Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 26 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 29 novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter M. David A. Dodge, septième gouverneur de la Banque du Canada. Il a été nommé le 1er février 2001, après une brillante carrière dans la fonction publique du Canada, et il occupait alors le poste de sous-ministre de la Santé. Auparavant, il avait été entre autres sous-ministre des Finances et représentant du Canada auprès du G-7. Cette expérience dans la fonction publique s'ajoute à un beau parcours universitaire comme agrégé de recherche à l'Université de la Colombie-Britannique et à l'Université Simon Fraser, professeur d'économie à l'Université Johns Hopkins et à l'Université Queen's, un établissement qui a donné plus d'un gouverneur à la banque centrale.
Je suis particulièrement heureux d'accueillir M. Dodge devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce en cette époque difficile pour le Canada. Depuis le 11 septembre, nous avons été témoins d'activités terroristes d'une ampleur sans précédent en sol nord-américain, une récession semble avoir débuté aux États-Unis, et l'Afghanistan est actuellement le théâtre d'une guerre. Les Canadiens sont très intéressés et se font du souci pour leur situation économique.
Le gouverneur de la Banque du Canada remplit entre autres le rôle crucial de défendre la devise du pays et de surveiller le pouls de notre économie. Notre comité, lui, a le mandat de demander, au nom des Canadiens, des réponses à la Banque du Canada au sujet de l'état de notre économie.
C'est dans cet esprit que nous avons invité le gouverneur et ses adjoints ici, pour nous aider au nom de tous les Canadiens à réfléchir sur les progrès de l'économie canadienne et à évaluer nos options.
Je vous invite donc sans plus tarder, monsieur le gouverneur, à nous faire part de vos remarques préliminaires. Nous passerons ensuite aux nombreuses questions que les sénateurs vous réservent.
M. David A. Dodge, gouverneur, Banque du Canada: Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est avec grand plaisir que je me présente aujourd'hui devant vous lancer, je l'espère, une tradition de rencontres semestrielles avec le comité. Je suis accompagné aujourd'hui par M. Knight. Ensemble, nous ferons tout en notre pouvoir pour répondre à vos questions.
J'ai pensé qu'il serait utile de commencer par un bref exposé qui, je l'espère, vous permettra de bien comprendre ce que fait la banque pour établir la politique monétaire. Je vous demande votre indulgence, car il me faudra une douzaine de minutes. J'aimerais ensuite utiliser l'information ainsi communiquée comme base de la discussion.
[Français]
La banque a pour mission de promouvoir le bien-être économique des Canadiens. Cela signifie que nous devons mener une politique monétaire qui favorise une croissance économique forte et durable.
Comme je vous le disais en mars dernier, la contribution particulière que la politique monétaire peut apporter à la bonne tenue de l'économie est de préserver la confiance dans la valeur future de la monnaie. Lorsque les gens peuvent compter sur leur banque centrale pour maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible, ils peuvent prendre de meilleures décisions économiques.
La banque cherche à maintenir l'inflation à un niveau faible. Pour se guider, elle se fonde sur une cible d'inflation explicite soutenue par un taux de change flottant. La cible a été renouvelée en mai dernier pour une période de cinq ans. Actuellement, la cible moyenne est de 2 p. 100 soit le point médian d'une fourchette de 1 à 3 p. 100.
Je dis à moyen terme parce qu'il faut un certain temps, de 18 à 24 mois, pour que les effets de la politique monétaire se fassent pleinement sentir sur l'économie et sur l'inflation.
Lorsque la banque formule la politique monétaire, elle doit essayer de déterminer l'évolution future de l'économique et d'évaluer quand et comment, les mesures qu'elle prend aujourd'hui vont agir.
Depuis son adoption en 1991, la cible de l'inflation s'est avérée très efficace pour garder l'inflation à un niveau bas et ancrer les attentes d'inflation. Elle a aussi fourni à la banque un mécanisme utile pour estimer et gérer les futures pressions inflationnistes et ainsi favoriser une plus grande stabilité.
Permettez-moi d'expliquer comment les cibles d'inflation guident la formulation de la politique monétaire et aident la banque à stabiliser l'économie.
En tout temps, il existe un certain niveau de production que l'économie peut soutenir sans créer de pressions à la hausse ou à la baisse sur l'inflation. C'est ce que les économistes appellent la «production potentielle» ou «capacité de production» de l'économie. Le niveau de la production potentielle augmente à mesure que la main-d'oeuvre grossit, que les entreprises accroissent leurs investissements dans les nouvelles technologies, les machines et le matériel, que les politiques publiques contribuent à assouplir les marchés des biens et du travail et que nous devenons tous plus productifs.
La production potentielle n'est pas facile à mesurer avec précision car elle dépend de nombreux facteurs. En analysant les tendances de ces facteurs, on peut toutefois avancer une estimation grossière. L'approche que nous avons adoptée pour la maîtrise de l'inflation se révèle particulièrement utile quand vient le moment de mesurer la production potentielle. Elle nous aide à ne pas faire d'erreurs systématiques de nos calculs à ce sujet.
Par exemple, si l'inflation observée était constamment inférieure à ce que nous avons prévu, cela pourrait fort bien signifier que la production potentielle est supérieure en réalité à nos estimations. Le contraire s'applique aussi.
[Traduction]
La banque estime que la production potentielle pourrait augmenter d'environ trois pour cent par année à moyen terme. C'est ce que montre le graphique 1. Vous voyez que la ligne est large. De fait, nous aurions dû tracer des intervalles de confiance, car nous ne pouvons pas faire d'estimations précises. Notre science n'est pas une science exacte. Toutefois, nous pouvons faire le point, et vous voyez ici de quelle façon cela fonctionne.
Pour ce qui est de l'établissement de la politique monétaire, lorsque l'économie semble vouloir tourner à un rythme supérieur à son potentiel ou lorsqu'elle dépasse son potentiel, les pressions inflationnistes s'accentuent. Dans ces circonstances, nous resserrons la politique monétaire, par contre, si notre économie n'atteint pas son potentiel ou risque de ne pas l'atteindre, des pressions s'exercent à la baisse sur l'inflation. C'est au cours de ces périodes que nous essayons d'assouplir la politique monétaire. Voilà donc, en gros, l'objectif et la façon dont le système fonctionne.
Ce que vous pouvez constater, c'est que le contrôle de l'inflation est un mécanisme symétrique. Il permet à la banque de prendre des mesures stratégiques pour prévenir la surchauffe lorsque l'économie est vigoureuse et que la production atteint ses capacités maximales mais pour favoriser la croissance lorsque la demande fléchit.
Il est utile de chercher à rapprocher cette théorie, si vous voulez l'appeler ainsi, de la pratique récente. Je passe maintenant au graphique 2.
Reportons-nous à l'automne 1998, quand l'économie canadienne tournait en dessous de son potentiel. Pendant cette période, qui correspond à la bande de couleur bleu, nous cherchions à assouplir la politique monétaire pour veiller à ce que notre économie se rapproche de sa capacité de production. De fait, vous pouvez constater que l'économie a réagi assez vigoureusement aux mesures que nous avons adoptées en 1998 et pendant la première partie de 2000. Toutefois, lorsque nous sommes parvenus à ce niveau, il est devenu évident que nous allions dépasser la marque et qu'il y aurait des pressions à la hausse sur l'inflation. Nous avons donc commencé à resserrer la politique monétaire au cours de la période pour essayer de maintenir la croissance du PIB à peu près en harmonie avec le potentiel de l'économie et éviter les pressions inflationnistes.
Mais en raison de la forte demande étrangère au cours de cette période, notre économie a fonctionné pendant quelque temps, au début et au milieu de 2000, très au-dessus de son potentiel. Nous commencions même à déceler des pressions inflationnistes dans l'économie. Toutefois, parce que la politique monétaire agit avec un certain retard, lorsque nous sommes entrés dans la deuxième moitié de 2000 ces pressions ont commencé à se dissiper. Elles se sont dissipées plus rapidement que nous ne nous y attendions, dans une large mesure en raison de la baisse de l'investissement dans les secteurs des télécommunications et de l'information à l'étranger. Lorsque cette évolution est devenue évidente, au début de 2001, c'est-à-dire lorsque le PIB a commencé à fléchir relativement à son potentiel, nous avons commencé à relâcher la politique monétaire. Nous l'avons fait à l'occasion de notre première annonce régulière de cette année.
Les informations disponibles au cours au premier semestre de l'année confirmaient généralement nos prévisions. Au milieu de l'été, cependant, il est devenu de plus en plus évident que la relance des investissements aux États-Unis, une évolution attendue en raison de l'assouplissement de la politique américaine, serait retardée, et que le ralentissement dans notre pays serait plus marqué et plus long que prévu.
En outre, à l'extérieur de l'Amérique du Nord, l'activité avait aussi commencé à montrer plus clairement les effets de l'essoufflement de la croissance aux États-Unis et du repli de l'activité à l'échelle mondiale dans les secteurs de l'information et des télécommunications. Ici, pour la première fois, nous avons relevé pendant l'été les signes d'un fléchissement de la demande intérieure, qui était restée soutenue pendant la première partie de la période, et des indices que la correction des stocks n'était pas aussi avancée qu'on ne l'avait prévu.
Nous avons donc revu à la baisse nos projections de la croissance. Nous constations que l'économie tournerait bien en deçà de sa capacité, et c'est la raison pour laquelle nous avons de nouveau réduit les taux d'intérêt à la fin d'août.
Comme l'a mentionné le président, c'est à ce moment qu'ont été perpétrés les actes de terrorisme aux États-Unis, avec les répercussions qu'ils ont eues à l'échelle internationale. Cela a beaucoup ajouté à l'incertitude entourant l'évolution de l'économie mondiale et assombri encore davantage les perspectives de croissance.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je n'ai pas besoin de vous dire à quel point il est difficile d'évaluer l'effet économique de ces perturbations, qui semblent avoir eu une incidence psychologique sensible sur les ménages et les entreprises en Amérique du Nord. Cependant, comme je l'ai dit, la politique monétaire étant tournée vers l'avenir, nous n'avons d'autre choix que de fournir des estimations au mieux de nos capacités.
Pour ce qui est de 2002, le moment et l'ampleur de la reprise dépendront essentiellement de deux facteurs: la conjoncture géopolitique et la rapidité avec laquelle la confiance reviendra à un niveau normal.
Comme nous l'avons souligné dans notre livraison de novembre du rapport sur la politique monétaire, deux scénarios sont envisageables. Vous les voyez illustrés par des pointillés ici, dans le graphique 3. Le premier est un scénario optimiste prévoyant qu'il n'y aura pas d'autres perturbations géopolitiques et que la confiance des consommateurs et des entreprises se rétablira très rapidement. Le second envisage un univers géopolitique instable, où la confiance des consommateurs et des entreprises demeurera fragile.
Dans le premier scénario, vous constatez que nous revenons relativement rapidement à la réalisation du potentiel du PIB, mais pas en 2002; un écart restera perceptible toute l'année. Dans le scénario pessimiste, il faudra attendre que 2003 soit bien avancée, sinon 2004, avant que l'économie se remette à tourner à la limite de sa capacité.
[Français]
Comment la banque a-t-elle réagi à cette situation? Afin de raffermir la confiance face à la très grande incertitude engendrée par les actes terroristes, elle est intervenue de façon exceptionnelle le 17 septembre, en dehors de son calendrier normal d'annonces, pour abaisser son taux directeur d'un demi-point de pourcentage.
Elle s'est aussi empressée de réduire à nouveau son taux directeur de trois quarts de point, le 23 octobre, et d'un demi-point le 27 novembre.
La réduction du taux directeur opérée depuis le début de l'année totalise maintenant 3,5 points de pourcentage, dont plus de la moitié - deux points de pourcentage - est survenue depuis la fin d'août. Compte tenu de la solidité des bases de notre économie, cet assouplissement monétaire considérable devrait favoriser la reprise d'une saine croissance de la production, des investissements et de l'emploi.
Vu l'incertitude ambiante, il est encore trop tôt pour se prononcer avec certitude sur les perspectives de l'économie. Toutefois, des signes indiquent que la situation géopolitique est moins instable et que les ménages et les entreprises commencent à s'adapter à la nouvelle conjoncture - un peu moins stable avec les références de la dernière date, le 23 octobre, quand nous avons baissé les taux d'intérêt. Cela donne à penser que le scénario plus optimiste de la banque a un peu plus de chance de se réaliser aujourd'hui qu'il y a un mois.
[Traduction]
Pour terminer, je dirai que j'ai énormément simplifié la façon dont la banque s'y prend pour juger de la tenue de l'économie par rapport à son potentiel. Je n'ai pas non plus mentionné tous les facteurs susceptibles d'influer sur la croissance de la production potentielle ou la trajectoire future de l'inflation. Je vous ai toutefois exposé les principaux éléments de l'approche fondée sur les cibles d'inflation que la banque utilise pour promouvoir la bonne tenue de l'économie.
Monsieur le président, j'ai beaucoup insisté aujourd'hui, tout à fait à propos, sur l'utilité possible de la politique monétaire pour une expansion économique soutenue.
Finalement, je tiens à souligner que même si un taux d'inflation faible est indispensable, il n'est pas en soi suffisant. D'autres politiques, macroéconomiques et microéconomiques, doivent continuer de viser la croissance de la productivité et de la capacité de production à moyen terme. Cet objectif est d'une importance fondamentale si nous voulons parvenir à une croissance économique continue et relever à la longue notre niveau de vie. En cette époque d'incertitude, nous ne devons pas perdre de vue cet objectif même si nous éprouvons des difficultés temporaires.
Mesdames et messieurs les sénateurs, M. Knight et moi-même répondrons avec plaisir à vos questions et nous apporterons les précisions qui s'imposent.
Le président: Avant de passer aux questions, je m'en voudrais de ne pas souhaiter la bienvenue à M. Knight. Nous sommes heureux que vous soyez parmi nous, monsieur.
Le sénateur Angus: Nous nous réjouissons tous à l'idée de ces visites semestrielles que vous venez de promettre au comité. Il est important pour tous les Canadiens que nous ayons ces occasions de dialoguer avec vous.
J'aimerais commencer ce matin en faisant porter mes questions sur ce qui me paraît être un aspect qui préoccupe fort tous les Canadiens et, de fait, qui vous préoccupe aussi, si j'en crois ce que je lis dans les journaux. Je veux parler du niveau actuellement très bas du dollar canadien relativement non seulement à la devise américaine mais aussi à d'autres devises dans les circuits commerciaux que fréquente le Canada.
Avant de vous poser des questions spécifiques au sujet du dollar, toutefois, permettez-moi d'énoncer deux ou trois hypothèses qui transparaîtront dans mes questions et que je vous demande de commenter.
Ma première hypothèse est que selon vous nous traversons effectivement une période de perturbation à court terme caractérisée par une immense incertitude. Je fonde cette hypothèse sur vos remarques de ce matin et sur ce que vous avez dit précédemment au cours du mois devant le comité des Finances de la Chambre des communes ainsi qu'à l'occasion d'autres déclarations publiques que vous avez faites.
Je suppose aussi que les perspectives à long terme vous semblent prometteuses. Je crois comprendre en effet que vous considérez que les fondements de l'économie canadienne sont très sains et que ces fondements, appuyés par ce que vous appelez des stabilisateurs automatiques, favoriseront la reprise dans des délais relativement brefs, même si, comme vous l'avez dit ce matin, vous ne pouvez rien prédire avec exactitude.
Troisièmement, même si vous refusez de dire quoi que ce soit qui puisse être interprété de façon à miner la confiance des entreprises et des consommateurs au Canada, vous allez nous dire la vérité parce que, après tout, nous sommes ici pour vous faire dire ce que vous et la banque percevez comme l'état réel de l'économie canadienne.
Finalement, je suppose que vous croyez que la politique monétaire mise en oeuvre depuis une décennie sinon plus est saine - c'est-à-dire que vous continuez à essayer de maintenir l'inflation au niveau des deux pour cent et que vous êtes fermement convaincu que le meilleur remède aux maux de notre dollar est un taux de change souple et flottant.
Pourriez-vous commenter ces hypothèses, s'il vous plaît?
M. Dodge: Je crois que vous avez très bien saisi, monsieur le sénateur.
Le sénateur Angus: Je vais donc poursuivre.
Comme je l'ai laissé entendre précédemment, les Canadiens sont très inquiets du dollar. Ils ont constaté un déclin de six pour cent en une seule année, relativement au dollar américain. Ce sont surtout ceux qui effectuent des déplacements aux États-Unis ou qui achètent des biens ou des services aux États-Unis qui ont remarqué un déclin de leur pouvoir d'achat, une érosion de leur valeur nette, essentiellement une réduction de leur niveau de vie, et cela est profondément inquiétant.
Qu'est-il arrivé au dollar canadien? Pourquoi est-il si faible et qu'est-ce que vous faites à ce sujet? Vous avez indiqué ce matin qu'une réduction du taux d'intérêt n'était pas le seul moyen de contrer le fléchissement actuel - si je peux utiliser ce mot - et que d'autres facteurs devaient entrer en compte.
Les Canadiens veulent savoir pourquoi le dollar est si faible. Je fais écho à cette question et j'aimerais que vous élaboriez un peu. C'est la question que tout le monde se pose.
M. Dodge: Vous avez dit que les Canadiens se ressentaient d'une diminution de leur pouvoir d'achat. Il est vrai qu'avec un taux d'inflation de deux pour cent, le dollar de cette année permettra d'acheter pour 98 cents de biens l'an prochain, et ainsi de suite. Depuis le début de la décennie, toutefois, malgré les taux d'inflation plutôt élevés que nous avons connus en 1991, le panier à provisions des Canadiens, qui comprend des produits importés, des voyages à l'étranger et des services étrangers, a subi un taux d'inflation moyen à peine supérieur à deux pour cent. Les Américains, par contre, ont vu le pouvoir d'achat de leur dollar, relativement à la gamme des biens qu'ils consomment, décliner de trois pour cent par année.
Il est donc faux de dire que le pouvoir d'achat du dollar canadien pour les biens et services que nous consommons, y compris les biens et services importés et les déplacements à l'étranger, a diminué. De fait, le Canada accuse une des meilleures tenues à cet égard.
Le sénateur Angus: Excusez-moi. Je ne veux pas faire dévier votre propos, mais nous ne sommes évidemment pas d'accord, vous et moi. Vous avez indiqué que ce que j'ai dit n'était pas tout à fait vrai. Je vous invite à aller passer deux ou trois semaines aux États-Unis pour constater ce qu'il en est du pouvoir d'achat du dollar canadien.
M. Dodge: Sénateur, je ne nie pas que le prix des services de voyage, qui font partie du panier dont je parle, a augmenté très rapidement, mais le marché vous signifie très clairement que si vous voulez vous visiter des pays chauds pendant l'hiver, il vaut mieux aller ailleurs qu'aux États-Unis. Allez en France, au Japon ou en Australie, où le pouvoir d'achat du dollar canadien n'a cessé d'augmenter au cours de la décennie.
Il est certes vrai que le bien de consommation particulier que vous avez mentionné est plus cher aujourd'hui qu'il ne l'était en 1991. C'est en partie parce que les prix aux États-Unis ont augmenté plus que les prix au Canada et en partie en raison de la valeur du dollar canadien exprimée en dollars américains, qui a diminué.
Pour ce qui est des cinq autres grandes devises, pour la même période, nous avons perdu environ cinq pour cent en dix ans - une situation tout à fait différente de notre situation relativement au dollar américain. Autrement dit, le dollar américain s'est énormément apprécié relativement à toutes les autres grandes devises du monde dans les années 90 et en particulier depuis le milieu des années 90.
Le sénateur Angus: Est-ce que vous admettez que la population s'inquiète? Est-ce que vous vous inquiétez du niveau où le dollar canadien est tombé? Il y a deux semaines, il n'était plus qu'à 62 cents, du jamais vu. Vous semblez dire que cette situation n'est pas très grave. C'est la première question que les Canadiens me posent partout où je vais. Je leur dis qu'en période de ralentissement économique, les investisseurs se réfugient dans la vigueur et la sécurité de la devise américaine. On me demande ce que cela signifie, et je cite vos réponses, mais je ne peux pas obtenir de définition claire de ce concept. Vous pourriez peut-être m'en fournir une dans votre réponse.
M. Dodge: Certaines devises sont des refuges. L'or, le franc suisse et le dollar américain ont généralement été considérés comme des devises refuges pour les flux de capitaux à court terme.
Vous avez posé une question élémentaire: pourquoi la devise américaine s'est-elle appréciée pendant cette période relativement à presque toutes les autres devises. Essentiellement, les États-Unis ont monopolisé les fonds pendant toute la période. Ils ont attiré les capitaux du reste du monde, y compris ceux du Canada. Pendant toutes les années 90, ils ont accumulé une dette étrangère extraordinaire. Tôt ou tard, ils vont devoir commencer à la rembourser. Quand vous attirez les capitaux, c'est-à-dire quand vous empruntez de l'étranger et que vous utilisez les économies de l'étranger, vous exercez une pression à la hausse sur votre devise. Peu importe que nous parlions des États-Unis dans les années 90, du Canada dans les années 70, du Mexique ou de la France aujourd'hui, du Japon dans les années 70 et 80. C'est le compte capital qui est concerné, et il fonctionne généralement ainsi.
Le sénateur Angus: À votre avis, est-ce que notre dollar continuera de perdre du terrain face à la devise américaine? On me dit que les États-Unis sont en récession, et que vous n'aimez pas utiliser ce mot en «r» pour le Canada. Nous pouvons tirer nos propres conclusions, si vous ne voulez pas utiliser ce terme. J'ai lu vos documents, monsieur le gouverneur, et j'ai le sentiment que vous vous attendez à voir le dollar passer sous la barre des 50 cents.
M. Dodge: Je ne ferai aucun commentaire, et vous ne vous attendez pas à ce que je me prononce sur une valeur quelconque. Il y a trois facteurs fondamentaux en jeu ici. Premièrement, comme je l'ai dit, les États-Unis empruntent dans le reste du monde à un rythme effréné. Lorsque les États-Unis cesseront ce petit jeu, et ils devront le faire tôt ou tard, il pourrait y avoir, comme je l'ai dit auparavant, une énorme correction de la valeur du dollar américain. Il faut seulement espérer que cela se fasse de façon ordonnée.
Deuxièmement, le Canada s'est appliqué à effacer sa dette étrangère nette. Il y a cinq ans, notre dette étrangère nette correspondait à 35 p. 100 du PIB. Aujourd'hui, nous ne sommes plus qu'à environ 20 p. 100. Nous sommes vraiment en bonne position pour entamer la prochaine décennie du siècle, quand une plus faible proportion de Canadiens feront partie de la main-d'oeuvre active.
Pendant que cette correction était effectuée, le prix de la devise a dû subir l'effet contraire de ce qui se passe aux États-Unis. C'est le deuxième aspect.
Troisièmement, si vous examinez la balance de notre compte courant, c'est-à-dire les échanges de biens et de services, vous constaterez que si nos exportations en tous genres ont augmenté de façon radicale au cours des années 90, suite à la libéralisation des échanges et à l'ALÉNA, en parallèle, il demeure vrai que le solde net pour les produits primaires est toujours ce qui contribue vraiment le plus au surplus net des paiements.
Il est vrai que lorsqu'on regarde le Canada, que l'on soit Canadien ou non-Canadien, c'est ce que l'on voit. On voit le prix des produits primaires, qui est pour l'instant anormalement faible, en partie en raison de la faible demande mondiale et en partie parce que les États-Unis ont pris des mesures pour bloquer notre bois-d'oeuvre, un produit très concurrentiel en raison de l'extraordinaire efficacité de nos producteurs. Ces observateurs affirment que parce que les prix et la demande mondiale des marchandises sont faibles, les perspectives du compte courant ne sont peut-être pas très bonnes. Depuis environ huit mois, cet état de choses exerce certaines pressions supplémentaires vers le bas.
Tournons-nous maintenant vers l'avenir, revenons ici, parlons d'un monde où le contraire, très précisément, va se produire. Les pressions s'exerceront essentiellement dans la direction opposée. Je ne suis qu'un simple économiste, monsieur le sénateur, et je ne peux vraiment pas vous dire exactement quand cela va se produire.
Le sénateur Kroft: Je n'ai que deux questions à poser. Premièrement, je veux préciser ma position.
Mes préoccupations se rapportent surtout à la souveraineté économique, à l'indépendance, choisissez le terme que vous préférez. Les deux indicateurs qui m'intéressent dans ce domaine sont la valeur de notre devis et la valeur de nos actifs ou de nos ressources.
Prenez le Japon, par exemple, et ce qui semble être un ensemble de faits reconnus au sujet des préoccupations du Japon, ainsi que l'opinion généralement acceptée qu'une dévaluation de la devise japonaise pourrait bien être la seule solution au problème de ce pays. Beaucoup considèrent qu'une telle mesure déclencherait une dévaluation compétitive dans une très grande partie du monde, y compris en Chine, malgré la tenue exceptionnelle de l'économie de ce pays. Cela exercerait des pressions sur le système. Ajoutez-y le déficit de la balance des paiements aux États-Unis. Voici donc ma question sur l'indépendance de notre devise: si le dollar américain s'effondre, et est peut-être la cible d'énormes pressions, est-ce que notre devise serait alors considérée comme une devise nord-américaine et alignée sur la monnaie américaine?
Au contraire, compte tenu des autres facteurs dont vous avez parlé, est-ce que nous avons dans une certaine mesure la capacité de maintenir l'indépendance de notre devise? Ne serions-nous pas simplement entraînés dans la tourmente par la devise américaine? Et notez bien que je ne vous demande pas de nous fournir des chiffres précis ni de faire des prévisions.
La deuxième partie de ma question est également liée à la valeur du dollar et à son rapport à nos ressources, un mécanisme tout récemment déclenché par les forces géopolitiques qui accordent une très grande importance à la sécurité de l'approvisionnement en ressources sur le plan politique, en particulier les ressources énergétiques. Vu la faiblesse de notre dollar face au dollar américain et les impératifs politiques qui interviennent, les ressources canadiennes exercent de plus en plus d'attrait et les étrangers, en particulier les Américains, sont de plus en plus en mesure d'acheter ces ressources à un prix très intéressant. Ce qu'on ne voit pas, c'est la difficulté pour les Canadiens d'acheter aux États-Unis au même taux, parce que le dollar évolue à l'inverse.
Je vous demande d'indiquer votre niveau de confiance relativement à notre souveraineté et à notre indépendance économiques, en réponse aux deux questions que j'ai soulevées.
M. Dodge: Ce sont là d'excellentes questions, monsieur le sénateur. J'espère qu'à nous deux nous réussirons à vous fournir quelques réponses.
John Donne a affirmé que l'homme ne peut pas être une île. C'est tout à fait vrai en ce XXIe siècle, aucun pays n'est une île. Très concrètement, la mondialisation se traduit par un accroissement de l'interdépendance. C'est particulièrement vrai dans le cas des petits pays, mais cela vaut aussi pour les grands.
L'expression «souveraineté économique» me pose quelques difficultés parce que la multiplication de la richesse que nous avons connue au cours des 40 dernières années a, dans une large mesure, été alimentée par le fait que notre économie, qui était relativement fermée, est devenue très ouverte. Ce faisant, bien sûr, nous avons dû renoncer à une partie de notre souveraineté économique, et cela est parfaitement logique en raison des avantages très réels qu'offrent les échanges.
Chaque pays, y compris les États-Unis, est en ce sens considérablement moins indépendant qu'il ne l'était il y a 40 ans. Honnêtement, c'est une évolution positive pour notre niveau de vie et pour la richesse et le bien-être des Canadiens.
Dans le monde où nous vivons, aucun pays n'est entièrement libre de définir sa politique. Bien sûr, vous pouvez comme l'Albanie ériger toutes sortes d'obstacles et choisir la pauvreté absolue. Cependant, aucun pays n'est totalement indépendant. De fait, nous sommes tous des compétiteurs, très concrètement, nous sommes en concurrence les uns avec les autres et nous devons suivre des politiques qui préservent notre compétitivité. Nous ne venons peut-être pas en tête pour ce qui est de politiques qui favorisent notre compétitivité, mais nous sommes quand même parmi les premiers au monde à cet égard.
Cela signifie aussi qu'il y a de très importants flux de capitaux, non seulement de produits mais aussi de capitaux. De fait, au cours des trois dernières années, si vous regardez les chiffres vous constaterez que les Canadiens ont effectué des investissements directs à l'étranger à des niveaux records, à peu près au même taux que les étrangers sont venus acheter des actifs canadiens sous forme d'investissements directs.
Nous constatons aussi, bien sûr, et cela nous ramène à la question posée par le sénateur Angus, que les Canadiens diversifient leurs portefeuilles. Ils se sont mis à acquérir, pour leur portefeuille, plus d'actifs étrangers que les étrangers n'achètent d'actifs au Canada. Par conséquent, dans le compte capital, ce n'est pas l'investissement direct qui subit les répercussions, c'est le portefeuille.
C'est la raison qui pousse les entreprises canadiennes à acheter, à investir directement dans les pays étrangers et celle qui pousse les sociétés étrangères à investir ici. En effet, elles voient une façon de renforcer l'entreprise et de la diversifier, et l'on fait ce type d'investissements là où l'on croit pouvoir obtenir un bon rendement. Les Canadiens ont investi à l'étranger dans des secteurs qui leur paraissent prometteurs; les étrangers ont fait de même ici dans les secteurs qui leur semblaient prometteurs.
Le rendement de l'investissement est ce qui régit véritablement les prix - et il importe peu que l'investissement soit fait en euros, en livres sterling, en dollars américains, en reals brésiliens ou en dollars canadiens. Nous avons bien vu que dans certains secteurs les étrangers considèrent les investissements canadiens comme d'excellentes aubaines; dans d'autres, ce sont les Canadiens qui voient dans les investissements étrangers d'excellentes aubaines. C'est ce qui se passe dans un monde interdépendant.
Dans ce monde interdépendant, nous avons tous le même degré de contrôle absolu. C'est une vérité incontestable.
Pendant des années, M. Knight a observé ce phénomène lorsqu'il siégeait au FMI et surveillait l'économie dans le monde entier. J'aimerais glisser un mot au sujet du Japon. Le principal problème, au Japon, n'est pas d'ordre macroéconomique. Il est structurel. Depuis 11 ans, cela est évident. Depuis 11 ans, la société japonaise, dans son système politique, refuse d'admettre cette réalité. Tant que des réformes structurelles ne seront pas commencées, le volet macroéconomique ne pourra rien produire. Nous espérons certainement que cela se fera, car le Japon est un partenaire commercial très important et il contribue, dans une large mesure, à l'économie de certaines régions de notre pays, notamment celle de la Colombie-Britannique.
M. Malcolm Knight, premier sous-gouverneur, Banque du Canada: Pour ce qui est de votre première question, au sujet de l'indépendance économique, notre économie est, comme l'a dit le gouverneur, intégrée à l'économie mondiale pour ce qui est de la production et de la consommation. Évidemment, comme les États-Unis sont notre plus proche voisin, notre économie est très intégrée à l'économie américaine. Quoi qu'il en soit, nous croyons qu'il est important pour nous d'appliquer une politique d'indépendance, c'est-à-dire un régime où nous ciblons une inflation faible et stable et adoptons un taux de change flottant. Nous avons fait l'essai du taux de change fixe entre 1962 et mai 1970. Cette période de taux de change fixe a pris fin parce que l'inflation augmentait plus rapidement aux États-Unis que nous ne le souhaitions. Cette inflation créait de très importants flux de capitaux dans notre économie, un phénomène impossible à contrôler en régime de taux de change fixe. C'est alors que nous avons décidé de laisser fluctuer le taux de change.
Je sais que c'est de l'histoire ancienne, mais il est très intéressant de constater qu'à cette époque, le dollar canadien a pris beaucoup de valeur par rapport au dollar américain. Nous sommes maintenant dans une situation bien différente. Aujourd'hui, comme l'a dit le gouverneur, le dollar américain est très fort par rapport à toutes les autres devises. Si nous faisions une moyenne pondérée des devises des pays avec lesquels nous commerçons, à l'exception du dollar américain, nous constaterions que le dollar canadien s'est apprécié considérablement relativement à ces devises depuis 1998.
Même si notre taux de change a augmenté face aux pays qui nous font concurrence, nous avons maintenu notre part du marché aux États-Unis, notre principal débouché commercial. C'est une performance remarquable. Elle s'explique du fait que les entreprises canadiennes se sont restructurées et ont considérablement amélioré leur rentabilité au cours des dix dernières années, sous l'influence de l'ALE et de la zone de libre-échange nord-américaine.
Même si notre économie est intégrée à l'économie mondiale, si nous voulons maintenir un taux d'inflation faible et stable et si nous avons une structure de production différente de celle de nos partenaires commerciaux de telle sorte que nous ressentirons différemment les chocs économiques, alors il importe que nous ayons un taux de change flottant. Je ne dis pas qu'à notre avis le taux de change soit sans importance. Nous le gardons toujours à l'oeil. C'est un indicateur sensible de ce qui se passe. Malgré notre très forte intégration avec nos voisins sur les plans de la production et de la consommation, il importe que nous conservions un taux de change flottant.
Pour ce qui est de votre deuxième question, au sujet de l'énergie. Je ne suis pas un spécialiste de l'énergie. Compte tenu des niveaux d'activité actuels, les prix de l'énergie ont fléchi considérablement ces derniers mois. Je crois donc, personnellement, que les facteurs géopolitiques indiquent de bonnes perspectives à plus long terme dans le secteur énergétique canadien, pour les raisons que vous avez mentionnées.
Le sénateur Oliver: Monsieur le gouverneur, mes questions se rapportent toutes à la confiance des consommateurs. J'ai lu une brochure que la banque a publiée, le «Rapport sur la politique monétaire» de novembre 2000. Vous y avez fait allusion aujourd'hui dans votre déclaration préliminaire. À la page 11, le graphique 6 illustre la confiance des consommateurs.
Les auteurs du rapport mentionnent entre autres trois facteurs principaux qui expliquent vraiment l'état actuel de l'économie. Il s'agit de la diminution des exportations, dont vous avez déjà parlé, de la faible demande des ménages, et des compressions des dépenses d'immobilisation. Nos entreprises ne prennent tout simplement pas d'expansion, elles ne s'agrandissent et elles ne dépensent pas de capitaux comme par le passé, ce qui contribue au ralentissement de l'économie. Vous avez aussi affirmé que la croissance des dépenses des ménages faiblissait suite à l'érosion de la confiance des consommateurs.
Si l'on examine les graphiques que vous nous avez montrés, vous dites vous attendre à une croissance de 1,5 à deux pour cent pour la prochaine année, et la confiance des consommateurs est un facteur clé de cette croissance. Nous aimerions entendre vos prévisions, sur une base semestrielle, pour ce qui est de la politique monétaire. Cependant, notre domaine d'intervention est vraiment celui de la politique publique.
Compte tenu de la confiance des consommateurs aujourd'hui, et en raison de son rôle dans le déclin de l'économie canadienne, quels sont les aspects de la politique publique qu'à votre avis, nous, les membres du Comité sénatorial des banques, devons examiner pour relever la confiance des consommateurs puisque cette confiance, si elle s'affermit, accélérera la reprise?
M. Dodge: C'est une question extraordinairement difficile, monsieur le sénateur, une excellente question. L'une des raisons pour lesquelles nous avons été aussi énergiques cet automne pour réduire les taux d'intérêt, c'est que nous voulions aider les ménages à garder leur confiance. Chaque fois que les taux hypothécaires et le taux préférentiel diminuaient, les consommateurs avaient moins peur d'être écrasés par les paiements d'intérêt. Dans notre propre domaine de politique, nous avons fait ce qui convenait pour l'économie, mais cela convenait aussi de façon encore plus marquée pour les consommateurs, tout comme ce qu'a fait la Federal Reserve Board aux États-Unis.
Cela dit, la secousse psychologique déclenchée par les événements du 11 septembre est évidemment plus forte chez nos voisins du Sud qu'ici. Quoi qu'il en soit, elle s'est aussi fait sentir ici. Les premiers chiffres sur les ventes au détail montrent qu'en septembre, les ventes ont beaucoup souffert. Cependant, nous constatons aussi qu'elles ont repris dans la même proportion en octobre. Dans notre pays, ce mois-ci, les ventes au détail semblent raisonnables. Elles ne sont pas extraordinaires, mais elles ne sont pas non plus catastrophiques.
La situation est quelque peu différente dans l'industrie du tourisme. Les voyages sont encore en perte de popularité. Il est clair que les Canadiens ont moins peur de prendre l'avion que les autres parce que le transport aérien canadien à l'étranger a connu une diminution beaucoup moins marquée que les transporteurs aériens américains et ceux d'autres pays.
Tout ce que je peux dire, c'est que certains indices, depuis quatre ou cinq semaines, permettent de croire que la secousse psychologique n'a pas été aussi forte au Canada. Aux États-Unis, les ventes de l'Action de grâce, un indicateur toujours important, avaient baissé mais pas de façon spectaculaire.
Il se pourrait fort bien que les choses n'aillent pas aussi mal qu'on le dit, même si cela reste à déterminer.
Il est essentiel que le gouvernement continue de mettre l'accent sur ce qui aidera les citoyens et la productivité, à long terme. Il faut redonner confiance à la population, indiquer qu'à la longue de nouvelles occasions très valables se présenteront, c'est probablement ce que l'on peut faire de mieux pour les ménages.
Le sénateur Oliver: Ce sont des attentes.
M. Dodge: Les attentes sont essentielles. Vous êtes les spécialistes quand vient le temps de jauger les autres politiques, mais il est vraiment important, comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, d'insister sur ce qui nous aidera à moyen terme et de ne pas se contenter d'envisager seulement les six prochains mois.
M. Knight: Il est certain que la confiance des consommateurs a subi un rude coup en septembre. Depuis ce moment, les mesures de politique monétaire qui ont été prises, tant aux États-Unis qu'au Canada, ont été utiles.
Le sénateur Oliver: Et en Europe aussi.
M. Knight: Dans une moindre mesure, en Europe. Elles ont aidé à rassurer quelque peu les consommateurs. Il est intéressant de signaler que les dernières données sur la confiance des consommateurs aux États-Unis sont faibles et que les consommateurs là-bas voient la situation d'un oeil sombre. Pourtant, l'indice qui montre les attentes des consommateurs a augmenté. En raison des faibles taux d'intérêt, les ventes d'automobile se sont envolées le mois dernier aux États-Unis. Cette tendance ne se maintiendra sans doute pas, mais elle manifeste certainement l'effet des réductions des taux d'intérêts sur les dépenses de consommation. Parallèlement, les achats d'habitations existantes aux États-Unis ont beaucoup augmenté ces derniers mois, ce qui est également un attribuable aux faibles taux d'intérêt.
Les consommateurs vivent une période de grande incertitude, en partie parce que les perspectives d'emploi sont importantes pour eux et qu'il règne dans ce domaine quelque incertitude en raison des inconnus dont le gouverneur a parlé. Cependant, les mesures que nous avons prises ont une incidence sur la confiance et les dépenses des consommateurs, en particulier dans le secteur des biens durables et du logement.
Le sénateur Oliver: Vous êtes venu ici, au fond, pour nous parler de politique monétaire, mais il est très difficile parfois de distinguer les aspects financiers des aspects monétaires. Le 19 novembre, le Globe and Mail signalait que la mesure actuellement envisagée avec beaucoup de sérieux, et peut-être en fonction d'un éventuel budget, serait un remboursement supplémentaire unique de la TPS pour les Canadiens à faibles et moyens revenus.
Est-ce que de tels paiements auraient un effet durable et marqué sur la confiance des consommateurs?
En outre, dans la conclusion de votre rapport, vous faites au sujet du 11 septembre une déclaration qui m'a beaucoup surpris. Vous affirmez:
Ces hypothèses sont qu'il n'y aura pas de nouvelle escalade importante du terrorisme et que la confiance des consommateurs et des entreprises se rétablira au second semestre de 2002.
Cela m'étonne. Sur quoi vous fondez-vous pour dire qu'il n'y aura pas d'escalade? S'il y en a, qu'est-ce qu'il adviendra de l'économie canadienne?
M. Dodge: Comme vous le savez, monsieur le sénateur, M. Martin doit dévoiler son budget dans un peu plus d'une dizaine de jours. Il me paraît donc inopportun de commenter un quelconque aspect de la politique fiscale. Je me contenterai de répéter qu'il a fallu une décennie aux provinces et au gouvernement fédéral pour se sortir d'un très profond trou financier qui menaçait de déstabiliser toute l'économie canadienne. Cela a été difficile et pénible pour les Canadiens, mais cela nous permet maintenant, entre autres, de laisser agir les stabilisateurs automatiques. Les recettes fiscales du fédéral et des provinces seront certainement beaucoup moins importantes que ce qui avait été prévu il y a 12 mois. Certaines dépenses, par exemple au titre de l'assurance-emploi, de l'aide sociale, et cetera, augmenteront automatiquement. Nous avons dit qu'il était approprié de laisser jouer ce phénomène. Dans la mesure où nous mettons l'accent sur une réduction continue de la dette, répartie sur le cycle économique, il est approprié de laisser jouer les stabilisateurs automatiques.
Pour ce qui est de votre deuxième question, monsieur, il s'agit de deux aspects qui vont bien au-delà du domaine de l'analyse économique classique ou même innovatrice.
Le 11 septembre a provoqué une secousse, une secousse psychologique. Ce violent impact a vraiment modifié le contexte géopolitique et la façon dont les États-Unis interviennent sur la scène géopolitique.
Nous affirmons que si la situation se stabilise, si la crise en Afghanistan se dénoue, et s'il n'y a pas d'autres secousses, l'impact sur l'économie sera relativement faible d'ici le début de 2002.
Deuxièmement, nous croyons que si la situation semble bien gérée, la confiance des consommateurs, fortement ébranlée en septembre, se rétablira.
Ce sont des inconnues, et nous devons donc poser des hypothèses dès le départ.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Je vous remercie d'avoir commenté vos propos en français, c'était excellent pour l'éducation des sénateurs francophones et la population qui écoutent la retransmission de cette rencontre.
Vous avez parlez des facteurs qui affectaient le dollar et qui préoccupaient le sénateur Angus. Pouvez-vous nous dire si la productivité reliée aux différences d'investissements dans les équipements et la machinerie entre les États-Unis et le Canada ont une influence sur le cours du dollar? Quels sont les actions à prendre, quels sont les remèdes? La réduction du taux d'intérêt peut concourir à augmenter les investissements dans le domaine de l'équipement et par conséquent, augmenter la productivité au Canada et à plus long terme la valeur du dollar canadien? Pouvez-vous, ainsi que votre expert, agréer avec cette hypothèse?
M. Dodge: Il est vrai que si les conditions de crédit deviennent très serrées, il sera difficile pour les entreprises de financer ces investissements. Nous essayons, à ce moment-ci, d'établir des conditions de marché afin que les crédits soient moins serrés pour encourager les entreprises à faire ces investissements.
Le sénateur Hervieux-Payette: À partir de l'hypothèse que les entreprises seraient encouragées à investir, si on prend un peu d'avance par rapport à la situation actuelle aux États-Unis, si notre productivité s'améliore, est-ce qu'il y aurait nécessairement dans l'équation, l'augmentation de la valeur du dollar ou s'il n'y a pas de relation de cause à effet?
M. Dodge: Il y a une relation, mais ce n'est pas si simple. À long terme, il est extrêmement important que nos entreprises fassent des investissements dans le domaine de la nouvelle technologie qui vient avec l'investissement dans la machinerie et l'équipement. Il est vrai qu'en 1994, 1995, et 1996 le Canada était un peu en retard dans ces investissements. Pour le long terme, pour la valeur du dollar canadien, pour le taux de croissance de l'économie canadienne ainsi que le standard de vie des Canadiens et des Canadiennes, il est extrêmement important que les entreprises fassent ces investissements.
Le sénateur Hervieux-Payette: Tout à l'heure, vous avez soulevé la question des matières premières concernant les États-Unis et le Canada.
On exporte beaucoup de bois semi-traité parce que l'on envoi seulement des planches de bois. C'est une industrie extrêmement importante au Canada. Suivent les matières énergétiques, dont le pétrole et le gaz, qui sont deux facteurs importants d'exportation. On peut remarquer, même si beaucoup de camions ont été retenus aux frontières lors les dernières semaines, que l'on n'exporte pas suffisamment de produits finis. Si la question des matières premières se règle par une amélioration des prix, cela va-t-il encourager l'augmentation de la transformation ainsi que les bénéfices pour le Canada et avoir une influence sur l'ensemble de l'économie ? Toujours pour raffermir le cours du dollar. Y a-t-il un effet direct entre le fait que le pétrole, le bois et les matières premières canadiennes, incluant l'aluminium - qui est aussi semi-traité - et la valeur de notre dollar?
M. Knight: Si on considère la structure de production de notre pays et des États-Unis, il est vrai que dans la structure de production, la proportion des produits de base, de la matière première, est plus importante au Canada qu'aux États-Unis. L'écart n'est pas très grand, mais grâce à notre géographie, nous avons des avantages dans ce domaine. Il y a plus de concentration de nos exportations dans ce type de produits que pour les Américains. Alors, en termes nets, les Américains sont importateurs de ces produits et nous sommes exportateurs.
Il y a beaucoup de produits secondaires qui sont produits des deux côtés de la frontière et qui se transigent à travers la frontière.
Le sénateur Hervieux-Payette: Comme les automobiles?
M. Knight: Oui, le secteur de l'automobile, le secteur aérospacial et le secteur chimique. Ce qui est important pour nous, ce n'est pas une question d'avoir plus de transformation, c'est une question d'essayer de réduire les coûts de production en augmentant la productivité dans chacun des secteurs.
Comme l'a dit le gouverneur, les Américains ont commencé à investir beaucoup plus - surtout dans les machines et les équipements et ont adopté les dernières technologies de pointe - pendant les années 90, non seulement par rapport à nous, mais aussi par rapport à tous les autres pays. Depuis 1996, notre taux d'investissement dans les machines et les matériaux a beaucoup augmenté aussi. Nous sommes maintenant au milieu d'une période de ralentissement. Les plans d'investissements sont un peu plus faibles que l'an dernier, mais au fil du temps lorsque la conjoncture reprendra, on pourra encore augmenter les investissements et la productivité.
Le sénateur Hervieux-Payette: Si je comprends bien, les taux d'intérêt et la reprise de l'économie feront en sorte que ces gens auront sur leur table de travail les investissements pour de nouveaux équipements et lorsque la clientèle sera là, on aura l'effet de la mesure prise maintenant?
M. Knight: C'est cela.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: J'ai une théorie, qui ne s'appuie pas nécessairement sur les statistiques.
Le sénateur Tkachuk: Ou sur les faits.
Le sénateur Kelleher: Si vous n'êtes pas trop inquiet de la chute du dollar - et c'est mon opinion - c'est parce que le gouvernement considère que cela favorise le commerce. Cela nous rend plus compétitifs; cela donne à nos marchandises un prix très compétitif. En conséquence, notre économie continue de croître parce que nous créons des emplois et que nous maintenons le niveau de l'emploi.
Comme vous en êtes certainement conscient, si j'ai raison, il y a aussi un effet négatif à tout cela, car au bout du compte notre valeur nette, notre pouvoir d'achat, diminue.
Je m'y connais un peu en échanges commerciaux. C'est mon opinion, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Dodge: Premièrement, monsieur le sénateur, il faut revenir à ce que j'ai dit dès le départ. Notre régime, un régime en place depuis 1991, est rigoureux et préserve le pouvoir d'achat du dollar canadien. Au cours de la décennie, nous avons fait du bon travail en ce sens, honnêtement, nous avons mieux réussi que les Américains pendant cette période.
C'est notre base. Nous essayons d'orienter la politique monétaire de façon à maintenir l'économie à son plein potentiel. Nous avons un instrument, la politique monétaire. Nous pouvons avoir une cible et nous avons choisi l'inflation.
Cela signifie que le taux de change doit fluctuer. C'est dans la nature d'un taux de change flottant.
Vous avez dit que je n'étais pas inquiet. Nous n'avons sans doute pas de sujet de réflexion plus fréquent que ce qui touche la valeur externe du dollar canadien. C'est une question d'une importance extraordinaire. Nous y pensons dans les termes que je viens d'utiliser - «la valeur externe du dollar canadien», et ce que cela signifie ici, pour notre économie.
La valeur externe du dollar canadien, sauf devant le grand gagnant, pour ainsi dire, des années 90, s'est très bien maintenue. Le dollar américain est d'une vigueur extraordinaire actuellement, pour les raisons que j'ai essayé de vous expliquer, dans une large mesure en raison du compte capital et des carences de l'épargne aux États-Unis. J'ai essayé de vous l'expliquer, ce n'est pas le pouvoir d'achat du dollar canadien qui est faible. De fait, le pouvoir d'achat du dollar canadien, pour le panier de produits que tous les Canadiens consomment, est très solide.
Le sénateur Kelleher: Ne pensez-vous pas que la faiblesse du dollar canadien est très favorable à notre situation commerciale?
M. Dodge: Cela dépend de qui vous êtes. Si le sénateur Bryden essaie d'administrer le club de hockey des Sénateurs d'Ottawa, il ne sera pas de cet avis.
Le sénateur Kelleher: Je suis un fan des Maple Leafs.
M. Dodge: C'est un prix, comme tous les autres prix, et les prix relatifs évoluent pour tenter de répartir comme il le faut les biens et les services. Dans ce sens, il fait son travail.
À titre de gouverneur de la banque, est-ce que je me réjouis de voir la devise pour laquelle M. Knight et moi-même sommes responsables faire quotidiennement la une des journaux en raison de sa «faiblesse»? Non, je ne m'en réjouis pas. Cependant, à long terme, cette devise ne peut être que le reflet de notre économie. Ce qu'il convient de faire pour l'économie à l'heure actuelle, c'est de favoriser la croissance et l'investissement grâce à des taux d'intérêt plus bas et d'aider les ménages grâce à des taux d'intérêt plus bas, et c'est cela que nous faisons.
M. Knight: J'aimerais ajouter un mot à ce qu'a dit le gouverneur. À l'heure actuelle, malgré le déclin de l'activité et de la demande globale aux États-Unis, le déficit du compte courant aux États-Unis - la différence entre les exportations de biens et services et les importations - est de l'ordre de quatre pour cent de la production américaine. La production américaine représente environ un cinquième de la production mondiale.
Il se peut que les investisseurs dans le reste du monde soient satisfaits de confier leurs économies à ce taux au plus riche pays du monde, jusqu'à la fin des temps. Ce serait sans précédent sur le plan historique. À long terme, il semble fort probable que le compte courant américain fléchisse et que les États-Unis ne cessent d'emprunter à ce taux auprès du reste du monde.
Un des mécanismes grâce auxquels la correction du compte courant pourra se faire est un déplacement de la valeur du dollar américain relativement aux devises de tous les partenaires commerciaux des États-Unis, ou relativement au groupe des partenaires commerciaux des Américains. N'essayons pas d'être plus précis.
C'est un élément très considérable. Cela est très important. De fait, pour le rajustement de l'économie mondiale, je suis personnellement d'avis qu'il vaut mieux utiliser le taux de change du dollar américain relativement aux autres devises que d'espérer une chute brutale de la demande américaine, ce qui pourrait créer une situation assez difficile pour tous les autres joueurs.
M. Dodge: Ou encore, une augmentation soudaine du protectionnisme américain.
Le sénateur Furey: Ma première question découle d'un des commentaires du sénateur Angus, lorsqu'il a parlé de l'économie américaine.
Récemment le National Bureau of Economic Research a indiqué que l'économie américaine était, effectivement, en récession. Est-ce que nous connaîtrons inévitablement le même sort? Sinon, de quelle façon pouvons-nous l'éviter et, dans l'affirmative, à quel moment faut-il s'attendre à cette évolution?
M. Dodge: Statistique Canada publiera demain ses estimations pour le troisième trimestre de l'année, la période allant jusqu'en septembre. Nous ne savons pas exactement ce que seront ces données. D'après nos observations de l'économie, nous croyons que le troisième trimestre aura sans doute été marqué par une baisse du PIB de l'ordre de 0,5 p. 100; cette baisse s'établirait entre zéro et moins un, ce qui vient s'ajouter à un déclin du deuxième trimestre qui était de 0,4 p. 100, soit environ un demi-point.
Essentiellement, de la fin de mars jusqu'à la fin de septembre, l'économie canadienne n'a connu aucune croissance. Comparons notre situation actuelle à celle que nous connaissions l'année dernière, pendant la même période de six mois. La croissance de notre économie frôlait alors les cinq pour cent.
Quel que soit le terme que l'on choisisse, la situation n'est certainement pas très favorable. Elle nous paraît encore pire parce que tout allait si bien précédemment.
Nous avons débuté le quatrième trimestre de l'année, le trimestre en cours. Même si Noël est un élément clé à cette période, nous pensons que la situation sera sans doute identique à ce qu'elle a été pour le troisième trimestre - c'est-à-dire, négative.
Cette période de neuf mois ne sera pas extrêmement robuste. L'hiver s'annonce plutôt dur. Par contre, si nous ne péchons ni par excès d'optimisme ni par excès de pessimisme, d'ici la fin du printemps nous devrions commencer à voir une reprise de l'investissement.
Il est important de reconnaître que l'investissement a chuté. Dès qu'il se stabilisera, il donnera un nouveau souffle à l'économie. Nous réduisons les stocks. Dès que nous commencerons à les maintenir ou à les relever, il y aura un nouvel élan pour l'économie. Ce processus est en progression et s'étend à toute l'économie. Il permet vraiment d'inverser la tendance. À ses débuts, il se nourrit lui-même. C'est la raison pour laquelle même si nous ne pouvons vous fournir de date exacte nous pensons que cette reprise va se produire, nous pensons qu'elle sera relativement forte en raison du fonctionnement de ce mécanisme classique.
Je ne peux pas vous dire si cela se produira au premier ou au quatrième trimestre de 2002. Je ne peux que vous dire que relativement au mois dernier j'ai un peu plus le sentiment que le phénomène se produira plus tôt que je ne l'espérais précédemment.
M. Knight: Il est très intéressant qu'un groupe comptant les économistes les plus éminents des États-Unis puisse seulement maintenant établir que la récession aux États-Unis a débuté en mars dernier. Cela illustre vraiment le défi que représente l'interprétation des statistiques économiques à notre époque. Notre problème vient de ce que nous devons toujours regarder vers l'avenir, parfois avec 18 mois à deux ans d'avance.
Demain, nous connaîtrons les données du PIB pour le troisième trimestre. À partir de données partielles qui ont déjà été publiées, nous croyons avoir une bonne idée de ce que seront les chiffres. Ils seront décevants.
Le fait que ce groupe de spécialistes situe maintenant le début de la récession aux États-Unis en mars dernier nous permet de croire que si les incertitudes inhabituelles qui jouent actuellement devaient se dissiper, l'économie américaine ne pourrait que se raffermir car la durée normale d'une récession aux États-Unis est d'un an ou moins. Il est très intéressant que vous ayez soulevé la question.
Le sénateur Furey: Pour ce qui est du taux d'inflation, il y en a qui soutienne qu'une inflation modérée n'influe pas vraiment sur la croissance économique. Je ne crois pas que cela reflète la politique de la banque, car à mon avis, en cherchant à stabiliser les prix la banque laisse entendre que le taux d'inflation devrait être aussi faible que possible.
Avez-vous une opinion sur la position contraire? Qu'est-ce qu'il y aurait à redire à un taux d'inflation de 5 ou 10 p. 100?
M. Dodge: Pour que l'économie fonctionne bien, il est très important que les attentes concernant les prix soient solidement fondées afin que les consommateurs puissent prendre des décisions en fonction de ce qui se passe vraiment, c'est-à-dire l'évolution des prix relatifs et les divers secteurs où investir parce qu'ils promettent un bon rendement économique.
Il est extraordinairement important de confirmer les attentes en matière d'inflation. Nous avons appris que cela vaut dans tous les pays et à toutes les époques. Je ne crois pas que quiconque souhaite revivre l'expérience du milieu et de la fin des années 70, quand la machine s'est emballée. De fait, les problèmes subséquents que nous avons connus tout au long des années 80 étaient en partie attribuables au fait que tout s'était déréglé au début des années 70, que nous avions effectué des investissements totalement improductifs pour nous protéger contre l'inflation, et cetera. La confirmation des attentes revêt une importance extraordinaire.
Pour ce qui est du niveau où il convient d'ancrer ces attentes, le corpus d'études semble suffisant pour confirmer que le taux d'inflation choisi doit être suffisamment faible pour que les Canadiens n'en perçoivent pas l'augmentation dans leurs achats quotidiens, hebdomadaires ou mensuels et continuent de mener une vie normale. Les consommateurs ne doivent pas avoir l'impression que les prix montent sans cesse. Cela est important.
On ne peut pas vraiment dire quel doit être ce pourcentage. Une croissance nulle de l'inflation est difficile à atteindre parce que, premièrement, nos indices ne nous permettent pas tant de précision. Deuxièmement, pour que l'inflation soit nulle des prix doivent chuter en divers moments de la période. Un rajustement en fonction du déclin réel du niveau total des prix est évidemment un peu plus difficile à réaliser que de simplement garder les prix ou les salaires au même niveau. Il y a donc une asymétrie autour du zéro.
Nous avons choisi deux pour cent. D'autres pays ont préféré 2,5 p. 100 ou 1,5 p. 100. Toutes ces cibles sont suffisamment faibles pour permettre d'ancrer l'inflation. Nous savons d'expérience que si nous atteignons les six pour cent, les citoyens perçoivent quotidiennement l'inflation. On peut alors vraiment le constater. Chaque semaine, à l'épicerie, quelque chose vous coûte plus que la semaine précédente. C'est un phénomène unidirectionnel.
Au Canada, le gouvernement et la banque ont convenu d'adopter une cible de deux pour cent. Ce chiffre n'a rien de magique, pas plus que 1,5 ou 2,5 p. 100, mais c'est nettement la plage où il faut se tenir. Il est très important que les attentes des Canadiens soient maintenant très bien ancrées sur les deux pour cent. Lorsque la hausse des prix des produits pétroliers, l'an dernier, a temporairement porté le taux d'inflation global à 3,5 p. 100, tous étaient convaincus que nous allions le ramener à deux pour cent. Actuellement l'inflation est de 1,9 p. 100. Notre tâche est de veiller à ce que les attentes des Canadiens se réalisent. En 2002, nous connaîtrons une période d'inflation inférieure à deux pour cent. Nous ne pouvons pas maintenir l'inflation à ce niveau en permanence. Notre travail consiste à intervenir de façon symétrique pour constamment revenir à deux pour cent afin que les attentes des Canadiens se concrétisent et que nos citoyens puissent investir, épargner et dépenser avec la certitude que nous ferons notre travail et que leurs attentes seront réalisées.
Le sénateur Meighen: Vous avez fort aimablement répondu en détail aux questions plutôt épineuses de mes collègues. Je vous fais donc une fleur et je vous pose une question facile.
Dans vos remarques préliminaires, vous avez mentionné la confiance des consommateurs, la confiance des ménages et son importance pour l'économie. Lorsque les citoyens sont optimistes, ils dépensent plus facilement et tout va bien.
Jusqu'où va votre obligation de ménager la confiance des consommateurs, c'est-à-dire votre tendance à vous conduire comme une meneuse de claque et à envisager l'avenir avec plus d'optimisme qu'il n'en mérite? Ce n'est pas un reproche, mais il faut bien admettre qu'il s'agit là d'un art très difficile.
Depuis le début de l'année, vos pronostiques ont été plutôt positifs mais ils n'ont pas toujours été très justes. Dans quelle mesure faut-il que vous parliez des bons côtés sans mentionner les mauvais, afin de conforter la confiance des consommateurs?
M. Dodge: Le sénateur Angus a déclaré dans sa première question qu'il supposait que M. Knight et moi-même vous dirions toute la vérité. Il est extraordinairement important que les Canadiens croient ce que leur dit la Banque du Canada.
Il est tout à fait vrai, monsieur, qu'au printemps dernier nous étions convaincus que le cycle des investissements commencerait à s'inverser au cours du deuxième semestre de l'année. Cela ne s'est pas avéré. Regardez les données jusqu'en mai. Vous constaterez qu'il était impossible de dire que nos prévisions étaient erronées. Les chiffres tendaient à nous donner raison. Les données du premier trimestre étaient beaucoup plus positives que nous ne l'avions prévu.
Nous ne pouvons pas toujours frapper juste. Nous ne prétendons nullement à l'infaillibilité. Cependant, nous nous efforçons toujours d'exposer la situation telle que nous la voyons.
Nous avons eu beaucoup de difficulté à rédiger le rapport, car les facteurs qui appuient un scénario plutôt qu'un autre ne sont pas des facteurs normaux que nous comprenons bien. Nous avons longuement débattu de la façon dont il convenait de formuler notre opinion, puis nous avons décidé de simplement présenter les faits tels qu'ils sont et de reconnaître qu'il s'agit de facteurs que nous connaissons mal, qui se préciseront à nous au fur et à mesure.
Le sénateur Meighen: Est-ce que vous parlez des facteurs géopolitiques?
M. Dodge: Les facteurs géopolitiques et l'effet psychologique des événements du 11 septembre influeront sur les ménages. Il s'agit là de deux facteurs fort distincts. L'un vient de l'Amérique du Nord et l'autre, de l'extérieur.
Peut-être parce que, tout comme M. Knight, j'ai passé une bonne partie de ma carrière dans les universités, je comprends le latin. Monsieur le président, vous avez mentionné l'Université Queen's. Sa devise est «Sapienta et Doctrina Stabilitas» - la sagesse et la connaissance sont les forces de notre temps. Demeurer rationnel et essayer de présenter les choses telles qu'elles sont, voilà sans doute ce que nous pouvons faire de mieux pour les Canadiens. Nous ne sommes pas toujours capables de bien expliquer ce que nous essayons de faire, mais c'est la raison pour laquelle je vous ai si longuement entretenu ce matin.
M. Knight: Je suis tout à fait de l'avis du gouverneur. Nous sommes tenus d'expliquer la situation aux Canadiens de la façon la plus claire possible.
Pour ce qui est d'influer sur la confiance et les dépenses des consommateurs, nous n'avons pas besoin de parler. Nous disposons d'un instrument qui oriente les dépenses des consommateurs parce qu'il se répercute sur l'investissement. Nous pouvons nous en servir pour influer dans une certaine mesure sur les dépenses des consommateurs. Nous nous prononçons sur les facteurs qui pousseront les consommateurs d'un côté ou de l'autre, ce qui va un peu plus loin que le mandat normal d'une banque centrale.
Le sénateur Meighen: Passons maintenant à un autre domaine. Si je me souviens bien, nombre de vos prédécesseurs ont jugé nécessaire d'intervenir pour soutenir le dollar. Il y a eu notamment une flambée de spéculation, ou du moins les conditions nécessaires à une flambée de spéculation, et M. Thiessen est alors intervenu. J'imagine qu'une flambée spéculative pourrait être considérée comme un phénomène quelque peu artificiel ou non fondamental. Est-ce qu'il y a un niveau auquel vous croyez qu'il serait nécessaire d'intervenir pour soutenir le dollar? Quelles sont les lignes directrices que vous appliquez pour prendre une telle décision?
M. Dodge: Monsieur, nous intervenions autrefois quotidiennement sur le marché, nous l'avons fait pendant plusieurs années pour essayer d'éviter les fluctuations trop marquées d'une heure à l'autre et d'un jour à l'autre. Nous avons cessé d'intervenir. Le marché a suffisamment de profondeur et de robustesse pour se gérer lui-même. Il y a des fluctuations, mais le marché les absorbe.
Notre politique, clairement énoncée, est normalement de ne pas intervenir sur les marchés. Il faudrait des circonstances extraordinaires pour que nous envisagions de recourir à cet instrument. Il est là, nous pouvons l'utiliser, mais il faudrait que les circonstances soient vraiment exceptionnelles.
Le sénateur Meighen: Il me semble que nous sommes devenus une nation d'épargnants et que ce phénomène s'accentue à mesure que les baby-boomers arrivent à la retraite et commencent à convertir leurs fonds mutuels en CPG. Les taux d'intérêt prendront donc une très grande importance pour les baby-boomers. Ils sont déjà importants, en particulier pour les personnes âgées. Les aînés ne sont pas satisfaits du taux que les banques leur offrent actuellement pour leurs épargnes. Est-ce que cela signifie qu'à l'avenir, les taux d'intérêt et la façon dont vous les utilisez deviendront un levier moins important de la politique monétaire, que les revenus d'intérêt constitueront une part plus importante du revenu général des particuliers et, par conséquent, que vous aurez moins de latitude pour les utiliser.
M. Dodge: Je vais répondre en deux étapes. Premièrement, la pire période pour les personnes à revenu fixe a été la fin des années 60, les années 70 et le début des années 80, car en raison de l'inflation nous avons détruit la richesse des citoyens à revenu fixe. Les taux nominaux étaient élevés, mais les taux réels étaient négatifs, et sans le savoir les citoyens entamaient leur capital. C'est le pire scénario pour les Canadiens, en particulier ceux qui ont des revenus fixes.
Il est tout à fait vrai qu'au cours du cycle économique, le taux de rendement réel, le taux au-dessus des deux pour cent, variera. C'est indéniable. Lorsque l'économie est très faible, si nous utilisons la politique monétaire pour essayer de la ramener à son potentiel, les taux d'intérêt réels sont très faibles. Lorsqu'elle tourne à plein régime ou au-dessus, les taux d'intérêt réels sont très élevés.
Les fluctuations sont inévitables, monsieur le sénateur. Toutefois, il n'y a aucune raison pour que les Canadiens croient que pendant une certaine période il n'y aura pas un taux réel moyen quelconque. Ce que les Canadiens croient, et ils doivent avoir confiance à cet égard, c'est que nous ne permettrons pas à une nouvelle flambée d'inflation de gruger leur capital.
Le sénateur Poulin: Je dois vous dire que l'information que vous nous communiquez est extrêmement utile.
[Français]
Ma question est liée à celle du sénateur Meighen. Le mot «confiance» est revenu dans votre présentation au moins 20 fois depuis le début de la séance.
Ce matin, la radio et certains journaux faisaient état du fait que le Canada est en récession parce que la vente des rouges à lèvre avait augmentée de 500 p. 100. Tout le monde a dû éclater de rire. La Banque du Canada a-t-elle une stratégie de communication? Quelle est-elle et comment elle l'implante?
Monsieur Dodge, vous avez dit qu'il était très important que les Canadiens et les Canadiennes soient informés pour prendre les bonnes décisions au bon moment. Vous avez mentionné que même si les États-Unis sont dans une période de récession, le ralentissement de l'économie canadienne n'implique pas nécessairement une récession. Pouvez-vous comparer les habitudes financières des Canadiens et des Américains sur les plans de l'épargne, des dépenses, des investissements et des dons? Quels impacts ont les habitudes des Canadiens sur vos politiques monétaires?
M. Dodge: Ce sont d'excellentes questions. Les communications sont extrêmement importantes et nous y consacrons beaucoup plus de nos ressources afin d'améliorer les communications avec la communauté financière et avec les Canadiens et les Canadiennes en général.
Il est aussi très important pour nous de venir deux fois par année discuter de ces sujets avec vous. Nous considérons qu'il est absolument important de communiquer avec les sénateurs et les membres du Parlement qui représentent les Canadiens. Monsieur Knight a travaillé pendant deux ans à l'amélioration de notre système de communication à la banque.
M. Knight: En fait, nous sommes assez fiers de notre nouvelle stratégie de communication qui est un peu plus approfondie. Notre nouveau système de dates préétablies pour l'annonce des décisions sur nos taux directeurs est un aspect assez important de cette stratégie. Auparavant, quand la réserve fédérale bougeait, de temps en temps, on bougeait le lendemain et tout le monde pensait que la Banque du Canada suivait la politique monétaire des États-Unis.
Maintenant, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a un écart de jours entre leur décision et la nôtre. Pendant cette période entre les deux décisions, il est important pour les opérateurs des marchés et les journalistes de savoir si la situation économique au Canada est la même qu'aux États-Unis ou si elle est différente? Si elle est différente, nous cherchons à savoir ce que cela signifie pour la mise en oeuvre de la politique canadienne par rapport à celle des États-Unis? Nous pensons que cette stratégie a créé une communication beaucoup plus approfondie entre la banque et ceux qui suivent de très près nos actions. C'est très important pour nous. Comme l'a dit le gouverneur, les communiqués de presse sont publiés au moment de la publication de notre décision sur les taux directeurs. Les marchés peuvent interpréter ces communiqués et on peut lire leur conclusion. C'est une bonne chose. Nous rédigeons aussi, quatre fois par année, un rapport un peu plus approfondi des résultats de nos prévisions, de notre perspective sur la conjoncture et les prévisions pour l'an prochain. C'est une stratégie qui correspond très bien à une meilleure transparence de la communication de la politique monétaire envers le grand public.
Votre deuxième question avait trait aux habitudes financière des ménages au Canada en comparaison avec ceux des Américains. Le comportement de la consommation des ménages canadiens par rapport aux ménages américain ne diffère pas beaucoup. Les habitudes financières sont un peu différentes. Par exemple, au Canada on constate que le service de la dette, c'est-à-dire les paiements d'intérêt par rapport au revenu disponible ont diminué beaucoup plus au Canada depuis le début de la décennie dernière qu'aux États-Unis. Au début des années quatre-vingt-dix, la fraction était d'environ 12,5 p. 100 au Canada. C'était beaucoup plus élevé qu'aux États-Unis, maintenant elle est d'environ 9 ou 9,5 p. 100. C'est un peu plus élevé qu'aux États-Unis, mais c'est à peu près le même pourcentage.
La différence entre les habitudes financières des Canadiens et des Américains se trouve dans la façon dont on emprunte de l'argent. On constate aux États-Unis que les «reverse mortgages» sont beaucoup plus importants depuis deux ans qu'ils le sont au Canada. Cela a des implications sur la richesse des ménages par rapport à leurs dettes. C'est une tendance que l'on doit suivre de très près dans l'avenir.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: Monsieur le gouverneur, je veux vous poser une question au sujet du 11 septembre. Ces événements ont bouleversé la population. Je crois que la plupart des Canadiens se sont inquiétés de ce qui se passait. Depuis cette date, ils veulent que les dirigeants de l'économie les rassurent.
J'ai remarqué avec intérêt que vous aviez décidé de ne pas faire de déclaration publique avant le 24 octobre, soit quelque six semaines après les événements. De fait, c'est à Moncton, qui n'est pas exactement la capitale médiatique du monde, que vous l'avez fait. Honnêtement, nous n'avons pas vu le ministre des Finances pendant quelque deux semaines. Il n'y aura pas de budget avant le 10 décembre. Le dernier a été présenté au printemps. Je suis convaincu que cela n'avait rien à voir avec la stratégie adoptée suite au 11 septembre.
Est-ce que le fait que vous ayez attendu six semaines avant de paraître en public et le fait que le ministre des Finances soit resté coi et ait reporté son énoncé économique au 11 décembre constitue une stratégie?
M. Dodge: Premièrement, monsieur le sénateur, soyons clairs. Nous avons signifié le 17 septembre notre réaction immédiate en modifiant le taux. Nous avions envisagé la mesure la semaine précédente, mais nous avions jugé préférable d'attendre le jour où les Américains changent eux aussi leur taux, comme l'ont fait d'autres banques centrales. Mais alors, nous avons agi.
Deuxièmement, je ne me souviens pas des dates précises mais nous avons certainement convoqué une conférence de presse à la fin de la semaine du 11 septembre. Nous avons dû annuler un discours qui devait être prononcé à Moncton la semaine suivante, car nous ne pouvions tout simplement pas envoyer nos directeurs à cette réunion annuelle à l'extérieur de la ville, à Moncton, où un discours est normalement prononcé.
Je ne crois donc pas que nous nous soyons murés dans le silence. Nous avons vraiment essayé avec beaucoup d'ardeur de communiquer l'information.
M. Knight: Je dois ajouter qu'au cours de la semaine du 11 au 14 septembre nous avons publié un certain nombre de communiqués de presse pour indiquer aux marchés ce que nous faisions en termes de liquidités et en termes d'augmentation de nos facilités de crédit croisé avec la réserve fédérale américaine. Le 14 septembre, comme l'a dit le gouverneur, nous avons tenu une conférence de presse et répondu aux questions des journalistes, et le gouverneur a fait une déclaration.
Le 17 septembre, un lundi, lorsque nous avons modifié les taux d'intérêt, nous avons diffusé un communiqué de presse. Le 18 ou le 19 septembre, dans un discours prononcé à Toronto devant l'Association canadienne de science économique des affaires, j'ai exposé ce que nous avions fait pour maintenir la stabilité des marchés financiers au cours de la semaine précédente.
Le sénateur Tkachuk: Le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque du Canada sont les deux personnalités les plus influentes dans le domaine économique. Deux avions se sont écrasés sur le World Trade Center et un autre sur le Pentagone. Est-ce que le ministre des Finances et les banques ont discuté des mesures à prendre pour rassurer les Canadiens?
Le président du Federal Reserve Board a paru à la télévision presque quotidiennement. Je vous cherchais, monsieur. J'ai vu le secrétaire au Trésor, mais jamais le ministre des Finances.
Quelle catastrophe vous ferait sortir de votre tanière? Quel type de bombe doit tomber pour que le gouverneur de la Banque du Canada ou le ministre des Finances se présente devant la population canadienne et lui dise ce qui se passe et ce qui est fait en réaction aux événements? Qu'est-ce qu'il faudrait?
M. Dodge: De fait, pour ce qui est de la conférence de presse du 14 septembre, je me souviens qu'au moins un réseau, peut-être même deux, l'ont diffusée en direct. Tout dépend du réseau de télévision que vous regardez. De toute évidence, CNN ne diffuse pas autant d'information canadienne que la SRC, RDI ou CTV.
À mes yeux, les médias pendant toute cette période ont fait de l'excellent travail pour diffuser nos communiqués de presse. Je ne suis pas certain d'être la personne tout indiquée pour répondre à votre question.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit précédemment qu'à votre avis, le dollar était sous-évalué. Je crois que vous avez dit devant un comité de la Chambre que la tâche la plus importante de la banque était son produit, notre devise et la confiance suscitée par cette devise. Pourtant, notre devise a perdu beaucoup de terrain depuis une dizaine d'années, peu importe la façon dont vous essayez de maquiller ce fait. Quatre-vingt pour cent de notre production est exportée vers les États-Unis. Nous vivons en Amérique du Nord. Il ne sert à rien de nous comparer à l'Australie ou à l'Italie. Ce qui compte, c'est le pays avec lequel nous faisons commerce.
Vous dites que le plus important c'est la devise, et pourtant, il semble y avoir un manque de confiance à l'égard de notre devise parce que notre dollar a perdu beaucoup de terrain face au dollar américain. En Amérique du Nord, nous ne sommes pas considérés comme un aussi bon endroit pour l'investissement que les États-Unis.
Est-ce que c'est là le résultat d'un échec de la part de la banque? Est-ce qu'il est bon que notre dollar vaille 65 cents et peut-être que nous visions les 55 cents?
M. Dodge: Monsieur le sénateur, tout d'abord, la valeur du dollar canadien en dollar américain fluctuera toujours. À moyen terme, les facteurs qui influent tant sur le compte capital que sur le compte des paiements peuvent seulement signifier que vis-à-vis du dollar américain la fluctuation sera généralement à la hausse.
Il y a des fluctuations aussi relativement à d'autres devises. Cependant, si vous additionnez tout cela, vous verrez que notre dollar est relativement stable. Ce qui a vraiment fluctué, c'est la valeur du dollar américain relativement à toutes les autres devises.
Deuxièmement, notre travail consiste à préserver le pouvoir d'achat du dollar canadien pour les Canadiens, pour le panier de biens et de services qu'ils achètent. Ce travail, nous l'avons bien fait depuis 1991, de concert avec le gouvernement.
Il est important de signaler que la stratégie qui consiste à cibler l'inflation n'est pas imputable à la seule Banque du Canada; c'est une stratégie établie d'un commun accord par le gouvernement et la banque. Cette entente a été conclue par le gouvernement conservateur et il a été renouvelé par les administrations libérales qui lui ont succédé. La banque centrale ne décide pas seule; l'engagement est pris par les deux parties.
Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous lorsque vous parlez du panier de biens des Canadiens, et nous avons discuté des cibles de l'inflation. La Loi sur la Banque du Canada tient la banque responsable d'autres questions que l'inflation, notamment le chômage, la production et la valeur du dollar - pas le panier à provisions, le prix de l'essence et des tomates, quels que soient les produits qu'il me faut acheter, mais bien la vigueur de notre devise. Je ne vous reproche pas d'y accorder moins d'importance, mais certains de vos prédécesseurs à la banque s'inquiétaient de la valeur du dollar.
Le dollar a chuté à environ 65 cents, et après le 11 septembre il est tombé un peu en deçà des 63 cents. C'est une évolution dangereuse.
Si c'est une bonne chose, alors jusqu'où devons-nous aller? Pour en revenir à la question du sénateur Meighen, qu'est-ce qui se passe si le dollar tombe en deçà des 60 cents? Il y a dix ans, nous n'aurions jamais cru qu'aujourd'hui le dollar vaudrait 65 cents. Que se passera-t-il s'il tombe à 55 cents? Est-ce une bonne chose?
M. Dodge: Sénateur, c'est vous qui parlez de ce qui est bon, pas moi.
Le sénateur Tkachuk: Je ne le sais pas.
M. Dodge: Vous avez utilisez ce terme, monsieur le sénateur.
Le sénateur Tkachuk: En effet, je l'ai fait.
M. Dodge: Le prix du dollar, du dollar canadien, relativement au dollar américain, c'est cela. Ce n'est qu'un prix, comme il y a un prix pour le pétrole et un prix pour le blé, un prix pour tous les produits. Ces prix fluctuent. Si vous êtes un consommateur de pétrole, vous n'aimez pas les prix élevés, mais si vous êtes producteur, c'est excellent d'avoir des prix élevés. Le terme «bon» est un choix étrange pour parler de prix.
Nous cherchons à faire en sorte que les produits que nous pouvons acheter avec notre dollar conservent leur valeur. Au fil des ans et sous plusieurs administrations, nous avons remarquablement bien réussi. De fait, il faut remonter fort loin dans l'histoire du Canada pour trouver une période où nous avons eu autant de succès.
Je l'ai dit et je le répète, je crois que lorsque nous nous tournons vers l'avenir, tant en raison des transactions sur le compte courant que des transactions sur le compte capital, que vis-à-vis du dollar américain la valeur du dollar canadien s'appréciera sans doute. Je n'ai pas fait de déclaration en ce qui concerne la valeur des autres devises.
Le sénateur Kroft: J'aimerais enchaîner sur votre échange précédent, qui était similaire à la discussion que vous avez eue au début avec le sénateur Angus, c'est-à-dire au sujet de la valeur du dollar.
Une partie du problème semble venir des différences d'opinions quant à l'importance de cette seule valeur pour les Canadiens comme mesure de leur bien-être. Il est difficile de ne pas y penser constamment puisque chaque soir, aux nouvelles nationales, la première chose que l'on nous montre c'est une flèche qui pointe vers le haut ou vers le bas. Tous les jours, les Canadiens sont obligés de réfléchir à la valeur du dollar. D'autres éléments, par exemples, les chiffres sur l'emploi, la balance des paiements, les taux d'intérêt, d'autres éléments qui influent sur notre bien-être et sur le pouvoir d'achat de notre dollar n'attirent pas autant d'attention.
J'écoute le débat et il me semble que l'important, pour le gouvernement, la banque ou un autre intervenant, c'est de discuter de la question de façon plus efficace et de bien faire comprendre aux Canadiens que le bien-être devrait être jugé en fonction du pouvoir d'achat de leur dollar plutôt que selon cette simple comparaison des taux de change.
Pensez-vous qu'il y a une façon de communiquer cette notion, d'indiquer aux Canadiens qu'il faut adopter un point de vue plus équilibré, parce que la valeur comparative du dollar est une préoccupation excessive, à votre avis.
M. Dodge: C'est un peu vrai, monsieur le sénateur, de dire que la valeur du dollar devient une préoccupation excessive car c'est l'élément qui, au cours de cette période relativement difficile, semble indiquer un certain degré de difficulté. Il est facile de comprendre un prix, quand il s'agit d'un prix unique.
Le prix de l'essence est sans doute le prix le plus connu dans le pays, car nous le voyons tous les jours pendant nos déplacements en ville. Il augmente de deux cents et les gens se disent «J'ai acheté de l'essence à 53 cents cette semaine plutôt qu'à 55 cents».
Parce que le dollar est un prix unique, il est facile de le communiquer à l'heure des nouvelles. Il est toujours exprimé en dollars américains.
Si vous suivez les cours boursiers, vous savez qu'on mentionne toujours le Dow, qui représente 30 compagnies. Le Dow n'est vraiment pas un très bon indice pour ce vaste marché.
Pourtant, ces problèmes existent, et il est important d'en parler.
Nous devons revenir à un aspect fondamental. Ce que la banque essaie de faire, et en fait ce que la politique doit tenter de faire, c'est de nous maintenir aussi près que possible de notre potentiel. C'est le mandat de la banque. Le travail du comité porte sur les politiques en général. Vous devez veiller à ce que nous suivions les politiques du Canada pour que la courbe de la croissance soit aussi fortement inclinée que possible, c'est-à-dire que les politiques sur la productivité encouragent une augmentation aussi rapide que possible.
Au bout du compte, nous pouvons seulement consommer ce que nous produisons, et si nous sommes en mesure d'accroître notre production de trois ou de quatre pour cent par année, nous serons capables de consommer trois ou quatre pour cent de plus chaque année. Si nous avons une croissance nulle ou de un pour cent, nous ne nous enrichirons pas. Avec la politique monétaire, nous essayons de nous tenir aussi près que possible de cette ligne, et c'est ce que fait le régime ciblant l'inflation. Deuxièmement, nous devons préserver la confiance afin que les Canadiens puissent savoir ce que leur dollar achètera à l'avenir.
Le président: Chers collègues, nous avons besoin d'une motion pour annexer le graphique du gouverneur au compte rendu de nos délibérations. Est-ce que nous sommes d'accord?
Le sénateur Meighen: Adopté.
Le sénateur Angus: Je veux remercier le gouverneur et le sous-gouverneur de leur franchise et de nous avoir présenté les faits tels qu'ils sont.
Au risque de lasser, j'aimerais conclure en reprenant ce que disait le sénateur Kroft. Vous avez cité John Donne, selon qui aucun homme n'est une île, et je pense qu'il serait approprié de citer le philosophe du peuple, «C'est du déjà-vu à nouveau», à en croire Yogi Berra. Autrement dit, «plus ça change et plus c'est pareil». Je crois que c'est là votre message.
Même si tous les soirs, comme l'a fait remarquer le sénateur Kroft, les médias nous rappellent la tendance à la baisse d'un dollar canadien qui atteint maintenant des creux historiques, la perception n'est pas que notre devise flotte mais bien qu'elle coule. Vous avez tous vu les caricatures. La perception devient souvent réalité dans l'esprit des gens. Elle prend forme sur votre bureau, comme vous le savez, monsieur.
Je pense que vous faites de l'excellent travail, mais j'aimerais conclure par une question: au nom de la population canadienne, est-ce qu'il y a quelque chose de précis que vous et vos collègues avez l'intention de faire pour mettre fin à cette tendance baissière de notre dollar ou laisserez-vous la devise flotter en espérant que tôt ou tard elle remontera?
M. Dodge: Nous allons certainement la laisser flotter, sénateur, vous pouvez compter là-dessus. Le mieux que nous puissions faire en politique monétaire, c'est de suivre les politiques qui nous ramènent à cette ligne de croissance. Le mieux que les gouvernements puissent faire, qu'ils soient fédéral ou provinciaux, c'est d'adopter des politiques susceptibles d'accentuer l'inclinaison de cette ligne, c'est-à-dire d'accélérer la croissance de la productivité, car c'est la source de notre richesse. Plus les politiques accentuent la pente et plus le dollar canadien a de vigueur face aux devises des pays avec lesquels nous faisons commerce.
Le président: Merci, monsieur le gouverneur, merci, monsieur le sous-gouverneur.
La séance est levée.