Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 27 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international (questions des frontières Canada-États-Unis) et faire rapport à ce sujet.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, comme nos travaux vont reprendre l'année prochaine, nous avons l'intention de soumettre un rapport intérimaire au Sénat jeudi prochain.
Aujourd'hui, le comité entendra trois groupes de témoins sur les questions touchant les frontières entre le Canada et les États-Unis. Les premiers témoins, M. David H. Bradley etM. Graham Cooper, représentent l'Alliance canadienne du camionnage.
Je vous prie d'excuser le petit nombre de sénateurs présents. Bon nombre de nos membres ont été détachés au Comité antiterrorisme chargé de l'étude du projet de loi C-36, et ils donnent l'impression de travailler jour et nuit de manière à pouvoir mener leur étude à bien d'ici la semaine prochaine, avant que le Sénat ne suspende ses travaux.
La parole est à vous.
M. David H. Bradley, président-directeur général, Alliance canadienne du camionnage: Monsieur le président, l'Alliance canadienne du camionnage est une fédération qui regroupe les associations de camionnage provinciales du Canada. Ainsi, nous représentons quelque 4 000 sociétés de camionnage du Canada. Notre industrie se compose d'une poignée de grandes entreprises cotées en bourse, mais ce sont les PME qui sont le fer de lance de notre industrie. Or, ces PME sont pour la plupart exploitées par des Canadiens et appartiennent à des Canadiens.
L'industrie emploie quelque 225 000 chauffeurs. Il s'agit de la profession la plus importante du pays pour les hommes. Dans l'ensemble, environ un demi-million de ces Canadiens travaillent au sein de l'industrie.
Ce qui fait notre renommée, cependant, c'est peut-être le fait que 70 p. 100 des produits canadiens vendus aux États-Unis, soit environ le tiers de notre PIB, sont transportés par camion. De toute évidence, les événements des derniers mois et tout incident de nature à bouleverser ou à freiner la libre circulation des biens de part et d'autre de la frontière touche directement notre industrie, mais aussi l'économie dans son ensemble.
Notre pays fait face à un dilemme: en effet, notre principal atout économique, c'est-à-dire que c'est nous qui, parmi toutes les nations du monde, bénéficions du meilleur accès au marché des États-Unis, est probablement aussi la cause de notre principale vulnérabilité économique. Aucun autre grand pays industrialisé du monde ne dépend autant du commerce avec les États-Unis que le Canada.
Comme nous le savons tous, le commerce entre le Canada et les États-Unis a été paralysé immédiatement après les attaques terroristes du 11 septembre. On a alors fait face à une situation sans précédent qui a causé de graves maux de tête aux industries, aux fabricants, aux détaillants, à d'autres producteurs, à l'industrie agricole et à d'autres secteurs dont les activités dépendent des livraisons juste à temps ou des livraisons transfrontalières par camion. En effet, ce sont ces livraisons qui leur permettent de garder leurs chaînes de montage en mouvement ou d'acheminer les biens périssables vers les épiceries.
Certaines personnes ont affirmé que cet épisode avait marqué la fin des systèmes d'inventaire juste à temps. Je dirais qu'il n'en est rien. Les économies réalisées grâce à la méthode de production juste à temps ou à ce qui est devenu la réponse rapide dans le secteur du détail ou le service à délais fixes, sont simplement trop énormes pour que le secteur manufacturier nord-américain puisse y renoncer. L'essentiel, c'est que cela ne signifie pas que les pièces et d'autres intrants nécessaires aux procédés industriels doivent nécessairement provenir du Canada. En tant que Canadiens, nous avons tout lieu de nous inquiéter de cette situation.
Au jour le jour, la situation à la frontière est plus ou moins revenue à ce que nous pourrions considérer comme la «normale», expression qu'on doit toutefois nuancer. La situation demeure fragile. La frontière est toujours en état d'alerte avancée, et nous continuons de faire face à des bouleversements ponctuels. On aurait tort de penser que, à la frontière, tout est rentré dans l'ordre.
En fait, le principal facteur qui explique la réduction des délais d'attente a été le déclin marqué du nombre de voyageurs qui franchissent la frontière. Aux principaux postes frontaliers, la diminution du nombre de voitures est de l'ordre de 45 à 50 p. 100; en ce qui concerne les camions, la diminution est moindre, soit probablement de 8 à 9 p. 100. En cas de bouleversements de l'équilibre fragile entre les ressources, en particulier du côté américain de la frontière, et le débit de circulation, nous pourrions facilement faire face à un nouvel étranglement de certains de nos points d'entrée vitaux.
L'incertitude - réelle ou appréhendée - qui entoure la frontière Canada-États-Unis et la politique frontalière en général se traduit par un approvisionnement incertain pour bon nombre d'usines. Comme je l'ai indiqué plus tôt, la situation, si rien n'est fait, fera en sorte que l'investissement étranger direct aille ailleurs, plus vraisemblablement aux États-Unis. Il en va de même pour la capacité manufacturière, qui risque de se déplacer vers le Sud.
Depuis le 11 septembre - je sais que vous allez entendre des représentants de l'Association canadienne des constructeurs de véhicules -, certains manufacturiers ont dit accroître leurs stocks d'environ 5 p. 100. Ne nous faisons pas d'illusions. Le maintien de stocks entraîne des coûts tangibles, lesquels seront tôt ou tard pris en compte dans les marchés d'approvisionnement.
Par conséquent, le défi intérieur le plus pressant auquel nous sommes confrontés au lendemain de ces attaques consiste à établir un équilibre entre les besoins de sécurité accrue et la circulation harmonieuse des biens et des personnes des deux côtés de la frontière.
Au cours des dernières semaines, la frontière a suscité un intérêt sans précédent. Je répugne à l'idée d'utiliser le mot «encourageant», mais il convient de noter que la situation actuelle s'explique par le fait que, avant le 11 septembre, on semblait considérer que le problème était l'apanage des camionneurs.
Jusqu'ici, malheureusement, la réponse du gouvernement fédéral à la crise semble avoir porté surtout, mais pas uniquement, sur la moitié de l'équation, nommément la sécurité. À titre d'exemple, il est remarquable que l'accord frontalier signé lundi dernier à Ottawa ne contienne aucune mesure précise relativement à la collaboration entre le Canada et les États-Unis pour faciliter les mouvements transfrontaliers. Depuis le début, l'OTC soutient que, pour convaincre l'administration Bush et le Congrès américain de parler de facilitation, on doit d'abord répondre aux préoccupations des États-Unis en matière de sécurité.
Devant le Comité de l'industrie de la Chambre des communes le mois dernier, nous avons déclaré:
Pour avoir ne serait-ce qu'un espoir d'influer sur les décisions des États-Unis dans le dossier de la politique frontalière, nous devons établir un partenariat fort et crédible avec les Américains sur la sécurité et l'efficience des frontières. À moins que des mesures concrètes ne soient prises des deux côtés de la frontière pour répondre de façon crédible aux préoccupations touchant la sécurité nationale tout en assurant la circulation efficiente des biens commer ciaux à faible risque, les deux économies - mais surtout celle du Canada - s'en ressentiront.En ce sens, on pourrait voir dans l'annonce de lundi dernier la première phase d'un processus visant à redéfinir la frontière nord. Il est malheureux, cependant, qu'on ne soit pas allé au-delà des généralités sur la circulation des biens entre nos deux pays: en effet, on n'a fourni aucun détail sur ce que le Canada et les États-Unis entendent faire pour accélérer la circulation des particuliers et des biens à faible risque. On n'a fait aucune allusion à un plan d'action ni à un calendrier d'interventions communes pour définir des politiques communes de facilitation. Il est essentiel que le gouvernement du Canada passe rapidement à la phase deux et associe l'administration à une stratégie bilatérale visant à faire en sorte que la frontière demeure ouverte au commerce.
Il y a deux semaines, à l'occasion de la réunion du G-20 à Ottawa, le ministre des Finances du Canada, Paul Martin, le ministre du Revenu national, Martin Cauchon, et le secrétaire au Trésor des États-Unis, Paul O'Neill, ont annoncé qu'ils étaient sur la même longueur d'ondes relativement au moyen d'assurer le mouvement efficient des biens commerciaux à la frontière. Ils ont dit comprendre que des problèmes frontaliers se posaient avant le 11 septembre, et se sont entendus sur un plan de travail précis visant à remédier aux problèmes. En même temps, nous saluons l'annonce du ministre, et nous lui savons gré de sa sincérité, mais, une fois de plus, on ne nous a fourni aucun détail concret.
À l'instar de la plupart des intervenants, nous prévoyons, du moins nous espérons, que le prochain budget fédéral présentera les détails et les fonds engagés. Tarder à agir, ce serait courir le risque que l'administration et le Congrès américains ne voient dans l'accord sur la sécurité le signe que le problème frontalier a été réglé. Soit dit en passant, j'ai beaucoup voyagé aux États-Unis au cours des dernières semaines, et j'ai eu l'occasion de discuter avec bon nombre de législateurs des États et du fédéral. La fixation sur la sécurité est encore bien présente. Au sud de la frontière, tout passe par la lorgnette de la sécurité. Si on ne s'en tient qu'aux questions touchant la sécurité, rien, en réalité, n'est plus loin de la vérité. Il y avait des retards à la frontière avant le 11 septembre. Tandis que Douanes Canada s'est employé avec diligence à mettre au point des approches novatrices pour accélérer le mouvement des voyageurs et des biens, les Douanes américaines demeurent aux prises avec un financement insuffisant, des systèmes informatiques désuets et des principes d'application de la loi qui vont à l'encontre de l'existence et des avantages mutuels de l'ALENA.
Nous recommandons donc ce qui suit:
Le gouvernement du Canada devrait tabler sur la réussite de cette semaine et les annonces faites au lendemain de la rencontre du G-20 et veiller à ce que la facilitation des mouvements frontaliers bénéficie d'un traitement prioritaire égal à celui qui a conduit à la signature de l'accord bilatéral sur la sécurité à la frontière.
L'accord sur la facilitation des mouvements frontaliers devrait porter sur les thèmes suivants: une vision bilatérale commune de la frontière, des engagements financiers à long terme adéquats, l'évaluation et l'approbation préalables des passagers et des biens à faible risque et l'établissement de systèmes technologiques automatisés.
Un accord ayant pour but de faire en sorte que le commerce transfrontalier soit plus efficace devrait en outre comprendre les dispositions précises en vue de l'établissement d'un plan conjoint de gestion des crises frontalières. Il n'y en a toujours pas. Au lendemain du 11 septembre, nous nous sommes trouvés en mode purement réactif. Nous avons interprété les événements, et nous y avons réagi. Mais à supposer qu'autre chose se produise, j'irais jusqu'à dire que nous ne serons pas beaucoup mieux préparés.
Nous recommandons de plus des voies de traitement rapides pour les voyageurs et les biens à faible risque, ce qui suppose des investissements dans les immobilisations, le prédédouanement aux points frontaliers, ce qui signifie des changements législatifs tout autant que des investissements dans les immobilisations, la mainlevée des marchandises à l'usine pour les biens à faible risque, l'expansion des systèmes de gestion des risques, par exemple le projet pilote Nexus pour les passagers et le Programme d'autocotisation des douanes pour le fret et des investissements dans l'infrastructure stratégique, par exemple l'accès aux routes aux points frontaliers, l'agrandissement des complexes douaniers et l'expansion des capacités de franchissement des tunnels et des ponts.
En raison de l'intérêt que suscitent aujourd'hui les questions frontalières dans les deux pays, nous avons une occasion historique de réaliser des progrès dans le dossier de l'établissement d'un réseau frontalier intégré et plus rationnel. Le défaut de chercher des solutions bilatérales dans ce contexte pourrait entraîner l'adoption de mesures à l'encontre des intérêts du Canada, y compris la prolifération de pratiques frontalières défavorables qui ne feront qu'ajouter aux coûts de conformité pour l'industrie - les camionneurs aussi bien que les personnes pour le compte de qui ils transportent des biens.
La vision que nous avons d'une stratégie frontalière bilatérale ne suppose pas l'effacement du 49e parallèle, ni l'établissement d'une union douanière comme celle de l'UE, ni une perte de souveraineté pour le Canada, ni, enfin, la prise en charge de nos lois sur l'immigration et les réfugiés par le Congrès des États-Unis. Nous préconisons plutôt une approche bilatérale efficace qui empêche les indésirables et les contrebandiers de franchir nos frontières, tout en favorisant une circulation plus libre des particuliers et des biens à faible risque aux points frontaliers entre le Canada et les États-Unis.
La véritable perte de souveraineté résultera non pas de la collaboration entre l'établissement d'une vision commune de la frontière, mais bien plutôt des décisions unilatérales que les États-Unis pourront prendre vis-à-vis de l'aspect de la frontière.
Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Meighen: Monsieur Brady et monsieur Cooper, vous avez présenté un mémoire succinct. De toute évidence, vous vous intéressez à la question depuis longtemps, et c'est ce qui m'amène à ma première question.
Comme vous dites, le 11 septembre n'a pas été la cause de tous les problèmes. En fait, les attaques ont probablement ajouté une dimension nouvelle, du point de vue de la sécurité, et peut-être aussi, de votre point de vue à vous, un caractère d'urgence.
En ce qui concerne la facilitation, qui a dû faire l'objet d'un certain nombre de discussions avant le 11 septembre, quelles sont les différences ou les similitudes entre les approches des Américains et des Canadiens dans le dossier? Il doit bien y avoir certaines pierres d'achoppement. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?
M. Bradley: D'entrée de jeu, je précise que la différence essentielle et fondamentale entre les gouvernements tient à la philosophie, à la perception de l'importance du commerce et des meilleurs moyens de le favoriser. Au Canada, on a toujours davantage mis l'accent sur la facilitation des activités commerciales. Cela se comprend, étant donné que le tiers de notre produit intérieur brut dépend du commerce avec un seul et même pays. On doit s'assurer d'un commerce efficient et facilité. Aux États-Unis, on a toujours mis l'accent sur la sécurité nationale. Certaines personnes se demandaient peut-être pourquoi les États-Unis insistaient tant sur cette question. Je crois qu'on a maintenant la réponse. On avait beau organiser des discussions conjointes et signer des accords frontaliers, l'énergie et le mécanisme nécessaire à l'évolution de ces questions sur le plan bilatéral n'ont jamais existé. Nous avions affaire à deux solitudes.
En raison de ces préoccupations différentes, le Canada, grâce à des efforts comme le Programme d'autocotisation des douanes, a été en mesure d'affecter des fonds au perfectionnement du système et aux mécanismes automatisés nécessaires pour favoriser le commerce à la frontière. Cependant, bon nombre de personnes, au sein même du gouvernement, ne semblent pas comprendre que toutes les mesures prises par le Canada sont allées à sens unique. On a beaucoup fait pour faciliter l'importation de produits américains au Canada, mais les États-Unis ne nous ont pas rendu la pareille en facilitant l'entrée chez eux des exportations canadiennes.
À titre d'exemple, les systèmes automatisés des Douanes américaines datent des années 70 et 80 et sont sujets à des pannes et à des interruptions de service. Ces systèmes ne suffisent pas à traiter le volume actuel des biens échangés entre les deux pays. Imaginez ce que ce sera dans trois, quatre ou cinq ans. Pourtant, le Congrès a toujours empêché les Douanes d'obtenir les fonds nécessaires. Ces dernières ont évalué à environ 1,2 milliard de dollars le coût de la mise à niveau de leurs systèmes. Cette mise à niveau leur permettrait de traiter les débits d'aujourd'hui. Jamais le Congrès ne leur consentira une telle somme.
Pour comprendre la situation, nous nous sommes adressés à quelques membres du Congrès à Washington. Ils ont avancé une réponse prudente, notamment le fait que les Douanes n'ont pas justifié leurs besoins. On a ici affaire à un exemple patent des difficultés que nous devons surmonter pour gagner l'appui du Congrès dans le dossier de la sécurité et, fait encore plus important pour nous, dans celui de la facilitation des échanges commerciaux. Aux yeux des membres du Congrès, le commerce est d'une certaine façon sans importance, et il en a toujours été ainsi. À l'heure actuelle, l'accent est mis uniquement sur la sécurité.
Nous faisons face à un défi. J'espère que nous pourrons utiliser ce que nous avons fait dans le dossier de la sécurité pour les inciter à négocier dans celui du commerce.
Le sénateur Meighen: Pourquoi ne pourriez-vous pas le faire? Si on signe un accord sur la sécurité supposant l'engagement de fonds- nous avons déjà vu des annonces à ce sujet. Ne croyez-vous pas que la présence de patrouilles frontalières plus nombreuses permettra aux douaniers de se concentrer davantage sur la facilitation du commerce?
M. Bradley: La question va beaucoup plus loin, mais, à court terme, la réponse est oui. Il suffit d'écouter les douaniers et les policiers américains en poste du côté américain de la frontière pour comprendre qu'ils sont au bord de l'épuisement. Il faut beaucoup d'agents pour inspecter tout ce qui franchit la frontière. À court terme, il s'agit probablement d'une initiative positive. Toutefois, à long terme - et c'est ce contre quoi nous devons nous protéger - le seul fait de multiplier les ressources humaines ne constitue pas la seule solution. En grossissant l'effectif, on ne favorise pas le prédédouanement; en fait, on ne fait que multiplier les inspections.
Nous allons devoir effectuer un sérieux travail de relations publiques à Washington pour tenter d'aligner l'administration des Douanes américaines sur l'approche canadienne, ce qui lui permettra de libérer des ressources pour s'occuper des personnes et des biens inconnus ou dont les antécédents ne seront peut-être pas tout à fait irréprochables. Les personnes qui se sont prêtées aux formalités de préenregistrement et de vérifications applicables et le reste pourront se déplacer librement, tout en sachant qu'elles risquent de faire l'objet d'une inspection aléatoire.
Le sénateur Meighen: Ai-je raison de penser que, selon vous, nous avons, jusqu'à un certain point tout au moins, élaboré des systèmes et des procédures qui facilitent le commerce, mais principalement celui des produits qui nous sont destinés?
M. Bradley: Oui.
Le sénateur Meighen: J'ai l'impression que nous disposons d'une occasion en or d'effectuer des ventes aux États-Unis puisque les Américains sont d'ardents partisans du libre-échange.
M. Bradley: Oui, lorsque c'est à leur avantage.
Le sénateur Meighen: Exactement. C'est vous qui l'avez dit.
M. Graham Cooper, vice-président principal, Alliance canadienne du camionnage: M. Brady a fait référence à la position du Congrès avant le 11 septembre relativement au financement des systèmes commerciaux automatisés. Il est intéressant de remarquer que quelques projets de loi, y compris des projets de loi de crédits, ont, presque immédiatement après les attentats, donné aux Douanes américaines des sommes totalisant plus de 300 millions de dollars par années pour ces systèmes informatisés. Auparavant, ces crédits n'étaient pas disponibles.
Même s'il est clair que, du point de vue de l'automatisation et de la facilitation des échanges commerciaux, un système canadien comme le Programme d'autocotisation des douanes, dont nous avons parlé, n'aurait rien à envier à tout système américain, la clé consiste aujourd'hui à faire en sorte que ces systèmes trouvent des applications bilatérales dans le contexte général de la sécurité. C'est sous cet angle que nous devons désormais envisager les choses. Une fois les problèmes de sécurité réglés, on pourra s'intéresser aux problèmes de facilitation, mais on devra procéder de façon bilatérale. L'établissement d'un système pour le transport de biens vers le nord incompatible avec le système prévu pour le transport de biens vers le sud n'a aucun sens.
Le sénateur Meighen: Avez-vous organisé des conférences à ce sujet? Rencontrez-vous de la résistance?
M. Bradley: Nous n'avons pas rencontré de résistance particulière. Cependant, nous n'avons encore vu aucun détail, c'est pourquoi nous attendons le budget.
Aux États-Unis, vous trouverez des législateurs et des groupes commerciaux tout aussi préoccupés. Nous devons compter sur eux pour faire face au Congrès. En même temps, cependant, je sens une certaine hésitation, même parmi les gens d'affaires, à trop insister sur la facilitation par crainte de ne pas adopter une position suffisamment dure à l'endroit du terrorisme. Nous allons devoir effectuer un travail de persuasion.
Le sénateur Meighen: Si on fait abstraction des coûts, y a-t-il des avantages, du point de vue de la sécurité ou de la facilitation, à expédier des biens par avion plutôt que par camion? Je ne vous demande pas de vous prononcer contre l'industrie que vous représentez. Je m'interroge simplement sur les difficultés auxquelles vous faites face et dont vos concurrents du secteur aérien sont exemptés?
M. Bradley: Je préférerais laisser au représentant de l'Association du transport aérien du Canada le soin de répondre à la question.
À l'heure actuelle, c'est le secteur aérien qui, dans le domaine du transport de marchandises intermodal, connaît la croissance la plus rapide dans la mesure où il est mieux en mesure que les industries du transport maritime ou ferroviaire de fournir des services juste à temps. Cependant, on en est encore au stade embryonnaire. Les systèmes de stockage juste à temps ont été bâtis autour du camion. On a établi les centres de distribution en fonction de la distance qu'un camion peut parcourir au cours d'une période donnée et d'autres considérations de ce genre.
Tandis que tous les autres modes ont un rôle à jouer, je ne pense pas qu'on puisse envisager comme solution le recours à un nouveau mode de transport, et je n'en ai pas non plus entendu beaucoup parler. Ce n'est pas ce que j'entrevois. Nous allons devoir régler le problème du camionnage. Tant mieux si les autres peuvent donner un coup de main.
Le sénateur Meighen: Peut-être ne me suis-je pas exprimé clairement. Les formalités douanières auxquelles doit se soumettre un expéditeur sont-elles plus simples s'il a recours au transporteur aérien plutôt qu'au transport par camion?
M. Bradley: Je ne suis pas en mesure de répondre à la question. Mon impression, c'est que la situation n'est pas sensiblement différente. Si, à la frontière, la queue s'étire sur 30 milles, comme ça été le cas le 14 septembre, l'avion constitue la meilleure solution. Faisiez-vous allusion à une forme de laxisme dans les mécanismes d'application ou d'inspection?
Le sénateur Meighen: Non, je faisais référence aux procédures douanières qui s'appliquent aux biens transportés par avion et transportés par camion.
M. Bradley: À ma connaissance, il n'y a pas de différence. Peut-être devriez-vous poser la question à vos témoins de l'Association du transport aérien du Canada.
Le sénateur Setlakwe: Je vous remercie de votre exposé des plus clairs, monsieur Bradley.
Vous avez mentionné que certaines modifications ont récemment été apportées à la Loi sur l'Agence des douanes et du Revenu du Canada. Devrait-on apporter d'autres modifications à cette loi? Dans le même ordre d'idées, pensez-vous qu'on devrait exercer des pressions sur les Américains pour qu'ils adoptent des dispositions législatives compatibles avec les nôtres?
Si je me souviens bien, nous n'aurions pas pu mettre en place le projet pilote Nexus, le projet sur la biométrie ni CANPASS sans leur aval. Dans quelle mesure avons-nous besoin de nouvelles dispositions législatives au Canada? Dans quelle mesure devrait-on faire valoir nos dispositions législatives auprès des Américains?
M. Bradley: Il y a un aspect stratégique à propos duquel nous chercherions à obtenir l'adoption de mesures législatives. Cette question revêtira peut-être une importance cruciale au cours des semaines à venir. Pour réussir à adopter une approche bilatérale de ces questions, nous devons apporter des ajustements et des modifications au Programme de précotisation des douanes de même qu'aux dispositions législatives.
La clé consisterait à obtenir l'adoption de dispositions législatives qui autorisent le prédédouanement et le prédédouanement inversé. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on devrait autoriser des inspecteurs américains à venir en sol canadien pour vérifier le chargement des camions avant qu'ils n'arrivent à la frontière, comme on le fait aujourd'hui dans certains aéroports. Je crois comprendre que cela exigerait l'adoption de mesures législatives au Canada.
Le sénateur Setlakwe: Ces dispositions ne sont-elles pas incluses dans le volet de la Loi portant sur la préconisation?
M. Bradley: Non.
M. Cooper: Vous avez fait allusion à la biométrie. De toute évidence, il s'agit d'un domaine critique. Il y a à peine neuf oudix semaines, la biométrie n'était qu'une vague notion, mais, aujourd'hui, nous en attendons parler presque tous les jours.
Notre gouvernement, nos collègues américains et l'industrie du camionnage examinent actuellement les utilisations éventuelles d'identificateurs biométriques, les conséquences juridiques et ainsi de suite. De la même façon que le Programme de précotisation des douanes vise à définir et à accélérer le mouvement des produits à faible risque, nous devons trouver un moyen d'identifier et d'accélérer le mouvement des personnes à faible risque. Dans ce domaine, nous sommes au coeur des percées technologiques. Je m'attends à ce que nous soyons témoins de progrès rapides dans ce dossier au cours des prochaines semaines et des prochains mois.
Le sénateur Setlakwe: Souhaiteriez-vous que ces méthodes soient accessibles aux chauffeurs de camions tout autant qu'aux passagers?
M. Cooper: Absolument.
Le sénateur Angus: Le débit de camions qui franchissent nos frontières pique ma curiosité. Vous avez dit ou j'ai lu dans certains des documents qui nous ont été fournis qu'un camion transportant des biens franchit la frontière entre le Canada et les États-Unis toutes les 2,8 secondes, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, n'est-ce pas?
M. Bradley: C'est plutôt toutes les 2,4 secondes.
Le sénateur Angus: Cette situation m'amène à une question qui va de soi: où sont les principaux points d'étranglement à la frontière? J'ai sous les yeux une liste des points frontaliers. Quel est le pire?
M. Bradley: Environ 65 p. 100 des biens vendus par le Canada aux États-Unis transitent par les quatre principaux points frontaliers ontariens, mais ce ne sont pas là les seuls points importants. Windsor-Detroit vient au premier rang. En fait, plus de biens franchissent le pont Ambassador que tout autre point frontalier sur la planète. Les trois autres sont Sarnia-Port Huron, Fort Erie-Buffalo et Niagara Falls. Il y a aussi le point frontalier de l'autoroute du Pacifique, au sud de Vancouver.
Le sénateur Angus: On me dit que c'est ce dernier qui constitue le principal point d'étranglement. C'est là que les queues et les délais d'attente seraient les plus longs. Le cas échéant, comment expliquer la situation?
M. Bradley: Je ne suis pas en mesure d'affirmer que c'est le pire, mais il vient en haut de la liste. Je pense que les camionneurs qui franchissent la frontière à Windsor risqueraient de ne pas être d'accord avec moi si j'affirmais que c'est le pire endroit.
C'est à ces points frontaliers principaux de même qu'à Lacolle, au sud de Montréal, qu'on retrouve les principaux bouchons d'étranglement. Dans la période qui a suivi immédiatement les attentats du 11 septembre, on a observé à chacun de ces points frontaliers des retards de plusieurs heures. Je ne crois pas qu'on puisse prétendre que la situation de l'un ou de l'autre était plus mauvaise.
À Windsor, le simple volume de points commerciaux laisse croire à un problème précis. Pour l'économie de la Colombie-Britannique, le point frontalier de l'autoroute du Pacifique revêt manifestement une extrême importance.
Le sénateur Angus: Même si nous sommes ici pour examiner les impacts économiques vraisemblablement négatifs du11 septembre, nous nous retrouvons face à une situation bizarre: à la suite des événements du 11 septembre, la question des frontières se trouve au centre de l'actualité. C'est un enjeu auquel vos homologues, les Douanes et vous-même vous intéressiez avant même que les éléments terribles du 11 septembre se produisent, n'est-ce pas? En d'autres termes, les attentats ont sensibilisé le public à cette question comme vous n'aviez jamais réussi à le faire auparavant.
M. Bradley: Oui. Depuis quelques semaines, j'ai répété à de nombreuses reprises que, bien qu'on ne puisse trouver aucun réconfort dans ce qui est arrivé le 11 septembre, les gens savent désormais qu'il existe une frontière, que les moyens de subsistance économiques du Canada vont au-delà de la frontière et que l'essentiel de ce commerce se fait par camion. Avant le 11 septembre, comme je l'ai indiqué dans mes propos liminaires, les gens, à supposer qu'ils soient même au courant de la situation, considéraient qu'il s'agissait d'un problème propre aux camionneurs. C'est aujourd'hui l'affaire de tout le monde.
Le sénateur Angus: Plus tôt cette année, le sénateur Banks, le sénateur Setlakwe et moi avons rencontré des témoins de l'ADRC pour discuter de la phase deux. Nous avons jugé nettement positives les mesures qu'ils avaient prises. J'ai pour ma part déclaré qu'elles n'allaient pas assez loin, comme en fait foi le compte rendu. Si je me souviens bien, nous n'avons pas entendu à cette occasion de témoignages de votre association. Sinon, je n'ai pas assisté à votre exposé et je m'en excuse. Je ne me souviens pas de vous avoir vu, ni vous ni les autres témoins qui ont comparu devant nous la semaine dernière.
Vous avez maintenant compris que le moment était venu de faire passer votre message.
M. Bradley: Absolument.
Le sénateur Angus: À cet égard, j'ai eu aujourd'hui l'occasion de discuter avec une personne qui a peut-être la capacité de faire quelque chose à ce sujet aux États-Unis. Comme je l'ai dit, j'avais lu votre mémoire. À ce titre, je savais qu'un camion franchit la frontière toutes les 2,4 secondes. Les membres de mon personnel, toujours aussi efficients, ont veillé à ce que j'aie tous les renseignements nécessaires à portée de main. J'ai laissé entendre qu'il devait s'agir d'un problème impossible à régler, avant de demander à mon interlocuteur si les chauffeurs de camion faisaient l'objet de soupçons.
Ce dernier m'a répondu que non et que je n'avais rien compris. Essentiellement, m'a-t-il dit, on pourra régler simplement le problème en dotant les chauffeurs de cartes d'identité biométriques, en procédant au prédédouanement des biens et en adoptant toute une gamme de mesures comme le recours aux dispositifs automatisés à la fine pointe de la technologie.
On m'a dit que, dans le budget de lundi, le Canada prendrait certaines dispositions en ce sens. L'argent pourrait faciliter l'avènement de ces mesures. Il faudra aussi que les États-Unis prennent des mesures comme celles auxquelles M. O'Neill a fait allusion. Ai-je raison de penser qu'il s'agit maintenant d'une question d'argent et qu'on comprend maintenant que les questions liées au commerce et à la sécurité concernent à la fois le Canada et les États-Unis? En d'autres termes, on n'aurait pas affaire à un cauchemar logistique impossible à corriger.
M. Bradley: En principe, il ne s'agit pas d'un cauchemar difficile à corriger. Une fois de plus, on doit adopter une solution bilatérale. On surmontera un obstacle de taille en parvenant à associer le secrétaire au Trésor à une certaine forme d'accord bilatéral. Lorsqu'on y sera parvenu, il faudra, dans une large mesure, adopter des types de systèmes pour que tout fonctionne, et certaines personnes vous diront qu'il s'agit d'un véritable cauchemar, mais, en réalité, il n'en est rien. Comme toujours, il y aura des lacunes dans la technologie. Si nous nous dirigeons tous dans la même direction, nous pourrons toutefois laisser aux technocrates le soin de régler les problèmes. On n'aura pas affaire à de grands enjeux stratégiques ni rien de cette nature.
Le sénateur Banks: Certains des problèmes frontaliers auxquels vous avez fait allusion ne sont pas uniquement bureaucratiques: ils sont aussi culturels. De l'autre côté de la frontière, la mentalité est différente. C'est ce qui m'amène à la question suivante: quelle est la nature des relations que vous entretenez avec votre organisme ou vos organismes parrains aux États-Unis? Y en a-t-il un?
M. Bradley: Il y en a quelques-uns. Nos relations sont très bonnes. À moins que notre rencontre ne se prolonge, nous allons en fait nous rendre ce soir à Washington pour discuter avec nos homologues des États-Unis. Le directeur de la Chambre de commerce des États-Unis est l'ancien directeur de l'American Trucking Association. Avant-hier, j'ai pris la parole devant l'assemblée législative de l'État à Detroit. Nous entretenons de bonnes relations avec les gens de là-bas. La clé, c'est que nous nous mobilisions tous et que nous allions tous dans la même direction.
Le sénateur Banks: J'ai l'impression - je crois que mes collègues la partagent - que nous avons une longueur d'avance en ce qui a trait à l'efficience des méthodes de traitement à la frontière. Est-ce une affirmation juste?
M. Bradley: Je dirais que oui. Une fois de plus, la situation s'explique par des préoccupations différentes.
Le sénateur Banks: Vous dites entretenir de bonnes relations avec vos organismes parents aux États-Unis. Or, il s'agit dans ce pays d'une force politique puissante. À votre avis, ces organismes exercent-ils sur le gouvernement américain le genre de pressions dont ils sont capables pour faire en sorte que la situation évolue dans le bon sens? De façon plus précise, s'orientent-ils dans ce que vous considérez être la bonne direction en établissant des centres d'inspection américains de notre côté de la frontière pour alléger les pressions qui s'exercent aux points frontaliers?
M. Bradley: Je vais obtenir une mise à jour plus complète demain. Je ne perçois aucune opposition en ce sens de la part de nos collègues des États-Unis. Je ne cherche pas à les protéger outre mesure, mais il importe de comprendre que la communauté des affaires des États-Unis fait preuve de prudence dans ses déclarations sur ces enjeux et dans les pressions qu'elle exerce auprès de certains milieux. La situation s'explique par le fait que c'est toujours la sécurité qui occupe l'avant-plan. Personne ne veut être perçu comme faisant preuve de laxisme dans le domaine de la sécurité. À mon avis, nous ne sommes pas sortis du bois.
De toute évidence, la communauté des affaires du Canada n'exerce aucune influence politique à Washington. Nous ne votons pas, pas plus que nous ne pouvons verser des fonds aux membres du Congrès. En fait, nous devons nous en remettre à nos homologues américains.
Nous sommes affiliés à un organisme appelé Americans for Better Borders qui lutte à corps perdu contre l'Illegal Immigration Act des États-Unis, en particulier l'article 110. Cependant, l'U.S.A. Patriot Act, qui a été adopté il y a à peine quelques semaines, ressemble beaucoup à l'article 110. Ce texte de loi a reçu un appui massif de la part de la communauté des affaires et des citoyens des États-Unis.
Le sénateur Banks: Par curiosité, j'aimerais savoir combien de vos membres ont quotidiennement accès au service de ferroutage ou l'utilisent?
M. Bradley: Le concept joue un rôle de plus en plus grand au sein de l'industrie, mais la proportion de l'activité s'y rapportant est limitée et le demeurera. Si, à certains égards, les compagnies de chemin de fer ont, dans une certaine mesure, amélioré leur service, on doit comprendre qu'il faut toujours un camion au terminal ferroviaire, à l'aller comme au retour. Dans le contexte des livraisons juste à temps, l'utilisation de ce genre de service ne va pas de soi. On y fait aujourd'hui appel dans certains corridors. La coopération est beaucoup plus grande que jamais auparavant.
Si vous me demandez s'il s'agit pour moi d'une solution de rechange viable et d'un moyen d'éviter les problèmes à la frontière, la réponse est non. Les systèmes juste à temps sont bâtis autour des camions en raison de la souplesse des services qu'ils sont en mesure d'offrir.
Le sénateur Banks: Parce qu'ils vont d'un point à l'autre?
M. Bradley: Exactement.
Le sénateur Banks: Lorsqu'on a affaire au ferroutage, les mécanismes d'inspection sont-ils les mêmes? En d'autres termes, les wagons sont-ils inspectés à la frontière?
M. Bradley: Selon ce que je crois comprendre, on a affaire à une combinaison d'éléments. Il y a la police ferroviaire et je ne doute pas un seul instant que les autorités se réservent le droit d'effectuer le même genre d'inspection. Cependant, je ne connais pas très bien le système.
M. Cooper: Au lendemain des attaques, on a eu l'impression que les trains franchissaient la frontière plus rapidement. La semaine dernière, j'ai reçu de l'Alberta des rapports selon lesquels les Douanes des États-Unis inspectent chacun des wagons. Cette situation a posé certains problèmes du côté canadien de la frontière parce que les trains s'accumulaient et bloquaient des routes municipales.
Mon impression, c'est que les Douanes sont en état d'alerte maximale pour tous les modes de transport, et non pas seulement pour les camions.
Le sénateur Banks: En date d'aujourd'hui et d'hier, vos membres sont-ils tombés sur des militaires armés?
M. Bradley: Oui. Absolument. Nous en rencontrons tous les jours.
Le sénateur Banks: Je veux parler de soldats, et non de garde-frontières.
M. Cooper: Ce sont des membres de la Garde nationale.
M. Bradley: Oui. Des membres de la Garde nationale sont en poste depuis quelques semaines, et d'autres font leur arrivée. Nous avons pris l'habitude de voir des personnes en tenue de combat. Ce n'est pas qu'à la frontière. Des patrouilleurs et des policiers des États interpellent des camions canadiens. On a porté des accusations contre des chauffeurs qui ne parlaient pas assez bien l'anglais de l'avis de patrouilleurs. Aux États-Unis, commet une infraction quiconque ne parle pas assez bien l'anglais pour pouvoir communiquer avec un agent d'exécution de la loi. On est témoin de ce genre de situation.
Je suis certain de ne pas avoir à vous faire un dessin. On entend certains sénateurs ou membres du Congrès qui, poussés par l'intérêt économique, affirment qu'il faut acheter des produits américains et tiennent d'autres propos de ce genre. À mes yeux, la menace concerne l'investissement direct et l'endroit où il se concentrera à l'avenir. La frontière est perçue comme un problème. Même si nous corrigeons les lacunes, nous ferons face à un problème de taille si d'éventuels investisseurs croient à l'existence d'un problème. S'il n'y a rien à transporter, il n'y aura pas de camions.
Le sénateur Kroft: À peu près tout ce qu'on nous a dit a trait à l'investissement dans l'infrastructure publique ou à la réglementation. Le règlement de la crise entraîne-t-il des conséquences liées à l'investissement pour l'industrie du camionnage? Le cas échéant, avez-vous des commentaires généraux à faire au sujet de la mesure dans laquelle l'industrie du camionnage est prête à faire face à cette responsabilité, disposée à le faire et capable de donner suite?
M. Bradley: Au cours des cinq dernières années environ, l'industrie fait face à un problème lié à la mafia russe, en ce qui concerne les vols de remorques ou de chargements et ainsi de suite. Depuis quelques années, nous avons investi dans de meilleurs systèmes de sécurité. L'industrie double aujourd'hui cet effort. Des experts-conseils en sécurité du secteur privé collaborent avec nous à la mise en place de programmes et d'autres mesures du genre. Bien entendu, des coûts en immobilisations et d'autres coûts s'y rattachent.
Même si on a besoin d'investissements publics pour mettre les systèmes en place et les rendre fonctionnels, soyez certain que ce sont les camionneurs qui en feront les frais. Nous allons devoir assumer les coûts des cartes biométriques et nous devrons acquitter des péages chaque fois que nous traversons un pont. Vous voyez le genre.
Notre position est la suivante: si tout transporteur qui franchit la frontière doit faire partie du système et, par conséquent, partager les coûts, qu'il en soit ainsi. Nous ne sommes toutefois pas favorables à une situation en vertu de laquelle certaines entreprises, parce qu'elles se croient trop petites ou que leurs activités aux États-Unis sont trop limitées, exercent des pressions en faveur de l'adoption de règles qui leur permettent de se retirer du système. Ce n'est pas la solution. Tout transporteur qui franchit la frontière doit participer. Les coûts doivent être ensuite répartis de façon égale et équitable. Au bout du compte, nous allons tenter de refiler la facture au consommateur.
Le président: Merci d'être venu ici cet après-midi. Vous avez présenté un bon exposé.
Le deuxième groupe de témoins représente l'Association du transport aérien du Canada.
M. J. Clifford Mackay, président, Association du transport aérien du Canada: Je vais inviter M. Everson à dire quelques mots avant que nous ne passions à la période de questions.
M. Warren Everson, vice-président, Planification stratégique et Politique, Association du transport aérien du Canada: Merci de nous avoir invités à comparaître devant le comité.
Notre association représente l'aviation commerciale canadienne, y compris la quasi-totalité des compagnies aériennes qui transportent des marchandises et des passagers de même que de nombreuses écoles de pilotage et des industries aéronautiques connexes. Nous comptons également parmi nos membres associés la plupart des grands transporteurs américains de même qu'un certain nombre de transporteurs européens.
Le marché transfrontalier compte pour environ 35 p. 100 du nombre de passagers transportés par l'industrie aérienne du Canada, soit environ 20 millions de passagers par année. Il s'agit de l'un des marchés qui connaît la plus forte croissance et également de l'un des plus rentables. De 1990 à 1999, le trafic commercial entre le Canada et les États-Unis, qui procure un rendement élevé, a augmenté de 5,3 p. 100 par année.
De façon plus générale, de nombreux témoins vous auront dit que nos deux pays échangent des biens d'une valeur de 1 million de dollars toutes les minutes et que 200 millions de personnes franchissent annuellement notre frontière commune. La sécurité et la santé économique de notre pays nous obligent à nous occuper de notre frontière et à adopter de nouvelles approches de gestion de cette relation. C'est du moins le cas pour les compagnies aériennes.
Je tiens à souligner que, avant le 11 septembre, tout n'allait pas comme sur des roulettes. L'industrie aérienne éprouvait des difficultés. Pendant la quasi-totalité des années 90, nous avons connu des taux de croissance supérieurs au taux d'inflation. Pendant les années 90, le trafic a augmenté en raison de la signature de l'accord «Ciel ouvert». En quatre ans, nous avons été témoins d'une augmentation de 46 p. 100 du nombre de passagers transportés sur les routes transfrontalières. Cependant, les ressources affectées à des organismes comme les Douanes du Canada et des États-Unis n'ont pas augmenté du tout. Certaines années, elles ont même diminué.
L'année dernière, les négociations entourant l'accord de congé anticipé entre le Canada et les États-Unis ont fait ressortir vivement nos préoccupations. À un moment donné, les Douanes américaines ont soudainement insisté pour que, dans le texte de l'accord, on précise que, de temps à autre, ils ne disposeraient pas de ressources suffisantes pour répondre à la demande croissante du côté canadien.
À l'époque, j'ai pensé - et je pense encore aujourd'hui - qu'il s'est agi là d'un moment poignant de l'histoire de la fonction publique. Voici un accord conçu pour faciliter les déplacements assorti d'une disposition précisant que les gouvernements ne sont peut-être pas en mesure de suivre le rythme si tout va bien. Nous allions au devant de grandes difficultés, et les fonctions publiques n'ont pas été en mesure de suivre le rythme de l'augmentation de la demande.
Le 11 septembre a changé la donne de façon provisoire. Cependant, le Canada ne doit pas avoir pour simple objectif un retour aux normes en vigueur avant les attaques terroristes. Ces attaques ont détourné notre attention de la question de la facilitation.
J'appuie de tout coeur bon nombre des commentaires faits plus tôt par M. Brady. Au cours de la dernière période de deux mois et demi, nous avons concentré notre attention sur la sécurité plutôt que sur la facilitation des déplacements. Nous avons eu pour principale préoccupation les simples exigences physiques sur l'effectif et les systèmes au stade de l'inspection des membres du personnel, des passagers, des membres d'équipage et des bagages.
Tout le système d'activités aériennes tourne autour du temps et de la vitesse d'exécution. Dans certains cas et à certaines occasions, le système s'arrête brutalement et entraîne des retards d'une durée inacceptable, ce qui suscite généralement une attention considérable de la part des médias. Lorsqu'un nombre de plus en plus grand de personnes tentent d'éviter l'aéroport si un autre moyen de transport s'offre à eux, il est certain qu'un grave problème se pose du point de vue de la demande des passagers.
Mon collègue et notre président, M. Mackay, est ici pour dire un mot des détails des relations que nous entretenons avec les États-Unis dans le domaine de la sécurité, à supposer que des questions soient posées à ce sujet.
Nous voulons profiter du peu de temps mis à notre disposition pour aborder une question qui nous préoccupe tout particulièrement, c'est-à-dire les relations que nous entretenons avec les États-Unis dans le domaine de l'échange de renseignements sur les passagers que possèdent les compagnies aériennes.
Au cours des deux ou trois dernières années, cette question a donné lieu à une activité considérable. Les gouvernements de tout le monde occidental ont évoqué la possibilité d'utiliser les données des compagnies aériennes pour effectuer une évaluation préalable ou un profil des passagers, de manière à ne pas gaspiller des ressources en faisant enquête sur des voyageurs fréquents et sur des personnes à faible risque, ou encore en les interrogeant. Le Canada a été l'un des pays du monde qui a travaillé particulièrement fort avec les compagnies aériennes pour mettre au point des systèmes uniformes facilitant les déplacements.
Depuis le 11 septembre, cependant, on s'intéresse plutôt à la possibilité de recueillir de telles données à des fins de sécurité. Le 15 octobre 2001, les États-Unis ont adopté une loi sur la sécurité douanière. Récemment, le Canada a adopté le projet de loi S-23, Loi sur les douanes, et le projet de loi C-11, Loi sur l'immigration, qui habilite le ministre à obliger les compagnies aériennes à fournir des données. Du côté des transports, le ministre Collenette a présenté le projet de loi C-42, qui modifie certaines lois pour renforcer la sécurité publique.
Le président: Peut-être pourriez-vous vous en tenir au script que nous avons devant nous. Nous avons du mal à vous suivre, même si nous vous savons gré de tous les renseignements que vous nous présentez.
Le sénateur Angus: Voulez-vous parler du projet de loi C-42 ou du projet de loi C-44?
M. Everson: En vertu du projet de loi C-42, Transports Canada peut nous obliger à divulguer les données.
Le sénateur Angus: En quoi consiste donc le projet deloi C-44?
M. Everson: Il s'agit d'une exemption rapide mais sans fioritures aux règles concernant la protection des renseignements personnels qui permet la divulgation donnée aux autorités compétentes.
La législation des États-Unis revêt pour nous un intérêt tout particulier. Tous les transporteurs qui souhaitent entrer aux États-Unis devront s'y soumettre. Récemment, le directeur des Douanes a établi clairement que les transporteurs, avant même l'expiration du délai de 60 jours qui leur a été accordé, feront face à des mesures dynamiques de filtrage des passagers.
Le point principal que nous voulons soulever et soumettre avec vigueur au comité, c'est que le Canada ne peut pas survivre en s'accommodant des conditions faites au reste du monde, probablement pas dans notre économie en général et certainement pas dans notre industrie aérienne. Nous devons bénéficier d'un accord différent de celui dont profitent d'autres pays parce que notre situation est différente de celle de tout autre pays.
Parmi les compagnies aériennes des autres pays, aucune ne fait face aux coûts formidables que doivent assumer les nôtres, étant donné que nous partageons une bonne part des risques assumés par les transporteurs américains dans le contexte actuel. Qui plus est, les tendances des déplacements au départ et à destination des États-Unis observées ici sont uniques. Je ne vais pas entrer dans les détails des échanges d'emprises aériennes, mais les transporteurs de tous les autres pays n'ont droit qu'à un accès limité et précis au marché américain et vice-versa. Habituellement, les autres pays auront recours à de très grands aéronefs qui franchissent de longues distances pour se rendre dans l'une des sept ou huit plaques tournantes principales.
Le Canada et les États-Unis ont signé l'accord «Ciel ouvert», qui fait l'envie de la plupart des pays du monde. En vertu de cet accord, tout exploitant autorisé peut effectuer des trajets de point à point - de tout point au Canada vers tout point aux États-Unis ou vice-versa.
Le président: Êtes-vous en train de nous dire qu'une compagnie aérienne américaine peut vous transporter de Montréal à Toronto?
M. Everson: Non, mais elle peut vous transporter de tout point aux États-Unis vers tout point au Canada.
Le président: Ce n'est pas ce que vous dites.
Le sénateur Angus: Votre phrase est trompeuse. Vous dites: «vers tout point dans l'un ou l'autre pays».
Le président: De toute évidence, il s'agit d'une erreur, n'est-ce pas?
M. Everson: Oui. La marge de manoeuvre offerte par l'accord «Ciel ouvert» a constitué un énorme stimulant économique pour les transporteurs et les consommateurs. Il a en particulier permis aux transporteurs canadiens d'éviter ce que nous appelons les «plaques tournantes fortifiées» ou les transporteurs américains occupent une position si dominante.
Le marché transfrontalier ne se prête pas bien à la transmission de renseignements sur les passagers. Habituellement, les déplacements entre le Canada et les États-Unis durent moins de deux heures. En général, ce n'est pas suffisant pour permettre la transmission de dossiers personnels, les confronter aux bases de données et interdire l'accès à bord à tout suspect.
Comme nous n'obligeons pas les Américains et les Canadiens qui traversent la frontière à être munis d'un passeport, la solution facile qui consiste à scanner le passeport, comme on le fait en Europe, ne s'offre pas à nous.
Ai-je dit quelque chose qui vous a irrité, sénateur Meighen?
Le sénateur Meighen: Non. Avez-vous récemment tenté de franchir la frontière sans passeport? J'en ai fait l'essai et je suis finalement parvenu à mes fins, mais cela ne leur a pas plu du tout.
M. Everson: C'est vrai. Si un homme d'allure respectable comme vous éprouve des difficultés, imaginez le sort qui attend le reste d'entre nous.
Au fur et à mesure que la sécurité se resserre, des pressions s'exerceront sur les transporteurs étrangers pour qu'ils se concentrent sur un plus petit nombre de plaques tournantes, de façon que les ressources puissent y être ciblées. Certains transporteurs étrangers en font la demande parce qu'ils ne tiennent pas à assumer le lourd fardeau de la tenue à jour de données sur les passagers. Ils préfèrent utiliser des points d'embarquement comme on le fait en Europe. Si on en vient là, l'industrie aérienne du Canada court à la catastrophe.
Les Canadiens ont l'habitude de se représenter la frontière comme une ligne physique. Cependant, pour l'industrie aérienne du Canada, la frontière n'a jamais été une ligne. Il s'agit d'un processus plutôt que d'un lieu. Pour que le processus fonctionne bien, on doit miser sur des politiques canadiennes novatrices et ciblées. Nous disons «canadiennes» parce que la frontière est beaucoup plus importante pour nous que pour les États-Unis. Nous pensons que c'est à nous qu'il appartiendra de présenter des suggestions et d'exercer des pressions pour que des solutions soient adoptées. Selon notre expérience - en particulier celle des deux derniers mois -, les Américains sont moins hostiles qu'indifférents, et ils sont mal informés.
L'Association du transport aérien du Canada est membre de la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial. Cette dernière a déposé son rapport cette semaine. Nous appuyons un certain nombre de commentaires qui y figurent. Nous sommes également favorables à l'idée de l'établissement d'une commission binationale chargée de la frontière et de son évolution à une époque où de graves menaces pèsent sur elle.
Chacun des ministres de la Couronne a affaire à une section différente de la frontière et s'en occupe dans les limites de son mandat. À notre avis, nous avons affaire à une absence de responsabilité dominante.
Winston Churchill a un jour parlé de respect entre voisins et d'obligations honorables pour décrire les liens que nous entretenons avec les États-Unis. Dans le monde moderne, de tels liens sont rares et vulnérables. Pour assurer leur survie, nous devons compter sur des gardiens à temps plein.
Le sénateur Angus: Aux fins du compte rendu, je tiens à ce que le greffier note que j'ai un intérêt en tant que membre du conseil d'administration d'une des compagnies aériennes membre de l'association qui témoigne, mais je ne vois pas de conflit d'intérêts dans le contexte de la présente réunion. Je vous invite simplement à prendre acte de ma déclaration d'intérêt.
Dans le cadre de la présente étude, nous tentons de déterminer les impacts économiques des événements tragiques du 11 septembre, ce qui est sensiblement différent, M. Everson, de ce que vous nous avez dit dans vos propos liminaires. Nous avons lu dans les journaux que ces événements avaient été en soi les plus dévastateurs qu'ait jamais connus l'industrie aérienne commerciale. Êtes-vous en mesure de le confirmer? Le cas échéant, pouvez-vous nous donner une idée de l'ampleur et de la dimension de cet impact? Ces données vont droit au coeur de la question à l'étude. Je crois comprendre que les chiffres sont des plus spectaculaires.
M. Mackay: Nous croyons que c'est vrai. Jamais dans l'histoire de l'aviation commerciale, avons-nous été témoins d'une situation comme celle qui a découlé du 11 septembre. Pour vous donner une idée approximative de la situation, nous avons constaté une réduction de la capacité, au-delà de ce qui expliquerait le ralentissement observé avant le 11 septembre. C'est de l'ordre de 20 p. 100. Ce n'est pas seulement au Canada, c'est partout dans le monde. Le taux de reprise demeure très incertain.
Le sénateur Angus: Est-ce une moyenne qui vaut pour l'autre côté de la frontière?
M. Mackay: Oui.
Le sénateur Angus: Pourriez-vous être plus précis en ce qui concerne les États-Unis et le Canada?
Le président: Vous avec parlé d'une réduction de la capacité?
M. Mackay: Cela veut dire que le nombre de places que l'on peut acheter, dans l'industrie aérienne, de par le monde, est inférieur de 20 p. 100.
Le président: Vous avez mis beaucoup d'avions dans les hangars?
M. Mackay: Oui.
Pour ce qui est de la situation canado-américaine, c'est plus marqué. La circulation transfrontalière connaît une réduction de 25 à 30 p. 100, probablement. Encore une fois, le taux de rétablissement de cette circulation demeure très incertain. Cela a une incidence sur tous les segments de marché et non seulement sur les voyages d'affaires. Nous avons également observé une réduction très importante des voyages d'agrément.
Le sénateur Angus: Tout cela découle directement des incidents du 11 septembre?
M. Mackay: Nous croyons qu'il s'agit du principal facteur en jeu. Du point de vue analytique, il est difficile d'établir certains des éléments de la causalité, car, évidemment, nous voyons qu'il y a aussi un ralentissement de l'économie et des difficultés touchant le dollar canadien. Ce sont des facteurs qui entrent en ligne de compte. Tout de même, les gens sont nombreux à exprimer leurs craintes de prendre l'avion, n'étant pas tout à fait sûrs de pouvoir être à l'aise sur le plan de la sécurité. Nous trimons dur pour convaincre les voyageurs que la sécurité est adéquate, mais je dois vous dire qu'il y a encore un segment de la population qui croit que ce n'est pas le cas.
Je parlais, essentiellement, de la strate supérieure. Un des deux cas où les augmentations de coût se sont faites les plus importantes depuis le 11 septembre, est celui de l'assurance. Nous avons constaté une majoration des primes de 200 à 300 p. 100. Dans certains secteurs, particulièrement celui de la guerre et du terrorisme, il est tout simplement impossible de contracter une assurance. Selon les derniers chiffres, plus de 60 gouvernements ont mis en place des mesures extraordinaires pour que l'industrie puisse continuer de fonctionner en l'absence d'une assurance de responsabilité civile contre la guerre et le terrorisme qui soit viable sur le plan commercial.
Cela demeure le cas aujourd'hui. J'ai écrit au ministre il y a deux jours pour lui demander d'envisager de prolonger l'indemnisation canadienne au-delà de la limite de 90 jours qui est prévue, et qui se termine le 24 du mois, tout simplement parce que tous les conseils du milieu de l'assurance nous disent qu'il n'y a aucun capital-risque pour ce type d'assurance en ce moment.
L'autre augmentation très importante des coûts a trait à la sécurité. Nous avons avisé le gouvernement du fait que, dans le contexte canadien, les coûts accrus de la sécurité découlant du 11 septembre, seront supérieurs à 11 milliards de dollars.
Les recettes totales de notre industrie sont de l'ordre de 11 à 12 milliards de dollars par année. Les coûts liés à la sécurité et à l'assurance représentent pour nous, quelle que soit la façon de les aborder, des dépenses pharaoniques.
J'espère avoir pu vous aider, sénateurs, en vous donnant une idée de l'ordre de grandeur dont il est question.
Le sénateur Angus: J'aimerais approfondir la question des conséquences économiques de la tragédie. De manière générale, la société American Airlines est considérée comme une des cinq plus importantes lignes aériennes du monde, sinon une des deux plus grandes. Le président-directeur général, M. Donald Carty, qui a des racines au Canada, a affirmé qu'il s'agit d'une «crise» absolue, une question de «survie» - et il a employé des termes comme ceux qui figurent à la une des journaux dans le monde. D'après ce que j'ai pu compter moi-même, il y a eu plus dedix cas de faillite ou d'insolvabilité dans l'après-11 septembre. Pouvez-vous nous en dire plus? Il y a des cyniques qui laissent entendre que cela se serait produit de toute façon, mais, moi, je ne le sais pas.
M. Mackay: La consolidation de l'industrie existait avant le 11 septembre. Encore une fois, les événements du 11 septembre ont modifié radicalement la situation financière de nombreuses entreprises. En Europe, il y a eu des discussions au sein de plusieurs entreprises. Deux cas de faillite en Europe ont été fortement médiatisés, ceux de la Swissair et de Sabena. Et les analystes indépendants prédisent d'autres faillites.
Il n'y a pas plus tard qu'hier, le directeur du bureau de la concurrence de l'Union européenne préconisait la consolidation de l'industrie en Europe, en prévision d'autres difficultés qui pourraient toucher les lignes aériennes européennes. Aux États-Unis, nous avons vu des études indépendantes qui indiquent que, parmi les dix ou douze grandes lignes aériennes, il y en aurait au moins trois qui feraient faillite, peut-être même cinq de plus.
Ces chiffres sont tout à fait exceptionnels, quelle que soit la période que l'on choisit à titre de comparaison. Nous avons connu de nombreuses dépressions au fil des ans, mais nous n'avons jamais rien vu de tel.
Le président: Comment ramener la discussion à la question des postes frontaliers?
Le sénateur Angus: Je ne savais pas que nos audiences portaient uniquement sur les postes frontaliers. Je croyais que notre sujet était l'impact économique des événements du11 septembre.
Le président: Vous pouvez continuer à traiter de cette question, car cela pourrait nous être utile.
Le sénateur Angus: D'autres industries sont liées à l'industrie aérienne. On dit que les industries connexes comme les agences de voyage, les hôtels et les lieux de villégiature ont toutes été touchées directement par le terrible événement, car les gens ne souhaitent pas monter à bord d'un avion. Avez-vous des statistiques pertinentes à nous révéler à ce sujet?
M. Mackay: Je ne peux vous donner des statistiques détaillées, mais je sais que l'Association des hôtels du Canada en a, tout comme l'Association du tourisme. Pour avoir une idée générale de la situation, il suffit de regarder les forfaits qui sont offerts de nos jours à destination des Bermudes et de destinations de vacances dans les Antilles. Par exemple: un séjour de quatre jours avec vol aller-retour et l'hébergement dans un hôtel trois étoiles à Nassau, vaut 229 $ canadiens. De nos jours, dans le milieu de la villégiature, il existe de nombreux bons hôtels dont le taux d'occupation se situe à 10 p. 100.
Le sénateur Angus: Pour revenir aux questions transfrontalières, il paraît que vous avez des statistiques. Vous avez mentionné une réduction générale de la capacité, dans le monde entier, aux fins de l'industrie de l'aviation depuis le 11 septembre. Il paraît également que, étant donné la situation à la frontière canado-américaine, le problème ici est plus grave. Avez-vous des statistiques concernant le rendement, des statistiques sur les recettes, des statistiques sur le taux d'occupation des sièges, sur les gens qui prennent l'avion, sur les voyageurs d'affaires en particulier?
M. Mackay: Nous pouvons vous donner des statistiques portant sur la capacité. J'ai mentionné le fait que celle-ci se situait autour de 30 p. 100 et, selon les trajets ou les tarifs particuliers dont il s'agit, elle peut être encore plus élevée. Je ne peux vous parler du rendement, car nos membres gardent un silence assez rigoureux sur les statistiques à ce sujet, et qu'ils tiennent pour délicates sur le plan commercial.
Le sénateur Angus: Et qu'en est-il des 70 p. 100 du parc d'avions qui sont en activité?
M. Mackay: Les coefficients de remplissage sont ce qu'ils étaient avant le 11 septembre: à ce moment-là, c'était un peu plus de 70 et, parfois, c'était même plus élevé. Nous voyons maintenant des cas où le coefficient est inférieur à la marque des 70 p. 100. Il faut aussi reconnaître que même le coefficient de remplissage n'a pas baissé de façon aussi spectaculaire que l'achalandage, nous avons éliminé une bonne part de la capacité du système. Le nombre de places offertes est moins grand.
Le sénateur Angus: C'est un chiffre réduit.
M. Mackay: Oui.
Le sénateur Angus: Disposez-vous d'autres statistiques qui nous aideraient à comprendre l'ampleur de la situation? Quelle est la situation en ce qui concerne les voyages d'affaires, par exemple?
M. Mackay: La situation semble se rétablir à cet égard, mais encore là, nous voyons que les gens utilisent beaucoup plus le surclassement et d'autres mesures afin d'épargner. Nous croyons que cela tient davantage au resserrement du marché et à la récession qu'au 11 septembre. Les pratiques commerciales de cette nature sont prédominantes aujourd'hui, et cela ne vient qu'aggraver la situation.
Le sénateur Angus: C'est là une autre question, et je ne sais pas si on pourrait considérer cela comme économique, mais c'est une conséquence des événements du 11 septembre qui a une incidence sur le trafic à la frontière canado-américaine - c'est la question des agents de sécurité aérienne. Est-ce que cette idée nous intéresse? Certaines compagnies aériennes canadiennes ne peuvent, à moins d'avoir engagé des agents de sécurité aérienne, se rendre aux destinations américaines d'antan. C'est une grande question. Cela suppose de bonnes sommes d'argent.
M. Mackay: L'aéroport national Ronald Reagan, à Washington (DONC), est l'aéroport américain où il est maintenant impossible de se soustraire à cette exigence. Les vols d'Air Canada à destination de cet aéroport ont à leur bord des agents de sécurité aérienne. Pour donner une idée du coût de ce service, pour cette destination particulière, cela coûte probablement plus de trois millions de dollars par année. Si le recrutement d'agents de sécurité aérienne était généralisé, les coûts seraient exorbitants.
Le président: Voilà un renseignement très important, mais nous allons devoir nous réunir pour décider comment il y a lieu de l'assimiler.
Le sénateur Angus: S'il y a une industrie qui a souffert directement des incidents en question, c'est manifestement l'industrie aérienne. D'abord, c'est une industrie très en vue, mais c'est aussi l'industrie qui a été impliquée dans les événements du 11 septembre. Il y a tout un segment de la population qui tient à ne pas même s'approcher d'un avion. J'essayais d'obtenir de votre part des données à ce sujet.
Le président: Je comprends ce que vous faites, mais je ne sais pas jusqu'où nous portera notre étude. Néanmoins, nous avons ce renseignement, et nous pouvons prendre une décision plus tard.
Le sénateur Banks: Si vous le permettez, j'aimerais vous cuisiner un peu sur certaines des questions qu'a soulevées le sénateur Angus.
Nous sommes nombreux à prendre souvent l'avion. D'après ce que j'ai pu observer, la situation en ce qui concerne les coefficients de remplissage s'est très bien replacée. D'accord, vous avez éliminé de nombreuses places du marché, mais au cours des quelques dernières semaines, je n'ai pu monter à bord d'un avion où on pouvait voir des places inoccupées, ce qui est merveilleux.
Le sénateur Angus a signalé que le 11 septembre est une sorte d'événement-pivot d'où proviennent certaines des difficultés. Nombre de gens ont dit qu'il s'agit d'un facteur qui entre en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur principal. La question se rapporte aux dossiers frontaliers au sens où, pour que nos avions se rendent aux États-Unis, nous allons devoir avoir des agents de sécurité aériens. Si nous n'en avons pas, non seulement ils vont arrêter les avions, mais encore ils vont compliquer la vie énormément aux passagers qui souhaitent descendre. Il faudra beaucoup de temps pour récupérer ses bagages et passer à la douane.
Swissair et Sabena ont fait faillite dans les quelques semaines suivant le 11 septembre. J'aurais peine à trouver une raison qui explique parfaitement l'échec de ces deux compagnies. Tout le monde sait qu'il y avait un certain malaise financier. Je crois qu'il est admis, que tout le monde était au courant: l'industrie aérienne connaissait des difficultés financières avant le 11 septembre.
Vous dites que l'occupation des sièges se situe maintenant à 70 p. 100, alors qu'elle était autour de 72 ou 73 p. 100 avant le 11 septembre, et vous avez éliminé 20 p. 100 de la capacité. Cela démontre que l'industrie aérienne se serait retrouvée dans de graves difficultés, même s'il n'y avait pas eu les événements du 11 septembre. Ai-je raison?
M. Mackay: Je vais répondre, puis je demanderai à mon collègue de compléter ma réponse. Vous avez raison de présumer que l'industrie subissait des contraintes importantes avant le 11 septembre. Cela ne fait aucun doute. Certaines entreprises éprouvaient des difficultés.
Ce qui a changé à la suite du 11 septembre, c'est que nous sommes passés d'une situation où nombre d'entreprises appliquaient déjà un programme d'économies et d'autres mesures pour traverser la récession à une situation où, subitement, les plans en question devenaient impossibles. Dans notre industrie, malheureusement, les liquidités déterminent tout le reste. Malheureusement, celui qui dirige une compagnie aérienne peut vite épuiser ses liquidités, et la situation peut devenir très grave, très rapidement.
La plupart des gens ne comprennent pas le fait que notre secteur est très imprévisible: nous avons des coûts fixes élevés et nous dépensons des sommes d'argent énormes, qu'il y ait ou non à bord de nos avions un nombre suffisant de passagers qui paient le gros prix pour que nous puissions demeurer rentables.
Du fait du 11 septembre, une situation difficile est devenue, dans certains cas, intenable. Vous avez tout à fait raison de souligner qu'avant le 11 septembre certaines compagnies éprouvaient des difficultés. Le 11 septembre signale tout de même un tournant décisif dans la situation.
M. Everson: Je ne crois pas que les gens aient été conscients du degré de précarité de l'industrie aérienne tout au long de l'époque de la déréglementation. Durant les années 90, le rendement moyen de l'industrie aérienne en Amérique du Nord se situait à 3,5 p. 100. Et ce, pendant la plus importante période de prospérité qui soit survenue durant ma vie, à moi.
Le sénateur Banks: Tout de même, votre association ne s'est jamais opposée à la déréglementation.
M. Everson: C'est juste, et nous n'y sommes pas plus opposés aujourd'hui. Ce n'est pas parce que la situation est facile pour le consommateur qu'il est facile pour les gens d'affaires de gagner leur pain.
Les compagnies aériennes les plus faibles sont mortes aprèsle 11 septembre. La société Swissair, de par la stratégie qu'elle appliquait, était gravement affaiblie. Sabena était aux prises avec des problèmes de main-d'oeuvre et Ansett était déjà en faillite; c'est le séquestre qui essayait de remettre sur pied l'entreprise.
La série de victimes des dommages qui commencent à se matérialiser sont les transporteurs qui, pour une raison ou une autre, disposent de peu de liquidités. Aer Lingus est en terrible difficulté, tout comme l'est Alitalia. Tout de même, certains des joueurs gros et robustes du secteur éprouvent en ce moment des difficultés considérables et épuisent leurs liquidités à une vitesse effarante.
Aux États-Unis, l'industrie dépensait 19 millions de dollars par jour avant le 11 septembre, mais pendant le reste du mois, cela est passé à plus de 50 millions de dollars par jour. La flèche s'est remise à descendre.
Le point que vous avez soulevé à propos de l'occupation des places est important. Tout au long du printemps, au Canada, nos places étaient occupées, et la demande était à la hausse. Nous avons observé une augmentation du trafic brut jusqu'en juillet, et même jusqu'en août. Par contre, le rendement connaissait une baisse très marquée. Les transporteurs aériens perdaient de l'argent, surtout Air Canada, qui détient la part du lion sur le marché. Air Canada perdait de l'argent et voyait baisser son rendement au fur et à mesure que la question du prix augmentait en importance aux yeux des gens. Ils devenaient plus exigeants. Même si Air Canada a accueilli un plus grand nombre de passagers en mai, en juin et en juillet, elle a commencé à perdre de l'argent sur les vols.
Le sénateur Banks: Durant votre exposé, vous avez affirmé qu'une entente canado-américaine qui s'apparente à ce qui se fait dans le reste du monde, n'est pas suffisante. Vous avez affirmé aussi que notre accord «Ciel ouvert» fait l'envie du reste de monde. Une telle politique doit sûrement être à l'avantage des exploitants canadiens, ou encore est-ce considéré comme un inconvénient? Comme c'est mieux et comme cela doit être un avantage, pourquoi faut-il un meilleur accord? Nous avons déjà un accord qui est supérieur à ce qui se fait partout ailleurs.
M. Everson: Les préoccupations au sujet de la sécurité allant en s'accroissant, nous annulons les avantages de cette entente et de l'accord de congé anticipé.
La semaine dernière, les Douanes américaines ont annoncé que, malgré le fait que les passagers ont déjà été vus par un agent des Douanes américaines dans un aéroport canadien au moment où ils partent pour les États-Unis, le transporteur aérien sera encore tenu de recueillir des données sur les passagers, à ses frais, qui, dans certains cas, seront considérables. Ébahis, nous disons: «Vous êtes déjà entré aux États-Unis du point de vue légal. Pourquoi obliger le transporteur à vous signaler des données sur les passagers?» Le vol est peut-être destiné à un lieu comme Kalamazoo, là où il n'y pas de congé anticipé. Que feront les autorités? Le shérif local sera-t-il là pour accueillir les passagers? Eh bien, c'est ce qui va arriver.
C'est une situation étrange et effrayante à nos yeux. D'autres transporteurs essaient d'organiser le système afin de réduire autant que possible leurs coûts. Ils souhaitent se concentrer sur quelques plaques tournantes et faire en sorte que le gouvernement américain prenne en charge toutes les questions touchant le passage à la frontière aux aéroports en question. Ce sera peut-être bon pour British Airways et Lufthansa. Cela nuira à nos intérêts à nous. C'est pourquoi il nous faut une entente différente. Nous devons nous découper nous-mêmes une parcelle de territoire.
M. Mackay: Sénateurs, vous devez comprendre que l'une des raisons pour lesquelles nous avons si bien réussi à nous approprier la part du lion du marché transfrontalier, c'est que nos entreprises se sont donné pour stratégie d'éviter les plaques tournantes à coût élevé dans la mesure du possible. Leurs vols vont d'un lieu à l'autre, comme les déplacements des camionneurs, dans des marchés particuliers, aux États-Unis, là où on croit qu'il y a une demande. Le jet régional est un exemple patent du genre d'aéronef que nous utilisons.
Si nous devons accepter le genre d'échanges de renseignements et de mesures de sécurité qui sont actuellement proposés aux États-Unis, nous allons nous retrouver dans un grave pétrin, car nous aurons d'énormes difficultés à servir les marchés en question.
Le sénateur Banks: Vous auriez aussi à traiter avec une concurrence accrue. J'essaie toujours d'opter pour un transporteur canadien, mais si je sais, après plusieurs fois, que pour aller d'Edmonton à Minneapolis, on va me donner toutes sortes de problèmes à l'autre bout; j'opterai donc pour Northwest Airlines, là où je n'ai pas de problèmes parce qu'ils ont un agent de sécurité aérienne.
M. Mackay: Il ne s'agit non pas de savoir s'ils ont un agent de sécurité aérienne, mais de savoir quels sont tous les renseignements que nous sommes appelés à fournir, dont une bonne part, pour être francs, finissent dans le vide. Il faut faire admettre, comme nous avons réussi à l'obtenir auprès des autorités gouvernementales américaines par le passé, que notre relation est plus large et plus complexe que toute relation qu'ont les Américains, par exemple, avec le Japon, pour ce qui est de l'accès. Cela doit être admis et se concrétiser dans les mesures que nous mettrons en place.
Nous ne leur demandons pas de compromettre leurs systèmes de sécurité. Nous leur demandons de faire preuve de souplesse à leur endroit, pour que nous puissions faire fonctionner les choses.
Le sénateur Banks: Dites-vous que Northwest a les moyens de faire cela quand le vol va d'Edmonton à Minneapolis?
M. Mackay: Northwest n'assumera pas la solde de l'agent de sécurité aérienne. C'est le gouvernement américain qui le fera.
Le sénateur Banks: Voulez-vous que nous le fassions?
M. Mackay: Si nous devons engager des agents de sécurité aérienne, la réponse est clairement «oui», mais nous préférerions voir les ressources consacrées à d'autres sortes de mesures de sécurité qui, à nos yeux, sont plus efficaces.
Le sénateur Banks: Qui assume en ce moment les frais liés à la présence des agents de sécurité aérienne à bord des volsd'Air Canada à destination de Washington?
M. Mackay: C'est Air Canada qui paie. C'est très coûteux.
Le sénateur Banks: Est-ce que ce sont des membres de la GRC?
M. Mackay: Oui.
Le président: Merci, messieurs, d'avoir comparu. La séance a été très productive, et elle constituera un élément intéressant de notre rapport, la semaine prochaine.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à l'Association canadienne des constructeurs de véhicules.
Je crois savoir que votre groupe a préparé un exposé.
M. Mark A. Nantais, président, Association canadienne des constructeurs de véhicules: Sénateur, nous avons une déclaration à présenter.
Je tiens à vous remercier, vous et les autres membres du comité, de nous donner l'occasion de nous adresser à vous.
L'ACCV, si vous ne le saviez pas, est l'association industrielle nationale qui regroupe les plus grands constructeurs d'automobiles du Canada. Parmi nos membres, nous comptons DaimlerChysler Canada, Ford du Canada Ltée, General Motors du Canada, International Truck and Engine Corporation Canada et Volvo Cars of Canada.
Le but des audiences, comme nous le savons tous, consiste à jauger l'incidence sur le commerce transfrontalier des événements horribles qui ont eu lieu le 11 septembre, à New York. À mesure que le temps progresse, il devient très clair que les attaques terroristes ont eu un effet profond sur l'attitude des Canadiens et leur sentiment personnel de sécurité. Les soucis accrus concernant la sécurité personnelle aux États-Unis se comprennent bien, étant donné le 11 septembre et la menace de contamination au bacille du charbon qui sévit toujours.
Au profit du comité, j'aimerais faire le point rapidement sur l'état de l'industrie automobile. L'industrie automobile canadienne est pleinement intégrée dans l'ensemble nord-américain. De ce fait, plus de 85 p. 100 des grands composants que nous assemblons sont exportés aux États-Unis. Comme vous le savez très bien, on a souligné récemment que les États-Unis sont entrés «officiellement» dans une période de récession économique qui a eu une incidence sur les achats de véhicules aux États-Unis, dont la baisse se situe à environ 2,6 p. 100, ce qui représente presque 400 000 unités de moins, par rapport à octobre 2000.
Quant à la production au Canada, encore une fois, les chiffres accumulés d'octobre à octobre témoignent d'une baisse de 15,5 p. 100 en un an, et pour les membres de l'ACCV, la production a baissé de presque 20 p. 100. On croit que la production de véhicules au Canada tournera autour de 2,45 millions d'unités, par opposition à 3 millions d'unités pour chacune des deux années précédentes.
Il vaut la peine de noter que cette différence correspond à la production annuelle d'environ deux usines d'assemblage moyennes. Nous faisons déjà face à un excédent sur la capacité d'environ 22 millions d'unités, dont quelque six millions se trouvent en Amérique du Nord.
Pour ce qui est de notre marché intérieur, même si le Canada a connu des ventes records l'an dernier - presque 1,6 million de voitures et de camions légers ont été vendus - il nous a fallu près de 12 ans pour surpasser notre record de ventes précédent, établi en 1988.
Le record de ventes établi pour l'année civile 2000 a été rendu possible, en grande partie, par l'application de programmes d'incitation coûteux qui ne sauraient être maintenus à long terme. De fait, le Canada est le seul pays membre de l'OCDE où il s'est vendu, durant les années 90, moins de véhicules que durant les années 80. L'âge moyen d'un véhicule au Canada s'élève à 8,3 ans, par rapport à 7,2 ans, aux États-Unis. Nos membres se préoccupent du niveau de revenu disponible au Canada; pour eux, c'est une question qui importe vraiment pour qui souhaite acheter un nouveau véhicule. Autrement dit, nous tenons à ce que nos véhicules demeurent abordables.
Tout de même, à court terme, les consommateurs ont bénéficié des prêts sans intérêts consentis par nos sociétés membres au cours des quelques derniers mois, pour essayer de soutenir le volume des ventes et de conserver leur part de marché. Si les ventes de l'industrie en octobre étaient supérieures de 10,9 p. 100 à ce qu'elles étaient l'an dernier à pareille date, malgré les mesures d'incitation coûteuses dont nous avons parlé, le chiffre de ventes collectif des sociétés membres de l'ACCV n'a augmenté que de 4 p. 100 en octobre et, sa part de marché pour le cumul, en 2001, a, de fait, diminué de presque six points de pourcentage, par rapport à 2000.
On prévoit que les ventes de véhicules légers au Canada représenteront 1,49 à 1,51 millions d'unités. Il n'y a pas à rougir d'un tel rendement pour l'année, mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, nous ne pouvons arriver à ces chiffres de ventes que grâce aux programmes d'incitation que nous avons offerts et, ceux-ci ne sont pas viables à long terme.
Je suis sûr que vous savez très bien que l'industrie automobile a été rationalisée tout à fait en Amérique du Nord, depuis 1965, avec la conclusion du Pacte de l'automobile. En tant que Canadiens, nous avons profité immensément de cette rationalisation, qui permet aux installations de production d'un pays de produire des véhicules destinés à être vendus dans les deux pays, les pièces et les véhicules passant de part et d'autre de la frontière sans trop de retard.
L'industrie a été intégrée encore en vertu de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, en 1989, et de nouveau avec l'adoption de l'Accord de libre-échange nord-américain en 1994. À l'heure actuelle, quelque 25 p. 100 des 1,3 milliard de dollars que représentent les échanges quotidiens entre le Canada et les États-Unis - soit 300 millions de dollars - concernent les produits de l'industrie automobile. Voilà un fait qui est très important. Depuis plus de 35 ans, l'industrie de l'automobile dans les deux pays compte sur la possibilité de faire transporter assez librement les pièces et les véhicules de part et d'autre de la frontière, pour soutenir l'industrie dans les deux pays. Au fil de ce temps, notre industrie a fini par adopter un système de livraison juste à temps qui fait du passage du camion à la frontière un élément fondamental du processus de production d'une usine d'assemblage de véhicules.
Le président: Allez-vous signaler que votre industrie connaissait déjà une période de déclin avant le 11 septembre et qu'il s'agit d'un phénomène cyclique que la situation des postes frontaliers vient aggraver?
M. Nantais: C'est là où nous voulons en venir. Le marché se resserre de part et d'autre de la frontière.
En termes simples, les retards à la frontière font monter les coûts. Par exemple, pour être certains que les entreprises et les usines ont les stocks nécessaires pour faire rouler la production, certains de nos membres ont décidé d'accroître le niveau des stocks d'environ 5 p. 100, avec tous les coûts reliés à une telle mesure. L'augmentation des stocks et les problèmes vécus à la frontière rajoutent des coûts au bilan des industries automobiles canadiennes et nord-américaines, à un moment où elles adoptent des mesures draconiennes pour simplement demeurer concurrentielles à l'échelle mondiale. Dans une industrie à ce point intégrée, de nombreux milliers d'emplois de part et d'autre de la frontière dépendent de la possibilité de passer à la frontière canado-américain de manière efficace et sans encombrements.
Dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, la production dans les usines de l'industrie automobile a été perturbée, des chargements de pièces étant retardés à la frontière. Au Canada aussi bien qu'aux États-Unis, plus de 20 usines d'assemblage ont été mises hors service pour un certain temps, à la suite des attaques terroristes; nombre d'entre elles ont dû composer avec une pénurie de pièces, du fait des retards à la frontière, trois ou quatre jours après les attaques. Cela a contraint les dirigeants à fermer les usines. Le coût de cette baisse imprévue de la production découlant d'une pénurie de pièces se situerait entre1 et 1,5 million de dollars l'heure, ou 25 000 $ la minute. Voilà des chiffres effarants.
Accroître les stocks ou accepter l'éventualité de baisses imprévues de la production: voilà le dilemme auquel font maintenant face les usines canadiennes, et cela deviendra l'un des multiples facteurs qui seront pris en considération dans toute décision future en ce qui concerne les investissements.
Le Canada et les États-Unis ont négocié des accords commerciaux en présumant que les activités à la frontière ne viendraient pas faire obstacle au commerce facilité grâce à de telles ententes. Par conséquent, le Canada doit s'appliquer à adopter les mesures nécessaires pour s'assurer que le passage à la frontière continue de se faire sans obstacle. Si on ne garantit pas la certitude de l'offre, il est possible que la viabilité à court et à long termes d'industries fortement intégrées comme l'industrie canadienne de l'automobile en souffre.
Les retards à la frontière canado-américaine ont diminué sensiblement depuis le 11 septembre. Tout de même, nous devons souligner que le volume des camions aux principaux points frontaliers de l'Ontario reste inférieur d'environ 5 p. 100 à la norme, alors que le volume de voitures y demeure de10 à 20 p. 100 inférieur à la norme. Il faut se rappeler aussi qu'il y a, aux postes frontaliers américains, un complément d'urgence qui ne sera là que temporairement.
L'ACCV est heureuse de savoir que les gouvernements du Canada et des États-Unis ont pu en venir à un accord sur la gestion de la frontière des deux pays. Deux aspects de l'accord en question nous ont paru particulièrement bien avisés. D'abord, l'accord a été ratifié par des membres du Cabinet de part et d'autre de la frontière. Toutefois, sans la volonté politique nécessaire pour améliorer la gestion de la frontière, il semble que peu de choses se matérialiseront.
Ensuite, nous avons été heureux de constater que l'accord privilégie la coopération, soit l'idée de travailler ensemble en vue d'atteindre des objectifs communs. Dans l'état actuel des choses, il y a tout simplement trop d'organismes, de ministères et de services qui s'occupent de la gestion de la frontière, pour que l'on puisse adopter les mesures nécessaires à la refonte des activités à la frontière.
À l'ACCV, nous choisissons de situer le dossier de la frontière dans le contexte de la sécurité économique et de l'efficacité des échanges commerciaux, mais nous savons que les États-Unis privilégient d'abord les questions de sécurité personnelle. Si nous savons qui passe à la frontière et, dans le cas d'un chargement, ce qui traverse la frontière, il est possible de procéder à une bonne évaluation des risques. Des ressources humaines rares peuvent alors se consacrer aux voyageurs et aux chargements qui posent un risque élevé, pendant que la technologie sert à faciliter l'autorisation de passage aux voyageurs et aux chargements où le risque est peu élevé.
À la frontière canado-américaine - particulièrement dans le cas des principaux passages terrestres à fort volume en Ontario - nous devons prendre plusieurs mesures importantes pour faciliter la circulation de biens à forte valeur et à faible risque. Plus particulièrement, nous croyons que les mesures suivantes devraient être adoptées.
La première mesure consisterait à affecter des ressources humaines et financières suffisantes pour garantir que l'infrastructure en place aux points frontaliers est maximisée. Par exemple, nous savons que le pont Ambassador à Windsor fonctionne nettement en bas de sa capacité maximale, étant donné des ressources insuffisantes affectées aux installations d'inspection et l'absence d'une technologie qui permettrait d'accroître le débit.
Ensuite, il s'agit d'améliorer la coopération intergouvernementale en ce qui concerne l'infrastructure routière menant à la frontière. Le Canada, la province et les municipalités touchées doivent s'assurer de faire tout ce qu'il est possible de faire pour réduire la congestion et maximiser l'efficacité des routes menant à la frontière et pour faire converger vers des voies réservées les voyageurs et les chargements à faible risque.
Des voies réservées devraient être prévues, à la frontière, pour les voyageurs et les chargements à faible risque. Des bases de données communes devraient également permettre le dédouanement électronique des voyageurs et des biens à faible risque dans le cadre du Programme d'autocotisation des douanes.
Nous pourrions utiliser à plus grande échelle des technologies connues et éprouvées pour la communication de données en transit, par voie électronique, avant l'arrivée à la frontière, et pour le suivi des chargements.
Nous encourageons le recours à des mesures de pré-dédouanement comme le Programme d'autocotisation des douanes, qui est conçu pour faciliter la circulation des biens des entreprises qui passent souvent à la frontière, par exemple l'industrie automobile. Dans des conditions particulières, le PAD permet d'obtenir le privilège du dédouanement avant l'arrivée et l'autocotisation des droits de douane. Les connaissances des responsables du PAD au sujet de l'importateur, du conducteur et du transporteur nous permettent de désigner les chargements en question comme étant à faible risque. Des voies réservées devraient être prévues à la frontière pour de tels chargements, aussi bien que pour les voyageurs à faible risque.
Nous encourageons la coopération internationale en matière d'échange de données, l'établissement de normes internationales et l'adoption de programmes canado-américains d'inspection. Les partenariats entre le gouvernement et l'industrie, par exemple le PSCA - le partenariat stratégique canado-américain - permettront de mettre à profit les esprits les plus éclairés du secteur privé et du secteur public en vue du règlement des problèmes à la frontière.
Nos problèmes à la frontière n'ont pas commencéle 11 septembre, et nous ne trouverons pas de solution unique ou facile pour en venir à bout. Pour régler nos problèmes, il faut une approche stratégique et bilatérale de portée générale.
Concernant ces questions capitales, encore une fois, nous tenons à exprimer notre gratitude pour ce qui est des efforts constants que déploie le gouvernement fédéral pour soutenir notre économie nationale et nos intérêts sur le plan de la sécurité.
Plus que jamais, nous croyons que le gouvernement fédéral doit favoriser un contexte commercial propice à la croissance économique. Cela exige une politique canado-américaine de gestion de la frontière qui permet au Canada de garder sa place dans une économie nord-américaine intégrée ainsi qu'un cadre financier qui inspire la confiance au consommateur et à l'investisseur, pour que notre industrie continue de faire son chemin.
Encore une fois, monsieur le président, nous apprécions l'occasion qui nous est offerte de venir ici. Nous serons heureux de répondre à toutes les questions que vous voudrez bien poser.
Le sénateur Angus: Bienvenue à tous. J'ai remarqué que vous étiez présents pendant une partie, sinon l'intégralité du témoignage de deux autres groupes. Avez-vous écouté le témoignage de l'Alliance canadienne du camionnage?
M. Nantais: Nous l'avons fait, justement.
Le sénateur Angus: Y a-t-il quelque chose dans ce témoignage avec lequel vous seriez en désaccord?
M. Nantais: Nous ne nous concentrons pas sur la question de la circulation aérienne. Par contre, nous nous attachons à la circulation des camions. De fait, l'ACCV a accueilli une délégation du Congrès américain à Windsor. Nous avons visité le pont à Windsor, du côté de la douane américaine, et M. Bradley faisait partie de la délégation en question. De fait, nous avons en commun nombre de préoccupations et d'idées pour régler les problèmes.
Le sénateur Angus: Je présume que vous vous intéressez nettement plus au transport routier qu'au transport par eau ou par air?
M. Nantais: Oui. Par contre, nous avons de l'intérêt pour le transport ferroviaire.
Le sénateur Angus: Vous avez entendu ma question au sujet de l'aboutissement bizarre des événements du 11 septembre, c'est-à-dire que si à quelque chose malheur est bon, l'incident a bien mis en lumière la situation à la frontière et donné aux grands expéditeurs et réceptionnaires comme vous l'occasion de régler un problème qui se révèle très épineux depuis des années et d'attirer l'attention du gouvernement. Êtes-vous d'accord avec cette analyse de la situation?
M. Nantais: Malheureusement, nous le sommes, oui. Il est très malheureux de constater qu'il a fallu un événement comme celui-là pour bien mettre en lumière la question.
Nous essayons depuis un certain temps de travailler de concert avec les autorités à la frontière. Comme nous l'avons mentionné, certes, le fonctionnement du pont Ambassador à Windsor n'est pas maximisé. Il faudrait assurément des ressources pour en exploiter la capacité maximale, et cela nous aiderait certainement.
Nous essayons de trouver une approche fondée sur l'évaluation des risques. Autrement dit, dans le cas biens à forte valeur et à faible risque, par exemple ceux qui sont associés à nos systèmes de livraison juste à temps, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour mieux connaître les solutions électroniques et les programmes nouveaux comme le Programme d'autocotisation des douanes pour nous assurer qu'il y a une circulation sans entrave aux principaux points frontaliers comme le pont Ambassador à Windsor.
Le sénateur Angus: Un des effets économiques du 11 septembre, c'est la fermeture de l'usine de GM à Sainte-Thérèse, au Québec, dans notre circonscription ou tout près, au sénateur Colbert et à moi. Nous sommes terrassés.
Mme Faye Roberts, directrice, Relations gouvernementales, General Motors du Canada Limitée, Association canadienne des constructeurs de véhicules: La décision a certainement été difficile. Comme vous êtes près de l'endroit, je suis sûre que vous savez qu'il s'agit là, depuis plusieurs années, d'une préoccupation pour nous-mêmes et, certes, pour les employés. C'est avec un grand regret que nous avons dû annoncer la fermeture de l'usine. Du point de vue de l'entreprise, le fait que ce soit arrivé le même mois que la tragédie à New York est une coïncidence.
Le sénateur Angus: Est-ce la goutte d'eau qui a fait déborder le vase?
Mme Roberts: Non, les problèmes éprouvés étaient liés au déclin de la demande dans le segment des voitures de sport. Il a souvent été question de ces problèmes. Sauf tout le respect que je dois au président, je ne suis pas sûre que ce soit la question dont nous voulions discuter aujourd'hui. Je serais certainement prête à l'aborder ailleurs. Je crois qu'il s'agit de questions distinctes. Les problèmes vécus à Sainte-Thérèse s'inscrivent dans la situation générale de l'industrie de l'automobile, c'est-à-dire, commeM. Nantais en a parlé, de l'excédent des installations de production, qui pose un problème réel. C'est une question globale qui existait avant le 11 septembre.
Le sénateur Angus: J'ajouterais que les quatre sénateurs présents, le sénateur Hervieux-Payette et le sénateur Setlakwe aussi, s'intéressent beaucoup à la situation.
Merci de fournir ces observations. Nous sommes heureux de savoir que ce ne sont pas les éléments du 11 septembre qui ont déclenché la situation.
Je me pose une autre question qui a trait à ce que, en tant qu'avocat, je qualifie de res gestae, la musique de fond. Tous les soirs à la télévision et tous les matins dans les journaux, nous voyons que les Américains font venir des hélicoptères. Ils ont600 garde-frontière. Après avoir eu pendant tant d'années la plus longue frontière non protégée dans le monde, nous avons l'impression que c'est l'inverse maintenant. Personnellement, je ne crois pas que ce soit le cas, mais je me demande quel effet cela aura sur les questions particulières que vous décrivez dans votre mémoire. M. Nantais pourrait peut-être nous éclairer.
M. Nantais: Pour être franc, il est probablement sage de ne pas trop regarder la chaîne CNN. Cela finit par être un peu déprimant.
Tous les jours, nos industries envoient 4 300 camions traverser le pont Ambassador. Depuis le 11 septembre, et malgré la présence de la Garde nationale, les autorités douanières canadiennes et américaines ont accompli un travail extraordinaire avec les moyens à leur disposition. Nous avions des problèmes avant cela, mais c'est parce que nous avons des problèmes d'infrastructure, ce qui constitue une question à long terme.
Si vous avez déjà visité Windsor, vous savez que la route menant au pont passe par des secteurs commerciaux et résidentiels. Ce poste frontalier ne facilite pas le commerce.
Quand nous avons signé l'ALENA, je ne sais pas si nous saisissions pleinement les conséquences de l'affaire pour les postes frontaliers. Il y a eu une augmentation considérable du trafic, puisque nous avons bénéficié de ce commerce accru.
Nous en sommes au point où, même si le 11 septembre a servi à mettre en lumière la question, nous devons agir pour régler les questions à court terme, et si la Garde nationale nous aide à faire passer nos camions de part et d'autre de la frontière, cela nous convient tout à fait.
Nous savons tout de même qu'on envisage un certain complément technologique, encore une fois, des deux côtés de la frontière. Si cela veut dire des appareils à rayon X pour voir ce qui se trouve dans les camions, ainsi soit-il. Nous devons faire en sorte que les véhicules continuent de circuler. Nous devons nous assurer qu'il n'y a pas de retard dans notre système de livraison juste à temps.
La visite de la délégation du Congrès a eu ceci d'intéressant qu'elle nous a permis de découvrir que les autorités de la douane américaines, qui ont présenté un excellent exposé, se considèrent comme faisant partie du système de livraison juste à temps. Elles inspectaient un camion par voie à la minute, ce que je tiens pour un accomplissement extraordinaire. Il faut certainement leur donner crédit pour cela.
Nous devons régler des questions immédiates et des questions à moyen terme. La question globale de l'infrastructure, qui se situe dans le long terme, doit être réglée. Certes, le pont Ambassador et la route qui y mène constituent une situation unique. Les options qui se présentent à cet égard sont, peut-être, non seulement limitées, mais aussi très coûteuses.
Certains proposent que l'on «dédouble» le pont. Cela semble être une solution facile, mais quiconque envisage le meilleur endroit pour le faire doit songer à l'infrastructure et à l'évaluation environnementale qui en découlerait, laquelle prendrait entresix et huit ans, paraît-il. Même si nous prenions la décision aujourd'hui, il n'y aurait probablement pas de pont en service avant dix ans au moins.
L'élément clé du point de vue de notre industrie, c'est de savoir qu'il y a un poste frontalier fiable. Si ce n'est pas le cas, comme je l'ai dit, cette question, et celle d'éventuelles fermetures, entrent en ligne de compte dans les décisions concernant les investissements futurs. Voilà une chose dont nous devons vraiment être conscients, ici, au Canada. Malgré le ralentissement de l'économie aux États-Unis, qui une incidence sur nos usines de production au Canada, et le resserrement du marché, la chose la plus importante qu'il nous faut, c'est de la fiabilité et de la constance.
Le sénateur Angus: Plus tôt, M. Bradley a tenu des propos intrigants avec lesquels vous n'avez pas exprimé de désaccord, de sorte qu'il y a visiblement une certaine marge ici. Je l'ai entendu dire, en faisant presque une parenthèse, que du côté américain, il y a des sénateurs et des membres du Congrès qui prêchent pour leur paroisse et qui font peut-être partie des obstacles évoqués - le protectionnisme américain -, plutôt que de préconiser l'amélioration des échanges commerciaux avec le Canada. Y a-t-il des problèmes réels à cet égard en ce qui concerne l'industrie de l'automobile?
M. Nantais: Si on regarde les reportages à la télé qu'on observe certains des véhicules que les gens conduisent en Afghanistan, je peux comprendre pourquoi certains sénateurs voudraient se diriger dans cette voie. Je ne crois pas que nous ayons fait cela ici. Nos entreprises font partie d'une industrie intégrée. Nous pourrions bénéficier d'un programme «buy-American» parce qu'un très grand nombre de nos produits sont exportés aux États-Unis.
Mme Roberts: Pour situer la discussion dans un contexte global, il faut dire que l'industrie de l'automobile est une industrie stratégique - où les compétences sont élevées, où les salaires sont élevés. Tout comme vous avez été attristés d'apprendre la fermeture de l'usine de Boisbriand, vos compagnons de l'autre côté de la frontière étaient certainement réjouis au plus haut point d'apprendre que la leur était choisie par des investisseurs.
C'est un contexte où la concurrence est très forte. Bien entendu, nous voulons tous nous assurer que le Canada se présente sous son meilleur jour, comme lieu où continuer d'investir. Si nous ne voyons pas qu'il y a de l'autre côté de la frontière des gens qui sont dans la lutte aussi, nous allons passer à côté d'un point clé.
M. Nantais: Les gens ne voient pas que les usines au Canada, dans les faits, entrent en concurrence avec leurs usines soeurs aux États-Unis pour l'exclusivité d'un nouveau produit. C'est même plus que cela, maintenant. Nous avons des installations au Mexique et ailleurs dans les Amériques. Certes, les usines du Mexique sont en mesure d'offrir une qualité qui n'a rien à envier à ce qui se fait ailleurs en Amérique du Nord. De fait, certaines d'entre elles sont supérieures à ce chapitre aux usines que nous avons ici au Canada.
L'élément clé auquel a fait allusion Mme Roberts, c'est qu'il nous faut un contexte économique très propice pour maintenir les acquis et pour attirer de nouveaux investissements à l'avenir.
Le sénateur Angus: Par «nous», vous voulez dire le Canada.
M. Nantais: Oui. Une frontière où le passage est imprévisible ne nous aide pas.
Le sénateur Angus: Quel est notre bilan en ce qui concerne la productivité?
Mme Eda M. Cross, directrice, Affaires étrangères et politiques publiques, DaimlerChrysler Canada Inc., Association canadienne des constructeurs de véhicules: Notre productivité est bonne. Nos préoccupations immédiates vont à la région de Windsor, où nous avons une usine d'assemblage qui se retrouvera sans mandat en 2003. Le souci de notre société mère, c'est l'investissement. Doit-elle investir au Canada, quand la situation financière est douteuse? Cela nous revient toujours à l'esprit.
Notre souci immédiat, c'est l'éventualité de perdre encore 800 emplois au cours des quelques prochaines années, car il n'y a rien d'inscrit dans le carnet. Encore une fois, nous luttons avec nos concurrents en vue d'obtenir le mandat de fabriquer le prochain produit, pour que les investisseurs choisissent le Canada. Nous avons déjà construit en partie un atelier de peinture qui est énorme, et aujourd'hui, il demeure vide. Nous avons investi 100 millions de dollars dans cette installation, qui, maintenant ne va nulle part, puisque l'usine sera fermée. Tout cela est en l'air. Nous voulons faire en sorte que le Canada soit un lieu attrayant pour les investisseurs, et même pour notre entreprise à nous.
Le sénateur Banks: Je sais que vous en savez plus que nous sur le cheminement vers une circulation transfrontalière segmentée. Je vous saurais gré de nous donner votre impression de la chose, en ce qui concerne, particulièrement, votre industrie; autrement dit, jusqu'à quel point cela a-t-il progressé?
Je présume que vous surveillez la progression du dossier pratiquement tous les jours et que vous interrogez les gens qui sont au courant. Quel chemin nous faut-il parcourir encore pour avoir un système qui répondra aux besoins de votre industrie et qui rendra caduques les questions dont vous avez parlé, c'est-à-dire qu'il s'agirait d'un obstacle à l'investissement?
M. Nantais: Nous avons adopté une mesure favorable avec le Programme d'autocotisation des douanes, qui fonctionne comme projet pilote. C'est un programme que nous aimerions voir mis en oeuvre sur toute la ligne, le plus vite possible. Nous cheminons dans cette direction.
Le sénateur Banks: Le programme pilote fonctionne-t-il très bien?
M. Nantais: Dans une certaine mesure, il porte fruit. Il y a des problèmes administratifs qui y sont liés, et nous espérons que l'Agence des douanes et du revenu du Canada se chargera de les régler. Nous avons investi une grande somme d'argent dans le seul projet pilote. Peut-être que les techniciens qui s'en occupent, au gouvernement, n'ont pas saisi pleinement les préoccupations que nous avons au sujet de ces questions administratives.
Le sénateur Banks: Y a-t-il une partie quelconque du gouvernement du Canada qui constitue un obstacle? Tout le monde pousse-t-il dans le même sens, sinon y a-t-il une pierre d'achoppement?
M. Nantais: Nous progressons, mais la question technique ou administrative donne lieu à un dialogue de sourds.
Le sénateur Banks: Pouvez-vous nous dire s'il s'agit de problèmes internes ou de questions relevant d'une négociation internationale? Est-ce que ce sont des questions que nous pourrions régler à l'interne?
M. Nantais: Ce n'est pas une situation qui suppose une négociation internationale; c'est une question interne que nous pouvons régler au Canada, et c'est une question qu'il est possible de régler.
Le sénateur Banks: Les gens qui font ces choses sont-ils conscients de vos préoccupations?
M. Nantais: Ils le sont, tout à fait.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je croyais que le mouvement des marchandises était, pour une bonne part, l'affaire des compagnies ferroviaires. Quel est le pourcentage des marchandises transporté par camion et le pourcentage transporté par train? Les modes sont-ils traités différemment? Est-il plus facile de traverser la frontière en train ou en camion?
M. Nantais: Le pourcentage le démontre, nous préférons le transport par camion, tout simplement en raison de notre système de livraison juste à temps. Les camions sont en mesure de livrer des pièces de part et d'autre de la frontière dans un délai très serré, qui est resserré encore à quatre heures environ, dans certains cas. Les trains ne peuvent respecter un tel délai.
Le président: Qu'est-ce que vous voulez dire quand vous dites «quatre heures»?
M. Nantais: C'est d'une porte à l'autre. Les pièces sont transportées depuis le fabricant jusqu'à l'usine d'assemblage en quatre heures.
Le sénateur Hervieux-Payette: Sauf dans le cas de Montréal, je présume.
M. Nantais: Encore une fois, je parle de l'endroit où il y a la majeure partie du trafic, c'est-à-dire la région de Detroit-Windsor et le sud-ouest de l'Ontario. Quelque 95 p. 100 des véhicules produits au Canada le sont dans le sud-ouest de l'Ontario.
Le sénateur Hervieux-Payette: Quel pourcentage est transporté par train et quel pourcentage est transporté par camion?
M. Nantais: Quand nous parlons de pièces et de composants, pour la plus grande part, les chargements sont transportés par camion. Dans le cas des véhicules finis, le transport ferroviaire représente un plus fort pourcentage.
Le sénateur Hervieux-Payette: Y a-t-il moins de problèmes à la frontière pour les trains que pour les camions?
M. Nantais: Encore une fois, comme nous ne nous servons pas des trains pour faire venir des pièces et composants, je ne vois pas en quoi cela poserait un problème. L'élément clé, c'est de s'assurer que les camions circulent plus ou moins sans entrave. Nous sommes revenus près de ce qui constitue des conditions normales. Tout de même, pour être tout à fait franc, je ne suis pas sûr que reverrons jamais les conditions qui existaient avant le 11 septembre. J'étais à Windsor la semaine dernière, et les camions étaient encore pris à la queue leu leu, à trois ou quatre kilomètres du pont. Ils formaient également une file sur toute la longueur du pont, ce que je croyais être interdit désormais, pour des raisons de sécurité. Cela soulève la question de la fiabilité et des garanties que nous cherchons: être sûrs que les camions peuvent faire la navette.
Nous avons également des systèmes de chargement unique pour les camions. Nous pouvons envoyer un camion là-bas, mais il faut qu'il revienne pour que nous puissions le recharger, le remettre sur la route.
Mme Cross: Certains de nos chauffeurs de camions font des «tournées». Ils font la navette entre Detroit et Windsor quatre fois par jour, simplement pour ramasser des pièces et les livrer à nos usines d'assemblage. Le problème auquel nous avons fait face, c'est qu'ils arrivaient au Canada, mais ne pouvaient revenir pour un autre chargement et retourner aux usines d'assemblage à temps.
Le sénateur Hervieux-Payette: Nous avons des raisons de nous soucier, mais en même temps, pourquoi devez-vous aller si vite quand, en fait, les voitures ne se vendent pas si vite? Cela semble fou, mais vous faites tout en quatre heures puis, quand on commande une voiture, cela prend trois ou quatre semaines avant de la recevoir.
M. Nantais: Les systèmes de livraison juste à temps nous permettent d'être beaucoup plus efficients et, par conséquent, de réduire les coûts de fabrication d'une voiture, de sorte que nous sommes plus concurrentiels. Il n'existe probablement pas une industrie où la concurrence est aussi féroce, pour ce qui est des produits que nous fabriquons.
Il y a un autre élément intéressant aux systèmes de livraison juste à temps, mais qui n'est pas évident du premier coup d'oeil. Ils permettent à nos entreprises d'offrir une meilleure qualité. Il y a de nombreuses années, au moment où l'on stockait de grandes quantités de pièces et de composants, s'il y avait une défectuosité ou un problème de qualité associé à un composant, nous ne pouvions repérer la situation immédiatement. La pièce défectueuse était installée sur le véhicule, qui se retrouvait n'importe où, au Canada ou aux États-Unis, puis il y avait un problème qui découlait de cet aspect qualité des choses.
La technique juste à temps nous permet, dans le délai de quatre heures appliqué à la livraison des pièces, de repérer un problème de qualité presque immédiatement. Nous sommes alors en mesure de rectifier les choses sur-le-champ, et nous pouvons réduire au minimum nos problèmes de qualité et assurer une plus grande satisfaction de la clientèle au bout du compte. Voilà un avantage supplémentaire à la démarche qui n'est pas si évident à première vue.
Le président: Merci.
La séance est levée.