information, c'est pour la très bonne raison qu'elle traite des informations commerciales confidentielles. Les parties qui traitent avec la Société doivent avoir la garantie que l'information qu'elles nous soumettent restera confidentielle.
L'élément important dans ce contexte est la rapidité avec laquelle on peut accéder à l'information. Les ONG souhaitent obtenir de l'information en temps utile pour pouvoir influencer les décisions. Notre politique de divulgation de l'information vise justement à la leur communiquer rapidement pour qu'elles puissent se renseigner et nous faire part de leur réaction.
La Loi sur l'accès à l'information n'est pas un véhicule qui aidera les ONG à obtenir de l'information en temps utile pour pouvoir influencer ou commenter des transactions individuelles. Pendant nos consultations et lors des audiences devant le comité de la Chambre des communes, le représentant d'une des ONG concernées a justement émis cette même opinion sur la question.
Le sénateur Angus: Avez-vous eu des problèmes jusqu'à présent, en ce qui concerne les informations commerciales confidentielles que vous transmettent vos clients, du fait d'être visés par la Loi?
M. Ross: Nous avons des problèmes à cet égard en ce sens que lorsque nous sollicitons de l'information aux parties étrangères en vue d'évaluer leurs projets ou leurs transactions, ces dernières exigent que nous concluions des ententes de non-divulgation très détaillées. Si l'on a soustrait la société à l'application de la Loi sur l'accès à l'information lorsqu'elle est entrée en vigueur au début des années 1980, c'est parce que l'on craignait que les clients étrangers de la société soient réticents à lui fournir de l'information. En ce qui nous concerne, cette préoccupation est toujours valable et même plus justifiée de nos jours, à cause de la privatisation, notamment dans certains pays étrangers.
Les projets d'infrastructure sont maintenant pris en charge par le secteur privé, non pas par des gouvernements étrangers. Pour que la société puisse y participer en assurant une partie du financement, elle doit faire partie d'un consortium financier et, dans ce contexte, notre financement vise à assurer l'accès des fournisseurs canadiens à ces mêmes projets. Nous devons convaincre non seulement les promoteurs mais les banques étrangères de nous fournir l'information requise.
Même si ces derniers sauraient que la divulgation d'informations aux termes de la Loi fait l'objet de certaines exceptions, ils craindraient que si l'on décidait d'invoquer ces exceptions, ils devraient venir au Canada et être sur place pour défendre la confidentialité de leurs informations, alors qu'ils n'ont pas à craindre qu'on leur impose cela s'ils traitent avec une banque américaine.
Le sénateur Angus: Y a-t-il d'autres sociétés de la Couronne qui bénéficient du même genre d'exemptions que vous demandez?
M. Ross: Oui, il y en a d'autres.
Le sénateur Angus: Pour les mêmes raisons?
M. Ross: Je ne peux pas parler pour les autres sociétés de la Couronne, mais je pense que c'est sans doute pour les mêmes raisons.
Le sénateur Angus: Par rapport à la question soulevée dans l'article de M. Reid qui est paru dans le National Post, vous avez dit que c'est un article type et que vous devez être en mesure de vous protéger contre la possibilité qu'on utilise frauduleusement votre raison sociale. Pour ma part, je suis membre d'un certain nombre de sociétés canadiennes, et j'ai l'impression que ces dernières ne bénéficient pas de protection législative. Par contre, nous avons des lois sur les marques de commerce et le droit d'auteur qui interdisent l'utilisation frauduleuse ou inopportune de votre nom ou raison sociale et de votre propriété intellectuelle. Qu'est-ce que vous en dites? N'avez-vous pas déjà la possibilité de prendre des mesures normales de redressement par voie d'injonction?
M. Ross: Oui, absolument. Cette disposition n'a pas été conçue spécialement pour la SEE. Il s'agit d'une disposition type qu'on trouve dans la Loi sur les banques et la Loi sur les sociétés d'assurances, mais qui ne s'applique pas à la SEE étant donné que nous ne sommes ni banque ni société d'assurances réglementée. Nous sommes visés par la Loi sur l'expansion des exportations. Par conséquent, la seule façon d'appliquer les dispositions en question à la SEE ou à une autre société de la Couronne, comme la Banque de développement, consiste donc à les inscrire dans la loi qui les vise directement.
Le sénateur Angus: Monsieur Siegel, vous avez dit dans votre déclaration liminaire que le processus d'examen tire à sa fin. Nous avons tenu des audiences ici en comité sur le rapport rédigé par le cabinet Gowling. Je me demande si le projet de loi découle de cet examen-là et des recommandations qu'on retrouve dans le rapport Gowling ou s'il repose plutôt sur de nouvelles propositions?
M. Siegel: Non, ceci découle directement de cet examen, et des dernières recommandations du rapport Gowling, qui supposent qu'on apporte certaines modifications à la Loi sur l'expansion des exportations.
Le sénateur Angus: Vous avez mentionné la compagnie Northstar, au sujet de laquelle j'ai récemment lu quelque chose, et de plusieurs banques qui sont actionnaires et de son fondateur. Qui a fondé cette compagnie?
M. Siegel: Elle a été fondée par Scott Shepherd, un ex-employé de la SEE qui a eu l'idée lui-même d'offrir ce service. Lui et ses actionnaires, qui sont des banques et le gouvernement de la Colombie-Britannique, ont mis sur pied un organisme de financement qui accorde surtout des prêts relativement petits - généralement de l'ordre de 3 millions de dollars, et parfois jusqu'à 5 millions de dollars - pour des opérations dans des pays étrangers.
Dans le cadre de notre partenariat, la SEE soutient ses opérations en assurant les prêts en question. Northstar assume une partie des risques, et nous en assumons une plus forte portion en fonction des assurances. Cette compagnie ne nous appartient pas. Elle est indépendante et elle a sa propre raison sociale. Mais elle apporte une capacité supplémentaire au marché en utilisant sa raison sociale, Northstar, pour mener ses activités, mais la SEE soutient ses opérations en en assumant une portion des risques.
Le sénateur Angus: Vous parlez d'assurance-crédit?
M. Siegel: C'est exact.
Le sénateur Angus: Et est-ce que ce genre d'assurance tombe dans la catégorie de l'assurance-crédit à l'exportation?
M. Siegel: Oui; il s'agit effectivement d'assurance-crédit à l'exportation.
Le sénateur Angus: Par le passé, nous avons parlé de votre démarche en tant qu'organisme d'assurance-crédit à l'exportation, en ce sens que, selon certains, vous concurrencez directement le secteur privé. On me dit - et c'est une allégation qu'on m'a faite mais qui n'est pas corroborée - qu'en tant qu'organisme d'assurance-crédit à l'exportation, vos activités auraient empêché la création au Canada d'un marché privé dans ce secteur. Est-ce vrai à votre avis?
M. Siegel: Bien au contraire. D'abord, comme l'ont prouvé les témoignages de tierces parties lors des dernières audiences, ce n'est pas au niveau des prix que la SEE concurrence d'autres organismes. En fait, dans bien des cas, les services de la SEE coûtent plus cher que ceux d'autres organismes privés d'assurance-crédit à l'exportation. Ce sont les services de la SEE qui constituent l'élément primordial.
Deuxièmement, la SEE assure une vaste gamme d'exportateurs. Nous ne nous contentons pas d'assurer un petit nombre de gros exportateurs; nous avons un grand nombre de clients, et 90 p. 100 d'entre eux sont de petits et moyens exportateurs. Dans bien des cas, ils n'intéressent pas le secteur privé puisqu'ils ne sont pas assez gros et le rapport risques-rendement n'est pas considérable acceptable.
Nous avons invité et encouragé le secteur privé à devenir actif dans ce marché parce que l'assurance-crédit à l'exportation tend à être moins utilisée ici qu'en Europe, par exemple. Mais c'est un outil très intéressant. D'ailleurs, il faut plus d'un acteur sur le marché, si bien que nous pouvons coexister.
Lors des dernières audiences, la préoccupation exprimée par certains était celle-ci: La SEE devrait-elle vendre des assurances sur le marché national, étant donné que nous avions le droit d'offrir cela à nos clients exportateurs, pour qu'ils profitent d'une sorte de guichet unique? Nous avons décidé de conclure une alliance avec la London Guarantee. Nous ne sommes plus les souscripteurs de cette assurance; c'est une entreprise privée qui la souscrit. À notre avis, nous n'empêchons aucun autre assureur de mener ses activités; nous voulons simplement offrir à nos clients des assurances valables et cohérentes. Nous sommes très contents que d'autres assureurs soient actifs sur ce marché, si bien que la SEE ne soit plus la seule option pour les entreprises canadiennes.
Le sénateur Tkachuk: Toujours par rapport à la divulgation d'informations et aux questions environnementales, je tiens à vous dire que la politique gouvernementale et la réponse de la SEE au rapport du comité de la Chambre des communes sur la SEE me semblent problématiques. Dans ce rapport, vous avez dit ceci: «En tant que société de la Couronne, la SEE doit traduire les valeurs canadiennes en matière environnementale dans les activités qu'elle mène à l'étranger. Par conséquent, le gouvernement compte prendre des mesures dès maintenant pour solliciter l'intervention du Bureau du vérificateur général».
Cette déclaration vous est certainement familière. À votre avis, le projet de construction du barrage des Trois gorges en Chine ferait-elle exception, ou était-il conforme aux normes du gouvernement du Canada?
M. Siegel: Nos activités traduisent bien ces valeurs. Nous sommes d'accord avec cette déclaration. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure dans certaines réponses aux questions qui m'étaient posées sur les analyses environnementales, nous ne nous contentons pas de nous soumettre aux normes du pays d'accueil quand nous appuyons les opérations d'exportateurs à l'étranger. Nous appliquons des normes et des critères qui sont reconnus dans le monde entier et jugés appropriés pour le projet en question.
Il en fait aucun doute qu'un projet hydro-électrique - n'importe lequel - que ce soit le projet de construction du barrage des Trois gorges ou nos propres installations ici au Canada, a nécessairement d'importantes incidences environnementales. Mais ce genre de projet comporte aussi des avantages considérables. Ce qui est important dans ce contexte, ce sont les mesures d'atténuation et les normes qui doivent être respectées pour s'assurer que les incidences environnementales ne sont ni gravement négatives ni injustifiées.
Si nous acceptions de soutenir le projet du barrage des Trois gorges ou tout autre projet de cette nature, ce serait parce que nous avions d'abord fait une telle analyse et que nous en avions conclu que les mesures d'atténuation étaient appropriées pour contrer les risques potentiels et que les avantages du projet l'emportaient de beaucoup sur les faibles risques que présentait le projet sur le plan environnemental ou social.
Le sénateur Tkachuk: La réponse est donc oui.
M. Siegel: C'est exact.
Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne les évaluations d'incidence environnementale, ce qui ressort de tous les témoignages des représentants de la SEE et du ministère, c'est que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et que vos activités sont conformes à tous les règlements et toutes les normes de tout le monde, que ce soit la Chambre des communes, le Sénat ou le vérificateur général.
Quand vous procédez à une évaluation environnementale, pourquoi optez-vous pour la divulgation de l'information sur une base volontaire? Pourquoi ne pas la rendre obligatoire? Cela vous permettrait d'éviter beaucoup de critiques et beaucoup de problèmes, et nous n'aurions pas à vous poser toutes ces questions. Si vous n'avez rien à craindre, pourquoi n'est-il pas obligatoires de divulguer cette information?
M. Siegel: Nous avons déjà fait des observations à ce sujet, et je ne vais donc pas répéter qu'il s'agit là de projets commerciaux, dans bien des cas, et qu'ils sont visés par des accords de non-divulgation conclus par les promoteurs et les prêteurs. La capacité de la SEE de divulguer cette information est donc limitée. Cela dit, comme je l'indiquais tout à l'heure, notre politique sur la divulgation de l'information concerne directement les projets qui peuvent avoir d'importantes incidences environnementales négatives et les promoteurs aussi, puisque la SEE insiste auprès de ces derniers pour que l'information soit communiquée au public avant que nous prenions la décision de soutenir le projet.
Nous encourageons la partie qui possède l'information à la rendre disponible et à tenir les consultations. L'un des éléments essentiels de l'évaluation des incidences environnementales - et ces éléments sont définis dans notre actuel cadre d'examen environnemental et continueraient d'être précisés dans tout autre cadre subséquent - ce sont les consultations auprès des principaux intéressés. En fait, la partie appropriée communique l'information au public pour que les intéressés puissent comprendre de quoi il s'agit, faire part de leurs réactions et influencer la décision finale avant qu'elle ne soit prise. Nos pratiques actuelles sont telles que nous tenons à savoir tout ça avant de procéder à notre examen.
Le sénateur Tkachuk: Si le public estime que la SEE ne respecte pas sa politique en matière de divulgation de l'information, quel recours a-t-il?
M. Siegel: Je vais demander à M. Ross d'aborder la question des conséquences juridiques de l'adoption des dispositions législatives. Il y a diverses possibilités dont peuvent se prévaloir les citoyens, et bon nombre d'entre elles inquiètent beaucoup les exportateurs.
M. Ross: Le nouveau CEE ou plutôt la directive dont il est question dans le projet de loi est établie par le conseil d'administration. Si la société ne respecte pas les termes de cette directive, comme le prévoit la Loi, ses décisions pourront faire l'objet de révision judiciaire. Autrement dit, si la Société refuse de respecter la directive que le conseil définira et adoptera aux termes de la nouvelle disposition, toute décision prise en vue d'appliquer cette directive pourrait ...
Le sénateur Tkachuk: Je sais ce qui peut se produire si le conseil prend une décision et que vous ne vous y conformez pas. Ma question est plutôt de savoir ce qui arrive si le conseil ne prend pas de décision? Si j'estime, personnellement, que la société enfreint sa propre politique en matière de divulgation de l'information, quels sont les recours possibles pour des citoyens comme moi? Est-ce qu'il y en a, ou pas du tout? Comment puis-je le savoir?
M. Siegel: La décision du conseil ne s'applique pas uniquement aux opérations approuvées par le conseil. Elle vise la totalité des opérations approuvées par la société qui sont liées à cette directive, que ce soit par le conseil ou par voie de délégation de pouvoir. S'il s'agit d'activités liées à des projets auxquels participe la SEE, la SEE est tenue de par la loi de la respecter. Sinon, elle outrepasse ses pouvoirs aux termes de la loi, ou du moins on peut alléguer que c'est ça qu'elle fait.
M. Ross: Grâce à notre politique sur la divulgation de l'information, qui prévoit que nous communiquerons de l'information sur les activités de la société au fur et à mesure que nous approuvons des opérations de financement - et c'est là-dessus que portait votre question - le public saura quelles sont nos activités et quelles opérations nous avons conclues. Les citoyens pourront demander à obtenir cette information, étant donné que nous acceptons de leur communiquer de l'information sur les transactions qui sont conclues lorsque ces dernières concernent le financement, l'assurance-crédit pour risques politiques ou la souscription au capital-actions.
Le président: J'invite maintenant Mme Adams, Mme Revil et M. Owen à venir faire leur exposé.
Vous avez la parole, madame Adams.
Mme Patricia Adams, directrice générale, Probe International: Honorables sénateurs, je suis ravie d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi C-31 dont vous êtes actuellement saisis, et qui constitue une importante mesure législative.
Dans mon mémoire écrit, j'explique en détail nos graves préoccupations à l'égard du projet de loi C-31, qui modifie la Loi régissant la Société pour l'expansion des exportations. Je vais donc préciser rapidement en quoi consiste ces préoccupations et je serai à votre disposition pour en discuter plus tard lors de la période des questions.
Probe International, l'organisme que je représente cet après-midi, fait enquête sur les conséquences environnementales, financières et sociales des activités de la SEE depuis une vingtaine d'années. Nous avons 20 000 partisans d'un bout à l'autre du pays qui sont inquiets relativement à la longue tradition qu'a la SEE de financer des projets dangereux, qui consistent entre autres à construite des installations nucléaires dans des points chauds au Pakistan et en Inde, à financer des mines qui rejettent du cyanure dans les rivières et à construire des barrages hydro-électriques qui détruisent des vallées fertiles dans des pays pauvres, forçant ainsi des millions de personnes à quitter leurs terres.
Le projet de loi C-31 n'empêchera pas la SEE de continuer à financer ces projets dangereux et destructeurs. Le projet de loi C-31 établit par voie législative une procédure d'examen environnemental dont les critères environnementaux et juridiques relèvent entièrement de la responsabilité de la SEE. Elle n'aura qu'à se conformer aux normes qu'elle aura elle-même définies. Certains jours, elle pourra opter pour d'autres normes. Elle pourra même décider de se soustraire complètement à l'obligation de procéder à l'examen environnemental d'un projet. Le projet de loi C-31 habilitera la SEE à rédiger ses propres règles, à établir ses critères, à définir ses conditions, à s'évaluer elle-même et à décider ensuite s'il est justifié ou non de soutenir un projet qui aura pour résultats de détruire l'environnement.
Selon le résumé législatif préparé par le Parlement lui-même, ce projet de loi confère donc au conseil d'administration de la SEE le pouvoir absolu de prendre une décision qui ne pourrait que difficilement faire l'objet de révision judiciaire.
Le processus par lequel on applique des normes infiniment ajustables s'appelle l'analyse comparative. Il a été sévèrement critiqué par des groupes écologiques dans d'autres pays de l'OCDE, qui y voient une simple opération de relations publiques qui induit en erreur les contribuables et les législateurs en leur faisant croire que l'environnement sera protégé, alors que la société concernée n'a aucunement l'intention de modifier ses pratiques.
La deuxième grande lacune du projet de loi C-31, c'est qu'il soustrait la SEE à l'application de la Loi sur l'accès à l'information. Dans le cadre de l'examen de la Loi sur l'expansion des exportations qui s'est soldé par le dépôt du projet de loi C-31, le gouvernement a recueilli les opinions de plus de 140 000 Canadiens, qui réclament que la SEE soit assujettie aux dispositions de la Loi sur l'accès à l'information. La Loi sur l'accès à l'information est une bonne loi. Elle n'est pas toujours uniformément appliquée. Elle est souvent menacée par le gouvernement au pouvoir, mais elle demeure l'un des plus importants outils démocratiques dont peuvent se prévaloir les citoyens du pays pour définir et obtenir les renseignements qui leur semblent les plus pertinents concernant les activités du gouvernement, au lieu que ce soit fait en sens inverse.
En l'absence de cette loi, la capacité du public d'exercer un droit de regard sur les activités de la SEE est sévèrement compromise, ce qui voudra dire que cette société de la Couronne qui finance ses activités grâce à la carte de crédit de Sa Majesté, n'aura pas vraiment à répondre de ses actions.
Ainsi, pour calmer les esprits et répondre à la demande du public que la SEE soit assujettie à la Loi sur l'accès à l'information, la SEE nous offre une solution de remplacement tout à fait insuffisante, soit sa nouvelle politique sur la divulgation de l'information. Tout comme le projet de loi C-31 crée une procédure d'examen environnemental inutile dont le seul but est de permettre à la SEE de se faire bien voir, la nouvelle politique sur la divulgation de l'information de la société est, elle aussi, conçue de manière à convaincre le public que la SEE sera plus transparente, alors qu'elle compte essentiellement maintenir le statu quo.
Si vous avez lu attentivement le texte de sa nouvelle politique, vous verrez que la SEE et les sociétés qui bénéficient de son soutien continueront à déterminer quelles informations seront communiquées au public, au lieu que ce soit l'inverse.
Si le public est insatisfait des pratiques de la SEE en matière de divulgation de l'information, il n'aura aucun recours et ne pourra demander une révision judiciaire.
Comme la SEE sera soustraite à l'application de la Loi sur l'accès à l'information, elle pourra continuer à dissimuler ses erreurs. Ceci suscitera des sentiments de méfiance chez les citoyens, nos partenaires commerciaux et les organes qui régissent nos systèmes d'échange internationaux, comme l'OCDE et l'OMC.
Ces deux graves lacunes du projet de loi C-31 compromettent gravement la capacité du public d'exercer un droit de regard sur la SEE, créant ainsi un climat propice au copinage, à la corruption, et au genre d'insouciance qui entraîne des coûts inacceptables sur les plans environnemental, financier et social.
L'article 24.2 du projet de loi C-31 compromet encore plus la capacité du public d'exercer ce droit de regard. Cet article pourrait mettre un terme à tout débat public sur la SEE. Tel qu'il est actuellement formulé, l'article 24.2 empêcherait un citoyen de mentionner le nom de la société par écrit, dans un discours, ou dans toute situation qui pourrait être considérée comme liée à une fin commerciale ou une publicité, à moins que cette personne n'ait obtenu le consentement écrit de la SEE. Une infraction donnerait lieu à une amende maximale de 10 000 $, à une peine d'emprisonnement de six mois ou les deux.
La possibilité qu'on porte ainsi gravement atteinte à la liberté d'expression est tout à fait réelle. En juillet de cette année, avant le dépôt du projet de loi C-31, la SEE a prévenu Probe International qu'il devrait cesser d'utiliser le nom et le logo de cette société de la Couronne sur son site Web s'il souhaitait «éviter les coûts liés aux poursuites».
Cette disposition draconienne traduit une intolérance inquiétante au sein de la SEE pour les critiques publiques à l'égard de ses opérations. La SEE nous a dit que lorsque son temps est limité, elle répond d'abord aux questions des ONG qu'elle considère dignes de confiance, et que celles des ONG qui ne sont pas dignes de confiance ou objectives à son avis sont reléguées au second plan.
Pour vous en donner un autre exemple, l'été dernier, la SEE a invité le public à lui faire part de ses observations sur son projet de politique sur la divulgation de l'information en indiquant qu'elle communiquerait ses observations aux autres intéressées sur son site Web. Mais elle a refusé d'y afficher la critique de Probe International sous prétexte qu'elle contenait des erreurs ou des affirmations non corroborées.
Lorsque j'ai insisté auprès de la SEE pour qu'elle prouve le bien-fondé de ses accusations, elle n'a pas été en mesure de le faire.
La SEE semble croire agir en tant que police de la pensée. D'ailleurs, le projet de loi C-31 lui conférerait ce pouvoir. Tel qu'il est actuellement formulé, il nous serait impossible de communiquer avec d'autres citoyens ou même avec nos partisans sans être menacés d'amendes ou de peines d'emprisonnement. Il appartient à notre Parlement de rappeler à la SEE qu'elle est mandataire de l'État, qu'elle a créé une dette de quelque 90 milliards de dollars que devront assumer les contribuables, et qu'elle ne peut pas simplement bâillonner ses détracteurs.
Nous exhortons donc le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce à au moins supprimer l'article 24(2) du projet de loi C-31. Nous encourageons également le comité à modifier ce projet de loi pour garantir que tant qu'elle existera, la SEE sera assujettie à un droit de regard réel et complet de la part du public.
[Français]
Mme Emilie Revil, coordinatrice, Groupe de travail des ONG sur la Société pour l'expansion des exportations, Initiative d'Halifax: Monsieur le président, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour témoigner sur ce projet de loi.
[Traduction]
Je représente le Groupe de travail des ONG sur la SEE. Le Groupe de travail sur les ONG suit de près ce dossier depuis trois ans. Je dois vous dire que nous sommes très déçus par le projet de loi C-31. Nos études de cas de projets soutenus par la SEE décrivent en détail le genre d'effets que peuvent avoir les opérations de cette dernière sur la vie des gens, sur l'environnement, sur nos engagements internationaux et sur notre réputation à l'étranger, si on lui permet de mener ses activités sans être assujettie à une réglementation rigoureuse.
Non seulement le projet de loi C-31 ne prévoit pas de freins et de contrepoids suffisants ou l'orientation énergique qui est si nécessaire, mais il propose de renforcer par voie législative, les pratiques actuelles de la SEE, alors qu'elles sont vraiment problématiques. Plus de 140 000 Canadiens ont écrit au gouvernement, aussi récemment qu'il y a quelques mois, pour exprimer leur mécontentement au sujet de ses pratiques. Des pages et des pages de nos journaux ont été consacrées à la description des échecs de la SEE en tant qu'organisme public. Malgré tout, le projet de loi C-31 passe sous silence toutes les questions d'intérêt public, à l'exception de l'environnement. Ce projet de loi prévoit simplement que la SEE pourra décider elle-même ce qu'elle veut faire.
Le projet de loi C-31 entérine par voie législative l'autonomie dont jouit déjà la SEE. Elle inscrit dans la loi le genre d'échappatoires qui, si on devait y avoir recours, feraient honte au Canada, étant donné les normes en matière d'évaluation environnementale mises en place par les autorités canadiennes. Que nous sachions, il n'existe aucun autre organisme gouvernemental qui ait le pouvoir législatif de définir sa propre procédure d'évaluation environnementale, pouvoir que le projet de loi C-31 accorde à la SEE.
La majorité des institutions publiques au Canada sont assujetties aux dispositions de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Le projet de loi C-31 permet au conseil d'administration de la SEE non seulement de définir sa procédure d'évaluation environnementale, mais de soustraire ses propres activités à cette procédure d'évaluation environnementale, et de poursuivre un projet même si les résultats de l'évaluation indiquent que ce dernier aurait de graves incidences environnementales négatives.
Ces échappatoires sont d'ailleurs clairement décrites dans le résumé et l'analyse du projet de loi qu'on retrouve sur le site Web du gouvernement. On qualifie la délégation du pouvoir décisionnel au conseil d'administration de la SEE, qui n'est assujettie à aucune limite ni à aucun critère, d'«inhabituelle».
Le projet de loi permet à la SEE de contrôler ses activités, même si cette dernière n'a jamais réussi à prouver qu'elle est capable d'axer ses décisions sur l'intérêt public. L'actuel cadre d'examen environnemental de la SEE a été grandement critiqué par le cabinet Gowling, Strathy et Henderson, par le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, dans son rapport de 1999, intitulé «Le Canada et l'avenir de l'Organisation mondiale du commerce», et plus récemment, par le Bureau du vérificateur général.
Dans sa réponse au rapport du CPAECI en décembre 1999, le gouvernement a déclaré qu'il demanderait au vérificateur général de se pencher sur l'actuel cadre d'examen environnemental que la SEE a elle-même élaboré. Si vous avez pris connaissance du cadre d'examen environnemental de la SEE ou si vous êtes au courant de certains des investissements faits par la société après l'adoption du CEE par le conseil d'administration, vous ne serez guère étonné d'apprendre que d'après le Bureau du vérificateur général, ce cadre laissait à désirer et n'avait pas été correctement suivi dans 92 p. 100 des cas qu'ils ont examinés.
La SEE compte mettre la dernière main à son cadre d'examen environnemental au printemps, car elle cherche pour l'instant à améliorer celui est déjà en place. Comment le Parlement peut-il déterminer que ce cadre est satisfaisant s'il ne force pas la SEE, par voie législative, à adopter de bonnes pratiques que cette dernière n'a pas fini d'élaborer pour l'instant?
Le projet de loi C-31 demande au vérificateur général d'examiner, tous les cinq ans, la mesure dans laquelle la SEE se sera conformée à sa propre directive. Mais que pourra faire le public si l'on détermine que la SEE a échoué sur ce plan-là? Quels recours aura le citoyen pour obliger la SEE à rendre des comptes, lorsqu'elle aura décidé de se soustraire à une procédure d'examen environnemental ou d'approuver un projet en sachant pertinemment qu'il aura de graves effets négatifs sur l'environnement.
Ce projet devrait définir les critères que la SEE devra respecter dans ce contexte. Il pourrait s'agir des critères suivants: toute opération dont on sait qu'elle peut avoir de graves incidences environnementales négatives doit faire l'objet d'une évaluation environnementale; toutes les évaluations environnementales ou opérations dont les incidences environnementales négatives sont connues et importantes doivent inclure la consultation des populations locales qui en sont touchées; et l'information recueillie sur les effets environnementaux, par le biais du processus d'évaluation, doivent être communiquées au public au moins 60 jours avant que l'opération en question ne soit approuvée par le conseil d'administration.
Ce projet de loi doit absolument prévoir la communication d'informations pertinentes avant l'approbation du projet. Ceci n'est pas encore prévu dans la politique de la SEE sur la divulgation de l'information et cette dernière ne sera prête que lorsqu'on aura mis la dernière main au CEE au printemps.
Il faut que le conseil d'administration de la SEE soit tenu d'examiner toutes les opérations dont on sait qu'elles auront ou peuvent avoir des effets environnementaux importants. Ce dernier critère est important, étant donné que les opérations approuvées par le conseil d'administration de la SEE sont plutôt rares, car la société a récemment décidé que celles dont la valeur est inférieure à 25 millions de dollars pourront être approuvées par la direction seulement. Je vous fais remarquer, cependant, que le conseil d'administration de la Banque mondiale est tenu d'approuver toutes les transactions et que la U.S. Ex-Im Bank doit approuver tous les projets dont la valeur dépasse 10 millions de dollars.
Le projet de loi C-31 confère au conseil d'administration de la SEE le pouvoir d'élaborer ses propres politiques sur des questions d'intérêt public. Mais le gouvernement ne doit pas appliquer sa responsabilité de s'assurer que la SEE agit dans l'intérêt du public en faveur du conseil d'administration d'un organisme public à vocation commerciale. Il faut que le gouvernement définisse le mandat de la SEE dans ces domaines et qu'il lui donne des consignes précises. Malheureusement, le projet de loi C-31 ne définit pas les paramètres qui devront guider la SEE dans la réalisation de ses objectifs commerciaux.
Le Groupe de travail des ONG estime que la SEE devrait absolument tomber sous le coup de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCEE). L'inclusion dans le projet de loi C-31 d'un article qui renforce l'exemption actuelle dont jouit la SEE par rapport à la LCEE lie les mains des décideurs politiques. Il n'est pas nécessaire de modifier la LCEE pour faire en sorte que la SEE y soit assujettie. Cependant, il faudrait modifier la Loi si le gouvernement décidait de vraiment appliquer les dispositions de la LCEE comme on peut l'espérer, ne serait-ce que pour donner l'exemple, étant donné les critiques énergiques formulées à cet égard par le Bureau du vérificateur général.
On peut soutenir que le Compte du Canada de la SEE devrait être visé par la réglementation de la LCEE en ce qui concerne les «projets menés à l'extérieur du Canada». C'est d'ailleurs l'argument qu'on fait valoir actuellement devant les tribunaux, même si l'adoption du projet de loi avec cet article-là couperait l'herbe sous les pieds du tribunal appelé à statuer là-dessus.
Pour ce qui est des droits de la personne, le projet de loi ne réussit aucunement à renforcer le respect des obligations et engagements internationaux du Canada dans ce domaine, alors que c'est ce qu'avait recommandé le CPAECI et le rapport Gowling. L'objet de la SEE, tel qu'il est défini à l'article 10, doit être modifié pour inclure la nécessité de se conformer aux obligations internationales du Canada. J'ai d'ailleurs des recommandations plus précises à cet égard figurent dans une lettre que j'ai fait parvenir aux membres de ce comité.
En 1995, le ministre de l'Industrie et du Commerce de l'époque, soit M. John Manley, s'est engagé vis-à-vis de ce comité à faire en sorte que des sociétés de la Couronne, telles que la Banque de développement du Canada et des banques commerciales privées, soient tenues de divulguer de l'information concernant l'investissement de leurs crédits. Aux termes du projet de loi C-8, la Loi sur l'Agence de la consommation en matière financière du Canada, les banques privées doivent divulguer certaines informations; cependant, rien n'a été fait depuis pour exiger que les sociétés de la Couronne en fassent autant, et ce projet de loi ne permet aucunement de combler cette lacune.
M. Richard C. Owens: Honorables sénateurs, bonsoir. Je suis ravi d'être là.
Je me permets d'ajouter, cependant, que même si je suis ravi de comparaître avec ces autres personnes distinguées, je ne les représente pas et je ne suis pas non plus affilié à leurs groupes. Je comparais donc devant vous ce soir exclusivement à titre personnel.
Je suis avocat spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle. J'ai exercé pendant de nombreuses années. Jusqu'à tout dernièrement, en fait, j'ai été président du service de la propriété intellectuelle d'un des plus importants cabinets d'avocats du Canada, mais j'ai décidé à un moment donné de m'en retirer. J'ai donc accepté le poste de directeur général du Centre of Innovation Law and Policy de l'Université de Toronto. Je me présente donc ce soir en tant qu'universitaire.
Vous avez reçu le texte de mon mémoire, qui n'est pas tout à fait identique à celui de l'article que j'ai rédigé hier. Je voudrais surtout vous parler de l'article 24.2 du projet de loi. Je vais sans doute être relativement bref, malgré mes habitudes de professeur.
Cet article est d'application large. Il vise des questions qui relèvent normalement du droit des marques, il criminalise grossièrement la liberté d'expression et, dans ce cas, que son application soit large ou moins large, il mérite de faire l'objet d'un examen minutieux. Cet article est tout simplement trop général et trop peu clair pour sortir indemne d'un tel examen. Cet article est tout simplement inutile et vise des questions qui sont déjà abordées dans le droit de la concurrence, le droit des marques, le droit d'auteur et la common law par rapport à la substitution ou d'autres délits civils. Nous avons toute une série de lois qui traitent de l'utilisation des marques de commerce et des raisons sociales et qui ont évolué grâce aux décisions judiciaires. Nous n'avons pas besoin d'une autre disposition de ce genre. Celle-ci ne fait qu'aggraver les choses.
Le droit des marques, qui est suffisant pour protéger les intérêts de toutes les autres entreprises en ce qui concerne leur marque de commerce, est équilibré par le droit à la libre expression devant les tribunaux. De nombreuses décisions indiquent la tendance actuelle. Or, ces dispositions discriminatoires perturbent cet équilibre délicat. Pourquoi accorder un privilège à une société de la Couronne qui mène certaines activités et ne pas l'accorder à des sociétés qui n'appartiennent pas à la Couronne?
Sa discrimination est particulièrement problématique sur le plan des marques de commerce, et encore plus sur le plan des noms ou des raisons sociales. Les noms sont utiles. Les journalistes ont besoin d'un nom pour décrire les actions d'une certaine entité. Même si cela peut être intéressant pour l'État de limiter l'usage d'un certain nom ou raison sociale - et pour vous dire la vérité, je ne vois pas trop dans quelles circonstances cela pourrait intéresser l'État - il est encore plus important, s'agissant d'une société de la Couronne, de s'assurer que les citoyens ne courent absolument aucun risque à discuter des politiques gouvernementales, telles qu'elles sont appliquées par la société de la Couronne en question, voire même à critiquer ses politiques s'ils les estiment appropriées.
On a beaucoup parlé aujourd'hui devant le comité de l'intention de cette disposition. Je ne peux pas vous dire en quoi elle consiste. L'intention est loin d'être claire - mais il faut dire que je ne suis qu'un pauvre avocat. Je n'ai pas le droit de connaître leur intention. Nous devons nous en tenir aux mots inscrits sur la page. Même les juges qui statueront un jour ne seront pas à même de comprendre par intuition l'intention des législateurs. Cette dernière n'est claire que dans la mesure où elle est exprimée clairement dans le texte de loi.
Les critiques que je formule aujourd'hui n'ont rien à voir avec les bonnes ou mauvaises intentions de la Société pour l'expansion des exportations. Je ne connais pas beaucoup cette société et je ne suis ni pour ni contre ce qu'elle fait. Mes préoccupations sont d'ordre plutôt formaliste. Je me présente devant vous parce que j'ose croire que ma contribution aura peut-être pour résultat d'éviter qu'une mauvaise loi ne soit adoptée et que je sois moi-même obligé d'y avoir affaire à l'avenir.
Comme je viens de vous le dire, nous ne nous intéressons qu'au texte de la loi. Nous devons absolument savoir comment appliquer ces textes. Les dispositions de l'article 24.2 font qu'un avocat en exercice dont le client voulait indiquer dans un prospectus qu'il avait obtenu du financement de la SEE serait obligé d'obtenir le consentement de la société avant de divulguer cette information pour éviter de faire l'objet des sanctions criminelles. À part le fait que ceci constitue probablement une atteinte inacceptable aux responsabilités provinciales dont relèvent les lois sur les valeurs immobilières, est-il raisonnable d'enfermer les sociétés dans le dilemme d'avoir à enfreindre une loi pour en respecter une autre? De même, on pourrait considérer que les communications touchant les relations avec les investisseurs, ou même les activités des ONG, pourraient être touchées par cette disposition.
En terminant, je voudrais vous parler brièvement des objections exprimées au sujet des critiques que j'ai formulées sur le projet de loi. À mon avis, elles ne sont pas bien convaincantes. La première, c'est que cet article vise à traiter uniquement des cas de fraude. À cet égard, trois points me semblent pertinents. Le texte de cet article ne dit pas du tout cela. Il n'est nullement fait mention de fraude. Cette disposition indique simplement qu'il est interdit d'utiliser le nom de la Société dans toutes sortes de circonstances prescrites, sans le consentement de cette dernière. J'ai bien examiné le texte; il n'est d'ailleurs pas très long. Je pense bien que je l'aurais remarqué si le mot «fraude» y était utilisé. Il n'y figure pas du tout. Donc, si l'intention est d'interdire la fraude, pourquoi avons-nous besoin de cet article? Que je sache, les lois concernant la fraude, à la fois civile et criminelle, n'ont pas encore été abrogées. Évitons donc d'adopter des lois superflues.
Enfin, si cette disposition a pour objet de limiter les comportements frauduleux, il me semble que c'est un moyen de défense de type réel plutôt que personnel. Autrement dit, ce n'est pas le genre de problème qu'on pourrait éliminer en refusant de donner son consentement. Il s'agit donc à mon avis d'une disposition bizarrement structurée si l'on souhaite vraiment s'attaquer au problème de la fraude.
On a laissé croire qu'il s'agit là d'une disposition type de la législation touchant les services financiers. C'est parfaitement faux. Je connais bien les lois en question. J'ai déjà comparu devant ce comité en tant que représentant de divers membres du secteur des services financiers, pour participer à la révision de la législation dans ce domaine. Je connais donc toutes ces lois. Il n'y en a qu'une, et c'est celle qui concerne la Société de développement du Canada. C'est la seule loi que moi et mes chercheurs ont réussi à repérer qui inclut une disposition semblable. C'est ainsi que je me suis rendu compte qu'on pourrait, pour cette raison-là, commettre l'erreur d'adopter cette disposition, et il m'a donc semblé urgent de venir vous en parler.
Pour ce qui est des autres lois - par exemple, la Loi sur les banques - les dispositions soi-disant semblables ne le sont pas en réalité. Une entreprise ne peut pas se faire passer pour une banque. Ça, c'est vrai. Il y a de bonnes raisons pour cela, étant donné que le privilège d'être banque en est un qui suppose certaines obligations vis-à-vis de la société. Et ces obligations sont soutenues par la SADC, par exemple. Une banque représente certaines choses pour les consommateurs, mais malgré tout, la loi ne vous empêche pas de vous désigner comme banque. La loi vous empêche de vous désigner en utilisant la raison sociale, Banque Canadienne Impériale de Commerce ou Banque de Nouvelle-Écosse à des fins commerciales ou dans une publicité. Voilà donc le maximum que prévoit la loi en ce qui concerne ces institutions. On se demande donc pour quelles raisons la SEE devrait bénéficier - si c'est bien cela le terme approprié - d'une disposition semblable.
Si cette comparaison-là est la meilleure qu'on puisse trouver, pour moi, cela prouve bien que nous avons un problème de rédaction. Il serait peut-être intéressant de savoir comment nous sommes passés d'une disposition où l'on empêchait aux gens de se faire passer pour une banque à une autre qui prévoit qu'on ne pourra pas utiliser la raison sociale de la SEE sans en obtenir son consentement, mais à mon sens, il est préférable de ne pas se poser la question et de tuer ce problème dans l'oeuf.
Pour en revenir maintenant à mon autre critique, à savoir que je comprends mal l'intention, c'est tout à fait le cas. Je n'arrive tout simplement pas à comprendre par intuition ce que veulent dire ces mots. Et je suis bien obligé de m'en tenir aux mots. Le texte de cette disposition ne cadre pas avec l'intention déclarée. Si l'intention est de s'attaquer à la fraude, il faut un texte qui traduit bien cette intention-là.
Dans les lois, nous essayons de circonscrire certaines notions; de définir clairement la politique gouvernementale pour la gouverne de tous les citoyens. Les textes législatifs sont déjà assez difficiles à comprendre. Une loi aussi vague que celle-ci est déjà assez problématique pour quelqu'un qui peut profiter des services d'avocats talentueux et chers comme moi. N'est-il pas vrai que nous devons rédiger nos lois à l'intention de nos citoyens, qui devraient au moins pouvoir comprendre en termes très rudimentaires dans quelles circonstances on pourra leur enlever leur liberté et qui peuvent ne pas avoir accès aux services d'un avocat spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle ou même savoir qu'ils ont besoin de ce genre d'avocat pour l'aider à l'interpréter.
En terminant, permettez-moi d'affirmer que je ne suis ni pour ni contre la SEE. Je proteste plutôt contre l'action de législateurs qui proposent de nous infliger une disposition qu'il serait préférable de ne pas adopter.
Le président: Sénateurs, nous nous en tiendrons à 15 minutes pour les questions, si vous êtes d'accord, et je me permets de vous prévenir dès maintenant que nous procéderons à l'examen article par article du projet de loi à la réunion de demain.
Le sénateur Angus: D'abord, je tiens à vous féliciter tous les trois pour ce que je considère comme des critiques constructives et convaincantes de certaines politiques gouvernementales qui sont proposées. C'est justement cela qui nous faut à Ottawa, surtout en ce moment, puisqu'on entend rarement parler ici de solutions de remplacement. Je suis donc très heureux que vous soyez là aujourd'hui.
D'abord, monsieur Owens, ce qui m'a frappé, c'est que vous vous soyez qualifié de pauvre avocat, et de vous entendre parler ensuite, vers la fin de votre déclaration, d'avocat talentueux et cher comme moi-même - mais après tout, je suppose que c'est normal lorsqu'on est avocat.
M. Owens: Je ne peux pas me permettre d'offrir mes services à bon marché.
Le sénateur Angus: Madame Adams, j'ai lu votre mémoire avec beaucoup d'intérêt. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, nous avons eu accès à certaines de ces informations sur le site Web. J'ai été frappé par la violence de votre opposition à la SEE. Je voudrais justement vous en parler. Sur votre site Web, on voit que le mot «STOP» est surimposé sur le sigle du EDC, et que vous exprimez vos vues en termes assez énergiques, comme je le disais tout à l'heure. Il faut que j'en parle avec vous, parce que de toute évidence, vos opinions ne sont pas modérées. Vous faites de graves reproches à un organisme qui, à prime abord, est un organisme gouvernemental qui comble certaines lacunes puisqu'il aide les exportateurs canadiens à mener leurs activités à l'étranger. Vous lui faites cependant certains reproches.
Mais il y a d'autres organismes - comme les banques, par exemple - auxquels vous n'appliquez pas les mêmes critères - que ce soit la CIBC, la Banque de la Nouvelle-Écosse, la Banque royale, la Banque de Montréal ou d'autres. Pourriez-vous m'aider à comprendre cette contradiction? Je suis plutôt d'accord avec ce que vous dites, mais vous vous exprimez en termes tellement énergiques que je me pose des questions.
Mme Adams: D'abord, permettez-moi de préciser que le problème n'est pas un problème entre Probe International et la SEE, même si cela peut sembler être le cas en raison de l'article de M. Owens et de notre présence devant le comité aujourd'hui. Le problème concerne plutôt l'obligation d'une grande société de la Couronne d'être responsable devant le public d'opérations commerciales d'une valeur de 45 milliards de dollars par année.
Si les activités des banques privées ne nous préoccupent pas autant, c'est pour la raison que voici: nous constatons généralement dans le cadre de notre travail que le secteur privé réussit assez bien à calculer les coûts environnementaux. Si vous vous adressiez à une banque privée pour lui demander de financer la construction d'un réacteur nucléaire en Chine, cela ne l'intéresserait pas du tout, et ce pour de très bonnes raisons: ce type de projet n'est pas économique; il est dangereux; il suppose un engagement à long terme; et il a mis Hydro Ontario au bord de la banqueroute. À l'heure actuelle, tout le monde reconnaît que l'énergie nucléaire n'est tout simplement pas économique. Voilà donc un premier exemple.
Nous avons également constaté, puisque nous suivons de près les activités des commissions d'énergie hydro-électrique depuis une vingtaine d'années, que le secteur privé n'acceptera pas de financer la construction de gros barrages hydro-électriques. Les seules institutions qui acceptent de le faire à présent sont des organismes de crédit à l'exportation comme la SEE, et à un moindre degré, la Banque mondiale et d'autres banques de développement multilatéral.
Pour nous, les banques privées ne sont pas aussi répréhensibles que les banques publiques. Les banques privées acceptent d'y participer lorsqu'elles peuvent répercuter les risques sur les contribuables - autrement dit, lorsqu'elles peuvent bénéficier de l'appui de la SEE. Ce sont les seules occasions où, d'après ce que nous avons pu voir, les banques privées acceptent de participer à des projets qui détruisent l'environnement. Voilà donc une très brève réponse à cette partie-là de votre question.
Pourquoi cette question suscite-t-elle autant de passion? Eh bien, parce que nous avons la possibilité de voir nous-mêmes les conséquences de ces projets. Nous travaillons à présent avec des groupes de citoyens et des particuliers en Chine qui ont été arrêtés, par exemple, parce qu'ils ont essayé d'aller à Pékin pour présenter aux autorités des preuves de corruption entourant le projet du barrage des Trois gorges. Des milliers de paysans ne touchent pas l'indemnisation à laquelle ils ont droit à cause de cette corruption, parce que les bureaucrates locaux gardent une bonne partie des crédits pour eux. Lorsqu'ils sont allés à Pékin pour présenter leurs preuves aux autorités, ils ont été arrêtés et mis en prison. Ils y sont depuis le mois de mars et, que nous sachions, ils n'ont pas encore été accusés de quoi que ce soit.
Qu'est-ce qu'ils ont fait? Quel a été leur crime? Ils ont documenté la corruption et ils ont essayé d'obtenir l'indemnisation à laquelle ils avaient droit. Ce sont des gens qui ont perdu leurs fermes, leurs maisons, leurs temples et leurs collectivités. La dévastation causée par le projet des Trois gorges est considérable: environ deux millions de personnes seront déplacées par ce barrage hydro-électrique, dont 250 000 ou 300 000 auront à déménager au cours de la prochaine année. Il s'agit de la plus importante réinstallation forcée jamais connue dans le monde. Ce sera le chaos.
Cela dit, permettez-moi de revenir sur quelque chose qu'a dit M. Siegel, à savoir que la SEE ne peut justifier de tels projets que lorsqu'ils présentent des avantages. Le problème que posent les organismes de crédit à l'exportation, et notamment la SEE, c'est que leurs analyses coûts-bénéfices restent toujours secrètes. Mais la vérité finit par faire surface.
Ce que nous savons maintenant au sujet du projet du barrage des Trois gorges, c'est que l'électricité que produira ce barrage coûtera de deux à trois fois plus cher que celle produite par les concurrents chinois au moyen de turbines à gaz à rendement élevé, de cogénération, et cetera. Le projet hydro-électrique des Trois gorges n'est tout simplement pas concurrentiel.
L'autre raison citée pour justifier le projet des Trois gorges était de prévenir les inondations. Il existe de la correspondance, échangée aux plus hauts niveaux entre les représentants du ministère de l'Environnement de Chongqing et l'un des responsables de la conception du projet, dans laquelle ce dernier dit ceci: «Nous savons maintenant que ce projet ne donnera pas les avantages escomptés en ce qui concerne la régularisation des crues. Les vrais avantages sont bien moindres que ceux à quoi nous nous attendions, mais il faut absolument éviter de communiquer cette information au public». Cette correspondance nous a été envoyée par un citoyen chinois très courageux. Nous l'avons fait traduire et nous l'avons mis sur notre site Internet à la rubrique des informations que nous publions en chinois et en anglais.
Le dernier avantage du projet des Trois gorges concernait la navigation. Cependant, au cours de la dernière année, l'un des mécanismes qui devaient permettre de faire passer ces bateaux massifs sur le Yangtze - ce qu'on appelle une plate-forme élévatrice - a été tranquillement abandonné. Pourquoi? Parce que cette technologie était tellement expérimentale qu'elle n'a jamais été utilisable, et ce dès le départ.
Quand les institutions ne sont pas tenues de rendre des comptes par le biais de la Loi sur l'accès à l'information, et cetera, elles tendent à produire des évaluations intéressées ou leurs conclusions cadrent avec leur désir. C'est seulement en prévoyant un droit de regard pour le public et une procédure d'examen environnemental rigoureuse et d'application obligatoire, qui exigent la divulgation de toutes ces informations et forcent l'entreprise à rendre des comptes, qu'on a la possibilité de connaître l'existence de problèmes potentiels avant qu'ils se manifestent concrètement. Voilà pourquoi il y a tant de projets dangereux qui se déroulent actuellement.
Le président: Pourriez-vous essayer de nous faire des réponses plus courtes, s'il vous plaît.
Mme Adams: Excusez-moi; c'est que toutes ces questions sont très préoccupantes. Permettez-moi de vous citer un autre exemple très important dont j'ai fait mention dans mon mémoire, à savoir le barrage Chamera sur la rivière Ravi en Inde. Ce projet a bénéficié du plus important prêt, financé conjointement par l'ACDI et la SEE, des années 1980.
Par le biais de la Loi sur l'accès à l'information, nous avons récemment pu obtenir des documents de l'ACDI. Nous avions entendu dire que certains problèmes techniques étaient associés à ce projet de construction. Nous avons reçu près de 2 000 pages d'information. Nous les avons soigneusement examinées. C'est ainsi que nous avons découvert qu'un ingénieur indépendant recruté par l'ACDI était chargé de suivre la progression du projet et que ce dernier, ayant déterminé à un moment donné que les conditions n'étaient pas sécuritaires, avait recommandé d'en informer immédiatement tous les agents locaux et nationaux en Inde, en vue d'éviter des morts éventuelles en aval. Cette fois, si je ne m'abuse, ils avaient recommandé qu'on ordonne l'évacuation de la zone concernée.
Si nous avons pu obtenir cette information, c'est uniquement parce que l'ACDI est visée par la Loi sur l'accès à l'information. Malheureusement, l'ACDI et la SEE devaient financer la construction d'un autre barrage qui serait situé à 30 kilomètres en amont du premier. Mais l'ACDI s'est retirée du projet, si bien que la SEE est actuellement la seule institution à financer la construction de cet autre barrage. Cette zone se caractérise par une grande instabilité géologique. Étant donné ce qui est arrivé au premier barrage, il y a lieu de craindre que ces barrages aient des problèmes de stabilité. Le public n'en saura rien dans le cas du deuxième barrage, puisque nous n'aurons pas le droit d'obtenir cette information de la SEE. Voilà pourquoi cela nous tient à coeur.
Le sénateur Angus: Oui, je comprends.
Vous vous concentrez sur les questions environnementales et celles liées aux droits de la personne dans les autres pays, n'est-ce pas? Que je sache, votre principale activité ne consiste pas à contester le bien-fondé des activités de la SEE. À votre avis, y a-t-il lieu d'avoir un organisme comme la SEE au Canada?
Mme Adams: Non, à mon avis, aucune politique gouvernementale ne peut justifier l'existence de la SEE.
Le sénateur Angus: Je ne suis pas d'accord, mais nous avons tout à fait le droit de ne pas être d'accord.
Mme Adams: Voilà.
Le sénateur Angus: De nombreuses entreprises canadiennes ont pu mener des activités à l'étranger grâce à la facilitation des relations de gouvernement à gouvernement assurée par la SEE, facilitation dont les petites entreprises ne pourraient jamais bénéficier elles-mêmes. J'essaie de vous aider à trouver un juste équilibre, mais de toute évidence, la SEE est mauvaise en ce qui vous concerne, et donc, tout ce qu'elle fait est mauvais.
Mme Adams: Non, ce n'est pas vrai. À mon avis, si un projet est suffisamment valable pour être financé par le secteur privé, il sera effectivement financé; s'il n'est pas assez valable pour être financé par le secteur privé, il ne devrait sans doute pas être financé, étant donné que le secteur privé réussit assez bien à internaliser les coûts économiques et environnementaux.
Le sénateur Angus: Je comprends. Merci.
Le sénateur Tkachuk: Mon collègue a dit tout à l'heure que Probe International avait été assez violent dans les critiques qu'il a formulées à l'égard de la SEE, et je voudrais justement citer un passage de l'un des documents qu'il a publié sur le projet de construction du barrage des Trois gorges. Voilà ce qu'il dit:
Même si je me rends compte que la construction de ce barrage présenterait d'importants avantages commerciaux pour le Canada, est-ce qu'il en vaut vraiment le coût? La construction de ce barrage aura pour résultat d'appauvrir et de déplacer des millions de personnes, de favoriser la propagation de maladies débilitantes telles que le paludisme et le schistosomiase, de mettre en danger des espèces rares, tels que le dauphin chinois d'eau douce, et la grue de Sibérie, de détruire un magnifique canyon, sans peut-être jamais atteindre son objectif principal, qui était de fournir de l'hydro-électricité à la Chine.
Ce qui est intéressant, c'est que cette lettre a été rédigée en 1989 par le député libéral de l'époque, Christine Stewart, qui critiquait le gouvernement Mulroney pour avoir soutenu le projet de construction du barrage des Trois gorges.
Des voix: Oh, oh.
Le sénateur Tkachuk: Je n'ai encore rien trouvé dans l'information publiée par Probe International, que j'ai examinée, qui témoigne de la même violence que les propos de Mme Christine Stewart. Je tenais à vous lire cet extrait pour les fins du compte rendu.
Le président: Merci à vous tous.
La séance est levée.