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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 24 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 22 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien international et le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur l'expansion des exportations et d'autres lois en conséquence.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, le premier point qui figure à notre ordre du jour est l'étude article par article du projet de loi C-31.

On fait distribuer un document aux sénateurs. Hier, il a été question de l'article 24.2 proposé de la Loi sur l'expansion des exportations au sujet de l'utilisation du nom et des pénalités s'y rattachant. Vous pouvez être d'accord ou en désaccord avec le document qui circule, mais il sera consigné aux fins du compte rendu. Il nous a été envoyé par la Société pour l'expansion des exportations, qui relève la présence d'une disposition analogue dans d'autres textes de loi, la Loi sur la Banque de développement du Canada, la Loi sur les banques et la Loi sur les sociétés d'assurances. Vous pouvez ne pas être d'accord. Votre dissidence sera inscrite au compte rendu, pour ce que cela vaut.

Les sénateurs sont-ils d'accord pour passer à l'étude article par article du projet de loi C-31?

Le sénateur Tkachuk: Monsieur le président, J'ai quelques questions. Si les fonctionnaires sont ici, peut-être pourront-ils nous venir en aide. J'ai besoin de vos lumières. Je peux attendre que nous en soyons à l'article concerné ou poser mes questions maintenant. Je pense qu'il y aura deux ou trois modifications.

Le président: À quoi se rapportent vos questions?

Le sénateur Tkachuk: Elles ont trait à certaines dispositions du projet de loi, au mot «environnement» et à la clarification de la Loi sur les textes réglementaires. Je voulais également obtenir des éclaircissements à propos de l'article 12, relativement à la question qui a été soulevée aux fins du compte rendu au sujet de l'utilisation du nom.

Le président: Vous avez quatre questions?

Le sénateur Tkachuk: Oui. J'ai deux ou trois pages de notes ici au sujet des articles 3, 9 et 12, mais les fonctionnaires n'auront pas besoin de beaucoup de temps pour y répondre.

Le président: Posez votre première question, et les fonctionnaires décideront qui doit venir à la table.

Le sénateur Tkachuk: C'est leur projet de loi.

Le président: Nous avons parmi nous Martin Jensen du MAECI et David Harris du ministère de la Justice.

Le sénateur Tkachuk: D'autres sénateurs ont peut-être aussi des questions.

Nous pouvons aller à l'article 3, qui porte sur les définitions. Hier, au Sénat, il a été question des enjeux environnementaux. Pourtant, dans le projet de loi, le mot «environnement» n'est plus défini. La question a également été débattue en long et en large à la Chambre des communes. À l'autre endroit, l'opposition a tenté de présenter une modification pour que le terme «environnement» soit défini, mais la proposition a été battue. Qu'avait donc de si mauvais la définition proposée?

M. Martin H. Jensen, agent du financement à l'exportation, direction du financement à l'exportation, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Sur le fond, la définition n'avait rien de mauvais. Elle venait de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Sans être exactement la même, la définition est relativement semblable à celle qu'on retrouve dans le cadre actuel des examens des effets environnementaux de la SEE. Il s'agit non pas d'une question de fond, mais bien plutôt de la forme du cadre juridique établi ici. Le cadre sera créé par la société ou l'a déjà été.

Le sénateur Tkachuk: La société va définir le mot?

M. Jensen: Il est défini dans le cadre actuel, et il pourra l'être de nouveau dans le cadre révisé.

Le sénateur Tkachuk: On utilisera cette démarche pour définir le terme, mais qu'est-ce qui vous empêche d'adopter une définition qui s'applique à la terre et à l'eau, mais pas à l'atmosphère? Les législateurs ne devraient-ils pas définir le mot «environnement»?

M. Jensen: D'un point de vue technique, une définition limitée de la sorte serait rejetée en raison de son caractère déraisonnable. Si la définition n'est pas raisonnable, à jour et conforme aux pratiques techniques dans le domaine de l'évaluation environnementale, elle ne se révélera pas utile. En outre, elle sera sujette aux critiques des citoyens, de la vérificatrice générale et du Parlement.

Le sénateur Tkachuk: La définition proposée par la Chambre des communes était donc déraisonnable?

M. Jensen: Non, elle ne l'était pas. C'était une définition raisonnable, mais l'intention du cadre juridique présenté ici est, comme dans le système américain, de confier un mandat général à la société, mais de laisser à cette dernière le soin d'établir les détails de sa politique. C'était comme si on créait un règlement contenant les définitions.

Le sénateur Tkachuk: C'était, je crois, ce qui inquiétait les législateurs à la Chambre. Vous arrêtiez vos propres définitions. Cette question les préoccupait.

M. Jensen: C'est exact.

Le sénateur Tkachuk: Nous allons proposer une modification de l'article 9, qui définit une procédure d'évaluation environnementale non contraignante pour la SEE. À la lumière des dernières audiences concernant la SEE ici et à la Chambre, l'environnement est une préoccupation majeure. Traditionnellement, des questions se sont posées à ce sujet. Il nous semble - et c'est pour cette raison que je pose la question - que le déroulement des examens n'est assujetti à aucune forme de reddition de comptes. Le paragraphe 9(3) porte que la directive environnementale du conseil n'est pas un texte réglementaire pour l'application de la Loi sur les textes réglementaires. Une directive constituant un texte réglementaire serait renvoyée en permanence à un comité du Parlement.

Dans les faits, la disposition empêche le renvoi d'une directive du conseil à un comité du Parlement. Comment, sur le plan de la politique, justifie-t-on la décision de ne pas permettre au Parlement d'examiner les directives environnementales émises par le conseil?

M. Jensen: Il s'agit d'une question complexe comportant trois points. Avec tout le respect que je vous dois, je suis d'avis qu'on n'a pas ici affaire à une procédure non contraignante. Étant donné le mandat que la loi établit une fois une directive et un cadre d'examen des effets sur l'environnement en place, la société fait face à une obligation juridique contraignante donnant matière à procès. On ouvrirait la porte à des examens judiciaires...

Le sénateur Tkachuk: Je le conçois bien, mais vous ne constituez pas une société privée. Vous êtes une société d'État. Votre actionnaire est le gouvernement. Pourquoi la Loi sur les textes réglementaires ne s'appliquerait-elle pas?

M. Jensen: Je vais y venir. D'abord, je tenais à préciser que, à mon avis, la procédure n'est pas non contraignante. Sur le plan juridique, je ne pense pas que cela soit exact. Je pense qu'elle est contraignante. Elle a force de loi.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce uniquement une opinion personnelle? Le tenez-vous de source sûre? Vous n'avez pas affirmé de façon catégorique

M. Jensen: Les questions juridiques reposent souvent sur des opinions personnelles. Je ne plaisante pas. Il s'agit d'une opinion juridique saine et défendable. On a affaire à un instrument contraignant, donnant matière à procès. Vous dites qu'il n'y a pas de reddition de comptes. À cet égard, il existe différentes formes de reddition de comptes. En un sens, il y a reddition de comptes en ce qui a trait aux opérations entourant des projets très sensibles, parce que, conformément à la politique de divulgation de la SEE, les projets concernés seront rendus publics.

L'examen très rigoureux de la conception et de la mise en oeuvre des politiques de la SEE constituera également une forme de reddition de comptes. La vérificatrice générale procédera à une telle analyse de façon récurrente. Quelqu'un a fait observer que la mort est un sort plus enviable que la vérification. La supervision de la vérificatrice générale aura un effet disciplinaire très marqué.

La question de la Loi sur les textes réglementaires est très complexe. Elle a soulevé une certaine controverse. Je vais me référer à mes notes.

La Loi sur les textes réglementaires a deux objectifs généraux. Elle prévoit l'examen juridique et technique par des spécialistes du gouvernement, y compris les avocats du Bureau du Conseil privé et du ministère de la Justice, qui s'assurent de la perfection formelle et de la validité constitutionnelle d'un règlement. Elle prévoit également la publication préalable de bon nombre de règlements, ce qui donne aux Canadiens la possibilité de faire des commentaires et des suggestions d'amélioration du règlement, ou encore de s'y opposer si leurs intérêts sont touchés.

La vaste majorité des règlements canadiens obéissent à ce régime. Il existe un certain nombre d'exemptions à la Loi sur les textes réglementaires. Je n'ai pas avec moi la liste de ces exemptions, mais quelques règlements ne sont pas visés par la Loi sur les textes réglementaires ni par ses prescriptions.

La décision d'exempter la directive environnementale de la SEE de la loi se fonde sur un certain nombre de considérations. Le caractère officiel de l'instrument ne sera pas celui d'un règlement du Canada. Il s'assortira d'une marge de manoeuvre plus grande - la marge de manoeuvre nécessaire pour que la société puisse exercer ses activités dans un contexte concurrentiel très complexe sur le plan juridique et technique et très international. En effet, elle est présente dans plus de 150 pays. En appliquant ce règlement, elle répondra aux exigences techniques et juridiques qui varient considérablement d'un pays à l'autre.

L'application extraterritoriale du droit canadien soulève des inquiétudes bien réelles. Notre droit pénal, dans certains cas, et notre droit fiscal suivent les Canadiens à l'étranger. On a affaire à un genre de droit différent. Cela s'applique à l'examen d'un procédé industriel, éventuellement sous le contrôle d'un État étranger, et l'application extraterritoriale d'un règlement canadien complexe soulevait des inquiétudes bien réelles.

D'un point de vue concurrentiel, on constate, dans le cadre de travaux de l'OCDE et d'autres, que de nombreux pays industrialisés de l'OCDE établissent des cadres analogues. Aucun d'entre eux ne le fait par l'entremise d'un règlement intérieur. Aucun des 30 pays ne le fait. Ils font tous à peu près la même chose. En fait, seulement deux, peut-être trois, ont assorti leur cadre d'un mandat législatif. Dans ces cas, les États-Unis constituent l'autre pays très important. Ils ont recours à un cadre législatif analogue en vertu duquel ils ont recours à un mandat législatif, sans toutefois intégrer la politique opérationnelle à la forme réglementaire. Ici, l'aspect concurrentiel entre également en ligne de compte.

Si, en dernier lieu, on utilise la Loi sur les textes réglementaires, les modifications souhaitées de l'instrument devraient passer par la procédure réglementaire, qui exige un temps considérable. Nous tenons à ce que la Société pour l'expansion des exportations puisse, à l'instar de ses concurrents d'autres pays de l'OCDE, être en mesure de modifier son cadre rapidement.

Cela dit, ni la divulgation ni la participation du public ne feront défaut. En fait, la SEE a institutionnalisé la procédure de consultation publique dans la révision de son cadre.

Compte tenu de toutes ces considérations, la question a fait l'objet d'une controverse et de débats considérables. Le problème a été soumis au ministère de la Justice, qui a convenu que la procédure pouvait être exemptée.

Le sénateur Tkachuk: Ce que vous nous dites, c'est que c'est simplement plus commode. Je ne plaisante pas. Pourquoi la question ne serait-elle pas soumise au Parlement. Nous avons pour tâche d'assurer la surveillance parlementaire, et non de lancer une société dans le monde sans intervention possible de la part du Parlement. Ce que j'essaie de dire, c'est que le Parlement est une institution importante et que ce que vous faites revêt de l'importance à nos yeux. Le fait que la procédure que vous préconisez serait plus commode et efficiente n'y est strictement pour rien. C'est pour cette raison que l'entreprise privée existe. Elle peut faire ce qu'elle veut. Elle doit observer la loi, mais je pense que vous devriez être assujetti à la même obligation.

M. Jensen: La Société pour l'expansion des exportations est régie par une loi du gouvernement. N'oubliez pas que ses clients, pour la plupart, ne le sont pas. Il s'agit d'une question non pas seulement de commodité, mais aussi d'efficacité et de symétrie par rapport aux pratiques de nos concurrents.

Le comité du Parlement qui, en vertu de la Loi sur les textes réglementaires, procéderait normalement aux examens de la conformité des règlements utiliserait pour ce faire un ensemble très limité de critères officiels et constitutionnels. Il ne tiendrait sûrement pas compte des qualités de la politique à titre d'instrument environnemental. Il ne s'intéresserait pas à cette question.

J'ajoute que rien dans l'exemption de la Loi sur les textes réglementaires n'empêche l'un ou l'autre des comités du Parlement de demander à la Société pour l'expansion des exportations de venir expliquer son travail ni d'inviter la vérificatrice générale pour lui demander de se prononcer sur la validité et le fonctionnement du cadre ou de proposer des changements. La procédure proposée ne contrevient en rien à l'autorité du Parlement.

Le sénateur Tkachuk: Je le comprends. Votre réponse ne me satisfait pas, mais nous avons nos propres informations, et je vais poursuivre.

En vertu d'une disposition, l'utilisation du nom de la société constitue une infraction criminelle. Hier, nous avons entendu un témoignage intéressant à ce sujet de la part d'un certain M. Owens, et c'est ce qui vous a incité à avancer cette nouvelle explication. Je veux donner suite et vous poser quelques questions avant que nous ne fassions l'étude article par article.

Si la disposition vise à prévenir la fraude, ainsi que vous l'affirmez, pourquoi n'a-t-on pas libellé la disposition en conséquence? Pourquoi a-t-elle été rédigée de façon si large?

M. Jensen: Je ne suis pas rédacteur de lois. Je vais fournir un élément de réponse puis me tourner vers des représentants de la SEE ou du ministère de la Justice. Je vous invite à consulter les autres articles de la Loi sur les banques et de la Loi sur les sociétés d'assurances. Ici, l'intention était non pas de chercher querelle, mais bien plutôt de présenter ces articles contestés. Nous avons dit qu'il y avait un précédent, et M. Owens, témoin crédible, a affirmé que les précédents en question n'en étaient pas. Le mot «fraude» ne figure dans aucun de ces articles. À mon avis, les articles en question ciblent de toute évidence la fraude, sans toutefois l'exprimer expressément. Je préfère m'en remettre au ministère de la Justice ou à la SEE.

M. Gilles Ross, premier vice-président des Services juridiques et secrétaire, Société pour l'expansion des exportations: Comme on l'a dit hier devant le comité, la disposition vise à empêcher l'utilisation du nom de la SEE à des fins frauduleuses, c'est-à-dire les utilisations non autorisées. Elle tient compte de la possibilité que la société autorise l'utilisation du nom.

Le sénateur Angus: On lit: «ou à toute autre fin commerciale». Si on lisait: «ou à toute fin commerciale illicite», ce serait différent. Il s'agit simplement d'un mot. La disposition est si ouverte. Vous étiez présent. Le témoin a soulevé le point de façon relativement concise.

M. Ross: À mon avis, les mots «sans le consentement écrit» s'appliquent à cette phrase de même qu'à toute autre fin commerciale.

Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas avocat. Il existe aujourd'hui des lois qui empêchent une entreprise qui fabrique des machins d'utiliser le même nom qu'une autre entreprise qui vend la même chose. Pourquoi avez-vous besoin d'une protection additionnelle exprimée de façon si large? Je pense que le témoignage de M. Owens était convaincant.

M. Ross: Oui, toute entreprise dispose de recours au civil lorsque sa marque de commerce déposée est utilisée sans autorisation. Ces recours civils prennent la forme de mesures injonctives et même, dans certains cas, de dommages-intérêts. À l'instar des institutions financières, qui peuvent arguer qu'une infraction a été commise, la société, qui n'est pas visée par les mêmes lois, cherche à obtenir une protection comparable à celle dont jouissent les institutions financières du Canada. Comme une banque, la Société pour l'expansion des exportations a ce que j'appellerais la réputation d'un établissement financier ou d'une compagnie d'assurances. Je crois que c'est ce que M. Owens a dit hier.

On peut comprendre que les banques recherchent une telle protection, étant donné l'aura qui les entoure, et les activités de la société s'apparentent à celles d'un établissement financier. Elles prêtent de l'argent ou offrent des garanties. Ainsi, nous pensons qu'il est logique d'accorder le même genre de protection à la société, comme on l'a déjà fait pour une autre institution financière d'État.

Le sénateur Angus: Nous sommes simplement curieux parce que, dans ce cas-ci, la disposition semble aller plus loin que dans le cas de ces institutions, d'autant qu'on pourrait facilement clarifier la situation en ajoutant «de façon impropre» ou «de façon frauduleuse» ou une autre expression plus bénigne. Nous nous sentons l'obligation d'établir si vous avez d'autres motivations. Le problème serait facile à régler. Pourtant, la disposition demeure grande ouverte. Vous pourriez l'invoquer pour toute fin commerciale. C'est ce qui nous inquiète.

Le sénateur Tkachuk: Prenez donc le Règlement d'application de la Loi sur les banques, que vous nous avez distribué. On lit:

Sauf dans la mesure permise par les règlements, commet une infraction quiconque utilise le nom d'une banque dans un prospectus, une offre, une circulaire d'offre publique d'achat, une annonce d'opération sur des valeurs mobilières ou tout autre document portant sur une telle opération.

Il s'agit d'une opération étroite. Elle se justifie. Ce n'est pas ce que vous dites:

Il est interdit à toute personne de se servir dans un prospectus ou un texte publicitaire ou à toute autre fin commerciale, sans le consentement écrit de la Société, des noms et sigles suivants: «Exportation et développement Canada», «Export Development Canada», «Société pour l'expansion des exportations», «Export Development Corporation», «E.D.C.», «EDC», «S.E.E.» et «SEE».

Dans l'annuaire, on retrouve l'Essence Development Corporation de Surrey, en Colombie-Britannique, qui figure sous EDC, EDC Facilities Management Consulting de Windsor, les Electronics Delivery Consultants de Toronto ou l'EDC Telecommunications Group de Toronto.

Le sénateur Angus: Vous trouveriez peut-être aussi l'Edmonton Denture Clinic.

Le sénateur Tkachuk: Pourquoi la disposition est-elle si générale? D'après ce que je comprends, l'interdiction s'appliquerait à toutes les entreprises.

M. Jensen: Si je peux revenir sur cette question, je tiens d'abord à préciser que la disposition reproduit exactement les mots de la disposition qui figure dans la Loi sur la Banque de développement du Canada. La seule différence, c'est qu'on peut substituer mot pour mot «SEE» et «Banque de développement du Canada», et cetera, c'est-à-dire les sigles et le nom. Sinon, c'est exactement la même disposition. Elle s'applique depuis six ans, soit depuis 1995. S'il y avait eu des cas d'abus, M. Owens, en avocat prudent, les aurait portés à notre attention. Il ne l'a pas fait.

Le sénateur Tkachuk: Êtes-vous en train de nous dire qu'on peut se contenter d'une mauvaise loi, même si elle n'est pas utilisée?

M. Jensen: Je ne suis pas certain que ce soit une mauvaise loi.

Deuxièmement, M. Owens n'a pas dit une chose avec laquelle il serait d'accord, je crois, c'est-à-dire qu'on doit interpréter toute disposition législative dans le contexte de l'objet de la loi. On doit lui donner une interprétation raisonnable à la lumière de l'objectif clair pour laquelle elle a été adoptée.

Le sénateur Tkachuk: On pourrait sans mal supprimer la cause de nos préoccupations. C'est ce que nous ne parvenons pas à comprendre. On nous sert sans cesse l'argument selon lequel la disposition a été utilisée auparavant et reproduit exactement celle qu'on trouve dans la Loi sur la Banque de développement du Canada. Cela ne jette aucun éclairage sur la cause de nos préoccupations. Tout ce qu'on a réussi à faire, c'est de faire naître en nous des préoccupations au sujet du règlement d'application de la Loi sur la Banque de développement du Canada.

Le sénateur Angus excelle dans ce domaine. Nous pourrions préciser les choses de façon que tout soit clair pour vous, pour nous et pour les Canadiens, sans que tout soit consigné dans un texte de loi. Vous nous promettez de ne jamais invoquer la disposition, même si vous tenez à ce qu'elle soit présente. Ce n'est pas ainsi qu'on fait les lois. Faites-nous confiance.

M. Jensen: C'est vous qui avez le pouvoir de faire les lois. Je tente simplement de vous expliquer ce que je comprends de l'objet de la disposition. Je pense qu'il est relativement bénin.

Bien qu'il faille interpréter la disposition à la lumière des fins de la loi proposée, on a affaire, cependant, à une disposition à caractère pénal. M. Ross ne pourrait l'invoquer pour intenter une action en justice. C'est le Procureur général du Canada qui devrait le faire. Si les accusations portées visent à cibler les fraudes, on doit rappeler qu'une infraction criminelle comporte deux éléments. Il y a, d'une part, la loi, et, d'autre part, l'intention criminelle. Je ne crois même pas qu'une telle affaire se retrouverait devant les tribunaux puisque j'imagine mal que le Procureur général et les autorités responsables de l'application du droit pénal puissent envisager une utilisation abusive de la disposition. Je pense que les garanties sont inhérentes à la nature même de la disposition telle qu'elle a été libellée.

Le président: Sénateur Tkachuk, je sais que vous allez proposer une modification, et je vous invite à le faire.

Le sénateur Tkachuk: C'était les deux aspects que je tenais à aborder. Nous avons, je crois, entendu les témoignages nécessaires. Je pense que nous devrions passer au point suivant à l'ordre du jour.

Le président: Est-on d'accord pour procéder à l'étude article par article du projet de loi C-31?

Le sénateur Tkachuk: Si la modification est rejetée, obtiendrons-nous une lettre dans laquelle vous préciserez l'utilisation de la disposition, c'est-à-dire qu'elle ne vise qu'à prévenir l'utilisation frauduleuse de votre nom?

Le président: Si la société accepte de faire parvenir une lettre, nous allons devoir différer la présentation de notre rapport au Sénat au sujet du projet de loi.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons promis de renvoyer le projet de loi devant le Sénat lundi. Nous aimerions avoir du temps. Si les modifications sont rejetées, nous aimerions soumettre une opinion minoritaire. Nous avons promis de mettre la dernière main au rapport d'ici lundi. Nous devrons le présenter dans les deux langues officielles, ce qui signifie que le dépôt se ferait mardi.

On ne nous a jamais dit qu'il s'agissait d'un projet de loi urgent. Nous savions qu'il s'agit d'un projet de loi important, mais nous avançons à un rythme formidable. On vient tout juste de nous le renvoyer.

Le président: Vous aurez également l'occasion de présenter vos modifications au stade de la troisième lecture. Vous aurez alors la possibilité de soumettre votre opinion minoritaire.

Le sénateur Tkachuk: Nous aimerions avoir la possibilité de faire valoir notre point de vue.

Monsieur, nous avons reçu le projet de loi mardi. Nous en avons commencé l'étude mercredi. Nous coopérons. Nous avons certaines inquiétudes. Je sais que nous détenons la majorité. Si nous adoptons des modifications, il n'y a pas de problème. Nous pourrons procéder aujourd'hui. Dans le cas contraire, nous souhaitons avoir le temps d'exprimer notre opinion.

Le sénateur Furey: Je n'ai pas entendu la réponse à votre dernière question.

Le sénateur Angus: Je ne crois pas qu'il y ait encore eu de réponse.

M. Jensen: La lettre en question viendrait-elle de la société, de mon ministère - du ministre qui parraine le projet de loi - ou des exégètes du code des lois fédéral.

Le président: Tout ce que vous souhaitez dans la lettre figure déjà au compte rendu. Les témoins l'ont déjà affirmé.

Le sénateur Tkachuk: Je sais. Il n'en demeure pas moins que nous faisons face à un problème. À ma connaissance, personne ne conteste que c'est un peu trop. Le seul précédent concerne la Banque de développement du Canada. Si ce que vous avez déclaré dans votre témoignage est vrai, pourquoi n'enverriez-vous pas la lettre? Pourquoi le ministre n'enverrait-il pas une lettre? Si la disposition ne vise qu'à prévenir les utilisations frauduleuses, pourquoi ne pas faire parvenir une lettre, de façon que tout figure au compte rendu.

M. Jensen: À titre de porte-parole du ministre, je n'ai pas le pouvoir de proposer une lettre.

Le sénateur Angus: Je tiens à faire une autre observation aux fins du compte rendu. Je respecte votre décision; je crois qu'elle est équitable.

Ce que je voulais dire, cependant, c'est que, à l'époque où nous tentions de faire notre boulot en proposant des modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité - lesquelles ont été rejetées en vertu du processus démocratique -, les spécialistes nous ont déclaré que certains aspects de la loi étaient anticonstitutionnels.

Nous avons proposé une modification que le gouvernement n'a pas acceptée. Cette semaine, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré que, à son avis, la loi contrevient au secret professionnel de l'avocat. Elle semble donc anticonstitutionnelle. En conséquence, elle a émis une injonction et exempté tous les avocats du Canada du respect de la loi.

Nous sommes un peu mieux sensibilisés aux obligations qui nous incombent ici, au Sénat, la chambre du second examen objectif, de veiller à ce que tout ait été bien soupesé. Lorsque des personnes comme M. Owens s'absentent de l'université pour porter des anomalies à notre attention ou peut-être des points faibles dans les textes de loi, nous devrions les écouter. Il s'agit d'un domaine dans lequel nous pouvons apporter une contribution.

J'aimerais vous remettre une copie de la décision en question, pas nécessairement aux fins des délibérations du comité. Les témoins ne comparaissent pas devant nous à la légère. Pour ma part, j'ai été consterné par certaines des dispositions adoptées.

J'espère que vous comprendrez ce dont le sénateur Tkachuk et moi avons méticuleusement débattu ce matin. Nous nous efforçons simplement de faire notre travail avec sérieux.

Le sénateur Kroft: Il y a beaucoup de vrai dans ce que le sénateur Angus a dit à propos de notre rôle. Aux fins du compte rendu, nous devrions souligner que nous avions proposé quatre modifications au projet de loi sur le recyclage des produits de la criminalité. Trois d'entre eux ont été adoptés. On a reçu une lettre, et le projet de loi a été modifié.

Je tiens à éviter que le compte rendu indique que, à l'égard du présent projet de loi ou de tout autre, nous avons totalement fait fi de la procédure de modification. Nous ne nous sommes pas entendus à propos d'une série de modifications, mais les membres du comité sont parvenus à faire apporter certaines modifications importantes.

Le sénateur Angus: Vous avez raison, sénateur Kroft. Dans le contexte actuel d'insécurité et d'agitation, nous devons peut-être nous monter encore plus vigilants que par le passé relativement à certains de ces textes de loi. Nous nous employons depuis 140 ans à être une société démocratique libre et ouverte.

Les amendes prévues pour l'utilisation du sigle «SEE» me plongent dans la confusion. C'est la raison du débat de ce matin.

Le président: L'honorable sénateur a-t-il l'intention de proposer une modification?

Le sénateur Tkachuk: Oui.

Le sénateur Angus: Les modifications proposées n'ont pas besoin d'être appuyées, n'est-ce pas?

Le président: Non.

Le titre est-il réservé?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Les articles 1 à 8 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

L'article 9 est-il adopté?

Le sénateur Tkachuk: Honorables sénateurs, la modification que je propose se lit comme suit:

Que le projet de loi C-31 soit modifié, à l'article 9, à la page 3, par substitution, à la ligne 26, de ce qui suit:

«(3) La directive est un texte réglementaire».

La modification aurait pour effet de régler le problème. Le projet de loi respecterait la Loi sur les textes réglementaires au lieu de s'en dissocier.

Vous avez une copie de la modification proposée dans les deux langues officielles. Je tiens à remercier les membres de l'équipe juridique d'avoir préparé les textes si rapidement. Je leur en suis reconnaissant.

Le président: Qui est en faveur de la proposition? Qui s'y oppose?

Le modification proposée est rejetée.

L'article 9 est-il adopté?

Des voix: Oui.

Des voix: Non.

Le président: Adopté, avec dissidence.

Les articles 10 et 11 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

L'article 12 est-il adopté?

Le sénateur Angus: J'aimerais proposer une modification de l'article 12 à la page 5. La modification porte sur l'article 24.2 proposé de la Loi sur l'expansion des exportations. Le titre qui figure en regard de l'article 24.2 est «Usage des noms et sigles de la société.» L'article compte deux paragraphes.

Ma proposition se lit comme suit:

Que le projet de loi C-31 soit modifié, à l'article 12, à la page 5, par suppression des lignes 8 à 23.

Le président: C'est toute la disposition. Il s'agit des paragraphes (1) et (2) de l'article 24.2, n'est-ce pas?

Le sénateur Angus: Exactement.

Le président: Êtes-vous en faveur de la proposition?

Des voix: Oui.

Le président: Êtes-vous en désaccord avec la modification?

Des voix: Non.

Le président: La modification proposée est rejetée.

L'article 12 est-il adopté?

Des voix: Oui.

Des voix: Non.

Le président: Adopté, avec dissidence.

Les articles 13 à 22 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Le titre est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Puis-je faire rapport du projet de loi?

Des voix: D'accord.

Le président: Merci beaucoup.

Sénateurs, en raison de contraintes de temps, je vous propose d'entendre d'abord des témoins du Conference Board du Canada, puis l'honorable Perrin Beatty et M. Marc Boudreau, des manufacturiers et exportateurs du Canada. La période de questions suivra.

M. Gilles Rhéaume, vice-président, Conference Board du Canada: Merci de nous inviter à comparaître devant vous aujourd'hui. Mon collègue, M. Barrett, et moi avons préparé le présent rapport, en collaboration avec notre attaché de recherche, M. Shea, qui s'est chargé de l'analyse.

Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet de notre organisme afin de le situer par rapport aux questions dont nous allons discuter aujourd'hui. Je vais vous donner certains renseignements au sujet du rapport qui a été publié en octobre. Par la suite, M. Shea résumera nos résultats, du point de vue des scénarios stratégiques que nous avons présentés.

Le Conference Board du Canada est une association indépendante sans but lucratif. Elle a pour mission de renforcer la capacité au titre du leadership pour un Canada meilleur en créant et en diffusant des connaissances sur les tendances économiques, le rendement organisationnel et les questions touchant la politique gouvernementale.

Nos membres sont principalement issus des entreprises et des gouvernements, mais il y a aussi des associations, des syndicats, des hôpitaux, des universités et des conseils scolaires. Nous ne sommes pas un groupe de pression. Notre but consiste à donner un point de vue équilibré sur des enjeux critiques pour les décideurs du Canada.

L'objectif du document intitulé «Border Choices: Balancing the Need for Security and Trade» consiste à mettre en lumière les choix stratégiques qui s'offrent dans le domaine de la sécurité et du commerce à la suite des événements tragiques du 11 septembre. Au moment de la préparation du rapport, on a jonglé avec un certain nombre d'idées, par exemple l'harmonisation, le périmètre de sécurité et la perte de souveraineté, sans se pencher vraiment sur la signification de ces expressions. Le Conference Board du Canada a jugé qu'il était nécessaire de clarifier les enjeux en produisant le document.

La fermeture virtuelle de la frontière à la suite du 11 septembre a montré que les questions relatives à la sécurité continuent d'empiéter sur la capacité du Canada de commercer. Si on ne fait rien pour corriger la situation, le Canada risque de perdre une part de sa capacité d'attirer des industries qui desservent le marché nord-américain. Notre économie s'en trouverait durement touchée. Il s'agit d'un enjeu qui a trait à l'économie tout autant qu'à la sécurité.

Les irritants commerciaux à la frontière Canada-États-Unis ne datent pas d'hier. En fait, le problème se pose depuis des années, malgré l'ALENA, mais les irritants commerciaux sont devenus plus prononcés à la suite des événements du 11 septembre. Nous avons compris le lien étroit entre la sécurité nationale et le commerce. Par conséquent, l'option stratégique retenue doit tenir compte de ce lien. Elle doit faire en sorte qu'on ne réponde pas aux impératifs touchant la sécurité aux dépens du commerce. En fait, les politiques et les pratiques adoptées pour répondre à la sécurité doivent plutôt améliorer le flux des échanges commerciaux.

Nous avons circonscrit le débat en examinant trois vastes scénarios stratégiques pour assurer des mouvements frontaliers accélérés, tout en garantissant un niveau de sécurité acceptable aux deux pays. M. Shea va maintenant vous présenter les trois scénarios que nous avons élaborés dans le document.

M. Andrew Shea, analyste des politiques, Conference Board du Canada: Le premier scénario que nous avons conçu a trait aux gains d'efficience à la frontière. On fait ici référence à l'utilisation de méthodes intelligentes de traitement des examens frontaliers. Il n'y a là rien de nouveau. La procédure remonte à bien avant le 11 septembre. Depuis cette date et les ralentissements qui en ont résulté, nous avons cependant été témoins d'un mouvement plus fort en vue du renforcement de ces gains d'efficience. La rencontre, la semaine dernière, du secrétaire O'Neill et du ministre Martin l'a illustré de façon particulièrement éloquente.

De façon générale, on admet que le Canada tend à être en avance par rapport aux États-Unis relativement à ces gains d'efficience et que l'industrie ferroviaire devance nettement celle du camionnage. Dans notre rapport, nous avons fait ressortir certains de ces points. C'est au gouvernement de même qu'aux entreprises de transport et de logistique qu'il incombe de renforcer ces gains d'efficience. Les gouvernements doivent assurer l'existence de systèmes de dotation et d'information adéquats à la frontière. Les entreprises doivent produire des renseignements adéquats au sujet du contenu, de l'origine et de la destination des biens transportés.

Cela dit, les agents en poste à la frontière continueront de procéder à des vérifications aléatoires. Si les préoccupations relatives à la sécurité s'aggravent, la frontière pourrait être pratiquement fermée, comme on l'a vu au lendemain de la tragédie du 11 septembre.

Dans le scénario suivant, nous préconisons la prise de mesures accrues loin de la frontière, de façon que les agents responsables soient mieux en mesure d'évaluer les risques frontaliers et, du même souffle, de prévenir l'apparition de problèmes. En vertu du scénario, nous devons délaisser la ligne imaginaire au profit de la défense en profondeur.

Quant aux entreprises, elles devront s'interroger sur les mesures de sécurité et de reddition de comptes intégrées aux divers réseaux de transport. Y a-t-il des systèmes qui permettent d'assurer le suivi des biens tout en gardant une mainmise sur le réseau? Pour leur part, les gouvernements devront faire en sorte que les douanes et d'autres organismes chargés de l'exécution de la loi, au pays et à l'étranger, échangent de l'information.

Dans son rapport d'avril 2000, la vérificatrice générale a pourtant déclaré que l'ADRC doit améliorer ses communications avec d'autres ministères. La question est de savoir si l'ADRC a pris les mesures voulues depuis que la vérificatrice générale a formulé ses observations.

L'évaluation des risques loin de la frontière se traduira, croyons-nous, par une confiance accrue des deux côtés. Du même souffle, nous réaliserons des progrès considérables en vue de la réalisation des objectifs jumeaux que sont l'amélioration du commerce et de l'efficience à la frontière, d'une part, et le renforcement de la sécurité, d'autre part.

Si, en revanche, les deux scénarios que j'ai présentés ne suffisent pas à assurer la sécurité et le commerce, nous devrons emprunter la voie d'une compatibilité plus grande avec les États-Unis ou même une harmonisation des formalités douanières et peut-être de l'immigration. Si nous nous engageons sur cette voie, nous pourrons travailler en partenariat avec les États-Unis, au lieu de laisser à ce pays le soin de dicter les modalités de cette approche.

Nous devrions également admettre qu'il existe des menaces à la sécurité des deux pays à l'arrivée, mais aussi des menaces à la sécurité des États-Unis au départ du Canada. Les États-Unis se plaisent à présenter le Canada comme une sorte d'asile pour les terroristes, et il peut s'agir de la réalité tout autant que d'une perception. En même temps, le Canada fait face à des menaces en provenance des États-Unis par exemple des armes à feu. Nous présentons certaines autres menaces dans notre document.

Arriver à une compatibilité ou à une harmonisation plus grande ne se fera pas sans mal. L'harmonisation des règles concernant l'immigration, par exemple, sera difficile pour des raisons politiques et juridiques. Sur le plan politique, chacun des pays a une vision différente de l'immigration. Le Canada tend à en faire la promotion. Aux États-Unis, la question de savoir s'il convient ou non de restreindre l'immigration fait l'objet d'incessants débats. Sur le plan juridique, les États-Unis, au contraire du Canada, ne confèrent aucun droit constitutionnel aux personnes qui sollicitent l'autorisation de séjour.

Pour que le Canada et les États-Unis relèvent certains des défis que je viens tout juste d'énoncer et parviennent à une forme ou une autre de politique harmonisée, on devrait envisager un éventail d'options. Par exemple, on pourrait en arriver à supprimer carrément les inspections à la frontière. La situation s'apparenterait à celle qu'on retrouve aux frontières entre les provinces. Il faudrait pour ce faire effectuer des travaux en vue d'une union douanière et d'une politique commune d'immigration.

Dans le rapport, nous avons documenté certaines des difficultés relatives aux douanes et à l'immigration.

Le président: Pardonnez-moi d'intervenir, mais je tiens à rappeler à nos témoins que nos audiences portent principalement sur le commerce, et non sur l'immigration. Nous tentons de quantifier les torts causés à l'économie canadienne. Je ne crois pas que la politique d'immigration ait un rôle à jouer à cet égard, mais je vous invite à poursuivre.

M. Shea: Au lieu de douanes et d'inspection de l'immigration à la frontière, nous pourrions opter pour un poste d'inspection agricole comme on en retrouve aux frontières de l'Arizona et de la Californie avec d'autres États.

En l'absence d'une harmonisation des politiques d'immigration, on pourrait toujours procéder à des inspections de l'immigration à la frontière, sans inspections douanières. Si, en revanche, on ne parvenait pas à une entente ou à une union douanière avec les États-Unis, mais que les politiques d'immigration étaient harmonisées, on pourrait procéder à des inspections douanières à la frontière, mais pas à des inspections de l'immigration. Il s'agit des deux types d'inspections effectuées à la frontière.

J'ai présenté les trois scénarios par ordre croissant de difficulté: plus nous progressons, et plus elles sont difficiles et exigeantes.

M. Rhéaume: Vous avez soulevé la question des impacts sur le commerce. Je suis certain que vous avez entendu les chiffres brandis à gauche et à droite. Tous les jours, des biens d'une valeur de 1,3 milliard de dollars vont du Canada vers les États-Unis. La valeur du commerce bilatéral se chiffre à environ 2 milliards de dollars par jour.

Même s'il est difficile d'être précis, on estime que les coûts additionnels des retards à la frontière oscillent entre 5 et 15 p. 100. Ces coûts s'ajoutent à ceux de la production et de l'expédition des biens en question. Il est donc plus coûteux de commercer et, par conséquent, plus coûteux pour les entreprises canadiennes d'exercer leurs activités dans le contexte nord-américain. De nouveaux retards à la frontière ne feraient qu'aggraver la situation. Par conséquent, il est important de corriger les problèmes le plus rapidement possible.

Le premier scénario a trait à l'efficience. Il porte sur des investissements dans l'infrastructure, la technologie et le personnel à la frontière et en amont de la frontière. Des procédures de préautorisation feraient beaucoup pour améliorer la situation.

Dans le deuxième scénario, nous allons un peu plus loin et affirmons qu'on doit assurer une meilleure coordination des agences des deux côtés de la frontière. L'échange d'information accélérera encore le processus.

On ne pourra donner suite au troisième scénario à court terme. Il ne s'agit pas pour le moment d'une option réalisable. Il s'agit peut-être d'une option qu'on ne peut envisager pour des raisons politiques.

Le président: Monsieur Beatty, la parole est à vous.

M. Perrin Beatty, président-directeur général, Manufacturiers et exportateurs du Canada: Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole devant vous ce matin au nom des Manufacturiers et exportateurs du Canada à propos des enjeux liés à la frontière Canada-États-Unis. Il s'agit d'un enjeu important non seulement pour les membres de notre association, qui comptent pour quelque 75 p. 100 de la production industrielle du Canada et environ 90 p. 100 de ses exportations, mais aussi pour tous les Canadiens.

La prospérité du Canada dépend de nos rapports commerciaux avec les États-Unis. En contrepartie, ce rapport dépend de l'efficience du mouvement frontalier des biens et des personnes à la frontière Canada-États-Unis.

[Français]

Les exportations ont contribué à presque la moitié du produit intérieur brut du Canada l'an dernier, où 86 p. 100 des exportations canadiennes étaient destinées aux États-Unis, notre plus grand marché. Nous vendons plus de nos produits manufacturiers aux États-Unis que nous n'en consommons ici. En fait, 65 p. 100 de la production manufacturière du Canada est vendue aux États-Unis.

[Traduction]

La frontière ne se résume pas qu'à une ligne tracée sur la carte. C'est l'endroit où les intérêts souverains et économiques de deux nations qui font figure de chef de file et sont tournées vers l'extérieur se rencontrent et se croisent. Nous devons veiller à ce que la frontière ne soit pas un lieu propice aux collisions. À l'ère de la production juste à temps, les entreprises canadiennes comptent sur le mouvement libre des avions, des trains et des camions de même que sur la mobilité des personnes qui s'occupent des biens vendus des deux côtés de la frontière. Nos deux pays échangent des biens d'une valeur de 1 million de dollars à toutes les minutes et 200 millions de personnes franchissent notre frontière commune chaque année. En fait, l'activité commerciale bilatérale des États-Unis qui passe par le pont Ambassador entre Windsor et Detroit est supérieure à celle qu'ils entretiennent avec tout autre pays. Si on tient compte de l'ensemble de la frontière, un camion effectue la traversée toutes les deux secondes et demie.

Certains ont soutenu que les attaques terroristes avaient fait des livraisons juste à temps une pratique du passé, mais rien n'est plus faux. Nous clients américains continuent de compter sur des livraisons juste à temps, et ils choisiront des fournisseurs en mesure de leur donner satisfaction. La question de savoir si ces fournisseurs seront canadiens ou non sera fonction du règlement des problèmes qui se posent à la frontière. Des dizaines de milliers d'emplois sont littéralement en jeu.

[Français]

Les retards à la frontière nuisent à la productivité et augmentent ce qu'il en coûte pour faire affaires au Canada. Ils peuvent miner nos exportations et compromettre des milliers d'emplois au Canada.

[Traduction]

Si elle devient un obstacle à la circulation des biens et des personnes, la frontière non seulement étranglera nos exportations, mais en plus elle ralentira la venue d'investissements étrangers directs au Canada. Sans un accès facile au marché américain, des entreprises se montreront réticentes à l'idée de s'établir au Canada.

Au seul poste frontalier de Fort Erie, en Ontario, on a estimé à 2,5 millions de dollars par jour le coût des retards pour les expéditeurs. À un niveau plus ponctuel, un cadre supérieur de l'industrie automobile a indiqué que chaque minute de retard à la frontière coûte 30 000 $ à sa société, ce qui pourrait se traduire par des emplois. On ne connaît pas encore l'impact total des événements du 11 septembre sur les économies du Canada et des États-Unis, mais les données économiques de septembre annoncées cette semaine nous en donnent une idée.

[Français]

Le secteur manufacturier canadien était en récession avant que surviennent les événements tragiques du 11 septembre. Les MRC prévoyaient une reprise qui aurait commencé pendant la deuxième moitié de 2001, avec une amélioration lente mais soutenue au cours de l'an 2002.

[Traduction]

Dans son plus récent aperçu, l'économiste en chef des Manufacturiers et exportateurs du Canada, Jason Meyers, prédit que le déclin brutal de la confiance des consommateurs et des investisseurs se traduira par une tendance à la baisse soutenue tout au long de 2002, la reprise n'intervenant qu'en 2003. Pour la fin de 2001, M. Meyers projette une diminution des livraisons manufacturières de 5,5 p. 100, une baisse de la production de 7 p. 100 et une réduction de 4 p. 100 du nombre d'emplois dans le secteur. La situation est imputable non seulement aux événements du 11 septembre, mais aussi à un ralentissement général du secteur manufacturier.

Les données de septembre confirment l'aperçu. En effet, ces données montrent que les livraisons manufacturières ont baissé de 2,5 p. 100 au cours du mois, les diminutions observées dans 19 de 21 industries comptant pour 94 p. 100 des livraisons totales. De la même façon, les exportations de biens ont diminué de 1,7 p. 100 en septembre pour s'établir à leur plus bas niveau en 19 mois. Pour leur part, les importations ont diminué à un rythme presque trois fois supérieur.

La reprise de l'économie canadienne sera fonction de l'amélioration des conditions du marché aux États-Unis et, fait plus important encore, du mouvement efficient et soutenu des biens et des voyageurs légitimes de part et d'autre du 49e parallèle.

[Français]

Il faut agir maintenant afin d'assurer la sécurité physique des Canadiens et Canadiennes, ainsi que leur sécurité économique.

[Traduction]

Pour reproduire les mots du philosophe américain Arnold Glasow:

L'une des caractéristiques les plus probantes du leadership, c'est la capacité de reconnaître l'existence d'un problème avant qu'il ne devienne urgent.
Les problèmes à la frontière Canada-États-Unis remontent avant le 11 septembre, et notre organisme, par l'intermédiaire de son comité permanent sur les douanes et l'accès au marché, est intervenu dans le dossier sur un certain nombre de fronts, notamment en jouant un rôle clé dans l'élaboration du Programme d'autocotisation des douanes appelé CANPASS.

Selon des données de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, les transactions d'importation ont accusé un recul marqué après le 11 septembre, mais, à la fin du mois, elles étaient revenues près de leurs niveaux normaux, la longueur des retards connaissant des pointes périodiques. La plupart des données montrent que les retards à la frontière sont aujourd'hui nettement plus courts, en partie grâce à l'augmentation des effectifs et à la diminution marquée des volumes de biens et de personnes qui franchissent la frontière.

Monsieur le président, il n'y a toutefois pas matière à pavoiser. Le 11 septembre nous a donné un avant-goût de l'impact qu'aurait le problème s'il devenait urgent, ce qui arrivera si nous n'agissons pas aujourd'hui.

Les Canadiens et l'industrie canadienne comptent sur le leadership de notre gouvernement. Une bonne part des mesures qu'il a prises vont dans la bonne direction. L'industrie a accueilli avec satisfaction l'annonce récente, par le secrétaire au Trésor O'Neill et les ministres Cauchon et Martin, de l'établissement d'un comité de direction conjoint qui interviendra d'ici quelques semaines plutôt que d'ici quelques mois pour améliorer l'efficience à la frontière.

[Français]

D'une perspective extérieure, il semble que l'action gouvernementale se poursuit au coût par coût avec le ministre déposant des projets de loi et des recommandations qui pourraient ou non s'intégrer dans une solution globale qui adresse toutes les questions.

[Traduction]

Ce qu'il nous faut, c'est une stratégie exhaustive et intégrée qui réponde aux impératifs de la sécurité et de la gestion des frontières d'une façon qui assure aux Canadiens un niveau de confiance suffisant et qui permette au Canada d'aborder cette question de front avec ses voisins américains. Je suis fermement convaincu que la proposition canadienne doit être présentée au plus haut niveau possible, c'est-à-dire par le premier ministre au Président, et qu'elle doit bénéficier de l'appui sans réserve du secteur privé. On doit rappeler aux organismes qu'ils ont tous pour tâche d'assurer la réussite du projet. Sans orientation claire venue du sommet, les changements tous azimuts qui s'imposent risquent de se perdre dans des milliers de querelles de compétences.

Le gouvernement doit être le chef de file, mais l'industrie a également un rôle important à jouer, et elle doit être prête à le faire.

Pour leur part, les Manufacturiers et exportateurs canadiens proposent une approche en trois volets. Nous avons formé un groupe de travail composé de membres de notre association qui ont pour mandat d'orienter nos politiques et notre stratégie concernant les problèmes frontaliers. Nous avons de même établi un groupe de travail conjoint sur les principaux enjeux frontaliers avec notre organisme parent aux États-Unis, la National Association of Manufacturers. Pour remédier à ces problèmes, nous avons réuni des cadres supérieurs d'entreprises et d'associations commerciales au sein d'une vaste coalition.

J'aimerais maintenant consacrer les prochaines minutes de mon exposé aux activités de la coalition pour les frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial.

[Français]

La Coalition regroupe actuellement quelque 45 associations et entreprises canadiennes importantes. Elle vise à collaborer avec le gouvernement en représentant l'industrie en ce qui concerne les questions frontalières afin d'assurer que ces dernières soient adressées de façon efficace.

[Traduction]

La coalition est d'avis que le renforcement de la sécurité se traduira par une activité commerciale plus facile, à condition que les mesures favorisent la confiance des deux côtés de la frontière. On devait avoir pour objectif de faciliter le mouvement des biens et des voyageurs légitimes tout en affectant des ressources aux activités illégales.

L'objectif, et j'insiste sur ce point, monsieur le président, consiste non pas à revenir à la situation frontalière d'avant le 11 septembre à 8 h 30, mais bien plutôt à résoudre les problèmes qui menaçaient déjà notre commerce et qui, depuis, ont acquis un caractère d'urgence plus prononcé.

[Français]

Les activités de la Coalition sont animées par un comité directeur composé des chefs de quatre associations horizontales importantes et des présidents des trois groupes de travail chargés d'étudier respectivement les douanes, la sécurité, l'immigration et les transports. Le 1er novembre, la Coalition a publié son rapport intitulé «Repenser nos frontières», et je crois que vous en avez tous reçu un exemplaire.

[Traduction]

Dans le présent rapport, on énonce une série de principes, au coeur desquels on retrouve la nécessité d'une approche intégrée et concertée qui facilitera les mouvements à la frontière Canada-États-Unis grâce au renforcement de la capacité du Canada de garantir la sécurité à d'autres points d'entrée. Une telle solution doit être mise au point en étroite collaboration avec les États-Unis.

Dans le rapport, on énonce aussi l'approche que recommande l'industrie pour régler les problèmes frontaliers. En effet, on propose un système de gestion des frontières axée sur les risques qui permettent aux personnes et aux biens à faible risque de se déplacer de façon efficiente, tout en ciblant les ressources affectées à la sécurité sur les voyageurs et les biens à risque élevé.

[Français]

Une telle approche comprendrait trois lignes de sécurité, soit les interceptions à l'étranger, le premier point d'entrée et la frontière canado-américaine.

[Traduction]

En renforçant sa capacité au titre de la collecte de renseignements, le Canada pourra empêcher des terroristes de s'établir ici. On doit évaluer et traiter avec soin le cas des voyageurs qui arrivent au Canada, y compris ceux qui transitent par notre pays avant de se rendre aux États-Unis, sans oublier les marchandises en provenance de l'étranger. On doit en somme s'assurer qu'ils ne présentent pas de dangers. Entre-temps, on pourrait rendre la frontière Canada-États-Unis plus «intelligente» en éloignant du 49e parallèle le traitement des biens et des personnes à faible risque. Ce faisant, on atténuerait la congestion tout en donnant la possibilité aux autorités douanières de se concentrer sur les mouvements à risque élevé.

Qu'on parle de l'établissement d'un périmètre, d'une zone de confiance ou d'une stratégie avancée, il ne s'agit pas ici de gommer la frontière Canada-États-Unis ni de faire en sorte que le Canada se contente d'adopter des politiques américaines. Naturellement, la collaboration entre le Canada et les États-Unis est essentielle. Nous devons établir des buts et des objectifs communs relativement à la protection de notre sécurité matérielle et économique, mais nous n'avons pas à le faire exactement de la même façon.

[Français]

La Coalition et les manufacturiers et exportateurs du Canada travailleront de concert avec le gouvernement afin de développer des solutions qui reconnaissent que la sécurité canadienne et l'efficacité de nos frontières sont des questions connexes.

[Traduction]

Les membres de la coalition sont fermement d'avis que le Canada, à titre de nation souveraine, doit prendre l'initiative du règlement des questions frontalières et ne pas se contenter de réagir aux événements extérieurs. En agissant de façon courageuse et déterminée, le Canada montrera que, le moment venu d'assurer la sécurité et la réussite des citoyens, il fait partie de la solution, et non du problème.

La coalition met la dernière main au rapport détaillé qui renfermera des recommandations précises liés à la gestion des frontières, à la sécurité, à l'immigration et à l'infrastructure des transports.

Même si nous ne pouvons pas aborder en détail le contenu du rapport, je puis, en ma qualité de porte-parole des Exportateurs et manufacturiers du Canada, vous faire brièvement part de quelques-unes des priorités de nos membres, en ce qui a trait aux frontières.

Parmi certaines des recommandations prioritaires de nos membres, qui devraient- et peuvent - être mises en oeuvre maintenant, citons l'établissement de normes communes de sécurité autour du périmètre du Canada et des États-Unis, la mise en oeuvre immédiate du Programme d'autocotisation des douanes, NEXUS, CANPASS et d'autres programmes de prédédouanement qui éloignent de la frontière la plus grande part possible des activités de traitement, la prestation de voies réservées aux expéditeurs dont les documents sont en règle ou ont été préapprouvés pour le dédouanement, l'intégration plus poussée des installations et des inspections douanières entre le Canada et les États-Unis, des investissements accrus dans les ressources et l'infrastructure à la frontière, y compris dans les domaines de la dotation et de la formation, une coopération plus étroite entre les organismes douaniers et les exportateurs, les importateurs, les courtiers et les expéditeurs, afin de simplifier et de clarifier les règles et les besoins en information, et, enfin, un engagement accru du Canada et des États-Unis envers un accord sur la frontière commune.

[Français]

Étant donné que le commerce entre le Canada et les États-Unis contribue un peu plus chaque année à la prospérité de nos citoyens, le besoin d'un régime douanier plus simple, plus rapide, homogène, plus sage et moins coûteux deviendra encore plus urgent.

[Traduction]

Honorables sénateurs, la sécurité matérielle et la sécurité économique de nos deux pays sont indissociablement liées. En termes simples, un ne va pas sans l'autre. Notre but doit consister à nous assurer que les terroristes ne puissent nous battre, que ce soit sur un front ou sur l'autre. Si nous avons la sagesse voulue pour agir, nos citoyens peuvent connaître une plus grande sécurité et une plus grande prospérité. Le système ne fonctionnait pas bien avant le 11 septembre, mais il s'agit d'un problème qui était chronique et qui, depuis, est devenu urgent, et il faut agir dès maintenant.

Le sénateur Tkachuk: Voilà d'excellents exposés.

Monsieur Beatty, vous dites qu'il y avait des problèmes avant le 11 septembre et que ceux-ci sont exacerbés depuis le 11 septembre. J'en déduis que tout juste après l'incident, les choses devaient être un peu difficiles à la frontière. La pression s'est-elle relâchée un peu depuis? Y a-t-il eu un changement marqué le 12 septembre? Nous présumons que c'est le cas, mais vous pourriez nous éclairer et, de même, nous dire ce que cela nous a fait.

M. Beatty: Personne ne peut quantifier parfaitement les coûts. Cela ne fait aucun doute, depuis le 11 septembre, les retards à la frontière et le ralentissement général de l'économie aux États-Unis, phénomène qui a débordé et est venu se répercuter au Canada, ont eu un effet très néfaste sur l'économie canadienne.

Nous avons connu des retards importants tout juste après le 11 septembre - il y avait des files de camions-remorques qui, en certains cas, s'étendaient sur 15 kilomètres dans le coin de Windsor. Ces retards ont diminué considérablement, pour deux raisons. Premièrement, les Américains ont ajouté des ressources de leur côté de la frontière, du moins à court terme. Deuxièmement, le nombre de personnes et la quantité de biens passant à la frontière ont diminué.

Nous n'avons absolument aucune raison de croire que les problèmes ne s'aggraveront pas au fur et à mesure que le volume s'accroît. De même, s'il y a un deuxième incident aux États-Unis, il n'y a pas de raison de s'attendre à ce que les Américains resserrent la vis sur le plan de la sécurité, de sorte qu'il serait plus difficile pour les produits canadiens d'accéder aux États-Unis. Voilà pourquoi il est urgent d'agir dès maintenant.

Le sénateur Tkachuk: Il y a toujours cette question: tout semble être lié. Autrement dit, l'agent des douanes américain qui, de son côté de la frontière, aperçoit un camion qui s'en vient s'inquiète non seulement des marchandises qui sont dans le camion, mais aussi du conducteur du camion. Par conséquent, la politique en matière de réfugiés et d'immigration est liée tout à fait à cette caisse de bouteilles de vin, pour prendre l'exemple du sénateur Fitzpatrick, qui traverse la frontière et est destiné à la Californie.

Comment résoudre ce problème d'une manière qui nous conviendrait à nous tous? Comme vous en avez déjà parlé, il existe des questions politiques et juridiques en ce qui concerne le traitement des réfugiés et des immigrants qui s'amènent au Canada et aux États-Unis. Selon vous, quel degré d'importance cela devrait-il avoir?

M. Rhéaume: Nous avons traité de la politique d'immigration, de la politique des réfugiés et du commerce, parce qu'il y a un lien entre tous ces éléments. Nous n'avons pas forcément à modifier les politiques en question. Nous pouvons utiliser les techniques modernes pour procéder à un prédédouanement et à un filtrage préalable, pour que des clandestins ne puissent s'embarquer avant que le camion traverse la frontière. Les Américains ont besoin d'être rassurés, de savoir que cette technologie est applicable et qu'elle est employée.

Ce n'est pas uniquement une question canadienne; c'est une question canado-américaine. Par conséquent, il faut un dialogue et des ententes de la part des deux parties. Les mesures unilatérales ne régleront pas la question. Il faut un dialogue et un plan d'action constants.

La dernière chose qu'il nous faudrait, c'est de toucher à la politique en matière de réfugiés et d'immigration.

Le sénateur Tkachuk: Quelle est cette nouvelle technologie au fait?

M. Rhéaume: Je ne suis pas ingénieur ou technologue, mais je sais qu'il existe un procédé qui peut être employé pour fermer et sceller un camion chargé. Si le sceau est indemne au moment où le camion arrive à la frontière, on sait qu'il a été inspecté avant d'arriver à la frontière. Cela facilite le processus de dédouanement.

Le sénateur Tkachuk: Qui met le sceau sur le camion? Y a-t-il un prédédouanement?

M. Rhéaume: C'est à un site de prédédouanement. C'est pourquoi il nous faut le type d'activités auquel s'attendent les Américains et les Canadiens. Il faudrait qu'il y ait aux quais de chargement des inspecteurs qui se chargeraient de cette activité.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce qu'ils seraient comme les inspecteurs américains aux aéroports, ou encore est-ce que ce serait une sorte de mise en commun des ressources?

M. Rhéaume: Ce serait comme cela se fait dans le cas des marchandises étrangères qui arrivent par bateau, par exemple. Nous avons déjà en place un système pour les trains.

M. Beatty: Toutes ces questions sont indissociablement liées. En termes simples, nous agirons en vain si nous traitons chacun des dossiers de manière distincte - de la douane à la douane, de la sécurité à la sécurité, de l'immigration à l'immigration. Nous devons refondre le système entier et faire une proposition aux États-Unis; présenter une proposition qui ferait que nos citoyens connaîtraient une plus grande sécurité physique et économique.

C'est tout à fait faisable. Cela veut dire qu'il faut réaffecter les ressources à l'étranger, pour essayer d'empêcher les terroristes de venir en Amérique du Nord, pour les intercepter avant qu'ils montent à bord de l'avion, ou pour pouvoir procéder à une vérification exhaustive pendant qu'ils sont en route. Cela veut dire qu'il faut accélérer le traitement des biens légitimes et des voyageurs légitimes, pour réduire la taille de la botte de foin dans laquelle nous essayons de trouver l'aiguille. Nous savons que 98 ou 99 p. 100 des biens et des voyageurs qui traversent la frontière sont légitimes. Toutes les ressources que nous consacrons en vain aux biens et aux voyageurs légitimes sont des ressources qui ne servent pas aux cas illégitimes.

À la frontière, on capote quand il y a des inspections, comme dans le cas des vols d'Ottawa à destination de New York ou de Washington, où on est autorisé à entrer aux États-Unis avant même de monter à bord de l'aéronef à Ottawa. Nous devons adopter les mêmes mesures en ce qui concerne les inspections des douanes: procéder à l'inspection avant que le véhicule ne quitte le pays, de manière à ne pas créer d'embouteillage à la frontière. Cela aurait pour effet d'accélérer le transport d'un point à l'autre.

En ce qui concerne la sécurité, j'ai mentionné tout à l'heure que le pont Ambassador qui relie Detroit et Windsor compte, du point de vue du commerce américain, pour un volume plus grand que tout autre qui soit dans le monde. Quelle cible attrayante représentent les points frontaliers clés aux yeux de celui qui souhaite miner notre sécurité économique. N'est-il pas beaucoup plus logique de procéder à l'inspection avant que le camion n'entre dans le tunnel ou ne s'engage sur le pont, plutôt que de le faire de l'autre côté?

Si nous devions concevoir un système tout à fait dysfonctionnel, nous aurions le résultat que nous connaissons aujourd'hui. Nous avons cet énorme réseau routier - vaste entonnoir qui fait converger sur deux ou trois voies, sur un pont, avec un arrêt de la circulation à l'extrémité, là où chaque véhicule est inspecté.

Nous pouvons faire preuve d'imagination au moment de repenser notre façon de procéder, en employant des techniques nouvelles qui nous permettent d'inspecter beaucoup plus facilement ce qui se trouve dans le véhicule. Nous devons utiliser des systèmes que le Canada a en place comme le Programme d'autocotisation des douanes. Il n'y a pas de système comparable aux États-Unis aujourd'hui. Autre procédé technique: les laissez-passer dont disposeraient les voyageurs aguerris - celui qui est appelé à traverser la frontière plusieurs fois par semaine, par exemple, pourrait demander d'obtenir un laissez-passer doté d'éléments biométriques. Une vérification policière permettrait de s'assurer que la personne en question n'est pas un terroriste reconnu. Le traitement des voyageurs légitimes serait ainsi accéléré, de sorte que les ressources pourraient être consacrées aux cas plus risqués. C'est la meilleure façon d'accroître à la fois notre sécurité physique et notre sécurité économique.

M. Shea: Le sénateur a très bien parlé. Mes collègues, ici présents ont parlé de douanes. Nous pourrions faire sceller un camion à la frontière, mais si l'INS se méfie du conducteur, nous nous retrouvons avec le même problème, un retard à la frontière. Par conséquent, il faut régler les deux questions. D'abord, il y a le prédédouanement qui touche le conducteur du camion. Cela existe déjà pour les équipages des trains. Cependant, le cas des trains est plus facile parce que les équipages ne sont pas très nombreux, alors qu'il y a des milliers de conducteurs de camions. Il faut faire un travail important pour déterminer qui sont les conducteurs en question et pour s'assurer qu'ils peuvent entrent aux États-Unis.

Les inspecteurs de l'INS sont aux prises avec un deuxième problème, qui n'a rien à voir avec l'idée qu'un conducteur puisse être un terroriste ou un criminel. Disons qu'un conducteur va porter un chargement de Montréal en Floride et qu'il souhaite ramener un autre chargement de la Floride à Montréal, mais qu'il n'arrive pas à trouver un chargement complet pour le chemin du retour. Il se peut qu'il doive conduire de la Floride à la Virginie, puis de la Virginie à Montréal. Il n'a pas le droit de porter le chargement de la Floride à la Virginie. Si un inspecteur de l'INS soupçonne qu'il transporte un chargement sur un segment du territoire américain, il ne le laissera peut-être pas passer. L'INS se préoccupe de deux choses: que le conducteur puisse être un criminel; et que le conducteur transporte un chargement sur un segment du territoire américain.

Le sénateur Furey: Ma question s'articule autour de l'observation du sénateur Tkachuk. Monsieur Beatty, comment le mouvement des marchandises à destination du sud se compare-t-il au mouvement des marchandises à destination du nord, en tenant compte du fait que le volume est presque deux fois plus grand dans le premier cas?

M. Beatty: Vous parlez de volume, de retard et de valeurs?

Le sénateur Furey: Je crois que nous sommes fixés sur la valeur. Qu'en est-il des volumes et des retards?

M. Beatty: Il y a eu une réduction du volume des marchandises à destination du sud, ce qui, en partie, est attribuable au ralentissement de l'économie. Pour ce qui est des retards, nous approchons du point où nous en étions le 11 septembre, même s'il y a encore des retards périodiques, particulièrement aux points frontaliers clés. Tout de même, le facteur clé, c'est que les Américains ont ajouté du personnel à court terme et, comme le volume a baissé, il y a moins de choses à traiter.

Le sénateur Furey: Le mouvement vers le nord est-il plus efficace que le mouvement vers le sud?

M. Beatty: Il l'a toujours été. Douanes Canada a adopté une approche plus progressive et a accéléré le mouvement des marchandises vers le nord, par la douane. Le Programme d'autocotisation des douanes qu'ils ont mis en place est un modèle à suivre, au sens où il tient pour acquis que les expéditeurs les plus importants sont peu susceptibles de tricher et qu'ils peuvent se cotiser eux-mêmes. Les responsables de Douanes procèdent à des vérifications et s'assurent que les expéditeurs jouent franc jeu.

Proportionnellement, nous avons affecté plus de personnel à la frontière que les Américains. Les niveaux de dotation des Américains n'avaient pas changé depuis 1980, même si, depuis quelques années, le commerce entre nos deux pays a connu une augmentation de 10 p. 100 par année. Ces dernières années, la moitié des voies menant aux États-Unis ont été fermées, faute de personnel.

Le sénateur Furey: Sous une forme ou une autre, est-ce que le prédédouanement corrigerait cette situation?

M. Beatty: Pour une très grande part, oui.

Le sénateur Furey: Cela supposerait la coopération de nos voisins du Sud.

M. Beatty: Tout à fait.

Le sénateur Furey: A-t-on l'impression que cette coopération viendra à se concrétiser?

M. Beatty: Si nous agissons rapidement. Certes, le secrétaire O'Neil a tenu vendredi dernier des propos très encourageants. Fait peu étonnant, les Américains restent concentrés sur la sécurité. Ils sont en guerre, et ils sont d'avis que le champ de bataille, c'est leur territoire. Ils se soucient moins de l'aspect économique que de l'aspect sécurité.

Si nous les abordons maintenant en vue de leur présenter une proposition globale, nous aurons l'occasion d'établir les grandes lignes de l'affaire et d'en arriver à quelque chose qui sera sensiblement différent de ce qui était en place avant le 11 septembre. Cela pourrait servir à résoudre un grand nombre de problèmes de longue date.

Le sénateur Gustafson: Nos témoins du Conference Board du Canada ont parlé de commerce, de sécurité et de souveraineté économique. Avez-vous étudié ce qui se passe au Canada? Je sais que, étant donné la faible valeur de notre dollar, il y a trois ou quatre entreprises américaines qui sont en train d'acheter l'industrie des céréales dans l'Ouest du Canada. Ce dont je me soucie, c'est de l'impact de cela sur la souveraineté. Cela est déjà fait dans l'industrie pétrolière. Gulf Oil s'est laissé acheter.

Bien entendu, nos exportations de biens manufacturés ont augmenté en raison de la faible valeur de notre dollar. Les producteurs vinicoles et céréaliers ont également bénéficié d'une augmentation des exportations.

Aujourd'hui, en dollars US, nos fermes dans les Prairies valent la moitié de ce qu'elles valaient avant la chute de la monnaie. Il en va de même des propriétés commerciales. Selon Conrad Black, les fonds des comptes d'épargne valent 40 p. 100 de ce qu'ils valaient il y a cinq ou six ans.

Avez-vous étudié la question du point de vue de son impact sur la souveraineté, sur le contrôle du pays?

M. Rhéaume: Nous n'avons pas traité de cette question dans le document. Par contre, nous y abordons les questions de la souveraineté et de la sécurité commerciale. Cela ne fait aucun doute, depuis les années 90, nous assistons à une intégration économique en Amérique du Nord. Plus que jamais, le mouvement des biens dans l'axe nord-sud est plus important que le mouvement dans l'axe est-ouest.

Nous croyons que la dépréciation du dollar est une question importante qu'il faut régler. Par contre, la question est à ce point complexe qu'il est difficile de définir le problème précis dont il s'agit. Cela donne justement des biens bon marché, ce qui explique les prises de contrôle. Cela comporte des conséquences à long terme dont il faut tenir compte. Par exemple, nous devons envisager la question de l'emplacement des sièges sociaux. C'est une question complexe, multidimensionnelle.

Plusieurs facteurs doivent être pris en considération. Il y a, par exemple, la perception de l'investisseur étranger. Notre économie est perçue comme une économie fondée sur l'exploitation des ressources, or, le prix des ressources est à la baisse depuis longtemps. Cette perception, conjuguée au fait que les denrées sont bon marché, n'aide pas notre monnaie. Toutefois, le fait est qu'un faible pourcentage seulement de notre économie repose sur l'exploitation des ressources. De plus en plus, notre économie s'articule autour de la fabrication de biens, et notre secteur des services est en croissance.

Il est impératif que la communauté internationale révise l'idée qu'elle se fait du Canada. Quand nous affirmons que notre économie repose sur l'exploitation des ressources, nous n'aidons pas notre cause.

De même, nous devons chercher à accroître notre compétitivité. Notre productivité est bien inférieure à celle des Américains. Comme notre dollar est faible, nous pouvons faire des échanges avec les Américains. Nous pouvons vendre nos biens. Nous pouvons également les vendre à d'autres pays. Par contre, cela ne nous encourage pas à agir pour réduire l'écart de productivité. Cela ne nous oblige en rien à accroître notre compétitivité.

Être plus productif et plus novateur, voilà qui nous rapprocherait beaucoup d'une situation économique où notre monnaie ferait meilleure figure. Nous avons préparé des rapports à ce sujet.

Le sénateur Gustafson: C'est un grand sujet.

Le président: Ce sont des questions importantes, mais nous disposons d'un temps limité, et notre étude porte sur les postes frontaliers.

Le sénateur Angus: J'ai fait circuler parmi mes collègues un article paru dans le Globe and Mail à propos de la question qu'a soulevée M. Rhéaume. Dans le journal d'hier, il y avait un article au sujet de votre troisième rapport annuel sur l'innovation, qui, essentiellement, dit que les Canadiens n'affectionnent pas tellement le risque ni l'innovation, par rapport à d'autres pays membres de l'OCDE. De fait, nous nous situons à peu près au 9e rang.

Avez-vous en main le rapport sur l'innovation? Pouvez-vous en faire faire des copies pour que nous puissions en remettre à tous les membres du comité?

M. Rhéaume: Oui, je pourrais en mettre des copies à votre disposition. Nous avons signalé la publication officielle de notre troisième rapport annuel sur l'innovation à notre conférence, mardi. Le thème de cette année: investir dans l'innovation.

Le sénateur Angus: Les conséquences économiques du travail aux postes frontaliers et les questions liées à la sécurité sont liées entre elles. Avez-vous souligné le fait que le Canada accuse un certain retard sur le plan de l'environnement? Soulevez-vous cette question dans votre rapport?

M. Rhéaume: C'est visiblement un facteur. Ann Golden, présidente et directrice générale du conseil, a rédigé en octobre, pour la page en regard de l'éditorial dans le Globe and Mail, un article traitant du lien entre la sécurité et l'innovation. On voit des liens, par exemple quand il est question de façons régionales de régler les questions frontalières. Tout de même, il n'y a pas que la sécurité qui entre en ligne de compte.

Le sénateur Angus: Pour boucler la boucle, je crois que le projet de loi S-23, Modifications de la Loi sur les douanes, a reçu la sanction royale en juin 2001. On y prévoyait des méthodes novatrices, par exemple le passage en priorité dont il a été question aujourd'hui, et toute une série de mesures visant à accélérer et à faciliter le passage des gens et des biens à la frontière. Le projet de loi en question n'a pas été renvoyé au comité que vous formez; c'est le comité des finances qui en a été saisi. Ces mêmes questions ont fait l'objet de délibérations qui se sont échelonnées sur des jours et des jours. Le Conference Board, ou l'AMEC, y ont-ils fait valoir leur point de vue? Avez-vous tous pris part à ces discussions?

M. Rhéaume: Le Conference Board du Canada n'y a pas été invité.

M. Beatty: Nous avons pris part à l'exercice au sens où nous avons travaillé de concert avec le gouvernement à concevoir le système qui était inclus dans le projet de loi. Au moment de notre congrès, nous l'avons dit clairement: nous espérions que le Parlement adopte le projet de loi rapidement, car cela aurait eu pour effet d'améliorer la situation.

Nous n'y voyons pas un point final à la question. Nous croyons que c'est plutôt une étape importante sur le chemin qu'il faut prendre. Il faut s'engager à aller bien au-delà de ce que le projet de loi établit.

Le sénateur Fitzpatrick: D'abord, je vous féliciterai de l'exposé que vous avez présenté. Je suis sûr que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il est important de régler cette question.

Les représentants du Conference Board ont signalé vivement que, selon eux, certaines des questions liées aux postes frontaliers peuvent être réglées au moyen de processus, de procédures, de ressources humaines et d'infrastructure. C'est probablement de ce côté-là qu'il faut commencer. Par contre, j'entrevois plusieurs problèmes pour qui souhaitera donner forme à ce projet, et j'aimerais entendre à ce sujet les observations des deux groupes.

D'abord, je me soucie de la rhétorique a laquelle nous avons droit en ce qui concerne l'harmonisation et l'établissement d'un périmètre continental, ce qui évoque d'autres idées dans l'esprit des Canadiens. Je crois que cela devrait s'articuler, au départ, autour du commerce et de l'idée que les produits doivent pouvoir passer à la frontière.

Ma deuxième préoccupation est liée à l'immigration. Comment insérer cet élément compliqué dans l'équation?

Ma troisième préoccupation, c'est de savoir si, sur le plan commercial, il y a une attitude «forteresse Amérique» aux États-Unis. Je suis originaire d'une province qui exporte 50 p. 100 de son bois d'oeuvre aux États-Unis. Comme vous le savez tous, nous luttons actuellement contre les droits compensatoires et les mesures antidumping. C'est un problème économique américain qui ne s'arrêtera peut-être pas au seul cas du bois d'oeuvre.

Avez-vous des observations à formuler à propos de ces trois préoccupations?

M. Rhéaume: L'harmonisation et l'établissement d'un périmètre de sécurité nord-américain, cela ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. L'utilisation de ces termes techniques pose une difficulté. Il peut s'agir simplement pour plusieurs organismes de mieux collaborer. Nous assimilerions cela à une harmonisation de la circulation d'information. L'harmonisation totale et intégrale toucherait les politiques et les pratiques.

La même chose s'applique à la question du périmètre de sécurité nord-américain. Cela pourrait mener à l'harmonisation des politiques d'immigration et des politiques en matière de réfugiés, alors qu'à une union douanière. Ce serait là une harmonisation pleine et totale. Je ne dis pas que c'est là la voie qu'il faut privilégier, et je ne crois pas que les Américains s'intéressent à cela.

J'ai parlé de la question des irritants commerciaux. Si nous avions une union douanière, ils ne pourraient pas s'attaquer à ces irritants commerciaux. Nous n'aurions pas ce problème du bois d'oeuvre. Il y a un groupe aux États-Unis qui perçoit le besoin de protéger ce genre d'intérêt. Ce ne serait pas nécessairement dans l'intérêt des Américains ni dans l'intérêt des Canadiens.

Vous proposez l'option intégrale. Nous nous penchons, quant à nous, sur quelque chose de beaucoup plus simple, de beaucoup plus facile à faire en ce qui concerne les problèmes à la frontière.

De même, quand quelqu'un parle de la «clarté du concept», il importe de lui demander ce qu'il veut dire.

M. Beatty: Ma réponse, c'est qu'il faut employer la terminologie qui convient à la personne, mais il faut le faire et avancer. Il importe de comprendre les principes sous-jacents. Quels sont les éléments que nous recherchons pour ce qui est de repenser la gestion de la frontière, de concert avec les États-Unis?

L'autre facteur qui est tout à fait capital, c'est que nous devons adopter une approche intégrée et non pas une série de mesures ponctuelles. Si nous n'avons pas réussi à progresser davantage par le passé, c'est que nous avons privilégié la négociation entre la douane canadienne et la douane américaine, entre l'immigration canadienne et l'immigration américaine, entre la GRC et le FBI et ainsi de suite. Étant donné que tous ces éléments sont indissociablement liés, qui envisage une refonte quelconque de notre façon de gérer les affaires à la frontière doit en arriver à une proposition globale, qui doit être une proposition canadienne. Quel nom lui donnera-t-on? Cela m'importe peu. J'aime bien «la proposition canadienne». Il faut que ce soit une proposition qui est conçue pour nous donner une plus grande sécurité économique et physique. L'élément clé, c'est l'urgence d'agir.

La dernière question que vous avez soulevée concerne le bois d'oeuvre et le protectionnisme américain. La position adoptée par les États-Unis dans le dossier du bois d'oeuvre ne saurait se justifier. De temps à autre, le spectre du protectionnisme surgit aux États-Unis. Tout de même, de manière générale, il y a quelque chose d'encourageant, car l'administration en place, même à un moment où les États-Unis se trouvent en état de siège et auraient pu céder à la tentation du repli, est restée ouverte. J'étais à Washington il y a trois semaines à une réunion de la National Association of Manufacturers. J'étais là en compagnie du président Bush, du secrétaire O'Neil et de plusieurs ministres, dont le secrétaire d'État Powell, qui se sont adressés à nous. Dans chacun des cas, ils ont affirmé qu'il est essentiel pour les États-Unis de rechercher des façons de faire tomber les obstacles au commerce, plutôt que de leur permettre d'exister. Ils faisaient la promotion des négociations de l'OMC, qui doivent se tenir à Doha, et il préconisait le traitement accéléré du dossier ou la mise en oeuvre de mesures de promotion des échanges commerciaux de la part de l'administration. Voilà qui était encourageant. Je tiens pour aberrante et contraire aux préceptes exposés par le président lui-même la conduite des Américains dans le dossier du bois d'oeuvre.

Au Canada, notre objectif devrait être très simple: faire tomber les obstacles au commerce, point à la ligne. Cela s'applique aux obstacles physiques au commerce, à la frontière, ainsi qu'aux frontières juridiques au commerce en droit commercial international. Ouvrez les frontières au commerce et permettez qu'il y ait croissance économique.

Le sénateur Fitzpatrick: Je serais d'accord avec cela.

Pour ce qui est de la question du processus ou de la procédure, il me semble que nous devons procéder d'abord par fonction. Je ne sais pas très bien comment nous pourrions adopter une approche globale.

Comment faire pour que les camions puissent mieux passer à la frontière? Il y a le prédédouanement pour les trains. Comment autoriser le passage de certaines marchandises? Comment mettre en commun l'infrastructure à la frontière? Ce sont des questions, je pourrais dire qu'il s'agit de mécanismes ou d'éléments d'infrastructure, qu'il faut régler.

Ensuite, il y a une question d'une plus grande portée: s'attaquer à la perception qu'ont les gens de ce que nous faisons, aux attitudes qu'ils peuvent avoir.

M. Beatty sera sûrement d'accord avec moi: une administration antérieure a eu de la difficulté à expliquer le pourquoi de l'Accord de libre-échange. La situation dont il est question ici est du même ordre.

C'était là une observation et non pas une question, mais je crois que nous tous, le gouvernement et les associations comme la vôtre, avons pour tâche d'expliquer ces choses, de telle sorte qu'il ne dresse pas, de part et d'autre de la frontière, un mur de méfiance ou d'appréhension.

M. Beatty: J'en conviens tout à fait: chacun d'entre nous, l'industrie y comprise, doit expliquer clairement ce que nous préconisons.

Faut-il découper l'information en une série de petits morceaux qui se digèrent bien? C'était l'approche du gouvernement avant le 11 septembre, et cela ne suffisait pas pour que nous faisions progresser vraiment le dossier.

Même pour les questions comme l'usage commun des installations sur la ligne de démarcation même de la frontière, l'exercice est un échec, car les deux pays n'ont pas le même code du bâtiment.

Les agents des douanes américains peuvent garder leur arme à feu quand ils vont aux toilettes de leur côté de la frontière. Du côté canadien, la question devient la suivante: les agents des douanes américains doivent-ils déposer leur arme à feu avant de s'en aller aux toilettes?

Du point de vue de l'industrie canadienne, la réponse est la suivante: «Ne venez pas nous parler des problèmes; réglez-les.» Or, cela ne peut se régler que si la décision vient d'en haut.

Pour ce qui est du concept à retenir pour la gestion des affaires à la frontière, vous avez évoqué la question du libre-échange. C'est pertinent d'un autre point de vue aussi. Si nous avions essayé de négocier le libre-échange à la pièce, cela ne se serait jamais fait. En dernière analyse, on constate que cela a réussi parce que le président, le premier ministre et leurs chefs de cabinet respectifs se sont entendus sur le fait que cela était bon pour les deux pays. Ils ont donné pour consigne à leurs fonctionnaires: mettez cela en place.

La refonte à laquelle il faut procéder parce que les questions de la sécurité, de l'immigration, des douanes et du transport sont indissociablement liées - on ne saurait permettre aux agents de procéder aux inspections de part et d'autre, indifféremment, sans aborder d'abord les questions liées à la sécurité en même temps que les questions liées aux douanes. Par conséquent, comme ces questions sont indissociablement liées, il faudra que la direction de chacun des douzaines d'organismes qui existent des deux côtés de la frontière donne pour consigne: mettez cela en place. «Ne venez pas nous dire pourquoi cela ne peut se faire; organisez-vous pour que cela se fasse.»

Le président: Je trouve que cela est fascinant. Pour l'instant, je ne sais pas très bien quel genre de rapport nous allons produire, car le but principal de notre exercice est de déterminer ce que cela coûtera au Canada. Quelle est l'ampleur des dégâts? Évidemment, il y a des dégâts, mais nous n'abordons pas cette question. Le rapport devrait peut-être comporter deux parties. La première partie pourrait traiter de la manière de régler les problèmes à la frontière; la deuxième pourrait servir à expliquer pourquoi il faut régler cela.

Le sénateur Angus: Messieurs, je suis d'accord avec le sénateur Fitzpatrick: vous avez présenté un excellent exposé. Monsieur Beatty, vous accueillir est un plaisir. Je sais que vous avez acquis une expérience considérable pour ce qui est de témoigner devant les comités du Sénat, surtout à l'époque où vous étiez ministre. C'est un privilège pour nous de pouvoir recourir à votre expertise dans ces champs d'action. Vos remarques le prouvent bien.

Je souhaite savoir si je saisis bien la raison d'être des audiences que nous organisons. Je croyais qu'il s'agissait de déterminer si nous, si bizarre que cela puisse paraître, pouvons profiter des événements malheureux survenus le 11 septembre, car ces événements ont mis en lumière, avec un éclat que nous n'avons pas vu depuis longtemps, les problèmes qui se produisent à la frontière en ce qui concerne nos échanges commerciaux.

Messieurs, seriez-vous d'accord pour dire que cela nous donne une occasion unique: régler le problème - car tout le monde s'y attache maintenant?

M. Beatty: Oui. Notre meilleure réponse à l'action des terroristes, c'est de créer quelque chose de mieux que ce qu'il y avait en place le 11 septembre.

Le sénateur Angus: Si c'est le cas, votre témoignage le fait voir - et particulièrement la dernière réponse que vous avez donnée au sénateur Fitzpatrick en ce qui concerne le fait de procéder à la pièce - n'est-il pas vrai que cela a été un obstacle au commerce et au mouvement libre et efficace des biens dans les deux sens, avec les divers organismes qui traitent des différents éléments d'un dossier global? Les gens des douanes, les gens d'immigration, la police et les gens de la sécurité ont tous un rôle à jouer en ce qui concerne la frontière. Ai-je raison?

M. Beatty: Oui.

Le sénateur Angus: Si tel est le cas, que pensez-vous de l'idée proposée l'autre jour au Parlement par M. Clark. Un communiqué de presse a été publié. M. Clark a dit ceci:

Pour protéger le passage à la frontière canado-américaine de biens d'une valeur de 1,7 milliard de dollars pour l'économie de tous les jours, la Coalition propose un plan en trois volets qui prévoit les améliorations requises sur le plan de la sécurité et rationalise le mouvement des particuliers et des biens dans les cas où le risque est faible.
Le plan de la Coalition permettrait de [...]
Créer un ministère de la Protection du public et de la Gestion des frontières qui assumerait la responsabilité des douanes, de l'immigration, de l'exécution de la loi et des organismes de renseignement du Canada;
Autrement dit, tout cela serait regroupé:

Créer un organisme binational (ou trinational) de gestion de la frontière, qui aurait pour tâche de surveiller l'entrée et la sortie des biens et des particuliers sur le contient nord-américain et de part et d'autre de la frontière canada-américaine, tout en favorisant le prédédouanement des personnes et des biens à faible risque, pour accélérer les déplacements; et
créer un comité de surveillance parlementaire ayant pour mandat de surveiller les activités du nouveau ministère et d'assurer le suivi des autres mesures antiterroristes que renferme le projet C-36.
Un tel projet est-il avisé? Est-ce que cela permettrait de régler les questions que vous soulevez?

M. Beatty: Je m'en remets à M. Rhéaume.

M. Rhéaume: Nous n'avons pas analysé la proposition. Je ne saurais la commenter, particulièrement.

Il y a une chose qui me semble importante, et M. Beatty en a parlé plus tôt. Durant les années 90, l'accroissement du volume des biens et des personnes passant par la frontière s'est fait exponentiel. Malheureusement, l'infrastructure à la frontière n'a pas suivi le mouvement. Nous avons des difficultés de ce point de vue.

Par ailleurs, il y a eu des problèmes comme le nombre insuffisant d'inspecteurs et le manque de technologie. Ces problèmes sont devenus plus aigus. Un autre organe gouvernemental ou un autre ministère serait-il en mesure de résoudre ce problème?

Il s'agit davantage de savoir quels investissements se feront pour que l'on puisse régler le problème. Quel genre d'entente faudra-t-il conclure avec les États-Unis pour régler les problèmes en question?

Ce sont les questions les plus pressantes; elles font l'objet de discussions. Il existe déjà des moyens que l'on peut adopter pour agir à cet égard, sans ajouter de structure. Nous devons simplement aller de l'avant.

Le sénateur Angus: Quelqu'un d'autre souhaite-t-il commenter la proposition en question, dans le contexte d'une solution originale?

M. Beatty: Permettez-moi de dire que toute forme d'intégration serait un progrès, par rapport à la situation actuelle. La nomination de John Manley au poste de président du Cabinet sur la sécurité est encourageante. Pour la première fois, le gouvernement agit avec cohérence, plutôt que de demander à des ministres ou à des directeurs d'organismes de faire la navette en Challenger entre Ottawa et Washington pour régler des questions à la pièce.

La nomination de Robert Fonberg au Bureau du Conseil privé, à titre de coordonnateur, est une bonne nouvelle. Le premier ministre souhaitera-t-il remanier son cabinet ou modifier l'appareil gouvernemental? Je lui laisse la décision. En principe, tout de même, il est essentiel pour nous d'opter pour l'intégration, car il n'y a pas de parallèle entre les organismes de part et d'autre de la frontière. Les fonctions de Douanes Canada ne sont pas les mêmes que celles du U.S. Customs Service.

Néanmoins, la douane américaine compose avec plus que sa part de difficultés de coordination, tout comme nous. Nous devons intégrer les tâches avec beaucoup plus d'efficacité.

Le sénateur Angus: Pour ce qui touche la frontière, peut-on conclure, pour ce qui est du parallèle dont vous parliez, que vous faites allusions au réseau routier ainsi qu'aux aéroports, aux ports maritimes et ainsi de suite?

M. Beatty: Nous devons étudier toutes ces structures. Dans certains cas, nous sommes plus avancés que dans d'autres. Dans le cas du prédédouanement aux aéroports, nous sommes plus avancés qu'aux points de passage terrestre.

Notre stratégie en ce qui concerne les ports maritimes et les cargaisons qui transitent par le Canada pour se diriger vers les États-Unis, c'est qu'il faudrait qu'un vaisseau puisse entrer au port de Halifax et y passer la douane canadienne aussi bien que la douane américaine, pour ne pas avoir à arrêter de nouveau à la frontière. Si nous adoptons la solution intégrée, nous pouvons accroître sensiblement nos échanges commerciaux tout en améliorant la sécurité.

Le sénateur Kroft: Les questions viendront compléter celles du sénateur Angus, dont je partage la vision des choses. Il a employé le terme «bizarre», mais est-il réaliste pour nous de voir là l'occasion d'accomplir des choses qu'il n'était pas possible de faire auparavant. Pour ce qui est de l'action gouvernementale, cela veut dire de décider de manière éclairée de consacrer des ressources plus grandes que celles qui auraient été affectées en situation ordinaire. Les exigences de la situation font que cela est possible sur le plan politique et nécessaire sur le plan administratif.

Sans politiser le débat, j'aimerais approfondir la question un peu. Nous avons parlé de la proposition de M. Clark, de l'existence du comité de M. Manley et d'autres questions du genre. J'aimerais savoir si, avec le travail quotidien que vous faites dans ces dossiers, vous croyez que le processus gouvernemental - le processus politique et administratif - permet bel et bien de s'attaquer au problème. Y a-t-il des obstacles au règlement du problème - des attitudes, des mentalités, des définitions ou des façons de voir?

En dernière analyse, nous devons déterminer les coûts de l'exercice et trouver des solutions. Toutefois, à long terme, le comité devrait-il être conscient des obstacles auxquels vous faites face? Y a-t-il une chose dont nous devrions être au fait, pour bien mettre en lumière les enjeux? Y a-t-il quelque chose qui fait obstacle au processus qui vise à cerner une solution?

M. Beatty: C'est nettement mieux que c'était tout juste avant le 11 septembre. Après le 11 septembre, les membres de la coalition se souciaient de ce que ce soit une série de mesures dissociées qui soient adoptées. Il n'y avait même pas de site Web du gouvernement du Canada, pour que les autorités puissent exposer, si elles avaient des discussions avec leurs homologues américains, ce que le Canada avait fait jusque-là. C'est plus intégré que ce l'était avant.

Notre coalition a rencontré le ministre Manley lundi, et nous croyons que le gouvernement et le secteur privé à la fois s'entendent assez bien sur les principes inhérents à la façon dont nous voulons procéder. Ma préoccupation est double. La première, c'est qu'il y a urgence d'agir. Je ne saurais trop insister sur ce fait: nous devons agir d'urgence. Il y a en ce moment cette possibilité: je crois que les Américains sont ouverts aux idées nouvelles. Nous devons prévoir qu'il y aura des actes terroristes aux États-Unis. Nous devons prévoir qu'il y aura d'autres actes terroristes aux États-Unis. La possibilité en question pourrait s'évanouir rapidement, si nous sommes témoins d'un autre incident terroriste. Il importe que le Canada soit là pour exiger que l'on fasse quelque chose, avec la proposition canadienne, et qu'il le fasse dès aujourd'hui et non pas dans plusieurs mois.

Deuxième préoccupation: cela doit se faire dans les plus hautes sphères possible. Je suis convaincu que si nous n'avons pas l'assentiment du premier ministre et du Président, l'inertie bureaucratique fera son oeuvre particulièrement si la guerre en Afghanistan va bien - l'intérêt que portent les gens à la question se dissipera. Cela n'arrivera que s'il y a la volonté politique d'aller de l'avant.

Le sénateur Kroft: La préoccupation dont je veux vous parler maintenant provient d'une observation formulée dans votre rapport, soit que l'action doit être de nature bilatérale. Il existe divers problèmes, divers avantages, diverses questions qui entrent en jeu en ce qui concerne la frontière mexicaine. Notre travail se complique-t-il du fait que les États-Unis doivent penser à cette autre frontière? Travaillons-nous vraiment de façon bilatérale?

M. Beatty: Oui, cela complique les choses. Au Congrès, on a l'impression qu'il doit y avoir une certaine symétrie entre les frontières au sud et au nord.

Il importe pour nous de bien faire valoir notre cause: la relation entre le Canada et les États-Unis est unique. C'est la plus importante relation commerciale qui soit dans le monde. Il importe pour nous de nous prononcer en faveur de la gestion du 49e parallèle et d'établir des normes. Si les Mexicains souhaitent aspirer à cette façon de faire, alors, tant mieux, nous pouvons mener des discussions trilatérales. Tout de même, nous ne devrions pas avoir à attendre que se règlent les questions mexico-américaines avant d'aller de l'avant.

Le sénateur Kroft: Est-ce que nous avons des problèmes à ce sujet en ce moment?

M. Beatty: Jusqu'à maintenant, l'administration américaine semble faire la distinction entre les deux et semble reconnaître que 25 p. 100 des exportations américaines sont destinées au Canada et que le Canada est le plus important partenaire commercial de 38 des 52 États. Nous devons conserver cette erre d'aller; nous devons éviter d'être pris dans des situations où ce sont les éléments les plus lents qui dictent le rythme des choses.

Le sénateur Setlakwe: Les modifications récentes de la Loi sur les douanes - le projet de loi S-23 en était l'incarnation - viennent d'entrer en vigueur. Les mesures adoptées suffisent-elles à la tâche, à la suite des événements du 11 septembre? Peut-on en faire plus en modifiant encore cette loi?

Les modifications sont arrivées à point nommé. Peut-on en faire plus?

M. Beatty: De notre point de vue, les modifications étaient nécessaires, mais pas suffisantes. Nous avons incité le Parlement à les adopter rapidement, et il était entendu qu'elles amélioreraient la situation, mais qu'elles ne constituaient pas la fin de l'exercice, qu'il nous fallait faire d'autres améliorations, des améliorations qui découleraient de la refonte des principes de gestion de la frontière dont nous avons parlé.

Par conséquent, les modifications représentaient une progression du dossier, sans en être le point final.

Le sénateur Setlakwe: Les modifications de la loi découlent-elles de ce qui s'est passé le 11 septembre ou encore découlent-elles du fait que l'on n'ait pas réussi à situer la question dans une perspective plus vaste?

M. Beatty: Les modifications proposées dans le projet de loi S-23 représentaient le maximum que le gouvernement pouvait se permettre à ce moment-là.

Nous avons maintenant l'occasion, pour revenir à une question soulevée par plusieurs de nos collègues, de régler des problèmes qui hantent les deux pays depuis des années. Pour faire cela, d'autres modifications s'imposent, pour que le système entier soit refait.

Les événements du 11 septembre, quel que soit le point de vue que l'on adopte, constituent une tragédie. La véritable question en jeu, pour nous, c'est de déterminer si ce sera une tragédie sur absolument toute la ligne, sans que rien de bon ne puisse en être tiré. Il s'agit de savoir si nous pouvons nous servir de la tragédie, en faire un catalyseur pour encourager l'audace, refaire le système, mettre en place quelque chose qui est supérieur à ce qui existait avant le 11 septembre. Nous conseillons vivement aux autorités de refaire le système, pour qu'il soit, au profit des deux pays, meilleur que ce qu'il y avait en place avant les tactiques des terroristes.

Le sénateur Mahovlich: L'idée de munir les gens d'une carte d'identité ou d'un laissez-passer pour qu'ils puissent passer à la frontière ou monter dans un avion est une excellente idée. C'est une question de confiance. Je serais rassuré si je savais que les sénateurs Gustafson et Fitzpatrick, par exemple, peuvent monter à bord d'un avion sans avoir à attendre ou à être traités comme des terroristes.

Au cours du dernier mois, j'ai dû attendre en file et j'ai eu l'impression qu'on me traitait comme un terroriste. Ce n'est qu'une observation.

Ma question porte sur le transport des marchandises. Il y a un tel nombre de camions qui circulent sur nos routes. Le gouvernement peut-il faire quelque chose pour encourager plus d'entreprises à faire transporter leurs marchandises par train? Cela permettrait de réduire le nombre de camions qui circulent sur nos routes.

M. Shea: Cet été, le comité d'examen de la Loi sur les transports au Canada a produit son rapport après avoir étudié les questions de ce genre pendant un an. Il a recommandé plusieurs modifications, notamment l'idée de l'établissement de prix et de la détermination de coûts pour l'infrastructure de la circulation des camions; si cela est fait correctement, cela aurait peut-être pour effet de faire augmenter les coûts du camionnage, ce qui ferait qu'il serait moins concurrentiel que le transport ferroviaire. Les forces du marché agissant ainsi, les expéditeurs pourraient alors choisir le mode de transport qui leur convient. Néanmoins, pour ce qui est du respect des délais, le camion est nettement supérieur au train.

Pour ce qui est de l'examen de la Loi sur les transports au Canada, le ministère des Transports est en train de mettre sur pied un comité qui sera chargé d'examiner le plan directeur échafaudé. Peut-être les membres du comité se pencheront-ils sur la question du transport ferroviaire par opposition au transport routier.

J'ai remarqué aussi que, la semaine prochaine, nous allons accueillir un représentant de l'Association des chemins de fer du Canada. Je suis sûr qu'il aura plusieurs idées intéressantes à proposer pour que le transport des marchandises par train soit accru.

Le président: Merci, messieurs. Nous apprécions votre présence.

J'aurais une demande à l'intention du Conference Board du Canada. Avez-vous fait des études qui nous aideraient à quantifier l'effet de ces retards sur l'économie canadienne?

Si vous connaissez un spécialiste canadien de la question que vous pourriez nous recommander pour que nous puissions comprendre les statistiques, nous vous en saurions gré.

Notre étude comporte de nombreux volets. Nous ne négligeons pas les questions que vous venez de mettre en lumière à notre intention en ce qui concerne les problèmes à la frontière et la manière de les régler. Ce que vous nous avez dit est intéressant, et nous l'apprécions, et cela se retrouvera dans notre rapport. Par contre, le rapport doit insister, à mon avis, sur les contrecoups économiques de l'affaire. Si vous êtes en mesure de nous éclairer à ce sujet, nous vous en saurions gré.

Merci d'être présents aujourd'hui, nous apprécions votre expertise.

La séance est levée.


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